L'économie du Québec, mythes et...

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Gérard BÉLANGER Économiste, professeur, département d’économie retraité de l’Université Laval (2007) L’économie du Québec, mythes et réalité LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES CHICOUTIMI, QUÉBEC http://classiques.uqac.ca/

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Gérard BÉLANGERÉconomiste, professeur, département d’économie

retraité de l’Université Laval

(2007)

L’économie du Québec,mythes et réalité

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALESCHICOUTIMI, QUÉBEChttp://classiques.uqac.ca/

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Gérard Bélanger

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Montréal : Les Éditions Varia, 2007, 361 pp. Collection “Essais — Économie—.

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Gérard BÉLANGERÉconomiste, professeur, département d’économie

retraité de l’Université Laval

L’ÉCONOMIE DU QUÉBEC,mythes et réalité.

Montréal : Les Éditions Varia, 2007, 361 pp. Collection “Essais — Économie—.

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L’économie du Québec, mythes et réalité.

Table des matières

Quatrième de couverture

Liste des tableaux [353]

Liste des figures [356]

Préface [7]

Introduction [11]

♦ Les modes d'approche de l'étude de l'économie du Québec 11 ♦ L'écono-mique comme discipline 12 ♦ L'efficacité 13 ♦ Les systèmes économiques 15 ♦ Un important constat: le déclin relatif du Québec en Amérique du Nord 18

Chapitre 1. Le Québec, une région en Amérique du Nord [21]

♦ Une région relativement en déclin 22 ♦ Déplacement du centre de gravité en Amérique du Nord 23 ♦ L'intégration économique et l'égalisation régio-nale des revenus 24 ♦ Généralisation à la situation canadienne 30 ♦ Conclu-sion 32

Chapitre 2. Québec-Montréal au XIXe siècle, Montréal-Toronto au XXe siècle [35]

♦ La mobilité des facteurs 36 ♦ Le prix des facteurs 41 ♦ Les politiques d'ac-croissement des dépenses gouvernementales 44 ♦ L'aide gouvernementale à l'industrie 45 ♦ Conclusion 48

Chapitre 3. Rémunération, productivité et emploi [51]

♦ Les raisonnements tautologiques 51 ♦ Principes de science économique et productivité 52 ♦ Le principe directeur de rattrapage 59 ♦ Conclusion 59

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Chapitre 4. Les coûts croissants du travail humain [61]

♦ Un modèle à deux secteurs ayant des accroissements inégaux de producti-vité 64 ♦ La maladie des coûts relatifs croissants des services a-t-elle trouvé son remède   ? 74 ♦ Hier la «   mcdonalisation   » des services, aujourd'hui leur «   walmartisation   » 76 ♦ Les séries statistiques sont-elles un château de cartes ? 77 ♦ Où sera le facteur humain   ? 80 ♦ Conclusion 82

Chapitre 5. Les exportations du Québec, les avantages comparatifs et la politique commerciale canadienne [85]

♦ Les avantages du commerce 87 ♦ Le commerce extérieur québécois depuis 1990 91 ♦ L'effet frontière 98 ♦ Causes possibles de l'effet frontière 99 ♦ Conclusion 101

Chapitre 6. Hydro-électricité et richesses naturelles [103]

♦ Un exemple de dissipation de la valeur d'une ressource 103 ♦ Comment maximiser la valeur d'une ressource? 104 ♦ Coût moyen et coût marginal 105 ♦ Une ressource peut-elle être source de perte ? 108 ♦ La dissipation de la rente dans le secteur domestique 110 ♦ La dissipation de la rente par la venue d'entreprises énergivores 112 ♦ Renouvellement des ententes [360] 114 ♦ La dissipation de la rente par des coûts excédentaires des facteurs de production 117 ♦ Rente des ressources et rémunération 118 ♦ La dissipation de la rente par la corruption 120 ♦ Conclusion 120

Chapitre 7. L'expansion du secteur public dans l'économie [125]

♦ La croissance de la production 125 ♦ La croissance de l'État 125 ♦ Les raisons de la croissance du secteur public 129 ♦ Les défaillances de la dé-centralisation 129 ♦ Le gouvernement, une institution de substitution 135 ♦ Les facteurs non institutionnels 139 ♦ L'économique des processus poli-tiques 145

Chapitre 8. L'économique des processus politiques [147]

♦ L'équilibre du votant médian 147 ♦ Le commerce des votes 154 ♦ Coûts de participation et majorité rationnellement silencieuse 155 ♦ Agrégation des préférences et incohérences 161 ♦ L'effet net incertain des politiques de redistribution 163 ♦ Conclusion 165

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Chapitre 9. Le modèle québécois [169]

♦ Les neuf propositions de Mancur Olson 171 ♦ Un exemple québécois de concrétisation dans la réglementation 175 ♦ Un complément à l'approche d'Olson 177 ♦ Application du modèle d'Olson au Québec 178 ♦ Le modèle québécois est-il éternel   ? 181 ♦ Conclusion 185

Chapitre 10. Donne-moi une subvention malgré les coûts de son financement [187]

♦ Les coûts des différentes taxes 188 ♦ Estimations canadiennes et québé-coises des coûts d'efficacité des taxes 196 ♦ Les estimations canadiennes 197 ♦ Les estimations québécoises 198 ♦ Le légendaire empereur romain 201 ♦ Les incitations fiscales en faveur de la R et D 202 ♦ Aide fiscale au capital de risque 203 ♦ Crédit d'impôt pour placements privilégiés et aug-mentation de la valeur du permis de taxi 206 ♦ Des bénéfices bruts peu im-portants 207 ♦ Quoi faire   ? 213 ♦ La décentralisation est-elle partiellement vouée à l'échec   ? 214

Chapitre 11. Montréal et les régions [219]

♦ D'hier à aujourd'hui: le passage d'une économie orientée vers les res-sources à une économie du savoir 219 ♦ Montréal par rapport au Québec 220 ♦ Les prévisions de population régionale 221 ♦ Vers un nouvel équilibre 225 ♦ Une application des projections: où sont les pénuries de médecins? 227 ♦ Deux obstacles au développement régional 229 ♦ Le «rentier encom-brant» 230 ♦ Le cadre provincial 232 ♦ La demande pour des politiques ré-gionales 234 ♦ Les coûts des politiques régionales 235

[361]

Chapitre 12. Syndicalisme, marché du travail et stabilisation économique régio-nale [237]

♦ La pénétration syndicale 237 ♦ Différence de densité syndicale 239 ♦ Que font les syndicats   ? 242 ♦ Un deuxième visage 243 ♦ Syndicalisme et pro-cessus politiques 244 ♦ Le degré optimal de syndicalisation 245 ♦ Stabilisa-tion économique régionale 246 ♦ La flexicarité 251

Chapitre 13. L'économique de la langue [257]

♦ Le Québec «aussi français que l'Ontario est anglais» 261 ♦ Montréal à la suite de Québec et des Cantons de l'Est   ? 261 ♦ Le marché du travail a bien changé depuis 1950 267 ♦ Le rôle de Montréal dans l'économie canadienne 271 ♦ Un retour à Joy 274 ♦ La francisation du Québec et les événements politiques 274

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Chapitre 14. Capital social, participation civique et économie sociale 277

♦ Quelques indicateurs comparatifs du capital social 277 ♦ Réflexions sur l'économie sociale 283 ♦ Les caractéristiques des différentes formes d'orga-nisations privées 285 ♦ La coopérative, une institution à privilégier   ? 290

Chapitre 15. Vers un vieillissement rapide de la population [295]

♦ Une faible fécondité 295 ♦ Un allongement de l'espérance de vie 295 ♦ Mouvements migratoires peu favorables 296 ♦ Le résultat: un vieillisse-ment important de la population 297 ♦ La meilleure politique de la popula-tion 302 ♦ Le vieillissement et les dépenses de santé 304 ♦ L'État assureur et le vieillissement de la population 308

Chapitre 16. Le fédéralisme [313]

♦ L'approche conventionnelle ou orthodoxe 314 ♦ La base de la morale éco-nomique 314 ♦ Les applications à un système fédéral 315 ♦ La protection du marché commun national 317 ♦ Comment diminuer la balkanisation   ? 318 ♦ La redistribution des revenus 321 ♦ La stabilisation économique 323 ♦ L'harmonisation fiscale 325 ♦ Les paiements de péréquation 327 ♦ Une objection majeure à la péréquation 329 ♦ Les effets de débordement 330 ♦ Une tentative pour modifier l'approche traditionnelle 333 ♦ L'approche du choix public 334 ♦ Le vécu de la concurrence verticale 337 ♦ Conclusion 343

Conclusion [351]

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[353]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Liste des tableaux

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Tableau 0-1. Population du Qu é bec, de l'Ontario, du Canada et des É tats-Unis, 1981 et 2005, en milliers

Tableau 1-1. R é partition r é gionale de la population des É tats-Unis

Tableau 1-2. Revenus par t ê te et par travailleur des r é gions, relativement à la moyenne des É tats-Unis (en %)

Tableau 1-3. Comparaison de la production et du revenu par personne Qu é - bec-Ontario 2004

Tableau 1-4. Pourcentage des personnes de faible revenu dans l'ensemble de la population selon deux mesures, Qu é bec et Ontario, 1996 et 2000

Tableau 1-5. Diff é rence du co û t de la vie entre Montr é al et Toronto, selon deux sources, 2000 et octobre 2002

Tableau 1-6. Nombre annuel d'immigrants é trangers pour 1000 habitants, É tats-Unis, Canada, Ontario et Qu é bec, 1998 à 2001

Tableau 1-7. R é partition r é gionale (en %) de la population canadienne 1951- 2005

Tableau 2-1. Population de la ville de Qu é bec par rapport à celles de Montr é al et de la Province, 1851 à 1901

Tableau 2-2. Population des r é gions m é tropolitaines de Montr é al et de Toron - to, 1951-2001

Tableau 2-3. Nombre et effectifs des si è ges sociaux, Montr é al et Toronto, 1999 et 2005

Tableau 2-4. Pourcentage de la population totale que repr é sentent les immi - gr é s n é s à l' é tranger, r é gions m é tropolitaines de Toronto et de Montr é al, 1981 et 2001

Tableau 2-5. Salaires pour certaines occupations recens é es par les agents d'immigration, Qu é bec et Montr é al, 1889, (en $)

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Tableau 3-1. Taux de croissance annuel moyen du produit int é rieur brut r é el, de la productivit é du travail et de l'emploi, Qu é bec, Ontario et Canada, 1969-1979

Tableau 4-1. R é partition de l'emploi entre les diff é rents secteurs, Canada, 1951-2001

Tableau 4-2. Croissance sectorielle de la productivit é du travail, Canada, 1987-2000 (taux annuels moyens de variation %)

Tableau 4-3. Taux annuels moyens de croissance du rapport capital/travail pour le secteur manufacturier et le groupe des services socioculturels, commer-ciaux et personnels, Canada, 1957 à 1978

Tableau. 4-4. É volution de la productivit é dans le secteur gouvernemental. Suède, 1960-1980

[354]

Tableau 5-1. Rapport des exportations en % du PIB pour certains pays de l'OCDE, 2005

Tableau 5-2. Croissance annuelle moyenne des exportations de certaines in-dustries qu é b é coises entre 1995 et 2002

Tableau 6.1. Comparaison du prix de vente moyen de l' é lectricit é par secteur de consommation, Qu é bec, Nouvelle-Angleterre et É tats-Unis, 2002, en cents par kWh

Tableau 6-2. Co û ts de production de l' é lectricit é au Qu é bec

Tableau 6-3. Rendement sur l'avoir propre d'Hydro-Qu é bec et sur les bons du Tr é sor 1985-1991 (en %)

Tableau 6-4. Tarifs d' é lectricit é en 1991 0 des É tats-Unis par kWh

Tableau 6-5. Co û ts annuels durant 30 ans (en millions $) de l'entente du gou - vernement du Qu é bec avec Alcan

Tableau 6-6. Estimation de la r é mun é ration hebdomadaire moyenne (excluant le temps suppl é mentaire) pour l'ensemble des salari é s, Qu é bec, 2000

Tableau 7-1. D é penses gouvernementales en % du PIB, Canada, 1926 à 2002

Tableau 7-2. D é penses des administrations publiques par rapport au PIB, 1870-2002

Tableau 7-3. R é partition (en %) des d é penses par fonction, tous les niveaux de gouvernement, Canada, 1933, 1963, 2003

Tableau 7-4. Indice synth é tique de nuptialit é des c é libataires selon le sexe, Qu é bec, 1951 à 2001

Tableau 7-5. D é penses des administrations publiques et produit int é rieur brut, Canada et Qu é bec, 1961-1978

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Tableau 7-6. Administration publique: total des d é penses courantes et d'acqui - sition de capital non financier par rapport au PIB, Qu é bec et Canada, 1981 à 2001

Tableau 7-7. Estimations de l' é volution du volume des services gouvernemen - taux par rapport au PIB r é el, Canada, 1961-1994 et 1961-2003

Tableau 8-1. Choix de trois individus entre trois budgets consacr é s à l' é duca - tion

Tableau 8-2. Effets distributifs de diff é rentes propositions entre cinq individus

Tableau 9-1. Taux de syndicalisation par province et secteur

Tableau 10-1. Co û t par emploi cr éé dans les sites d é sign é s pour la «   nouvelle é conomie   »

Tableau 11-1. Variation entre 1996 et 2001 de la population de diff é rentes r é - gions m é tropolitaines de recensement (en pourcentage)

[355]

Tableau 11-2. É volution à moyen terme de la population du Qu é bec selon le sc é nario de r é f é rence, r é gions administratives et r é gions m é tropolitaines, 2001- 2026 (en milliers)

Tableau 11-3. D é clin urbain en périphérie de l'Ontario, 2001

Tableau 11-4. Pourcentage de la population totale compos é e de nouveaux immigrants, RMR Qu é bec, Ottawa-Hull, Montr é al, Toronto, 1981, 1991, 2001

Tableau 11-5. Part des travailleurs titulaires d'un dipl ô me universitaire, 1981, 1991 et 2001 (%)

Tableau 11-6. Plan de la r é partition r é gionale des m é decins omnipraticiens pour 2004

Tableau 11-7. P é nurie r é gionale observ é e et augmentation projet é e de la po - pulation entre 2001 et 2026

Tableau 11-8. Gains annuels moyens des travailleurs à temps plein en dollars constants de 2000

Tableau 12-1. Taux de pr é sence syndicale, Qu é bec, Ontario, reste du Canada et É tats-Unis, 1997, 2003 et 2004 (en %)

Tableau 12-2. L'accr é ditation syndicale au Canada et aux É tats-Unis

Tableau 12-3. Multiplicateurs des d é penses et des taxes du gouvernement f é d é - ral

Tableau 13-1. Taux de transfert linguistique des francophones â g é s de 25 à 44 ans, Canada, Provinces et Territoires, 1991 et 2001

Tableau 13-2. R é partition linguistique de la population du Qu é bec selon diff é - rents crit è res, 1951-2001 (en %)

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Tableau 13-3. Migration interprovinciale entre le Qu é bec et les autres pro - vinces et territoires selon la langue maternelle, 1971 à 1976, 1976 à 1981, 1981 à 1986, 1986 à 1991, 1991 à 1996 et 1996 à 2001

Tableau 13-4. Composition de la population immigr é e selon la langue mater - nelle et proportion de la population immigr é e au sein de la population de la pro - vince ou de la r é gion, 1971 et 2001

Tableau 13-5. Population immigr é e allophone selon la connaissance des langues officielles, RMR de Montr é al, 1971 à 2001

Tableau 13-6. É cart, par rapport aux francophones unilingues, des salaires des hommes francophones bilingues et des anglophones unilingues ou bilingues, RMR de Montr é al, de 1970 à 1995

Tableau 13-7. Pourcentage de l'emploi total au Qu é bec sous diff é rents contr ô les et pourcentage de l'emploi sous contr ô le francophone canadien, 1961, 1978, 1987 et 2003

Tableau 14-1. Dons de charit é dans les d é clarations fiscales des particuliers, par province

[356]

Tableau 14-2. Taux de participation civique selon la province et la langue. Québec, Ontario et Saskatchewan, 1997

Tableau 14-3 Indice synth é tique de nuptialit é des c é libataires selon le sexe, dans quelques É tats

Tableau 14-4. Indice synth é tique de divortialit é dans quelques É tats

Tableau 14-5. Nombre des interruptions volontaires de grossesses pour 100 naissances vivantes, quelques É tats

Tableau 15-1. Indicateurs de la structure par â ge, Qu é bec, 1901-2051

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[356]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Liste des figures

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Figure 1-1. D é placement du centre de la population des É tats-Unis, 1790-2000

Figure 1-2. Coefficients de variation interprovinciale de 1981 à 2002: PIB r é el et revenu disponible par habitant

Figure 2-1. R é partition linguistique dans les r é gions de Montr é al

Figure 3-1. Tendance des salaires, de la productivit é et des taux d'emploi, Qu é - bec, Ontario et É tats-Unis, 1982-2002

Figure 3-2. Les é carts de PIB par habitant et leur d é composition

Figure 3-3. É volution de l'emploi et du salaire r é el, É tats-Unis et Union euro - p é enne (15), 1975 à 2001 (1975 = 100)

Figure 4-1. Co û t du travail par rapport à celui du capital, Canada, 1970 à 1994

Figure 4-2. Indice des prix des robots industriels aux É tats-Unis, avec et sans ajustement de qualit é . Indice de la rémunération des salariés des entreprises, 1990-2003

Figure 4-3. Croissance de productivit é et changement dans les prix relatifs, É tats-Unis, 1950-1990

Figure 4-4. Prix relatif des services et PIB par habitant, 2003

Figure 4-5. Tendance des prix et de la productivit é totale des facteurs de 58 industries pour la p é riode 1948-2001 ( É tats-Unis)

Figure 4-6. Croissance de la productivit é et des salaires par industrie pour la p é riode de 1948-2001 ( É tats-Unis)

Figure 4-7. Variation de l'indice de la production des biens et des services au Canada, 1935-1994 (1961 = 100)

Figure 4-8. Composition de l'emploi au Canada, 1881-1993

Figure 4-9. Croissance annuelle de la productivit é totale des facteurs au Cana - da et Croissance annuelle du PIB par personne au Canada

[357]

Figure 4-10. Productivit é du travail non agricole, États-Unis, 1970-2002, (1992 = 100)

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Figure 5-1. É volution du commerce ext é rieur qu é b é cois par rapport au PIB, 1991-2003

Figure 5-2. É volution de la part des exportations de biens et de services du Qu é bec par destination, 1990-2003

Figure 5-3. Part du Qu é bec dans les importations de biens et de services des É tats-Unis, 1990-2003

Figure 5-4. R é mun é ration horaire canadienne par rapport aux É tats-Unis

Figure 5-5. Variation de l'emploi dans le secteur manufacturier de 1995 à 2002, en pourcentage

Figure 6-1. Co û t annuel du chauffage à Montr é al pour une maison indivi - duelle de 160M 2 pour la p é riode du 1 er avril 2001 au 31 mars 2002

Figure 7-1. PIB par t ê te pour cinq r é gions, 1750 à 1990 en $ US 1985

Figure 8-1. É quilibre du votant m é dian

Figure 8-2. Estimation du soutien à la production agricole par produit, Canada

Figure 9-1. É volution du solde budg é taire du gouvernement du Qu é bec

Figure 10-1. Taux marginal d'imposition effectif - couple à un seul revenu avec deux enfants

Figure 10-2. Relation entre la dur é e annuelle du travail et le taux marginal d'imposition des revenus de travail pour les pays de l'OCDE, 2003 / 2007

Figure 10-3. Heures relatives travaill é es par semaine, Qu é bec / Ontario et Qu é - bec / É tats-Unis, ratio en %, 1981-2002

Figure 10-4. Gain de bien- ê tre é conomique à long terme issu de r é ductions d'imp ô t sans effet sur le revenu du gouvernement.

Figure 10-5. Impact par dollar de r é duction d'imp ô t sans effet sur les revenus gouvernementaux

Figure 12-1. Taux de pr é sence syndicale dans les secteurs priv é et public, Qu é - bec, Ontario, reste du Canada et É tats-Unis, 1997 et 2004

Figure 12-2. Densit é syndicale, Canada et É tats-Unis, 1920 à 1998 en %

Figure 12-3. Salaire minimum r é el Qu é bec ($ constants de 1992)

Figure 12-4. Protection de l'emploi et importance relative des d é penses pu - bliques du march é du travail, pays de l'OCDE

Figure 13-1. Corr é lation entre la persistance de la langue et la concentration parmi la minorit é fran ç aise dans 27 comt é s ontariens en 1971

Figure 14-1. Proportion des naissances hors mariage, de p è re non d é clar é et de m è re seule, Qu é bec 1951-2004

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 17

[358]

Figure 15-1. Indice synth é tique de f é condit é et descendance des g é n é rations, Qu é bec, 1950-2005

Figure 15-2. Esp é rance de vie à la naissance selon le sexe, Qu é bec, 1950-1952 à 2003-2005

Figure 15-3. Migrations internationales et interprovinciales, Qu é bec, 1972- 2005

Figure 15-4. Pyramide des â ges, Qu é bec, 1 er juillet 2006

Figure 15-5. Â ge m é dian de la population, Qu é bec, 1901-2041

Figure 15-6. Rapport de d é pendance, Qu é bec, 1901-2041

Figure 15-7. D é penses moyennes totales de sant é des gouvernements provin - ciaux et territoriaux, selon le groupe d' â ge et le sexe, Canada, en dollars constants de 1997, 2002

Figure 15-8. Naissance et d é c è s, 1971-2003, et trois sc é narios, 2001-2050, Qu é bec

Figure 16-1. Coefficients de variation interprovinciale de 1981 à 2002

Figure 16-2. Part des recettes et des d é penses des gouvernements non centraux en pourcentage de l'ensemble du secteur public, pays de l'OCDE, 2003 ou 2004

Figure 16-3. Part des revenus des gouvernements provinciaux et locaux dans les revenus publics, pays f é d é raux, 2004 (en %)

Figure 16-4. Part des revenus autonomes dans les revenus provinciaux et lo-caux, pays f é d é raux, 2004

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 18

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Quatrième de couverture

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Gérard Bélanger, professeur d'économie à l'Université Laval, a pu-blié il y a deux ans une analyse du secteur de la santé du Québec. Cette fois, il s'attaque à l'ensemble des politiques économiques de cette province, tout en présentant des comparaisons multiples et éclai-rantes avec le Canada, les États-Unis et les autres pays de l'OCDE.

Ce livre, mi-essayiste, mi-didactique, en étonnera plusieurs. Comme le titre le laisse entendre, il y a quelques mythes bien entrete-nus par la gent politico-médiatique, à propos de l'économie du Qué-bec et des politiques qui sont censées l'améliorer. Cela va du « mo-dèle québécois » au prix de l'électricité, en passant par les problèmes du fédéralisme.

L'auteur les traite sans agressivité, mais sans ménagement et avec un brin d'humour. Une quinzaine de thèmes sont abordés, d'abord par une description généreuse, puis par le souci d'expliquer de ce profes-seur aguerri et par la contribution d'une riche collection d'économistes contemporains.

Reprenons une phrase du préfacier : « voilà un ouvrage qui com-blera fort utilement le vide rationnel et l'hyper-sentimentalisme qu'on trouve la plupart du temps dans nos médias à propos de la province distincte. »

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 19

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GÉRARD BÉLANGER

L’ÉCONOMIE DU QUÉBEC,MYTHES ET RÉALITÉ

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Bélanger, Gérard, 1940-L’économie du Québec, mythes et réalité(Collection Essais)ISBN 978-2-89606-038-2

1. Québec (Province) - Conditions économiques - 1991- . 2. Québec (Province) – Politique économique. 3. Exportations - Québec (Pro-vince). 4. Productivité - Québec (Province). 5. Marché du travail - Québec (Province). 6. Relations économiques internationales. I. Titre.

HC117.Q4B44 2007 330.9714C2007-941269-6Dépôt légal: Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2007© Éditions Varia, 2007

Nous remercions le Conseil des Arts du Canada et la Société de déve-loppement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) de l’aide accordée à notre programme de publication.Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édi-tion de livres – Gestion SODEC.

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GérardBélanger

L’ÉCONOMIE DU QUÉBEC,MYTHES ET RÉALITÉ

Collection Essais

VARIA

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Du même auteur

Le Prix de la santé, Montréal, Hurtubise HMH, 1972 (avec Jean-Luc Migué)

The Price of Health, Toronto, MacMillan, 1974 (avec Jean-Luc Migué)

Le Financement municipal au Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1976

Le Prix du transport au Québec, Québec, éditeur officiel du Qué-bec, 1978 (avec Jean-Luc Migué et Michel Boucher)

Impôts et dépenses au Québec et en Ontario : une comparaison, Montréal, Institut de recherche C.D. Howe, 1978 (avec Judith Max-well et Penny Basset)

L’économique du secteur public, Chicoutimi, Gaëtan Morin, 1981Croissance du secteur public et fédéralisme : perspective écono-

mique, Montréal, agence d’ARC, 1988L’Économique de la santé et l’État providence. Montréal, Éditions

Varia

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À Françoise et Gilleset à la mémoire d’Yvan Ferland

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L’économie du Québec, mythes et réalité.

PRÉFACE

Par Jacques HENRIPIN

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Si quelqu'un prétendait qu'il n'est pas toujours souhaitable de re-chercher la productivité la plus élevée, on douterait un peu de sa sa-gesse. Et si l'on vous disait que les cadeaux de diverses sortes offerts par le gouvernement québécois à Alcan pour appuyer sa nouvelle alu-minerie au Saguenay coûteront, pendant trente ans, plus de trois cent mille dollars par an et par travailleur, vous seriez pour le moins scep-tique. C'est pourtant ce que démontre l'auteur de ce livre. Voilà des exemples des deux richesses de cet ouvrage : d'une part, on trouvera, comme son titre l'indique, une analyse critique de l'économie québé-coise ; d'autre part, on y trouvera des raisonnements économiques em-pruntés à de très nombreux économistes et qui constituent, ma foi, une bonne introduction très concrète à cette discipline.

On croit souvent que l'économique se limite à ce qui s'exprime en monnaie. Eh! bien non. Dans ce livre, il est aussi question de la fa-mille, du mariage, du jeu des pressions politiques, de la langue fran-çaise et du fédéralisme. L'auteur voit large, comme on le constate, mais sans s'éloigner des modes d'analyse propres à sa discipline. Il faut dire que cette dernière dispose de quelques instruments dont l'ap-plication étonne. On trouvera par exemple une explication des choix et comportements politiques des citoyens par l'utilisation des courbes

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de l'offre et de la demande. Quel instrument étonnant que ces deux courbes accompagnées de deux axes !

Bien entendu, on y trouvera surtout des sujets plus habituellement associés à la vie économique: tendances des dernières décennies en matière de productivité, de prix, de rémunération, de niveau de vie, de choix des consommateurs ; interventions des gouvernements, des groupes de pression, etc. Mais il s'agit rarement de pure description; on sent presque toujours le désir du professeur [8] de faire com-prendre, d'interpréter. De juger aussi, mais sans passion partisane. Ce-pendant, Bélanger a des convictions que j'appellerais fondamentales; elles se résument à la supériorité de la décentralisation et de la concur-rence, avec place pour des nuances. Une passion aussi, tout de même: la soumission à la rationalité, temporisée d'ailleurs par un brin d'hu-mour. Comme l'écrivait Montaigne: « C'est icy un livre de bonne foy, lecteur. »

** *

Mais il s'agit bien, avant tout, d'un examen critique de l'économie québécoise. Examen d'abord : on trouvera une documentation abon-dante sur l'évolution rétrospective des phénomènes majeurs, sur leurs liens, très souvent en comparaison avec les autres provinces, l'en-semble du Canada et les pays de l'OCDE. Il y a là des écarts surpre-nants et décidément, le capitalisme a de nombreux habits, contraire-ment à ce que laissaient entendre, naguère, les apôtres du marxisme. Il y a aussi des similitudes - de niveaux de vie par exemple - tout aussi surprenants, du moins quand on les interprète en les juxtaposant à des phénomènes corollaires. À cet égard, certains mythes sont dépouillés des éblouissements quasi religieux dont ils sont l'objet. Le persistant et obsessionnel «modèle québécois» en prend ici pour son rhume.

Mais l'économique n'est pas que descriptive et «explicative»; elle juge aussi, à l'occasion, et l'auteur ne s'en prive pas, surtout quand il s'agit des interventions du gouvernement du Québec. C'est ce qu'il ap-pelle la «morale économique». Faut-il voir là un parti pris antiéta-tique ? On en jugera, mais l'auteur semble si souvent avoir raison! Même chose pour les corporatismes - la syndicratie en particulier (terme que l'auteur n'emploie pas) -, adversaires de la concurrence, de la décentralisation et de l'efficacité, toutes chères à l'auteur. Bien en-

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tendu, il dénonce aussi une jolie collection de subventions douteuses (coûteuses aussi), de même que le gaspillage systématique de cer-taines richesses naturelles, l’hydro-électricité en particulier. Ici, le mo-dèle québécois frise parfois la sottise : au lieu de vendre son électricité directement à bon prix, le Québec l'exporte indirectement à vil prix « par la voie des lingots d'aluminium ».

[9]Ajoutons que ces jugements ne sont pas toujours liés à des préfé-

rences personnelles du professeur Bélanger; la plupart du temps, ils sont inspirés de nombreux auteurs, qui sont abondamment cités. L'au-teur est manifestement un lecteur acharné.

Bref, voilà un ouvrage mi-essayiste et mi-didactique, qui comblera fort utilement le vide rationnel et l’hyper-sentimentalisme qu'on trouve la plupart du temps dans nos médias, à propos de la Province distincte. Elle l'est en effet, mais pas toujours pour le mieux.

Jacques HenripinProfesseur émérite à l'Université de Montréal

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L’économie du Québec, mythes et réalité.

INTRODUCTION

La première étape d’un ouvrage de science économique appliquée à l’économie du Québec consiste à débroussailler. Cette introduction fait deux choses pour cela : elle définit l’approche choisie et expose succinctement quelques notions fondamentales de l’économique.

0.1. Les modes d’approche de l’étudede l’économie du Québec

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L’économie québécoise s’étudie selon deux modes d’approche. Le premier est plutôt descriptif et présente des informations détaillées. La publication de l’Institut de la statistique du Québec, Le Québec statis-tique, Édition 2002 1 en est un bon exemple. On vise principalement les faits ou la description des phénomènes.

C’est un deuxième mode d’approche, plus analytique, qui a été choisi ici. On verra comment l’économiste étudie, décortique diffé-rents aspects ou problèmes de l’économie québécoise. Le lecteur y trouvera tout de même beaucoup d’informations, mais le but premier est l’utilisation de la science économique pour expliquer les phéno-mènes québécois. Cependant, l’auteur a essayé de faire en sorte que ce texte n’exige que peu de connaissances préalables de la science éco-nomique.

1 Institut de la statistique, Le Québec statistique, Édition 2002, Québec, 2002, 868 p.

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Ce livre aborde seize sujets différents de l’économie du Québec. Il n’est pas nécessaire d’en faire une lecture continue. Le lecteur peut donc s’adonner sans difficulté à une opération de saute-mouton.

[12]

0.2. L’économique comme discipline

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Qu’est-ce que la science économique ? Comment est-elle diffé-rente des autres sciences sociales ? A-t-elle un mode d’explication privilégié ?

L’économiste se présente comme un être qui a deux discours fort différents. Le premier se veut scientifique : il vise à expliquer les phé-nomènes sociaux en recourant généralement à un mode d’approche qui lui est propre. C’est ce qu’on peut appeler l’économique positive. Voici un exemple. Au cours du dernier demi-siècle, un phénomène s’est répandu dans plusieurs pays : la croissance des dépenses en soins de santé par rapport à la valeur des biens et services produits par l’en-semble de l’économie (le produit intérieur brut, ou PIB). Au Canada, par exemple, les dépenses de santé représentaient 5,5% de la produc-tion en 1960, contre 10,0% en 2003. Voilà un phénomène social qui mérite explication et l’économiste essaiera de la fournir.

Disons en passant que l’économique positive ne se limite pas à l’étude des phénomènes monétaires, comme on le croit souvent; elle s’intéresse à tous les phénomènes sociaux; elle tentera par exemple d’expliquer la baisse de popularité de l’institution du mariage. Elle se distingue généralement par un mode d’approche particulier : l’indivi-dualisme méthodologique 2. De quoi s’agit-il ? Tout simplement de se concentrer sur le fait que chacun cherche à accroître son bien-être, tout en étant soumis à différentes contraintes. Ces dernières ne sont

2 Le recours à l’individualisme méthodologique n’est pas le propre des éco-nomistes, même s’il est fort répandu chez ces derniers. Par exemple, le so-ciologue Raymond Boudon a utilisé cette approche dans ses travaux. (R. Boudon avec R. Leroux, Y a-t-il encore une sociologie ?, Paris, O. Jacob, 2003, chap. II, « Aux fondements de l’individualisme méthodologique », p. 47-88).

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d’ailleurs pas immuables : elles sont modifiées par le progrès tech-nique et aussi par l’action de ces mêmes individus ou des pouvoirs publics. Par exemple, il est évident que la popularité des logements subventionnés varie selon l’importance des subventions : plus la sub-vention est généreuse, moins leur prix est élevé et plus leur popularité est grande.

Le deuxième type de discours de l’économique veut juger au lieu de se contenter d’expliquer. C’est l’économique normative. Cette branche devrait plutôt s’appeler « morale économique ». Elle demeure en grande partie non scientifique, à cause de son aspect « prescriptif » ou, si l’on veut, du jugement porté, toujours subjectif. Référons-nous à un exemple simple : si un scientifique prédit qu’une réaction donnée produit un champignon radioactif avec [13] une multitude de proprié-tés, il pratique la science. Quand il affirme s’opposer à toute utilisa-tion de l’engin atomique, il devient moraliste.

C’est exactement la même chose pour un économiste, lorsqu’il se prononce sur le fait qu’un projet donné doit être entrepris ou non. Le mot « doit » montre bien que la question se situe dans le domaine des prescriptions basées sur des normes. Il en est de même pour toutes les tentatives de jugement ou d’évaluation de situations, comme dans les exemples suivants : Y a-t-il surplus ou pénurie de médecins au Qué-bec ? La construction de nouvelles autoroutes est-elle rentable ? Le secteur public québécois est-il trop lourd ?

La partie « prescriptive » ou normative de l’économique est fort développée et sera régulièrement utilisée dans tous les chapitres. Elle fournit d’ailleurs de bons emplois aux économistes. Les concepts-clés sont ceux de rentabilité, d’efficacité et de non-gaspillage. Pour sa part, la rentabilité exige que les avantages attendus d’une action soient su-périeurs aux coûts estimés, afin de dégager un surplus ou un avantage net. Qu’en est-il du concept d’efficacité ?

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0.3. L’efficacité

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Les ressources d’une société existent pour le bénéfice de ses ci-toyens, qui cherchent à obtenir le maximum de satisfaction. Quelles règles doivent être suivies pour réaliser une économie efficace et ainsi avoir le plus gros gâteau possible ? Comment le gaspillage peut-il être évité ? Il s’agit de produire au coût le plus bas possible les produits réellement demandés par la population.

L’efficacité est au centre de l’économique normative ou de la mo-rale économique et comporte trois aspects : consommation, produc-tion et relation entre ces deux éléments.

a) L’efficacité dans la consommation

Les produits doivent respecter les préférences des individus. Il n’est sûrement pas recommandable de réserver le vin aux abstinents, car alors, le vin ne serait pas créateur de satisfaction ou d’utilité. Heu-reusement, le commerce existe. Dans un monde [14] caractérisé par des droits de propriété bien définis et des coûts de transaction peu éle-vés, le commerce est un créateur de richesse. Les abstinents qui sont propriétaires de vin seront heureux de l’échanger contre des produits plus proches de leurs préférences. Les échanges libres permettent ainsi d’accroître la satisfaction de tous les participants en réallouant les pro-duits selon les préférences de chacun.

b) L’efficacité dans la production

L’efficacité dans la production requiert que les coûts soient le plus bas possible. Hydro-Québec servira d’exemple. Cette entreprise a un attrait pour les grands projets à fort capital au détriment des petits pro-jets. Comme dit l’adage, les dinosaures aiment d’autres dinosaures. Hydro-Québec a délaissé au cours des ans l’utilisation des petites cen-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 31

trales hydro-électriques qui avaient été mises en opération par des en-treprises privées 3, de sorte que, lorsque le gouvernement a décidé de développer les petites centrales, il s’est tourné vers les producteurs indépendants. Il faut savoir en effet que les méthodes de décision d’Hydro-Québec sont mal adaptées à des projets de faible taille : en s’y adonnant, cette entreprise ne produirait pas à un coût minimum et deviendrait une source de gaspillage.

c) L’efficacité et le lien entre consommation et production

Pour éviter le gaspillage, il est nécessaire de s’assurer que toute utilisation d’une ressource ou d’un produit entraîne un avantage au moins égal au coût de cette ressource ou de ce produit. Par exemple, si un kilowatt-heure (kWh) supplémentaire coûte 10 ¢ et qu’il est vendu au prix de 6 ¢, nous sommes en présence d’un gaspillage, puisque la valeur de ce kWh pour les utilisateurs est inférieure au coût de pro-duction pour la société. Le coût de production de 10 ¢/kWh représente la valeur des ressources employées pour le produire. On ferait mieux de les utiliser pour des produits dont la valeur pour le consommateur est au moins de 10 ¢, sinon on détourne l’emploi de facteurs qui valent 10¢ vers une production qui en vaut moins, ce qui est un gas-pillage. Suivant [15] la même logique, un emprunteur s’appauvrit si le taux de rendement du montant emprunté n’est pas supérieur au taux d’intérêt exigé par le prêteur.

Pour éviter les gaspillages de cette nature, il est donc nécessaire que l’entreprise publique vérifie si l’augmentation de la production résultant d’un investissement vaut au minimum son coût. Dans une économie décentralisée, chaque agent économique est libre de choisir son panier de consommation, en fonction des prix relatifs des pro-duits, tout en respectant sa contrainte budgétaire. L’absence de gas-pillage est assurée par le recours à une tarification au coût marginal, c’est-à-dire au coût de production de la dernière unité. Alors, les utili-sateurs ajustent leurs décisions en fonction des vrais coûts qu’entraîne

3 Sur ce sujet et ceux des paragraphes suivants, voir G. Bélanger et J.T. Ber-nard, « La tarification de l’électricité au Québec », dans F. Palda (s.l.d.), L’État interventionniste  : le gouvernement provincial et l’économie du Qué-bec, Vancouver : Fraser Institute, 1994, pp. 169-191.

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une variation de leur consommation. Chacun devient « responsable » des coûts engendrés par ses actions.

L’existence d’un tarif domestique inférieur au coût marginal en-traîne un gaspillage de l’électricité. Un bon exemple est le chauffage des résidences, au Québec, où la suprématie de l’électricité est incon-testable. En 1972, seulement 8,0% des logements étaient chauffés à l’électricité, contre 81,9% au mazout. En 2000, l’électricité était utili-sée dans 70,4% des logements alors que 17,3% étaient chauffés au mazout. Cela a été entraîné par ce qu’on pourrait appeler des « sub-ventions tarifaires », c’est-à-dire des prix inférieurs au coût de produc-tion marginal de l’électricité. Elles ont considérablement favorisé la popularité du chauffage électrique au Québec et sont ainsi une source de gaspillage. Il en est de même pour les entreprises énergivores du Québec, comme le secteur de l’aluminium. Les rabais consentis à ces entreprises constituent des subventions qui représentent un montant très élevé par travailleur 4.

0.4. Les systèmes économiques

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Il convient sûrement, pour s’ouvrir aux diverses possibilités, d’ac-cepter que la réalité comporte une multitude de méthodes ou de styles. S’agissant de la répartition des décideurs et de leur puissance, on a le choix entre les extrêmes, décentralisation pure et centralisation com-plète; il y a toute une gamme de choix, dont trois sont indiqués ici par les flèches A, B, C.

En principe, tout le segment serait à notre disposition, avec la pos-sibilité de s’y déplacer. On peut même faire des mixages : suivant

4 Ces points seront repris au chapitre 6, qui s’intéresse à l’hydro-électricité et aux richesses naturelles.

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l’étiquette d’un défunt parti fédéral, on pourrait être à la fois progres-siste et conservateur à différents degrés.

La décentralisation et la centralisation possèdent toutefois leurs propres dynamiques, qui s’opposent à une combinaison variable et continue des deux éléments. La réalité se présente plutôt de la façon suivante :

En fait, les choix sont plutôt restreints et proches des deux pôles, décentralisation pure et centralisation complète. Il n’y a pas moyen de décentraliser à 50% la centralisation.

a) La décentralisation

La décentralisation d’un système économique permet la liberté de choix, la souplesse, l’autonomie et la responsabilisation des décideurs. Selon plusieurs, cependant, la décentralisation doit être dénoncée, car elle engendrerait l’anarchie. Mais le cas hypothétique suivant permet de dissiper cette appréhension. Une revue médicale majeure, disons le New England Journal of Medecine, publie cette semaine une impor-tante étude concluant que la consommation quotidienne de brocoli diminue appréciablement la probabilité d’avoir le cancer. Les gens, avec la préoccupation bien égoïste d’éviter cette maladie, augmente-ront leur consommation de ce légume bienfaisant. Cet accroissement de la demande engendrera un prix plus élevé pour le brocoli. Dans leur désir bien légitime d’augmenter leur revenu, les producteurs ac-croîtront sensiblement leur culture de ce légume pour en inonder les [17] marchés. Ainsi, la consommation du brocoli se généralisera sans la présence d’un plan et sans l’intervention d’une autorité centrale, mais plutôt comme résultat de décisions individuelles tout à fait égoïstes.

Cependant, pour engendrer les effets escomptés, la décentralisation exige une assise légale appropriée, par exemple des droits de propriété

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bien définis. Dans l’exemple donné plus haut, il ne servirait à rien aux producteurs de se convertir à la culture du brocoli, s’ils ne récoltaient pas les bénéfices de leur action. Ajoutons que la décentralisation em-brasse beaucoup plus que les seules sociétés capitalistes. Elle concerne les sociétés sans but lucratif, les coopératives de producteurs et de consommateurs, les sociétés à nom collectif et à propriétaire unique et même les ménages et les familles.

b) La centralisation

La centralisation implique une uniformisation ou une cartellisation, à cause de l’application nécessaire de normes. Et comme l’idée de normes flexibles est contradictoire, la centralisation est aux antipodes de la flexibilité. Toutefois, elle permet une plus grande égalité dans la consommation des services publics.

Par exemple, le système de santé canadien (y compris le québé-cois) a un financement passablement centralisé, puisque les gouverne-ments défraient environ soixante-dix% de l’ensemble des dépenses, et en particulier la presque totalité des services hospitaliers et médicaux. Ce sont donc eux qui fixent les règles. Une expression anglaise ré-sume très bien la situation : He who pays the piper calls the tune (ce-lui qui paie a bien le droit de choisir).

La centralisation implique le recours à des critères bureaucratiques. Voici trois exemples tirés des programmes du gouvernement du Qué-bec. Pour le bois récolté sur les terres publiques, en l’absence d’un marché où s’expriment les forces de l’offre et de la demande, les auto-rités établissent des « prix administrés »  en se référant à une vingtaine de variables. Rien de moins ! Autre exemple : lors du règlement sur l’ « équité salariale » dans le secteur public, dix-sept variables au-raient été utilisées pour comparer les emplois. Un véritable casse-tête ! Enfin, la détermination des hausses du salaire minimum se base sur l’évolution de onze variables. On centralise ou pas; et le gouverne-ment central doit montrer qu’il est sophistiqué.

[18]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 35

Les processus décentralisés n’ont évidemment pas l’ampleur tenta-culaire de la centralisation qui, de son côté, affiche une allure d’ordre et de rationalité tout à fait illusoire. La décentralisation se réfère à de l’inconnu et la centralisation donne l’illusion de pouvoir contrôler le futur.

0.5. Un important constat :le déclin relatif du Québec en Amérique du Nord

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Le Québec est relativement en perte de vitesse en Amérique du Nord. La croissance de la population entre 1981 et 2005 le montre très bien (tableau 0-1). Durant cette période, l’accroissement relatif de la population du Québec (16,0%) est égal aux trois huitièmes de l’ac-croissement ontarien (42,5%) et à la moitié de celui du Canada (30,1%) et des États-Unis (29,0%). Le pourcentage de la population du Québec relativement à celle de l’Amérique du Nord est passé de 2,57 en 1981 à 2,31 en 2005.

Au cours des récentes décennies, le rapport de la population du Québec à celle du Canada a diminué d’un dixième d’unité de pourcen-tage par année. Par rapport à la population de l’ensemble de l’Amé-rique du Nord, la baisse est d’un centième d’unité de pourcentage par année.

Différentes facettes du déclin relatif du Québec apparaîtront dans les chapitres suivants.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 36

TABLEAU I

POPULATION DU QUÉBEC, DE L’ONTARIO, DU CANADA ET DES ÉTATS-UNIS, 1981 ET 2005, EN MILLIERS.

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1981 2005 %

Québec 6 547,7 7 597,8 16,0

Ontario 8 811,3 12 558,7 42,5

Canada 24 820,4 32 299,5 30,1

États-Unis 229 966 296 639 29,0

Source : Institut de la statistique du Québec, Comparaisons interprovinciales, http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/conjn_econm/TSC/pdf/cha-pl.pdf; U.S. Census Bureau, Statistical Abstract of the United States 2006, http://www.census.gov/prod/2006pubs/07statab/pop.pdf.

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[19][20]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 37

[21]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 1Le Québec, une régionen Amérique du Nord

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La première caractéristique de l'économie du Québec est d'être une économie régionale au sein de l'Amérique du Nord. L'expression d'économie régionale implique une grande ouverture sur l'extérieur et n'est pas propre au Québec. Un bon indicateur de cette ouverture se trouve dans le rapport des exportations à la production. Les exporta-tions internationales et inter-provinciales totalisaient 56,6% du PIB pour le Québec en 2003 (62,9 en 2000) par opposition à 37,9% pour le Canada. Aux États-Unis, ce rapport était pour la même année de 9,5%. Ces données témoignent de la très grande ouverture de l'écono-mie québécoise.

Ces valeurs exagèrent toutefois l'importance des exportations dans l'économie, puisqu'à l'intérieur des biens exportés, il y a des « in-trants » importés. Une étude fournit leur importance relative pour cer-taines années :

"En ce qui concerne les intrants importés du reste du Canada et des marchés internationaux qui sont incorporés aux exportations, ils repré-sentent 37 cents par dollar d'exportations en 2001 et 33 cents en 1990". 5

5 Institut de la statistique de Québec et Ministère du Développement écono-mique et régional, Impact économique des exportations québécoises - An-nées 1990, 1997 et 2001, Québec, oct. 2003, p. 14. Pour le contenu importé des exportations internationales en 1999, une étude de Statistique Canada donne une part de 28% pour le Québec contre 40 et 33% respectivement

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 38

En 2004, les exportations nettes représentaient 33,0% du PIB, soit 19,4% pour les exportations internationales et 13,7% pour les exporta-tions interprovinciales. Pour la même année, la part des emplois liés aux exportations était de 30,4% pour l'ensemble des secteurs et 73,4% pour le secteur manufacturier. 6 Cette dernière donnée montre bien la caractéristique d'une économie très ouverte.

[22]Si l'économie du Québec apparaît comme une économie régionale

par l'importance de son commerce extérieur, le Québec demeure, à ce point de vue, une région de l’Amérique du Nord qui exporte peu dans le reste du monde. Au cours des années quatre-vingt-dix, le pourcen-tage des exportations par rapport au PIB a crû appréciablement : il était de 44,0 en 1990 contre 62,9 en 2000 et 52,6 en 2003. Toutefois, l'économie québécoise ne s'est pas mondialisée au cours de ces an-nées: la part des exportations hors de l'Amérique du Nord se tenait autour du huitième du total. En fait, cette économie s'est plutôt nord-américanisée : de 1990 à 2003, la part des exportations allant aux États-Unis est passée de 36,3 à 50,7% (56,5 pour l'an 2000). Il n’y a là rien de mystérieux : la signature d'un traité de libre-échange mis en vigueur en janvier 1989, la dépréciation progressive du dollar cana-dien par rapport à la monnaie américaine au cours des années quatre-vingt-dix jusqu’à janvier 2002 et l'expansion soutenue de l'économie américaine, tout cela a favorisé une intégration nord-sud plutôt qu’est-ouest.

pour l'Ontario et le Canada. Z. Ghanem et P. Cross, "L'ampleur des importa-tions dans les exportations des provinces", dans Statistique Canada, L'obser-vateur économique canadien, nº de cat. 11-010, vol. 16, nº 6, juin 2003, p. 3,1 et 3,2.

6 Institut de la statistique du Québec et Développement économique, Innova-tion et Exportation Québec, Impact économique des exportations québé-coises, années 2002 et 2004, Québec, mars 2007, 20p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 39

1.1. Une région relativement en déclin

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Le Québec en Amérique du Nord apparaît toutefois comme une région relativement en déclin. La population du Québec représentait 2,6% de la population nord-américaine en 1961 contre 2,57% en 1981 et 2,31% en 2005. Au cours des deux dernières décennies, son poids relatif a donc diminué de 10%.

Le poids relatif du Québec dans la population canadienne est aussi sensiblement à la baisse. En 1961, sa part était de 28,8% contre 26,4% en 1981 et 23,8% en 2001. C'est une chute de cinq unités de pourcen-tage en 40 ans. La baisse est relativement plus importante par rapport à l'Ontario : en 1961, le Québec avait 84,3% de la population onta-rienne contre 74,3% en 1981 et 62,2%% en 2001, une baisse de l'im-portance relative de plus de 25% en quarante ans.

Entre 1981 et 2001, la part du Québec dans le PIB canadien aux prix de 1997 est passée de 23,42% à 21,27%%, suivant ainsi la baisse relative de sa part de la population.

[23]

1.2. Déplacement du centre de gravité en Amérique du Nord

Si le Québec doit être perçu comme une région de l’Amérique du Nord, son déclin relatif au cours des dernières décennies doit être aus-si placé dans ce contexte. Le tableau 1-1, qui indique la répartition de la population des États-Unis entre ses quatre grandes régions, montre très bien le déplacement du centre de gravité de l'économie vers le sud-ouest. En quarante ans, la région du nord-est, voisine du Québec, a perdu approximativement le quart de sa part et ce fut le cinquième pour le Midwest. Ce sont là des pertes un peu plus élevées que celle du Québec par rapport au Canada. 7

7 Un vieux texte qui demeure intéressant sur le déplacement du centre de gravité aux États-Unis est celui de P. Mieszkowski, "Recent Trends in Ur-ban and Regional Development", dans P. Mieszhowski et M. Straszheim (sous la direction de), Current Issues in Urban Economics, Baltimore : The

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 40

TABLEAU 1-1

RÉPARTITION RÉGIONALE DE LA POPULATION DES ÉTATS-UNIS

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RÉGIONS 1920 1950 1960 1970 1980 1990 2000

Nord-est 28,0 26,0 24,9 23,1 21,7 20,4 19,0

Nouvelle-Angleterre 7,0 6,2 5,9 5,8 5,5 5,3 4,9

Atlantique moyen 21,0 19,9 19,1 18,3 16,2 15,1 14,1

Midwest 32,1 29,4 28,8 27,8 26,0 24,0 22,9

Sud 31,2 31,2 30,7 30,9 33,3 34,4 35,6

Ouest 8,7 13,3 15,6 17,1 19,1 21,2 22,5

Source : U.S. Census Bureau, Statistical Abstract of the United States. 1980, sec-tion 1, p. 10; 1995, section 1, p. 31; 2003, section 1, p. 21 et 27.

La figure 1-1 illustre aussi le déplacement de la population des États-Unis : la première partie donne le déplacement du centre de gra-vité entre 1790 et 2000 ; la deuxième partie de la figure donne le centre médian de la population de 1880 à 2000. Ce centre est le point d’intersection de deux lignes médianes, une ligne nord-sud déterminée de façon à ce que chaque côté ait la moitié de la population et une ligne est-ouest ayant la même caractéristique. Selon les deux défini-tions, il y a un net déplacement de la population vers le sud-ouest.[24]

FIGURE 1-1

Johns Hopkins University Press, 1979, pp. 24-30. L'auteur, qui a vécu au Québec jusqu'à ses études doctorales, note au passage l'effet de la générali-sation de l'air conditionné pour le développement de la région sud : "À titre de résident de Houston, je ne peux m'imaginer vivre là sans air climatisé pas plus que je puis m'imaginer vivre à Montréal sans chauffage". (p. 19) Plus près du Québec, on peut mentionner que la Nouvelle-Angleterre avait en 1899 19% de l'emploi manufacturier américain contre 5,6 en 2001.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 41

DÉPLACEMENT DU CENTRE DE LA POPULATION DES ÉTATS-UNIS, 1790-2000

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Source : U.S. Census Bureau, Statistical Abstract of the United States 2007, Wa-shington D.C., section 1, p. 19.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 42

1.3. L'intégration économiqueet l'égalisation régionale des revenus

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La diminution des coûts de communication et de transport a permis une plus grande intégration économique entre les régions, ce qui favo-rise une égalisation des rémunérations. Le tableau 1-2, qui concerne la période de 1880 à 1980, montre une très nette convergence des rému-nérations moyennes régionales aux États-Unis. À vrai dire, les écarts sont devenus très faibles.

[25]

TABLEAU 1-2

REVENUS PAR TÊTE ET PAR TRAVAILLEUR DES RÉGIONS,RELATIVEMENT À LA MOYENNE DES ÉTATS-UNIS (EN %)

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RÉGION 1880 1900 1920 1940 1960 1980

A. Le revenu personnel par tête ajusté pour les prix

Ouest 166 138 124 115 109 108

Midwest 103 109 101 101 101 99

Sud 55 54 63 64 82 93

Nord-est 141 137 133 130 108 98

B. Le revenu par travailleur ajusté pour les prix

Ouest 131 126 117 112 107 105

Midwest 110 114 102 101 101 98

Sud 56 56 67 67 87 96

Nord-est 133 128 125 122 103 99

Source : K.J. Mitchener et I.W. McLean, “U.S. Regional Growth and Conver-gence, 1880-1980”, The Journal of Economic History, vol. 59, nº 4, déc. 1999, p. 1019.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 43

Cette convergence existe-t-elle entre le Québec et l'Ontario ? Une étude de Finances Québec donne une réponse négative pour la période de 1981 à 2002 :

"Le PIB réel par habitant a connu une augmentation de près de 50% en vingt ans... Cette croissance n'a pas permis au Québec d'effec-tuer de rattrapage perceptible par rapport à l'Ontario depuis vingt ans. En effet, le niveau de vie des Québécois représente 83,3% de celui des Ontariens en 2002, alors qu'il atteignait 82,0% en 1981. Le ratio Qué-bec/Ontario rejoint donc à nouveau, en 2002, le sommet de 83,4% at-teint en 1993". 8

Le tableau 1-3 donne pour 2004 la situation du Québec par rapport à celle de l’Ontario  selon trois critères : le PIB par habitant, le revenu personnel disponible par tête et la rémunération hebdomadaire moyenne. Le retard relatif du Québec se situerait ainsi entre dix et seize% par rapport à la province voisine. Toutefois, ces données ne sont pas ajustées pour les différences de coût de la vie entre les deux provinces, faute de données provinciales à ce sujet.

[26]

TABLEAU 1-3

COMPARAISON DE LA PRODUCTION ET DU REVENUPAR PERSONNE QUÉBEC-ONTARIO 2004

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Québec Ontario Québec/Ontario

PIB aux prix du marché par habitant ($) 35 114 41 670 84,3

Revenu personnel disponible par habitat ($) 21 629 24 600 87,9

Rémunération hebdomadaire moyenne ($) 670,56 748,10 89,6

Source : http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/conjn_econm/TSC/in-dex.htm, consulté le 20 octobre 2006.

8 L. Martin, "Le niveau de vie des Québécois. Un écart subsiste par rapport à celui de nos voisins", Analyse et conjoncture économiques, vol. 1, nº 5, 11 nov. 2003, p. 3.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 44

De plus, l'incidence de la pauvreté est plus élevée au Québec. Se-lon le critère des seuils de faible revenu après impôts calculés par Sta-tistique Canada, le pourcentage des personnes ayant un faible revenu dans l'ensemble de la population était en 1996 de 17,4 au Québec contre 12,3 en Ontario (tableau 1-4). En 2000, ils étaient respective-ment de 13,6 et 9,0%.

TABLEAU 1-4

POURCENTAGE DES PERSONNES DE FAIBLE REVENUDANS L'ENSEMBLE DE LA POPULATION SELON DEUX MESURES,

QUÉBEC ET ONTARIO, 1996 ET 2000

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1996 2000

% fondé sur le seuil de

faible reve-nu après impôts

% fondé sur le coût du

panier après impôts

différence relative en

%

% fondé sur le seuil de

faible reve-nu après impôts

% fondé sur le coût du

panier après impôts

différence relative en

%

Québec 17,4 10,8 - 38 13,6 11,9 - 12

Ontario 12,3 12,5 + 2 9,0 11,0 22

Canada 14 12 - 14 10,9 13,1 20

Source : 1996 : Conseil national du bien-être social, Nouvelle mesure de pauvre-té : oui, non ou peut-être ?, Ottawa, hiver 1998-1999, p. 32. Statistique Canada, Le revenu au Canada 2002, Ottawa, nº de cat. 75-202 XIF, mai 2004, pp. 137 et 139.2000 : Développement des ressources humaines Canada, Direction générale de la recherche appliquée, Les statistiques de 2000 sur le faible revenu selon la mesure du panier de consommation, Ottawa, mai 2003, 60 p.

Les seuils de faible revenu furent développés au cours des années soixante, à un moment où les problèmes de mesure de pauvreté étaient abordés avec peu de rigueur. Statistique Canada [27] garde d’ailleurs ses distances quant à l’emploi de ces seuils, comme l’a indiqué à plu-sieurs reprises le Statisticien en chef :

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 45

« Depuis de nombreuses années, Statistique Canada publie une série de mesures appelées « seuils de faible revenu ». Nous rappelons avec ré-gularité et constance la grande différence qu’il y a entre ces seuils et les mesures de la pauvreté. Les seuils de faible revenu s’obtiennent à l’aide d’une méthodologie logique et bien définie qui permet de déterminer qui s’en tire beaucoup moins bien que la moyenne. Bien entendu, s’en tirer beaucoup moins bien que la moyenne ne signifie pas nécessairement qu’on soit pauvre… Faute d’un consensus social sanctionné par l’appareil politique sur les personnes qu’il y aurait lieu d’appeler « pauvres », cer-tains groupes et individus utilisent les seuils de faible revenu de Statistique Canada comme une définition de facto de la pauvreté. Nous n’avons rien à redire tant et aussi longtemps que cela représente leur propre opinion de la façon dont la pauvreté devrait être définie au Canada : tout le monde a droit à ses idées. Mais cela ne représente certainement pas le point de vue de Statistique Canada sur la façon dont il conviendrait de définir la pau-vreté. 9 »

À deux reprises, l'ancien Développement des ressources humaines Canada a utilisé la mesure alternative d'un panier typique de provi-sions pour définir la pauvreté. Elle tient compte des différences de coût de la vie existant entre les collectivités. Cette mesure est plus ap-propriée et donne des taux fort différents de ceux fournis par les seuils de faible revenu de Statistique Canada.

En 1996, ces seuils indiquaient un écart positif de 5,1 unités de pourcentage dans les taux de faible revenu entre le Québec et l'Ontario contre un écart négatif de 1,7 unité de pourcentage selon le critère du panier de provisions. Pour l'année 2000, les deux mesures donnent un taux de faible revenu plus élevé au Québec qu'en Ontario, soit un écart de 4,6 unités selon les seuils de Statistique Canada et de 0,9 unité de pourcentage pour le panier de provision.

La mesure du panier de provisions, en tenant compte des diffé-rences de coût de la vie, permet de conclure que les taux de faible re-venu sont assez semblables entre le Québec et l'Ontario. Voici un aperçu des différences de coût de la vie entre Montréal et Toronto.

[28]9 I.P. Fellegi, « Statistique Canada ne mesure pas le seuil de la pauvreté », La

Presse, 25 sept. 1997, p. B-3.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 46

a) Différences des coûts de la vie entre Montréal et Toronto

Selon deux sources, le coût de la vie est sensiblement moins élevé à Montréal qu'à Toronto. Pour la famille de référence (une famille ty-pique), le même panier de consommation coûtait, pour l'année 2000, 21,8% de plus à Toronto, soit 27 343 $ contre 22 441 $ à Montréal. Cet écart de 4 902 $ provenait pour 87% de la différence des coûts du logement (tableau 1-5).

TABLEAU 1-5

DIFFÉRENCE DU COÛT DE LA VIE ENTRE MONTRÉAL ET TORONTO, SELON DEUX SOURCES, 2000 ET OCTOBRE 2002

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2000 OCTOBRE 2002

Selon la mesure du panierde consommation *

(en dollars par année)

Selon l'indice des prixà la consommation,

moyenne des villes = 100

LOGEMENT TOTAL LOGEMENT ENSEMBLE

Montréal 7 129 22 441 88 95

Toronto 11 399 27 343 125 110

* Pour la famille de référence composée d'un homme et d'une femme adultes âgés de 25 à 49 ans et de deux enfants, une fille de 9 ans et un garçon de 13 ans.

Source : Développement des ressources humaines Canada, Direction générale de la recherche appliquée, Les statistiques de 2000 sur le faible revenu selon la me-sure du panier de consommation, Ottawa, mai 2003, pp. 59-60.

Statistique Canada, L'indice des prix à la consommation, août 2004, Ottawa, nº du cat. 62-001, sept. 2004, pp. 42-43.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 47

Le numéro d'août 2004 de L'indice des prix à la consommation donne le coût de la vie relatif des principales villes canadiennes pour octobre 2002. Pour l'ensemble des biens de consommation, le coût de la vie est supérieur de 15,8% à Toronto par rapport à Montréal. En-core ici, presque tout l'écart est dû à la différence des coûts du loge-ment entre les deux villes.

Tout cela permet de conclure que l'écart du revenu réel par habitant entre le Québec et l'Ontario n'est présentement pas très élevé.

b) Ce résultat est-il si aberrant ?

Ces résultats doivent-ils surprendre, étant donné l’expansion éco-nomique plus rapide en Ontario qu'au Québec, de même qu’à Toronto par rapport à Montréal ? Une analyse économique simple permet d'ex-pliquer ce phénomène. Deux éléments, l'intégration [29] économique entre les deux provinces par le commerce des produits, et l'ajustement du marché du travail par différentes voies, entraînent une forte égali-sation des rémunérations réelles.

Le choix du lieu de résidence des immigrants constitue une voie importante de l'intégration du marché du travail. Le tableau 1-5 donne, pour la période de 1998 à 2001, le nombre annuel des immigrants par mille habitants et permet de tirer différentes conclusions. Premiè-rement, le Canada reçoit, compte tenu de sa population, 2,5 fois plus d'immigrants que les États-Unis. C'est aussi le cas pour le Québec : 1,5 fois le taux des États-Unis. 10 Quant à la migration interprovinciale, le Québec présente généralement un solde négatif en bonne partie pro-voqué par le départ des immigrants.

Louis Duchesne a estimé la contribution de l’immigration à l’ac-croissement de la population du Québec entre 1901 et 1996 :

« On peut évaluer l’impact global des migrations en faisant des simulations d’évolution de la population. Il s’agit en fait de faire des « projections » de population à partir de 1901 en utilisant la mortalité et la fécondité observées et de comparer les résultats obtenus en 1996

10 Les données concernent l'immigration officielle. L'immigration illégale est une question importante aux États-Unis.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 48

avec la population estimée cette année-là. Ainsi, en partant du 1,6 mil-lion de Québécois recensés en 1901, on obtient après 95 ans de pro-jections de population sans migration un effectif de 7,4 millions d’in-dividus, soit un nombre très proche de l’estimation de 7,3 millions pour 1996... La structure par âge obtenue à partir des simulations est aussi très semblable à celle qui est observée : 18,5% de jeunes de moins de 15 ans, 69,2% de personnes âgées de 15 à 64 ans et 12,3% de personnes de 65 ans ou plus, en regard des proportions observées de 18,8%, 69,1% et 12,1%. En l’absence de migrations interprovin-ciales et internationales, l’effectif et la structure de la population du Québec auraient donc été à peu près les mêmes. 11 »

TABLEAU 1-6

NOMBRE ANNUEL D’IMMIGRANTS ÉTRANGERS POUR 1000 HABI-TANTS, ÉTATS-UNIS, CANADA, ONTARIO ET QUÉBEC, 1998 À 2001

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1998 1999 2000 2001

États-Unis 2,4 2,3 3,0 3,7

Canada 5,8 6,3 7,4 8,1

Ontario 8,1 9,1 11,4 12,5

Québec 3,6 4,0 4,4 5,1

Source : U.S Census Bureau, Statistical Abstract of the United States  : 2003, sec-tion 1, p. 9. Institut de la statistique du Québec, Comparaisons interprovinciales, tableaux 1-3 et 2-1 (lu le 8-1-05).

[30]Deuxièmement, le nombre annuel d'immigrants pour 1000 habi-

tants est relativement élevé en Ontario, car les immigrants se concentrent dans cette province. Une bonne approximation donne 55%des immigrants en Ontario contre 15% au Québec. Ce différentiel élevé a des conséquences importantes pour l'intégration ou l’équilibre

11 L. Duchesne, La situation démographique au Québec, bilan 1999, Québec : les Publications du Québec, 2000, pp.39-40.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 49

des marchés du travail des deux provinces et l'égalisation des rémuné-rations réelles, malgré un rythme inégal de développement.

Toutefois, ce qui ne s'égalise pas, c'est le prix du facteur immobile par excellence, le sol. C'est en bonne partie l'explication du différen-tiel des coûts du logement. Dans un ensemble intégré, le dynamisme d'une région provoque un prix élevé du terrain.

1.4. Généralisation à la situation canadienne

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Le déplacement du centre de la population des États-Unis vers le sud-ouest et de faibles écarts de revenus réels par travailleur entre les quatre grandes régions de ce pays ont déjà été décrits. Qu’en est-il pour le Canada ?

Un document fédéral a présenté une analyse des écarts, entre pro-vinces, du PIB réel par habitant et du revenu disponible par habitant, en estimant le coefficient de variation (écart-type sur la moyenne). Voici l’essentiel des résultats : « [M]ême si les disparités écono-miques entre les provinces demeurent appréciables, elles ont nette-ment diminué au cours des 25 dernières années » 12 (figure 1-2). Cette diminution de la dispersion des revenus eut lieu en même temps qu’un déplacement important de la population canadienne : perte des parts relatives des provinces de l’Atlantique et du Québec et augmentation des parts de l’Ontario et de l’Ouest (Alberta et Colombie-Britannique) (tableau 1-7).

Comme les données provinciales utilisées par le ministère des Fi-nances ne sont pas corrigées pour les différences de prix entre pro-vinces, les coefficients de variation sont surestimés. L’analyse précé-dente l’a bien montré.

12 Ministère des Finances, Le budget de 2006 : Rétablir l’équilibre fiscal au Canada : Cibler les priorités, Ottawa, 2 mai 2006, p. 124.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 50

[31]

FIGURE 1-2

COEFFICIENTS DE VARIATION INTERPROVINCIALE DE 1981 À 2002 :PIB RÉEL ET REVENU DISPONIBLE PAR HABITANT

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Source : Ministère des Finances, Le Budget de 2006. Rétablir l’équilibre fis-cal au Canada : Cibler les priorités, Ottawa, 2 mai 2006, p. 124.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 51

TABLEAU 1-7

RÉPARTITION RÉGIONALE (EN %) DE LA POPULATION CANADIENNE1951-2005

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Année Provinces de l’Atlantique

Québec Ontario Provinces de l’Ouest

Canada

1951 11,6 28,9 32,8 26,5 100,0

1961 10,4 28,8 34,2 26,4 100,0

1971 9,5 27,9 35,7 26,6 100,0

1981 9,1 26,4 35,5 28,7 100,0

1991 8,5 25,2 37,2 28,8 100,0

2001 7,5 23,8 38,4 29,9 100,0

2005P 7,3 23,5 38,9 30,0 100,0

Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 2005, Qué-bec : Institut de la statistique du Québec, déc. 2005, p. 147.

[32]

1.5. Conclusion

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Dans le secteur manufacturier, près de trois emplois sur quatre sont reliés aux exportations. Cette ouverture de l’économie québécoise est une source de richesses, puisque toutes les parties sortent gagnantes d’un commerce libre.

Cette ouverture n’est pas propre au Québec. Elle caractérise toutes les régions. Elles ne peuvent se suffire à elles-mêmes et doivent donc échanger avec les autres. En contrepartie, elles deviennent soumises aux différents chocs extérieurs. C’est bien le cas pour le Québec et les prochains chapitres en donneront différentes illustrations.

NOTES

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 52

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[33][34]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 53

[35]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 2Québec-Montréal, au XIXe siècle,Montréal-Toronto au XXe siècle.

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Le coeur de l'économie du Québec se situe sans contredit à Mont-réal. En 2006, sa région métropolitaine, telle que définie par le recen-sement, abritait 48,2% de la population du Québec. La région de Qué-bec suivait avec 9,5%. Son statut de capitale provinciale a accru son importance par rapport aux autres régions métropolitaines du Québec : Sherbrooke, Trois-Rivières et Saguenay. Cette localisation de la capi-tale isole toutefois l'administration publique du monde nord-américain où l'économie du Québec est bien implantée et auquel elle doit conti-nuellement s'adapter.

La région de Montréal fait face depuis plusieurs décennies à des problèmes d'ajustement importants. Des neuf plus grandes aggloméra-tions du pays, Montréal se classait dernière pour la croissance démo-graphique entre 1971 et 1981 : 3,6% contre 15,3% pour Toronto et 13,5% pour l'ensemble des neuf agglomérations. Pour le lustre plus récent de 1996-2001, Montréal se classait septième parmi les neuf plus importantes régions métropolitaines de recensement. Seulement Québec et Winnipeg avaient un taux de croissance plus faible. Durant ces cinq ans, la population de Montréal avait crû de 3,0% contre 9,8 pour Toronto et 7,1 pour l'ensemble des neuf régions les plus impor-tantes. Ces dernières hébergeaient la moitié de la population cana-dienne. Durant le lustre de 2001 à 2006, la population de la région

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 54

métropolitaine de Montréal a crû de 5,3% contre 9,2 pour Toronto. Montréal occupait le sixième rang des neuf plus importantes agglomé-rations canadiennes, avec Québec au huitième rang.

[36]Mais c’est bien avant, durant les années cinquante, que Montréal a

définitivement perdu son titre de métropole économique du Canada.Cet amoindrissement du rôle de l'économie montréalaise permet

l’application de la théorie économique de l'ajustement régional. À cet égard, il est intéressant de dresser un parallèle avec la situation qu'a connue l'agglomération de Québec au dernier tiers du dix-neuvième siècle. 13 À cette époque, l'économie de Québec affronta le déclin de deux activités très importantes reliées au bois : le commerce du bois équarri et la construction navale. Québec a alors perdu son monopole de port océanique et aussi son titre de forteresse de l'Amérique avec le départ de la garnison anglaise en 1871. L'ajustement était de taille, puisqu'en 1860, le nombre de débardeurs était estimé à 6 mille sur une population qui totalisait 58 mille personnes. 14 En outre, en 1851, les neuf chantiers de construction navale de Québec employaient 1 500 personnes.

Quels sont les mécanismes d'ajustement d'une région aux varia-tions de la demande de ses produits ? On peut en distinguer quatre types. Les deux premiers se rapportent aux mécanismes du marché : ils dépendent soit de la mobilité des facteurs de production, soit de la variation de leur prix. Les deux autres sont des interventions poli-tiques dont l'objectif est soit l'augmentation de la demande globale par le recours à une politique fiscale expansionniste, soit la « reconversion

13 L'idée de comparer la situation de Québec de 1870 avec le Montréal de 1970 m'est venue à la lecture du texte d'André Lemelin, « Le déclin du port de Québec et la reconversion économique à la fin du XIXe siècle. Une éva-luation de la pertinence de l'hypothèse du "staple" », Recherches sociogra-phiques, XXII, nº 2 mai-août 1981, p. 155-186. J'utilise abondamment son résumé des études sur l'évolution de Québec à cette période.

14 « Le Ship Labourers Benevolent Society, association constituée par la loi du Parlement en 1862 pour fin d’entraide, comme son nom l'indique, grou-pait cinq à six mille membres et, en 1876, elle s'était, à toute fin utile, trans-formée en union ouvrière ». A. Faucher, Québec en Amérique au XIXe siècle, Montréal : Fides, 1973, p. 88.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 55

industrielle » par divers programmes sélectifs d'assistance à l'indus-trie.

2.1. La mobilité des facteurs

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Dans une région donnée, la conséquence de la perte d'un marché important pour l'un de ses produits, c’est nécessairement la diminution de la demande des facteurs engagés dans la production de ce produit. Cette diminution de la demande suscite la sortie de facteurs de pro-duction vers d'autres régions plus prospères ou, dans un univers de croissance généralisée, une augmentation des facteurs de production ou de la population moindre qu'ailleurs, par exemple par une immigra-tion réduite. 15

[37]

a) Québec-Montréal

L'ajustement de la ville de Québec à la perte des activités reliées au bois s’est fait principalement par la mobilité des facteurs de produc-tion. De 1861 à 1891, la population de Québec n'a crû que de 8,2% contre 33,9% pour la province et 143,2% pour Montréal (tableau 2-1). En 1851 et 1861, la population de Québec représentait respectivement 80 et 65% de celle de Montréal; en 1891 29%. On peut être étonné par une telle différence entre les taux de croissance démographique de ces deux villes du Québec. 16

15 La situation du facteur capital est, à ce point de vue, en partie paradoxale. Sur une longue période, il est le facteur mobile par excellence : il va là où la rentabilité est la plus élevée, en tenant compte, bien entendu, du niveau du risque. Cependant, sur une courte période, lorsqu'il est incorporé dans des édifices et des structures, il est pratiquement immobile. L'ajustement se fait alors par le prix, puisqu’il faut bien vendre, afin de tirer parti de ces struc-tures pratiquement immobiles.

16 Hamelin et Roby attribuent l’effondrement, vers 1870, des taux de natalité de l’agglomération de Québec à l’émigration des éléments jeunes de la po-pulation.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 57

TABLEAU 2-1

POPULATION DE LA VILLE DE QUÉBEC PAR RAPPORT CELLES DE MONTRÉAL ET DE LA PROVINCE, 1851 À 1901

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Année Popu

latio

n to

tale

de Q

uébe

c (1

)

% d

es B

ritan

niqu

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(2)

Popu

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)/(3)

en

%

Vill

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Qué

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)/(4)

en

%

1851 45 940 - 890 261 57 715 5,16 80

1861 58 319 40 1 111 566 90 323 5,25 65

1871 59 700 30,5 1 191 516 107 225 5,01 56

1891 62 446 24,6 1 359 027 155 238 4,59 40

1891 63 090 - 1 488 535 219 616 4,24 29

1901 68 840 15,7 1 646 898 267 730 4,18 26

Croissance de la population entre 1861 et 1891 (en%)

8,2 33,9 143,2

Source : Données de base tirées de A. Lemelin, « Le déclin du port de Québec et la reconversion économique à la fin du XIXe siècle. Une évaluation de la perti-nence du "staple" », Recherches sociographiques, vol. XXII, nº 2, mai-août 1981, p. 176.

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Le phénomène de la mobilité comprend aussi un aspect linguis-tique. L'anglophone est généralement plus mobile puisque, hors du Québec, sa langue est utilisée partout en Amérique du Nord. De plus, une ville moins tournée vers l'extérieur de la Province a moins recours aux non-francophones. C'est ainsi que les gens d'origine britannique (Angleterre, Écosse et Irlande) représentaient environ 40% de la popu-lation de Québec en 1861 et 24,6%, vingt ans plus tard. En 1901, leur part était de 15,7%. 17 La mobilité des anglophones a donc été très grande.

[38]

TABLEAU 2-2

POPULATION DES RÉGIONS MÉTROPOLITAINESDE MONTRÉAL ET DE TORONTO, 1951-2001

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Année Montréal Toronto Mtl/Torontoen %(en milliers)

1951 1 539 1 262 122

1956 1 830 1 572 116

1961 2 216 1 919 115

1966 2 571 2 290 112

1971 2 743 2 628 104

1976 2 802 2 803 100

1981 2 828 2 999 94

1996 3 326 4 264 78

2001 3 426 4 683 73

Note : De 1951 à 1971, d'après les limites du recensement de 1971; en 1976 et 1981, d'après les limites du recensement de 1976.

17 Elle était de 7,4% en 1931, de 3,5 en 1971 et de 1,7 en 2001.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 59

b) Montréal-Toronto

Entre 1851 et 1881, le rapport de la population de Québec à celle de Montréal a baissé de 50%, passant de 0,80 à 0,40. Exactement un siècle plus tard, c'est-à-dire entre 1951 et aujourd'hui, un phénomène analogue se produisait à Montréal par rapport à Toronto. En effet, en 1951, la population de la région métropolitaine de Montréal dépassait celle de Toronto de 22% (voir le tableau 2-2). En 1976, c'était l'égalité et en 1981, la population de Montréal était inférieure de 6% par rap-port à sa concurrente. En 2001 et 2006, la population de Montréal re-présentait respectivement 73,2 et 71,1% de celle de Toronto.

Le tableau 2-3 donne le nombre et les effectifs des sièges sociaux à Montréal et à Toronto pour deux années récentes. Pour le nombre, le rapport Montréal sur Toronto était de 72% en 1999 contre 58 en 2005. Quant aux effectifs, Montréal avait 74% de ceux de Toronto en 1999 contre 62% en 2005. 18

TABLEAU 2-3

NOMBRE ET EFFECTIFS DES SIÈGES SOCIAUX,MONTRÉAL ET TORONTO 1999 ET 2005

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Nombre Effectifs

1999 2005 1999 2005

Montréal 596 536 36 763 36 893

Toronto 826 918 49 649 59 163

Montréal/Toronto 72% 58% 74% 62%

Source : M. Brown et D. Beckstead, « L’emploi dans les sièges sociaux au Cana-da », Statistique Canada, L’observateur économique canadien, no de cat. 11-010, vol. 19, no 7, juillet 2006, p. 3.9

18 Pour les effectifs des sièges sociaux, Calgary avait en 1999 32% de ceux de Montréal contre 53% en 2005.

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Une concomitance est remarquable : l'expansion de la population de Toronto par rapport à celle de Montréal et l'importance relative des immigrants dans les deux villes. En 2001, les personnes nées à l’étran-ger représentaient 44,4% de la population de Toronto contre 18,6 pour Montréal (tableau 2-4). 19

TABLEAU 2-4

POURCENTAGE DE LA POPULATION TOTALE QUE REPRÉSENTENTLES IMMIGRÉS NÉS À L’ÉTRANGER, RÉGIONS MÉTROPOLITAINES

DE TORONTO ET DE MONTRÉAL, 1981 ET 2001

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1981 2001

Nou-veaux immigrés entre 1971 et 1980

Per-sonnes ayant immigré entre 1961 et 1970

Per-sonnes ayant immigré avant 1960

Tous les immigrés

Nou-veaux immigrés entre 1991 et 2000

Per-sonnes ayant immigré entre 1981 et 1990

Per-sonnes ayant immigré avant 1980

Tous les immigrés

Toronto 13,2 10,7 14,0 38,0 17,3 9,2 17,9 44,4

Montréal 5,1 4,6 6,3 16,1 6,4 3,8 8,3 18,6

Source : G. Schellenberg, Les immigrants dans les régions métropolitaines de recensement au Canada, Ottawa : Statistique Canada, n˚ 89-613-MIF, août 2004, p. 19.

Parallèlement à la francisation de la ville de Québec durant la deuxième moitié du XIXe siècle, Montréal se francise depuis plu-sieurs décennies et cela bien avant xxx la Loi 101. Comme le rapporte l'étude de Lachapelle et Henripin, le pourcentage des montréalais ne connaissant que le français a continuellement crû entre 1931 et 1971, et ce fut exactement l'opposé pour les personnes ne maîtrisant que l'anglais (figure 2-1).

[40]19 En 2001, 2,9% de la population de la RMR Québec était née à l'étranger.

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FIGURE 2-1

RÉPARTITION LINGUISTIQUE DANS LES RÉGIONS DE MONTRÉALRetour à la table des matières

A. Pourcentage des personnes ne connaissant que le français, pour six définitions différentes de la région de Montréal, 1931-1971

B. Pourcentage des personnes ne connaissant que l’anglais pour six définitions différentes de la région de Montréal, 1931-1971

No de la région

Divisions de recensement ajoutées Population ajoutée en 1976

Population totale en 1976

I Ile-de-Montréal 1 869 640 1 869 640

II Ile Jésus 246 240 2 115 880

III Chambly et Laprairie 370 345 2 486 225

IV Châteauguay, Deux-Montagnes, L’Assomption, Terre-bonne et Vaudreuil

409 555 2 895 780

V Argenteuil, Beauharnois, Huntington, Iberville, Napier-ville, Rouville, Saint-Jean, Soulanges et Verchères

285 030 3 180 810

VI Bagot, Berthier, Brome, Joliette, Missisquoi, Montcalm, Richelieu, Saint-Hyacinthe et Shefford

351 470 3 532 280

Source : R. Lachapelle, et J. Henripin, La situation démolinguistique au Cana-da : évolution passée et prospective, Montréal : L’Institut de recherches poli-tiques, 1980, pp. 82-83.

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[41]Cette francisation progressive des agglomérations de Québec et de

Montréal s'étend aussi aux institutions. C'est en 1884 qu'un premier président du Quebec Board of Trade est canadien-français. À Mont-réal, les institutions anglophones se sont francisées. Toutefois, avec leur francisation, le rôle et le prestige de ces institutions, d'un point de vue canadien, se modifient considérablement. Les préoccupations de ces organismes deviennent plus régionales parce qu'elles reflètent les préoccupations des nouveaux administrateurs et clientèles qui se sont substitués aux anciens.

2.2. Le prix des facteurs

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En plus de la mobilité, l’ajustement à une réduction d’un marché se fait aussi par les prix. Si les prix des facteurs ne sont pas fixes, ils s'ajustent alors plus ou moins selon la sensibilité de la demande et de l'offre des facteurs à une variation de prix.

L'exemple le plus simple de ces mécanismes d'ajustement est le prix du sol, facteur immobile par excellence. Si une région perd son attrait et attire moins d'activités, le prix des terrains diminue ou croît moins rapidement. Quand il y a moins d'acheteurs que de terrains à vendre à un prix donné, on dit : "Les terrains ne sont pas rares". Or, c'est la rareté qui fait la valeur économique et le prix des terrains bais-sera.

Ce qui est vrai du sol s'applique également aux autres facteurs de production. Cependant, pour ces derniers, l'ajustement à une baisse de la demande peut se faire par les quantités, puisque la quantité offerte n'est pas fixe mais varie avec le prix.

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a) Québec-Montréal

La perte d'activités importantes reliées à l'exportation du bois com-biné à l'expansion rapide de l'agglomération montréalaise, devrait donc avoir suscité une baisse de la rémunération relative du travail à Québec. Voilà un mécanisme facilitant l'ajustement.

Les données sur l'évolution des rémunérations par ville au cours de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle sont peu accessibles. Faute de mieux, nous nous en tiendrons aux salaires de trois occupations, tels que recensés en 1889 par les agents d'immigration [42] (tableau 2-5). Les estimations révèlent une différence de l'ordre de 20% entre les deux villes.

Les salaires relatifs ont donc entraîné la reconversion économique de la ville de Québec, qui a connu une expansion importante de l'em-ploi dans le secteur de la fabrication. Il y avait, en effet, près de 1 000 emplois manufacturiers en 1861 contre 10 367 en 1891. Cette année-là, le secteur de la chaussure totalisait environ 4 000 emplois, le vête-ment 1 300, les tanneries 550 et la fabrication de métal 400.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 64

TABLEAU 2-5

SALAIRES POUR CERTAINES OCCUPATIONS RECENSÉESPAR LES AGENTS D'IMMIGRATION, QUÉBEC ET MONTRÉAL,

1889 (EN $)Retour à la table des matières

Occupations Québec Montréal DifférenceQué.-Mtl

Menuisiers par jour sans pensionde 1,25 1,75 - 0,50

à 1,75 2,25 - 0,50

Domestiques féminines par mois avec pensionde 5,00 5,00 0

à 8,00 10,00 - 2,00

Bûcherons par mois avec pensionde 18,00 22,00 - 4,00

à 25,00 28,00 - 3,00

Source : M.C. Urquhart (sous la direction de), Historical Statistics of Canada, Toronto : Macmillan of Canada, 1965, p. 95.

b) Montréal-Toronto

Ainsi le mécanisme d'ajustement par les prix semble avoir joué entre Québec et Montréal au siècle passé. Est-ce aussi le cas de Mont-réal et de Toronto au cours des dernières décennies ? La réponse dé-pend de la période étudiée.

Dans une première période, au cours des années soixante-dix et du premier lustre des années quatre-vingt, le mécanisme de l'ajustement régional par les prix a été bloqué. Robert Lacroix, dans une analyse comparative des marchés du travail de Montréal et de Toronto, résu-mait en ces termes la situation des coûts salariaux :

"En 1971, le salaire hebdomadaire moyen à Montréal n'était que 93% du salaire torontois. En 1978, c'était la parité. L'augmentation de salaire sur la période 1971-1979 a été de 107,5% à Montréal et de 83,8% à Toron-to. En somme, contrairement à ce que pouvait [43] être la situation au dé-but des années 70, Montréal ne peut plus être considérée comme une ville

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où les salaires sont relativement avantageux du point de vue de l'entre-prise. 20 "

Ainsi, entre 1975 et 1985, Montréal par rapport à Toronto, et aussi l'ensemble du Québec par rapport à l'Ontario, étaient placés dans une situation paradoxale : malgré une rareté moindre de main-d'oeuvre et un taux de chômage plus élevé, les rémunérations moyennes pour l'en-semble des secteurs du Québec étaient supérieures à celles de l'Onta-rio. Le mécanisme d'ajustement par les prix ne fonctionnait donc pas.

Pour expliquer cette situation, on peut énumérer quelques facteurs : syndicalisation et xxx négociations à l’échelle de la Province du sec-teur public avec droit de grève; salaire minimum relativement élevé; restrictions à l'entrée et xxx négociations à l’échelle provinciale dans l'industrie de la construction avec un pouvoir syndical important au moment où l’on se préparait pour les jeux olympiques; loi anti-scab et loi sur les conditions minimales de travail; sans oublier des impôts plus élevés au Québec. Le climat social des années soixante-dix au Québec en était un de revendications avec recours chez plusieurs au langage marxisant.

En revanche, de 1994 à 2004, la rémunération hebdomadaire moyenne des salariés fut au Québec inférieure de dix% à celle de l'Ontario. C'était une nette amélioration par rapport à la situation pré-cédente. Toutefois, ce dix% paraît inférieur au différentiel du coût de la vie entre Montréal et Toronto, qui a été évalué par Statistique Cana-da à 15,5% pour octobre 2004. 21 Pour l'entreprise québécoise, les coûts salariaux sont redevenus plus avantageux, même si les salaires réels y demeurent plus élevés que dans la province voisine.

Remarquons dès maintenant que l'évolution relative des rémunéra-tions entre les régions a un effet sur l'évolution relative de la producti-vité du travail et de l'emploi. Ces interrelations sont explicitées au chapitre suivant.

Les deux voies d'ajustement par les prix et les quantités exigent la flexibilité des marchés. Si la flexibilité n'existe pas, soit à cause des

20 R. Lacroix, "L'évolution relative des conditions du marché du travail à Montréal et la position concurrentielle de cette ville", Gestion, 7, nº 3, sept. 1982, p. 24.

21 Statistique Canada, L'indice des prix à la consommation, septembre 2006, Ottawa, nº du cat. 62-001, octobre. 2006, pp. 42-43.

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obstacles institutionnels ou législatifs à la variation des prix, soit à cause des obstacles à la mobilité de la main-d'oeuvre ou du [44] capi-tal, une diminution importante de la demande d'un produit n'en créera pas moins, dans la région productrice, un déséquilibre entre la quantité demandée et la quantité offerte des facteurs de production. Sur le mar-ché du travail, ce déséquilibre s'appelle chômage.

Ces deux voies d’ajustement (prix et quantités) peuvent d’ailleurs se réaliser sur des périodes différentes. Citons un grand auteur : dans le cas de la loi de l’offre et de la demande pour la détermination des prix, Alfred Marshall avait conclu :

"Ainsi nous pouvons poser en règle générale que plus sera courte la période que nous examinerons, et plus nous devrons tenir compte de l’in-fluence que la demande exerce sur la valeur; et que, au contraire, plus cette période sera longue et plus importante sera l’influence exercée par le coût de production sur la valeur. L’influence des changements dans le coût de production prend en règle générale une plus longue période à se réaliser que ce n’est le cas pour l’influence des changements dans la demande." 22

Parallèlement, la voie d’ajustement par la mobilité prend plus de temps à agir que ce n’est le cas pour les prix des facteurs.

2.3. Les politiques d'accroissementdes dépenses gouvernementales

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S'inspirant de la General Theory de John Maynard Keynes, dont la réflexion prenait ses racines dans la Grande dépression, la majorité des économistes de l'après-guerre se sont faits les défenseurs de la lutte contre le chômage, même dans ses aspects régionaux, par une politique fiscale expansionniste. L'autorité publique augmente alors ses dépenses dans une région pour intensifier la demande de travail sur ce territoire.

En fait, ce genre de politique n'aura pas ou n’aura que peu les ef-fets escomptés. Les économies régionales sont des économies très ou-22 A. Marshall, Principles of Economics, London : Macmillan, 1920, Livre V,

ch. 111, télécharger à http://www.econlib.org/library/Marshall/marP30.html, le 4 janvier 2007.

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vertes, où la mobilité du capital et des produits est passablement plus élevée que celle de la main-d'oeuvre. En conséquence, les politiques contre le chômage, pour être efficaces, doivent agir non pas sur une demande artificielle et temporaire des produits d'une région donnée, mais bien sur les prix relatifs, de façon [45] à favoriser les ajustements par les prix ou par les quantités. Pour l'essentiel, ces sortes de poli-tiques seraient efficaces si elles avaient pour effet de lever les obs-tacles artificiels à la variation des prix et à la mobilité des facteurs, ceux de la main-d'oeuvre en particulier.

Contrairement à ces préceptes, placées devant un déclin relatif de leur région, les autorités locales ont tendance à se lancer dans de grands projets pour conserver le prestige passé. Ce fut le cas à Québec à la fin du dix-neuvième siècle, comme le décrit Lemelin :

"Enfin, une part importante de l'activité économique semble avoir été engendrée par de grands travaux d'infrastructure et de construction d'édi-fices monumentaux. Dans l'espoir de ressusciter une grandeur passée, et de concurrencer Montréal grâce à la venue à Québec du Great Northern Railway, on construisit un port tout neuf, le Bassin Louise, inauguré en 1890. Des élévateurs à grain d'une capacité d'un million de boisseaux furent complétés en 1900. Du côté de l'architecture monumentale, men-tionnons : le Palais de l'archevêché (terminé en 1884), l'Hôtel du gouver-nement (1886), le Palais de justice (1887), l'Hôtel de ville (1895-1896) et enfin, le Château Frontenac, dont la construction débuta en 1894. L'indus-trie du bâtiment était si active que la conjoncture favorable encourageait une certaine renaissance du mouvement ouvrier. 23"

Plusieurs décennies plus tard, cela s'est produit à Montréal avec comme exemples les aventures des installations olympiques et de l'aé-roport de Mirabel. Ces grands projets furent marqués par des grèves et des ralentissements de travail qui permirent des hausses importantes de rémunération des employés de la construction.

2.4. L'aide gouvernementale à l'industrie

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23 A. Lemelin, op. cit., p. 180.

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S'agissant de la nécessité éventuelle d'un ajustement provoqué par la perte d'un marché pour les produits d'une région, cette nécessité disparaît évidemment si la région réussit à attirer une nouvelle de-mande pour ses produits. C'est précisément à ce résultat que tend à conduire une baisse des prix relatifs des facteurs de production, tout spécialement du facteur travail.

Depuis les années soixante, les gouvernements ont multiplié les programmes régionalisés d'aide à l'industrie, qui prennent la forme de subventions explicites ou implicites. Les subventions [46] réduisent les coûts de production pour certaines entreprises, mais elles com-pliquent et accroissent le fardeau fiscal de l'ensemble de l'économie. Si les entreprises subventionnées ne réussissent pas à devenir concur-rentielles sans aide gouvernementale, les programmes d'aide indus-trielle n'auront pas d'effets durables et les programmes eux-mêmes seront insoutenables à long terme. La source du déséquilibre ne sera pas corrigée.

Il faut d'ailleurs admettre qu'une économie décentralisée se prête peu à la mise en place de politiques industrielles spécifiques ou sélec-tives rentables. Comme l'économie d'une région est par définition très ouverte, son développement dépend considérablement des marchés extérieurs, qui sont en constante évolution.

De plus, dès 1981, une étude pionnière montrait que la création d'emplois par le secteur privé se réalisait bel et bien dans un monde risqué et instable. En effet, le taux de perte d'emplois s'établissait à un niveau élevé, entre 7 et 9% par année. Or, ce taux variait très peu avec le degré de prospérité d'une région. C'était le taux de création d'em-plois qui distinguait les régions prospères des régions en déclin. 24

Au Canada, les travaux de John R. Baldwin sur la rotation des em-plois et des établissements ne peuvent être ignorés :

"Les données de Baldwin… montrent que les nouveaux venus dans le secteur manufacturier canadien éprouvent un taux de disparition durant la première année d'environ dix%; ce taux annuel baisse d'une façon irrégu-lière durant une décennie à (entre 5 et 7%), ce qui demeure encore plus élevé que le niveau de 3,5 à 5% s'appliquant aux firmes qui fonctionnent depuis plus de dix ans. L'analyse pour une année donnée de la structure

24 D.L. Birch, "Who Creates Jobs ?", The Public Interest, nº 65, automne 1981, pp. 3-14.

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d'âge des firmes sortantes donne les résultats suivants : encore environ dix% des firmes étaient entrées durant l'année précédente et environ la moitié avaient eu une existence supérieure à dix ans. 25 "

De plus, une étude récente sur le renouvellement des entreprises du secteur de la fabrication au Canada entre 1961 et 1999 va dans la même direction :

"Sur une décennie, près de 40% des emplois sont renouvelés. Sur une période de 20 ans, plus de 65% de l'économie est renouvelée; sur une pé-riode de 30 ans, le renouvellement est un peu supérieur à 75%, et en 40 ans, un peu plus de 85% des emplois sont de nouveaux emplois. 26 "

[47]Des résultats plus détaillés méritent d’être mentionnés :

"... parmi les 86% d'emplois qui sont nouveaux depuis 1961, une pro-portion de 76 points est attribuable à la création de nouvelles usines. Parmi les 81% d'emplois perdus depuis 1961, une proportion de 72 points est attribuable à la fermeture d'usines. Par conséquent, à long terme, le pro-cessus de renouvellement n'est pas principalement le résultat du déplace-ment de travailleurs d'usines en déclin vers des usines en croissance. Il découle plutôt du renouvellement presque complet des usines de fabrica-tion et des emplois existants dans ce secteur au pays. 27 "

25 R.E. Caves, "Industrial Organization and New Findings on the Turnover and Mobility of Firms", Journal of Economic Literature, vol. XXXVI, nº 4, déc. 1998, p. 1947. Le livre de Baldwin est J.R. Baldwin en association avec P. Gorecki et al., The Dynamics of Industrial Competition : A North Ameri-can Perspectives, New York, NY : Cambridge University Press, 1998, 466 p.

26 J.R. Baldwin et W.M. Brown, Quatre décennies de destruction créatrice : renouvellement de la base du secteur de la fabrication au Canada, Ottawa : Statistique Canada, oct. 2004, p. 3.

27 Id., p. 7.

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Ce monde risqué et instable de la création d'emplois se prête mal aux politiques industrielles spécifiques.  Après avoir établi un portrait statistique détaillé des flux bruts des emplois dans le secteur manufac-turier des États-Unis, Davis, Haltiwanger et Schuh déduisent les im-plications suivantes pour la politique économique. Elles méritent d’être en grande partie reprises malgré la longueur du texte :

« Prédominance des facteurs idiosyncrasiques : Les fac-teurs idiosyncrasiques dominent la détermination de la création et de la destruction brutes des emplois. Les facteurs facilement observables reliés à l’industrie, à la région, aux salaires, à la dimension et à l’âge de l’employeur, à l’intensité capitalistique ou énergétique et au commerce international, comptent pour peu dans la diversité de la croissance de l’emploi au niveau de l’établissement.

Ignorance des facteurs idiosyncrasiques : Les économistes évoquent plusieurs raisons pour justifier l’importance des fac-teurs idiosyncrasiques dans la performance en affaires. Toute-fois, le présent état de la science économique offre peu de connaissances sur l’importance relative des différents facteurs ou sur les raisons précises pour lesquelles ils engendrent une telle hétérogénéité des résultats.

Économique des politiques industrielles et commerciales ciblées : Le rôle des facteurs idiosyncrasiques dans la perfor-mance en affaires entrave l’évaluation des politiques indus-trielles et commerciales en rendant plus difficile et plus coû-teuse la reconnaissance des effets des politiques. L’ébauche des politiques ciblées est gênée par les différences entre les firmes dans leurs réponses aux politiques, parce que ces différences nécessitent un modèle plus complexe de politique et plus d’ef-fort de surveillance.

Économie politique des programmes ciblés : Le rôle central de la destruction et des pertes d’affaires dans le processus de la croissance économique et du changement accroît la sévérité de deux problèmes reliés aux politiques ciblées. Premièrement, ces politiques provoquent la formation de groupes d’intérêts parti-

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culiers qui [48] tendent à miner l’application des critères d’effi-cacité économique. Deuxièmement, les programmes de poli-tiques ciblées tendent à durer au-delà du point de leur désirabi-lité économique…

Traitement préférentiel basé sur la performance de la crois-sance de l’emploi : Les prétentions factuelles sur la croissance de l’emploi pour des classes particulières d’employeurs (comme les petites entreprises) ne fournissent pas une base va-lide pour le traitement d’une politique préférentielle. Ces pré-tentions n’identifient pas les défaillances des marchés aux-quelles les politiques préférentielles sont supposées s’adresser ni ne quantifient comment le nombre et la qualité des emplois répondraient à une intervention politique.

Flexibilité de la main-d’œuvre : Les taux élevés de destruc-tion des emplois dans presque tous les secteurs de l’économie font ressortir l’importance économique d’une main-d’œuvre flexible apte à s’adapter aux changements de localisation et des demandes de compétences des emplois disponibles… 28 »

Une étude récente sur les effets de la turbulence économique conclut ainsi : « Le changement chaotique qui conduit les firmes à croître et à régresser et les travailleurs à changer d’emplois mène à une économie plus productive et plus forte. » 29 Si les avantages des dépenses gouvernementales en vue d'accroître la demande des pro-duits d'une région ou de favoriser une reconversion industrielle appa-raissent, pour les raisons déjà mentionnées, temporaires et surtout in-certains, il en est tout autrement du côté de leur financement. À moins que ces politiques ne viennent d'un gouvernement extérieur à la ré-gion, elles impliquent nécessairement des taxes accrues, aujourd'hui ou demain, si elles sont financées par un emprunt. Un fardeau fiscal accru a un effet négatif incontestable sur l’efficacité de l’économie. D'autre part, il accroît les coûts de production et fait perdre aux pro-28 S.J. Davis, J.C. Haltiwanger et S. Schuh, Job Creation and Destruction,

Cambridge MA : MIT Press, 1996, p. 153-154. Ce point est repris au cha-pitre 10.

29 C. Brown, J.C. Haltiwanger et J. Lave, Economic Turbulence. Is a Volatile Economy Good for America ?, Chicago : Chicago University Press, 2006, p. 119.

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duits de la région leur caractère concurrentiel. Les politiques indus-trielles ne consistent-elles pas très souvent en une aide aux activités non rentables, aide défrayée par les secteurs rentables ? Du moins, ces secteurs l'étaient avant d’avoir à supporter un fardeau fiscal accru.

2.5. Conclusion

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Ce chapitre a établi un parallèle entre l'évolution comparée de Montréal au cours des dernières décennies et celle de l'agglomération de Québec un siècle auparavant. Ces villes affrontent en [49] effet un problème d'ajustement régional relié à une perte relative d'activités exportatrices. Leur rôle au niveau national s'affaiblit pour se tourner davantage vers un rôle régional.  Cette évolution ne se limite d'ailleurs pas à ces deux villes québécoises. En effet, à la fin du dix-neuvième siècle, la ville de Halifax a perdu, principalement en faveur de Mont-réal, son rôle de centre financier national. 30

Il existe divers mécanismes d'ajustement régional. Certains vont à la source des difficultés et créent, au bout d'un certain temps, un nou-vel équilibre; d'autres peuvent au mieux retarder le moment où l'ajus-tement sera nécessaire. Les premiers sont des mécanismes du marché qui reposent sur la variation des prix des facteurs de production et la mobilité de ces facteurs; les seconds sont des interventions gouverne-mentales qui visent à augmenter la demande régionale pour les pro-duits de la région ou à favoriser une "reconversion industrielle".

Malheureusement, au lieu de favoriser les ajustements qu'impose la perte d'un marché important, les interventions gouvernementales de-viennent très souvent la source d'un fardeau excédentaire pour la ré-

30 Consulter C.P. Kindleberger, The Formation of Financial Centers  : A Stu-dy in Comparative Economic History, Princeton, NJ : International Finance Section, Princeton University, 1974, p. 42-44. Vers 1900, la Merchants Bank of Halifax déménage son siège social d'Halifax à Montréal et change son nom pour Royal Bank of Canada. Au même moment, la Bank of Nova Scotia déplace à Toronto son personnel administratif, même si son siège social est encore aujourd'hui à Halifax et s'apparente à une sorte de "coquille vide". Enfin, en 1906, la maison Royal Securities déménage son siège social de Halifax à Montréal.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 73

gion concernée. Cela n'est-il pas confirmé par l'impact négatif sur l'économie de Montréal qu'entraînent plusieurs politiques du Gouver-nement du Québec orientées vers les régions à ressources naturelles, même si Montréal connaît une croissance lente par rapport aux autres centres métropolitains d’Amérique du Nord ?

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[50]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 74

[51]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 3Rémunération,

productivité et emploi

L'idée centrale de ce chapitre est la suivante : une faible croissance de la productivité n'est pas nécessairement un indice de mauvaise per-formance économique. Deux périodes de l'économie québécoise servi-ront à justifier cette proposition.

3.1. Les raisonnements tautologiques

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Le thème de la productivité fait souvent l'objet de propositions tau-tologiques. La productivité est un simple rapport entre le volume de la production et la quantité des facteurs utilisés pour la réaliser. Rien n’est plus simple et il est sûrement permis de sourire devant la « pro-fondeur de pensée » des citations suivantes :

« Il faut désormais accorder la priorité à l'obtention d'un meilleur taux de croissance du revenu réel des Canadiens. La chose est possible, et l'une des meilleures façons d'y parvenir est d'améliorer la productivité. » 31

« La productivité est un des déterminants les plus importants de la croissance économique à long terme. En raison des bouleversements tech-nologiques en cours et des changements démographiques à venir, l'ac-

31 Conseil économique du Canada, Dix-septième exposé annuel  : un climat d'incertitude, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1980, p. 135.

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croissement du niveau de vie passera de plus en plus par une amélioration des façons de travailler et du savoir-faire des travailleurs. La prospérité économique future du Québec dépendra donc en grande partie de son ha-bileté à relever le défi de la productivité ». 32

[52]

3.2. Principes de science économique et productivité

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Même s'il est plutôt facile de critiquer les multiples références au concept de productivité, quelle voie peut-on proposer pour mieux comprendre ce concept ? Peut-être par déformation professionnelle de professeur, je crois qu'il est essentiel de se référer aux principes de base de la science économique. Généralement, la première fois qu'un étudiant de science économique se familiarise avec le concept de pro-ductivité, c'est au moment de l'étude des marchés des facteurs de pro-duction. Il apprend alors que la courbe de la demande d'un facteur de production, dérivée de celle de la demande d'un produit, se confond avec la courbe de la productivité marginale de ce facteur. La producti-vité marginale, quant à elle, est la valeur de la production attribuable à la dernière unité employée du facteur. Le point de rencontre entre la demande et l'offre du facteur détermine un prix qui donne aussi la pro-ductivité marginale d'équilibre.

Ce modèle comporte de multiples implications. Par exemple, une région où le facteur travail est relativement abondant a un salaire d'équilibre plus bas et aussi une productivité marginale du travail moindre. Si ce n'était pas le cas, par exemple à cause de salaires artifi-ciellement maintenus, il en résulterait du gaspillage et du chômage dans cette région, qui aurait ainsi une productivité qui serait mal adap-tée à la présumée surabondance de la main-d'oeuvre. Ainsi une pro-ductivité marginale plus basse dans cette région n'est pas un signe d'inefficacité ou de gaspillage mais, au contraire, une condition pour

32 R. McIntosh et L. Martin, "Productivité du travail au Québec. Une faible croissance qui nuit à la prospérité des Québécois", Analyse et conjoncture économiques, vol. 1, nº 6, 27 février 2004, p. 1.

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maximiser le revenu réel tant qu'une surabondance relative de main-d'oeuvre persiste.

Cette règle s’applique aussi au travailleur individuel : il ne doit pas chercher à maximiser simplement son salaire horaire, car il pourrait en résulter beaucoup d'heures inemployées. De même pour une écono-mie, la maximisation de la productivité d'un facteur de production n'est pas un critère valable pour réaliser l'efficacité. La course à l'ac-croissement de la productivité pourrait-elle perdre ainsi tout son sens ? Faudrait-il, par exemple, applaudir au lieu de dénoncer les différences régionales de productivité au Canada en présence de conditions régio-nales différentes sur le marché du travail ?

[53]En somme, la productivité peut être comparée à un taux de change

comme celui du dollar canadien. Un accroissement du dollar canadien accroît directement le revenu réel des Canadiens puisqu'il augmente leur pouvoir d'achat pour les produits étrangers. Toutefois, il ne dé-coule nullement de cela qu'il faille accroître la valeur de notre dollar dans les présentes conditions, ou encore que toute hausse de sa valeur puisse être considérée comme favorable au public canadien. En cette matière, il ne faut pas aller trop vite en affaire. Toute appréciation des mouvements de taux de change demande une analyse poussée pour bien identifier les forces en présence.

a) Les années soixante-dix

Le tableau 3-1, qui concerne les années soixante-dix, montre que la production réelle s'est accrue en moyenne légèrement plus vite au Québec qu'en Ontario et surtout que la croissance de la productivité du travail y a été de beaucoup supérieure (1,5% annuellement au Qué-bec contre 0,2% en Ontario). Toutefois, malgré cette évolution plus favorable au Québec pour la production et la productivité, la crois-sance de l'emploi y a été beaucoup moins intéressante, avec un taux moyen annuel de 2,0% au Québec contre 3,0% en Ontario.

TABLEAU 3-1

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TAUX DE CROISSANCE ANNUEL MOYEN DU PRODUIT INTÉRIEURBRUT RÉEL, DE LA PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL * ET DE L'EMPLOI,

QUÉBEC, ONTARIO ET CANADA 1969-1979 (EN %)

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1969-1979 1969-1974 1974-1979

PIB

RÉE

L

PRO

DU

CTI

VIT

É

EMPL

OI

PIB

RÉE

L

PRO

DU

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VIT

É

EMPL

OI

PIB

RÉE

L

PRO

DU

CTI

VIT

É

EMPL

OI

Québec 3,5 1,5 2,0 4,1 1,6 2,5 2,9 1,3 1,6

Ontario 3,2 0,2 3,0 4,5 1,0 3,4 1,9 - 0,7 2,6

Canada 4,2 1,3 2,8 5,3 2,1 3,1 3,2 0,6 2,6

* mesurée par le produit intérieur réel aux prix du marché par personne employée.Source : Conseil du Trésor, Bureau de recherche sur la rémunération. Analyse de l'évolution des principaux indicateurs économiques au Québec, en Ontario, au Canada et aux États-Unis, 1964-1979. Québec, ministère des Communications, 1981, p. 15.

[54]La bonne performance relative du Québec pour la productivité et

son piètre bilan par rapport à la création d'emplois peuvent être expli-qués de la façon suivante. Comme on l’a mentionné au chapitre précé-dent, les années soixante-dix se caractérisent par une hausse continue de la rémunération hebdomadaire moyenne au Québec par rapport à celle de l'Ontario. À la fin de cette période, la rémunération était plus élevée au Québec, situation étrange pour une province qui a un taux de chômage considérablement plus élevé et qui a toujours eu de la dif-ficulté à conserver sa population. Dans ces conditions, la hausse rela-tive de la rémunération au Québec y a entraîné une croissance moins importante de l'emploi. La suppression de postes permet un accroisse-ment de la production par travailleur, qui s’accroît ainsi en relation étroite avec un nombre d'emplois qui disparaissent ou qui ne se créent pas.

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b) Les tendances entre 1982 et 2002

La période de 1982 à 2002 présente des tendances inverses par rap-port à celles des années soixante-dix. Les trois parties de la figure 3-1, tirées de publications de Finances Québec, illustrent bien notre ana-lyse. La période se caractérise par une croissance plus lente des sa-laires au Québec (partie A), en même temps que par une sous-produc-tivité qui s’accroît (partie B). En contrepartie, le Québec réduit son retard dans le taux d'emploi (le rapport des emplois à la population de 15 à 64 ans) (partie C).

c) Une autre application

Une productivité élevée du travail ne correspond pas nécessaire-ment à un revenu élevé par tête. La figure 3-2 représente les éléments de cette démonstration pour les pays de l’OCDE par rapport aux États-Unis, le cas de la France étant particulièrement probant. En 2003, la productivité, mesurée par le PIB par heure travaillée, était plus élevée en France qu’aux États-Unis. Malgré cette situation, l’écart du PIB par habitant était de plus de vingt-cinq% supérieur aux États-Unis.

Il n’y a là aucun mystère : la réglementation du travail et les taux élevés des cotisations sociales défavorisent l’emploi et la durée [55] du travail en France. Une utilisation réduite de la main d’œuvre favo-rise toutefois une productivité du travail plus élevée, les travailleurs les moins productifs étant écartés.

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FIGURE 3-1

TENDANCE DES SALAIRES, DE LA PRODUCTIVITÉ ET DES TAUXD’EMPLOI, QUÉBEC, ONTARIO ET ÉTATS-UNIS, 1982-2002

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Sources : A) R. McIntosh et L. Martin, « Productivité du travail au Québec. Une faible croissance qui nuit à la prospérité des Québécois », Finances Québec, Analyse et conjoncture écono-miques, vol. 1, no 6, 27 février 2004, p.3.B et C) L. Martin, « Le niveau de vie des Québécois. Un écart subsiste par rapport à celui de nos voisins », Finances Québec, Analyse et conjoncture économiques, vol.1, no 5, 11 nov. 2003, p.5.

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[56]

FIGURE 3-2

LES ÉCARTS DE PIB PAR HABITANT ET LEUR DÉCOMPOSITIONDIFFÉRENCES EN POINTS DE POURCENTAGE DU PIB PAR HABITANT

EN TERMES DE PPA PAR RAPPORT AUX ÉTATS-UNIS, 2005

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Source : OCDE, Réformes économiques:: Objectif croissance, Paris, 2007, p.16.

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Les résultats de cette comparaison de la France avec les États-Unis peuvent être généralisés pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Voici un commentaire récent :

« L’analyse confirme les rendements décroissants de la durée du tra-vail et du taux d’emploi. Concernant le taux d’emploi, cet effet de rende-ments décroissants est particulièrement important concernant les popula-tions jeunes (15 à 24 ans) et âgées (55 à 64 ans) au sein de la population en âge de travailler. Sur cette base, l’analyse montre que les performances productives de certains pays européens, en comparaison avec les États-Unis, s’expliquent [57] largement par des niveaux plus bas de durée du travail et de taux d’emploi, les rendements de ces deux grandeurs étant fortement décroissants. Ces rendements décroissants s’expliquent eux-mêmes par des effets de fatigue pour la durée du travail et par une concen-tration de l’emploi sur les personnes d’âge adulte (25-54 ans) pour le taux d’emploi.

Mis à part certains petits pays sont les performances productives appa-rentes s’expliquent grandement par des spécificités (Irlande et Norvège), il apparaît que les États-Unis sont le pays dans lequel le niveau de producti-vité horaire « structurelle » est le plus élevé et qui définit donc la « fron-tière technologique » des pays industrialisés…

Cette analyse suggère que l’écart du PIB par habitant des pays euro-péens vis-à-vis les États-Unis s’explique à la fois par ces niveaux plus bas de la durée du travail et de taux d’emploi, mais aussi par une faible pro-ductivité « structurelle ». En d’autres termes, le moindre niveau de PIB par habitant ne peut en aucun cas s’interpréter comme la seule expression d’un choix social associant de plus fortes performances productives à des préfé-rences pour le loisir plus élevées. Il vient également d’un écart de produc-tivité défavorable vis-à-vis des États-Unis. » 33

Les deux parties de la figure 3-3 illustrent l’évolution très diffé-rente de l’emploi et du salaire réel entre les États-Unis et l’Union eu-ropéenne des 15. Entre 1975 et 2001, le salaire réel moyen n’a pas augmenté dans une économie où l’emploi a fortement progressé. Les pays européens connurent une évolution contraire avec une montée du salaire réel accompagnée d’un niveau d’emploi à croissance lente.

33 R. Bourlès et G. Cette, « Une comparaison des niveaux de productivité structurels des grands pays industrialisés », Revue économique de l’OCDE, no 41, 2005/2, p. 110.

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[58]FIGURE 3-3

ÉVOLUTION DE L’EMPLOI ET DU SALAIRE RÉEL, ÉTATS-UNISET UNION EUROPÉENNE(15), 1975 À 2001 (1975= 100)

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Source : P. Pestieau, The Welfare State in the European Union, Oxford: Oxford University Press, 2006, p. 131.

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[59]

3.3. Le principe directeur de rattrapage

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Le refus de placer la question de la productivité dans le cadre du marché des facteurs de production oblige les intéressés à recourir au principe directeur du rattrapage comme base de politiques indus-trielles. Selon ce principe, si les facteurs de production des Maritimes avaient les mêmes caractéristiques que ceux de l'Ontario, ils auraient les mêmes revenus. Il faut donc éliminer ces différences. Malheureu-sement, ce principe du rattrapage ne découle pas de l'analyse écono-mique mais en est plutôt la négation, puisqu'il nie, d’une certaine fa-çon, la division du travail, concept développé par celui qui a reçu le titre de "véritable créateur de l'économie politique", Adam Smith. Les promoteurs d'un rattrapage du Canada ou du Québec, en ce qui concerne la part des dépenses consacrées à la recherche scientifique ou à l'importance relative des secteurs dits de pointe, oublient presque toujours de caractériser notre pays ou notre province du point de vue de la division internationale du travail, ce qui affaiblirait énormément leur argumentation. Chacun a ses avantages et ses faiblesses.

3.4. Conclusion

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En somme, comme une faible croissance de la productivité n'est pas nécessairement un indice de mauvaise performance économique, la maximisation du taux de croissance de la productivité n'est pas né-cessairement un objectif valable et ne peut servir de critère d'évalua-tion des différentes activités. Il en est sûrement de même pour le cri-tère imprécis des retombées économiques et des effets d'entraînement. Mais alors, quel est le critère pour juger de l'efficacité des politiques et aussi des différents projets ?

Ce critère d'appréciation est pourtant fort simple : c'est celui de la rentabilité. La question qui doit être posée est claire : les bénéfices

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attendus d'une activité ou d'un projet sont-ils supérieurs aux coûts pré-vus ? Si la réponse est affirmative, le projet contribue à accroître le revenu réel de la population et doit être réalisé, même si le projet n'a pas les caractéristiques de modernisme ou de technique de pointe.

[60]Conséquence majeure : le concept de rentabilité ne devrait-il pas

remplacer les multiples références au concept imprécis de productivi-té ?

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

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[61]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 4Les coûts croissantdu travail humain

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Ce chapitre porte sur un phénomène qui s'applique à l'ensemble de l'économie : le coût croissant du travail humain (par opposition au ser-vice des machines) et ses conséquences pour ce qu'on pourrait appeler la déshumanisation des activités. Plusieurs indices illustrent la déshu-manisation de l'activité économique. Les machines bancaires, les boîtes vocales et les buffets au restaurant sont des exemples simples d'une tendance générale. Le phénomène est engendré par l'évolution du prix relatif du travail. Comme le montre la figure 4-1, sur une pé-riode de vingt-cinq ans (de 1970 à 1994), la rémunération moyenne du salarié canadien par rapport aux prix de la machinerie et de l'outillage a presque quadruplé. 34 L'incitation à économiser le travail humain est par conséquent de plus en plus forte. L'encart 1 en donne une autre illustration; il s'agit de l'évolution des prix des robots et des salaires aux États-Unis entre 1990 et 2003.

34 L'évolution de la rémunération par salarié ne tient pas compte de la varia-tion des caractéristiques de la population active au cours de la période.

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[62]

FIGURE 4-1

COÛT DU TRAVAIL PAR RAPPORT À CELUI DU CAPITAL *, CANADA, 1970 À 1994

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* Rapport entre la rémunération par salarié et l'indice des prix de l'investisse-ment en machines et outillage.

Source : O.C.D.E., Études économiques de l'OCDE 1993-1994 : Canada, Paris, nov. 1994, p. 93.

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Encart 1 Extrait du communiqué de presse ECE/STAT/04/P07, Commis-sion économique des Nations Unies pour l'Europe, Buoyant robot sales in North America, Genève, 20 octobre 2004, pp. 2 et 5.

Les prix des robots baissent, le coût du travail augmente

Entre 1990 et 2003, l'indice des prix des robots industriels est passé de 100 à 44. Il est à noter que cette donnée ne tient pas compte du fait que les robots installés en 2003 sont bien plus performants que ceux installés en 1990 (voir figure 4-2). Il a été estimé qu'en intégrant les considérations quali-tatives, l'indice serait tombé à 19. En d'autres termes, un robot moyen vendu en 2003 coûtait à peine un cinquième de ce qu'aurait coûté en 1990 un robot capable des mêmes performances, en admettant qu'il eût été possible de fabri-quer un tel robot cette année-là.

Dans le même temps, l'indice de la rémunération de la main d'œuvre dans les entreprises américaines est passé de 100 à 156, ce qui implique que le prix relatif des robots est passé de 100 en 1990 à 28, si on fait abstraction des améliorations qualitatives, de 100 à 12 si on tient compte de ces améliora-tions.

Les salaires horaires, non compris les avantages sociaux pour les tra-vailleurs de la production de l'industrie des véhicules à moteur, sont passés [63] de 14,56 $ à 21,66 $ durant cette période. Dans l'industrie de l'alimenta-tion, les salaires horaires correspondants étaient de 9,62 $ et 12,80 $ respecti-vement, un niveau qui est une explication pour le retard de cette industrie à utiliser des robots.

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FIGURE 4-2

INDICE DES PRIX DES ROBOTS INDUSTRIELS AUX ÉTATS-UNIS,AVEC ET SANS AJUSTEMENT DE QUALITÉ. INDICE DE

LA RÉMUNÉRATION DES SALARIÉS DES ENTREPRISES,1990-2003

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Le remplacement de l'être humain par la machine permet d'ac-croître la production et le revenu de la population. Il est généralement une source d'augmentation des choix et d'une accessibilité accrue aux biens de consommation. Il ne s'agit donc pas de dénoncer le phéno-mène, mais plutôt de l'étudier dans quelques-unes de ses ramifica-tions.

Ce chapitre comporte quatre parties. La première illustre les conclusions dérivées d'un modèle simple, développé il y a déjà qua-rante ans. La deuxième montre qu'au milieu des années quatre-vingt-dix, il y aurait eu une rupture dans la validité de ce modèle. La troi-sième partie soulève la question de la précision des données statis-tiques. La dernière section déborde vers des considérations plus géné-rales sur la rareté croissante de l'humain.

[64]

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4.1 Un modèle à deux secteursayant des accroissements inégaux de productivité

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Tout phénomène, si élémentaire soit-il, implique une multitude de dimensions ou d'aspects qui en compliquent sa compréhension. Un modèle constitue par définition une simplification de la réalité. Il de-vient un instrument pour cerner les relations importantes du réel. L'analyste simplifie pour mieux comprendre.

L'économie est, dans le modèle présenté, divisée en deux secteurs. Le premier secteur connaît une croissance de productivité (production par unité du facteur de production considéré, disons l'heure de travail) plus élevée que celle de l'ensemble de l'économie. Comme on le de-vine facilement, le second secteur aura par conséquent une croissance moins élevée. Les industries où le facteur humain est plus important se logeront principalement dans le deuxième secteur. Or, les produits standardisés, qui s'accommodent facilement d'une utilisation abon-dante du capital et du progrès technique, sont peu conciliables avec des services qui exigent la préservation d'un caractère humain ou per-sonnel.

Qu'arrive-t-il à l'évolution de cette économie à deux secteurs avec des variations différentes de productivité ? Nous allons reprendre sen-siblement les conclusions de l'auteur de ce modèle, William J. Bau-mol, en les illustrant sans toutefois les démontrer. 35

35 W.J. Baumol, "Macroeconomics of Unbalanced Growth : The Anatomy of Urban Crisis", The American Economic Review, vol. LVII, nº 3, juin 1967, pp. 415-426; W.J. Baumol et W.E. Oates, The Theory of Environmental Policy, New York : Prentice-Hall, 1975, ch. 16, pp. 240-254.

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Proposition 1 :Le secteur à croissance de productivité plus lenteaura des coûts relatifs croissants.

Le graphique 4-3 montre, pour la période 1950 à 1990 aux États-Unis, la relation entre la variation annuelle moyenne de la productivité et celle des prix relatifs pour différents secteurs de l'économie. La pro-position 1 est ici confirmée : les industries à forte croissance de pro-ductivité, tels l'agriculture, le transport et le secteur manufacturier, ont des prix relatifs décroissants et leurs produits coûtent de moins en moins cher par rapport à l'ensemble des produits. C'est l'inverse pour les "autres services", qui incluent les services personnels. La part du travail humain est ici plus importante et leurs prix relatifs sont vrai-ment croissants.

[65]La relation inverse entre la croissance de la productivité d'un sec-

teur et le changement dans son prix relatif est très bien montrée par la ligne oblique de la figure 4-3. Rappelons que les changements dans les prix relatifs ne sont pas modifiés par l'inflation, puisque tous ces produits sont affectés simultanément par ce phénomène; le numérateur et le dénominateur, qui représentent ces prix relatifs, étant également affectés par l'inflation, le rapport lui-même y reste insensible.

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FIGURE 4-3

CROISSANCE DE PRODUCTIVITÉ ET CHANGEMENTDANS LES PRIX RELATIFS, ÉTATS-UNIS, 1950-1990

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Source : L.D'A. Tyson et al., The Annual Report of the Council of Economic Advisers, Washington D.C. : Executive Office of the President, 1994, p. 118.

Si la part du travail humain est plus importante dans les services, les prix relatifs de ces derniers par rapport à ceux des biens devraient croître avec le revenu réel ou le PIB par habitant. La figure 4-4 le confirme très bien : il existe en effet une relation positive significative entre le rapport des prix des services et ceux des biens durables et se-mi-durables et le niveau du PIB réel par habitant.

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[66]

FIGURE 4-4

PRIX RELATIF DES SERVICES ET PIB PAR HABITANT, 2003

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1. Les services aux consommateurs représentent les biens non échangeables tandis que les biens durables et semi-durables représentent les biens échangeables. Le niveau de prix des services concerne les données de 2002 basées sur les PPA de 2002 alors que le PIB par tête se réfère à 2003 converti avec les PPA de 2000.

Source : OCDE, Études économiques de l'OCDE 2005 : Zone Euro, Paris, 2005, p. 128.

Une récente étude de William D. Nordhaus confirme la relation inverse entre l’évolution relative de la productivité et celle du prix. À l’aide de la figure 4.5 qui donne cette relation pour 58 industries du-rant la période de 1948 à 2001, il conclut :

« …l’hypothèse de Baumol d’une maladie coût-prix provenant d’une croissance lente de la productivité est définitivement confirmée par les données. Les industries à faible croissance relative de productivité ("les

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 93

industries stagnantes") montrent une croissance plus élevée des prix rela-tifs d’une unité de pourcentage par unité de pourcentage. Ce résultat in-dique que la plupart des gains économiques d’une plus grande croissance de productivité sont transférés aux consommateurs par des prix plus bas. De plus, les différences dans la productivité sur une longue période d’un demi-siècle expliquent environ 85 pourcent de la variance des change-ments des prix relatifs pour les industries convenablement mesurées. Tan-dis que les forces sous-jacentes conduisant au changement technologique demeurent un défi, les impacts des changements différentiels de technolo-gie sur les prix ressortent clairement. » 36

La conclusion d’"une croissance plus élevée des prix relatifs d’une unité de pourcentage par unité de pourcentage" a deux [67] corol-laires. Premièrement elle va dans le sens de la proposition d’Alfred Marshall déjà cité au deuxième chapitre : « … plus cette période sera longue et plus importante sera l’influence exercée par le coût de pro-duction sur la valeur. »

Le deuxième corollaire concerne la faible relation entre une crois-sance plus élevée d’un secteur et la rémunération dans ce secteur. À l’aide de la figure 4-6 mettant en relation la croissance de la producti-vité totale des facteurs et celle des taux de salaire, Nordhaus conclut :

« …l’impact différentiel d’une croissance plus élevée de la productivi-té sur les rémunérations de facteurs est extrêmement petit. Il existe une proposition qu’une croissance plus élevée de la productivité industrielle conduise à une croissance légèrement plus rapide du salaire industriel et à des profits plus élevés, mais la fraction de la productivité allant à des ré-munérations de facteurs plus élevés est très petite. Pour la plus grande partie, les tendances dans le salaire industriel et les profits sont détermi-nées par l’économie globale et non par l’expérience de productivité de secteurs individuels. » 37

Cette conclusion est la manifestation de l’importance très forte des forces concurrentielles dans l’économie.

36 J.W.D. NORDHAUS, Baumol’s Diseases : A macroeconomic Perspective. Working Paper 12218, Cambridge MA : National Bureau of Economic Re-search, mai 2006, p. 37.

37 Op. cit. p. 38.

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FIGURE 4-5

TENDANCE DES PRIX ET DE LA PRODUCTIVITÉ TOTALEDES FACTEURS DE 58 INDUSTRIES

POUR LA PÉRIODE 1948-2001 (ÉTATS-UNIS)

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Source : J.W.D. NORDHAUS, Baumol’s Diseases : A Macroeconomic Pers-pective. Working Paper 12218, Cambridge MA : National Bureau of Economic Research, mai 2006, p. 39.

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FIGURE 4-6

CROISSANCE DE LA PRODUCTIVITÉ ET DES SALAIRESPAR INDUSTRIE POUR LA PÉRIODE DE 1948-2001 (ÉTATS-UNIS)

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Source : J.W.D. NORDHAUS, Baumol’s Diseases : A Macroeconomic Pers-pective. Working Paper 12218, Cambridge MA : National Bureau of Economic Research, mai 2006, p. 47.

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Proposition 2 :Avec des prix relatifs croissants, la production relative des in-dustries du secteur à plus faible croissance de productivité, dont les demandes sont sensibles aux prix et peu sensibles aux variations de revenu, va tendre à décroître et même finalement à disparaître.

Cette proposition n'est qu'une application de la loi de la demande : toutes choses étant égales par ailleurs, la quantité demandée varie in-versement aux prix. Si le grille-pain lâche, il est généralement plus rentable d'en acheter un neuf dont la production est robotisée que de recourir à un service de réparation qui est beaucoup moins standardi-sé.

Toutefois, dans ce modèle, le ceteris paribus ne s'applique pas tout à fait. L'augmentation de la productivité dans l'économie [69] signifie un accroissement de revenu réel qui peut annuler l'effet de prix. On peut exprimer cela d'une autre façon : dans toutes les industries où la croissance de la productivité est positive, même si elle est plus faible que la moyenne, les "prix relatifs" (si l'on peut encore utiliser cette expression) baissent s'ils sont exprimés en termes de coûts des fac-teurs de production ou en heures travaillées. Ainsi, les repas dans les très grands restaurants ont des prix relatifs qui augmentent, vu leur manque de standardisation et la nécessité d'une main-d'oeuvre quali-fiée. Il n'en résulte pas nécessairement une clientèle moins importante, puisque le nombre de ménages à hauts revenus est en croissance grâce à l'augmentation de la productivité dans l'économie. Les gens sont plus riches.

Cependant, cette possibilité est loin d’être courante, ce qui est confirmé par l’étude de Nordhaus :

"… l’hypothèse de la stagnation de la production réelle est fortement confirmée. Les industries qui sont technologiquement stagnantes tendent à avoir une croissance plus lente de la production réelle que celles des in-dustries technologiquement dynamiques, avec une croissance de producti-vité plus lente d’une unité de pourcentage associée à une croissance de production réelle plus lente de trois quarts%. De plus, l’association statis-tique de la croissance de la production et celle de la productivité est très

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significative. Le mécanisme par lequel la productivité influe sur la produc-tion est manifestement par le mécanisme des prix de la maladie coût-prix." 38

Proposition 3 :Si le rapport des productions des deux secteurs à croissance de productivité inégale demeure constant, de plus en plus de fac-teurs de production se concentreront dans le secteur à plus faible croissance de productivité. À la limite, tous les facteurs iront dans ce secteur.

La figure 4-7 représente l'évolution de la production des biens et des services au Canada pour la période de 1935 à 1994. 39 Cette pé-riode de six décennies se divise en deux sous-périodes. De 1935 à 1973, les taux moyens de croissance de la production des biens et des services furent pratiquement les mêmes, soit 5,2% par an pour les biens et 5,1% pour les services. Ce ne fut plus le cas après 1973. En effet, de 1973 à 1994, le taux moyen de croissance [70] des services (3,2%) fut supérieur à celui des biens (1,9%).

Le rapport des productions des biens et des services est donc de-meuré approximativement constant entre 1935 et 1973. En fait, deux phénomènes se sont compensés durant cette période: les services ont eu une croissance de productivité plus faible, ce qui aurait dû augmen-ter leur prix relatif et ainsi réduire leur consommation; mais grâce à l'accroissement des revenus, le choix des consommateurs a fait que les services ont absorbé une part croissante de la main-d'oeuvre. Ainsi, en 1951, 43,9% des emplois se retrouvaient dans les services contre 63,1% en 1971 (tableau 4-1). Pendant ces deux décennies, l'emploi total a crû de 3,0 millions de personnes, dont près de 2,9 millions dans les services. On peut dire que l'emploi s'est vraiment "tertiarisé"; mais ce n'est pas le cas pour la production. La figure 4-8 illustre cette "ter-tiarisation", qui est en cours au moins depuis 1881 au Canada.38 Op. cit., p. 37.39 1935 est la première année pour laquelle les données sont disponibles. Le

secteur des services n'est pas homogène: certains sont très utilisateurs de capital, tels les transports et les communications et ont une croissance de productivité élevée.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 98

FIGURE 4-7

VARIATION DE L’INDICE DE LA PRODUCTION DES BIENSET DES SERVICES AU CANADA, 1935-1994 (1961 = 100)

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Sources : 1935 – 1960 : Dominion Bureau of Statistics, Indexes of Real Do-mestic Product by Industry, 1961 base, Ottawa, Imprimerie de la Reine, no de cat. 61-506, juillet 1968.

1961 – 1985 : Statistique Canada, Produit intérieur brut par industrie (1986=100) 1961-1985, Ottawa, no de cat. 15-512, 1991, p.8 et 10.

1986 – 1994 : Statistique Canada, Produit intérieur brut par industrie, juin 1995, Ottawa, no de cat. 15-001, 1995, p.4.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 99

[71]

TABLEAU 4-1

RÉPARTITION DE L'EMPLOI ENTRE LES DIFFÉRENTS SECTEURS,CANADA, 1951-2001

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% DE L'EMPLOI TOTAL DANS CHAQUE SECTEUR

1951 1961 1971 1981 1991 2001

Agriculture 18,4 11,2 6,3 4,4 3,5 2,2

Secteur primaire non agricole 4,4 3,0 2,7 2,9 2,3 1,9

Fabrication 26,5 24,0 21,8 19,3 15,1 15,1

Construction 6,8 6,2 6,0 5,9 5,7 5,6

Secteur de la production de biens 56,1 44,5 36,9 32,5 26,6 25,6

Transport, entreposage, communica-tion et utilités

8,8 9,3 8,7 8,3 7,4 5,9

Commerce 15,1 16,9 16,5 17,1 17,6 15,8

Finance, assurance et immobilier 3,0 3,9 4,9 5,4 6,1 5,8

Services communautaires, aux entre-prises et personnels et administra-tions publiques

18,0 25,3 33,0 36,6 42,2 46,9

Secteur des services 43,9 55,5 63,1 67,5 73,4 74,4

Ensemble des secteurs 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

Source : B. Lyons, Canadian Microeconomics : Problems and Policies, Toronto, Pearson/Prentice-Hall, 2004, p.218.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 100

FIGURE 4-8

COMPOSITION DE L’EMPLOI AU CANADA, 1881-1993

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Source : Ministère des Finances, Un nouveau cadre de la politique écono-mique, Ottawa, Gouvernement du Canada, oct. 1994, p. 37.

[72]Durant les deux décennies suivantes, de 1971 à 1991, l'emploi total

a crû de 4,2 millions, dont 3,9 millions dans les services. L'emploi a donc continué à se « tertiariser » mais, durant cette période, la produc-tion aussi s'est « tertiarisée ».

L'emploi dans le secteur de la fabrication ou des biens en général comprend beaucoup d'emplois de services. Si Alcan embauche ses

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 101

propres avocats, ces emplois sont des emplois manufacturiers. Si elle recourt à un cabinet d'avocats externes, ils sont classés comme em-plois de services. Dans le secteur de la fabrication , les emplois direc-tement reliés à la production sont relativement en déclin vu la forte capitalisation des opérations. C'est évidemment l'inverse pour les em-plois de services à l'intérieur de ces firmes (ventes, recherche, gé-rance, communication…). L'emploi à l'intérieur du secteur des biens se « tertiarise » aussi.

Proposition 4 :Si le rapport des productions des deux secteurs à croissance de productivité inégale demeure constant, le taux de croissance de la production par tête de cette économie tend à décroître.

Cette proposition découle de la précédente, qui affirmait qu'une quantité de plus en plus grande des facteurs de production doit se concentrer dans le secteur à plus faible croissance de la productivité, si l'on veut garder constant le rapport des productions des deux sec-teurs.

La concentration des travailleurs dans le secteur des services est un facteur explicatif important de la baisse de la croissance de la produc-tivité et de la croissance du PIB par personne au cours de la période 1969 à 1993, comme on pourra le constater en comparant les deux parties de la figure 4-9. 40

40 C’est aussi la conclusion de Nordhaus :« Le résultat macro-économique le plus important est peut-être la mala-

die de croissance de Baumol au cours de la dernière moitié du vingtième siècle. L’hypothèse sous-jacente à la maladie de la croissance est que - parce que la composition de la production s’est déplacée des industries à haute croissance de productivité comme le secteur manufacturier vers celles ayant des technologies stagnantes comme le gouvernement, l’éducation et la construction - la croissance de la productivité globale a baissé. Il y a eu en effet une tendance au ralentissement de la croissance économique causé par les changements dans les parts de dépenses. La maladie de la croissance a diminué la croissance annuelle de la productivité agrégée d’un peu plus de la moitié d’une unité de pourcentage au cours du dernier demi-siècle. » (p.38).

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 102

[73]

FIGURE 4-9

A. CROISSANCE ANNUELLE DE LA PRODUCTIVITÉ TOTALEDES FACTEURS AU CANADA

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Remarque : Productivité totale des facteurs (tendance) dans le secteur com-mercial.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 103

B. CROISSANCE ANNUELLE DU PIB PAR PERSONNE AU CANADA

Remarque : La croissance de la productivité et la croissance du PIB par per-sonne sont exprimées en taux composés annuels moyens.

Source : Ministère des Finances, Un nouveau cadre de la politique écono-mique, Ottawa : Gouvernement du Canada, oct. 1994, p. 40.

[74]

Proposition 5 :Comme la consommation de n'importe quel produit demande du temps et de l'argent, une croissance de la valeur du temps ou des salaires réels entraîne une substitution: elle favorise la diminution de la consommation des produits dont le rapport temps-prix est relativement élevé.

Cette proposition trouve une application dans la demande pour le transport en commun. Son utilisation diminue avec l'augmentation du revenu des personnes. Il en est de même dans la production. L'aug-mentation des salaires réels et du prix relatif du travail entraîne une substitution vers le capital et l'équipement. Les nouvelles télévisées recourent de plus en plus à la technologie, mais on y trouve moins de substance ou de profondeur, éléments qui demandent du travail.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 104

4.2. La maladie des coûts relatifs croissantsdes services a-t-elle trouvé son remède ?

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Le modèle de la section précédente est à la fois simple et riche en explications de phénomènes sociaux. Les cinq propositions qui le ré-sument le montrent très bien. Toutefois, au milieu des années quatre-vingt-dix, on note une brisure dans l'économie nord-américaine par rapport à l'évolution des décennies précédentes. Il se produit une aug-mentation considérable du taux de croissance de la productivité et de la production par habitant, comme on peut le constater en examinant la figure 4-10 : aux États-Unis, la croissance annuelle moyenne de la productivité des travailleurs non agricoles au cours de la période 1995-2002 fut le double de celle de la période 1973-1995, soit 2,9 contre 1,4%. On trouvera, au tableau 4-2, l'équivalent canadien pour divers secteurs et pour deux périodes : 1987-1996 et 1996-2000: la croissance annuelle de la productivité est plus élevée à la seconde pé-riode. 41

41 Comme il fut analysé au chapitre précédent, une croissance élevée de la productivité n’est pas nécessairement un signe de bonne santé économique dans un univers de surplus de main d’œuvre ou de chômage élevé. Notons que la productivité du secteur manufacturier canadien a très bien évolué entre 1995 et 2002, parallèlement à une hausse de vingt-deux% de l’emploi au cours de la même période. Cependant, la majorité des pays développés connurent une baisse de l’emploi manufacturier pendant cette période, par exemple une baisse de 11,3 pourcent aux États-Unis. Voir J.E. Hilsenrath et R. Buckman, “Factory Employment Is Falling World-Wide”, The Wall Street Journal, 20 octobre 2003, p.A1

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 105

[75]

FIGURE 4-10

PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL NON AGRICOLE, ÉTATS-UNIS,1970-2002 (1992 = 100)

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Source : L.A. Karoly et al., The 21st Century at Work, Santa Monica,CA : Rand, 2004, p.104.

Taux de croissance de 2,9% par année (1995-2002)

Produc-tivité

Taux de croissance de 1,4% par année (1973-1995)

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TABLEAU 4-2

CROISSANCE SECTORIELLE DE LA PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL,CANADA (TAUX ANNUELS MOYENS DE VARIATION%)

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Canada

1987-1996 1996-2000 Variation(points)

Secteur des entreprises 1,0 2,2 1,2

Détails

Industries primaires 3,1 5,2 2,1

Construction -0,7 0,4 1,1

Industries manufactu-rières

2,1 1,9 -0,2

Services 0,7 2,3 1,6

Source : B. Robidoux, "L'avenir de la croissance de la productivité au Canada : le rôle du secteur des services", Observateur international de la productivité, n˚ 7, automne 2003, p. 70.

[76]La croissance remarquable de la productivité des services, depuis

le milieu des années quatre-vingt-dix, est bien soulignée par le titre d'une publication de deux économistes renommés : "Baumol's Di-sease" Has Been Cured. 42 Cette conclusion s'applique aussi au Cana-da : au cours de la période 1996-2000, la croissance de la productivité du travail dans les services a dépassé celle du secteur manufacturier et celle de l'ensemble des entreprises. Les services ne sont plus le secteur

42 J.E. Triplett et B.F. Bosworth, "Productivity Measurement Issues in Service Industries: "Baumol's Disease" Has Been Cured", Federal Reserve Bank of New York Policy Review, vol. 9, nº 3, sept. 2003, pp. 23-33.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 107

à faible croissance de productivité. Les données américaines abou-tissent à la même conclusion. 43

4.3. Hier la "mcdonalisation" des services,aujourd'hui leur "wal-martisation"

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Avec la croissance du prix relatif du travail humain, il y eut depuis le début des années soixante-dix d'importantes pressions pour standar-diser les services. Pour utiliser une marque de commerce bien connue, on peut dire qu'on assiste à la "mcdonalisation" des services: on am-plifie le recours au capital et l'on diminue ainsi la croissance des prix relatifs des services. Par exemple, le rapport capital-travail a connu une croissance annuelle plus rapide dans les services socio-culturels, commerciaux et personnels, entre 1966 et 1978, que dans tout le sec-teur manufacturier (Tableau 4-3). Ce groupe de services, dont l'impor-tance dans l'économie dépasse celle du secteur manufacturier, avait pourtant connu un rapport capital-travail décroissant entre 1957-1966.

43 Croissance annuelle de la productivité, États-Unis, entreprises privées non agricoles, en %.

Productivité du travail 1987-1995

1995-2001

Va-ria-tion

Ensemble 1,0 2,5 1,5Biens 1,8 2,3 0,5Services 0,7 2,6 1,8Productivité multifactorielleEnsemble 0,6 1,4 0,9Biens 1,2 1,3 0,1Services 0,3 1,5 1,1

Source : J. Triplett et B.F. Bosworth, Productivity In service: New sources of Growth, p. 3-4, http://www.aei.org/doclib/20040225_bosworth.pdf.

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TABLEAU 4-3

TAUX ANNUELS MOYENS DE CROISSANCE DU RAPPORTCAPITAL/TRAVAIL * POUR LE SECTEUR MANUFACTURIER

ET LE GROUPE DES SERVICES SOCIO-CULTURELS,COMMERCIAUX ET PERSONNELS, CANADA - 1957 À 1978

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1957-1966 1966-1973 1974-1978

Secteur manufacturier 3.4 3.3 4.2

Services socioculturels, commerciaux et personnels

-0.6 4.1 5.2

* Les estimations du stock de capital utilisées ici sont les stocks bruts de capi-tal fixe en fin d'année.

Source : Ministère des Finances, Changements récents dans le profil de crois-sance de la productivité au Canada, Ottawa, avril 1980, p. 35.

[77]La période récente marque la "wal-martisation" des services, grâce

à l'expansion des techniques de l'information. Aux États-Unis, entre 1995 et 2000, la croissance de la productivité du travail dans le com-merce de gros affiche un taux de 5,8% par année, alors qu'il est de 5,3% pour le commerce de détail. Ce sont là des taux très élevés, plus de deux fois plus élevés que celui du secteur manufacturier.

En plus du commerce en ligne, il y eut principalement deux types d'innovation dans le commerce de détail: des changements dans l'or-ganisation de la chaîne d'approvisionnement des biens de consomma-tion et des modifications de la façon dont les détaillants organisent le fonctionnement de leur magasin. Une information intéressante: au Québec, il y a égalité de l'emploi entre le secteur du commerce (gros et détail combinés) et le secteur manufacturier.

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4.4. Les séries statistiques sont-ellesun château de cartes ?

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Un sujet a peu intéressé les économistes dans le passé: la précision des séries chronologiques, qui sont pourtant omniprésentes dans la discussion publique et scientifique. Les données sur l'évolution des volumes de production, de consommation et de revenu proviennent de valeurs monétaires corrigées des variations de prix. Or, les indices de prix disponibles sont imprécis et nous allons l'illustrer par l'indice gé-néral des prix à la consommation et par les indices de prix dans le sec-teur des soins de la santé.

Dans une déposition écrite au Committee on Finance du Sénat américain, l'économiste canadien et spécialiste du domaine, W. Erwin Diewert affirmait :" Je crois que l'indice des prix à la consommation des États-Unis surestime l'inflation d'environ 1,3 à 1,7% par année au cours des années récentes". 44 En automne 1995, un comité-conseil formé de cinq économistes créé par le Congrès concluait : "... L'in-dice des prix à la consommation a surestimé l'inflation de 1,5 unité de pourcentage par année ... dans le futur, cette erreur sera probablement d'environ une unité de pourcentage par année". 45

44 W.E. Diewert, Written Testimony for the United States Senate Committee on Finance, miméo, 6 avril 1995, p. 3.

45 NBER Researchers on Congressional CPI Advisory Commission", NBER Reporter, automne 1995, p. 27. Une étude aux États-Unis montre une erreur encore plus élevée pour les biens durables (automobiles, téléviseurs, pro-duits électroniques de consommation) : "… la croissance de qualité pour les biens durables a été en moyenne d’au moins 5,8% par année, plus que le double du taux implicite dans la mesure de l’indice des prix à la consomma-tion", M. Bils, Measuring the Growth from Better and Better Goods, Cam-bridge MA : NBER, working paper 10606, juillet 2004, résumé.

Un membre du comité-conseil est récemment revenu sur le sujet :"Cette évaluation rétrospective suggère que l’estimation du biais pour

1995-96 par le comité Boskin aurait dû se situer entre 1,2 et 1,3%, et non 1,1%.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 110

[78]Pour sa part, la Banque du Canada avance une erreur plus faible :

"Étant donné qu'il est difficile de mesurer les changements de prix attribuables à des variations de la qualité des produits et à d'autres va-riables, l'IPC peut comporter un certain biais de mesure qui l'empêche de refléter parfaitement l'évolution de l'inflation. De récentes études portant sur le biais donnent à penser que l'IPC peut surestimer le taux d'inflation d'environ 0,5 point de pourcentage". 46

a) Un exemple :les lacunes des indices de prix en santé

L'ensemble des dépenses de santé représentait 10% du PIB cana-dien en 2003. Les indices de prix de cet important secteur augmentent plus rapidement que l'indice des prix à la consommation, mais ils sont très imprécis. 47 Tout d'abord, ils portent sur les coûts des composantes du traitement (journées d'hospitalisation, médicaments, actes médi-caux) plutôt que sur le coût total du traitement, qui est bien le produit dont on cherche à mesurer le prix. En procédant ainsi, Statistique Ca-nada ne tient pas compte de la diminution significative de la durée de l'hospitalisation pour la majorité des traitements, ni de la substitution de médicaments à la chirurgie dans certains cas, comme le traitement des ulcères d'estomac.

De plus, même le calcul de l'évolution des prix des composantes des soins de santé affronte de multiples embûches. Par exemple, pour mesurer l'évolution du prix de l'hospitalisation, qui totalise 32% des dépenses de santé, Statistique Canada recourt à l'évolution des prix des facteurs qui produisent ce service, en faisant implicitement l'hypo-thèse que l'augmentation de la productivité y est nulle. En particulier, la hausse de la rémunération des personnels devrait être "tempérée" par l'augmentation de la productivité de ces personnels.

46 Se référer à : http://www.bank-banque-canada.ca/fr/documents/bg-i4-f.htm, le 24 mars 2004.

47 Sur le sujet, consulter V. Hicks et al., Price Indexes Used in National Health Expenditures, Feasibility Study, Ottawa : Canada Institute for Health Information, août 2001, 18 p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 111

Ces quelques exemples suffisent à montrer l'imprécision des in-dices de prix disponibles et, par conséquent, les difficultés de bien mesurer l'évolution des quantités pour une période donnée (une décen-nie par exemple). Pour empirer les choses, la mesure de l'évolution de la production, de la consommation et du revenu [79] présente des er-reurs encore plus importantes, dans une économie dominée par les services ou des éléments intangibles. 48

b) Un détour :l'évolution de la productivité dans le secteur public

Si l'évolution des dépenses des administrations publiques est faci-lement calculable, il en va tout autrement pour leur production. Évi-demment, sans une bonne estimation de l'évolution de la production réelle, l'évolution de la productivité demeure un mystère.

Il est donc permis d'exprimer un certain pessimisme à propos de la possibilité de mesurer l'évolution de la productivité dans le secteur public. Ainsi, selon The Economist, pour le secteur de la santé, "... une étude réalisée par l'Office for National Statistics (ONS) révélait que la quantité des "intrants", après ajustement pour l'inflation, augmentait plus vite que celle de l'"output". Comme résultat, la productivité – le rapport de la production à la quantité de facteurs de production réels – avait diminué de 3% entre 1997 et 2001". 49 Un Swedish Report a me-48 Consulter à ce sujet Z. Griliches, "Productivity, R. and D, and the Data

Constraint", The American Economic Review, vol. 84, nº 1, mars 1994, pp. 1-23 et A.J. Malabre et L.H. Clark, "Dubious Figures : Productivity Statis-tics for the Service Sector May Understate Gains", The Wall Street Journal, 12 août 1992, p. A.1. Selon une étude, le taux moyen de croissance de la productivité multifactorielle entre 1961 et 1991, pour les services commu-nautaires et personnels, de même que pour les finances, les assurances et les services immobiliers, aurait été négatif à moins 0,9%. D. Galarneau et J.-P. Mayrand, "Une autre mesure de la productivité", L'emploi et le revenu en perspective, (publication nº 75-001F au catalogue de Statistique Canada) printemps 1995, p. 35. Une référence plus récente : J.E. Triplett et B. Bos-worth, Productivity in the U.S. Service Sector : New Sources of Economic Growth, Washington, D.C. : Brookings Institution Press, 2004, 401 p.

49 "Public-service productivity Banks and Bucks", The Economist, 29 avril 2004. Toutefois, en juillet 2004, l'ONS changea sa méthodologie pour me-surer la contribution du National Health Service dans les comptes nationaux.

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suré l'évolution de la productivité du secteur gouvernemental suédois et de ses composantes entre 1960 et 1980. Les résultats sont reproduits au tableau 4-3; on constatera que le nombre des signes négatifs est considérablement supérieur à celui des signes positifs. La présence d'une baisse temporelle de productivité mériterait un approfondisse-ment.

Le taux de croissance de l'output entre 1995 et 2003, qui avait été estimé à 19,1%, était maintenant de 28,6%. C'est un ajustement appréciable. Voir Office for National Statistics, Revisions resulting from improving the me-thodology for measuring government healthcare output in the National Ac-counts, miméo, juillet 2004, p. 4. Le meilleur document de référence sur ce sujet est A.B. Atkinson, Atkinson Review : Final Report - Measure of Go-vernment Outputs for the National Accounts, Basingtote, U.K. : Palgrave MacMillan, 2005, 252 p.

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[80]

TABLEAU 4-4

ÉVOLUTION DE LA PRODUCTIVITÉDANS LE SECTEUR GOUVERNEMENTAL, SUÈDE, 1960-1980

(CHANGEMENTS ANNUELS EN %)

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1960-65 1965-70 1970-75 1975-80 1970-80

Administration générale . . . -3.7 -5.5 +4.5 -0.6

Justice & police . . . -2.7 -6.1 +3.1 -1.6

Défense . . . . . . -0.1 -1.0 -0.6

Education -3.2 -6.3 +0.2 -3.2 -1.5

Soins de santé -3.6 -3.7 -1.4 -2.2 -1.8

Sécurité sociale -0.4 -2.6 -4.8 -0.2 -2.5

Bien-être . . . . . . -2.8 -0.4 -1.6

Planification communautaire . . . . . . +0.2 -8.9 -4.5

Bibliothèques -4.9 +3.0 +1.1 -1.8 -0.3

Services économiques +1.5 +2.1 +0.1 +0.4 +0.2

Ensemble . . . . . . -1.4 -1.6 -1.5

Source : R. Murray, "Measuring Public-Sector Output : The Swedish Report", dans Z. Griliches (s.l.d.), Output Measurement in the Service Sectors, Chicago : Chicago University Press, 1992, p. 523.

Un autre problème de mesure est commun aux dépenses de santé et aux frais de réparation des véhicules. Les deux sont compris dans la production d'un pays et l'on pourrait prendre pour acquis que la crois-sance de la production d'un bien implique un accroissement de bien-être pour la population. Ce n'est pas nécessairement le cas. Qui refuse-rait un véhicule à l'abri des visites de réparation chez le concession-naire ? Et pourtant, ces visites font partie de la production  ! Voilà qui illustre les dangers que représente la référence au PIB par habitant comme mesure du bien-être d'une population.

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4.5. Où sera le facteur humain ?

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L'aspect humain des services personnels va à l'encontre des recours à la standardisation du produit; et la faible croissance de la productivi-té, dans ce secteur, entraîne ce qui fut qualifié de "maladie des coûts des services personnels".

Il existe différentes façons de réagir à la montée des coûts des ser-vices personnels. La première, c'est d'en diminuer la consommation. Si les spectacles en salle deviennent trop coûteux, le [81] consomma-teur peut recourir au téléviseur ou au lecteur de disques. D'une façon analogue, le développement économique accroît le coût relatif des en-fants et favorise par conséquent une baisse de la fécondité. On peut aussi substituer l'amateurisme aux services professionnels. C'est le cas si on décide d'aller écouter les concerts de non-professionnels.

Une autre façon d'affronter la « maladie des coûts » consiste à re-chercher une standardisation accrue des services personnels, ce qui facilite un recours plus étendu au capital dans leur production. Mal-heureusement, la standardisation accrue risque d'affecter précisément l'aspect humain et personnel des services.

Voici quelques exemples d'ajustements à la « maladie des coûts » des services personnels pour le secteur de la santé. Certains médica-ments se sont substitués aux interventions chirurgicales et aussi à des services très coûteux comme les psychothérapies; les interventions chirurgicales d'un jour ont fortement réduit les services de convales-cence. Mais il y a tout de même une perte: l'économie de main-d'oeuvre et la standardisation des actes ont soulevé des plaintes concernant la déshumanisation des soins. On observe d'ailleurs un phénomène analogue à l'université à propos des questions à choix multiples corrigées par ordinateur; cela limite au strict minimum le contenu informatif de l'évaluation.

La nature du travail du personnel infirmier s'est modifiée au cours des années. Le développement technique, les durées de séjour écour-tées et la popularité des chirurgies d'un jour ont sensiblement réduit

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 115

les aspects humains et personnels de la tâche. Cette dernière devient plus dépendante de l'équipement et de la pression qui s'ensuit.

En outre, la montée du coût du travail humain modifie la réparti-tion du travail entre les différents acteurs économiques : ménages, en-treprises à but lucratif ou non, organismes gouvernementaux. À ce propos, l'économiste suédois Assar Lindbeck a noté l'effet de la crois-sance de l'État providence sur cette répartition.

"Les taux d'impôt marginaux croissants entraînent le transfert de certains travaux aux ménages privés (le bricolage par exemple) En même temps, l'État providence tend à confier aux établissements pu-blics les soins personnels plus intimes: soin des enfants, des vieux et des malades. On observe donc un effet [82] important de la conjugai-son de l'action de l'État et de son financement. Le secteur des ménages est incité à s'occuper de la production d'objets matériels, tandis que les établissements publics prennent soin des services personnels intimes: soin des enfants, des personnes âgées, des malades et des déficients. En d'autres mots, les services personnels intimes sont de plus en plus socialisés, tandis que la production des objets est de plus en plus transférée des entreprises marchandes vers le secteur des ménages – en dépit du fait que ces ménages ont traditionnellement été considé-rés comme une institution "naturelle", précisément pour leurs services personnels intimes". 50

4.6. Conclusion

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La maladie des coûts croissants des services personnels peut aussi être perçue de façon positive. Elle est en effet le produit de la crois-sance de la productivité dans l'ensemble de l'économie, ce qui permet d'accroître la consommation de l'ensemble des produits, y compris ceux qui ont une productivité stagnante. Pour ce faire, une part plus élevée d'un revenu croissant devra être consacrée aux services person-nels.

50 A. Lindbeck, Work Disincentive in the Welfare State (Seminar Paper nº 164), Stockholm : Institute for International Economic Studies, University of Stockholm, déc. 1980, p. 18.

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Si l'on s'y refuse, une plus grande richesse entraînera la perte des aspects humains des services personnels. Toutefois, le progrès tech-nique peut éviter cette "décadence", puisqu'il implique la baisse du prix de tous les produits en termes d'heures de travail.

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[83][84]

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[85]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 5Les exportations du Québec,les avantages comparatifs et

la politique commerciale canadienne

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En étant une petite économie par rapport à l’Amérique du Nord et aussi à l’Occident, le Québec est très ouvert sur l’extérieur. C’est la force des choses. Le tableau 5-1 compare, pour certains pays de l’OCDE, le rapport en 2004 des exportations sur le PIB. Le rapport est beaucoup plus élevé pour Irlande et la Belgique. Toutefois le Québec dépasse des petits pays, tels la Suède et la Suisse et bien sûr, le Cana-da et les États-Unis

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[86]

TABLEAU 5-1

RAPPORT DES EXPORTATIONS EN% DU PIBPOUR CERTAINS PAYS DE L’OCDE, 2005

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Rang par paysde l’OCDE

Pays Part des exportationsdans le PIB%

1 Belgique 87,1

2 Irlande 78,9

3 République slovaque 77,0

4 République tchèque 71,7

5 Pays-Bas 69,9

6 Hongrie 66,4

7 AutricheQuébec

54,352,7 **

8 Suède 48,6

9 Danemark 48,3

10 Suisse 47,9

15 Canada 37,9

29 États-Unis 10,5

** Le pourcentage tient compte des exportations vers l’étranger et vers les autres provinces.Note : la liste exclut le Luxembourg.

Source : Direction de l’analyse des relations économiques extérieures, Déve-loppement économique, Innovation et Exportation Québec, Le Calepin : Le com-merce extérieur de Québec, Québec, déc. 2006, p. 12.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 119

Ces données soulèvent une question. Comment un pays comme le Belgique peut-il exporter 87,1% de sa production compte tenu de la demande pour les produits qui ne peuvent être que consommés sur place, tels les services de coiffeur ? Ces données représentent en fait les exportations brutes, qui incluent les produits importés à l’intérieur des exportations. Par exemple, les moteurs fabriqués aux États-Unis, de même que l’air climatisé et la pressurisation conçus en France, sont inclus dans les exportations québécoises des jets régionaux de Bom-bardier. Il faut donc estimer les exportations nettes en retranchant des exportations brutes les intrants importés.

Des estimations québécoises existent pour l’année 2004. 51 Les ex-portations représentaient alors 52,6% du PIB aux prix du [86] marché. Les exportations nettes ou la valeur ajoutée des exportations représen-taient 33,0% du PIB aux prix de base. En revanche, la valeur ajoutée, (ou la production intérieure) par dollar d’exportation des services était de 81 cents, valeur appréciablement supérieure aux 56 cents des biens. Il y a aussi une différence de xxx valeur ajoutée par dollar d’exporta-tion, beaucoup plus faible, entre les exportations interprovinciales (64 cents) et les exportations internationales (58 cents).

5.1. Les avantages du commerce

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Avant de poursuivre l’analyse du secteur extérieur du Québec, il est utile de considérer le commerce dans une perspective très large et de présenter différentes propositions ou interrogations.

51 Institut de la statistique du Québec et Ministère du Développement écono-mique, Innovation et Exportation, Impact économique des exportations qué-bécoises années 2002 et 2004, Québec, Gouvernement du Québec, mars 2007, 20 p.

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a) La libéralisation du commerce est une source nette de gains et c’est davantage le cas pour un petit pays tels le Canada ou le Québec

Le commerce extérieur est tout simplement un échange entre deux unités économiques qui sont situées dans des territoires différents. Il conserve toutes les propriétés de l’échange et, tout particulièrement, il rend plus riches les deux parties impliquées. Si ce n’était pas le cas, l’échange n’aurait pas lieu. Ainsi, un échange plus libre est créateur de richesse ou, d’une façon plus imagée, accroît le gâteau à se parta-ger. Son impact ressemble à celui du progrès technologique.

Cet effet est d’autant plus important que le territoire concerné est petit. Une façon de percevoir le fondement d’une telle proposition consiste à représenter le petit pays comme un seul individu et le pays important comme composé de trente individus. Quel pays ou groupe profite le plus de l’absence d’entraves à l’échange international ? C’est bien le petit pays, puisque alors, l’individu isolé peut être en contact avec trente autres personnes. L’autre pays en profitera aussi, mais d’une façon beaucoup moindre, vu que, pour lui, le groupe ne s’accroît que d’un trentième.

Quelques économistes ont essayé de quantifier les coûts du protec-tionnisme pour le Canada. Selon une étude déjà ancienne, [88] les ta-rifs et contingentements canadiens pour le vêtement avaient accru l’emploi dans ce secteur de 21 147 personnes en 1979, mais à un coût pour le consommateur de 36 784 $ par emploi additionnel et une perte nette pour l’ensemble de l’économie de 8 345 $ par emploi. La rému-nération par personne-année dans le secteur du vêtement était de 9 886 $ en décembre 1979. 52

Bien entendu, les estimations varient considérablement selon les hypothèses faites sur la structure de l’économie canadienne. Ainsi, le gain entraîné par un commerce multilatéral libre pour le Canada au milieu des années soixante-dix était, selon l’estimation d’un auteur, d’environ 2% du produit national brut si les firmes canadiennes ne

52 G.P. Jenkins, Costs and Consequences of the New Protection : The Case Canada’s Clothing Sector, Ottawa : The North-South Institute, 1985, p. 38.

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bénéficient pas d’économies d’échelle; et de 8 à 10% dans le cas contraire. 53

b) Les avantages du libre-échange ne sont pas indépendants des coûts

Une libéralisation du commerce entraîne nécessairement des coûts d’ajustement. Ces ajustements sont d’autant plus élevés que le seront les gains nets de la libéralisation. Pour mieux le voir, il est utile de reprendre l’exemple précédent. Le « grand pays » composé de trente individus n’aura pas à affronter des ajustements majeurs occasionnés par la présence d’un individu supplémentaire. En contrepartie, les gains de cette présence sont minimes. Il n’en est pas de même pour le petit pays où les changements à apporter ne sont pas marginaux mais très substantiels. C’est la conséquence du gain fort élevé issu du pou-voir d’échanger librement avec un groupe trente fois plus considé-rable. C’est ainsi que le modèle qui estimait le gain d’un libre-échange multilatéral à 8 ou 10% du PNB, prévoyait à long terme un change-ment d’industries pour au moins 6 à 7% de la main-d’œuvre cana-dienne.

Voici donc une conclusion très importante : les coûts d’ajustement élevés ne sont pas un argument valable contre la libéralisation des échanges. Ils témoignent plutôt de l’importance considérable des gains rattachés à une telle action. Bien entendu, ces gains sont des gains nets, c’est-à-dire qu’ils sont égaux aux bénéfices moins les coûts.

On suggère de diminuer l’impact négatif d’une libéralisation du commerce par des programmes d’aide spécifiques aux employés [89] impliqués. Ces derniers seraient alors partiellement compensés. Tou-tefois, comme il a déjà été noté au chapitre 2, la rotation des emplois est de toute façon très élevée au Québec et au Canada, comme dans toutes les économies plus ou moins décentralisées. Devant une telle situation, il est difficile d’identifier les causes précises des pertes

53 R.G. Harris, « Applied General Equilibrium Analysis of Small Open Eco-nomies with Scale Economies and Imperfect Competition », American Eco-nomic Review, vol. 74, décembre 1984, pp. 1016-1032.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 122

d’emplois et par conséquent il est préférable d’établir le même filet de sécurité pour tous les travailleurs déplacés, par des mesures de soutien du revenu et d’insertion dans un nouvel emploi.

c) Les entraves au commerce libre ne se limitent pas aux tarifs

Les différentes rondes de négociation dans le cadre du GATT, maintenant l’OMC, ont réussi à abaisser considérablement le niveau des tarifs douaniers. En outre, le Canada signa l’Accord de libre-échange avec les États-Unis en 1989, puis l’Accord de libre-échange nord-américain en 1994.

Toutefois, les forces favorables au protectionnisme demeurent en-core importantes, car les gouvernements ont eu recours à des bar-rières non tarifaires pour atteindre leurs objectifs. Il faut dire aussi que les gouvernements provinciaux du Canada se font souvent reprocher d’entraver le marché commun canadien même s’ils ne peuvent pas imposer de barrières tarifaires et bien qu’il existe un Accord sur le commerce intérieur depuis 1995.

Le commerce libre entre territoires exige plus que l’absence de ta-rifs. Il existe en effet différents instruments pour protéger un marché. Notons parmi les plus importants : les politiques préférentielles d’achats par l’administration publique, les contingentements « volon-taires » d’exportations, les subventions industrielles et régionales de diverses sortes, le commerce entre gouvernements ou par l’intermé-diaire d’entreprises publiques, différents règlements comme la couleur de la margarine et les prix minimums de la bière au Québec, l’aide aux exportations, les organisations de contrôle et de mise en marché de différents produits, principalement agricoles.

Cette liste des barrières non tarifaires est loin d’être exhaustive. Par exemple, le protectionnisme canadien se manifeste dans l’aide aux pays en voie de développement. En effet, le Canada se démarque [90] par l’importance de l’aide liée ou conditionnelle (forme déguisée de protectionnisme) par rapport à l’aide totale à ces pays : en 2004, le pourcentage de l’aide liée était de 43 pour le Canada contre 11 pour le

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Danemark et les Pays-Bas, 0 pour la Norvège et le Royaume-Uni, 0,6 pour la Suède et 8 pour l’ensemble de l’OCDE. 54

De plus, les différentes négociations pour libéraliser le commerce ont eu tendance à ignorer le secteur des services, qui totalise pourtant les deux tiers de la production. Cette mise à l’écart s’explique par la nature des transactions impliquées. Ainsi en va-t-il pour le capital, comme on le voit en matière de propriété dans les secteurs des com-munications et du transport, ou quand il s’agit de la réglementation des institutions financières et du contrôle de l’investissement étranger.

d) Si le protectionnisme est coûteux, pourquoi existe-t-il ?

Une question se pose : si ce protectionnisme, comme celui du Ca-nada, est coûteux, pourquoi existe-t-il ? La réponse est simple. Même si un gâteau plus volumineux permet de donner des morceaux plus gros à chacun, rien ne garantit que ce sera effectivement le cas pour tous. En effet, le libre-échange est une facette du régime concurrentiel qui bénéficie à l’ensemble, mais que personne n’est très incité à déve-lopper ou à améliorer, du moins pour ses propres intérêts. La concur-rence est certes bonne pour les autres, mais chacun désire pour lui-même une situation monopolistique ou cherche à protéger ses activités ou acquis. Un chapitre ultérieur sur l’économique des processus poli-tiques permettra d’expliquer la présence du protectionnisme.

L’étude de Daniel Trefler sur les effets du Traité du libre-échange Canada-États-Unis insiste sur l’opposition entre ceux qui supportent les ajustements de courte période (les travailleurs déplacés et les res-sources impliquées par la fermeture d’établissements) et ceux qui en-grangent les gains de longue période (les consommateurs et les éta-blissements efficaces) :

54 D. Goldfard et S. Tapp, How Canada Can Improve Its Development Aid. Lessons from Other Aid Agencies, Toronto: C.D. Howe Institute, avril 2006, p.20.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 124

« L’Accord de libre-échange Canada-États-Unis offre une occasion unique de mesurer les effets d’un accord commercial réciproque sur une économie industrialisée (Canada). Pour les industries qui affrontèrent les coupures de tarifs canadiens les [91] plus importantes, la contraction des établissements à faible productivité diminua l’emploi de 12% tout en aug-mentant la productivité du travail de l’industrie de 15%. Pour les indus-tries qui ont bénéficié des coupures les plus élevées des tarifs des États-Unis, la productivité du travail au niveau de l’établissement crût de 14%. » 55

Si, au Canada et au Québec, les différentes forces en présence ont entraîné durant plusieurs décennies des politiques protectionnistes, pourquoi aujourd’hui en serait-il autrement ? On ne voit pas. S’il y avait changement, il pourrait être davantage dans leurs formes d’ex-pression, lesquelles s’adapteraient aux nouvelles préoccupations, comme les présentes demandes de protection sous le couvert des poli-tiques environnementales et des normes de travail.

Il est utile de prendre conscience que la première vague de mon-dialisation eut lieu durant la période de 1870 à 1913, caractérisée par une forte expansion du commerce international, de l’investissement et des migrations. La période de 1914 à 1939 peut être qualifiée d’anti-mondialisation et de protectionnisme. La deuxième vague de mondia-lisation débuta après la deuxième guerre mondiale. Le mouvement n’est donc malheureusement pas irréversible.

5.2. Le commerce extérieur québécois depuis 1990

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En janvier 1989, entrait en vigueur le traité de libre-échange avec les États-Unis. Il est donc pertinent de faire ressortir les faits mar-quants du commerce extérieur québécois depuis 1990. Il y a une

55 D. Trefler, « The Long and Short of the Canada-U.S. Free Trade Agree-ment », The American Economic Review, vol. 94, no 4, sept. 2004,p. 870. Ce texte fut vulgarisé par V. Postrel, « What Happened When Two Coun-tries Liberalized Trade ? Pain Then Gain », The New York Times, 27 janvier 2005, p. C2.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 125

hausse considérable du commerce extérieur dans l’économie québé-coise au cours des années quatre-vingt-dix.

La figure 5-1 est éloquente là-dessus : les exportations sont passées de 47,0% du PIB en 1990 à 62,9% en 2000. Toutefois, entre 2000 et 2003, il y eut une baisse de dix unités de pourcentage.

[92]

FIGURE 5-1

ÉVOLUTION DU COMMERCE EXTÉRIEUR QUÉBÉCOISPAR RAPPORT AU PIB

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Source : B. Villeneuve. Performance du Québec sur les marchés extérieurs durant les années 1990-2003, Québec, Développement économique et régional et Recherche Québec, juillet 2004, p.25.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 126

a) L’économie québécoise s’est-elle mondialisée au cours des années quatre-vingt-dix ?

Georges Mathews, dans un texte publié en 1998, notait : « (…) les économies du ROC (Reste du Canada) et du Québec se nord-américa-nisent bien plus qu’elles ne se mondialisent ! 56. » L’évolution de la part des exportations québécoises suivant leur destination lui donne raison. (figure 5-2). La part des exportations sur le marché hors de l’Amérique du Nord est demeurée à peu près constante entre 1990 et 2003, oscillant entre 12 et 14%.

FIGURE 5-2

ÉVOLUTION DE LA PART DES EXPORTATIONS DE BIENSET DE SERVICES DU QUÉBEC PAR DESTINATION, 1990-2003

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Source : B. Villeneuve. Performances du Québec sur les marchés extérieurs du-rant les années 1990-2003, Québec : Développement économique et régional et Recherche Québec, juillet 2004, p.8.

[93]

56 G. Mathews. « L’essoufflement de l’économie québécoise face à l’écono-mie canadienne », Recherches sociographiques, vol. XXXIX, no. 2-3, no-vembre 1998, p. 381.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 127

C’est donc à l’intérieur de l’Amérique du Nord que le déplacement des parts eut lieu : la part des exportations destinées au marché des États-Unis est passée de 36% en 1990 à un sommet de 57% en 2000, avant de retomber à 51% en 2003. Cette croissance s’est faite au détri-ment de la part des exportations québécoises vers le reste du Canada.

b) Que s’est-il produit en 1993 ?

L’année 1993 présente un intérêt particulier. Avant cette date, les exportations interprovinciales excédaient les exportations québécoises aux États-Unis; après cette date, l’inverse s’est produit. Ainsi, les rela-tions économiques nord-sud sont en expansion relativement aux rela-tions est-ouest, favorisées naguère par les politiques nationales et pro-tectionnistes.

c) Pourquoi cette expansion relative vers les États-Unis ?

L’expansion considérable de la part des exportations québécoises vers les États-Unis au cours des années quatre-vingt-dix faisait suite à la mise en œuvre du Traité de libre-échange en 1989. On est donc por-té à établir rapidement un lien causal important. Ce fut certainement un facteur favorable, mais il est loin d’être le seul. Quels sont les autres ?

Premièrement, il faut regarder du côté de l’économie américaine. À l’exception de la récession du début de la décennie, les années quatre-vingt-dix furent des années de prospérité aux États-Unis et une économie en croissance entraîne une augmentation des importations. Ce facteur a eu une influence significative au cours de la période. En effet, le rapport des importations sur le PIB américain était de 10,8% en 1993, année suivant une récession, contre 15,0 en 2000. Le marché américain s’est sensiblement ouvert aux produits étrangers.

Ce point est bien reflété dans l’évolution, au cours de la décennie, de la part du Québec dans les importations de biens et de services des États-Unis (figure 5-3). Entre 1995 et 2003, la part du Québec dans les importations américaines a appréciablement diminué, même si les

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États-Unis recevaient une part croissante des exportations québé-coises.

[94]

FIGURE 5-3

PART DU QUÉBEC DANS LES IMPORTATIONS DE BIENSET DE SERVICES DES ÉTATS-UNIS, 1990-2003

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Source : B. Villeneuve. Performances du Québec sur les marchés extérieurs durant les années 1990-2003, Québec : Développement économique et régional et Recherche Québec, juillet 2004, p.10.

L’appréciation du dollar américain par rapport à la très grande ma-jorité des monnaies a favorisé l’expansion des importations améri-caines au cours de la période. À l’inverse, la dévaluation du dollar ca-nadien a été très forte, passant de 87,2 cents américains en 1991 à 67,3 en 2000 (à 63,6 cents en 2002). Une dépréciation de près de 25% en neuf ans a évidemment favorisé l’expansion des exportations expri-mées en dollars canadiens.

La parité des pouvoirs d’achat établit le taux de conversion des monnaies de deux pays (ou de plusieurs), de telle sorte qu’un même ensemble de produits ou services puisse être exprimé avec les deux monnaies. Pour ce faire, on adopte un panier identique d’environ 2500

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 129

biens et services. Pour toute la période de 1970 à 2006, les estimations de l’OCDE fixent la valeur du dollar canadien (selon la parité des pouvoirs d’achat) à une valeur se situant entre 76 et 84 cents améri-cains. Une publication de Statistique Canada donne des estimations de 81 à 84 cents américains pour la période de 1992 à 2005. 57 L’évolu-tion du taux de change durant les années quatre-vingt-dix a donc considérablement favorisé les exportations internationales cana-diennes et québécoises.

d) Pourquoi un renversement après 2000 ?

Les exportations québécoises ne se comportent pas différemment de celles de l’ensemble du Canada. Voici ce qu’affirme une étude de Statistique Canada :

[95]« Les exportations interprovinciales se portent mieux que les exporta-

tions internationales depuis 2000. Il s’agit d’un changement majeur par rapport à la situation qui existait entre 1992 et 2000, lorsque les ventes ont crû à un rythme excédant la croissance des exportations interprovinciales.

Durant les années 1990, les exportations internationales du Canada ont augmenté en moyenne de 12,4% par année, tandis que le commerce inter-provincial n’a progressé qu’à un rythme deux fois moindre, soit, en moyenne, de 6,3% par année.

Entre 2000 et 2002, les exportations interprovinciales ont crû à un rythme plus lent mais encore solide de 3,2% par année, alors que les ex-portations internationales du Canada ont reculé, en moyenne de 2,1% par année.

Malgré cela, en 2002, les ventes de biens et de services à l’étranger ont été près de deux fois supérieures aux exportations interprovinciales.

En 2002, le total des exportations interprovinciales a représenté environ un cinquième de l’ensemble de la production économique du

57 J. Temple, Parités de pouvoir d’achat et dépenses réelles, États-Unis et Canada, 1992 à 2005, Ottawa : Statistique Canada, no 13-604, février 2007, p. 12. Pour les estimés de l’OCDE,voir http://www.oecd.org/dataoecd/61/56/1876133.xls

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 130

Canada, telle que mesurée par le produit intérieur brut. Cette propor-tion est pratiquement la même que celle enregistrée en 1992. Toute-fois, les exportations internationales ont représenté 38% du PIB en 2002, en hausse substantielle par rapport au taux de 26% enregistré dix ans plus tôt. 58 »

Entre 2000 et 2003, il y eut un renversement de la tendance crois-sante des exportations québécoises vers les États-Unis et décroissante vers le reste du Canada. Cette coupure s’explique en bonne partie par une croissance du PIB réel plus élevée au Canada qu’aux États-Unis, chaque année entre 1999 et 2002 et d’autre part par une croissance économique anémique aux États-Unis en 2001 et 2002. D’ailleurs, le rapport des importations sur le PIB des États-Unis était de 14,0% en 2003 contre 15,0 en 2000.

Comme le Canada demeure un petit pays sur la scène internatio-nale, la valeur de sa monnaie fluctue considérablement dans le temps. Depuis 1950, par rapport à la devise américaine, sa valeur maximale fut de 1,0614 $US en août 1957 et un minimum de 0,6179 en janvier 2002. Après avoir atteint 0,65 en janvier 2003, le dollar canadien connut une croissance rapide de sa valeur : en mai 2003, il valait 0,70 $ US; en octobre 2003, 0,75; en octobre 2004, 0,80; et en sep-tembre 2005, il atteignait 0,85 $US.

De telles fluctuations ont des répercussions considérables sur la production et la rentabilité des secteurs exportateurs et cela a évidem-ment [96] une influence sur la rémunération comparée des tra-vailleurs. La figure 5-4 présente l’évolution de la rémunération horaire moyenne canadienne en pourcentage de celle des États-Unis exprimée en devise « identique ». Il en résulta, pour la période de 1994 à 2002, une expansion considérable du secteur manufacturier qui utilise da-vantage le travail et une contraction par la suite.

FIGURE 5-4

58 C. Byrd et P. Généreux. La performance des exportations interprovinciales et internationales des provinces et territoires depuis 1992, Ottawa : Statis-tique Canada, nº De cat. 11-621-MIF, 2004, p.1.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 131

RÉMUNÉRATION HORAIRE CANADIENNEPAR RAPPORT AUX ÉTATS-UNIS

SECTEUR MANUFACTURIER EN DEVISE IDENTIQUE

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Source : R. Hogue et al. ,Manufacturing in Canada. Toronto: BMO Capital Mar-kets, février 2007, p. 9.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 132

[97]

FIGURE 5-5

VARIATION DE L’EMPLOI DANS LE SECTEUR MANUFACTURIERDE 1995 À 2002, EN %

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Source : J. E. Hilsenrath et R. Buckerman. “Factory Employment Is Falling World-Wide”, The Wall Street Journal, 20 octobre 2003, p.1.

e) Effet de la croissance des exportations sur le secteur manufacturier

Le chapitre précédent analysait la part décroissante de l’emploi du secteur manufacturier. Comme l’indique la figure 5-5, le Canada connut entre 1995 et 2002 une croissance de 22% de l’emploi dans ce secteur, performance qui contraste avec la stabilité ou la perte d’em-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 133

plois dans la très grande majorité des pays. Au cours de la même pé-riode, les secteurs qualifiés de mous, comme le meuble, le vêtement, les textiles et le plastique, ont connu des taux de croissance de leurs exportations très élevés (tableau 5-3), résultat de la croissance améri-caine et de la baisse du dollar canadien.

[98]

TABLEAU 5-2

CROISSANCE ANNUELLE MOYENNE DES EXPORTATIONSDE CERTAINES INDUSTRIES QUÉBÉCOISES

ENTRE 1995 ET 2002

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Meuble 16,6%

Produits en caoutchouc 15,5%

Habillement 13,3%

Produits textiles 13,1%

Produits en matière plastique 11,5%

Aliments 11,3%

Total des exportations de marchandises 5,0%

Source : J.-P. Furlong. Le commerce extérieur du Québec, présentation à l’Uni-versité Laval, 26 janvier 2004, diapositive 21.

Toutefois, cette bonne performance, au cours des années quatre-vingt-dix, du secteur manufacturier canadien et québécois a entraîné la nécessité d’ajustements plus importants pour faire face au contexte du milieu de la présente décennie : un dollar canadien moins sous-évalué par rapport à la théorie de la parité des pouvoirs d’achat et une concurrence plus vive des pays asiatiques, qui ont un surplus relatif de main-d’œuvre, particulièrement au moment où a pris fin l’Accord multifibres, le premier janvier 2005.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 134

5.3. L’effet frontière

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On a déjà mentionné qu’en 1993, les exportations interprovinciales du Québec égalaient approximativement ses exportations aux États-Unis. Cependant, les marchés des régions acheteuses n’avaient pas la même importance pour les citoyens de chaque région. Prenons le cri-tère simple de la population : en 1993, la population américaine totali-sait 260,3 millions contre 21,7 pour le ROC. Les exportations québé-coises par « habitant-acheteur » étaient donc douze fois plus élevées pour le ROC que pour les États-Unis. 59

Dans une publication de 1995, John McCallum applique un modèle de gravité pour estimer l’effet frontière. Ce modèle postule que la va-leur des échanges entre deux territoires est directement proportion-nelle à leurs économies et inversement proportionnelle à leur éloigne-ment. Sa conclusion est la suivante :

[99]

« (…) toutes les autres choses étant égales par ailleurs, le commerce entre deux provinces est plus que 20 fois plus considérable que le com-merce entre une province et un état [ 3,1416 exp. 3,09 = 22 ]. L’intervalle de confiance de cette estimation (deux écarts-types) est de 17 à 29. 60 »

59 Un paragraphe déjà cité du texte de Mathews est fort intéressant :« Une donnée aussi simple qu’étonnante continue tout de même d’illus-

trer la profondeur des liens économiques qui se sont tissés au fil du temps entre le Québec et le reste du Canada. En 1995, les exportations québécoises vers les quatre provinces de l’Atlantique, dont la population totale ne dé-passe pas 2,3 millions d’habitants, équivalaient à celles destinées à toute l’Europe occidentale, marché aussi riche que le marché américain. ».

G. Mathews, op. cit., p. 382.60 J. McCallum. “National Borders Matter : Canada - U.S. Regional Patterns”,

The American Economic Review, vol. 85, nº 3, juin 1995, p.616.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 135

L’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis aurait ramené l’effet frontière à une valeur approximative de 12 en 1993 et de 10 en 1996. 61

D’une façon rapide, Jules Dufort a calculé pour 2000 l’effet fron-tière à partir de l’échange des biens du Québec. Voici ses conclu-sions :

« (…) l’effet frontière sur les échanges de biens du Québec avec l’On-tario par rapport aux échanges du Québec avec l’État de New York se si-tue entre sept et neuf. De la même façon, l’effet frontière sur les échanges du Québec avec la Colombie-Britannique par rapport aux échanges du Québec avec la Californie se situe aux environs de onze (…) l’effet fron-tière sur les échanges du Québec avec les provinces atlantiques par rapport aux échanges du Québec avec la Nouvelle-Angleterre se situe entre six et sept. » 62

Comme cela est normal en recherche, des travaux ont vite dévoilé les limites du modèle de gravité utilisé par McCallum : réduction de l’effet si l’on adopte une version multilatérale plutôt que bilatérale; très grande sensibilité à tout facteur d’un petit pays qui favorise le commerce intranational. 63 Ce dernier point est très bien explicité dans l’étude de Mark Brown. 64 Comme aux États-Unis, les échanges entre états sont environ deux fois plus importants que les échanges trans-frontaliers; la valeur deux devient une estimation grossière de l’effet frontière. Au Canada, les échanges interprovinciaux sont environ 12 fois plus importants que les échanges transfrontaliers, d’où une esti-mation de 12. Brown conclut :

61 J. H. Helliwell et L. L. Schembi. « Frontières, monnaies communes, com-merce et bien-être : que pouvons-nous déduire de l’observation des faits », Revue de la Banque du Canada, printemps 2005, p. 28, note 13.

62 J. Dufort. L’effet frontière : illustration à partir d’échanges du Québec, Québec : Développement économique et régional et Recherche Québec, 12 mai 2004, p. 1-2. L’auteur se limite aux échanges de biens. L’effet frontière est sensiblement plus élevé pour les services : les services représentaient en 2005 13,8% des exportations internationales du Québec contre 38,8% des exportations interprovinciales.

63 Voir Helliwell et Schembi, op. cit. , pp. 27-30.64 W. M. Brown. Vaincre les distances, vaincre les frontières  : comparaison

des échanges régionaux en Amérique du Nord, Ottawa : Statistique Canada, nº de cat. IIF0027MIF, avril 2003, 31 p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 136

« La leçon à tirer de ceci est que la mesure de l’effet de frontière dépend crucialement de la valeur de référence choisie pour évaluer les flux transfrontaliers. 65 »

5.4. Causes possibles de l’effet frontière

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La mesure de l’effet frontière confirme qu’il est sensiblement plus facile de transiger à l’intérieur d’un pays qu’avec l’extérieur. Cet effet est réel, mais il est difficile de lui donner une valeur précise.

[100]Il y a deux causes possibles au phénomène : a) l’existence d’en-

traves au commerce ou de coûts limitant les transactions internatio-nales; b) l’incidence favorable au commerce intérieur des préférences des acheteurs, combinée à la grande efficacité des réseaux locaux de transport et de communication.

S’appuyant sur des données sectorielles, Brown penche du côté des entraves au commerce :

« Les résultats montrent que l’effet de freinage qu’exerce la frontière sur les échanges varie considérablement selon la branche d’activité. C’est pour les aliments, les textiles, l’habillement, les produits en cuir et la fabri-cation des produits métalliques que l’influence de la frontière est la plus prononcée. En 1993, à l’exception, peut-être, de la fabrication de produits métalliques, on observait encore d’importants obstacles tarifaires et non tarifaires au commerce pour ces branches d’activité. Pour celles où le Ca-nada jouit d’un avantage relativement plus important en ce qui a trait aux facteurs de production (bois et produits en bois, et produits en papier) ou celles pour lesquelles les obstacles au commerce ont été éliminés depuis une période assez longue (matériel de transport), l’effet de frontière est faible et, dans le cas du matériel de transport, ne diffère pas significative-ment de zéro. Ces résultats donnent à penser que la frontière ne représente pas systématiquement un obstacle au commerce dans toutes les branches d’activités et que son influence sur les échanges est liée, du moins en par-

65 Id. p.16.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 137

tie, aux politiques commerciales mises en œuvre par les gouvernements des deux côtés de la frontière. » 66

Sans être catégoriques, Helliwell et Schembi prennent davantage le parti de la deuxième cause de l’effet frontière :

« (…) l’intensité relativement grande du commerce intérieur reflète peut-être l’adaptation réussie des biens produits localement aux goûts des consommateurs nationaux et les avantages de l’utilisation des réseaux lo-caux d’information et de transport sur le plan des coûts.

L’observation selon laquelle le revenu par habitant des petits pays membres de l’OCDE n’est pas beaucoup moins élevé que celui des grands pays membres suppose que le partage des valeurs nationales, des mêmes institutions et des mêmes réseaux joue un rôle important dans l’obtention d’un niveau de vie relativement élevé et qu’il est peu probable qu’une intensification du commerce entre les pays industrialisés entraîne une hausse significative du PIB par habitant. Cela incite à penser que les effets frontières ne constituent pas des obstacles coûteux qu’il faut supprimer. Le même raisonnement s’appliquerait aussi [101] aux unions monétaires conclues entre ces pays : celles-ci ont peu de chances, pour des raisons analogues, de donner lieu à une progression sensible du PIB par habi-tant. » 67

La présence d’entraves au commerce international, y compris les risques reliés au taux de change, m’apparaît le facteur le plus puissant d’un effet frontière. 68

66 Id. p.15.67 Helliwell et Schembi, op. cit., pp. 34-35.68 Une étude de l’effet frontière dans les prix conclut :

« Après avoir enlevé l’effet du taux de change, les différentiels interna-tionaux de prix (entre le Canada et les États-Unis) se comportent d’une fa-çon similaire aux différentiels de prix intranationaux. Si une frontière existe, la frontière est le taux de change nominal. »

Y. Gorodnichenko et L. Tesov, A Re-Examination of the Border Effect, Cambridge MA : NBER, Working Paper no. 11706, oct. 2005, p. 19.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 138

5.5. Conclusion

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La grande ouverture de l’économie québécoise est donc à la fois une source de richesse et une exigence de conservation du caractère flexible de son économie. En plus de s’adapter au progrès technolo-gique, elle doit affronter les divers changements internationaux, afin de mieux se positionner du point de vue de la division internationale du travail. Les rigidités ont dans ce contexte des coûts élevés.

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[102]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 139

[103]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 6Hydro-électricité

et richesses naturelles

L'efficacité économique s'intéresse à l'accroissement de la richesse ou, si l’on veut, à l'augmentation du gâteau collectif. Pour ce qui est des richesses naturelles, elle requiert qu'elles soient utilisées de façon à maximiser leur avantage et non à le dissiper. C'est le thème central de l'économique des ressources naturelles.

6.1. Un exemple de dissipation de la valeur d'une ressource

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Si, très loin des côtes, un énorme banc de poissons est découvert, il n'appartient à personne et aucun règlement ne vient limiter la récolte permise. Dans de telles conditions, cette ressource ne sera pas exploi-tée de façon optimale. Il y aura surpêche. En effet, chaque pêcheur n'est pas incité à pêcher avec modération puisque son action n'a pas d'effet sur l'ensemble des prises. Tout poisson épargné irait aux autres. La valeur de cette ressource sera donc dissipée rapidement par sa surexploitation.

À l'exemple du propriétaire qui entretient sa résidence pour en ac-croître la valeur, même dans le cas où il compte la vendre dans un dé-lai plus ou moins court, le propriétaire d'un banc de poissons aurait tout intérêt à éviter la surpêche, qui réduit la valeur de la ressource en ne tenant pas compte du futur. Ses intérêts l’incitent à préserver la res-source, source de profits futurs pour lui.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 140

[104]La question est donc toute simple : comment se comporter en bon

gestionnaire de ressources ? Comment ne pas en dissiper la valeur ?

6.2. Comment maximiser la valeur d’une ressource ?

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Même si leur application affronte diverses complications, les prin-cipes à suivre pour maximiser la valeur d'une ressource sont faciles à comprendre. Premièrement, il faut allouer la ressource au plus haut soumissionnaire, celui qui maximisera le profit ou le surplus. Le ges-tionnaire idéal devra par exemple maximiser les revenus. Si la vente d'un kilowattheure (kWh) supplémentaire procure 5 sous quand il est destiné à l'usage domestique et 10 sous s’il est exporté, le refus d'ex-porter devient une source d'appauvrissement.

Il semble bien que peu de Québécois s’emballent pour l'application de ce principe si simple : on y trouve une aversion à l’égard de l’ex-portation d'électricité. Un énoncé de politique économique du gouver-nement du Québec a déjà été explicite à ce sujet :

"Il va de soi que ces quantités excédentaires /d'électricité/ pourraient être facilement exportées à l'étranger mais dans le contexte de la situation économique actuelle il est plus logique d'utiliser ces ressources afin d'im-planter de nouvelles entreprises et de créer au Québec des effets écono-miques bénéfiques". 69

Dans les années qui suivirent, le gouvernement a décidé, au lieu d'exporter directement l'électricité à prix élevé, de l'exporter indirecte-ment à bas prix par la voie des lingots d'aluminium. 70

Le deuxième principe nécessaire à l'utilisation optimale d'une res-source consiste à s'assurer que tout emploi d'une ressource ou d'un produit entraîne un avantage au moins égal au coût de sa production. Dans le cas contraire, il y a gaspillage.69 Gouvernement du Québec, Comité ministériel permanent du développe-

ment économique, Bâtir le Québec : énoncé de politique économique, Qué-bec, 1979, p. 381.

70 G. Bélanger et J.T. Bernard, "Alumineries, source de pauvreté pour le Qué-bec", Le Soleil, 16 nov. 1989, p. A-11.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 141

Comme les décisions de consommer davantage ou de restreindre la consommation affectent les dernières unités produites, les unités dites marginales, il faut considérer l'économie engendrée par la suppres-sion de la dernière unité produite, ou, à l’inverse, le coût entraîné par la production d’une unité supplémentaire.

Par exemple, si un kilowattheure (kWh) supplémentaire coûte 10 ¢/kWh et qu'il est vendu au prix de 5¢/kWh, il y a un gaspillage, puisque [105] l’avantage pour des utilisateurs est inférieur au coût de production pour la société. Le coût de 10 ¢/kWh représente la valeur xxx des ressources qui pourraient être employées pour d'autres activi-tés. Celles-là vaudraient 10 cents et l’on gaspille en les utilisant pour produire un kilowattheure qui ne vaut que 5 cents. Suivant la même logique, un emprunteur s'appauvrit si le taux de rendement résultant de l'usage du montant emprunté n'est pas supérieur au taux exigé par le prêteur.

Pour éviter un gaspillage de cette nature, il est donc nécessaire que l'entreprise vérifie si l'augmentation du revenu qu’on obtiendrait en construisant un nouveau barrage en vaut la dépense. Dans une écono-mie décentralisée, où chaque agent économique est libre de choisir son panier de consommation en fonction des prix relatifs des produits, tout en respectant ses limites budgétaires, l'absence de gaspillage est assurée par le recours à une tarification au coût marginal. Les consom-mateurs prennent alors leurs décisions en fonction des vrais coûts qu'entraîne une variation de leur consommation. Chacun devient res-ponsable des coûts engendrés par ses actions. Ces décisions concernent par définition des unités produites « à la marge » et c'est pourquoi la règle doit être la tarification au coût marginal.

6.3. Coût moyen et coût marginal

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L’histoire suivante est un peu compliquée, mais elle est très ins-tructive. Le 31 décembre 2003, 93,7% de la puissance électrique dis-ponible au Québec était de source hydraulique. L'abondance des sites à exploiter a permis un coût de production moyen bas. À cette même

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 142

date, 5,1 des 42,9 GW de la puissance totale disponible (ou 11,9%) provenaient des Chutes Churchill.

En 1969, Hydro-Québec et Churchill Falls (Labrador) Corporation avaient signé un contrat d'une durée de 65 ans en vertu duquel Hydro-Québec s'est engagé à acheter la quasi-totalité de la production de la centrale de Churchill Falls à partir de 1976. Le prix à la frontière du Québec et du Labrador est d'environ 0,35¢/kWh. La province de Terre-Neuve a tenté de rouvrir ce contrat, mais la Cour Suprême du Canada en a confirmé la validité. 71

[106]Les centrales de la Baie James représentaient en 2003 une capacité

de 16,0 GW (ou 37,3% de la puissance totale disponible). À la fin de 2004, un article de journal affirmait :

"Hydro-Québec vient de révéler pour la première fois que son coût moyen pour produire de l'électricité à la Baie James est de seulement 1,58 cent le kilowattheure". 72

Il faut en outre savoir que la loi de la Régie de l'énergie oblige la société d'État à réserver un bloc d'énergie de 165 térawattheures (TWh) pour ses clients du Québec, ce qui comprend les commerces et les industries, à un prix fixe de 2,79¢ le kWh (le bloc patrimonial).

Ces différentes données montrent bien à quel point les coûts moyens de la production hydro-électrique sont bas au Québec. Est-ce le cas pour le coût marginal, c’est-à-dire le coût de l’unité supplémen-taire qu’on pourrait ajouter à la production ? Le Québec conserve-t-il à la marge son avantage comparatif dans la production de l'électricité, grâce à ses abondantes ressources hydrauliques ?

On peut répondre rapidement à ces deux questions par la négative sans faire d'études approfondies. Pour l'augmentation de la capacité

71 Le faible prix de l’électricité en provenance de Churchill Falls doit être mis dans le contexte du milieu des années soixante, alors que des spécialistes entrevoyaient un engouement pour l’énergie nucléaire à de très bas prix. Ce chapitre analyse peu les fluctuations appréciables du prix des ressources, provoquées principalement à court terme par les variations de la demande et à long terme par les changements qui modifient l’offre, comme le progrès technologique et les craintes environnementales.

72 H. Baril, "1,58 cent le kilowattheure. L'électricité de la Baie James, une aubaine pour Hydro-Québec", La Presse, 22 déc. 2004, p. A-1.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 143

disponible, trois sources se concurrencent : l'hydraulique (nouveaux barrages), le thermique par le recours au gaz naturel, puis les éo-liennes. La source hydraulique n'est plus le choix incontestable, ce qui témoigne que le Québec a perdu à la marge son avantage comparatif dans l'hydro-électricité.

Présentement, le coût marginal de la production de l'électricité se situe approximativement entre deux et trois fois le prix du bloc patri-monial de 2,79¢ (donc entre 5,5 et 8,5 cents). Une tarification orientée vers le coût marginal signifierait une augmentation substantielle des tarifs et un accroissement significatif des recettes du gouvernement du Québec, le seul actionnaire d'Hydro-Québec. Bien entendu, on rédui-rait ainsi de façon considérable l’infériorité des prix de l'électricité du Québec par rapport aux autres régions comme la Nouvelle-Angleterre et l'ensemble des États-Unis (tableau 6-1).

Le tableau 6-2 présente, dans la dernière colonne, le coût unitaire pour diverses sources de production d’électricité. Il est vrai que les coûts unitaires des centrales existantes sont très faibles, ce qui est d’ailleurs reflété dans le contrat d’électricité patrimoniale [107] qui entre dans la tarification de l’électricité, soit 2,79¢/kWh. Par contre, les projets en cours de réalisation ont des coûts plus élevés allant de 5,0 à 8,3¢/kWh. Pour les projets à l’étude, les coûts anticipés sont de l’ordre de 10,0¢/kWh. Notons que les coûts n’incluent pas les frais de transport et de distribution.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 144

TABLEAU 6-1

COMPARAISON DU PRIX DE VENTE MOYEN DE L'ÉLECTRICITÉ 73

PAR SECTEUR DE CONSOMMATION, QUÉBEC, OUVELLE-ANGLETERRE ET ÉTATS-UNIS, 2002,

N CENTS PAR KWH

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QUÉBEC NOUVELLE-AN-GLETERRE

ÉTATS-UNIS

Secteur résidentiel 6,10 17,52 13,24

Secteur commercial 6,49 15,36 12,45

Secteur industriel 3,76 11,71 7,60

Source : Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs, L'éner-gie au Québec, Édition 2003, Québec, 2004, p. 41.

73 Ce prix correspond au revenu moyen (revenus divisés par les ventes) et ne comprend pas les taxes à la consommation.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 145

TABLEAU 6-2

COÛTS DE PRODUCTION DE L’ÉLECTRICITÉ AU QUÉBEC

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Capacité(MégaW)

Énergie(TéraWh)

Coût unitaire(¢ par kWh)

1- Contrat d’électricité patrimoniale 37 442 165,0 2,79

2- Projets en cours de réalisation

Eastmain-IA et dérivation Rupert 888 8,5 5,0

Projets de moyenne taille a 1 035 6,1 6,0-8,0

Énergie éolienne 990 3,0 8,3

3- Projets de grande taille à l’étude

La Romaine, Petit-Mécatina et autres projets 4 500 23,6 ~10,0

a Mercier, Eastmain-I, Chute-Allard, Rapide-des-Cœurs, Péribonka

Source : Hydro-Québec, Plan stratégique 2006-2010,

http://www.hydroquebec.com/publications/fr/plan_strategique/2006-2010/pdf/complet.pdf.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 146

[108]

6.4. Une ressource peut-elle être source de perte ?

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Aussi étrange que cela puisse paraître, une ressource peut être une source de perte pour son propriétaire. Cette situation ressemble à un héritage mal défini dont les présumés héritiers dilapident le tout en frais légaux et en ressentiments personnels. Une situation comparable existe au Québec.

a) Les ressources forestières

En 2004, les ressources forestières n'étaient pas pour le gouverne-ment du Québec une source nette de recettes. Elles s'avéraient, vu les différents programmes de subventions, une source de dépenses nettes estimées à 94,5 millions de dollars en 2003-2004 (soit des dépenses de 463,2 millions contre des revenus de 368,7). La rente de la forêt dis-paraissait. 74

74 « En 2006-2007, l'État a déboursé 69 millions de plus pour l'exploitation de la forêt qu'il n'en a reçu des entreprises forestières en redevances et en pro-fits. Pour le prochain exercice, l'industrie de la forêt coûtera 118 millions de plus qu'elle ne rapportera au Trésor public, selon les chiffres obtenus du ministère des Finances » H. Baril, « La forêt publique est déficitaire »,La Presse, 21 février 2007, p.A10.

La Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise (Commission Coulombe) a insisté sur l’absence d’analyse de rentabilité des travaux sylvicoles :

« Depuis 1970, l’équivalent de 2,76 milliards $, en dollars constants de 2002, ont été investis par le Gouvernement pour des travaux sylvicoles dans les forêts publiques du Québec… et quelque 160 millions $/an depuis 2000…

De façon générale, la rentabilité privée des travaux sylvicoles n’est pas démontrée…

Compte tenu de l’importance des investissements en cause, le fait que les rendements ligneux et économiques des travaux sylvicoles n’aient pas fait l’objet d’un suivi suffisamment exhaustif et rigoureux pour en permettre d’en évaluer la rentabilité est très surprenant. Une explication possible tient

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 147

La forêt publique québécoise est gérée de façon semblable à celle qu’utilisait l’ancienne Union soviétique. Il n’y a pas de marché libre pour le bois récolté sur les terres publiques. Chaque usine de transfor-mation se voit affecter par l’état une certaine quantité. Toute modifi-cation, si mineure soit-elle, demande une approbation ministérielle.

Quel en est le résultat ? Cette gestion aboutit à une affectation inef-ficace du bois entre les usines, ce qui entraîne, sur le territoire, un sau-poudrage d'établissements de faible taille qui ont des coûts de produc-tion relativement élevés et un retard à se moderniser 75. Le système favorise le statu quo au lieu de l’adaptation à un environnement évolu-

au fait que l’objectif d’accroissement des rendements ligneux n’était pas le seul ou encore ne constituait pas l’objectif premier des travaux sylvicoles lorsque ceux-ci ont débuté.44 D’autres objectifs de nature sociale étaient sans doute poursuivis…

D’ailleurs, le contraste entre le peu d’analyses de rentabilité écono-mique, même dans une perspective d’évaluation de la rentabilité relative, et la multitude d’analyses portant sur les retombées économiques témoignent de la grande confusion dans l’établissement des objectifs. » Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise, Rapport, Québec, déc. 2004, pp. 178-179.

Un objectif implicite important des travaux sylvicoles est le transfert du fardeau des personnes non qualifiées du programme provincial de la sécurité du revenu au programme fédéral d’assurance emploi.

75 L’extrait suivant d’une entrevue de l’ancien chef de direction de Tembec, Frank Dottori, résume très bien la situation.

"Je me souviens très bien de l’époque où toutes les petites villes du Qué-bec voulaient leur moulin à scie. Elles l’ont eu… même dans des régions où il n’y avait pas assez de bois pour l’alimenter ! Cela s’appelle-t-il gérer en pensant au bien-être de la population ? Au Québec, la forêt n’est pas une industrie, c’est une question sociale et politique. Cela explique bien des choses.

"Comparez les régions où il y a davantage de forêts privées, comme au Nouveau-Brunswick, où la société Irving possède de grandes concessions. On n’y trouve pas les mêmes problèmes de surexploitation. Ici, nous sommes locataires et le gouvernement est propriétaire. Est-ce au locataire de peindre et d’effectuer les travaux de rénovation ? Non. L’entretien est la responsabilité du propriétaire. Et si ce dernier juge que des travaux s’im-posent pour assurer la pérennité de l’immeuble, il augmente le loyer, et le locataire assume cette hausse. Alors, qui faut-il blâmer pour le gâchis fores-tier ?"

D. Bérard, "Le missionnaire de Tembec", Commerce, vol. 107, no 5, mai 2006, p. 87.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 148

tif. La gestion publique ou politique des forêts a donné le même résul-tat que pour les pêches : une surexploitation de la ressource.

Une étude des redevances exigées pour les bois sur pied des forêts publiques du Québec entre 1901 et 1986 conclut ainsi :

"En effet, contrairement au discours, les redevances qui ont été exigées entre 1901 et 1986 ne semblent pas correspondre à la valeur d'échange des bois sur pied. Elles ne semblent pas non plus avoir favorisé une utilisation efficace de la ressource. Les faibles taux des redevances semblent surtout avoir stimulé la consommation de matière ligneuse. Ces constats révèlent qu'il faudra être prudent dans l'avenir concernant les [109] forces du lob-bying. Si ces forces continuent à motiver les agents gouvernementaux, le système de tarification adopté en 1987 risque d'être soumis aux mêmes forces que précédemment. Si la tendance se poursuit, la valeur marchande des bois sur pied aura tendance à s'écarter de la valeur d'un véritable prix. D'après l'étude réalisée pour l'ensemble de la période s'étalant du début du siècle jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau régime forestier en 1986, les prix semblent avoir favorisé les demandeurs." 76

Le Québec, l’Ontario et la Colombie-Britannique s’opposent à un marché libre pour le bois. En 1900, l’Ontario interdisait l’exportation de bois rond provenant des terres publiques et le Québec suivit en 1909. Ces mesures continuent d’exister et les gouvernements provin-ciaux s’opposent à leur abolition. Cet interdit dissipe la rente ou la valeur de la ressource forestière : au lieu d’offrir le bois au plus of-frant, le gouvernement impose sa transformation.

b) L’hydroélectricité

Au cours de la période 1986 à 1991, Hydro-Québec obtint des pro-fits « économiques » négatifs : le taux de rendement sur l'avoir de son seul actionnaire, le gouvernement du Québec, était en effet inférieur au rendement de placements alternatifs. Comme l'indique le tableau 6-3, le gouvernement a obtenu, pour chacune de ces six années, un ren-

76 L. Rousseau, Évolution de l'intervention gouvernementale concernant la fixation des redevances exigées pour les bois sur pied des forêts publiques du Québec entre 1901 et 1986 (mémoire de maîtrise), Québec : Faculté des études supérieures, Université Laval, avril 1995, p. 114.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 149

dement sur les fonds investis dans Hydro-Québec qui fut inférieur à celui d'un placement très liquide et peu risqué, comme les Bons du Trésor de 30 jours du gouvernement fédéral.

TABLEAU 6-3

RENDEMENT SUR L'AVOIR PROPRE D'HYDRO-QUÉBECET SUR LES BONS DU TRÉSOR 1985-1991 (EN %)

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1986 1987 1988 1989 1990 1991

Avoir propre d'Hydro-Québec 4,4 7,0 8,0 7,0 4,8 8,4

Bons du Trésor 9,0 8,1 9,5 12,1 12,8 8,7

Source : Hydro-Québec, Rapport annuel 1991, Montréal, 1992, p. 62; Ministère des Finances, Quarterly Economic Review, Ottawa, juin 1991, p. 127.

Si le faible taux de rendement d'Hydro-Québec était la consé-quence d'un simple transfert ou d'un don de l'entreprise aux résidents du Québec, les conséquences seraient mineures. Ce n'est [110] toute-fois pas le cas, car pour faire cette espèce de don, les agents doivent gaspiller l'électricité en l'utilisant à des fins dont les avantages sont inférieurs aux coûts. C'est ce qu’on appelle la dissipation de la rente de la ressource, c'est-à-dire la dissipation d’un transfert ou d’un don potentiel.

6.5. Diverses façons de dissiper la rente

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Le phénomène de la dissipation de la rente se présente de diverses façons : gaspillage en surconsommation par les différentes catégories de consommateurs et coûts de production excédentaires.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 150

a) La dissipation de la rente dans le secteur domestique

L’adoption d'un tarif domestique inférieur au coût marginal en-traîne un gaspillage de l'électricité au niveau de la consommation. On peut citer comme exemple le chauffage des résidences, où la supréma-tie de l'électricité est incontestable. En 1972, soit l'année qui a précédé la première crise pétrolière, seulement 8,0% des logements étaient chauffés à l'électricité contre 81,9% au pétrole. En 2001, l'électricité était utilisée dans 69,9% des logements et le pétrole, dans 17,1% d'entre eux seulement. La part des logements chauffés au gaz naturel est demeurée assez stable, soit 6,3% en 1971 contre 6,1% en 2001. 77

La figure 6-1 présente, pour les différentes formes d'énergie, le coût annuel du chauffage à Montréal pour une maison individuelle de 160m2 au cours de la période du 1er avril 2001 au 31 mars 2002. Du point de vue du consommateur, en tenant compte du coût d'acquisition et d'installation des équipements et des frais d'entretien, deux sys-tèmes se disputent le rang du meilleur choix : l’électricité et la biéner-gie (électricité-mazout léger). La très grande popularité du chauffage électrique dans les résidences québécoises ne doit donc pas sur-prendre : pour l'individu, c'est le meilleur choix.

77 Ministère de l'Énergie et des Ressources, L'énergie au Québec, édition 1991, Québec, 1991, p. 11 et Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs, L'énergie au Québec, édition 2003, Québec, 2004, p. 14.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 151

[111]

FIGURE 6-1

COÛT ANNUEL DU CHAUFFAGE À MONTRÉALPOUR UNE MAISON INDIVIDUELLE DE 160M2 POUR LA PÉRIODEDU 1er AVRIL 2001 AU 31 MARS 2002 (EN DOLLARS COURANTS)

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Source : Ressources naturelles Québec, Question d'énergie, vol. 2, nº 3, juin 2002, p. 1.

Qu'en est-il pour la société ? Il est clair que les tarifs établis consti-tuent de véritables subventions au chauffage électrique au Québec et que cela a considérablement favorisé sa popularité. Mais il faut aussi considérer un autre élément : le coût de l’équipement nécessaire à la production. À cet égard l’électricité est le moyen de chauffage le plus coûteux parce qu'elle demande un capital de pointe accru provenant d'installations à coûts variables élevés et qui ne servent que pour une période limitée (exemple : des installations de production d’électricité à partir du mazout). Les coûts marginaux estimés en 1991 pour la pro-duction de l'électricité dans le secteur résidentiel étaient les suivants :

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 152

47¢/kWh pour la période de pointe (les 330 heures en hiver alors que la demande est la plus élevée); 3,7¢/kWh pour la période intermé-diaire (durée de 331 à 4344 heures par an); enfin, 2¢/kWh pour la pé-riode de base, (entre 4345 et 8760 heures par an). 78

Les estimations de 1991 reflètent la situation d’une économie plu-tôt autarcique. L'expansion du commerce de l'électricité avec d'autres juridictions permet de réduire le coût de la demande de [112] pointe de l'hiver. Au Québec, la pointe de la demande se situe en hiver, tan-dis qu'ailleurs la pointe est provoquée par la climatisation lors des journées chaudes. Le commerce permet une meilleure utilisation des capacités de production des différentes juridictions et est source de richesse pour tous.

6.6. La dissipation de la rente par la venue d'entreprises énergivores

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Les prix relativement bas de l'électricité au Québec, par rapport à l'Amérique du Nord, ont favorisé l'implantation d'entreprises énergi-vores. Le meilleur exemple est celui des alumineries. En 2001, le Québec était le quatrième producteur mondial d'aluminium primaire (après la Chine, la Russie et les États-Unis) et le deuxième exportateur (après la Russie). 79 Le Québec comptait dix des onze usines cana-diennes.

À la fin des années quatre-vingt, le programme d'aide à l'implanta-tion des électrotechnologies et les contrats de partage des risques et des bénéfices offerts par Hydro-Québec ont favorisé l'expansion du secteur au Québec : deux nouveaux producteurs : Lauralco à Des-chambault et Alouette à Sept-Iles; et deux expansions majeures, ABI à Bécancour et Reynolds à Baie-Comeau.

78 Bernard, J.-T., "Compétition électricité/gaz naturel au Québec", Energy Studies Review, vol. 4, nº 2, 1992, p. 117-127.

79 Pour information, se référer à Développement économique et régional Québec, Filière industrielle de la transformation de l'aluminium au Québec, Québec, mai 2003, 75 p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 153

Le Québec possède une frontière commune avec le nord-est améri-cain, région où la production d'électricité est surtout de source ther-mique et où l'électricité est vendue à des prix deux à trois fois plus élevés que dans la province. L'exportation d'électricité est donc une option réaliste pour le Québec. Une étude a estimé qu'Hydro-Québec réaliserait des profits additionnels de l'ordre de 300 millions de dollars par an (en dollars de 1990) si l'électricité vendue aux quatre nouvelles alumineries avait été exportée au nord-est américain. 80 Il s'agit donc d'un subside indirect qui favorise une forme d'exportation d'électricité (par l’aluminium) qui est plus coûteuse que l'exportation directe. Les subventions indirectes par emploi-année dont les alumineries bénéfi-cient (en payant un prix inférieur au prix à l'exportation) étaient esti-mées à ce moment-là à 190 577 $. Cette subvention existe, année après année, depuis vingt-quatre ans.

[113]Le tableau 6-4 indique que les alumineries, grâce à leur grande mo-

bilité, ont réussi à obtenir pour l'électricité des prix inférieurs aux ta-rifs industriels moyens, un peu partout dans le monde. On peut se de-mander s’il est possible d'argumenter qu'il est nécessaire pour le Qué-bec de baisser ses prix pour faire face à la concurrence, s'il veut attirer « sa part » d'alumineries ? Ce raisonnement est toutefois sans fonde-ment. Le Québec a l'avantage d'être situé à côté d'une région où l'élec-tricité est vendue à des prix beaucoup plus élevés. Cette situation n'est pas nécessairement celle de tous les pays qui produisent de l'électricité à faible coût, comme l'Australie, l’Islande et des pays du Moyen-Orient. Le Québec n'a pas à imiter ces autres régions. Et répétons-le : aucune économie ne peut profiter d'une vente d'énergie à perte, c'est-à-dire se situant à un tarif inférieur au coût marginal.

80 G. Bélanger et J.T. Bernard, "Aluminium ou exportation : de l'usage de l'électricité québécoise", dans Canadian Public Policy/Analyse de Poli-tiques, vol. 17, nº 2, juin 1991, pp. 197-204.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 154

TABLEAU 6-4

TARIFS D'ÉLECTRICITÉ EN 1991 ¢ DES É.-U. PAR KWH

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TARIFS MOYENS PAYÉS PAR LES ALUMINERIES

TARIFS INDUSTRIELS MOYENS POUR MOINS

DE 10 MÉGAW

États-Unis 2,3 6,3

Océanie 1,3 4,5

Europe continentale 2,6 7,4

Québec 1,7 3,3

Source : Hydro-Québec, Consultation sur le plan de développement d'Hydro-Québec. Atelier industries à forte consommation d'électricité 30 janvier 1992.

À ce sujet, il est intéressant de se rapporter à une déclaration du président et directeur général d'Hydro-Québec au sujet des contrats à risque partagés qui s'appliquent aux alumineries :

"Le président et directeur général d'Hydro-Québec, Thierry Vandal, a laissé entendre que la société d'État ne perd pas d'argent avec les fameux contrats à risques partagés, signés avec les alumineries et autres entre-prises énergivores dans les années 80, contrairement aux idées reçues dans ce domaine.

En fait, l'opération est rentable, tout dépendant par quel bout de la lor-gnette on regarde le problème, a expliqué le grand patron d'Hydro, de pas-sage sur la Côte-Nord mardi et hier pour rencontrer employés et parte-naires régionaux.

[114]"La rentabilité peut se mesurer de bien des façons, a-t-il lancé. Si c'est

par rapport à nos nouveaux approvisionnements à 8 ¢ du kilowattheure, à l’évidence la réponse est non. Si c’est par rapport au coût d’approvisionne-ment moyen de l’ensemble du réseau d’Hydro-Québec, oui, on fait de l’ar-gent. Par rapport au marché de l’exportation, c’est non."

M. Vandal a confié qu'en 2005, les contrats à risques partagés signés avec les entreprises énergivores avaient rapporté une somme "légèrement

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 155

inférieure" au tarif grande puissance, ou tarif L, qui est de 3,6 ¢ du kilo-wattheure. Le coût d’approvisionnement moyen du réseau d’Hydro tourne autour de 3 ¢ du kilowattheure." 81

6.7. Renouvellement des ententes

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Les contrats de partage de risques et de bénéfices portaient sur des périodes relativement longues, par exemple vingt-quatre ans pour les alumineries. À la fin de cette période, le Québec se retrouve avec des usines et une main-d'oeuvre qui ont vieilli. Les pressions sont alors très fortes pour maintenir les tarifs d'électricité les plus bas possible. 82 Toutefois, la hausse des prix de l'énergie remet en question la rentabi-lité des alumineries en Amérique du Nord :

"Dans le Pacifique-Nord-ouest où les coûts de l'énergie ont bondi, huit des dix alumineries sont demeurées inactives ou fermées définitivement au cours des dernières années". 83

Cependant, l’aide du gouvernement du Québec aux alumineries se poursuit. Le 14 décembre 2006, le gouvernement du Québec et Alcan ont rendu publique une entente pour l’implantation d’une nouvelle aluminerie au Saguenay – Lac St-Jean; sa capacité est de 450 000 tonnes et fait appel à une nouvelle technologie (AP-50) qui devrait entraîner une baisse significative de la consommation d’électricité par tonne produite. La réalisation de ce projet devrait amener Alcan à in-vestir environ 2,0 milliards $ au cours des dix prochaines années et créer 740 emplois hautement spécialisés, en plus des 1200 à 1500 em-plois associés à la construction.

La contribution du gouvernement québécois à ce partenariat est particulièrement difficile à évaluer à cause de sa complexité. Elle comporte plusieurs éléments ayant des implications financières, fis-81 S. Paradis, "Hydro ne perdrait pas d'argent avec les contrats à risques parta-

gés", Le Soleil, 2 nov. 2006, p. 43. 82 Selon le professeur T.D. Mount, Cornell University, un tel processus ex-

plique la présence de vieilles usines d'aluminium dans l'État de New York, État où les prix de l'électricité sont particulièrement élevés.

83 P. Glader, "Alcoa to Build $1 Billion Smelter On Trinidad", The Wall Street Journal, 24 mai 2004, p. A-3.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 156

cales et énergétiques, qui prendront effet à différentes [115] périodes au cours des cinquante prochaines années. Quel est le coût pour la so-ciété québécoise de la contribution gouvernementale à ce projet ?

Voici les principaux éléments de l’apport gouvernemental : (i) un prêt sans intérêt de 400 millions $ sur 30 ans; (ii) des avantages fis-caux de 112 millions $; (iii) un nouveau bloc d’énergie de 225 MW fourni par Hydro-Québec au tarif de grande puissance L de 2010 à 2045 ; (iv) la prolongation du contrat de vente de 342 MW livrés par Hydro-Québec au tarif de grande puissance L de 2034 à 2045; (v) l’extension des droits d’Alcan sur les eaux de la rivière Péribonka, de 2034 à 2058, pour une production continue de 900 MW. Le gouverne-ment québécois pourra recevoir des redevances sur l’adoption de la technologie AP-50 par des alumineries à l’échelle mondiale.

Pour évaluer le coût d’une telle entente multidimensionnelle, qui aura des implications s’échelonnant sur cinquante ans, il faut adopter un cadre d’analyse et poser des hypothèses pour estimer le coût an-nuel pour une période de 30 ans débutant en 2008. Cette période de 30 ans correspond à celle du prêt sans intérêt de 400 millions$. Dans cette analyse, le coût de l’électricité octroyée, soit par contrat, soit par concession de droits sur les eaux de la rivière Péribonka doit être basé sur les revenus éventuels de l’autre stratégie : l’exportation de l’élec-tricité québécoise sur les marchés ouverts d’électricité chez les voisins américains. Ce serait le meilleur choix. Selon l’Office national de l’Énergie, le prix aux États-Unis fut de 8,9¢/kWh pour les onze pre-miers mois de 2006. Si on se réfère au coût de production des nou-velles ressources hydroélectriques au Québec, comme le projet La Ro-maine (1500 MW) et le projet Petit Mecatina (1500 MW), l’estima-tion du coût aurait excédé 10,0¢/kWh.

Le prix de l’électricité grande puissance, vendue au tarif L, est fixé à 4,3¢/kWh. Le taux d’intérêt utilisé pour les calculs est 7.5% et il correspond au taux d’intérêt sur les nouvelles obligations de 30 ans vendues par Hydro-Québec. Comme personne n’est devin, les estima-tions du prix et des coûts futurs se basent sur les plus récentes réalisa-tions et sont en général conservateurs.

[116]Le tableau 6-5 présente l’évaluation des coûts annuels, durant

trente ans, pour la société québécoise, des différents éléments de l’en-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 157

tente entre l’Alcan et le gouvernement du Québec. La contribution la plus importante provient de l’extension des droits d’Alcan sur les eaux de la rivière Péribonka de 2034 à 2058, suivie de la vente à rabais de 225 MW au tarif L de 2010 à 2045.

Au total, l’estimation de la contribution annuelle du gouvernement du Québec durant 30 ans est de 249,2 millions $. Pour les 740 emplois annoncés pour cette nouvelle aluminerie, il s’agit d’une subvention annuelle de 336 700 $ par emploi au cours de la même période. En valeur actuelle, c’est-à-dire si une seule subvention globale était ac-cordée au début du projet, le montant serait de 3,19 milliards $, alors que l’investissement attendu d’Alcan est de 2,0 milliards $.

Des estimations plus appropriées doivent se référer au coût des projets de grande taille présentement à l’étude, soit 10,0¢/kWh qui est le coût marginal à long terme de production. 84 L’évaluation du coût de l’entente avec l’Alcan grimpe alors à 3,65 milliards $ ou une subven-tion annuelle de 370 864 $ par emploi.

Si on considère le coût de développement des nouvelles sources d’électricité au Québec ou le marché de l’exportation, la vente de l’électricité à faible prix aux alumineries constitue une perte pour la société québécoise. La politique industrielle du gouvernement québé-cois ne reflète pas cette nouvelle réalité. Un développement industriel qui a contribué de façon significative à l’accroissement de la richesse collective est en train de se transformer en un frein à cette améliora-tion du bien-être collectif. Les ententes récentes dans le secteur de l’aluminium et celles en préparation nous montrent qu’il en sera mal-heureusement ainsi pour les décennies à venir.

84 La présente situation en n’est pas une de surplus de capacité mais une de planifier de nouvelles installations.

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[117]

TABLEAU 6-5

COÛTS ANNUELS DURANT TRENTE ANS (EN MILLIONS $) DE L’ENTENTE DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC AVEC ALCAN

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i) Prêt sans intérêt de 400 millions$ durant 30 ans : 30,0

ii) Avantages fiscaux de 112 millions$ : 8,8

iii) Vente de 225 MW à tarif L de 2010 à 2045 : 81,6

iv) Prolongation du contrat de vente de 342 MW au tarif L de 2024 à 2045 :

37,7

v) Extension des droits d’Alcan sur les eaux de la rivière Péribonka de 2034 à 2058 pour une production de 900 MW : 93,1

vi) Redevances perçues par le gouvernement québécois sur la nou-velle technologie de production d’Aluminium : -2,0

Total 249,2

Source : J.T. Bernard et G. Bélanger, «  336 000$ par emploi durant 30 ans », Le Soleil, 15 janvier 2007, p.17.

6.8. La dissipation de la rente par des coûts excédentairesdes facteurs de production

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Il est très difficile d'évaluer l'efficacité relative des opérations de production d'Hydro-Québec. Il faut pour cela établir une base de com-paraison. Mais Hydro-Québec possède des caractéristiques uniques : mentionnons notamment le rôle important que joue l'hydro-électricité dans la production totale d’électricité, ce qui rend difficile toute éva-luation comparative de cette entreprise avec les autres producteurs d'électricité, au Canada ou ailleurs.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 159

Cependant, Hydro-Québec est une grande entreprise à l'abri de la concurrence, mais soumise aux pressions politiques. 85 Elle partage donc les mêmes caractéristiques que les autres entreprises de cette na-ture. Elle a tendance à préférer les grands projets, qui requièrent une abondance de capitaux fixes plutôt que les petits projets. Le faible coût du capital, assuré par l'absence pour elle d'impôt sur le revenu des corporations, encourage un usage intensif du capital et favorise les projets de longue durée. Hydro-Québec a délaissé au cours des ans l'utilisation des petites centrales hydro-électriques qui avaient été ins-tallées par des entreprises privées. Lorsque le gouvernement québé-cois a décidé de mettre [118] en valeur les petites centrales, il s'est tourné vers les producteurs indépendants. Le processus décisionnel d'Hydro-Québec est mal adapté à des projets de faible taille.

Une partie de la rente va aux employés d'Hydro-Québec. L'entre-prise a admis qu'elle paie des salaires plus élevés que ceux qui ont cours sur le marché québécois. Pour l'année 1982, elle a calculé que "l'avance des employés d'Hydro-Québec était de l'ordre de 21% par rapport à son marché de comparaison [...] d'entreprises similaires au Québec et au Canada". 86

85 Selon De Alesi, « … la théorie et les études empiriques indiquent qu’en comparaison avec les entreprises privées, les entreprises publiques sont moins sensibles aux désirs des consommateurs, moins efficaces selon les standards du marché, et plus enclines à pratiquer une conduite discrétion-naire et anticoncurrentielle. », L. De Alesi, « Public Enterprise » dans C. Rowley et F. Schneider (s.l.d.), Encyclopedia of Public Choice, Boston MA : Kluwer Academic, vol.2, 2004, p.452.

86 Réponse de M. Richard Drouin lors de l'étude de la proposition tarifaire d'Hydro-Québec pour l'année 1992 à la Commission permanente de l'écono-mie et du travail dans Assemblée nationale, Journal des débats. Commis-sions parlementaires, nº 103, 11 mars 1992, p. CET-4985; voir également Hydro-Québec, Rapport général au 31 décembre 1991. Suivi du plan de développement 1990-1992, Horizon 1999, Montréal, 1992, p. 109.Dans un document déposé en 2006 devant la Régie de l’énergie, Hydro-Québec distribution se réfère à une étude sur la position salariale :"La dernière évaluation du marché du travail d’Hydro-Québec (Étude sur la position salariale) a été réalisée en 2003. Elle a été déposée à la Régie de l’énergie en phase 2 de la Demande R-3492-2002. Le tableau suivant rap-pelle les grandes lignes des résultats de cette étude :

ÉTUDE SUR LA POSITION SALARIALE

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 160

La société d'État a aussi mis au point une politique d'achats préfé-rentiels afin d'accroître le contenu québécois de ses fournitures. 87

6.9. Rente des ressources et rémunération

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Si une partie de la rente hydro-électrique va aux employés d'Hy-dro-Québec, le même phénomène existe-t-il pour les autres ressources naturelles ? Lawrence Copithorne a analysé l'influence des rentes éco-nomiques de la forêt de la Colombie-Britannique sur les salaires :

La rémunération en espèces comprend la rémunération de base et les bonis.

La rémunération globale comprend la rémunération de base, les bonis et les avantages sociaux.

Un écart salarial de plus ou moins 5% est considéré comme non signifi-catif. À l’intérieur de cet intervalle, on considère qu’il n’y a pas de diffé-rence entre les données salariale d’une société et celle des sociétés aux-quelles elle se compare. "

Hydro-Québec Distribution, Masse salariale et effectifs, document HQD-7, Document 4 déposé devant la Régie de l’énergie, 16 août 2006, p. 25.

87 Le programme fédéral de péréquation favorise une dissipation de la rente : il pénalise, en réduisant les subventions, les provinces bénéficiaires qui ac-croissent les sommes perçues pour l’usage de leurs richesses naturelles.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 161

"Une comparaison sommaire des salaires annuels moyens payés aux bûcherons ainsi qu'aux travailleurs des scieries et des usines de pâtes et papier en Colombie-Britannique et en Alberta avec les salaires versés en Ontario renforce l'hypothèse selon laquelle les taux de salaire dans l'indus-trie forestière de la Colombie-Britannique comprendraient un élément de rente économique, notamment dans la région du littoral où ils ont un effet psychologique très prononcé sur les négociations salariales dans l'industrie de fabrication syndiquée de Vancouver. En Colombie-Britannique, les taux de salaire des bûcherons et des travailleurs des scieries atteignent plus du double des taux en vigueur en Nouvelle-Écosse et ils sont nettement supérieurs à ceux de la province voisine, l'Alberta, où le système des droits de coupe est différent. Il convient, toutefois, de noter que c'est dans le secteur de fabrication des produits forestiers (scieries et usines de pâtes et papier) et non dans le domaine de l'abattage qu'existent les écarts de salaires les plus importants. Si ces écarts sont partiellement dus aux rentes économiques, on peut donc déduire qu'une bonne partie de ces rentes sont transférées du secteur primaire au secteur de la fabrication". 88

Le phénomène du déplacement de la rente des ressources au profit de salaires élevés joue au Québec. Le tableau 6-6 donne, [119] pour 2000, la rémunération hebdomadaire moyenne excluant le temps sup-plémentaire, pour l'ensemble des salariés. Les secteurs de l'extraction minière, de la production et de la distribution de l'électricité, de la fa-brication de papier et de la production et de la transformation d'alu-mine et d'aluminium ont des rémunérations de plus de 50% supé-rieures à l'ensemble des industries et de 40% supérieures à celles de tout le secteur de la fabrication.

88 L. Copithorne, Richesses naturelles et disparités régionales, Hull : Appro-visionnements et Services Canada, 1980, p. 67-68.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 162

TABLEAU 6-6

ESTIMATION DE LA RÉMUNÉRATION HEBDOMADAIRE MOYENNE(EXCLUANT LE TEMPS SUPPLÉMENTAIRE)

POUR L'ENSEMBLE DES SALARIÉS, QUÉBEC, 2000

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Ensemble des industries 612,91 $ 100,0

Fabrication 710,32 $ 115,9

212 Extraction minière, sauf pétrole et gaz 958,21 156,3

2211 Production, transport et distribution d'électri-cité

994,94 162,3

322 Fabrication de papier 955,10 155,8

3221 Usines de pâte à papier, de papier et de carton 1 027,70 167,7

3313 Production et transformation d'alumine et d'aluminium

920,36 150,2

Source : Statistique Canada, Les estimations annuelles de l'emploi, des primes et de la durée du travail, 1991-2000, nº au cat. 72F 0023 X1B, Ottawa, juillet 2001, pp. 87-89.

Mario Polèse et Richard Shearmur ont qualifié ce phénomène de "syndrome du rentier encombrant" dans leurs travaux sur les obstacles au développement des régimes périphériques :

"Ce problème, qui a été porté à notre attention de façon répétée par les entrepreneurs des régions touchées, surgit lorsqu'un employeur important fait monter les salaires et les avantages sociaux, au détriment de l'entrepre-neurship local.

À notre avis, ce syndrome revêt un caractère général : il explique les niveaux de salaires élevés des régions périphériques surtout dans les ré-gions urbaines où la plus grande part de l'emploi est fournie par la foreste-rie, les produits du bois, les mines, la transformation des métaux et les services publics...

Le paradoxe de ce syndrome est que c'est souvent le gros employeur dont dépend une région qui se trouve à étouffer les nouveaux projets et à

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 163

compromettre en fin de compte la capacité d'adaptation de l'économie lo-cale. Même s'il en a pleinement conscience, il lui est souvent impossible d'y changer quoi que ce soit car les salaires et les avantages sociaux sont habituellement déterminés par les conventions collectives. À cause [120] de cette rigidité et des attentes élevées qu'elle engendre, ce sont souvent les régions centrales qui offrent aux entreprises les coûts les plus bas et la main-d'oeuvre la plus flexible.

Cette situation crée un obstacle supplémentaire pour les entrepreneurs des régions périphériques. Ils doivent non seulement faire face aux salaires et avantages sociaux auxquels s'attendent les travailleurs locaux, mais aus-si concurrencer les salaires plus faibles et la main-d'oeuvre plus flexible dont bénéficient leurs concurrents des régions centrales". 89

6.10. La dissipation de la rente par la corruption

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Dans des pays moins développés, la dissipation de la rente des res-sources prend souvent la voie de la corruption et devient la "malédic-tion des ressources". Une publication du Fonds monétaire internatio-nal y fait référence :

"Un fonctionnaire nigérian estimait récemment que, malgré de récents progrès, la corruption et la gabegie continuent d'absorber non moins de 40% des 20 milliards de dollars de recettes pétrolières annuelles du Nigé-ria, alors que près de trois quarts de la population vivent encore dans la pauvreté. Le Nigéria n'est pas le seul pays à connaître ce problème. Le pétrole, l'or, les diamants et les autres ressources naturelles ont bien plus

89 M. Polèse et R. Shearmur, La périphérie face à l'économie du savoir. La dynamique spatiale de l'économie canadienne et l'avenir des régions non métropolitaines du Québec et des provinces de l'Atlantique, Montréal, Insti-tut national de la recherche scientifique, 2002, p. 140-141. Une information intéressante :

« Emplois convoités. 2007/ 23/ 05 En deux semaines, pas moins de 5200 personnes ont soumis leur candidature pour les 45 postes permanents disponibles à l'usine-pilote de traitement de la brasque d'Alcan, à Jonquière. Le choix des employés devrait se faire en juillet. » consulté sur le site de Radio-Canada/Saguenay-Lac-St-Jean le 24 mai 2007.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 164

souvent engendré la corruption et même des conflits qu'ils n'ont stimulé le développement ou réduit la pauvreté.

Pourtant, ce n'est pas une fatalité. Des pays aussi différents que le Botswana et la Norvège ont prouvé que de bonnes politiques et un degré élevé de transparence faisaient toute la différence et que les richesses natu-relles pouvaient servir à relever le niveau de vie et accroître l'investisse-ment dans la santé et le capital humain, tout en favorisant la stabilité ma-croéconomique et la croissance". 90

6.11. Conclusion

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Si la valeur ou la rente des ressources naturelles est en bonne partie dissipée, il en découle une diminution du gâteau collectif à se parta-ger. Pourquoi donc la société accepterait-elle d’être moins riche ou refuserait-elle une plus grande valeur à se partager ? En effet, s’il n’y avait aucun gagnant à la réduction de la richesse collective, cette ré-duction n’aurait sûrement pas lieu.

[121]Le chapitre consacré à l’économique des processus politiques don-

nera une explication du phénomène de la dissipation de la rente des ressources.

90 B. Allan et G. Taute, « Un guide pour éviter la "malédiction des res-sources" », FMI Bulletin, vol. 34, nº 2, 14 février 2005, p. 22. Voir aussi D. Lederman et W.F. Maloney (s.l.d.), Natural Resources. Neither Curse nor Destiny, Palo Alto CA : Stanford University Press, 2006, 369 p.

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NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[122][123][124]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 166

[125]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 7L’expansion du secteur public

dans l’économie

L'économie du vingtième siècle a été marquée par deux phéno-mènes importants : l'accélération de la croissance économique et la croissance relative de l'État dans l'économie.

7.1. La croissance de la production

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Le vingtième siècle a été témoin d’une accélération de la crois-sance économique. Les données de la citation suivante sont élo-quentes :

"Le trait saillant de la croissance économique de l'après-guerre est le caractère récent de cette croissance... La production mondiale totale a crû à un taux annuel moyen supérieur à 4% depuis 1960, comparé à un taux annuel moyen de 2,4% pour les soixante premières années du vingtième siècle, de 1% pour tout le dix-neuvième siècle et d'un tiers de 1% pour le dix-huitième siècle". 91

Cette croissance de plus en plus rapide a été fort inégale entre les régions du monde et a donc accru l'inégalité des revenus entre ces der-nières (figure 7-1).

91 R.E. Lucas, "The Industrial Revolution, Past and Future", dans Federal Re-serve Bank of Minneapolis, The Region, vol. 18, nº 1, mai 2004, p. 7.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 167

7.2. La croissance de l'État

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Cette accélération de la production fut accompagnée d'une part de plus en plus grande prise par le secteur public. Il est clair que le ving-tième siècle a été caractérisé par la croissance de l'État : soixante-dix ans de régimes communistes à l'Est et, dans les pays [126] dévelop-pés, l'implantation et la consolidation de l'État providence ou de l'État assureur.

FIGURE 7-1.

PIB PAR TÊTE POUR CINQ RÉGIONS, 1750 À 1990 EN $ US 1985

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Population de 1990 en millions

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1 Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande 354

II Japon 124

III France, Allemagne, Pays-Bas, Scandinavie 184

IV Reste de l'Europe de l'ouest, Amérique latine, Europe de l'Est, Union soviétique

986

V Asie (moins Japon), Afrique 3590

Source : R.E. Lucas, "The Industrial Revolution, Past and Future", dans Federal Reserve Bank of Minneapolis, The Region, vol. 18, nº 1, mai 2004, p. 11.

Au Canada, les dépenses gouvernementales ne représentaient res-pectivement que 15,1 et 21,3% de la production (ou du PIB) en 1926 et en 1950, contre environ 50% entre 1985 et 1995, pour descendre à 41,5% en 2004 (tableau 7-1).

Il faut noter que l'intervention gouvernementale ne se limite pas aux seules dépenses publiques. Par exemple, les modes [127] d'inter-vention qui modifient les prix relatifs sont fort nombreux : subven-tions, taxes, tarifs douaniers, contingentements, nationalisations, en-treprises publiques, achats préférentiels, réglementations tradition-nelles ou sociales, interdictions. 92 Il y a de l’arbitraire, d’ailleurs, dans l’estimation des dépenses publiques, et cela affecte évidemment la fraction que représentent les dépenses publiques par rapport à la pro-duction. Par exemple, la substitution d'un crédit d'impôt pour enfant aux allocations familiales dans les années quatre-vingt-dix a fait bais-92 Les coûts économiques d’efficacité des différentes réglementations sont

élevés : pour les réglementations fédérales américaines en 2005, ils furent estimés à 1,127 trillion $, soit 9% du PIB des États-Unis et près de cin-quante% des dépenses fédérales. Ces données proviennent de C.W. Crews Jr, Ten Thousand Commandments. An Annual Snapshot of the Federal Re-gulary State 2006, Washington : Competitive Enterprise Institute, 28 juin 2006, p.l.

Une étude empirique des pays de l’OCDE a conclu que la « réglementa-tion et les dépenses gouvernementales sont complémentaires, au lieu d’être des substituts entre eux ». T.E. Borcherding et al, « Growth in the Real Size of Government Since 1970 » dans J.G. Backhaus et R.E. Wagner (s.l.d.), Handbook of Public Finance, Boston MA : Kluwer Academic, 2004, p. 99.

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ser la valeur de cette fraction. Une dépense a été changée en du non-revenu 93.

TABLEAU 7-1

DÉPENSES GOUVERNEMENTALES EN% DU PIB.,CANADA, 1926 À 2002

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1926 15,1 1970 * 37,7

1939 20,5 1980 43,1

1946 30,8 1985 49,0

1950 21,3 1990 50,4

1960 28,8 1995 50,3

1970 * 34,9 2000 42,6

2004 41,5

* Discontinuité dans la série principalement à cause de modifications à la délimi-tation de l'univers du secteur public.Source : K. Treff et D.B. Perry, Finances of the Nation 2005, Toronto : Associa-tion canadienne d'études fiscales, 2005, p. B-10.

93 Suivant une recommandation de la vérificatrice générale du Canada, cette prestation fiscale est redevenue une dépense en 2006.

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On voit que, pour obtenir une meilleure image de l’importance du secteur gouvernemental, il faut ajouter aux dépenses réellement effec-tuées les dépenses implicites faites par la voie des réductions de taxes qui sont appelées « dépenses fiscales ». Au Canada, en 1992, les dé-penses réellement effectuées représentaient 45% du produit national brut. L'ajout des dépenses implicites portait le pourcentage à 67%, une part de l'économie qui est donc accrue de 50%. 94

Le tableau 7-2 montre bien l'expansion de l'importance des gouver-nements dans l'économie au XXe siècle. On constate aussi que l’appa-rition de dépenses gouvernementales dépassant le tiers de l'économie est un phénomène récent. En 1960, seulement la [128] France et l'Australie atteignaient cette proportion. Toutefois, la période de 1960 à 1980 se caractérisa par une importante hausse de l'importance du secteur public : pour la moyenne des quatorze pays du tableau 7-2, les dépenses gouvernementales par rapport au PIB passèrent de 28,0% en 1960 à 41,9 en 1980 (donc un accroissement de 50% ou 14 unités de pourcentage). Cette fraction demeura assez stable par la suite.

94 A. Hansson et C. Stuart, "Peaking of Fiscal Sizes of Government", Euro-pean Journal of Political Economy, vol. 19, 2003, pp. 670 et 676.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 171

TABLEAU 7-2

DÉPENSES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUESPAR RAPPORT AU PIB, 1870-2002

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AVANT/APRÈS1ere GUERRE MONDIALE

AVANT/APRÈS2e GUERRE MONDIALE

Ver

s 187

0

1913

1920

1937

1960

1980

1990

1996

2002

Australie 18,3 16,5 19,3 14,8 21,2 34,1 34,9 35,9 35,6Autriche 10,5 17,0 14,7 20,6 35,7 48,1 38,6 51,6 51,3Canada 16,7 25,0 28,6 38,8 46,0 44,7 41,4France 12,6 17,0 27,6 29,0 34,6 46,1 49,8 55,0 53,6Allemagne 10,0 14,8 25,0 34,1 32,4 47,9 45,1 49,1 48,5Italie 13,7 17,1 30,1 31,1 30,1 42,1 53,4 52,7 48,0Irlande - - 18,8 25,5 28,0 48,9 41,2 42,0 33,5Japon 8,8 8,3 14,8 25,4 17,5 32,0 31,3 35,9 39,8Nouvelle-Zélande - - 24,6 25,3 26,9 38,1 41,3 34,7 41,6Norvège 5,9 9,3 16,0 11,8 29,9 43,8 54,9 49,2 47,5Suède 5,7 10,4 10,9 16,5 31,0 60,1 59,1 64,2 58,3Suisse 16,5 14,0 17,0 24,1 17,2 32,8 33,5 39,4 34,3Royaume-Uni 9,4 12,7 26,2 30,0 32,2 43,0 39,9 43,0 41,1États-Unis 7,3 7,5 12,1 19,7 27,0 31,4 32,8 32,4 34,1Moyenne 10,8 13,1 19,6 23,8 28,0 41,9 43,0 45,0 43,5

Source : D.C. Mueller, Public Choice III, Cambridge U.K. : Cambridge Universi-ty Press, 2003, p. 503 et V. Tanzi, « The Economic Role of the State in the 21st Century », Cato Journal, vol. 25, no. 3, automne 2005, p. 619.

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[129]

7.3. Les raisons de la croissance du secteur public

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La croissance du secteur public est un phénomène social fort im-portant. Quelles explications trouve-t-on dans la documentation éco-nomique ? Quatre voies seront ici proposées :

• les défaillances de la décentralisation;• le gouvernement, une institution de substitution;• la maladie des coûts des services;• l'économique des processus politiques.

7.4. Les défaillances de la décentralisation

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Les économistes ont traditionnellement rationalisé les interventions gouvernementales en se référant aux défaillances de la décentralisa-tion ou des marchés privés. Ces derniers permettent généralement le développement d'une économie mieux orientée vers les préférences variées des individus. Au lieu d'être soumis à une autorité qui lui dicte ce qu'il peut détenir, chaque agent possède une liberté de choix, tout en étant, bien sûr, soumis à une contrainte budgétaire et au système des prix.

1. Les propriétés du marché et les possibilités de défaillance

Si le système des prix fonctionne bien, il indique la rareté relative de chaque produit (les efforts nécessaires pour sa production) et as-sure ainsi que la satisfaction retirée par son consommateur est au moins égale au coût des ressources nécessaires à sa production. Déter-minant l'allocation des produits entre les individus, le système des prix

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 173

est aussi le moteur des différentes productions. Si le prix relatif d'un produit s'accroît, il y a incitation à en augmenter la production. Infor-mant les différents agents de la rareté relative de chaque produit et de chaque niveau de qualité d'un même produit, le système des prix coor-donne les décisions de chacun. Par son contenu en information, un système de prix valable se présente comme le meilleur ordinateur dis-ponible pour l'affectation des ressources sans gaspillage et dans le res-pect des préférences des individus. En outre, le marché laisse place à différents types d'organisations : initiatives [130] individuelles, entre-prises en « partnership », sociétés à but lucratif, coopératives, institu-tions sans but lucratif... Nous avons là une autre façon de percevoir la dichotomie décentralisation-centralisation : dans l'affectation des res-sources, la décentralisation va du bas vers le haut en partant des "ex-plorateurs" ; la centralisation va du haut vers le bas en recourant à des "planificateurs".

Malgré les bienfaits de cette décentralisation, les économistes ont développé tout un arsenal d'arguments pour justifier l'intervention gouvernementale. En effet, en plusieurs circonstances, les marchés libres seraient défaillants, incapables d'assurer un système de sanc-tions et de récompenses qui entraînerait le non-gaspillage des res-sources. On parle de situations où il y a présence d'effets de déborde-ment, d'économies de grande dimension, de biens publics, d'informa-tions asymétriques entre les parties, de pouvoirs monopolistiques, de chômage involontaire et enfin, d'une distribution des revenus perçue comme insatisfaisante. 95

Les possibilités de défaillances de la décentralisation ou des mar-chés sont donc nombreuses, ce qui permet à tout économiste muni d'un minimum d'imagination de tenter de justifier l'intervention gou-vernementale dans n'importe quelle activité économique. Le domaine des assurances servira ici de champ d'application.

95 Sur tout ce sujet, on lira avec profit C. Winston, Government Failure Ver-sus Market Failure. Microeconomics Policy Research and Government Per-formance, Washington D.C.: AEI-Brookings Joint Center for Regulatory Studies, 2006, 130 p.

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2. Le développement de l'État assureur

Le tableau 7-3 présente, pour les années 1933, 1963 et 2003, la répartition des dépenses gouvernementales canadiennes par fonction, selon le système statistique de gestion des finances publiques. Le re-groupement des fonctions santé et bien-être social montre bien l'im-portance grandissante de l'État-providence dans les dépenses du sec-teur public : en 1933, le regroupement totalisait 17,7% des dépenses, 24,2% en 1963 et 45,2% en 2003.

[131]

TABLEAU 7-3

RÉPARTITION (EN %) DES DÉPENSES PAR FONCTION,TOUS LES NIVEAUX DE GOUVERNEMENT CANADA, 1933, 1963, 2003

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Fonction 1933 1963 2003

Santé 3,7 9,2 18,6

Bien-être social 14,0 15,0 26,6

Éducation 11,3 16,2 14,7

Transport-communication 9,4 12,2 4,5

Protection de la propriété et des personnes 4,2 4,0 8,1

Service de la dette 31,5 8,5 11,7

Autres 30,2 34,7 15,8

Total 100,0 100,0 100,0

Source : Pour 1933 et 1963, Rosen et al., Public Finance in Canada, 2e édition, Toronto : McGraw-Hill Ryerson, 2003, p. 13; pour 2003, K. Treff et D.B. Perry, Finances of the Nation 2003, Toronto : Association canadienne d'études fiscales, 2003, p. A-6.

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Au Canada, l'État assureur s'est construit très rapidement, principa-lement durant les trois décennies qui suivirent la deuxième guerre mondiale. En effet, avant cela, il n'y avait que deux assurances pu-bliques majeures. La première concernait l'indemnisation des acciden-tés du travail. La Loi des accidents du travail a été votée au Québec en avril 1931. C'est une assurance publique à la charge des employeurs qui est sans égard à la responsabilité et qui relève depuis 1980 de la Commission de la santé et de la sécurité au travail. La deuxième assu-rance publique fait suite aux taux de chômage élevés provoqués par la crise économique des années trente et qui avaient été coûteux pour les municipalités et certaines provinces. En 1941, ce fut la mise sur pied de l'assurance chômage, appelée maintenant l'assurance emploi.

La sortie de la deuxième guerre mondiale léguait des taux de taxa-tion plus élevés, avec une forte concentration des revenus au niveau fédéral, comme en témoigne sa part de 73% en 1946. Cette sortie fut suivie d'une longue période de prospérité qui fut qualifiée des "trente glorieuses" et qui se termina avec la première crise pétrolière de 1973. Ces facteurs et la présence d'un impôt sur le revenu, dont les para-mètres n'étaient pas automatiquement ajustés pour l'inflation, permet-taient un accroissement important des revenus des gouvernements et facilitaient l'implantation de [132] grands programmes nationaux comme les assurances publiques. Ce fut l'expansion rapide de l'État assureur.

Il ne s'agit pas ici de décrire les différents programmes mais plutôt de montrer la rapidité de l'expansion au Canada de l'État-providence. Pour les enfants, ce fut la création des allocations familiales le 1er juillet 1945, avec une réforme majeure dans les années quatre-vingt-dix par des crédits d'impôt. Pour les personnes âgées, il y eut la créa-tion des pensions de vieillesse en 1952, complétées par le supplément de revenu garanti en 1967 et par l'allocation aux conjoints en 1975. La création des pensions publiques avec la Régie des rentes du Québec et le Régime de pensions du Canada remonte à 1966. En santé, le gou-vernement fédéral établit l'assurance hospitalisation en juillet 1958 et dix ans plus tard, l'assurance des soins médicaux. Le régime québé-cois mixte d'assurance médicaments remonte à janvier 1997. Pour l'aide sociale ou la sécurité du revenu, le Régime d'assistance publique du Canada, créé en 1966, remboursait aux provinces la moitié des dé-penses autorisées encourues à cette fin. Pour le Québec, on créa en

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 176

1978 le régime d'assurance pour les dommages corporels résultant d'un accident d'automobile sans égard à la responsabilité.

Cette liste est loin d'être exhaustive. Elle ignore, notamment, au sujet des enfants, les congés parentaux et un réseau québécois de gar-deries fortement subventionnées. Notre but était de montrer la rapidité de la mise en place de l'État assureur durant l'après-guerre.

3. Pourquoi cette nationalisation d'une majeure partie des assurances ?

Pourquoi la nationalisation d'une grande partie de ce secteur ? Il est clair qu’au fil du temps, le rôle du secteur privé s'est considérablement rétréci avec la croissance de l'État-providence ou du gouvernement assureur. Comme le risque est un mal, à mesure que leurs revenus croissent, les gens veulent de plus en plus se prémunir contre lui. Cela explique la demande croissante pour l'assurance, mais non la supré-matie progressive de l'assurance publique sur celle fournie par les en-treprises privées.

[133]En se concurrençant, les entreprises privées développent une tarifi-

cation selon les caractéristiques du client, individuel ou regroupé. En matière de santé par exemple, un groupe d'étudiants a une prime moins élevée que celle des personnes âgées. Les entreprises privées n'ont pas pour objectif de faire la charité. Pour satisfaire à une solida-rité sociale demandée par les citoyens, le gouvernement doit au mini-mum devenir un assureur de dernier recours. C'est le cas dans le sec-teur de la santé aux États-Unis avec Medicare pour les personnes âgées et Medicaid pour les personnes à faible revenu. Dans les autres pays occidentaux, l'assurance publique tend à être universelle mais avec différentes caractéristiques.

Les assurances publiques sont également justifiées par le souci du bien public et de la solidarité sociale : il existe en effet une demande réelle de la part des citoyens pour une disponibilité généralisée de cer-taines assurances ou services. Le bien public a deux caractéristiques : consommation commune ou collective et difficulté d'exclure.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 177

4. Désir de resquiller

Les personnes à revenus plus élevés ne veulent pas que la disponi-bilité de services acceptables corresponde en même temps à une égali-sation des services. Disposant d’un budget discrétionnaire qui croît avec le temps, elles veulent conserver une liberté d'action vis-à-vis ce qui est le plus important pour elles, la santé. Elles refusent un carcan.

On trouve aujourd’hui une situation paradoxale : l'achat d'une auto de grand luxe ou d'une deuxième résidence suscite l'admiration du voisinage, alors que le recours à des services de santé de meilleure qualité suscite l'opprobre. Une étude ontarienne sur les patients qui avaient subi un infarctus du myocarde a bien montré cette volonté de pouvoir recourir à de meilleurs services chez ceux dont les revenus sont plus élevés.

"En comparaison avec ceux qui ont des revenus plus bas ou moins d'instruction, les Canadiens de la classe moyenne supérieure jouissent d’un accès préférentiel aux services à l'intérieur d'un système de santé financé par le secteur public et néanmoins, ils présentent un plus grand intérêt pour une couverture supplémentaire ou l'achat direct de services". 96

[134]

5. Les faiblesses de l'approche des défaillances

L'approche basée sur les défaillances des marchés pour justifier l'intervention gouvernementale basée sur les défaillances des marchés insiste exclusivement sur le gaspillage et l'inefficacité qu'entraînent les décisions décentralisées. Elle ignore complètement la contrepartie résidant dans les inefficacités des décisions centralisées : moins grande responsabilité du consommateur, standardisation des services

96 D.A. Alter et al., "Socioeconomic Status, Services Patterns, and Perception of Care Among Survivals of Acute Myocardial Infarction in Canada", JAMA, vol. 291, nº 9, 3 mars 2004, p. 1100.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 178

et cartellisation, absence d'expérimentation et de flexibilité, pour n'énumérer que quelques coûts de la centralisation.

L'intervention gouvernementale entraîne des coûts importants liés à son mode de financement. Les taxes faussent en effet le système d'incitations qui encadre les agents économiques. Elles modifient les choix libres des agents et produisent ainsi un fardeau excédentaire d'inefficacité ou de gaspillage. Ces choix sont variés : choix entre tra-vail et loisir, entre consommation immédiate et épargne, entre diffé-rentes formes de rémunération, de placements, d'investissements, de modes d'organisation et de financement, entre sécurité et risque, entre différentes techniques et lieux de production et entre différents biens de consommation. Cette énumération n'épuise pas tous les choix qui s'offrent aux agents économiques et qui sont sujets à l'influence des différentes taxes.

Pour bien percevoir les difficultés résultant d’un accroissement des taxes, il suffit de regarder le comportement des contribuables. Les taux explicites ou implicites élevés qu'affrontent à la marge presque toutes les classes de revenu favorisent le travail au noir ou le paiement sous la table. Pour se protéger, les personnes qui ont un revenu plus élevé recourent à la planification fiscale. Un exemple : le système de taxation a créé le marché des fiscalistes, personnes d'une intelligence supérieure à la moyenne dont le travail consiste à réduire les paie-ments à l'État. Ces personnes sont fortement rémunérées ; mais faut-il croire que leurs activités impliquent un produit social très élevé et qu'il faudrait multiplier leurs activités ? 97

Ainsi, la morale économique, qui recherche l'efficacité ou le non-gaspillage, a invoqué les défaillances du marché comme fondement de l'intervention gouvernementale. Malheureusement, son raisonnement est fort partiel, puisqu'elle néglige la contrepartie, [135] c'est-à-dire les défaillances de l'intervention gouvernementale. Ce point est repris plus loin.

97 Le coût d’efficacité des taxes sera approfondi au chapitre 10.

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7.5. Le gouvernement, une institution de substitution

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L'initiative privée ne se limite pas simplement aux organismes à but lucratif et aux marchés. Elle comprend toute une gamme d'institu-tions, dont la famille et les organismes religieux ou de bienfaisance. Par ailleurs, l'entreprise gouvernementale peut être une sorte de concurrent d’autres formes d’entreprises. Ainsi, la montée des dé-penses gouvernementales dans les trois grands domaines que sont la santé, l'éducation et le bien-être n'apparaît surtout pas comme une sub-stitution à l'entreprise à but lucratif mais plutôt la prise en charge par le gouvernement d'activités auparavant sous la gouverne de la famille et des institutions religieuses ou de bienfaisance. On pourrait y ajouter aussi le gouvernement local, d'une façon encore plus importante au Canada anglais.

1. Substitution à la famille et aux institutions religieuses

Placée sous cet angle, la question devient : pourquoi l'entreprise gouvernementale a-t-elle réussi à se substituer aux autres formes d'or-ganisations ? N'est-elle pas devenue relativement plus efficace pour remplir ces fonctions ? Rappelons l’effet de l'urbanisation sur la fa-mille : elle a modifié considérablement le rôle économique des enfants et des personnes âgées à l'intérieur du ménage. En outre, ces dernières étaient relativement moins nombreuses. En fait, la famille assure moins qu'auparavant la sécurité à long terme de ses membres.

L’importance des institutions change avec le temps, comme le montre le déclin de l'institution du mariage. On le voit clairement en examinant l'indice synthétique de nuptialité des célibataires, qui se définit comme la proportion d'hommes ou de femmes qui se marie-raient avant leur cinquantième anniversaire, selon les conditions de nuptialité d'une année donnée. [136] Comme l'indique le tableau 7-4, au Québec, le mariage est passé rapidement d'une institution générali-sée à une institution minoritaire. De 1971 à 2001, l'indice synthétique de nuptialité a chuté d'environ 0,85 à près de 0,30.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 181

TABLEAU 7-4

INDICE SYNTHÉTIQUE DE NUPTIALITÉ DES CÉLIBATAIRESSELON LE SEXE, QUÉBEC, 1951 À 2001

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HOMMES FEMMES

1951 1,057 1,000

1961 ,936 ,876

1971 ,866 ,840

1981 ,547 ,561

1991 ,384 ,428

2001 ,303 ,331

Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 2003, Qué-bec, Institut de la statistique du Québec, 2003, p. 297-298.

Pour ce qui est du Québec en particulier, la croissance de la part du secteur public au début des années soixante, phénomène qualifié de révolution tranquille, fut le produit, ou du moins fut considérablement influencée par les politiques du gouvernement central, qui a défini les grands paramètres des politiques, particulièrement pour la santé, pour l'éducation postsecondaire et pour la sécurité du revenu. La révolution tranquille s'est surtout caractérisée par une laïcisation des institutions hospitalières et éducatives.

De plus, la croissance des dépenses gouvernementales dans l'après-guerre fut facilitée par un mode de perception moins coûteux des taxes et par l'établissement de l'impôt progressif et non indexé sur le revenu des particuliers, impôt devenu la source la plus importante de financement des gouvernements dans un univers de bonne croissance économique.

Comme on l’a déjà noté, la croissance importante du secteur public durant la période de 1960-1980 (tableau 7-5) n'est nullement [137] un phénomène québécois; elle caractérise toutes les régions canadiennes

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 182

et même tous les pays de l'Occident. Le Québec a donc généralement suivi cette tendance, tout en accusant quelques particularités mineures. C'est ainsi que le rythme de croissance du secteur public québécois, dans les années cinquante, fut relativement moins rapide que celui des autres provinces, pour ensuite s'accélérer, tant et si bien qu'on aboutit au tout début des années soixante-dix à un secteur public dont le poids dans l'économie était plus élevé que dans le reste du Canada. Cette situation s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui (tableau 7-6).

2. La "conviction idéologique" de North

Cette croissance du secteur public québécois depuis le début des années soixante peut avoir été accélérée par ce que l'historien écono-miste Douglas C. North qualifie de « ideological conviction ». L'ana-lyse que fait cet auteur pour la période américaine du New Deal ne s'applique-t-elle pas aussi à la révolution tranquille du Québec ?

"Une période où la conviction idéologique joua un rôle accru vint avec la dépression, lorsque le changement marqué dans les prix relatifs a induit une demande pour un rôle accru du gouvernement dans l'économie. Le New Deal de Roosevelt n'était pas simplement un effort par tâtonnement pour découvrir une façon de sortir de la Dépression. Il était caractérisé par une conviction profonde que le système du marché avait échoué, était péri-mé et devait être remplacé. À chaque niveau de prise de décision, cette perception modifiée du rôle approprié pour le gouvernement eut une in-fluence critique dans la formation du New Deal. Ce n'était pas seulement le groupe d'experts de Roosevelt qui comptait des individus ayant des en-gagements forts pour un rôle modifié du gouvernement fédéral ; plusieurs agences administratives avaient un personnel de jeunes hommes et de jeunes femmes zélés qui jouissaient d'une grande latitude dans l'applica-tion de la politique du Congrès. Ils modelèrent fréquemment les bureau-craties pour en faire des agences de leurs convictions ; les conséquences avaient des implications durables sur le développement de la structure du contrôle fédéral sur l'économie. Les résultats furent un mélange de pres-sions de groupes d'intérêts combinées à des demandes pressantes pour un

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 183

nouveau rôle dévolu au gouvernement fédéral qui s’appliqua aux trois branches du gouvernement dans les années trente. 98 "

[138]Dès le début des années soixante, le sociologue Hubert Guindon

avait d'ailleurs perçu ce qui fut qualifié de révolution tranquille comme une révolution bureaucratique orientée vers les intérêts d'une « nouvelle classe moyenne » 99 qui se substituait à l'élite cléricale ou religieuse.

3. Effet rétroactif de la croissance du gouvernement sur les ins-titutions

La perte d'importance de la famille et de la religion comme institu-tions centrales de la société a donc favorisé la croissance du gouverne-ment. Cette croissance peut avoir un effet rétroactif sur les deux insti-tutions. Dans une étude sur l'emploi public et l'État-providence en Suède, l'économiste américain Sherwin Rosen concluait :

"La substitution du gouvernement pour des services ménagers fournis par le privé et la famille, qui ressort des statistiques sur l'emploi, est le vrai sens dans lequel la Suède a nationalisé la famille et « commercialisé » le ménage. Dans la majorité des autres pays, une plus grande part de ces acti-vités est fournie privément à l'intérieur du secteur informel des ménages, souvent par des transactions qui n'apparaissent jamais dans les comptes nationaux. En Suède, une grande part des femmes s'occupent des enfants des femmes qui travaillent dans le secteur public pour prendre soin des parents des femmes qui veillent sur leurs enfants. Si les femmes suédoises X prennent soin des parents des femmes Y, qui, elles, s'occupent des en-fants des femmes X, on peut se demander quelle augmentation de produc-tion réelle il en découle. Lorsque l'État fournit socialement les services qui autrement seraient produits privément par la famille ou le secteur pri-

98 D.C. North, "The Growth of Government in the United States : An Econo-mic Historian's Perspectives", Journal of Public Economics, vol. 28, nº 3, déc. 1985, p. 396.

99 H. Guindon, "Social Unrest, Social Class and Quebec's Bureaucratic Revo-lution", Queen's Quarterly, vol. LXXI, été 1964, pp. 150-162. [La version française de ce texte est disponible dans Les Classiques des sciences so-ciales. JMT.]

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vé, plusieurs activités ordinaires, intrinsèquement personnelles, doivent être prises en compte explicitement en termes monétaires et faire partie du PIB comptabilisé; les taxes doivent être augmentées pour les financer, et des règlements et conditions complexes doivent être imposés pour éviter des effets secondaires indésirables". 100

L'État providence a modifié de façon considérable la division du travail entre les ménages, les marchés et les organismes gouvernemen-taux. Il n'a pas nationalisé le secteur des affaires, mais il a plutôt tou-ché aux services produits par les ménages. L'obtention d’une aide gouvernementale est souvent rattachée à [139] la mise en établisse-ment des personnes impliquées (enfants, vieillards ou personnes han-dicapées) et la prise en charge de ces personnes par la famille est même découragée. C'est la même situation en éducation: la formation dans des institutions publiques est très largement subventionnée, contrairement à la formation sur le tas. Deux exceptions récentes à ce phénomène ont été la « désinstitutionnalisation » d'un nombre élevé de handicapés mentaux et plus récemment une volonté d'accroître les soins à domicile.

D’une façon générale, la croissance du gouvernement et son omni-présence ont modifié tout le système d'incitations qu'affrontent les agents économiques de même que les différentes institutions.

7.6. Les facteurs non institutionnels

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Jusqu'ici, nous avons insisté sur des facteurs institutionnels pour essayer d'expliquer la croissance considérable de la part des dépenses publiques dans la production. Une première partie a été consacrée à la présence possible de différentes défaillances dans l'institution décen-tralisée qu'est le marché. Il arrive d'ailleurs que certaines firmes se soustraient au marché en produisant elles-mêmes des biens et services qu’elles pourraient acheter sur les marchés. Par exemple, Bell Canada n'achète pas directement les services de relations publiques comme j'achète un pain, mais préfère utiliser des facteurs de production in-

100 S. Rosen, « Public Employment and the Welfare State in Sweden », Jour-nal of Economic Literature, vol. XXXIV, no 2, juin 1996, pp. 734-735.

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ternes et produire lui-même le service désiré, ce que je fais quand je cuisine un repas.

[140]TABLEAU 7-5

DÉPENSES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUESET PRODUIT INTÉRIEUR BRUT, CANADA ET QUÉBEC, 1961-1978

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(1)PIB

Canada

(2)Dép. des

adm. publ. Canada

(2)/(1)%

(4)PIB

Québec

(5)Dép. des

adm. publ.Québec

(5)/(4)%

1961 40 165,1 12 200 30,4 10 576,1 2 821 26,71962 43 749,1 13 197 30,2 11 473,3 3 114 27,11963 46 790,9 13 932 29,8 12 081,2 3 319 27,61964 51 062,1 14 905 29,2 13 391,8 3 706 27,71965 56 094,6 16 554 29,5 14 690,6 4 223 28,71966 62 706,2 19 101 30,5 16 291,9 4 734 29,11967 67 546,9 21 828 32,3 17 621,4 5 407 30,71968 73 739,7 24 472 33,2 18 801,5 6 124 32,61969 81 409,9 27 226 33,4 20 534,4 6 818 33,21970 86 648,1 31 148 35,9 21 930,8 7 781 35,51971 95 070,6 35 205 37,0 23 619,7 8 979 38,01972 106 617,0 39 738 37,3 26 258,4 10 190 38,81973 125 739,1 45 045 35,9 30 005,8 11 790 39,31974 150 406,7 55 961 37,2 35 451,0 14 645 41,31975 168 185,7 68 288 40,6 39 761,9 17 818 44,81976 194 148,2 77 084 39,7 46 214,1 20 708 44,81977 213 164,2 86 595 40,6 50 108,6 22 901 45,71978 235 461,9 96 734 41,1 56 180,9 25 440 45,3

r = 11% r = 13,0% ∆ de 1961-7835,2%

r = 10,3% r = 13,8% ∆ de1961-7869,7%

r = taux de croissance annuel entre 1961 et 1978.

Source : Statistique Canada, Comptes économiques provinciaux 1961-1976 et Comptes économiques provinciaux 1963-1978, Ottawa, Ministère des Approvi-sionnements et Services Canada, 1978 et 1980.

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[141]

TABLEAU 7-6

ADMINISTRATION PUBLIQUE : TOTAL DES DÉPENSES COURANTESET D'ACQUISITION DE CAPITAL NON FINANCIER PAR RAPPORT

AU PIB, QUÉBEC ET CANADA, 1981 À 2001 (EN %)

Retour à la table des matièresQ

UÉB

EC

CA

NA

DA

Diff

éren

ce

QU

ÉBEC

CA

NA

DA

Diff

éren

ce

- - - 1990 52,8 47,4 5,4

1981 51,5 41,5 10,0 1991 55,9 50,7 5,2

1982 54,1 45.8 8.3 1992 57,1 51,9 5,2

1983 53,3 46,0 7,3 1993 57,6 50,8 6,8

1984 52,7 45,7 7,0 1994 55,3 48,4 6,9

1985 54,3 46,3 8,0 1995 54,2 47,1 7,2

1986 52,0 45,9 6,1 1996 52,8 45,1 7,7

1987 49,1 44,6 4,5 1997 50,4 42,9 7,5

1988 48,2 43,8 4,4 1998 49,8 42,9 6,9

1989 50,0 44,6 5,4 1999 47,6 40,7 6,9

2000 46,7 39,3 7,4

2001 46,9 40,0 6,9

Source : CANSIM, tableaux 384-004 et 384-002.

La croissance de l'État peut aussi être partiellement perçue comme un changement institutionnel destiné à remplir certaines grandes fonc-tions que le public demande. Auparavant, la famille et les institutions religieuses ou de bienfaisance avaient un rôle prépondérant dans les services éducatifs, les soins de la santé et l'aide aux plus démunis. L'intervention des pouvoirs publics se trouvait principalement au ni-veau du gouvernement local, comme l'illustre bien le rôle limité du

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 187

gouvernement central lors de la crise des années trente. Aujourd'hui, les gouvernements supérieurs consacrent le gros de leurs ressources à ces fonctions, ce qui réduit évidemment la place occupée par les an-ciens responsables.

Enfin, l'intervention publique, quelle que soit sa forme, résulte du jeu politique. Il est donc essentiel d'analyser ce qu’on peut appeler le marché politique ou les règles démocratiques, pour expliquer le phé-nomène de l'omniprésence gouvernementale. Tout le prochain cha-pitre sera consacré à l'économique des processus politiques.

Mais en dépit de l'importance de tous les facteurs que nous avons examinés jusqu’à maintenant et qui peuvent être qualifiés d'institu-tionnels, il ne faut pas, pour expliquer la croissance du [142] secteur public, ignorer d’autres facteurs auxquels s'intéressent les études de marché et les analyses microéconomiques traditionnelles. Ce sont les prix, le revenu et la population. 101

1. Les prix

L'évolution des prix relatifs des services gouvernementaux ne pourrait-elle pas expliquer une partie de la croissance relative des dé-penses gouvernementales en biens et services dans l'économie ? La première fois que j'en ai fait le calcul, c'était pour la période de 1950 à 1980. 102 Les dépenses publiques totalisaient 13,1% de la production

101 Pour une excellente et succincte discussion qui demeure valable à propos de ces facteurs et des autres déjà mentionnés, voir T.E. Borcherding, "The Causes of Government Expenditure Growth : A Survey of the U.S. Evi-dence", Journal of Public Economics, vol. 28, nº 3, décembre 1985, pp. 359-382. Nous nous en inspirons. Voir aussi C.M. Holsey et T.E. Borcherding, "Why Does Government's Share of National Income Grow ? An Assessment of the Recent Literature on the U.S. Experience", dans D.C. Mueller, Pers-pectives on Public Choice. A Handbook, Cambridge, U.K. : Cambridge Uni-versity Press, 1997, p. 562-589 et T.E. Borcherding, "The Growth of Rela-tive Size of Governement", dans C. Rowley et F. Schneider (s.l.d.), Ency-clopedia of Public Choice, vol. 2, Boston MA: Kluwer Academics, 2004, pp. 273-278.

102 G. Bélanger, "La tertiarisation de l'économie et l'expansion des dépenses gouvernementales : illusion ou réalité ?", Le banquier et revue IBC, vol. 10, nº 3, juin 1983, pp. 26-30.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 188

en 1950 et 22,8% en 1980. On peut se demander si cette expansion reflète un volume de production relativement plus élevé par rapport au reste de l'économie ou des prix relatifs plus élevés ?

Les indices implicites des prix de la dépense nationale brute nous aideront à répondre à cette question. Durant la période de 1950 à 1980, le taux annuel moyen d'augmentation de l'indice des prix des dépenses publiques courantes en biens et services a été de 6,99%, taux bien supérieur à celui de 4,95% pour l'ensemble de la dépense natio-nale brute. Cette différence est importante. Exprimons les dépenses de 1950 en termes de prix de 1980. La part des dépenses gouvernemen-tales dans l'économie passe alors de 13,1 à 22,9%. On ne saurait tom-ber plus juste ! L'expansion de la part de dépenses gouvernementales en biens et services par rapport à la dépense nationale brute serait donc entièrement la conséquence de prix relatifs croissants des dé-penses publiques et non d'une production du secteur public augmen-tant plus rapidement que l'économie.

Le tableau 7-7 donne des estimations similaires de l'évolution du volume des services gouvernementaux par rapport au PIB réel pour les périodes de 1961 à 1994 et de 1961 à 2003. Le recours à deux pé-riodes qui se chevauchent en grande partie est motivé par le souci de saisir l’effet éventuel de la "lutte au déficit" dans le secteur public au cours des années quatre-vingt-dix. Les estimations indiquent pour 1994 un volume des services gouvernementaux, par rapport au PIB réel, légèrement inférieur à celui de 1961, alors que la part des dé-penses courantes en [143] biens et services sur le PIB, exprimées en dollars courants, est passée au cours de la période de 16,1 à 22,3%. En 2003, le volume des services gouvernementaux par rapport au PIB réel était inférieur d'environ quinze% à celui de 1961. La « lutte au déficit » a donc été efficace.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 189

TABLEAU 7-7

ESTIMATIONS DE L'ÉVOLUTION DU VOLUME DES SERVICESGOUVERNEMENTAUX PAR RAPPORT AU PIB RÉEL,

CANADA, 1961-1994 ET 1961-2003

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DÉPENSES GOU-VERNEMENTALES COURANTES EN

BIENS ETSERVICES

EN % DU PIB

INDICE DES PRIX DES DÉPENSES

PUBLIQUES COURANTES SUR INDICE DES PRIX

DU PIB(1961 = 100)

(DÉP. GOUV./PIB) DE 1961 À PRIX

RELATIFSCONSTANTS

VOLUME DES SERVICES

GOUVERNEMENTAUX PAR

RAPPORT AU PIB (1961 = 100)

(1) (2) (3) 4 = (1) ÷ (3)

1961 16,1 100 16,1 1,0

1994 22,3 143 23,0 0,97

2003 19,1 145 23,3 0,84

Source : Statistique Canada, L'observateur économique Canadien. Supplément statistique historique 2003/04, Ottawa, nº de cat. 11-210-XIB, 2004, p. 25 et 42 avec calculs de l'auteur.

Il ne faut toutefois pas donner à ces décompositions comptables une importance qu'elles n'ont pas. 103 Une augmentation de prix relatifs n'a un effet correspondant sur les dépenses que si la quantité deman-dée ne change pas. Si l’on utilise une élasticité de la demande des ser-vices publics par rapport aux prix égale à 0,4, le facteur prix explique-rait plus de soixante% de la croissance de la part des dépenses gouver-nementales en biens et services dans l'économie.

En outre, ces résultats souffrent des problèmes de la mesure des variations des prix des services et tout particulièrement des services gouvernementaux. Le chapitre 4 y a déjà fait allusion. Les salaires et autres rémunérations comptent pour les deux tiers dans les variations

103 Le périmètre du secteur gouvernemental varie avec le temps et n’est pas toujours clair. Le ministère fédéral des Transports s’est déchargé de l’admi-nistration des aéroports par la création de sociétés privées à but non lucratif comme Aéroports de Montréal.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 190

de coûts des services des gouvernements. Dans ces conditions, l'évo-lution des prix de l'output, ici les services gouvernementaux, se confond presque avec l'évolution des prix des inputs, les travailleurs. Cela revient à supposer qu'il y a complète absence d'augmentation de productivité de la part de la main-d'œuvre employée dans les adminis-trations publiques.

[144]

2. Les revenus et la population

Quelle est la sensibilité de la demande pour les services gouverne-mentaux par rapport aux variations du revenu moyen de la popula-tion ? Si une augmentation du revenu moyen de 10% accroît la de-mande de 10%, d'où une élasticité égale à 1, la part du gouvernement n'augmente pas. Une telle estimation semble élevée pour nos écono-mies si on se réfère à la majorité des études empiriques sur le sujet.

L'augmentation des revenus a des effets sur les dépenses gouverne-mentales par une voie détournée qui est différente de celle de la de-mande. C'est là une simple application du modèle à deux secteurs étu-dié au chapitre 4. Un accroissement de la production par habitant est normalement associé à une rémunération plus élevée, comme en té-moigne la situation comparée des États-Unis et du Portugal. Si la pro-ductivité des services gouvernementaux croît moins rapidement que pour l'ensemble de l'économie, la croissance des revenus accroît le coût relatif des services gouvernementaux. Si leur demande est peu sensible au prix, les dépenses qui leur sont consacrées croissent.

Qu'en est-il de la variable population ? L'augmentation de la popu-lation sur la part des dépenses gouvernementales dans l'économie a deux effets qui sont de direction opposée. En premier lieu, si les ser-vices gouvernementaux un aspect de consommation collective ou d'externalité positive, l'augmentation de la population tend à diminuer la part du gouvernement dans l'économie. Cependant l’augmentation de la population implique un effet de prix en réduisant la part du far-deau assumée par chaque citoyen. Cela a pour effet d’accroître la quantité demandée des services publics. L'effet combiné est probable-ment très faible ; on peut dire que l'élasticité des dépenses gouverne-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 191

mentales par tête par rapport à la population ne semble pas significati-vement différente de zéro. Les deux effets de direction opposée sont donc mineurs.

En somme, le facteur des coûts relatifs croissants des services se-rait le seul facteur non institutionnel important parmi les trois exami-nés ici : prix, revenu et population. Son impact sur la croissance de la part du gouvernement dans l'économie est majeur.

[145]

7.7. L'économique des processus politiques

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L'intervention politique, quelle que soit sa forme, résulte d’un jeu politique. Il est donc essentiel d'analyser le marché politique si l’on veut expliquer la croissance du secteur public et son omniprésence. D'ailleurs un nombre grandissant d'économistes s'y consacrent depuis environ quarante ans. Ils utilisent pour cela la méthodologie écono-mique traditionnelle, c'est-à-dire l'identification d'agents économiques à la poursuite de leurs propres intérêts, pour expliquer les phénomènes réservés antérieurement à la science politique.

L'ampleur du sujet nous invite à y consacrer un chapitre.

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[146]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 192

[147]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 8L’économique

des processus politiques

On ne peut pas appliquer les règles du jeu de bridge quand on joue une partie de poker. Il est donc nécessaire d'étudier les règles de l'agrégation des préférences individuelles variées de la population. Il s’agit en fait des processus politiques. Encore ici, le recours à des mo-dèles simples permettra de simplifier la réalité tout en livrant des conclusions intéressantes.

8.1. L'équilibre du votant médian

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Dans notre démocratie, la règle du jeu est que les décisions se prennent à la pluralité simple des participants. L'aboutissement de ce régime, c'est qu'il favorise la réalisation des préférences de celui qui se situe à la médiane ou au milieu des préférences. En d'autres termes, en considérant le choix du votant médian, on peut, en vertu de cette propriété du scrutin majoritaire, expliquer les principaux choix budgé-taires et réglementaires effectifs.

Voici un exposé sommaire des fondements de cette prétention. Une société de trois individus doit décider de la superficie d'un parc sur son territoire et, pour simplifier la présentation, nous supposerons que les préférences de ces trois individus en matière de superficie du parc sont la seule dimension qui les distingue l'un de l'autre. Comme la fis-

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calité, qui sert au financement des parcs, constitue une façon d'assi-gner un prix à chacune de ces personnes, le choix de chacun en ma-tière de superficie dépendra donc du prix qu'il est appelé à payer.

[148]Pour simplifier encore la présentation, nous retiendrons l'hypo-

thèse que les trois individus auront à payer un impôt égal, quelle que soit la décision prise. Cette forme de taxation s'appelle la capitation. C'est la plus simple à analyser et, de toute façon, les résultats ne diffé-reraient pas sensiblement si l'on adoptait une autre formule de finance-ment. La figure 8-1 définit l'aboutissement d'un régime régi par les règles de la majorité simple. La demande de chacun est la quantité qu'il est disposé à acheter à différents prix fiscaux; elle est représentée par les droites D1, D2 et D3. La droite horizontale tracée au niveau Po reflète le fait que le coût du service est fixe et égal à 3Po, Po étant l'impôt de chacun. Il est le même pour les trois citoyens. On découvre par la même occasion, en se rapportant à l'axe horizontal (qui mesure la superficie), que le niveau optimal d'output (c'est-à-dire la superficie optimale) pour chacune des trois personnes est respectivement de X1, X2 et X3.

La proposition visant à augmenter la superficie de X1 à X2 recevrait l'appui des votants 2 et 3, puisque l'avantage qu'ils retirent de cette addition, avantage mesuré par la hauteur de la courbe de demande, l'emporte sur le coût (Po) qu'ils ont à payer pour l'expansion. De même, toute proposition entraînant la contraction de l'output de X3 à X2 recevra l'appui d'une majorité, cette fois-ci celle des votants 1 et 2. À la superficie X2 et à ce niveau seulement, on découvre qu'aucune proposition différente ne l'emporterait à la majorité. La superficie X2

constitue la proposition majoritaire.Bien entendu, si l'on modifiait la distribution du fardeau fiscal,

c'est-à-dire du prix que chacun doit payer par rapport aux autres, les quantités choisies par les différents individus pourraient changer aus-si, mais là encore, on pourrait repérer l’un des trois votants comme étant celui dont la quantité préférée correspond à la médiane de la col-lectivité. S'il est vrai qu'une structure fiscale différente pourrait entraî-ner des changements dans l'identité du votant médian, en même temps que la superficie préférée par ce nouveau votant médian, il n'en reste pas moins que la règle de la majorité simple équivaut à la délégation

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 194

du choix collectif à une seule personne, soit la personne aux préfé-rences médianes.

[149]

FIGURE 8-1

ÉQUILIBRE DU VOTANT MÉDIAN

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Prix fiscal

Superficie

Bien que simpliste en apparence, le théorème du votant médian facilite la compréhension de nombreux phénomènes des régimes par-lementaires modernes. Ainsi, la tendance des partis politiques à se res-sembler, c'est-à-dire l'absence de différenciation prononcée entre les deux plus grands partis politiques, s'explique par la règle élémentaire exposée ci-dessus. De même, la tendance des gouvernements à stan-dardiser les services publics, c'est-à-dire à offrir à la population des quantités et des qualités identiques à tous les individus, vient de cette pression en faveur du centre. Dans un régime démocratique, les extré-mistes risquent de rester de perpétuels frustrés.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 195

a) Redistribution et théorème du votant médian

L'économiste Karl Brunner affirmait avec raison que "l'essence de la politique est la redistribution et que les conflits politiques sont cen-trés sur des questions de redistribution". 104 Comment le théorème du votant médian peut-il expliquer la redistribution des revenus par le gouvernement ?

Dans la détermination par le marché de la consommation des pro-duits, c'est la variable revenu moyen de la population qui a [150] un rôle important. D'autre part, l'expression des volontés par le vote fa-vorise la réalisation des préférences de celui qui se situe à la médiane. Ainsi, la différence entre le "vote sur le marché" avec des billets verts (ou la carte de crédit) et la règle d'une personne/un vote, implique un déplacement de l'équilibre du revenu moyen vers celui du revenu mé-dian, qui est généralement inférieur au premier de 15 à 25% pour les provinces canadiennes. Cette proposition a d'importantes consé-quences.

Premièrement, tout ce qui diminue le revenu du votant médian par rapport au revenu moyen favorise une croissance de la taille du gou-vernement, c'est-à-dire l'ampleur de son intervention au profit de ceux qui sont proches du revenu médian. Ainsi, l'extension du droit de vote, qui abaissait le revenu du votant médian par rapport au revenu moyen, a été favorable à l'expansion du secteur public. De la même façon, au cours des années soixante, la diminution de l'âge moyen des votants induite par la baisse de l'âge minimum, de même que l'effet du "baby boom", n'aurait-elle pas ainsi favorisé la croissance des gouverne-ments ? 105

En 1991, la Commission royale sur la réforme électorale et le fi-nancement des partis (Commission Lortie) recommandait au gouver-nement fédéral d'abaisser l'âge minimum du vote de 18 à 16 ans. Le Nouveau parti démocratique exprima rapidement son appui à cette 104 K. Brunner, "Reflections on the Political Economy of Government : The

Persistent Growth of Government", Revue suisse d'économie politique et de statistique, vol. 114, nº 3, 1978, p. 662.

105 A.H. Meltzer et S.F. Richard, "A Rational Theory of the Size of Govern-ment", Journal of Political Economy, vol. 89, nº 15, oct. 1981, pp. 914-927.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 196

proposition en étant bien conscient qu'elle allait dans ses intérêts, ce parti préconisant une expansion du secteur public.

Parallèlement, le vieillissement de la population ne provoquera-t-il pas un recours plus important à l'impôt sur les salaires plutôt que sur le rendement des épargnes ? Cela est d'ailleurs très bien commencé par le traitement fiscal de l'épargne-retraite et du capital investi dans sa propre résidence. De plus, au Québec, la localisation du votant mé-dian (dont le revenu est plus faible que le revenu moyen) est déplacée vers les "régions" par deux phénomènes : une répartition inégale des électeurs entre les circonscriptions (au profit des "régions") et d'autre part, les majorités "inutilement" élevées prévalant dans les circons-criptions à majorité non francophone (dont le revenu est plus proche de la moyenne).

Il existe toutefois un frein aux politiques redistributives demandées par le votant médian et qui provoquent l'expansion du secteur [151] public. Elles diminuent en effet la productivité de l'économie ou, dans une forme plus imagée, la grosseur du gâteau à partager.

b) Votant médian et assurance-santé

Le modèle du votant médian a été appliqué à la socialisation de l'assurance maladie au Canada. 106 En se concentrant sur le rapport du revenu médian au revenu moyen, pour les différentes provinces et le Canada, Wilson tente d'expliquer les phénomènes suivants : la socia-lisation initiale par la Saskatchewan, sa généralisation dans les autres provinces seulement après le partage fédéral des coûts et la présence, parfois, de quelques caractéristiques propres à l'assurance privée, tels le financement à l'aide de primes et la surfacturation.

Bien sûr, le modèle n'explique pas tout, mais le rapport du revenu médian au revenu moyen semble avoir un rôle non négligeable. Les rapports étaient en effet les plus bas pour la Saskatchewan et l'en-semble du Canada; et ils étaient les plus élevés dans les trois pro-vinces qui ont conservé des caractéristiques des plans privés d'assu-rance, la Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario.

106 L.S. Wilson, "The Socialization of Medical Insurance in Canada", Cana-dian Journal of Economics, vol. XVIII, nº 2, mai 1985, pp. 355-376.

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c) Votant médian et tarification de l'électricité

Deux de mes collègues ont appliqué la théorie du votant médian à la tarification de l'électricité au Québec et au Canada. Leur question était définie de la façon suivante :

"Au Canada, les compagnies d'électricité propriétés du gouvernement opèrent sous un ensemble de règlements qui ont conduit à des prix d'élec-tricité basés sur les coûts moyens historiques, qui sont eux-mêmes plus bas que les coûts d'une production additionnelle ou marginale. C'est particuliè-rement la situation des provinces qui utilisent davantage les ressources hydrauliques. Plusieurs études ont montré les pertes économiques impor-tantes qu'entraînent les présents arrangements institutionnels et ont recom-mandé un alignement des prix de l'électricité sur les coûts marginaux. Jus-qu'ici, ces études et recommandations ont eu peu de succès et leur effet sur les politiques de prix adoptées par les provinces pour leurs compagnies électriques a été nul. La question est la suivante : pourquoi les consomma-teurs d'électricité qui sont aussi des votants élisent-ils des gouvernements qui, d'une part, approuvent des prix [152] d'électricité plus bas que le coût marginal et qui, d'autre part, appliquent des taux élevés de taxation sur le revenu ?". 107

Le résumé de leur texte donne la réponse :"... si (i) les revenus gouvernementaux sont prélevés à l'aide d'un impôt

proportionnel au revenu, (ii) le revenu médian de la population est infé-rieur au revenu moyen et (iii) la part du revenu consacrée à l'achat d'élec-tricité décroît avec l'augmentation du revenu du consommateur, alors le prix de l'électricité issu d'un vote universel à la majorité est inférieur au coût marginal. Des données d'Hydro-Québec sur la tarification et la consommation s'avèrent conformes aux résultats du modèle".  108

107 J.T. Bernard et M. Roland, "Rent Dissipation Through Electricity Prices of Public Owned Utilities", Revue canadienne d'économique, vol. XXX, nº 4, nov. 1997, p. 1217.

108 Ibid., p. 1204. En 2003, 41,0% des contribuables québécois étaient non im-posables. Ministères des Finances et du Revenu, Statistiques fiscales des particuliers 2003, Québec, janvier 2006, p.2.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 198

d) Se joindre à quels groupes ?

Feu le comédien Groucho Marx aurait affirmé : "Je m'en fiche d'appartenir à un club qui accepterait comme membres des gens sem-blables à moi". 109

Le théorème du votant médian a une conclusion plus positive : choisissez un club ou un groupe dont les préférences de la "personne médiane" correspondent aux vôtres. Cela s'applique aussi à l'activité syndicale. Les dirigeants syndicaux n'ont pas intérêt à s'occuper de leurs membres exceptionnels, mais visent plutôt le membre médian, qui n'atteint pas l'excellence.

Un jeune professeur promu à une carrière de niveau international ne sera pas favorisé par le syndicat des professeurs de son université. Ainsi, à l'Université Laval, le syndicat manifeste peu d'enthousiasme pour les primes au marché en insérant dans la convention collective une forme de taxation de ces primes. Le syndicat travaille pour la "grosse moyenne", ce qui favorise une certaine médiocrité. Tout cela se fait au nom du bien commun et de la liberté universitaire.

e) Frustrations devant l'équilibre du votant médian

Toutefois, à l'intérieur du mouvement syndical, un groupe peut trouver que ses intérêts sont mal défendus et quitter pour un autre or-ganisme. Ce fut le cas durant les années soixante-dix avec le départ des infirmières de la Fédération des affaires sociales (aujourd'hui la Fédération de la santé et des services sociaux), affiliée à la Confédéra-tion des syndicats nationaux. Leurs intérêts ne concordaient [153] pas avec le langage marxisant de la CSN d'alors. Il serait aussi intéressant d'analyser comment les intérêts des titulaires des postes TPO (temps partiel occasionnel) furent défendus à l'intérieur des syndicats d'infir-mières. Leur statut précaire et leur moins grande participation dimi-nuaient l'importance de leur poids dans les effectifs.

109 http://www.therightside.demon.co.uk/quotes/groucho/menu.htm (Citation 23 sur 40). Consulté le 2004-04-12.

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Si la décision politique satisfait aux préférences du votant médian, il en découle un nombre impressionnant de votants frustrés du résul-tat. Les personnes les plus débrouillardes, celles qui ont des réseaux de contacts ou d'influence et aussi plus de revenus, prendront les moyens pour obtenir un ajustement particulier par rapport aux ser-vices publics orientés vers la satisfaction du votant médian. Cet ajus-tement sera recherché à la fois à l'intérieur des services fournis par le secteur public et aussi par la recherche de services supplémentaires du secteur privé.

C'est précisément la conclusion d'une enquête auprès de 2 256 On-tariens qui ont subi un infarctus du myocarde entre décembre 1999 et juin 2002. Voici le résumé des résultats de l'étude et de la conclusion présentée par les auteurs :

"Résultats - Par comparaison aux patients d'une strate socio-écono-mique inférieure, les patients plus riches ou mieux éduqués avaient plus de chances de subir une angiographie coronarienne (67,8% contre 52,8%; P < ,001), de bénéficier d'une réhabilitation pour cardiaques (43,9% contre 25,6%; P < ,001), ou d'être suivis par un cardiologue (56,7% contre 47,87%; P < ,001). Les différences socio-économiques dans les soins car-diaques persistaient après un ajustement pour les cas troubles. En plus de recevoir plus de services spécialisés, les patients d'une strate socio-écono-mique plus élevée avaient une plus grande probabilité d'être insatisfaits de l'accès aux soins spécialisés (R2 ajusté: 2,02; intervalle de confiance de 95%, 1,20 - 3,32) et de favoriser des déboursés pour un accès plus rapide à une plus grande diversité d'options de traitement (30% contre 15% pour les patients dont le revenu du ménage était de 60 000$ ou plus, par rapport à ceux dont les revenus étaient inférieurs à 30 000$ canadiens ; P  < ,001). Cependant, après les ajustements pour les caractéristiques de base, le statut socio-économique n'était pas associé d'une façon statistiquement significa-tive au taux de mortalité, un an après l'hospitalisation pour un infarctus du myocarde.

Conclusion - Par comparaison à ceux qui ont des revenus plus bas ou moins d'instruction, les Canadiens de la classe moyenne [154] supérieure obtiennent un accès préférentiel aux services, à l'intérieur d'un système de santé financé par le secteur public et néanmoins, ils ont une plus grande

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probabilité de favoriser une couverture supplémentaire ou l'achat direct de services". 110

Tout système contraignant appelle des ajustements individuels. Des études similaires devraient être entreprises pour les différents pro-grammes gouvernementaux, par exemple le programme des garderies subventionnées au Québec.

8.2. Le commerce des votes

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Le théorème du votant médian repose sur deux hypothèses : ab-sence de commerce des votes entre les citoyens et coûts nuls de parti-cipation aux processus politiques. Il est maintenant utile d'étudier les effets d'un relâchement de ces deux conditions.

Il peut apparaître scandaleux et irréaliste de parler de commerce de votes entre citoyens. La loi ne l'interdit-elle pas ? Bien sûr, mais ce commerce demeure tout aussi présent par différentes voies, celle du programme d'un parti politique par exemple. En effet, aucun électeur n'est favorable à l'ensemble des mesures proposées dans le programme d'un parti donné, même s'il décide de voter en sa faveur. Il accepte des mesures qui sont défavorables à ses intérêts, mais promues par d'autres électeurs, en contrepartie des promesses qui lui tiennent à coeur. Vu de cette façon, le programme d'un parti politique représente un commerce entre différents groupes d'électeurs afin d'obtenir la plu-ralité des votes. Ce commerce permet à ceux qui ont des préférences éloignées de celles du centre de mieux exprimer l'intensité de leurs préférences. Ils peuvent par exemple être prêts à voter exclusivement sur la base de l'élément spécifique qui les intéresse. C'est le cas de beaucoup d'étudiants en ce qui concerne la politique du gel des droits de scolarité au niveau universitaire.

À la figure 8-1, à cause de l'absence d'échange entre les votants, tout déplacement de la demande du votant 1 vers la droite, mais sans 110 D.A. Alter et al., "Socioeconomic Status, Service Patterns, and Perception of

Care Among Survivals of Acute Myocardial Infarction in Canada", JAMA, vol. 291, nº 9, 3 mars 2004, p. 1100.

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atteindre la demande du votant 2, n'a aucun effet sur la décision finale. En effet, il ne déplace pas la position d'équilibre du votant médian. En revanche, s'il y a échange, le votant 1 peut faire savoir qu'il est plus éloigné des préférences du votant médian [155] que ce n'est le cas du troisième votant. Cela permettra, dans le cas où les coûts d'échange sont nuls, de déplacer le résultat de l'équilibre du votant médian vers la quantité qui correspond aux préférences moyennes, située ici à un niveau inférieur à X2. D'ailleurs, à ce nouvel équilibre, le coût margi-nal de la production, ici agrandir le parc, est égal au bénéfice margi-nal. Comme la préférence moyenne correspond dans ce cas à P0, l'uti-lité pour les trois individus de l'accroissement de la superficie du parc correspond à 3P0, le coût marginal de son agrandissement. Une condi-tion nécessaire pour l'absence de gaspillage est ainsi satisfaite.

Si le marché politique fonctionnait parfaitement, c'est-à-dire s'il n'en coûtait rien aux citoyens pour bien révéler l'intensité de leurs pré-férences, un résultat agrégé efficace serait alors obtenu. Dans ce mar-ché, comme dans le marché traditionnel, on retrouverait les bienfaits de la concurrence. Malheureusement, dans la réalité, le processus par lequel les citoyens expriment leurs préférences comporte des coûts; ces derniers permettent à différentes minorités bien organisées, y com-pris la bureaucratie gouvernementale, de faire incliner les décisions politiques en leur faveur.

8.3. Coûts de participationet majorité rationnellement silencieuse

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Les coûts de l'information et de la participation politiques ex-pliquent le phénomène assez généralisé de la majorité rationnellement silencieuse. Pour chaque membre de cette majorité, l'action politique est trop coûteuse pour le bénéfice qu'il peut personnellement en reti-rer. Ce n'est toutefois pas le cas pour les individus fortement concer-nés par une mesure gouvernementale : pour cette minorité agissante, les bénéfices attendus de la participation aux processus politiques dé-passent les coûts. C'est la logique de l'(in)action collective 111.111 Le texte pionnier à cet égard est M. Olson, The Logic of Collective Action :

Public Goods and the Theory of Groups, Cambridge MA : Harvard Univer-

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L'action d'un groupe produit ce que les économistes appellent un bien public. Ce bien a deux caractéristiques distinctes : consommation collective et difficultés d'exclusion. Dans le cas d'une pomme, celui qui la mange ne peut pas la rendre également disponible pour un autre consommateur; mais il en va autrement [156] pour la sécurité natio-nale: sa consommation par un citoyen n'empêche pas sa disponibilité pour les autres membres de la société. La consommation est bien col-lective.

Même si un concert ou une partie de hockey au Centre Bell im-plique une consommation collective, ce ne sont pas là des biens pu-blics. La deuxième caractéristique n'est pas satisfaite, puisqu'il est très facile d'exclure des consommateurs en vendant des droits d'entrée. Sans cette possibilité d'exclure, il serait presque impossible de dé-frayer les coûts du spectacle. Évidemment, chacun voudrait être gra-tuitement spectateur, ce qui est appelé free rider en anglais et passager clandestin ou resquilleur en français.

Les coûts d'organisation varient considérablement selon la dimen-sion des groupes. Dans un petit groupe, il existe une relation étroite entre le coût de participation de chacun et le bien collectif du groupe. Il y a donc moins de dérobade à l'égard des responsabilités de chacun. Ce n'est toutefois pas le cas pour les grands groupes, où il existe une forte incitation à resquiller. Cela implique des coûts d'organisation élevés, qui accroissent la probabilité que le groupe ne soit pas formé ou, dans le cas contraire, qu'il soit peu vigoureux.

sity Press, 1965, 186 p. traduit Logique de l'action collective, Paris : Presses universitaires de France, 1978, 199 p.

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a) Un exemple, le prix du lait

La détermination du prix du lait peut servir à illustrer la théorie de l'(in)action collective. 112 L'Union des producteurs agricoles (UPA) est depuis 1972 la seule association syndicale accréditée pour représenter les producteurs agricoles du Québec; elle a ainsi le droit de percevoir des cotisations obligatoires de tous les producteurs. Le législateur a aussi, de cette façon, considérablement réduit les coûts d'organisation des producteurs laitiers, qui étaient au nombre de 7 925 en 2003.

Voici par quel mécanisme le pouvoir monopolistique des produc-teurs sur les consommateurs s'exerce. Le contrôle étatique du prix du lait fixe celui-ci à un niveau tellement élevé que, pour éviter la surpro-duction, le gouvernement a attribué, il y a plusieurs années, un quota à chaque producteur; c'était une sorte de permis attribuant à chaque producteur la quantité maximale de lait (ou depuis quelques années, de matière grasse) qu'il était autorisé à [157] produire et vendre. Étant donné les avantages que chaque producteur en tirait, ce "droit", qu'on pouvait vendre, a fini par valoir très cher  : en février 2004, cette simple "feuille de papier" valait 25 999$ par kilogramme de matière grasse produite chaque jour ou, si l'on veut, environ 26 000$ pour avoir le droit de vendre 365 kg de matière grasse par année.

Or, les quelque 7 925 producteurs de lait québécois produisent cha-cun, en moyenne, 14 233 kg de matière grasse par an, ce qui corres-pond à environ 39,0 fois les 365 kg de matière grasse par an. Dans le langage populaire, on a donné le nom de "quota" à cette espèce d'unité de production de 365 kg par an et l'on dit, par exemple, que le produc-teur moyen a droit à 39,0 "quotas". Dans ce sens, on peut dire aussi que chaque "quota" vaut 26 000$. Il en découle évidemment qu'en moyenne, chaque producteur détient une "feuille de papier" qui vaut 26 000$ X 39,0 unités = 1 014 000 dollars. C'est la valeur actualisée que le "marché des quotas" (car il y en a un) donne au producteur

112 Pour un bon texte vulgarisé sur ce sujet, voir W.T. Stanbury, The Politics of Milk in Canada, Vancouver : Fraser Institute Digital Publication, août 2002, 30 p. Consulter aussi : V. Petkantchin, Réforme de la gestion de l’offre lai-tière au Canada ; l’exemple australien, Montréal : Institut économique de Montréal, janvier 2006, 4p.

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moyen, pour ce droit de produire ses 14 233 kg de matière grasse par an, … du moins jusqu'à ce que ce système s'effondre un jour.

Le prix du quota ne fait que refléter l'effet d'un prix du lait élevé par rapport aux coûts de production. Il n'est pas la cause de coûts de production élevés. Si le prix du lait correspondait aux coûts de pro-duction, la valeur du quota serait nulle. Avec un écart de plus en plus grand entre le prix du lait et les coûts de production, le prix du quota augmente.

Que vaut globalement la somme des droits de produire du lait ou, en d'autres termes, que vaut l'exploitation des consommateurs par les producteurs ? Comme la production en 2003 a été de 112,8 millions kg de matière grasse et qu'un quota permet de produire 365 kg de ma-tière grasse par année, un simple calcul donne une valeur d'un peu plus de 8 milliards de dollars pour l'ensemble des quotas. Les droits de produire du lait pour la ferme moyenne dépassaient donc le million de dollars. C'est la valeur qu'a le pouvoir d'une ferme moyenne de vendre aujourd'hui et dans le futur sa production à un prix plus élevé que l'en-semble des coûts de production.

On peut dire aussi que ce montant substantiel représente la valeur actualisée de la différence entre le prix reçu et le coût de [158] pro-duction, pour le présent et le futur, grâce à la présence de quotas. Mal-gré cela, l'UPA affirme que "ce dernier [le producteur de lait] ne reçoit que 0,60$ pour ce litre de lait, alors que son coût de production est de 0,73$". 113 On se demande comment cette affirmation peut se concilier avec le prix très élevé que paient les producteurs (les « quotas ») pour avoir le droit de produire ce lait ?

Une publication de l’OCDE estime la valeur du soutien au prix du lait, de la part des consommateurs canadiens ; ce soutien représentait, en 2003, 57% du prix reçu par le producteur. Exprimons cela d’une autre façon : le prix du lait représentait au Canada 2,3 fois le prix in-ternational. 114 L’industrie laitière canadienne est surtout concentrée au Québec. L’encart 1 reprend une évaluation récente de l’OCDE.113 Communiqué de l’UPA du 5 février 2004 intitulé "Il faut revoir les règles du

jeu dans la chaîne agroalimentaire, plaide l'UPA."114 O.C.D.E., Les politiques agricoles des pays de l’O.C.D.E. Panorama, Paris,

2004, p. 92. Ce rapport élevé ne surprend pas en présence des tarifs cana-diens hors contingents sur les produits laitiers : lait de consommation 241%, yogourt 237,5%, beurre 298,5%, fromages 245,5% et crème glacée 277%

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Encart 1

Extrait d’OCDE, Études économiques de l’OCDE : Canada 2006, Paris, 2006, p. 68-70

Agriculture

Cependant, le secteur laitier se distingue et reçoit un plus fort ratio support sur recettes agricoles brutes (figure 8.2). Ce soutien est fourni dans le cadre des systèmes de régulation de l’offre au niveau des provinces, qui reposent sur la planification de la production intérieure, la fixation des prix à la production et le contrôle des importations de lait et de produits laitiers. Ces systèmes, qui s’ap-pliquent aussi aux œufs et à la volaille, représentent en fait une subvention des consommateurs aux producteurs – estimée à 2.7 milliards de dollars canadiens en 2004 – car les consommateurs paient un prix plus élevé pour ces produits que cela ne serait le cas sur un marché sans restrictions. Ils faussent aussi les déci-sions de production en affaiblissant les signaux de prix. Les rentes économiques qu’ils ont générées sont largement capitalisées, de sorte que les agriculteurs qui en font actuellement partie pourraient subir des pertes significatives si la régula-tion de l’offre était libéralisée. Cependant, une compensation adéquate pourrait considérablement faciliter la réforme (OCDE, 2002); les approches visant la prise en compte de la nécessité d’une compensation adéquate dans les stratégies de libéralisation font l’objet d’une réflexion plus approfondie au sein de l’OCDE.

Les dépenses de l’État au titre de l’aide à l’agriculture et au secteur agroali-mentaire sont aussi importantes : elles ont représenté plus de 40% du PIB agri-cole au cours de l’exercice 2004-2005.

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[159]

FIGURE 8-2

ESTIMATIONS DU SOUTIEN À LA PRODUCTION AGRICOLEPAR PRODUIT, CANADA

(en % de la valeur des recettes agricoles brutes,moyenne 2002-2004)

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Source : OCDE, Les politiques agricoles des pays de l’OCDE. Suivi et évalua-tion 2005, Paris, 2005, p. 128.

Pour défendre et augmenter sa capacité d’exploiter le consomma-teur par les prix élevés du lait, l’UPA prend différents moyens. On peut mentionner l’engagement d’un ancien premier ministre du Qué-bec comme promoteur de ses intérêts ou encore l’adoption à l’unani-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 207

mité par l’Assemblée nationale, le 8 juin 2004, d’une motion d’appui à la gestion de l’offre, qui permet ce gonflement des prix du lait. 115

En plus du processus politique, il est utile de promouvoir ses inté-rêts en influençant l’université. L’UPA et ses fédérations affiliées ont versé 1,5 million de dollars à l’Université Laval pour mettre sur pied la Chaire de recherche en analyse de la politique agricole et de la mise en marché collective. Ainsi, les façons de mieux exploiter le consom-mateur seront étudiées à l’université.

L’UPA exploite la majorité rationnellement silencieuse des consommateurs de lait. Ces derniers ne sont pas défendus par l’Union [160] des consommateurs, la Régie des marchés agricoles et alimen-taires, la Commission canadienne du lait, ni même par Protégez-Vous. 116

115 À l’initiative de l’UPA, la proposition suivante a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale :

"Que l'Assemblée nationale réitère l'importance qu'elle accorde à une agriculture forte et un secteur alimentaire prospère au Québec, qu'elle appuie les objectifs poursuivis par la Coalition pour un modèle agricole équitable, la gestion de l'offre, notamment la protection des économies des régions rurales et la pérennité des fermes québécoises et que l'Assemblée nationale soutienne le gouvernement fédéral au cours des présentes négociations à l'OMC, dans sa démarche pour qu'au terme du cycle actuel des négociations les pays signataires à l'OMC conservent leur capacité d'administrer une ges-tion de l'offre efficace, celle-ci représentant un modèle agricole équitable pour les consommateurs, les contribuables, les transformateurs, les produc-teurs et l'économie québécoise."Source : Assemblée nationale, Procès verbal de l'Assemblée, le mardi 8 juin 2004, Québec, 2004, p. 192.

116 Les producteurs ont toutefois le cœur à la bonne place :« Encore cette année, dans un geste de solidarité, ils donneront 30 000

litres de lait aux plus démunis. Ainsi, la Fédération des producteurs de lait (FPLQ) a remis 15 000 litres de lait à l'organisme Jeunesse au soleil, qui se chargera de la distribution pour la région de Montréal. Par ailleurs, les syn-dicats régionaux de producteurs de lait donneront un minimum de 15 000 litres de lait dans les régions du Québec. Le président de la FPLQ, M. Mar-cel Groleau, rappelle que les producteurs de lait ont donné 523 000 litres de lait aux familles victimes de la pauvreté tout au long de 2006. Depuis le début du programme de dons de lait en 2003, 1,5 million de litres de lait ont été acheminés à plus de 350 000 Québécoises et Québécois. » R. Lacombe, « 30 000 litres de lait pour les démunis », Le Soleil, 20 déc. 2006, p. 48.

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b) Application à la santé : le mythe de la participation

La théorie de l'(in)action collective et le phénomène de la majorité silencieuse qui en découle trouvent leur application dans les diffé-rentes réformes suggérées pour le secteur de la santé du Québec. De-puis le Rapport Castonguay-Nepveu de 1970, la participation sous plusieurs formes est proposée comme moyen pour alléger les désavan-tages de la centralisation du système. Les établissements du secteur de la santé doivent inclure dans leur conseil d'administration quelques membres élus directement par la population.

Les gens s'intéressent très peu à ces élections. Le taux de participa-tion avoisine 1%. Certains groupes dont les intérêts sont bien définis, tels Alliance-Québec et le personnel syndiqué, participent aux élec-tions pour mousser leurs intérêts. 117 Le phénomène de la non-partici-pation n'est pas propre au Québec. La Grande-Bretagne a instauré l'élection de quelques administrateurs représentant le public au conseil d'administration de certains hôpitaux. À l'hôpital Guy et St. Thomas, où une élection eut lieu en avril 2004, seulement 901 personnes sur une population locale de plus d'un demi-million ont voté. 118

117 La journaliste Lysiane Gagnon a souvent noté les torsions de la participa-tion. À titre d'exemple, L. Gagnon, "Hôpitaux : le noyautage syndical", La Presse, 11 déc. 1997, p. B-3. La participation aux élections scolaires aussi est faible : "Le taux de participation pour l'ensemble du Québec atteignait alors 8.4%, un plancher historique. Dans les grandes villes, la situation était encore plus catastrophique, puisque seulement 4,5% des électeurs se sont déplacés pour voter à la commission scolaire de Montréal et 4.1% à la com-mission scolaire de la Capitale. Il faut dire aussi que le tiers des commis-saires ont été élus par acclamation". A. Morin, "L'argent aux écoles, le pou-voir aux parents, suggèrent deux chercheurs", Le Soleil, 29 avril 2004, p. A-4.

118 ... "Hospital Elections : Searching for a Pulse", The Economist, 12 août 2004.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 209

c) L'importance de ne pas être important

Les coûts de l'information et de la participation politiques peuvent expliquer que les avantages de différentes mesures du secteur public sont concentrés en faveur des minorités bien organisées et tonitruantes aux dépens d'une majorité silencieuse. Il est alors permis de déduire la proposition suivante, qui peut surprendre : l'importance plus considé-rable des personnes âgées dans la population peut ne pas favoriser leurs intérêts, parce qu'en même temps qu'elles deviennent moins mi-noritaires, elles deviennent plus visibles et leur champ d'exploitation, la majorité, se rétrécit. Dans un marché politique imparfait, il est im-portant de ne pas être important.

Les années quatre-vingt, -- période où les personnes de 65 ans et plus représentaient une faible part de la population relativement à la [161] situation des années suivantes, -- furent favorables aux per-sonnes âgées : la plus grande générosité des programmes permit d'abaisser considérablement l'incidence de la pauvreté chez ce groupe, selon la mesure des seuils de faible revenu de Statistique Canada. Il en est de même pour notre exemple du prix réglementé du lait. Cet élé-ment ne représente pas une part majeure du budget du consommateur.

La règle de l'importance de ne pas être important s'applique aussi à l'évolution structurelle des dépenses publiques. Si les dépenses de san-té représentaient une part moins considérable de la production, leur évolution ferait moins problème.

L'expansion considérable du secteur public au vingtième siècle a coïncidé avec la plus grande spécialisation des tâches, provoquant une augmentation des groupes d'intérêts spécialisés. Il y a cent vingt ans, plus de cinquante% des emplois étaient dans le secteur primaire, prin-cipalement en agriculture. La diversification de la structure socio-éco-nomique a multiplié les groupes minoritaires, qui quémandent des me-sures gouvernementales en leur faveur. La redistribution des revenus serait ainsi devenue moins "verticale"; c'est-à-dire qu'elle est moins axée sur les grandes classes de revenus, riches et pauvres, et prendrait de plus en plus un aspect "horizontal" et fragmentaire en faveur de minorités agissantes.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 210

Même si le résultat engendré par les règles du jeu politique im-plique du gaspillage, ce dernier n'est en lui-même recherché par per-sonne. S'il n'y a aucun gagnant à la réduction du gâteau ou de la ri-chesse collective, cette réduction n'aura sûrement pas lieu. C'est ce qui fait dire à Becker : "Si l'intention des politiques publiques était entiè-rement connue, je suis assuré que le secteur public se révélerait un producteur et un redistributeur beaucoup plus efficace qu'on ne le croit généralement". 119

8.4. Agrégation des préférences et incohérences

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Le scrutin agrège les préférences des citoyens. Il peut toutefois produire des résultats incohérents qui ne suivent pas la logique élé-mentaire, comme l'illustre la situation suivante. Le tableau 8-1 or-donne les choix de trois individus (A, B, C) entre trois budgets [162] consacrés à l'éducation (Petit, Moyen, Grand). Pour le choix entre G et M, le budget Moyen sort vainqueur grâce aux votes de A et B. Pour le choix entre M et P, le Petit budget sort vainqueur grâce aux votes de A et C. De ces deux résultats, la simple logique ou une cohérence élé-mentaire demanderait que le Petit budget soit préféré au Grand. Si on se réfère au tableau, le Grand budget reçoit les votes de B et C contre l'unique vote de A pour le Petit. Ce résultat démocratique manque donc de cohérence.

119 G.S. Becker, "Public Policies, Pressure Groups and Dead Weight Costs", Journal of Public Economics, vol. 28, nº 3, déc. 1985, p. 338.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 211

TABLEAU 8-1

CHOIX DE TROIS INDIVIDUS ENTRE TROIS BUDGETSCONSACRÉS À L'ÉDUCATION

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Individus

ChoixA B C

1er P M G

2e M G P

3e G P M

La source du problème est l'individu C, qui préfère les choix ex-trêmes (G et P) à celui du milieu. Son illogisme s'étendrait au résultat agrégé. Mais sa situation n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Cet individu est aberrant dans un univers à une seule dimension; ce n'est toutefois par le cas si une deuxième dimension est ajoutée. Faisons cet exercice.

Avec la possibilité d'envoyer son enfant à une école privée, l'ordre des choix de l'individu C s'explique par l'importance qu'il accorde à une excellente formation pour ses enfants. Son premier choix va à un budget élevé pour l'école publique, car il y voit une relation entre la grosseur du budget et l'excellence du service éducatif. Si cette éven-tualité n'est pas réalisée, il préfère un petit budget et des taxes réduites qui lui permettront de diriger son enfant vers l'école privée de son choix. La pire alternative pour lui est une école publique de qualité moyenne dont le coût l'empêche de choisir l'école privée.

Comme le scrutin agrège les préférences d'une multitude d'indivi-dus sur un nombre considérable de dimensions, des résultats incohé-rents ne doivent pas surprendre. 120

[163]

120 Comme la majorité des concours ont de multiples dimensions explicites ou implicites, il est toujours utile d'insérer dans le curriculum vitae toutes les caractéristiques qui différencient positivement la personne de ses concur-rents.

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8.5. L'effet net incertain des politiques de redistribution

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Le secteur public peut s'attribuer un rôle important dans la modifi-cation de la répartition des revenus, afin d'aider les plus démunis et aussi pour assurer à la population en général une protection du revenu contre les risques socio-économiques. D'ailleurs, beaucoup de pro-grammes gouvernementaux, si ce n'est la très grande majorité, sont mis en œuvre pour leurs effets redistributifs. Il s'agit, par différents moyens, d'enlever à certains pour donner à d'autres.

Malheureusement, il est très difficile d'estimer avec un minimum de précision l'effet net des différentes interventions gouvernementales en ce domaine. Cette difficulté réside principalement dans la diminu-tion indirecte de la charité privée et de la solidarité familiale, de même que dans les modifications au système de sanctions et de récompenses qu'affrontent les agents économiques, tels les hauts niveaux explicites ou implicites de taxation. Il faut même ajouter les incitations à la fraude. Toutefois, une hypothèse assez répandue veut que les mesures de redistribution aient été peu favorables au quintile le plus pauvre de la population – qui était d'ailleurs auparavant la grande préoccupation de la charité privée – pour avoir des effets bénéfiques sur la classe moyenne, que forment les deux quintiles suivants. 121

L'effet net incertain ou indéterminé des politiques de redistribution peut être la conséquence des actions contradictoires des gouverne-ments, qui opèrent des transferts de richesse dans une suite illimitée de coalitions successives. Cette proposition mérite d'être analysée.

Supposons, à titre d'illustration, qu'une société soit composée de cinq personnes (tableau 8-2). Chacune de ces cinq personnes se fait imposer une taxe de 100$, si bien que le problème du choix budgé-taire, dans ces conditions, consiste uniquement à déterminer la façon dont les 500$ seront dépensés. Supposons donc que l'un des projets

121 C'est la "loi de Director" de la redistribution publique des revenus qui est une dérivation de la théorie du votant médian. Voir G. Stigler, "Director's Law of Public Income Redistribution", Journal of Law and Economics, vol. XIII, nº 1, avril 1970, pp. 1-10.

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avancés (Projet A) ait pour effet de distribuer une allocation uniformé-ment à tout le monde, tandis qu'un projet concurrent (Projet B) concentre les bénéfices en faveur d'un sous-groupe de trois votants. Il s'ensuit que les membres de ce sous-groupe majoritaire y gagnent [164] plus à choisir le projet B, aux bénéfices concentrés, plutôt que le programme qui distribue ses bienfaits également à tous. Dans le pro-gramme à retombées uniformes, chaque citoyen reçoit des bénéfices d'une valeur égale à 100$, tandis que dans le cas du projet B, souhaité par trois personnes seulement, chacune de ces dernières retire un bé-néfice égal à 167$.

TABLEAU 8-2

EFFETS DISTRIBUTIFS DE DIFFÉRENTES PROPOSITIONSENTRE CINQ INDIVIDUS

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Propositions Individus

1 2 3 4 5

A 100 100 100 100 100

B 167 167 167 0 0

C 168 168 164 1 0

D 67 67 166 100 100

On découvre ainsi que la règle de la majorité simple peut donner lieu à des coalitions de citoyens ayant pour objet exclusif d'opérer des prélèvements et des transferts à l'avantage de sous-groupes particu-liers, fussent-ils majoritaires. Dans ces conditions, les membres de la coalition gagnante s'approprient des transferts de richesse aux dépens des membres de la coalition minoritaire perdante. Remarquons que l'exemple examiné ci-dessus est simple: la proposition qui concentre des bénéfices de 167$ entre trois individus l'emporte clairement sur la proposition qui répartit les bénéfices également entre tous les ci-toyens.

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Mais là ne s'arrête pas le cycle des majorités successives. Le ta-bleau 8-2 révèle que dans certaines conditions, aucune coalition n'est majoritaire. Examinons la proposition C: elle retire trois dollars à l'in-dividu numéro 3 pour les répartir entre les individus 1, 2 et 4; elle ajoute un bénéficiaire et l'emporte sur la proposition B qui, on l'a vu, l'emportait elle-même sur la proposition A. Mieux encore, la proposi-tion D l'emporte sur la proposition C, puisque les individus trois, quatre et cinq y gagnent (par rapport à C). Mais alors un paradoxe ap-paraît. L'examen du tableau 8-2 révélera au lecteur que si la proposi-tion C l'emporte sur B, et D sur C, il n'en reste pas moins que B l'em-porte sur D, ce qui semble contradictoire.

[165]C'est le sens du théorème dit de l'impossibilité, qui a contribué à

valoir le prix Nobel d'économique à son auteur Kenneth Arrow et qui établit qu'il est impossible de concevoir une proposition, une politique ou un ensemble de politiques qui l'emporte incontestablement sur toutes les autres dans un régime de scrutin majoritaire. En d'autres termes, pour chaque coalition majoritaire favorable à une décision particulière, on peut toujours concevoir une proposition différente qui l'emportera sur la précédente, grâce à une coalition également majori-taire. Pour quiconque perçoit le scrutin majoritaire comme comportant une valeur normative particulière, l'absence de majorité unique ne manque pas d'être troublante.

De manière succincte, cette argumentation montre qu'il n'est pas inconcevable qu'une part importante de l'activité politique de nos ré-gimes ne serve en fin de compte qu'à opérer des transferts entre des coalitions majoritaires successives.

8.6. Conclusion

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Ce chapitre se voulait une initiation à l'économique des processus politiques. Il a une place fondamentale dans l'étude de l'expansion du secteur public dans l'économie, car il est nécessaire de connaître les règles du jeu politique et leurs conséquences, si l'on veut analyser avec efficacité les politiques gouvernementales. En bref, il ne faut pas

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 215

se référer aux règles du jeu de bridge quand c'est une partie de poker qui se déroule.

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[166][167][168]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 216

[169]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 9Le modèle québécois

« La bataille enclenchée contre le modèle québécois, c’est une bataille contre l’identité québécoise. »

Lucien Bouchard à Jean Charest cité par Alain Dubuc dans Le Soleil du 12 octobre 2002, p. D7.

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Le sujet de ce chapitre constitue une suite logique du chapitre pré-cédent sur l’économique des processus politiques. Comme l’illustre la citation de l’ancien premier ministre du Québec, le modèle québécois s’identifie à la politisation de la société. Tout devient matière à inter-vention politique au nom d’un État jugé dépositaire du bien commun, de la solidarité sociale et de l’identité culturelle.

Toute analyse d’un phénomène doit de recourir à un modèle. Dans le cadre de notre étude, il est utile de se référer aux travaux de Mancur Olson, qui a développé la théorie de l’(in)action collective analysée au chapitre précédent. 122 Avant de présenter les neuf propositions de sa théorie, il semble à propos de reprendre quelques paragraphes du texte nécrologique de The Economist à son sujet (Encart 1).122 M. Olson, The Logic of Collective Action : Public Goods and the Theory of

Groups, Cambridge MA : Harvard University Press, 1965, 186 p. Traduc-tion : Logique de l’action collective, Paris : Presses Universitaires de France, 1978, 199 p. Voir aussi: M. Olson, The Rise and Decline of Nations: Econo-mic Growth, Stagflation and Social Rigidities, New Haven: Yale University Press, 1982, 273 p. Traduction : Grandeur et décadence des nations : crois-sance économique, stagflation et rigidités sociales, Paris : Bonnel, 1983, 352 p.

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[170]

Encart 1Mancur Olson de l’édition imprimée de The Economist du 5 mars 1998

MANCUR LLOYD OLSON, « SEMONCEUR » DES INTÉRÊTS PARTICULIERS, EST MORT LE 19 FÉVRIER (1998) À L’ÂGE DE 66 ANS.

Au début des années cinquante, en voyageant en Europe, Mancur Olson était déconcerté de voir que l’Allemagne était économiquement florissante, tandis que la Grande-Bretagne pataugeait. L’Allemagne avait perdu la seconde guerre mon-diale, tandis que la Grande-Bretagne avait été vainqueur. Les deux pays étaient similaires sous plusieurs aspects importants. Pourquoi, alors, cette différence dans la performance ?

Une décennie plus tard, en 1965, M. Olson tenta une explication. Dans The Logic of Collective Action, le livre qui vint à être perçu comme sa contribution la plus importante à la science économique, il examina les incitations qui conduisent les gens à se regrouper et à faire collusion pour un avantage… La conclusion était saisissante : les groupes restreints tournés vers leurs propres inté-rêts ont un avantage inhérent mais non insurmontable sur les grands groupes qui s’intéressent au bien-être de l’ensemble de la société. Comment cette intuition peut-elle expliquer le sort des nations ? En 1982, dans The Rise and Decline of Nations, il offrit une réponse.

Selon lui, dans toute société, des cartels ou des groupes de pression à intérêts de clocher tendent à croître avec le temps jusqu’à ce qu’ils parviennent à miner la vitalité économique d’un pays. Une guerre ou toute autre catastrophe balaie les étouffantes broussailles des groupes de pression. Ceci se produisit en Allemagne et au Japon, mais non en Grande-Bretagne qui, bien que physiquement endom-magée par la guerre, conserva plusieurs de ses vieilles institutions. Y aurait-il par hasard une voie moins catastrophique pour se renouveler ? Oui, répondit Olson, les citoyens d’une nation pourraient repousser les armées imbues d’esprit de clo-cher, mais ils le feront seulement si le danger était reconnu et les réformes accep-tées…

Dans son livre de 1982, il intègre la politique et l’économique. Avec la for-mation de groupes à intérêts limités, chacun obtient et puis défend avec acharne-ment quelques bénéfices pour ses membres, habituellement avec l’aide du gou-vernement. Les subventions, les protections commerciales et autres distorsions économiques s’accumulent et les ressources se dirigent de plus en plus vers une

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classe spécialisée d’avocats, de bureaucrates et de lobbies qui savent comment opère le système. Les luttes concernant la redistribution remplacent celles qui concernent la production. Le résultat, si une médecine n’est pas prise, est une forme de déclin économique…

[171]

9.1. Les neuf propositions de Mancur Olson

1. Les divers groupes d’intérêts d’un pays donné n’atteignent pas en général le même degré d’organisation. Il s’ensuit que la négociation généralisée entre ces groupes ne pourra donner de résultat optimal.

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Les groupes restreints à intérêts précis et durables sont plus faciles à organiser que les grands groupes à intérêts diffus ou passagers. La concurrence entre les groupes ne permet pas un résultat optimal puisque les forces en présence sont très inégales. L’exemple du cha-pitre précédent sur le prix du lait a montré l’inégalité d’organisation entre les producteurs et les consommateurs et le résultat non optimal qui en découle.

2. Une société stable aux frontières inchangées tendra à voir s’accumuler au cours du temps les ententes et organisations à vocation d’action collective.

Comme l’organisation de tout groupe demande du temps, le pas-sage du temps permettra à différents groupes de se former si la société n’est pas soumise à des catastrophes périodiques. Les groupes se mul-tiplieront.

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L’État peut aussi faciliter la création de groupes en diminuant considérablement les coûts d’organisation et en leur donnant des pou-voirs exclusifs. C’est le cas pour les organisations syndicales. Par exemple, l’Union des producteurs agricoles (UPA) est depuis 1972 la seule association syndicale accréditée pour représenter les producteurs agricoles du Québec et a ainsi le droit de percevoir des cotisations obligatoires de tous les producteurs. Il en résulte que les associations syndicales sont beaucoup mieux financées et équipées que les associa-tions patronales, qui n’ont pas ce pouvoir de coercition ou de taxation implicite sur leurs membres. Ces derniers demeurent libres de financer leurs associations et ils favorisent les associations de leur secteur (alu-minium, industrie forestière…) plutôt que les associations générales (chambres de commerce).

3 Les membres des « petits » groupes ont, grâce à leurs orga-nisations, un pouvoir d’action collective nettement supérieur à celui des autres. Cet avantage diminue au fil du temps sans pour autant disparaître dans les sociétés stables.

[172]Même si un grand groupe réussit à se former avec le temps, il n’en

demeure pas moins que son dynamisme sera inférieur à celui du petit groupe à intérêt précis. Les incitations des membres à participer à la vie d’un groupe à intérêts larges sont moins fortes et ainsi le res-quillage pose davantage problème.

4. Tout bien considéré, les ententes et les organisations d’inté-rêt particulier réduisent l’efficacité et la production des socié-tés dans lesquelles elles agissent et rendent la vie politique plus conflictuelle.

Lorsqu’un groupe ne représente qu’une fraction d’une unité de pourcentage de la population, il ne reçoit qu’une part infinitésimale d’une plus grande efficacité éventuelle de l’ensemble de l’économie. Ce n’est pas le cas pour une mesure redistributive favorable à ce

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 220

groupe. Vers quel type d’action les petits groupes vont-ils se diriger ? Vers l’action politique bruyante, en vue d’obtenir des privilèges. La grosseur du gâteau collectif a par conséquent peu d’intérêt pour ce groupe.

5. Les organisations englobantes ont quelque intérêt à contri-buer à la prospérité de la société dans laquelle elles agissent, à rechercher la redistribution des richesses en faveur de leurs adhérents au moindre coût social, ainsi qu' à renoncer à toute redistribution de ce type si le montant redistribué n’est pas sub-stantiel, comparé au coût social de l’opération.

Si un groupe représente une partie majeure de la population, il ne reçoit plus une part infinitésimale d’une plus grande efficacité de l’économie. Il est donc incité à se préoccuper de la grosseur du gâteau. Une action qui accroît sa part mais qui diminue appréciablement la grosseur du gâteau perd ainsi de son intérêt. Ses membres subissent une partie importante des coûts des politiques inefficaces.

La pénétration syndicale élevée dans les pays nordiques illustre cette proposition. En 2000, la densité syndicale était élevée en Suède (79%), en Finlande (76%) et au Danemark (74%) contre un taux de 28% au Canada et de 13% aux États-Unis. Dans les trois premiers pays, le mouvement syndical est englobant et devient donc plus res-ponsable en « internalisant » davantage le coût de ses revendications.

[173]Cette proposition est appuyée par une étude empirique de

l’OCDE :« Le degré de corporatisme – que reflète une variable indicatrice, dont

la valeur est égale à l’unité lorsque les négociations salariales sont forte-ment centralisées ou coordonnées, et égale à zéro dans les autres cas – apparaît réduire sensiblement le chômage, ce qui donne un certain crédit à l’opinion selon laquelle, dans les systèmes de négociation salariale centra-lisés/coordonnés, les syndicats et les employeurs sont à même d’internali-

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ser les conséquences négatives que des revendications salariales exces-sives peuvent avoir sur l’emploi. » 123

L’importance relative de l’emploi dans le secteur manufacturier a connu une baisse importante au cours du dernier demi-siècle : elle re-présentait 26% des emplois canadiens en 1951 contre 12% en 2006 et moins de dix% aux États-Unis. Cette évolution, selon la règle qu’il est important de ne pas être important, favorise l’intensification de la de-mande de protectionnisme pour ce secteur.

Peter Drucker a très bien perçu la situation :

« Le déclin du secteur manufacturier comme créateur de richesse et d’emplois amènera inévitablement un nouveau protectionnisme, répétant encore une fois ce qui est arrivé antérieurement à l’agriculture. Au ving-tième siècle, pour chaque pourcentage de baisse des prix et de l’emploi agricoles, les subventions et la protection agricoles dans chacun des pays développés, y compris l’Amérique, se sont accrues d’au moins un% et souvent davantage. Moins nombreux sont les votants cultivateurs, plus important est devenu le « vote des agriculteurs ». Tandis que leur nombre se réduisait, les fermiers sont devenus un groupe uni d’intérêts particuliers qui jouit d’une influence disproportionnée dans tous les pays riches.

Le protectionnisme dans le secteur manufacturier est déjà évident bien qu’il tende à prendre la forme de subventions au lieu des tradi-tionnels tarifs ». 124

123 O.C.D.E., Perspectives de l’emploi de l’OCDE – Édition 2006.Stimuler l’emploi et les revenus, Paris : OCDE, 2006, p. 230.

124 P. F. Drucker, Managing in the Next Society, New York : St. Martin Grif-fen, 2002, pp. 268-269.

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6. Les coalitions à vocation redistributrice mettent plus de temps à prendre leurs décisions que les individus ou les entre-prises qui les composent; elles ont tendance à avoir un ordre du jour et des «  tables de négociation » chargés et elles fixent plus souvent les prix que les quantités.

Les coalitions doivent développer un consensus chez leurs membres dans la détermination et la répartition plus ou moins [174] explicite des bénéfices et des coûts. L'établissement de compromis viables demande du temps pour la recherche d’un certain consensus. La fixation du prix, (par exemple l’échelle salariale au lieu des quanti-tés ou de l'emploi), rend aussi moins transparent le partage des coûts entre les membres lors d’une négociation collective.

7. Les coalitions à vocation redistributrice diminuent l’aptitude d’une société à adopter de nouvelles technologies et à s’adap-ter à un univers changeant. Elles réduisent par là-même le taux de croissance de l’économie.

L’obtention d’avantages par les groupes bien organisés les rend conservateurs ou protecteurs de statu quo. Le changement met en péril leurs acquis. Ils profitent de la situation existante, ce qui les incite à refuser le changement même si l'environnement et la technologie évo-luent.

8. Les coalitions à vocation redistributrice, une fois suffisam-ment grandes pour qu’elles arrivent à leurs fins, se ferment aux nouveaux candidats et cherchent à limiter la diversité des reve-nus et du système de valeurs de leurs membres.

Dans un club, comme un club de golf, la venue d’un nouveau membre permet de diminuer la contribution de chacun. Toutefois, à partir d’un certain nombre, cette arrivée devient onéreuse, soit pour le partage des bénéfices, soit par la congestion sous différentes formes. Un groupe suffisamment fort à donc intérêt à limiter son nombre et à

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 223

s’assurer de l’homogénéité de ses membres. Le votant médian devient alors plus représentatif de l’ensemble par une moins grande dispersion des caractéristiques des participants.

9. L’accumulation des coalitions à vocation redistributrice ac-croît la complexité de la réglementation, le rôle de l’État et la complexité des usages, et modifie le sens de l’évolution de la société.

Le tout se traduit par une formule : la politisation de la société. Tout devient querelle politique avec références aux expressions "pro-jet ou modèle de société" et "question d’identité nationale". Une illus-tration de cela fut le vif débat entourant la hausse des tarifs de cinq à sept dollars pour les utilisateurs de garderies au moment où les coûts de ces services étaient en hausse rapide.

[175]

9.2. Un exemple québécois de concrétisation dans la réglementation

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La Loi sur le développement durable, sanctionnée le 19 avril 2006, montre la très grande complexité des décisions publiques face à cet objectif. L’article 6 y énumère pas moins de 16 principes qui méritent d’être exposés pour montrer sans équivoque leur étendue :

Afin de mieux intégrer la recherche d’un développement durable dans ses sphères d’intervention, l’Administration prend en compte dans le cadre de ses différentes actions l’ensemble des principes sui-vants :

a) « santé et qualité de vie » : les personnes, la protection de leur santé et l’amélioration de leur qualité de vie sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Les per-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 224

sonnes ont droit à une vie saine et productive, en harmonie avec la nature;

b) « équité et solidarité sociales » : les actions de développement doivent être entreprises dans un souci d’équité intra et intergé-nérationnelle ainsi que d’éthique et de solidarité sociales;

c) « protection de l’environnement » : pour parvenir à un dévelop-pement durable, la protection de l’environnement doit faire par-tie intégrante du processus de développement;

d) « efficacité économique » : l’économie du Québec et de ses ré-gions doit être performante, porteuse d’innovation et d’une prospérité économique favorable au progrès social et respec-tueuse de l’environnement;

e) « participation et engagement » : la participation et l’engage-ment des citoyens et des groupes qui les représentent sont né-cessaires pour définir une vision concertée du développement et assurer sa durabilité sur les plans environnemental, social et économique;

f) « accès au savoir » : les mesures favorisant l’éducation, l’accès à l’information et la recherche doivent être encouragées de ma-nière à stimuler l’innovation ainsi qu’à améliorer la sensibilisa-tion et la participation effective du public à la mise en œuvre du développement durable ;

g) « subsidiarité » : les pouvoirs et les responsabilités doivent être délégués au niveau approprié d’autorité. Une répartition adé-quate des lieux de décision doit être recherchée, en ayant le souci de les rapprocher le plus possible des citoyens et des com-munautés concernés ;

[177]h) « partenariat et coopération intergouvernementale » : les gou-

vernements doivent collaborer afin de rendre durable le déve-loppement sur les plans environnemental, social et économique. Les actions entreprises sur un territoire doivent prendre en considération leurs impacts à l’extérieur de celui-ci;

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i) « prévention » : en présence d’un risque connu, des actions de prévention, d’atténuation et de correction doivent être mises en place, en priorité à la source ;

j) « précaution » : lorsqu’il y a un risque de dommage grave ou irréversible, l’absence de certitude scientifique complète ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir une dégradation de l’envi-ronnement;

k) « protection du patrimoine culturel » : le patrimoine culturel, constitué de biens, de lieux, de paysages, de traditions et de sa-voirs, reflète l’identité d’une société. Il transmet les valeurs de celle-ci de génération en génération et sa conservation favorise le caractère durable du développement. Il importe d’assurer son identification, sa protection et sa mise en valeur, en tenant compte des composantes de rareté et de fragilité qui le caracté-risent;

l) « préservation de la biodiversité » : la diversité biologique rend des services inestimables et doit être conservée pour le bénéfice des générations actuelles et futures. Le maintien des espèces, des écosystèmes et des processus naturels qui entretiennent la vie est essentiel pour assurer la qualité de vie des citoyens;

m) « respect de la capacité de support des écosystèmes » : les acti-vités humaines doivent être respectueuses de la capacité de sup-port des écosystèmes et en assurer la pérennité;

n) « production et consommation responsables : des changements doivent être apportés dans les modes de production et de consommation en vue de rendre ces dernières plus viables et plus responsables sur les plans social et environnemental, entre autres par l’adoption d’une approche d’écoefficience, qui évite le gaspillage et qui optimise l’utilisation des ressources;

o) « pollueur payeur » : les personnes qui génèrent de la pollution ou dont les actions dégradent autrement l’environnement doivent assumer leur par des coûts des mesures de prévention, de réduction et de contrôle des atteintes à la qualité de l’envi-ronnement et de la lutte contre celles-ci;

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p) « internalisation des coûts » : la valeur des biens et des services doit refléter l’ensemble des coûts qu’ils occasionnent à la [177] société durant tout leur cycle de vie, de leur conception jusqu’à leur consommation et leur disposition finale. » (p. 6 à 8).

Rien de moins ! Le vérificateur général adjoint et commissaire au développement durable aura ainsi un champ très large pour critiquer toute décision gouvernementale. Les 16 principes couvrent en effet un territoire fort étendu.

Aux États-Unis, on a estimé le coût par vie sauvée de plusieurs règlements de l’Environmental Protection Agency (EPA) et de l’Oc-cupational Safety and Health Administration (OSHA); le coût par mort évitée mérite facilement le qualificatif d’astronomique. 125

9.3. Un complément à l’approche d’Olson

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Les neuf propositions d’Olson ont été précédées par un message remarquable : un livre publié douze ans auparavant. En 1970, le « so-cial scientist » Albert O. Hirschman publiait un petit livre intitulé : Exit, Voice and Loyalty : Responses to Decline in Firms, Organiza-tions and States (traduit en 1972 sous le titre Face au déclin des en-treprises et des institutions). Le titre demeure encore aujourd’hui très évocateur. Que nous dit-il ?

Les processus décentralisés des marchés, qui sont fort étudiés par les économistes, favorisent la voie de l’exit, ou du vote par les pieds, pour manifester son mécontentement. Si je ne suis pas satisfait de mon supermarché (Métro par exemple), je ne prends pas l’initiative d’une pétition ou d’une contestation; je vais tout simplement chez un concurrent (comme Provigo) en faisant une action individuelle.

Les processus politiques, qui intéressent les politicologues, mais pas d’une façon exclusive, concernent des décisions de groupes. Quant au citoyen, il doit prendre la voie de l’action collective pour

125 J.W.K. Viscusi et T. Gayer, "Safety at Any Price", Regulation, vol. 25, no 2, automne 2002, pp. 54-63.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 227

exprimer ses préférences. Au lieu de l’exit ou de la mobilité, le ci-toyen doit recourir à la voix, c’est-à-dire aux manifestations tapa-geuses. Il devient important de bien savoir jouer du tam-tam.

En somme, une société politisée est une société bruyante, parfois cacophonique.

Parallèlement, la notion de crise devient centrale pour faire com-prendre les ajustements dans un système centralisé ou [178] public. La crise peut être réelle ou fictive, mais c’est elle qui fait bouger le sys-tème et entraîne des ajustements. Il faut être cohérent : les différents rapports ou déclarations de sages qui dénoncent le poids des crises appréhendées dans la gestion du système de santé refusent à mon avis la logique d’un système centralisé. Comme les prix sont le mécanisme d’ajustement d’un système décentralisé, les crises, réelles ou non, jouent le même rôle dans ces systèmes centralisés. Elles font bouger le système ou les normes. 126

9.4. Application du modèle d’Olson au Québec

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Le modèle de Mancur Olson et ses neuf corollaires ou propositions prétendent à une application générale. Pourquoi donc seraient-ils plus pertinents au Québec qu’ailleurs ? Ce qui est appelé communément le « modèle québécois » est tout simplement la politisation de la société au nom d’une conception romantique du gouvernement, institution présumée orientée vers la recherche du bien commun, de la solidarité sociale, sans que personne n’éprouve le besoin d’évaluer les effets à long terme des mesures, et cela, au nom de l’identité culturelle d’un groupe fort minoritaire en Amérique du Nord.

126 La voie de la loyauté n’a pas à être développée ici. Une firme peut s’ajuster à une baisse de la demande pour ses produits par un congédiement de per-sonnel (exit) ou par une baisse des profits afin de conserver la loyauté de ses travailleurs.

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a) Un exemple : la force syndicale

Un bon exemple de la force d'un groupe d’intérêts au Québec est celui de la syndicalisation. Comme le montre le tableau 9-1, en 2004, le Québec venait au deuxième rang après Terre-Neuve-Labrador pour le plus haut taux de syndicalisation générale et au premier rang pour le secteur marchand. Si l’on fait la comparaison xxx avec les deux pro-vinces les plus prospères, l’Ontario et l’Alberta, la différence des taux est significative.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 229

[179]

TABLEAU 9-1

TAUX DE SYNDICALISATION PAR PROVINCE ET SECTEUR

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1981 1986 1989 1998 2001 2004 1981-2004

Total % VariationTerre-Neuve-et-Labrador 45,2 43,5 41,7 39,7 40,6 39,1 -6,1Ile-du-Prince-Édouard 38,0 29,2 31,6 26,3 28,1 30,1 -8,0Nouvelle-Écosse 33,8 31,9 34,2 28,9 27,2 27,4 -6,4Nouveau-Brunswick 39,8 34,3 35,4 26,6 28,8 28,8 -11,0Québec 44,2 43,0 40,8 35,7 36,3 37,4 -6,8Ontario 33,7 32,6 32,8 28,0 26,4 27,3 -6,4Manitoba 37,9 36,0 37,9 34,9 35,7 35,4 -2,5Saskatchewan 37,9 34,9 36,8 33,6 35,5 35,2 -2,6Alberta 28,4 28,5 30,1 23,0 22,9 21,7 -6,7Colombie-Britannique 43,3 40,2 39,1 34,8 33,7 33,1 -10,3

Secteur CommercialTerre-Neuve-et-Labrador 37,4 31,5 30,5 24,1 27,1 25,9 -11,4Ile-du-Prince-Édouard 22,5 14,6 16,7 9,9 11,4 12,8 -9,7Nouvelle-Écosse 23,7 21,7 24,2 16,1 14,9 12,6 -11,1Nouveau-Brunswick 29,4 22,5 24,2 13,9 16,9 15,6 -13,7Québec 34,7 32,7 32,1 23,8 25,6 26,5 -8,3Ontario 27,9 25,9 24,9 19,6 18,0 18,0 -9,9Manitoba 28,8 24,5 26,4 22,4 23,2 22,1 -6,7Saskatchewan 26,3 21,5 24,4 19,3 21,8 20,8 -5,5Alberta 19,8 16,0 18,3 13,3 13,2 12,2 -7,6Colombie-Britannique 36,4 32,3 30,7 22,6 22,6 21,9 -14,5

Source : R. Morissette et al. "La syndicalisation : tendances divergentes", Statis-tique Canada; L’emploi et le revenu en perspective, vol. 6, no. 4, avril 2005, p. 8.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 230

Comme ailleurs, la syndicalisation au Québec est sensiblement plus élevée dans le secteur public. En 2003, le taux de syndicalisation était de 77,7% pour le secteur public et de 24,8% pour le secteur pri-vé. Les membres de deux centrales, la CSQ et la CSN, sont majoritai-rement issus du secteur public. Le Québec assiste périodiquement au drame des négociations de ce secteur, un événement politique non marginal.

[180]Évoluant dans une société partiellement fermée par la langue, les

organisations syndicales ont au Québec un pouvoir de pression plus important qu’ailleurs. Le langage de confrontation de leurs chefs cor-robore la quatrième proposition d’Olson selon laquelle « les organisa-tions d’intérêt particulier (…) rendent la vie politique plus conflic-tuelle », de même que la septième, d'après laquelle « les coalitions à vocation redistributive diminuent l’aptitude d’une société à adopter de nouvelles technologies et à s’adapter à un univers changeant ». Les organisations syndicales sont aujourd’hui les défenseurs du statu quo, c’est-à-dire une force conservatrice.

Comme le modèle québécois cultive le partenariat en multipliant les sommets avec les groupes sociaux ou en favorisant la participation aux conseils d’administration des organismes, les forces syndicales ont beaucoup d’endroits pour promouvoir leurs intérêts. En effet, le modèle québécois s’apparente très bien à une forme de corporatisme. Les groupes mal organisés comme les payeurs de taxes et les consom-mateurs sont mal représentés aux dîners collectifs, mais ils paient la note des privilèges que s'y sont donnés les participants. Il en résulte une expansion du secteur public dans l’économie. Ces banquets « fra-ternels » sont bien illustrés par les différents « sommets » qui ont pé-riodiquement cours.

b) Les autres groupes

La présence quotidienne à l’écran des chefs syndicaux ne doit pas faire oublier la multitude des groupes d’intérêts qui quémandent en leur faveur des interventions de l’État : groupes sectoriels, sociaux, régionaux, groupes d’âge et autres.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 231

Dans un univers de bouleversements démographiques où plusieurs régions du Québec perdent de la population, leurs habitants voient s’effriter la valeur de leur plus important actif matériel, leur résidence, sans compter une diminution de leurs perspectives d’emploi. Ils sont donc incités à se regrouper pour « défendre » leur région en alléguant le devoir de l’État d’occuper le territoire, sans préciser quelle devrait être la densité de cette occupation.

Pour les différents groupes, l’intervention gouvernementale sous diverses formes devient une assurance, une protection de leurs inté-rêts. Le monde changeant remet en question leurs acquis.

[181]

c) Pourquoi est-ce plus fort au Québec ?

Olson a développé sa thèse en ne faisant aucune référence à la si-tuation du Québec. 127 Mais on peut se demander pourquoi le corpora-tisme et l’influence des groupes d’intérêts sont, semble-t-il, plus forts au Québec. Pourquoi la recherche de la protection est-elle si forte ? Pourquoi ce refus de la flexibilité ou de la concurrence pour affronter un univers en perpétuel changement grâce aux progrès de la technolo-gie et du savoir ?

Deux facteurs sont ici importants : le statut de groupe minoritaire en Amérique du Nord et l’histoire religieuse du Québec. Ils défavo-risent le recours à la concurrence qui devient perçue au mieux comme un jeu à somme nulle, le gain de l’un ayant sa contrepartie en la perte d’un autre. La concurrence n’est pas envisagée comme un mécanisme favorable à l'amélioration et à l'accroissement du gâteau collectif.

Divers comportements se rattachent à ces convictions. Par exemple, le statut de minoritaire favorise le recours au langage guer-rier : devant l’ennemi, il ne faut pas se diviser, mais être solidaire. La concurrence et la flexibilité des institutions deviennent perçues comme des défauts. La centralisation et la cartellisation seraient vues

127 Une information sans importance : avant sa publication en 1982, il a donné un aperçu de son livre à la réunion annuelle de l’Institut d’administration publique du Canada, à Québec en septembre 1978.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 232

comme une source de forces. On penche vers la fermeture du système au lieu de son ouverture moins rassurante.

La faible fréquentation des lieux de culte ne signifie pas que la tra-dition religieuse des citoyens a été effacée. Le passé perpétue inces-samment son influence. Le monopole catholique chez les franco-phones a favorisé un biais favorable au corporatisme des groupes d’in-térêts et défavorable à la concurrence et à la tradition libérale de la liberté individuelle et d’initiative 128. Cette religion n’allait tout de même pas se faire le défenseur de la main invisible d’Adam Smith, où la recherche des intérêts égoïstes mène à un résultat global valable. C’est cependant la base des processus décentralisés.

9.5. Le modèle québécois est-il éternel ?

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Ce n’est pas une tâche facile que de supprimer des privilèges. Si les droits de produire du lait au Québec valent pour la ferme laitière moyenne plus d'un million de dollars, il en résulte une force [182] tita-nesque déployée pour conserver le présent système. Selon les com-muniqués de l’UPA, les institutions financières (comme le Mouve-ment Desjardins, la Banque Royale et la Banque Nationale) sont favo-rables au système, puisqu’elles font des prêts garantis par la valeur des quotas.

Le système n’est toutefois pas immuable. Les discussions sur une plus grande libéralisation du commerce des produits agricoles pour-raient venir à causer certaines brèches dans ce système de puissant protectionnisme.

Il en est de même pour la durée du modèle québécois. Les forces d’inertie, reflet des groupes d’intérêts concernés, sont certes très pré-sentes. Néanmoins, des éléments comme des scandales, des pressions internes et de nouveaux groupes pourraient occasionner des brèches

128 Voir la thèse de doctorat de C. Archibald, Un Québec corporatiste ? : cor-poratisme et néo-corporatisme : du passage d’une idéologie corporatiste sociale à une idéologie corporatiste politique; le Québec de 1930 à nos jours, Hull : Editions Asticou, 1983, 429 p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 233

dans l’équilibre. Rien ne garantit que la couleur de la margarine reste-ra toujours blanche au Québec, même si cela dure depuis longtemps.

La plus grande menace au modèle québécois, c’est-à-dire au main-tien de l’équilibre des forces protectionnistes internes provient de l’extérieur. La genèse de la Loi sur l’équilibre budgétaire adoptée en décembre 1996, en est un excellent exemple. La figure 9-1 montre que le modèle québécois a débouché sur un solde budgétaire négatif à chaque année durant la période 1970-71 à 1997-98. Comment cette série de déficits a-t-elle pu s’arrêter ? 129 L’encart 2 laisse la parole au premier ministre d’alors, à propos de la menace d’une décote des obli-gations du Gouvernement du Québec. Le texte illustre ainsi la capaci-té des forces extérieures de saborder l’équilibre des intérêts internes ou de la culture politique.

129 Comme plusieurs économistes l’avaient prédit, les différentes lois sur l’équilibre budgétaire ont favorisé le recours aux modifications des règles comptables afin de paraître avoir atteint l’objectif. Pour le Québec, le lec-teur peut consulter les Rapports à l’Assemblée nationale concernant la véri-fication des états financiers du gouvernement du Québec produits annuelle-ment par le Vérificateur général. Principalement au Royaume-Uni, cela a favorisé le recours aux partenariats public/privé (PPP).

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 234

[183]

FIGURE 9-1

ÉVOLUTION DU SOLDE BUDGÉTAIRE DU GOUVERNEMENTDU QUÉBEC (EN % DU PIB) %

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Source : Québec, Ministère des Finances, Consultations prébudgétaires  : docu-ment de référence, Québec, janvier 2006, p. 29.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 235

Encart 2Bouchard a dû plaider à New York pour éviter une décote

L’ancien premier ministre raconte pour la première fois un souvenir désagréable qui illustre les risques de la dette publique. Les Affaires, Samedi 5 novembre 2005, p. 7, Vézina, René.

Fin juin 1996, l’état-major de Lucien Bouchard, à Québec, est en alerte : on leur a fait part d’un communiqué sur le point d’être émis soulignant que la firme Standard & Poor’s (S&P), à New York, s’apprête à décoter une nouvelle fois le Québec.

Ses titres de dette seraient déconsidérés et s’accompagneraient de taux d’inté-rêt encore plus élevés. La dette allait s’alourdir. Le redressement des finances publiques auquel s’attardait le premier ministre Bouchard était en jeu.

« Pourtant, dans le budget, nous venions tout juste de faire savoir que nous avions l’intention de réduire les dépenses publiques d’un milliard et demi de dol-lars », raconte-t-il. Rien n’y fait : dans les milieux financiers américains, on n’a pas pris au sérieux cet engagement du gouvernement. Le couperet va tomber. L’épisode qui suit est demeuré confidentiel jusqu’à ce jour.

Les minutes sont comptées. Lucien Bouchard décide de jouer le tout pour le tout. Son bureau appelle les représentants de S&P, à New York, pour indiquer que le premier ministre du Québec veut les rencontrer en personne. Le lende-main, Lucien Bouchard s’envole discrètement, en [184] compagnie des sous-mi-nistres Alain Rhéaume et Gilles Godbout, dans un avion loué pour que la chose demeure secrète. Destination : Wall Street.

Comme devant un tribunal

« Nous nous sommes retrouvés devant quatre analystes, manifestement scep-tiques. J’avais l’impression d’être devant un tribunal, dit Lucien Bouchard. Je leur ai demandé de nous donner une chance puisque nous avions la ferme inten-tion de remettre de l’ordre dans les finances. On s’est fait répondre que le Québec déviait depuis 40 ans et que le bilan n’était pas bon. »

Le premier ministre avait déjà annoncé ses couleurs avant de partir : pour réduire les dépenses, on imposerait aux employés de l’État une baisse des salaires de 6%. « Il a même été question, devant les gens de S&P, que je m’engage par écrit à tenir parole. J’aurais refusé. Quand même : un premier ministre, élu démo-cratiquement, ne va pas jusque là ».

« Comme si c’était la cause de ma vie »

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 236

« Nous avions passé notre temps à emprunter sans trop compter. C’était nor-mal qu’on nous pose des questions. J’ai plaidé comme si c’était la cause de ma vie. Au bout de trois ou quatre heures, ils nous ont dit de repartir, qu’ils allaient réfléchir et nous téléphoner. » L’appel est entré le lendemain : le Québec n’était pas décoté, mais il était sous surveillance étroite.

Lucien Bouchard prépare la suite. Il est soucieux et embêté. « Nous avons préparé un projet de loi qui, en fait, reniait la signature de l’État puisque nous allions ouvrir les conventions collectives en réduisant les salaires. »

Devant l’imminence du dépôt devant l’Assemblée nationale, les chefs syndi-caux demandent à leur tour une rencontre. Elle aura lieu le 19 décembre 1996.

« Nous avons négocié jusqu’au milieu de la nuit avant de parvenir à un arran-gement : les salaires allaient être épargnés, mais le gouvernement parvenait à réduire quand même ses dépenses en réduisant d’autant ses contributions au ré-gime de retraite des employés, le RREGOP, qui affichait un bon surplus. »

Le geste a été interprété comme une preuve du sérieux du gouvernement : le Québec a évité la décote et s’est engagé dans la voie du déficit zéro.

« Je sais qu’un premier ministre passe la moitié de son temps à s’arracher les cheveux, confie Lucien Bouchard. Il ne faudrait plus qu’il doive également aller se traîner à New York pour demander grâce aux financiers. » 130

130 L’histoire continue : « Fait inusité, le premier ministre Jean Charest a solli-cité une rencontre avec la direction de l’agence new-yorkaise de notation de crédit Moody’s pour augmenter les chances du Québec de voir sa cote aug-menter (sic)…

La visite éclair de M. Charest à New York n’avait pas été ébruitée. Son horaire, remis chaque semaine aux journalistes de la tribune de la presse, qui sont habituellement au courant des allées et venues du premier ministre, indiquait que ce jour-là, ce dernier procédait « à des rencontres privées ». Il ne comportait aucune indication d’un voyage à New York », Presse Cana-dienne, « Charest s’est rendu défendre la cote du Québec chez Moody’s », Le Soleil, 20 juin 2006, p. 9.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 237

[185]

9.6. Conclusion

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Le modèle québécois étant un exemple d’institution imparfaite, il convient de conclure avec une citation d’un récent volume sur le su-jet :

« …Les réformateurs ont souvent échoué dans le transfert des institu-tions sociales d’un pays à un autre avec l’espoir d’obtenir d’elles un rende-ment égal dans le nouvel environnement. L’économie politique moderne offre différentes explications de réformes avortées de même que de la du-rée d’institutions imparfaites. Les intérêts de la coalition politique diri-geante d’un pays sont quelquefois incompatibles avec les nouvelles insti-tutions. D’autre part, des intérêts particuliers puissants peuvent plaider pour que seulement des versions édulcorées et non satisfaisantes des nou-veaux procédés sociaux soient introduites. Ou encore, une résistance dé-centralisée non organisée peut saborder l’effort de réforme. Pour complé-ter cette liste d’obstacles, j’ai ajouté les modèles sociaux comme une im-portante variable. Les modèles sociaux incorporent des visions sur le fonc-tionnement du monde social, à la fois en termes pratiques et éthiques. En-fin, une réforme institutionnelle peut échouer si les autorités ou le public sont dépourvus de compréhension pratique des nouveaux procédés sociaux ou si les critiques sociaux voient les nouveaux aménagements comme illé-gitimes. » 131

131 T. Eggertsson, Imperfect Institutions. Possibilities and Limits of Reform, Ann Arbor MI : University of Michigan Press, 2005.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 238

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[186]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 239

[187]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 10Donne-moi une subvention

malgré les coûts de son financement

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L’intervention des gouvernements est omniprésente dans l’écono-mie. Elle ne se limite pas aux seules dépenses. Quelle est en effet la différence analytique entre une subvention et une exemption fiscale (ou une dépense fiscale) ? Les modes d’intervention qui modifient les prix relatifs sont à vrai dire fort nombreux : subventions, taxes, tarifs douaniers, contingentements, nationalisations, achats préférentiels, réglementations traditionnelles ou « sociales », interdictions… Pour connaître précisément l’évolution de l’intervention gouvernementale, il faudrait agréger les effets de toutes ces mesures. Et là encore, per-sisterait le problème selon lequel le tout n’est pas égal à la somme des parties, puisque certains instruments d’intervention ont des effets op-posés. Par exemple, si tous les secteurs de l’activité économique étaient protégés à 20% par différentes mesures, la protection effective de chacun serait nulle, puisque les prix relatifs ne seraient pas modi-fiés.

Dans toutes les sociétés, l’intervention gouvernementale est omni-présente. Tous les secteurs sont affectés, même si, pour quelques-uns, ce n’est que par la taxation. De même, quotidiennement, les journaux abondent en demandes accrues de la part des différents groupes. Le monde des affaires, qui adhère pourtant à une idéologie anti-étatique, n’y fait pas exception : il revendique certains avantages particuliers ou

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 240

traitements de faveur. On trouve, dans cette mendicité en vue d’obte-nir les faveurs de l’état, une quantité impressionnante de temps, d’ef-forts et d’argent.

[188]Par exemple, au fil des ans, les gouvernements fédéral et provin-

ciaux ont introduit dans le régime fiscal plusieurs mesures afin d’ac-corder des allègements à certains groupes de particuliers ou d’entre-prises. Ces préférences fiscales sont couramment appelées « dépenses fiscales ». Par souci de transparence, les deux gouvernements publient annuellement des informations sur les différentes dépenses fiscales et en estiment leurs coûts. 132 Qu’en est-il pour le Québec ?

« Le régime fiscal du Québec comporte plus de 280 dépenses fiscales. Parmi celles-ci, près de 145 sont liées au régime d’imposition des particu-liers, près de 90 au régime d’imposition des sociétés et 45 au régime des taxes à la consommation… Globalement, les dépenses fiscales totaliseront 18,6 milliards de dollars en 2006, soit environ 32% des revenus fiscaux du gouvernement » 133.

Avant d’étudier les mesures gouvernementales concernant l’épargne et l’investissement, il est essentiel de prendre conscience des coûts des « cadeaux fiscaux ». Les allègements fiscaux constituent une absence de revenus qui doit être compensée par des recettes ac-crues provenant des autres taxes.

132 Ministère des Finances et du Revenu, Dépenses fiscales – Édition 2006, Québec, octobre 2006, 326 p. ; Ministère des Finances Canada, Dépenses fiscales et évaluations 2006, Ottawa, 2006, 89 p. et Ministère des Finances Canada, Dépenses fiscales : notes afférentes aux estimations et projections, 2004, Ottawa, 2004, 143 p.

133 Ministère des Finances et du Revenu, op. cit. p. III.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 241

10.1. Les coûts des différentes taxes

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Pour s’approprier plus de 40% de la production, comme c’est le cas au Canada et encore davantage au Québec, les gouvernements sont obligés de recourir à de hauts taux marginaux explicites ou impli-cites de taxation, même pour les personnes à faible revenu. Il ne peut en être autrement, puisque les riches ont le défaut d’être peu nom-breux.

Les taxes faussent le système d’incitations qui encadre les agents économiques. Elles modifient les choix libres des agents et impliquent ainsi une perte d’efficacité ou un gaspillage. Les choix sont variés : choix entre travail et loisir, entre consommation immédiate et épargne, entre différentes formes de rémunérations, de placements, d’investissements, de modes d’organisation et de financement, entre sécurité et risque, entre différentes techniques et divers lieux de pro-duction et entre différents biens de consommation. Cette énumération n’épuise pas tous les choix qui s’offrent aux agents économiques et qui sont sujets à l’influence des différentes taxes.

[189]Ces effets négatifs ne relèvent pas de l’imagination. Au cours des

années quatre-vingt, un nombre impressionnant de travaux ont montré les coûts élevés en perte d’efficacité ou en gaspillage découlant du système de taxation. Trois études portant sur trois pays différents peuvent servir d’illustration. 134 En Angleterre, c’est à 9% du produit intérieur brut que sont estimés les coûts annuels des pertes d’efficacité provoquées par les changements de l’affectation des ressources et liées à l’ensemble des taxes positives et négatives (les subventions). Les deux autres études visent à calculer le coût du gaspillage engendré

134 J. Piggott et J. Whalley, UK Tax Policy and Applied General Equilibrium Analysis, Cambridge : Cambridge University Press, 1985, 345 p.; C.L. Bal-lard, J.B. Shoven et J. Whalley, « General Equilibrium Computations of the Marginal Welfare Costs of Taxes in the United States », The American Eco-nomic Review, vol. 75, no 1, mars 1985, p. 128-138; I. Hansson, « Marginal Costs of Public Funds for Different Tax Instruments and Government Ex-penditures », Scandinavian Journal of Economics, vol. 86, no 2, 1984, p. 115-130.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 242

par un dollar supplémentaire d’impôt. La première, pour les États-Unis, conclut que « la perte marginale de bien-être, pour les consom-mateurs, à la suite d’un dollar supplémentaire prélevé par l’impôt, se situe entre 34 et 68 cents. 135 » En Suède, où le taux marginal de taxa-tion pour le contribuable moyen dépassait alors 70%, on a même esti-mé qu’un dollar supplémentaire d’impôt pouvait entraîner une perte d’efficacité aussi élevée que de 2 $ à 6 $.

Il est facile de percevoir les difficultés inhérentes à une taxe sup-plémentaire; il suffit d’observer le comportement des contribuables. Par exemple, les taux d’impôt explicites ou implicites élevés, qu’af-frontent à la marge presque toutes les classes de revenu, favorisent le travail au noir ou le paiement sous la table. De plus, les personnes qui ont un revenu plus élevé recourent à la planification fiscale.

Il existe une différence entre les taux d’imposition apparents et les taux d’imposition effectifs. Le taux marginal d'imposition apparent, c'est ce qui est versé en impôts sur le revenu ou sur la masse salariale pour chaque dollar supplémentaire gagné. Le taux marginal d'imposi-tion effectif y ajoute la baisse des prestations, en nature ou en espèces, qui dépendent du revenu.

Ressources humaines et Développement des compétences Canada a calculé, pour une province quelconque, le taux marginal d'imposi-tion effectif pour un couple à un seul revenu et ayant deux enfants (fi-gure 10-1). Le cumul des différents programmes et surtout la perte de l'aide sociale, à mesure que le revenu gagné croît, font que le taux marginal d'imposition effectif est très élevé pour un revenu gagné in-férieur à 23 mille dollars. Un taux de [190] taxation de 70% et plus appliqué à l'augmentation du revenu gagné anéantit presque les efforts

135 Des estimations encore plus élevées existent pour les États-Unis. Une simu-lation appliquée aux données de 1994 donne les résultats suivants : « … l’augmentation des revenus provenant d’un accroissement de dix% de tous les taux de taxation du revenu personnel ne rapporte que 21,4 milliards de dollars. Or, les pertes reliées à cette privation de revenus sont de 44 mil-liards. Cela correspond à un coût marginal de perte d’efficacité de 2,06 $ par dollar de taxe additionnelle. » M. Feldstein, Tax Avoidance and the Dead-weight Loss of the Income Tax, Working paper n° 5055, Cambridge MA : National Bureau of Economic Research, mars 1995, p. 32.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 243

en vue d'améliorer son sort et de participer davantage au marché du travail. 136

136 Ce sujet a été le thème du Livre blanc sur la fiscalité des particuliers, il y a déjà deux décennies : "Aussi invraisemblable que cela puisse être, les ré-gimes actuels de taxation et de transferts soumettent les plus démunis de notre société, s'ils effectuent un retour sur le marché du travail, à des taux marginaux implicites de taxation encore plus élevés que ceux auxquels sont soumis les contribuables à haut revenu... Si le chef de famille (biparentale, deux enfants de six ans ou plus) délaisse l'aide sociale et retourne travailler au salaire minimum (8 000$ par année), il verra son revenu disponible pas-ser de 10 466$ à 12 135$, soit une augmentation nette de 1 669$. Sur les 8 000$ qu'il aura gagnés, les gouvernements auront retenu 6 331$, par le biais de paiements de transferts réduits et d'impôts, ce qui signifie un taux marginal implicite de taxation de 79%. Si, en plus, cette famille bénéficiait de certains autres programmes (comme un logement subventionné, des prêts et bourses pour l'aide scolaire, etc.), il pourrait arriver que le retour au tra-vail ne signifie aucune augmentation de revenu disponible pour ce tra-vailleur à faible revenu, son taux marginal implicite de taxation pourrait ainsi atteindre ou même dépasser 100%. De fait, le prestataire devra se trou-ver un emploi au salaire industriel moyen, soit 10,75$ l'heure, s'il veut rame-ner son taux marginal implicite de taxation au taux marginal des plus hauts salariés". Ministère des Finances, Gouvernement du Québec, Document de présentation du Livre blanc sur la fiscalité des particuliers, Québec, 1984, pp. 14-15.

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FIGURE 10-1

TAUX MARGINAL D’IMPOSITION EFFECTIF– COUPLE À UN SEUL REVENU AVEC DEUX ENFANTS

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Source : B. Fortin, Fiscalité, transfert sociaux et incitations au travail: récents dé-veloppements, miméo, conférence à l'ASDEQ-Québec, 26 février 2003

[191]Les éléments de la figure 10-1 font bien ressortir les arbitrages tou-

jours difficiles entre les différents objectifs dans l'aide aux personnes à faible revenu : niveau adéquat de l'aide aux plus démunis, contre les effets défavorables au travail découlant d'un montant d'aide trop élevé; niveau acceptable de l'aide en ciblant les plus démunis, contre un ni-veau excessif des taux marginaux implicites effectifs; équité dans la répartition des transferts entre les non-travailleurs et les travailleurs à faible revenu; politiques actives de réinsertion et de programmes de supplément de revenu, contre le soutien pur et simple du revenu sans aucune exigence particulière de la part du bénéficiaire (travaux com-munautaires, apprentissage, par exemple).

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Cependant, même si les taxes faussent le système d’incitations, les coûts d’efficacité ou de gaspillage sont très limités si les agents éco-nomiques modifient peu leurs décisions en leur présence. À l’époque où j’étais étudiant, c’est-à-dire durant la première moitié des années soixante, l’analyse des coûts d’efficacité des taxes était très dévelop-pée en théorie, mais les différentes tentatives pour les mesurer, princi-palement quant au choix entre le travail et le loisir, semblaient conclure que ces coûts d’efficacité n’avaient pas une importance bien élevée. 137 Soit à cause de leurs préférences, soit parce que l’environne-ment dans lequel ils opéraient permettait peu de substitution ou de choix, les agents économiques apparaissaient peu affectés par les taxes. En conséquence, le système de taxation n’était pas perçu comme une source importante de gaspillage.

Mais les estimations des coûts de la taxation ont beaucoup changé au cours des récentes décennies. Comment peut-on expliquer que leurs résultats soient devenus aussi considérables ? Ne peut-on pas avancer que ces estimations plus élevées ne sont qu’une réaction des économistes à un environnement moins favorable aux interventions gouvernementales au cours d’une période plus récente ? On connaît bien cette idée selon laquelle les économistes réussissent assez facile-ment à adapter leurs réflexions scientifiques à leurs propres intérêts. Pareille accusation peut certainement paraître blessante pour un pro-fane. Toutefois, pour l’économiste, elle n’est que la simple application de sa discipline [192] à son action. Si le système de sanctions et de

137 Comme appui, voici deux citations d’un manuel de finances publiques très populaire à cette époque.

« En somme, il apparaît que l’effet défavorable des taxes sur le revenu personnel sur l’offre d’effort est probablement de peu d’importance. En voi-ci les causes : les gens ne sont pas exclusivement motivés par le revenu mo-nétaire ; leur degré de contrôle sur leurs conditions de travail est limité et enfin les modes de paiement des employeurs ont été ajustés pour tenir compte du fardeau fiscal. »

« Bien qu’aucun effet négatif élémentaire n’ait été découvert pour justi-fier un réaménagement catégorique de notre système de taxation, plusieurs personnes ont l’impression que le gouvernement fédéral recourt trop lourde-ment à l’impôt sur le revenu. »

O. Eckstein, Public Finance, Englewood Cliffs : Prentice Hall, 1964, p. 74 et 83.

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récompenses influence l’affectation des ressources dans l’économie, pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour les idées des économistes ? 138

Heureusement, il existe d’autres explications de la montée considé-rable des estimations des coûts d’efficacité du système de taxation. Ce sont : la croissance de l’importance relative du gouvernement dans l’économie; les coûts d’efficacité de plus en plus importants à mesure que les agents économiques ont le temps de s’ajuster à la taxation éle-vée; le caractère plus ouvert de l’économie; et enfin, l’aspect discrimi-natoire du système de taxation entre les différentes activités écono-miques. Analysons brièvement chacun de ces points.

1) La croissance des budgets

Il apparaît normal que les coûts d’efficacité des taxes croissent avec le taux des taxes, puisque plus le taux est élevé, plus grand est l’écart entre le bénéfice retiré de la consommation d’une unité supplé-mentaire du produit et le coût de production de cette unité. On peut établir que dans le cas le plus simple où la courbe de demande est une simple ligne droite, le coût d’efficacité ou de gaspillage de la taxation varie avec le carré du taux de taxation. Ainsi, si le taux double, les coûts d’efficacité de la taxe ne doublent pas mais quadruplent. 139

138 Pour approfondir cette idée, consulter deux livres d’un prix Nobel d’écono-mique, George J. Stigler, The Intellectual and the Market Place and Other Essays, London : Collin-Macmillan, 1963, 99 p. et The Economist as Prea-cher and Other Essays, Chicago : University of Chicago Press, 1982, 259 p.

139 Ce résultat, encore utilisé aujourd’hui, fut obtenu par un ingénieur-écono-miste français en 1844 : « …si on triple l’impôt, l’utilité perdue devient neuf fois plus considérable… Plus les taxes sont fortes, moins elles produisent relativement. L’utilité perdue croît comme le quarré de la taxe… ». J. Du-puit, « De la mesure de l’utilité des travaux publics », Annales des Ponts et Chaussées, vol. 8, no 116, 1844, p. 374.

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2) La différence entre le court et le long terme

Les taux de taxation élevés découragent l’effort au travail et ralen-tissent certaines activités, puisque le gouvernement accapare une part importante des gains. Cela ne veut pas dire que l’effet se produit ins-tantanément. À court terme, les contribuables ne modifient pas sensi-blement leur comportement à la suite d’une hausse des taxes. Cepen-dant, avec le temps, les formes de travail, y compris le « travail au noir », la longueur de la semaine de travail, les conditions de travail et l’âge de la retraite s’ajustent aux taux élevés de taxation. À long terme, l’effet est plus important parce que les comportements sont plus flexibles, les habitudes pouvant davantage changer avec le temps.

Il y a un grand thème souvent développé par les intellectuels de nos sociétés : la coupure entre la jeune génération et ses aînés [193] à propos de la place du travail dans la vie. La jeune génération serait en effet beaucoup moins orientée vers le travail, mais davantage vers la « plénitude de la vie ». S’il existe un tel changement de comporte-ment, il faut en chercher les raisons, moins dans les préférences nou-velles des citoyens et bien plus dans le régime d’incitations auquel ils sont soumis. Les nouveaux venus peuvent plus facilement s’adapter aux nouvelles règles du jeu qui comprennent, entre autres, des taux de taxation élevés. Pourquoi rechercher des revenus monétaires plus éle-vés si l’on doit en donner une part aussi considérable à l’État ?

Des travaux récents du prix Nobel d’économique Edward C. Pres-cott sont ici fort révélateurs. Voici ce qu’on trouve dans le résumé de l’une de ses études :

« Les Américains travaillent maintenant cinquante% de plus que les Allemands, les Français et les Italiens. Ce n’était pas la situation au début des années soixante-dix, au moment où les Européens de l’Ouest tra-vaillaient davantage que les Américains. Dans ce texte, j’examinerai le rôle des taxes pour expliquer les différences temporelles et entre les pays dans la quantité de travail offerte, en particulier le rôle du taux marginal effectif de taxation sur le revenu du travail. Les pays étudiés sont ceux du G-7, qui sont les pays industrialisés les plus avancés. Le résultat surpre-nant est que le taux marginal de taxation explique les disparités à diffé-

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rents moments dans l’offre relative de travail, à l’exception de l’offre de travail italienne au début des années soixante-dix. 140 »

La figure 10-2 montre, pour les pays de l’OCDE, que des impôts élevés entraînent une réduction du temps de travail. Cela s’applique à la situation québécoise : les travailleurs québécois ont en moyenne une semaine plus courte que les ontariens et c’est le cas pour ces der-niers par rapport aux travailleurs américains (figure 10-3). Les taux marginaux de taxation sur le revenu des particuliers constituent un facteur qui explique cette situation : ils sont généralement plus élevés au Québec qu’en Ontario et c’est le cas en Ontario par rapport aux États-Unis.

140 E.C. Prescott, Why Do Americans Work So Much More Than Europeans ?, Research Department Staff Report 321, Minneapolis MN : Federal Reserve Bank of Minneapolis, nov. 2003, p. 1. Voir aussi E.C. Prescott, « Why Do Americans Work More Than Europeans ?”, The Wall Street Journal, 21 oct. 2004, p. A 18.

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[194]

FIGURE 10-2

RELATION ENTRE LA DURÉE ANNUELLE DU TRAVAIL ETLE TAUX MARGINAL D’IMPOSITION DES REVENUS DE TRAVAIL

POUR LES PAYS DE L’OCDE, 2003/2004

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Source : OCDE, Études économiques de l’OCDE 2005.Suède, Paris, août 2005, p. 64.

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FIGURE 10-3

HEURES RELATIVES TRAVAILLÉES PAR SEMAINE,QUÉBEC / ONTARIO ET QUÉBEC / ÉTATS-UNIS,

RATIO EN %, 1981-2002

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Source : L. Martin, « Le niveau de vie des Québécois. Un écart subsiste par rapport à celui de nos voisins », Finances Québec, Analyse et conjoncture écono-miques, vol. 1, n° 5, 11 nov. 2003, p. 6.

[195]Le système de taxation actuel incite aussi les personnes à recevoir

leurs revenus sous d’autres formes qu’en espèces. Cette substitution peut ne pas être importante immédiatement, mais elle s’installe lente-ment à mesure que les taux de taxation croissent. Comme les revenus non monétaires du travail ne sont pas taxés, l’individu est de plus en plus incité à privilégier ces formes de rémunération : un compte de dépenses bien garni, des possibilités de voyages, une plus grande au-tonomie dans le travail, des vacances plus longues, une place de sta-tionnement fournie gratuitement, etc. Tous ces ajustements en vue de réduire le fardeau fiscal du contribuable – ils peuvent même mener à des actes illégaux – ont toutefois comme conséquence d’accroître l’in-efficacité de la perception des impôts. Pour compenser et obtenir des revenus donnés, ces ajustements forcent les autorités à accroître les

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taux de taxation, puisque l’assiette imposable est réduite par l’action du contribuable.

3) L’ouverture plus grande de l’économie

Les échanges de plus en plus faciles et nombreux de l’économie moderne, partiellement en raison de la baisse des coûts de transport et de communication, rendent plus onéreuse la perception des taxes. Les agents de l’économie sont plus mobiles, donc s’ajustent davantage à une augmentation des taxes en se déplaçant. De plus, une petite éco-nomie ouverte comme celle du Québec ne peut exporter le fardeau de ses taxes, puisque cette société n’a aucun pouvoir de modifier ses prix sur les marchés internationaux. Toutefois, la moins grande mobilité des québécois de langue française favorise, au moins à court terme, un fardeau fiscal plus élevé par rapport aux autres juridictions.

4) La discrimination importante des taxes entre les activités économiques

En plus de leur taux moyen élevé, les taxes ont le défaut d’exercer une discrimination entre les différentes activités économiques. Même si des différences de taux peuvent être justifiées en certaines circons-tances, comme les taux plus élevés sur l’alcool et le tabac ou encore les taxes servant à la tarification des services publics, il n’en demeure pas moins que le présent système [195] fiscal incorpore une multitude de privilèges fiscaux qui modifient l’affectation des ressources et sont source de gaspillage. 141

Les privilèges fiscaux modifient donc l’affectation des ressources en augmentant artificiellement l’attrait de certaines activités et ils dis-criminent entre les contribuables qui ont une même capacité de payer. De plus, la multiplication des privilèges fiscaux complique énormé-ment la perception des taxes. Il devient vite profitable au contribuable

141 Au Québec, l’achat d’un livre pornographique n’est pas taxé mais celui d’un disque de musique classique est soumis à la TVQ.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 252

de recourir à des spécialistes en planification fiscale pour profiter au maximum des réductions d’impôts possibles.

Au cours des années quatre-vingt, les gouvernements prirent conscience des coûts importants que représentaient les taux élevés de taxation et une trop forte progression des impôts. Ils diminuèrent le nombre des échelons de taux, de même que les taux marginaux maxi-mums. Le cas du contribuable québécois l’illustre bien. En 1978, il existait 13 taux différents au fédéral et 21 au Québec; le taux marginal combiné des deux gouvernements était, à son maximum, de 68,91%. Vingt-cinq ans plus tard, en 2003, il ne restait que 4 taux différents au fédéral et 3 au Québec. Le taux marginal maximum de la somme des deux impôts sur le revenu des contribuables québécois fut ramené à 48,22%, une baisse de vingt unités de pourcentage.

10.2 Estimations canadiennes et québécoisesdes coûts d’efficacité des taxes

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Les ministères canadien et québécois des Finances ont publié en 2004 des estimations des coûts d’efficacité des taxes. Elles pro-viennent de modèles d’équilibre général qui tiennent compte des dif-férents secteurs de l’économie. Voici ce qu’il en est pour le modèle fédéral sur l’ensemble des taxes canadiennes :

« Le modèle étudie les effets de changements de la composition des revenus fiscaux sur quatre décisions clés : la décision de consommer ou d’investir; la décision (tant des Canadiens que des étrangers) d’investir au pays ou à l’étranger; le choix entre le travail et les loisirs; et la répartition des biens et services consommés et des placements effectués selon que ces biens, ces services et ces placements sont canadiens ou étrangers. [197] Même si l’on suppose que la demande et l’offre de main-d’œuvre et la production de l’économie sont toujours en équilibre, il faut du temps pour que l’équilibre entre le stock de capital des entreprises et le stock d’actifs financiers des consommateurs se rétablisse. Par conséquent, les avantages des réductions d’impôts et de taxes qui ont un effet sur les stocks de capi-tal visés prennent plus de temps à se concrétiser que ceux des baisses de

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taxes et d’impôts qui influent sur les décisions de consommation et d’offre de main-d’œuvre » 142.

FIGURE 10-4

GAIN DE BIEN-ÊTRE ÉCONOMIQUE À LONG TERME ISSUDE RÉDUCTIONS D’IMPÔT SANS EFFET SUR LE REVENU

DU GOUVERNEMENT

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Source : Ministère des Finances, « Fiscalité et efficacité économique : résul-tats d’un modèle d’équilibre général » dans Dépenses fiscales et évaluations, Ot-tawa, 2004, p. 80.

142 Ministère des Finances, « Fiscalité et efficacité économique : résultats d’un modèle d’équilibre général » dans Dépenses fiscales et évaluations, Ottawa, 2004, p. 78.

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10.3. Les estimations canadiennes

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Le ministère fédéral des finances résume ainsi les résultats de son modèle (figure 10-4) :

« Avant d’analyser les résultats, il convient d’expliquer les deux bâ-tons à droite du trait pointillé vertical. Le premier illustre le gain moyen pondéré de bien-être pour l’ensemble des taxes et des impôts étudiés. 143 On constate qu’une réduction modeste et égale de tous les impôts et de toutes les taxes ferait augmenter le bien-être de 30 cents par dollar de perte de revenus. Le [198] deuxième bâton reflète l’impact d’une hausse simu-lée de la déduction pour amortissement (DPA) uniquement pour le capital neuf. Puisque l’amortissement du capital est un coût assumé par les entre-prises dans le cadre du processus de production, le régime fiscal permet de déduire les coûts d’amortissement à des taux prévus par la loi. Les résul-tats de cette simulation sont indiqués séparément parce que le relèvement de la DPA n’est pas une baisse d’impôt en soi, mais plutôt la bonification d’une déduction applicable à l’impôt sur les bénéfices des sociétés.

Comme l’indique le graphique, le modèle donne à penser qu’une ré-duction d’impôts ou de taxes procure des gains plus importants si elle porte sur l’épargne et l’investissement que sur les salaires et la consomma-tion. Notons que l’accroissement de la DPA sur le capital neuf, la réduc-tion de la taxe de vente sur les biens d’équipement et la baisse de l’impôt sur les gains en capital des particuliers semblent offrir un potentiel des plus intéressants » 144.

143 Ce calcul ne tient pas compte d’une réduction des impôts fonciers.144 Ministère des Finances, op. cit., p. 80.

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10.4. Les estimations québécoises

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Le ministère québécois des Finances a lui aussi développé un mo-dèle économique d’équilibre général. La figure 10-5 présente les esti-mations des coûts d’efficacité des différentes taxes provinciales. On doit s’attendre à des valeurs plus élevées que celles des taxes fédé-rales, l’économie du Québec étant plus ouverte que l’économie cana-dienne. C’est bien le cas pour toutes les taxes. Encore ici, la taxe sur le capital est la plus onéreuse et la taxe à la consommation est celle qui l’est le moins.

Toutefois, comme l’affirme le document fédéral :« Si les modèles d’équilibre général sont utiles, c’est donc plus parce

qu’ils fournissent des informations qualitatives et permettent de classer diverses options stratégiques que parce qu’ils donnent des résultats numé-riques précis » 145.

Pour la classe moyenne, l’impôt sur le revenu des particuliers est principalement un impôt sur la consommation, parce que les deux formes de placements ou d’investissements les plus populaires, chez la classe moyenne, échappent en bonne partie à l’impôt sur le revenu. Il s’agit du traitement fiscal de l’épargne-retraite et du rendement du capital placé dans son propre logement. En effet, les dispositions de la loi de l’impôt sur le revenu des particuliers n’ont jamais inclus dans la définition du revenu imposable [199] le rendement du capital investi par un particulier dans sa propre résidence. En outre, le gain de capital réalisé lors de la vente de sa résidence principale n’est pas imposable. Par ailleurs, l’impôt sur le revenu ne taxe pas le rendement des épargnes placées dans les biens durables tels les meubles ou les pein-tures.

En plus d’avoir une part appréciable de son patrimoine dans son logement, l’individu moyen épargne pour la période de retraite où la rémunération du travail est nulle ou réduite. Le gouvernement facilite cette prévoyance par des incitatifs fiscaux à l’épargne-retraite. La dé-duction permise pour l’épargne-retraite sous toutes ses formes s’élève à 18% du revenu gagné au cours de l’année d’imposition précédente, 145 Id., p. 78.

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jusqu’à concurrence d’un montant de 18 000 $ pour l’année 2006. L’épargne-retraite est taxée au moment où elle est retirée et probable-ment consommée.

À cause de leur importance pour l’économie, les coûts de la taxa-tion (ou de la non-taxation) reçoivent ici beaucoup d’attention. Ils sont d’ailleurs trop souvent ignorés dans l’appréciation des coûts des programmes et, par conséquent, de leur rentabilité.

Pour clore ce sujet, il est bon de reprendre le raisonnement que fai-sait Jules Dupuit en 1844 :

« Si on augmente graduellement un impôt depuis 0 jusqu’au chiffre qui équivaut à une prohibition, son produit commence par être nul, puis croît insensiblement, atteint un maximum, décroît ensuite successivement, puis devient nul. Il suit de là que, quand l’État a besoin de trouver une somme donnée au moyen d’un impôt, il y a toujours deux taxes qui satis-font à la condition, l’une au-dessus, l’autre au-dessous de celle qui donne le maximum de produit. Entre ces deux taxes qui donnent le même pro-duit, il peut y avoir une différence énorme entre l’utilité perdue » 146.

Ainsi, une hausse des taux de certaines taxes peut se traduire non par une hausse, mais par une baisse des recettes du gouvernement. Cela est d’autant plus probable que le facteur taxé est très mobile.

146 J. Dupuit, op. cit., p. 370.

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[200]

FIGURE 10-5

IMPACT PAR DOLLAR DE RÉDUCTION D’IMPÔTSANS EFFET SUR LES REVENUS GOUVERNEMENTAUX

AVEC COMPENSATION POUR MAINTENIRLES REVENUS DU GOUVERNEMENT

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Source : Finances Québec, Impacts économiques des impôts et taxes évalués à l’aide de modèle économique d’équilibre général de MFQ, Québec, 3 décembre 2004, p. 7; partiellement reproduit dans Finances Québec, Budget 2005-2006 : Plan budgétaire, Québec, 21 avril 2005, section 6, p. 11.

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10.5. Le légendaire empereur romain

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L’intervention gouvernementale dans l’économie ressemble très souvent au comportement du légendaire empereur romain qui, juge à un concours de chant entre deux personnes, écouta la première et s’empressa de remettre le prix à la seconde sans s’assurer qu’elle ne faussait pas davantage que la première.

Malgré les bienfaits de la décentralisation ou d’un système ouvert, les économistes ont développé tout un arsenal d’arguments pour justi-fier l’intervention gouvernementale. En effet, en plusieurs circons-tances, les marchés libres seraient défaillants, incapables d’assurer un système de sanctions et de récompenses qui entraînerait le non-gas-pillage des ressources. On parle de situations où il y a présence d’ef-fets de débordement, d’économies de grande dimension, de biens pu-blics, d’informations asymétriques entre les parties, de pouvoirs mo-nopolistiques, de chômage involontaire et, enfin, d’une distribution des revenus perçue comme insatisfaisante. Les possibilités de dé-faillances de la décentralisation des marchés sont donc nombreuses, ce qui permet à tout économiste muni d’un minimum d’imagination de tenter de justifier l’intervention gouvernementale dans n’importe quelle activité économique.

Le premier chanteur, le marché libre, est donc loin de la perfection; il ne maximise pas le gâteau disponible pour la population. Le deuxième chanteur, l’intervention gouvernementale, peut-il faire mieux ? On ne se pose pas la question, car, comme l’a montré le cha-pitre consacré à l’économique des processus politiques, cette interven-tion relève d’une dynamique toute différente, la volonté de se faire élire. Elle ne peut être ignorée.

Il s’agit donc de s’interroger sur la rentabilité de différentes inter-ventions gouvernementales. C’est en soi une question simple, à savoir si les bénéfices anticipés sont ou ne sont pas supérieurs aux coûts pré-visibles.

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10.6. Les incitations fiscales en faveur de la R et D

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En 2005, l’aide fiscale québécoise aux entreprises pour la re-cherche et le développement totalisait 538 millions de dollars. Quelles sont les raisons avancées pour motiver une telle dépense fiscale ?

« Les raisons qui justifient un soutien fiscal aux activités privées de R&D tiennent aux propriétés de bien public, de la non-appropriation des bénéfices, de risque élevé et de besoin de financement excessif qui em-pêchent les firmes de faire le niveau de R&D qui serait socialement dési-rable, étant donné les externalités sociales de la recherche. Les crédits d’impôt fournissent aux entreprises des liquidités internes qui peuvent servir à financer des projets de recherche, sans trop exiger d’informations sur le contenu de la recherche. 147 »

Trois chercheurs ont étudié l’effet des incitatifs fiscaux fédéraux à la R&D à partir d’un échantillon de 434 firmes canadiennes. Voici leurs conclusions :

« Notre étude trouve qu’un dollar de support fiscal à la R&D procure 0,98 $ de recherche additionnelle. Elle a aussi montré un défaut possible dans le présent système d’aide à la recherche par des incitatifs fiscaux. Une partie de cet argent (que nous estimons à plus de 80%) finance une recherche qui aurait été réalisée sans cette assistance et, par conséquent, ressemble à une politique déguisée de subventions à la recherche. 148 »

147 P. Mohnen, « L’efficacité des incitations fiscales à la R & D », dans D. Ra-cette (s.l.d.), Le progrès technologique : évolution ou révolution ?, Mont-réal : Association des économistes québécois, 1997, p. 337.

148 M. Dagenais, P. Mohnen et P. Therrien, Do Canadian Firms Respond to Fiscal Incentives to Research and Development ?, Montréal : Centre inter-universitaire de recherche en analyse des organisations, oct. 1997, p. 25. Ce texte a été sensiblement repris dans M. Dagenais et al., « Les firmes cana-diennes répondent-elles aux incitations fiscales à la recherche-développe-ment », L’Actualité économique/ Revue d’analyse économique, vol. 80, n° 2-3, juin-septembre 2004, pp. 175-205.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 260

Cette recherche montre que la rentabilité de l’aide à la recherche est loin d’être établie, particulièrement en tenant compte des coûts d’efficacité de son financement.

Deux études récentes mettent aussi en doute la rentabilité des sub-ventions gouvernementales. Elles méritent d’être résumées. Kenneth McKenzie a calculé les subventions fiscales à la R-D dans les diffé-rentes provinces :

« Nous montrons que, bien que toutes les provinces accordent pour la R-D une subvention fiscale assez substantielle, la variation d’une province à l’autre est considérable, allant d’un taux de subvention d’environ 40% en Alberta à un taux supérieur à 200% au Québec. 149 »

Le même auteur ajoute, pour la situation québécoise :« Si les investisseurs exigent un taux de rendement de 10% après le

paiement des taxes sur les sociétés, un projet additionnel de [203] R-D au Québec peut obtenir un taux de rendement avant taxation aussi bas que 3,3% et demeurer intéressant pour une firme recherchant à maximiser sa valeur. En l’absence des incitatifs fiscaux, un tel investissement n’aurait jamais eu lieu. C’est, sans contredit, une substantielle subvention en fa-veur d’un investissement en R-D. 150 »

Dans son évaluation des subventions fiscales provinciales à la R-D, Bev Dahlby arrive à la conclusion suivante :

« … un dollar d’augmentation de l’encouragement fiscal doit générer près de 2 $ de fonds supplémentaires pour R-D et … le taux de rendement interne doit être très proche de 30% afin de justifier une subvention fiscale provinciale pour la Recherche et le Développement, si le coût marginal de financement est de 1,40 $ pour le gouvernement provincial. 151 »

Selon l’estimation de Dagenais, Mohnen et Therrien déjà mention-née, un dollar de support fiscal à la R-D procurerait 0,98 $ de re-cherche additionnelle, estimation loin des 2 $ « exigés » par le cadre analytique de Dahlby. De plus, le coût marginal de financement du

149 K. J. McKenzie, « Tax Subsidies for R & D in Canadian Provinces », Ana-lyse de politiques, vol. XXXI, n° 1, mars 2005, p. 29.

150 Id., p. 37.151 B. Dahlby, ”A Framework for Evaluating Provincial R & D Tax Subsidies”,

Analyse de politiques, vol. XXXI, no. 1, mars 2005, p. 45.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 261

gouvernement du Québec a été estimé supérieur à 1,40 $. La rentabili-té des subventions fiscales à la recherche par le gouvernement du Québec doit donc être mise en doute.

De plus, comme le réitère Dahlby :« …du point de vue d’un gouvernement provincial, il n’y a aucune

justification pour un incitatif fiscal provincial à la R-D s’il génère seule-ment des occasions commerciales pour des firmes dont la production se situe dans les autres provinces ou pays et, par conséquent, sans effet de débordement dans la province. 152 »

10.7. Aide fiscale au capital de risque

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Le gouvernement du Québec a mis en place de nombreux pro-grammes pour améliorer la capitalisation des entreprises de petite taille et accroître le capital de risque : SODEQ, REAQ, PAC, SPEQ, RIQ, FSTQ, Fondaction, Capital régional et coopératif Desjardins… Depuis plus de quinze ans, le professeur Jean-Marc Suret, de la Facul-té des sciences de l’administration de l’Université Laval, évalue ces programmes. En 1994, il publiait une première synthèse de ses re-cherches sous le titre évocateur suivant : Le gouvernement du Québec et le financement des entreprises : les mauvaises [204] réponses à un faux problème. Il affirmait : « En résumé, l’intervention du gouverne-ment du Québec dans le domaine de la capitalisation des entreprises est coûteuse, inefficace et inutile » 153.

Voici ce qu’il concluait :« La conclusion de cette étude partielle de l’intervention du gouverne-

ment québécois dans le domaine de la capitalisation des entreprises paraît claire : cette intervention n’est pas nécessaire. Elle est, de ce fait, extrême-ment coûteuse et inefficace.

152 Id., p. 47.153 J.-M. Suret, « Le gouvernement du Québec et le financement des entre-

prises : les mauvaises réponses à un faux problème », dans F. Palda (s.l.d.), L’État interventionniste  : le gouvernement provincial et l’économie du Qué-bec, Vancouver : Institut Fraser, 1994, p. 115.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 262

L’intervention n’est pas nécessaire car le Québec ne souffre pas d’un déficit en ce qui concerne l’offre de capital-risque. Elle n’est généralement pas demandée par les associations d’entreprises dont les interventions sont généralement orientées vers une réduction des initiatives gouvernemen-tales. En revanche, les divers programmes ont comblé les désirs des inter-médiaires financiers qui en ont été d’importants bénéficiaires.

Les programmes ont été coûteux et inefficaces. En moyenne, ceux qui ont été évalués ont coûté 1,8 $ par $ de capitalisation subsistant à la date de l’évaluation. La principale cause de cette inefficacité se trouve dans le faible niveau de performance des entreprises financées. Les performances médiocres provoquent une dévaluation rapide des placements effectués. C’est là une conséquence de l’inutilité des interventions en ce domaine. Il semble n’exister qu’une population fort réduite d’entreprises qui, tout en étant dynamiques et rentables, éprouvent des difficultés de finance-ment. 154 »

Dix ans plus tard, dans un mémoire à la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale, Jean-Marc Suret reprenait la même conclusion sur le rôle gouvernemental dans le domaine du fi-nancement des entreprises en croissance :

« Le Québec a mis en place, au fil des ans, des mécanismes extrême-ment coûteux dont l’effet principal est de réorienter une part très impor-tante de l’épargne vers des investissements peu rentables au prix de coûts administratifs énormes. Une telle politique est économiquement indéfen-dable. L’ampleur du phénomène est telle qu’il devient très difficile de réformer les mécanismes pour en améliorer la performance et la gouver-nance. L’action des gouvernements bloque le développement d’une indus-trie privée du capital de risque et limite sérieusement l’apport de capitaux de placement privé, qui finance normalement des rondes avancées de capi-tal de risque, ainsi que les opérations de sortie telles que les leveraged buyout et les management buyout. La comparaison avec les politiques me-nées dans d’autres pays indique que, pour un coût très inférieur [205] en proportion du PIB, la plupart des pays atteignent des résultats très supé-rieurs. Deux avenues sont donc offertes…

Le Gouvernement devrait se concentrer sur son rôle principal qui est de susciter l’éclosion et les premières phases de croissance des sociétés innovantes, ce qui renvoie à la recherche, à la formation de chercheurs et

154 Id., p. 162 et 163.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 263

d’entrepreneurs technologiques, à l’incubation et au transfert ainsi qu’aux premières phases de financement. Les bons projets attirent le capital de risque et assurent le développement d’une industrie dynamique. Une in-dustrie dynamique de capital de risque attire les placements privés et sus-cite des émissions initiales. C’est cette dynamique, totalement perturbée par les politiques des dernières années, qui doit être restaurée. 155 »

Il faut aussi parler du régime d’épargne-actions du Québec et l’évaluer. Carpentier et Suret aboutissent aux conclusions suivantes :

« Le Régime d’épargne-actions du Québec (RÉAQ), qui a été rempla-cé en 2005 par le régime Actions-croissances PME, est l’un des plus an-ciens programmes de dépenses fiscales mis en place par le gouvernement pour capitaliser les petites entreprises. Ce programme a été étudié puis instauré dans deux autres provinces. Son principal objectif est d’augmen-ter la demande de titres nouvellement émis…

Plusieurs conditions doivent être réunies pour obtenir une diminution significative du coût des fonds propres aux émetteurs. L’émission doit constituer un premier appel au public à l’épargne. Les émissions subsé-quentes sont en effet vendues à un cours semblable à celui du marché, et les prix peuvent difficilement être ajustés à la hausse pour refléter l’avan-tage fiscal. L’investisseur est probablement, dans ce cas, le seul bénéfi-ciaire de cet avantage. La même situation prévaut si les actions sont ven-dues à des investisseurs non imposables, ou a des non résidents du Qué-bec. Seules de petites entreprises, réalisant des premiers appels publics à l’épargne dont le produit brut est assez limité pour être placé entièrement au Québec, peuvent remplir les trois conditions nécessaires au succès en termes de politique publique.

Nous analysons les émissions RÉAQ entre 1992 et 2002, et montrons que peu d’entre elles ont pu permettre de réduire le coût des fonds propres des petites entreprises. Les émissions sont très largement vendues hors Québec à des investisseurs non admissibles, qui ne bénéficient pas de dé-duction fiscale. Les émissions subséquentes sont devenues majoritaires. Un effet du RÉAQ sur les prix d’émission semble donc peu vraisemblable. Il reste possible cependant que le programme ait pour effet d’augmenter la demande des titres, et de permettre des émissions qui [206] n’auraient pas

155 J.-M. Suret, Le rôle du gouvernement dans le capital de risque, Montréal : Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations, mars 2004, p. 25.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 264

lieu autrement. Les fonds RÉAQ détiennent principalement des actions de grandes entreprises. Sur la base des proportions détenues dans le capital de petites sociétés en croissance, il semble peu probable qu’ils jouent un rôle déterminant dans le financement de ces sociétés. Par ailleurs, cet effet est obtenu à un coût élevé pour le gouvernement, puisque le coût direct du programme depuis sa création est de l’ordre du milliard de dollars.

Actuellement, les conditions de fonctionnement du RÉAQ rendent peu probable un effet significatif sur le coût des fonds propres des entreprises en croissance. 156 »

10.8. Crédit d’impôt pour placements privilégiéset augmentation de la valeur du permis de taxi

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Il est toujours utile de concrétiser l’inefficacité d’une mesure fis-cale par un exemple simple. Un particulier qui acquiert, à titre de pre-mier acquéreur, des actions émises par le Fonds de solidarité des tra-vailleurs du Québec (FSTQ), ou par le Fonds de développement de la Confédération des syndicats nationaux pour la coopération et l’emploi (Fondaction), a droit à un crédit d’impôt fédéral et provincial non remboursable égal à 30% du prix d’émission payé pour l’acquisition de ces actions, jusqu’à concurrence d’un crédit d’impôt total de 1 500 $ par année. Ces fonds sont appelés Fonds d’investissement de travailleurs (ou FIT).

Selon le document québécois, « cette mesure vise à faciliter le fi-nancement du FSTQ et de Fondaction, de façon à favoriser la création d’emplois et l’augmentation des investissements dans des petites et moyennes entreprises québécoises. 157 »

Au mois d’août 2002, le Fonds de solidarité annonça l’investisse-ment de 50 millions dans une société de financement, FINTAXI s.e.c., pour aider les chauffeurs à acheter des permis de taxi. Cette société

156 C. Carpentier et J.-M. Suret, « The Quebec Stock Savings Plan : A Tax Expenditure Analysis » Canadian Tax Journal, vol. 54, no 1, 2006, p. 142-166. La citation provient du Précis de l’article (p. 142-143).

157 Ministère des Finances et du Revenu, Dépenses fiscales-Édition 2005, Qué-bec, avril 2005, p. 65.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 265

permet de financer jusqu’à 90% de la valeur du permis au lieu de 75%, qui était plutôt la norme.

Qui profitera de ce financement amélioré ? Comme le nombre de permis disponibles demeure le même, les facilités accrues d’un achat de permis sont complètement transformées en un accroissement de la valeur des permis, sans aucun effet sur l’économie. [207] Le crédit d’impôt impliqué, soit le 30% des 50 millions, est une pure perte, sans compter le coût d’efficacité de l’augmentation des taxes qu’il im-plique.

Une publication de l’OCDE sur le Canada juge sévèrement les Fonds d’investissement des travailleurs (FIT) :

« Les FIT ont faussé le marché du capital risque. La faiblesse des ren-dements et le profil saisonnier des placements individuels donnent à pen-ser que ces fonds fonctionnent surtout comme des abris fiscaux. Par ailleurs, les autres fonds en capital risque se trouvent évincés, car les FIT peuvent mettre à profit les possibilités de placements caractérisés par des taux de rendement internes requis faibles…

À vrai dire, les données internationales sur les déterminants du capital risque montrent qu’une fiscalité globale des entreprises bien conçue pro-duit de meilleurs résultats que des mesures fiscales ciblées (Baygan, 2004; Romain et van Pottelsberghe de la Potterie, 2003). En résumé, étant donné les effets dommageables des crédits d’impôt aux FIT pour le financement de l’innovation, sans compter les coûts budgétaires associés, la suppres-sion de ces organismes apparaît tout à fait justifiée. » 158

Le Fonds de solidarité de la FTQ a de nombreux objectifs, en parti-culier un rendement élevé pour les actionnaires, la promotion du déve-loppement économique et la promotion syndicale. Cela en fait une institution hybride ou mal définie. En voici une manifestation : en 158 OCDE, Études économiques de l’OCDE-2006. Canada, Paris 206, p. 108-

109. Depuis sa création en 1983, le Fonds de solidarité FTQ a généré un rendement de 5% par année. Les actionnaires de Fondaction ont dû se contenter d’un maigre 0,38% en dix ans. R. Lewandowski, « REER 2007. Débat de fonds », La Presse, 3 février 2007, p. REER 5. Pour l’investisseur, ces fonds demeurent intéressants : il suffit de les acheter deux ans avant de prendre sa retraite pour bénéficier de leurs importants avantages fiscaux.

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mars 2006, le Fonds a versé une somme de 5 millions $ pour renflouer le fonds de pension des retraités de la Gaspesia. En fait, ce montant fut un don des actionnaires du Fonds à des travailleurs qui avaient bé-néficié de rémunérations plus élevées que la moyenne québécoise. 159

10.9. Des bénéfices bruts peu importants

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L’exemple précédent de FINTAXI révèle des pertes de revenus fiscaux associés à des coûts d’efficacité produits par des taxes supplé-mentaires, sans avantage pour l’économie en contrepartie. Malgré tout, une telle situation n’apparaît pas un cas aberrant.

Pour comprendre un phénomène, il est habituellement utile de se rapporter à un cas précis. L’encart 2 reproduit une longue lettre d’un industriel relativement à l’effet sur son entreprise de l’aide gouverne-mentale visant à stimuler la fabrication de produits dérivés de l’alumi-nium, dans la région administrative du Saguenay-Lac Saint-Jean, et à aider les régions ressources. Ce document montre bien le simple effet redistributif de la production entre différentes régions avec peu d’im-pact pour l’ensemble du Québec. Ce document est fort éloquent quant au pouvoir redistributif des gouvernements au lieu de la création de richesse.

159 G. Gagné, “ Renflouement du fonds de pension des retraités de la Gaspe-sia”, Le Soleil, 18mars 2006, p. B3.

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Encart 2 Lettre d’un industriel au Premier ministre du Québec publiée dans La Presse, 21 avril 2004, p. A19.

Monsieur Jean Charest,

Je vous écris au nom des employés et actionnaires de Lefebvre Frères limitée et de sa filiale, Les Industries Foresteel, toutes deux de Montréal. Lefebvre Frères est établie depuis 1914 et Foresteel depuis 1960. Nous oeuvrons dans le secteur de la fabrication métallique et, en 2003, le Journal des Affaires, dans son énumé-ration des 300 plus importantes PME du Québec, accordait à Lefebvre le 70e rang avec ses 242 emplois.

Un an plus tard, il ne reste que 40 emplois, et ces derniers sont sérieusement compromis car il devient impossible pour une entreprise de notre secteur de concurrencer les entreprises situées en région et éligibles aux crédits d’impôt.

L’interventionnisme de l’État fausse les règles du jeu et le Québec en sort grand perdant. À Montréal, l’industrie de la fabrication métallique se meurt et je me doute qu’il en va de même pour celle des autres régions non éligibles aux crédits d’impôt.

La Commission métropolitaine de Montréal (CMM) vient de dévoiler que la grande région de Montréal, incluant Laval et Longueuil, a perdu entre 1999 et 2004 un total de 59 000 emplois dans le secteur de la fabrication. Il s’agit d’une baisse de 17% par rapport à 1999. Je suis certain que si les chiffres pour l’Est de Montréal étaient disponibles, la situation serait plus tragique.

La situation de Lefebvre Frères / Industrie Foresteel

Au cours des 22 dernières années, Lefebvre Frères/Industries Foresteel a dé-veloppé une expertise reconnue mondialement dans la fabrication des barres om-nibus (de gros conducteurs en aluminium servant à transporter de l’électricité) destinées à l’industrie des non-ferreux : Aluminium, magnésium, zinc et cuivre. Pendant cette période, l’entreprise a réalisé d’importants contrats, entre autres :

[209]

* Alcoa (Reynolds), Baie-Comeau, phases I et II (1983 et 1989)* Aluminerie de Bécancour, QC, phases I et II (1986 et 1989)* Alouette, Sept-Îles, phase I (1990)* Norsk Hydro, QC (1986), Magnola, QC (1998)* Alcan, Alma, QC (1999)* Mozal, Mozambique, phases I et II (1999 et 2002)* Hillside, Afrique du Sud, phases I et II (1999 et 2002)

Le créneau des barres omnibus représente aujourd’hui plus de 60% des

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 268

ventes de l’entreprise. Au cours des deux dernières années, nos usines de Mont-réal ont exporté toute leur production de barres à l’extérieur du pays. La fabrica-tion des barres omnibus comporte une très forte composante de main-d’œuvre directe puisque le matériel de base (barres brutes) est généralement fourni par le client. Le prix de la main-d’œuvre pour les opérations de soudage et d’usinage a donc un impact majeur sur la compétitivité d’une entreprise. À la suite de l’intro-duction des crédits d’impôt « Vallée de l’aluminium » par le gouvernement du Parti québécois, Lefebvre Frères/Industries Foresteel voit son marché disparaître. Il n’est pas possible de gagner de nouveaux contrats alors que des concurrents situés dans certaines régions peuvent bénéficier des avantages suivants :

* Crédit d’impôt remboursable de 40% (maintenant 30%) sur toute aug-mentation de la masse salariale éligible ;

* Déduction de 75% de son revenu imposable jusqu’au 31 décembre 2010;* Déduction de 75% de son capital versé pour fin de taxe sur le capital jus-

qu’au 31 décembre 2010;* Déduction de 75% des salaires pour fin de contribution au Fonds de ser-

vice de santé (FSS), et ce jusqu’au 31 décembre 2010 également.

Nous ne pouvons pas être compétitifs face à des entreprises qui bénéficient de tels avantages. Pour la première fois depuis 10 ans, nous avons perdu un contrat de fabrication de barres omnibus, soit celui de l’aluminerie Alouette. Nous croyons que la perte de ce contrat est directement liée aux politiques du gouvernement concernant les entreprises en région. Comment expliquer aux ac-tionnaires et aux employés de Lefebvre Frères/Industries Foresteel que les impôts qu’ils ont payés au cours des dernières années servent à subventionner une entre-prise située dans une zone que le gouvernement a décidé de privilégier et qui a comme résultat de déposséder les uns et de causer le licenciement massif des autres ? Comment leur faire comprendre que celui qui obtient le contrat reçoit du gouvernement des avantages qui peuvent représenter jusqu’à 50% du coût de la main-d’œuvre dans certaines situations ?

[210]

Nos représentations auprès du ministère du Revenu n’ont pas été fructueuses. On nous a fait comprendre que la décision était politique. En ce qui a trait au ministère de l’Industrie et du Commerce, sa réaction a été de nous dire qu’il n’avait pas été consulté sur les programmes de crédits d’impôt.

Nous n’avions d’autre choix que de mettre fin à nos activités de fabrication de barres omnibus au Québec et de nous résigner à recommencer à neuf ailleurs, en dehors du Québec. Pour les employés et les actionnaires de Lefebvre Frères/Industries Foresteel, les conséquences sont évidentes. Qu’en est-il du Québec ?

Examinons la situation de plus proche.

Pour le projet Alouette, les emplois ont été transférés de Montréal au Sague-nay. Le nombre d’emplois est le même. La différence : le gouvernement du Qué-bec subventionne l’entreprise du Saguenay alors qu’une fabrication à Montréal

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 269

n’aurait rien coûté. Coût pour l’État : environ deux millions de dollars.

La perte de 60% de ses ventes affecte Lefebvre Frères/Industries Foresteel au point que les emplois non reliés aux barres omnibus sont compromis. Quarante ont déjà disparu et sur les 40 autres une décision sera prise d’ici deux mois. Pertes importantes pour le trésor public.

Au cours des 20 dernières années, notre entreprise était en mesure de vendre son produit à l’échelle internationale à partir de Montréal. Maintenant qu’elle n’a plus sa place au Québec, elle se doit de reprendre à neuf ailleurs là où le coût de la main-d’œuvre lui permettra d’être compétitive. Qui sortira gagnant sur les pro-chains contrats ? Chose certaine, le Québec perdra car, au cours des 20 dernières années, Lefebvre Frères et les Industries Foresteel ont fabriqué à partir de Mont-réal, et cela sans subvention.

Les subventions aux entreprises et l’économie du Québec

Le crédit d’impôt « Régions ressources » date du début des années 2000 et celui de la « Vallée de l’aluminium » de juin 2002. Une étude du Fraser Institute signée Fred McMahon évalue à 469 $ par habitant les subventions provinciales et municipales aux entreprises, et ce en l’an 2000, soit avant l’introduction des cré-dits d’impôt.

En Ontario, les subventions aux entreprises ne sont que de 32 $ par personne et la moyenne canadienne, qui est évidemment plus élevée compte tenu du fait que le Québec fait partie du Canada, est de 193 $ par personne. Presque 2 000 $ pour une famille de deux adultes et deux enfants. S’agit-il d’un investissement productif et qui rapporte des emplois et de la richesse au Québec ? Serait-il pos-sible que nous fassions fausse route ? Je ne peux m’empêcher de citer monsieur McMahon, qui, à la page 47 [211] de son étude, dit (libre traduction) : « La pra-tique du gouvernement du Québec de subventionner les entreprises plutôt que de baisser les taxes est non seulement inéquitable mais, en plus, elle réduit la crois-sance économique de trois façons : »

* Elle maintient les taxes élevées, ce qui pénalise toutes les entreprises;

* Elle peut récompenser les entreprises inefficaces mais politiquement bien connectées au détriment des entreprises plus efficaces; et elle fausse les données en détournant des ressources qui devraient être consacrées à l’aug-mentation de la productivité et de la compétitivité dans le marché. »

Conclusion

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Nous considérons que le programme de crédit d’impôt a causé l’expropria-tion de notre entreprise, et cela sans qu’aucune compensation ne soit versée à ses actionnaires et salariés. Les crédits d’impôts versés à nos concurrents sont utili-sés pour réduire leur prix de vente en deçà du nôtre avec l’aide de l’État québé-cois. Ce programme cause une concurrence déloyale interrégionale.

Il nous reste une usine et 40 emplois au Québec et avec le système de crédit d’impôt mis en place par le gouvernement précédent et maintenu par le gouver-nement actuel, nos perspectives de survie sont nulles.

Quel message le gouvernement du Québec donne-t-il aux entreprises qui ne sont pas situées en région ressources et qui ont développé leur entreprise de façon légitime ?

Pierre Lefebvre, président du CA de

Lefebvre Frères/Industries Foresteel ltée à Montréal.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 271

Il y a d’autres exemples. À la fin des années quatre-vingt-dix et au début des années 2000, le gouvernement du Québec a proposé plu-sieurs crédits d’impôt remboursables pour des activités précises dans des sites désignés : Cité du multimédia, Centre national des nouvelles technologies de Québec, Carrefour de la nouvelle économie, Cité du commerce électronique, Technopôle Angus, Sites désignés de bio-technologie et d’affaires électroniques, Carrefour de l’innovation… Un nouveau gouvernement a aboli ces crédits en juin 2003. Ces me-sures fiscales favorisaient des activités précises à des endroits bien délimités.

[212]Les firmes existantes n’avaient qu’à déplacer leurs activités pour

bénéficier de ces crédits d’impôt, par exemple à déménager de Sainte-Foy au centre-ville de Québec. Le ministre des Finances l’a bien mon-tré en présentant le tableau 10-1 à la séance de la Commission perma-nente des finances publiques du 14 juillet 2003. Le ministère des Fi-nances établissait que 69,4% des emplois subventionnés dans les sites désignés, soit 12 181 sur un total de 17 551, provenaient d’un simple déplacement d’activités. Le coût annuel des crédits d’impôt par nou-vel emploi s’établissait à 46 927 $.

Évidemment, la demande accrue de localisation sur ces sites dési-gnés augmentait leur valeur foncière et se traduisait donc par un gain appréciable pour leurs propriétaires.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 272

TABLEAU 10-1

COÛT PAR EMPLOI CRÉÉ DANS LES SITES DÉSIGNÉSPOUR LA « NOUVELLE ÉCONOMIE »

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SITES DÉSIGNÉSET ENTREPRISES

EMPLOIS nombre COÛTANNUEL

Nom

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oi c

réé

Carrefour de la nouvelle économie 174 2 432 954 3 386 53 459 $

Cité du multimédia à Montréal 107 2 640 2 202 4 842 24 977 $

Centre nat. des nouvelles technolo-gies de Québec

98 1 637 858 2 495 32 534 $

Cité du commerce électronique 4 4 700 1 011 5 711 75173 $

Centres de dévelop. des tech. de l’in-formation

52 772 345 1 117 121 739 $

Total 435 12 181 5 370 17 551 46 927 $(moyenne)

Source : S. Paquet, « Les emplois de la nouvelle économie trop onéreux », Le Soleil, 15 juillet 2003, p. A6.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 273

[213]

10.10. Quoi faire ?

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Le modèle québécois a comme caractéristique principale l’inter-ventionnisme de l’État sous différentes formes. Bien sûr, cela existe aussi ailleurs, mais à un degré moins prononcé. Par exemple, en 2000, les secteurs publics provincial et local accordaient des subventions aux entreprises de 469 $ (dollars constants de 1997) par habitant au Québec contre une moyenne de 193 $ au Canada et de 32 $ en Onta-rio 160.

Comme on l’a montré au chapitre 2, dans une économie ouverte, risquée et instable comme la nôtre, les interventions gouvernemen-tales ciblées sont inappropriées et fort coûteuses. Elles contribuent en fin de compte à politiser et fausser grandement les décisions écono-miques normales. On en vient à une situation où toute décision, si mi-nime soit-elle, doit tenir compte des possibilités de subventions prove-nant de multiples programmes.

Il serait immensément préférable de prendre un virage institution-nel par lequel le gouvernement s’intéresserait plus au contexte global et viserait à créer un environnement favorable à l’efficacité et au non-gaspillage. Au lieu d’être un instrument de cartellisation, le gouverne-ment favoriserait alors l’avènement d’un monde plus concurrentiel.

Cette politique d’environnement implique différentes caractéris-tiques : éviter de demeurer prisonnier du statu quo en acceptant la turbulence et la « destruction créatrice », favoriser la concurrence et privilégier le mérite, réduire les coûts d’efficacité de la taxation et en-courager la flexibilité du marché du travail.

Ce virage, j’en suis conscient, constitue plus un vœu qu’une pré-diction. Même si elles sont sources de gaspillage, les politiques ac-tuelles existent à cause de leur rentabilité politique. Les politiciens le

160 F. McMahon, Quebec Prosperity : Taking the Next Step, Vancouver : The Fraser Institute, nov. 2003, p.47.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 274

savent bien et les implantent dans le but fort légitime pour eux de se faire réélire.

[214]

10.11. La décentralisationest-elle partiellement vouée à l'échec ?

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Les paragraphes précédents soulèvent la question suivante: la dé-centralisation est-elle vouée à l'échec ? Elle exige ses propres règles du jeu pour opérer. Cependant, dans nos sociétés, la majorité de ces règles sont déterminées par le gouvernement, donc par une autorité centrale. Il existe alors un paradoxe : pour laisser s'épanouir la décen-tralisation, on a surtout besoin de l’intervention de l’état.

Dans la rivalité centralisation-décentralisation, cette dernière de-vient donc défavorisée. Comment la centralisation peut-elle s'adapter à une dynamique opposée ? Cette question est d'autant plus pertinente que le monde est rempli d'embûches comportant l'obligation constante de faire des compromis et de naviguer dans un univers incertain ou troublé. Ex post, les erreurs sont faciles à détecter et les "scandales" sont matière courante.

Quelques exemples illustrent cette situation. La privatisation non complétée de l'ancienne Hydro-Ontario et l'établissement d'un marché de gros de l'électricité ont demandé plusieurs centaines de pages de dispositions légales. D'ailleurs, comme l'affirmait The Economist  : "Dans la majeure partie de l'Europe, les privatisations furent davan-tage un moyen d'accroître les recettes que de promouvoir l'entre-prise". 161 D'autre part, le secteur public impose aux entreprises privées des règles qu'il évite de s'appliquer à lui-même dans différents do-maines (pensions des employés, états financiers, congés dans la construction). La centralisation impose des marchés planifiés ou non libres.

161 The Economist, "Privatisation in Europe : Coming Home to Roost", 29 juin 2002, p. 63.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 275

Les bienfaits de la décentralisation ont aussi, hélas, les propriétés d'un bien public : consommation commune et difficultés d'exclure, ce qui incite à resquiller. Par exemple, les entreprises en concurrence livrent le bien public d'une production économiquement plus efficace. Mais chacune a toutefois intérêt à demander une protection gouverne-mentale pour accroître ses profits. Après tout, la meilleure situation pour une unité n'est-elle pas d'être protégée dans un univers où les autres sont en concurrence ?

Milton Friedman a invoqué cette situation comme étant The Busi-ness Community's Suicidal Impulse  :

[215]"Je dois blâmer les hommes d'affaires quand, dans leurs activités

politiques, des individus et leurs organisations prennent des positions qui ne sont pas dans leurs propres intérêts et qui ont pour effet de mi-ner le support à l'entreprise privée libre. À cet égard, les hommes d'af-faires tendent à être schizophrènes. Quand il s’agit de leurs propres affaires, ils regardent longtemps d'avance, pensant à ce que sera leur entreprise dans 5 à 10 ans. Mais quand ils vont dans le domaine public et s'introduisent dans les problèmes de politiques, ils tendent à être myopes". 162

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[216][217][218]

162 M. Friedman, "The Business Community's Suicidal Impulse", Cato Policy Report, vol. XXI, nº 2, 1999, p. 6. On lira avec intérêt S. Haber, D.C. North et B.R. Weingast, « If Economists Are So Smart, Why Is Africa So Poor ? », The Wall Street Journal, 30 juillet 2003, p. A12.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 276

[219]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 11Montréal et les régions

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Une croissance « équilibrée » de la population et le « devoir » d’occuper le territoire sont des expressions souvent formulées par les leaders régionaux. Le développement régional est en effet un thème important de l’économie du Québec. Toutefois, dès le départ, il est nécessaire de le placer dans son contexte, soit le changement structu-rel de l’économie et le critère de référence pour évaluer l’importance relative de Montréal.

11.1. D’hier à aujourd’hui : le passage d’une économie orientée vers les ressources à une économie du savoir

Le chapitre sur les coûts croissants du travail humain a bien illustré les changements structurels de l’économie. En 1881, près de cin-quante% des emplois au Canada étaient dans le secteur agricole contre 18,4 en 1951 et 2,2 en 2001. Pour le secteur des services, l’évolution est inverse. Ce secteur ne comptait qu’un peu plus du cinquième des emplois en 1881 contre 43,9% en 1951 et 74,4% en 2001.

La baisse de l’emploi dans l’agriculture ne reflète pas une baisse de production mais plutôt un progrès technologique rapide et une très forte capitalisation. Le changement a été encore plus rapide dans l’après-guerre pour la coupe forestière. La scie mécanique (la McCul-loch) du début des années cinquante fut remplacée par la machinerie

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 277

multifonctionnelle d’aujourd’hui, qui a énormément accru la producti-vité du travailleur forestier.

[220]Les ressources naturelles conservent un rôle important au Canada

et au Québec. La prospérité relative de l’Alberta, par exemple, est ba-sée sur le pétrole et le gaz naturel. Au Québec, les richesses hydrau-liques et la forêt sont la base des exportations les plus importantes, aluminium et papier.

Toutefois, l’expansion des études post-secondaires au cours des quarante dernières années est témoin du fait que la société se tourne vers le savoir. La force humaine brute est de moins en moins impor-tante, vu son remplacement par la machine. 163 La production elle-même exige peu de main-d’œuvre. Il en est autrement des services, où le capital humain prend de plus en plus de place.

La région du Saguenay-Lac-Saint-Jean (la région métropolitaine de Chicoutimi-Jonquière en particulier) peut servir d’exemple. Bien que l’abondance des richesses hydrauliques et forestières aient permis d’excellentes rémunérations aux employés de l’aluminium et du pa-pier, ce territoire connaît présentement des temps difficiles avec perte de population. Au cours du lustre de 1996 à 2001, la région a perdu 2,3% de sa population et la région métropolitaine de Saguenay 3,4% 164. Les prévisions prolongent cette récente évolution. Les estima-tions moyennes de l’Institut de la statistique du Québec annoncent une baisse de 11,7% de la population de la région entre 2001 et 2026 et de 12,6 pour la région métropolitaine de recensement de Saguenay. Où cette région se place-t-elle dans l’économie du savoir ?

163 Dans le passé, les gens étaient payés pour brûler des calories. Aujourd’hui, ils paient pour le faire.

164 Pour la période de 2001 à 2006, la région métropolitaine de Saguenay a perdu 2,1% de sa population.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 278

11.2. Montréal par rapport au Québec

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La région métropolitaine de Montréal représentait en 2006, 48,2% de la population du Québec et, d’après des hypothèses moyennes, elle atteindra 50,4% en 2026. Ainsi, il faudra peut-être parler de Montréal et du reste de la province.

Au canada, un tel rapport de la population de la principale agglo-mération à celle de la province n’est pas propre à Montréal. En 2006, la région métropolitaine de Winnipeg représentait 60,5% de la popula-tion du Manitoba. Dans le cas de Vancouver par rapport à la Colom-bie-Britannique, c’était 51,5%. Même si [221] l’Ontario a plusieurs villes d’une bonne dimension comme Hamilton, Ottawa, London, Kit-chener, St. Catharines-Niagara et Windsor, la région métropolitaine de Toronto compte pour 42,0% de la population de la province.

Montréal ne croît pas au même rythme que ses concurrents. Par rapport aux dix plus importantes agglomérations urbaines du Canada, Montréal se classe au huitième rang, devançant seulement Québec et Winnipeg dans le taux d’augmentation de la population entre 1996 et 2001 (tableau 11-1). Il y a pire : son taux d’augmentation n’atteignit que les trois quarts de celui de l’ensemble du pays.

Dans son étude sur Montréal, l’OCDE notait :« ….les performances économiques de Montréal restent insuffisantes

par rapport à celles d’autres grandes régions métropolitaines internatio-nales. Comparée à une sélection de 65 régions métropolitaines de l’OCDE de plus de deux millions d’habitants, la région de Montréal n’occupe en effet que la 44è place en fonction du PIB réel par habitant en 2001. » 165

165 OCDE, Examens territoriaux de l’OCDE : Montréal, Canada, Paris 2004, p. 13.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 279

TABLEAU 11-1

VARIATION ENTRE 1996 ET 2001 DE LA POPULATIONDE DIFFÉRENTES RÉGIONS MÉTROPOLITAINES

DE RECENSEMENT (EN %)

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Vancouver 8,5 Toronto 9,8

Calgary 15,8 Ottawa / Hull 6,5

Edmonton 8,7 Montréal 3,0

Winnipeg 0,6 Québec 1,6

Hamilton 6,1 Halifax 4,7

Canada 4,0

Source : Recensement 2001.

11.3. Les prévisions de population régionale

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Une bonne façon de résumer la dynamique de la population régio-nale du Québec est de se référer aux prévisions pour 2026 faites par l’institut de la statistique, à la suite du recensement de 2001 (tableau 11-2). Les 17 régions administratives du Québec se divisent [222] en trois groupes : celles qui ont une population en déclin, celles qui croissent plus vite que la population totale du Québec et les autres.

Le premier groupe, celui des régions en déclin, est formé de sept régions-ressources. Ce sont Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine (-18,3%), Côte-Nord (-18,1), Abitibi-Témiscamingue (-12,9), Saguenay-Lac-Saint-Jean (-11,7), Bas-Saint-Laurent (-9,9), Nord-du-Québec (-7,0) et Mauricie (-6,4). Dans ces régions, le présent stock de logements est trop élevé pour les besoins futurs.

Le deuxième groupe comprend aussi sept régions, lesquelles ont une prévision d’accroissement de population supérieure à 9,9%, celle de la province. C’est, en ordre décroissant des taux : Laurentides (28,8), Outaouais (19,3), Lanaudière (17,5), Laval (16,5), Montréal (14,8), Estrie (12,4) et Montérégie (11,1). Toutes ces régions sont au

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 280

sud du Québec et sont soumises à l’attraction des régions métropoli-taines de Montréal et d’Ottawa-Gatineau.

Le troisième groupe s’apparente plutôt au premier : l’accroisse-ment de la population y est sensiblement inférieur à celui de l’en-semble de la population québécoise. Ce sont les régions de chaudière-appalaches (0,5), de la Capitale-Nationale (3,5) et du Centre-du-Qué-bec (4,9).

Ces prévisions sur 25 ans sont sujettes à erreur. Ainsi, avec seule-ment 39 000 habitants, la région du Nord-du-Québec pourrait connaître une variation relative de population importante simplement par le retrait ou l’ajout de quelques milliers d’habitants. Toutefois, ces prévisions reflètent des tendances lourdes qui ont présentement cours : déplacement de la population vers les grandes régions métropolitaines et vers le sud-ouest. Ces tendances s’observent à la fois aux États-Unis et au canada, le centre de gravité se déplaçant vers le sud et l’ouest.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 281

[223]TABLEAU 11-2

Évolution à moyen terme de la population du Québec selon le scénario de réfé-rence, régions administratives et régions métropolitaines, 2001-2026 (en milliers)

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* Accroissement naturel = naissances moins décès; accroissement migratoire = somme du solde interrégional, du solde interprovincial et du solde international.

Source : E. Létourneau, C. Girard et N. Thibault, «  Croître ou décroître : le constat régional des perspectives démographiques 2001-2026 », Institut de la statistique du Québec, Données sociodémographiques en bref, vol. 8, no 2, février 2004, p.7.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 282

On trouvera au tableau 11-3 le déclin entre 1996 et 2001 des centres urbains du nord et de l’est de l’Ontario. Le problème des terri-toires-ressources n’est pas propre au Québec, comme en témoignent pour la province voisine les situations de Sudbury, Thunder Bay, Sault Ste. Marie, Timmins et autres.

[224]Les prévisions de baisse absolue de la population des régions-res-

sources, accompagnée de la croissance de l’importance relative de la région métropolitaine de Montréal, s’associent toutefois à une ten-dance à la baisse relative de Montréal par rapport à Toronto et de Québec par rapport à la région Ottawa-Gatineau. Avant la Révolution tranquille, la population de Montréal dépassait celle de Toronto : les rapports de la population de la région métropolitaine de recensement de Montréal par rapport à Toronto étaient de 116,2% en 1956 contre 71,6% en 2001. Une chute appréciable.

En 1956, la population de la région métropolitaine de Québec re-présentait 90,2% de celle d’Ottawa-Hull, tandis qu’en 2001, elle re-présentait 62,6% de la région désormais nommée Ottawa Gatineau. Les taux différentiels d’immigration expliquent l’évolution relative de Québec par rapport à Ottawa Gatineau, de même que celle de Mont-réal par rapport à Toronto (tableau 11-4) : les écarts entre les paires de régions sont énormes. Voyons aussi les choses du point de vue de l’économie du savoir : on constate que l’écart s’agrandit entre les deux paires de villes relativement à la part des travailleurs

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 283

[225]TABLEAU 11-3

DÉCLIN URBAIN EN PÉRIPHÉRIE DE L’ONTARIO, 2001Retour à la table des matières

Population en 000 Variation en%

RMR et AR 1996 2001 1996-2001

NORDRÉGION MÉTROPOLITAINES: RMR (>100,000)Sudbury 165.6 155.6 -6.0Thunder Bay 126.6 121.9 -3.7GRANDES VILLES: AR (>50,000)Sault Ste. Marie 83.6 78.9 -5.6North Bay 64.8 63.7 -1.7Timmins 47.5 43.7 -8.0PETITES VILLES: AR (>10,000)Kenora 16.4 15.8 -3.2Haileybury 13.7 12.9 -6.2Elliot Lake 13.6 12.0 -12.0TOUS LES PETITS CENTRES URBAINS DU NORD -5.3 EST DE L’ONTARIO:AR (10,000 – 100,000)Belleville 87.9 87.4 -0.5Cornwall 58.9 57.6 -2.4Pembroke 24.6 23.6 -4.2Petawawa 15.3 14.4 -5.9OUEST/SUD-OUEST:AR (10,000 – 110,000)Chatham-Kent 109.7 107.7 -1.8Sarnia 90.7 88.3 -2.6Owen Sound 31.7 31.6 -0.2

Notes: RMR = régions métropolitaines de recensementAR = agglomérations de recensementLes deux définitions incluent une cité ou ville et, où c’est approprié, les

banlieues adjacentes étroitement reliées à ces cités ou villes.

Source : E. Slack, L. S. Bourne et M. S. Gertler, Small, Rural and Remote Com-munities : The Anatomy of Risk, A paper prepared for the Panel on the Role of Government, Toronto : Government of Ontario, 13 août 2003, p. 7.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 284

titulaires d’un diplôme universitaire. Les deux villes québécoises ont des parts inférieures à celles d’Ottawa-Gatineau et de Toronto et l’écart grandit depuis 1981 (tableau 11-5).

11.4. Vers un nouvel équilibre

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Les prévisions de population ne concluent nullement à la dispari-tion ou à l’inoccupation de certaines régions. Elles annoncent [226] un nouvel équilibre d’une économie moins tournée vers les ressources naturelles, mais davantage vers le savoir. La répartition territoriale de la population s’en trouve modifiée et nécessite des ajustements.

Une étude de Statistique Canada résume ainsi la situation quant à la mobilité entre les régions métropolitaines de recensement du Qué-bec :

« À quelques exceptions près, les RMR ont tendance à accueillir des personnes en provenance des RMR plus petites avoisinantes et à perdre une part de leur population au profit de centres urbains plus grands et plus éloignés… Montréal a enregistré un gain de population au détriment de Québec, Sherbrooke, Chicoutimi-Jonquière et Trois-Rivières, mais a perdu une part de sa population au profit de Toronto et d’Ottawa-Hull. La situa-tion à Trois-Rivières est typique des petites RMR du Québec, perdant une part de sa population au profit de Québec et Montréal et ayant des flux assez faibles vers d’autres RMR. 166 »

166 A. Heisz, S. Larochelle-Côté, M. Bordt et S. Das, Marchés du travail, acti-vité économique et croissance et mobilité de la population dans les RMR du Canada, Ottawa : Statistique Canada, n° de cat. 89-613 MIF, avril 2005, p. 91-92.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 285

TABLEAU 11-4

POURCENTAGE DE LA POPULATION TOTALE COMPOSÉEDE NOUVEAUX IMMIGRANTS*, RMR QUÉBEC, OTTAWA-HULL,

MONTRÉAL, TORONTO 1981, 1991, 2001

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1981 1991 2001

Québec 0,8 0,9 1,3

Ottawa-Hull 4,2 5,1 6,8

Montréal 5,1 5,7 6,4

Toronto 13,2 13,0 17,3

* Nouveaux immigrants : immigrants arrivés au Canada durant les dix années qui ont précédé le recensement.

Source : G. Shellenberg, Les immigrants dans les régions métropolitaines de re-censement au Canada, Ottawa : Statistique Canada, no. 89-613-MIF, août 2004, p. 71.

[227]TABLEAU 11-5

PART DES TRAVAILLEURS TITULAIRES D’UN DIPLÔMEUNIVERSITAIRE, 1981, 1991 ET 2001 (%)

RMR 1981 1991 2001 2001 moins 1981

Québec 13,7 18,1 22,0 8,3

Ottawa-Hull 19,0 24,2 30,3 11,3

Montréal 12,2 17,2 22,2 10,0

Toronto 14,2 20,4 27,6 13,5

Source : A. Heisz et al., Marchés du travail, activité économique et croissance et mobilité de la population dans les RMR du Canada, Ottawa : Statistique Canada, avril 2005, p. 17.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 286

11.5. Une application des projections : où sont les pénuries de médecins ?

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Depuis vingt ans, différents moyens sont employés pour obtenir une meilleure répartition des médecins sur le territoire. Le tableau 11-6 a été publié en février 2004, lors de la nouvelle entente sur la répar-tition des médecins omnipraticiens. Pour 2004, les estimations donnent une pénurie globale de 759 omnipraticiens (7 758 moins 6 999), soit 10,8% des effectifs (équivalents temps complets) ou 9,8% des besoins normalisés. Mais l’ajout net prévu au cours de l’année n’est que de 81 médecins. Cependant, les lacunes ne sont pas égale-ment réparties sur le territoire. Ainsi, les deux régions universitaires de Québec et de l’Estrie se démarquent par la faiblesse de cette pénu-rie; on constate aussi que le déséquilibre régional ne se présente pas entre les régions éloignées et les régions plus proches des grands centres urbains. L’Outaouais, Lanaudière et la Montérégie ont des pé-nuries relativement plus élevées que plusieurs régions éloignées comme la Gaspésie et la Côte-Nord.

Le tableau 11-7 met en parallèle l’écart « observé » en 2004 et l’augmentation projetée de la population entre 2001 et 2026. Ces in-formations montrent que les nouveaux omnipraticiens devront à plus long terme se concentrer dans les régions de l’Outaouais, des Lauren-tides, de Lanaudière, de Laval, de Montréal centre et de la Montéré-gie. Les baisses relatives de population sont importantes dans les ré-gions éloignées ou « régions-ressources ». [228] Le planificateur doit-il avoir une vision à court terme ou à plus long terme ? Qu’en est-il du nouveau médecin qui pense à sa carrière des trente prochaines an-nées ?

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 287

TABLEAU 11-6

PLAN DE LA RÉPARTITION RÉGIONALEDES MÉDECINS OMNIPRATICIENS POUR 2004

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Nom

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Ajo

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rut t

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Ajo

ut n

et

Bas-St-Laurent 212 250 -15,0% 11 3 15 18 7

Saguenay-Lac-St-Jean 264 314 -15,7% 10 3 15 18 8

Québec 721 746 -3,3% 23 23 0 23 0

Mauricie-Centre-du-Québec 394 513 -23,3% 17 6 31 37 20

Estrie 314 322 -2,5% 11 7 4 11 0

Montréal-Centre 1 821 2 000 -9,0% 72 39 38 77 5

Outaouais 275 330 -16,8% 11 5 16 21 10

Abitibi-Témiscamingue 153 184 -16,9% 12 3 17 20 8

Côte-Nord 132 144 -8,0% 11 4 11 15 4

Nord-du-Québec 36 38 -4,7% 3 2 3 5 2

Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine 144 149 -3,8% 12 4 11 15 3

Chaudières-Appalaches 372 405 -8,1% 15 9 7 16 1

Laval 293 319 -8,1% 15 9 7 16 1

Lanaudière 314 359 -12,8% 14 7 12 19 5

Laurentides 414 438 -5,6% 18 14 5 19 1

Montérégie 1 092 1 214 -10,1% 42 22 23 45 3

Nunavuk 25 18 40,2% 2 2 1 3 1

Terres cries de la Baie-James 24 17 44,2% 2 3 1 4 2

Total 6 999 7 758 -9,8% 298 165 214 379 81

* Équivalent plein temps

Source : L’Actualité médicale, 3 mars 2004, p. 6.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 288

[229]

TABLEAU 11-7

PÉNURIE RÉGIONALE OBSERVÉE ET AUGMENTATIONPROJETÉE DE LA POPULATION ENTRE 2001 ET 2026

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Pénurie observée(% des besoins norma-

lisés) (%)

Augmentation projetée de la population 2001-2026

(%)

Bas Saint-Laurent -15,0 -9,9

Saguenay-Lac-Saint-Jean -15,7 -11,7

Québec -3,3 3,5

Mauricie-Centre-du-Québec -23,3 -6,4 (Mauricie)4,9 (Centre du Québec)

Estrie -2,5 12,4

Montréal-Centre -9,0 14,8

Outaouais -16,8 19,3

Abitibi-Témiscamingue -16,9 -12,9

Côte-Nord -8,0 -18,1

Nord-du-Québec -4,7 -7,0

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine -3,8 -18,3

Chaudières-Appalaches -8,1 0,5

Laval -8,1 16,5

Laurentides -5,6 28,8

Montérégie -10,1 11,1

Total -9,8% 9,3%

Source : Tableau 15-4 et E. Létourneau et al., « Croître et décroître : le constat régional des perspectives démographiques 2001-2026 », dans Institut de la statis-tique du Québec, Données sociodémographiques en bref, vol. 8, n° 2, février 2004, p. 7.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 289

11.6. Deux obstacles au développement régional

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Dans une intéressante étude sur l’avenir des régions périphériques, Mario Polèse et Richard Shearmur ont « défini quatre grands facteurs qui influencent la capacité relative d’une région d’attirer des emplois et dont l’effet, lorsqu’il est négatif, peut compromettre la création d’emplois. 167 » Ces facteurs sont : la distance et les coûts de transport; la proximité d’un centre urbain et les économies d’agglomération; le « rentier encombrant » et l’emploi saisonnier; et enfin le cadre provin-cial. Les deux derniers facteurs seront analysés ici.

[230]

11.7. Le « rentier encombrant »

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Selon Polèse et Shearmur, « le syndrome du rentier encombrant renvoie aux effets de la forte dépendance d’une économie locale à l’égard d’une ou de deux industries très capitalisées, dont les hauts salaires fixent les conditions sur le marché du travail de la région ». 168 En voici des applications.

Entre 1996 et 2003, les régions du Saguenay-Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord ont vu leur population baisser de 4,1 et 7,3% respective-ment. Les prévisions de population pour 2026 prolongent cette ten-dance à la baisse. Qu’en est-il des principales agglomérations de ces régions en déclin ? Il est intéressant de comparer à la situation mont-réalaise l’anémie démographique et le revenu familial médian de cer-taines villes.

Baie-Comeau a perdu 9,0% de sa population entre 1996 et 2001. Toutefois, le recensement montre qu’avec un revenu médian des fa-milles égal à 75 919 $ pour 2000, elle vient au premier rang des

167 M. Polèse et R. Shearmur, La périphérie face à l’économie du savoir, Montréal : INRS – Urbanisation, Culture et Société, 2002, p. 190. Le cha-pitre 10 (p. 185-209) est fort pertinent.

168 Id., p. 197.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 290

centres urbains du Québec, devant la région métropolitaine de Mont-réal, qui a un revenu médian de 72 175 $. La population de Sept-Iles a pour sa part décliné de 3,8% entre 1996 et 2001. Le revenu médian familial, à 71 609 $, était légèrement inférieur à celui de Montréal. Si on se tourne vers la région métropolitaine de Chicoutimi-Jonquière (maintenant Saguenay), on obtient une baisse de population de 3,4% en cinq ans et un revenu familial médian de 69 296 $ en 2000 169.

Voilà donc trois agglomérations en perte de population qui ont tout intérêt à diversifier leur économie en suscitant de nouveaux établisse-ments. Malheureusement, les données montrent que ce sont des en-droits à haut niveau de rémunération qui doivent concurrencer des centres en expansion qui ont des revenus familiaux médians moins élevés et plus près des marchés. Par exemple, on peut mentionner : Sherbrooke (+2,8%; 63 593 $), Granby (+2,4%; 65 499 $), Drum-mondville (+5,1%; 60 258 $), Victoriaville (+2,0%; 59 632 $) et Saint-Georges (+5,8%; 59 603 $).

Les niveaux élevés de rémunération des trois agglomérations en perte de population illustrent le phénomène du « rentier encombrant ». Ces trois municipalités ont de grandes entreprises basées [231] sur les ressources naturelles, les alumineries avec l’hydroélectricité et les pâtes et papier grâce aux forêts. Comme on l’a mentionné au chapitre sur les ressources naturelles, les employés de ces firmes bénéficient d’une partie de la rente ou de la valeur de ces ressources par des rému-nérations plus élevées que celles d’emplois comparables. Ce phéno-mène a un effet de débordement chez les autres employeurs de la ré-gion : l’employé qui se considère aussi bien qualifié que celui qui tra-vaille dans les alumineries à hauts salaires devient moins satisfait de sa rémunération et plus revendicateur. De plus, grâce au progrès tech-nologique et à de très forts investissements, les entreprises reliées aux ressources embauchent de moins en moins. 170

À d’autres endroits du Québec, la création d’emplois stables à plus faible rémunération est désavantagée par la présence de l’assurance emploi ; elle rend plus attrayant le travail saisonnier, qui peut même 169 Pour la période de 2001 à 2006, les variations de population furent pour

Baie-Comeau -2%, pour Sept-Iles +0,7 et pour Saguenay -2,1.170 Dans le projet de réouverture de la Gaspésia, le Québécois moyen donnait

des subventions à des travailleurs dont la rémunération aurait été plus élevée que la sienne.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 291

faire l’objet d’une subvention, comme c’est le cas pour les travaux forestiers.

Revenons sur le sujet du rentier encombrant : le tableau 11-8 com-pare les gains annuels moyens des travailleurs à temps plein, en dol-lars constants de 2000, dans quatre régions métropolitaines du Québec pour les années 1980, 1990 et 2000. Ce sont deux régions-ressources, Chicoutimi-Jonquière et Trois-Rivières, qui ont connu une baisse de population entre 1996 et 2001, et deux régions en expansion démogra-phique, Sherbrooke et Montréal. Sherbrooke n’est pas affecté par le phénomène du rentier encombrant et a des gains moyens sensiblement inférieurs à ceux des deux régions-ressources. Dans le cas de Chicou-timi-Jonquière, les gains moyens sont toujours supérieurs à ceux de Montréal, à l’exception des 25-34 ans en 2000. Comme le rentier en-combrant est syndiqué et que la main-d’œuvre y est décroissante, il en résulte un écart très élevé des gains annuels moyens des 45-54 ans entre les régions-ressources et Sherbrooke, ou bien entre le Saguenay et Montréal. Les jeunes ne bénéficient plus de la présence du rentier.

[232]

11.8. Le cadre provincial

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Le développement économique du Québec est de plus en plus scin-dé en deux. Les prévisions démographiques montrent en effet une ex-pansion vers le sud et une plus grande métropolisation. Le cadre pro-vincial des politiques devient donc moins adapté à une économie dif-férenciée.

La fixation du salaire minimum en est un bon exemple. Il est établi pour toute la province, sans égard aux conditions régionales. Cela dé-favorise une région comme la Gaspésie qui, dans la recherche de nou-velles entreprises, est concurrencée par le Nouveau-Brunswick. Pour-tant, elle pourrait tirer avantage d’une offre de bas salaires. Polèse et Shearmur ont qualifié ce facteur d’effet de la frontière.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 292

[233]

TABLEAU 11-8

GAINS ANNUELS MOYENS DES TRAVAILLEURS À TEMPS PLEIN EN DOLLARS CONSTANTS DE 2000

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RMR

1980 1990 2000

Δ po

pula

tion

entre

198

6 et

200

1

(%)

Ens.

des t

rava

illeu

rs

Hom

mes

25-3

4 an

s

45-5

4 an

s

Ens.

des T

rava

illeu

rs

Hom

mes

25-3

4 an

s

45-5

4 an

s

Ens.

Des

trav

aille

urs

Hom

mes

25-3

4 an

s

45-5

4 an

s

Chicoutimi-Jonquière 40 700 42 900 40 100 44 700 39 600 45 900 33 800 44 700 38 800 44 000 31 000 48 000 -3,2

Trois-Rivières 36 400 41 800 36 400 40 000 35 600 42 300 31 400 39 900 33 800 40 000 29 000 40 000 -1,5

Sherbrooke 33 400 38 200 33 700 37 200 31 600 36 300 30 200 36 500 30 400 35 000 29 100 34 500 4,6

Montréal 35 900 41 100 36 800 39 400 35 100 40 000 32 900 38 800 35 000 39 000 32 000 39 900 3,3

Source : A. Heisz, S. Larochelle-Côté, M. Bordt et S. Das, Marchés du travail, activité économique et croissance et mobilité de la population, Ottawa : Statistique Canada, avril 2005, p. 40, 41 et 44.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 293

[234]

11.9. La demande pour des politiques régionales

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Il y a déjà plus de vingt ans, l’économiste québécois Christopher Green a analysé la demande de politiques industrielles régionales. Il a avancé l’hypothèse des fixités.

Son point de départ est le suivant :« (…) la richesse des ménages s’est accrue substantiellement et ceci à

tous les niveaux de revenu au cours des récentes décennies. Cette richesse prend différentes formes. Elle s’incarne particulièrement dans une proprié-té généralisée des résidences, la participation dans des plans de pension, un investissement accru dans des habiletés individuelles et de formation, des droits de quasi-propriété sur les emplois conférés par les clauses de séniorité ou de permanence et enfin en une valeur accrue attribuée aux aménités locales et à l’environnement par un public de plus en plus consommateur de loisirs et conscient de sa santé. 171 »

Les fixités ou les immobilités entraînent peu d’ajustements par les quantités, mais davantage par les prix. C’est bien le cas de l’évolution des prix des maisons dans les villes en contraction. Elles perdent rapi-dement leur valeur.

Que conclut Green sur les conséquences de ces fixités ?« (…) le changement économique est un processus continu qui, même

dans les meilleures circonstances, produit des perdants. Vu les institutions politiques démocratiques et une société pluraliste, les perdants, réels ou potentiels, vont vraisemblablement recourir au voice face au changement économique défavorable. L’hypothèse implicite des économistes voulant que la mobilité soit la réponse au changement est trop limitative, en parti-culier sur la question de la mobilité géographique du travail. Les agents économiques qui désirent maximiser leur bien-être peuvent s’enraciner dans leur ville au lieu de se  mouvoir,  face à des changements écono-miques qui demandent une réaffectation des ressources. L’hypothèse des

171 C. Green, Industrial Policy : The Fixities Hypothesis, Toronto: Ontario Economic Council, 1984, p. 32.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 294

fixités aide à comprendre la cause : les pertes de capital sur les actifs im-mobiles ou non transférables peuvent rendre temporairement non écono-mique pour eux l’option de déménager, même si le rendement sur d’autres actifs, humains ou non, serait plus élevé ailleurs. Le recours aux manifes-tations vociférantes est la seule méthode apparente pour prévenir ou allé-ger cette impasse. 172 »

De plus, l’expression de la « voix » régionale est facilitée au Qué-bec par la présence d’une carte électorale favorable aux territoires moins densément peuplés et d’un électorat non francophone sensible-ment stable dans ses choix entre les partis politiques.

[235]

11.10. Les coûts des politiques régionales

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Si la demande de politiques régionales est bien réelle, il en est aus-si de même pour les coûts. Le chapitre précédent a mis en lumière les importants coûts d’efficacité des taxes servant à les financer. De plus, ces politiques ont l’important effet de déplacer la production d’établis-sements rentables de régions non subventionnées vers des établisse-ments à coûts plus élevés dans des régions subventionnées. Elles di-minuent donc la compétitivité de l’ensemble de l’économie québé-coise.

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.[236]

172 Ibid. p.56. Quelques années auparavant, Jean-Luc Migué avait développé une analyse similaire en insistant sur l’inélasticité de l’offre. J.-L. Migué, Les nationalismes au Canada : perspective économique, Montréal : Institut C. D. Howe, 1979, pp. 61-78.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 295

[237]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 12Syndicalisme, marché du travail

et stabilisation économiquerégionale

12.1. La pénétration syndicale

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Le Québec est un territoire où la pénétration syndicale est plus éle-vée qu’ailleurs en Amérique du Nord. Le tableau 12-1 donne les taux de pénétration syndicale pour le Québec, l’Ontario, le reste du Canada et les États-Unis. Même si les données proviennent toutes de l’En-quête de Statistique Canada sur la population active, les deux sources présentent des pourcentages différents, puisque l’une se limite aux syndiqués, tandis que l’autre, l’étude québécoise, concerne les em-ployés assujettis à une convention collective.

Le Québec se démarque par un taux de présence syndicale supé-rieur aux autres régions étudiées. 173 Son taux est plus de dix% supé-rieur à celui de l’Ontario et de 25% supérieur à celui des États-Unis. Dans ce dernier pays, la syndicalisation touche environ le septième des employés, contre près des deux cinquièmes au Québec.

173 Les données provinciales montrent que Terre-Neuve-et-Labrador a un taux légèrement supérieur à celui du Québec.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 296

Le taux de pénétration syndicale est sensiblement plus important dans le secteur public que dans le secteur privé, situation qu’on trouve partout en Amérique du Nord (figure12-1). Dans les deux secteurs, le Québec vient au premier rang avec environ huit employés sur dix qui sont syndiqués dans le secteur public, contre un sur quatre dans le sec-teur privé. Aux États-Unis, c’est un employé sur onze qui est syndiqué dans le secteur privé.

[237]

TABLEAU 12-1

TAUX DE PRÉSENCE SYNDICALE 1, QUÉBEC, ONTARIO,RESTE DU CANADA ET ÉTATS-UNIS, 1997, 2003 ET 2004

(EN %)

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Régions 1997 2003 2004 20032

Québec 41,0 41,5 40,2 37,6

Ontario 29,4 28,5 27,9 26,8

Reste du Canada 32,5 31,2 31,0 29,3

États-Unis 15,6 14,3 13,8 12,9

1. Excluant le secteur agricole, sauf pour les États-Unis, où il est inclus, mais comprenant les travailleurs assujettis à une convention collective.

2. Incluant le secteur agricole et se limitant aux seuls syndiqués.

Sources : A. Labrosse, La présence syndicale au Québec en 2004, Québec : Mi-nistère du Travail, juin 2005, p. 2.E.B. Akyeampong, « Le mouvement syndical en transition », L’emploi et le reve-nu en perspective, vol. 5, no 8, août 2004, p. 12 et 14.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 297

FIGURE 12-1

TAUX DE PRÉSENCE SYNDICALE DANS LES SECTEURS PRIVÉ 1

ET PUBLIC, QUÉBEC, ONTARIO, RESTE DU CANADAET ÉTATS-UNIS, 1997 ET 2004

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Excluant le secteur agricole, sauf pour les États-Unis où il est inclus.

Source : A. Labrosse, La présence syndicale au Québec en 2004, Québec : Minis-tère du Travail, juin 2005, p. 3.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 298

[239]

FIGURE 12-2

DENSITÉ SYNDICALE, CANADA ET ÉTATS-UNIS,1920 À 1998 EN %

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Source : D. Benjamin, M. Gunderson et W.C. Riddell, Labour Market Econo-mics. Theory, Evidence, and Policy in Canada, 5e édition, Toronto : McGraw – Hill Ryerson, 2002, p. 426.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 299

Le taux de pénétration élevé du syndicalisme dans le secteur public a des effets importants. Au Québec, la majorité des membres de deux centrales syndicales, la CSQ et la CSN, proviennent du secteur pu-blic.  Au Canada, le Syndicat canadien de la fonction publique consti-tue le plus gros syndicat. Comme on en a fait état au chapitre 8, dans le secteur public, par définition, c’est le « jeu politique » qui se dé-roule. La dynamique y est différente de celle du secteur privé à cause de l’absence des sanctions du marché et de la faillite, qui constituent des contraintes dans le secteur privé. Les négociations deviennent plus tonitruantes, situation observée au Québec depuis quarante ans.

12.2. Différences de densité syndicale

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La comparaison de la densité syndicale entre le Canada et les États-Unis donne le résultat suivant : cheminement de croissance as-sez comparable entre 1920 et 1965, mais divergence croissante depuis quarante ans (figure 12-2). Les deux manuels canadiens les plus utili-sés en économie du travail s’entendent [240] pour désigner le cadre légal comme cause principale de la divergence entre les deux pays.

Benjamin, Gunderson et Riddell notent en effet :

« … les différences entre le Canada et les États-Unis dans le régime légal régissant les unions et les négociations collectives sont aptes à expli-quer le déclin du mouvement syndical aux États-Unis et les évolutions divergentes dans la croissance syndicale entre les deux pays. Des diffé-rences dans les domaines tels les procédures de certification et de décerti-fication, la mise en faillite et les droits de succession, la négociation d’un premier contrat de travail et les dispositions pour la sécurité syndicale, ont été avancées comme facteurs contribuant au différentiel de la couverture syndicale entre les deux pays… Les différences institutionnelles dans les

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 300

mouvements de travail dans les deux pays et les résultats des relations industrielles… sont cohérents avec cette perspective. 174 »

Parallèlement, un deuxième manuel d’économie du travail af-firme :

« Le cadre plus large de la politique des relations de travail et les insti-tutions légales semblent fournir un soutien significativement plus grand au développement et au fonctionnement du syndicalisme au Canada. …la certification syndicale est plus effective au Canada et il y a une certaine évidence qu’en face de l’opposition du management, les différences de procédures légales de certification entre les deux pays expliquent une par-tie des différences dans les taux de succès. À son tour, la capacité d’obte-nir des certifications est un déterminant majeur de la croissance syndicale. Bien que d’autres facteurs aient eu un impact sur la syndicalisation dans les deux pays, le rôle de la politique publique semble avoir été substan-tiel. 175 »

174 D. Benjamin, M. Gunderson et W.C. Riddell, Labour Market Economics. Theory, Evidence, and Policy in Canada, 5e édition, Toronto : McGraw – Hill Ryerson, 2002, p. 423.

175 R.G. Ebrenberg, R.S. Smith et R.P. Chazkowski, Modern Labour Econo-mics, Theory and Public Policy, Canadian edition, Toronto : Pearson Addi-son Wesley, 2004, p. 449-450.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 301

[241]TABLEAU 12-2

L’ACCRÉDITATION SYNDICALE AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS

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Source : N. Kozhaya, Les effets de la forte présence syndicale au Québec, Mont-réal : Institut économique de Montréal, sept. 2005, p. 2.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 302

L’effet sur le taux de syndicalisation d’une législation favorable à l’accréditation est illustré au tableau 12-2. Une anecdote : les tenta-tives de syndiquer les employés canadiens de Wal-Mart peuvent servir d’illustration :

[242]« Ce n’est pas par accident que c’est au Québec que la campagne d’or-

ganisation syndicale a progressé le plus, et à un moindre degré en Saskat-chewan. Les deux provinces ont de profondes traditions de social-démo-cratie et des lois du travail qui permettent la certification syndicale d’un lieu de travail sans le recours à un vote, aussi longtemps qu’une majorité d’employés signent des cartes syndicales. Wal-Mart qualifie cette disposi-tion de « non démocratique » et comme une invitation à la coercition et à l’abus par les gros bras syndicaux. Les activistes syndicaux répliquent qu’elle protège les travailleurs de l’intimidation de la compagnie avant un vote. Effectivement, tous les votes pour syndiquer les magasins Wal-Mart se sont terminés par des rejets. 176 »

On peut donc admettre que le cadre légal explique les différences de densité syndicale; il reste à se demander quels sont les facteurs qui influent sur ce cadre légal.

12.3. Que font les syndicats ?

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Un syndicat vise le regroupement des employés face à l’em-ployeur : il s’agit d’une forme de monopolisation ou de cartellisation des employés. Quel en est le résultat ?

« … les syndicats (du moins en Amérique du Nord) accroissent les salaires d’environ 15%. Ces hausses de salaires ne sont généralement pas une compensation pour un environnement de travail moins intéressant. Les syndicats réduisent la dispersion des salaires entre leurs membres, princi-palement, en négociant des pratiques salariales moins sensibles à la com-

176 « …Wal-Mart in Canada : Retaliating First », The Economist, 24 février 2005, http://www.economist.com/displaystory.cfm?story_id=3706455

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pétence et à la performance individuelles. En outre, les syndicats réduisent les profits. 177 »

[243]Les 15% de différentiel salarial entre l’employé syndiqué et le non-

syndiqué ne doivent cependant pas être pris à la lettre, mais ils consti-tuent probablement la valeur qui représente le mieux les résultats des différentes études sur le sujet et dont le résultat varie entre 10 et 25%. 178 Dans une étude basée sur les données de 1989 et provenant de l’Enquête sociale générale de Statistique Canada, Stéphane Renaud obtient pour le Québec un écart salarial de 14,4% contre 7,5% pour l’Ontario. 179

12.4. Un deuxième visage

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Au cours du premier lustre des années quatre-vingt, Richard Free-man et James Medoff ont présenté le syndicalisme sous un autre vi-sage, qui dépassait le simple aspect monopolistique. 180 Le syndicat était alors vu comme une institution sociale exprimant la voix collec-tive des travailleurs; elle permettrait une meilleure adaptation du monde du travail aux préférences des travailleurs : plus faible roule-

177 P. Kuhn, « Unions and the Economy : What We Know; What We Should Know », Revue canadienne d’Économique, vol. 31, no 5, nov. 1998, p. 1051.

178 Pour un tableau-synthèse des différentes études canadiennes, consulter D. Benjamin et al., op.cit., p. 481.

179 S. Renaud, « Unions, Wages and Total Compensation in Canada. An Empi-rical Study », Relations industrielles, vol. 54, no 4, automne 1998, p. 722.

180 Leur contribution majeure est R.B. Freeman et J.L. Medoff, What Do Unions Do ?, New York : Basic Books, 1984, 293 p., traduit sous le titre Pourquoi les syndicats ?  : une réponse américaine, Paris : Economica, 1987, 286 p. Les auteurs avaient auparavant vulgarisé leur contribution dans « Two Faces Unionism », The Public Interest, no 57, automne 1979, pp. 69-93, traduit sous le titre « Le syndicalisme à deux visages », Revue écono-mique, vol. 31, no 3, mai 1981, pp. 585-612. Pour une vue de l’un des au-teurs vingt ans plus tard, voir R.B. Freeman, What Do Unions Do ? The 2004 M-Brane Stringtwister Edition, working paper 11410, Cambridge MA : National Bureau of Economic Research, juin 2005, 51 p., reproduite dans Journal of Labor Research, vol. 26, no 4, automne 2005, pp.641-668.

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ment du personnel, productivité améliorée, meilleure distribution de la rémunération entre les salaires et les avantages sociaux dont l’impor-tance s’accroît, dispersion réduite des salaires entre employés et suc-cès politique du syndicalisme pour faire progresser le bien-être des travailleurs. Leurs résultats empiriques, de même que ceux d’autres auteurs qui les ont suivis, tendent à confirmer ces hypothèses. 181

Freeman et Medoff s’inspiraient d’un petit livre publié en 1970 du social scientist Albert O. Hirschman, intitulé Exit, Voice and Loyal-ty : Responses to Decline in Firms, Organizations and States Que nous dit-il ? Nous en avons déjà donné le résumé au chapitre sur le modèle québécois.

Les processus décentralisés des marchés, qui sont fort étudiés par les économistes, favorisent la voie de l’exit (ou du vote par les pieds) pour manifester le mécontentement des intéressés. Comme on l’a déjà vu plus haut, si je ne suis pas satisfait de mon supermarché (Métro, par exemple), je ne prends pas l’initiative d’une pétition ou d’une contestation; je vais tout simplement chez un concurrent (comme Pro-vigo), me contentant ainsi d’une action individuelle. De la même fa-çon, si mes conditions de travail ne sont pas à mon goût, je cherche un emploi ailleurs.

En revanche, les processus politiques concernent des décisions de groupes. Le citoyen doit prendre la voie de l’action collective pour exprimer ses préférences. Au lieu de l’exit ou de la mobilité, le ci-toyen doit recourir au discours, c’est-à-dire aux manifestations bruyantes. Il est important de bien savoir jouer du tam-tam.

Dans l’entreprise, le syndicat se présente comme une forme d’ac-tion collective des travailleurs qui cherchent à avoir leur mot à dire sur les décisions les affectant. Vue sous cet angle, cette institution peut être concurrencée par d’autres institutions de participation des em-ployés.

Par exemple, la réglementation du marché du travail peut venir concurrencer le syndicalisme. Si le Gouvernement impose dans chaque établissement un comité bipartite employeur-employés sur la santé et la sécurité au travail, il diminue le poids du syndicat dans la création d’un tel comité. Le syndicalisme se voit ainsi privé d’une par-181 Consulter à cet effet le chapitre 16 de D. Benjamin et al., op. cit., pp. 470-

505.

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tie de son rôle. 182 C’est aussi le cas pour la réglementation sur les normes minimales de travail.

On pourrait aussi parler de la voie de la loyauté. Par exemple, comme on l’a déjà vu, une firme peut s’ajuster à une baisse de la de-mande pour ses produits par un congédiement de personnel (exit) ou par une baisse des profits afin de conserver la loyauté de ses tra-vailleurs.

[244]

12.5. Syndicalisme et processus politiques

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Si l’angle du discours permet d’étudier le syndicalisme sous un angle intéressant, il faut le compléter par l’application des processus politiques dans l’agrégation des préférences. La démocratie joue à l’intérieur des syndicats.

Tout un chapitre a déjà été consacré à l’étude des processus poli-tiques (chapitre 8). Le théorème du votant médian explique la disper-sion réduite des salaires et le moins grand recours à des pratiques sala-riales orientées vers la performance individuelle. 183 Le syndiqué mé-dian ne se retrouve pas dans un cadre favorable à l’excellence. Il favo-

182 Au début des assurances-vie, le mode d’organisation « mutuelle », où les détenteurs de police d’assurance sont aussi propriétaires de l’assureur, im-pliquait pour le consommateur une sorte de protection de son épargne à long terme, face aux possibilités des « fly by night » de propriétaires d’institu-tions à but lucratif. La venue de la réglementation gouvernementale dans le secteur des assurances a diminué l’avantage de la confiance que donnait la mutuelle par rapport aux formes concurrentes d’organisation. Voir H. Hans-mann, « The Organization of Insurance Companies : Mutual versus Stock », Journal of Law, Economics, and Organization, vol. 1, no 1, printemps 1985, pp. 125-153.

183 À l’aide de données belges, une récente étude conclut ainsi : « Les résultats empiriques … corroborent la présence d’une relation positive et significative entre la dispersion des salaires et la productivité de la firme. De plus, l’in-tensité de cette relation est plus forte chez les cols bleus et à l’intérieur de firmes à degré élevé de monitoring ». T. Lallemand et al., Wage Structure and Firm Productivity in Belgium, Cambridge,MA: National Bureau of Eco-nomic Research, working paper no 12978, mars 2007, p. 29.

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rise plutôt le critère de la séniorité et les modes de rémunération qui lui sont favorables, comme la présence d’un système de retraite, une forme de rémunération différée. Le travailleur qui quitte la firme est généralement désavantagé par ces systèmes.

Les processus politiques agrègent des préférences individuelles différenciées. Les employés d’une firme n’ont pas les mêmes goûts et ne sont pas tous dans la même situation. Le syndicat doit faire des marchés ou des compromis entre les différents groupes. Parmi ceux-ci, certains sont mieux organisés que d’autres. Par exemple, dans le syndicat des employés de l’Université Laval, les cols bleus ont des bras plus forts que le personnel administratif, à très grande majorité féminine, et les intérêts des premiers ont plus de poids.

Ainsi, à l’intérieur du mouvement syndical, un groupe peut trouver que ses intérêts sont mal défendus et quitter pour un autre organisme. Comme on l’a déjà vu, ce fut le cas, durant les années soixante-dix, avec le départ des infirmières de la Fédération des affaires sociales (aujourd’hui la Fédération de la santé et des services sociaux), affiliée à la Confédération des syndicats nationaux. Leurs intérêts ne concor-daient pas avec le langage marxisant de la CSN d’alors. Il serait aussi intéressant d’analyser comment les intérêts des titulaires des postes TPO (temps partiel occasionnel) furent défendus à l’intérieur des syn-dicats d’infirmières. Leur statut précaire et leur moins grande partici-pation diminuent évidemment l’importance de leur poids dans ce groupe professionnel.

Avec leur expérience des processus politiques internes, les diri-geants syndicaux sont bien placés pour fonctionner dans les [245] pro-cessus politiques externes. « Ils connaissent la game », comme on dit, et savent donc comment opérer dans le monde du discours ou des vo-ciférations. En voici un bref exemple :

« Les coûts du travail dans les établissements canadiens, comparés à ceux de Honda Motor Co. Ltd, Toyota Motor Corp. ou d’autres compa-gnies étrangères en Amérique du Nord, ne sont pas la question », déclare le président du CAW (Canadian Auto Workers), Buzz Hargrove. Il affirme plutôt que la compagnie est lésée par le flux d’importations dans les mar-chés canadien et américain. Il ajouta que Daimler Chrysler doit se joindre

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à la croisade des CAW pour forcer le Gouvernement des deux pays à af-fronter le problème. 184

À quoi cela correspond-il ? Tout simplement au fait que le syndicat veut protéger la rémunération de ses membres aux dépens des auto-mobilistes en faisant de l’action politique.

12.6. Le degré optimal de syndicalisation

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Un taux de présence syndicale en 2004 de 40,2% au Québec, com-parativement à 13,8 aux États-Unis et d’environ 90% en Suède, cela suggère la question suivante : un taux optimal de présence syndicale existe-t-il ?

Le bas taux aux États-Unis implique une influence faible ou margi-nale du syndicalisme sur l’économie américaine. Qu’en est-il du taux très élevé prévalant en Suède ? Pour y répondre, on peut se référer à la théorie des groupes ou de l’action collective résumée au chapitre sur le modèle québécois (chapitre 9). Comme l’ensemble des syndicats suédois forme un groupe très englobant, ils assument en très grande partie les effets de leurs actions. Par ce fait même, ils deviennent plus responsables, ne pouvant faire supporter par d’autres les coûts de leurs actions.

Le taux intermédiaire de la pénétration du syndicalisme québécois, lui, serait désavantageux. Le syndicalisme a un impact sur la société et il fait porter sur les autres agents de l’économie une bonne partie des conséquences de son action, ce qui le rend partiellement irrespon-sable. Les vociférations périodiques des leaders syndicaux en sont une illustration. Étrangement, ils veulent être participants mais non res-ponsables des conséquences. 185

[246]

184 G. Keenan, « CAW tells Daimler labour costs are not the issue in new contract », Globe and Mail, Report on Business, le 22 juillet 2005, p. B3.

185 Un exemple est le Comité de travail sur la pérennité du système de santé et des services sociaux du Québec en 2005. Quand il s’est agi de tirer les conséquences des analyses auxquelles ils avaient participé, les syndicats se sont tout simplement lavé les mains.

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Le syndicalisme et la flexibilité du marché du travail ont aussi un impact sur le chômage régional et la stabilisation économique. Ce su-jet mérite d’être approfondi.

12.7. Stabilisation économique régionale

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Dès 1945, le Gouvernement canadien avait clairement exprimé dans un Livre blanc sa volonté de stabiliser l’économie à un niveau de plein emploi, par des politiques appropriées. 186 Les autorités, se souve-nant des difficultés des années trente, acceptaient la « révolution culturelle » de la General Theory de Keynes et annonçaient leur inten-tion de poursuivre une politique macroéconomique active orientée vers le plein emploi.

Dès les années soixante, on prit conscience que, pour un pays ou-vert sur l’extérieur comme le Canada, une augmentation des dépenses gouvernementales a un effet moindre que pour un grand pays plus fer-mé. Pour le pays ouvert, une partie importante de l’augmentation de la demande globale intérieure ne se traduit pas par une demande de pro-duits du pays mais s’échappe à l’étranger. Cette portion de la demande n’engendre donc pas des revenus supplémentaires pour les résidents.

La Commission royale d’enquête sur la taxation, en 1966, a calculé pour le Canada deux ensembles de multiplicateurs simples : les pre-miers considèrent la consommation et les importations comme des dépenses endogènes et les seconds y ajoutent les dépenses de rééqui-pement des entreprises, ainsi que celles des gouvernements provin-ciaux et des municipalités. Le tableau 12-3 compare les multiplica-teurs ainsi calculés avec ceux qu’on obtiendrait en l’absence de « fuite » par le commerce extérieur. L’existence du commerce, au mi-lieu des années soixante, réduit la valeur des multiplicateurs de dé-penses et de taxes gouvernementales de 25% à 60%.

[247]

186 Government of Canada, Employment and Income, With Special Reference to the Initial Period of Reconstruction. Ottawa : Imprimeur du Roi, avril 1945, 24p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 309

TABLEAU 12-3

MULTIPLICATEURS DES DÉPENSES ET DES TAXESDU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

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A. Compte tenu des variations dans les dépenses de consommation et d’importa-tion

(1)avec commerce

international

(2)sans commerce

international

(3)(1) / (2)

Multiplicateur de dépenses 1,44 1,91 ,75

Multiplicateur de taxation 1,21 1,77 ,68

B. Compte tenu des variations des dépenses de consommation, d’importation et de rééquipement, ainsi que dans les dépenses des gouvernements provinciaux et municipaux.

Multiplicateur de dépenses 1,91 4,37 ,44

Multiplicateur de taxation 1,59 4,04 ,39

Source : Rapport de la Commission royale d’enquête sur la taxation. Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1966, tome 2, appendice D, p. 378-383 et calculs de l’au-teur. Les multiplicateurs avec commerce international sont publiés dans ce vo-lume.

Plus de trente ans plus tard, W.I. Gillespie montrait qu’au Canada, la performance des mesures de stabilisation économique de l’autorité centrale n’a pas été bien reluisante, même en ne tenant pas compte des effets régionaux qui peuvent être discordants. Il résumait sept analyses de sources différentes et concluait sans hésitation : « Les résultats de la politique fiscale anticyclique du fédéral ont été mauvais dans l’après-guerre ». Toutefois, il s’empressait d’ajouter : « Les consé-quences perverses de la politique fiscale dans l’après-guerre ont peut-être été rentables sur le plan électoral. 187 ».

187 Il ajoutait : « L’évaluation la plus charitable trouve la politique fiscale adé-quate pas plus que deux fois sur cinq. La plus critique trouve la politique fiscale perverse ou déstabilisatrice deux fois sur cinq. La politique budgé-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 310

Les modèles keynésiens aboutissent à des multiplicateurs de varia-tions de dépenses ou de taxes moins élevés au niveau régional qu’au niveau central, à cause de l’ouverture plus grande de l’économie dans le premier cas. Ainsi, les mesures régionales de stabilisation auraient un effet de débordement qui empêcherait la poursuite d’une politique optimale pour l’ensemble de la nation. De plus, le gouvernement ré-gional ne peut financer son déficit en recourant à l’autorité monétaire qui « monétise » une partie de la dette du gouvernement central.

[248]L’économie d’une province comme le Québec peut être caractéri-

sée comme une économie très ouverte, où la mobilité à court terme du capital et des produits est passablement plus élevée que celle de la main-d’œuvre. Dans ce cas, l’économique enseigne que les politiques gouvernementales de lutte contre le chômage doivent être très peu orientées vers la demande globale mais plutôt vers les prix relatifs, spécialement celui du facteur travail.

L’économiste suédois Assar Lindbeck a très bien résumé la situa-tion :

« Par conséquent, un taux de salaire réel « inapproprié » associé à un bas niveau de rentabilité devient une cause plus fréquente de chômage, de faibles incitatifs à l’investissement et de déficit au compte courant dans les économies où le marché des produits est ouvert, par comparaison avec le marché du travail. Il en va autrement dans les économies où le degré d’ou-verture est à peu près le même pour les deux marchés. Il en découle que les politiques visant à influencer le taux de salaire réel seront plus impor-tantes pour l’investissement, l’emploi et le compte courant, dans la mesure où le marché des produits est plus ouvert que le marché du travail. Comme généralisation empirique, je crois qu’il est sans danger d’affirmer que la politique de stabilisation a considérablement souffert, dans plusieurs pays, d’une négligence des prix relatifs – tels le taux réel de salaire, le prix rela-tif des produits échangeables et non échangeables et, en particulier, la ren-tabilité – en comparaison avec la demande agrégée. 188 »

taire réalisée n’était même pas conforme aux intentions déclarées et aux plans pour la politique budgétaire ».

W.I. Gillespie, « Postwar Canadian Fiscal Policy Revisited, 1945-1975 », Canadian Tax Journal, vol. 27, no 3, 1979, p. 276.

188 A. Lindbeck, « Stabilization Policy in Open Economy with Endogeneous Politicians », American Economic Review, vol. 66, no 2, mai 1976, p. 5.

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La Constitution canadienne laisse aux provinces des instruments importants pour modifier le niveau régional de la rémunération. Par exemple, pour une longue période après le début de la Révolution tranquille, en plus d’avoir accru les taxes plus rapidement qu’ailleurs, les différents gouvernements québécois ont aussi augmenté les pou-voirs monopolistiques syndicaux, ce qui ne pouvait que favoriser une hausse relative du prix du travail et, par conséquent, du chômage. Par-mi ces nombreuses mesures, nous pouvons mentionner les suivantes : syndicalisation et négociations à l’échelle de la province dans l’indus-trie de la construction, loi anti-briseurs de grèves, syndicalisation ra-pide du secteur public et niveau plus élevé du salaire minimum et, plus récemment, les dispositions sur « l’équité salariale ».

Ainsi, comme on l’a noté au chapitre 3, au début des années quatre-vingt, le Québec a été placé dans une situation paradoxale. [249] Malgré une moins grande rareté de la main-d’œuvre, ce qui transparaissait par un taux de chômage traditionnellement plus élevé et par des difficultés à garder chez lui l’accroissement naturel de sa population, le salaire hebdomadaire moyen était plus élevé au Québec qu’en Ontario, pour l’ensemble des industries, pour presque toutes les composantes du secteur des services et aussi pour l’industrie de la construction. Bien que le salaire monétaire moyen dans le secteur ma-nufacturier demeurât inférieur de 8,5% au Québec, près de 40% des emplois manufacturiers se concentraient dans des sous-secteurs où la rémunération hebdomadaire était plus élevée. Si l’on met de côté les importantes industries du papier et de l’impression, des salaires plus élevés au Québec se retrouvaient dans les industries habituellement qualifiées de secteurs mous : produits du cuir, textiles non synthé-tiques, bonneterie, vêtements et meubles de maison.

Cette analyse rapide des politiques provinciales destructrices d’em-plois montre bien le rôle non négligeable d’une province dans la stabi-lisation économique, surtout dans un système fédéral où les lois du travail relèvent principalement de l’autorité régionale.

On prête à Herbert Stein cette quasi-tautologie : toute situation in-soutenable doit se terminer. 189 Ce fut au moins partiellement le cas au

189 Mentionnée par E. C. Prescott, « Even Europeans Will Respond to Incen-tives », The Wall Street Journal, 2 août 2005, p. A10.

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Québec entre 1982 et 2002. Les trois parties de la figure 3-1 (au cha-pitre 3) le montrent très bien.

Qu’en est-il de l’évolution de la rémunération totale « réelle » par heure ? En 1999, elle était la même qu’en 1982, ce qui n’a pas été le cas en Ontario et aux États-Unis. Dans la province voisine, la rémuné-ration réelle avait crû de plus de dix% au cours de la période. Il y eut donc un ajustement relatif des salaires au Québec par rapport à la si-tuation aberrante du début des années quatre-vingt.

La baisse relative de la rémunération réelle au Québec, au cours de cette période, a-t-elle eu un effet bénéfique sur l’emploi ? La réponse est positive. Le taux d’emploi, c’est-à-dire la fraction des personnes âgées de 15 à 64 ans occupant un emploi, est passé de 61% à 69% entre 1981 et 2002. Le taux québécois, qui s’élevait à 85% du taux ontarien au début des années quatre-vingt, atteignait près de 95% de ce dernier en 2002. 190

[250]Si une baisse de la rémunération relative est favorable à un emploi

accru, elle a tout de même un effet sur la productivité ou le PIB réel par heure travaillée. Cela a été analysé au chapitre 3. L’absorption de plus de travailleurs grâce à des salaires plus bas entraîne une baisse de la productivité marginale. Ainsi, entre 1981 et 2002, l’écart de pro-ductivité par rapport à nos voisins s’est creusé. Alors qu’en 1981, le PIB réel par heure de travail au Québec se situait à 96% de celui de l’Ontario et à 90% de celui des États-Unis, ces ratios n’étaient plus que de 90% et de 87% en 2002. 191 »

La situation insoutenable de la période autour de 1980 eut donc sa fin. Il ne s’agit pas ici d’analyser les différents mécanismes qui ont joué un rôle, par exemple la diminution du pouvoir de négociation syndical en présence d’un chômage élevé. On peut tout de même l’illustrer par l’évolution du salaire minimum réel au Québec (figure 12-3). « Après avoir augmenté de manière importante entre 1965 et 1977, le salaire minimum réel a connu une diminution de 1978 à

190 Les données sont tirées de la publication de L. Martin, « Le niveau de vie des Québécois. Un écart subsiste par rapport à celui de nos voisins », Ana-lyse et conjoncture économiques, vol. 1, no 5, 11 nov. 2003, p. 5.

191 Id., pp. 4-5.

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1986. Depuis, le salaire minimum réel a de nouveau augmenté, mais n’a jamais atteint le sommet de 1977. 192 ».

192 Ministère des Finances, Direction des politiques économiques, Comparai-son de l’évolution du salaire minimum au Québec, en Ontario et aux États-Unis, Québec, février 2002, p. 6. Après une recension de 102 estimations, deux auteurs concluent : « En résumé, notre revue de la littérature…solidifie l’approche conventionnelle selon laquelle les salaires minimums réduisent l’emploi des travailleurs non qualifiés et elle appuie la proposition que le marché du travail des bas salariés peut être raisonnablement représenté par le modèle concurrentiel néo-classique. », D. Neumark et W. Wascher, Mi-nimum Wages and Employment  : A Review of Evidence from the New Mini-mum Wage Research  , Cambridge MA : National Bureau of Economic Re-search, Working Paper 12663, nov. 2006, p.123.

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FIGURE 12-3

SALAIRE MINIMUM RÉEL QUÉBEC ($ CONSTANTS DE 1992)

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Source : Ministère des Finances, Direction des politiques économiques, Compa-raison de l’évolution du salaire minimum au Québec, en Ontario et aux États-Unis, Québec, février 2002, p. 6.

[251]

12.8. La flexicarité

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Cependant, la question suivante demeure : comment est-il possible d’assurer simultanément, d’une part la flexibilité du marché du travail demandée par une économie volatile et dynamique, et d’autre part, une protection sociale étendue pour les travailleurs mis à pied ? Cette dernière présente l’inconvénient de réduire les incitations au travail et d’accroître le « salaire de réserve » (ou le niveau de rémunération au-quel les chômeurs sont prêts à travailler).

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Ce changement de comportement (entre activité et inactivité) d’une personne assurée est propre à toute assurance et peut être significatif, comme en témoigne une recherche sur les effets de l’assurance chô-mage (ou emploi) :

« Avec le recours à des données s’échelonnant sur un demi-siècle, pour des juridictions contiguës des États-Unis et du Canada, nous étudions les effets à long terme sur les heures travaillées, d’un très généreux pro-gramme d’assurance chômage. Nous trouvons des effets importants. Par exemple, en 1990, environ 6% des hommes employés dans les comtés les plus septentrionaux du Maine travaillaient moins de 26 semaines par an-née; juste de l’autre côté de la frontière, au Nouveau-Brunswick, ce pour-centage était supérieur à 20. Selon nos estimations, le système d’assurance chômage plus généreux ayant cours au Nouveau-Brunswick compte pour plus des deux tiers de cette différence. Des effets encore plus importants sont trouvés pour les femmes et les hommes moins instruits… » 193

Les conditions économiques de la Gaspésie ressemblent à celles du Nouveau-Brunswick  194.

Est-il nécessaire de choisir entre une flexibilité du marché du tra-vail qui permet un taux de chômage réduit et une protection sociale étendue qui favorise un taux élevé d’inactivité ? Cette question est souvent simplifiée par le choix à prendre entre le « modèle améri-cain » et le « modèle français ».

Une réponse est le modèle danois du marché du travail, qualifié de flexicurité pour sa capacité d’assurer simultanément la flexibilité du marché du travail et la protection sociale. Les employeurs ont la possi-bilité d’embaucher et de licencier, ce qui les encourage à engager un 193 P. Kuhn et C. Riddell, The long-Term Effects of a Generous Income Sup-

port Program : Unemployment Insurance in New Brunswick and Maine, 1940-1991, Cambridge MA : National Bureau of Economic Research, wor-king paper 11932, janvier 2006, le résumé.

194 En voici une illustration. « Les travailleuses du crabe envahissent chaque printemps les rues de Chandler pour réclamer le droit d'avoir accès à des projets d'emploi, parrainés par Emploi-Québec, en vue d'une qualification à l'assurance-emploi "ça n'a pas de bon sens, à tous les ans il faut se battre pour avoir des projets ! En usine, on travaille juste quatre ou cinq semaines", s'attriste Francine Hautcoeur, la représentante des employées de l'usine de crabe de Sainte-Thérèse. La pêche au crabe débute en avril et ne dure que quelques semaines. » T. Haroun, « L’usine de crabes de Sainte-Thérèse. L’angoisse des chômeurs gaspésiens », Le Soleil, 6 mars 2007, p.10.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 316

nombre record de personnes. Par ailleurs, les travailleurs ont droit à des prestations sociales généreuses lorsqu’ils perdent leur emploi. En même temps, des politiques [252] actives du marché du travail per-mettent d’offrir à tout chômeur de plus de six mois un nouvel emploi ou une formation. Toutefois, comme le montre la figure 12-4, la mise en œuvre du modèle danois est coûteuse, puisque près de 5% du PIB de ce pays finance les dépenses afférentes aux programmes du marché du travail et aux allocations de chômage. Évidemment, ce pays se sin-gularise par des taux élevés de taxation. 195

Quel que soit le type d’assurance, il existe toujours une certaine volonté de réduire le risque subjectif. Qu’en est-il pour les assurances dans le secteur de la santé ? Comme le consommateur ne paie pas ou peu les soins assurés, l’assureur est porté à le mettre en tutelle, pour ainsi dire. Les moyens sont différents selon que l’assureur est privé ou public. Aux États-Unis, les assureurs privés imposent différentes res-trictions dans la consommation des services : limitation dans le choix des médecins, contrôle des durées du séjour hospitalier, autorisations exigées pour les dépenses importantes comme l’imagerie.

195 L’information est empruntée à P. Hilbers et J. Zhow, « La flexicurité da-noise : des enseignements pour l’Europe, » FMI Bulletin, vol. 35, no 20, 6 nov. 2006, pp. 316-317.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 317

FIGURE 12-4

PROTECTION DE L’EMPLOI ET IMPORTANCE RELATIVEDES DÉPENSES PUBLIQUES DU MARCHÉ DU TRAVAIL,

PAYS DE L’OCDE

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Source : P. Hilbers et J. Zhow, « La flexicurité danoise : des enseignements pour l’Europe », FMI Bulletin, vol. 35, no 20, 6 nov. 2006, p. 316.

[253]L’assureur public presqu’unique, comme c’est le cas au Québec

pour les services hospitaliers et médicaux, porte peu d’attention aux décisions individuelles des consommateurs ou des spécialistes; il sur-veille et règle plutôt la masse des soins, en établissant par exemple le nombre des entrées dans les facultés de médecine, la quantité de lits autorisée dans le secteur hospitalier et la qualité de l’équipement dis-ponible. On peut dire qu’il est le grand planificateur.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 318

Depuis nombre d’années, les travaux de recherche et les réformes des politiques visent à améliorer les compromis entre une flexibilité acceptable du marché du travail et un système valable de protection sociale. On tâche aussi de mettre au point une politique plus active du marché du travail afin d’éviter les coûts élevés des incitations per-verses. 196

Ce terrain est rempli d’obstacles puisqu’il s’agit souvent d’ac-croître les contraintes sur les prestataires des assurances publiques, en même temps qu’une réforme de l’aide sociale davantage orientée vers le marché du travail.

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[254][255][256]

196 Je me dois de mentionner les travaux empiriques sur ce sujet de deux de mes collègues, Bernard Fortin et Guy Lacroix.

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[257]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 13L’économique de la langue

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L’étude des phénomènes sociaux n’est pas réservée aux seuls pro-fessionnels des sciences sociales. Une bonne illustration est l’étude des phénomènes linguistiques au Canada. L’un des pionniers de ce secteur est sûrement Richard J. Joy, un fonctionnaire fédéral qui consacra ses loisirs à l’étude des phénomènes linguistiques canadiens à l’aide des recensements. En 1967, il publia à compte d’auteur un livre qui sera réédité quelques années plus tard. 197 En 1978, Joy écri-vait :

« L’examen des données provenant du recensement du Canada montre que le pays peut être divisé en trois grandes zones linguistiques :

- Le Canada français, comprenant toute la partie du Québec, située au nord de Sherbrooke et à l’est de Montréal, où prédomine le français;

- le Canada anglais, à l’ouest d’Ottawa et à l’est de Moncton, où les minorités francophones sont en voie d’assimilation;

- la zone bilingue, comprenant Ottawa, Montréal et Moncton, où les deux langues se côtoient. 198 »

197 R.J. Joy, Languages in Conflict, Ottawa, 1967, 136 p.; repris dans Carleton Library series no. 61, McClelland and Stewart, Toronto, 1972, 149 p.

198 R.J. Joy, Les minorités des langues officielles au Canada, Montréal : Insti-tut de recherches C.D. Howe, 1978, p. 15.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 320

Il concluait son étude par ces paragraphes :« Il serait prématuré de comparer le départ des anglophones quittant le

Québec à celui des pieds-noirs abandonnant l’Algérie. Mais, si l’exode continue à la même allure que durant la dernière partie de l’année 1977, le groupe minoritaire le plus important du Canada va s’en trouver considéra-blement affaibli, si bien qu’il risquera de décliner à tel point que le Québec finira par devenir « aussi français que l’Ontario est anglais ».

[258]Par ailleurs, les minorités francophones situées à l’ouest d’Ottawa et à

l’est de Moncton s’évanouissent par suite de l’assimilation des générations montantes. Quoique les Acadiens du nord du Nouveau-Brunswick aient de bonnes chances de conserver leur langue, les Franco-Ontariens continue-ront sans doute de diminuer en nombre à mesure que la jeunesse abandon-nera la protection des cinq comtés du Nord et des cinq comtés de l’Est; quant aux villes du sud de l’Ontario, l’anglicisation est rapide.

Tout concourt donc à la polarisation accrue des deux groupes linguis-tiques du Canada. Le français continuera à s’affermir par rapport à l’an-glais au Québec et se maintiendra dans les régions frontalières de l’Onta-rio et du Nouveau-Brunswick pendant que l’anglais deviendra à peu près universel ailleurs. 199 »

Les conclusions de Joy méritent d’être mises à jour. Le tableau 13-1 donne le taux de transfert linguistique des francophones âgés de 25 à 44 ans pour 1991 et 2001. Un transfert linguistique est l’utilisation, le plus souvent, d’une langue autre que la langue maternelle à la maison. À l’exception du Québec et du Nouveau-Brunswick, l’assimilation des francophones est élevée. Comment peut-il en être autrement dans un monde urbain permettant peu de contacts en français ? Joy avait d’ailleurs bien illustré le phénomène en corrélant la persistance de la langue avec la concentration parmi la minorité française dans 27 com-tés ontariens en 1971 (figure 13-1). La relation est très positive. On peut dire que la dilution des francophones entraîne vite leur assimila-tion.

199 Ibid., pp. 43-44.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 321

[259]

TABLEAU 13-1

TAUX DE TRANSFERT LINGUISTIQUE DES FRANCOPHONES ÂGÉS DE 25 À 44 ANS, CANADA, PROVINCES ET TERRITOIRES, 1991 ET 2001

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1991 2001

Canada 7,5 7,5Terre-Neuve et Labrador 63,6 54,8Île-du-Prince-Édouard 51,4 60,1Nouvelle-Écosse 48,2 49,8Nouveau-Brunswick 11,7 11,9Québec 1,4 1,5Ontario 43,5 45,6Manitoba 62,2 66,5Saskatchewan 78,6 81,0Alberta 71,0 71,4Colombie-Britannique 73,6 71,9Territoire du Yukon 55,4 54,4Territoires du Nord-Ouest1 55,2Territoires du Nord-Ouest2 58,1Nunavut 56,8

1. Y compris le Nunavut.2. Non compris le Nunavut.Nota : Seules les réponses uniques à la langue maternelle ont été utilisées, alors que dans le cas de la langue parlée le plus souvent à la maison, toutes les réponses étaient considérées.

Source : L. Marmen et J.-P. Corbeil, Les langues au Canada : recensement de 2001, Ottawa : Ministère des travaux publics et services gouvernementaux, Cana-da, 2004, p.115.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 322

[260]GRAPHIQUE 13-1

CORRÉLATION ENTRE LA PERSISTANCE DE LA LANGUEET LA CONCENTRATION PARMI LA MINORITÉ FRANÇAISE

DANS 27 COMTÉS ONTARIENS EN 1971

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Source : R.J. Joy, Les minorités des langues officielles au Canada, Montréal : Institut de recherches C. D. Howe, 1978, p.23.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 323

[261]

13.1. Le Québec « aussi français que l’Ontario est anglais »

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Face à l’accélération de l’exode des anglophones du Québec avec l’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976, Joy avance que le Québec finira par devenir « aussi français que l’Ontario est anglais ». Cette partie de phrase surprend, mais n’est pas dépourvue de base his-torique. Prenons deux cas, la ville de Québec et les Cantons de L’Est.

Au chapitre 2 (tableau 2-1), on a noté que les gens d’origine britan-nique (Angleterre, Écosse et Irlande) représentaient 40% de la popula-tion de la ville de Québec en 1861 et 24,6% vingt ans plus tard. En 1901, leur part était de 15,7% contre 7,4 en 1931, 3,5 en 1971 et 1,7 en 2001. Dans la région métropolitaine de Québec, la part de la popu-lation de langue maternelle autre que le français ou l’anglais représen-tait 1,8% de la population en 2001.

Joy, de son côté, a étudié la francisation des six comtés constituant le cœur des Cantons de l’Est :

« Parmi ceux-ci, le Richmond et le Sherbrooke ont atteint une majorité de francophones en 1891 seulement, le Compton et le Missisquoi en 1901 et le Stanstead en 1911; le Brome avait toujours une majorité d’anglo-phones lors du recensement de 1976. Il y a cent cinquante ans, le français était à peu près inconnu dans la région, mais le recensement de 1971 montre que la population actuelle des six comtés parle français à la maison dans la proportion de 80%. 200 »

En 2001, la population de la région métropolitaine de Sherbrooke se répartissait ainsi : francophones 91,2%, anglophones 5,7% et allo-phones 3,1%.

200 Ibid., p. 41.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 324

13.2. Montréal à la suite de Québec et des Cantons de l’Est ?

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Avant de se demander si Montréal suivra l’exemple de Québec et des Cantons de l’Est, il est intéressant de se référer à une situation du début du vingtième siècle.

Né dans « le Mille Carré » en 1909, Murray Ballantyne a résumé ainsi son enfance dans ce quartier de Montréal :

[262]« Montréal est la capitale en grande partie francophone d’une province

quasi totalement francophone, mais, enfant, je n’en avais nulle conscience. Telle une garnison en pays étranger, notre communauté se donna toutes ses institutions particulières, nous possédions nos écoles à nous, nos clubs, notre musée, nos salles d’escrime, nos magasins et nos théâtres. On aurait pu vivre et mourir dans le Mille Carré sans jamais prononcer un mot de français, presque sans en entendre un. Nous ne voyions jamais dans la ville les quartiers de langue française sauf en passant pour nous rendre au club de chasse ou aux clubs de golf ou sur nos terres. Où que nous allions, nous parlions anglais et l’on nous répondait en anglais. Il ne me vient à l’esprit que trois exemples de familles parlant français, habitant notre quartier et reçues par nous. Toutes trois étaient riches et puissantes, toutes trois parlaient un parfait anglais, et toutes trois semblaient plus à l’aise chez nous que chez leurs congénères.

Avant d’aller à l’école, le seul être canadien français dont j’eusse conscience était une domestique qui nous servit avec dévouement jusqu’à sa mort. Cette brave fille parlait un anglais suffisant et la grande différence qui me frappait n’était point son origine nationale – cela n’avait guère de signification pour moi – mais sa religion, car elle était catholique et nous étions protestants. Aux yeux de gens de notre sorte, le catholicisme repré-sentait tout ce qu’il y avait de superstitieux et de menaçant. C’était la reli-gion qui faisait la grande différence, et non la langue ou l’origine natio-nale. » 201

201 M. Ballantyne, « J’ai grandi au Canada français (témoignage d’un Canadien anglais) », dans A. Latreille (s.l.d.), Le Canada français aujourd’hui et de-main, Paris : Librairie Arthème Fayard, Recherches et débats 34, 1961, p. 54. Une situation similaire eut lieu à Arvida au Saguenay.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 325

Les anglophones sont de moins en moins importants au Québec. Le tableau 13-2 indique bien le déclin de leur part de la population selon trois critères : la langue maternelle, la langue parlée le plus sou-vent à la maison et l’unilinguisme anglophone(par rapport aux deux langues officielles). En 2001, 67,2% des anglophones québécois étaient bilingues contre 36,9 des francophones et 50,5 des allophones.

[263]

TABLEAU 13-2

RÉPARTITION LINGUISTIQUE DE LA POPULATION DU QUÉBECSELON DIFFÉRENTS CRITÈRES, 1951-2001 (EN %)

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Selon la langue maternelle

Selon la languedominante parlée

à la maison

Selon la connaissance des langues officielles

F A LN-O F A LN-O Fr(seul)

Ang seul)

Fr+A Ni Fr-Ni A

1951 82,5 13,8 3,7 - - - 62,5 11,4 25,6 0,5

1961 81,2 13,3 5,6 - - - 61,9 11,6 25,5 1,1

1971 80,7 13,1 6,2 80,8 14,7 4,5 60,9 10,5 27,6 1,1

1981 82,5 10,9 6,6 82,5 12,7 4,9 60,1 6,7 32,4 0,8

1991 82,0 9,2 8,8 83,0 11,2 5,8 58,1 5,5 35,4 0,9

2001 81,4 8,3 10,3 83,1 10,5 6,5 53,8 4,6 40,8 0,8

LN-O : langues non-officiellesSource : L. Marmen et J.-P. Corbeil, Les langues au Canada, recensement de 2001, Ottawa : ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux, 2004, p. 147-152 et 157.

Les anglophones, qui, depuis le recensement de 1996, représentent une part de la population inférieure à celle des allophones, continuent

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 326

de quitter le Québec. Le tableau 13-3 fait état de la migration interpro-vinciale entre le Québec et les autres provinces et territoires selon la langue maternelle. Pendant le lustre 1996-2001, les départs bruts et nets du groupe anglophone sont demeurés importants. Les départs vers les autres provinces, qui ont totalisé 1,7% de la population québé-coise, représentaient 9,0% des anglophones. En matière de migration nette (les arrivées moins les départs), tous les groupes linguistiques ont subi une perte de population : -0,8% pour l’ensemble, -4,9 pour les anglophones, un faible –0,15 pour les francophones et –2,6 pour les allophones.

Le groupe anglophone représente donc une part décroissante de la population du Québec et est de plus en plus bilingue. En 2001, 67,2% des anglophones du Québec étaient bilingues (7,2% de ceux qui vi-vaient hors du Québec) contre 36,9 pour les francophones du Québec (84,8% pour les francophones hors-Québec). Pour leur part, les allo-phones du Québec étaient bilingues dans une proportion de 50,5% (contre 5,8% hors-Québec).

Pour plusieurs francophones, la « menace » n’est plus le groupe de langue maternelle anglaise au Québec, mais bien le groupe des allo-phones de la région de Montréal, qui ne s’intégrerait pas suffisamment au groupe francophone. Qu’en est-il ?

[264]En 2001, la population de langue maternelle autre que le français

ou l’anglais représentait 19,1% de la population de la région métropo-litaine de Montréal (contre 39,9 pour Toronto et 1,8 pour Québec). Comme l’indique le tableau 13-4, la proportion de la population des immigrants dans la région de Montréal correspondait en 2001 à celle de l’ensemble du Canada, soit 18,4%. Plus de 70% n’étaient pas de langue maternelle française ou anglaise. Quelle langue officielle aura la faveur de ce groupe ?

Ce n’est point un fait nouveau que l’immigration au Québec, sur-tout dans la région de Montréal, y compris celle des allophones, a ser-vi à accroître l’importance relative du groupe anglophone. Ce dernier était donc davantage assimilateur. Cependant, le pouvoir assimilateur du groupe anglophone diminue à mesure que son importance se réduit et que plus de deux tiers de ses membres sont bilingues. C’est ainsi que 47,7% de la population immigrée allophone de la région de Mont-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 327

réal pouvait s’exprimer en français en 1971, contre 71,6 en 2001 (ta-bleau 13-5). La fraction de ceux qui ne maîtrisaient que l’anglais comme langue officielle est passée de 36,7% en 1971 à 20,7% en 2001. Ainsi, chez la population immigrante allophone, le français a considérablement augmenté son attrait.

En somme, la maîtrise de la langue française est devenue plus inté-ressante à la fois pour les anglophones et les allophones, du moins pour ceux qui veulent profiter des attributs de la grande région métro-politaine.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 328

[265]TABLEAU 13-3

MIGRATION INTERPROVINCIALE ENTRE LE QUÉBEC ET LES AUTRES PROVINCES ET TERRITOIRES SELON LA LANGUE MATERNELLE, 1971 À 1976, 1976 À 1981, 1981 À 1986, 1986 À 1991, 1991 À 1996 ET 1996 À 2001Retour à la table des matières

Période Total Anglais Français Autre

Du Québec vers les autres provinces1971-761 145 800 94 100 41 300 10 4001976-81 203 000 131 500 49 900 21 6001981-86 130 200 70 600 45 900 13 7001986-91 107 500 53 800 37 800 16 0001991-96 106 300 51 100 33 600 21 6001996-01 119 700 53 300 39 700 26 700Des autres provinces vers le Québec1971-761 83 800 41 900 37 200 4 7001976-81 61 300 25 200 31 900 4 2001981-86 67 000 29 000 33 000 5 0001986-91 82 000 31 600 43 000 7 4001991-96 68 900 26 600 34 800 7 5001996-01 62 400 24 100 30 800 7 600Migration nette (arrivées moins les départs)1971-761 -62 000 -52 200 -4 100 -5 7001976-81 -141 700 -106 300 -18 000 -17 4001981-86 -63 200 -41 600 -12 900 -8 7001986-91 -25 500 -22 200 5 200 -8 6001991-96 -37 400 -24 500 1 200 -14 1001996-01 -57 300 -29 200 -8 900 -19 100Total -387 100 -276 000 -37 500 -73 600

1. Au recensement de 1976, les non-réponses n’ont pas été imputées. Afin de rendre les statistiques comparables à celles des recensements subséquents, les non-réponses à la question sur la langue maternelle ont été réparties au prorata des réponses déclarées.Nota : Population âgée de 5 ans et plus au moment du recensement.

Source : L. Marmen et J.-P. Corbeil, Les langues au Canada, recensement de 2001, Ottawa : ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux, 2004, p. 107.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 329

[266]

TABLEAU 13-4

COMPOSITION DE LA POPULATION IMMIGRÉESELON LA LANGUE MATERNELLE ET PROPORTION DE

LA POPULATION IMMIGRÉE AU SEIN DE LA POPULATIONDE LA PROVINCE OU DE LA RÉGION, 1971 ET 2001

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Anglais Français Autre Proportion de la population immigrée

1971 2001 1971 2001 1971 2001 1971 2001

Canada 45,5 28,0 3,8 3,4 50,7 68,6 15,3 18,4

Québec 27,6 10,7 19,7 19,5 52,8 69,9 7,8 9,9

RMR de Montréal 27,6 10,4 15,3 16,4 57,1 73,2 14,8 18,4

Reste du Québec 27,5 12,5 47,5 41,8 25,0 45,7 1,9 2,3

Ontario 46,0 30,5 0,9 0,9 53,1 68,6 22,2 26,8

RMR de Toronto 43,9 27,8 0,7 0,7 55,5 71,5 34,0 43,7

Reste de l’Ontario 48,4 36,1 1,2 1,4 50,4 62,5 16,0 15,0

Source : L. Marmen et J.-P. Corbeil, Les langues au Canada, recensement de 2001, Ottawa : ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux, 2004, p. 95.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 330

[267]

TABLEAU 13-5

POPULATION IMMIGRÉE ALLOPHONE SELON LA CONNAISSANCEDES LANGUES OFFICIELLES, RMR DE MONTRÉAL, 1971 À 2001

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Année Français Anglais Français etanglais

Ni françaisni anglais

1971 14,3 36,7 33,4 15,6

1981 19,5 27,6 41,8 11,1

1991 24,1 22,4 43,3 10,2

1996 24,9 21,5 44,0 9,6

2001 24,1 20,7 47,5 7,7

Source : L. Marmen et J.-P. Corbeil, Les langues au Canada, recensement de 2001, Ottawa : ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux, 2004, p. 96.

13.3. Le marché du travail a bien changé depuis 1950

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Durant les années cinquante, on parlait souvent des difficultés de se faire servir en français chez Eaton’s. Les temps ont bien changé et cette chaîne de magasins a même disparu. En est-il de même pour les écarts de rémunération selon la maîtrise des langues officielles pour la région métropolitaine de Montréal ?

Au milieu des années soixante, la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme faisait état des inégalités de re-venu suivant diverses caractéristiques linguistiques, sur la base d’une

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 331

recherche commanditée de trois économistes québécois. 202 Nicolas Béland en donne le résumé-critique suivant :

« Les observations faites par Raynauld, Marion et Béland (1966) sur la base des données du recensement de 1961 n’incluaient pas les capacités linguistiques des individus. Ces observations faisaient état (vol. III, p. 8.58 à 8.74), pour la région métropolitaine de Montréal, d’une différence brute de l’ordre de 32% entre les revenus de travail des « Britanniques » et ceux des [268] « Français ». Une fois contrôlée l’influence conjointe des diffé-rences de scolarité, d’appartenance à des secteurs industriels, d’âge et d’incidence du chômage chez les uns et les autres, les revenus de travail des « Français » demeuraient d’un substantiel 10% inférieurs à ceux des « Britanniques ». Et encore fallait-il replacer cet écart net dans le contexte de l’écart brut. Même les mieux dotés des « Français », minoritaires dans leur propre communauté, gagnaient 10% de moins que leurs homologues « Britanniques », alors que l’écart global entre les deux collectivités était de près du tiers. Cette étude était la première du genre. Dans le contexte politique de l’époque, elle a reçu une certaine attention. 203 »

Cette étude pionnière a ses suites à chaque nouveau recensement : divers travaux insistent sur les attributs linguistiques des individus. 204 Avec le recensement de 1981 (revenus de 1980), l’écart appréciable de 1970 entre les anglophones et les francophones unilingues a com-plètement disparu et n’a pas ressurgi depuis (tableau 13-6). Parallèle-

202 A. Raynauld, G. Marion et R. Béland, La répartition des revenus selon les groupes ethniques au Canada : rapport de recherche préparé pour la Com-mission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Ottawa : Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Div. 5B, n° 2, 4 volumes, 1966.

203 N. Béland, La persistante disparition de l’écart  : l’évolution des revenus salariaux des hommes selon deux appartenances ethnolinguistiques et le bilinguisme dans la région métropolitaine de recensement de Montréal de 1970 à 1995, Québec : Conseil supérieur de la langue française, mars 2004, p.5.

204 Le champion incontesté de ces travaux est François Vaillancourt; voir son étude récente :

F. Vaillancourt et C. Touchette, Le statut du français sur le marché du travail de 1970 à 1995 : Les revenus de travail, Toronto : Institut C.D. Howe, 2001, 13 p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 332

ment, la prime au bilinguisme est depuis 1980 assez semblable pour les deux groupes linguistiques.

Les années soixante-dix marquent donc un changement important dans la rentabilité de la maîtrise des langues officielles. Cela mérite d’être expliqué. Pour ce faire, il est utile de présenter deux approches, celle des réseaux institutionnalisés d’information, développée par Jean-Luc Migué, et celle du marché des aptitudes linguistiques de Geoffrey Carliner.

[269]

TABLEAU 13-6

ÉCART, PAR RAPPORT AUX FRANCOPHONES UNILINGUES,DES SALAIRES DES HOMMES FRANCOPHONES BILINGUES

ET DES ANGLOPHONES UNILINGUES OU BILINGUES,RMR DE MONTRÉAL, DE 1970 À 1995

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1970 1980 1990 1995

Anglophones unilingues 20% 4%* 3%* -2%*

Anglophones bilingues 25% 8% 3% 7%

Francophones bilingues 11% 6% 7% 6%

Francophones unilingues Base 0 Base 0 Base 0 Base 0

* Écart non significatif

Source : N. Béland et P. Roberge, « La fin de la discrimination salariale. Les écarts de salaires entre francophones et anglophones à Montréal », dans M. Venne (s.l.d.), L’annuaire du Québec 2004, Montréal : Éditions Fides, 2003, p.255.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 333

a) Réseaux d’information

Dans un important texte, mais malheureusement peu cité, Jean-Luc Migué applique la théorie de l’information au marché du travail qué-bécois en utilisant des données du milieu des années soixante. 205

Cependant, au lieu d’étudier les différences de revenus au Québec, Migué compare la distribution des salaires en Ontario et au Québec pour des occupations identiques :

« L’Ontario peut être perçue comme un marché jouissant de l’homogé-néité à peu près totale du point de vue qui nous concerne, c’est-à-dire qu’il n’y existe qu’un seul réseau ou circuit d’information. Au Québec par contre, on rencontre les deux sous-groupes, anglophones et francophones, et donc les deux sous-réseaux. On devrait donc observer une dispersion plus prononcée des traitements au Québec qu’en Ontario, du moins dans les occupations requérant le plus d’information » (p.193)

En s’appuyant sur le coefficient de dispersion interquartile, l’au-teur dégage les observations suivantes :

1. « (…) en deçà du niveau du « technologiste », la dispersion des sa-laires n’est pas systématiquement plus prononcée dans une province que dans l’autre. Sur 25 occupations retenues, la [270] dispersion est supérieure au Québec dans 12 cas et donc en Ontario dans les 13 autres, et dans plusieurs cas, l’écart entre les coefficients des deux pro-vinces est faible. » (p.194)

2. « La situation change radicalement lorsqu’on passe aux niveaux supé-rieurs de la hiérarchie des emplois industriels. Parmi les 23 classes d’occupations « professionnelles et scientifiques » connues (y compris les technologistes), il n’y a que trois cas où la dispersion est plus grande en Ontario qu’au Québec. » (p.194)

3. « Si l’on étudie chacune des professions individuellement, il devient en effet manifeste que la différence de dispersion entre le Québec et l’Ontario n’est pas uniforme dans toute la hiérarchie. Ainsi dans l’oc-cupation la plus importante par le nombre, soit les ingénieurs, l’écart

205 J.-L. Migué, « Le nationalisme, l’unité nationale et la théorie économique de l’information », Revue canadienne d’économique, vol. III, n° 2, mai 1970, p. 183-198.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 334

de dispersion est moins prononcé chez les ingénieurs de niveau 1 et 2 , fort dans les classes 3, 4 et 5; et il diminue de nouveau dans les classes 6 et 7 (…). L’aplatissement de l’écart aux niveaux supérieurs s’expliquerait alors de l’une ou l’autre de deux façons : ou bien par l’intégration complète aux circuits d’information de tous les titulaires possibles, francophones et anglophones; ou encore par l’absence à peu près totale de francophones. » (p. 196-197)

Qu’y a-t-il de changé depuis le milieu des années soixante aux-quelles se rapportent les données utilisées par Migué ? Avant de ré-pondre à cette question, il est utile de considérer un autre modèle, ce-lui du marché des aptitudes linguistiques.

b) Marché des attributs linguistiques

Geoffrey Carliner a appliqué le modèle simple de l’offre et de la demande à la rémunération des attributs linguistiques au Canada en 1970. Voici le résumé de son étude :

« Ce texte présente une théorie simple des différentiels de salaires entre les groupes linguistiques. Dans les sociétés multilingues, si la de-mande de travail pour les locuteurs d’une langue excède l’offre des locu-teurs indigènes, les travailleurs bilingues viendront généralement des groupes d’une autre langue. Il y aura une prime salariale pour ceux qui parlent la langue en demande excédentaire, mais pas de prime addition-nelle pour le fait d’être bilingue. Ce modèle est généralement cohérent avec les données du recensement canadien de 1971. Au Québec, il y avait des incitations économiques substantielles à apprendre le français ou l’an-glais pour les hommes qui ne parlaient aucune de ces deux langues et des primes importantes pour les francophones qui parlent l’anglais pour les francophones. Cependant, même [271] après avoir maîtrisé l’anglais, en gardant constants les autres facteurs, les francophones gagnaient des sa-laires moins élevés que les anglophones unilingues. Il n’y avait pas de prime salariale significative pour les natifs anglophones qui apprenaient le français. Hors Québec, toutes les autres choses étant égales, les hommes unilingues anglophones avaient des salaires significativement plus élevés que les hommes dont la langue maternelle n’était pas l’anglais ou le fran-çais, mais il n’y avait pas de différences significatives dans les taux de

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 335

salaires entre les unilingues anglophones et les bilingues anglophones ou les travailleurs francophones unilingues ou bilingues. » 206

Comment peut-on expliquer de tels changements, au cours du temps, dans les écarts entre le salaire moyen des hommes franco-phones et anglophones du point de vue du bilinguisme français-an-glais pour la région métropolitaine de Montréal ? (voir le tableau 13-6). Les deux sous-réseaux de Migué se seraient-ils fusionnés ou l’un d’eux aurait-il disparu ? La demande excédentaire pour des locuteurs de langue anglaise s’est-elle effondrée ?

13.4. Le rôle de Montréal dans l’économie canadienne

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À la fin de la deuxième guerre mondiale, Montréal demeurait la métropole économique du Canada. Comme on l’a noté au chapitre 2, l’expansion de Toronto dans les décennies qui suivirent fut de beau-coup supérieure à celle de Montréal. En 1951, la population de la ré-gion métropolitaine de Montréal dépassait celle de Toronto par plus d’un cinquième. Entre 1971 et 1976, ce fut l’égalité et en 2001, la po-pulation de Montréal atteignait moins des trois quarts de celle de sa rivale.

Entre 1955 et 1975, la métropole économique du Canada s’est dé-placée à Toronto. Ceci est très visible dans le secteur des services fi-nanciers. Par exemple, au cours de cette période, deux importantes banques canadiennes, la Banque Royale et la Banque de Montréal, ont déménagé à Toronto les fonctions de leur siège social, qui demeure toutefois formellement à Montréal. Deux banques francophones, Des-jardins et Banque Nationale, prirent la relève, mais avec un accent moins national et plus québécois. Le secteur perd donc de l’impor-tance mais se francise.

206 G. Carliner, “Wage Difference by Language Ground and the Market for Language Skills in Canada”, Journal of Human Resources, XVI, no. 3, 1981, p.384.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 336

[272]Le rôle de Montréal au niveau national s’est affaibli pour se tour-

ner davantage vers un rôle régional. C’est précisément cette conclu-sion que formulaient au début des années quatre-vingt Mario Polèse et Robert Stafford dans un examen de trois services reliés aux entre-prises (les conseillers en administration et en informatique et les agences de publicité). Leur résumé mérite d’être repris :

« Montréal est aujourd’hui d’abord un centre québécois, voire régio-nal, de services aux entreprises. Les exportations de services hors du Qué-bec et à plus forte raison hors du Canada, demeurent encore relativement modestes, du moins pour les secteurs examinés. La dimension du secteur des services aux entreprises à Montréal semble plutôt modeste par compa-raison à celle de Toronto, ce qui s’expliquerait alors en partie par la taille relativement restreinte de son marché « naturel », le Québec. Si ce secteur a néanmoins connu une croissance impressionnante à Montréal, il s’agit là d’une évolution normale, observée dans toutes les grandes villes du monde industrialisé, liée en bonne partie à la tertiarisation générale des fonctions de production. Malgré la position prééminente de Toronto au niveau cana-dien, il serait cependant faux de parler d’une satellisation générale de Montréal par rapport à Toronto. Pour la plupart des services aux entre-prises, il serait plus juste de parler d’un partage des marchés, car Montréal domine très nettement l’ensemble du territoire québécois. Elle joue en quelque sorte vis-à-vis du reste du Québec le même rôle que Toronto vis-à-vis du reste du Canada. Il reste toutefois à voir, étant donné les ten-dances récentes, si Montréal continuera à l’avenir à assumer ce rôle. 207 »

207 M. Polèse et R. Stafford, « Le rôle de Montréal comme centre de services : une analyse pour certains services aux entreprises », L’Actualité écono-mique, 60, n° 1, mars 1984, p. 39.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 337

Un autre indicateur d’un Québec moins tourné vers le reste du Ca-nada et davantage sur lui-même est fourni par l’étude de François et Luc Vaillancourt sur le pourcentage de l’emploi total au Québec « sous différents contrôles » pour certaines années entre 1961 et 2003. 208 Le point marquant du tableau 13-7 est la croissance continue, entre 1961 et 2003, de la proportion de l’emploi au Québec sous le contrôle francophone canadien. On observe une importante progres-sion de 20 unités de pourcentage : de 47,1% en 1961 à 67,1% en 2003. Elle s’est faite au détriment de l’emploi sous contrôle anglo-phone canadien, dont le pourcentage est passé de 39,3 en 1961 à 22,9 en 2003. Par ailleurs, en 2003, un emploi sur dix au Québec était sous contrôle non-canadien.

208 F. Vaillancourt et L. Vaillancourt, La propriété des employeurs au Québec en 2003 selon le groupe d’appartenance linguistique, Québec : Conseil su-périeur de la langue française, janvier 2005, 57 p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 338

[273]

TABLEAU 13-7

POURCENTAGE DE L’EMPLOI TOTAL AU QUÉBEC SOUS DIFFÉRENTS CONTRÔLES ET POURCENTAGE DE L’EMPLOI SOUS CONTRÔLE

FRANCOPHONE CANADIEN 1961, 1978, 1987 ET 2003

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Contrôle 1961 1978 1987 2003 Emploi en 2003

Non-canadien 13,6 13,9 7,8 10

Anglophone canadien 39,3 31,2 30,6 22,9

Francophone canadien 47,1 54,8 61,6 67,1

Agriculture 91,3 91,8 87,5 89,6 7 6070

Forêts N.D. 33,4 92,3 86,9 4 665

Mines 6,5 17 35 39,5 16 335

Fabrication 21,7 27,8 39,3 48,8 644 035

Construction 50,7 74,4 75,5 83,5 171 125

Transport + communications

36,4 42,2 44,9 54,7 253 375

Commerce 50,4 51 57,8 64 645 540

Institutions financières 25,8 44,8 58,2 60,3 179 250

Services 71,4 75 75,7 77,5 1 407 100

Adm. Publique 51,8 67,2 67 61,7 220 050

Total 100 100 100 100 3 643 380

Source : F. Vaillancourt et L. Vaillancourt, La propriété des employeurs au Qué-bec en 2003 selon le groupe d’appartenance linguistique, Québec : Conseil supé-rieur de la langue française, janvier 2005, p. 30 et 34-36.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 339

[274]

13.5. Un retour à Joy

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Dans la conclusion de son étude évoquée au début de ce chapitre, Richard J. Joy écrivait : « Le français continuera de s’affermir par rap-port à l’anglais au Québec (…) ». Il avait vu juste. Il est de plus en plus difficile de vivre au Québec sans une connaissance suffisante du français. En 2001, 94,6% de la population du Québec pouvait s’expri-mer en français contre un faible 4,6% qui ne maîtrisait que l’anglais. Si on désire demeurer au Québec, l’avantage de connaître la langue française est indéniable.

Mais il y a un point moins réjouissant : comme la langue anglaise est la langue internationale qui facilite la communication entre les dif-férents groupes linguistiques du monde, le problème du Québec est moins la vitalité de la langue française que la faible connaissance de l’anglais par les francophones. 209 En 2001, 53,8% de la population du Québec ne parlait que le français. Les unilingues francophones repré-sentaient plus des deux tiers de la région de Québec et plus des quatre cinquièmes de celle du Saguenay.

13.6. La francisation du Québec et les événements politiques

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Depuis quarante ans, le Québec a connu différents événements po-litiques qui ont eu un impact sur l’utilisation relative du français. Par-mi eux, on peut mentionner les manifestations de la fin des années soixante, les événements d’octobre 1970, l’élection d’un parti sépara-tiste en novembre 1976 et la Loi 101 ou la Charte de la langue fran-çaise en 1977.

209 Pour un texte qui conserve un intérêt, voir A. Breton, Le bilinguisme : une approche économique, Montréal : Institut C.D. Howe, 1978, 15p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 340

L’un des maîtres d’œuvre de cette charte, le sociologue Guy Ro-cher, a récemment écrit :

« La charte de la langue française compte parmi les interventions poli-tiques les plus marquantes du XXè siècle au Québec. Les effets et les suites de cette loi se font sentir dans bien des directions. On peut en effet nettement distinguer entre le Québec d’avant 1977 et celui d’après. 210 »

Il est vrai que la Loi 101 eut un impact, comme le prouve la sortie de 131 500 anglophones entre 1976 et 1981, pour une perte nette de 106 300. Toutefois, cette loi est venue se greffer sur une [275] ten-dance bien antérieure vers la francisation du Québec, qu’avaient bien documentée les travaux de Joy. 211 Elle a provoqué une accélération du processus et a donc ainsi, tout probablement, accru les coûts d’ajuste-ment pour l’économie.

On surestime donc facilement les effets de la loi 101 si l’on ne les situe pas dans la dynamique d’une plus grande francisation du Qué-bec, qui existait déjà avant son adoption. L’apprentissage du français et la fréquentation des établissements d’enseignement francophones devenaient en effet de plus en plus rentables pour ceux qui voulaient conserver l’option de demeurer au Québec. C’est d’ailleurs une faute assez généralisée que d’évaluer une réglementation en ignorant les tendances existantes au moment de la mise en opération de la nouvelle réglementation. 212 Il en est de même pour l’Agence d’efficacité éner-gétique, qui évalue son action sans tenir compte de la tendance passée à économiser l’énergie, surtout en période de hausse des prix.

210 G. Rocher, “Introduction” dans A. Stefanescu et P. Georgeault (s.l.d.), Le français au Québec : les nouveaux défis, Montréal : Éditions Fides, 2005, p. 13.

211 Voir aussi le tableau 2-4 du chapitre 2.212 Pour une discussion générale de ce point, voir : S. Peltzman, Regulation

and the Natural Progress of Opulence, Washington, D.C. : AEI – Brookings Joint Center for Regulatory Studies, 2005, 23 p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 341

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[276]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 342

[277]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 14Capital social, participation civique

et économie sociale

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Le réseau des liens sociaux d’une personne ou d’un groupe peut lui procurer une série d’avantages ou de ressources. Il s’apparente à une forme de capital qui dégage un flux de bénéfices et il est qualifié de capital social. Par exemple, il aide l’individu à traverser différentes étapes de la vie, comme l’arrivée dans un nouveau pays, des périodes difficiles : maladies, séparations et prise de la retraite. Ce n’est pas parce que ces avantages ne sont pas traduits en dollars qu’ils ne sont pas réels. Toutefois, il est aussi utile de noter que les réseaux peuvent également devenir une source d’oppression ou de contrôle. Ajoutons que le capital social peut être simplement perçu comme une forme de capital humain.

Le sujet du capital social est vaste. Nous avons divisé ce chapitre en trois parties : quelques indicateurs d’un retard relatif du capital so-cial au Québec, une réflexion sur l’économie sociale et, pour terminer, une interrogation sur la coopérative comme une institution à privilé-gier.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 343

14.1. Quelques indicateurs comparatifs du capital social

a) Les dons

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Les Québécois sont-ils généreux ? Comment se comparent-ils aux autres citoyens en Amérique du Nord ? Les statistiques compilées à partir des déclarations fiscales des particuliers montrent [278] le peu de générosité des Québécois relativement aux citoyens des autres pro-vinces canadiennes et encore davantage par rapport aux différents états américains.

Si l’on se limite aux dix provinces canadiennes, la performance québécoise en matière de dons se situait ainsi en 2003 : neuvième quant au pourcentage des déclarations de revenus faisant état de contributions charitables; dixième en ce qui a trait au pourcentage du revenu donné; et encore dernier relativement au don moyen (tableau 14-1). Selon un indice de générosité calculé pour les différentes pro-vinces et les états américains, le Québec se classait en 2003 au 58 ième

rang sur 61, devançant les Dakota du Nord et du Sud et la Virginie de l’Ouest. 213 Les citoyens québécois n’ont donc pas à pavoiser à propos de leur altruisme.

213 S. LeRoy et M. Palacios, « Charitable Giving in Canada and the US : The 2005 Generosity Index », Fraser Forum, déc. 2005 – janv. 2006, p. 26.

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TABLEAU 14-1

DONS DE CHARITÉ DANS LES DÉCLARATIONS FISCALESDES PARTICULIERS, PAR PROVINCE

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Province% des déclarations

avec dons de charité% du revenu donné Don moyen

% Rang % Rang $ Rang

Colombie-Britannique 23,1 7 0,75 5 1,303 4

Alberta 25,0 5 0,78 4 1,468 1

Saskatchewan 26,7 3 0,83 3 1,098 5

Manitoba 28,3 1 0,99 1 1,308 3

Ontario 27,0 2 0,87 2 1,437 2

Québec 22,5 9 0,33 10 532 10

Nouveau-Brunswick 22,9 8 0,69 7 1,017 6

Nouvelle-Écosse 23,4 6 0,59 8 921 7

Île-du-Prince-Édouard 25,9 4 0,72 6 901 8

Terre-Neuve et Labrador 21,1 10 0,50 9 754 9

Source : S. LeRoy et M. Palacios, « Charitable Giving in Canada and the US : The 2005 Generosity Index », Fraser Forum, déc. 2005- janvier 2006, p. 22

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 345

[279]

TABLEAU 14-2

TAUX DE PARTICIPATION CIVIQUE SELON LA PROVINCEET LA LANGUE QUÉBEC, ONTARIO ET SASKATCHEWAN, 1997

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Spor

ts R

écré

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Civ

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Taux

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ion

QUÉBEC

Anglais 17,1 16,9 6,7 13,0 9,3 9,7 48,6

Français 11,5 4,4 5,7 5,5 12,3 4,1 31,7

Total 12,0 5,6 5,8 6,2 12,0 4,7 33,3

ONTARIO

Anglais 19,7 15,0 9,6 10,3 6,8 3,1 43,3

Français 20,8 16,3 6,3 7,0 11,6 1,6 46,9

Total 19,8 15,0 9,5 10,3 6,9 3,1 43,4

SASKATCHEWAN

Total 25,3 21,8 14,4 11,8 9,9 6,9 54,4

Source : G. Caldwell et P. Reed, « Civic Participation in Canada : Is Quebec Dif-ferent ? », Inroads, n° 8, 1999, p. 218.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 346

b) La participation civique

Dans un court mais intéressant texte, Gary Caldwell et Paul Reed posent la question suivante : « …la participation civique au Canada : le Québec est-il différent ? 214 » Se basant sur les réponses à une en-quête de novembre 1997 sur la participation (au moins une fois au cours des douze derniers mois) à différentes activités, les auteurs notent :

« L’un des aspects les plus frappants de l’enquête est le taux élevé sur toutes les trois dimensions – don, service volontaire et participation – en Saskatchewan, qui obtient le niveau agrégé le plus élevé des provinces, et les taux nettement plus bas au Québec, qui détient le rang le plus bas. 215 »

Le Québec et surtout sa communauté francophone ont des taux de participation inférieurs à ceux de l’Ontario et affichent [280] une dif-férence encore plus marquée par rapport à la Saskatchewan (tableau 14-2) La seule exception sur les six activités concerne la participation des francophones aux associations fraternelles que sont les Lions, Ki-wanis, Richelieu et Chevaliers de Colomb.

Caldwell et Reed concluent ainsi leur texte :« La participation civique est une forme de colle sociale. Son déclin au

Québec signifie que la société de cette province affronte, peut-être plus qu’ailleurs, des défis à long terme de cohésion sociale. 216 »

La faiblesse des dons et de la participation civique des Québécois, particulièrement francophones, trouve en partie son explication dans

214 G. Caldwell et P. Reed, « Civic Participation in Canada : Is Québec Dif-ferent ?”, Inroads, n° 8, 1999, pp. 216-222.

215 Ibid., p. 216. En 2004, « Le taux de bénévolat dans les arts et la culture, par habitant au Canada, est de 2,8% et au Québec de 2,2%. Seul le Nouveau-Brunswick affiche un résultat moins élevé avec 2%. » M. Cloutier, « Orga-nismes artistiques. Le Québec attire peu de bénévoles par rapport au ROC », La Presse, 18 janvier 2007, p. AS 5.

216 Ibid., p. 222.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 347

l’encadrement de cette société par les institutions religieuses dans un passé pas si lointain, puis ensuite par le gouvernement. L’activité vo-lontaire a eu moins d’espace pour se développer, les citoyens s’en re-mettant davantage aux institutions centrales et moins à une créativité privée ou personnelle.

c) Le mariage, une institution minoritaire

En Occident, le mariage est en train de devenir une institution choisie par une minorité de personnes. C’est du moins ce qu’annonce l’indice synthétique de nuptialité des célibataires; il s’agit de la pro-portion d’hommes ou de femmes qui se marieraient avant leur cin-quantième anniversaire, selon les conditions de nuptialité d’une année donnée. Le tableau 14-3 montre un indice beaucoup plus faible au Québec qu’en Ontario ou dans les autres pays, y compris la France et la Suède. Apparemment, un quart à un tiers des Québécois recourent à l’institution du mariage. Il faut cependant être prudent dans l’interpré-tation de cet indice : il traduit le comportement d’une seule année et il est possible que le comportement des personnes concernées, qui s’étale sur quelques décennies, soit un peu différent.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 348

[281]

TABLEAU 14-3

INDICE SYNTHÉTIQUE DE NUPTIALITÉ DES CÉLIBATAIRESSELON LE SEXE, DANS QUELQUES ÉTATS

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État AnnéeIndice synthétique de nuptialité

Hommes Femmes

Québec 2004 0,279 0,304

Ontario 2002 0,531 0,559

Canada 2002 0,483 0,511

Angleterre-Galles 2001 0,473 0,503

Norvège 2002 0,437 0,470

France 2002 0,564 0,588

Suède 2002 0,460 0,495

Belgique 2002 0,428 0,456

Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec, Bilan 2005, Qué-bec : Institut de la statistique du Québec, 2005, p. 99.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 349

TABLEAU 14-4

INDICE SYNTHÉTIQUE DE DIVORTIALITÉDANS QUELQUES ÉTATS

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État Année Indice pour 100 mariages

Québec 2003 53,5

Canada1 2003 38,3

Ontario1 2003 37,0

Suède 2002 55,1

Angleterre-Galles 2000 43,5

France 2003 42,5

Finlande 2002 50,1

Durée 0-30 ans. Pour cette durée l’indice est de 49,7% au Québec en 2003.Source : L. Duchesne, Op. Cit., p. 102.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 350

[282]

TABLEAU 14-5

NOMBRE DES INTERRUPTIONS VOLONTAIRES DE GROSSESSESPOUR 100 NAISSANCES VIVANTES, QUELQUES ÉTATS

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État Année Rapport pour 100 naissances

Québec 2004 39,7

Québec 2003 39,8

Ontario 2002 29,7

Canada 2002 32,1

Danemark 2001 23,4

France 1997 30,3

Italie 2002 23,4

Pays-Bas 1997 11,6

Suède 2003 34,7

Allemagne 2002 18,1

États-Unis 2002 32,1

Japon 2001 29,2

Source : L. Duchesne, Op. Cit., p. 89.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 351

FIGURE 14-1

PROPORTION DES NAISSANCES HORS MARIAGE,DE PÈRE NON DÉCLARÉ ET DE MÈRE SEULE,

QUÉBEC 1951-2004

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Source : L. Duchesne, Op. Cit., p. 32.

[283]Malgré cette faible nuptialité, les Québécois divorcent davantage.

L’indice synthétique de divortialité mesure la proportion des mariages qui se termineraient par un divorce, selon les conditions de divortialité d’une année donnée. En 2003, l’indice dépassait 50% et était ainsi beaucoup plus élevé que dans le reste du Canada (tableau 14-4). La Suède le dépassait légèrement (55,1 contre 53,5% au Québec).

À titre de complément d’information, la figure 14-1 donne la pro-portion des naissances hors mariage depuis 1951. Entre 2001 et 2004, la proportion est stable à 59%, comparativement à un taux de 3% au cours des années cinquante et de 20% en 1983. On notera que le Qué-bec a un taux des interruptions volontaires de grossesse relativement

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 352

élevé : il se situe au premier rang parmi les pays développés retenus au tableau 14-5. 217

Partout en Occident, le mariage est une institution en déclin. C’est un contrat à long terme qui a moins sa raison d’être avec la réduction du nombre d’enfants et l’évolution plus égalitaire des conjoints sur le marché du travail. Toutefois, le déclin du mariage a été plus rapide au Québec.

Il faut retenir que les trois indicateurs du capital social utilisés, soit l’importance des dons, le degré de participation civique et la perte de popularité de l’institution du mariage, témoignent d’une pauvreté rela-tive de cette forme de capital au Québec et probablement aussi d’une certaine perte de cohésion sociale.

14.2. Réflexions sur l’économie sociale

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On l’aura remarqué : depuis plus d’une décennie, on fait souvent référence à l’importance de l’économie sociale dans l’économie qué-bécoise. Il m’apparaît approprié de reprendre ici quelques idées émises il y a déjà quelques années. 218

217 L’indice synthétique des interruptions volontaires de grossesse est la somme des taux d’interruption par âge pour une année donnée. En 1976, ce taux était de 128,4 pour mille. Cela signifie qu’avec les taux par âge de 1976, une génération de mille femmes subirait 128 avortements. En 2004, l’indice était 4,6 fois plus élevé, pour s’établir à 594,7 pour mille, malgré la disponibilité en pharmacie, récente il est vrai, sans ordonnance médicale, de la pilule « du lendemain ». Pour plusieurs femmes, l’interruption volontaire de grossesse devient une méthode de contraception.

218 G. Bélanger, « Réflexions d’un économiste sur l’économie sociale » dans S. Lévesque (s.l.d.), L’après déficit zéro : Des choix de société, Montréal : ASDEQ, 1998, p. 69-78.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 353

a) L’économie sociale n’est pas un nouveau phénomène

Dans l’analyse des phénomènes sociaux, la roue est souvent réin-ventée. Le présent reçoit toute l’attention et l’on refuse de regarder le phénomène dans une perspective historique. Dans le [284] présent discours sur l’économie sociale, plusieurs limitent leur référence his-torique à la marche des femmes de juin 1995 : Du pain et des roses. Pourtant, je suis né, bien avant 1995, à une période où l’économie sociale était fort développée, en grande partie sous l’influence de la religion.

Qu’inclut l’économie sociale ? Le titre bilingue d’un livre sur ce sujet peut servir à en délimiter les contours : Économie sociale. Entre économie capitaliste et économie publique; The Third Sector. Coope-rative, Mutual and Nonprofit Organizations. 219

Dans la distinction économie privée – économie publique, on asso-cie l’économie sociale aux organisations privées. Englobant beaucoup d’organisations privées qui ne sont pas « capitalistes », l’économie sociale comprend des coopératives de différentes formes, des institu-tions sans but lucratif, des organismes communautaires et aussi la fa-mille. 220 Dans la comptabilité nationale, l’économie sociale fait partie du secteur des particuliers et des entreprises individuelles.

b) La documentation sur l’économie sociale

En France comme au Québec, les travaux académiques sur l’éco-nomie sociale proviennent principalement de sociologues écono-miques qui se font les promoteurs de ces types d’organisation. Dans ma recherche documentaire, deux points m’ont frappé : la conversion

219 J. Defourny et al. (sous la direction de), Économie sociale, Entre économie capitaliste et économie publique. The Third Sector  : Cooperative, Mutual and Nonprofit Organizations, Bruxelles : De Boeck-Wesmael, 1992, 459 p.

220 L’économie sociale n’englobe pas toutes les organisations privées qui ne sont pas la propriété du capital. Les bureaux des professionnels comme les avocats en sont sûrement exclus, comme les coopératives de quincailleries et les pharmacies.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 354

de beaucoup d’intellectuels du marxisme au communautaire et le re-tard des économistes à étudier l’économie sociale.

La conversion intellectuelle. Chez beaucoup de propagandistes de l’économie sociale, il y eut une conversion du marxisme au commu-nautaire. À première vue, ce changement surprend. Le marxisme s’est incarné dans la centralisation par un État omniprésent et des plans dé-taillés. On visait une société normée. À l’opposé, l’économie sociale fait partie de l’économie décentralisée, ouverte à l’initiative et à la création. La flexibilité y est privilégiée plutôt que la peur des innova-tions.

Toutefois, cette conversion de nos nouveaux propagandistes ne touche pas à leur opposition à l’organisation capitaliste, où la proprié-té de l’entreprise relève des détenteurs du capital. L’ennemi n’est pas la décentralisation, mais une forme répandue de celle-ci, l’entreprise capitaliste.

[285]Le retard des économistes à étudier l’économie sociale. La superfi-

cialité caractérise une forte majorité des écrits en économie sociale. L’analyse y est rudimentaire. Toutefois, un reproche majeur doit être adressé aux économistes : ils s’intéressent peu aux composantes de l’économie sociale. Pourtant, dans la pléthore des écrits économiques américains, des références pertinentes existent. À titre d’illustrations, on peut mentionner les travaux de Becker sur la famille, de Weisbrod et de Rose-Ackerman sur l’institution sans but lucratif, de North sur les institutions en général, d’Olson sur la théorie des groupes et de l’action collective, et de Hansmann sur les mutuelles d’assurance et la propriété de l’entreprise. 221

221 G.S. Becker, A Treatise on the Family, Cambridge MA : Harvard Universi-ty Press, 1991, 424 p. ; B.A. Weisbrod, The Non-profit Economy, Cam-bridge MA : Harvard University Press, 1988, 251 p.; E. James et S. Rose-Ackerman, The Non-profit Enterprise In Market Economics, New York : Harwood Academic Publishers, 1986, 102 p. ; L.J. Alston, T. Eggertsson et D.C. North (s.l.d.), Empirical Studies In Institutional Change, Cambridge U.K. : Cambridge University Press, 1996, 360 p. ; M. Olson, The Logic of Collective Action : Public Goods and The Theory of Groups, Cambridge MA : Harvard University Press, 1971, 186 p. et H. Hansmann, The Owner-ship of Enterprises, Cambridge MA : Harvard University Press, 1996, 372 p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 355

Cependant, dans beaucoup de domaines, les économistes laissent presque toute la place aux autres disciplines et se limitent aux ques-tions traditionnelles. Par exemple, nos collègues des finances se sont davantage lancés sur le beau sujet de la gouverne de l’entreprise et l’on peut noter un certain refus d’analyser la variété des institutions et leurs différentes caractéristiques.

14.3. Les caractéristiques des différentes formes d’organisation privées

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L’organisation parfaite n’existe pas. Il y a une concurrence entre différentes formes d’organisations ou d’institutions, chacune ayant ses caractéristiques. Je ne connais pas d’alumineries qui ont adopté la for-mule coopérative ou le statut d’un établissement sans but lucratif. Bien entendu, la grande firme capitaliste a ses problèmes, dont ceux reliés à la gouverne de l’entreprise. Comment concilier les intérêts des actionnaires avec ceux des gestionnaires ? Malgré ces difficultés, l’en-treprise capitaliste est très répandue, principalement à cause de l’ho-mogénéité des intérêts de ses propriétaires.

Pour les services personnels, ce ne sont pas les entreprises capita-listes ou coopératives qui dominaient, mais d’autres formes d’organi-sation : les organisations religieuses, les entreprises sans but lucratif et bien sûr la famille. Avant la nationalisation des secteurs de l’éduca-tion, de la santé et des services sociaux, les [286] institutions reli-gieuses et sans but lucratif étaient fort importantes. Elles inspiraient davantage la confiance aux usagers que les autres formes d’organisa-tion.

Veut-on un exemple d’institution heureuse qui s’inscrit dans l’éco-nomie sociale ? Le mouvement des « Alcooliques anonymes » se pré-sente comme une organisation particulièrement efficace. La solidarité des personnes affrontant une même difficulté produit un service qui n’a pas son équivalent dans les autres formes d’organisation.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 356

a) L’évolution des caractéristiques des organismes

Les avantages comparatifs des différentes formes d’organisation évoluent dans le temps. Ainsi, au début des assurances-vie, la forme mutuelle d’organisation (où la firme appartient aux détenteurs de po-lices) impliquait pour le consommateur une sorte de protection à long terme de son épargne, face aux possibilités des « fly by night » de pro-priétaires d’établissements à but lucratif. La venue de la réglementa-tion gouvernementale dans le secteur des assurances a réduit l’avan-tage de la confiance que donnait la mutuelle par rapport à ses concur-rentes.

Au cours des dernières années, dans le secteur de la santé aux États-Unis, il y eut une croissance des institutions à but lucratif par rapport aux institutions sans but lucratif, en bonne partie à cause de l’achat de ces dernières. Si le statut d’hôpital sans but lucratif inspire confiance aux utilisateurs et les assure partiellement contre une ex-ploitation, ce trust  a moins sa raison d’être dans un univers où c’est l’assureur qui gère les épisodes de soins. Ce dernier est plus en me-sure de contrôler la quantité et la qualité que le simple usager, mal-heureusement ignorant de l’à-propos des actes.

Au Québec, le virage ambulatoire et la « désinstitutionnalisation » des handicapés mentaux ont aussi entraîné un changement institution-nel. L’entreprise publique qu’est l’hôpital devient moins importante dans les services de convalescence, de sorte que sa responsabilité est reportée sur la famille ou d’autres institutions. Cela nous introduit au prochain thème : l’État dans la concurrence institutionnelle.

[287]

b) L’État et la concurrence institutionnelle

L’État joue un rôle important dans la concurrence institutionnelle au moins de deux façons. D’un côté, il peut convertir en entreprise publique ce qui était une organisation privée. L’établissement où je travaille peut servir d’exemple. Dans les années cinquante, l’Universi-té Laval était une entreprise privée sans but lucratif, parce que le fi-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 357

nancement et les contrôles gouvernementaux y étaient de faible im-portance. Depuis quelques décennies, ce n’est plus le cas. Statistique Canada fut vraiment en retard dans la prise en compte de ce change-ment, puisque ce n’est que durant les années quatre-vingt-dix que les universités furent incluses dans l’univers des administrations pu-bliques au lieu de faire partie du secteur des particuliers et des entre-prises individuelles. Les subventions aux universités étaient aupara-vant considérées comme des paiements de transfert à ce secteur.

D’un autre côté, l’État fixe et modifie les règles du jeu que doivent respecter les différentes formes privées d’organisation. Par exemple, le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec est une pure création gouvernementale qui reçoit une subvention de 40 ou 30% selon la pé-riode. Avec une telle subvention, plusieurs institutions inefficaces réussiraient à prospérer.

La fiscalité défavorise l’établissement à but lucratif par rapport à son concurrent à but non lucratif. L’impôt sur le revenu des sociétés taxe le rendement normal sur l’avoir des actionnaires. Parallèlement, le mouvement Desjardins fut par le passé favorisé par le fisc relative-ment à ses concurrents, les banques. Les caisses étaient auparavant exemptées de la taxe sur le capital. Leur avantage fiscal est minime aujourd’hui, surtout si on ignore le crédit d’impôt disponible au contribuable pour l’acquisition d’actions de Capital régional et co-opératif Desjardins.

Il est difficile de minimiser le rôle de l’État dans la concurrence entre institutions.

Ainsi, le gouvernement du Québec privilégie le développement des entreprises de l’économie sociale, des coopératives et des organismes sans but lucratif. Avec deux programmes mis en place en 1997, il montre qu’il ne fait pas confiance aux mécanismes de la concurrence. Il choisit d’imposer un mode [288] d’organisation particulier en limi-tant des subventions aux seuls clients d’entreprises d’économie so-ciale.

En effet, les garderies à but lucratif devaient se transformer en une autre forme d’organisation, coopérative et institution à but non lucratif pour avoir un permis de centre de la petite enfance et recevoir une aide maximale de l’État. Par ailleurs, tout résident du Québec peut bénéficier au minimum d’une exonération de 4,00 $ l’heure pour des

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 358

services d’aide domestique, mais seulement s’il fait affaire avec les entreprises d’économie sociale reconnues par une agence régionale de la santé et des services sociaux.

La P.M.E. à but lucratif est ainsi discriminée de deux secteurs. L’État empêche la concurrence dans les formes d’organisation et, pour l’aide domestique, il crée un monopole territorial. Du point de vue des entreprises de l’économie sociale, la concurrence n’est bonne que pour les autres.

c) Le socialisme de marché ou peut-on décentraliser la centralisation ?

Les organisations de l’économie sociale font partie de l’économie privée et décentralisée. Comme plusieurs d’entre elles offrent des ser-vices à des clientèles défavorisées, un problème de financement se pose. Toutefois, la décentralisation se présente comme un tout : un financement centralisé est incompatible avec un système ouvert à cause de l’établissement progressif de normes. L’expression suivante résume bien la situation : He who pays the piper calls the tune (Celui qui paie a bien le droit de choisir). Dans un texte sur l’économie so-ciale, Ruth Rose a bien perçu ce problème en formulant les interroga-tions suivantes :

« Bref, une fois que l’État accepte la responsabilité de financer un ré-seau, une fois que l’on obtient la reconnaissance de salaires conformes aux qualifications et aux tâches accomplies, peut-on garder son indépen-dance ? Ne devient-on pas de facto, sinon de jure, partie intégrante du secteur parapublic ? 222 »

Des propagandistes de l’économie sociale ont d’ailleurs une conception surprenante des processus démocratiques. Ils veulent de l’État beaucoup de fonds, mais cela sans lui rendre des comptes, puis-qu’ils sont des dirigeants d’organismes démocratiques [289] « répon-dant » seulement à leurs propres membres. Pour montrer que je ne caricature pas la situation, voici un extrait d’un appel de ces propa-gandistes :

222 R. Rose, « Panacée au chômage ou stratégie de lutte ? », Relations, nov. 1997, p. 268.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 359

« Au nom du principe de l’équité, les entreprises et organisations d’économie sociale doivent obtenir une aide financière comparable à celle octroyée aux entreprises capitalistes. De plus, au nom de l’intérêt général et collectif des projets qu’elles portent, elles sont autorisées à demander davantage à l’État, sans avoir à sacrifier leur autonomie d’action. Com-ment justifier de telles demandes ? D’une part, les règles de fonctionne-ment de ces entreprises offrent certaines garanties car elles stipulent claire-ment que les sommes octroyées ne peuvent être accaparées par quelques individus et que la collectivité doit bénéficier de retombées. D’autre part, ces entreprises remplissent souvent des missions relevant de l’intérêt col-lectif et contribuent à l’intérêt général. Par ailleurs, elles peuvent difficile-ment être assujetties à des programmes gouvernementaux rigides parce qu’elles participent d’une dynamique sociale complexe et généralement enracinée dans le local. 223 »

d) La syndicalisation ou le diable qui veut se faire moine

Outre le financement gouvernemental, une autre force favorise la centralisation ou la nationalisation de l’économie sociale. C’est la syn-dicalisation. Avec le but bien légitime d’accroître et de protéger leurs membres, les centrales syndicales affichent une attitude contradictoire vis-à-vis l’économie sociale. Leurs paroles sont généreuses, mais les actes ne suivent pas, parce que plusieurs de ces entreprises d’écono-mie sociale sont en concurrence avec les travailleurs syndiqués et di-minuent ainsi le pouvoir de négociation de ces dernières.

Les syndicats viseront donc à intégrer dans leurs rangs les em-ployés de l’économie sociale et à normaliser ou bureaucratiser davan-tage ces organisations. Le syndicalisme est à la fois le produit et la cause de la centralisation et de la normalisation. À long terme, il ne peut être l’allié de l’économie sociale, mais il préférera plutôt l’entre-prise publique.

Si l’on veut bien admettre un peu de méchanceté, il est permis de qualifier le tout de comportement du diable qui veut se faire moine.

[290]

223 M. Arteau et al., « L’inspiration au service de la collectivité », Le Devoir, 21 avril 1998, p. A7.

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14.4. La coopérative, une institution à privilégier ?

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La coopérative est une forme d’organisation qui reçoit l’approba-tion de l’élite québécoise. Il est donc utile d’en faire ressortir les prin-cipales caractéristiques.

Il existe presque toujours différentes façons d’atteindre un objectif. Par exemple, pour un déplacement de mon domicile de Québec à Montréal, je peux choisir plus d’un mode de transport : l’automobile, le train, l’autobus, l’avion. Si je décide d’utiliser l’automobile, plu-sieurs trajets sont possibles : les autoroutes 20 et 40 ou les voies pano-ramiques longeant le fleuve. Chaque option a ses propres caractéris-tiques reliées à la vitesse, à la flexibilité du moment de départ et du lieu d’arrivée, au confort et au paysage. Le meilleur choix dépend de ce que l’on désire. Est-ce un voyage d’affaires ou d’agrément ? S’il est vrai que j’ai parcouru tous ces trajets dans le passé, il y en a que j’utilise beaucoup plus souvent que d’autres.

Si les choix sont nombreux en matière de transport, ils le sont bien davantage pour les différentes formes d’organisation de la produc-tion : ménage, famille, entreprise à propriété individuelle, association de producteurs, établissement sans but lucratif, coopérative, entreprise publique, entreprise capitaliste réglementée, entreprise capitaliste avec actionnariat diffus ou concentré. Cette énumération n’est pas exhaus-tive, mais montre bien que les alternatives sont nombreuses et bien présentes dans le monde réel. On doit donc admettre que de multiples formes d’organisation sont en concurrence pour produire ce que désire la population.

Dans cette concurrence entre les différentes formes d’organisation, les coopératives réussissent à se tailler une place importante dans très peu de secteurs. Au Québec, elles ont un rôle majeur dans deux sec-teurs : comme intermédiaires financiers et dans l’agriculture (Coopé-rative fédérée du Québec, Agropur, Exceldor). Bien sûr, elles se re-trouvent aussi dans d’autres domaines comme l’habitation, la forêt, le taxi et la garderie.

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Pourquoi n’y a-t-il pas d’aluminerie coopérative alors que le mou-vement Desjardins totalise des actifs de plusieurs dizaines de [291] milliards ? Pourquoi cette forme d’organisation est-elle peu adaptée à la grande industrie de fabrication, mais s’est implantée dans le secteur financier par le truchement des coopératives d’épargne et des mu-tuelles d’assurance ? La réponse à ces questions nous est fournie par les caractéristiques de la coopération.

Comme, dans une coopérative, le client a le rôle supplémentaire de fournir le capital, ce client y voit son intérêt seulement si ses échanges sont fréquents avec l’organisme. Une certaine permanence dans les relations s’impose. Cette relation entre client et fournisseur de capital limite considérablement l’aptitude de cette forme d’organisation co-opérative à lever du capital propre. 224 Elle est considérablement handi-capée dans les secteurs qui exigent des investissements spécifiques importants, tel celui de l’aluminium. Qu’arriverait-il en effet à l’entre-prise coopérative, si une partie des sociétaires demandaient le rem-boursement de leur part ou mise de fonds ? Dans le cas d’une corpora-tion, l’actionnaire vend ses actions sans modifier l’équité de l’entre-prise. Cette dernière forme d’organisation facilite ainsi la levée du capital propre.

Autre limite : le sociétaire d’une coopérative a un droit de proprié-té restreint : il se limite exclusivement au capital social versé, sans lui donner accès directement à sa part des profits non distribués. De son côté, l’actionnaire d’une corporation y a droit, puisque cette partie de l’avoir se reflète dans le prix que l’action commande sur le marché. Une partie relativement importante de l’avoir de la coopérative n’ap-partient, dans les faits, à personne, avec tous les dangers que cela im-plique.

En contrepartie des difficultés à accroître son capital propre, la forme d’organisation coopérative aurait l’avantage des décisions dé-mocratiques, où chaque sociétaire a un vote à l’assemblée générale sans regard au capital souscrit. Il ne faut toutefois pas tomber dans l’angélisme par rapport aux processus « participatifs » ou démocra-tiques. Les coûts d’information et de participation expliquent en effet le phénomène assez généralisé de la majorité silencieuse. Pour chaque 224 Pour améliorer la capitalisation des caisses populaires Desjardins, les

membres ont le choix d’encaisser leurs ristournes ou, maintenant, de les investir sous forme de parts de la caisse avec un bonus immédiat de 30%.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 362

membre de cette majorité, la participation est trop coûteuse pour le bénéfice qu’il peut personnellement en retirer. Ce n’est toutefois pas le cas des individus fortement concernés par une mesure particulière: pour cette minorité agissante, les bénéfices attendus de [29] la partici-pation aux processus dépassent les coûts. Les permanents des caisses populaires forment facilement une telle minorité.

Si les coopératives n’apparaissent pas comme une forme d’organi-sation jouissant d’avantages significatifs, pourquoi existent-elles ? Bien que leur importance relative dans l’économie soit faible et qu’elles-mêmes ne transforment pas en coopératives les sociétés qu’elles acquièrent, la présence de cette forme d’organisation appelle une explication. Elle se présente comme une institution apte à ré-pondre à des imperfections réelles ou appréhendées du marché. De nombreuses coopératives, telles les coopératives d’agriculteurs, ont trouvé leur origine dans un regroupement de membres en vue d’af-fronter les forces monopolistiques locales. Il est intéressant de noter que certaines coopératives de producteurs en viennent aujourd’hui à constituer des forces monopolistiques. C’est le cas dans ma ville pour le taxi et peut-être pour certains produits, tel le lait.

D’une manière analogue aux choix multiples de modes de trans-port et de trajets, les formes d’organisation sont, elles aussi, nom-breuses et variées. Chaque forme a des caractéristiques qui lui four-nissent la possibilité de jouir de quelques avantages particuliers en certaines circonstances. Ce n’est pas à une autorité centrale ou à un plan de définir leurs places respectives dans la société. Elles seront plutôt l’issue d’une concurrence entre les différentes formes d’organi-sation. Ce résultat n’est d’ailleurs pas figé, mais change avec l’évolu-tion de la technologie et de l’environnement. 225

Une conclusion s’impose : le traitement optimal que doit recevoir la forme coopérative d’organisation est la neutralité. Il faut se méfier de toute forme de privilège conféré à une forme particulière d’organi-sation. Ce principe est-il populaire au Québec ?

[293]

225 Un exemple du phénomène est la présente vague de privatisation de socié-tés publiques.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 363

NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[294]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 364

[295]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 15Vers un vieillissement rapide

de la population

La présente situation démographique du Québec est le résultat :1. d'une faible fécondité;2. d'un allongement de l'espérance de vie;3. de mouvements migratoires peu favorables.

15.1. Une faible fécondité

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L'indice synthétique de fécondité est le nombre d'enfants mis au monde au cours de la vie de chaque femme, selon les conditions de fécondité d'une année donnée, ou encore la somme des taux de fécon-dité par âge (de 13 à 49 ans). La figure 15-1 montre la baisse impor-tante de la fécondité entre 1963 et 1966, année qui mettait fin à la pé-riode du baby boom de l'après-guerre. Depuis 1970, la fécondité au Québec est inférieure au taux qui permet le renouvellement de la po-pulation. Au cours des trente dernières années, le nombre d'enfants par femme s'est situé entre 1,4 et 1,7; le seuil du renouvellement de la po-pulation est de 2,1 enfants.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 365

15.2. Un allongement de l'espérance de vie

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L'espérance de vie à la naissance est la durée de vie moyenne, cal-culée à la naissance, selon les conditions de mortalité d'une année donnée. La figure 15-2 montre la croissance de l'espérance de vie à la naissance au cours de la dernière moitié du XXe siècle. L'espérance de vie des hommes était de 64,4 ans en 1950-1953 et de 77,6 en 2003-2005. Pour la même période, l'espérance de vie des femmes est passée de 68,6 à 82,7 ans. Il faut toutefois noter que l'accroissement de l'espé-rance de vie à 65 ans fut moins important.

[297]

15.3. Mouvements migratoires peu favorables

Au cours du dernier siècle et demi, le Québec a eu de la difficulté à garder sa population. Deux références servent d'illustration. Dans son étude sur l'émigration des Québécois aux États-Unis, Yolande Lavoie conclut :

"Les ravages de l'émigration sur la population autochtone du Québec ont été particulièrement importants au XIXe siècle, mais on ne peut négli-ger leur ampleur au début du XXe siècle. Au total, de 1840 à 1930, près d'un million de Québécois auraient quitté leur sol natal pour s'établir aux États-Unis. Le mouvement de rapatriement et l'immigration au Canada des descendants des émigrés nous auraient rendu plus de 100 000 des nôtres, mais les pertes démographiques restent considérables pour le Québec, amputé qu'il est non seulement de ceux qui sont partis, mais aussi de leur descendance, qui se chiffre actuellement à environ deux à trois mil-lions". 226

226 Y. Lavoie, L'émigration des Québécois aux États-Unis de 1840 à 1930, Québec : Conseil de la langue française, 1981, p. 65.

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Dans une rétrospective de la démographie québécoise au vingtième siècle, Louis Duchesne estime un impact nul ou très légèrement néga-tif de la migration nette :

"On peut évaluer l'impact global des migrations en faisant des simula-tions d'évolution de la population. Il s'agit en fait de faire des « projec-tions » de population à partir de 1901 en utilisant la mortalité et la fécondi-té observées et de comparer les résultats obtenus en 1996 avec la popula-tion estimée cette année-là. Ainsi, en partant du 1,6 million de Québécois recensés en 1901, on obtient après 95 ans de projections de population sans migration un effectif de 7,4 millions d'individus, soit un nombre très proche de l'estimation de 7,3 millions pour 1996...

En l'absence de migrations interprovinciales et internationales, l'ef-fectif et la structure de la population du Québec auraient donc été à peu près les mêmes". 227

La figure 15-3 représente la migration nette totale et ses quatre composantes pour la période de 1972 à 2005. La migration nette, né-gative de 1977 à 1984 et de 1963 à 1972, est devenue positive [297] depuis 1985 avec une exception en 1997. Le Québec ne reçoit que 13 à 17% des immigrants étrangers qui s'installent au Canada et est habi-tuellement déficitaire dans les migrations interprovinciales.

15.4. Le résultat :un vieillissement important de la population

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Quel est le résultat des trois évolutions décrites ci-haut ? La figure 15-4 reproduit ce qu'on appelle la pyramide des âges au premier juillet 2006 et le tableau 15-1 représente la répartition de la population par âge de 1901 à 2006, de même que les projections de l'Institut de la statistique du Québec jusqu'à 2051. La part des 0-14 ans est en nette décroissance depuis la fin du baby boom et les 65 ans et plus ont une

227 L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 1999. Québec : Institut de la statistique du Québec, 2000, p. 19-20. Cette publication an-nuelle qui peut être téléchargée gratuitement est une excellente référence documentaire.

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part croissante : 5,8% de la population en 1961, 14,1 en 2006 et une prévision de 29,7% pour 2051.

FIGURE 15-1

INDICE SYNTHÉTIQUE DE FÉCONDITÉ ET DESCENDANCEDES GÉNÉRATIONS, QUÉBEC, 1950-2005

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Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 2006, Qué-bec : Institut de la statistique du Québec, déc. 2006, p. 71.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 368

[298]

FIGURE 15-2

ESPÉRANCE DE VIE À LA NAISSANCE SELON LE SEXE, QUÉBEC,1950-1952 À 2003-2005

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Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 2006, Qué-bec : Institut de la statistique du Québec, déc. 2006, p. 54.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 369

[299]

FIGURE 15-3

MIGRATIONS INTERNATIONALES ET INTERPROVINCIALES,QUÉBEC, 1972-2005

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Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 2006, Qué-bec : Institut de la statistique du Québec, déc. 2006, p. 104.

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[300]

FIGURE 15-4

PYRAMIDE DES ÂGES, QUÉBEC, 1ER JUILLET 2006

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Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 2006, Qué-bec : Institut de la statistique du Québec, déc. 1006, p. 43.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 371

[301]

TABLEAU 15-1

INDICATEURS DE LA STRUCTURE PAR ÂGE, QUÉBEC 1901-2051

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Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 2006, Qué-bec : Institut de la statistique du Québec, déc. 2006, p. 45.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 372

[302]Le vieillissement de la population est illustré par trois figures : la

figure 15-4 donne la pyramide des âges du Québec, comme nous l'avons déjà signalé; elle présente la forme d'une tuque; la figure 15-5 illustre la croissance de l'âge médian de la population depuis la fin du baby boom; enfin, la figure 15-6, qui représente le rapport de dépen-dance, c'est-à-dire le rapport entre la population jeune et âgée, et la population d'âge actif (ici les 15-64 ans), offre un plateau minimum entre 1981 et 2001; il est dû à la baisse de la fécondité et la présence des baby boomers à l'âge adulte. Ce rapport s'accroîtra bientôt consi-dérablement pour atteindre les taux d'avant la deuxième guerre mon-diale. Désormais, la fraction des vieux dépassera celle des jeunes.

15.5. La meilleure politique de la population

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Face à la baisse de fécondité et au vieillissement de la population, des mesures favorables à la natalité sont proposées et aussi adoptées; par exemple, l'amélioration des congés parentaux. Une étude de Fi-nances Québec affirmait :

"En ce qui a trait aux naissances, au moins une dizaine d'études écono-miques ont démontré (sic) que certaines politiques familiales, au Québec comme ailleurs, ont eu des impacts positifs sur la natalité. Comme les naissances sont, de loin, la principale composante positive de la variation de la population, elles méritent une attention particulière afin d'atténuer les chocs du vieillissement et de la décroissance de la population". 228

228 B. Côté, "Le défi démographique et le niveau de vie des Québécois", Fi-nances Québec, Analyse et conjoncture économiques, vol. 1, nº 8, 22 mars 1004, p. 6.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 373

[303]

FIGURE 15-5

AGE MÉDIAN DE LA POPULATION, QUÉBEC, 1901-2041

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Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec, Bilan 2006, Qué-bec : Institut de la statistique du Québec, déc. 1006, p. 46.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 374

FIGURE 15-6

RAPPORT DE DÉPENDANCE, QUÉBEC, 1901-2041

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Source : L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 2006, Qué-bec : Institut de la statistique du Québec, déc. 2006, p. 46.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 375

[304]Une augmentation de la natalité signifie-t-elle nécessairement une

augmentation de la population future ? Si la réponse est négative, quel est le facteur vraiment important ?

Comme on l'a déjà dit, l'ouverture très grande des économies régio-nales implique que l'ajustement entre les régions s'effectue en longue période par la mobilité des produits et des facteurs de production et très peu par les prix. Les composantes immobiles, dont le sol est l'exemple par excellence, constituent des exceptions. Lorsqu'on tient compte des différences de coût de la vie, on trouve qu'à l'intérieur des États-Unis et du Canada, l'intégration économique permet une forte égalisation des rémunérations réelles régionales. Cette égalisation se fait par l'ajustement du marché du travail, en particulier par le lieu de résidence choisi par les migrants. 229

Si la rémunération réelle à long terme est fixée par les conditions extérieures à la région, comme c'est le cas pour le Québec, l'emploi sera déterminé par la demande de travailleurs et donc par la dyna-mique globale de cette économie.

Une pénurie de main-d'oeuvre sera comblée par une hausse du solde migratoire et un surplus de main-d'oeuvre par une baisse de ce solde migratoire.

La question posée plus haut reçoit sa réponse : une hausse impor-tante des naissances va s'accompagner d'une baisse future du solde migratoire si l'économie demeure inchangée. Il est permis de conclure que la politique la plus favorable à une hausse de la population au Québec est une politique de croissance économique, qui permet de stimuler la demande de main-d'oeuvre.

Une illustration de cette proposition nous est fournie par l'évolu-tion actuelle de l'économie canadienne. La population en Alberta est en forte expansion, alors que celle de l'Atlantique stagne. Cette ten-dance est très peu influencée par les taux de natalité de ces deux ré-gions mais bien plutôt par leur développement économique respectif.

229 Voir le chapitre 1.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 376

15.6. Le vieillissement et les dépenses de santé

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Les dépenses moyennes de santé croissent avec l'âge à l'exception des cinq premières années de la vie. La figure 15-7 présente pour [305] 2002 les dépenses moyennes des gouvernements provinciaux et territoriaux selon le groupe d'âge et le sexe. Les dépenses moyennes publiques atteignent deux mille dollars dans le groupe d'âge des 45-64 ans. Passé cet âge, les dépenses montent en flèche pour atteindre, dans le groupe des 85 ans et plus, 15 423$ et 16 374$ pour les hommes et les femmes respectivement.

Un modèle simple de prévision de la croissance des dépenses pu-bliques en santé, croissance résultant de l'unique effet du vieillisse-ment, consiste à faire l'hypothèse que les dépenses moyennes par groupe d'âge demeurent constantes et que seulement la distribution de la population par âge se modifie. Pour le Canada, le résultat est le sui-vant :

"On estime que les taux d'augmentation annuels attribuables seulement au vieillissement atteindront 1,1% entre 2002 et 2006, qu'ils diminueront petit à petit et passeront à 0,9% entre 2006 et 2018 et qu'ils monteront à nouveau et atteindront 1,2% en 2026.

Entre 2002 et 2026, en raison du vieillissement de la population, on s'attend à ce que les taux de croissance annuels moyens soient plus élevés pour les autres établissements (2,1%), suivi des médicaments prescrits (1,6%), des hôpitaux (1,1%), des médecins (0,6%) et, enfin, des services dispensés par les autres professionnels (0,3%). Les taux de croissance diffèrent en raison des divergences observées dans les courbes de dépenses au fur et à mesure que la population vieillit, et plus particulièrement à cause des variations en pourcentage entre les dépenses par habitant pour les personnes âgées et les dépenses moyennes par habitant. Plus la diffé-rence en pourcentage est grande, plus le taux de croissance est élevé en raison du vieillissement de la population, comme c'est le cas de la catégo-rie autres établissements.

L'augmentation prévue des dépenses qui résulte du vieillissement de la population doit être analysée en tenant compte du taux de croissance glo-bal des dépenses par habitant dans les provinces et les territoires. Le taux

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 377

de croissance global par habitant, en dollars constants, se chiffrait en moyenne à 2,2% entre 1975 et 2002. Selon les présentes projections, le vieillissement de la population impulserait environ 45% du taux de crois-sance global". 230

[306]FIGURE 15-7

DÉPENSES MOYENNES TOTALES DE SANTÉ DES GOUVERNEMENTSPROVINCIAUX ET TERRITORIAUX, SELON LE GROUPE D'ÂGE

ET LE SEXE, CANADA, EN DOLLARS CONSTANTS DE 1997, 2002

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Source : Institut canadien d'information sur la santé, Dépenses de santé des gou-vernements provinciaux et territoriaux selon le groupe d'âge, le sexe et les caté-gories principales  : taux de croissance récents et futurs, Ottawa, mai 2005, p. 6.

Ces prévisions basées sur un modèle simple, qui est une forme d'application de la règle de trois, soulèvent deux questions : l'utilité d'avoir un modèle plus complexe et l'adaptation des systèmes à un changement d'environnement.

230 Institut canadien d'information sur la santé, Dépenses de santé des gouver-nements provinciaux et territoriaux selon le groupe d'âge, le sexe et les ca-tégories principales : taux de croissance récents et futurs, Ottawa, mai 2005, pp. 27-28.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 378

a) Lacunes du modèle simple de prévision

Il est toujours possible d'incorporer des variables supplémentaires à un modèle de prévision. Cela en vaut-il la peine ? Accroît-il la pro-babilité de la réalisation des estimations ?

Fuchs a noté un biais méthodologique à la hausse dans les prévi-sions des coûts des soins de santé pour les personnes âgées :

"Dans la mesure où le changement dans la répartition selon l'âge est la conséquence d'un accroissement de l'espérance de vie (c'est-à-dire d'une baisse des taux de mortalité par âge), les différences en coupe transversale dans les dépenses par âge surestiment les changements résultant d'une population vieillissante. Les dépenses en soins de santé des personnes âgées ne sont pas tant une fonction du temps depuis la naissance que du temps les séparant de la mort. La principale raison expliquant l'accroisse-ment des dépenses avec l'âge dans une coupe transversale, chez les gens de 65 ans et plus, provient du fait que la proportion des personnes près de la mort s'accroît avec l'âge. Les dépenses sont particulièrement élevées dans la dernière année de la vie et, à un degré moindre, dans l'avant-der-nière. [307] Parmi les inscrits à Medicare en 1976, le remboursement moyen pour ceux qui étaient dans leur dernière année de vie était 6,6 fois (et pour l'avant-dernière année 2,3 fois) plus élevé que pour ceux qui sur-vivaient au moins deux ans... Comme les taux de mortalité selon l'âge di-minuent dans le temps, il y aura pour chaque catégorie d'âge moins de gens dans leur dernière année de vie, et cela tendra à réduire les dépenses de santé selon un âge spécifique". 231

Le biais méthodologique est bien réel, mais ne fait que diminuer les prévisions d'accroissement des dépenses de santé imputables au vieillissement de la population. Comme le montre la figure 15-8, les prochaines décennies connaîtront une poussée appréciable du nombre de décès.

231 V.R. Fuchs, The Health Economy, Cambridge, MA : Harvard University Press, 1986, pp. 318-319.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 379

FIGURE 15-8

NAISSANCES ET DÉCÈS, 1971-2003, ET TROIS SCÉNARIOS,2001-2050, QUÉBEC

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Source : N. Thibault et al., "Nouvelles perspectives de la population du Québec, 2001-2051", dans Institut de la statistique du Québec, Données sociodémogra-phiques en bref, vol. 8, nº 2, février 2004, p. 2.

b) L'adaptation au changement

Un fait surprenant : la structure par âge de la population n'apparaît pas comme une variable explicative dans les variations internationales des dépenses de santé. 232 Ce résultat peut s'expliquer en se rapportant à l'évolution des clientèles des centres d'accueil québécois, entre les an-nées soixante-dix et aujourd'hui. À l'époque, certains centres d'accueil ressemblaient davantage à des résidences subventionnées pour per-sonnes âgées. La croissance [308] du nombre des aînés a conduit à l'établissement de critères d'entrée beaucoup plus restrictifs. Résultat :

232 U.-G. Gerdtham et B. Jönsson, "International Comparisons of Health Ex-penditures : Theory, Data and Econometric Analysis", dans A.J. Culyer et J.P. Newhouse (s.l.d.), Handbook of Health Economics, vol. 1A, Amster-dam : North Holland, 2000.

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les pensionnaires de ces établissements sont de plus en plus malades. D'une façon analogue, à mesure que la population vieillit, les respon-sables de la santé ont tendance à ne donner des soins qu'à des per-sonnes de plus en plus sérieusement malades, ce qui constitue une forme d'économie pour le gouvernement.

La croissance des décès au cours des prochaines décennies pourra favoriser une attitude médicalement moins agressive face à la mort et une plus grande tolérance à l'égard de l'euthanasie.

Ces changements, sources d'économies des dépenses de santé, peuvent se produire rapidement. La popularité au Québec des inter-ruptions volontaires de grossesse peut servir d'exemple. L'indice syn-thétique des interruptions volontaires de grossesse est la somme des taux d'interruption par âge pour une année donnée. En 1976, ce taux était de 128,4 pour mille. Cela signifie qu'avec les taux par âge de 1976, une génération de mille femmes subirait 128 avortements. En 2002, l'indice était 4,5 fois plus élevé, pour s'établir à 585,6 pour mille, malgré la disponibilité en pharmacie, récente il est vrai, sans ordonnance médicale, de la pilule "du lendemain". 233

15.7. L'État assureur et le vieillissement de la population

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Le vieillissement de la population est un phénomène général en Occident. Au Québec, l'importance relative des personnes âgées est présentement sensiblement inférieure à celle de plusieurs pays, par exemple l'Allemagne, la France et la Suède. Toutefois, la transforma-tion démographique, disons le passage de 12 à 24% de la fraction des personnes âgées de 65 ans et plus dans l'ensemble de la population, se fera plus rapidement au Québec qu'ailleurs, à l'exception du Japon. Présentement, le Québec bénéficie d'une étape intermédiaire de sa transition démographique : les jeunes sont moins nombreux et les baby boomers, nés entre 1946 et 1966 environ, sont encore bien ins-tallés dans le marché du travail et n'atteindront la vieillesse que dans quelques années.

233 L. Duchesne, La situation démographique au Québec, bilan 2003, Québec : Institut de la statistique du Québec, 2003, p. 279.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 381

[309]Pourquoi le vieillissement de la population affecte-t-il les assu-

rances publiques et non les assurances privées ? À cause du mode de financement des régimes publics (système dit "de répartition" ou de "pay as you go"). Une compagnie ou un régime de retraite privé doit conserver une réserve actuarielle correspondant aux engagements fu-turs. Et cette réserve sert à faire des placements qui rapportent des in-térêts fort importants. On parle alors du financement "par capitalisa-tion". Or, il n'y a pas de réserves actuarielles pour les assurances santé publiques et l'aide aux personnes âgées (sécurité de la vieillesse). Et il y en a peu dans les régimes publics de pensions à contribution comme la Régie des rentes du Québec.

C'est en janvier 1966 qu'entrèrent en opération des régimes de pen-sions du Canada et des rentes du Québec. Ce sont des régimes publics qui sont limités à un plafond : le remplacement du revenu par une pension égale à 25% du salaire industriel moyen. Le taux de contribu-tion était à l'origine fixé à 3,6% du revenu couvert par le système, contribution également partagée entre l'employeur et l'employé dans le cas des travailleurs salariés.

Ce taux de cotisation correspondait à un régime de retraite qui n'est que très partiellement capitalisé, comme en témoigne d'ailleurs une analyse actuarielle du Régime des rentes du Québec (dix ans après sa création) :

"En supposant que le Régime reste inchangé au cours de toute la pé-riode de projection, la réserve du Régime devrait croître, mais à un rythme de plus en plus lent, jusqu'en 1992, pour ensuite décroître très rapidement et devenir nulle en 2002. Dix années suffisent donc pour liquider une ré-serve qui atteint 15,5 milliards de dollars à son sommet.

Le déséquilibre du Régime dans sa forme actuelle résulte de quatre causes principales, à savoir la couverture croissante du régime, le vieillis-sement de la population du Québec, les déséquilibres de la structure démo-graphique causés entre autres par la forte génération d'après-guerre et, finalement, un taux de cotisation à l'origine insuffisant, même à démogra-phie stable". 234

234 Régie des rentes du Québec, Analyse actuarielle du régime des rentes du Québec au 31 décembre 1978, Québec, juin 1979, p. 127. L'analyse actua-rielle de 1987 n'a pas changé les années critiques.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 382

À partir de 1987, le taux de contribution a été haussé et il s'établit depuis 2003 à 9,9% du revenu couvert par le régime. Comment peut-on expliquer la faible capitalisation à l'origine des régimes publics de retraite ? Il y a deux explications.

[310]La première perçoit ces régimes publics de pension comme une

forme valable de chaîne de lettres. Si la croissance démographique est soutenue avec une bonne augmentation annuelle de la productivité dans l'ensemble de l'économie, les hausses des masses salariales anti-cipées se substituent aux réserves actuarielles. Il ne faut pas oublier que lors des discussions pour la création de ces régimes, la fin du baby boom n'était pas encore perçue et que les "trente années glo-rieuses" avaient cours. Les régimes escomptaient donc les dividendes d'une croissance soutenue, mais qui n'a pas eu lieu, vu la chute de la fécondité et la tendance à la baisse de la croissance de la productivité entre 1973 et 1995.

La deuxième explication s'appuie plutôt sur la dynamique de l'im-plantation des programmes gouvernementaux, davantage orientés vers les effets redistributifs que vers l'efficacité économique. 235

Dans un rapport sur l'avenir des régimes de retraite, le défunt Conseil économique du Canada résumait ainsi les effets redistributifs des régimes publics existants :

"Les résultats de calcul de référence font état d'une redistribution non négligeable de la richesse d'une génération à l'autre. Il se produit un trans-fert net en faveur de toutes les générations nées avant 1964, les personnes âgées (mais non pas les vieillards) bénéficiant plus que les jeunes. En d'autres termes, certaines des prestations déjà promises seront acquittées par les cotisations que paieront plus tard les enfants d'aujourd'hui et ceux qui ne sont pas nés". 236

235 Les déficits récurrents de l'assurance médicaments publique trahissent une sous-estimation des coûts, ce qui accroît son acceptation politique.

236 Conseil économique du Canada, Perspective 2030. L'avenir des régimes de retraite, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1979, p. 39. Le calcul de référence suppose un taux de cotisation de 3,6%, taux alors en vigueur mais relevé en l'an 2007, de façon à avoir un financement par répar-tition par la suite.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 383

Avec un tel effet redistributif aux dépens des générations futures, existe-t-il un meilleur moyen pour augmenter la popularité du parti au pouvoir ?

L'expérience de la Régie des rentes du Québec, principalement la hausse du taux de cotisation de 3,6 à 9,9% se généralisera-t-elle aux autres assurances publiques ? D'autre part, au lieu d'ajuster le taux de cotisation ou le taux de taxation, on peut prendre la voie des bénéfices réduits. C'est ainsi que l'allocation vieillesse est devenue imposable et a de plus perdu son caractère d'universalité.

Dans son rapport, la Commission Clair reprenait une proposition de la Régie des rentes du Québec en recommandant "la création d'un régime d'assurance contre la perte d'autonomie, sur [311] une base de capitalisation". Un autre moyen pouvant servir à faire face aux coûts futurs du vieillissement consiste à réduire l'imposante dette du secteur public. Un coût réduit du service de la dette laisserait une marge de manœuvre pour augmenter les dépenses des assurances publiques des prochaines décennies.

Existe-t-il une autre voie possible pour affronter les coûts du vieillissement ? Oui : une croissance plus rapide de la production qui permettrait de satisfaire plus de besoins. Cette voie n'est pas farfelue. La baisse de la fécondité a souvent été perçue comme une substitution de la qualité des enfants à leur quantité. Bref, il s'agirait d'accroître le capital humain. Ce capital humain est malheureusement très mal esti-mé par Statistique Canada. Mais si cet investissement est le moindre-ment valable, ne devrait-il pas se traduire dans une productivité accrue et ainsi accroître les possibilités de choix ?

Il existe aussi d'autres voies pour diminuer les coûts du vieillisse-ment. Parmi celles-ci, on peut mentionner l'accroissement des taux d'activité et le repoussement de l'âge de la retraite, qui dans le passé récent a pris la direction inverse de celle de l'espérance de vie.

NOTES

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 384

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 385

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L’économie du Québec, mythes et réalité.

Chapitre 16Le fédéralisme

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Ce chapitre sur le fédéralisme se démarque des chapitres précé-dents. Au lieu de se concentrer sur des sujets d'actualité, il présente à grands traits un résumé des écrits des économistes sur ce sujet.

Les économistes ont une nette tendance à identifier le fédéralisme à de simples relations intergouvernementales, comme si tous les pays étaient implicitement des fédérations du seul fait de la présence des corporations municipales sur leur territoire. Ils négligent donc les im-portants aspects constitutionnels reliés au partage des pouvoirs. Par exemple, le gouvernement du Québec a fait disparaître de nombreuses villes dans l'opération des fusions, puisqu'il avait une pleine autorité sur elles. Par contre, le gouvernement fédéral ne pourrait pas faire disparaître une province, puisque les provinces ne sont pas une créa-tion du gouvernement central mais s’appuient sur une base constitu-tionnelle.

Bien que toute classification d'écrits sur un sujet donné conserve un caractère plus ou moins arbitraire, il nous apparaît juste de répartir les travaux des économistes sur le partage des pouvoirs dans le fédéra-lisme en deux grandes catégories : l'approche conventionnelle ou or-thodoxe et l'approche du choix public (public choice). Chaque ap-proche fait l'objet de l'une des deux grandes divisions de ce chapitre. Ensuite, nous résumerons notre appréciation de l'ensemble des écrits consultés.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 386

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16.1. L'approche conventionnelle ou orthodoxe

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La grande majorité des écrits des économistes sur la division des pouvoirs dans un système fédéral ne font qu'appliquer les préceptes de la théorie économique du bien-être, ou ce que l'on pourrait qualifier de « morale économique ». L'approche est donc conventionnelle et fort orthodoxe chez les économistes.

Dans cette première section, nous résumons la morale économique et montrons différentes applications au système fédéral tout en indi-quant leurs limites.

16.2. La base de la morale économique

Comme nous l'avons vu, le concept central de la morale écono-mique est l'efficacité ou le non-gaspillage. Le gaspillage ne peut que réduire le bien-être des citoyens puisqu'il diminue nécessairement les choix accessibles. Il peut revêtir différentes formes : production utili-sant trop de ressources, ou production mal répartie entre les consom-mateurs ou mal adaptée à leurs préférences.

Les économistes se sont appliqués à déterminer les conditions né-cessaires pour éviter le gaspillage. Il est utile d'analyser d'une façon intuitive, même sommairement, deux de ces conditions. La première règle pour éviter le gaspillage consiste à s'assurer que les bénéfices de toute activité sont au moins égaux aux coûts, sinon l'économie sort perdante de cette activité. Par conséquent, vis-à-vis la décision d'ac-croître la production, il faut vérifier si le bénéfice de l'unité supplé-mentaire est au moins égal à son coût. La production efficace corres-pond en effet à la quantité pour laquelle le coût marginal est égal au bénéfice marginal. Au-delà de cette quantité, l'économie sort perdante d'un accroissement de production.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 387

Un système de prix valable engendré par un environnement où les forces de la concurrence sont suffisamment présentes, permet de satis-faire à cette condition de non-gaspillage. Les producteurs ont en effet tout intérêt à produire jusqu'à la quantité où le coût d'une unité supplé-mentaire égale le prix de vente, tandis que, pour les consommateurs, la dernière unité disponible procure un bénéfice égal à son coût.

[315]En deuxième lieu, pour que les prix soient un mécanisme assurant

le non-gaspillage dans une économie décentralisée, il est nécessaire que les décideurs, les producteurs et les consommateurs, « interna-lisent » tous les effets de leurs décisions. Cela veut dire, en particulier, qu’ils ne reportent pas sur d’autres les coûts de leurs décisions. En d’autres termes, les bénéfices et les coûts privés doivent correspondre aux effets sociaux; on dit alors qu’il y a absence d'effets de déborde-ment. Si de tels effets sont présents, le non-gaspillage exige de corri-ger le système de prix de façon à ce que les décideurs puissent inter-naliser les effets de débordement. C'est ainsi que le déversement des déchets devrait être tarifé puisqu'il constitue un coût lié à cette activi-té polluante.

16.3. Les applications à un système fédéral

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Différents économistes ont appliqué les conditions de l'efficacité, ou du non-gaspillage, à un aspect ou à un autre de la division des pou-voirs dans un système fédéral. Sans affirmer qu'il y a complète unani-mité chez les économistes qui recourent à l'approche conventionnelle, il faut préciser qu'il existe ici une nette tendance à favoriser l'autorité centrale, qui est perçue comme la gardienne de l'intérêt national, à l'opposé de l'esprit de clocher ou des intérêts égoïstes des autorités régionales. En langage plus technique : l'autorité centrale pourrait, par différents instruments, faire internaliser les effets de débordement, tandis que les autorités régionales seraient, par leurs décisions, surtout créatrices de tels effets, lesquels engendrent le gaspillage.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 388

Le biais favorable à l'autorité centrale est bien illustré par cette ci-tation de W.E. Oates, l'économiste dont le travail pionnier a le plus utilisé l'approche conventionnelle pour étudier le fédéralisme :

"D'un point de vue économique, un gouvernement de type fédéral pré-sente l'attrait évident d'allier les avantages d'un gouvernement unitaire à ceux de la décentralisation. Chaque ordre de gouvernement remplit les fonctions qu'il est le plus apte à remplir, plutôt que de tenter d'assumer l'entière responsabilité du secteur public. Le gouvernement central a vrai-semblablement comme première responsabilité de stabiliser l'économie, de réaliser la répartition des revenus la plus équitable possible, et de procurer certains biens collectifs qui influent sensiblement sur le [316] bien-être de tous les citoyens. Les gouvernements de palier inférieur complètent ces activités en offrant les biens et services publics qui intéressent en premier lieu seulement les citoyens qui font partie de leur territoire. Le gouverne-ment de type fédéral offre à ce titre la meilleure perspective pour résoudre avec succès les problèmes qui constituent la raison d'être économique du secteur public. Voilà pourquoi le fédéralisme peut être qualifié, sur le plan économique, de type optimal de gouvernement". 237

Ainsi, seulement les éléments d'intérêt strictement régional ou lo-cal doivent être accessibles aux gouvernements subalternes; le gouver-nement central s'occupe de tout ce qui en déborde.

Le biais centralisateur qui est ici attribué à l'approche tradition-nelle, pourrait être infirmé par le caractère prétendument neutre de l'idée fondamentale de l'approche, c'est-à-dire la nécessité de choisir entre, d'une part, la diversité requise par les préférences hétérogènes des citoyens et, d'autre part, l'intervention centralisée pour tenir compte des économies d'échelle et des effets de débordement. Toute-fois, pour l'exercice de ce choix, la majorité des économistes se re-fusent à transposer dans le secteur public le mécanisme qu'ils privilé-gient pour l'affectation des ressources dans le secteur privé : le méca-nisme de la concurrence. 238 Ils préfèrent s'en reporter à une autorité

237 W.E. Oates, Fiscal Federalism, New York : Harcourt Brace Jovanovich, 1972.

238 Albert Breton a exprimé la même idée : "... la perspective générale des éco-nomistes sur la concurrence intergouvernementale est qu'elle n'est pas opti-male. Pour cette raison, les économistes se divisent : soit ils favorisent une forme centralisée de gouvernement, soit, lorsqu'ils sont forcés par nécessité politique d’accepter l'existence du fédéralisme, ils favorisent le degré maxi-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 389

qui servirait l'intérêt national au lieu d'étudier les processus de la concurrence qu'implique la décentralisation.

Les applications de l'approche traditionnelle à la division des pou-voirs dans un système fédéral sont nombreuses, et leur point commun est ce qui intéresse l'économique : l'organisation des ressources. Tout en acceptant la division, établie par R.A. Musgrave, des activités gou-vernementales en trois fonctions — allocation, redistribution et stabi-lisation —, nous croyons que la première mérite d'être étudiée davan-tage; nous le ferons à l'aide de six thèmes qui permettent de cerner à la fois les avantages et les limites de l'optique traditionnelle sur le fédé-ralisme :

a) la protection du marché commun national;b) la redistribution des revenus;c) la « viabilisation » économique;d) l'harmonisation fiscale;e) la péréquation;f) les effets de débordement.

[317]

16.4. La protection du marché commun national

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Depuis plus de deux cents ans — surtout si l’on se réfère aux deux livres importants publiés en 1776 par l'abbé Étienne Bonnot de Condillac et Adam Smith — les économistes enseignent les vertus du libre-échange comme source de bien-être. Il permet un marché plus étendu, de même qu’une diminution des coûts grâce à une meilleure division du travail et à un environnement concurrentiel accru. Ceci est encore plus important pour une petite région. Elle a en effet davantage intérêt à se spécialiser et, même à court terme, elle n'a sur le marché international aucun pouvoir monopolistique. De plus, le protection-nisme exercé par d'autres juridictions ne justifie par le recours à des

mum d'harmonisation de politique. A. Breton, "Federalism versus Centra-lism in Regional Growth" dans D. Biehl et al., Public Finance and Econo-mic Growth, Détroit : Wayne State University Press, 1983, pp. 251-263.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 390

mesures protectionnistes, parce que le libre-échange, même unilatéral, accroît le revenu total.

Toutes les constitutions des fédérations interdisent aux gouverne-ments régionaux d'établir des barrières tarifaires aux produits importés d'autres pays ou d'autres régions du même pays. Le commerce interna-tional et interrégional est donc de la compétence exclusive du gouver-nement central. Ce dernier ne peut imposer des barrières tarifaires qu'aux produits importés. Ainsi, les constitutions fédératives visent la création d'un marché commun sur le territoire interne, c'est-à-dire un libre-échange des biens et services.

Toutefois, les barrières tarifaires ne sont qu'une des nombreuses formes d'entraves à l'échange, une forme dont l'importance relative décroît en raison de différentes négociations, principalement dans le cadre du GATT et maintenant de l'O.M.C. Aujourd'hui, le protection-nisme prend davantage la forme de barrières non tarifaires : notam-ment le contingentement de différents produits, les subventions aux producteurs autochtones, les mesures d'achat préférentiel, les nationa-lisations et, enfin, la réglementation de différents biens et services, tout particulièrement dans le secteur de la main-d'œuvre et des inter-médiaires financiers. La multiplicité des interventions gouvernemen-tales, ou leur omniprésence, favoriserait donc le démantèlement du marché commun à l'intérieur d'une fédération. Ainsi, on assisterait depuis plusieurs décennies à la balkanisation de l'économie cana-dienne. 239

Il est nécessaire ici de donner un sens valable et rigoureux à la no-tion de balkanisation, qui semble synonyme de protectionnisme. [318] C'est le phénomène par lequel l'intervention gouvernementale dissocie

239 En voici un exemple : « Le Québec et la Nouvelle-Écosse se sont entendus pour lever des restrictions au commerce de la bière. La ministre néo-écos-saise responsable de Nova Scotia Liquor Corp., Carolyn Bolivar-Getson, a affirmé que l'entente intervenue entre les deux juridictions abolit d'impor-tantes restrictions telles que l'imposition d'une surcharge sur les produits d'une province donnée vendus dans l'autre province. Mme Bolivar-Getson a dit espérer que l'entente se traduira pour les brasseurs de sa province par le développement de nouveaux marchés au Québec. La surtaxe québécoise mise en place en 1990 est de 4,50 $ par caisse de 24 bouteilles. » PC, «  Le Québec et la Nouvelle-Écosse lèvent les restrictions sur la bière », Le De-voir, 22déc. 2006., p. a7.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 391

le prix des biens et services régionaux des coûts de production. La balkanisation est donc la dimension régionale de l'inefficacité.

Ajoutons que l'effet balkanisateur est tout aussi présent lorsque ce sont les prix des biens et des services offerts par le secteur public qui sont faussés. En modifiant les prix relatifs régionaux, l'intervention publique se trouve à conférer des bénéfices variables aux gens des ré-gions et aussi à leur imposer des coûts variables. Cet effet différentiel engendre la balkanisation. 240

À titre d'exemple, signalons que l'aide de plusieurs milliards du gouvernement fédéral à l'industrie nucléaire a considérablement profi-té à l'Ontario. Cette province possède toutes les centrales nucléaires en exploitation au Canada, sauf deux. Cette aide a donc été une source de balkanisation de l'économie canadienne; elle a faussé les prix relatifs ou régionaux sur le territoire. L'avantage du Québec sur l'Ontario en matière d'électricité a été artificiellement diminué. 241

240 J.L. Migué, "La centralisation, instrument de balkanisation du Canada", L'Analyste, nº 2, été 1983, pp. 19-24.

241 En 1987, George Lermer affirmait : « À l’heure actuelle, malgré les nom-breuses déceptions qu’a suscitées la mise au point de la filière CANDU, il semble que cette technologie soit moins coûteuse que le charbon en Ontario. Le gouvernement de l’Ontario économise environ 800 $/kW (en dollars de 1981) en optant pour la technologie CANDU de préférence au charbon, tan-dis que le gouvernement fédéral a investi une somme à peu près équivalente dans le programme de recherche-développement de l’EACL, investissement qui s’est avéré profitable aux seuls consommateurs d’électricité ontariens. Cependant, en se substituant à la technologie nucléaire CANDU, il est pos-sible que le charbon n’ait pas été la meilleure alternative comme moyen de produire de l’électricité. La société Hydro-Ontario aurait pu préférer à la filière CANDU un réacteur à eau légère. On estime que le gouvernement de l’Ontario économise au plus un montant très modeste, tout juste 41 $/kW (en dollars de 1981), en choisissant la filière CANDU plutôt qu’un réacteur à eau légère de conception américaine. Il reste que la technologie CANDU est le moyen de production qui convient le mieux à la province de l’Ontario, étant donné que celle-ci souhaite augmenter sa capacité de production, tant que la province ne prend pas en considération la part fournie par les citoyens du pays à la contribution du gouvernement fédéral. Les coûts du soutien de la R-D que le gouvernement fédéral ne pourra probablement jamais récupé-rer sont évalués à environ 12 milliards de dollars (en dollars de 1981), soit à eu près 800 $/kW (en dollars de 1981). », G. Lermer, L’Énergie atomique du Canada, Limitée. Les stratégies d’une société d’État au sein d’un mar-ché mondial oligopolistique, Hull : Approvisionnements et Services Canada,

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 392

Selon le sens donné au concept, la balkanisation de l'économie ca-nadienne n'est point la seule conséquence des politiques protection-nistes provinciales : elle est aussi provoquée par les multiples pro-grammes du gouvernement central qui faussent les prix relatifs régio-naux. Il est loin d'être farfelu d'avancer l'hypothèse que le gouverne-ment central a un effet balkanisateur plus important que celui des autres ordres de gouvernement : son pouvoir discrétionnaire serait plus élevé que le leur, puisqu'il est moins soumis à la concurrence qu'ils ne le sont. 242

16.5. Comment diminuer la balkanisation ?

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Si la balkanisation est la dimension régionale de l'inefficacité, il apparaît nécessaire de la réduire. Il existe à cet effet trois attitudes possibles : contraindre les gouvernements inférieurs, contraindre tous les paliers de gouvernement ou ne rien faire directement.

Très souvent, les écrits sur la balkanisation de l'économie cana-dienne se limitent presque exclusivement à dénoncer les politiques discriminatoires des provinces, et ainsi ils recommandent un rôle ac-cru du pouvoir central pour promouvoir l'intégrité du marché [319] commun canadien. La vaste portée de la clause sur le commerce dans la Constitution des États-Unis est enviée lorsqu’on la compare au rôle limité de cette disposition dans la Loi constitutionnelle de 1867.

Lors des négociations qui ont abouti à la Loi constitutionnelle de 1982, le gouvernement fédéral avait publié un document sur l'union économique canadienne et surtout proposé des dispositions constitu-tionnelles pour mieux la protéger. 243

1987, p. xi.242 Les directeurs d'un ouvrage l'affirment : "De fait, il est difficile de prédire

que les gouvernements centraux ou unitaires seront moins enclins à fausser les flux commerciaux internes que les niveaux inférieurs de gouvernement. L'évidence présentée dans ce livre suggère l'opposé". M.J. Trebilcock et al., Federalism and the Canadian Economic Union. Toronto : University of Toronto Press, 1983, p.558.

243 J. Chrétien, Les fondements constitutionnels de l'union économique cana-dienne. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1980, 53p.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 393

Ces dispositions, qui furent d'ailleurs écartées au cours des négo-ciations, favorisaient un accroissement considérable des pouvoirs rela-tifs du gouvernement central, comme le note d'ailleurs T.J. Cour-chene :

"Lorsque l'on en vint enfin à formuler ces propositions sous forme de projets d'articles de la nouvelle constitution, on s'aperçut qu'elles auraient donné une centralisation spectaculaire du pouvoir aux mains du fédéral, sans garantie, ou presque, d'accroissement des droits économiques des particuliers". 244

La justification pour ne pas contraindre le gouvernement central repose sur le fait qu'il représente toutes les régions du pays et qu'il in-ternalise ainsi tous les effets de ses décisions. Il serait donc le seul en mesure de bien s'assurer que les coûts nets des politiques de balkani-sation sont justifiés par des considérations autres que la pure efficacité économique.

La deuxième attitude consiste à contraindre tous les paliers de gou-vernement. La conception de l'autorité centrale comme gardienne de l'intérêt national, à l'opposé des intérêts limités des gouvernements régionaux, justifie l'asymétrie dans les contraintes constitutionnelles qui doivent protéger l'intégrité du marché commun. Cette rationalisa-tion peut être mise en doute par la présence d'imperfections dans le marché politique, imperfections qui restreindraient considérablement la portée de l'intérêt national. En effet, lorsque les bénéfices d'une dé-cision gouvernementale sont plus concentrés ou circonscrits que la répartition des coûts et de la charge fiscale, la probabilité que cette décision soit prise augmente. Il n'est pas surprenant que le jeu poli-tique entraîne des politiques qui ne satisfont pas aux exigences de l'ef-ficacité économique, et qu'ainsi le gouvernement central balkanise le territoire national.

[320]Les dispositions constitutionnelles protégeant l'intégrité du marché

commun peuvent contraindre les différents ordres de gouvernement.

244 T.J. Courchene, "The Political Economy of Canadian Constitution Making. The Canadien Economic Union Issues", Public Choice, vol. 44, nº 1, 1984, p. 214.

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C'est le cas de la Constitution de l'Australie, qui interdit à la fois aux États et au gouvernement fédéral — le Commonwealth — d'entre-prendre des activités qui impliquent une discrimination régionale. La section 93 déclare :

The Commonwealth shall not, by any law or regulation of trade, com-merce, or revenue, give preference to the State or any part thereof over another State or any part thereof.

La Constitution australienne contraint donc le gouvernement cen-tral, contrairement à la Constitution américaine qui favorise le gouver-nement fédéral en limitant les pouvoirs discriminatoires des autorités des États.

Toutefois, si la balkanisation provient de la dissociation des prix des biens et services régionaux de leurs coûts de production, l'effet balkanisateur n'en est pas moins fort lorsque ce sont les prix des biens et des services offerts par le secteur public qui sont faussés. Ainsi, une modification constitutionnelle destinée à protéger le marché commun pourrait avoir une portée très large pour contraindre toute intervention de l'État qui aurait un effet discriminatoire sur le territoire et favoriser une tarification valable des services publics. Cette modification constituerait une forme de Charte des droits économiques du citoyen.

La troisième attitude est de ne rien faire directement. En effet, l'in-troduction de dispositions constitutionnelles pour protéger le marché commun peut être jugée inappropriée pour différentes raisons.

Premièrement, plusieurs préfèrent la situation de la Grande-Bre-tagne où le Parlement souverain n'est pas chapeauté ou contraint par une constitution formelle, à la situation américaine où un groupe de neuf personnes statue sur des règles importantes de la société. Deuxiè-mement, les coûts actuels de la balkanisation provinciale au Canada ont été exagérés, surtout quant à leurs effets de débordement. 245

245 C'est la même conclusion que formule l'étude de Craig et Sailors au sujet des barrières entre les états aux États-Unis : "Il existe un grand nombre et une variété de barrières au commerce entre les états. Deux motifs pour justi-fier les barrières observées sont examinés en théorie. Selon le premier, les gouvernements des états érigent des barrières commerciales à cause des pos-sibilités de détourner les coûts vers les autres états ou d'importer certains bénéfices aux dépens des états avoisinants. Le second est la capacité de re-distribuer les revenus vers un segment favorisé de la population à l'intérieur de l'état. Les barrières commerciales observées correspondent davantage au

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 395

[321]

16.6. La redistribution des revenus

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La protection du marché commun concerne l'affectation efficace des ressources sans égard à une répartition des revenus que l'on juge-rait préférable. Le secteur public peut jouer un rôle important dans la modification de la répartition des revenus pour aider les plus démunis et aussi pour assurer à la population en général une protection du reve-nu contre les risques socio-économiques. D'ailleurs, beaucoup de pro-grammes gouvernementaux, si ce n'est une très grande majorité, sont mis en œuvre pour leurs effets redistributifs. Il s'agit, par différents moyens, d'enlever à certains pour donner à d'autres.

Malheureusement, il est très difficile d'estimer avec un minimum de précision l'impact net des différentes interventions gouvernemen-tales en ce domaine et cela pour différentes raisons, comme la diminu-tion indirecte de la charité privée et des solidarités familiales, de même que les modifications au système de sanctions et récompenses qu'affrontent les agents économiques, par exemple les hauts niveaux, explicites et implicites, de taxation et même les incitations à la fraude. À cet égard, une hypothèse assez répandue veut que les mesures de redistribution aient été peu favorables au quintile le plus pauvre de la population — qui était auparavant la grande préoccupation de la chari-té privée — les effets bénéfiques ayant surtout profité à la classe moyenne que forment les deux quintiles suivants. 246

Comme l'illustre très bien la citation d'Oates au début du chapitre, l'approche conventionnelle du fédéralisme place principalement la

motif de redistribution à l'intérieur d'un état. Ainsi, les barrières commer-ciales entre les états ne semblent pas être le produit de la structure fédérale de gouvernement mais le résultat de l'économie politique d'un gouvernement individuel au niveau de l'état". S.G. Craig et J.W. Sailors, Interstate Trade Barriers : Income Redistribution Among the States - Or Within the State ?, document nº 83-5, Houston : Center for Public Policy, University of Hous-ton, 1983. La citation est tirée du résumé de l'étude.

246 Voir G. Tullock, Economics of Income Redistribution, Boston : Kluwer-Ni-jhoff, 1983.

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fonction redistributive entre les mains du gouvernement le plus éloi-gné des citoyens. Cela évite qu'ils ne se déplacent sur le territoire pour minimiser le fardeau de la redistribution s'ils sont des donateurs nets, et pour augmenter leurs gains s'ils sont des bénéficiaires. [322] En ef-fet, si une administration municipale vise à modifier la distribution des revenus sur son territoire (ce fut particulièrement le cas de la ville de New-York durant les années 1960, avec son important réseau d'ins-titutions postsecondaires sans frais de scolarité, les hôpitaux munici-paux, un parc imposant de logements publics et un programme de bien-être social), elle devra accroître ses taux de taxation par rapport aux municipalités qui ne veulent pas exercer ce rôle. Ces taux diffé-rentiels entraînent le départ de contribuables, particuliers ou sociétés, rentables pour la municipalité (comme les équipes professionnelles de football de New York), tandis que la générosité de l'aide favorise la venue de futurs bénéficiaires, ce qui entraîne un accroissement des dépenses.

Ainsi, le rôle redistributif du niveau inférieur du gouvernement apparaît limité. Le niveau central peut davantage imposer la redistri-bution, puisque les contribuables peuvent difficilement se soustraire à leurs obligations en déménageant, en guise de vote, et en se regrou-pant avec leurs semblables dans une forme de ghetto où les taux de taxation plus bas sont capitalisés dans le prix plus élevé du terrain.

Cela peut être illustré par deux décisions prises par le nouveau gouvernement du Québec au deuxième lustre des années soixante-dix. Dès le début du mandat, le ministre des Finances de l'époque avait décidé d'augmenter la progressivité de l'impôt provincial sur le reve-nu. En 1978, il comptait 21 taux différents avec un taux marginal (combiné avec celui du fédéral) de 68,91%. L'année suivante, le gou-vernement du Québec créait le Régime d'épargne-action qui visait principalement à réduire le fardeau fiscal des contribuables à revenu élevé. C'était une façon détournée de faire marche arrière.

La redistribution des revenus pour aider les plus démunis pourrait aussi être perçue comme une forme de bien collectif, où la contribu-tion de chacun aurait très peu d'impact mais où la contribution de tous ceux qui ont un revenu plus élevé qu'un seuil donné aurait un effet important. L'action gouvernementale deviendrait donc un mécanisme pour forcer les individus à contribuer au bien collectif qu'ils désirent réellement, même si leur bien-être individuel les inciterait à prendre

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l'option du resquilleur (free rider) qui laisse aux autres le soin de dé-frayer le coût du bien recherché. Cette dérobade généralisée empêche-rait la réalisation d'une redistribution et demanderait une intervention contraignante du gouvernement.

L'argumentation qui précède, reliée à l'efficacité strictement tech-nique et non économique, favorise un rôle important du gouvernement central dans la redistribution des revenus, mais, pour [323] plusieurs raisons, ce rôle ne saurait être exclusif. Premièrement, la discussion conventionnelle de la redistribution insiste beaucoup sur l'aspect im-posé, sans mettre en lumière le fait que la redistribution est une forme de bien comportant des aspects d'offre et de demande. Pourtant la cha-rité privée continue d'exister, bien que les mesures de redistribution publique en diminuent l'importance. De plus, même si la sympathie envers les gens se réduit avec la distance et si les coûts de la mobilité sont assez élevés, du moins à court terme, il y a possibilité de décen-traliser l'exercice de la fonction redistributive. 247 C'est ainsi que des petits pays très ouverts établissent des programmes redistributifs sur leur territoire.

Les normes nationales des mesures de redistribution impliquent très souvent des coûts d'inefficacité importants. Comment peuvent-elles, par exemple, tenir compte du rôle important de l'économie non monétaire dans de petites communautés comme un village de pê-cheurs à Terre-Neuve ou en Gaspésie ? 248 Enfin, la facilité plus grande d'établir des mesures redistributives au niveau central ne fait que reflé-ter le pouvoir discrétionnaire plus considérable de ce niveau de gou-vernement, parce que le citoyen ne peut recourir à la migration pour mieux satisfaire ses préférences. 249

247 Consulter M.V. Pauly, "Income Redistribution as a Local Public Good", Journal of Public Economics, vol. 2, nº 1, 1973, pp.

248 Il en est de même pour l’établissement d’un salaire minimum non différen-cié suivant les régions au Québec.

249 James M. Buchanan a bien résumé cela : "Il existe une plus grande varia-tion de la distribution des gains bruts du commerce dans la fourniture des biens et services publics par le gouvernement central que ce n'est le cas dans la provision de tels biens, soit par le marché, soit par les gouvernements locaux". J.M. Buchanan, "Who Should Distribute What in a Federal State ?", dans H.M. Hochman et G.E. Peterson (sous la direction de), Redis-tribution through Public Choice, New York : Colombia University Press, 1974, p. 38.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 398

16.7. La stabilisation économique

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Des trois fonctions majeures — allocation, distribution et stabilisa-tion —, la dernière n'a pas encore été analysée. Toujours selon Oates, cette fonction devrait principalement être la responsabilité du gouver-nement central. Comme nous l'avons vu au chapitre 12, les modèles keynésiens aboutissent à des multiplicateurs de variations de dépenses ou de taxes moins élevés au niveau régional qu'au niveau central, à cause de l'ouverture plus grande de l'économie dans le premier cas. Ainsi, les mesures régionales de stabilisation auraient un effet de dé-bordement qui empêcherait la poursuite d'une politique optimale pour l'ensemble de la nation. De plus, le gouvernement régional ne peut financer son déficit en recourant à l'autorité monétaire, qui finance une partie de la dette du gouvernement central.

[324]L'objection majeure porte sur le type de modèle auquel se réfèrent

Oates et les autres tenants de l'approche conventionnelle pour analyser les politiques de stabilisation économique. L'économie d'une province comme le Québec, et même celle d'un petit pays de la taille du Cana-da, peuvent, du moins à court terme, être caractérisées comme des économies très ouvertes où la mobilité du capital et des produits est passablement plus élevée que celle de la main-d'oeuvre. Dans ce cas, l'économique enseigne que les politiques gouvernementales de lutte contre le chômage doivent être très peu orientées vers la demande glo-bale mais plutôt vers les prix relatifs, spécialement celui du facteur travail.

La Constitution canadienne actuelle laisse aux provinces des ins-truments importants pour modifier le niveau régional de la rémunéra-tion. On a déjà rapporté à quelques reprises comment, à la fin des an-nées soixante-dix et au début des années quatre-vingt, le Québec a été placé dans une situation paradoxale. Malgré une abondance relative de main-d'œuvre, marquée par un taux de chômage traditionnellement plus élevé et par les difficultés à garder chez lui l'accroissement natu-rel de sa population, le salaire monétaire hebdomadaire moyen était

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plus élevé au Québec qu'en Ontario pour l'ensemble des industries, pour presque toutes les composantes du secteur des services, et aussi pour l'industrie de la construction. Il y a donc un rôle non négligeable, pour une province, dans la stabilisation économique, surtout dans un système fédéral où les lois du travail relèvent principalement de l'au-torité régionale.

Jusqu'ici, nous avons vu comment l'approche traditionnelle favori-sait un gouvernement central fort, du moins dans la poursuite de trois objectifs : la protection du marché commun national, la redistribution des revenus et la stabilisation économique. Toutefois, pour chaque fonction, nous avons essayé de montrer que l'argumentation de l'ap-proche traditionnelle soulevait des objections qui pouvaient être ma-jeures. Il s'agit maintenant de continuer l'analyse de l'approche tradi-tionnelle à trois autres points de vue : l'harmonisation fiscale, la pé-réquation et enfin celui qui peut regrouper tous les autres, les effets de débordement.

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[325]

16.8. L'harmonisation fiscale

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Du point de vue analytique, la question de l'harmonisation fiscale s'apparente à la recherche d'un marché commun. Elle vise à permettre aux différentes ressources de se localiser et d'être exploitées là où elles sont les plus productives. La taxation des gouvernements provin-ciaux peut entraver la poursuite de l'efficacité en faussant la localisa-tion optimale des activités sur le territoire. La taxation n'est alors pas neutre.

Malheureusement la majorité des travaux sur l'harmonisation fis-cale dans un système fédéral ne se rapportent pas explicitement au critère de l'efficacité économique mais à celui de l'uniformisation. 250 Le moyen le plus direct d'atteindre cet objectif est de se limiter à un seul système de taxation pour tout le pays. La centralisation produit l'harmonisation puisque les règles de taxation sont les mêmes pour tous. Ensuite, le percepteur central répartit les recettes entre les gou-vernements provinciaux en choisissant parmi différents critères : per-ception dans chaque province, population, dépenses normalisées, etc. On trouve là une bonne application du reproche que faisait Gordon Tullock à l'approche traditionnelle du fédéralisme :

"Plusieurs chercheurs semblent penser qu'un gouvernement fortement centralisé est plus efficace. Il serait plus juste d'affirmer qu'un gouverne-ment centralisé est mieux ordonné [...] Le gouvernement le plus efficace

250 Voir à ce sujet W.R. Thirsk, "Tax Harmonization and its Importance in the Canadian Federation", dans R. Bird (sous la direction de), Fiscal Dimen-sions of Canadian Federalism, Toronto : Association canadienne d'études fiscales, 1980, p. 118-142 et C. Forget, "Québec's Experience with the Per-sonal Income Tax", dans D. Hartle et al., A Separate Personal Income Tax for Ontario : An Economic Analysis, Toronto : Conseil économique de l'On-tario, 1983, p. 157-158.

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n'est pas celui qui est le mieux ordonné, mais celui qui réussit le mieux à répondre aux attentes de ses créateurs". 251

Ainsi, de très nombreux économistes estiment, par analogie, qu'une famille vit en harmonie si tous les membres pensent et se conduisent d'une façon identique, tout probablement à la manière de l'autorité centrale incarnée auparavant par le père. La concurrence, la discus-sion, les tensions entre générations et sexes n'ont pas leur place dans cette famille qui pratique l'harmonisation. Cette identification ne nie-t-elle pas l'existence d'une vraie famille, de même que l'uniformisation nie l'existence du fédéralisme ?

L'harmonisation de la taxation par le recours à un seul système de taxation plus ou moins étendu soulève deux autres objections ma-jeures : elle se concilie mal avec le principe de la responsabilité [326] de chaque niveau de gouvernement, où la perception de ses propres revenus sert d'indicateur de la quantité et de la qualité des services désirés par la population. La minimisation du gaspillage ou la re-cherche de l'efficacité ne requiert-t-elle pas cette responsabilité ?

De plus, la centralisation du système de taxation n'assure nulle-ment que le gouvernement ne fausse pas les prix sur le territoire. L'in-tervention gouvernementale ne se limite pas en effet aux seuls aspects de la taxation. Si on se restreint aux seules opérations budgétaires, c'est le solde fiscal (la différence entre les bénéfices des dépenses pu-bliques et les coûts de la taxation) qui doit être l'objet des préoccupa-tions d'harmonisation.

Il est possible d'harmoniser le solde fiscal sur le territoire en réser-vant au gouvernement central toutes les mesures de redistribution des revenus. Ainsi, les autorités régionales deviendraient simplement des vendeurs de services publics en recourant le plus possible à la taxation selon le bénéfice reçu ou à la tarification. Elles ne participeraient pas à la fonction redistributive du secteur public. C'est en très grande partie la situation qui existe au niveau municipal, lequel a, depuis les années 1930, perdu beaucoup de fonctions qui ont un caractère redistributif. Le rôle des municipalités dans les politiques de bien-être a presque disparu, se limitant en quelques endroits à l'administration des pro-251 G. Tullock, "Federation, Problems of Scale", Public Choice, vol. 6, 1969, p.

29.

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grammes provinciaux. De même, nous avons assisté à une provinciali-sation progressive de l'ensemble du secteur de l'éducation et spéciale-ment du financement de l'éducation primaire et secondaire.

De plus, les différentes études sur l'incidence des taxes des trois ordres de gouvernement sont unanimes à montrer que le gouverne-ment central a le système de taxation le plus progressif. En contrepar-tie, c'est au niveau municipal qu’on a davantage recours aux taxes de service ou au principe de la taxation selon le bénéfice reçu.

Toutefois, les provinces conservent encore un rôle dans la redistri-bution des revenus au Canada. Elles sont en effet responsables des programmes de sécurité sociale. L’intervention des provinces dans la redistribution des revenus peut venir fausser la vérité des prix sur le territoire, puisque, pour un niveau de revenu donné, l’impôt est défa-vorable aux personnes qui habitent dans [327] les provinces où la base fiscale est moins élevée que la moyenne. Cela peut entraîner une mo-bilité interprovinciale inefficace des ressources, ce qui pénalise sans raison les provinces pauvres.

Comment peut-on remédier à cette situation ? La façon la plus simple est de limiter le rôle des gouvernements inférieurs dans la re-distribution des revenus, rôle qui est la source de la difficulté. Ou alors, s'ils décident de jouer un rôle dans cette fonction, ils n'ont qu'à assumer les conséquences de leurs choix; c'est l'exigence d'un gouver-nement responsable. On propose aussi le recours à des paiements de péréquation. Ce sera l'objet de la prochaine section.

En somme, une harmonisation imposée par le gouvernement cen-tral est davantage une source de monopolisation qui accroît le pouvoir discrétionnaire du secteur public sur le citoyen en facilitant la percep-tion des taxes. Elle va à l'encontre de l'efficacité économique, qui de-mande que l'on ne camoufle pas le caractère onéreux de la taxation.

D'un autre côté, l'harmonisation peut tout simplement être le résul-tat spontané de la volonté des gouvernements de minimiser les coûts d'inefficacité de leurs taxes. On obtiendrait de la sorte le degré optimal d'harmonisation. Cela est illustré par l'exemple des pays fédéralistes où les gouvernements inférieurs évitent les trop grandes différencia-tions des taxes imposées aux entreprises, de peur de les faire fuir.

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Ainsi, l'harmonisation est bonne ou mauvaise, selon qu'elle est libre et spontanée, ou qu'elle est imposée. Dans le premier cas, elle est le produit de la concurrence et, dans le second, elle émane d'un pou-voir monopolistique, source de contraintes pour le citoyen.

16.9. Les paiements de péréquation

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Les paiements des gouvernements aux particuliers se justifient par la fonction redistributive de l'État. Mais comment peut-on motiver les transferts intergouvernementaux comme les paiements de péréquation qui existent au Canada depuis 1957 ? Ces paiements sont des subven-tions inconditionnelles du gouvernement central qui [328] permettent effectivement aux provinces pauvres d'obtenir des recettes par habi-tant plus proches de la moyenne des provinces. Ces provinces peuvent alors offrir des services publics provinciaux de quantité et de qualité moyennes sans demander un effort fiscal plus élevé à leurs contri-buables. 252

Les paiements de péréquation peuvent être un instrument approprié pour un monde imparfait (théorie du second best). Par exemple, si les provinces conservent un rôle autonome dans la redistribution des re-venus et qu'il existe une variation importante entre leurs bases fiscales respectives, le solde ou résidu fiscal sur l'ensemble du territoire pour un niveau de revenu donné ne sera pas égal, ce qui est de nature à en-gendrer un déplacement inefficace des ressources sur le territoire. 253

252 Le principe de la péréquation est inscrit dans la Constitution canadienne depuis 1982 : « Le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l’en-gagement de principe de faire des paiements de péréquation propres à don-ner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d’assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables. » [paragraphe 36(2)]

253 Cette justification a été initialement formulée par J.M. Buchanan, "Federa-tion and Fiscal Equity", American Economic Review, vol. 40, nº 4, 1950, p.583-599. Elle fut reprise par R. Boadway et F. Flatters, Une analyse éco-nomique de la péréquation, Ottawa, Approvisionnements et Services Cana-da, 1982. Boadway a multiplié depuis les textes sur le sujet. R. Boadway, "Intergouvernemental Redistributive Transfers : Efficiency and Equity", dans E. Ahmad et G. Brosio (s.l.d.), Handbook of Fiscal Federalism, Chel-

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Les paiements de péréquation apparaissent donc comme un instru-ment qui peut permettre d'empêcher ce type de mobilité, qui est source d'inefficacité ou de gaspillage, parce que les ressources ne vont pas où elles sont les plus productives. 254 L'enchâssement du principe de la péréquation dans la Loi constitutionnelle de 1982 n'était-il pas demandé par la recherche de l'efficacité économique ?

Le problème des disparités des bases fiscales provinciales est d'ailleurs apparu plus aigu au Canada avec la hausse des prix de l'énergie, du pétrole en particulier. Par exemple, le gouvernement al-bertain obtenait d'importantes recettes, qui lui permettaient d'offrir des services publics très étendus avec un effort fiscal minime de la part de ses contribuables. Le solde fiscal très positif pour les résidents de cette province favorisait une migration inefficace, c'est-à-dire non entière-ment reliée à une productivité des facteurs plus élevée dans cette pro-vince. La migration devient donc un mode de dissipation de la rente ou une mauvaise façon de la répartir. Les paiements de péréquation peuvent jouer, d'une façon détournée, un rôle dans la réduction de cette inefficacité.

Les paiements de péréquation soulèvent cependant plusieurs types d'objections ou de considérations. Premièrement, ils rendent possible une plus grande harmonisation fiscale sur le territoire, sans l'assurer pour autant. La réalisation de cet objectif dépend en effet des poli-tiques des gouvernements provinciaux subventionnés. [239] Deuxiè-mement, de tels paiements, même s'ils constituent des subventions inconditionnelles, peuvent entraîner une surexpansion du secteur pu-blic en faussant la perception des coûts marginaux réels des services publics provinciaux, chez les électeurs, si ces derniers utilisent leur effort fiscal moyen comme indicateur de ces coûts marginaux. 255 De plus, le gouvernement central ne devrait-il pas laisser les provinces

tenham UK : Edward Elgan, 2006, p. 355-380.254 Un raisonnement analogue justifie le recours au zonage par les municipali-

tés : "Si les recettes doivent être perçues grâce à une taxe foncière à taux unique sur la valeur marchande de chaque immeuble, alors les contrôles de l'utilisation du sol sont requis pour assurer que la valeur marchande de chaque immeuble soit adéquate pour générer un paiement approprié de taxe". E.S. Mills, "Economic Analysis of Urban Land Use Controls", dans P. Mieszkowski et M. Straszheim (s.l.d.), Current Issues in Urban Economics, Baltimore MD : The Johns Hopkins Press, 1979, p. 533.

255 Cela a été surnommé le flypaper effect ou « l’argent colle là où il touche ».

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complètement responsables de leurs choix quant au degré de redistri-bution des revenus et ainsi tolérer un résidu fiscal inégal sur le terri-toire pour un revenu donné ? Enfin, il existe une objection majeure au programme de péréquation qui mérite d’être approfondie.

16.10 Une objection majeure à la péréquation

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Le Canada est un pays où la migration interprovinciale et aussi l'immigration étrangère sont importantes. L'accroissement récent de l'emploi en Alberta en est une illustration. Le marché du travail est flexible à long terme et il est accompagné d’une égalisation des rému-nérations réelles à travers le pays.

On a déjà noté au chapitre 1 qu'en 1980, la dispersion du revenu réel par travailleur était très faible entre les quatre régions des États-Unis, l'écart étant compris entre 96 et 105 par rapport à une moyenne nationale égale à 100.

Qu'en est-il aujourd’hui pour le Canada ? Un récent budget fédéral notait, à l'aide des coefficients de variation (écart-type sur la moyenne) du PIB réel par habitant et du revenu disponible par habi-tant, que "[M]ême si les disparités économiques entre les provinces demeurent appréciables, elles ont nettement diminué au cours des 25 dernières années" 256 (figure 16-1). Cette diminution de la dispersion des revenus eut lieu en même temps qu'une migration importante de la population canadienne : perte des parts relatives des provinces dites pauvres de l'Atlantique et du Québec et augmentation des parts de l'Ontario et de l'Ouest (Alberta et Colombie-Britannique), provinces dites riches.

256 Ministère des Finances, Le Budget de 2006 : Rétablir l'équilibre fiscal au Canada: Cibler les priorités, Ottawa, 2 mai 2006, p. 124.

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[330]FIGURE 16-1

COEFFICIENTS DE VARIATION INTERPROVINCIALEDE 1981 À 2002

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Source : Ministère des Finances. Le Budget de 2006. Rétablir l'équilibre fiscal au Canada : Cibler les priorités, Ottawa, 2 mai 2006, p. 124.

Comme les données provinciales utilisées par le ministère des Fi-nances n'ont pas de déflateurs de prix provinciaux, les coefficients de variation sont surestimés. Un ajustement pour les différences du coût de la vie m'a permis d'écrire :

"Les données permettent de conclure que l'écart du revenu réel par habitant entre le Québec et l'Ontario n'est pas très élevé, et il devrait en être de même dans les paiements de péréquation pour les deux provinces, fort probablement zéro pour les deux". 257

257 G. Bélanger, "Péréquation - Des paiements trop élevés pour le Québec", Le Devoir, 23 février 2005, p. A-7. Consulter le chapitre 1, où ce sujet est étudié.

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Le problème devient alors la dissipation des rentes provinciales sur les ressources à cause d’une trop grande population partiellement atti-rée par cette manne et encore là, ces rentes devraient être bien mesu-rées. Toutefois, la péréquation canadienne tient compte des rentes al-bertaines sur les hydrocarbures, plus que des rentes potentielles qué-bécoises sur l’eau.

16.11. Les effets de débordement

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L'analyse précédente de l'approche conventionnelle de la division des pouvoirs dans un système fédéral se résume à la proposition sui-vante : les autorités décentralisées s'occupent des biens et services qui concernent surtout ou presque exclusivement leurs citoyens, [331] tandis que l'autorité fédérale doit intervenir d'une façon ou d'une autre dans tout ce qui déborde. Les effets de débordement ou les externali-tés rendent inefficaces les processus décentralisés d'affectation des ressources et justifieraient une intervention quelconque d'une autorité centrale.

Malheureusement, toute personne qui a un minimum d'imagination peut trouver un effet de débordement pour tout bien local ou régional. Ainsi, la construction d'une marina devient un objet de préoccupation et de financement pour l'autorité centrale, ou bien parce qu'elle se si-tue sur un cours d'eau international ou interprovincial, ou bien parce que le projet peut être inclus dans un programme national de lutte au chômage, de développement régional équilibré ou d'aide à l'infrastruc-ture pour améliorer la qualité de vie des Canadiens. L'imagination n'a pas de limites quand il s'agit de justifier une subvention. Ajoutons que les modèles formalisés de prise de décision mis au point par les éco-nomistes peuvent aider à activer l'imagination. 258

258 Par exemple, Gordon, dans une étude théorique de la taxation dans un sys-tème fédéral, identifie sept externalités à la taxation sous une responsabilité décentralisée : "Les types d'externalités qui ressortirent des équations repré-sentant les décisions d'une communauté donnée étaient :1. Les non-résidents peuvent payer une partie des taxes;2. Les non-résidents peuvent recevoir une partie des avantages des services publics;

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 408

Dans sa prescription, que nous croyons très généralisée, en faveur de la centralisation, l'approche conventionnelle sur le fédéralisme suit l'exemple du légendaire empereur romain qui, juge dans un concours entre deux chanteurs, écoute seulement le premier et décerne le prix au second, en formant l'hypothèse que le second ne pouvait être pire que le premier. Cela découle du fait que l'approche conventionnelle fait implicitement l'hypothèse que l'autorité centrale agit comme un despote bienveillant qui maximise l'intérêt national. Seul un manque d'information sur l'intensité des préférences pour des produits stricte-ment locaux s’oppose à la centralisation des pouvoirs dans un seul niveau de gouvernement. Cette approche n'étudie nullement les méca-nismes ou processus qui donnent naissance à cette autorité si bien-veillante. 259

3. Les coûts de congestion s'appliquant aux non-résidents peuvent changer;4. Les revenus de taxation reçus des autres communautés peuvent changer à cause de l'effet de débordement de l'activité économique;5. Les coûts en ressources des services publics des autres communautés peuvent changer;6. Les changements de production et des prix des facteurs peuvent favoriser les résidents par rapport aux non-résidents;7. Les effets distributifs chez les non-résidents seraient ignorés". R.H. Gor-don, "An Optimal Taxation Approach to Fiscal Federalism", Quarterly Journal of Economics, vol. 98, nº 4, 1983, p. 580.

259 Brennan et Buchanan expriment leur critique de l'approche traditionnelle d'une façon similaire : "Il apparaîtrait qu'il n'y a aucune raison pour que des biens publics strictement localisés ne soient pas offerts par des unités inter-gouvernementales supralocales qui pourraient, bien sûr, déconcentrer les services selon les exigences des limites pertinentes des externalités [...] Il n'y a aucune analyse qui démontre la supériorité d'une structure politique au-thentiquement fédérale sur une structure unitaire quand cette dernière a une gestion déconcentrée. Ce résultat n'est pas en lui-même surprenant, quand nous reconnaissons que la "théorie économique" du fédéralisme n'est pas différente de l'économique normative standard dans son hypothèse implicite sur la politique. Le conseil normatif proposé par la théorie est supposément dirigé vers un despote bienveillant qui implantera les critères d'efficacité. Aucun appui ne peut être généré pour une structure gouvernementale politi-quement divisée jusqu'à ce que l’arrivée éventuelle d’un despote non bien-veillant soit acceptée. Une fois que le gouvernement devient modelé, soit comme un processus interactif complexe semblable à ce qui est analysé dans le choix public standard, soit comme dans ce livre, en termes de conduites semblables à un léviathan, un argument favorable à une structure authenti-quement fédérale peut être développé". G. Brennan et J.M. Buchanan, The Power to Tax. Analytical Foundations of a Fiscal Constitution, New York :

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Ainsi, l'approche conventionnelle insiste sur le gaspillage et l'inef-ficacité qu'entraînent les effets de débordement des décisions décen-tralisées, sans mentionner la contrepartie d'inefficacité des décisions centralisées : exportation d'une très grande partie des coûts des ser-vices régionaux, standardisation des services, cartellisation plus grande du gouvernement, absence d'expérimentation et de flexibilité, pour ne nommer que certains coûts de la centralisation.

[332]Il existe néanmoins des possibilités d'une exportation partielle du

fardeau des politiques des gouvernements inférieurs par les politiques du gouvernement central. Il est vrai que l'incapacité presque complète de transférer, par les mécanismes de marché, les coûts d'efficacité des politiques provinciales et locales est une proposition assez robuste dans une économie ouverte comme celle d'une province; ce transfert peut toutefois se réaliser en partie par l'action des politiques fédérales de transferts et de développement régional. T.J. Courchene a déjà dé-crit la situation en ces termes :

"Les incitations que comporte le système de transferts ne sont pas sus-ceptibles de réduire les disparités régionales. Au contraire, elles encou-ragent les provinces à adopter des lois qui ne sont dans l'intérêt écono-mique à long terme, ni des provinces elles-mêmes, ni de leurs citoyens. De telle décisions peuvent en retour forcer Ottawa à adopter certains types de lois". 260

Il est utile de donner quelques exemples de transferts possibles du fardeau des politiques provinciales en prenant comme exemple la taxation. Premièrement, comme la taxation fédérale exempte les so-ciétés de la Couronne des trois ordres de gouvernement, les provinces et les corporations municipales sont donc artificiellement incitées à multiplier ce type d'organisation. C'est ainsi que, parmi les principales raisons avancées par le gouvernement du Québec pour nationaliser les compagnies privées d'électricité au début des années 1960, figurait le rapatriement des impôts payés au gouvernement fédéral.

Cambridge University Press, 1980, pp. 174-175.260 T.J. Courchene, Regional Adjustment. The Transfer System and Canadian

Federalism, rapport de recherche nº 7903. London : Université Western Ontario, Département d'économique, 1979, p. 32.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 410

Parallèlement, le gouvernement fédéral a subi le coût de la réforme de la fiscalité des entreprises mise en application par le gouvernement du Québec : il y eut une diminution importante de l'impôt provincial sur le revenu des sociétés, non déductible du revenu imposable au ni-veau fédéral, mais, simultanément, hausses de taxes sur la feuille de paye et sur le capital des entreprises — taxes qui, de leur côté, sont déductibles dans l'établissement de l'assiette de l'impôt fédéral sur les sociétés. Ce problème est encore plus important aux États-Unis, où des taxes payées aux États et aux gouvernements locaux sont déduites du revenu pour déterminer l'assiette des impôts fédéraux. C'est un en-couragement à l'expansion de ces niveaux de gouvernement, comme le montre la propriété municipale des stades. Plus généralement, comme toute [333] politique provinciale inefficace diminue l'assiette des taxes fédérales, le gouvernement central assume donc une part du fardeau de cette inefficacité.

En somme, par ses politiques protectionnistes et par les stimulants que comportent différentes politiques, le gouvernement fédéral peut accroître le pouvoir d'exportation des coûts du fardeau des politiques des gouvernements inférieurs. Il doit par conséquent tenir compte de cet effet dans la détermination des caractéristiques de ses politiques.

16.12. Une tentative pour modifier l'approche traditionnelle

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Albert Breton et Anthony Scott ont directement abordé la question du partage des pouvoirs dans une constitution, en s'inspirant de la théorie de la firme. 261 Afin d'obtenir les différents produits dont elle a besoin pour la vente, la firme doit choisir entre produire elle-même en achetant les facteurs de production et en assumant elle-même leur or-ganisation, ou acheter directement le produit sur le marché. Ce choix dépend des coûts d'organisation et il n'est pas inflexible.

261 A. Breton et A. Scott, The Economic Constitution of Federal States, Toron-to : Toronto University Press, 1972, 166 p. et The Design of Federations. Montréal : Institut de recherches politiques, 1980, 60 p. Le résumé de quelques lignes que nous faisons de leurs deux livres se limite à l'idée de base de leur étude.

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Les deux auteurs supposent au départ une assemblée constituante où des intérêts fort diversifiés sont représentés et donc doivent transi-ger. Cette assemblée doit déterminer la structure du système fédéral, ou le niveau optimal de décentralisation, en cherchant à minimiser les dépenses d'organisation et les coûts d'efficacité qui sont de pures pertes. Ces dépenses d'organisation incluent quatre types de coûts. Les deux premiers sont directement assumés par les électeurs : ce sont les coûts de révélation des préférences par différents moyens, tels le vote et la pression politique, et les coûts de la mobilité interrégionale ou du vote par migration. Les deux autres dépenses d'organisation concernent les gouvernements : ce sont les coûts de coordination in-tergouvernementale des politiques et les coûts internes d'administra-tion.

L'approche est intéressante parce qu'elle a le mérite d'élargir le cadre trop simpliste de l'analyse conventionnelle, et qu'elle nous ra-mène à la souveraineté du consommateur par la présence d'une [334] assemblée constituante. Malheureusement, l'analyse demeure fort abs-traite, en partie à cause de l'absence de connaissances empiriques des différentes facettes des coûts d'organisation. 262

Cette contribution des deux économistes canadiens s'insère dans l'approche traditionnelle : "... l'assemblée constituante jouait un rôle semblable à la fonction de bien-être social de l'économique du bien-être dans la détermination du résultat d'équilibre". 263

262 La situation est peut-être meilleure pour la division des pouvoirs entre villes constituantes et gouvernement métropolitain. Toutefois, l'insistance de Bre-ton et Scott sur les coûts d'organisation n'est dans les faits qu'un retour aux préoccupations centrales de l'économique, comme l'avait d'ailleurs saisi Frank Knight : "En effet, des trois principaux éléments de la vie écono-mique, désirs, ressources et organisation, la théorie économique s'intéresse directement à un aspect de l'organisation et seulement incidemment aux autres éléments. Les désirs sont de la compétence de la psychologie, de la sociologie et de l'éthique; les ressources échoient à différentes autres sciences; et les aspects technologiques de l'organisation à un très grand nombre; et l'organisation interne des affaires à une branche spéciale de l'éco-nomique". F.H. Knight, "The Limitations of Scientific Method in Econo-mics", dans R.G. Tugwell (s.l.d.), The Trend of Economics, New York : F.S. Crofts, 1935, p. 261.

263 A. Breton, "'Modeling Vertical Competition", dans E. Ahmad et G. Brosio, op. cit., p. 32..

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Les révisions constitutionnelles ne sont pas toujours le fait d'une assemblée constituante, comme l'expérience canadienne en témoigne. Pourquoi le seraient-elles, si cet instrument donne plus de pouvoirs aux citoyens ? Dans les faits, les constitutions évoluent d'une façon détournée, par exemple, par le jeu des subventions conditionnelles par lesquelles le gouvernement central échange de l'argent contre du pou-voir. 264

Si l'approche conventionnelle du fédéralisme favorise la centralisa-tion, est-ce l'inverse dans le cas de l'autre approche, c'est-à-dire l'ana-lyse du fédéralisme dans l'optique du choix public ?

16.13. L'approche du choix public

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À l'opposé de l'approche traditionnelle du fédéralisme, basée sur une autorité gouvernementale exogène qu'il est permis de qualifier de despote bienveillant, l'analyse du choix public inclut toutes les études qui essaient de rendre endogènes les décisions gouvernementales. Les auteurs de ces écrits utilisent la méthodologie économique tradition-nelle, c'est-à-dire des agents économiques à la poursuite de leurs propres intérêts, pour expliquer les actions gouvernementales. Les points de vue sont variés mais peuvent être regroupés grâce à leur ap-proche économique des questions de politique.

Dans les marchés privés, la concurrence est un puissant aiguillon de l'efficacité. D’une façon analogue, la multiplicité des autorités est beaucoup moins perçue comme source de balkanisation ou de désordre, et beaucoup plus comme source de choix pour le citoyen et d’une meilleure correspondance entre les services publics et les préfé-rences variées de la population. Plus l'autorité est décentralisée, moins important est son pouvoir discrétionnaire sur le [335] citoyen. Ainsi, un fédéralisme décentralisé se présente comme un moyen d'exercer

264 "Une subvention modifie effectivement la division de la responsabilité à l'intérieur d'un système fédéral. Les subventions impliquent une révision de la Constitution, mais sans amendements formels". R.W. Wagner, Public Finance Revenues and Expenditures in a Democratic Society, Boston, MA : Little Brown, 1983, p. 466.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 413

une emprise sur le gouvernement, dont l'image dans les esprits est celle d'un exploiteur ou d'un nouveau Léviathan. 265

Si la concurrence horizontale, c'est-à-dire entre plusieurs gouver-nements d'un même niveau, apparaît comme une source de choix et de protection pour le citoyen, peut-il en être autrement de la concurrence verticale, entre différents ordres de gouvernement ? Pour certains, cette concurrence verticale conserve les même propriétés que la concurrence en général, et permet donc un meilleur agrégat de poli-tiques touchant le citoyen, lequel tient compte des différents aspects à la fois nationaux et régionaux. Comme l'affirme Riker pour les États-Unis : "Pour chaque fonction considérée, il n'existe vraiment pas de division de pouvoir entre les gouvernements constitutifs et le centre, mais plutôt un mélange de pouvoirs". 266 Ainsi, au lieu de dénoncer le double emploi dans les programmes, E.G. West et S.L. Winer peuvent écrire : "Nous sommes d'avis que les partisans des libertés civiles au-raient lieu de s'inquiéter d'un accord relatif au partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces ". 267

Toutefois, les processus politiques ne pourraient-ils pas favoriser l'autorité centrale, qui conserverait davantage certains pouvoirs mono-polistiques ou discrétionnaires ? Au XIXe siècle, deux analystes avaient perçu cette tendance vers l'hégémonie du pouvoir central :

265 Le politicologue Riker y voit plutôt l'opposé : "Les droits des états garan-tissent une gouvernance par la minorité des questions nationales, si la mino-rité diffère de la majorité de façon importante. Ainsi, le fédéralisme permet aux minorités d'imposer des coûts externes élevés à la majorité". R.W. Ri-ker, "Federalism" dans F.I. Greenstein (s.l.d.), Handbook of Political Science, vol. 5, Government Institutions and Processes, Reading, MA : Ad-dison-Wesley, 1975, p. 158.

266 Riker se réfère d'ailleurs à la métaphore de Grodzia comparant le fédéra-lisme américain à un gâteau marbré : "Le type américain de gouvernement est souvent, mais par erreur, symbolisé par un gâteau à trois étages. Une image beaucoup plus précise est le gâteau arc-en-ciel ou marbré, caractérisé par un inséparable mélange de différents ingrédients colorés, les couleurs apparaissant dans des fils verticaux et diagonaux et des tourbillons inatten-dus. Comme les couleurs sont mélangées dans un gâteau marbré, les fonc-tions sont aussi mélangées dans un système fédéral". R.W. Riker, op. cit., p. 104.

267 E.G. West et S.L. Winer, "The Individual, Political Tension and Canada's Quest for a New Constitution". Analyse de politiques, vol. 6, nº 3, 1980, p. 14.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 414

Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, affirmait que, "dans les siècles démocratiques qui vont s'ouvrir, l'indépendance individuelle et les libertés locales seront toujours un produit de l'art. La centralisation sera le gouvernement naturel". Lord Bryce, dans The American Commonwealth, prétendait que "le fédéralisme n'est tout simplement qu'une transition vers un gouvernement unitaire". L'his-toire de la création des fédérations tend à confirmer ces jugements : les fédérations ne doivent pas leur origine à la décentralisation d'un gouvernement unitaire, mais plutôt à la fusion incomplète d'unités au-paravant séparées. L'exception est la Belgique.

L'explication d'une centralisation croissante du fédéralisme et de la standardisation accrue des services sur le territoire peut résider [336] dans le fait que l'autorité centrale prélève plus facilement des impôts, parce qu'elle est moins soumise à la concurrence et qu'elle peut échan-ger avec les autres paliers de gouvernement de l'argent pour des pou-voirs, si elle n'a pas le pouvoir d'intervenir unilatéralement. 268 Les mêmes raisons expliquent la perte d'autonomie du gouvernement lo-cal.

Dans un monde imparfait qui favorise la centralisation, il y a place pour une division des pouvoirs dans la constitution. 269 Parallèlement à 268 Selon Buchanan, "Le pouvoir de tout gouvernement de tirer par coercition

des revenus et de la richesse d'une personne est inversement relié aux alter-natives de localisation disponibles à cette personne". J.M. Buchanan, op. cit., pp. 22-23.

269 Le politicologue Martin Diamond note bien le rôle de la constitution comme frein aux forces centralisatrices : "Peut-être est-il nécessaire de nous rappeler pourquoi nous devons nous soumettre, de temps en temps, aux contraintes que l'on s'inflige à soi-même et découlant d'une constitution. Eu égard aux institutions fédérales, ce qui suit me semble justifier les coûts de la contrainte. Nous vivons dans un âge centripète et homogénéisant. Toutes les forces sociales et économiques du temps nous conduisent vers une cen-tralisation de plus en plus grande. Et malgré tout, nous sommes conscients des nombreux avantages qu’il y a à préserver les fortes tendances décentrali-satrices de notre système politique. Est-ce que notre protection de la décen-tralisation, dans toutes ces variétés informelles, ne dépend pas du support structurel formel que la décentralisation reçoit grâce à la division formelle fédérale des pouvoirs dans la Constitution ? Si nous permettons que le fédé-ralisme formel soit oblitéré sub silenti... n'aurons-nous pas alors détruit notre première barrière contre la centralisation exécutive ?",. M. Diamond, "The Forgotten Doctrine of Enumerated Powers", Publius. The Journal of Fede-ration, vol. 6, nº 4, 1976, p. 193.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 415

son rôle de gardienne possible des libertés du citoyen contre les pou-voirs gouvernementaux, la constitution peut jouer un rôle protecteur contre les forces de la centralisation. 270 Il s'agit de contraindre le pou-voir central, au lieu de faire l'inverse, comme ce fut le cas aux États-Unis. En effet, les mesures concernant les limites fiscales imposées aux municipalités, dont la plus connue est la proposition 13 de la Cali-fornie, ont touché le niveau de gouvernement qui a le moins de pou-voir discrétionnaire, vu la très grande ouverture de l'économie locale.

Il est néanmoins permis de se demander si les contraintes constitu-tionnelles peuvent remplir complètement ce rôle. Avec la croissance rapide des interventions gouvernementales dans l'après-guerre, en pré-sence d'importantes zones grises dans la constitution et des pouvoirs généraux très vastes accordés à l'État central, on a assisté au Canada, selon les propres termes employés par le Bureau des relations fédé-rales-provinciales du gouvernement fédéral, "à l'écroulement général pour ne pas dire complet des barrières constitutionnelles tradition-nelles".

Ce même document ajoutait : "Bien que les méthodes et pratiques [des ministères et organismes fé-

déraux] que nous décrirons n'ont pas toutes été employées partout, elles étaient suffisamment répandues pour justifier les observations suivantes :

a) les réponses initiales des ministères à la question relative au fondement constitutionnel de l'activité étudiée révèlent que la plupart des fonc-

270 Comme le note le juriste américain Richard E. Epstein, la protection consti-tutionnelle des libertés n'est pas absolue : "Aucune disposition constitution-nelle ne s'exécute d'elle-même. Sa portée et son application dépendent forte-ment des attitudes générales, que la Cour Suprême utilise pour l'interpréter... Pour les libertés économiques, la Cour a articulé le test soit disant de "base rationnelle" pour neutraliser la protection constitutionnelle des libertés éco-nomiques... Sous la loi actuelle, si n'importe quel ensemble concevable de faits pouvait établir un lien rationnel entre les moyens choisis et quelque fin légitime du gouvernement, alors le test de la base rationnelle confirmerait le statut. En théorie, la catégorie des fins légitimes est à la fois capricieuse et non définie, tandis que les moyens utilisés ont besoin d'avoir seulement un lien ténu avec les fins choisies. En pratique, chaque statut rencontre la norme constitutionnelle, quelle que soit la force des arguments déployés contre lui". R.E. Epstein, "Asleep at a Constitutional Switch", The Wall Street Journal, 9 août 1984, p. 28, (reproduit avec la permission du Wall Street Journal, Dow Jones Company Inc., 1984, tous droits réservés).

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 416

tionnaires fédéraux en cause ignoraient quelle était l'autorisation perti-nente;

b) à des réunions ultérieures, d'autres réponses laissaient entendre que dans de nombreux cas, sinon dans la majorité, la répartition des pou-voirs n'avait pas été étudiée à fond lorsque les activités avaient été entreprises;

[337]c) plus souvent qu'autrement, les ministères finissaient par fonder leurs

activités sur une ou plusieurs des justifications constitutionnelles sui-vantes : soit la clause de l'article 91 relative à la paix, l'ordre et le bon gouvernement, même si dans certains cas aucune loi habilitante ne justifiait l'invocation de cette clause; soit encore le pouvoir de dépen-ser du gouvernement fédéral dérivé en partie des articles 91(1)a et 91(3), soit, moins souvent, le pouvoir du Parlement de déclarer que des travaux sont à l'avantage général du Canada, article 92(10)c);

d) l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, en particulier les articles établissant la répartition des pouvoirs, ne semble faire partie ni de la formation officielle des fonctionnaires en cause ni, fait plus important, de leur expérience au gouvernement". 271

Cependant, contrairement à la situation canadienne, la constitution américaine laisse les pouvoirs résiduels aux gouvernements des États. Cette disposition n'a toutefois pas empêché la grande centralisation du fédéralisme américain.

La présence, comme en Suisse, d'une deuxième chambre fédérale dont les membres représentent les régions (les cantons) semble un mé-canisme utile, mais certes non infaillible, pour restreindre les forces centralisatrices. Une autre façon de le faire est d'interdire, si un nombre restreint de provinces s'y oppose, que le gouvernement central donne des subventions conditionnelles.

16.14. Le vécu de la concurrence verticale

271 Canada, Bureau du Conseil privé, Bureau des relations fédérales-provin-ciales, Rapport intérimaire sur les relations entre le gouvernement du Ca-nada et la Province de Québec, 1967-1977, Ottawa, 1979, pp. 10 et 11.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 417

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Comment la concurrence verticale se vit-elle ? Quels en sont les effets ? Différents points sont ici regroupés en quatre courtes sec-tions :

• l'importance relative du gouvernement fédéral canadien;• biais possible dans l'affectation des dépenses;• la multiplication du bruit;• la responsabilité ambiguë.

a) L'importance relative du gouvernement fédéral canadien

Malgré que la constitution canadienne soit peu contraignante pour le gouvernement fédéral, les données concernant les pays développés (celles des pays fédéraux en particulier) montrent une grande décen-tralisation relative du secteur public canadien. Avec [338] une bonne marge, le Canada est au premier rang pour la part des recettes et des dépenses des gouvernements non-centraux dans l'ensemble du secteur public (figure 16-1). Si on se limite aux sept pays fédéraux, le Canada est au premier rang pour la part des revenus totaux des gouvernements provinciaux et locaux par rapport aux recettes du secteur public (fi-gure 16-2) et au deuxième rang pour la part des revenus autonomes dans les revenus totaux provinciaux et locaux (figure 16-3).

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 418

FIGURE 16-2

PART DES RECETTES ET DES DÉPENSES DES GOUVERNEMENTSNON CENTRAUX EN POURCENTAGE DE L'ENSEMBLEDU SECTEUR PUBLIC, PAYS DE L'OCDE, 2003 OU 2004

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Recettes %

Dépenses %

Note : Les deux points pour l'Australie dépendent du traitement de la tps comme (1) une subvention et (2) une taxe d'état.

Source : OECD, OECD Economic Surveys. Australia 2006, Paris : OECD, 2006, p. 75.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 419

[339]

FIGURE 16-3

PART DES REVENUS DES GOUVERNEMENTSPROVINCIAUX ET LOCAUX

DANS LES REVENUS PUBLICS, PAYS FÉDÉRAUX, 2004 (EN %)

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Source : Ministère des Finances. Le Budget 2006. Rétablir l'équilibre fiscal au Canada, Ottawa, 2006, p. 118.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 420

FIGURE 16-4

PART DES REVENUS AUTONOMESDANS LES REVENUS PROVINCIAUX ET LOCAUX,

PAYS FÉDÉRAUX, 2004

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Source : Ministère des Finances. Le Budget 2006. Rétablir l'équilibre fiscal au Canada, Ottawa, 2006, p. 119.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 421

[340]Il faut dire que le rapport des dépenses gouvernementales sur le

PIB est un indicateur utile mais incomplet de la présence du secteur public dans l'économie. La répartition des dépenses et des revenus est aussi un indicateur utile mais incomplet de l'évolution de la centralisa-tion dans une fédération. La baisse importante de la contribution fédé-rale en espèces dans le financement des dépenses provinciales de san-té, à partir de la fin des années quatre-vingt, n'a pas réduit le caractère contraignant des cinq critères de la Loi canadienne sur la santé.

b) Biais dans l'affectation des dépenses

Si une organisation évolue dans deux marchés différents, en étant dans le premier le seul offreur et, dans le second, soumise à une concurrence, elle aura tendance à s'occuper davantage du second mar-ché. Dans le premier, elle possède une demande captive.

Le même raisonnement se transpose dans le contexte de la concur-rence verticale. Dans sa recherche des votes pour sa réélection, le parti fédéral au pouvoir est dans une position de monopole dans l'offre de biens strictement nationaux, telle la défense nationale. Le gouverne-ment central est l'offreur tout désigné pour ces biens qui demeurent toutefois loin des préoccupations immédiates du citoyen. Le central a néanmoins intérêt à se rapprocher des citoyens dans l’offre de biens régionaux, locaux ou même privés. Cela est plus rentable électorale-ment.

Quel en est le résulta ? Le gouvernement central a tendance à né-gliger les questions vraiment nationales. C'est le cas au Canada pour la défense nationale, pour laquelle les préoccupations sont très sou-vent de nature locale, comme la localisation des bases militaires. Il y a pour lui plus d'intérêts à se mêler des biens régionaux et locaux qui sont dépourvus d’externalités nationales. C'est ainsi que le gouverne-ment fédéral assume une bonne partie des améliorations apportées à la route Québec-Saguenay. Où est l'impact national de cet investisse-ment ?

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 422

c) La multiplication du bruit

Au chapitre 9 sur le modèle québécois, nous avons fait référence au livre de Hirschman, Exit, Voice and Loyalty : Responses to De-cline in Firms, Organizations and Status  : au lieu de la mobilité [341] ou de l'exit, favorisé par les marchés, dans les processus politiques, le citoyen doit parfois recourir à la voix (voice), c'est-à-dire aux manifes-tations tonitruantes. Une société politisée est une société bruyante ou cacophonique.

La concurrence verticale inhérente au régime fédéral n'entraîne-t-elle pas plus de cacophonie et plus de revendications ? Aurait-elle un effet multiplicateur ? Présenterait-elle plus de portes où frapper ?

d) La responsabilité ambiguë

La concurrence verticale et les compromis qu'elle suscite rendent plus difficile au citoyen l'identification de la responsabilité des poli-tiques et de leur financement.

L'encart 1, écrit au début des années quatre-vingt, montre que l'ex-pansion du secteur public québécois, de la fin des années cinquante au milieu des années soixante-dix, se différencie peu des autres provinces canadiennes, et "qu'il est assez juste d'affirmer que le phénomène qui a été qualifié de révolution tranquille au Québec fut le produit -- ou du moins fut considérablement influencé par elles -- des politiques du gouvernement central". L'élément caractéristique ou propre au Québec francophone fut la laïcisation des différentes institutions.

Encore aujourd'hui, un ancien ministre des Affaires sociales, au-jourd'hui le ministère de la Santé et des Services sociaux, est appelé "le père de l'assurance maladie", comme si ce programme avait été une création indépendante du gouvernement d'alors. Dans cette attri-bution, le contexte fédéral, de même que l'implantation moins tardive dans les autres provinces, sont ignorés : on se limite à un univers stric-tement québécois.

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Encart 1

Extrait de G. Bélanger, L'économique du secteur public, Chicoutimi : Gaétan Morin éditeur, 1981, p. 3, 8-10.

LA CROISSANCE DU SECTEUR PUBLIC AU QUÉBEC

Le phénomène qu'on a qualifié de "révolution tranquille" au Québec a été marqué d'une croissance du secteur public, croissance qui se poursuit en fait de-puis vingt ans.

En somme, la croissance importante du secteur public dans les dernières dé-cennies n'est nullement un phénomène québécois; elle caractérise toutes les ré-gions canadiennes et même tous les pays de l'Occident. Le Québec a donc géné-ralement suivi cette tendance tout en accusant quelques petites particularités. C'est ainsi que le rythme de croissance du secteur public québécois fut relative-ment moins rapide que l'était le rythme général dans les années 50, pour ensuite s'accélérer tant et si bien qu'on aboutit à la fin des années 70 à un secteur public dont le poids dans l'économie était plus élevé que l'importance relative des dé-penses des administrations publiques au Canada.

Pourquoi cette évolution parallèle   ?

Le point fondamental est donc principalement le parallélisme de la croissance du secteur public au Québec avec celle des autres régions (et des autres pays). Pourquoi en est-il ainsi ?

Différents facteurs aident à expliquer cette évolution parallèle. Premièrement, comme les règles de décision collective ou les processus politiques au Québec ne diffèrent pas considérablement de ceux des autres juridictions, il est permis de penser que des phénomènes se produisent de façon similaire dans chacune d'elles, notamment la centralisation croissante des décisions, avec l'importance relative plus grande des dépenses des administrations publiques par rapport aux dépenses strictement privées, et aussi l'érosion des fonctions du niveau de gou-vernement le plus près des citoyens, le niveau municipal et scolaire. De plus, ce qui reste de la concurrence entre gouvernements, grâce à la mobilité des facteurs, s'avère une entrave à des évolutions très divergentes. C'est ainsi que présente-ment, au Québec, il y a une prise de conscience de l'impact négatif qu'aurait sur l'économie une augmentation du différentiel de l'effort fiscal par rapport à l'Onta-rio, à cause de l'importance qu'il a déjà atteint.

Quoi qu'il en soit, il est une autre raison majeure à l'évolution parallèle du secteur public au Québec et du secteur public des autres régions canadiennes : notre régime fédéral de gouvernement. À première vue, on pourrait croire que ce facteur devient moins important, puisque la part des dépenses autonomes du gou-vernement central dans tout le secteur public canadien a subi une chute très ap-préciable depuis 1955. En effet, pour cette année-là, les dépenses fédérales (ex-cluant les transferts intergouvernementaux) totalisaient 4,4 $ milliards sur des

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 424

dépenses gouvernementales de 7,5 $ milliards, soit une part de 58,2%. En 1978, la part du fédéral n'était que de 39,4%, toujours en excluant les transferts de 38,1 $ sur un total de 96,7 $ milliards. Ces données ne montrent-elles [343] pas qu'il y a eu une décentralisation considérable au Canada, du moins du niveau central vers les administrations provinciales, et cela ne permet-il pas aux pro-vinces de faire valoir leurs particularismes ?

Tel n'est pas le cas, puisque durant cette période, c'est le gouvernement fédé-ral qui a fixé les grands paramètres qui ont déterminé les priorités provinciales. Ceci apparaît très bien dans les dépenses québécoises. En effet, le commence-ment de la "révolution tranquille" se serait incarné dans la mise en vigueur, le premier janvier 1961, de l'assurance hospitalisation, et aussi dans un mouvement de construction de grandes voies routières devant remplacer une voirie de "bouts de chemin". Ensuite, ce fut la réforme de l'éducation comportant la création d'un nouveau type d'institutions, les CEGEP, et l'expansion du secteur universitaire; le phénomène s'observait encore au premier janvier 1971 avec l'assurance--santé et de façon générale dans une plus grande générosité des politiques d'aide sociale.

Tous ces grands programmes de dépenses du gouvernement du Québec, qui ont provoqué une expansion rapide de son budget, ont un trait commun : ils furent tous incités par des politiques de subventions fédérales. C'est ainsi qu'avec des paiements de transfert aux provinces, le gouvernement fédéral a défrayé 50% des coûts provinciaux de l'assurance hospitalisation, de l'assurance santé, des dé-penses d'éducation du niveau postsecondaire et les frais admissibles des pro-grammes de bien-être. De plus, il a aidé au financement des écoles techniques et de la route Transcanadienne. Si une province ne répondait pas aux politiques incitatives du gouvernement fédéral, elle perdait pour ses citoyens des sommes considérables. Ainsi, le retard de plus de deux ans du Québec à implanter un ré-gime d'assurance-hospitalisation à la fin des années cinquante et un régime d'as-surance-santé à la fin des années soixante a engendré une perte de subventions fédérales à la province d'une somme approximative de 400$ millions. 272 Par conséquent, il est assez juste d'affirmer que le phénomène qui a été qualifié de révolution tranquille au Québec fut le produit ou au moins fut considérablement influencé par les politiques du gouvernement central. 273

16.15. Conclusion

272 Estimation publiée dans J.L. Migué et G. Bélanger, Le prix de la santé, Montréal : Hurtubise HMH, 1972, p. 126.

273 La présence des programmes fédéraux à frais partagés dans les secteurs de la santé, de l'éducation et du bien-être a considérablement favorisé l'expan-sion rapide du secteur public entre 1965 et 1975; il est passé de 19,9 à 41,3% du PNB canadien.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 425

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De ce résumé des deux grandes approches de la division des pou-voirs dans un système fédéral, il est permis de conclure par quatre propositions générales :

[344]

• la division des pouvoirs est une importante question;• les deux approches sont fort différentes, voire contraires;• l'approche conventionnelle établit des conclusions précises sur

des fondements faibles;• l'approche du choix public définit mieux les questions, mais ses

conclusions demeurent imprécises.

La question des pouvoirs est une grande question. L'affirmation que la division des pouvoirs dans le fédéralisme est une grande ques-tion (a big question) n'entraîne pas qu'il soit stérile de consacrer des efforts à son étude. Cette expression signifie tout simplement, outre le fait que la question soit vaste, qu'il est nécessaire de l’aborder à l’aide de conceptions préétablies sur l'action des différents mécanismes so-ciaux. Il n'est donc pas surprenant que des conceptions différentes au départ entraînent des conclusions différentes. Les conclusions dé-coulent des prémisses.

Il ne faut donc pas s'attendre à un véritable consensus des membres d'une discipline sur une question aussi importante. S'il y avait consen-sus, on serait sage de s'en méfier, puisqu'il ne saurait être que le reflet des intérêts de ses membres. De plus, il se peut qu'un économiste mo-difie considérablement ses conclusions parce que maintenant, il appré-cie différemment le jeu de certains mécanismes sociaux.

Les deux approches sont fort différentes, voire contraires. Les tra-vaux des économistes sur la division des pouvoirs dans un système fédéral ont été regroupés selon deux approches nettement différentes. Selon l'optique conventionnelle, les interventions publiques sont exo-gènes par rapport aux processus politiques : elles proviendraient des

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décisions d'une sorte de despote bienveillant qui n'aurait d'autre préoc-cupation que la recherche de l'efficacité. Pour sa part, l'analyse du choix public inclut les études qui « endogénisent » les décisions gou-vernementales, considérées ici comme le produit d'agents écono-miques à la poursuite de leurs propres intérêts.

Ces points de départ très différents entraînent des conclusions di-vergentes sur la division des pouvoirs. La première approche montre un net biais centralisateur puisque seul le despote central peut maxi-miser l'intérêt national, à l'opposé de l'esprit de clocher des autorités régionales. Les conclusions découlent en effet du point de départ.

[345]En revanche, en partant de particuliers à la recherche de leurs

propres intérêts, l'approche du choix public a le mérite de faire passer le fédéralisme d'une abstraction à la réalité vivante d'une institution où les décisions des agents dépendent des règles du jeu. Cette approche conserve en général un biais favorable à la décentralisation, afin de faciliter l'expression des préférences variées de la population et aussi pour empêcher une forme de cartellisation du secteur public.

L'approche conventionnelle a des conclusions précises basées sur des fondements faibles. Comme en témoigne la citation-synthèse d'Oates (1972) au début de ce chapitre, l'approche conventionnelle offre des conclusions précises très favorables à la centralisation. Mal-heureusement, si cette centralisation est exigée par l'efficacité écono-mique, on peut se demander pourquoi il y a si peu de politiques du gouvernement central qui répondent aux conditions d'efficacité. Cette approche n'a-t-elle pas développé une morale qui tourne à vide, comme si on appliquait les règles du bridge à une partie de poker ? Aux imperfections possibles de la décentralisation, cette approche op-pose le recours à la centralisation, mais sans étudier les imperfections que comporte cette centralisation.

Pour avoir quelque intérêt, l'approche conventionnelle devra étu-dier les mécanismes ou processus qui donnent naissance à une autorité centrale si bienveillante à laquelle elle se réfère.

L'approche du choix public définit mieux les questions, mais ses conclusions demeurent imprécises. L'approche du choix public re-groupe les travaux qui utilisent la méthodologie économique tradition-

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 427

nelle, c'est-à-dire celle d'agents économiques à la poursuite de leurs propres intérêts, pour expliquer les actions gouvernementales. Les dé-cisions gouvernementales ne sont pas exogènes et elles doivent faire l'objet d'une explication. Le rôle de l'économiste ne consiste plus à conseiller différentes règles de décision. Les questions pertinentes de-viennent alors les suivantes : Quel est l'effet d'un système fédéral de gouvernement par rapport à un système unitaire et à un système d'uni-tés non fédérées ? Les dispositions constitutionnelles ont-elles un effet important sur les politiques ? Quels mécanismes peuvent améliorer l'adéquation des politiques et des préférences réelles des citoyens hé-térogènes ?

[346]Ces questions très générales illustrent la direction des préoccupa-

tions de l'approche du choix public. Malheureusement, les réponses sont imprécises et le demeureront encore longtemps. Les connais-sances sur des points saillants comme l'importance des imperfections du marché politique ou de la concurrence bureaucratique, demeurent peu développées.

Toutefois, malgré des trous énormes dans les connaissances, l'ap-proche du choix public conserve un préjugé favorable à cet aiguillon  majeur : la concurrence et donc à la décentralisation. En cela, ne suit-elle pas l'enseignement principal de la science économique depuis plus de deux cents ans ? 274

274 Cette conclusion reprend ce que j'avais écrit il y a déjà vingt-cinq ans. C'est la même constatation que formulent Brennan et Hamlin: "Le fédéralisme fiscal a fait depuis son début un progrès considérable pour analyser des questions très spécifiques concernant la politique fiscale. Cependant, il a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir revendiquer un exposé tout à fait complet du fédéralisme selon une perspective écono-mique." , G. Brennan et A. Hamlin, "Fiscal Federalism" , dans P. Newman (s.l.d.), The New Palgrave Dictionary of Economics and The Law, vol.2, London: Macmillan, 1998, p.149.

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NOTES

Pour faciliter la consultation des notes en fin de textes, nous les avons toutes converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page. JMT.

[347][348][349][350]

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 429

[351]

L’économie du Québec, mythes et réalité.

CONCLUSION

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Au terme de ces seize chapitres ou thèmes sur l’économie du Qué-bec, il est utile de reprendre certaines conclusions qui y furent appro-fondies :

* L’économie du Québec demeure une région très ouverte sur l’extérieur, principalement dans le contexte nord-américain. Dans cet ensemble, l’importance relative de sa population et de son économie est en déclin.

* L’intégration au marché commun canadien, qui d’ailleurs se nord-américanise de plus en plus, permet une égalisation à long terme des revenus moyens réels entre le Québec et l’Ontario. L’ajustement se réalise par les variations de leurs poids démo-graphiques, principalement par le truchement des courants mi-gratoires.

* Une faible croissance de la productivité n’est pas nécessaire-ment un indice de mauvaise performance économique.

* La baisse relative de l’emploi dans le secteur des biens favorise un accroissement des entraves au libre commerce, de même que l’éclosion de différentes formes de protectionnisme.

* Une grande partie de la rente ou de la valeur des ressources na-turelles est gaspillée.

* Les politiques publiques répondent aux règles du jeu politique, lesquelles sont davantage favorables à une redistribution vers les groupes bien organisés plutôt qu’à un accroissement du gâ-teau collectif.

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 430

[352]Le « modèle québécois » s’apparente au corporatisme et se traduit

en privilèges coûteux pour l’économie.* Montréal, qui est en perte de vitesse par rapport aux autres ré-

gions métropolitaines d’Amérique du Nord, est défavorisé par les politiques régionales.

* Les politiques gouvernementales, en particulier celles reliées au marché du travail, ne favorisent pas la flexibilité exigée par une économie ouverte et placée dans un univers risqué et instable.

* Dans les tentatives d’explication de la francisation du Québec au cours des dernières décennies, les effets de la Charte de la langue française sont généralement surestimés.

* Les Québécois sont relativement peu généreux.* Sans égard au coût du vieillissement de la population, la poli-

tique la plus favorable à un accroissement de la population est une politique de croissance économique qui permet de stimuler la demande de travailleurs.

* Le fédéralisme s’assimile à la concurrence verticale à l’intérieur du secteur public, ce qui implique des propriétés encore mal définies et des responsabilités gouvernementales ambiguës.

À travers tous ces chapitres, l’auteur a voulu témoigner de la perti-nence de la science économique pour comprendre l’évolution du Qué-bec. Il espère avoir réussi, du moins partiellement.

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[353]

L’économie du Québec, mythes et réalité

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 0-1. Population du Québec, de l'Ontario, du Canada et des États-Unis, 1981 et 2005, en milliers

Tableau 1-1. Répartition régionale de la population des États-Unis

Tableau 1-2. Revenus par tête et par travailleur des régions, relativement à la moyenne des États-Unis (en %)

Tableau 1-3. Comparaison de la production et du revenu par personne Qué-bec-Ontario 2004

Tableau 1-4. Pourcentage des personnes de faible revenu dans l'ensemble de la population selon deux mesures, Québec et Ontario, 1996 et 2000

Tableau 1-5. Différence du coût de la vie entre Montréal et Toronto, selon deux sources, 2000 et octobre 2002

Tableau 1-6. Nombre annuel d'immigrants étrangers pour 1000 habitants, États-Unis, Canada, Ontario et Québec, 1998 à 2001

Tableau 1-7. Répartition régionale (en %) de la population canadienne 1951-2005

Tableau 2-1. Population de la ville de Québec par rapport à celles de Montréal et de la Province, 1851 à 1901

Tableau 2-2. Population des régions métropolitaines de Montréal et de Toron-to, 1951-2001

Tableau 2-3. Nombre et effectifs des sièges sociaux, Montréal et Toronto, 1999 et 2005

Tableau 2-4. Pourcentage de la population totale que représentent les immi-grés nés à l'étranger, régions métropolitaines de Toronto et de Montréal, 1981 et 2001

Tableau 2-5. Salaires pour certaines occupations recensées par les agents d'immigration, Québec et Montréal, 1889, (en $)

Tableau 3-1. Taux de croissance annuel moyen du produit intérieur brut réel, de la productivité du travail et de l'emploi, Québec, Ontario et Canada, 1969-1979

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 432

Tableau 4-1. Répartition de l'emploi entre les différents secteurs, Canada, 1951-2001

Tableau 4-2. Croissance sectorielle de la productivité du travail, Canada, 1987-2000 (taux annuels moyens de variation %)

Tableau 4-3. Taux annuels moyens de croissance du rapport capital/travail pour le secteur manufacturier et le groupe des services socioculturels, commer-ciaux et personnels, Canada, 1957 à 1978

Tableau. 4-4. Évolution de la productivité dans le secteur gouvernemental. Suède, 1960-1980

[354]

Tableau 5-1. Rapport des exportations en % du PIB pour certains pays de l'OCDE, 2005

Tableau 5-2. Croissance annuelle moyenne des exportations de certaines in-dustries québécoises entre 1995 et 2002

Tableau 6.1. Comparaison du prix de vente moyen de l'électricité par secteur de consommation, Québec, Nouvelle-Angleterre et États-Unis, 2002, en cents par kWh

6-2. Coûts de production de l'électricité au Québec

6-3. Rendement sur l'avoir propre d'Hydro-Québec et sur les bons du Trésor 1985-1991 (en %)

Tableau 6-4. Tarifs d'électricité en 1991 0 des États-Unis par kWh

Tableau 6-5. Coûts annuels durant 30 ans (en millions $) de l'entente du gou-vernement du Québec avec Alcan

Tableau 6-6. Estimation de la rémunération hebdomadaire moyenne (excluant le temps supplémentaire) pour l'ensemble des salariés, Québec, 2000

Tableau 7-1. Dépenses gouvernementales en % du PIB, Canada, 1926 à 2002

Tableau 7-2. Dépenses des administrations publiques par rapport au PIB, 1870-2002

Tableau 7-3. Répartition (en %) des dépenses par fonction, tous les niveaux de gouvernement, Canada, 1933, 1963, 2003

7-4. Indice synthétique de nuptialité des célibataires selon le sexe, Québec, 1951 à 2001

Tableau 7-5. Dépenses des administrations publiques et produit intérieur brut, Canada et Québec, 1961-1978

Tableau 7-6. Administration publique: total des dépenses courantes et d'acqui-sition de capital non financier par rapport au PIB, Québec et Canada, 1981 à 2001

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 433

Tableau 7-7. Estimations de l'évolution du volume des services gouvernemen-taux par rapport au PIB réel, Canada, 1961-1994 et 1961-2003

8-1. Choix de trois individus entre trois budgets consacrés à l'éducation

Tableau 8-2. Effets distributifs de différentes propositions entre cinq individus

Tableau 9-1. Taux de syndicalisation par province et secteur

Tableau 10-1. Coût par emploi créé dans les sites désignés pour la « nouvelle économie »

Tableau 11-1. Variation entre 1996 et 2001 de la population de différentes ré-gions métropolitaines de recensement (en pourcentage)

[355]

Tableau 11-2. Évolution à moyen terme de la population du Québec selon le scénario de référence, régions administratives et régions métropolitaines, 2001-2026 (en milliers)

Tableau 11-3. Déclin urbain en périphérie de l'Ontario, 2001

Tableau 11-4. Pourcentage de la population totale composée de nouveaux immigrants, RMR Québec, Ottawa-Hull, Montréal, Toronto, 1981, 1991, 2001

Tableau 11-5. Part des travailleurs titulaires d'un diplôme universitaire, 1981, 1991 et 2001 (%)

Tableau 11-6. Plan de la répartition régionale des médecins omnipraticiens pour 2004

Tableau 11-7. Pénurie régionale observée et augmentation projetée de la po-pulation entre 2001 et 2026

Tableau 11-8. Gains annuels moyens des travailleurs à temps plein en dollars constants de 2000

Tableau 12-1. Taux de présence syndicale, Québec, Ontario, reste du Canada et États-Unis, 1997, 2003 et 2004 (en %)

Tableau 12-2. L'accréditation syndicale au Canada et aux États-Unis

Tableau 12-3. Multiplicateurs des dépenses et des taxes du gouvernement fédé-ral

Tableau 13-1. Taux de transfert linguistique des francophones âgés de 25 à 44 ans, Canada, Provinces et Territoires, 1991 et 2001

Tableau 13-2. Répartition linguistique de la population du Québec selon diffé-rents critères, 1951-2001 (en %)

Tableau 13-3. Migration interprovinciale entre le Québec et les autres pro-vinces et territoires selon la langue maternelle, 1971 à 1976, 1976 à 1981, 1981 à 1986, 1986 à 1991, 1991 à 1996 et 1996 à 2001

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 434

Tableau 13-4. Composition de la population immigrée selon la langue mater-nelle et proportion de la population immigrée au sein de la population de la pro-vince ou de la région, 1971 et 2001

Tableau 13-5. Population immigrée allophone selon la connaissance des langues officielles, RMR de Montréal, 1971 à 2001

Tableau 13-6. Écart, par rapport aux francophones unilingues, des salaires des hommes francophones bilingues et des anglophones unilingues ou bilingues, RMR de Montréal, de 1970 à 1995

Tableau 13-7. Pourcentage de l'emploi total au Québec sous différents contrôles et pourcentage de l'emploi sous contrôle francophone canadien, 1961, 1978, 1987 et 2003

Tableau 14-1. Dons de charité dans les déclarations fiscales des particuliers, par province

[356]

Tableau 14-2. Taux de participation civique selon la province et la langue. Québec, Ontario et Saskatchewan, 1997

Tableau 14-3 Indice synthétique de nuptialité des célibataires selon le sexe, dans quelques États

Tableau 14-4 Indice synthétique de divortialité dans quelques États

Tableau 14-5 Nombre des interruptions volontaires de grossesses pour 100 naissances vivantes, quelques États

Tableau 15-1 Indicateurs de la structure par âge, Québec, 1901-2051

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 435

[356]

Liste des figures

Figure 1-1. Déplacement du centre de la population des États-Unis, 1790-2000

Figure 1-2. Coefficients de variation interprovinciale de 1981 à 2002: PIB réel et revenu disponible par habitant

Figure 2-1. Répartition linguistique dans les régions de Montréal

Figure 3-1. Tendance des salaires, de la productivité et des taux d'emploi, Qué-bec, Ontario et États-Unis, 1982-2002

Figure 3-2. Les écarts de PIB par habitant et leur décomposition

Figure 3-3. Évolution de l'emploi et du salaire réel, États-Unis et Union euro-péenne (15), 1975 à 2001 (1975 = 100)

Figure 4-1. Coût du travail par rapport à celui du capital, Canada, 1970 à 1994

Figure 4-2. Indice des prix des robots industriels aux États-Unis, avec et sans ajustement de qualité. Indice de la rémunération des salariés des entreprises, 1990-2003

Figure 4-3. Croissance de productivité et changement dans les prix relatifs, États-Unis, 1950-1990

Figure 4-4. Prix relatif des services et PIB par habitant, 2003

Figure 4-5. Tendance des prix et de la productivité totale des facteurs de 58 industries pour la période 1948-2001 (États-Unis)

Figure 4-6. Croissance de la productivité et des salaires par industrie pour la période de 1948-2001 (États-Unis)

Figure 4-7. Variation de l'indice de la production des biens et des services au Canada, 1935-1994 (1961 = 100)

Figure 4-8. Composition de l'emploi au Canada, 1881-1993

Figure 4-9. Croissance annuelle de la productivité totale des facteurs au Cana-da et Croissance annuelle du PIB par personne au Canada

[357]

Figure 4-10. Productivité du travail non agricole, États-Unis, 1970-2002, (1992 = 100)

Figure 5-1. Évolution du commerce extérieur québécois par rapport au PIB, 1991-2003

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 436

Figure 5-2. Évolution de la part des exportations de biens et de services du Québec par destination, 1990-2003

Figure 5-3. Part du Québec dans les importations de biens et de services des États-Unis, 1990-2003

Figure 5-4. Rémunération horaire canadienne par rapport aux États-Unis

Figure 5-5. Variation de l'emploi dans le secteur manufacturier de 1995 à 2002, en pourcentage

Figure 6-1. Coût annuel du chauffage à Montréal pour une maison indivi-duelle de 160M2 pour la période du 1er avril 2001 au 31 mars 2002

Figure 7-1. PIB par tête pour cinq régions, 1750 à 1990 en $ US 1985

Figure 8-1. Équilibre du votant médian

Figure 8-2. Estimation du soutien à la production agricole par produit, Canada

Figure 9-1. Évolution du solde budgétaire du gouvernement du Québec

Figure 10-1. Taux marginal d'imposition effectif - couple à un seul revenu avec deux enfants

Figure 10-2. Relation entre la durée annuelle du travail et le taux marginal d'imposition des revenus de travail pour les pays de l'OCDE, 2003 / 2007

Figure 10-3. Heures relatives travaillées par semaine, Québec / Ontario et Qué-bec / États-Unis, ratio en %, 1981-2002

Figure 10-4. Gain de bien-être économique à long terme issu de réductions d'impôt sans effet sur le revenu du gouvernement.

Figure 10-5. Impact par dollar de réduction d'impôt sans effet sur les revenus gouvernementaux

Figure 12-1. Taux de présence syndicale dans les secteurs privé et public, Qué-bec, Ontario, reste du Canada et États-Unis, 1997 et 2004

12-2. Densité syndicale, Canada et États-Unis, 1920 à 1998 en %

12-3. Salaire minimum réel Québec ($ constants de 1992)

12-4. Protection de l'emploi et importance relative des dépenses publiques du marché du travail, pays de l'OCDE

13-1. Corrélation entre la persistance de la langue et la concentration parmi la minorité française dans 27 comtés ontariens en 1971

14-1. Proportion des naissances hors mariage, de père non déclaré et de mère seule, Québec 1951-2004

[358]

15-1. Indice synthétique de fécondité et descendance des générations, Québec, 1950-2005

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15-2. Espérance de vie à la naissance selon le sexe, Québec, 1950-1952 à 2003-2005

15-3. Migrations internationales et interprovinciales, Québec, 1972-2005

15-4. Pyramide des âges, Québec, 1er juillet 2006

Figure 15-5. Âge médian de la population, Québec, 1901-2041

Figure 15-6. Rapport de dépendance, Québec, 1901-2041

Figure 15-7. Dépenses moyennes totales de santé des gouvernements provin-ciaux et territoriaux, selon le groupe d'âge et le sexe, Canada, en dollars constants de 1997, 2002

Figure 15-8. Naissance et décès, 1971-2003, et trois scénarios, 2001-2050, Québec

Figure 16-1. Coefficients de variation interprovinciale de 1981 à 2002

Figure 16-2. Part des recettes et des dépenses des gouvernements non centraux en pourcentage de l'ensemble du secteur public, pays de l'OCDE, 2003 ou 2004

Figure 16-3. Part des revenus des gouvernements provinciaux et locaux dans les revenus publics, pays fédéraux, 2004 (en %)

Figure 16-4. Part des revenus autonomes dans les revenus provinciaux et lo-caux, pays fédéraux, 2004

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Table des matières

Préface [7]Introduction [11]♦ Les modes d'approche de l'étude de l'économie du Québec 11 ♦

L'économique comme discipline 12 ♦ L'efficacité 13 ♦ Les systèmes économiques 15 ♦ Un important constat: le déclin relatif du Québec en Amérique du Nord 18

Chapitre 1. Le Québec, une région en Amérique du Nord [21]♦ Une région relativement en déclin 22 ♦ Déplacement du centre

de gravité en Amérique du Nord 23 ♦ L'intégration économique et l'égalisation régionale des revenus 24 ♦ Généralisation à la situation canadienne 30 ♦ Conclusion 32

Chapitre 2. Québec-Montréal au XIXe siècle, Montréal-Toronto au XXe siècle [35]

♦ La mobilité des facteurs 36 ♦ Le prix des facteurs 41 ♦ Les poli-tiques d'accroissement des dépenses gouvernementales 44 ♦ L'aide gouvernementale à l'industrie 45 ♦ Conclusion 48

Chapitre 3. Rémunération, productivité et emploi [51]♦ Les raisonnements tautologiques 51 ♦ Principes de science éco-

nomique et productivité 52 ♦ Le principe directeur de rattrapage 59 ♦ Conclusion 59

Chapitre 4. Les coûts croissants du travail humain [61]♦ Un modèle à deux secteurs ayant des accroissements inégaux de

productivité 64 ♦ La maladie des coûts relatifs croissants des services a-t-elle trouvé son remède ? 74 ♦ Hier la « mcdonalisation » des ser-vices, aujourd'hui leur « wal-martisation » 76 ♦ Les séries statistiques sont-elles un château de cartes ? 77 ♦ Où sera le facteur humain ? 80 ♦ Conclusion 82

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Chapitre 5. Les exportations du Québec, les avantages comparatifs et la politique commerciale canadienne [85]

Les avantages du commerce 87 ♦ Le commerce extérieur québé-cois depuis 1990 91 ♦ L'effet frontière 98 ♦ Causes possibles de l'effet frontière 99 ♦ Conclusion 101

Chapitre 6. Hydro-électricité et richesses naturelles [103]♦ Un exemple de dissipation de la valeur d'une ressource 103 ♦

Comment maximiser la valeur d'une ressource? 104 ♦ Coût moyen et coût marginal 105 ♦ Une ressource peut-elle être source de perte ? 108 ♦ La dissipation de la rente dans le secteur domestique 110 ♦ La dissi-pation de la rente par la venue d'entreprises énergivores 112 ♦ Renou-vellement des [360] ententes 114 ♦ La dissipation de la rente par des coûts excédentaires des facteurs de production 117 ♦ Rente des res-sources et rémunération 118 ♦ La dissipation de la rente par la corrup-tion 120 ♦ Conclusion 120

Chapitre 7. L'expansion du secteur public dans l'économie [125]♦ La croissance de la production 125 ♦ La croissance de l'État 125

♦ Les raisons de la croissance du secteur public 129 ♦ Les défaillances de la décentralisation 129 ♦ Le gouvernement, une institution de sub-stitution 135 ♦ Les facteurs non institutionnels 139 ♦ L'économique des processus politiques 145

Chapitre 8. L'économique des processus politiques [147]♦ L'équilibre du votant médian 147 ♦ Le commerce des votes 154 ♦

Coûts de participation et majorité rationnellement silencieuse 155 ♦ Agrégation des préférences et incohérences 161 ♦ L'effet net incertain des politiques de redistribution 163 ♦ Conclusion 165

Chapitre 9. Le modèle québécois [169]♦ Les neuf propositions de Mancur Oison 171 ♦ Un exemple qué-

bécois de concrétisation dans la réglementation 175 ♦ Un complément à l'approche d'Oison 177 ♦ Application du modèle d'Oison au Québec 178 ♦ Le modèle québécois est-il éternel ? 181 ♦ Conclusion 185

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Chapitre 10. Donne-moi une subvention malgré les coûts de son financement [187]

♦ Les coûts des différentes taxes 188 ♦ Estimations canadiennes et québécoises des coûts d'efficacité des taxes 196 ♦ Les estimations ca-nadiennes 197 ♦ Les estimations québécoises 198 ♦ Le légendaire em-pereur romain 201 ♦ Les incitations fiscales en faveur de la R et D 202 ♦ Aide fiscale au capital de risque 203 ♦ Crédit d'impôt pour place-ments privilégiés et augmentation de la valeur du permis de taxi 206 ♦ Des bénéfices bruts peu importants 207 ♦ Quoi faire ? 213 ♦ La dé-centralisation est-elle partiellement vouée à l'échec ? 214

Chapitre 11. Montréal et les régions [219]♦ D'hier à aujourd'hui: le passage d'une économie orientée vers les

ressources à une économie du savoir 219 ♦ Montréal par rapport au Québec 220 ♦ Les prévisions de population régionale 221 ♦ Vers un nouvel équilibre 225 ♦ Une application des projections: où sont les pénuries de médecins? 227 ♦ Deux obstacles au développement régio-nal 229 ♦ Le «rentier encombrant» 230 ♦ Le cadre provincial 232 ♦ La demande pour des politiques régionales 234 ♦ Les coûts des politiques régionales 235

[361]Chapitre 12. Syndicalisme, marché du travail et stabilisation éco-

nomique régionale [237]♦ La pénétration syndicale 237 ♦ Différence de densité syndicale

239 ♦ Que font les syndicats ? 242 ♦ Un deuxième visage 243 ♦ Syn-dicalisme et processus politiques 244 ♦ Le degré optimal de syndicali-sation 245 ♦ Stabilisation économique régionale 246 ♦ La flexicarité 251

Chapitre 13. L'économique de la langue [257]♦ Le Québec «aussi français que l'Ontario est anglais» 261 ♦ Mont-

réal à la suite de Québec et des Cantons de l'Est ? 261 ♦ Le marché du travail a bien changé depuis 1950 267 ♦ Le rôle de Montréal dans l'économie canadienne 271 ♦ Un retour à Joy 274 ♦ La francisation du Québec et les événements politiques 274

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Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007) 441

Chapitre 14. Capital social, participation civique et économie so-ciale 277

♦ Quelques indicateurs comparatifs du capital social 277 ♦ Ré-flexions sur l'économie sociale 283 ♦ Les caractéristiques des diffé-rentes formes d'organisations privées 285 ♦ La coopérative, une insti-tution à privilégier ? 290

Chapitre 15. Vers un vieillissement rapide de la population [295]♦ Une faible fécondité 295 ♦ Un allongement de l'espérance de vie

295 ♦ Mouvements migratoires peu favorables 296 ♦ Le résultat: un vieillissement important de la population 297 ♦ La meilleure politique de la population 302 ♦ Le vieillissement et les dépenses de santé 304 ♦ L'État assureur et le vieillissement de la population 308

Chapitre 16. Le fédéralisme [313]♦ L'approche conventionnelle ou orthodoxe 314 ♦ La base de la

morale économique 314 ♦Les applications à un système fédéral 315 ♦ La protection du marché commun national 317 ♦ Comment diminuer la balkanisation ? 318 ♦ La redistribution des revenus 321 ♦ La stabili-sation économique 323 ♦ L'harmonisation fiscale 325 ♦ Les paiements de péréquation 327 ♦ Une objection majeure à la péréquation 329 ♦ Les effets de débordement 330 ♦ Une tentative pour modifier l'ap-proche traditionnelle 333 ♦ L'approche du choix public 334 ♦ Le vécu de la concurrence verticale 337 ♦ Conclusion 343

Conclusion [351]Liste des tableaux [353]Liste des figures [356]

Fin du texte