Lc Platon Banq

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LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON Juan Pablo Lucchelli ERES | Cliniques méditerranéennes 2011/2 - n° 84 pages 215 à 227 ISSN 0762-7491 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2011-2-page-215.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lucchelli Juan Pablo, « La lecture lacanienne du Banquet de Platon », Cliniques méditerranéennes, 2011/2 n° 84, p. 215-227. DOI : 10.3917/cm.084.0215 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Belinsky Jorge - 81.39.185.91 - 23/01/2015 21h20. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Belinsky Jorge - 81.39.185.91 - 23/01/2015 21h20. © ERES

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Lacan sobre Platón

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  • LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON

    Juan Pablo Lucchelli

    ERES | Cliniques mditerranennes

    2011/2 - n 84pages 215 227

    ISSN 0762-7491

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2011-2-page-215.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    Lucchelli Juan Pablo, La lecture lacanienne du Banquet de Platon , Cliniques mditerranennes, 2011/2 n 84, p. 215-227. DOI : 10.3917/cm.084.0215--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Cliniques mditerranennes, 84-2011

    Juan Pablo Lucchelli 1

    La lecture lacanienne du Banquet de Platon

    Selon Lacan, le psychanalyste a un antcdent historique : cest Socrate. Lacan prend appui sur Le banquet de Platon pour montrer que Socrate fait une manuvre digne dun analyste, dans la mesure o, lorsque Alcibiade lui dclare son amour, il le renvoie un autre : Agathon. Socrate interprte Alcibiade dans le sens de lui dvoiler lobjet de son dsir inconscient.

    Quest-ce que Le banquet de Platon ? Laissons rpondre un philosophe : Le Banquet est donc le rcit dun rcit, fait sur la route de Phalre Athnes par un fidle disciple de Socrate, Apollodore, son ami Glaucon, et rapport par le mme Apollodore quelques jours aprs plusieurs de ses amis, riches bourgeois qui ne sont pas trangers aux choses de lesprit. On a demand Apollodore, dun ct comme de lautre, le rcit, quil tient lui-mme dAris-todme, de la fameuse soire chez Agathon, bien des annes auparavant. Que sest-il dit, demande le premier Glaucon, cette runion o Agathon, Socrate et Alcibiade parlrent avec dautres des choses de lamour ? (Matti, 1996, 291-292). Le banquet est, en effet, lloge que lon fait dros, le dieu de lamour. La plupart des personnages prsents par Platon dans ce dialogue, voquent leur manire ce quest ros. Plus prcisment, nous avons au total huit personnages : selon quelques commentateurs, quatre expliquent ce que ros nest pas (Phdre, Pausanias, Eryximaque et Aristophane) et quatre encore expliquent ce quest ros (Agathon, Socrate, Diotime et Alcibiade), (Reale, 1997, 23-24). Cela indique dj une belle asymtrie dans la distribu-tion des personnages de ce dialogue.

    Il faut soulever demble ce qui est annonc par Lacan ds le dbut de son sminaire sur le transfert : Le secret de Socrate sera derrire tout ce que nous dirons cette anne du transfert (Lacan, 2001, 16). Il ne sagit donc pas de ltude rudite dune uvre classique, mais lexemple mme de ce quest

    Juan Pablo Lucchelli, Laboratoire de psychopathologie et clinique psychanalytique, universit de Rennes 2, E.A 4050, 98 rue de Vaugirard, F-75006 Paris [email protected]

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  • CLINIQUES MDITERRANENNES 84-2011216

    le transfert, la manire de Freud lorsquil affirme lexemple est la chose mme . Socrate dit ne rien savoir, sauf sur les choses de lamour. Or, lamour est au commencement de lanalyse : Au commencement tait lamour (Lacan, 2001, 16). Dans la relation analytique il est question damour. Dun certain point de vue, le transfert implique ncessairement lamour au point que, pour Freud, lamour de transfert est un amour vritable (Freud, 1953, 127). Pour Lacan ce sera lamour qui imite le transfert et non linverse.

    Lorsquil sagit de lamour tel quil est trait dans Le banquet, il est question, presque en permanence, de la beaut des corps et, partir de l, des rapports entre aim (eromenos) et aimant (erastes). Laim est celui qui est beau. Par contre, laimant se trouve dans une autre position, cest plutt celui qui sacrifie quelque chose de son image partir du moment o il manifeste un manque. De surcrot, laimant nest pas oblig dtre beau, bien au contraire : cest ainsi que la laideur de Socrate le place naturellement comme tant laimant. Cette dyade est essentielle saisir. Mais cest l o Le Banquet apporte du nouveau, car cette laideur savre ne pas tre un obstacle lamour : cest la raison pour laquelle le transfert (et lamour) se diffrencie de toute intersub-jectivit , au sens o on peut aimer chez lautre quelque chose dautre que ce quil est. Sur ce point, Lacan affirme quelque chose de curieux : quil nest pas bon dtre beau lorsquon est psychanalyste (Lacan, 1998, 322). Et dans le smi-naire sur le transfert il est mme catgorique : Lanalyse est la seule praxis o le charme soit un inconvnient (Lacan, 2001, 17). Il sagit clairement dun message adress aux psychanalystes, car le risque quils encourraient ce serait de croire que cest pour eux que le patient tombe sous le charme.

    La situation analytique est une situation artificielle ( cest la situation la plus fausse qui soit ), pour la simple raison que lamour qui nat de la rencontre analytique est loppos de lamour sexuel prcaris , caract-ristique de nos socits (Freud appelle cette situation le rabaissement de la vie amoureuse ). Ce rabaissement est proscrit dans la situation analytique, ce qui fait que la sexualit, comprise comme change sexuel entre parte-naires, manque. Et cest prcisment ce manque dchange sexuel qui vide, qui va lencontre du remplissage sexuel moderne. Pour reprendre les termes de Lacan, toujours dans son sminaire sur le transfert, il dclare : Rompant avec la tradition qui consiste abstraire, neutraliser, et vider de tout son sens ce qui peut tre en cause dans le fond de la relation analy-tique, jentends partir de lextrme de ce que suppose le fait de sisoler avec un autre pour lui apprendre quoi ? ce qui lui manque (Lacan, 2001, 25). Cest pour cette raison dailleurs que Le banquet est exemplaire, car on voit comment on passe du sens commun des dires sur lamour, surtout avec les premiers quatre personnages, au ratage essentiel de ces dires, partir du moment o ils rpondent un manque.

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  • LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 217

    LA MTAPHORE DE LAMOUR

    Mais ce nest pas tout. Si nous insistons, en suivant Lacan, sur le manque dont il est question dans le sexe cest parce que cest partir dun certain sacrifice, dune perte, quon peut apprendre ce qui nous manque. Et cest dans et par le transfert que ce manque adoptera un visage : celui de laimant, identifi par Lacan lanalysant. Ainsi, Lacan affirme : Situation encore plus redoutable [la situation analytique], si nous songeons justement que de par la nature du transfert, ce qui lui manque, [lanalysant] va lapprendre en tant quaimant (Lacan, 2001, 25). Nous laurons compris : dans la perspec-tive lacanienne, si changement subjectif il y a dans une analyse, il se produit lorsque le sujet passe, mute, dune position daimable (voire daim) une position daimant, qui il manque forcment quelque chose. Lacan appelle ce changement mtaphore de lamour . Nous percevrons dailleurs, dans cette perspective de Lacan, quelques rsonances de lanalyse avec fin et analyse sans fin de Freud, o la fin de lanalyse peut passer par une subjec-tivation de la castration (Freud, 1985, 266-267).

    Quant au banquet, nous avons dj voqu les huit personnages qui le composent et limportance majeure des quatre derniers . Ajoutons cela lintrt capital quaura lentre en scne dAlcibiade (car il transgresse toutes les rgles du jeu) et le dialogue qui le confronte Socrate. Lacan tire profit de cette irruption dAlcibiade, dans la mesure o il considre que nous allons le prendre, disons, comme une sorte de compte rendu de sances psychanaly-tiques. Cest effectivement de quelque chose comme cela quil sagit (Lacan, 2001, 38). En effet, au milieu des discours sur lamour, ce que lon pourrait assimiler une sance danalyse comme le signale Lacan dans son sminaire, il apparat une mise en scne de lamour : savoir le couple aim et aimant 1. Quel est le sens donn par Lacan ce couple ? Voici les formules : laimant (erastes) est celui qui dsire (et qui, donc, il manque quelque chose) ; laim (eromenos), par contre, est celui qui a quelque chose, ce qui le rend dsirable. Mais il faut encore une prcision : le dsir de laimant, comme tout dsir, est dsir dautre chose que lobjet dsir (laim, en loccurrence) ce dernier apparat ainsi comme tant inadquat, inadquat la pulsion. Le banquet est ainsi la mise nu de cette conjonction entre le dsir dautre chose et lobjet damour, par dfinition, inadquat. Ce phnomne doit nous servir comprendre ce qui se passe dans le transfert : dune part, il y a bel et bien une rptition le transfert peut tre conu comme un phnomne presque automatique, tel point que Freud a pu le comparer des clichs qui se

    1. Nous ne pouvons pas ici ne pas voquer ce joli commentaire de Freud, quand il compare lamour du transfert au feu qui clate pendant une reprsentation thtrale, Freud (1953, 127).

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    rptent, mais dans le mme temps, ce nest pas lobjet du dsir qui saurait causer cet amour, ce phnomne inadquation de lobjet.

    ROS MIEUX ORIENT

    Mais pourquoi cette inadquation de lobjet deviendrait-elle un thme si central dans le transfert ? Pour la simple raison quil est le thme psychana-lytique par excellence : linadquation foncire entre la pulsion et son objet. Le transfert garde un rapport troit avec cette question, cest pourquoi une analyse se fait, pour Lacan, autour du transfert, cest--dire autour, dune part, dune identification lobjet du dsir qui soutient la demande et, dautre part, du dsir de lanalyste (Lacan, 1973), qui tend fracturer cette identification afin de faire correspondre la demande lobjet de la pulsion seule vraie cause du transfert. Socrate, dans ce dialogue avec Alcibiade, manuvre cest la thse de Lacan la demande de ce dernier vers un autre objet (Agathon) plutt que lobjet spculaire dsir, Socrate lui-mme, en loccurrence, puisque cest lui qui est vis dans la demande dAlcibiade.

    Cest Platon le premier avoir une vision transcendantale de lamour soit ce que certains auteurs, comme Halperin, appellent lironie platoni-cienne (Halperin, 2005, 23). Cette ironie concernant lamour rend vident le fait que lrotique dont il est question nest nullement sexuelle, au sens physique, mais quelle est transcendantale : Lattirance rotique nest pas physique [chez Platon], elle est mtaphysique : elle se porte sur un objet qui reste insaisissable []. Les ironies de lamour sont nombreuses. Mais elles se ramnent toutes un seul paradoxe : lobjet de lamour nest pas ce que tu crois []. Ce que tu cherches dans lamour nest pas ce que tu dsires []. Il ny a pas dobjet particulier qui corresponde ton amour (Halperin, 2005, 23). Cest ainsi que Halperin voit Le banquet comme lexemple de la transcen-dance de lamour, ce qui lui fait dire que dans le rapport dAlcibiade Socrate il sagit dun ros mal orient . Nous ne pouvons qutre daccord avec lui, ceci prs que la leon consiste dire quros est toujours mal orient. tel point que le pari de Lacan ce sera de dire que, dans la psychanalyse et par le transfert, pour une fois, ros pourrait tre mieux orient.

    Reprenons la question des personnages et du thme ici discut : quel genre de dieu est ros ? Les premiers quatre personnages feraient, si lon peut dire, fausse route : ils disent ce quros nest pas vraiment. Autant dire quils passent ct du dvoilement qui se produira dans les dialogues des quatre derniers personnages : Agathon, Socrate, Diotime et Alcibiade. Si nous lisons un commentateur du Banquet, comme G. Reale, nous appre-nons ceci : on ne peut rien comprendre ce qui se passe dans ce dialogue si nous nacceptons pas lexistence dun jeu de masques entre les quatre

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  • LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 219

    principaux personnages (Agathon, Socrate, Diotime et Alcibiade). Plus prci-sment, il distingue deux moments essentiels saisir : le premier est le jeu entrecrois de masques qui se produit entre Socrate, Agathon et Diotime. En effet, aprs le discours dAgathon, Socrate commence linterroger au sujet dros et de sa suppose beaut, selon les propos tenus par Agathon. Si nous aimons ce qui nous manque et si ros aime la beaut, donc ros manque de beaut. De cette manire, Socrate oblige Agathon reconnatre la contradic-tion de ses propres arguments. La phrase dcisive profre par Agathon est ainsi la suivante : Je risque fort, Socrate, davoir parl sans savoir ce que je disais (201b), ce qui serait une espce de mutation subjective aprs que ses arguments sur lamour auraient t rfuts par Socrate.

    Mais comment Socrate compte arguer lide quil a de lamour sans tre malpoli avec Agathon ? En effet, la plupart des commentateurs, cest le cas de Reale 2, avancent lexplication suivante : puisquon tait chez Agathon pour fter le prix quil avait obtenu le jour prcdent au concours dauteurs tragiques, Socrate ne pouvait pas dire au pote clbr que ce quil soutenait sur lamour ntait que banalits. La plupart des auteurs soutiennent lide que cest pour cela que Platon fait rpondre Diotime la place de Socrate, afin que ce dernier puisse rester courtois avec Agathon sauf Lacan. Aprs le premier moment de tension entre Socrate et Agathon, qui conduira, disions-nous, cette sorte de mutation subjective chez le pote tragique, a lieu le deuxime jeu de masques : ainsi, le questionnement que Socrate adresse Agathon deviendra par la suite, vu que Socrate doit rester cordial avec ce dernier, la rponse donne par Diotime Socrate. Par exemple, Socrate semble naf face Diotime, mais il ne sagit, en ralit, que de la navet dAgathon envers Socrate.

    Ce deuxime jeu entrecrois pourrait scrire comme suit : Agathon : Socrate Socrate DiotimeCe qui veut dire : la navet dAgathon face Socrate correspond la

    navet de Socrate face Diotime ; ou encore : Agathon est Socrate ce que Socrate est Diotime 3. Reale crit : Socrate [] rapporte au premier plan la confrontation dialectique, en faisant semblant dtre lui-mme interpell par Diotime, exactement de la mme manire quAgathon a t rfut par lui : Elle me rfutait exactement par ces arguments qui mont servi moi pour rfuter Agathon (Reale, 1997, 156).

    Il est ici intressant de voir en quoi Lacan nest pas daccord avec cette interprtation : il nest pas sr que Platon nait pas eu dautre choix que dintro duire Diotime, femme et trangre, pour rpondre Agathon. En

    2. Mais aussi de Lon Robin, parmi dautres. 3. Comme nous lavons dit, L. Robin soutient la mme hypothse (Robin, 1951).

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  • CLINIQUES MDITERRANENNES 84-2011220

    effet, sagissant de Platon, il aurait suffi de peu Socrate pour se dbrouiller avec son Agathon : Une chose est l faite pour nous frapper. Ayant intro-duit ce que jai appel tout lheure le coin de la fonction du manque comme constitutive de la relation damour, Socrate parlant en son nom sen tient l. Et cest poser une question juste que de se demander pourquoi il se substitue lautorit de Diotime. Mais aussi cette question, cest la rsoudre bien peu de frais que de dire que cest pour mnager lamour-propre dAgathon. Si les choses sont comme on nous le dit, Platon naurait qu faire un tour tout fait lmentaire de judo [] puisque Agathon dit expressment Je ten prie, je ne savais pas ce que je disais, mon discours est ailleurs. Mais ce nest pas tant Agathon qui est en difficult, que Socrate lui-mme (Lacan, 2001, 142). La question est donc complexe, aussi pour Socrate : disons que son propre savoir touche une limite et cest lorsquil y a une limite au savoir cohrent (pistm), quon passe la main Diotime et quapparat le mythe de la naissance dros comme seule rponse aux lucubrations des diffrents personnages sur le dieu de lAmour. L o le savoir dialectique de Socrate fait dfaut, le mythe racont par une femme vient y suppler.

    Est-ce que pour parler de lamour il faut laisser la parole une femme, qui plus est une trangre ? Ce qui importe, ne lescamotons pas, est le point sur lequel a port sa question [celle de Socrate] (Lacan, 2001, 143). La cl se trouve en effet dans le dplacement que produit Socrate lorsquil accentue, non la place de laim (eromenos), mais celle de laimant (erastes). De cette manire, cest bel et bien laimant qui peut tmoigner du manque dans lamour, et nullement laim. Lacan ponctue le changement qui se produit dans le texte, o Socrate passe de lamour au dsir, lorsquil dialogue avec Agathon 4. Bien videmment, il ne sagit pas de faire valoir lexistence dune distinction laca-nienne (par exemple, celle de la demande et du dsir) dans le texte platoni-cien ! Il sagit de pointer le fait que laccent se dplace et passe de lamour, qui concerne surtout laim, au dsir, qui implique notamment la position de laimant (erastes). Cette introduction, un peu rapide selon Lacan, faite par Socrate lorsquil voque le dsir la place de lamour, est possible grce la mthode socratique (il sagit, naturellement, de la dialectique socratique) que lon pourrait comparer une sorte d association libre .

    LE MYTHE AU FMININ

    Matti, dans louvrage sur Platon ici cit, indique demble ce dont il est question avec lentre en scne de Diotime : Quelle que soit la sduc-tion du mythe orphique dAristophane, que bien des lecteurs retiendront

    4. En effet, on passe du mot , vouloir, souhaiter, au mot dsirer [200a].

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  • LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 221

    de prfrence au discours de Diotime, la thse de lunit originelle perdue ne rvle pas lenseignement essentiel de Platon (Matti, 1996, 288). En effet, la thorie de lamour dfendue par Platon est loppos de la stri-lit du mythe racont par Aristophane, qui rduit lamour une simple question spculaire : La strilit de cette conception spculaire dtres sphriques absorbs dans leur propre image est souligne par Diotime qui montre par contraste de quelle faon lamour vritable donne un sens lexistence mortelle (Matti, 1996, 288). Lacan affirme, comme les autres commentateurs, quil y a une continuit entre le discours de Diotime et celui de Socrate, au point que Socrate dit utiliser les mmes arguments avec Agathon que Diotime jadis avec lui-mme ; mais la diffrence des autres, il avance quil y a une rupture entre ces deux discours partir du moment o Socrate fait appel une femme pour lui faire dire ce que cest que lamour. Matti, comme Lacan, soulve ce point essentiel : Platon introduit une femme dans un dialogue o on traite de lamour, pour lessentiel homo-sexuel, comme nous le constatons en suivant les premiers orateurs. En effet, non seulement Socrate critique ces orateurs, ce que personne navait os faire, mais de plus il fait venir une femme trangre et magicienne ! Cest dautant plus tonnant quun des premiers gestes avant de commencer le dialogue avait t de congdier les femmes : Alors, puisque, dit Eryxi-maque, il est entendu de ne boire quautant quil plaira chacun, mais sans rien dimpos, jintroduis une motion additionnelle : cest de donner cong la joueuse de flte, qui tout lheure est entre ici, et de lenvoyer jouer de la flte pour elle-mme, ou, si elle veut, pour les femmes de la maison [176e] (Platon, 1951). Mais ce nest pas tout : il y a encore une autre femme qui sera introduite dans le rcit, comme le signalent Lacan (2001) et Matti (1996). Le mythe de la naissance dros est le suivant : lors des ftes de la naissance dAphrodite, le dieu Poros, que lon peut traduire par Ressource, sendort, ivre. Pnia, quon peut traduire par la Pauvret, une mortelle, qui ntait pas invite la fte, profite de cette situation pour se faire engrosser par lui. De cette union nat ros.

    Il y a bel et bien un parallle entre Diotime, qui ntait pas convie au banquet dAgathon et Pnia, qui ntait pas non plus invite la fte des dieux : Or, quand ils eurent dn, comme ils avaient fait bombance, survient Pauvret [Pnia] dans le dessein de mendier, et elle se tenait contre la porte [202b] (Platon, 1951). Les femmes nont droit de cit ni chez les dieux, ni chez les hommes. Le parallle entre Diotime et Pnia sarrte l, mais on comprend encore mieux pourquoi Lacan ne considre pas lintervention de Diotime comme un simple procd stylistique de Platon : les femmes viennent gcher la fte, dans le cas de Pnia en tant que demandeuse, le manque personnifi ; dans celui de Diotime, en tant que celle qui sait,

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  • CLINIQUES MDITERRANENNES 84-2011222

    donc celle qui a quelque chose et qui vient combler le vide laiss par les discours des hommes, Socrate compris !

    Dans le mythe racont par Diotime, on voit bien quros est le produit de lunion du manque et de la ressource , dun immortel et dune mortelle. Cest ce qui fait dire Diotime quros est un intermdiaire (). Lacan souligne encore autre chose : la femme ainsi introduite dans lhistoire est pauvre et personnifie le manque , mais dans le mme temps, cest parce quelle manque de tout quelle dsire. On comprend mieux la fameuse expression de Lacan selon laquelle aimer cest donner ce que lon na pas (Lacan, 2001), qui a dailleurs son antcdent historique dans une partie du dialogue ici comment ( car on ne peut donner ce quon na pas ) 5. En effet, Aimer cest donner ce quon na pas , dira Lacan : cette formule qui peut passer pour potique est, en ralit, dune crasante quotidiennet. Ouvrons une petite parenthse avec cet exemple : une mre, qui dit avoir eu une vie difficile, parle de sa fille en disant je veux lui donner tout ce que je nai jamais eu . Voil le dsir inconscient dans sa dpendance la parole : cette mre dsire pour sa fille autre chose que ce quelle a elle dsire justement ce quelle na jamais eu. Cela peut paratre paradoxal car, comment peut-on donner ce quon na pas ? Ce quon na jamais eu ? Mais on na pas besoin davoir pour donner et encore moins pour dsirer, bien au contraire : moins on a eu, plus on dsire, et plus on peut donner ce que lon fait exister la place du manque. Revenons sur Diotime. Cest aussi elle, dans le mythe racont, qui a le rle actif. Lacan prcise ce propos : Voil donc les choses dites clairement cest le masculin qui est dsirable, cest le fminin qui est actif. Cela est important, car dhabitude on situe les choses inversement : cest dailleurs Freud qui a le plus mis en rapport la libido avec la masculinit et lactivit et la fminit avec la passivit.

    Lacan relve aussi quil y a entre deux perspectives paradoxales quant au savoir et lamour deux positions qui sont manifestes dans le dialogue. Dune part, celle dj souligne, de Socrate qui ne sait rien sauf sur les choses de lamour et, dautre part, le point de vue de Diotime qui, ne se plaant pas dans la recherche du savoir socratique tel que lpistm, en sait beaucoup sur ce dont il sagit dans lamour. Il y a donc une zone de non-savoir impli-que dans lamour : Socrate trouve une limite son savoir, il doit faire parler Diotime, dans une vraie mise entre parenthses de sa dialectique habituelle. Masculin et fminin, savoir et non-savoir se trouvent inverss.

    5. Selon la traduction de Ph. Jaccottet, Le banquet, Librairie gnrale franaise, Paris, 1991, p. 78. Nous nous permettons de signaler une erreur dans ldition du sminaire Le transfert tablie par J.-A. Miller (op. cit., p. 150), car on lit que cest dans lindice 202a quon peut lire cette formule, alors que cest dans 196e quon la retrouve.

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  • LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 223

    LENTRE DALCIBIADE

    Nous abordons maintenant ce que certains commentateurs appellent la troisime partie du dialogue : il sagit de lentre en scne dAlcibiade. En effet, avec son entre il y a une espce de mise en acte de ce qui avait t dit sur lamour lors du banquet. On met un peu de chair dans la chose. Tout dabord, Alcibiade arrive ivre au banquet, il vient pour clbrer la victoire dAgathon, obtenue la veille. Il est alcoolis et passablement dsinhib. Il sallonge ct dAgathon, sans savoir quen faisant de la sorte, il se couchait entre Agathon et Socrate, qui se trouvait dj l. Cela est important, car le thme du Banquet cest ros, non un dieu mais un dmon intermdiaire, au milieu des opposs. Ainsi, remarque Lacan, Alcibiade se place au point o nous en sommes , cest--dire au milieu du dbat entre celui qui sait et, sachant, montre quil doit parler sans savoir [Socrate] et celui qui, ne sachant pas, a parl sans doute comme un sansonnet [Agathon] (Lacan, 2001, 163) 6.

    ENTRE SOCRATE ET ALCIBIADE

    Au dbut de notre travail, nous avons trait de ce que Lacan appelle la mtaphore de lamour , savoir que l o il y avait laim (eromenos), maintenant nous avons un aimant (erastes). Laim devient laimant. Pour-quoi Lacan parle-t-il de mtaphore ? Parce quil y a substitution de lun par lautre. Mais il faut savoir que cette substitution indique surtout une mutation, un changement assez radical de position subjective, car laim qui avait tout pour tre aimable se dclare tout coup comme aimant, dsirant, manquant de quelque chose. Dans son langage, la mise en place de ce dsir, Lacan lappelle la demande . Tout ce que Lacan labore sur le passage de lavoir ltre est en rapport avec ledit changement, ladite mutation . Parler de mtaphore de lamour implique aussi un sacri-fice : non seulement le sujet n a plus ce quil avait mais, de plus, ce quil est est amput de lobjet du dsir par lui recherch, puisque manquant. Mais que dire de plus au sujet de cette mtaphore, de cette transformation qui affecte le Moi ? Comment sexplique ce changement ? Pourquoi celui qui est trs laise dans son avoir deviendrait-il, tout coup, manquant de quelque chose ? Ce type de mutation nest pas nouveau en psycha nalyse, car Freud le dcrivait dj dans Psychologie des masses et analyse du moi , lorsquil voque ce troisime mode didentification , o lobjet qui tait lobjet damour devient objet didentification (Freud, 1981, 169).

    6. L. Robin crit ce propos : Lironie, admiration simule lgard de ceux qui croient savoir et rellement ne savent pas , Robin (1951), p. CV.

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  • CLINIQUES MDITERRANENNES 84-2011224

    Lobjet damour est mis la place de lidal du Moi. Cette formule ( lobjet damour devient objet didentification ) traverse tout le sminaire de Lacan sur Les formations de linconscient Lacan (1998) : cest parce quil y a une telle identification, due une mutation qui sest opre chez le sujet, que len-fant incorpore lordre symbolique et sort de ldipe pourvu dun idal du Moi . Lenfant, identifi au dpart lobjet qui manque la mre (le phallus) accepte le sacrifice de ne plus occuper cette place, en change dune promesse : lidal du Moi incarn par le pre. Quon soit daccord ou non avec cette description, elle montre bien ce que Lacan appelle identification symbolique , laquelle identification implique une mutation radicale chez lenfant.

    LA MANUVRE DE SOCRATE

    Alcibiade affirme tre laim de Socrate ce que ce dernier ne nie pas. Par contre, Socrate refuse de se dclarer Alcibiade comme tant son aimant, celui qui le dsire (ce qui traduirait un manque chez Socrate). Bref : Alcibiade demande un signe. Le pivot de cette partie du banquet se trouve dans ce refus, ce qui produira une nouvelle inflexion dans le dialogue. Jacques-Alain Miller explicite ce point de la manire suivante : On peut dire que la lecture de Lacan, sur ce point [donc la fameuse mtaphore de lamour] cest ce sur quoi Alcibiade, la fin du banquet va buter, savoir : pourquoi Socrate, son ermenos, Socrate qui est celui que lui, Alcibiade, aime, pourquoi se refuse-t-il se manifester comme erastes son gard, pourquoi se refuse-t-il la mta-phore de lamour ? Cest ce refus de Socrate lendroit de la mtaphore de lamour qui permet Lacan de voir en lui une anticipation du psychanalyste (Miller, 1991, 219). On pourrait complter cette ide en arguant que cest aussi ce refus de Socrate qui lui donne du prestige aux yeux dAlcibiade. Socrate apparat comme lobjet dsir qui cache (et donc a ) quelque chose, partir du moment o il naccepte pas de devenir effectivement laim dAlcibiade. Pourquoi ? Parce quen acceptant (comme aim) la demande damour dAl-cibiade il risquerait, du mme coup, de devenir dsirant. Comme lindique Jacques-Alain Miller, le sminaire sur le Transfert inverse la perspective habi-tuelle : normalement, on ne supporterait pas de devenir aimant, de dclarer sa flamme lautre, de se manifester comme dsirant, manquant de quelque chose. Au contraire, dans le sminaire en question, est amorce une autre thique : ce serait une chute que de consentir devenir laim, dtre lobjet du dsir de lautre. Paradoxe donc. Le psychanalyste dsire contre-courant de ce que lon suppose le dsir habituel des hommes, soit un dsir de reconnaissance.

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  • LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 225

    Au point o nous sommes arrivs, une question semble simposer : comment se fait-il que le rsultat du refus de la mtaphore de lamour se traduise par un gain de prestige pour le personnage de Socrate ? Voici notre rponse : Socrate se manifeste auprs dAlcibiade comme tant un dsirant, mais nullement le dsirant dAlcibiade. Cest pour cette raison que Jacques-Alain Miller stipule que cest partir du manque tre [qu] on peut devenir aim, ermenos , et le rsultat est une sorte de deuxime mtaphore de lamour [] exactement inverse la premire (Miller, 1991, 219). Dans cette perspective on peut lire la phrase de Lacan, hermtique comme dhabitude, quand il parle de Socrate : Plus il dsire, plus il devient dsirable. Socrate, non seulement est habit par un dsir de savoir mais, de plus, cest pour cela quil donne lapparence de savoir (et davoir) ce dont lautre manque : sil sait ce dont lautre manque, cest comme sil lavait [mais suivre Lacan, il renvoie Alcibiade ses oignons !]. Mais dans le texte, la situation est plus complique : Socrate refuse tre laim dAlcibiade, au point quil demande Agathon de le dfendre de la jalousie dAlcibiade. Bref : Socrate se drobe lui-mme comme objet possible de lchange amoureux, et cest pour cela quil pourra donner cette sorte dinterprtation Alcibiade : ce nest point moi que tu aimes, mais Agathon. Cest grce cette manuvre sur les dires dAlcibiade que Socrate peut tre considr comme un antcdent historique du psychanalyste (ou, pour le dire la manire de Borges, cest la psycha-nalyse qui devient un antcdent historique de Socrate). Sagit-il donc du contre-transfert de Socrate ou est-ce plutt le fait quil sait manuvrer le transfert dAlcibiade ? Il y a assurment plus quune interprtation du et de transfert (Chervet, 2004), il y a plutt, notre sens, interprtation dans le transfert , cest--dire travers et grce linstallation dun transfert favo-rable soit lamour dAlcibiade pour Socrate. Lacan, on le sait, a pris parti trs tt contre linterprtation du transfert qui enferme la cure dans un rapport imaginaire sans issue (Lacan, 1975).

    En se refusant, Socrate intrigue Alcibiade, mais quest-ce quil a vraiment, Socrate ? Rien du tout : et cest ce rien qui le constitue comme dsirable. Mais attention : ce nest pas parce quil se manifeste en ne mani-festant pas son dsir, cest--dire linverse de la rciprocit imaginaire la plus lmentaire de lchange amoureux, que Socrate est dsirant. Ce qui le constitue comme dsirant, cest quil dsire autre chose que lobjet dsirable incarn par Alcibiade. Cest ce dernier dsir que Lacan va appeler dsir de lanalyste .

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  • CLINIQUES MDITERRANENNES 84-2011226

    BIBLIOGRAPHIE

    CHERVET, B. 2004. Linterprtation du transfert, une dialectique , dans Dbats de psychanalyse , Revue franaise de psychanalyse, 2004, 7-19.

    FREUD, S. 1953. Observations sur lamour de transfert , dans La technique psychana-lytique, Paris, PUF, 127.

    FREUD, S. 1981. Psychologie des foules et analyse du Moi , dans Essais de psychana-lyse, Paris, Petite Bibliothque Payot, 168-169.

    FREUD, S. 1985. Analyse avec fin et analyse sans fin , dans Rsultats, ides, problmes, Paris, PUF, 266-267.

    LACAN, J. 1973. Le Sminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psycha-nalyse, Paris, Le Seuil.

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    freudienne, Actes, 18, 217-218.PLATON. 1950. Le banquet, dans uvres compltes, Paris, Gallimard, La Pliade, trad.

    L. Robin.REALE, G. 1997. ros, dmone mediatore, Milan, Rizzoli, 23-24.ROBIN, L. 1950. Notice , dans Le Banquet, Paris, Gallimard.STRACHEY, J. 1970. La nature de laction thrapeutique de la psychanalyse , Revue

    franaise de psychanalyse, 2, 255-284.

    RsumDans son sminaire sur le transfert, Lacan tudie Le banquet de Platon. Dans ce smi-naire, il stipule que le psychanalyste a un antcdent historique : cest Socrate. Lacan prouve que dans ledit dialogue, Socrate fait une manuvre digne dun analyste, dans la mesure o, lorsque Alcibiade lui dclare son amour, il le renvoie un autre : Agathon. Socrate interprte Alcibiade, dans le sens de lui dvoiler lobjet de son dsir inconscient. Lintrt de cette perspective cest que le transfert nest pas consi-dr dans le sens de la relation intersubjective, ce qui renforcerait selon Lacan la confrontation imaginaire, mais plutt dans le sens de sa dtermination symbolique. Malgr cela, il y a bel et bien interprtation du transfert ou, pour tre plus prcis, interprtation dans le transfert. Cest partir de cette manuvre que Lacan a pu inventer la notion de dsir de lanalyste .

    Mots-clsLacan, Freud, transfert, amour de transfert, interprtation, dsir de lanalyste.

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  • LA LECTURE LACANIENNE DU BANQUET DE PLATON 227

    THE LACANIAN READING OF PLATOS SYMPOSIUM

    SummaryIn his seminar on transference Lacan examines Platos Symposium, arguing that the psychoanalyst finds a historical antecedent in Socrates. Lacan shows how, in a stratagem worthy of an analyst, the Socrates of the Symposium turns Alcibiades declaration of love towards another (Agathon). In a certain sense, Socrates serves to interpret Alcibiades, insofar as he unveils to Alcibiades the object of Alcibiades unconscious desire. The interest of this perspective is that the transfer is not consid-ered in the sense that it is an intersubjective or interpersonal relationship (which would, according to Lacan, reinforce the imaginary confrontation), but is rather considered in the sense of its symbolic determination Nonetheless, there is indeed an interpretation of the transfer or rather, there is interpretation in the transfer. From this manoeuvre, Lacan was able to invent the notion of the analysts desire, even though it remains to be seen what relations might possibly obtain between this notion and that of countertransference.

    KeywordsLacan, Freud, transference, the love of transference, interpretation.

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