L'autre Californie, Glissade au sud partie 2pour ces compagnons, un petit verre de tequila les met...

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L'autre Californie, Glissade au sud partie 2 San Quintin à 40 miles au sud de Colnett n'est pas un lieu inconnu. La dernière fois, un an auparavant, le vent soufflait à 25 nœuds et la barre au milieu de la lagune était impressionnante. Mouillage inconfortable, même sur un catamaran de 17 mètres, San Quintin m'avait laissée une impression d'insécurité. Aujourd'hui, par vent faible et mer calme tout paraît différent. La barre est inexistante. Bien que la baie soit d'une grandeur impressionnante, le mouillage est réduit à l'entrée de la baie seulement. Le temps se réchauffe notablement et la mer calme incite à une escale prolongée. Nous sommes tous d'accord que notre croisière vers le sud inclut définitivement Baja ouest et qu'il ne faut pas la négliger, bien au contraire. Oui, nous recherchons tous la chaleur, mais ce n'est heureusement pas notre objectif principal, notre raison de voyager. Les quatre bateaux de l'Armada s'entendent à merveille sur ce plan là. Nous décidons de rester une journée de plus que nous mettons à profit pour visiter la baie avec les annexes. Nous rendons visite aux fermes à huîtres, nous faisant escorter par une petite baleine. Le ciel se couvre un peu et une houle se forme. Le fax météo n'annonce rien de caractéristique mais le mouillage devient rouleur. Au matin, nous découvrons notre barre en pleine activité. Madeline et Sea Wolf sont trop proches de celle-ci et doivent remouiller. Le spectacle de la grosse déferlante si près des bateaux est assez fantastique. Les équipages s'essaient au surf sans grand résultat, car la vague n'est pas porteuse. Nous filons tous sur l'île de Geronimo à 37 miles par vent léger, faiblissant. A part un phare et quelques baraques de pêcheurs, l'île est déserte. Le mouillage est difficile à cause du kelp mais aussi des roches sur le fond. Petra, mal fourni en ancre s'y reprend cinq fois. Sans guindeau, c'est une tâche pénible. Une panga (barque) nous aborde bientôt, demandant du diesel que nous ne pouvons hélas pas leur fournir. Nous leur offrons cigarettes et verres de tequila. Ils reviennent bientôt et jettent sur le pont 8 langoustes ! Ces pêcheurs isolés de leur famille pendant de longues semaines sont ravis de voir des bateaux de passage. Geronimo est très peu visitée, un peu à l'extérieur de la route traditionnelle, sauf pour ceux, qui comme nous voulons faire un arrêt aux îles Benitos au sud-ouest. Île Benitos Le baromètre descend un peu confirmant mes prédictions ressenties dans mes jambes depuis

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L'autre Californie, Glissade au sud partie 2

San Quintin à 40 miles au sud de Colnett n'est pas un lieu inconnu. La dernière fois, un an auparavant, le vent soufflait à 25 nœuds et la barre au milieu de la lagune était impressionnante. Mouillage inconfortable, même sur un catamaran de 17 mètres, San Quintin m'avait laissée une impression d'insécurité. Aujourd'hui, par vent faible et mer calme tout paraît différent. La barre est inexistante. Bien que la baie soit d'une grandeur impressionnante, le mouillage est réduit à l'entrée de la baie seulement. Le temps se réchauffe notablement et la mer calme incite à une escale prolongée. Nous sommes tous d'accord que notre croisière vers le sud inclut définitivement Baja ouest et qu'il ne faut pas la négliger, bien au contraire. Oui, nous recherchons tous la chaleur, mais ce n'est heureusement pas notre objectif principal, notre raison de voyager. Les quatre bateaux de l'Armada s'entendent à merveille sur ce plan là. Nous décidons de rester une journée de plus que nous mettons à profit pour visiter la baie avec les annexes. Nous rendons visite aux fermes à huîtres, nous faisant escorter par une petite baleine. Le ciel se couvre un peu et une houle se forme. Le fax météo n'annonce rien de caractéristique mais le mouillage devient rouleur. Au matin, nous découvrons notre barre en pleine activité. Madeline et Sea Wolf sont trop proches de celle-ci et doivent remouiller. Le spectacle de la grosse déferlante si près des bateaux est assez fantastique. Les équipages s'essaient au surf sans grand résultat, car la vague n'est pas porteuse. Nous filons tous sur l'île de Geronimo à 37 miles par vent léger, faiblissant. A part un phare et quelques baraques de pêcheurs, l'île est déserte. Le mouillage est difficile à cause du kelp mais aussi des roches sur le fond. Petra, mal fourni en ancre s'y reprend cinq fois. Sans guindeau, c'est une tâche pénible. Une panga (barque) nous aborde bientôt, demandant du diesel que nous ne pouvons hélas pas leur fournir. Nous leur offrons cigarettes et verres de tequila. Ils reviennent bientôt et jettent sur le pont 8 langoustes ! Ces pêcheurs isolés de leur famille pendant de longues semaines sont ravis de voir des bateaux de passage. Geronimo est très peu visitée, un peu à l'extérieur de la route traditionnelle, sauf pour ceux, qui comme nous voulons faire un arrêt aux îles Benitos au sud-ouest.

Île Benitos

Le baromètre descend un peu confirmant mes prédictions ressenties dans mes jambes depuis

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trois jours. Navigation de nuit pour rejoindre Benitos. Le vent augmente jusqu’à 20 nœuds sur une belle houle qui fait surfer le bateau. Celui-ci est trop ardent, le second ris dans la grand voile serait le bienvenu, hélas il fait parti des oublis de préparations...Je suis obligée de barrer debout et les trois heures de quart deviennent extrêmement pénibles dans ces conditions. Mais l'arrivée à Benitos au matin fait oublier toutes ces petites difficultés.Les deux îles sont séparées par un étroit goulet qui une fois franchi, s’élargit en une jolie baie bordée de rochers ocres. A peine ancrés, arrive le comité d'accueil. Une panga nous aborde. Trois hommes à bord, dont un qui parle anglais. Son allure générale n'indique pas un pêcheur local. Il nous propose des langoustes en signe de bienvenue. Manuel aimerait avoir des livres en anglais. Nous lui trouvons quelques magasines de voiles qui le ravissent. Et pour ces compagnons, un petit verre de tequila les met en joie. Nous sommes invités à terre où un groupe d'étudiants italiens en marine biologique a établi un camp. En effet, Benitos est une réserve où les éléphants de mer viennent se reproduire annuellement. Nous avons constaté l'abondance de vie marine autour des îles. Le petit village est niché en haut de la petite plage. Pour y accéder, nous ramons entre deux gros rochers érigés tels des vigiles à l'entrée d'une forteresse. Nous avons la délicieuse impression de pénétrer dans la cache secrète de pirates d'un temps révolu. Nous sommes attendus sur la plage par Ramon et son oncle, vieil homme jovial, ancien gardien du phare. Il continue à vivre avec les pêcheurs, tous originaires de la grande île voisine Cedros. Ils y ont laissé leur famille pendant la saison de pêche. Autrefois, les femmes et enfants suivaient les pêcheurs. A présent les enfants doivent être scolarisés. Les petites maisons en préfabriqué attestent d'un passé plus animé. Manuel n'est effectivement pas pêcheur de vocation, mais pilote d'avion commercial. Un accident grave à l'atterrissage de son avion il y a deux ans a mis momentanément fin à la carrière. Il nous avoue avoir eu peur pendant plusieurs mois au point de ne plus pouvoir piloter. L'oncle est très fier du nouveau phare pas encore en service. Il nous donne les clefs pour le visiter. La moitié de l'armada, moi incluse préfère retrouver les biologistes italiens qui nous emmènent voir au plus près les éléphants de mer. Ce qui frappe d'abord, c'est la puanteur. Puis ce qui choque est la vue d'un nombre important de petits cadavres de jeunes éléphants de mer, au milieu du troupeau. Le taux de mortalité des jeunes est très important. Ils se font écraser par les mâles agressifs ou même par les mères cherchant à les défendre. Ou, plus triste encore, si un petit s'éloigne de sa mère, c'est une condamnation. Il ne peut la retrouver, les autres mères le rejettent, sans nourriture, il meurt.

Île Benitos

Nous pouvons nous approcher relativement près des mères et petits. Lorsque nous

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dépassons les bornes territoriales, la mère émet un son rauque d'avertissement. Un chef de tribu massif passe son temps à patrouiller son petit harem en quête de hardis jeunes mâles suffisamment téméraires pour le provoquer. S'en suit des batailles souvent féroces ou les petits, malencontreusement sur leur chemin se font écraser sans pitié. Ils reviennent tous les ans à l' endroit où ils sont nés pour se reproduire. Trois clans existent sur l'île. Ils sont étudiés, marqués, comptabilisés. A 20 miles à l'est, la grande île de Cedros est couronnée de nuages. Cette île était une étape importante pour les galions espagnols. Autrefois couvertes de pins (l'appellation Cedros est une erreur, car ce n'étaient pas des cèdres qui tapissaient les collines), elle pourvoyait au ravitaillement et réparations des bateaux. De nombreuses sources d'eau douce existent, richesse incomparable sur cette côte désertique. Nous laissons passer le petit front à l'abri de cette anse ; Ramon et ses compagnons nous gavent de langoustes.

Une autre migration sud accompagne l'armada. Celle des baleines grises qui ont commencé leur voyage depuis l'Alaska et vont rejoindre leur base d'hiver sur les côtes de Baja et du continent. C'est un rare privilège de les côtoyer d'aussi prêt. Nous en voyons de plus en plus à mesure que nous descendons vers la baie de Magdalena qui est un des lieux de rassemblement et où les femelles mettent bas. Ces géantes ralentissent leur course à mesure qu'elles s'approchent du lieu. Nous aimons à penser qu'elles sont plus relaxes, plus calmes à l'approche de l'endroit prédestiner pour mettre bas. Par contre, elle nous rendent nerveux, si proches du bateau, quelques fois disparaissant pour réapparaître de l'autre côté. Elles nous ont vu sans nul doute, mais on peut penser qu'elles aussi peuvent faire une petite erreur d'estimation et refaire surface un peu trop rapidement. Pour elles , ce serait un simple effleurement, mais pour nous définitivement un choc immense ! Malgré les petits frissons d'appréhension, nous ne nous lassons pas du spectacle, et sommes émus quand une d'entre elles nous fait l'honneur de nous rendre une petite visite. Curieuses, elles nous regardent de leurs petits yeux vifs, restent à hauteur du bateau quelques minutes, puis plongent doucement pour réapparaître plus loin. Tous les mouvements sont calmes et mesurés, harmonieux.

Après une nuit passée au sud de Cedros, à l'abri d'un gros rocher, nous faisons notre entrée dans Turtle Bay, ou plutôt Bahia de San Bartolomé de son vrai nom. Turtle Bay a gagné en popularité avec le fameux rallye Baja Ha-Ha, qui chaque année rassemble de plus en plus de bateaux en mal de Sud. Vaste baie assez grande pour accueillir 200 bateaux, elle est protégée des vents dominants, et offre aussi un mouillage pour vents de sud. L'accueil et la bienveillance des habitants ajoutent grandement à la réputation de la baie. Ne pas avoir de réfrigération à bord suscite l'immense anticipation puis le plaisir à savourer notre première bière au premier petit troquet venu. Celui-ci se trouve justement sur la plage, ombragé par des palmiers rachitiques et recouverts d'une dense couche de sable fin. Le village est typiquement mexicain. Rues en terre battue, poussiéreux à souhait. Il y a peine 3 ans, la route reliant l'axe principal de Baja, à deux heures de voiture était également de terre. De petits restaurants se sont crées car outre les plaisanciers du rallye, nombres de rallyes autos et motos élisent San Bartolomé comme étape. Cette zone extrêmement riche en vie aquatique, peu fréquentée est encore un petit paradis pour plongeurs courageux. Cette côte ouest de la Basse Californie est un peu laissée pour compte, et les villages peu nombreux manquent souvent du stricte nécessaire. Depuis plusieurs années déjà, les plaisanciers ont coutume d'offrir de petits cadeaux, principalement sous forme d'équipement scolaires ou sanitaires. San Bartolomé a ce côté fort sympathique d'un village qui sait apprécier ses

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visiteurs. Nous sommes toujours salués lors de nos promenades et nous aurons le loisir de nous promener souvent car un vent local soufflant de l'est à plus de 30 nœuds nous bloque une journée de plus. Ces vents thermiques sont courants et difficile à prédire.

Ce matin, l'Armada quitte la baie. C'est un quasi calme plat, les bancs de poissons créent de turbulences un peu partout autour de nous. Quelques lions de mer se mettent au festin. Même les requins sont de la fête. Une inquiétante nageoire dorsale glisse prêt du bateau. Vue la taille, j'imagine l'animal ! Un grand blanc peut-être ? Les baleines continuent leur migration et nous avons vraiment l'impression d'être au milieu d'un aquarium géant. La côte est toujours aussi majestueuse, aussi désertique et sauvage, seul une couleur plus rougeâtre la souligne davantage à mesure que nous descendons vers le sud. Un cinquième bateau a rejoint l'armada. A part quelques pangas de pêcheurs et l'occasionnel paquebot passant au large, nous sommes les seuls sur l'océan. Les mouillages ici sont souvent à la mesure du reste : imposants. Nous délaissons celui en face du village trop exposé aux vents dominants et passons un petit récif. A certains moments de l'année, cet endroit est un petit éden pour surfeurs enthousiastes. Sea Wolf, le petit cotre sans moteur nous rejoindra 24 heures plus tard. A notre proposition de le remorquer jusqu'au mouillage, l'équipage refuse, les puristes ! Le village semble plus grand qu'il ne l'est réellement. Une rue principale asphaltée, bordée de plantes prouve l'intention de projets ambitieux. Nous remarquons quelques maisons de gringos à la pointe après le village. Sans aucun doute il y a de l'expansion dans l'air. Ces dernières années le gouvernement mexicain a fait un grand effort pour Baja en installant dans chaque village une unité de désalinisation. L'eau douce est évidement un grand problème dans cet endroit désertique. Les eaux naturelles insalubres devaient être bouillies ou traitées. Nous achetons de l'eau à 1 $ les 20 litres que nous mettons directement dans nos réservoirs.Abreojos, le bien nommé est une pointe dangereuse, bordée de récifs immergés. Elle a été baptisée « ouvre les yeux »par les capitaines des galions espagnols. J'imagine des naufrages en série dans cet endroit. Nous avons le choix de passer à l'extérieur du récif ou entre celui-ci et la côte en tenant compte que les fonds sont élevés et que le passage en est ainsi réduit. Le temps est calme, le récif peut juste être deviné, je décide de passer entre la côte et le récif. Ayant fait la navigation jusqu'à présent, je me sens sûre de moi. Cette petite difficulté m'encourage et m'excite à la fois : enfin un petit défi ! Peut-être est-ce péremptoire, mais je me sens en contrôle de la situation. Ma seule inquiétude est de passer le danger avant le coucher du soleil. Seul un autre bateau de l'armada nous suit dans ce petit labyrinthe, les autres décidant la route plus prudente par l'extérieur du récif. Il n'y a aucun problème. Le vent a viré au sud ouest et le mouillage est largement ouvert au sud. Madeline, déjà arrivé depuis hier roule lamentablement. Nous nous approchons au plus près de la plage. Le vent de sud tombe en fin de journée et le roulis se calme dans la nuit. La lagune d'Abreojos est aussi un endroit privilégié pour voir les baleines. Certaines sont dans la baies en compagnie de nombreux dauphins. Nous sommes toujours émerveillés par cette vie aquatique si diversifiée et riche.Nous prévoyons encore une navigation de nuit pour le mouillage de Santa Maria, à 143 miles au sud.Le vent forcit un peu et nous devons prendre un ris qui, sur Folie Douce n'est pas chose aisée puisque rien n'est parfaitement installé. C'est dans ces moments là que je prends toute la mesure des conséquences de cette préparation bâclée et ce n'était certes pas faute de temps. Jamais je n'aurai accepté un départ dans de telles conditions pour une traversée, mais là encore jamais je n'aurai traversé en compagnie du capitaine. Incompatibilité d'humeur à

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terre est une chose délicate, mais en mer tout prend des proportions gigantesques ou la survie peut être en cause.Santa Maria, baie immense, plages superbes, abrite un campement de pêcheurs très rudimentaire. Des canaux multiples s'enfoncent dans la mangrove et c'est un plaisir de découvrir d'autres petits campements. Une fine langue de sable sépare Santa Maria de la baie de Magdalena, autre Mecque pour le rassemblement des baleines Il y a un bon vent de nord ouest quand nous quittons Santa Maria. Nous n'avons que le génois enroulé et l'artimon, mais nous filons néanmoins 6 à 7 nœuds. Nous aurions du penser qu'avec un tel vent, la remontée sur le village de Man of War dans la partie nord de Magdalena allait se faire au près très serré. Sitôt franchie le goulet de cette baie colossale, toute perspective change. Au lieu du confortable vent arrière et de la longue houle, nous sommes entraînés dans une lutte sauvage où nous ne sommes pas certains de sortir vainqueurs. La mer est très courte, la baie si grande qu'aucune protection du vent n'est possible. Nous essayons de gagner sur la côte pour bénéficier d'un peu de répit, mais ne parvenons pas à serrer si près n'ayant que le génois. Le moteur est nécessaire pour ne pas dériver de trop et il l'est également pour prévenir les baleines de notre proximité. Elles sont nombreuses à l'entrée et je me demande dans tout ce brouhaha de vent et de mer, si elles peuvent vraiment nous discerner. Certaines surgissent à la verticale hors de l'eau dans un étonnant ballet et replongent avec une gigantesque gerbe d'écume. Elles semblent jouer, profitant du tumulte de la mer. J'apprendrai plus tard que ce sont les mâles qui jaillissent ainsi hors de l'eau. Est-ce pour épater les dames baleines ? Sans doute. Où va la vanité des mâles. ?..Entre admirer les baleines et manœuvrer le bateau, nous nous retrouvons trempés, car le bateau aussi joue ce ballet démentiel, s'ingéniant à sortir sa proue hors de l'eau pour replonger avec fracas dans un splendide bouquet d'écume que capture le soleil dans un arc-en-ciel éphémère. Nous devons adonner pour faire un peu de route avant le coucher de soleil. A mesure que nous progressons quelque peu dans la baie, le vent perd de sa force, et nous parvenons au mouillage en face du village. Nous finissons la soirée à bord du nouveau bateau de l'armada, savourant un vieux whisky, enchantés de notre journée malgré le sentiment d'avoir été quelques peu novices dans notre navigation et nos prévisions. Nous avons inutilement forcé sur les bateaux dans cette remontée de la baie par force 6 au près serré. Mais qu'il est bon de se remémorer cette journée, nos esprits fatigués et embrumés par les vapeurs délicieuses d'un whisky de qualité ! Davantage que notre navigation irresponsable, ce sont les baleines qui marqueront cette délicate remontée dans Magdalena. A Jamais, restera gravé dans ma mémoire la fabuleuse danse des gigantesques mâles à quelques dizaines de mètres de nous.

Le vent va subsidier pendant quelques jours, un parfait prétexte pour rester plus longtemps au mouillage. Le fetch est important et nous décidons de nous abriter derrière une lagune au lieu du village. Cette même lagune sépare Santa Maria et Magdalena et nous nous promenons dans les dunes, subjugués par la beauté sauvage de ce paysage. Des groupes de touristes écologistes viennent camper sur la plage et sont emmenés dans la baie en panga pour observer les baleines. C'est un petit commerce très lucratif pour les locaux. Magdalena est un lieu culte, protégé, un dernier éden pour les baleines grises.Le village dont nous avons fait déjà connaissance lors d'une précédente navigation est toujours aussi sympathique. Il a peu à offrir, deux très rudimentaires épiceries, une école, un restaurant sur la plage qui n'ouvre que pour la saison des baleines et une petite église. Mais n'oublions pas le personnage le plus important du village : le capitaine du port que nous retrouvons avec plaisir. Jovial, hospitalier, il est d'une aide primordiale pour tous, y compris pour les gens du village. Il fait office de maire, de policier, de conseiller, et même de guide

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et taxi.... Il nous propose de nous emmener sans frais dans sa panga à San Carlos, au fond de la baie. Nous avons besoin de fuel et d'eau potable et quelques provisions. Le village a une réserve limitée en eau et denrées alimentaires. Manuel, qui a une maison à San Carlos, nous offre de remplir les jerrycans chez lui. Il est également possible de rejoindre San Carlos en voilier, en respectant scrupuleusement le chenal, car il y a peu de fonds. Manuel jouant les guides change direction pour se rapprocher d'une baleine. Nous pouvons presque la toucher. Il nous confirme qu'il est utile d'avoir le moteur en marche pour leur indiquer notre présence afin d'éviter les accidents. Sa femme nous attend avec un vieux pick up qui sert à remonter la panga sur la plage. Tous les équipages de l'armada embarquent dans l'arrière du camion pour une visite de la ville. Elle est petite mais a une importance pour la région avec quelques hôtel et restaurants, des commerces, des rues en terre battue et des allures d'expansion dans l'air. Par contre, pas de banque... il faut aller dans l'autre ville. Mais, on nous assure qu'il y a une caisse automatique à l'entrée de l'usine de conserverie. La conserverie poissonnière fut l'industrie principale de Baja, la plupart des usines ont fermées, mais la plus importante subsiste ici. Il faut s'y rendre avant 15 h, car le vendredi, l'argent s'épuise rapidement.

Nous retrouvons Manuel et sa panga et regagnons nos bords après 45 minutes de trajet. Nous n'avons guère à prétexter des vents forts pour nous retenir un plus longtemps ici. Ils nous donnent bonne conscience, car nous prenons un immense plaisir entre le mouillage de la lagune et celui du village, remouillant au grès de la force du ressac, crée par le vent balayant la baie.Finalement après un repas au petit restaurant du coin, un immense plateau de grosses crevettes pour un prix dérisoire et une tequila digne des dieux aztèques, nous n'avons plus aucune excuse pour rester plus longtemps.Il y a du vent ce matin quand nous quittons la baie. Un ris dans la grand voile n'est pas suffisant avec ce bateau si tendre. Qui plus est, nous devons barrer les 158 miles qui nous séparent de Cabo San Lucas, à l'extrême sud de la péninsule. Avec un système de ris pas au point et un capitaine sans réelle expérience il va falloir serrer les dents et espérer que le vent ne forcira pas plus que les 25 nœuds qui soufflent déjà. Il va forcir cependant, et la houle devient grosse et courte, confuse. Nous sommes au dessus d'un banc avec des zones peu profondes. Le bateau devient difficile à barrer, trop de grand voile, et aucune à l'avant ce qui déstabilise le bateau qui a tendance à surfer. La réalité de la situation devient évidente. Si le vent forcit davantage, nous sommes en danger. Il forcira jusqu'à 28 nœuds. La barre est dure à tenir, les quarts sont courts et aucun de nous ne pourra dormir. Enfin vers 5 heures, le vent faiblit et vire vent arrière totalement.

Nous longeons doucement la côte du cap Cabo Falso à Cabo San Lucas. Nous filons à peine à 3 nœuds ; mais après une nuit tendue, nous profitons pleinement de la tranquillité d'une lente et douce navigation. Et puis, nous n'avons guère envie d'arriver trop rapidement dans le zoo de Cabo après plus d'un mois de quasi solitude. Le soleil qui se lève répand déjà une douce chaleur. Comme il est facile alors d'oublier la nuit passée à serrer les dents à la barre d'un petit voilier trop ardent qui nous suppliait de le ralentir ! Mes doutes, mes craintes étaient bien réelle ; et malgré l'épreuve passée sans trop de mal, je sais que le bateau seul n'est pas le problème dans cette équation.

Partie 3

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Nous resterons une dizaine de jours à Cabo attendant les vents favorables pour entrer en mer de Cortez. En effet, à peine tourné Los Frailes, il faut monter plein nord. Les vents de nord en cette saison, descendant directement de la vallée du Rio Grande sont féroces. Tel le mistral, ils balayent la mer de Cortez soulevant une houle très courte. Impossible de lutter contre. Plusieurs tentent le passage pour revenir deux ou trois jours plus tard.

Je n'ai aucun désir de rester à Cabo plus que le temps nécessaire pour un ravitaillement, Cabo est la tare de Baja, le bouton qui démange et agace, la tâche de graisse sur une nappe blanche. C'est la caricature de la société nord américaine importée dans le désert de la tranquille Baja. C'est la décadence de Las Vegas sans les paillettes mais avec en prime le mauvais goût des classes moyennes américaines arrosées de bières et tequila mexicaine.

Ce petit paradis, inconnu il y a 50 ans était un autre petit village avec sa conserverie. Grâce à un emplacement privilégié à l'extrême sud de la péninsule sous le tropique du Cancer, protégé par les féroces vents d'ouest du Pacifique et ceux vicieux du nord, niché dans une baie profonde gardée par des rochers imposants et uniques (les arches), il a attiré immédiatement les promoteurs. Les précurseurs furent le clan à Sinatra, Dean Martin et cie qui furent les premiers à investir après l'avoir découvert dans des parties de pêches au gros. Depuis, c'est le paradis du dollar, de la pêche dite sportive, des yachts et super hôtels. Proche des USA, c'est aussi un terrain de jeux et dépravation relativement bon marché pour la masse populaire américaine. C'est bruyant à outrance, clinquant, de mauvais goût et si pour les navigateurs c'est un endroit nécessaire en raison du ravitaillement, il est peu apprécié.

Pourtant, la ville mexicaine existe derrière la façade, s'agrippant tel un pou au pelage luxuriant de la vaniteuse ville touristique. Je m'y perds à plaisir cherchant à clarifier mes pensées loin du bateau et du tumulte de la grande plage et des touristes indélicats. Je sais qu'il me faudra abandonner mon chez-moi, ce bateau pour qui j'ai tout donné et tout perdu pendant sept années. Ce bateau qui était devenu mon partenaire. Non seulement il fut mon refuge, mon chez-moi, il est par dessus tout le chariot ailé, le tapis volant de mes rêves interrompus. Mais c'est ici à Cabo que je déclare forfait, je romps l'association. Non pas à cause du petit yole, mais à cause de son capitaine-propriétaire qui ne mérite pas un tel bateau. Alors oui , l'escale de Cabo San Lucas prendra une tout autre dimension où le cirque des touristes ne sera que l'arrière plan d'une tragédie toute personnelle. Je sais que la dernière partie de ce voyage sera un chant d'adieu. Mais en dépit des conflits internes très denses, je profiterai au mieux de cette navigation dans un des endroits privilégié de la planète. Ce chant du cygne je le veux parfait et tâcherai de multiplier les escales pour profiter au maximum de la dernière intimité avec le bateau. Par cas de force majeure, je me suis retrouvée en charge de la navigation ainsi que de la décision des escales, je vais abuser de mon pouvoir.....

Après avoir bifurqué au nord, nous devons remonter sur 150 miles, revenir à la latitude de Magdalena baie pour travers la mer de Cortez et atteindre San Carlos sur le continent où le capitaine espère laisser le bateau pour 6 mois, et moi en profiter pour changer le cap de ma vie.

Sitôt sortis de l'enfer de Cabo, nous retrouvons nos mouillages isolés où l'eau quoique plus avenante est cependant encore trop froide pour les baignades. La mer de Cortez ne se

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réchauffe pas avant le mois de mai. C'est trompeur car il fait chaud, la mer est si belle et invitante, le désert et ses cactus une exhortation à se jeter à l'eau ! La côte de Baja est plus élevée et découpée offrant de nombreux mouillages spectaculaires. Tout aussi isolée que la côte ouest, mais plus fréquentée et accessible, elle abrite La Paz, cette grande ville qui à l'encontre de Cabo est le siège culturel et historique de la péninsule. C'est une vieille ville sympathique, ouverte, agréable. Plus commerçante que touristique, elle est infiniment humaine, bonne enfant, bon marché et offre un mouillage parfait si ce n'est le désagrément de forts courants à la renverse des marées. La ville fut fondée en 1596 après que la baie fut découverte par Cortez en 1535. Les jésuites s'y installèrent et la ville devint la capitale de Baja Sud dès le 19 ème siècle.

Bahia Escondido

Je vais passer de longs moments seule à me promener dans la vieille ville. Certaines rues sont encore en terre battue. Le Malecon, le front de mer mosaïqué, spécialité toute hispanique est très large et est le point chaud de la ville. Mais je préfère les vieilles rues avec ces trottoirs encombrés de marchants ambulants, de stands à tacos. J'y rencontre des habitués, vieux expat US qui ont choisi la vie sur un rythme mexicain. Tous sont amoureux de Baja qu'ils quittent rarement. Ils considèrent ce petit appendice laissé pour compte du grand continent comme un endroit unique et particulier au Mexique. L'île d'Espiritù Santo à 15 miles de la baie est un parc naturel, paradis nautique par excellence. Nous découvrons bientôt la traîtrise de la mer de Cortez, si semblable à sa collègue méditerranéenne avec ses vents locaux crées par des micros-climats. Elle a des humeurs changeantes et déconcertantes dues au climat désertique influencé par les eaux froides du grand Pacifique à l'ouest. Ses massifs montagneux impressionnants emmagasinent des forces impressionnantes et les lâchent sur la mer dans des souffles puissants sans aucun préavis. Coincée entre l'étroite péninsule et l'immense continent, d'une largeur de 80 miles sur 800 miles de long, c'est une mer capricieuse par excellence.

Beaucoup de bateaux préfèrent partir au sud, sur le continent vers la Riviera mexicaine à

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partir de La Paz. D'autres choisissent de rester en mer de Cortez et montent au nord à la saison des cyclones ou encore traversent la mer sur San Carlos. Nous faisons partie de ce petit troupeau, mais jamais nous nous sentirons oppressés par la présence de trop nombreux bateaux. Certains mouillages sont suffisamment isolés pour ne pas attirer les masses ; d'autres sont suffisamment vastes pour absorber une dizaine de bateaux, ce qui est beaucoup pour un mouillage dans Cortez... Rarement, nous croisons en mer plus de deux bateaux.

La magnificence des sites incite aux arrêts prolongés. Pourtant nous devons forcer l'allure, le capitaine désire être à San Carlos avant la fin avril. La météo, répondant à mes vœux, en décide autrement et je gagnerai une semaine de plus sur cet emploi du temps à profiter des mouillages. Naviguant que sous vent favorable, n'importe lesquels, sauf vent de nord, nous devons nous réduire à faire beaucoup de moteur. Nous avons quelques très belles navigations sous voiles, mer plate, mais hélas, elles sont trop rares. Quelques mouillages protégés sur la côte abritent des petits villages de pêcheurs souvent indiscernables. Nous savons qu'il est inutile d'espérer se ravitailler dans ceux ci.

Le mouillage d'Agua Verde renommé pour la couleur de ses eaux est certainement le plus fréquenté. Il offre trois possibilité de mouillages selon la direction des vents. L'endroit est spectaculaire.

Agua Verde

Ici, on vit sur un autre rythme. Le village constitué d'une trentaine de maisons s'étire sur plusieurs hectares de terrain sec et sablonneux. Seule, la petite église bénéficie d'une couche de peinture, le reste des maisons ne sont que cubes de parpaings et tôle ondulée. C'est dans un de celui-ci que nous découvrons une petite épicerie qui ne vend rien de frais, à part une fois par semaine. En continuant la piste, nous découvrons une autre partie du village, en fait l'original, près des salines. Tous les petits villages (3) sur cette côte ont maintenant une installation de désalinisation de l'eau et cela est un progrès énorme.

Un vent de nord fort à propos, nous permet de rester 3 jours à Agua Verde. Malgré la tentation d'une eau claire vert émeraude et de la chaleur désertique, la mer n'a pas encore atteint une température confortable.

Nous achetons du poisson sur la plage alors que les pangas reviennent de la pêche. Le mouillage suivant est sauvage dans une baie magnifique : San Juanico. De gigantesques

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roches plates blanches bordent la plage et sur une falaise calcaire nous découvrons des milliers de fossiles de coquillages et des larmes Apaches (obsidienne). Trois à quatre bateaux sont mouillés dans la baie aux eaux claires. Une petite lagune offre un abri idéal pour les bateaux à faible tirant d'eau.

Plus au nord, Bahia Escondida qui porte bien son nom (cachée) est presque fermée par un étroit passage naturel et son entrée est en effet difficile à repérer. Elle est féerique mais hélas gérée depuis 5 ans par un organisme privé qui a installé des corps morts et une marina aux prix exorbitants. Le droit de mouillages est aussi élevé qu'un corps mort. Résultat, la baie n'est plus autant fréquentée. Il n'y a pas plus de 4 bateaux mouillés dans celle-ci. Quatre petits orques explorent la baie et plongent sous l'annexe alors que nous ramons vers la côte. Nous rejoignons la route à pied et immédiatement une voiture s'arrête. Nous allons à Mulege qui est une petite ville typique. Rien de surfait ici et on y goûte tout le charme de Baja. La petite rivière accueille une palmeraie unique, une oasis fleurie et gaie où se nichent de petites maisons dont on aperçoit les toits depuis la vieille prison qui domine la ville. Il n'y a pas si longtemps, elle était en activité, les prisonniers, libres dans la journée, regagnaient leur cellule le soir !

Mulege

Bahia Conception est notre prochaine escale, une immense baie intérieure, véritable fjord de 25 miles de long, offrant mouillages et îlots. Découverte par les américains, quelques petits villages artificiels apparaissent sans pour autant déranger la quiétude et beauté de l'endroit. Ce sera notre dernière escale à Baja. Nous franchirons les 80 miles de mer de Cortez pour rejoindre San Carlos dans l'état du Sonora. C'est la fin d'un voyage de 5 mois et la fin de mon histoire nord américaine.

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Agua verde

Quatre ans après je retrouverai Baja et la Mer de Cortez, le Mexique et sa côte Pacifique, sur Nanna et en compagnie de Magnus.

Isabelle Briand