L'autonomie administrative et financière des collectivités territoriales ...
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Lautonomie administrative et financiere des collectivites
territoriales decentralisees : lexemple du Cameroun
Landry Ngono Tsimi
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Landry Ngono Tsimi. Lautonomie administrative et financiere des collectivites territorialesdecentralisees : lexemple du Cameroun. Droit. Universite Paris-Est, 2010. Francais. .
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I
UNIVERSITE PARIS-EST CRETEIL VAL-DE-MARNE
U.F.R DE DROIT
Ecole doctorale Organisation, Marchs, Institutions - OMI
Laboratoire de Recherche sur la Gouvernance Publique, Territoire et Communication - LARGOTEC
LAUTONOMIE ADMINISTRATIVE ET FINANCIERE DES
COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEES :
lEXEMPLE DU CAMEROUN
TOME 1
THESE POUR LE DOCTORAT EN DROIT PUBLIC
Prsente et soutenue en Septembre 2010
par
Landry NGONO TSIMI
MEMBRES DU JURY
Christine HOUTEER
Matre de Confrences lUniversit Paris-Est (Directeur de recherche)
Monsieur Jean-Franois PICARD
Professeur lUniversit Paris-Est
Madame Laetitia JANICOT
Professeur lUniversit Cergy-Pontoise
Monsieur Narcisse MOUELLE KOMBI
Professeur lUniversit de Yaound 2-Soa
Monsieur Stphane DOUMBE BILLE
Professeur lUniversit de Lyon III
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II
REMERCIEMENTS
Le silence des mots pourrait-il parfois exprimer une profonde
gratitude,
Alors, Madame Christine Houteer, MERCI.
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III
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE1 Titre prliminaire Lmergence historique du concept dautonomie locale dans les Etats
franais et camerounais8 Chapitre 1. La dcentralisation-soumission, lex-manire dtre de lEtat unitaire classique..11 Chapitre 2. La dcentralisation-autonomie, la manire dtre de lEtat unitaire dcentralis..52 Conclusion du titre prliminaire...91 Premire partie Recherche sur les lments de dfinition de lautonomie
administrative et financire des collectivits territoriales dcentralises...92
Titre 1 - La conciliation entre lautonomie administrative et financire et les autres principes fondamentaux de la dcentralisation territoriale..94
Chapitre 1. La conciliation entre lautonomie administrative et financire et la personnalit morale de droit public...96
Chapitre 2. La conciliation entre lautonomie administrative et financire et la libre administration des collectivits territoriales dcentralises119
Conclusion du titre 1...147 Titre 2 - La notion dautonomie administrative et financire148 Chapitre 1. Lautonomie administrative.150 Chapitre 2. Lautonomie financire171 Conclusion du titre 2...212 Conclusion de la premire partie214 Deuxime partie Lautonomie administrative et financire, le mythe dune libert
renforce des collectivits territoriales dans lordre de lEtat unitaire dcentralis..216
Titre 1 - Un mythe producteur dune relative libert dans lordre de lEtat unitaire Dcentralis220
Chapitre 1. Lautonomie locale, un cadre de libert ambigu dans lordre de lEtat unitaire dcentralis..221 Chapitre 2. Lautonomie locale de lEtat unitaire dcentralis, un cadre de libert loign du modle des Etats rgionaux ou autonomiques252 Conclusion du titre 1...278 Titre 2 - Un mythe valoriser dans lEtat unitaire du Cameroun.279 Chapitre 1. Harmoniser la trilogie Comptences-Finances-Hommes281 Chapitre 2. Moderniser lAdministration dEtat339 Conclusion du titre 2...395 Conclusion de la deuxime partie...396 CONCLUSION GENERALE.397 BIBLIOGRAPHIE..402
TABLE DES MATIERES..421
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INTRODUCTION GENERALE
Les Lois constitutionnelles rvises des pays dAfrique noire francophone1 ont singulirement
boulevers la conception de lautonomie locale en matire de dcentralisation territoriale dans
un Etat unitaire de type classique. Elles devancent en cela la rvision de la Constitution
franaise du 4 Octobre 19582, dont on connaissait dj lampleur de linfluence enregistre
sur le constitutionnalisme africain.
Ce constat sonne opportunment le glas dune opinion fort rpandue, bien que dcrie par
certains, selon laquelle ltendue des droits africains, en ce domaine (constitutionnel)
comme en droit public en gnral, serait de peu dintrt, car ils ne reprsenteraient que de
simples prolongements des droits des pays industrialiss et plus spcialement des anciennes
mtropoles. Ces droits ne seraient en outre que le produit dune influence gnrale et
omniprsente de modles et conceptions labors ailleurs, en ce sens quils auraient la
1 On peut citer : L. const. du 18 janvier 1996 (Cameroun) - Article 1er (2) La Rpublique du Cameroun est un Etat unitaire dcentralis. - Titre X : Des collectivits territoriales dcentralises- Article 55 (1) Les collectivits territoriales dcentralises de la Rpublique sont les rgions et les communes. Tout autre type de collectivit dcentralise est cr par la loi. (2) Les collectivits territoriales dcentralises sont des personnes morales de droit public. Elles jouissent de lautonomie administrative et financire pour la gestion des intrts rgionaux et locaux. Elles sadministrent librement par des conseils lus et dans les conditions fixes par la loi. L. const. du 14 avril 1996 (Tchad) - Article 2. La Rpublique du Tchad est organise en collectivits territoriales dcentralises dont lautonomie est garantie par la prsente Constitution. - Titre XI : Des collectivits territoriales dcentralises- Article 203. Les collectivits territoriales dcentralises sont dotes de la personnalit morale. Leur autonomie financire, patrimoniale, conomique, culturelle et sociale est garantie par la Constitution. Acte fondamental du 24 octobre 1997 (Congo) - Article 1er. La Rpublique du Congo est un Etat souverain et indpendant, dcentralis, indivisible lac dmocratique et social. - Article 169. Les collectivits locales de la Rpublique du Congo sont dtermines par la loi. - Article 170. Les collectivits locales ont la personnalit juridique. Elles jouissent de lautonomie administrative, patrimoniale, financire, conomique, culturelle et sociale. L. const. du 18 septembre 1992 (Madagascar) Prambule. Le peuple malagasy souverain [] convaincu que lpanouissement de sa personnalit et de son identit est le facteur de son dveloppement harmonieux dont les conditions essentielles sont reconnues comme tant : [] lapplication de la dcentralisation effective, dclare : - Article 2. La Rpublique de Madagascar est organise en collectivits territoriales dcentralises dont lautonomie est garantie par la Constitution. Ces collectivits territoriales concourent avec lEtat au dveloppement de la communaut nationale. - Titre VII : Des responsabilits et des principes dautonomie effective des collectivits territoriales dcentralises- Article 125. Les collectivits territoriales dcentralises, dotes de la personnalit morale et de lautonomie financire, constituent le cadre institutionnel de la participation effective des citoyens la gestion des affaires publiques et garantissent lexpression de leur diversit et de leurs spcificits. - Article 127. Les collectivits territoriales sadministrent librement par des assembles qui rglent par leurs dlibrations les affaires dvolues par la prsente Constitution et la loi leur comptence. Ces dlibrations sont excutoires de plein droit ds leur publication. Toutefois, elles ne peuvent pas tre contraires aux dispositions constitutionnelles, lgislatives et rglementaires. 4 septembre 1992 (Cap-vert). 2 Il sagit de la rvision constitutionnelle du 28 mars 2003.
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caractristique dtre sans rel impact, le mimtisme contribuant leur ineffectivit, leur
principal office tant de remplir des fonctions purement symboliques 3.
Contre toute attente donc, outre son originalit sur des points tels que la protection des
minorits et des autochtones, le statut des religions, le constitutionnalisme africain des annes
1990 est marqu par lexistence d critures de la Constitution propres ces groupes de pays
qui font que les questions constitutionnelles sont abordes de faon identique : les
Constitutions sont rdiges selon un mme type de plan, les comptences sont dfinies selon
une mme grille de rpartition, les institutions communes sy retrouvent systmatiquement,
les mmes absences et silences sy rptent. Autant dlments qui crent entre les textes
franais et ceux des Etats de succession franaise un effet de familiarit 4.
De ces airs de famille, particularismes religieux, sociaux ou juridiques 5, on pourrait
mme dire, quil se dgage un ensemble cohrent tendant vers un arrimage aux normes de
droit constitutionnel contemporain dans le monde.
En effet, linstar de la France depuis 1946, plusieurs pays dAfrique noire francophone et
Madagascar reconnaissent pour la premire fois dans leurs Constitutions, lexistence des
collectivits territoriales dcentralises deux ou trois niveaux, comme entits juridiques
autonomes faisant partie intgrante de leurs territoires. Certaines Lois fondamentales
rvises de ces pays souvrent en gnral par une disposition liminaire commune qui
proclame le caractre unitaire et dcentralis de la Rpublique6. Il sensuit un titre
exclusivement rserv aux collectivits territoriales dcentralises, qui nonce les principes
juridiques communs toute dcentralisation territoriale, notamment la personnalit morale
de droit public, la libre administration par des conseils lus et dans les conditions fixes par
la loi. La grande nouveaut rside dans laffirmation, en plus, du principe de lautonomie des
collectivits territoriales. Lautonomie (locale) en question varie selon les Etats. Au
Cameroun, par exemple, elle se dcline en autonomie administrative et financire pour
3 Jean du Bois de Gaudusson, Le constitutionnalisme en Afrique , in Les Constitutions africaines publies en langue franaise, (Texte rassembls et prsents par Jean du Bois de Gaudusson, Grard Conac et Christine Dessouches) tomes 1 et 2, La documentation Franaise, 1978, p. 3. 4 Ibid. 5 Ces expressions sont de Martine Viallet et Didier Maus, Prface , in Les Constitutions africaines publies en langue franaise, op. cit., p. 2. 6 Cf. Art. 2, Loi constitutionnelle du Cameroun ; Art. 1er (nouveau), Loi constitutionnelle de la France, toutes prcites.
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la gestion des intrts rgionaux et locaux 7. Enfin, la plupart des Lois constitutionnelles
prcites contiennent des dispositions qui crent de nouvelles institutions ayant entre autres
missions, des activits rattaches laction des collectivits territoriales : une juridiction des
comptes publics, une juridiction constitutionnelle, un Snat.
A ce stade, deux remarques pralables guideront la suite de nos ides. En premier lieu, la
distinction classique Etat compos ou Etat des Etats et Etat unitaire ou Etat centralis perdrait
peu peu de son rigorisme. De lEtat unitaire, on savait qu il se ramne un seul centre de
dcision et dadministration ; une volont se transmet sur le territoire la manire dun fluide
lectrique 8.
On sait quune variante de lEtat unitaire a t qualifie par certains auteurs d Etats
autonomiques ou d Etats rgionaux 9, parce que les Constitutions de ces Etats confrent
leurs collectivits infra tatiques, le pouvoir dauto-organisation , dune part, et le
pouvoir ddicter des normes directement sur le fondement de la Constitution de lEtat
considr 10, dautre part. Dautres en revanche ny ont vu quune forme dEtat situe
quelque part entre lEtat unitaire classique et lEtat fdral11.
A laune des annes 2000, on se perdrait dans lnumration croissante des formes dEtats,
linstar du nouvel Etat unitaire dcentralis , dont la proclamation conduit naturellement
rechercher en quoi il diffrerait de lEtat unitaire classique, avec toutes ses variantes
prcites ? Alors que la rponse cette question semble se dessiner vers le tout nouveau
principe de lautonomie locale, il surgit une difficult supplmentaire, objet de la seconde
remarque.
7 Sur ce point, le texte camerounais est bien prcis. Cf. Art. 55, al. 2 in fine, Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. 8 Andr Hauriou et Jean Gicquel, Droit constitutionnel et Institution politiques, 7e d, Editions Montchrestien, pp. 143 et s. 9 Cf. F. Moderne, LEtat des autonomies dans l "Etat des autonomies", in dix ans de dmocratie constitutionnelle en Espagne (S.dir. D.G. Lavroff), Editions du C.N.R.S, Paris, 1991 ; Du mme auteur, Le Tribunal constitutionnel espagnol et les autonomies rgionales : la constitution de lEtat des autonomies in P. Bon, F. Moderne et Y. Rodriguez, La Justice constitutionnelle en Espagne, Economie, Paris, 1984, p. 163 ; Pierre Bon, Espagne : lEtat des Autonomies in lEtat Autonomique : Forme nouvelle ou transitoire en Europe ?, (Sous-dir. Christian Bidegary), Actes des journes dtudes du Centre dEtudes Politiques et constitutionnelles du Laboratoire Ernees, Facult de Droit, universit de Nice Sophia-Antipolis. 10 Marc Joyau, De lautonomie des collectivits territoriales franaises. Essai sur la libert du pouvoir normatif local, (Prface de Jean-Yves Vincent), Bibliothque de Droit Public, tome 198, p. 1. 11 En ce sens, les travaux de F. Moderne et P. Bon prcits.
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En second lieu, on constate que lautonomie locale constitutionnellement proclame varie
dun Etat un autre. Ainsi parle-t-on dautonomie financire en France12 et Madagascar,
dautonomie administrative et financire au Cameroun, dautonomie administrative et
financire, patrimoniale, conomique, culturelle et sociale au Tchad et en Rpublique
dmocratique du Congo (Brazzaville). Quelle que soit la formulation adopte a et l,
lautonomie locale en question signifie-t-elle la libre administration des collectivits
territoriales ou encore se confond t elle avec leffet de sa personnification ?
Dans laffirmative, on dira que les Constitutions rformes marquent une volution rebours
et sont charges de termes redondants. Dans la ngative, il importe alors de dcrypter cette
autonomie locale qui fait son entre par la grande porte constitutionnelle des Etats unitaires
classiques.
On admettra que ltymologique du mot " autonomie" signifie : se gouverner par sa propre
loi 13. La collectivit autonome serait donc celle qui dtermine elle-mme les rgles qui la
rgissent, sans pour autant tre dans une situation de totale indpendance comme un Etat
souverain.
Lautonomie locale est un concept politique la mode dans les Etats unitaires classiques.
Son origine officielle semble se situer dans la Charte europenne de lautonomie locale
adopte Strasbourg le 15 octobre 1985 par le Conseil de lEurope14. Mais il ne sagissait
que dune Charte15, cest--dire dun document politique susceptible dengager les Etats
quaprs la double procdure de signature et de ratification par les Parlements nationaux.
Concept politique mondial et dsormais constitutionnel dans plusieurs Etats unitaires,
lautonomie locale, qui se dcline en " autonomie administrative et financire " au
Cameroun, doit tre juridicise et rationalise pour sortir de limpasse ambigu dans laquelle
elle plonge du fait de sa relativit, car les termes constitutionnels, bien quils soient des
12 Dans son adoption finale, la Loi constitutionnelle franaise du 28 mars 2003 ne mentionne pas expressment " lautonomie financire". Cette expression est cependant contenue dans les projets et propositions de Lois constitutionnelles et est induite de larticle 72-2 du texte actuel. 13 Cette dfinition ressort des dictionnaires confondus. 14 Larticle 2 de ladite Charte, intitul Fondement constitutionnel et lgal lautonomie locale, dispose que : le principe de lautonomie locale doit tre reconnu dans la lgislation interne et, autant que possible, dans la Constitution . 15 A ce propos, Alain Delcamp la dfinit comme un lan plus qun carcan , La Dcentralisation franaise vue deurope. La France et la Charte europenne de lautonomie locale, colloque organis sous le haut patronage de M. Christian Poncelet, Prsident du Snat et du Conseil dEurope, Paris, Palais du Luxembourg, 26 juin 2001, Snat, p. 20.
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documents politiques, ne sont pas des textes froids. Ils sont chargs de rsonances , crivait
juste titre le professeur Jean-Marie Auby16.
Dans cette optique, laction dcentralisatrice prise par le constituant moderne pose
concomitamment et principalement les problmatiques de fiscalit locale propre et de libert
normative locale la fois comme condition et consquence dune relle autonomie des
collectivits territoriales dans un Etat unitaire dcentralis.
Sil est admis que lautonomie administrative et financire qui sous-tend les problmatiques
prcites est une notion relative, et quelle se mesure plus quelle ne se dfinit 17,
lurgence de dterminer ses critres minima, voire une sorte "dordre public autonomique"18
savre tre un impratif, surtout dans le contexte nouveau de systmes administratifs
dcentraliss, o certains excutifs locaux sont habilets saisir directement la juridiction
constitutionnelle19 lorsque leurs intrts sont mis en cause20.
Pour y parvenir, cette tude aura recours une double approche : synthtique et comparative.
La premire filtrera dans un mme panier les interprtations des diverses Lois fondamentales
consultes et les lois de dcentralisation subsquentes, tout en sinspirant des composantes
que sont la doctrine, la jurisprudence et lesprit du constituant. De la combinaison de cet
ensemble rsultera un minimum dlments spcifiques susceptibles de couvrir la notion
dautonomie administrative et financire des collectivits territoriales dans un Etat unitaire.
La seconde permettra de rapporter le minimum obtenu sur certaines pratiques
institutionnelles connues dans dautres pays.
Nous noterons au passage, que des recherches antrieures ont, entre autres, essay de
ramasser en un bloc homogne les lments constitutifs de lautonomie administrative et/ou
financire, dans le but de doter la thorie juridique soit dun baromtre de mesure, soit dun
16 Cf. Jean-Marie Auby, in La libre Administration des collectivits locales. Rflexion sur la dcentralisation, (sous dir. Jacques Moreau et Gilles Darcy) Economica, Presse universitaire dAix- Marseille, 1984, p. 93. 17 Cf. Vincent Dussart, Lautonomie des pouvoirs publics constitutionnels, prf. Michel Lascombe, CNRS Editions, Paris 2000, p. 13. 18 Pour un approfondissement de cette notion, lire Marie-Jolle Redor (dir.), Lordre public : Ordre public ou ordres publics. Ordre public et droits fondamentaux, Actes du colloque de Caen des jeudi 11 et vendredi 12 mai 2000, Bruylant, 2001, 415 p., et principalement les articles de Etienne Picard, Introduction gnrale : la fonction de lordre public dans lordre juridique , pp. 17 61 et Jean-Manuel Larralde, La constitutionnalisation de lordre public , pp. 213 et s. 19 Cf. Art. 47 al. 2, Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 du Cameroun. 20 Il sagit de la notion d intrt local , elle aussi dsormais constitutionnelle. Cf. Art 55, al. 2, Loi constitutionnelle du Cameroun, prcite.
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modle dautonomie comparable celui pratiqu dans les rgions ou communauts
autonomes dEspagne et dItalie. A ce sujet, Marc Joyau, plus que dautres, avait propos
dadopter une stricte rpartition des comptences entre lEtat et les collectivits territoriales
pour permettre ces dernires ddicter des normes de nature politique prise non pas "en
excution" de la loi, mais "en application de la loi"21. Lauteur semble cependant avoir
ignor les limites inhrentes aux lois de rpartition des comptences22, do lintrt
dexplorer dautres voies.
Partant, le champ de notre tude ne recouvre pas avec la mme ampleur toutes les Lois
fondamentales rvises des Etats rpertoris. Au-del des diversits, les pays dAfrique noire
francophone prsentent la double caractristique davoir rdig des Constitutions similaires,
en particulier dans le domaine de la dcentralisation territoriale, mais surtout de sinspirer
des institutions de la France. Ce dernier pays et le Cameroun constitueront donc les bases de
nos dveloppements.
Ces prcisions tant faites, il est indniable que le concept dautonomie locale vient de faire
une intrusion remarquable dans le droit constitutionnel de nombreux Etats unitaires
dinspiration franaise. Partis dune forte centralisation des pouvoirs, o la dcentralisation
territoriale tait presque synonyme de soumission lEtat des collectivits, les Etats unitaires
classiques adoptent une nouvelle manire dtre. Les fondements de lmergence du concept
dautonomie locale dans ces Etats mritent dtre lucids (Titre prliminaire).
Lautonomie administrative et financire qui en est issue demeure source de confusions, eu
gard aux autres principes fondamentaux de la dcentralisation territoriale. Lhypothse est
que lautonomie consacre nest ni la libre administration ni la reconnaissance dune
personnalit autonome des collectivits territoriales, mais plutt une notion spcifique
(premire partie).
Cette spcificit sarticule autour de la distinction entre libre administration et autonomie
administrative et financire. Alors que la premire sapplique de manire identique toutes
les collectivits, la seconde peut varier en fonction des intrts locaux. La seconde hypothse
est que lautonomie administrative et financire est un cadre de libert pos par la
Constitution, un mythe constitutionnel susceptible de bousculer lordre juridique de lEtat 21 Cf., la clbre distinction mise en uvre par le professeur Jean-Marie. Lire en ce sens, Marc Joyau, op. cit. 22 Les comptences locales propres peuvent varier tout moment suivant la volont de lEtat. En consquence, les lois de rpartition de comptences sont fluctuantes.
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unitaire classique. A travers lexemple du Cameroun, nous montrerons que peu importe le
contenu et le sens juridique que lon pourrait forger ces expressions, la fonction de
lautonomie locale consacre peut tre atteinte ds lors que les conditions dexercice de la
libert daction recherche saccompagnent dun ensemble de rgles et de pratiques
harmonises qui tendent confrer plus dpanouissement aux collectivits territoriales
dcentralises dans leurs rapports avec lEtat (deuxime partie).
Titre prliminaire Lmergence historique du concept dautonomie locale dans les Etats
unitaires classiques.
Premire partie Recherche sur les lments de dfinition de lautonomie administrative
et financire des collectivits territoriales dcentralises.
Deuxime partie Lautonomie administrative et financire, le mythe dune libert
renforce des collectivits territoriales dans lordre de lEtat unitaire
dcentralis.
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TITRE PRELIMINAIRE
LEMERGENCE HISTORIQUE DU CONCEPT DAUTONOMIE
LOCALE DANS LES ETATS UNITAIRES CLASSIQUES
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Le concept dautonomie relve de la catgorie des concepts purement abstraits qui, par-dessus
tout, semble navoir de signification que par rapport un domaine dapplication bien prcis.
Le droit franais le dfinit comme une situation qui nest pas celle de la souverainet ou de
lindpendance.
Dans la thorie juridique de lEtat o ce concept semble avoir trouv sa meilleure application,
il dsigne une pseudo libert accorde aux organes infra-tatiques, sous le contrle dun
pouvoir central. Le constitutionnaliste quant lui explique que, rapport la dcentralisation
territoriale, lEtat unitaire (dcentralis) est celui qui ralise une autonomie verticale de son
appareil administratif (autonomie administrative sous tutelle), mais sans jamais atteindre le
degr dautonomie de lEtat autonome. Lautonomie serait horizontale et plus pousse
(autonomie lgislative interne) dans ce dernier cas, mais sans jamais atteindre celle de lEtat
fdral.
Quel que soit le cas de figure considr, une partie de la doctrine semble dfinir la
dcentralisation territoriale partir du degr dautonomie accord par lEtat aux collectivits
infra-tatiques ; ce qui somme toute, diffre fondamentalement de lide pure de
dcentralisation dveloppe par Charles Eisenmann23, qui en fait une question de comptence
personnelle des organes non centraux, mais surtout, dont la thorie rejoint en substance une
certaine conception originelle de lide dautonomie locale24.
Au demeurant, la conception dominante de la dcentralisation territoriale peroit lautonomie
locale comme lattribution de certaines liberts des entits territoriales infrieures lEtat et
toujours soumises lordre juridique de cet Etat. En ce sens, le Doyen Hauriou, qui lavait
compris, crivait dj en 1905 que la dcentralisation est une manire dtre de lEtat 25.
La France issue de la Rvolution et de lre napolonienne jusqu la Vme Rpublique avant
mars 2003, suivie en cela par ses ex-colonies dAfrique noire francophone jusquaux annes
1990, nont jamais peru la dcentralisation territoriale dans leurs Etats unitaires que comme
une soumission des collectivits infra tatiques lEtat, avant que cet tat des choses ne
connaisse un degr de perception plus avanc dans lEtat unitaire moderne (ou dcentralis),
o la dcentralisation est devenue signe dautonomie locale.
23 Charles Eisenmann, Centralisation et Dcentralisation. Esquisse dune thorie gnrale, Paris, LGDJ, 1948. 24 Voir infra, chapitre 1, section 1. 25 Cf. Etude sur la dcentralisation. Extrait du Rpertoire du droit administratif, Paris d. P. Dupont, 1992, pp. 1-63.
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Afin de mieux prciser ces deux ides, ce titre prliminaire sera dvelopp en deux chapitres.
Chapitre 1 La dcentralisation soumission, lex-manire dtre de lEtat
unitaire classique.
Chapitre 2 La dcentralisation autonomie, la manire dtre de lEtat
unitaire dcentralis.
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CHAPITRE 1
LA DECENTRALISATION SOUMISSION, lEX MANIERE
DTRE DE LETAT UNITAIRE CLASSIQUE
Selon la formule, devenue clbre, dAlexis de Tocqueville et consigne dans son ouvrage
De la dmocratie en Amrique (1835), Cest dans la commune que rside la force des
peuples libres. Les institutions communales sont la libert ce que les coles primaires sont
la science ; elles la mettent la porte du peuple ; elles lui en font goter lusage paisible et
lhabitue sen servir. Sans institutions communales, une nation peut se donner un
gouvernement libre, mais elle na pas lesprit de libert 26. Cette rflexion qui interpelle au
plus haut point la dcentralisation territoriale, dont la commune peut-tre considre comme
linstitution politique librale la plus concrte, na pas chapp ladhsion du doyen
Hauriou. Ce dernier considrait en effet, que les raisons de la dcentralisation [territoriale]
ne sont pas dordre administratif, mais bien dordre constitutionnel, en ce que du point de vue
administratif, la centralisation pouvait assurer au pays une administration habile, impartiale et
moins onreuse que la dcentralisation. Or, pour lui, les pays modernes nont pas besoin
seulement dune bonne administration, ils ont aussi besoin de libert politique 27.
Pour essayer de comprendre et cerner un peu plus clairement ce phnomne nous prendrons
pour rfrence lhistoire des communes franaises (Section 1). Lon constatera que
contrairement ce modle dinspiration pour les pays dAfrique noire francophone, o la
dynamique du mouvement communal va de pair avec une certaine ide dautonomie des
groupements humains vivant dans la cit, la commune africaine et plus particulirement celle
du Cameroun, na pas bnfici sa naissance de cette adaptation sociologique qui aurait pu
servir de base sa fondation (Section 2).
26 Alexis de Tocqueville, De la dmocratie en Amrique, Paris : Gallimard (coll. Ides), 1968, p. 72. 27 Maurice Hauriou, Prcis de droit constitutionnel, 2e d., Pais : Sirey, 1929, (Rd. CNRS, 1965), pp. 189 et s.
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SECTION 1
LE CONCEPT DAUTONOMIE ET LA DECENTRALISATION TERRITORIALE
EN FRANCE
A lorigine, la commune nat de lassociation de paix des bourgeois, sorte de groupements
autonomes, auxquels les seigneurs fodaux consentaient certains privilges par rapport
lensemble des habitants de la cit. Ce processus permet de poser que les notions dautonomie
et de commune sont historiquement consubstantielles (1), mme si laspect relatif
lautonomie va connatre plus tard une mauvaise rception dans lEtat unitaire du fait de sa
dnaturation (2).
1. Les notions de commune et dautonomie sont historiquement consubstantielles
Nous verrons que la commune franaise trouve son origine dans lexistence des communauts
autonomes de base du XIIme sicle qui la crent (A). Comme toute institution, la commune
originelle connat un apoge jusquau dbut du XVme sicle, priode pendant laquelle les
thoriciens du droit franais saccaparent le concept dautonomie pour en faire une notion lie
au pouvoir central (B).
A. Lquation commune gale communaut de base
Sans reprendre ici toute lhistoire des institutions franaises, et notamment celle de
linstitution communale, notre objectif est de dmontrer qu lorigine, lide dautonomie est
consubstantielle la reconnaissance de lentit communale dans le systme gouvernant en
place. Sur cette base, nous poserons que, lhistoire de la naissance des communes franaises a
pour point de dpart le serment des bourgeois (1), expression par laquelle ces derniers
consentaient perdre leurs personnalits individuelles au profit dune personne morale, et ce,
sur la base du concept d universitas labor par les juristes mdivaux. Le but recherch
par les bourgeois tait de vivre en paix dans une mme cit et de se porter mutuellement
entraide, do lavnement et la force des chartes dites communales accordes par le Roi
ou le Seigneur (2).
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1. Le serment juratoire des bourgeois
Ils ont jur commune 28. Ainsi sexprimait-on autrefois dans la France mdivale de la fin
du XIe et du XIIe sicle lorsque les bourgeois sunissaient en une communio par serment
juratoire pour raliser une association de paix29. A cette volont de sunir des bourgeois
suivait, gnralement de facto, la bndiction des seigneurs fodaux comme latteste la charte
de 1127 (article 12) o le Comte de Flandre dit : Jordonne que leur commune, telle quils
lont jur, subsiste et je ne permets pas quelle soit dissoute par personne 30. Autrement dit,
par la charte, il tait reconnu non plus seulement lide dun lien personnel unissant les
bourgeois et leur accordant des franchises collectives, mais aussi lide dun lien rel, lide
dune entit commune, personne morale, distincte de ses membres.
Traduisant lvolution et la multiplication des communes, les chartes taient devenues si
nombreuses quelles ont fini par tre considres comme llment essentiel de la dfinition
des communes et de leurs statuts. A ce propos, Petit Dutaillis dira : Ce qui dsormais
caractrise la commune, cest moins le serment des bourgeois que la charte 31. Cest dire
combien lintrt de la charte nest plus dmontrer ; elle traduit dans ce contexte
linstrument de lacte juridique, qui matrialise la volont humaine de faire natre des droits et
des obligations lgard des tiers, et principalement du pouvoir gouvernant. On nest pas loin
des prrogatives de la loi, en tant quexpression de la volont gnrale dans un systme de
dmocratie moderne, pour reprendre des termes chers Jean-Jacques Rousseau.
2. La force des chartes communales : laffermissement de la Commune
Les chartes contenaient des clauses relatives aux prrogatives des communes, prrogatives
dont les caractristiques essentielles mritent que lon sy attarde, tant leur finalit demeure la
proccupation actuelle des Etats. Ces prrogatives sarticulaient pour lessentiel celles dune
communaut de droit public. La commune comprenait un territoire, une population et des
organes de gouvernement.
28 Voir, J.-F. Lemarignier, la France Mdivale, Institution et Socit, Armand Collin, Collection U, 1970, p. 186. 29 Par opposition aux luttes fodales de cette poque, de lAssociation de paix devait natre une ville nouvelle, quipe, rpondant aux besoins des membres de la communaut. La thse est dveloppe par A. Vermeesch, Essai sur les origines et la signification de la commune, dans le Nord de la France (XIe et XIIe sicle), 1966, cit par J.-F. Lemarignier, op. cit., p. 185. 30 Ibid., pp. 121-160. 31 Charles Petit-Dutaillis, Les Communes Franaises, Albin Michel, 1970, p. 35. Selon lauteur, sans association par serment, il ny avait pas de commune, et cette association suffisait pour quil y ait commune . Voir aussi la dfinition extraite par J.-F. Lemarignier, du mme auteur, dition (volution de lhumanit, n44), 1947, op. cit., p. 185.
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Le territoire tait une entit limite par une enceinte : le territoire de la paix. Il comprenait en
principe les marques de la russite sociale de la ville : la grande place ; le centre des affaires
avec la halle, la maison commune ; le sige des organes du gouvernement, le beffroi ; le
centre de lobservation militaire ; lglise, centre de la paroisse.
La population tait constitue de bourgeois, de manants et de forains. Les bourgeois avaient
accs aux fonctions municipales, mais ils taient assujettis aux charges fiscales (impts de la
commune), militaire (service la milice). Les manants taient de simples rsidents nayant
pas prt serment. Protgs par la commune, ils taient astreints aux services secondaires
ainsi quau paiement de certaines taxes. Les forains quant eux taient des trangers la
commune, o ils sjournaient, soumis au contrle des autorits.
A titre dorganes de gouvernement, on retrouvait des reprsentants du prince (des chevins
lus, juges et administrateurs) prsids par un maire, dont les pouvoirs taient trs faibles. A
ct des chevins, se trouvaient des jurs ou notables de la ville dont le rle tait le maintien
de la paix. Enfin, lassemble des chefs de famille dont le rle tait moins grand.
En second lieu il tait question de dterminer les prrogatives ainsi que les emblmes les
symbolisant.
La commune avait le ban, la puissance publique et disposait aussi des prrogatives dordre
fiscal. Ses recettes taient constitues des revenus du domaine et des taxes dont taient
frapps les bourgeois, les forains et les manants. Elle avait ses dpenses : voiries, gages des
officiers municipaux, dpenses militaires.
Les prrogatives taient symbolises par des emblmes, tels quils ont encore cours dans nos
socits modernes. Ainsi, le beffroi, signe de puissance qui tait dautant plus grand quil tait
plus lev. Egalement les cls, signe dautonomie que lon remettait au prince de la ville, et le
sceau, signe de puissance publique. Enfin, les communes taient dotes de prrogatives
comparables celles de la seigneurie banale, lpoque o stablissait la hirarchie
fodale32.
32 Pour une vue densemble sur ces questions, voir, J.-F. Lemarignier, op.cit., pp. 121 160.
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Nes dun mouvement extrieur au monde fodal, elles staient naturellement intgres dans
cette hirarchie et avaient fini, par suite de russites sociales et conomiques, par simposer
dans la structure de la socit fodale. Dans son clbre ouvrage - la France mdivale - o il
tudie la mutation des institutions de la France du moyen ge jusqu la Rvolution, Jean -
Franois Lemarignier avait dj illustr lhistoire de la naissance du mouvement communal au
temps de la renaissance des villes du XIIme sicle, notamment lorsquil reprend son compte
la thse de Pirenne consacre lorigine des villes mdivales33.
Ainsi donc, la commune, entit juridique autonome et jouissant de liberts locales, aura
survcue toutes les tapes de transformation de la socit fodale la socit moderne - non
sans heurts parfois - au point o tout nouveau pouvoir la constate, lintgre sa manire, dans
sa politique de gestion de la cit.
B. La perte du sens originel du concept de lautonomie locale
On analysera le concept de lautonomie locale suivant deux priodes. La premire se situe
avant la Rvolution de 1789, priode pendant laquelle ce concept tend vers son sens
tymologique (1), alors que la seconde, qui va de la Rvolution la Vme Rpublique
lexclusion de lanne 2003, est marque par une certaine rticence lgard du sens originel
de ce concept (2).
1. Avant la rvolution de 1789
Quels enseignements peut-on tirer de la priode fodale qui correspond la naissance des
premires communes autonomes ? On retiendra volontiers que les traits dominants de la
socit fodale ne sont pas seulement ceux connus dune socit stratifie o le roi cherche
affirmer son hgmonie, mais aussi ceux dune socit imprgne de fortes valeurs humaines.
En effet, de nombreux indices portent croire quil sagit dune socit fortement domine
par lexpression des groupements humains autonomes rattachs leur territoire (la commune)
et qui naspirent qu une seule chose, vivre en paix et en solidarit, conformment un
serment jur, do un certain engouement envers des franchises particulires demandes aux
Rois de lpoque. Serge Regourd na certainement pas tort, lorsquil souligne que des
franchises les plus accordes, les trois domaines de la justice, de la dfense et de la fiscalit
33 Henri Pirenne, Les villes du moyen-ge. Essai dhistoire conomique et sociale , 1927, thse reprise avec dautres travaux dans une publication posthume, les villes et les institutions urbaines , Paris et Bruxelles, 2 vol. (T. I, pp. 303-431).
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montrent que lautonomie entendue sous langle contemporain de comptences locales,
outrepassait alors singulirement le cadre de lautonomie administrative, pour toucher au
noyau dur des fonctions rgaliennes, que lon dira plus tard de souverainet 34.
Lvocation de ces indices montre dailleurs qu lorigine, lide de commune, personne
morale, universitas est indissociable du lien de communaut, de lassociation de paix, et
son approbation par le pouvoir central a pour seul but de permettre, sans contrepartie,
laccession dune communaut au bien-tre social, do les prrogatives drogatoires qui lui
sont accordes.
Est-il besoin dinsister, car cest lobjet mme des prsents dveloppements, sur un fait non
suffisamment relev par la doctrine : ce stade, lexistence ou la reconnaissance de la
commune et donc de lautonomie locale, na rien voir avec une quelconque soumission de la
commune lordre du pouvoir politique rgnant. Il sagit alors singulirement de rsoudre le
problme dune communaut humaine aspirant vivre en paix et certainement en parfaite
symbiose avec lordre politique rgnant, ds lors que ses membres en exprimaient une telle
volont.
On le voit bien, cette conception de lautonomie locale est fort distincte de celle
communment admise dans la conception de la dcentralisation territoriale jusquen 2003, au
regard des incertitudes et des hsitations qui caractrisent lvolution non linaire du
mouvement communal entre 1789 et la Seconde Guerre mondiale.
A lorigine, lautonomie locale nest donc pas une expression redoute. Elle le devient
mesure que les vertus du pouvoir centralis gagnent lopinion dominante et vont sexprimer
de la Rvolution jusqu la fin du vingtime sicle o elles sont incarnes par la forme de
lEtat unitaire, dont lEtat franais demeure le modle de rfrence, suivi lexcs par les
Etats no coloniaux dAfrique noire francophone.
Lautonomie locale est donc un concept hautement positif. Sa dnaturation peut clairement
stablir tout au long de la priode rvolutionnaire jusqu la fin de lEtat unitaire
centralis .
34 Serge Regourd, De la dcentralisation dans ses rapports avec la dmocratie, gense dune problmatique , RDP, 1990, p. 978.
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2. De la Rvolution la Vme Rpublique
On sait que la doctrine avait dj eu sinterroger sur la priode la plus dcentralisatrice de la
rvolution35. Nos dveloppements sintresseront davantage un autre aspect de cette mme
priode. Il sagit principalement du glissement de la conception positive et originelle de
lautonomie locale celle redoute et demeure en vigueur jusquen 2003, cest--dire de la
dcentralisation conue comme une parfaite soumission des collectivits infra tatiques au
pouvoir politique rgnant.
a) La Constituante (1789-1791)
Cette priode est intressante plus dun titre. Dabord, elle exprime les apprhensions
portes lgard du concept dautonomie des municipalits, ce qui explique par ailleurs que
ce dernier soit toujours emprunt de connotations pjoratives et mal reu dans les Etats
unitaires sinspirant du modle franais. Ensuite, elle justifie pourquoi lautonomie locale ne
se conoit actuellement que par rapport un ordre tatique auquel elle sapplique.
On soulignera au passage, que le systme des franchises avait ouvert la voie une
prolifration de chartes communales et prcd le retour des corporations et des confrries,
toutes choses que la Rvolution stait employe bannir ds 1789, en prnant notamment le
retour aux principes galitaires de tous les citoyens. Mais paradoxalement labolition de tous
les privilges des villes et communauts dhabitants dans la nuit du 4 aot, ladoption par les
dputs rvolutionnaires dune loi du 14 dcembre 1789, qui consacrait une municipalit dans
toutes les grandes agglomrations urbaines ou rurales, semblait mettre en vidence luvre
dcentralisatrice de la Constituante. En effet, outre la personnalit morale reconnue au profit
des communes ds le Moyen Age, de nombreuses dispositions de la loi prcite
consacraient llection des corps municipaux. Elles opraient aussi une distinction entre les
fonctions propres au pouvoir municipal exerces sous la surveillance et linspection des
assembles administratives , et les fonctions propres ladministration gnrale de lEtat,
et dlgues par elle aux municipalits , exerces sous lautorit de ces mmes
assembles.
35 Voir en ce sens, larticle de Christine Houteer, Rvolution et Dcentralisation : lgendes et ralits , Les Petites Affiches n 12 et 15, respectivement 27 janvier et 3 fvrier 1989, pp. 26.
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Dans ce contexte, il nest pas surprenant que la loi du 14 dcembre 1789 ait donn lieu des
prises de position divergentes dans la doctrine, principalement sur le point de savoir si cette
dernire correspondait une loi de dcentralisation, eu gard la nature dassociations
dintrts privs , du reste trs discute, des communes de cette poque ? A cette question,
nos analyses rejoignent celles dj dveloppes par Christine Houteer pour qui, il importe
de retirer de la circulation la lgende dcentralisatrice qui [a] aurol la rvolution 36. En
effet, malgr llection des officiers municipaux et la distinction des fonctions propres au
pouvoir municipal, caractrises par la notion d intrt direct et particulier , la conception
privatise de la commune de 1789 ne permet pas de rendre pleinement compte dun organe
qui exerce de vritables fonctions publiques. Par ailleurs, quil sagisse des fonctions propres
ou des fonctions dlgues par lEtat, les municipalits restaient soumises selon les cas, soit
la tutelle, soit la subordination hirarchique de lautorit administrative. Au total, on peut
dire que, lun des traits caractristiques de la Constituante tait moins son administration
dcentralise, que le statut ambigu dans lequel se trouvait la commune de cette poque. Lide
dune dcentralisation territoriale, lorsquelle existait, napparaissait que sous langle dune
parfaite soumission des collectivits infra tatiques lEtat et non point comme une vritable
intgration de ces dernires dans la gestion des affaires publiques.
b) La Convention et le Directoire (1792-1795)
Les difficults dapplication de luvre de la Constituante avait conduit lAssemble
lgislative lire de nouveaux dputs en vue de llaboration dun nouveau texte
constitutionnel. Lassemble conventionnelle issue de llection du 2 septembre 1792 stait
proccupe tablir un gouvernement provisoire et rvolutionnaire rpondant aux ncessits
du moment, dans un contexte marqu par la lutte entre les girondins, partisans dune
dcentralisation de lexcution des lois rvolutionnaire, et les montagnards, plus favorables
une centralisation de laction excutive dEtat. Les montagnards layant emport sur les
girondins, leur conception du pouvoir va dominer toute la priode rvolutionnaire. Ils
adoptent la Constitution du 24 juin 1793, dont larticle 1er proclame lunit et lindivisibilit
de la Rpublique , un peu en raction contre le soutien accord par les dpartements aux
montagnards souponns de fdralisme . Au plan administratif, le dcret du 14 frimaire
an II (4 dcembre 1793) relatif au gouvernement rvolutionnaire maintien cependant
lorganisation administrative hrite de la Constitution de 1793 qui, proclamait en son article
3 que : le peuple franais est distribu, pour ladministration et pour la justice, en
36 Christine Houteer, LPA 3 fv. 1989, op. cit., p. 25.
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dpartements, districts, municipalits . Toutefois, les dpartements furent considrablement
carts de laction rvolutionnaire. Ainsi, la surveillance des lois et des mesures de sret
gnrale furent transfres aux districts, tandis que leur application relevait des seules
municipalits et comits rvolutionnaires institus dans chaque commune.
On peut dire quen confiant lapplication des lois rvolutionnaires et des mesures de sret
gnrale de salut public, la Convention stait efforce intgrer les communes dans le
systme administratif gnral. Il nen demeure pas moins que la nature privatise des
communes ne permet pas de valider la thse dune relative autonomie de ces collectivits de
base, sans lesquelles lexcution des lois et leur surveillance pouvaient tre assures et
surveilles.
Quant au Directoire (Constitution du 5 fructidor An III (22 aot 1795) et le dcret du 7
septembre 1795), il consacrait certes, llection des officiers municipaux et une plus grande
intgration des municipalits dans le systme administratif par une organisation
administrative distribue en dpartements (circonscriptions administratives) et en cantons
(administrations municipales), dsormais dtentrices des fonctions administratives dEtat
prcdemment confies au district qui disparaissait.
Cependant, cette tendance dcentralisatrice navait pas leve lquivoque sur le statut ambigu
des municipalits, dune part, et stait de surcrot dilue par les prrogatives de suspension et
de destitution prvues par la Constitution de lAn III lgard des officiers municipaux,
dautre part.
c) Le Consulat et le Premier Empire (1799-1800)
Le rgime napolonien, n de lan VIII, renforce la centralisation de lpoque rvolutionnaire.
La Constitution du 13 dcembre 1799 raffirme lunit et lindivisibilit de la Rpublique,
dont le territoire est divis en dpartements et arrondissements, ces derniers se substituant aux
cantons. La loi du 17 fvrier 1800 reconduit une administration municipale dans chaque ville.
Mais linnovation majeure de cette loi rside dans linstitution des prfet et sous-prfet,
respectivement reprsentants du Gouvernement au niveau du dpartement et de
larrondissement. Comme pendant la Rvolution, prfet, sous-prfet et maire entretiennent
des rapports hirarchiques entre eux et avec le pouvoir central. Leur rle se limite
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lexcution des fonctions administratives de lEtat, assurant ainsi une parfaite centralisation
de ladministration.
d) De la Monarchie de Juillet (1830) la IIIe Rpublique (1944)
La longue priode de 1830 1944 est considre comme celle du dveloppement de la
dcentralisation et des ides librales. Malgr ses volutions rebours dues aux variations des
rgimes politiques qui se sont succd, cette priode se distingue par deux grandes tapes : la
monarchie de juillet et la IIIe Rpublique.
La Monarchie de Juillet institue llection des conseils municipaux pour six ans (loi du 21
mars 1831) et de la mme manire des conseillers rgionaux (loi du 22 juin 1833). La
personnalit civile des communes est reconnue par la loi municipale du 18 juillet 1837,
laquelle lui permet de rgler par ses dlibrations la gestion des biens communaux, tandis
que la loi du 10 mai 1838 reconnat implicitement celle des dpartements, tout en leur
confrant la libre disposition de leurs biens. Toutefois, ces instances locales ne pouvaient
dlibrer que sur certains actes (gnralement leurs biens), lemploi des revenus locaux
restant soumis leurs simples avis.
Le Second Empire remet en cause le dveloppement de la dcentralisation et les principes de
dmocratie locale instaurs par la monarchie de Juillet : lautorit municipale redevient
simplement administrative et le principe de llection est abandonn. Les dpartements et les
communes sont soumis une forte tutelle organise autour du prfet. Cette tendance la
centralisation sera cependant tempre vers la fin du Second Empire. En 1865, un ambitieux
programme dit de Nancy et intitul Un projet de dcentralisation est labor dans le
but de restaurer lautonomie communale, mais ce dernier demeurera inactif devant la chute de
lEmpire.
La IIIe Rpublique est une tape importante pour les collectivits territoriales. Elle se
caractrise par des rformes qui sont lorigine de deux grandes lois demeures clbres : la
loi dpartementale du 10 aot 1871 et la loi municipale du 5 avril 1884.
La loi dpartementale du 10 aot 1871 intervient dans le contexte du mouvement
insurrectionnel de la Commune de Paris (mars-mai 1871) qui, vise sparer autant que
possible la gestion des affaires de lEtat, tout en mnageant les intrts et les habitudes des
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populations 37. Cette loi accrot les pouvoirs propres des conseils gnraux, et le dcret-loi
du 5 novembre 1926 allge la tutelle sur les dpartements.
Quant la loi municipale du 5 avril 1884, elle ralise une vritable clause de comptence
gnrale au profit du conseil municipal, qui dsormais rgle par ses dlibrations les affaires
de la commune . Ce systme lgislatif ne sera pas remis en cause tout au long de la IIIe
Rpublique. Il sera en revanche amliorer par des lois ultrieures, notamment celle du 22
mars 1890 consacre aux syndicats des communes et le dcret-loi du 5 novembre 1926
largissant le champ dintervention communale dans les domaines sociaux.
Lvocation de ce long historique montre suffisance qu plusieurs moments de leur vie, les
collectivits infra tatiques ont pu tre considres comme de vritables collectivits
territoriales dcentralises dotes de comptences propres et de responsables lus. On
remarquera toutefois que, quel que soient les lois de dcentralisation adoptes un moment
donn de lhistoire des institutions franaises, elles ont toujours t concomitamment
accompagnes dune forte tutelle des prfets bridant les autonomies locales. Le rgime de
Vichy contribuera dailleurs renforcer cette tendance en nommant tous les responsables
territoriaux pour mieux les contrler.
Si la IVe Rpublique ouvre une re nouvelle pour les collectivits territoriales, il nen
demeure pas moins que la dcentralisation territoriale ait toujours t perue sous langle
dune mfiance de lEtat lgard de ces collectivits.
2. La rception rsiduelle du concept dautonomie locale dans les rapports Etat
collectivits (de la IVme Rpublique mars 2003)
Le concept dautonomie a t mal reu en France de la Libration aux expriences
constitutionnelles antrieures mars 2003 (A). Dans cet intervalle, on a pu noter lapparition,
pour la premire fois dans une disposition constitutionnelle, du mot autonomie , signe
dune timide amlioration dans lacceptation de ce concept. Les expriences institues sont
cependant demeures parcellaires, au point de ne pouvoir rendre compte dune pratique
suffisante de lautonomie des collectivits territoriales dans leurs rapports avec lEtat (B).
37 V. Michel Verpeaux, Les origines in Les collectivits territoriales en France, Notice 1, p. 7, La documentation franaise, Paris, 2005.
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A. Les incertitudes sur le concept dautonomie (1944 mars 2003)
Les premiers difices du droit constitutionnel franais nont jamais comport lexpression
autonomie , les autonomistes tant considrs comme des adversaires de la tradition
rvolutionnaire jacobine, qui prne lunit nationale et la centralisation du pouvoir politique.
On se souvient, par ailleurs, que mme dans le cadre de la question des colonies Outre-mer, la
France de Vichy avait adopt une politique dassimilation et non pas dautonomie , l
o les Anglais pratiquaient la politique de lindirect rule , cest--dire une politique
dautodtermination volutive offrant une gamme de statuts coloniaux tels que la colonie de
la Couronne, la colonie semi-autonome, la colonie autonome, etc.
Il a cependant exist un mouvement rgionaliste paru sous le rgime de Vichy (1940-1944) et
effleurant lide dautonomie. Mais ce mouvement na pu prosprer en raison du souvenir
encore rcent du retour aux Provinces de lAncien Rgime. Si les premires Rgions naissent
en 1956, ce nest quen 1982 quelles deviennent des collectivits territoriales , mais sans
autonomie politique, par rfrence aux communauts autonomes et rgions autonomes
dEspagne et dItalie. Autrement dit, les idaux dunit et duniformit prns par la
Rvolution jacobine taient peu conformes lide dune autonomie des collectivits infra
tatiques. Dans un tel contexte, la seule forme dEtat acceptable en France tait lEtat unitaire.
Ainsi donc, ni le droit constitutionnel, ni la pratique administrative et encore moins les
thories politiques dominantes nont favoris en France lessor du concept dautonomie.
B. Des expriences non reprsentatives (1958-2002)
Sans refaire lhistoire de la dcolonisation franaise, on peut retenir que laprs seconde
guerre mondiale est la priode phare partir de laquelle la France, sous la pression
dirrsistibles revendications et rsistances, opte pour ses premires expriences dautonomie.
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Aprs les expriences rates sous la IVme Rpublique, notamment celles de lUnion
franaise38 et le statut de lAlgrie 39, la Communaut franco-africaine institue par
larticle 77 du Titre XII de la Constitution de 195840, actuellement abrog, offrait une
autonomie temporaire aux pays dAfrique qui lacceptaient, avant daccder lindpendance
dans les annes 1960.
Dans le mme contexte, les expriences des Territoires Outre-mer (Polynsie et Nouvelle-
Caldonie) restent des exemples patents pour qualifier ce que lon peut considrer comme
lentre de la France dans le concert des Etats unitaires qui conoivent lide dune possible
autonomie des collectivits infra tatiques. En effet, la NouvelleCaldonie stait vu doter
dun rgime dautonomie interne par la loi N 88-82 du 22 janvier 1988 portant statut du
Territoire de la Nouvelle-Caldonie41, tandis que quatre plus tt, la loi N 84-820 du 6
septembre 1984 portant statut de la Polynsie franaise avait dj consacr ce T.O.M. un
statut dautonomie interne dit de surcrot volutif 42.
Notons enfin le cas atypique de la Corse qui, sans tre ni T.O.M ni D.O.M., est cependant une
collectivit dote dun statut particulier depuis 1982.
La situation juridique de ces collectivits situes Outre-mer (anciens D.O.M-T.O.M), tout
comme celle de la Corse nont cess dvoluer dans le sens dune plus grande adaptation
leurs spcificits respectives. Cest du reste, la substance de larticle 74 nouveau, alina 7 de
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 qui prvoit lintervention dune loi organique pour
prciser certaines conditions daction des collectivits Outre-mer (COM) dotes de
l autonomie . Au stade actuel de nos dveloppements, ce qui importe est de montrer qu 38 Cf. Titre 8 de la Constitution de la IVe Rpublique, 1946-1958. Cette exprience accordait une politique dassimilation aux nouveaux dpartements dOutre-mer savoir : la Martinique et la Guadeloupe (Antilles franaises), la Guyane et la Runion. Voir C. Cadoux, le concept dautonomie en France , RSAMO n 28-Dcembre 1989, op. cit., p. 211. 39 Ds 1947, une loi organisait un statut particulier de dcentralisation largie, et donc dautonomie en Algrie. Ce statut ne fut pas appliqu. 40 Constitution du 4 octobre 1958 : Dans la Communaut institue par la prsente Constitution, les Etats jouissent de lautonomie ; ils sadministrent eux-mmes et grent dmocratiquement leurs propres affaires (Titre XIII, art. 77, abrog par la rvision constitutionnelle daot 1995). 41 Cf. Art. 1, Loi n 88-82 du 22 janvier 1988 portant statut du Territoire de la Nouvelle Caldonie Le territoire de la Nouvelle-Caldonie constitue au sein de la Rpublique franaise, conformment larticle 72 de la Constitution, un Territoire dOutre-mer dot dun statut particulier fond sur lautonomie et la rgionalisation , J.O.R.F. 26 janvier 1986. 42 Cf. Art. 1, Loi n 84-820 du 6 septembre 1984 portant statut de la Polynsie franaise, Le Territoire de la Polynsie franaise constitue, conformment aux articles 72 74 de la Constitution, un Territoire dOutre-mer dot de lautonomie interne dans le cadre de la Rpublique et dont lorganisation particulire et volutive est dfinie par la prsente . Sur cette question, voir Charles Cadoux, laccs de la Polynsie franaise lautonomie interne ; point daboutissement ou nouvelle base de dpart ? , Revue du Droit public et Science politique, n 2, 1989, pp. 345-397.
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travers tous ces exemples prcits, lautonomie est un concept progressivement reue en
France, mme sil ne concerne que des expriences situes Outre-mer.
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Ainsi donc, le concept dautonomie, appliqu aux groupements humains auto - constitus au
sein de la socit fodale, aura servi de base la naissance mme de la commune, entendue au
dpart comme une association dintrts privs, forme en vue de la gestion de droits de
type patrimonial 43, mais qui sera progressivement intgre dans le systme administratif
gnral. A mesure que ces groupements humains ont t reconnus ou institus comme des
collectivits territoriales dcentralises dans le contexte de lEtat unitaire, le concept
dautonomie a subi une forte rpulsion suivie dune rduction dans son entendement
philosophique, le rapport Etat collectivits, en matire de dcentralisation territoriale, ne
dsignant plus quune soumission des seconds envers les premiers.
Il est donc possible de dire que, ni la priode rvolutionnaire ni les expriences
administratives ultrieures jusqu la rvision constitutionnelle de mars 2003 nont favoris
en France lessor dune autonomie locale relativement forte, somme toute, contraire
laffermissement de lunit nationale autour dun pouvoir central puissant. Que lon se
souvienne combien la longue et clbre controverse entretenue par les thoriciens de la
personnalit morale des groupements navait eu pour but que de placer lordre du pouvoir
dominant au cur de la cration, mieux encore de la reconnaissance de tout groupement
humain tabli, et ceci, non plus dans une optique de dveloppement humain, mais plutt de
contrle et de soumission du second au premier. Luvre est grandiose et ncessite lillustre
contribution du Doyen Hauriou pour qui, de la superposition de lEtat sur les institutions
primaires : lEtat tend se subordonner ces institutions et mme les liminer, cest pendant
cette priode que nat le rgime administratif. Cest quand les institutions primaires sont
totalement limines que le rgime dEtat est oblig de reconstituer avec sa propre substance
un quilibre de superposition en dcentralisant au-dessous de lui 44.
43 Cf. J. Chapuisat, La notion daffaires locales en droit administratif franais , thse Paris II, 1972, p. 294. 44 Hauriou, Principes de droit public, 2e dition, 1919, p. 320, cit par S. Regourd, De la dcentralisation dans ses rapports avec la dmocratie , op. cit., p. 980.
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Ainsi donc, la controverse doctrinale fiction ralit des groupements ntait autre chose
que la problmatique de la mainmise par lEtat sur lautonomie et le pluralisme social, dont la
personnalit morale incarnait lexpression juridique. Le fait collectif tant particulirement
dcri par les rvolutionnaires, cest tout naturellement que la thorie de la fiction allait
recevoir en premier un accueil favorable illustr par la loi le Chapelier de 1791, relative aux
corporations. Cette thorie connatra sans doute ses avatars tout au long du 19me sicle, mais
tout compte fait, la constante dominante et quasiment admise par tous est celle selon laquelle,
il ne saurait exister de groupements autonomes en dehors de lEtat. Seul ce dernier peut les
reconnatre dans le cadre dune attribution de comptences pour la gestion des affaires
publiques. Autrement dit, les rapports entre lEtat et les groupements infra tatiques ne se
conoivent dsormais que sous langle dune mfiance et de subordination envers lordre
tatique, do la rception rsiduelle en France du concept dautonomie locale depuis la
Rvolution jusqu la rvision constitutionnelle de mars 2003.
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SECTION 2
LE CONCEPT DAUTONOMIE ET LA DECENTRALISATION TERRITORIALE
AU CAMEROUN
En Afrique noire francophone coloniale et post-coloniale, et singulirement au Cameroun, le
schma ci-dessus dcrit prsente au fond des similitudes. Celles-ci concernent principalement
la question de lexistence pralable des communauts traditionnelles de base dont les
membres avaient en commun le dsir de vivre en paix et de faire prosprer leurs affaires
propres. Mais l sarrtent les similitudes car, dune manire gnrale, la commune des pays
dAfrique subsaharienne nat de linitiative du pouvoir colonial et se confine sur laire
gographique des circonscriptions administratives par lui dcoupes. Ainsi, la diffrence de
lexpansion communale en France, ce qui caractrise la commune africaine de lpoque
coloniale nos jours cest la rupture de lquation commune gale communaut traditionnelle
(1), avec comme consquence une absence manifeste de lide dautonomie dans les rapports
Etat communauts infra tatiques (2).
1. La rupture de lquation commune gale communaut traditionnelle de base
Etudier la communaut traditionnelle de base et son autonomie, comme socle du mouvement
communal prsente un intrt plusieurs titres. Cet intrt peut tre envisag par deux grands
aspects. Dabord, la conjonction de la communaut traditionnelle de base et de la politique a,
nous semble t-il, exist dans toutes les socits de notre plante, bien sr des degrs divers
et variant selon lhistoire de chaque peuple. Un tel constat impose une succession
dinterrogations en matire dinstitutions communales en Afrique en gnral et au Cameroun
en particulier. La commune africaine a t-elle bnfici, sa naissance, dun environnement
sociologique qui aurait d favoriser son closion ? Le pouvoir colonial avait t-il russi
oprer une conjonction entre les organisations sacres prexistantes (communaut
traditionnelle de base) et la politique ? Si oui, comment expliquer lvanescence de
linstitution communale par rapport aux populations auxquelles elle tait destine ? A ces
questions, on ne saurait rpondre par laffirmative (A). Il convient de souligner limportance
de lassise des communes sur des circonscriptions administratives artificielles (B).
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A. La question pralable : lexistence des structures traditionnelles antrieures
linstitution communale
Dans une tude rcente consacre la Fonction publique en qute de lgitimit dans les Etats
dAfrique francophone, mais qui cadre parfaitement avec lide que nous voudrions exprimer
sur linstitution de la commune africaine et particulirement celle du Cameroun, Mose
Nembot45 abouti aux conclusions suivantes : Sur la base des structures administratives
coloniales, les institutions administratives chafaudes en Afrique francophone portaient dj
les germes de leur propre destruction (). La fonction publique [tout comme la commune]
est une institution dont lefficacit suppose une adhsion consciente des populations sur
lesquelles elle exerce une emprise totale. Faute davoir ignor ces donnes fondamentales au
moment de linstauration de ladministration dans les pays africains, laction administrative
() se trouve rejete []. Lentreprise coloniale en Afrique a dabord rpudi le sacr en
sapant les structures traditionnelles qui la vhiculaient et lentretenaient 46.
Lauteur met ici en relief lune des notions cardinales du systme de lorganisation
administrative des pays dAfrique noire francophone, celle de la communaut traditionnelle
de base incarne par la chefferie traditionnelle. A linstar des villes ou bourgs franais du
moyen-ge, la chefferie traditionnelle africaine constituait la communaut de base autonome
sur laquelle aurait d reposer toute structure communale. Mais en procdant dune vision
assez simpliste de la socit africaine, il est possible que certains auteurs aient contribu
semer le doute et la confusion sur lexistence pralable de groupements humains autonomes et
organiss. lAfrique na pas dhistoire [] Elle est au seuil de sa prhistoire crivait
encore Ren Dumont47, pendant Jean William Lapierre48 soutenait la non-existence pendant
des sicles dun minimum dorganisation dans quelques socits africaines.
Pourtant, mme les tudes les plus critiques, trs souvent menes par les africanistes de
lcole dite du patrimonialisme , et dont le fondateur Jean Franois Mdard stait lui-
mme dj activ en exposer les principaux axes dans un article intitul lEtat no-
patrimonial en Afrique noir , nont pas t aussi catgoriques49. En effet, bien que reposant
45 Mose Nembot, Le Glas de la Fonction Publique dans les Etats dAfrique Francophone. Essai sur la signification dune institution en qute de lgitimit, (prface de Monique Chemilier-Gendreau), lHarmattan, 2000. 46 Op. cit., p. 11-12. 47 Ren Dumont, lAfrique noire est mal partie, Paris, d. Seuil, 1966. 48 Jean William Lapierre, Vivre sans Etat ?, Le Seuil, Paris 1977, p. 73. 49 Voir Jean-Franois Mdard, lEtat no-patrimonial en Afrique noire , pp. 323-335.
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moins sur les aspects fonctionnels des administrations tudies que sur leurs aspects
descriptifs, ces tudes, qui ont caractris de patrimonial des Etats africains, affirmaient
du mme coup lexistence dans ces Etats dorganisations sociales de types patriarcales pr -
coloniales : les communauts traditionnelles de base ou mieux les chefferies traditionnelles.
De mme, il existe toute une srie dtudes historiques consacres aux organisations
humaines dans lAfrique noire pr coloniale50. Louvrage du professeur Donald L. Wiedner
est cet gard une importante contribution. Son chapitre premier, intitul lAfrique noire et sa
prhistoire, retrace comment les socits bien organises 51 des peuples bantous52 avaient
propag le travail du fer, des nouvelles cultures, et de llevage travers la plus grande
partie de lAfrique au sud du Sahara pendant prs de 1200 ans, [] et ce entre lan 300 avant
J.-C. et les environs de lan 900 aprs J.-C. 53.
En tout tat de cause, luvre de municipalisation camerounaise fut ampute ds le dpart des
prdispositions naturelles que constituaient les communauts autonomes, incarnes par les
chefferies traditionnelles. De ce point de vue, lide dune dcentralisation du pouvoir
politique, et donc de lautonomie locale, na pu procder de la moindre intgration des
communauts de base dans la gestion des affaires publiques.
B. Une assise sur des circonscriptions administratives artificielles
Au Cameroun, comme dans la plupart des pays dAfrique noire francophone, lhistoire du
mouvement municipal est fort complexe. Elle dbute avec la colonisation et se poursuit
jusqu la priode post coloniale. Durant ces deux priodes, la commune africaine, et celle du
Cameroun en particulier nat de la circonscription administrative cre par le colonisateur
pour les besoins de gestion du territoire, dont elle pouse les contours gographiques. A ce
constat, il convient dajouter que la circonscription administrative nat elle-mme de la
destruction des structures traditionnelles prexistantes, par lclatement provoqu des
membres de sa communaut de base, cest dire sans fondement sociologique, do son
qualificatif d artificiel . Pour mieux comprendre lvolution du mouvement municipal
camerounais, il serait judicieux de rappeler celle des circonscriptions administratives,
auxquelles sagrippe de nos jours, linstitution communale (1), tant entendu quune telle
50 Voir les travaux de Cheikh Anta Diop, lAfrique noire pr-coloniale (1960) ; Antriorit des civilisations ngres. Mythe ou vrit historique (1967). 51 Donald I. Wiedner, lAfrique noire avant la colonisation, dition abrge, Coll. Nouveaux horizons, pp. 11 33. 52 Peuple noir et dsign par le nom de son groupe linguistique. 53 Donald I. Wiedner, op. cit., p. 25.
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tude va de pair avec celle des tribulations des structures traditionnelles de base prexistantes
(2).
1. Lorganisation administrative coloniale et post- coloniale
Lhistoire des institutions du Cameroun regorge dune abondante littrature54. Toutefois, le
souci dclairer la naissance des communes camerounaises nous impose de restituer un aperu
gnral de lvolution des circonscriptions administratives qui la fonde depuis la colonisation
jusqu nos jours. Pour ce faire, nous prendrons pour point de dpart lanne 1916. A cette
date, lAllemagne vaincue de la premire guerre mondiale, est contrainte dabandonner ses
colonies africaines au profit dune organisation sans structure administrative, la Socit des
Nations , conformment au trait de Versailles du 28 juin 1919.
La socit des Nations donne mandat certaines nations victorieuses (France, Angleterre,
Afrique du Sud) dadministrer les ex-colonies allemandes dAfrique, do le nom de
territoires sous mandat . Par le Trait de Londres de 1922, la Socit des nations entrine
lAccord franco-britannique du 10 juillet 1919, qui partageait lancienne colonie allemande
du Cameroun raison de 1/4 pour la Grande Bretagne et 3/4 pour la France, formant ainsi
respectivement le Cameroun occidental et le Cameroun oriental . Les deux portions du
territoire camerounais seront administres de 1922 1945 sous le rgime de territoire dit
sous - mandat 55, et en 1946, lissue de la premire guerre mondiale, sous le rgime de
territoire dit sous - tutelle 56.
Le Cameroun oriental (francophone) devient indpendant le 1er janvier 1960, tandis que le
Cameroun occidental (anglophone), reste administrativement rattach la colonie britannique
du Nigeria qui en fait une province divise en deux parties ; la partie nord (Northern
Cameroons) et la partie sud (Southern Cameroons). Lorsque le Nigria accde
lindpendance le 1er octobre 1960, seule le Northern Cameroons est intgr dans son
territoire. Par le plbiscite du 11 fvrier 1961, le Southern Cameroons choisi de sallier au 54 Louis Ngongo, Histoire des Institutions et des faits sociaux du Cameroun, 2 tomes, Berger - Levrault, Paris 1987 ; Voir aussi, Le Vine, Victor T., Le Cameroun : du mandat lindpendance, Prsence Africaine, 1984. 55 Daprs le Trait de Londres de 1922, les puissances mandataires auront plein pouvoir dadministration et de lgislation sur les contres faisant lobjet du mandat ; ces contres seront administres selon la lgislation de la puissance mandataire, comme partie intgrante du territoire . Quant la mention classe B , elle signifiait que les puissances mandataires navaient aucune obligation de prparer les peuples des territoires sous mandat lauto-gouvernement ou lindpendance. Sur ces questions, V. Martin Finkem, Commune et gestion municipale au Cameroun, Groupe Saint-Franois, 1996, p. 28. 56 Le rgime de la tutelle avait pour but damener les peuples sous tutelle lauto-dtermination et lindpendance.
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Cameroun occidental (francophone) pour former la Rpublique fdrale du Cameroun,
compose de deux Etats : un Etat francophone et un Etat anglophone. Onze ans plus tard, le
20 mai 1972, la Rpublique fdrale du Cameroun devient la Rpublique unie du Cameroun
par fusion des deux Etats fdrs.
De 1916 la runification des deux Etats fdrs en 1961, le Cameroun connat linfluence de
deux modes dadministration diffrentes, selon que lon se trouve dans sa partie anglophone
ou selon que lon est dans sa partie francophone. LAngleterre pratique ladministration
indirecte ou indirect rule , dont lessentiel de la politique consiste sappuyer sur les
structures traditionnelles de base existantes pour crer des institutions communales, en mme
temps quelle sy rfre pour dcouper le territoire en circonscriptions administratives. La
France, fidle la tradition jacobine, opte pour ladministration directe , mthode trs
centralise, qui consiste placer le territoire soumis sa domination sous ladministration
directe du colonisateur. Cette mthode a eu pour consquence, peut-tre par souci de bonne
gestion, de faire prcder le dcoupage des circonscriptions administratives de linstitution
communale, en ignorant du mme coup, les structures traditionnelles.
Toutes ces mthodes seront reprises par ladministrateur post-colonial jusqu lunification en
1972, date laquelle la premire Constitution de lEtat unitaire du Cameroun transfre au
domaine du lgislateur, lorganisation des collectivits locales. De 1972 nos jours, la
tendance dominante est la francisation de ladministration du territoire, ce qui explique la
gestion centralise du pouvoir politique jusqu la rvision constitutionnelle du 18 janvier
1996.
a) Evolution du mouvement communal de la priode coloniale (1916) lunification du
Cameroun (1972)
Avant lunification en 1972 des deux Etats fdraux du Cameroun, le mouvement communal
est tributaire de linfluence des deux systmes dadministration prsents dans le pays, savoir
ladministration coloniale britannique, dune part, et ladministration coloniale franaise,
dautre part.
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a.1. Ladministration coloniale britannique et le systme de lindirect rule
Lindirect rule, dont la paternit est attribue lancien Gouverneur gnral du Nigeria -
Frederick Tugard - est un systme qui consiste gouverner par lintermdiaire des indignes
eux-mmes, ladministration britannique limitant son action au contrle gnral des
comptences transfres aux autochtones. Ces derniers assurent leur auto - administration
travers des structures dont les plus importantes sont les suivantes :
- les native courts ou tribunaux composs des indignes ;
- les native treasuries ou trsoriers indignes chargs de la collecte dune partie des
impts et de leur rinvestissement au bnfice de la communaut ;
- et surtout, les native authorities, vritables piliers de lindirect rule.
La native authority est en principe un chef traditionnel ou toute autre personne dsigne
comme telle. A dfaut, cest un conseil de notables indignes. La native authority est dote
dune comptence territoriale (une circonscription) et dune comptence personnelle (un
ensemble de personne formant une communaut de base). Il jouit dune assez large
autonomie pour la gestion des affaires locales (ducation, sant, commerce, police judiciaire,
prisons municipales, environnement, construction et urbanisme, domaines foncier etc.). De
mme, son autonomie financire est sans quivoque (inexistence du principe dunicit de
caisse). Les ressources financires proviennent des impts, des redevances pour service rendu,
des revenus du domaine, des subventions de lEtat fdral du Cameroun occidental. Une large
libert daction est accorde en matire de recrutement et de gestion du personnel communal,
les emplois tant rgis par un statut appel le Local Government Staff Regulations . Enfin,
les native authorities pouvaient sunir en joint committee - sorte de syndicats de
communes pour assurer la gestion dlgu dun service public.
Pour les besoins dadaptation la modernit et aux responsabilits de plus en plus accrues, les
native authorities seront progressivement mutes en local authorities , sortes
dassembles locales collgiales composes des chefs traditionnels et des personnalits lues,
et enfin en local councils ou collectivits locales.
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Le systme dindirect rule va rsister jusqu lunification des deux Etats fdrs du
Cameroun en 1972, la cration des local councils (communes) se limitant autour des
communauts traditionnelles de base, elles-mmes, devenues pour la plupart des
circonscriptions administratives. Au total, avant lunification, le Cameroun occidental
(anglophone) compte prs dune trentaine de communes en 1944. Des reformes dues aux
mutations de la forme de lEtat rduiront successivement ce chiffre 28 en 1967, puis 24 en
1969, suite de nombreux regroupements. Cette situation demeure inchange jusqu
ladoption de la premire Constitution de lEtat unitaire du Cameroun en 1972, et
principalement, lorsque apparat la loi portant organisation communale de la Rpublique unie
du Cameroun du 5 dcembre 1974.
a.2.Ladministration coloniale franaise et le systme de ladministration directe
Ancienne colonie allemande, place sous - mandat et ensuite sous - tutelle de la
France, le Cameroun aurait d bnficier dune autonomie plus large conformment aux
rgles propres tout rgime de tutorat. Mais en pratique, le systme dadministration directe
dinspiration jacobine avait impos une confusion dans la gestion quotidienne de tous les pays
confis la France. Autrement dit, par le systme dadministration directe, la France
transposa, purement et simplement dans ses colonies y compris au Cameroun -, le
fonctionnement centralis des institutions de lhexagone.
Ds 1916, la France divisa le territoire camerounais en neuf circonscriptions administratives
(rgions) ayant leur tte des gouverneurs. En 1935, le Cameroun comptait 19 rgions
divises en plusieurs subdivisions et postes administratifs. Le dcoupage administratif stait
fait exclusivement sur la base du critre ethnique. Aucune commune nexiste encore. On note
cependant lintroduction en 1923 au sein des circonscriptions administratives des conseils de
notables composs des indignes, bien que ces derniers ne disposent daucun pouvoir
linstar des native authorities anglais. Lintrt de la question du dcoupage administratif
rside dans le fait majeur que chacune de ces units administratives servira plus tard de
squelette la cration, par superposition, des communes.
Les premires communes du Cameroun oriental (francophone) naissent avec larrt du 25
juin 1941 du gouverneur franais du Cameroun, qui cre dans les deux plus grandes
agglomrations du pays les communes mixtes de Douala et de Yaound. Ces deux communes
sont pourvues chacune dun excutif (le chef de rgion) qui prend le titre dadministrateur
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maire pour la circonstance. Elles sont galement pourvues chacune dune commission
municipale, compose de 4 notables franais et 2 indignes nomms par le gouverneur
colonial.
Aprs la deuxime guerre mondiale, un arrt du 21 aot 1952 cre les communes mixtes
rurales et les tend dans toutes les subdivisions du pays. Trois ans plus tard, la loi franaise
n 55-1489 du 18 novembre 1955 relative la rorganisation municipale des pays dAfrique
noire, lexception du Sngal, introduit les communes de plein exercice et les communes de
moyen exercice. Dans les deux cas, la condition requise par larticle 2 de la loi prcite est
le niveau de dveloppement suffisant pour disposer des ressources propres ncessaires
lquilibre de son budget . La diffrence fondamentale entre ces deux entits tient au fait
que, dans la commune de plein exercice, le maire est dsign au sein du conseil municipal,
tandis que dans les communes de moyen exercice, il est nomm par le chef de la
circonscription administrative parmi les fonctionnaires de sa localit. Cest dans ce paysage
communal fort complexe que le Cameroun accde lindpendance le 1er janvier 1960.
Sept ans plus tard, la loi du 1er mars 1967 cre lintrieur des communes de plein exercice,
les premires variantes dites rgime spcial dans les grandes villes de Douala, Yaound
et Nkongsamba. Ces communes deviendront plus tard les communauts urbaines ayant leurs
ttes des Dlgus de gouvernement nomms par le Prsident de la Rpublique.
b) De lunification nos jours
Lunification du Cameroun en 1972 sest accompagne dune srie de reformes, dont lune
des plus importantes concernait la multiplication et luniformisation des circonscriptions
administratives par la loi du 24 juillet 1972.
En pratique, luniformisation sest traduite par un renforcement de lautorit centrale et une
francisation de la partie anglophone. Les dpartements, arrondissements et districts se sont
substitus respectivement aux rgions, subdivisions et postes administratifs. La province est
devenue le premier niveau des units administratives. Au plan local, le dcoupage
administratif du territoire ayant servi de base la cration des communes, le Cameroun
comptait 339 communes sous lgide de la loi communale du 5 dcembre 1974 et ses divers
textes modificatifs.
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La Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 cre un nouvel chelon de collectivits
territoriales (la Rgion) sur la base des dix provinces existantes. A ce jour, il existe donc 384
collectivits territoriales dcentralises au Cameroun, suite la mise en uvre dispositions
issues des lois de dcentralisation du 22 juillet 200457 et aux nombreuses crations
darrondissements intervenues entre-temps.
Au total, la lecture du systme communal camerounais est assez complexe. En premier lieu,
on retiendra que le dcoupage administratif du territoire sur des bases souvent artificielles
prcde la cration des communes. En second lieu, que sous lgide de la loi nationale du 5
dcembre 1974 portant organisation communale et ses divers textes modificatifs, la commune
camerounaise est une collectivit territoriale dpourvue de toute autonomie ; les maires et les
conseillers municipaux sont, jusqu une priode relativement rcente, nomms par le pouvoir
central. A lvidence, dans un tel contexte politique, le vent de dmocratisation des annes
1990 navait pas encore souffl en Afrique avec ses bienfaisantes liberts dexpression et de
pense.
2. Les Tribulations des structures traditionnelles de base
Braque sur lunique objectif dasseoir un pouvoir autoritaire dans les pays hrits de la
Socit des Nations, ladministration coloniale navait eu dautre ide que de sattaquer en
premier, aux structures traditionnelles existantes telles que la chefferie. Le rgime colonial a
adultr toutes nos formes de chefferies. Ces dernires, sexclamait une personnalit
politique, nont en effet pu rsister sous la triple pression de secousse de ladministration
coloniale, des glises chrtiennes et de lconomie de march 58. Pouvait-il en tre
autrement ? Seule la chefferie traditionnelle tait susceptible dopposer lgitimement au
pouvoir colonial son autonomie locale. Les fonctions dvolues au chef traditionnel et
acceptes par tous les membres de la communaut (direction du commerce direction des
57 Trois lois de dcentralisation ont t promulgues le 22 juillet 2004 : la premire, n 2004/017 porte Orientation de la dcentralisation ; la seconde, n 2004/018 fixe les rgles applicables aux communes, et la troisime, n 2004/018 fixe les rgles applicables aux rgions. Contrairement la lgislation antrieure (loi communale du ( dc. 1974), larticle 152 de la loi n 2004/017 institue une nomenclature unique pour la commune, supprimant ainsi la distinction commune urbaine - commune rurale. Etant donn que de nombreuses agglomrations taient constitues de zone urbaine et de zone rurale, et donc de commune urbaine et commune rurale dans une mme ville (exemp