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Gouvernances

« L’Europe c’est l’union, et l’union fait la force » est l’une des formules fréquemmentutilisées par les promoteurs de plus d’intégration européenne. Ce livre vérifie sicet argument résiste en politique commerciale, domaine dans lequel l’intégra-tion politique est la plus ancienne et la plus poussée en Europe, et le seul danslequel l’Union européenne est partenaire et adversaire à égalité avec les États-Unis. Sophie Meunier analyse les conséquences des structures, règles et contraintesinstitutionnelles internes à l’Union européenne, et notamment celles liées à lavoix unique, sur les résultats des négociations commerciales internationalesdepuis quarante ans.De fait, la façon dont les États européens parviennent à un accord sur une lignecommune défendue à l’unisson influe sur le résultat final des négociations interna-tionales. Par ailleurs, l'efficacité de la politique commerciale est souvent diminuéepar la perception que celle-ci s'opère au détriment de la légitimité démocratique. Le sujet reste plus que jamais d'actualité compte tenu des difficiles tractationseuropéennes et internationales dans le cadre du cycle de Doha sous l'égide del'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Sophie Meunier est chercheur en relations internationales à l’université de Princeton(États-Unis). Elle est auteur de nombreux articles sur la France, l'Europe et la mondia-lisation, ainsi que coauteur du livre Le Nouveau Défi français : la France face à la mondia-lisation, lauréat 2002 du Prix France-Amériques. Diplômée de Sciences Po Paris et docteuren science politique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle est membre ducomité directeur de l’European Union Studies Association.

Sophie MeunierL'UNION FAIT LA FORCEL’Europe dans les négociations commerciales internationales

Gouvernances

L’Unionfait la force

Sophie Meunier

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ISBN 2-7246-0974-3 – Code SODIS 951 791.4

22,00€

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L’Union fait la force

L’Europe dans les négociations

commerciales internationales

Sophie Meunier

Traduit de l’américain par

Sylvain Brémond et Sylvie Kleiman-Lafon

Ouvrage publié avec le concours duministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche

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Catalogage Électre-bibliographie (avec le concours des Services de documentation dela FNSP)L’Union fait la force : l’Europe dans les négociations internationales/Sophie Meunier –Paris : Presses de Sciences Po, 2005.ISBN 2-7246-0974-3RAMEAU :– Politique commerciale : Prise de décision : Pays de l’Union européenne– Traités : Pouvoir de conclusion : Pays de l’Union européenne– Organisation mondiale du commerce : Pays de l’Union européenne– Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce : Pays de l’Union européenneDEWEY :– 341.23 : Droit des organisations internationales – Organisations de l’Union euro-péenne– 382.1 : Commerce international – Organisation et politiques du commerce extérieurPublic concerné : universitaires, public intéressé

La loi de 1957 sur la propriété intellectuelle interdit expressément la photocopie à usagecollectif sans autorisation des ayants droit (seule la photocopie à usage privé du copiste estautorisée).Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage estinterdite sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit decopie (CFC, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris).

Édition originale :Trading Voices The European Union in International Commercial Negotiations© Sophie Meunier, 2005Publié en accord avec Princeton University Press, Princeton (N. J.), USA.

ISBN : 069112115X

© 2005, PRESSES DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES

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ISBN - version PDF : 9782724681734

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À mes parents,Paule et Bernard Meunier

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Préface 9Introduction 11

• Échange de voix : une représentation internationale commune 16

• Arguments, preuves et conclusions 27

Chapitre 1 / UNE VOIX EUROPÉENNE UNIQUE

EN MATIÈRE COMMERCIALE 37

• Batailles autour de la compétence supranationale 39

• Du Conseil à la Commission : la voix unique en pratique 54

Chapitre 2 /LES INSTITUTIONS DE L’UEET LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALESINTERNATIONALES 63

• Déterminants du levier de négociation 64

• Contraintes intérieures et force extérieure 74

• Compétence supranationale et contexte de négociation 79

• Institutions européennes et négociations commerciales 90

Chapitre 3 / LES NÉGOCIATIONS AGRICOLES

DU KENNEDY ROUND : 1964-1967 103

• Les objectifs américains et européens dans le Kennedy Round 104

• Paralysie institutionnelle intérieure et blocage des négociations extérieures 115

• Contraintes institutionnelles, « mains liées » et conclusion du Kennedy Round 124

• Conclusion 133

Table des matières

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L’UNION FAIT LA FORCE8

Chapitre 4 / LES NÉGOCIATIONS AGRICOLES

ENTRE L’UE ET LES ÉTATS-UNIS DURANT L’URUGUAY ROUND : 1986-1993 137

• Des négociations dans l’impasse 138

• Divisions internes, autonomie de la Commission et conclusion de l’accord de Blair House 146

• Conclusion 162

Chapitre 5 / LES NÉGOCIATIONS AMÉRICANO-EUROPÉENNESSUR LES MARCHÉS PUBLICS : 1990-1994 165

• La création d’un marché intérieur des marchés publics 166

• Une réciprocité offensive dans les négociations américano-européennes sur les marchés publics 172

• Succès et échecs de la stratégie du cheval de Troie 180

• Conclusion : de la voix unique aux voix discordantes 185

Chapitre 6 /LES ACCORDS TRANSATLANTIQUES « CIEL OUVERT » : 1992-2003 189

• Le débat sur les pouvoirs de négociation dans le domaine de l’aviation 191

• Les accords bilatéraux : stratégie efficace de la politique « diviser pour mieux régner » 196

• Vers une compétence supranationale dans le secteuraéronautique : un cadre juridique renouvelé 201

• Une compétence supranationale restreinte 205

• Conclusion : les Horaces, les Curiaces et les accords ciel ouvert américano-européens 212

Chapitre 7 / D’UNE SEULE VOIX :EFFICACITÉ CONTRE LÉGITIMITÉ 215

• Préférence, pouvoir et institutions dans les négo-ciations commerciales américano-européennes 216

• Résultats et implications essentiels 230

• Efficacité contre légitimité en politique commerciale 240

• Quelques remarques pour conclure 251

Bibliographie 257

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Préface

ycle de Doha, textiles chinois, Boeing-Airbus, subventions agri-coles, aliments génétiquement modifiés : la politique commer-ciale, toujours au centre de l’actualité, est au cœur des relations

entre l’Union européenne (UE) et le reste du monde. Elle est aussi cons-tamment au cœur de la puissance européenne, que ce soit parce quel’UE est, grâce à son Marché unique, l’une des plus grandes puissancescommerciales au monde, ou parce que l’union joue de sa puissancecommerciale comme instrument de puissance tout court. Entité sansvéritable politique étrangère, l’UE a souvent utilisé sa politiquecommerciale comme moyen d’affirmer son identité politique externe,ainsi que comme palliatif aux outils classiques de politique étrangère –de l’exportation de ses normes au niveau multilatéral à l’inclusion declauses politiques dans ses accords commerciaux bilatéraux. Mais est-cedire pour autant que « l’union fait la force » ?

L’idée originelle de ce livre est née il y a près de quinze ans, lors del’élaboration du « projet 1992 » que j’avais suivi avec beaucoup depassion pendant mes études à l’Institut d’études politiques de Paris. Jedécidai alors de traverser l’Atlantique pour analyser, sous une perspec-tive différente, les effets externes de la construction européenne. Grâceaux conseils précieux de Suzanne Berger, ma remarquable directrice dethèse au département de sciences politiques du Massachusetts Instituteof Technology, je développai un projet analysant l’intuition que plusl’Europe serait unie institutionnellement, plus elle serait forte. Beaucoupd’années et de feuilles noircies plus tard, je réalisai que si l’intuitionn’était pas fondamentalement fausse, la réalité était bien plus complexepuisque, dans certaines conditions, une plus grande intégration institu-tionnelle pouvait amoindrir la puissance de l’UE dans les négociationscommerciales internationales.

À l’heure où les référendums ont remis en question l’évolution insti-tutionnelle de l’UE et l’idée même que l’union fait la force, le sujet de celivre reste plus que jamais d’actualité. Bien sûr, la machinerie institu-tionnelle n’est pas le seul facteur explicatif du pouvoir de négociationde l’Union. La convergence des préférences nationales en matièrecommerciale se passe non seulement par le biais des jeux institution-nels, mais aussi grâce à une convergence idéologique de principes et de

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valeurs, ce qui peut expliquer pourquoi les débats internes sur lescompétences en politique commerciale se sont pacifiés ces dernièresannées. Reste que la crise actuelle que traverse l’Union européenneprouve que les enjeux institutionnels sont cruciaux, non seulement pourles résultats des politiques mais aussi pour la légitimité démocratique.

Ce livre a bénéficié des commentaires de nombre de mes collègues quiont eu la gentillesse de lire le manuscrit (en version américaine) en entierou en partie. En plus des membres de mon comité de thèse, SuzanneBerger, Stanley Hoffmann et Kenneth Oye, je veux remercier notammentKaren Alter, Christina Davis, John Keeler, Andrew Moravsik, KalypsoNicolaidis et Alberta Sbragia. Je tiens à remercier tout particulièrementPascal Lamy, ancien commissaire européen au Commerce et nouveaudirecteur général de l’Organisation mondiale du commerce, pour m’avoirrassurée, à la lecture du manuscrit, que je ne faisais pas fausse route,même si de nombreuses pistes restent encore à explorer ; et Jean-Fran-çois Brakeland, de la Commission européenne, pour son aide incisive,rapide, et répétée. Bien entendu, toutes les erreurs qui restent sont lesmiennes. Je suis aussi redevable à tous les établissements et collègues quim’ont accueillie pour ce projet, en particulier à MIT, à l’université deChicago et à Princeton, où je suis chercheuse depuis maintenant six ans.Mes vifs remerciements aussi à Michael Storper de l’Institut d’étudespolitiques de Paris pour avoir recommandé la publication de la versionfrançaise de ce livre aux Presses de Sciences Po, et à Sylvie Kleiman-Lafon et Sylvain Brémond qui ont traduit le manuscrit de l’anglais avecdiligence, qualité et sympathie. Finalement, je tiens à remercier mafamille pour son soutien à ce projet : Yacine, Idir et Ines Aitsahalia, monmari et mes enfants, qui en savent désormais bien plus sur les arcanesinstitutionnels de l’UE qu’ils ne le souhaitent ; et Paule et BernardMeunier, mes parents, qui ont dès l’enfance encouragé mon intérêt pourla politique et ont soutenu, sans égoïsme, mon départ pour les États-Unis.C’est à eux que je dédie ce livre.

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Introduction

« Unissons-nous. Et le monde nous écoutera. »Campagne publicitaire proeuropéenne, septembre 1992

Il n’est pas facile de faire affaire avec l’Union européenne, plusgrande puissance commerciale au monde et poids lourd de la politiqueéconomique internationale. La nature originale, complexe et souventincompréhensible de l’« hydre » européenne a laissé perplexe plus d’unnégociateur étranger : si l’UE parle d’une seule voix en matièrecommerciale, a-t-elle pour autant le dernier mot dans les accords decommerce international ? Une fois conclus par les négociateurs euro-péens, ces accords peuvent-ils être contournés par les États membresrécalcitrants ? Quand doit-on négocier avec l’UE, et quand doit-onnégocier directement avec les États membres ? Au fil du temps, lanécessité de présenter un front commun et la complexité de la structureinstitutionnelle de l’UE ont avantagé l’Europe dans les négociationscommerciales internationales.

La négociation de l’accord historique de libre-échange avec l’Afriquedu Sud en est la parfaite illustration. En 1995, l’UE et l’Afrique du Sudont entamé des négociations en vue de la signature d’un accord de libé-ralisation commerciale sans précédent, censé porter sur 90 % deséchanges entre les deux pays. Au bout de quatre ans de négociationsintenses, et parfois tendues – notamment sur la question de l’étiquetagedes vins alcoolisés sud-africains comme « porto » ou « sherry », finale-ment écartée – l’UE et l’Afrique du Sud ont conclu un accord en 1999,entré en application en janvier 2000. Au grand dam des autres Étatsmembres, l’Italie a refusé à la dernière minute de ratifier cet accord sil’Afrique du Sud ne renonçait pas à l’utilisation du mot « grappa » pourqualifier sa minuscule production annuelle de 30 000 bouteilles de cetalcool, tandis que la Grèce refusait de signer si l’Afrique du Sud n’aban-donnait pas l’utilisation du mot « ouzo » (même si les négociateurs sesont aperçus par la suite que l’Afrique du Sud n’en produisait pas une

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goutte)1. Les négociateurs sud-africains ont été très surpris par cesnouvelles exigences et par l’incapacité de l’UE à surmonter ses dissen-sions internes. Le président sud-africain, Thabo Mbeki, a violemmentreproché à l’UE de faire montre de mauvaise foi en formulant des objec-tions après la signature de l’accord, et le ministre sud-africain ducommerce, Alec Erwin, a déclaré qu’il était impossible de négocier avecl’UE puisqu’elle se montrait incapable de dépasser ces questionssecondaires ; leurs protestations sont néanmoins restées lettres mortes2.L’Afrique du Sud a fini par céder et par mettre fin à la controverse surles noms d’alcools, pour que cet accord capital de libre-échange avecl’UE soit enfin appliqué.

Comme tous les négociateurs du monde ont pu le constater, enmatière de commerce, il est très difficile de comprendre l’Union euro-péenne. Avec ses procédures institutionnelles complexes et ses multiplesautorités, il est très fréquent que ses partenaires commerciaux se voientcontraints de céder à l’UE, lorsque celle-ci parle d’une seule voix, mêmesi cette voix unique procède d’une répartition floue des compétences.Mais les États-Unis ne sont pas non plus un partenaire facile. Entre lalogique des checks and balances, qui équilibre la répartition du pouvoirentre les diverses branches du gouvernement, et la mainmise des groupesde pression sur le Congrès, les négociateurs américains ont souventutilisé les contraintes institutionnelles comme des atouts dans les négo-ciations commerciales. Qu’elle l’ait voulu ou pas, l’UE rivalise, dans cedomaine, avec les États-Unis. Elle est devenue un acteur puissant de lapolitique commerciale internationale parce que ses États membres ontmis en commun leur souveraineté et leur représentation extérieure enmatière de commerce, faisant de ce tout collectif une entité bien plusimposante que la somme de ses parties. Mais une fraction de cette puis-sance provient de l’intégration incomplète de la politique commercialeeuropéenne, qui permet une plus grande implication des États membres,et aussi des batailles politiques incessantes sur la compétence des acteursnationaux et supranationaux en matière commerciale.

Le fait que l’UE parle « d’une seule voix » sur ce sujet lui a permisd’avoir un impact considérable sur le résultat des négociations decommerce international et d’influer sur la politique économique mondiale.

1. Victor Mallet, « Attempts to Rescue EU-SA Pact », Financial Times,19 janvier 2000 ; Nicol Degli Innocenti, « Brussels Wins Pyrrhic Victory onSpirits Labeling », Financial Times, 17 février 2000.2. Charlotte Denny, « Trading Names : EU and South Africa’s War of Words »,The Guardian, 15 février 2000.

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Introduction

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En effet, l’UE a eu une influence particulièrement libérale sur les échangesinternationaux de services et elle a activement contribué au développe-ment des règles institutionnelles qui, dans le cadre de l’Organisationmondiale du commerce (OMC), sont destinées à empêcher l’unilatéralisme.Dans ce cas précis, ce pouvoir de négociation est la conséquence positivedu rapprochement des diverses positions nationales sur les questionscommerciales au sein d’une seule et même expression institutionnelle. Àl’inverse, la cacophonie a un prix, du moins en apparence : ce n’est quelorsqu’elle parle d’une seule voix que l’Union européenne peut peser detout son poids sur le levier des négociations internationales.

Le présent ouvrage se propose de répondre aux nombreuses ques-tions posées par le processus d’« échange de voix » au sein de l’Unioneuropéenne. Par quels mécanismes l’expression d’une seule voix àl’intérieur de l’UE devient-elle une force de négociation à l’extérieur ?Quelles conséquences y a-t-il à échanger plusieurs voix individuellescontre une seule et même voix dans les négociations internationales ?L’influence de l’UE correspond-elle simplement au poids combiné de sesÉtats membres ? Dépend-elle au contraire des préférences de chaqueÉtat ? Ou bien des règles par lesquelles ces préférences individuelles setrouvent agrégées en une voix unique ? Lorsque les États membresadoptent des positions différentes, comment cette diversité se traduit-elle en atouts que l’entité collective pourra ensuite utiliser dans la négo-ciation internationale ? Plus particulièrement, quelle combinaison derègles institutionnelles et de préférences individuelles fait que les Étatsmembres se retrouvent perdants ou gagnants par rapport à l’expressiond’une voix unique ? Enfin, où se trouve l’équilibre entre les bénéficesqui découlent de cette voix unique en termes d’influence internationale,et ce que coûte, en termes de politique intérieure, le fait d’avoir à passeroutre des préférences hétérogènes ?

Cet ouvrage porte sur les stratégies de négociation du commerceinternational. Il analyse les éléments qui déterminent la puissance denégociation de l’UE, à travers l’étude de quatre exemples de bataillescommerciales transatlantiques. Il s’appuie sur l’idée que la structureinstitutionnelle complexe de l’Union européenne et l’obligation denégocier des accords internationaux « d’une seule voix » ont certes unimpact important, voire décisif, sur les négociations commerciales inter-nationales, mais que cet impact n’est pas celui que l’on croit. La plupartdes commentateurs affirment tantôt que l’UE n’a que peu d’influence,tantôt que cette voix unique renforce sa position dans les bataillescommerciales ; ce livre montre au contraire que la nécessité de présenter

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un front commun peut renforcer ou affaiblir la puissance de négociationde l’UE, de façon très prévisible, en fonction des règles de vote utilisées,de la répartition des préférences, et du contexte propre de la négociation.Plus précisément, le vote unanime renforce la capacité des négociateurseuropéens à résister aux demandes de changement de politique, mais ilaffaiblit leur capacité à exiger à leur tour des changements de politique.Ce livre, qui vient s’ajouter aux nombreux ouvrages sur l’institutionna-lisme rationnel et l’institutionnalisme historique, entend préciser lesconditions qui permettent aux institutions de faire entendre leur voix etde peser sur les décisions en dehors des seules questions de préférence etde pouvoir. On peut même considérer que, loin d’avoir un impact négatifsur la puissance collective de négociation, la diversité des positions euro-péennes pourrait, en certaines circonstances, accroître l’influence del’UE, et représenter un atout certain.

Cet ouvrage envisage également l’UE en tant qu’acteur de la mondia-lisation. En dépit de sa réputation de géante économique et de nainepolitique, l’Union européenne est devenue un acteur actif, bien que peuorthodoxe, de la mondialisation, en s’appuyant sur une multiplicité depolitiques étrangères, bien plus ambitieuses que celles de toute autreorganisation économique régionale. Du commerce à l’aide internatio-nale, du développement durable au renforcement de la démocratie, l’UEs’est impliquée dans les affaires internationales et a renforcé sa présencedans le monde sans passer par une action militaire ou diplomatique.L’UE est le plus grand marché pour les importations provenant des paysen voie de développement, et elle exporte en direction de ces mêmespays un volume deux fois supérieur à celui des États-Unis, du Japon etdu Canada réunis3. L’Union européenne fournit également l’aide la plusimportante – soit 50 % de l’aide mondiale – et elle offre depuis long-temps des avantages commerciaux aux pays les moins développés.Pourtant, il lui manque une politique extérieure globale qui compren-drait le commerce, le développement, l’action diplomatique, la sécuritéet la défense. En analysant le domaine dans lequel l’UE est une puis-sance mondiale incontestée, le présent ouvrage éclaire les zonesd’ombre de son influence internationale et souligne son potentiel entant qu’acteur international ; potentiel qui reste à développer danscertaines aires d’activité internationale autres que le commerce.

3. Eurosat, dans « La politique de développement de la Communautéeuropéenne », communication de la Commission au Conseil et au Parlementeuropéens, 26 avril 2000.

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Introduction

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Ce livre s’intéresse également aux relations transatlantiques, qui, ence XXIe siècle, deviennent de plus en plus complexes et problématiques.Le commerce étant le seul forum au sein duquel l’UE parle d’égal à égalavec les États-Unis, une analyse de l’UE en tant que puissancecommerciale mondiale et en tant que négociateur commercial peutpermettre de comprendre la dynamique de ces relations commercialestransatlantiques parfois orageuses. L’UE est actuellement la plus grandepuissance commerciale au monde et l’une des principales entités dansla négociation des accords commerciaux relevant du Doha Develop-ment Round organisé par l’OMC. C’est là une occasion supplémentairede conflit transatlantique en matière commerciale, conflit alimenté parles innombrables sujets de discorde – actuellement examinés par l’OMC– tels que la question des organismes génétiquement modifiés. De plusen plus, cependant, les conflits commerciaux dans lesquels l’UE estimpliquée vont se déplacer en dehors du champ transatlantique, vers laChine par exemple.

Enfin, cette étude peut se lire comme une introduction à l’histoire dela politique commerciale de l’Union européenne. Le commerce est aucentre de la plus ancienne politique commune, et cette politique est aucœur de l’intégration européenne4. Au cours des vingt dernières années,la politique commerciale est sortie du cadre restreint des barrières doua-nières. Elle fait désormais le lien entre les échanges commerciaux et leschoix collectifs des sociétés en matière de santé, d’environnement, deculture et de protection sociale. Ce livre retrace l’évolution des règlesqui ont fait la politique commerciale de l’Europe, de la signature dutraité de Rome en 1957 au projet de constitution de 2003, de la poli-tique de la chaise vide choisie par De Gaulle en 1965 à la bataille juri-dique qui a marqué, en 1994, le débat sur la compétence de l’UE enmatière de commercialisation des services. En se concentrant sur lesretombées politiques d’une représentation extérieure commune, cetouvrage montre pour la première fois que la querelle qui fait actuelle-ment rage sur les questions commerciales est en partie conditionnée parcelle sur les institutions, comme l’ont d’ailleurs remarqué les adversairesde la mondialisation. Cette querelle institutionnelle est particulièrementdure au sein de l’UE en raison de sa structure complexe, à plusieurs

4. Dans un tableau résumant les questions traitées et les différents niveauxd’autorité en Europe, « les négociations commerciales » représentent la seulequestion sur vingt-huit pour laquelle toutes les décisions politiques sont prisesau niveau de la CE. Ce tableau a d’abord été élaboré par Lindberg et Scheingold[1970] avant d’être mis à jour et reproduit dans Donahue et Pollack [2001].

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niveaux, et de l’ambitieux projet constitutionnel dans lequel les Étatsmembres se sont engagés. Ce qui ressortira de cette bataille est égale-ment déterminant pour le reste du monde, puisque l’UE est son principalacteur commercial.

Échange de voix : une représentation internationale commune

Dès sa création en 1958, avec ses six États fondateurs, la Commu-nauté économique européenne (CEE) a constitué un seul et même acteuren termes de politique commerciale. La nécessité de créer une représen-tation extérieure commune pour la négociation des accords commer-ciaux internationaux était enchâssée dans la structure institutionnelleémergente de l’Europe. Pourquoi les gouvernements nationaux ont-ilsainsi transféré, presque sans hésiter, une partie de leur autorité enmatière de politique commerciale à cette nouvelle instancesupranationale ? La raison principale est à la fois pratique et juridique :le seul moyen pour la CEE d’exister légalement dans le cadre du GATT(General Agreement on Tariffs and Trade) était d’être une union doua-nière, et le seul moyen concret de gérer les relations extérieures d’unetelle union était d’adopter une voix unique dans les négociationscommerciales. Les pères fondateurs de la CEE pensaient également queles bénéfices qu’ils pourraient retirer de cette mise en commun des voixétaient largement supérieurs aux inconvénients. Comme aux États-Unis,où l’autorité négociatrice est souvent transférée temporairement àl’exécutif, ce transfert de compétence pouvait permettre à l’Europe de seprotéger des pressions nationales et d’assurer la libéralisation de sonéconomie5. L’idée que l’union fait la force – et qu’une voix unique

5. Petersmann [1991, p. 288-289] énumère les arguments traditionnellementdonnés en faveur de la délégation de la politique étrangère à l’exécutif. Si lapolitique commerciale est considérée comme faisant partie de la politiqueétrangère, alors certains de ces arguments pourraient justifier la délégation dela politique commerciale à l’échelon le plus centralisé du gouvernement.Un premier argument (donné, par exemple, par Locke) est que les décisions depolitique étrangère doivent réagir à des événements étrangers et qu’elles résul-tent souvent de négociations internationales au sein desquelles la positionnationale peut se trouver affaiblie par l’ouverture et par les dissensionsinternes ; négociations qui seront sans doute plus efficacement menées à biendans le secret, par des « professionnels » qui connaissent leur adversaire etsavent comment s’y prendre. Les Parlements nationaux ont très peud’influence sur ces négociations internationales, et les débats parlementaires

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Introduction

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renforcerait la puissance de négociation de l’Europe – était sans aucundoute une motivation supplémentaire.

Obligations légales et ef f icaci té dans le processus de négociat ion

La politique commerciale commune a été créée, avant tout, pourrépondre à une contrainte juridique exogène. Cette voix unique dans ledomaine des échanges commerciaux était en effet indispensable pourque la CEE puisse exister dans le cadre des règles du GATT. L’intégrationeuropéenne régionale constituait une exception au principe de multila-téralisme sur lequel s’appuyait le GATT, mais en vertu de l’article XXIV,la règle de la « nation la plus favorisée » pouvait être contournée par lacréation d’une zone de libre-échange ou d’une union douanière, dansl’espoir qu’une telle zone finirait par encourager une libéralisation géné-rale du commerce mondial.

L’objectif du traité de Rome de 1957 était la création d’une uniondouanière entre la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Allemagne de l’Ouest, au sein de laquelle il n’y aurait aucuneentrave au commerce, une barrière douanière commune étant appliquéeaux importations provenant de pays tiers. Les pères fondateurs de laCEE ont choisi de construire une union douanière pour des raisons à lafois politiques et économiques6. Du point de vue économique, conserverdes barrières douanières multiples et diverses vis-à-vis des pays tierstout en abolissant les taxes douanières entre des États membres géogra-

6. Voir, par exemple le rapport Spaak, dans « Rapport des chefs de délégationaux ministres des affaires étrangères », Bruxelles, 21 avril 1956, Mae 120 f/56.

« ne font généralement intervenir que des examens rétrospectifs sur les consé-quences de décisions irrévocables déjà entrées en application ». Ainsi, le droitsouverain du Parlement à modifier un tel accord ou à arrêter son applicationest, en fait, majoritairement théorique en raison des coûts que ce typed’actions peuvent entraîner.Un deuxième argument fréquemment invoqué pour soutenir l’hypothèse del’incompatibilité est que les questions de politique étrangère concernent lasécurité et l’intégrité de la nation et que ces « intérêts supérieurs » sont tropimportants pour être laissés au camp démocrate, qui a tendance à éviter lesdécisions difficiles (par exemple les dépenses militaires) et qui peut êtreamené à prendre des décisions de politique étrangère irrationnelles.Un troisième argument est que, pour le citoyen, les implications inhérentesaux questions de politique étrangère sont très souvent lointaines, indirectes etobscures, de sorte que la plupart des gens, mais aussi les parlementaires, onttendance à faire très peu attention aux questions de politique étrangère et àles laisser à des « experts ».

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phiquement proches n’avait guère de sens. Si les barrières douanièresétaient restées différentes pour chaque pays de la CEE, les importationsen provenance des pays tiers se seraient faites massivement en directionde l’État membre présentant les taxes les plus faibles, pour ensuitecirculer librement à l’intérieur de la zone de libre-échange, rendant defait obsolètes les tarifs douaniers particuliers à chaque nation. De plus,la théorie contemporaine de l’union douanière affirmait que le déman-tèlement des quotas et des taxes à l’importation, ainsi que l’établisse-ment de tarifs douaniers communs entraînerait une utilisation plusefficace des facteurs de production7. D’un point de vue politique, lacréation d’une union douanière, qui conduisait à un partage de souve-raineté dans la définition d’une politique commerciale commune,entraînait également une coopération et des relations plus étroites entredes pays autrefois ennemis.

Parce que l’union douanière est une communauté de nations quilibéralise le commerce à l’intérieur tout en érigeant des barrières doua-nières vis-à-vis de l’extérieur, il lui faut se doter d’une politiquecommune à l’égard des pays tiers. Il fallait notamment à la CEE unsystème d’harmonisation des règles nationales régissant l’entrée desproduits provenant des pays tiers dans chacun des États membres de laCEE, afin d’éviter un détournement des échanges commerciaux, unemauvaise répartition des facteurs de production et une distorsion de laconcurrence découlant de la libre circulation des biens à l’intérieur desfrontières du Marché commun. La création d’une union douanière adonc entraîné la mise en place d’un tarif extérieur commun (TEC), c’est-à-dire d’un taux appliqué uniformément aux importations de biens etde services depuis des pays situés en dehors de la CEE, quel que soit lepays membre de destination. À l’origine, le TEC représentait la moyennearithmétique des différents tarifs nationaux appliqués en 1957 par lesÉtats membres. Il a ensuite été revu à la baisse au cours de diversesnégociations multilatérales successives qui ont eu lieu dans le cadre duGATT. La Commission européenne, fraîchement créée, s’est vue trans-mettre le pouvoir de négocier pour la collectivité afin de permettre aumarché intérieur de fonctionner comme une entité unique.

En matière de négociation, le transfert de compétence à l’entitécollective devait accroître l’efficacité du processus. En effet, la mise aupoint d’une politique commerciale a toujours été longue et complexe.Aux États-Unis, le vote du Smoot-Hawley Tariff Act de 1930 a été décrit

7. Voir par exemple, Viner [1950].

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comme une « épreuve sisyphéenne » par Schnattschneider, qui a comptépas moins de onze mille pages de témoignages et de rapports, rassem-blées en quarante-trois jours8. Le fait de concentrer le pouvoir de négo-ciation entre les mains d’un petit nombre d’agents de l’exécutif pouvaitmaximiser les gains obtenus lors des négociations internationales etaccélérer la concrétisation de ces gains, puisque le processus de négo-ciation s’en trouvait lui-même accéléré9. L’idée d’une plus grande effi-cacité est effectivement un argument traditionnellement utilisé dansl’analyse de la relation mandant/mandataire pour justifier le transfert decompétence d’un mandant à un mandataire.

Comme aux États-Unis, l’efficacité était, et est encore, l’un des prin-cipaux arguments utilisés en Europe pour justifier le transfert descompétences en matière de négociations commerciales à l’instancesupranationale. Par rapport aux négociateurs nationaux, les négocia-teurs de la Commission sont mieux à même d’obtenir des résultats satis-faisants car ils évitent les longs débats intérieurs sur les détails de lanégociation en cours. De plus, si les négociateurs de l’UE ont unecompétence suffisante mais restreinte, ils ont assez de crédibilité pourconclure des accords qui seront approuvés par les gouvernements natio-naux. L’argument de l’efficacité a été brièvement résumé par l’anciencommissaire européen au Commerce Sir Leon Brittan, qui avait affirméqu’un élargissement des pouvoirs de la Commission et la suppression dela règle de l’unanimité « accéléreraient les négociations, simplifieraientla prise de décision et renforceraient l’influence de l’Europe en termesde politique commerciale face au Japon et aux États-Unis10 ».

« Isolat ion » et l ibéral isat ion du commerce

Les politiciens européens ont également fait le choix de centraliserles décisions politiques en matière commerciale afin de protéger le

8. Schnattschneider [1935], cité par Bailey, Goldstein et Weingast [1997,p. 312].9. Certains chercheurs spécialistes de la politique commerciale des États-Unisont émis des doutes quant à la validité de ce raisonnement sur « l’efficacité ».S’il est vrai que la concentration de l’autorité de négociation entre les mains del’exécutif réduit les sources d’inefficacité, de récents travaux affirment qu’ilexiste d’autres moyens de rationaliser le processus. Les législateurs auraient puchoisir d’utiliser différemment les organisations existantes afin de créer denouvelles commissions et de nouveaux comités, et d’établir de nouvelles règles.Voir Bailey, Goldstein et Weingast [1997].10. Lionel Barber, « Brussels Strives to Call the Tune on Trade », FinancialTimes, 12 mars 1997, p. 6.

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processus contre les pressions protectionnistes et, ainsi, de promouvoirla libéralisation des échanges commerciaux. Familiers du systèmeaméricain et très favorablement impressionnés par l’InterstateCommerce Clause, les pères fondateurs de l’Europe, en particulier JeanMonnet et Paul-Henri Spaak, envisageaient de reproduire ce système àl’intérieur de la Communauté européenne11.

Les canons de l’économie politique ont longtemps affirmé que la poli-tique commerciale était caractérisée, presque universellement, par desproblèmes liés à l’action collective et par une tendance au protection-nisme. Les avantages de la protection sont concentrés, tandis que sesinconvénients sont dispersés12. Il est ainsi plus facile pour des industriesconcurrencées par les importations que pour les consommateurs d’agircollectivement parce qu’elles constituent, relativement parlant, ungroupe bien plus petit13. Comme beaucoup de chercheurs en économiepolitique ont pu l’observer au fil des années, le système politique tenddonc structurellement au protectionnisme14.

La délégation de l’autorité en matière de politique commerciale auniveau du gouvernement le plus unitaire facilite l’isolation du processusqui se trouve ainsi protégé contre les pressions intérieures, ce qui, parvoie de conséquence, favorise la libéralisation du commerce. Il en estainsi parce les différents acteurs de la décision ont tous un bassind’électeurs, et que les politiciens locaux sont plus susceptibles derépondre à des intérêts particuliers que le président, dont l’électorat estnational. L’expérience américaine met en lumière les dilemmes auxquelsdoivent faire face les acteurs politiques qui tentent de mettre en placeune politique collective malgré la pression des groupes d’intérêts. Lesétudes portant sur la politique commerciale américaine considèrentcouramment que le Congrès a délégué l’autorité commerciale au prési-dent afin de protéger ses membres des pressions intérieures protection-nistes et de promouvoir une politique économique internationale pluslibérale15. Parce que chaque représentant peut devenir l’otage d’une

11. Entretien personnel avec Paul Boel, New Haven, mai 2004.12. Schattschneider a été le premier à le remarquer [1935, p. 127-128].13. Sur les problèmes de l’action collective, voir l’important travail d’Olson [1982].14. Voir, par exemple, Olson [1982], Magee, Brock et Young [1989], Goldstein[1993], O’Halloran [1994], Destler [1996], Gilligan [1997], Hiscox [2002].15. Voir, par exemple, Bauer, Pool et Dexter [1963], Destler [1996]. Il existedes divergences d’opinion dans la littérature récente sur les motivations prin-cipales qui justifient une délégation de la politique commerciale, ainsi que surla nature même de cette délégation. Voir O’Halloran [1994] et Bailey, Golds-tein et Weingast [1997] pour des opinions contrastées.

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poignée d’intérêts particuliers, le processus d’élaboration politique duCongrès mène soit à une impasse politique, soit à un pacte officieux et àdes niveaux de protectionnisme si élevés qu’ils se révèlent inefficaces, àl’instar du Smoot-Hawley Tariff Act de 193016. Doté d’un électoratnational et non local, le président doit théoriquement prendre des déci-sions plus libérales en matière de politique commerciale que les membresdu Congrès. Le transfert de compétence favorise donc la libéralisation17.En matière de commerce international, le transfert de l’autorité àl’exécutif a permis aux représentants du Congrès de rester attachés àl’idée d’un monde économique ouvert. Les législateurs qui ont initiél’évolution institutionnelle des États-Unis en 1934, puis, plus tard, ceuxqui ont signé le Trade Expansion Act de 1962, espéraient inscrire le libé-ralisme dans le processus institutionnel. Les législateurs démocrates ontmis au point des institutions qui abaisseraient les barrières douanièrestout en étant susceptibles de survivre une fois que le Congrès ne seraitplus contrôlé par leur parti18. Alors qu’il créait un commerce libre, letransfert à l’exécutif de l’autorité en matière commerciale a permis auxlégislateurs américains de ne pas se voir reprocher les conséquences inté-rieures de ces décisions politiques libérales. Ils ont transféré le pouvoirdécisionnel tout en se préservant le droit de critiquer les pays étrangerset l’administration sous la pression de leur électorat. O’Halloran a résumécet argument ainsi : « Ce processus décisionnel permet aux États-Unisd’avoir une politique commerciale libérale sans que les membres duCongrès puissent être tenus directement responsables auprès des élec-teurs mis à mal par la concurrence induite par les importations. Leslégislateurs peuvent donc passer pour les défenseurs des victimes decette politique sans avoir à céder à leurs menaces19. »

Intervenant après la seconde guerre mondiale, avec le souvenir encore vifdes conséquences internationales du protectionnisme américain, la décisiondes États membres fondateurs de la Communauté européenne de transférer

16. Voir O’Halloran [1994, p. 7].17. Voir Destler [1996], O’Halloran [1994].18. L’argument central de Bailey, Goldstein et Weingast [1997, p. 316] estque si le RTAA (Reciprocal Trade Agreement Act) a été voté en 1934, ce n’estpas tant parce que le Congrès a abdiqué son contrôle ou cherché à faire baisserla pression politique, que parce que « les leaders démocrates voulaient destarifs douaniers plus bas susceptibles d’être avalisés par un Congrès sceptiqueet de survivre à la mainmise démocrate sur le Congrès. Les institutions qu’ilsont mises en place ont atteint ce but ».19. O’Halloran [1994, p. 17-18]. Ces arguments ont été d’abord formulés parBauer, Pool et Dexter [1963], et Mayhew [1974].

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Histoire et droit des ÉtatsLa souveraineté dans le temps et l’espace européensJean PicqCollection Les Manuels de Sciences Po2005 / ISBN 2-7246-0953-0

Pouvoir civil et commandement militaireDu roi connétable aux leaders du 20e sièclePierre BarralCollection Académique2005 / ISBN 2-7246-0946-8

MussoliniDidier MusiedlakCollection Facettes2005 / ISBN 2-7246-0806-2

Domaine Sociétés en mouvement

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Quelles sont les transformations sociales et culturelles des sociétés contempo-raines. Qu’est-ce qui change dans la famille, à l’école, au travail, dans les rela-tions entre les sexes et entre les générations ? Comment évoluent les inégalitéset les classes sociales, le rapport au religieux, les modes de sociabilité, les formesde conflits et d’action collective ?

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La police des foulesMaintien de l’ordre et gestion des conflits collectifsDonatella Della Porta et Olivier Fillieule (dir.)Collection AcadémiqueISBN 2-7246-0969-7 (janv. 2006)

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Gouvernances

« L’Europe c’est l’union, et l’union fait la force » est l’une des formules fréquemmentutilisées par les promoteurs de plus d’intégration européenne. Ce livre vérifie sicet argument résiste en politique commerciale, domaine dans lequel l’intégra-tion politique est la plus ancienne et la plus poussée en Europe, et le seul danslequel l’Union européenne est partenaire et adversaire à égalité avec les États-Unis. Sophie Meunier analyse les conséquences des structures, règles et contraintesinstitutionnelles internes à l’Union européenne, et notamment celles liées à lavoix unique, sur les résultats des négociations commerciales internationalesdepuis quarante ans.De fait, la façon dont les États européens parviennent à un accord sur une lignecommune défendue à l’unisson influe sur le résultat final des négociations interna-tionales. Par ailleurs, l'efficacité de la politique commerciale est souvent diminuéepar la perception que celle-ci s'opère au détriment de la légitimité démocratique. Le sujet reste plus que jamais d'actualité compte tenu des difficiles tractationseuropéennes et internationales dans le cadre du cycle de Doha sous l'égide del'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Sophie Meunier est chercheur en relations internationales à l’université de Princeton(États-Unis). Elle est auteur de nombreux articles sur la France, l'Europe et la mondia-lisation, ainsi que coauteur du livre Le Nouveau Défi français : la France face à la mondia-lisation, lauréat 2002 du Prix France-Amériques. Diplômée de Sciences Po Paris et docteuren science politique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle est membre ducomité directeur de l’European Union Studies Association.

Sophie MeunierL'UNION FAIT LA FORCEL’Europe dans les négociations commerciales internationales

Gouvernances

L’Unionfait la force

Sophie Meunier

L’Europe dans les négociat ionscommercia les internat ionales

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