L'art méclica africain à 'hôpita · préparais les mélanges de plantes et l'accompagnais en ......

6
1 RUE EUGENE ET ARMAND PEUGEOT 92500 RUEIL MALMAISON - 01 76 73 30 00 01 JUIN 11 biMensuel Surface approx. (cm²) : 2818 N° de page : 16-21 Page 1/6 SOUFFLE3 3195748200502/GCP/ALA/3 Eléments de recherche : EDITIONS YVES MICHEL : toutes citations SENEGAL L'art méclica africain à 'hôpita Dans la banlieue de Dakar, un hôpital a ouvert la voie à la reconnaissance de la médecine traditionnelle au Sénégal. D'abord centre anti-lèpre, la structure a évolué en centre de soins généralistes où la thérapeutique occidentale n'est pas exercée. Mais un encadrement légal serait nécessaire à la pratique des tradi-thérapeutes et tradi-infirmiers qui y officient. TEXTE : CÉCILE RAIMBEAU - PHOTOS : DANIEL HERARD

Transcript of L'art méclica africain à 'hôpita · préparais les mélanges de plantes et l'accompagnais en ......

1 RUE EUGENE ET ARMAND PEUGEOT92500 RUEIL MALMAISON - 01 76 73 30 00

01 JUIN 11biMensuel

Surface approx. (cm²) : 2818N° de page : 16-21

Page 1/6

SOUFFLE33195748200502/GCP/ALA/3

Eléments de recherche : EDITIONS YVES MICHEL : toutes citations

SENEGAL

L'art méclicaafricain à 'hôpitaDans la banlieue de Dakar, un hôpital a ouvert la voie à la reconnaissance de la médecinetraditionnelle au Sénégal. D'abord centre anti-lèpre, la structure a évolué en centre desoins généralistes où la thérapeutique occidentale n'est pas exercée. Mais un encadrementlégal serait nécessaire à la pratique des tradi-thérapeutes et tradi-infirmiers qui y officient.

TEXTE : CÉCILE RAIMBEAU - PHOTOS : DANIEL HERARD

1 RUE EUGENE ET ARMAND PEUGEOT92500 RUEIL MALMAISON - 01 76 73 30 00

01 JUIN 11biMensuel

Surface approx. (cm²) : 2818N° de page : 16-21

Page 2/6

SOUFFLE33195748200502/GCP/ALA/3

Eléments de recherche : EDITIONS YVES MICHEL : toutes citations

L'herboristeriedu laboratoiredispose denombreuxngredientsqui serventde base auxpréparations

Le responsablede l'accueil despatients est unancien malade

guéri dont lafamille a été

traitée dans lecentre anti-lèpre

de l'hôpital IInote les noms

des arrivants etdes thérapeutes

vers lesquelsil les adresse

la question « combien déplantes connais-sez-vous ? », Magueye Ngom répond :A « J'en connais tellement ! » Vêtu d'unboubou, ce Sénégalais au visage sévèremanipule des fioles et des herbes séchées

dans son cabinet. D'étranges guirlandes suspenduesentourent sa robuste silhouette qui remplit presque lapetite pièce où il consulte. Composées de bourses entissus contenant des plantes, des coquillages, elles nesont pas de simples décorations. « Cela sert a protégerl'hôpital des mauvais esprits ! », élucide-t-il. MaisMagueye Ngom n'est pas un sorcier. C'est un guérisseurrenommé qui a fait ses preuves. II est le grand maîtredes thérapeutes de l'hôpital traditionnel de Keur Massar,une structure sans pareil, située dans la banlieue deDakar. Pour saisir l'esprit particulier du lieu, mieuxvaut se référer aux écrits de la professeure Yvette Parés,sa défunte fondatrice : « En Occident, les préjugés per-durent, on continue de penser que le savoir des tradi-thérapeutes n'est que superstition, gris-gris, incantationsmêlées à des connaissances empiriques dénuées de ratio-nalité... Leurs médecines traditionnelles (...) ont pour-

tant su découvrir les vertus des plantes, les meilleuresassociations, l'importance des proportions relatives etdes modes de préparation les plus efficaces » Médecinet chercheuse en biologie à l'université Cheikh AntaDiop de Dakar, cette Française s'est battue toute sa viepour la reconnaissance de la médecine traditionnellesénégalaise. Décedée l'été dernier, elle a laissé derrièreelle ce centre de soins dispensant uniquement cettemédecine, inauguré il y a trente ans.

Un projet pionnier« Tout a commencé quand, dans son laboratoire univer-sitaire, elle a réussi la mise en culture du bacille de lalèpre au bout de dix ans de recherches ! », rapporteDjibnl Ba, l'actuel gérant de l'hôpital. Elle s'était mis entête de tester le pouvoir de diverses plantes locales dansle traitement de cette maladie », explique-t-il. En 1980,Yvette Parés se rapproche d'un guérisseur réputé,Dadi Diallo, d'ethnie peule. C'est un partage mutuelde compétences entre leurs deux fortes personnalitésqui donne naissance à l'hôpital traditionnel de KeurMassar. Au début, on y soigne la lèpre à l'aide de for-

1 RUE EUGENE ET ARMAND PEUGEOT92500 RUEIL MALMAISON - 01 76 73 30 00

01 JUIN 11biMensuel

Surface approx. (cm²) : 2818N° de page : 16-21

Page 3/6

SOUFFLE33195748200502/GCP/ALA/3

Eléments de recherche : EDITIONS YVES MICHEL : toutes citations

Le guérisseur Manky Sagna exerce depuis 1986 a l'hôpital traditionnel. Son père et son grand-père,en Casamance, lui ont transmis leurs connaissances sur la médecine africaineII reçoit un patient atteint de problèmes rénaux Les écorces qu'il prescrit sont a infuserpendant 24 heures, puis à boire a petites doses pendant quinze jours

mules complexes de plantes. Les résultats sont convain-cants. C'est même un succès. Grâce au soutien d'ONGinternationales, la structure va traiter jusqu'à 200lépreux, proposer un traitement préventif à leursenfants, leur ouvrir une école primaire sur le site, puisd'autres centres dans les provinces. Sur le terrain publicalloué au projet dans la commune de Keur Massar, unjardin botanique va grandir à la mesure des besoins dela pharmacie. Aujourd'hui, 250 espèces y poussentencore sur 10 hectares. L'hôpital n'héberge plus delépreux. Guéris, ils ont regagné leurs villages.Heureusement, leur maladie tend à disparaître. Lastructure n'a plus d'internat, mais dispose juste de quel-ques lits pour de courtes périodes d'observation. On yvient essentiellement pour des soins généralistes.L'accueil de l'hôpital est installé dans une case rondeau toit de palmes, au cœur d'un jardin paisible. Avecses bâtiments simples décorés de fresques africaines,le lieu est différent des hôpitaux habituels. C'est unancien lépreux qui oriente les patients vers l'un des

cabinets. « Les guérisseurs ont plusieurs spécialités,expose le réceptionniste, parmi lesquelles : les affectionsrespiratoires et digestives, les dermatoses, la dépression,le diabète, les hépatites, les MST, le paludisme, les ulcè-res... » Seul le jeune pharmacien Pape Ba sera bientôttitulaire d'un diplôme en médecine occidentale : il suitdes études d'infirmier. « Je crois en la complémentaritédes deux médecines », commente-t-il. Mais les septtradi-thérapeutes qui exercent dans la structure n'ontpas de certificats officiels. Ils ont été formés par leurmaître respectif. Magueye Ngom, qui les supervise,membre d'une famille de guérisseurs de génération engénération, a lui-même parfait ses connaissances à l'hô-pital, en tant qu'infirmier, puis comme praticien, avantde prendre en charge la direction médicale. « Chaqueguérisseur travaille avec un infirmier, appelé à prendresa suite, pendant des années, dix, quinze, vingt ans ! »,explicite-t-il. Ce sont ces longs enseignements orauxde maîtres à disciples qui font office de formations eninfirmerie, médecine, botanique et pharmacie. Fils

1 RUE EUGENE ET ARMAND PEUGEOT92500 RUEIL MALMAISON - 01 76 73 30 00

01 JUIN 11biMensuel

Surface approx. (cm²) : 2818N° de page : 16-21

Page 4/6

SOUFFLE33195748200502/GCP/ALA/3

Eléments de recherche : EDITIONS YVES MICHEL : toutes citations

De passage à Keur Massar, le patient Saliou Semé vient acheterdes médicaments En 1986 atteint par la la lèpre, il a été soigne iciet s est vu scolarise a l'école de I hôpital II considère le personnelmédical comme sa famille

Diéba Diop tend ses médicaments a une patienteCette responsable de la pharmacie a grandi dans lejardin botanique de la faculté de biologie de Dakar

ou son père était conservateur

d'une famille de bergers peuls, Ahou Sow a été l'mfir-mier du fondateur de l'hôpital « 11 m'a tout appriscomment accueillir les patients, comment observer etlire dans leur comportement, comment identifier leursmaladies. . Pendant les cinq premières années, Dadi medictait ses prescriptions après chaque consultation Jepréparais les mélanges de plantes et l'accompagnais enbrousse le dimanche pour récolter des feuilles et des raci-nes, se souvient-il. Ce n'est qu'au bout de cinq ans qu'ilm'a laissé cueillir seul, puis, peu à peu, il m'a aussi laissérecevoir certains patients en consultation I », reconnaît-il Sur le seuil de son cabinet, il remercie une femmeet sa fille qu'il vient d'ausculter et leur indique le che-min de la pharmacie, a quelques pas de là, dans le jar-din Elles doivent y acheter une combinaison de plantesà prendre en infusion Ahou Sow raconte sa consultation • « D'abord, je parle avec le patient fe lui pose desquestions sur les symptômes Je le touche. Je regarde sesyeux, sa gorge Je m'intéresse aussi à son comportementJe l'interroge sur son mode dévie. Quelqu'un de soucieuxsouffre souvent de troubles digestifs ! le prescris, en fonc-tion de mon diagnostic, des infusions et parfois des gris-gris, car il faut aussi extirper les mauvais esprits Ensaison des pluies, j'ajoute toujours des plantes anti-palu'.II y a toujours de la prévention dans mes formulations I »

Plus de corps-objet« L'art médical africain tient compte des réalités dumonde visible et invisible », développait Yvette Parés.En effet, dans la conception de la médecine traditionnelle, la maladie apparaît comme un déséquilibre entreles différentes composantes de l'homme, c'est-à-direentre l'être humain lui même, mais aussi sa commu-nauté, ses relations avec ses ancêtres et ses descen-

dances futures Les tradi-thérapeutes considèrent leurpatient comme un organisme fait de rapports sociauxet spirituels. « Ce concept est a l'opposé de ce qui sepasse dans notre médecine matérialiste et technique,qui réduit le malade à un corps-objet sur lequel toutesles manœuvres sont possibles ! », considérait la fon-datrice de l'hôpital« Malheureusement, les deux médecines se chevauchenttout en continuant de s'ignorer mutuellement », selamente Emmanuel Bassène, l'un des rares défenseursde la médecine traditionnelle à l'université, chef dulaboratoire de pharmacognosie et botanique a la facultéde médecine de Dakar. Il se bat pour prouver, par sesrecherches, l'efficacité de la pharmacopée locale, dénon-çant l'autisme des pouvoirs publics et leur inclinationà l'héritage colonial en matière d'organisation des ser-vices de santé.

Dans le cabinet de consultation de Magueye Ngom desplantes et des guirlandes végétales suspendues protègentdes mauvais esprits ce sont des gris-gris La chasse auxmauvais esprits est indissociable de la phytothérapie

1 RUE EUGENE ET ARMAND PEUGEOT92500 RUEIL MALMAISON - 01 76 73 30 00

01 JUIN 11biMensuel

Surface approx. (cm²) : 2818N° de page : 16-21

Page 5/6

SOUFFLE33195748200502/GCP/ALA/3

Eléments de recherche : EDITIONS YVES MICHEL : toutes citations

* REPORTAGEKEUR MASSAR/SENEGAL

250 espècespoussentdans le jardinbotaniquede l'hôpitalLes cuillettesont aussi lieuen brousse.MagueyeNgom, letradithérapeuteen chef, récolteles feuilles d'uneplante qui faittomber la fièvre.

« II est urgent d'évaluer les performances du système desanté traditionnel, ce qui permettra de mesurer le man-que à gagner que constitue l'absence de prise en comptede cette médecine !Ne devrait-on pas considérer les thé-rapeutes traditionnels comme des agents de santé à partentière et, au besoin, les former ? »Au Sénégal, 80 % de la population fait régulièrementappel à un guérisseur traditionnel pour se soigner. Lestradi-thérapeutes sont particulièrement prisés en milieurural, où les coutumes restent vivaces et le déficit dusystème sanitaire public plus criant : selon l'OMS, cepays d'Afrique de l'Ouest, où l'espérance de vie est de55 ans, ne compte que six médecins, un pharmacien,un dentiste et trente-deux infirmiers pour 100 000habitants. En outre, l'État est incapable de supporterentièrement les charges de fonctionnement des éta-blissements publics de santé, où une participation

financière est demandée aux patients. Seule la gratuitédes soins aux personnes âgées a été instituée, grâce àune subvention. Quant aux médicaments prescrits, ilsreprésentent une dépense souvent inabordable malgréles efforts du gouvernement pour généraliser l'accèsaux formules génériques.

Des moyens inépuisablesLa médecine traditionnelle bénéficie, elle, de ressour-ces humaines réparties jusqu'au fin fond des campa-gnes. Ses moyens en médicaments sont quasiinépuisables : ils sont disponibles dans la nature. Deplus, si toute consultation traditionnelle se paie, lessommes dépensées par le patient restent modiques etles guérisseurs sont arrangeants : on peut les remer-cier en nature avec du vin de palme, des œufs, un pou-let... À l'hôpital de Keur Massar, où 6 200 patients sont

Un mélange de12 plantes est

passe au pilonChaque

médicament estune combinai-

son savante(a gauche)

Le responsabledu moulin, GaraNgaye, prépare

le broyage defeuilles sechees

(au centre)

Une pommademulti-usage est

préparée aubain-marié(a droite).

1 RUE EUGENE ET ARMAND PEUGEOT92500 RUEIL MALMAISON - 01 76 73 30 00

01 JUIN 11biMensuel

Surface approx. (cm²) : 2818N° de page : 16-21

Page 6/6

SOUFFLE33195748200502/GCP/ALA/3

Eléments de recherche : EDITIONS YVES MICHEL : toutes citations

AUTRESEXPÉRIENCES> Le Centreexpérimentaldes médecinestraditionnellesde Fatick, créeen 1989, abritedes unîtes desoins tenuespar desguérisseurs etun hôpital plus« moderne »,gere parun médecindiplôme d'Etat> L'ONGsénégalaiseEnda-TiersMondesoutient depuisvingt ans desrecherchessur les plantesmédicinalesElle dispensedes formationset défendcertains sitesdans le butde protégerles espècesvégétalesmenacées

L'étudiantinfirmier PapeBa prépare unmélange deplantes pour unpatient II est leseul employé deI hôpital a suivreun cursusen medec neoccidentaleDans lelaboratoire45 produits sontfabriques et misen vente parmlesquels savonslotionspommadespoudres etinfusions

enregistres chaque année, 300 consultations par moissont assurées, pour lesquelles les patients dépensentmoins que chez un médecin, soit 2 000 a 3 000 FCFA(3 a 4,5 euros), médicaments compris EmmanuelBassene ose affirmer l'inavouable dans les milieuxmédicaux « La médecine traditionnelle couvre carréetement les besoins sanitaires des populations ' »

Flous législatifsDu chemin a tout de même été parcouru dans la recon-naissance de cette médecine si différente de la notreL'Union africaine a d'ailleurs décrète la période 20002010 comme la Décennie africaine de la médecine traditionnelle et des plantes médicinales II s'agissait desoutenir la recherche sur les plantes, la collaborationentre la médecine moderne et la médecine traditionnelle la législation et la réglementation Mais quel bilandresser de cet encouragement ? I es spécialistes de lamédecine africaine qui participaient au Forum socialmondial de Dakar en février, ont certes approuve « lesefforts réalises dans certains pays » Ils ont salue l'exem-ple du Mali ou il existe depuis 1994 un cadre juridique et réglementaire de la médecine traditionnelle Ilsont aussi souligne tout ce qu'il reste a mettre en œuvreAu Sénégal notamment Un cadre juridique est toujours en gestation dans ce paysEn 2003 le ministère de la Santé avait recense environI 000 tradi praticiens, sur la base de critères définispar I OMS Mais l'État ne reconnaît toujours pas lesactivités de ces soignants et ne délivre pas d'autonsation pour l'exercice de leur médecine « Le projet de loiencadrant la médecine traditionnelle est dans les cartons du ministère depuis plusieurs années ' », regrettele directeur de l'hôpital de Keur Massar « C'est uneporte ouverte aux marabouts véreux ' », déplore t ilencore Les annonces de guensons miraculeuses pulfuient dans la presse locale, discréditant cette medeciné « Pourtant, nos résultats sont probants », assureDjibril Ba, se référant a une étude menée auprès des

La pharmacie comme les autres batiments de I hôpitalest décorée de fresques illustrant la vie rurale africaineCe sont les œuvres d un artiste lépreux soigne sur place

Chaque tradi-thérapeute dispose dans son cabinetde ses propres plantes récoltées en brousse

Dans le laboratoire de pharmacognosie et botanique dela faculté de médecine de Dakar le professeur Emmanuel

Bassene montre deux des cinq médicamentsa base de plantes qui y sont fabriques

usagers de son hôpital 66 % des patients apprécientla qualité et le résultat des soins, 34 % estiment lesrésultats moyensDans les allées ombragées du jardin, un ancien lépreuxen balade s'arrête bavarder ici et la en serrant ce quilui reste de la main « C'est plus qu'un hôpital pour moi,assure-t il C'est une deuxième famille ' » X-

L9S crtat ons d Yvette Pa es sont extraites de son I vre ta medec nafncs ne une effcac te étonnante paru aux ed t ons Yves M chelen avr 2006 Sur Internet wwwhopitalkeurmassarcom