L'art de guérir en Mésopotamie * · PDF fileL'art de guérir en...
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L'art de gurir en Msopotamie ancienne *
par le docteur Grard D U C A B L E **
Stupfait des rites tranges, qui entouraient, il y a 25 sicles, Babylone
le traitement des malades, Hrodote concluait htivement que les peuples de
Msopotamie n'avaient pas de mdecine. Ce jugement svre n'est plus
aujourd'hui partag. Les fouilles ont mis jour, en effet, des tablettes
d'argiles, donnant la conposition d'onguents, de dcoctions et de suspensions
buvables et qui apportent la preuve indiscutable de l'existence d'un art de
gurir. Certaines remontent la priode de Naran-Sin ( 2250) et constituent
les premiers documents mdicaux connus de l'humanit, bien antrieurs
notamment aux papyrus gyptiens qu'ils prcdent, dans le temps, de plus
d'un millnaire.
Des mdecins-prtres
Le corps mdical tait issu de la classe des prtres et faisait partie des
fonctionnaires des palais et des temples : exorcistes, voyants, astrologues et
observateurs d'oiseaux, qui prtaient serment le 16e jour du mois de Nissan,
c'est--dire l'quinoxe de printemps. U n compendium mdical, retrouv
Ninive, prcise de faon trs complte l'organisation de la profession.
A u sommet de la hirarchie est le mdecin-Azu (celui qui connait l'eau),
parfois n o m m aussi Iazu (celui qui connait l'huile). Leur mthode de
diagnostic se rattache, en effet, la Lcanomancie ou art de tirer un
pronostic de l'observation d'une goutte d'huile se dplaant sur la surface de
l'eau. Peu nombreux, ils bnficiaient d'une haute position sociale et se
succdaient, semble-t-il, de pre en fils dans leurs fonctions, c o m m e Makur-
Marduk Sin-Ashari. La considration attache cette classe de mdecins
se rsume dans le terme Azu gallutu ou art suprme de la mdecine. Prtres
de la desse Gula ( la dame qui fait revivre les morts ) et de son poux
Ninurta, les mdecins chappaient d'ailleurs la plupart des dispositions
* Communication prsente la sance du 20 fvrier 1982 de la Socit franaise d'histoire de la mdecine.
** Le Mesnil - Isneauville, 76230 Bois-Guillaume.
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du Code d'Hammourabi, par lequel le roi, en 1726, avait voulu rglementer
toutes les activits du pays.
Il n'en tait pas de m m e pour les catgories considres c o m m e
infrieures. Les articles 215 217 du Code d'Hammourabi traitent ainsi de
la pratique de la chirurgie, allant jusqu' prciser le montant des honoraires :
Si un mdecin-oprateur a trait un h o m m e d'une plaie grave avec le
poinon d'argent et guri l'homme, s'il a ouvert la taie d'un h o m m e avec
le poinon de bronze et guri l'homme, il recevra 10 sicles d'argent, deux
sicles seulement s'il s'agit d'un esclave . Dans les articles suivants sont
m m e dresss des barmes d'invalidit. E n outre, la premire injonction,
le chirurgien tait tenu de rvler au roi tout ce qu'il pouvait savoir et
apprendre de ses patients.
La transmission du savoir se faisait de manire initiatique, selon la
formule Que celui qui sait instruise celui qui sait et que celui qui ne sait
pas ne lise pas . Des aides-mmoires, des nomenclatures servaient cet
apprentissage et, au XVIII e sicle avant notre re, il semble bien que Nippur
possdait une vritable cole de mdecine.
Le caduce, emblme du dieu-mdecin, Nin-Gish-Zidda est dj
retrouv Suher ; la baguette du mage traant le cercle des Forces
obscures, qu'il s'agit d'utiliser et non de contrarier. Car la mission du
mdecin est d'abord de conjurer le m o n d e nfaste et son art consiste, en
premier lieu, le bien connatre. Avec une grande minutie et un acharnement
sans fin, les Babyloniens s'attachrent notamment dchiffrer les signes
que le dieu Marduk crivait pour chacun sur les tablettes du destin.
Ils imaginaient, en effet, un riche rseau de correspondances entre le Ciel
et la Terre. Les grandes divinits taient l'origine des cycles regroupant les
astres, les animaux, les faits naturels : ce qui explique la relation que les
mages cherchaient tablir entre le mouvement des astres et les activits
humaines. La maladie, tape malheureuse dans le droulement de la vie
individuelle, ne pouvait donc pas chapper cette spculation astrologique
et reprsentait un dsordre dans l'harmonie cosmique, qu'il fallait avec soin
rechercher (pch, maldiction...).
Lorsqu'un Babylonien tombait malade
Lorsqu'un Babylonien tombait malade, le mdecin devait avant tout
examiner l'ambiance surnaturelle dans laquelle se droulait la maladie,
pour savoir s'il s'agissait d'une vengeance des dieux, de l'action des dmons
qui, tels Ekimu ou Dibarra, propageaient les pidmies, ou alors les malfices
d'une sorcire qu'il fallait lier avec des cordes, enfermer dans une cage,
emprisonner dans un filet... .
Lors de la consultation, l'exorciste tait souvent l'associ du mdecin, et
vraisemblablement s'y substituait, lorsqu'il n'tait pas question de dranger
un personnage aussi important. Le consultant n'allait chez son malade que
si le jour tait jug faste. Il arrivait muni d'une trousse de cuir, contenant
ses instruments de bronze ou d'argent et tait assist d'un scribe. U n cochon
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noir traversant le chemin, un vol d'oiseaux croisant dans le ciel par la gauche
taient de fcheux pronostics.
A la recherche de cette ambiance de la maladie , l'Azu interrogeait le
lit ou la chaise, essayant de trouver quelque analogie avec les faits anciens
codifis par les scribes. Le malade devait lui-mme rechercher dans son
comportement ce qui avait pu dplaire aux dieux, se rptant des interro-
gations sans rponses, Le pch que j'ai commis, je ne le connais pas .
Parfois la faute tait vidente, il avait eu commerce avec la f e m m e de son
voisin , ou avait trait son manque de caractre, il avait dit non au lieu
de oui . Mais pouvait-il encore, terrass par le mal, se rappeler le jour
o il avait march dans l'eau sale ou regarder une jeune fille qui n'avait pas
les mains laves . Car, il n'en fallait pas plus pour outrager srieusement
le dieu Marduk.
L'interrogatoire tait implacable ; les rves m m e s taient analyss avec
toute la subtilit orientale (oniromancie).
Le diagnostic
Mais le mdecin n'en restait pas l. Il savait examiner le malade, notant
le pouls, la temprature, la coloration des tguments et m m e son tat
d'agitation. Ce qui lui permettait de bien reconnatre certaines affections.
Si le corps de l'homme est jaune, jaune est sa face ; c'est le mal jaune ,
c'est--dire un drglement biliaire. E n dcrivant le Bushanu , maladie
ftide, entranant la tumfaction des gencives, la perte des dents, les tablettes
d'argile nous livrent la premire description du scorbut. Son remde
(Bushanu-raisin frais) n'a d'ailleurs pas vari depuis dans son principe.
Bien avant Hippocrate, les Babyloniens se sont penchs sur le tableau
impressionnant de l'pilepsie et ont dcrit 1' aura (phnomne halluci-
natoire) prcdant la crise, les sensations bizarres (Zuqqutu) assaillant le
malade qui s'affaisse en poussant Uaa , le premier cri dat de l'Histoire
mdicale.
La pratique chirurgicale tait, elle aussi, trs au point, c o m m e en tmoigne
ce qu'crivait au roi un certain Arad-Nana ( 800) : E n ce qui concerne
le patient qui saigne du nez, le Badmugi (le chambellan) m'a dit qu'une
hmorragie avait eu lieu hier soir (le pansement du malade constitue, il faut
le dire, une faute chirurgicale, tant en effet ajust sur les narines, de sorte
qu'il arrte la respiration sans empcher l'hmorragie par l'arrire-bouche).
Fais donc tamponner le nez, l'air ne pourra plus y pntrer et l'hmorragie
cessera . Le tamponnement postrieur, prconis ici, est d'ailleurs toujours
en usage chez les O.R.L. contemporains...
Trs attirs par la spculation des nombres, les Babyloniens conurent
une arithmtique des fivres : Si ayant t malade six jours il va mieux
au cours du septime, son mal volue favorablement . Les classiques des-
criptions des fivres utiliseront largement ces notions (fivre tierce...), ainsi
que l'ide des jours critiques. Ainsi, une fois tous les signes regroups, l'Azu
pouvait dire la source de cela, le pch n'est pas en cause , sinon il
fallait faire appel des procds divinatoires, au premier rang desquels
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l'hpatoscopie. Le foie tant le sige de la vie, l'on pensait que les constations
anatomiques observes sur le foie d'un animal sacrifi taient riches en
enseignements sur l'tat du malade (principe de l'analogie). Ainsi, si la
vsicule est pleine de bile, c'est un lment favorable . si la vsicule est
c o m m e un sac vide, que l'on observe devant elle sept sillons profonds dans
le foie, c'est un trs mauvais prsage.
Quand il avait russi n o m m e r la maladie ( main d'Ishtar = pilepsie,
par exemple), l'Azu estimait l'avoir pratiquement vaincue. Les rites de
l'exorciste et les lments thrapeutiques, issus de l'exprience, devaient
aisment parachever son succs.
L'approche thrapeutique
Le malade tant d'abord un pcheur, il tait ncessaire, l'aide de la
magie, de le rconcilier avec la divinit ou de chasser les dmons qui s'en
tait empar. Les offrandes, les formules incantatoires faisaient partie du
traitement, qui ne se concevait d'ailleurs pas sans une minutieuse observation
des astres. L'exorciste tait d