L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

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L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE 2009 LA GOUVERNANCE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE SOUS LA DIRECTION DE PIERRE JACQUET, RAJENDRA K. PACHAURI & LAURENCE TUBIANA

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L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE2009

LA GOUVERNANCE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

SOUS LA DIRECTION DE PIERRE JACQUET, RAJENDRA K. PACHAURI & LAURENCE TUBIANA

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L’Agence française de développe-ment (AFD) est au cœur du dispositif français de l’aide publique en faveur des pays pauvres. Grâce à une large gamme d’instruments financiers, l’AFD soutient les pouvoirs publics, le secteur privé et les réseaux associatifs locaux pour la mise en œuvre de projets économiques et sociaux très divers. Elle intervient dans cinq conti-nents et dans les collectivités d’outre-mer. Ses actions en faveur de la croissance éco-nomique et de la préservation de l’envi-ronnement s’inscrivent directement dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Les activités de l’AFD contribuent également à la pré-servation des biens publics mondiaux. Ses actions sont présentées, et ses publications sont disponibles sur www.afd.fr

Catalogage Électre-Bibliographie (avec le concours de la Bibliothèque de Sciences Po)Regards sur la Terre 2009. L’annuel du développement durable. La gouvernance du développement durable sous la direction de Pierre Jacquet, Rajendra K. Pachauri et Laurence Tubiana. Paris : Presses de Sciences Po, 2009ISBN 978-2-7246-1091-8ISSN 1961-6007

RAMEAU : m Développement durable : Périodiquesm Environnement : Périodiquesm Politique de l’environnement : Coopération internationalem Développement durable : Coopération internationale

DEWEY : m 333 : Économie de la terre et des ressources naturellesm 338.7 : Politique et programmes de développement

économiquem 363.3 : Protection de l’environnement – Problèmes sanitaires

Public concerné : public intéressé

L’Institut du développement dura-ble et des relations internationales (Iddri) est un think tank français, à l’inter-face de la recherche et de la décision, qui éclaire les questions politiques et internatio-nales du développement durable et de gou-vernance mondiale. Avec l’appui des grands établissements publics de recherche, tout en associant les différents acteurs publics et privés impliqués par les principaux enjeux globaux du développement durable, l’Iddri axe ses activités autour de trois grandes thématiques : climat, biodiversité et gouver-nance mondiale. Ses travaux et publications sont disponibles sur www.iddri.orgL’Iddri est engagé dans un partenariat scientifique privilégié avec Sciences Po pour y créer un pôle de recherche sur le développement durable avec l’appui de la chaire Développement durable. Celle-ci est structurée autour de trois grands thèmes : l’économie du développement, les politi-ques publiques et la gouvernance mondiale, l’impact du développement durable sur la stratégie et la gestion des entreprises. Ses travaux et publications sont disponibles sur www.developpement.durable.sciences-po.fr

The Energy and Resources Institute (Teri) est un institut indien créé en 1974 qui travaille entre autres sur les questions de développement durable, environnement, efficacité énergique et utilisation durable des ressources naturelles. Son objectif est de trouver des solutions innovantes pour avancer vers l’objectif d’un développement durable. Ses activités vont de la formulation de stratégies au niveau local et national à la proposition de solutions globales aux pro-blèmes d’énergie et d’environnement. Teri est installé à Delhi ainsi que dans plusieurs régions d’Inde, et emploie 700 personnes. Il est dirigé par Rajendra K. Pachauri, éga-lement président du GIEC (prix Nobel de la paix en 2007). www.terriin.org

La loi de 1957 sur la propriété intellectuelle interdit expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit (seule la photocopie à usage privé du copiste est autorisée).Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris).

© 2009 PRESSES DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES

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Direction scientifique : Pierre Jacquet, directeur de la straté-gie et économiste en chef de l’AFD, Rajendra K. Pachauri, président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (prix Nobel de la paix en 2007) et directeur général de TERI (The Energy and Resources Institute, Inde), et Laurence Tubiana, directrice de l’Iddri et de la chaire Développement durable de Sciences Po.

Coordination générale : Isabelle Biagiotti (Courrier de la planète), Lisa Dacosta (Iddri), Raphaël Jozan et Jacques Loup (AFD).

Dossier « La gouvernance du développement durable » : Benoît Martimort-Asso (Iddri), Raphaël Jozan et Jacques Loup (AFD), coordination, Chloé Kéraghel et Lucie Fontaine, édition.

Agenda, Chronologie, Zooms, Repères et iconographie : Isabelle Biagiotti (Courrier de la Planète) ; Glossaire : Stéphanie Duchesne ; Appui à l’édition : Élise Coudane (Iddri).

Traduction : JPD Systems.

Cartographie : Aurore Colombani et Benoît Martin, Atelier de cartographie de Sciences Po.

Conception graphique : Alain Chevallier  ; couverture : Hémisphère & compagnie.

Édition et coordination : Presses de Sciences Po  (François Capelani, Fabien Crespin, Marie de Jerphanion, Anne Mabille, Graziella Niang, Marie-Geneviève Vandesande).

Regards sur la Terre remercie le Courrier de la planète, la chaire Développement durable de Sciences Po, les personnalités qui ont accepté de répondre à nos questions, les auteurs des zooms et du dossier «  La gouvernance du développement durable  », ainsi que toutes celles et tous ceux qui ont contribué à cet ouvrage  : Carine Barbier, Michel Benoit-Cattin, Raphaël Billé, Amandine Bled, Nicolas Bricas, Olivier Charnoz, Damien Conaré, Catherine Garreta, François Gemenne, Stéphane Guéneau, Emmanuel Guérin, Thierry Hommel, Ella Kokotsis, Katell Le Goulven, Denis Loyer, Clémence Mallatrait, Marc-Antoine Martin, Romain Pirard, Armand Rioust de Largentaye, Julien Rochette, Leena Srivastava, Jayashree Vivekanandan, Fumikazu Yoshida.

Crédits photos : Couverture : © Juan Rojo Toltequita ; p. 8 : © John Elizondo ; p. 29 : © A. Manouvrier, IPEV ; p. 31 : © Roberto Faidutti, FAO ; p. 33 : © Meriem Bouamrane, MAB ; p. 35 : © Olivier Dangles, IRD ; p. 37 : © Ragnar Sigurdsson, Galbe ; p. 39 : © Kate Davison, Greenpeace ; p. 41 : © Fred Hoogervorst, Galbe ; p. 43 : © Wolfgang Shaw ; p. 45 : © CDB ; p. 47 : © Leo Bild ; p. 49 : © Danilo Cedrone, FAO ; p. 51 : © Martina Pikielny, WWF Climate Witness ; p. 53 : © Saabi, Galbe ; p. 55 : © Matthieu Preudhomme, Inra ; p. 57 : © IISD ; p. 59 : © M. Crozet, OIT ; p. 61 : © Cheikh Sokhna, IRD ; p. 63 : © Miriam Mannak ; p. 65 : © IUCN ; p. 67  : © Isisimagery.com  ; p. 69  : © John Elizondo  ; p. 71  : © IISD  ; p. 236  : © Mikael Colville-Andersen, Copenhagenize.com.

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10 LES ENJEUX ET L’AGENDA 2009

13 DES POLITIQUES PUBLIQUES POUR CONSTRUIRE UN AVENIR DURABLE Pierre Jacquet et Laurence Tubiana

28 LES FAITS MARQUANTS

L’ANNÉE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

29 Connaître les zones polaires pour connaître la Terre 31 Amazonie : menaces persistantes sur la forêt 33 Biosphère : le développement durable en réseau 35 Alimentation : bientôt la disette ? 37 Ne pas oublier la haute mer 39 Pourquoi chasse-t-on encore la baleine ? 41 Financer l’avenir de la mer 43 Gaz à effet de serre : le détour par l’industrie 45 Biodiversité : une question politique 47 Un marché carbone australien pour peser dans les négociations 49 Pêche : plus de pétrole ou plus de poissons ? 51 S’adapter, une urgence internationale 53 Agriculture africaine : l’incontournable dimension internationale 55 Agrocarburants : les promesses techniques de la deuxième génération 57 Climat : une négociation mais plusieurs approches 59 Pas de justice commerciale sans normes sociales 61 Améliorer les systèmes de santé : l’urgence du millénaire 63 Aide au développement : sortir progressivement de la crise 65 Biodiversité : dénombrer pour protéger 67 Finance mondiale : un profond besoin d’équité 69 États-Unis : nouvelle ère énergétique et climatique 71 IPBES : une expertise indépendante pour la biodiversité

BIODIVERSITÉNATURE ETDÉVELOPPEMENT

PARTIE26 8 I N T R O D U C T I O N

GOUVERNANCE, LE CHAÎNON MANQUANT DU DÉVELOPPEMENT DURABLERaphaël Jozan, Jacques Loup, Benoît Martimort-Asso

UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE77 C H A P I T R E 1

LA GOUVERNANCE, UNE SIMPLE MODE ?Philipp Pattberg

9 1 C H A P I T R E 2

LES PARADOXES DE LA SOUVERAINETÉFrançois Lerin, Laurence Tubiana

102 F O C U S SOUVERAINETÉ ET POLITIQUES EUROPÉENNES DE L’ENVIRONNEMENT MARC PALLEMAERTS

1 0 7 C H A P I T R E 3

POUR L’ENVIRONNEMENT, LE TEMPS DES RÉFORMESAdil Najam, Mihaela Papa, Nadaa Taiyab117 F O C U S DONNER UNE VALEURÀ LA BIODIVERSITÉ Anirban Ganguly

DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANT1 2 1 C H A P I T R E 4

VERS LA GOUVERNANCE MULTINIVEAUJayashree Vivekanandan

132 F O C U S CATASTROPHES NATURELLES : COMMENT SE TENIR PRÊT ? Dr. Jyotsna Bapat

1 3 5 C H A P I T R E 5

QUAND LE CLIMAT DEVIENT L’AFFAIRE DES PROVINCES CHINOISESQi Ye, Ma Li, Zhang Huanbo, Li Huimin, Cai Qin et Liu Zhilin*

1 4 7 C H A P I T R E 6

À PROBLÈME GLOBAL, ACTIONS LOCALES EN AMAZONIE

Z O O M S

75 I N T R O D U C T I O N

GOUVERNANCE, LE CHAÎNON MANQUANT DU DÉVELOPPEMENT DURABLERaphaël Jozan, Jacques Loup et Benoît Martimort-Asso

UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE83 C H A P I T R E 1

LA GOUVERNANCE, UNE SIMPLE MODE ?Philipp Pattberg

97 C H A P I T R E 2

LES PARADOXES DE LA SOUVERAINETÉFrançois Lerin et Laurence Tubiana

108 F O C U S SOUVERAINETÉ ET POLITIQUES EUROPÉENNES DE L’ENVIRONNEMENTMarc Pallemaerts

113 C H A P I T R E 3

POUR L’ENVIRONNEMENT, LE TEMPS DES RÉFORMESAdil Najam, Mihaela Papa et Nadaa Taiyab

123 F O C U S DONNER UNE VALEUR À LA BIODIVERSITÉ Anirban Ganguly

DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANT127 C H A P I T R E 4

VERS LA GOUVERNANCE MULTINIVEAUJayashree Vivekanandan

138 F O C U S CATASTROPHES NATURELLES : COMMENT SE TENIR PRÊT ?Jyotsna Bapat

141 C H A P I T R E 5

QUAND LE CLIMAT DEVIENT L’AFFAIRE DES PROVINCES CHINOISESQi Ye, Ma Li, Zhang Huanbo, Li Huimin, Cai Qin et Liu Zhilin

LA GOUVERNANCEDU DÉVELOPPEMENTDURABLE

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I N S T I T U T I O N S238 Nations unies 30 ans de développement durable REPÈRE 1

244 Nations unies Où en est la réforme ? REPÈRE 2

246 Banque mondiale Du développement au climat REPÈRE 3

248 G8 De l’énergie au climat REPÈRE 4

É C H A N G E S250 Commerce L’heure du Sud ? REPÈRE 5

252 OMC Promesses et marchandages REPÈRE 6

254 Carbone, eau, déchets… Les faces cachées du commerce international REPÈRE 7

T E R R I TO I R E S258 Climat Montée des eaux, vide juridique REPÈRE 8

260 Arctique Quand le climat ouvre de nouvelles routes REPÈRE 9

262 Forêts tropicales Et si le carbone finançait leur protection ? REPÈRE 10

264 Haute mer La dernière frontière du droit international ? REPÈRE 11

266 Autorités locales Les pionniers du climat aux États-Unis REPÈRE 12

268 Chine La ville fera le climat REPÈRE 13

I N N O VAT I O N S270 ONG L’autre mondialisation REPÈRE 14

272 Acteurs non étatiques Les faiseurs de normes environnementales REPÈRE 15

274 Santé globale Innovations stratégiques et financières REPÈRE 16

278 Adaptation Inventer son financement REPÈRE 17

280 Ressources phytogénétiques Des flux très convoités REPÈRE 18

284 Agronomie L’agriculture durable reste à inventer REPÈRE 19

288 Glossaire Les mots ou expressions en rouge renvoient au glossaire

294 Liste des sigles

LES REPÈRES DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

153 C H A P I T R E 6

À PROBLÈME GLOBAL, ACTIONS LOCALES EN AMAZONIE BRÉSILIENNEDilip Loundo 

167 C H A P I T R E 7

QUE PEUT-ON ESPÉRER DES ENTREPRISES SOCIALEMENT RESPONSABLES ?Thierry Hommel et Olivier Godard

179 F O C U S PHILANTHROPIE ET SANTÉ PUBLIQUEMarame Ndour

GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉ183 C H A P I T R E 8

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE NÉCESSITÉ POUR LES PAYS DU SUDPierre Jacquet et Jacques Loup

196 F O C U S COMMERCE VS. CLIMAT ?Tancrède Voituriez

199 C H A P I T R E 9

POUVOIRS ET LIMITES DES RÉSEAUX D’EXPERTISEPhilippe Le Prestre et Romain Taravella

211 C H A P I T R E 1 0

L’ « ÉCOLOGIE DES PAUVRES » EN INDE

Sunita Narain

220 F O C U S LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ COMMENCE AVEC LES RESSOURCES NATURELLESArabinda Mishra

223 C H A P I T R E 1 1

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE ÉTHIQUE POUR LE XXIe SIÈCLEEdith Brown Weiss

234 B I B L I O G R A P H I E

POUR ALLER PLUS LOIN

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 20098

Page 7: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 9

L’ANNEE DU DEVELOPPEMENT DURABLEDES POLITIQUES PUBLIQUES POUR CONSTRUIRE UN AVENIR DURABLE 1

L’ANNÉE DU DÉVELOPPEMENTDURABLEA P R È S LA MOBILISATION, LE TEMPS DE L’ACTION

REGARDS SUR LA TERRE 2009 9

L’ANNÉE DU DÉVELOPPEMENT

DURABLE

LES ENJEUX ET L’AGENDA 2009

DES POLITIQUES PUBLIQUES POUR CONSTRUIRE UN AVENIR DURABLE

LES FAITS MARQUANTS

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1

Négocier le futur du climatn L’année 2009 sera celle des initiatives de lutte contre les changements climatiques, dont il faut espérer qu’elles convergent vers la conclusion d’un accord international à Copenhague en décembre 2009. C’est en effet à cette occa-sion que doit se décider la suite à donner au protocole de Kyoto, dont la première phase de mise en œuvre se termine en 2012. Avant cela, les négociateurs de la Convention cadre des Nation unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et du protocole se seront rencontrés à quatre reprises dans le cadre prévu par la 14e Conférence des parties de Poznan en décembre 2008. Le mois de juin 2009 sera un temps fort des négociations, les parties ayant jusqu’à la fin du mois pour déposer une proposition de texte juridique.

Mais la négociation climat ne devrait pas se limiter aux processus onusiens. Le G8, élargi ou non aux pays émer-gents, devrait se prononcer sur le sujet lors de sa réunion de La Maddalena, en Italie en juillet 2009. Le nouveau prési-dent américain Barack Obama a d’autre part évoqué son souhait de créer un Global Energy Forum, pour remplacer le Major Economies Meeting qui réunit, depuis 2007 à l’ini-tiative de George W. Bush, les plus grands pays émetteurs de gaz à effet de serre (lire zoom p. 69). Enfin, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, réfléchit à l’organisation de sommets de chefs d’État sur le climat, avec une première réunion en mars et une seconde au moment de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre. m

› 29 mars > 8 avril 2009. Bonn (Allemagne)  : 7e session du Groupe de travail spécial des nouveaux engagements des parties visées à l’annexe I au titre du protocole de Kyoto (AWG-KP) et 5e session du Groupe de travail spécial de l’action concertée à long terme au titre de la Convention (AWG-LCA).

› 1er > 12 juin 2009. Bonn (Allemagne)  : 30e session des organes subsidiaires de la CCNUCC.

› 30 novembre > 11 décembre 2009. Copenhague (Danemark) : 15e Conférence des parties à la CCNUCC (COP-15).

S’atteler aux bio-énergiesn Avec l’adoption attendue en décembre 2008 du paquet législatif européen énergie-climat qui fixe des objectifs ambi-tieux en matière de développement des énergies renouvela-bles, les États membres de l’Union européenne vont devoir plancher, courant 2009, sur des stratégies nationales accor-dant une large place à l’approvisionnement en biomasse durable produite nationalement ou importée (lire zoom p.  55). La Commission européenne a également annoncé une aide de 5 milliards d’euros pour encourager le déve-loppement de voitures vertes dans le cadre de son plan de relance du 26 novembre 2008.

L’arrivée de l’administration Obama aux États-Unis devrait aussi donner un nouveau coup de pouce aux technologies de l’énergie verte, sous la triple inspiration de la lutte contre le changement climatique, de l’indépendance énergétique et de la relance économique du secteur automobile (lire zoom p. 69). Le discours de campagne de Barack Obama d’août 2008 sur la politique énergétique avait notamment appelé à imposer le flexifuel à toutes les voitures neuves produites aux États-Unis. m

› 19 > 21 janvier 2009. Abu Dhabi (Émirats arabes unis)  : Sommet mondial de l’énergie du futur.

› 9 > 13 février 2009. Semaine européenne de l’énergie renouvelable.

› 30 mars > 2 avril 2009. Johannesburg (Afrique du Sud)  : Conférence africaine des biocarburants.

› 27 > 28 mai 2009. Amsterdam (Pays-Bas)  : Conférence et exposition internationales sur les biocarburants et biocombustibles.

› 30 septembre > 3 octobre 2009. Rome (Italie)  : Biofuel expo.

1er janvier > 31 décembre Année de la planète Terre (ONU).

26>27 janvier Conférence de création de l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA), Bonn, Allemagne.

2 février Journée mondiale des zones humides, anniversaire de la convention Ramsar.

16>20 février 25e session du Forum ministériel global pour l’environnement.

15>22 mars 5e Forum mondial de l’eau, Istanbul, Turquie.

2 avrilSommet du G20 sur la crise financière, Londres, Royaume-Uni.

20 avril>1er mai 8e Forum des Nations unies sur les forêts, New York, États-Unis.

25>26 avrilAssemblées de printemps de la Banque mondiale et du FMI, Washington, États-Unis.

4>15 mai 17e session de la Commission sur le développement durable, New York, États-Unis.

11>15 maiConférence mondiale sur les océans, Manado, Indonésie.

1er>5 juin3e session du Comité directeur du traité international sur les ressources génétiques, Tunis, Tunisie.

26>30 juin 61e assemblée annuelle de la Commission baleinière internationale, Madeira, Portugal.

LES ENJEUX

L’AGENDA

LES ENJEUX ET L’AGENDA 2009

R E G A R D S S U R L A T E R R E 200910

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LES ENJEUX ET L’AGENDA 2009

Construire l’expertise dont les politiques ont besoinn Un grand nombre d’experts et de parties prenantes issus de différentes sphères des ONG environnementales mais également des entreprises privées et des organisations inter-nationales s’accordent à trouver que les coûts et les profits associés à l’utilisation de la nature sont trop peu intégrés dans les processus de décision publics et privés. Pour tenter d’y remédier, différentes évaluations économiques de la biodiversité et des services écosystémiques sont aujourd’hui en plein développement.

Les conclusions intermédiaires de l’étude mondiale de l’économie des écosystèmes et de la biodiversité, confiée en 2008 à Pavan Sukhdev, ont été présentées en mai 2008 lors de la 9e Conférence des parties (COP-9) à la Convention sur la diversité biologique (CDB) de Bonn (lire zoom p. 45). La seconde phase de l’étude, plus complète, se poursuivra courant 2009, et ses résultats finaux seront présentés à la COP-10 de la CDB en 2010.

Par ailleurs l’idée, lancée en janvier 2005 lors de la confé-rence internationale « Biodiversité, science et gouvernance », d’établir un panel international d’experts sur la biodiversité – l’équivalent du GIEC pour le climat – a fait son chemin. Une étape décisive vers la création de la Plateforme intergouver-nementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a ainsi été franchie lors de la conférence organisée en novembre 2008 à Kuala Lumpur (Malaisie) (lire zoom p. 71). L’IPBES devrait mettre à dispo-sition des décideurs politiques une expertise indépendante, fiable et partagée. C’est à Nairobi, siège du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), que se tiendra en février 2009 la prochaine réunion interministérielle qui pourrait constituer l’acte de naissance de ce nouveau mécanisme. m

› 16 > 20 février 2009. Nairobi (Kenya) : 25e session du Forum ministériel global pour l’environnement.

› 18 > 29 octobre 2010. Nagoya (Japon) : 10e conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique.

Définir à qui appartient l’Arctiquen Les pôles sont les régions du monde les plus touchées par le changement climatique. La fonte rapide de la banquise et des calottes glaciaires ouvre de nouvelles perspectives, à la fois en ce qui concerne les immenses réserves pétrolières de la région, mais également les nouvelles routes maritimes. Cette nouvelle donne attise les convoitises des États qui se partagent la région  : Canada, États-Unis, Russie, Islande, Norvège, Suède, Finlande et Danemark. Les peuples indi-gènes souhaitent également bénéficier de ces ressources nouvelles, et le Groenland s’est déterminé fin novembre 2008 pour davantage d’autonomie par rapport au Danemark.

Il n’existe pas pour l’instant d’accord international sur le partage de l’Arctique. C’est donc la Convention des Nations unies sur le droit de la mer qui s’applique, reconnaissant la juridiction des États sur une zone qui s’étend jusqu’à 200  milles marins (370 kilomètres) de leurs côtes. Néan-moins si ceux-ci peuvent prouver que leur plateau conti-nental continue au-delà des 200 milles, cette zone souve-raine peut être étendue, donnant accès aux ressources encore inexplorées de l’Arctique. C’est tout l’enjeu des déci-sions que devra prendre la Commission ad hoc des Nations unies dans les prochaines années (lire repère 9). m

› 28>29 avril 2009. Tromsø (Norvège) : 6e réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique.

› Mai 2009. Date-limite à laquelle la Norvège, la Finlande, la Suède et la Russie peuvent déposer une requête d’extension de leur plateau continental auprès de la Commission ad hoc des Nations unies. Les autres pays, qui ont ratifié la Convention des Nations unies sur le droit de la mer après 1999, ont jusqu’à dix ans après la date de leur accession à la Convention pour déposer leur requête.

6>10 juillet 58e réunion du Comité directeur de la Cites, Genève, Suisse.

8>10 juillet G8, La Maddalena, Italie.

16>22 août 2009 World Water Week, Stockholm, Suède.

23>29 août 2e Congrès mondial de l’agroforesterie, Nairobi, Kenya.

6>7 octobreAssemblée annuelle de la Banque mondiale, Istanbul, Turquie.

12>16 octobre 3e conférence mondiale sur le climat de l’Organisation météorologique mondiale, Genève, Suisse.

21 septembre > 2 octobre 64e Assemblée des Nations unies, New York, États-Unis.

9>14 novembre 49e réunion de l’Organisation internationale des bois tropicaux, Yokohama, Japon.

7>18 décembre COP-15 de la Convention Climat, Copenhague, Danemark.

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 11

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Les crises actuelles doivent se lire

comme autant de symptômes

d’un développement non durable

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 13R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 13

2008 : L’ANNÉE DU DÉVELOPPEMENT NON DURABLE

L’année  2008 a vu se succéder crises énergétiques, alimentaires, financières et économiques, et leur cortège d’inquiétudes et d’insta-bilités économiques et politiques. L’année s’est ouverte dans un contexte de nouveau choc pétro-lier, de choc sur les prix agricoles et alimentaires et de crise finan-

cière marquée par la débâcle des subprimes –  ces prêts hypothécaires de mauvaise qualité – ; elle s’est achevée sur une crise financière et économique inter-nationale majeure, dont les prolongements menacent 2009, et au-delà. Dans cet environnement très incer-tain, une certitude se dégage : ces crises doivent se lire comme autant de symptômes d’un développe-ment non durable. Les trajectoires de développement dessinées pendant le dernier demi-siècle vont devoir connaître de profonds changements.

Une nouvelle étape vers l’après-pétrole ? Les fluc-tuations des prix du pétrole sont le reflet des ater-moiements des analyses et perceptions sur la rareté des hydrocarbures et de l’énergie, mais aussi des poli-tiques énergétiques. Début juillet 2008, le prix spot du baril Europe Brent dépassait 140 dollars et avait presque doublé en douze mois ; à la mi-décembre 2008 il passait en dessous de 40 dollars. Les experts conti-nuent à s’accorder sur une perspective de prix élevés à moyen et long terme mais peu se hasardent à faire des prévisions à plus court terme. Cela ne facilite évidemment pas l’élaboration de politiques publi-ques à long terme, et l’exemple du passé n’est guère rassurant à cet égard. Les à-coups du marché sont en effet susceptibles de produire des réactions salu-taires (ce fut le cas avec la mise en place des poli-tiques de maîtrise de la demande ou de diversifica-tion des sources d’énergie en Europe après les deux chocs pétroliers des années 1970) ; mais les « bonnes politiques » sont rarement soutenues dans la durée car il leur manque souvent la conviction de long terme

DES POLITIQUES PUBLIQUES POUR CONSTRUIRE UN AVENIR DURABLEPIERRE JACQUETDIRECTEUR DE LA STRATÉGIE ET ÉCONOMISTE EN CHEF, AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD), PARIS (FRANCE)

LAURENCE TUBIANADIRECTRICE, INSTITUT DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DES RELATIONS INTERNATIONALES (IDDRI) ET CHAIRE DÉVELOPPEMENT DURABLE DE SCIENCES PO, PARIS (FRANCE)

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 200914

nécessaire pour maintenir des orientations au-delà des signaux fluctuants du court terme. On se souvient, par exemple, des critiques internationales auxquelles la politique énergétique française a pu être soumise lorsque le contre-choc pétrolier de 1986 en a exposé les coûts : soudain, le gaz naturel apparaissait comme plus rentable que le nucléaire et les politiques d’effica-cité énergétique perdaient de leur intérêt.

Le défi de la sécurité alimentaire. Pour des raisons diffé-rentes, 2008 a également connu une évolution compa-rable des prix agricoles, aux conséquences plus tragi-ques pour la situation alimentaire de nombreux pays. L’augmentation des prix des principaux produits alimen-taires, continue depuis quelques années, a culminé au deuxième trimestre 2008, pour connaître une décrue au deuxième semestre. Si les émeutes de la faim du premier semestre ne font plus l’actualité fin 2008, l’in-

certitude demeure à court et moyen terme. La forte hausse des prix agricoles renvoie à de nombreux facteurs (dont le prix de l’énergie), mais elle illustre la relation profonde

qui lie l’économie à l’environnement : l’une des causes est en effet la multiplication des perturbations climati-ques, aux incidences globales ou plus localisées. Mais, à l’instar des marchés pétroliers, ces à-coups surviennent après une longue période de désinvestissement dans l’agriculture, pendant laquelle les progrès en matière de productivité se sont ralentis. Ceci explique que des investisseurs du monde entier (de Chine et du Moyen-Orient notamment) se ruent sur les terres disponibles en Afrique, avec de grands projets agricoles dans le but d’assurer la sécurité de leurs approvisionnements – ce qui montre le caractère global de la notion de sécurité alimentaire, entraînant ainsi par la même occasion des pressions accrues sur les forêts1.

1. En septembre 2008, l’INPE (Institut national brésilien pour les recher-ches spatiales) a publié un rapport montrant que le rythme de déforesta-tion avait été multiplié par trois depuis 2007. Voir INPE, Monitoramento da Cobertura Florestal da Amazônia, Brasilia, 2008.

Décider pour le développement durable, c’est prendre des risques et choisir les risques. Bien qu’elle ne porte pas sur des matières premières, renouve-lables ou non renouvelables, la crise financière relève tout autant d’une pathologie de développement non durable. Elle sanctionne le caractère non pérenne d’une croissance économique sur fond d’endette-ment excessif et d’aventurisme financier (notamment aux États-Unis). Rappelons que la croissance écono-mique américaine a été financée pendant plus de vingt-cinq ans par un recours net à l’épargne du reste du monde : les Américains n’épargnaient pas suffi-samment, vivant ainsi depuis longtemps « au-dessus de leurs moyens ». Les dérèglements financiers se sont accumulés tels des symptômes de cette fuite en avant. Cette aventure a contribué à tirer la crois-sance mondiale, mais elle ne pouvait durer sans ajus-tement macroéconomique américain et mondial. Finalement, au-delà des causes premières de la crise des subprimes puis de l’effondrement bancaire et financier de septembre 2008, la crise actuelle force à l’ajustement là où les politiques publiques ont fait preuve d’une complaisance excessive.La problématique générale du développement durable2 est donc bien au cœur de ces différentes crises. Celles des prix pétroliers et agricoles reflètent l’inadéquation entre les capacités d’offre et l’évolu-tion de la demande, et montrent que les marchés ne savent gérer la rareté que par à-coups, et à des coûts économiques et sociaux inacceptables. Il faut des politiques publiques délibérées – qui seront jugées coûteuses car s’écartant des signaux des marchés – pour davantage anticiper les phénomènes de rareté, et pour maintenir dans la durée une coordination des comportements permettant de lisser ces à-coups. La gestion de la rareté s’apparente de fait à une police d’assurance : tant qu’il n’y a pas d’accidents, on se

2. La définition faisant autorité est toujours celle du Rapport Brundtland : « un développement qui s’efforce de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. » (BRUNDTLAND (G. H.), Notre avenir à tous, Rapport de la Commission mondiale des Nations unies sur l’environnement et le développement, Oxford, Oxford University Press, 1987.

Il faut des politiques publiques délibérées pour

davantage anticiper les phénomènes de rareté

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demande pourquoi payer la police ; mais sans assu-rance, le coût des accidents peut devenir insuppor-table. Le paradoxe veut que la nécessité de ces politi-ques publiques ne soit vraiment perçue qu’en cas de choc à la hausse sur les prix, et que le sentiment d’ur-gence tende à disparaître dès que les prix baissent. Une politique de développement durable ne pourra donc se faire sans volontarisme ni prise de risque de la part des décideurs publics. Or ces derniers sont souvent plus craintifs vis-à-vis des risques de l’action que sensibles à ceux de l’inaction.La crise économique et financière que nous traver-sons démontre, a contrario, la difficulté fondamen-tale de l’action collective et de la réforme en l’ab-sence de crise. C’est bien la perception de la gravité d’une crise qui convainc de la nécessité de réformer, fait émerger les différentes options réalistes d’une réforme et permet de coordonner les actions3. Et de fait, la réponse des différents gouvernements à la crise économique et financière, à l’automne 2008, a été plutôt rapide et coordonnée, en particulier en Europe, malgré les difficultés intrinsèques et souvent attestées de l’action commune. Nous soulignions déjà dans Regards sur la Terre  2008 cette capacité réactive certes encourageante, mais aussi les lacunes patentes de l’action publique, nationale et collective, en matière d’anticipation et de prévention4.

En toute conscience… La prise de conscience a néanmoins continué à progresser. Le réchauffe-ment climatique et ses conséquences probables sont de plus en plus fréquemment et abondam-ment analysés, et le corpus scientifique établissant les liens entre réchauffement climatique, activité économique et évolution de l’environnement ne cesse de s’approfondir5.

3. Voir DIAMOND (J.), « Coping with Change », texte préparé pour la confé-rence AFD/EUDN, Paris, 12 novembre 2008.

4. JACQUET (P.) et TUBIANA (L.) (dir.), Regards sur la Terre 2008, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.

5. Pour un analyse approfondie du changement climatique, se référer à PACHAURI (R. K.), « Climate Change as an Emerging Global Issue », Globali-zations, 5 (1), 2008.

Le GIEC6 a finalisé en  2008 une importante étude portant sur l’évolution de 829 écosystèmes, 28  800  plantes et animaux depuis  1970. Plus de 90 % des évolutions constatées sur les milieux physi-ques (fonte des glaciers, réduction du permafrost, augmentation de la température des cours d’eau) et sur les animaux et les plantes seraient liées à l’évo-lution des températures. Concernant les défis énergé-tiques, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) place les énergies renouvelables au premier rang des moyens pour diviser par deux les émissions de CO2 d’ici 2050 et estime qu’il faudra dégager 1 000  milliards de dollars d’investissements annuels, soit près de 1,9 % du PNB mondial7. Mais ce coût pourrait être plus que compensé in fine par les économies réalisées en réduisant la consommation de charbon, de pétrole et de gaz8.Au-delà de l’énergie et du climat, l’attention se porte aussi davantage sur la compréhension des enjeux de la biodiversité. L’Union européenne a ainsi lancé une initiative suite à la rencontre des ministres de l’Envi-ronnement du G8+5 (les pays du G8 plus l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde et le Mexique), à Potsdam en mars 2007, pour analyser les béné-fices économiques de la biodiversité et les coûts de la dégradation des écosystèmes. Cette initiative a débouché en 2008 sur la production d’un premier rapport9, qui commence à porter les défis de la biodi-versité au niveau d’attention auquel ont été portés, grâce au GIEC, les enjeux climatiques. Dans la même

6. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (en anglais, IPCC ou Intergovernmental Panel on Climate Change).

7. Agence internationale de l’énergie, World Energy Outlook 2008, Paris, 2008.

8. Dans la lignée des travaux de Nicholas Stern, tels que The Economics of Climate Change. The Stern Review, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.

9. Commission européenne, L’Économie des écosystèmes et de la biodiver-sité, rapport d’étape, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2008.

Le rythme d’érosion de la biodiversité confirme d’après les scientifiques que nous serions à la veille de la sixième grande extinction biologique

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ligne, le PNUE a réuni en Malaisie en novembre 2008 (lire zoom p.  71) la première conférence inter- gouvernementale pour créer un GIEC de la biodi-versité, l’IPBES (Plateforme intergouvernemen-tale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques).Mais il en faut davantage pour déclencher les actions nécessaires. Ainsi malgré la précision des alertes scientifiques, les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de 35 % depuis 1990 et le rythme d’érosion de la biodiversité confirme d’après les scientifiques que nous serions à la veille de la sixième grande extinction biologique10.Le développement durable ne peut s’établir que sur des visions de long terme qui inscrivent les politiques dans des perspectives de longue durée. Or, les crises actuelles, dans le domaine de l’énergie comme dans le domaine agricole ou celui de la finance interna-tionale témoignent de l’absence de vision de long terme. La crise est un révélateur, et un possible cata-lyseur, mais le risque d’un emballement dans une spirale vicieuse, où les acteurs agiraient dans l’im-médiat et au coup par coup, de manière non coor-donnée, générant de fortes frictions tant sociales qu’environnementales, existe aussi.

LES TENSIONS DU DÉVELOPPEMENT DURABLELe paradoxe serait en effet que la succession de crises que le monde a connues en 2007 et 2008, symptômes de développement non durable, ait aussi pour effet de reléguer le développement durable au second plan de l’agenda international. Le ralentissement économique resserre partout les contraintes de financement des agents économiques (particuliers, entreprises, organi-sations humanitaires, environnementales, fondations, etc.) aussi bien que celles des États. Les politiques publiques se trouvent de facto soumises à des contraintes budgétaires plus fortes, qui vont

10. Voir notamment le rapport 2005 de l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire, Millenium Ecosystem Assessment et World Resource Insti-tute, Millenium Ecosystem Assesment  : Ecosystems and Human Well-being, Washington (D.C.), Island Press, 2005.

révéler l’une des difficultés essentielles du dévelop-pement durable, à savoir l’arbitrage permanent qu’il faut effectuer, et l’équilibre qu’il faut trouver, entre le court terme et le moyen ou long terme ainsi qu’entre des enjeux environnementaux, économiques et sociaux, parfois contradictoires, que les ressources disponibles ne permettent pas de traiter simultané-ment. Les engagements pris en faveur de la protec-tion de l’environnement ou de la lutte contre le chan-gement climatique vont-ils résister partout aux défis des ressources publiques et de l’établissement des priorités dans une économie qui ralentit ?Ainsi, la hausse des prix de l’énergie confortait la lutte contre le réchauffement climatique dans une sorte de cercle vertueux : une énergie rare et chère conduit naturellement à des comportements d’éco-nomie et de diversification et à une réduction des émissions. Mais, pour bénéfique qu’elle paraisse à court terme pour l’ensemble des consommateurs, la baisse du prix du pétrole rend plus difficile, en réduisant les incitations, la mise en œuvre d’une poli-tique énergétique dont l’objectif serait de préparer l’après-pétrole. Là encore, on voit bien que laisser les signaux du marché préparer le long terme n’est pas une option satisfaisante.Penser le long terme dans les périodes de fort ralentissement économique peut paraître un luxe à certains, et la protection de l’environnement peut sembler devoir être reléguée à l’arrière-plan dans les priorités publiques. Le président tchèque s’est fait le porte-parole de cette position en déclarant lors d’un débat à Prague organisé par l’hebdomadaire Euro, le vendredi 12 décembre 200811 : « Les questions envi-ronnementales sont un produit de luxe. Maintenant que nous devons nous serrer la ceinture, nous devons supprimer le luxe. »À l’inverse, ces crises peuvent contribuer à une nouvelle légitimation de l’action publique et de la régulation dans l’économie. L’une des difficultés majeures viendra de la tentation d’apporter des réponses essentiellement nationales à travers les

11. Voir notamment le site internet : www.liberation.fr/terre

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plans de relance engagés pour stimuler l’économie, alors que les changements nécessaires n’ont de sens et ne pourront se déployer efficacement que dans le cadre d’une véritable coordination internationale. À la suite des bouleversements économiques et finan-ciers de 2008, les lignes semblent bouger. Raison de plus pour ne pas enfermer le développement durable dans une approche dogmatique et déter-ministe, et pour comprendre sa dimension fonda-mentalement sociale et politique de gestion de la complexité du monde.

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE OU LA GESTION DE LA COMPLEXITÉ

Le développement durable n’est pas une idée plato-nicienne qui pourrait se dévoiler à ceux qui la cher-chent. Il n’y a pas d’essence du développement durable que l’on pourrait découvrir par des efforts de recherche et qui pourrait s’imposer à mesure qu’il est porté par des acteurs toujours plus nombreux. On voit mieux aujourd’hui les abus et les confusions qu’implique l’usage extensif de cette notion. Pour s’y retrouver, il faut rappeler les éléments qui sont à l’origine du concept : c’est la reconnaissance des impasses environnementales auxquelles conduisent la poursuite et la généralisation du modèle de déve-loppement des pays industrialisés qui ouvre la discus-sion sur les changements de ce modèle dans toutes leurs dimensions économiques et sociales.Comme viennent nous le rappeler les événements de 2008, mais aussi chacun des articles du dossier thématique de cette livraison de Regards sur la Terre, chaque groupe porteur du développement durable agit pour une certaine définition de ce dernier, en relation avec le problème qui le préoccupe, avec la communauté dans laquelle il s’inscrit, et avec le débat auquel il participe. Le développement durable est avant tout un concept social et politique. Il ne se décrète pas, et ne peut être défini de manière exclusivement scientifique. Sur un fond d’analyses scientifiques de plus en plus nourries mais toujours incomplètes, il est porté par des groupes, dotés de systèmes de valeurs et d’intérêts, qui négocient pour

définir ce qu’est le monde ou ce qu’il devrait être. La multitude des mouvements se référant au dévelop-pement durable renvoie finalement à une multipli-cité de systèmes de valeurs et à l’existence d’intérêts contradictoires pour l’accès aux ressources naturelles et à des territoires ; ou encore concernant les solida-rités intergénérationnelles ou géographiques.Le concept de développement durable est une négo-ciation permanente, et non une réponse déterministe à une vérité scientifique qui reste toujours en construc-tion. La connaissance scientifique est évidemment fondamentale, mais ne suffit pas, car elle s’applique à un domaine dont la complexité ne permet pas d’établir une série d’actions cohérentes et incontestables faisant progresser vers un « déve-loppement plus durable  ». Ce dernier s’invente en permanence. D’où le besoin d’organiser un suivi en temps réel, d’attirer l’attention sur les contradictions, les incohérences. C’est aussi l’un des rôles de Regards sur la Terre.Cette complexité se traduit également par la diversité des domaines d’action concernés. Au-delà de la clas-sification dorénavant classique en trois compartiments, environnemental, économique et social, l’environne-ment lui-même touche à des aspects extrêmement variés : préservation des espèces, déforestation, réchauf-fement climatique, pollution atmosphérique, pollution chimique, et bien d’autres encore. Dans chacun de ces domaines, une expertise considérable est nécessaire, souvent très technique, pour faire un état des lieux et pour comprendre les différents enjeux. Les interac-tions entre ces différents domaines environnementaux et entre l’économique, le social et l’environnemental, nous le signalions déjà dans Regards sur la Terre 2008 12, sont encore mal appréhendées et mal comprises alors qu’elles sont déterminantes. Un examen séparé des questions environnementales conduit à la définition de buts et de stratégies parfois contradictoires.

12. JACQUET (P.) et TUBIANA (L.) (dir.), Regards sur la Terre 2008, op. cit.

Le développement durable est avant tout un concept social et politique. Il ne se décrète pas, et ne peut être défini de manière exclusivement scientifique

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Cette diversité rend toute mesure du développement durable fondamentalement partielle ou partiale  : avance-t-on vers un développement durable, par exemple, en initiant une action favorable dans un domaine au prix de détériorations ailleurs ? Or, les projets de séquestration de carbone dans les forêts ou de préservation de la biodiversité peuvent aller à l’encontre du développement économique à court terme de certains groupes sociaux. De même dans un contexte de contrainte budgétaire, la construction de logements sociaux peut s’avérer contradictoire avec les actions d’efficacité énergétique dans le parc existant. Ou encore, le développement économique s’accom-pagne potentiellement de pressions sur les ressources naturelles ou de croissance de la consommation d’énergie et des émissions de GES. Ces conflits d’ob-jectifs sont nombreux et rendent la mesure du déve-loppement durable particulièrement délicate.Une des insuffisances patentes des modes de gouver-nance actuels tient à l’organisation souvent secto-rielle des mécanismes de prise de décision, alors même que ce qui compte est l’interaction entre les actions par secteur (eau, énergie, agriculture, équipe-ment…). Les approches sont sectorielles, les minis-tères souvent sectoriels, les institutions multilatérales ont des mandats étroitement définis. Cette caractéris-tique relève certes d’un souci d’efficacité de l’action, mais une telle organisation rencontre vite ses limites. À l’intérieur d’un pays, les processus interministé-riels et la coordination gouvernementale au sommet permettent de gérer, de façon inégale, les enjeux trans-versaux. En matière de développement durable, des innovations organisationnelles importantes ont vu le jour, consistant à «  internaliser » les externalités au sein de ministères intégrant différentes dimensions. Par exemple, en France, la création du ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (Meeddat) illustre ce souci. La même démarche est perceptible au sein de certaines entreprises ou organisations. Par exemple, la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds comme l’Agence française de développement (AFD) ont regroupé au sein d’une même unité les projets

d’infrastructure et la protection de l’environnement. En revanche, au niveau mondial, une telle coordi-nation est difficile à mettre en place. Elle suppose non seulement que l’architecture institutionnelle soit rationalisée, mais aussi que les relations transversales entre différentes institutions aux mandats précis soient mieux organisées13. De même qu’il n’est pas de cadre conceptuel incon-testable du développement durable, il n’existe pas non plus de dimension territoriale exclusivement pertinente pour la gestion des ressources. Pour-tant, certains niveaux de gestion se détachent pour certaines ressources. Ainsi, conçoit-on assez facile-ment qu’une ressource en eau soit gérée au niveau de son bassin versant : le territoire est alors facilement identifiable, que ses frontières correspondent ou non aux frontières politiques existantes. Il en est de même de ressources dont il est aisé de donner une portée territoriale, comme les « bassins forestiers ». Mais le monde n’est pas ainsi fait que chaque terri-toire corresponde à l’emprise spatiale d’une ressource ou à l’aire de compétence d’un acteur : les bassins versants ou forestiers définis sur des critères géogra-phiques ou scientifiques et techniques n’épousent pas les limites des espaces politiques. La grande diffi-culté réside alors dans la définition de cadres terri-toriaux pour l’action : les flux de marchandises du commerce international, les flux de personnes, l’hé-térogénéité des éléments inclus sur les territoires créent de fait un brouillage des frontières territo-riales et politiques. Le cas de l’Europe, la région du monde où le plus d’efforts ont été faits pour mettre en place une gestion commune des problèmes envi-ronnementaux, est à cet égard révélateur. Autant le cadre territorial de l’Europe s’est révélé inapproprié pour traiter d’un problème comme la pollution de la Méditerranée – et c’est l’un des défis du projet d’Union pour la Méditerranée –, autant il a offert une

13. Pour une analyse des problématiques de la gouvernance mondiale, voir JACQUET (P.), PISANI-FERRY (J.) et TUBIANA (L.), Gouvernance mondiale, rapport du Conseil d’analyse économique, 37, Paris, La Docu-mentation française, 2002.

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plateforme appropriée pour la prise en compte de l’interdépendance comme on l’a vu en 2008 avec la mise en place d’une politique commune de l’énergie et du climat.

L’EXEMPLE PERTINENT DE L’EUROPEL’Union européenne peut s’interpréter comme un laboratoire de gestion de l’interdépendance interna-tionale et de prise en compte des enjeux du dévelop-pement durable. On critique souvent les politiques de l’Union en montrant du doigt leur incohérence : par exemple, la politique agricole commune et la politique de pêche sont jugées incohérentes avec les engagements environnementaux ou la politique d’aide au développement. Cette critique s’avère d’ailleurs profondément utile puisqu’elle amène à la réévaluation des politiques, apportant notamment dans le domaine de l’environnement des progrès incontestables.Mais, pour imparfaite qu’elle soit, l’organisation de l’UE n’est pas aussi inadaptée qu’on le dit à la gestion de la complexité. En particulier, le rôle de la Commission par rapport aux États membres permet à la fois de faire apparaître les incohérences, de les transformer en tensions, et de contribuer de ce fait à leur prise en compte dans les processus politiques de décision. La décision, prise par le Conseil euro-péen d’octobre 2006, de demander au président de la Commission de présenter tous les deux ans un rapport sur l’état d’avancement de la cohérence des politiques, et à chaque présidence de proposer une actualisation de l’avancement de cette cohérence dans des domaines choisis au regard de l’agenda européen et international, paraît ainsi particulière-ment utile et constructive14.

14. Pour une discussion de la politique européenne de développement durable, voir par exemple BELLOT (J. M.), JACQUET (P.) et LOYER (D.), « Le développement durable dans la politique de coopération européenne », dans JACQUET (P.), TUBIANA (L.), KIEKEN (H.) et al., L’Europe et le déve-loppement durable, Paris, Culturesfrance, coll. « Penser l’Europe », 2008 ; GUERIN (E.) et TUBIANA (L.), « L’Europe au secours de la Planète  », dans GNESOTTO (N.) et ROCARD (M.) (dir.), Notre Europe, Paris, Robert Laffont, 2008.

Un exemple d’actualité permet d’illustrer la progres-sion de cette prise de conscience mais aussi les contradictions et les conflits d’intérêt à l’œuvre. Le paquet européen sur l’énergie et le climat adopté le 13 décembre 2008 est une démonstration de la négociation permanente que demande le développe-ment durable. En 2007, l’Union européenne a formé le projet d’une politique énergétique et climatique très ambitieuse intégrant les perspectives de long terme fondées sur les nouvelles conclusions scien-tifiques. L’alchimie particulière de l’Europe fait que ce projet ambitieux s’éla-bore en pleine période de démobilisation politique  : échec de la réforme institu-tionnelle, grogne montante parmi les États membres sur les contraintes environ-nementales qui font courir à la politique environnementale européenne un risque de renationalisation. Le Conseil européen, sous prési-dence allemande, a donc annoncé que l’UE s’en-gageait à réduire ses émissions de CO2 de 20  % en 2020 par rapport à 1990, et qu’elle s’engagerait à les réduire de 30 % si un accord international satis-faisant était signé pour la période post-2012. Pour parvenir à cet objectif, la Commission a proposé un « paquet  énergie-climat » structuré autour de trois sous-objectifs : augmenter de 20 % l’efficacité éner-gétique, atteindre une proportion de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale, atteindre une proportion de 10 % de biocar-burants dans la consommation des véhicules. Cette politique signifie une vraie rupture. Le contexte énergétique très particulier des décennies 1980 et 1990, caractérisé par l’abondance d’une énergie à bas prix, a conduit l’UE à faire de la privatisation et de la libéralisation du secteur énergétique l’axe prin-cipal, sinon unique, de sa politique énergétique. Le contexte actuel place au contraire l’indépendance énergétique et la réduction des émissions de GES au premier rang des objectifs. La libéralisation, si elle a légèrement baissé les prix de l’énergie, a aussi

Le « paquet énergie-climat » adopté par l’UE prévoit une réduction de ses émissions de CO2 de 20 % en 2020 par rapport à 1990

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augmenté la part du gaz dans le bilan énergétique européen15, construisant ainsi notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, alors que cette dernière ne s’est pas avérée être un partenaire parti-culièrement fiable. Dans ce contexte, l’élaboration d’une stratégie pour réduire de 20 % les émissions de GES d’ici 2020 peut servir de déclencheur à la mise en œuvre d’une politique européenne de l’énergie, tournant autour des besoins d’investissement néces-saires pour faire face au double enjeu de sécurité énergétique et de réduction des émissions.Au-delà de la lutte contre le changement climatique, le « paquet énergie-climat » améliore la sécurité éner-gétique de l’UE et limite sa dépendance : il devrait permettre d’économiser 50 milliards d’euros d’impor-tation de pétrole et de gaz en 2020 (scénario établi sur la base d’un baril de pétrole à 61 dollars), et donc de protéger l’économie européenne contre l’insta-bilité du prix du pétrole et de promouvoir le déve-

loppement des industries du futur, à travers la créa-tion d’1  million d’emplois dans les énergies renouve-lables d’ici 2020 – le secteur des énergies renouvelables étant à forte densité de main-d’œuvre.

Le « paquet énergie-climat » adopté par les chefs d’État le 13 décembre a été le résultat d’un difficile compromis entre États membres, une bonne illustra-tion de la tension intrinsèque aux processus de déve-loppement durable. Le paquet adopté a finalement consenti des concessions importantes aux secteurs industriels qui consomment beaucoup d’énergie – ciment, acier, chimie – ; ceux-ci recevront des droits d’émissions gratuits jusqu’en 2020. Compromis après compromis, il est devenu beaucoup moins ambitieux que la proposition initiale de la Commission et il a

15. Les coûts d’investissement d’une centrale électrique à gaz sont beaucoup plus faibles que ceux d’une centrale hydraulique, à charbon ou nucléaire, ce qui facilite les entrées de nouveaux acteurs. Les gaziers ont donc direc-tement profité de la libéralisation.

été vivement critiqué par les groupes écologistes. Au passage, il aura démontré la mobilisation du Parle-ment européen, plus en avance sur ces sujets que les gouvernements. Mais, malgré ses imperfections, ce «  paquet énergie-climat  » a relancé une dyna-mique européenne sur deux des enjeux essentiels du  xxie  siècle, l’énergie et le climat  ; il a amorcé la mise en place d’une politique de l’énergie et a contribué à maintenir le leadership de l’Union euro-péenne sur l’agenda de la lutte contre le réchauffe-ment climatique, enjeu majeur de la gouvernance mondiale dans les décennies à venir.La dynamique européenne tant interne qu’interna-tionale dans le champ de l’environnement est remar-quable : elle contraste par bien des aspects avec les blocages fréquents dans d’autres domaines. L’Europe a réussi à créer, malgré les divergences internes, un mouvement collectif autour de l’idée de transforma-tion du modèle de développement. Au plan interna-tional, l’Europe confirme que son pouvoir d’influence de soft power est réel puisqu’elle a réussi à imposer l’agenda climatique dans un contexte apparemment défavorable. Son rôle a d’ailleurs été reconnu notam-ment par le négociateur chinois Su Wei, au sortir de la 14e conférence de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui a souligné qu’il était « important que l’Europe continue à faire preuve de leadership sur le climat16 ».

VERS UN GREEN NEW DEAL ?Par définition, un développement non « durable » ne durera pas. Toute la question est de savoir si les poli-tiques publiques doivent prendre en charge l’ajus-tement nécessaire ex ante ou si on laisse la crise, fondement même du fonctionnement des systèmes capitalistes, provoquer cet ajustement. À l’appui de la seconde option, on peut avancer que personne ne connaît la date ni la nature exacte des ajuste-ments nécessaires, et que toute politique publique provoquant l’ajustement risque ainsi d’être trop coûteuse, voire inadaptée. Mais deux arguments

16. AFP, 14 décembre 2008.

L’Europe a réussi à créer, malgré les divergences

internes, un mouvement collectif autour de l’idée

de transformation du modèle de développement

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forts viennent à l’appui du volontarisme politique : d’une part, l’absence d’ajustement peut entraîner des évolutions irréversibles des conditions de vie17 ; d’autre part, l’ajustement provoqué par les marchés ou par la nature sous forme de crise est brutal ; il entraîne des effets de répartition, conduisant à un accroissement des inégalités spatiales et tempo-relles souvent incompatibles avec l’impératif social et éthique des sociétés.

La crise peut-elle être salutaire pour le dévelop-pement durable ? La crise financière donne une occasion unique de mobiliser le volontarisme poli-tique au profit non seulement de l’action contracy-clique de court terme mais aussi de l’élaboration de politiques publiques à plus long terme, notam-ment en matière de lutte contre les changements climatiques. Il est en effet possible de structurer les nombreux plans de relance, qui ont été et conti-nuent d’être mis sur la table, en prenant en compte les enjeux de long terme. Après une première vague de réponses immédiates à la crise financière sous forme de plans de sauvetage des banques (grâce aux rachats de « créances pourries » et aux reca-pitalisations), les gouvernements ont dû réagir aux implications pour l’économie réelle, alors que la plupart des économies se préparaient à entrer en récession. Ces plans actuels de relance pourraient permettre de poser les fondations de l’économie de demain. Ils ont un double objectif  : avoir des impacts de court terme, notamment sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat, et promouvoir une crois-sance de long terme. Ils s’appuient donc sur une combinaison de politiques de la demande et de l’offre. Mais selon les orientations adoptées, ces plans soutiendront des changements de trajectoires de développement, ou au contraire prolongeront les tendances passées, non durables. Une analyse des premières mesures envisagées fin  2008 par

17. C’est l’un des arguments développés, par exemple, par Roger Guesnerie, Kyoto et l’économie de l’effet de serre, rapport du Conseil d’analyse écono-mique, 39, Paris, La Documentation française, 2002.

les gouvernements chinois, américain et français éclaire cette problématique.La position des États-Unis sur le développement durable a considérablement évolué. Non seulement le président sortant a modifié son discours, mais son remplaçant situe la question environnementale au centre de ses préoccupations. Ces perspectives fédérales s’accompagnent de mesures énergiques au niveau des États (lire repère 12). La Californie18 a déposé une plainte en janvier 2008 contre le gouver-nement des États-Unis pour avoir empêché l’appli-cation de sa loi de réduc-tion des émissions de GES par les automobiles19 (via le refus de la dérogation néces-saire à la mise en place de ces normes plus restric-tives)  ; en décembre 2008, elle a adopté un plan global de lutte contre le change-ment climatique, compre-nant la mise en place d’un marché du carbone. Dans un autre registre, celui de la transparence, vingt et une villes (dont New York, Las Vegas, La Nouvelle-Orléans, Denver et Portland) s’engagent à mesurer et à rendre publiques les émissions de GES de leurs services. Après une analyse comparée, deux ONG feront des propositions pour les réduire. Ces deux exemples montrent l’imbrication de tous les acteurs de la vie économique et politique et la nécessité de les inclure pour agir en matière de développement durable. Enfin les réunions du G20 sont un signe encourageant montrant une volonté d’agir pour un avenir commun. La rencontre de mars  2008 avait pour objet la recherche d’un accord sur le climat après Kyoto, et celle de novembre, la coordi-nation des politiques économiques à l’occasion de la crise financière.

18. État qui compte 6 des 10 plus grandes villes du pays.

19. Loi votée en 2002 imposant aux constructeurs automobiles de réduire de 30 % les émissions polluantes des véhicules entre 2009 et 2016.

La crise financière donne une occasion unique de mobiliser le volontarisme politique au profit de l’élaboration de politiques publiques à plus long terme, notamment en matière de lutte contre les changements climatiques

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Financer par la relance un avenir durable. La quasi-totalité des plans de relance annoncés fin  2008 prévoient notamment la construction massive de nouvelles infrastructures, qui permettent à la fois de soutenir l’emploi et la croissance de long terme. Un quart du paquet chinois20 (qui a été adopté) de 586  milliards de dollars est dédié à la construc-tion d’infrastructures de transport. Le plan améri-cain21 (qui n’était pas encore adopté fin 2008) d’en-viron 700 milliards de dollars prévoit de son côté la création d’une banque nationale d’investissement

dans les infrastructures, qui recevra 60 milliards de dollars pendant dix ans, et financera la construction d’infrastructures de trans-port. Le plan français22 (qui a été adopté) de 26 milliards d’euros consacre, quant à lui, 4 milliards d’euros aux grandes entreprises publi-ques pour moderniser

leurs réseaux dans le secteur ferroviaire, énergé-tique et postal, 1,45 milliard d’euros pour soutenir la construction, et 800  millions d’euros pour la construction de trois nouvelles autoroutes. Les infrastructures dont la durée de vie est très longue déterminent le profil des émissions de GES pendant plusieurs décennies. Parmi celles-ci, les infra structures énergétiques ont un rôle particu-lier à jouer. Non seulement elles seront détermi-nantes pour les émissions de GES, mais le finance-ment des investissements nécessaires pour assurer la transition d’un modèle énergétique fossile vers un système énergétique « sobre en carbone » est certainement un bon canal pour stimuler efficace-ment l’économie à long terme. Ainsi, dans le scénario de référence de l’AIE les besoins d’investissement du secteur énergétique

20. Voir le site internet : www.wri.org

21. Voir le site internet : www.barackobama.com

22. Voir le site internet : www.premier-ministre.gouv.fr

sont estimés à 26 000 milliards de dollars (soit plus de 1 000 milliards par an) d’ici à 2030. La néces-sité d’investir massivement dans le secteur énergé-tique est accrue par l’intégration de la contrainte environnementale  : l’AIE considère en effet que le scénario de référence n’est pas soutenable, puisqu’il conduit à une augmentation des émissions de CO2 « énergétiques  » de 46 % en 2030. Pour atteindre une concentration de GES dans l’atmos-phère de 450 ppm (parties par million) en 2050, il faudra 3 600 milliards de dollars d’investissements supplémentaires dans les centrales électriques et 5  700  milliards de dollars dans l’efficacité éner-gétique d’ici à 203023. Bien orientés, les différents plans de relance pourraient apporter une première contribution à un effort d’investissement qui devra, au demeurant, se prolonger bien au-delà de cette relance.À l’instar des investissements énergétiques, ces plans de relance donnent l’occasion d’orienter l’économie vers une trajectoire soutenable. Mais ils présentent dans le même temps le risque de main-tenir, voire de renforcer, un cap qui ne respectera pas les contraintes environnementales futures. Si la relance économique devait se fonder sur celle du secteur automobile, des infrastructures routières et d’un immobilier émietté sur le territoire, tout serait réuni pour une nouvelle accélération des émissions de gaz à effet de serre. Le plan chinois prévoit 50 milliards de dollars pour l’ef-ficacité énergétique et l’environnement, 85 milliards pour le transport ferroviaire, et 70 milliards pour la rénovation et l’extension du réseau électrique. Le plan américain prévoit d’investir 150  milliards de dollars dans les dix prochaines années pour faire progresser la R&D et la commercialisation des voitures électriques, des énergies renouvelables, des centrales à charbon ultra-supercritiques, et pour rénover et étendre le réseau électrique, notam-ment pour permettre la connexion avec les énergies

23. Agence internationale de l’énergie, World Energy Outlook 2007, Paris, 2007.

Si la relance économique devait se fonder sur celle

du secteur automobile, des infrastructures routières

et d’un immobilier émietté sur le territoire, tout serait

réuni pour une nouvelle accélération des émissions

de gaz à effet de serre

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renouvelables. Ces mesures prennent clairement le chemin d’une économie plus verte, mais leur péren-nisation et leur cohérence avec le reste du plan de relance restent les clés de leur durabilité.Les besoins de soutenir la croissance de long terme ne peuvent ignorer les nécessités de la relance de court terme ni les contraintes politi-ques qui y sont associées. Relance de l’activité à court terme et objectifs de développement durable ne sont pas nécessairement contradictoires, même si les « emplois verts » sont souvent portés par de nouvelles branches d’activités pas toujours créa-trices d’emplois immédiats (délais d’investisse-ment, de formation, etc.). Les plans de relance verte permettent aussi de créer des emplois à court terme, notamment en raison des besoins de main-d’œuvre pour améliorer l’efficacité énergétique et développer les énergies renouvelables24. Mais ce potentiel ne doit pas être surévalué. La principale vertu des plans de relance verte reste de restruc-turer les économies qui les mettent en œuvre, en créant des emplois dans des secteurs d’avenir.Le secteur immobilier, particulièrement touché par la crise, présente lui aussi de réelles possibilités. L’isolation thermique des bâtiments existants est sans doute une priorité. Des mesures, très mobili-satrices de main-d’œuvre, peuvent être rapidement mises en place car dans la plupart des économies les compétences humaines ne manquent pas. De telles mesures permettraient de diminuer immé-diatement et significativement la facture d’électri-cité des bâtiments résidentiels et commerciaux. Les besoins d’investissement initiaux sont parfois importants : ils seraient encouragés par la prise en charge par les gouvernements de tout ou partie

24. Une étude conjointe du Center for American Progress et du Political Economy Research Institute, (POLLIN (R.), GARRETT-PELTIER (H.), HEINTZ (J.) et SCHARBER (H.), « Green Recovery : A Program to Create Good Jobs and Start Building a Low-Carbon Economy », 2008) estime par exemple que 100 milliards de dollars investis dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables créeraient 2 millions de nouveaux emplois, alors que la même somme investie dans les formes d’énergie traditionnelle n’en créerait que 540 000. Voir le site internet : www.americanprogress.org

de ce coût supplémentaire de court terme grâce à des prêts bonifiés. Pour amorcer la pompe, les gouvernements pourraient commencer par appli-quer ces mesures dans les bâtiments publics. Le calcul d’investissement devra intégrer les écono-mies qui seront réalisées (par rapport à un scénario alternatif) : ces mesures devraient en effet « payer pour elles-mêmes » dans le futur. Le Green New Deal n’est pas la seule réponse pour sortir de la crise mondiale mais c’est sans doute la réponse la plus durable à lui apporter. On voit d’ailleurs à la lecture des premiers plans de relance qui sont proposés par les gouvernements qu’elle n’est pas la plus évidente : la relance « verte » n’est pas, loin s’en faut, la solution dominante, et les recettes habituelles et souvent avancées, relance du secteur automobile, des infrastructures, du bâtiment n’ont rien d’intrinsèque-ment « vert ». La question importante est que l’effort de relance est avant tout un effort budgétaire combiné à une relance du crédit à l’économie ; cet effort excep-tionnel suscite deux réflexions. La première est que l’on ne pourra consentir à cet effort plusieurs fois. Les marges de manœuvre des États sont faibles ou très faibles selon les situations, et pour certains les niveaux d’endettement sont très élevés. Aussi est un effort qui ne pourra pas être faci-lement reproduit dans l’avenir. La deuxième réflexion est que le Green New Deal suppose d’une part des investissements publics importants et des aides publi-ques dans tous les domaines – énergie, infrastruc-ture, urbanisme, transports, réseaux – qui mettront les pays sur ce sentier de croissance faible en carbone, d’autre part la mobilisation d’actions et de finance-ments du secteur privé. Cela suppose un cadre de régulation publique qui crée les bonnes incitations économiques et supprime les mauvaises, et un cadre réglementaire qui fixe clairement les obligations. Il doit par ailleurs s’agir d’un effort soutenu dans la durée  : le New Deal avait été interrompu prématurément par Franklin D. Roosevelt et la relance

Le Green New Deal n’est pas la seule réponse pour sortir de la crise mondiale mais c’est sans doute la réponse la plus durable à lui apporter

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économique américaine n’a été sauvée que par la guerre. Il s’agit aussi dans la mesure du possible d’un effort coordonné au niveau international pour des raisons évidentes d’efficacité et de crédibilité. Comme le souligne l’économiste Nicholas Stern dans un récent article du Guardian25, « nous pouvons tirer deux leçons de la crise financière qui touche le monde aujourd’hui : tout d’abord cette crise est en gestation depuis plus de vingt ans et montre clairement que plus les risques sont ignorés plus les conséquences sont importantes ; deuxièmement, nous allons être confrontés à une période de récession dans les pays riches et à une faible croissance au niveau global. Il nous faut aujourd’hui tirer les leçons de cette situa-tion et saisir l’opportunité que représente la coïn-cidence entre cette crise et la prise de conscience croissante du danger d’un changement climatique incontrôlé  : le temps est donc arrivé de poser les premières pierres d’un monde décarboné ».

QUEL DÉVELOPPEMENT DURABLE À L’ÈRE DE LA MONDIALISATION ?

Les réflexions en cours sur le contenu des relances économiques soulèvent la question de

l’autonomie des politiques économiques dans une économie globalisée. Les gouvernements peuvent-ils développer des politiques industrielles, d’innovation, d’aménagements dans une économie mondiale où les pays sont en compétition

pour attirer les investissements, usant souvent de la concurrence fiscale  ? Comme nous l’avons déjà signalé plus haut, l’alignement des politiques de libéralisation des marchés a accru les potentiels de croissance mais aussi rendu les politiques à long terme plus difficiles.

25. STERN (N.), « Green Routes to Growth. Recession Is the Time to Build A Low-Carbon Future with the Investment Vital for Economy and Planet », The Guardian, 23 octobre 2008 [trad. des auteurs].

L’une des solutions pour dépasser ces contradic-tions est le renforcement de l’action collective inter-nationale qui aligne les incitations pour les acteurs économiques. C’est finalement tout l’objet des négo-ciations sur le changement climatique. La réorienta-tion des économies vers des économies sobres en carbone nécessite une action coordonnée et globale, non seulement pour que la lutte contre le change-ment climatique soit efficace mais aussi plus trivia-lement, pour qu’elle soit possible. Le défi essentiel reste donc celui des conditions d’une action collec-tive internationale. Les déboires du cycle de négo-ciations commerciales multilatérales dit « de Doha » montrent combien ces conditions sont difficiles à réunir en dépit des enjeux. Indépendamment de la dimension commerciale, ce cycle fait au demeurant figure de symbole de la capacité des pays industria-lisés et des pays en développement à définir une base commune pour prendre en main de façon conjointe l’évolution de la gouvernance mondiale26.Depuis la conférence de Bali en 2007 et la reprise de négociations sérieuses, l’enjeu est d’impliquer les grands pays émetteurs qui sont restés en dehors du système d’obligations de Kyoto. La difficulté la plus grande pour arriver à conclure un accord significatif en décembre 2009 à Copenhague est de sortir d’une logique de négociation dominée par les problèmes de répartition des coûts. Cette logique enferme les principaux pays émetteurs dans une attitude défen-sive craignant les problèmes de compétitivité liés aux contraintes sur les émissions nationales de carbone (lire zooms p. 43 et p. 47). C’est tout l’enjeu de l’en-gagement américain conditionné pour une grande partie par celui de la Chine et des difficultés de la Chine à s’orienter, sans aide internationale, dans une transition énergétique.Il s’agit bien d’un « dilemme du prisonnier » dont le dépassement est une condition de la réussite des poli-tiques de lutte contre le changement climatique (lire

26. La réunion du G20 en novembre 2008 a formellement pris l’engage-ment d’aboutir à une conclusion des négociations du cycle de Doha avant la fin 2008. Cette nouvelle date limite n’a cependant pu être respectée.

Changer de logique implique que les

pays industrialisés et émergents perçoivent des gains mutuels en opérant

conjointement cette transition énergétique

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chapitre 2). On a vu les tensions autour de la négo-ciation du « paquet énergie-climat » européen et son affaiblissement progressif devant les craintes réelles ou amplifiées des industriels européens. Changer de logique implique que les pays industrialisés et émer-gents perçoivent des gains mutuels en opérant conjoin-tement cette transition énergétique. Les résultats de la conférence de Poznan de décembre 2008 confirment que ce changement ne se produira pas facilement, mais des évolutions positives sont à noter.Tout d’abord, les signaux envoyés par le nouveau président des États-Unis ont clairement annoncé le réengagement américain (lire zoom p. 69). Plusieurs pays émergents ont fait des propositions d’engage-ments mesurables sur la base de politiques nationales de réduction d’émissions de carbone qui pourraient être renforcées par le financement international et la coopération technologique. Plus globalement, tous les grands pays émetteurs ont mis sur la table, ou le feront avant Copenhague, des plans nationaux de réduction des émissions. Plusieurs pays dont le Mexique et la Norvège ont proposé des mécanismes collectifs de financement de la transition énergé-tique dépassant les traditionnels clivages Nord-Sud. Les négociations sur les instruments de financement de la conservation des forêts, importantes pour leur rôle de stockage du carbone et pour certains pays africains, ont beaucoup avancé et feront partie du paquet final de Copenhague.Des questions centrales restent en suspens, notam-ment celle de l’équité du système, tant du point de vue de l’allocation des droits d’émissions que du point de vue de la répartition des efforts notamment financiers. Là encore les pays émergents proposent des visions différentes, difficiles à accepter par les pays industria-lisés mais qui poussent à un rééquilibrage indispen-sable des droits et des obligations internationales.Comme dans le cas des négociations commer-ciales, l’enjeu des négociations du climat porte sur des politiques nationales au cœur du système écono-

mique. Cette négociation « intérieure » bute sur des problèmes de souveraineté, difficiles, mais qui doivent être surmontés. La « comparabilité » des efforts est la condition nécessaire de la coopération. Il faudra trouver les formes de gouvernance qui s’ajustent à la spécificité des choix nationaux mais qui assurent une certaine convergence entre les politiques. Enfin la gouvernance du climat est aussi une gouver-nance profondément hybride. Aux acteurs étatiques, elle associe les acteurs économiques privés, les orga-nisations non gouvernementales et les collectivités locales. Si les entreprises ont tenté de s’exonérer des contraintes de politiques publiques en propo-sant des formes d’accords « privés » internationaux autour de secteurs économiques (lire zoom p. 43), elles y ont finalement renoncé et souhaitent trouver des modalités d’association avec les gouvernements et les institutions internationales pour participer aux mécanismes d’investissement. De même, les collec-tivités locales très actives dans la mise en œuvre sur le terrain des politiques du climat cherchent à s’in-tégrer dans les processus politiques internationaux ; elles l’ont fait à Poznan en publiant une déclaration conjointe associant tous les réseaux des villes actives dans le domaine du climat.La négociation autour de la lutte contre le change-ment climatique dépasse largement la responsabilité des ministres de l’Environnement. Il s’agit bien de développement durable  : limiter le réchauffement climatique implique des choix globaux arbitrés au plus haut niveau de l’État. C’est ce qu’a conclu Al Gore en s’adressant aux délégués de Poznan  : il faudra que les chefs d’État se réunissent plusieurs fois avant Copenhague, car le développement durable est devenu une question politique. Il a ainsi rappelé la fonction et le sens de la politique devant les choix vitaux à opérer en reprenant le mot de ralliement de la campagne de Barack Obama, malgré le scepti-cisme et les difficultés : « Yes we can ! ».

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L’ANNÉE DU DÉVELOPPEMENT DURABLEDES POLITIQUES PUBLIQUES POUR CONSTRUIRE UN AVENIR DURABLE 1

2008LES FAITSMARQUANTS

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JANVIER

STATE OF CALIFORNIA VERSUS GOVERNMENT OF THE UNITED STATES 2 JANVIER La Californie dépose une plainte contre le gou-vernement des États-Unis pour avoir empêché l’application de sa loi de réduction des émissions de gaz à effet de serre par les automobiles. La Californie avait voté en 2002 une loi imposant aux constructeurs automobiles de réduire les émissions polluantes des véhicules de 30 % entre 2009 et  2016. Mais, en décembre  2007, l’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA) a refusé de lui accorder la dérogation nécessaire à la mise en place de ces normes plus restrictives (lire repère 13).

LES FAITSMARQUANTS1

MEXIQUE : UNE AGRICULTURE SANS PROTECTION 1er>4 JANVIER L’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), qui concerne le Canada, les États-Unis et le Mexique, entre pleinement en vigueur et fait dis-paraître les dernières barrières douanières agricoles mexicaines sur le maïs, les haricots, le sucre et le lait. Cette dernière étape provoque la colère des organi-sations paysannes qui manifes-tent pour rappeler que le maïs et le haricot sont la base de l’ali-mentation nationale et les deux principales productions de mil-lions d’agriculteurs. Selon eux, la concurrence du maïs amé-ricain fragiliserait l’agriculture paysanne et renforcerait l’émi-gration.

CHINE : POLLUTION OLYMPIQUE 1er JANVIER Pékin impose des normes plus élevées sur les car-burants pour lutter contre la pollution de la capitale avant les Jeux olympiques d’août. Les nouvelles normes, très proches des européennes, devraient permettre de réduire les émis-sions de dioxyde de soufre de 1 840  tonnes chaque année et de lutter ainsi contre les pluies acides. La ville a déjà étendu son réseau de métro et abaissé le prix des transports en com-mun. Néanmoins, chaque jour 1 000  nouvelles voitures y sont mises en circulation.

ALLEMAGNE : LA CHASSE AUX POLLUEURS URBAINS 2 JANVIER Les voitures émettant trop de particules fines – 1,7 mil-lion de véhicules, principalement des anciens diesels – sont inter-dites de circulation dans le cen-tre ville de Berlin, Cologne et Hanovre. La mesure devrait

être étendue courant 2008 à une vingtaine de villes du pays, dont Stuttgart et Munich.

UN CARBONE DE SAISON 3 JANVIER La revue Nature publie une étude de chercheurs français sur l’absorption du carbone par les forêts, réputées capables de capter près de la moitié du car-bone atmosphérique grâce à la photosynthèse. Sous l’effet du réchauffement, la décomposition organique dans les forêts de l’hé-misphère nord commencerait maintenant plus tôt dans l’année, avant la perte du feuillage. Les forêts émettraient ainsi du CO2 dès l’automne, annulant ainsi une partie du stockage naturel du carbone.

UN COUP DE POUCE AUX TOILETTES 3 JANVIER Les Nations unies lan-cent l’année de l’assainissement, destinée à sensibiliser l’opinion et à répondre aux besoins des 2,6  milliards de personnes qui n’ont pas accès à des sanitaires. Améliorer l’accès à cet équipe-ment de base constitue en effet une action en faveur de la santé humaine et de la protection de l’environnement. Diviser par deux le nombre de personnes sans équipement d’assainisse-ment est aussi l’un des objectifs du Millénaire pour le développe-ment que la communauté inter-nationale s’est engagée à attein-dre d’ici 2015.

LES MORTS DU RÉCHAUFFEMENT 3 JANVIER Une équipe de l’Uni-versité de Stanford (États-Unis) publie une étude sur les effets sanitaires du réchauffement cli-matique. Pour un degré Cel-sius d’augmentation des tem-pératures liée aux émissions de carbone, la pollution atmos-

phérique serait directement res-ponsable de 20 000 décès par an dans le monde. Les États-Unis devraient enregistrer à eux seuls 1 000  morts supplémentaires chaque année. La Californie, qui compte six des dix plus grandes villes américaines, serait parti-culièrement touchée : 30 % des décès supplémentaires améri-cains liés au climat seraient cali-forniens.

NIGERIA : L’HEURE DU PÉTROLE PROPRE 7 JANVIER Le Nigeria s’engage à tenter d’éliminer totalement le brûlage des gaz à la sortie des torchères (ou torchage) des puits de pétrole d’ici fin  2008. La production pétrolière nigé-riane s’accompagne du tor-chage de 24 milliards de m3 de gaz naturel chaque année, soit un tiers de la consommation annuelle de gaz de l’Union euro-péenne. Selon la Banque mon-diale, le Nigeria représente 36 % des gaz torchés à l’échelle mon-diale, constituant à lui seul une cause importante de réchauffe-ment climatique. Cette pratique est responsable dans le monde de l’émission de 400  millions de tonnes de CO2 dans l’atmos-phère – soit autant que tous les projets de réduction d’émissions soumis dans le cadre du proto-cole de Kyoto.

ET LA CHINE ARRÊTA LE SAC PLASTIQUE 9 JANVIER Le gouvernement chinois interdit la distribu-tion de sacs plastiques gratuits dans les magasins ainsi que la production de sacs en plasti-que ultra-fins. En l’absence de structures efficaces de recy-clage, les sacs plastiques sont considérés comme un gâchis de ressources et d’énergie. Ces mesures, qui entreront en vigueur le 1er juin 2008, s’inscri-vent dans un plan chinois d’ac-tion globale contre la pollution et la dégradation de l’environ-nement. Le 10 janvier, l’Austra-lie annonce vouloir prendre une mesure similaire.

QUAND LA DURABILITÉ S’IMPOSE À L’ÉCONOMIE 9 JANVIER Le World Watch Ins-titute publie son rapport annuel sur l’état du monde, selon lequel le système économique mon-dial reste le principal responsa-ble de la dégradation de l’envi-ronnement en ne reconnaissant pas la valeur de la nature. Le rap-port souligne par ailleurs l’émer-gence de nouvelles tendances économiques positives. En 2006, plus de 100 milliards de dollars ont été investis dans l’économie verte. Les énergies renouvelables ont attiré 52 milliards de dollars

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JANVIER

En quoi, l’année polaire internationale, ouverte en mars 2007, est importante

pour la recherche ? Il s’agit de la quatrième année polaire inter-nationale. La précédente, en 1957, a permis l’implantation de structures pérennes en Antarctique et constitué le point de départ de l’utilisation de ce continent à des fins scienti-fiques. L’étude des changements climatiques et de l’évolution de la biodiversité, phéno-mènes dont la connaissance est capitale, a été engagée.

L’année polaire internationale actuelle a été initiée par l’ensemble des organismes de recherche en milieu polaire, dont l’institut que je dirige. Un travail préparatoire de longue haleine, débuté en 2003, a été nécessaire pour engager des études qui s’étalent de mars  2007 à mars  2009 –  une «  année  » de vingt-quatre mois ! L’un des principaux objec-tifs est de donner un coup de projecteur sur l’ensemble des recherches en milieu polaire. C’est aussi l’occasion d’insufler un nouvel élan à la collaboration internationale et à la recherche pour qu’elle réponde aux attentes sociétales : mieux comprendre l’évolution du climat, de l’épaisseur de la couche d’ozone ou de la biodiversité. Nous voulons enfin démon-trer l’importance, à l’échelle de la planète, des zones polaires nord et sud, afin de leur faire perdre leurs réputations de terres loin-taines. En un sens, l’Europe est la banlieue des régions polaires.

À qui s’adresse ce message ?Le message vise d’abord les scientifi-ques, afin qu’ils renforcent leur coopéra-

tion internationale. Plus d’un millier de projets ont répondu à l’appel d’offre sous l’égide de l’Organisation mondiale de la météo et du Conseil international pour la science, réunissant toutes les acadé-mies des sciences. Les propositions ont été réorganisées par régions et par disci-plines autour de 100  grands programmes qui mobilisent 60 000 chercheurs dans une soixantaine de pays. L’intérêt est de mettre en commun la logistique, l’expertise et des

ressources technologiques résis-tant aux températures extrêmes. La France, participant à un quart des projets, est particulièrement active.

Le message est aussi éducatif. Chaque programme présente une composante pédagogique et doit diffuser de l’information scienti-fique à destination des écoles, des lycées et des universités.

Nous nous adressons également au grand public pour expliquer les travaux menés. Les grands musées parisiens ont par exemple organisé des expositions thématiques sur la recherche en milieu polaire.

Notre message a enfin une dimen-sion politique  : en France, l’ouverture de l’année polaire internationale a été lancée au Sénat, qui accueillera aussi la cérémonie de clôture. De nombreuses notes sont diffu-sées ; des conférences, des auditions, voire des visites de terrain sont organisées afin de faire participer l’ensemble des citoyens de la Terre. Ainsi, nous contribuons à faire comprendre que la planète n’est qu’une seule entité et que les zones polaires sont l’un des moteurs de l’évolution du climat ou de la biodiversité. n

d’investissements (soit 33  % de plus qu’en 2005) et 66 milliards de dollars en 2007. La protection de l’environnement –  réduction des déchets, retraitement, réduc-tion des émissions de gaz à effet de serre  – entre par ailleurs de plus en plus dans les stratégies des entreprises qui commencent à ressentir directement les coûts de l’inaction.

QUE FAIT VOTRE BANQUE POUR LE CLIMAT ? 10 JANVIER Le Ceres Investor Coalition publie le premier clas-sement des plus grandes ban-ques mondiales en fonction de leur action par rapport au changement climatique. Seules 40  banques ont commencé à intégrer les risques climatiques comme déterminants réels de leur politique de prêt, à évaluer le prix en carbone de leurs déci-sions financières ou à fixer des objectifs à leurs portefeuilles en termes de réduction des émis-sions. Les deux premières ban-ques de ce classement sont européennes  : HSBC Holdings et ABN AMRO, avec respecti-vement 70 et 66 points sur 100. Plus de la moitié des 40 établis-sements ont obtenu moins de 50 points.

LES RAVAGES DE L’HUILE DE PALME 11 JANVIER La Royal Society for the Protection of Birds, Bird Life International, Conserva-tion International et l’Institute of Environment and Sustainabi-lity publient une étude conjointe sur la déforestation en Papouasie-Nouvelle-Guinée et ses effets sur la faune. Entre 1989 et 2000, un huitième des forêts de l’archi-pel, abritant des espèces rares d’oiseaux, a été remplacé par

CONNAÎTRE LES ZONES POLAIRES POUR CONNAÎTRE LA TERRE

Gérard Jugie,directeur de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor

I N T E R V I E W

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Z O O M

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 200930

JANVIER

OÙ SONT LES MÉDECINS AFRICAINS ? 10 JANVIER Deux chercheurs de l’ONG américaine Center for Global Development publient une étude sur les méde-cins nés en Afrique et partis exercer après leurs études en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en France, au Canada, en Australie, au Portugal, en Espagne, en Belgique ou en Afrique du Sud. Des pays comme le Mozambique ou l’Angola comptent plus de médecins dans l’un de ces neuf pays que sur leur territoire national. L’étude montre que les pays les plus fortement touchés par l’exode sont ceux qui connaissent ou viennent juste de sortir d’un conflit. Par exemple, pour un médecin exerçant au Liberia, deux exercent à l’étranger.

LES FAITSMARQUANTS1

des plantations agro-industrielles de palmiers à huile. Aujourd’hui, vingt et une espèces d’oiseaux sont très menacées par la dispa-rition des habitats.

DÉVELOPPEMENT : INVESTIR AU FÉMININ 14 JANVIER Le Center for Glo-bal Development publie Girls Count  : A Global Investment & Action Agenda, un rapport sur les investissements nécessaires pour favoriser les femmes et les filles en termes de santé, d’ali-mentation, d’éducation, de for-mation ou d’insertion économi-que. Pour les jeunes femmes, un an de formation supplémentaire augmenterait de 30 % le revenu de leur ménage. Une route, un bus, un robinet d’eau proche des habitations démultiplient le « temps productif » des femmes. Selon les auteurs, cette évidence économique demande encore à s’imposer politiquement.

ERIKA, LA FAUTE AU COMMANDITAIRE 16 JANVIER La justice française condamne le groupe pétro-lier Total pour « pollution mari-time  » aux côtés de l’armateur et du gestionnaire. Le groupe est condamné à verser 375 000 euros d’amende, peine maximale pré-vue en cas de pollution mari-

time par une personne morale. En décembre 1999, le naufrage du navire Erika avait provoqué une immense marée noire, plus de 20 000  tonnes de fioul lourd se déversant sur les côtes. En reconnaissant implicitement le principe d’un «  préjudice éco-logique  », le jugement fait date dans la jurisprudence internatio-nale. Le 25, Total fait appel de cette condamnation.

L’ÉOLIEN EN FORCE EN 2007 18 JANVIER Le Conseil mon-dial pour l’énergie éolienne publie son rapport annuel qui souligne la progression de l’éolien dans le monde. Avec 20  gigawatts (GW) installées en  2007, la capacité mon-diale de production d’énergie éolienne s’est accrue de 27 %. La progression témoigne d’in-vestissements sans précédents (20  milliards d’euros) dans de nouveaux pays. Les États-Unis ont ainsi quasiment doublé leur parc éolien (+ 5,2 GW), repré-sentant un tiers des capacités de production mises en service en  2007. Les 3,5  GW instal-lés en Chine représentent une augmentation de 134  %. L’Eu-rope reste le premier produc-teur d’énergie éolienne avec plus de 57  GW de capacités

de production installées, soit 61 % du total mondial. L’Espa-gne, à elle seule, a installé près de 3,4 GW de capacités de pro-duction en 2007.

DÉSASTRES CLIMATIQUES EN ASIE 18 JANVIER Le Center for Research on Epidemiology of Disasters (CRED) belge publie un bilan des désastres climati-ques en 2007. Huit des dix pays les plus touchés par des catas-trophes naturelles sont situés en Asie. Le cyclone Sidr a fait 4 234  morts au Bangladesh en novembre. D’importantes crues ont été responsables de plus de 3 000 décès au Bangladesh, en Inde, en Corée du Nord et en Chine. Pour le CRED, ces résul-tats confirment la tendance annoncée par le GIEC du ren-forcement des événements cli-matiques aigus en Asie et en Afrique dans les décennies à venir.

DE LA PERFORMANCE ENVIRONNEMENTALE 23 JANVIER Le Center for Envi-ronmental Law and Policy de l’Université de Yale et le Earth Institute de la Columbia Uni-versity (États-Unis) publient l’édition  2008 de leur Environ-mental Performance Index basé sur vint-cinq indicateurs, mesu-rant les efforts entrepris dans six domaines  : santé environ-nementale, pollution de l’air, utilisation de l’eau, protection de la biodiversité et des habi-tats naturels, utilisation produc-tive des ressources naturelles et lutte contre le changement cli-matique. Huit des dix premiers pays du classement sont euro-péens  : la France est dixième derrière la Suisse, la Norvège, la Finlande, le Costa Rica, l’Autriche, la Nouvelle-Zélande, la Lituanie et la Colombie.

UN MARCHÉ EUROPÉEN DES ÉNERGIES RENOUVELABLES ? 23 JANVIER L’Union européenne publie une proposition de nou-velle directive sur les énergies renouvelables, visant à amener la production à 20 % de l’énergie produite en 2020, contre 8,5 % aujourd’hui. Dans ce cadre, cha-cun des 27 membres de l’Union doit augmenter sa part d’énergie renouvelable de 5,5  % par rap-port à  2005. L’objectif fixé par l’Union est contraignant et pour-rait justifier des poursuites de la Commission envers les États qui ne progresseraient pas assez vite. Le texte prévoit l’échange virtuel d’énergies renouvelables avec des garanties quant à l’ori-gine renouvelable de la source de l’électricité produite.

LE RIZ, LE CLIMAT ET LE PHILANTHROPE 25 JANVIER La fondation Bill et Melinda Gates octroie un finan-cement de 19,9 millions de dol-lars sur trois ans à l’Institut inter-national de recherche sur le riz (IRRI) pour soutenir la recherche sur des variétés de riz résistantes aux stress climatiques (séche-resse, crue, salinisation des eaux). Ces variétés devront ensuite être accessibles aux paysans pauvres d’Asie et d’Afrique.

QUAND LE NORD OUBLIE SES EXIGENCES... 31 JANVIER Human Rights Watch publie son rapport annuel consacré, cette année, aux liens entre les régimes occi-dentaux et les dictatures dans le monde. L’ONG s’inquiète ainsi des concessions croissantes fai-tes par les gouvernements amé-ricain, européens et japonais envers des régimes autoritaires en échange de contrats commer-ciaux. Par ailleurs, elle dénonce

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JANVIER

A près une baisse de la surface annuelle défrichée en Amazonie brésilienne entre  2004 et 2007, les résultats publiés par le gouver-

nement en janvier  2008 montrent que la destruction des forêts semble progresser de nouveau : + 64 % par rapport à l’année précédente. Le nouveau ministre de l’Envi-ronnement, Carlos Minc, accuse les collec-tivités locales de détourner les yeux, tandis que les experts pointent du doigt la hausse des prix agricoles qui aurait favorisé l’agri-culture en Amazonie.

Des politiques de grande envergure à l’échelle fédérale et de chaque État ont pourtant été lancées ces dernières années. En  2006, une loi fédérale, ayant pour but d’assainir le secteur bois, a été approuvée permettant la création de concessions forestières. Mais les soi-disant propriétaires de ces forêts, au nom de titres de propriété douteux, s’y sont opposés et ont continué à défricher, retardant ainsi le processus d’allo-cation des concessions.

Au niveau des États fédérés, c’est surtout la «  déforestation évitée  », principe visant à récompenser financièrement les acteurs qui limitent le déboisement, qui a marqué l’évolution récente des politiques. L’Ama-zonas, le plus grand État du Brésil et le premier par sa couverture forestière, avait pris les devants en 2007 en créant en grande pompe la Bolsa Floresta (bourse forestière) dont l’objectif est de rémunérer les habitants de zones protégées. Aujourd’hui, un millier de foyers touchent les 50  reais (16  euros) mensuels promis par l’organisme. Mais déjà les observateurs dénoncent ce programme dont les sommes dérisoires sont distribuées

sans que l’on sache si les bénéficiaires ont réellement empêché la déforestation.

Le gouvernement norvégien a, par ailleurs, placé 74  millions d’euros dans le tout nouveau Fundo Amazônia (Fonds amazonien) visant à financer les politiques «  vertueuses  » vis-à-vis de la forêt. Mais alors que celui-ci n’est pas encore opéra-tionnel, les accusations d’ingérence ternis-sent la participation norvégienne au fonds. Cette réaction montre que la rhétorique de la souveraineté nationale et la méfiance vis-à-vis d’une prétendue internationalisa-tion de l’Amazonie, thème historiquement déterminant des politiques forestières, sont toujours d’actualité au Brésil.

Lasse des conflits interministériels et du manque de poids accordé au ministère de l’Environnement, la ministre Marina Silva, figure emblématique du mouvement de Chico Mendes a démissionné en mai 2008. Quatre mois plus tard, son successeur Carlos Minc semble être confronté au même problème puisqu’il menace de poursuivre en justice l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (Incra), responsable de la redistribution des terres, qui aurait déboisé plus de 200 000 hectares de forêt.

En lutte désormais ouverte avec d’autres ministères moins soucieux de leur impact sur le couvert forestier, le ministère de l’En-vironnement est incapable d’enrayer la défo-restation à lui seul. Face à la récente crise financière, le gouvernement risque d’avoir d’autres priorités pour les mois à venir. L’ob-jectif «  zéro déforestation » annoncé pour l’horizon 2015 semble donc de plus en plus compromis. n

BENJAMIN SINGER, SCIENCES PO ET CIRAD

la perte de crédibilité des États-Unis et de l’Europe qui exigent le respect des droits humains dans le monde alors qu’ils les vio-lent eux-mêmes dans leur lutte contre le terrorisme.

CLIMAT : LES TRÈS DOMESTIQUES EFFORTS BRITANNIQUES 31 JANVIER Le gouvernement britannique constate dans un rapport sur les émissions natio-nales de carbone une baisse de 0,1  % des émissions de CO2. L’analyse par secteur montre que les nettes améliorations dans le secteur de l’habitat (- 4 %) sont quasiment annulées par la pro-gression des émissions dans le secteur des transports (+ 1,3 %) et de la production d’énergie (+ 1,5 %). Les résultats auraient été encore « pires » si la pollu-tion due aux transports aériens et aux transports internatio-naux de marchandises avait été incluse dans l’analyse, critique l’ONG Friends of the Earth.

AMAZONIE : MENACES PERSISTANTES SUR LA FORÊT

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FÉVRIER

LA « CATASTROPHE CLIMATIQUE » NOUVELLE EST ARRIVÉE 6 FÉVRIER  Le secrétariat de la Stratégie internationale pour la réduction des catastrophes (ISDR), un bureau spécia-lisé des Nations unies, publie un bilan des tempêtes de neige qui ont bloqué pendant des semaines deux régions tropicales de la Chine. Selon ce bureau, cet événement climatique est symptomatique des nouvelles catastrophes climatiques auxquelles la communauté internationale doit se préparer à faire face. Au-delà de la sécurité civile, affronter ce type d’événement demande d’adapter les réseaux électriques et de desserte en eau, les moyens de communication, les transports, l’agriculture ou encore les marchés financiers.

LES FAITSMARQUANTS1

ONU : RÉFORMER POUR ÉVITER LES GUERRES 2 FÉVRIER Les Nations unies publient un rapport concluant à la nécessité de renforcer les capacités d’action de l’Organi-sation internationale en termes de prévention des conflits. La solution passerait par le renfor-cement des pouvoirs du secré-tariat général, en particulier de son département des Affaires politiques. Un autre axe serait de développer la présence régio-nale de l’ONU sur le terrain, en particulier en Afrique. Enfin, le Conseil de sécurité doit éten-dre son action de prévention, notamment en utilisant sa « for-mule Arria », qui lui permet de consulter de manière non offi-cielle des experts indépendants et des ONG.

TOUJOURS MOINS DE MANGROVES 2 FÉVRIER   L’Organisation des Nations unies pour l’alimen-tation et l’agriculture (FAO) publie un rapport sur l’état des 164  mangroves littorales du monde à l’occasion du 37e anniversaire de la convention Ramsar sur les zones humides  : 3,6  millions d’hectares de man-groves, soit 20  % de la superfi-cie mondiale totale, ont disparu en vingt-huit ans. En Asie, près de 1,9 million d’hectares ont été détruits, loin devant l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale avec 690 000  hectares, et l’Afri-que avec 510 000  hectares. Ces écosystèmes ont pourtant une importance cruciale tant par leur valeur en termes de biodiversité qu’en termes de protection des littoraux contre les cyclones.

UN SUD DE PLUS EN PLUS TECHNO 6 FÉVRIER   La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced)

publie un rapport sur la part croissante des pays en déve-loppement dans les échan-ges de nouvelles technologies –  Science and Technology for Development  : The New Para-digm of ICT. La part des pays en développement dans ces échanges est passée de 4  % à 28 % entre 1995 et 2005, aug-mentation portée avant tout par les échanges Sud-Sud.

LA NOUVELLE QUESTION COMMERCIALE 7 FÉVRIER   Trois ONG –  Bila-terals.org, Grain et Biothai  – publient ensemble En lutte contre les ALE  : la résistance croissante aux accords bilatéraux de libre-échange et d’investissement. Ce rapport décrit l’émergence d’un réseau complexe d’accords bila-téraux de libre-échange et d’in-vestissement (ALE) contournant l’enlisement des négociations commerciales de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’étude fait aussi le point sur les formes de mobilisation et de résistance contre ce phénomène autour du monde.

ÉTATS-UNIS : ÉLECTRICITÉ SANS MERCURE 8 FÉVRIER   La Cour d’appel fédérale américaine condamne l’Agence fédérale de protec-tion de l’environnement (EPA) pour n’avoir pas défini des limi-tes strictes d’émission de mer-cure pour les centrales électri-ques. L’accusation était portée par quatorze États américains, des groupes militants dans l’en-vironnement ou la santé publi-que, la ville de Baltimore et plu-sieurs tribus indiennes. L’EPA a maintenant deux ans pour déve-lopper et mettre en œuvre des normes d’émissions de mercure pour les centrales existantes.

LA POLIO QUASIMENT VAINCUE 8 FÉVRIER   Le Partenariat mon-dial contre la polio publie son rapport d’activité où il se félicite des résultats obtenus  : depuis vingt ans, le nombre de cas décla-rés a baissé de 99 %. En 2007, plus de 400  millions d’enfants ont été vaccinés. L’Inde du Nord, le Nigeria du Nord et la frontière entre l’Afghanistan et le Pakis-tan demeurent les seuls foyers encore actifs. Le Partenariat est soutenu par l’OMS, le Rotary International, les United States Centers for Disease Control and Prevention et l’Unicef.

OGM AU SUD 13 FÉVRIER   L’International Ser-vice for the Acquisition of Agri-Biotech Applications (Isaaa), une association militant pour le développement des biotechno-logies, publie son rapport annuel. 114  millions d’hectares d’OGM sont plantés dans 23 pays, dont onze  pays en développement. Onze millions de petits agri-culteurs ont utilisé des semen-ces OGM en 2007, soit près de 20 % de plus qu’en 2006. L’ONG Les Amis de la Terre rappelle que ces OGM servent à nourrir le bétail et à produire des agro-carburants et du textile pour les

pays industrialisés et non à amé-liorer la sécurité alimentaire des pays en développement.

AIDE : UNE CROISSANCE EN TROMPE-L’ŒIL 14 FÉVRIER   L’OCDE publie son rapport annuel sur l’aide au développement accordée par les vingt-deux pays mem-bres du Comité d’aide au déve-loppement (CAD) en  2006. Si l’aide s’est accrue en volume, les remises de dette et le poids des financements destinés à l’Irak constituent l’essentiel de cette progression. Plusieurs indicateurs (scolarisation, pauvreté absolue) connaissent une évolution posi-tive, mais les aides accordées restent pour l’OCDE mal adap-tées aux besoins et ne prennent pas assez en compte les priorités des pays récipiendaires.

FATIGUÉS, COMME LES OCÉANS 14 FÉVRIER   Le magazine Science publie une étude de l’Université de Santa Barbara (États-Unis) évaluant à 4  % la surface des océans non tou-chée par les activités humaines – pêche, pollution, changement climatique. L’étude cartogra-phie les effets de dix-sept types

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FÉVRIER

Du 4 au 8  février  2008 à Madrid, le programme Man and the Biosphere

(MAB) de l’Unesco a tenu son troisième congrès mondial des réserves de bios-phère. Quelle est l’histoire du MAB ?Le programme MAB a été lancé en 1970 autour de 14 aires de projets couvrant différents types d’écosystèmes, de la montagne à la mer, du système rural au système urbain, ainsi que des aspects plus sociaux comme la sensibilisation à l’environnement. Le programme fait suite à la Conférence intergouvernementale de la bios-phère, organisée en 1968 par l’Unesco, pour rechercher des moyens de récon-cilier la conservation et l’utilisation des ressources naturelles –  bien avant l’avènement du concept de développement durable. Il veut permettre un travail en réseau de protection des ressources généti-ques, de recherche et de formation sur les écosystèmes et de dévelop-pement économique et humain respectueux de l’environnement. Il a ainsi beaucoup contribué à l’idée d’inclure les communautés locales dans les processus de conservation, alors que la plupart des aires protégées les excluaient de leur mode de gestion, démontrant que l’ob-jectif de conservation est d’autant mieux pour-suivi qu’il s’appuie sur la coopération des popu-lations locales.

La notion de réserve de biosphère a été révisée en  1995 avec l’adoption du Cadre statutaire et de la stratégie de Séville par la conférence générale de l’Unesco. Aujour-d’hui, avec plus de 531  sites dans plus de 105  pays, le réseau permet de tester des approches alliant connaissances scientifi-ques et modalités de gouvernance pour lutter

contre la perte de biodiversité, améliorer les moyens de subsistance des populations, favoriser les conditions sociales, économi-ques et culturelles essentielles au développe-ment durable et, ainsi, contribuer aux objec-tifs du Millénaire pour le développement.

Quels sont les objectifs du plan d’action de cinq ans adopté à Madrid ? Pourquoi cette emphase sur les effets du change-ment climatique ?Le plan d’action de Madrid entend faire des réserves de biosphère les principaux sites consacrés au développement durable

à l’échelle internationale. Pour le programme MAB, le concept de réserve de biosphère a démontré sa valeur au-delà de la simple notion d’aire protégée, comme sites d’apprentissage où décideurs, chercheurs et communauté scien-tifique, gestionnaires et acteurs, citoyens et secteur privé travaillent ensemble à traduire les principes mondiaux du développement durable en pratiques locales perti-nentes. Néanmoins, le programme

doit encore s’adapter pour répondre effica-cement aux défis du changement climatique –  lesquels exacerbent encore davantage la pauvreté et les inégalités  – et notamment aux conséquences pour la société et les écosystèmes. Là encore, le programme veut s’appuyer sur l’expérience et la représenta-tivité de son réseau pour mettre en place et tester des politiques et des pratiques d’adap-tation et de protection sur des écosystèmes clés –  zones côtières, îles, océans, monta-gnes, terres sèches, forêts tropicales  –, les écosystèmes d’eau douce et les zones d’ur-banisation croissante. n

d’activités humaines sur les océans, montrant que les seules zones intactes se situent dans les eaux glacées, près des pôles.

LES CÉRÉALES TOUJOURS PLUS CHÈRES 14 FÉVRIER   La FAO publie son rapport annuel sur les perspec-tives agricoles –  Crop Prospects and Food Situation Report. Pour 2008, l’agence s’attend à une augmentation de la production mondiale des céréales mais s’in-quiète d’une possible hausse des cours, nourrie par la constante croissance de la demande. Les prix du blé sont à ce jour 83 % plus élevés qu’en janvier  2007. Les pays pauvres auront sans doute du mal à faire face à cette contrainte. 36 pays connaissent déjà une crise alimentaire.

CONSOMMER SANS EMBALLAGE 14 FÉVRIER  La société Nielsen publie un sondage effectué auprès de 25  000  consomma-teurs de 48 pays, montrant que c’est dans l’alimentaire qu’ils ont le plus l’impression de subir des emballages inutiles (40  %). La Nouvelle-Zélande, la Finlande, l’Irlande, la République tchèque et la Norvège comptent parmi les pays où l’opinion semble la plus prête à changer de mode de présentation de ses aliments. À l’inverse, les Japonais et les Thaïlandais seraient les moins concernés par ce type de pro-blème, sans doute parce qu’en Asie les produits de longue conservation sont très peu déve-loppés. En Europe et en Améri-que du Nord, le frein principal à ce changement est la crainte d’une perte de sécurité sanitaire des aliments.

BIOSPHÈRE : LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EN RÉSEAU

I N T E R V I E W

Meriem Bouamrane,coordinatrice du programme MAB sur l’homme et la biosphère, Unesco

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FÉVRIER

FRANCE, TON PATRIMOINE NATUREL F… LE CAMP 28 FÉVRIER   Le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) présente un inventaire du patrimoine naturel français réalisé pour le compte du ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménage-ment du territoire et de la Commission européenne. La viabilité de 36  % des habitats et des espèces rares est compromise  ; pour 29  %, elle s’avère inquiétante. Un bilan qui pose la question de l’efficacité des systèmes de conservation mis en place (lire zoom p. 65).

LES FAITSMARQUANTS1

POUR SAUVER LES GORILLES 20 FÉVRIER  Le Rwanda, la Répu-blique démocratique du Congo et l’Ouganda signent un accord de coopération pour la protection des grands singes dont l’habitat couvre les trois pays. Il ne reste plus que 700  gorilles des mon-tagnes en liberté, répartis entre des zones protégées de chacun des pays. La rébellion menée par le général dissident congo-lais, Laurent Nkunda, a conduit au départ des gardes forestiers des parcs congolais. Les gorilles demeurent une ressource touris-tique pour ces pays, qui deman-dent 500 dollars aux personnes souhaitant les observer.

L’ÈRE DE L’ÉCONOMIE VERTE ? 20 FÉVRIER   Le Programme des Nations unies pour l’envi-ronnement (PNUE) publie son Rapport annuel  2008, présenté à l’ouverture du Forum minis-tériel mondial sur l’environne-ment (Monaco, 21-22  février). Il met l’accent sur l’émergence d’une économie verte, basée sur des innovations technologiques et une prise en compte de l’en-vironnement sans précédent. Le développement des investisse-ments responsables se poursuit. Les entreprises ayant développé des stratégies environnemen-

tales, sociales et de gouver-nance ont dépassé de 25 % les performances du marché bour-sier général. En  2006, l’ensem-ble des instruments du protocole de Kyoto représentait 30  mil-liards de dollars. Depuis novem-bre  2007, le Mécanisme de développement propre (MDP) a généré près d’1  milliard de dollars de crédits de réduction d’émission de CO2 certifiés.

BIODIVERSITÉ EST SANTÉ 21 FÉVRIER  Le magazine Nature publie une étude de la Zoolo-gical Society of London éta-blissant un lien entre la perte globale de biodiversité, l’urba-nisation et l’émergence de nou-velles maladies infectieuses. Selon les auteurs, 60 % des nou-velles maladies ont été trans-mises aux humains par les ani-maux qui, en perdant le contact direct avec la nature et la bio-diversité, sont devenus incapa-bles de s’en protéger. Cette esti-mation confirme la nécessité de protéger les poches de biodiver-sité naturelle.

CLIMAT EN RÉSEAU 21 FÉVRIER   Le PNUE lance un réseau d’information et d’ac-tions chargé de promouvoir une économie sans émission de carbone. Le Climate Neutral

Network (CN Net) compte déjà cinq pays (Monaco, Costa Rica, Islande, Norvège et Nouvelle-Zélande), quatre villes (Arendal en Norvège, Rizhao en Chine, Vancouver au Canada, Växjö en Suède) et cinq entreprises (Co-Operative Financial Services, Royaume-Uni  ; Interface Inc., États-Unis  ; Natura, Brésil  ; Ned-bank, Afrique du Sud  ; Senoko Power, Singapour) ayant pris des engagements afin de réduire, voire de supprimer totale-ment, leurs émissions de car-bone. Le Costa Rica s’est fixé pour délai l’année  2021, la Norvège 2030 et l’Islande 2050. Le réseau sera progressivement ouvert aux agences intergouver-nementales, aux organisations de la société civile et finalement aux particuliers.

FORÊTS, CARBONE, FINANCE ET CONSERVATION 21>22 FÉVRIER   La Commis-sion des forêts d’Afrique cen-trale (Comifac) réunie à Tunis crée le Fonds spécial pour le financement durable des forêts du bassin du Congo, deuxième zone forestière au monde. La Banque africaine de développe-ment (BAD) assurera la gestion de ce fonds, auquel elle apporte dès à présent 814  millions de dollars. La BAD doit aussi aider les pays de la zone à mettre en place un système de capitalisa-tion des crédits d’émission de carbone mobilisables grâce aux espaces forestiers protégés.

DES INVASIVES SUR NOS CÔTES 24 FÉVRIER   Une étude de l’ONG Nature Conservancy montre qu’on dénombre au moins une espèce aquatique étrangère dans 84 % des zones côtières du monde. La faune native des régions très indus-

trialisées d’Europe, d’Asie et des Amériques est la plus menacée, 69 % des invasions arrivant avec les échanges maritimes. La baie de San Francisco, avec 85 espè-ces invasives recensées, est la zone la plus touchée au monde.

DE LA NOIX DE COCO DANS LES RÉACTEURS… 24 FÉVRIER  La compagnie aéro-nautique Virgin Atlantic réa-lise son premier vol alimenté par un agrocarburant sur un Boeing  747 reliant Londres à Amsterdam. Le moteur a uti-lisé un mélange contenant 20 % d’huile de noix de palmiers (de coco et de babassu). Le but est de réduire les émissions de gaz à effet de serre des vols aériens, lesquels représentent 2  % des émissions mondiales. Les envi-ronnementalistes rappellent que les agrocarburants ne représen-tent pas toujours une alternative moins polluante aux carburants traditionnels et qu’une filière de certification de leur production devrait être mise en place.

FIÈVRE URBAINE 26 FÉVRIER   La division Popu-lation des Nations unies publie 2007 Revision of World Urbaniza-tion Prospects, un rapport confir-mant la tendance mondiale à l’urbanisation. L’essentiel du mouvement de concentration de la population mondiale dans les villes a actuellement lieu en Afrique et en Asie. Dans qua-rante ans, la population urbaine d’Asie devrait avoir plus que doublé, celle d’Afrique plus que triplé.

LA TUBERCULOSE FAIT DE LA RÉSISTANCE 26 FÉVRIER  L’Organisation mon-diale de la santé (OMS) publie une large étude sur le dévelop-pement de formes résistantes

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FÉVRIER

L es indices des prix alimentaires, publiés par la FAO en février 2008, souli-gnent l’ampleur du retournement de conjoncture sur les marchés mondiaux

agricoles en 2007. Les stocks sont à leur plus bas niveau depuis trente ans. Le blé, céréale la plus produite et la plus échangée dans le monde, a vu son prix tripler en deux ans. Quant au riz, qui reste la base de l’alimen-tation de la moitié de l’humanité, son prix flambe depuis début 2008. Devenu inacces-sible pour de nombreux consommateurs du Sud, il devient l’enjeu de mouvements sociaux parfois violents. L’Occident, qui vivait depuis deux générations dans l’abon-dance alimentaire, prend conscience de la fragilité des équilibres alimentaires actuels et de l’ampleur des défis auxquels l’agricul-ture mondiale va être confrontée à moyen terme. D’un phénomène local, caracté-ristique de pays en grandes difficultés, la sécurité alimentaire redevient brutalement un enjeu planétaire.

Les explications avancées ces derniers mois sont multiples et parfois contradic-toires. Depuis près d’une quinzaine d’an-nées, la production mondiale de céréales augmente moins vite que la consomma-tion humaine et la mise en production simultanée de filières d’agrocarburants céréales-éthanol a accentué ce déséqui-libre. Le déficit d’offre a été compensé par une réduction régulière des stocks, jusqu’à ce que ceux-ci tombent à un niveau suffi-samment bas pour déclencher une hausse des prix. Plusieurs accidents climatiques lors de la campagne agricole 2007, qui ont frappé des zones de production généra-lement excédentaires, ont réduit tempo-rairement mais de manière importante les quantités disponibles sur le marché.

Si l’excellente récolte 2008 a amené une détente sur les prix, les tendances struc-turelles du marché laissent augurer une hausse à moyen terme, couplée à une très grande instabilité.

Ces mouvements sont-ils les prémices d’une disette planétaire, la production agri-cole ne parvenant plus à suivre la démogra-phie, qui passera de 6,5 à 9 milliards d’hu-mains d’ici 2050  ? Différentes simulations tendent à démontrer que la planète devrait permettre de produire, dans des conditions de durabilité satisfaisante, la nourriture suffisante pour la population attendue. Des efforts d’adaptation considérables restent néanmoins à conduire. La productivité devra s’accroître dans les régions où elle est faible, comme l’Afrique, afin de stopper l’extension de surfaces cultivées au détri-ment des espaces naturels remarquables. Le modèle d’intensification agricole, qui a permis les progrès réalisés par notre agricul-ture depuis un demi-siècle, mais qui repose largement sur l’utilisation de ressources non renouvelables pour les machines et les ferti-lisants, a atteint ses limites (lire repère 19). Enfin, le changement climatique entraînera des phénomènes extrêmes plus fréquents et de plus grande ampleur auxquels les agri-cultures devront s’adapter.

Ces défis de long terme nécessiteront des actions coordonnées de relance des productions alimentaires de base, afin que toutes les agricultures du monde, dans le respect de leur diversité, puissent profiter de ce nouveau potentiel de croissance, de modernisation et de création d’emplois, tout en appliquant des modes de production durables. C’est tout l’enjeu de cette « révolu-tion doublement verte ». n

BERNARD ESNOUF, AFD

de tuberculose dans le monde. Environ 5  % des 9  millions de nouvelles infections recensées chaque année résisteraient ainsi aux traitements disponibles. La situation est particulièrement préoccupante en Asie centrale : en Azerbaïdjan, près d’un quart des nouveaux cas de tubercu-lose résistent aux traitements. C’est également le cas dans une moindre mesure en Moldavie, en Ukraine, en Russie, en Ouzbékistan et en Chine.

CONGELONS AUJOURD’HUI LES GRAINES DE DEMAIN 26 FÉVRIER   Le Svalbard Global Seed Vault, un coffre creusé dans la glace situé sur une île au-delà du cercle Arctique norvégien, accueille sa première cargai-son de graines et de semences, provenant de 104 pays. Le pro-jet norvégien est de créer une banque génétique globale per-mettant l’étude et la conserva-tion des plantes utiles à l’alimen-tation humaine. Pour 4,5 millions d’espèces de semences, les conditions de conservation sont garanties pour au moins deux cents ans.

ALIMENTATION : BIENTÔT LA DISETTE ?

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MARSENVIRONNEMENT : PAYER MOINS AUJOURD’HUI QUE DEMAIN 6 MARS   L’OCDE publie les Perspectives de l’environnement de l’OCDE à l’horizon 2030, évaluant les coûts des actions nécessaires pour agir dans quatre domaines : le change-ment climatique, la perte de biodiversité, le manque d’eau et les impacts sanitaires des pollutions. Si rien n’est fait, les émissions de gaz à effet de serre en 2030 seront 52 % plus élevées qu’aujourd’hui. Pour répondre aux besoins alimentaires et en agrocarburants, la productivité des sols agricoles doit augmenter de 10 % dans le même temps. Plus d’un milliard de personnes manqueront d’eau en 2030, et les décès dûs à la formation de couches d’ozone au niveau du sol devraient quadrupler d’ici là. Réduire d’un tiers le recours à des substances polluantes pour l’air et de 12 % les émissions de gaz à effet de serre n’amputerait la croissance que de 1 % d’ici à 2030. Ne rien faire maintenant impliquerait au contraire que le monde doive consacrer 37  % de l’accroissement annuel de ses richesses à agir pour l’environnement à compter de 2030.

LES FAITSMARQUANTS1

ON A TOUJOURS FAIM 3>18 MARS  Le rapporteur sur le droit à l’alimentation présente son nouveau rapport devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, soulignant le peu de progrès réalisés ces der-nières années en termes de sécu-rité alimentaire. La situation est particulièrement préoccupante dans des pays émergents comme la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud ou le Brésil. Et pourtant, la pro-duction agricole actuelle pour-rait nourrir près de 12 milliards de personnes – soit le double de la population mondiale – si elle était accessible financièrement et géographiquement aux popu-lations démunies.

EUROPE : LA VOITURE, ENNEMI DE L’ENVIRONNEMENT 3 MARS   L’Agence européenne pour l’environnement publie un rapport sur les effets des transports sur l’environnement dans l’Union européenne. Au contraire de secteurs comme

l’approvisionnement en éner-gie, l’industrie, l’agriculture ou la gestion des déchets, les trans-ports ont vu leurs émissions de gaz à effet de serre fortement augmenter, pour représenter 21  % de l’ensemble des émis-sions dans l’Union européenne à 15 en 2005. Selon ce rapport, les problèmes sont avant tout urbains  : les embouteillages en ville comptent pour 80  % des coûts écologiques induits par les transports. Les auteurs recom-mandent donc une meilleure intégration de la question des transports dans les plans d’oc-cupation des sols et invitent les pouvoirs publics à plus de fer-meté envers les constructeurs automobiles pour améliorer l’ef-ficacité des véhicules.

ONU : LA RÉFORME PASSE PAR LES FEMMES 9 MARS   La Commission des Nations unies sur le statut de la femme dépose devant l’Assem-blée générale une proposition

d’Agence des Nations unies pour les femmes. Le projet fait suite à une proposition du Groupe de haut niveau sur la cohérence du système des Nations unies, en novembre  2006. La nou-velle structure viendrait conso-lider trois structures existantes : le Fonds de développement des Nations unies pour la femme, le Bureau de la conseillère spé-ciale pour la parité des sexes et la promotion de la femme et la Division pour la promotion de la femme. Dirigée par un sous-secrétaire général, la nouvelle agence bénéficierait d’un rang élevé à l’ONU.

DES MINORITÉS CLIMATIQUEMENT FRAGILES 11 MARS  L’ONG Minority Rights Group publie son rapport 2008, marquant les quarante ans de l’organisation. Le texte souligne l’impact des changements cli-matiques sur les minorités eth-niques, qui sont souvent les pre-mières à souffrir des sécheresses, de la montée du niveau de la mer ou de l’extension des plantations destinées à la production d’agro-carburants.

LA COURSE AUX DERNIERS THONS 12 MARS   Le World Wildlife Fund (WWF) publie une étude soulignant le décalage entre les plans de conservation du thon en Méditerranée et le dévelop-pement des flottes de pêche. En Méditerranée, le nombre de bateaux de pêche dépasse de 30  % les quotas internatio-naux et de nouveaux bâtiments sont en construction –  l’Union européenne, à elle seule, compte 58 navires de pêche de trop, dont 17 pour l’Italie. Cette flotte serait responsable de la pêche illégale de quelque 13 000  tonnes de thons chaque année.

CLIMAT : L’AVANT-GARDE EUROPÉENNE 13 MARS   Les dirigeants des Vingt-Sept s’engagent, lors de leur sommet économique de printemps, à trouver un accord européen sur le réchauffement climatique d’ici à la fin de l’an-née  2008 et à transposer l’en-semble des textes législatifs européens sur le climat dans les différents États membres en 2009. Parallèlement, l’UE veut prendre la tête des négociations internationales qui s’ouvriront en 2009 sur l’après-protocole de Kyoto, lequel expire en 2012.

ÉTATS-UNIS : L’AIR AU NOM DE LA SANTÉ 13 MARS L’Agence améri-caine de protection de l’environ-nement (EPA) relève ses critè-res en matière de qualité de l’air pour la première fois depuis dix ans. Les nouvelles normes abais-sent par exemple le seuil toléré d’émission d’ozone atmosphé-rique, contraignant les centra-les thermiques et les distribu-teurs de diesel à améliorer leurs modes de production. L’ozone atmosphérique, cause de nom-breuses infections respiratoires dont l’asthme, et les nouvelles normes pourraient, selon l’EPA, sauver près de 4 000 vies cha-que année. Pour les organisa-tions écologistes, cette révision du Clean Air Act est cependant beaucoup trop timide pour être significative.

EUROPE : EN EAUX TROUBLES 14 MARS   Les Nations unies publient un rapport estimant que 100  millions d’Européens n’ont pas accès à une eau saine. Les conséquences affectent avant tout les personnes fragiles  : en Europe, près de 40 enfants meu-rent chaque jour de diarrhée due à la qualité de l’eau ; 170 000 cas

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MARS

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L a question de la gestion durable de la biodiversité en haute mer réunit les 20 et 21 mars 2008 une centaine d’experts internationaux à Monaco, à

l’invitation de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Le séminaire constate les limites du cadre juridique global offert par la Conven-tion des Nations unies sur le droit de la mer pour l’utilisation durable des écosys-tèmes marins. Cette convention est le fruit d’une longue négociation initiée au début des années 1970, alors que les connais-sances scientifiques sur la biodiversité marine restaient limitées. De fait, hormis un principe général de protection du milieu marin, celle-ci ne régit la haute mer que de manière parcellaire. La découverte récente de l’exceptionnelle biodiversité présente au-delà des juridictions nationales (sources hydrothermales, monts sous-marins, récifs coralliens d’eaux froides, gaz hydratés…) a bouleversé la donne, et la communauté internationale se mobilise davantage au sein de différentes instances et forums de négo-ciation pour débattre de la question de la gouvernance de la haute mer.

Les deux journées de travail de Monaco ont rappelé l’étendue des menaces pesant aujourd’hui sur les ressources marines situées au-delà des juridictions nationales. La croissance exponentielle de la naviga-tion maritime (+ 470 % depuis les années 1970) multiplie les risques de dégradation des écosystèmes et de perturbation des espèces  ; la surexploitation des ressources halieutiques épuise progressivement les réserves disponibles (75 % des stocks sont

pleinement exploités ou surexploités, selon la FAO) ; l’exploitation accrue des ressources marines à des fins industrielles bouleverse l’équilibre du milieu… (lire repère 11). Ce diagnostique semble largement partagé, mais aucun consensus n’existe encore sur les moyens de promouvoir une utilisation durable des ressources de haute mer.

Le débat entre les tenants d’une biodiver-sité de haute mer gérée comme patrimoine commun et les partisans d’une libre exploi-tation n’est toujours pas résolu. Pas plus que de savoir si la communauté internationale doit se concentrer sur les menaces majeures pesant aujourd’hui sur le milieu marin – la surexploitation des ressources halieutiques tout particulièrement – ou réguler dès à présent les activités émergentes (biopros-pection, exploitation industrielle…). Enfin, experts comme politiques restent partagés entre une application effective des instru-ments juridiques déjà existants et l’élabo-ration d’un nouvel accord international spécialement consacré à la conservation de la biodiversité en haute mer.

Beaucoup de chemin reste donc à parcourir pour que les États s’entendent sur les modalités d’une conservation et d’une utilisation durable de la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales. Et il est certain que ces questions seront encore à l’ordre du jour des prochains événements internationaux  : le congrès mondial de l’UICN en octobre 2008 (lire zoom p. 65), la session Droit de la mer de l’Assemblée générale de l’ONU fin 2008 ou la World Ocean Conference en mai 2009. n

JULIEN ROCHETTE, IDDRI

de maladies liées à l’eau sont recensés chaque année, dont 140 000 pour la seule hépatite A. En Europe de l’Est, près de 16 % de la population n’a pas d’accès à une eau saine, la proportion atteignant 50  % dans les zones rurales. Pour mieux répondre à ce défi, la Commission écono-mique des Nations unies et le Bureau régional des Nations unies pour l’Europe, avec l’Or-ganisation mondiale de la santé (OMS), mettent en place un groupe de neuf experts, compre-nant des médecins et des juris-tes, chargé de faire des proposi-tions d’action.

CLIMAT : UNE RESPONSABILITÉ DIFFÉRENCIÉE 14>16 MARS  Le G20, réunissant les pays les plus développés et les plus polluants de la planète, se réunit au Japon dans le cadre de la recherche d’un accord sur le climat après Kyoto. Si tous les participants ont reconnu déte-nir «  une responsabilité com-mune, mais différenciée  » dans le réchauffement climatique, les pays du Sud les plus dévelop-pés (comme l’Inde ou l’Afrique du Sud) ont rappelé qu’un Amé-ricain émet toujours vingt fois plus de gaz à effet de serre qu’un habitant des pays émergents.

LES GLACIERS NE SONT PLUS ÉTERNELS 16 MARS   Le PNUE et le World Glacier Monitoring Service publient une étude alarmante sur le recul des glaciers partout dans le monde. L’étude s’appuie sur l’observation depuis 1980 de trente glaciers situés sur tous les continents. Elle conclut à un recul moyen de 150 cm chaque année depuis  2000, contre 30 cm par an durant la décennie

NE PAS OUBLIER LA HAUTE MER

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Z O O M

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MARSDES MARCHÉS CARBONE POUR LES PAUVRES 17 MARS  La Société financière internationale, une agence de la Banque mondiale, signe ses premiers accords de garantie des échanges de carbone en Afrique et en Asie. Grâce à ces accords, des entreprises des pays du Sud vont pouvoir échanger des droits à émettre du carbone avec des sociétés du Nord. Ils permettront d’apporter de nouvelles sources de financement aux pays en dévelop-pement, de favoriser les investissements dans le domaine de techniques de production propres et de jeter les bases de marchés carbone dans les pays en développement. Omnia, le premier producteur d’engrais d’Afrique du Sud, a ainsi pu vendre 900 000 crédits carbone ; l’Indien Rain CII Carbon, l’un des plus gros producteurs de coke au monde, a vendu 850 000 crédits carbone.

LES FAITSMARQUANTS1

précédente. Alors que les gla-ciers d’Europe sont les plus tou-chés, les glaciers d’Amérique latine et d’Asie semblent mieux résister.

L’ESSOUFFLEMENT DE LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE ? 17 MARS  L’OMS publie un rap-port sur les efforts mondiaux consentis pour la lutte contre la tuberculose dans 202 pays. Quel-que 9,2 millions de nouveaux cas ont été recensés en  2006, dont 700 000 parmi des malades du sida et 500 000 cas multirésis-tants au traitement. La tubercu-lose a causé 1,5 million de morts en 2006. Le rapport conclut à un ralentissement global des efforts mis en œuvre : la détection des cas n’a pas progressé en Afrique, par exemple. L’essentiel des nouveaux efforts a été réalisé par des institutions privées, des ONG et des organisations reli-gieuses ou communautaires.

UN CONSEIL DE SÉCURITÉ PLUS REPRÉSENTATIF ? 18 MARS   Un groupe de pays mené par l’Allemagne dépose auprès du secrétariat des Nations unies un nouveau pro-jet de réforme du Conseil de sécurité, basé sur les rares points de consensus atteints après cinq  années de discussion. Le nouveau Conseil pourrait comp-ter sept  sièges supplémentaires désignés par l’Assemblée géné-rale (deux pour l’Afrique, deux pour l’Asie, un pour l’Amérique latine, un pour l’Europe de l’Ouest, un  pour l’Europe de l’Est). La durée du mandat reste en négociation. Une révision du système de désignation tous les quinze ans est proposée. L’Inde a déjà fait savoir qu’elle trouvait insuffisante la représentation des pays en développement.

LES MIGRANTS ET LE COURS DU DOLLAR 19 MARS   La Banque mondiale publie une nouvelle estimation des envois de fonds des tra-vailleurs migrants  : Recueil de statistiques 2008 sur les migrations et les envois de fonds. En  2007, les cinq principaux pays bénéfi-ciaires des envois de fonds ont été l’Inde (27  milliards de dol-lars), la Chine (26  milliards), le Mexique (25  milliards), les Philippines (17  milliards) et la France (12,5 milliards). Les pays riches, au premier rang des-quels les États-Unis, demeu-rent la principale source de ces envois de fonds. Les États-Unis ont accueilli 38,4 millions d’im-migrants en  2005, devant la Fédération de Russie (12,1) et l’Allemagne (10,1). Parmi les pays à faible revenu, c’est l’Inde qui a accueilli le plus d’immigrés (5,7 millions), suivie du Pakistan (3,3). La dépréciation du dollar et la montée globale du coût de la vie absorberaient néanmoins l’essentiel des envois de fonds dans les pays pauvres (plus de 90 % aux Philippines entre 2004 et 2007).

TANT QU’IL Y AURA DE L’EAU... 22 MARS   Les Nations unies célèbrent la Journée mon-diale de l’eau, occasion de rap-peler les pressions croissantes qui pèsent sur cette ressource vitale. Aujourd’hui déjà, 1  mil-liard de personnes, soit une sur six, n’a pas accès à une eau de bonne qualité. Et 2,5  milliards, presque une sur deux, n’utilisent pas de latrines, posant d’impor-tants problèmes de pollution. Le changement climatique, la croissance de la population et le développement des activités économiques constituent autant d’obstacles à l’accès à une eau saine partout sur la Terre.

LES VILLES CONTRE LA PAUVRETÉ 26>28 MARS   Le PNUD réu-nit à Athènes des élus munici-paux venant de cent pays pour le 6e  forum global de l’Alliance mondiale des villes contre la pauvreté. Il s’agit de travailler sur des plans locaux pour avan-cer vers la réalisation des objec-tifs du Millénaire pour le déve-loppement. L’objectif est d’aider les autorités locales à déter-miner leurs propres buts et les moyens à mettre en œuvre.

ASIE : LE TEMPS DE L’AGRICULTURE 27 MARS   La Commission éco-nomique et sociale pour l’Asie et le Pacifique publie son 60e  rap-port annuel, soulignant que si la région connaît un dévelop-pement économique important, la pauvreté résiste, notamment en zone rurale. Selon le rapport, investir pour augmenter la pro-ductivité agricole permettrait de sortir de la pauvreté près de 218  millions de personnes, soit un tiers des pauvres de la région. Le 28, l’Inde annonce une aug-mentation du prix minimum à l’exportation du riz non basmati (de 650 à 1 000 dollars la tonne)

pour décourager les exporta-tions et contrôler le prix de l’ali-mentation. Les stocks mondiaux de riz n’ont jamais été aussi bas depuis vingt-cinq ans.

DANEMARK : EN VOITURE AVEC LE VENT 28 MARS Une entreprise danoise, Dong, annonce la mise en place d’un réseau de voitures élec-triques alimentées à l’éner-gie éolienne. Le réseau offrant 20 000 stations de rechargement sera opérationnel dès 2011. Il utilise une technologie déve-loppée par une start-up califor-nienne, Better Place, qui fonc-tionne depuis janvier 2008 en Israël. Les batteries des véhicu-les sont rechargées pendant la nuit, période de basse demande en électricité, ou quand les tur-bines éoliennes tournent à plein régime. Le projet contribue ainsi à améliorer la productivité des installations, dont l’électricité produite est difficile à stocker.

HERBICIDE SANS FRONTIÈRE 31 MARS   L’Équateur porte plainte contre la Colombie devant la Cour internationale de justice en raison des aspersions

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La Commission balei-nière internationale (CBI) tient début mars 2008, à la

demande du Japon, une réunion extra-ordinaire sur l’éventuelle reprise de la chasse commerciale. Pourquoi cette question est évoquée à chaque saison ?La CBI, établie en 1946, est une conven-tion sur la chasse comparable aux organisa-tions de pêche et non un accord multilatéral sur l’environnement, comme les conven-tions régulant le commerce de la faune et la flore (Cites), protégeant les zones humides (Ramsar) ou la diversité biologique (CDB). Conçue à l’origine pour gérer la ressource destinée à l’industrie baleinière, elle s’est progressivement transformée en instrument de protection, établissant un moratoire en 1982 et créant des sanctuaires limitant les possibilités de chasse. Grâce au moratoire ayant pris effet en 1986, le nombre de prises est passé de 32 000 en 1975 à 335 en 1990.

La convention présente néan-moins des échappatoires utilisées par certains pays. Les décisions de la CBI, prises à la majorité des trois quarts, n’engagent pas les pays qui présentent des objections, comme la Norvège et l’Islande lesquels invoquent les traditions et le respect de la chasse abori-gène. Un autre article autorise les prises à des fins scientifiques, disposition qui a permis au Japon de capturer plus de 10 000 baleines depuis 1986. Pour obtenir la réouverture de la chasse commerciale, le Japon s’emploie à faire entrer de nouveaux pays à la CBI, notamment des pays africains qui lui sont souvent favorables, ou à convertir de petits pays à ses vues.

Enfin, la reconstitution de certaines popu-lations de cétacés comme la baleine à bosse, ainsi que leur rôle supposé de prédateur ou

de concurrent de la ressource halieutique alimentent des débats pseudo-scientifiques sur la nécessité d’augmenter les quotas de chasse.

Jusqu’à présent, le moratoire tient et la chasse reste cantonnée, même si l’exploita-tion de ces échappatoires demeure un scan-dale pour beaucoup d’ONG, d’experts et de pays non chasseurs.

La CBI suffit-elle comme instance de régulation de la protection des cétacés ?La récurrence des débats amène des pays comme la France à réclamer la suppression des objections ; d’autres souhaiteraient que les décisions soient prises par consensus afin de favoriser la discussion collective et la recherche de compromis, ce qui pour-rait détendre l’atmosphère au sein de la

Commission. Les ONG réclament, quant à elles, le droit de participer à l’ensemble du dispositif de négo-ciation. Mais la principale question aujourd’hui est la mise en cohé-rence entre les principes de la CBI et certains accords multilatéraux sur la biodiversité. Dans le cadre de la Convention sur la conserva-tion des espèces migratrices, des

accords régionaux sur la conservation des mammifères marins ont été adoptés pour la Méditerranée et la mer Noire (Accobams) et pour l’Atlantique Nord-Est et la mer du Nord (Ascobans). Un sanctuaire a été établi en Méditerranée occidentale par l’Italie, la France et Monaco. Enfin, des conventions de mers régionales comme celle de Barcelone protègent certaines espèces de baleines.

Pour le moment, les conventions restent cohérentes entre elles, mais la profusion des instruments traitant des mêmes espèces selon des approches différentes pourrait entraîner des complications. n

d’herbicide effectuées par avion pour lutter contre les planta-tions illégales de coca dans la zone frontalière. Cette plainte s’appuie sur les travaux d’une commission d’enquête équato-rienne qui a conclu aux effets néfastes de ces herbicides sur la santé humaine, l’agriculture et l’environnement en général. Les aspersions sont financées par le gouvernement américain depuis 2000. Le 28, une équipe américaine, réunissant la Duke University, la Miami University et le Udall Parkinson’s Disease Research Center of Excellence, publie les résultats d’une étude montrant une forte corrélation entre le développement de la maladie de Parkinson et l’expo-sition aux pesticides.

CLIMAT : LA NÉGOCIATION PASSE PAR BANGKOK 31 MARS > 4 AVRIL   Suite de la conférence de Bali, la rencon-tre de Bangkok établit un pro-gramme de travail de deux ans afin d’aboutir à un nouvel accord international sur le climat. Il inclut les relations avec le système des Nations unies, les entreprises et la société civile et la prise en compte de questions connexes comme la déforestation et les technologies. Il doit aussi iden-tifier les moyens envisageables pour que les pays développés atteignent leurs objectifs en ter-mes de réduction des gaz à effet de serre. La prochaine étape est la 28e réunion des comités tech-niques, à Bonn en juin 2008.

POURQUOI CHASSE-T-ON ENCORE LA BALEINE ?

Lucien Chabason,conseiller de la direction de l’Iddri

I N T E R V I E W

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AVRILUNE AUTRE AGRICULTURE EST POSSIBLE 7>12 AVRIL   L’International Assessment of Agricultural Science and Technology for Development (IAASTD) présente ses résultats, fruit de trois  années de travaux de plus de quatre cents experts mondiaux sur le futur de l’agriculture. Leur rapport, parrainé par la FAO, le PNUE, l’Unesco et la Banque mondiale, souligne les limites des progrès enregistrés dans la production alimentaire et, en particulier, les coûts supportés par les petits agriculteurs, les communautés rurales et l’environnement. Il plaide également pour une augmentation de la productivité agricole qui protège les ressources naturelles telles que l’eau, les forêts et la biodiversité (lire repère 19).

LES FAITSMARQUANTS1

GRIPPE AVIAIRE : LA GUERRE (CHINOISE) DES BREVETS ? 2 AVRIL   Les autorités sanitai-res chinoises autorisent l’utili-sation du premier vaccin contre le virus H5N1 pour l’homme. Développé par deux institutions chinoises –  Beijing Sinovac et le Chinese Center for Disease Control and Prevention  –, le vaccin est tiré de particules ren-dues inactives de la souche du virus identifiée par l’Organisa-tion mondiale de la santé (OMS) au Viêtnam. Il arrive sur le mar-ché alors que trois vaccins très proches, proposés par le labora-toire français Sanofi-Aventis, le britannique GlaxoSmithKline ou le suisse Novartis, attendent tou-jours l’approbation des autorités sanitaires chinoises.

LA GUERRE DE LA BANANE A TOUJOURS LIEU 7 AVRIL  Le panel de l’OMC rend son verdict dans le conflit oppo-sant l’Équateur à l’Union euro-péenne à propos des importa-tions de bananes en provenance des pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (pays ACP). Depuis  1996, l’Équateur, pre-mier exportateur mondial de bananes, dénonce les exoné-rations de droits de douane dont bénéficient les exporta-tions de bananes des pays ACP vers l’Union. Le Guatemala, le Honduras, le Mexique, les États-Unis, la Colombie, le Nicaragua et le Panama sou-tiennent cette position. Le panel donne finalement raison à l’Équateur au nom de l’article 1.1 du GATT garantissant à tous les signataires le même traitement. Si l’Union ne fait pas appel et ne lève pas ses préférences doua-nières, l’Équateur sera en droit de prendre des sanctions com-merciales unilatérales.

BEAU TEMPS POUR LE CARBONE 7 AVRIL   Le WWF attaque le système d’échange de cré-dits d’émissions de carbone de l’Union européenne dans un nouveau rapport. Selon l’ONG, les pays de l’UE n’utilisent pas la moitié du quota de permis alloués tellement celui-ci est élevé. Plus encore, le prix bas du carbone permet aux centra-les thermiques allemandes, qui fonctionnent majoritairement au charbon, d’échapper au prix à payer pour la pollution qu’elles génèrent. Rien qu’au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne, en Italie et en Pologne, l’actuel système européen permettrait aux producteurs d’électricité d’économiser entre 23 et 71 mil-liards d’euros sur les cinq  pro-chaines années.

FMI, BANQUE MONDIALE : À QUAND LA RÉFORME ? 12>13 AVRIL   Le Comité moné-taire et financier international et le Comité de développement, réunissant la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), tiennent leur assemblée de printemps. Dans un climat de crise des marchés financiers,

le premier doit se pencher sur la réforme en cours du FMI tan-dis que le second veut mesurer les progrès réalisés en termes d’objectifs du Millénaire pour le développement, alors même que les prix de l’énergie et des den-rées alimentaires provoquent des émeutes. Pour les ONG, ces réu-nions n’ont pas été à la hauteur des enjeux, notamment en n’opé-rant pas un rééquilibrage signifi-catif des droits de vote entre les pays du Sud, qui gagnent 2,7 % des droits de vote, face aux pays du Nord, qui gardent le contrôle des conseils d’administration avec 57,9 % de ces droits.

ÉTATS-UNIS : VERS MOINS DE CARBONE ? 15 AVRIL   L’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA) publie un rapport indi-quant une légère baisse des émissions de CO2 en 2006  : 1,1  % de moins qu’en  2005. Cette réduction serait liée à une moindre consommation de combustibles fossiles et d’élec-tricité en raison de la douceur de l’hiver et de la fraîcheur de l’été. L’augmentation du prix des carburants à la pompe ainsi que l’utilisation accrue de gaz naturel et d’énergies renouvela-

bles pour la production d’élec-tricité auraient également joué un rôle dans cette baisse. Le 14, une équipe de l’Université de Californie publie une étude montrant que les émissions de carbone de la Chine ont été sous-évaluées et que les États-Unis ne sont plus le premier émetteur depuis 2006.

PÊCHE TROUBLE EN ARCTIQUE 16 AVRIL   Le WWF publie un rapport sur la persistance de la pêche illégale au cabillaud et au colin d’Alaska dans l’Arctique, et ce malgré les efforts interna-tionaux. Selon le gouvernement norvégien, les captures illéga-les de cabillaud en  2005 s’élè-veraient au moins à 100 000 ton-nes dans la mer de Barents, un espace maritime qui fournit 70 % du principal marché mondial, celui du poisson à chair blan-che. Le WWF enjoint l’Union européenne, dont la flotte est la plus présente dans cette région, à continuer ses efforts contre les pêches illégales.

VENEZUELA : CONTRÔLE PÉTROLIER 16 AVRIL   Le gouvernement vénézuélien décide d’indexer au prix du pétrole ses taxes sur les entreprises pétrolières étrangè-res. L’imposition sera de 50  % par baril vendu à 70  dollars ou plus, de 70 % quand ce prix de vente dépasse les 110  dollars. Cette mesure vient renforcer le contrôle du gouvernement sur les exceptionnelles ressources pétrolières du pays. Depuis 2006, 60 % de l’exploitation pétrolière est devenue publique après une vague de nationalisation.

LE PAM ET LES PIRATES 17 AVRIL   Soixante camions du Programme alimentaire mon-dial (PAM) ont été volés par

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AVRIL

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des rebelles au Darfour depuis le début de l’année, mettant en péril les distributions alimen-taires assurées par l’agence dans cette région. Après les bateaux détournés dans le golfe d’Aden et la hausse des prix des céréa-les, l’attaque quasi systématique de ses véhicules vient encore compliquer l’action de l’agence.

UN GÉNÉRIQUE BRÉSILIEN CONTRE LE PALUDISME 17 AVRIL   Le Brésil propose un nouveau traitement antipalu-déen deux fois moins cher que celui de ses concurrents. Ce pro-duit permet de soigner enfants comme adultes en trois  jours et ne nécessite pas d’hospitali-sation. Son coût est très réduit : traiter un adulte ne coûterait que 2,5  dollars contre 4 à 7 actuel-lement. Le traitement est adapté aux formes de la maladie ren-contrées en Amérique latine et en Asie du Sud-Est. Le médica-ment ne sera pas protégé par un brevet.

CHINE : FLAMBÉE DES PRIX ALIMENTAIRES 18 AVRIL  Le Bureau chinois des statistiques publie son indice des prix à la consommation mon-trant la flambée des prix des pro-duits alimentaires : plus de 21 % en un an. Le prix de la viande de porc a augmenté de 66,7 %, celui des oléagineux de 50,7  % et celui de la viande de volaille de 45,8 %. Si la hausse des salai-res urbains compense en partie cette évolution, ce n’est pas le cas dans les campagnes où les prix à la consommation sont glo-balement plus élevés qu’en ville.

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En avril 2008, s’est tenu à Hanoi le Forum mondial sur les océans, les côtes

et les îles. En quoi la situation de ces régions du monde est-elle devenue un problème global ?Nous oublions tous trop facilement que l’océan est une composante essentielle du système global de la planète. Non seulement il nous approvisionne en aliments marins (algues, poissons, crustacés), en eau et ressources minières (par exemple le pétrole), mais il joue également un rôle important dans la régula-tion du climat par la circulation des courants et les échanges avec l’atmosphère. Les océans, qui couvrent 71 % de la surface de la Terre, sont en crise. Cette crise se manifeste notamment à travers la surexploi-tation des ressources halieutiques et l’augmentation de leur tempé-rature. Une des missions du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), au vu de ses responsabi-lités en matière de biodiversité, changements climatiques et eaux interna-tionales, est d’assurer la gestion durable des océans.

Depuis sa création, le FEM a investi plus de 750 millions de dollars dans la protection des écosystèmes marins. Et c’est pour favo-riser la réflexion autour de questions trans-versales comme l’intégration des change-ments climatiques dans la conservation des grands espaces marins, les relations entre biodiversité et écosystèmes marins ou la lutte contre les pollutions persistantes qu’il a soutenu le Forum mondial sur les océans, les côtes et les îles d’avril 2008.

Que peut-on attendre de telles mani-festations pour le renforcement de la gouvernance mondiale ?Le forum a rassemblé un large spectre d’ac-teurs  : de hautes personnalités représentant de nombreux pays en voie de développe-ment, les agences multilatérales et bilatérales de développement, les ONG, des experts et des entreprises. Leur rencontre permet d’en-visager des partenariats nouveaux autour d’enjeux définis en commun.

Le Forum a déjà permis une meilleure intégration des changements climatiques au sein de la gestion durable des océans. C’est

un grand pas en avant, poursuivi en octobre 2008 lors du congrès de l’UICN qui en a fait l’un de ses thèmes principaux (lire zoom p. 65), auquel le FEM participe activement. Les recommanda-tions d’Hanoi seront également reprises dans les agendas du 5e  Forum mondial sur l’eau, qui aura lieu à Istanbul en mars 2009, et de la Conférence mondiale sur

les océans à Manado en Indonésie en mai 2009. Le FEM y poursuivra la promotion d’une approche intégrée de la gestion des ressources en eaux douces et marines : l’in-tégration de la gestion durable des bassins versants, notamment afin de mieux gérer les pollutions qui accentuent l’eutrophisation des zones côtières  ; la lutte contre la surpêche et la dégradation des habitats, spécialement les mangroves et récifs coralliens ; ainsi que l’atténuation des changements climatiques et leur adaptation. Autant de domaines qui réclament des interventions concertées par tous les participants au forum. n

FINANCER L’AVENIR DE LA MER

Monique Barbut, présidente du Fonds pour l’environnement mondial (FEM)

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AVRIL

UNE EUROPE OUVERTE AU SUD ? 22 AVRIL  La Commission européenne présente au Parle-ment européen son rapport sur l’ouverture des marchés de l’Union aux pays en développement. Selon l’étude, le marché européen est plus ouvert aux exportations des pays en développement que toute autre grande écono-mie. Les importations de l’UE en provenance des pays en développement ont ainsi augmenté de 14 % entre 2005 et 2006 (de 16 % si on inclut la Chine), alors que les échan-ges mondiaux de marchandises se sont accrus d’environ 8  % au cours de la même période. La Commission se félicite de cette évolution qui montre l’impact positif des accords de partenariat pour le développement des pays du Sud (lire zoom p. 53).

LES FAITSMARQUANTS1

AIDE ALIMENTAIRE HORS DE PRIX 16 AVRIL  Le PAM annonce qu’il lui manque 750 millions de dol-lars pour mener à bien sa mis-sion d’aide alimentaire, soit 250 millions de plus qu’annoncé en février. Ce déficit est essentiel-lement dû à l’envolée des cours des produits alimentaires depuis le début de l’année, en particu-lier ceux du riz. Le 14, les États-Unis promettent d’augmenter leur aide alimentaire pour attein-dre 200 millions de dollars et, le 18, la France annonçe le double-ment de son aide alimentaire, qui s’élèvera ainsi à 60 millions d’euros.

DÉVELOPPEMENT : SOUS LE SIGNE DU COMMERCE 20>25 AVRIL  La Cnuced se réu-nit à Accra (Ghana) pour sa 12e session. La déclaration finale et de nombreuses déclarations faites pendant la conférence insistent sur l’importance du sys-tème commercial pour induire et renforcer le développement, en particulier en Afrique subsaha-rienne qui reste la région la plus éloignée de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement. La déclaration prend aussi acte de la place prise par les pays émergents dans la croissance mondiale et propose de leur faire jouer un rôle plus important dans les processus de régulation, à la Cnuced mais aussi à l’OMC.

LES NOUVEAUX CHAMPIONS DE LA TERRE 23 AVRIL  Le PNUE présente ses six  nominés au titre de cham-pion de la terre, illustrant «  le verdissement de l’économie mondiale  »  : le prince Albert  II de Monaco, pour son engage-ment en matière de changement

climatique et de gestion des ressources naturelles  ; Abdul-Qader Ba-Jammal, défenseur d’une utilisation rationnelle des ressources naturelles  ; Timothy E. Wirth, pour son engagement pour la limitation des émis-sions de gaz à effet de serre aux États-Unis  ; Liz Thompson pour ses travaux sur la gestion des déchets ; le Dr Atiq Rahman, fondateur d’un institut d’étu-des sur la durabilité en Asie et le Dr Balgis Osman-Elasha, pour ses efforts pour faire connaître le problème du changement clima-tique en Afrique.

LA BIODIVERSITÉ D’AUJOURD’HUI FAIT LES TRAITEMENTS DE DEMAIN 24 AVRIL  Le PNUE, la Conven-tion sur la diversité biologique et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) publient Sustaining Life, une étude conjointe montrant les risques encourus par la recher-che médicale en raison de la perte constante de biodiversité. Les auteurs rappellent que les dernières avancées en matière de traitement de la douleur, de la cécité ou du cancer sont tou-tes dues à l’utilisation d’organis-mes vivants marins ou terrestres. Un plaidoyer pour une conserva-tion qui protège l’homme.

EUROPE : GRAND ESPACE SAUVAGE 24 AVRIL La Commission euro-péenne accepte de nouvel-les zones de conservation de la faune et de la flore au sein du réseau européen Natura  2000, instauré en  1992 pour garantir le maintien de la diversité des habitats naturels. Les 19 000 km2 nouvellement protégés représen-tent les deux tiers de la superficie des Pays-Bas. Essentiellement situées en Europe centrale et du

Sud, ces zones supplémentai-res permettront la protection de nouvelles espèces comme l’ours brun, le loup, le lynx, la chouette ou la cigogne noire. Natura 2000 couvre aujourd’hui 20  % des terres émergées de l’Union et 100 000 km2 de mer.

PALUDISME : PETITES MESURES ET GRANDS EFFETS 25 AVRIL   L’ONU célèbre une première Journée mondiale de la lutte contre le paludisme. Cette maladie continue d’être un problème humain et écono-mique considérable en Afrique, en Asie du Sud-Est et dans les Caraïbes. En Afrique, un enfant meurt toutes les trente  secon-des du paludisme. La journée donne l’occasion aux agences des Nations unies d’annoncer l’intensification en Afrique de programmes de prévention qui ont fait leurs preuves  : le déve-loppement d’aspersions d’insec-ticides à l’intérieur des maisons et la distribution de moustiquai-res imprégnées.

UN MORATOIRE MONDIAL SUR LES AGROCARBURANTS ? 28 AVRIL   Le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimen-

tation demande l’imposition d’un moratoire mondial sur les agro-carburants dans un contexte de crise alimentaire. Cette mesure serait nécessaire pour maîtriser l’augmentation des prix de l’ali-mentation et pour favoriser l’utili-sation des terres pour la produc-tion vivrière. En  2007, un tiers de la production américaine de maïs a servi à la production de combustibles, et l’Europe a pris l’engagement d’arriver à rempla-cer 10  % de sa consommation de carburants fossiles par des produits d’origine agricole.

SEPT ANS DE GUERRE POUR UN HARICOT 29 AVRIL  Le US Patent and Tra-demark Office reconnaît le bien-fondé de la plainte déposée par le Colombia’s International Center for Tropical Agriculture (CIAT), avec le soutien des syn-dicats agricoles mexicains et du Consultative Group on Interna-tional Agricultural Research. Il déboute ainsi l’entreprise agro- alimentaire Proctor de son bre-vet sur le haricot «  enola  » déposé en  2000. En  2004, des généticiens avaient prouvé que le haricot enola était génétique-ment comparable à six variétés conservées dans les banques génétiques du CIAT.

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AVRIL

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 43

L e Major Economies Meeting (MEM), processus de discussion intergouver-nemental entre les plus grands pays émetteurs de gaz à effet de serre, initié

par les États-Unis en 2007 en parallèle des négociations onusiennes, s’est réuni en avril 2008 à Paris. L’approche de la réduction des émissions par secteur d’activités (acier, ciment…) y tient une place importante, même si celle-ci reste à définir précisément. Elle contraste en tout cas avec les logiques prévalant dans le cadre multilatéral  : les engagements des pays industrialisés dans le protocole de Kyoto couvrent l’ensemble de l’économie, tandis que les mécanismes d’incitation à l’action dans les pays en déve-loppement – Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et Mécanisme de dévelop-pement propre (MDP) – reposent sur une approche par projet (lire repère 17).

L’atelier sur les approches sectorielles organisé par l’Iddri en ouverture de la réunion du MEM a permis de progresser sur la compréhension des modèles en débat. Certains pays, comme le Japon, pensent plus objectif de déterminer les futurs enga-gements de réduction des pays à partir d’un examen des émissions secteur par secteur. D’autres vont plus loin dans la critique du cadre onusien et imaginent de nouveaux instruments de coordination internationale basés sur une approche sectorielle. L’idée d’accords transnationaux regroupant les entreprises d’un même secteur rencontre ainsi l’adhésion des grands groupes indus-triels opérant sur des marchés globalisés et inquiets face au renforcement des politiques climatiques dans les pays industrialisés. En l’absence d’accord global avec les pays en développement, la négociation sectorielle apparaît une méthode plus rapide pour maîtriser les conséquences négatives de poli-tiques unilatérales, sur le plan économique

(relocalisation progressive de la production des industries les plus émettrices dans les pays sans politique climatique) et environne-mental (« fuites » de carbone). Mais définir le cadre de négociation et de gouvernance de tels accords reste difficile.

L’approche par secteur permet en outre d’envisager l’élargissement des politiques climatiques aux pays en développement autrement que par la généralisation d’enga-gements quantifiés au niveau national, sur le modèle de Kyoto. Pour l’Afrique du Sud, l’approche sectorielle permettrait de construire des stratégies de soutien à la mise en œuvre de politiques nationales dans les pays en développement. Pour d’autres, il faudrait élargir le soutien du MDP aux secteurs et pas seulement aux projets. Ces différentes pistes sont prometteuses, notam-ment parce qu’elles s’appuient sur la volonté politique des pays, plutôt que d’imposer des actions de façon exogène. Elles conduisent à envisager une plus grande diversité des modes d’association des pays en dévelop-pement, sans bouleverser radicalement les principes structurant la Convention Climat et le protocole de Kyoto.

À l’issue de l’atelier, un consensus a d’ailleurs émergé sur le fait que raisonner de manière sectorielle était nécessaire pour diffuser des technologies faiblement émet-trices dans les pays en développement, sans être suffisant néanmoins pour relever le défi de la lutte contre les changements climati-ques. En aucun cas, l’approche par secteur ne saurait se substituer à des engagements de réduction quantifiés pour les pays indus-trialisés, une affirmation paradoxale dans une enceinte initialement réunie pour proposer une alternative plus qu’un soutien au processus des Nations unies. n

MICHEL COLOMBIER ET MATTHIEU WEMAËRE, IDDRI

ÉTATS-UNIS : LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE PASSE PAR L’AGRICULTURE 29 AVRIL   La fondation Pew publie une étude commandée à l’Université Johns Hopkins (États-Unis) sur l’état de l’agricul-ture américaine, Putting Meat on the Table. Le rapport constate la profonde transformation du sys-tème agricole au cours des cin-quante dernières années et son efficacité à produire de la viande. Il fait aussi l’inventaire des coûts de cette transition – consomma-tion en eau, besoin en céréales, bien-être animal, risques pour la santé humaine et animale – pour arriver à la conclusion que ce sys-tème n’est ni durable ni compa-tible avec la mise en place d’une économie décarbonée, princi-pale exigence du xxie siècle.

LA QUESTION DES STOCKS D’URANIUM 30 AVRIL   Une équipe de cher-cheurs de l’Université de Monash (Australie) publie une étude montrant que les réser-ves accessibles d’uranium ne seront sans doute pas suffisan-tes pour répondre aux besoins des installations en activité ou en construction à moyen terme. Atteindre des gisements plus profonds ou de moindre qualité nécessiterait de consommer plus de pétrole, et par là même aug-menterait les émissions de CO2 liées à l’exploitation de l’ura-nium – une conséquence néga-tive d’un mode de production d’énergie réputé lutter contre l’effet de serre.

GAZ À EFFET DE SERRE : LE DÉTOUR PAR L’INDUSTRIE

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 200944

MAI

VERS UNE PRIVATISATION DE L’ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ? 13 MAI  L’ONG canadienne ECT publie un rapport dénon-çant la mainmise opérée par les grands semenciers sur les gènes d’adaptation au changement climatique. BASF, Monsanto, Bayer, Syngenta, Dupont et leurs partenaires ont déposé un total de 532 demandes de brevets dans le monde sur des séquences génétiques favorisant l’adap-tation au changement climatique –  Monsanto et Bayer comptant pour 49 % de ses demandes. L’ONG dénonce en conséquence la privatisation de connaissances qui devraient servir à tous les agriculteurs.

LES FAITSMARQUANTS1

LES ENFANTS PAUVRES MEURENT DE PNEUMONIE 2 MAI   L’Organisation mondiale de la santé et l’Unicef publient une étude conjointe montrant que la pneumonie cause plus de décès d’enfants de moins de cinq ans dans le monde que le sida, le paludisme et la rou-geole réunis. Selon le rapport, les pneumonies infantiles sont liées à la pauvreté, à la malnutri-tion et aux conditions de vie – le surpeuplement des logements, le manque d’hygiène et la fumée. La lutte contre la pneumonie passe ainsi par la vaccination, l’allaitement maternel, la distri-bution de compléments alimen-taires riches en zinc et la préven-tion de la pollution de l’air dans les logements.

UNE CROISSANCE SANS EMPLOI ? 5>7 MAI   La Banque mondiale et l’Institut d’études du travail de Bonn organisent une confé-rence internationale sur l’em-ploi et le développement, à Rabat au Maroc. Les partici-pants soulignent l’importance de bons emplois pour le soutien de la croissance et la réduction de la pauvreté. Or la croissance mondiale actuelle semble créer des emplois essentiellement dans des secteurs peu rémuné-rateurs  : agriculture, petit com-merce. Elle délaisse particulière-ment les jeunes –  la moitié des chômeurs dans le monde ont moins de vingt-cinq ans.

EUROPE : À LA RECHERCHE DE L’AGROCARBURANT DURABLE 7 MAI   Une réunion des minis-tres européens ne parvient pas à adopter des critères communs pour encadrer la production des agrocarburants, destinés à

couvrir 10 % de la consomma-tion des transports d’ici à 2020. Si l’idée d’une certification est quasiment acceptée, le débat oppose les tenants de filières nationales très encadrées (France, Allemagne, nouveaux États mem-bres) aux partisans d’un appro-visionnement reposant sur des importations (Pays-Bas, Royaume-Uni, pays scandina-ves). Les premiers veulent res-treindre les importations aux pays ayant signé au moins dix conven-tions internationales, dont le pro-tocole de Kyoto de lutte contre le réchauffement climatique, les textes sur le travail des enfants ou les libertés syndicales. Les seconds s’inquiètent du niveau de subventions nécessaires pour développer des filières euro-péennes et jugent des normes strictes incompatibles avec la règle de l’OMC interdisant toute différence de traitement fondée sur le mode de production.

UN CARBONE DE VALEUR 7 MAI   La Banque mondiale publie son rapport annuel sur les marchés du carbone. À l’échelle mondiale, le marché a doublé de valeur depuis 2006 pour attein-dre 47 milliards d’euros. Le mar-ché européen a lui aussi connu une évolution positive, attei-gnant maintenant 37  milliards d’euros. Seuls les investisse-ments canalisés par le Méca-nisme de développement pro-pre semblent stagner  : en 2007, ils représentaient 551  millions de tonnes équivalent carbone contre 537 en 2006.

CARTOGRAPHIER LA VIE 8 MAI  Le World Wildlife Fund et The Nature Conservancy, deux grandes ONG environnementa-listes, lancent la première carto-graphie mondiale des zones de

biodiversité en eau douce, résul-tat de dix ans de collecte d’infor-mations de plus de deux cents scientifiques. Le but est de four-nir les connaissances scienti-fiques nécessaires aux acteurs engagés sur le terrain dans la conservation des zones humi-des, notamment en désignant les régions de plus riche biodi-versité.

AFRIQUE : LES INCONSTANCES DE LA CROISSANCE 11 MAI   L’OCDE publie son septième rapport annuel sur l’Afrique. Si la croissance afri-caine demeure globalement éle-vée – plus de 5 % pour la qua-trième année consécutive –, elle est plus inégalement répartie que les années précédentes. L’aug-mentation des prix des matières premières est la première cause de cette inégalité, le prix du car-burant et des produits alimen-taires pesant gravement sur les économies importatrices. Seuls les pays exportateurs de pétrole échappent à la récession.

UN ARBRE CHACUN 13 MAI   Le PNUE annonce que sa campagne lancée en  2006 pour la plantation d’un mil-liard d’arbres a déjà doublé son

objectif initial. Vu le succès de cette initiative qui implique les communautés locales dans la lutte contre le changement cli-matique, le PNUE veut mainte-nant atteindre 7  milliards d’ar-bres plantés avant la fin 2009 –  soit un pour chaque habi-tant de la Terre. L’Afrique est la région qui, pour l’instant, s’est le plus mobilisée dans cette cam-pagne avec un milliard d’arbres – dont 700 millions en Éthiopie ou 100  millions au Kenya. La Turquie (400  millions) ou le Mexique (250 millions) ont aussi fait des efforts importants.

PLUS DE RIZ, PLUS CHER 13 MAI  La FAO publie une pré-vision de la production mon-diale de riz en  2008, montrant une augmentation des récol-tes attendues (+ 2,3 %) qui per-mettrait d’atteindre le volume sans précédent de 600  millions de tonnes. Malgré cette évolu-tion, l’agence ne s’attend pas à une pause dans l’augmentation des prix de la céréale la plus consommée dans le monde. La majorité des pays producteurs limitent en effet leurs exporta-tions pour éviter tout risque de pénurie, créant une augmenta-tion des cours. Par ailleurs, le prix

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MAI

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 45

Bonn a accueilli du 19 au 30 mai 2008 la 9e Conférence des parties à la Convention

sur la diversité biologique. Quels ont été les sujets abordés ?Parmi les progrès réalisés, le plus impor-tant a été le lancement de la négociation d’un accord contraignant sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages générés par leur utilisation. Cet accord devrait prendre forme d’ici à 2010 et la 10e Conférence des parties de Nagoya (Japon). Le gouvernement allemand a aussi présenté l’initiative Life Web, l’enga-geant à apporter 500 millions d’euros pour la conservation des forêts et de la biodiversité de 2009 à 2012, puis à verser 500 millions d’euros supplémentaires chaque année à partir de 2013 grâce à la vente aux enchères de droits à émettre du carbone. Ce mécanisme pour-rait préfigurer une initiative finan-cière de l’ensemble du G8 en 2010 en faveur de la biodiversité.

Néanmoins, la Convention sur la diversité biologique reste le parent pauvre de la conven-tion cadre des Nations unies sur les changements climati-ques, comme l’a montré la faible participa-tion ministérielle à la conférence de Bonn. Hormis l’Allemagne, qui accueillait la confé-rence, et la France, qui a lancé la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) – lire zoom p. 71 –, aucun grand pays donateur ne s’est engagé. Alors que les États-Unis n’ont toujours pas signé la Convention, leur coopération est incontournable pour définir une posi-tion commune en matière de partage des

avantages et pour parvenir à un accord global sur le financement de la conserva-tion des aires protégées. Tout progrès ne sera possible qu’avec une pression politique continue, soutenue par de nouveaux enga-gements financiers du G8.

Quels sont les enjeux actuels de la négociation ?L’UE et le G77, qui réunit les pays les moins avancés, restent les groupes de négocia-tion les plus cohérents, même si des diver-gences existent à propos du partage des avantages. Les pays en développement, derrière le Brésil, défendent en effet l’in-

térêt de leurs industries pharma-ceutiques et agro-alimentaires face aux grandes industries inter-nationales.

Plus largement, l’enjeu est l’émergence d’une prise de conscience du recul global de la biodiversité et de ses conséquences pour l’agriculture, la subsistance des populations locales et l’adap-tation aux changements climati-ques. Dans ce domaine, le Global Island Partnership (Glipsa) joue un rôle central de signal d’alarme, les territoires insulaires subissant déjà

de plein fouet les effets des risques associés à la perte de biodiversité. Le lancement du rapport de Pavan Sukhdev sur la valeur économique de la biodiversité, l’initiative IPBES qui devrait produire des recomman-dations scientifiques pertinentes pour les politiques ou le Life Web, venant améliorer le financement de la conservation et l’ap-profondissement du dialogue entre la CDB et la Convention Climat, montrent néan-moins la sensibilisation progressive de la communauté internationale. n

élevé de la viande et des produits laitiers induit une augmentation de la consommation humaine de céréales, notamment de riz (+ 0,5 %). En moyenne, chaque humain mange l’équivalent de plus de 57  kilos de riz chaque année.

LE PEUPLE CONTRE LA MULTINATIONALE 14 MAI   Un groupement d’ONG andines organise, en marge du cinquième sommet Union euro-péenne-Amérique latine, un tri-bunal populaire pour juger des agissements d’une vingtaine d’entreprises européennes dans la sous-région. Selon les orga-nisateurs, ces entreprises mena-cent les droits économiques et sociaux des habitants de la région. Les tribunaux populaires ont été créés en Italie en  1979 après la catastrophe de Seveso. Si leurs jugements n’ont qu’une valeur morale, les militants espè-rent néanmoins s’appuyer sur les conclusions pour porter certai-nes accusations devant la justice péruvienne.

UN ÉLÉPHANT NE FAIT PAS LA PAUVRETÉ 14 MAI  L’ONG WWF publie une étude sur les relations entre pau-vreté et conservation des élé-phants sauvages en Afrique et en Asie. Elle montre que les conflits les plus importants vien-nent d’une mauvaise gestion des espaces naturels et agrico-les ainsi que d’un manque de planification et de rigueur dans l’allocation des espaces. L’étude montre aussi que plus les com-munautés locales ont de droits sur leur environnement, plus elles en sont respectueuses.

BIODIVERSITÉ : UNE QUESTION POLITIQUE

I N T E R V I E W

Sascha Müller-Kraenner, vice-président de l’Ecologic Institute, représentant pour l’Europe de The Nature Conservancy

>>> SUITE PAGE 46

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MAI

ÉTATS-UNIS : L’OURS POLAIRE... MAIS PAS KYOTO 15 MAI   Les États-Unis inscrivent l’ours polaire sur leur liste des animaux en voie de disparition, et reconnaissent ainsi la dégradation de son habitat par la fonte des glaces arctiques. Les 25 000  ours polaires encore en liberté pourraient avoir disparu en 2050. À la grande déception des environnementalistes, le gouvernement a toutefois précisé que cette décision ne modifierait en rien la posi-tion américaine sur la question du changement climatique et dans les négociations concernant les suites à donner au protocole de Kyoto.

LES FAITSMARQUANTS1

LA MINISTRE QUI NE SAUVA PAS L’AMAZONIE 14 MAI   Marina Silva, emblème brésilien de la lutte contre la défo-restation de l’Amazonie, démis-sionne de son poste de secré-taire d’État à l’Environnement qu’elle occupait depuis  2002. Elle invoque son désaccord avec la politique de développement de la région amazonienne sou-tenue par le gouvernement et sa déception face aux pressions opposées à ses efforts pour limi-ter la déforestation.

LA FAUTE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE 15 MAI Une équipe internatio-nale de climatologues du GIEC publie dans la revue Nature une imposante étude sur les change-ments observés sur 829 écosys-tèmes, 28 800 plantes et animaux depuis 1970. 95 % des évolutions remarquées sur les milieux phy-siques sont, d’après cette étude, imputables au réchauffement des températures : fonte des gla-ciers, réduction du permafrost, augmentation de la température des cours d’eau, etc. Près de 90  % des changements remar-qués sur les animaux et sur les plantes (comme les dates de flo-raison) peuvent aussi être reliés à l’évolution des températures.

ANDES : (TRÈS) CHER CLIMAT 15 MAI  La Communauté andine publie une étude prospective commandée auprès de l’Univer-sité péruvienne du Pacifique, en coopération avec des spécialistes boliviens, colombiens et équato-riens, sur le coût du changement climatique dans la région. Le coût des catastrophes naturelles s’élèvera à au moins 30 milliards de dollars par an (environ 4,5 % du PNB combiné de la zone) à

partir de 2025, une estimation relativement optimiste selon les auteurs qui craignent d’avoir sous-estimé l’impact du change-ment du climat sur l’eau, la biodi-versité ou la santé humaine.

EUROPE : COMMENT SOUTENIR LES PETITS AGRICULTEURS ? 15 MAI WWF et l’European Forum for Nature Conserva-tion and Pastoralism publient une série d’études sur les petits agriculteurs dans l’Union euro-péenne, soulignant l’inadap-tation des soutiens financiers existants. L’un des principaux problèmes relevés par ces étu-des est la définition des terres agricoles. Une partie importante des terres des petits agriculteurs, comme les forêts, les haies ou les zones pierreuses, ne sont pas considérées comme agricoles et, par conséquent, ne sont pas prises en compte dans le calcul des soutiens financiers. Ainsi en Roumanie, près de 4 millions de petits agriculteurs cultivant moins de 2 hectares ne reçoivent aucune aide en raison de la nature de leurs terres. Étant donné le rôle important de ces espaces pour la conservation de la biodiversité, les deux organisations appellent à une réévaluation de la valeur des terres agricoles.

L’OMC, LE DÉVELOPPEMENT ET L’ACCÈS AUX MARCHÉS 19 MAI  Une semaine après avoir proposé un nouveau document de travail sur la négociation agri-cole, l’OMC publie une nouvelle proposition de négociation en matière d’accès aux marchés non agricoles. Si le texte agricole présenté la semaine précédente a été plutôt bien accueilli, les nouvelles propositions concer-nant les produits manufactu-rés suscitent d’ores et déjà une levée de boucliers, notamment de la part de l’Inde. En effet, elles exigent des pays en développe-ment qu’ils réduisent leurs taxes sur les produits d’importation de manière bien plus importante que les pays développés.

ISLANDE : LA BALEINE EST UNE MARCHANDISE 19 MAI Le gouvernement islan-dais autorise la reprise de la chasse commerciale de la baleine, fixant un quota de 400  rorquals pour 2008. Parmi les militants de la reprise de la chasse baleinière, on trouve des pêcheurs estimant que les cétacés consomment trop de poissons et menacent la survie des stocks. Les oppo-sants soulignent, au contraire, qu’une baleine vivante est une

attraction touristique supérieure à la valeur de sa chair sur le mar-ché. Dès le 20 mai, une première prise est annoncée.

LES LIMITES DE LA MÉDECINE BREVETÉE 21 MAI  L’Organisation mondiale de la santé tient son assemblée annuelle à Genève et discute du rapport du Groupe de tra-vail intergouvernemental sur la santé publique, l’innovation et la propriété intellectuelle, préconi-sant une intervention de l’agence dans ce domaine. Les États-Unis marquent une nouvelle fois leur opposition à la reconnaissance par les Nations unies d’un sys-tème de propriété intellectuelle plus souple que les brevets sur les médicaments. Pour les experts de l’OMS et les ONG, ce refus va à l’encontre des besoins en nouveaux traitements dans les pays en développement.

EUROPE : QUAND L’AIDE FAIT L’ENVIRONNEMENT 21 MAI   La Commission euro-péenne publie le tableau de bord des aides d’État, témoi-gnant d’une utilisation accrue de ces soutiens pour des pro-jets de protection de l’environ-nement. Si le nombre de projets aidés est resté stable, le montant des sommes perçues a plus que doublé entre 2001 et 2006, pas-sant de 7 à 14 milliards d’euros soit 0,12 % du PIB de l’UE. Les pays les plus actifs sont la Suède, le Danemark et l’Allemagne qui, entre 2004 et 2006, ont consacré respectivement 0,77 %, 0,35 % et 0,32 % de leur PIB à l’environ-nement. À l’inverse, la France, le Luxembourg ou la Grèce n’y ont alloué que 0,01 %.La Commission inclut dans ces aides les exonérations de taxes environnementales au titre de leur participation au financement

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MAI

Le 20  mai  2008, les émis-sions de carbone austra-liennes ont été cotées pour

la première fois de manière officieuse. Quels sont les ressorts du revirement australien en faveur de la lutte contre le changement climatique ?La rupture est venue avec l’élection en novembre  2007 du nouveau Premier ministre issu du Labour, Kevin Rudd, qui avait fait campagne sur le thème du changement climatique. Dès décembre, l’Australie ratifiait le protocole de Kyoto et lançait un nouveau mécanisme national d’échange des quotas d’émission, dont la mise en œuvre est prévue pour 2010. Avec ce mécanisme, l’Australie, qui représente 1,1  % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, veut avant tout se repositionner dans la négociation internationale et participer à la définition du nouvel accord post-Kyoto. Ross Garnaut, le conseiller du gouver-nement en charge du change-ment climatique, propose ainsi que l’Australie, dont les émissions par habitant sont les plus élevées au monde, montre la voie d’une convergence équitable fondée sur l’égalisation des émissions par habitant à l’échelle internationale d’ici 2050. Une telle approche favoriserait les pays en développement dont les émissions par habi-tant sont plus faibles que celles des pays industrialisés, mais cela suffira-t-il à leur faire oublier la responsabilité historique des pays riches quant au niveau actuel d’émis-sions dans l’atmosphère ?

Comment est perçue cette politique à l’échelle nationale ?L’Australie a, jusqu’ici, profité de l’envolée

mondiale des prix des matières premières et de l’exploitation peu coûteuse du charbon pour son énergie. 80 % de l’électricité austra-lienne est produite à partir du charbon. Le lancement d’un marché carbone suscite donc de grandes inquiétudes chez les indus-triels, les milieux d’affaires et les syndicats. La promesse récente du gouvernement de compenser par des quotas gratuits les « industries fortement touchées » montre la capacité de ces puissants lobbies à entamer la cohérence environnementale et écono-mique du futur marché carbone.

Par ailleurs, Kevin Rudd a aussi été élu sur la promesse de maintenir un coût de la vie raisonnable pour les consomma-teurs. Selon les estimations du professeur

Garnaut, une réduction totale de 10 % des émissions devrait néan-moins induire une hausse de 40 % des dépenses énergétiques des ménages. Ces calculs se basent sur un carbone à 34  dollars la tonne contre 19 actuellement, soit une mise à niveau avec le marché européen qui affiche un prix de 27  dollars la tonne. Même si le gouvernement décidait de mettre aux enchères l’intégralité des quotas, il ne serait pas en mesure de compenser le surcoût pour les

consommateurs. Les Australiens ont l’habi-tude d’avoir accès à des ressources natu-relles abondantes et bon marché et, même s’ils réclament une action sur le changement climatique, ils pourraient ne pas pardonner au nouveau Premier ministre de faillir à sa promesse électorale en puisant dans leur porte-monnaie. Malheureusement pour Kevin Rudd, plus il s’imposera comme un modèle au niveau mondial, plus il prendra le risque de devenir impopulaire auprès de ses électeurs. n

de la transition technologique, lesquelles représentent près de 53 % des soutiens recensés. Les critiques soulignent que la majo-rité de ces exonérations sont accordées aux industries gran-des consommatrices d’énergie, parfois très polluantes.

DES ÉCOLES PAUVRES POUR LES RURAUX 28 MAI  L’Unesco publie un rap-port sur l’impact des inégalités sociales sur les résultats scolai-res. Basé sur des études de ter-rain dans onze pays –  Argen-tine, Brésil, Chili, Inde, Malaisie, Paraguay, Pérou, Philippines, Sri Lanka, Tunisie et Uruguay –, le rapport souligne les disparités entre écoles urbaines et rura-les  : électricité, toilettes, télé-phone, bibliothèque, bâtiments en bon état restent des privilè-ges urbains. Des caractéristiques qui semblent fortement corré-lées à l’insatisfaction des ensei-gnants et aux faibles résultats des élèves.

AFRIQUE : INVESTIR POUR LES ENFANTS 28 MAI  L’Unicef publie son rap-port annuel sur la Situation des enfants en Afrique, soulignant la persistance de risques sanitai-res pour les moins de cinq ans. Chaque année, près de 10  mil-lions d’enfants –  un sur six  – meurent avant leur cinquième anniversaire, avant tout par manque de services sanitaires de proximité. Malgré ceci, on constate une amélioration glo-bale –  la mortalité infantile a baissé de 14 % en Afrique sub-saharienne entre 1990 et 2006 – et même des résultats spectacu-laires en Érythrée, en Éthiopie, au Malawi et au Mozambique, où elle a chuté de près de 40 % sur la même période.

UN MARCHÉ CARBONE AUSTRALIEN POUR PESER DANS LES NÉGOCIATIONS

I N T E R V I E W

Oliver Sartor, Centre for Energy and Environmental Markets University of New South Wales Sydney, Australie

Z O O M

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JUINCRISE ALIMENTAIRE : FAUT-IL S’EN REMETTRE AU MARCHÉ ? 3>5 JUIN L’Organisation des Nations unies pour l’alimen-tation et l’agriculture (FAO) tient sa conférence annuelle sur fond de crise alimentaire dans plus de quarante pays. Au-delà des six milliards de dollars d’aides conjoncturelles annoncées, les débats se concentrent sur le rôle du mar-ché, à la fois pour fixer un prix acceptable aux denrées alimentaires et pour générer les incitations nécessaires à une augmentation de 50 % de la production mondiale d’ici 2030. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, comme le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick ou le directeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy, appellent à la levée des restrictions commerciales aux exportations et à la recher-che d’une régulation mondiale au sein de l’OMC.

LES FAITSMARQUANTS1

PRODUCTION D’ÉNERGIE EN FORÊT 4 JUIN La FAO publie un rapport sur l’utilisation du bois pour pro-duire de l’énergie. L’étude souli-gne les avancées technologiques accomplies dans le domaine de la production de carburants à base de cellulose et prédit qu’à l’horizon  2030 cette production sera suffisamment importante pour représenter une alternative réelle aux agrocarburants issus d’oléagineux (lire zoom p. 55).

NICARAGUA : DU TECK PLUTÔT QUE DES VACHES 6 JUIN Le Fonds carbone de la Banque mondiale participe, à hauteur de 8 millions de dollars, à un projet convertissant 600 hec-tares de terrains d’élevage pri-vés en forêts plantées de teck au Nicaragua. Pendant sa crois-sance, jusqu’en 2017, la forêt devrait absorber 300 000 tonnes de carbone et générer autant de crédits d’émissions négociables sur les marchés internationaux, sans compter la valeur finale des bois précieux plantés.

UN MONDE D’EMPLOIS VERTS 5 JUIN L’Organisation internatio-nale du travail (OIT) lance, à l’oc-casion de la journée mondiale de l’environnement, une initiative visant à développer des emplois verts en partenariat avec le Pro-gramme des Nations unies pour le développement, l’Organisation internationale des employeurs et la Confédération syndicale internationale. Promouvoir des emplois verts, respectueux de l’environnement, stables et dura-bles s’inscrit dans l’objectif géné-ral de l’OIT de promotion d’em-plois décents. L’initiative veut accompagner les efforts de tous pour accélérer la transition vers une économie décarbonée.

UN VENT D’ÉNERGIE CONTRE LE CO2 6 JUIN L’Agence internationale de l’énergie (AIE) publie un rap-port qui place, pour la première fois, les énergies renouvelables –  en particulier l’éolien  – au premier rang des moyens pour réduire de 50 % les émissions de CO2 d’ici 2050. Selon l’AIE, l’éo-lien devrait alors compter pour 17  % de la production mon-diale d’électricité. Pour attein-dre ce résultat, l’agence estime qu’il faudra dégager un  milliard de milliards de dollars d’inves-tissements annuels, soit environ 1,1 % du PNB mondial. Ce coût serait plus que compensé par les économies réalisées en rédui-sant la consommation de char-bon, de pétrole et de gaz sur la même période.

CLIMAT : L’EXEMPLE JAPONAIS 9 JUIN Le gouvernement japo-nais se fixe comme objectif de réduire de 60 à 80 % ses émis-sions de CO2 d’ici à 2050, une augmentation substantielle par rapport à l’engagement précé-dent qui prévoyait une baisse de 50 % des émissions par rap-port au niveau de 1990. Le gou-vernement estime probable de réussir à réduire ses émissions de 14 % d’ici à 2020. Le Japon est actuellement le 5e émetteur au niveau mondial.

PAS DE CRISE POUR LES DÉPENSES MILITAIRES 9 JUIN Le Stockholm Interna-tional Peace Research Insti-tute (Sipri) publie son rapport annuel indiquant une nouvelle hausse des dépenses militai-res mondiales en 2007 : + 6 %, soit 1 339  milliards de dol-lars ou 2,5  % du PIB mondial. Les États-Unis ont été à eux seuls responsables de 45 % de cette progression des dépenses.

Durant la dernière décennie, les investissements militaires américains ont augmenté de 59  %. Ils ont plus que doublé en Europe de l’Est (+ 162 %)  ; ils se sont accrus de 65  % en Amérique du Nord, de 62  % au Moyen-Orient, de 51  % en Afrique et en Asie de l’Est. Loin derrière, l’Europe de l’Ouest et l’Amérique centrale n’ont aug-menté leurs dépenses que de 6 et 14 %.

L’HABITAT FERA LE TIGRE 9 JUIN Des ONG de conservation, des scientifiques, la Banque mon-diale et le Fonds pour l’environne-ment mondial créent une alliance mondiale pour protéger les tigres sauvages. On compte aujourd’hui 4 000  tigres en liberté dans le monde, contre plus de 100 000 il y a un siècle. Ce déclin est lié à la disparition de leurs proies et de leur habitat, mais aussi au déve-loppement d’un florissant marché noir de peaux et d’os de tigres. Pour l’alliance mondiale, la prio-rité est la conservation des habi-tats naturels des grands félins dont le territoire s’est réduit de 40 % en dix ans.

AFRIQUE : LE PRIX DU DÉVELOPPEMENT ? 10 JUIN Le Programme des Nations unies pour le développe-ment (PNUE) publie à l’occasion de la Conférence ministérielle africaine de l’environnement de Johannesburg un atlas de l’état de l’environnement sur le conti-nent. Basé sur l’étude d’images satellites de plus de cents lieux, cet ouvrage met en exergue la croissance des villes, l’exten-sion de la pollution, l’avancée de la déforestation –  la plus rapide au monde – et l’érosion des sols. L’atlas montre aussi les pressions croissantes sur l’eau, signalées par le recul des glaciers ou l’as-sèchement du lac Tchad. Autant de raisons de mentionner et d’encourager les efforts entrepris un peu partout en Afrique pour la conservation de la faune, de la flore ou des sols, pour la recons-titution des marais, ou pour une meilleure gestion de l’eau.

L’OCÉAN ET LE CO2 10>13 JUIN L’Union européenne lance un grand projet de recher-che sur l’acidification des océans (Epoca) provoquée par l’ab-sorption du CO2 contenu dans

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JUINl’atmosphère. En deux cents ans, depuis le début de l’ère indus-trielle, les espaces marins ont absorbé le tiers du gaz carbo-nique produit par les activités humaines, soit 120  milliards de tonnes. Si ce rôle de régulateur est connu, l’impact de ce phéno-mène sur les organismes et les écosystèmes marins l’est moins. Le programme de recherche doit permettre d’anticiper les évolu-tions à venir et d’émettre des recommandations à destination des responsables politiques.

DETTE, TRANSPARENCE ET DÉVELOPPEMENT 11 JUIN Le Club de Paris publie son premier rapport annuel. Créé il y a cinquante ans, il regroupe de façon informelle dix-neuf créan-ciers publics des pays en déve-loppement et constitue le prin-cipal lieu de renégociation des dettes – plus de 511 milliards de dollars depuis 1983. En décidant de publier un rapport annuel qui recense les efforts d’allègements et les remboursements anticipés obtenus, le Club de Paris amé-liore la transparence sur la ges-tion internationale des dettes des pays en développement tout en affirmant son rôle informel mais central.

UN PLAN ANTI-FAMINE À 80 % LOCAL 13 JUIN Le conseil d’administra-tion du Programme alimentaire mondial (PAM) adopte un nou-veau plan stratégique de quatre ans adapté aux besoins actuels, marqués par l’augmentation glo-bale des prix des produits alimen-taires et par des pénuries locali-sées de céréales. Par ce plan, le PAM s’engage à mobiliser loca-lement 80  % des denrées distri-buées, des moyens de transports

PÊCHE : PLUS DE PÉTROLE OU PLUS DE POISSONS ?

>>> SUITE PAGE 50

Z O O ML e mouvement de colère qui s’est

propagé en juin 2008 dans les ports français et européens met en lumière les difficultés incontestables du

secteur de la pêche aujourd’hui. Au-delà de la pénibilité de leur tâche, les pêcheurs font face à une grave crise économique, sociale et même culturelle.

L’augmentation du cours du pétrole au premier semestre 2008 a conduit les pêcheurs à réclamer – et l’État français à accorder – des subventions destinées à compenser les coûts engendrés par cette envolée des prix. Lorsqu’une hausse majeure des prix des carburants touche des navires pouvant consommer 2 000 à 3 000 litres de gasoil par jour de pêche, les coûts d’exploitation de l’outil de travail sont, mécaniquement, beau-coup plus importants. Or, la situation déjà précaire de l’industrie de la pêche n’a pas permis d’amortir cette augmentation.

Si le secteur de la pêche est moribond, depuis quelques années déjà, ce n’est que très marginalement à cause du prix du carburant. La surexploitation des princi-paux stocks halieutiques, au niveau mondial, oblige en effet à augmenter constamment l’effort de pêche pour maintenir artificiel-lement des volumes de prises à peu près constants, diminuant d’autant la rentabilité de l’activité. À l’échelle mondiale, la FAO estime ainsi que 75  % des stocks halieu-tiques sont pleinement exploités ou déjà surexploités.

Cette surexploitation a conduit à la deuxième « crise de juin » quand la Commission européenne a décidé de fermer prématurément la pêche du thon rouge en Méditerranée et dans l’Atlantique-Est, à tous les senneurs à senne coulis-sante battant pavillon chypriote, français, grec, italien et maltais. Les pêcheurs ont immédiatement contesté une telle déci-sion, soulignant qu’aucune preuve tangible ne permettait d’affirmer un dépassement des quotas attribués.

Pourtant, il semble que l’histoire se répète inlassablement chaque année. Un rapport récemment publié révèle qu’en 2007, plus de 60 000 tonnes de thons rouges ont été pêchées en Atlantique et en Méditerranée, pour un quota fixé à 28 500 tonnes. Le comité scientifique de l’Iccat (Commission inter-nationale de conservation des thonidés de l’Atlantique) avait pour sa part recommandé l’adoption d’un quota de 15 000 tonnes.

Le mal semble donc bien plus profond que la simple hausse des prix du pétrole. L’octroi de subventions au gasoil entretient un système pervers dont les coûts sociaux, économiques et écologiques sont consi-dérables. Des choix politiques forts, alliant mesures d’urgence et restructuration à long terme, sont aujourd’hui nécessaires pour rebâtir un secteur sain et rentable, respec-tant les cycles de renouvellement des ressources. n

JULIEN ROCHETTE, IDDRI

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 200950

JUINLES FAITSMARQUANTS1

et du personnel. D’autres mesu-res, allant de systèmes d’alerte en temps réels à des projets d’adap-tation conçus avec les commu-nautés locales, viennent complé-ter cette stratégie.

G8 : ENCORE (TRÈS) LOIN DE L’AFRIQUE 16 JUIN L’Africa Progress Report, groupe constitué de onze personnalités qui suivent les engagements pris envers l’Afrique par le G8 à Gleneagles il y a trois ans, publie un rapport à quelques semaines du sommet de Hokkaido au Japon. Selon ce rapport, loin d’avoir apporté une aide directe supplémentaire de 25 milliards de dollars comme ils l’avaient promis, les pays du G8 doivent encore mobiliser près de 40  milliards de dollars pour atteindre les objectifs annoncés.

PAS DE PROFIT POUR LA BALEINE 17 JUIN La Société mondiale pour la protection des animaux (SMPA) dénonce les profits dégagés par une entreprise pri-vée groenlandaise par la com-mercialisation de viande de baleine. La chasse baleinière est autorisée au Groenland par la Commission baleinière interna-tionale comme une activité tra-ditionnelle de subsistance faisant partie de la culture autochtone. Si le texte n’interdit pas spé-cifiquement la génération de

profits, il précise que la chasse ne peut dépasser les besoins des cinq communautés autochtones groenlandaises. Or, selon le rap-port de la SMPA, 25  % de la viande de baleine prise est ven-due dans des supermarchés, loin des communautés autochtones. Le 27, la Commission balei-nière internationale refuse une extension du quota de pêche du Groenland à dix baleines à bosse, sur la base du rapport.

AGRICULTURE CONTRE LE DÉSERT 17 JUIN La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CLD) consa-cre la journée mondiale de lutte contre la désertification aux relations entre formes d’agri-culture et dégradation des sols. La stratégie décennale adop-tée en 2007 insiste en effet sur l’importance de promouvoir au niveau mondial une agriculture durable, préservant les ressour-ces en eau, les écosystèmes et la fertilité des sols. Pour la CLD, un tel objectif est inséparable de toute stratégie internatio-nale de lutte contre la pauvreté et d’adaptation au changement climatique.

COMBIEN ÉMET CET AVION ? 19 JUIN L’Organisation de l’avia-tion civile internationale met en ligne un calculateur qui permet

de connaître l’impact en ter-mes d’émissions de carbone de tout vol aérien, domestique ou international. L’outil répond aux demandes de l’industrie aérienne et des Nations unies de disposer d’un mode de calcul unique et officiel des émissions.

RECYCLAGE : BON POUR LE CLIMAT, BON POUR L’ÉNERGIE 24 JUIN Le Bureau international de la récupération et du recy-clage publie, à l’occasion de son soixantième anniversaire, la pre-mière étude globale estimant l’empreinte carbone et le gain énergétique des matières recy-clées. L’étude montre ainsi les impressionnants gains énergé-tiques et la réduction des émis-sions de carbone liés à l’uti-lisation de matières recyclés -  aluminium, cuivre, fer, plomb, nickel, fer blanc, zinc et papier  : utiliser des matériaux secon-daires aura en  2007 réduit la consommation d’énergies fossi-les de 1,8 % et l’émission de C02 de 551 millions de tonnes.

CLIMAT : LE DÉTOUR PAR LES DROITS DE L’HOMME 24 JUIN L’ONG Internatio-nal Council on Human Rights Policy publie une étude ana-lysant comment les droits de l’homme, tels que définis par le droit international, peuvent permettre d’orienter une politi-que de lutte et d’adaptation aux changements climatiques. Selon l’étude, la prise en compte des droits permet de mieux repé-rer les victimes de l’évolution du climat, d’intégrer aux projets d’adaptation les besoins globaux de la communauté et d’éviter de lancer des projets peu respec-tueux des droits politiques, éco-nomiques, sociaux ou culturels des populations concernées.

TRAITEMENT PARTENARIAL POUR DÉCHETS HIGH-TECH 24>29 JUIN La 9e  Conférence des parties à la convention de Bâle réunie à Bali (Indonésie) adopte les règles proposées en 2006 par l’Initiative partena-riale sur les téléphones portables à propos de la conception et du retraitement des téléphones por-tables. Ces règles élaborées avec les fabricants et les fournisseurs d’accès visent à réduire l’impact écologique des appareils en fin de vie. Aujourd’hui, 3  milliards de téléphones portables sont en circulation contre 800 millions en 2000. Forte de ce résultat, la réunion de Bali lance une initia-tive comparable en matière de déchets issus des équipements informatiques.

LES AGRO-CABURANTS ALIMENTENT LA PAUVRETÉ 25 JUIN L’ONG Oxfam Inter-national publie le rapport Une autre vérité qui dérange, accu-sant le développement des agro- carburants d’être responsable de l’appauvrissement de près de 30 millions de personnes dans le monde. Pour l’ONG, les subven-tions octroyées aux cultures oléa-gineuses destinées aux carburants détournent les agriculteurs des cultures vivrières et contribuent ainsi au renchérissement des den-rées alimentaires. Cette hausse des prix touche les ménages les plus pauvres partout dans le monde. En conséquence, l’ONG invite l’Union européenne à aban-donner l’objectif de 10 % d’agro-carburants dans les transports et à supprimer les subventions à la production dans ce secteur.

PÊCHE MALVENUE AUX PHILIPPINES 25 JUIN Une coalition de quatorze organisations d’artisans pêcheurs

INDE : UN PLAN POUR LE CLIMAT 30 JUIN Le gouvernement indien présente son plan d’ac-tion en matière de lutte contre le changement climatique, marqué par un engagement massif en faveur des énergies renouvelables plutôt que par une réduction drastique des émissions. L’Inde, quatrième émetteur mondial, s’engage ainsi à maintenir ses émissions par habitant en deçà de celles des pays industrialisés. Par ailleurs, le plan vise le développement du potentiel solaire indien, estimé à 50 000 milliards de kilowatt heure.

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JUINphilippins proteste contre les termes de l’accord de libre-échange en cours de négocia-tion entre l’Union européenne et l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean). Elle craint de voir ses prises diminuées et les stocks de poissons menacés si les flottes européennes sont autorisées à parcourir librement les zones de pêche régionales. En l’absence d’une politique commune de l’Asean dans ce domaine, la pêche à outrance est déjà un problème pour la région, où les espèces les plus pêchées, telles que le thon, la sardine et le maquereau, sont des espèces migratrices déjà très menacées.

UNE EAU UN PEU TROP CORROMPUE 25 JUIN L’ONG Transparency International publie l’édi-tion  2008 du Global Corruption Report, consacré au secteur de l’eau. De par le monde, cette ressource est gérée par des agen-ces publiques et privées, et prend souvent des dimensions trans-frontalières, entraînant de mul-tiples opportunités de détour-nements, de passe-droits et de pots-de-vin au détriment des plus pauvres. La corruption aug-mente le coût de la connexion au réseau d’eau de 25 % à 45 % en Asie du Sud. Au Guatemala, 15  % des ménages paient des pots-de-vin pour avoir accès aux réseaux d’eau et d’égouts. Au Mexique, 20  % des exploitants agricoles, les plus compétitifs, bénéficient de 70  % des aides financières à l’irrigation.

S’ADAPTER, UNE URGENCE INTERNATIONALE

Z O O M

E n juin 2008, les pourparlers de Bonn sous l’égide de la Convention cadre des Nations unies sur les change-ments climatiques (CCNUCC) ont mis

en avant l’adaptation au changement clima-tique comme enjeu stratégique des négocia-tions internationales. Pour le Groupe d’ex-perts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’adaptation désigne l’ajuste-ment des systèmes écologiques, sociaux ou économiques en réponse aux stimuli clima-tiques actuels ou futurs, dans le but d’en limiter les impacts négatifs ou d’en saisir les opportunités. C’est l’une des deux réponses développées pour faire face aux risques liés au changement climatique, la seconde étant la mitigation, c’est-à-dire l’atténua-tion des risques, qui passe ici par la réduc-tion des émissions de gaz à effet de serre (GES). À l’origine du débat international sur le réchauffement climatique, l’adaptation était peu à l’ordre du jour, beaucoup voyant dans sa promotion le risque de minimiser les besoins de mitigation en mettant en avant la capacité des sociétés à s’adapter aux chan-gements. Mais il est vite apparu qu’il était trop tard pour que la réduction des émis-sions de CO2 suffise à elle seule à limiter les effets du changement climatique. Les deux options ont donc rapidement été reconnues comme complémentaires.

Si la mitigation est habituellement asso-ciée aux pays de l’Organisation de coopé-ration et de développement économique (OCDE), principaux émetteurs de GES, les questions d’adaptation sont plus souvent liées aux pays en développement suscep-tibles de souffrir davantage des effets du changement climatique. Faibles contribu-

teurs historiques à la dégradation du climat, les pays du Sud demandent donc aux pays du Nord de compenser les surcoûts imposés à leur développement par la nécessité de lutter contre le changement climatique, à propos duquel ils n’ont qu’une responsabi-lité limitée. Les pays du Nord voient dans cette requête la possibilité de faire accepter des engagements chiffrés de réduction des émissions aux pays en développement, ce qu’ils jugent nécessaires pour combattre efficacement le changement climatique.

L’adaptation a ainsi pris une place de plus en plus grande dans les négociations, Bali la consacrant en 2007 comme l’un des quatre piliers pour un accord global à Copenhague en 2009. Les pourparlers de Bonn se sont insérés dans cette dynamique en avançant sur la définition d’un cadre international pour l’adaptation post-2012, dont il reste à détailler le financement et la gouvernance.

Mais la question de l’adaptation n’est pas que globale et financière ; elle est aussi locale et pragmatique. Ainsi, en marge de ces tractations internationales, les incerti-tudes quant aux impacts locaux du change-ment climatique rendent ardues la définition et la mise en œuvre des stratégies d’adap-tation. De nombreux pays rencontrent déjà des difficultés à faire face aux variations actuelles du climat, ce qui amène à s’inter-roger sur la pertinence d’une approche avant tout centrée sur les modifications futures. La mise en œuvre de ces stratégies est enfin compliquée par son lien avec les politiques de développement  : faut-il développer des projets d’adaptation ou adapter des projets de développement ? n

BENJAMIN GARNAUD, IDDRI

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 200952

JUILLET

FAIM : LA FAUTE AUX AGROCARBURANTS ? 9 JUILLET Un rapport interne de la Banque mondiale relance la dispute sur les agrocarburants. Rédigé par Don Mitchell, l’agro-économiste en chef de la Banque, il estime que l’utilisation croissante de produits agricoles pour la production de carburants, combinée à la faiblesse des stocks de céréales, à la spéculation des marchés et aux restrictions posées aux exportations, est responsable de l’augmentation de 75  % à 140  % des prix agricoles entre janvier 2002 et février 2008 (lire zoom p. 35).

LES FAITSMARQUANTS1

L’ANÉMIE (NORVÉGIENNE) DU SAUMON CHILIEN 2 JUILLET Une ONG chilienne, Centro Ecoeanos, accuse l’en-treprise norvégienne Marine Harvest, deuxième exporta-teur mondial de saumon fumé d’élevage, de promouvoir des méthodes d’élevage néfas-tes pour l’environnement et la santé des saumons élevés pour son compte au Chili. Depuis juillet  2007, la surpopulation des casiers a provoqué plusieurs épidémies mortelles d’anémie virale, tuant des millions de sau-mons, mettant en péril la via-bilité de vingt et une fermes et causant le licenciement de près de six cents employés. Les auto-rités locales chiliennes s’inquiè-tent en outre des risques de contagion à la faune sauvage en raison des rejets d’eau en aval des fermes.

ÉTATS-UNIS : LA CHASSE AU CARBONE S’OUVRE 2 JUILLET Un juge de l’État de Géorgie suspend la construc-tion d’une centrale thermique de 1  200  mégawatts, en raison du fort taux d’émission possible de la structure utilisant du char-bon. Il s’appuie sur le Clean Air Act, décision prise en  2007 par la Cour suprême et faisant du dioxyde de carbone un polluant soumis aux restrictions pré-vues par la loi fédérale sur l’air. Selon les environnementalistes, cette première décision devrait ouvrir un nouveau pan de juris-prudence.

KENYA : ÉTHANOL OU BIODIVERSITÉ ? 2 JUILLET Les environnemen-talistes kenyans protestent contre un projet gouvernemen-tal autorisant la plantation de canne à sucre dans le delta du

fleuve Tana pour la production de 23  millions de litres d’étha-nol par an. Le projet comprend la construction d’un barrage, devant produire annuellement 34  mégawatts d’électricité, et promet de générer des milliers d’emplois. Pour les opposants, cette perspective sous-estime l’influence écologique du delta sur la zone côtière humide, riche en diversité biologique, et les coûts économiques et sociaux liés au déplacement de popula-tion hors de la zone du projet. Le 11, ils portent officiellement plainte devant les tribunaux.

CONSERVER LA NATURE ATTIRE L’HOMME 4 JUILLET Une équipe de l’Uni-versité de Berkeley, aux États-Unis, publie une étude montrant que les zones protégées attirent les populations humaines. Étu-diant les mouvements de popu-lations autour de 306  zones en Amérique latine et en Afrique, les chercheurs montrent ainsi que les alentours des réserves naturelles sont deux fois plus peuplés que la moyenne des zones rurales des pays corres-pondants. Les investissements effectués dans ces zones – rou-tes, dispensaires, écoles – et les emplois créés expliqueraient ce résultat qui va à l’encontre de l’image d’une protection de la nature excluant les hommes.

NIGER : ÉNERGIE CHINOISE 7 JUILLET La Chine et le Niger signent un accord de coopéra-tion visant à améliorer l’indé-pendance électrique du Niger. La Chine va fournir plusieurs unités de production électrique clé en main afin de permettre au Niger de ne plus dépendre du Nigeria pour son électricité. La proposition chinoise va dans l’in-térêt de ses entreprises de plus

en plus nombreuses à travailler au Niger, notamment dans l’ex-ploitation de l’uranium.

UN G8 POUR LE CLIMAT ? 7>9 JUILLET Le G8 se réu-nit à Hokkaido, au Japon, sous le signe de la lutte contre le réchauffement climatique. Les nations industrialisées répè-tent leur engagement en vue de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, mais ne prennent pas de nouveaux engagements.

UE : LE MARCHÉ CARBONE POUR LES AVIONS 8 JUILLET Le Parlement euro-péen adopte un projet de direc-tive prévoyant l’inclusion de l’in-dustrie aéronautique dans les échanges européens de droits à émettre du carbone. Tous les vols partant ou arrivant sur le territoire de l’Union européenne seraient concernés. Les com-pagnies aériennes protestent contre le surcoût qui leur serait ainsi imposé. Pourtant, les quo-tas alloués couvriraient gratuite-ment près de 80 % de leurs émis-sions actuelles.

UN MONDE SANS CORAUX ? 10 JUILLET L’Union internatio-nale pour la conservation de la nature (UICN) publie une

étude concluant à la nécessité de considérer plus d’un tiers des espèces de coraux du monde (231 sur 704) comme étant « en voie de disparition  ». Sur les mêmes critères, il y a vingt ans, seules 13 espèces entraient dans cette catégorie. La diminution très rapide du corail s’explique par la conjonction du réchauf-fement climatique et de l’acidi-fication des océans. Abritant la vie de près de 30  % des espè-ces marines, les récifs coralliens comptent parmi les piliers de la biodiversité marine. Une ONG américaine, Coral Reef Alliance, estime leur valeur économique à 375 milliards de dollars.

AUSTRALIE : L’ACCUEIL DES RÉFUGIÉS CLIMATIQUES 13 JUILLET L’ONG Make Poverty History publie une étude pres-sant le gouvernement austra-lien d’inclure dans sa politique d’adaptation la création d’un quota de « réfugiés climatiques ». L’idée de permettre aux person-nes chassées de leur pays par la montée des eaux de se réfu-gier en Australie figurait dans le programme de la plateforme du Labour, maintenant au pou-voir. Le Pacifique abrite de nom-breuses îles et deltas déjà mena-cés par l’élévation du niveau de la mer. La disparition prochaine

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 53

JUILLET

En juillet 2008, l’UE a repris la négociation des accords de partenariat économique

avec les différentes organisations régio-nales africaines. Quels sont les enjeux pour l’agriculture ?L’Afrique a besoin de marchés agri-coles régionaux tournés vers des cultures vivrières, protégés et de taille suffisante pour résister aux aléas climatiques et à la volati-lité des prix. De tels marchés permettraient de susciter des politiques publi-ques d’investissement en faveur de l’agriculture. Or, aujourd’hui, en l’absence d’accord et dans un contexte de crises alimentaires, l’intervention publique en Afrique va dans le sens contraire  : limi-tation des exportations pour les pays excédentaires et baisse des barrières tarifaires dans les pays déficitaires de manière à limiter l’impact de la hausse des prix sur les consommateurs. On est très loin de prix plus incitatifs et de perspectives de marché pour les producteurs, sans parler de la réduction des recettes de l’État.

Que peut un accord euro-africain ?Les accords Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) avaient donné une perspective de commercialisation fiable en Europe aux productions tropicales d’exportation  : si vous semez du coton, vous savez à quel prix vous allez le vendre. Ce n’est pas vrai pour le sorgho ou le maïs dont la taille réduite des marchés n’autorise aucune perspec-tive au-delà de la prochaine récolte. Les nouveaux accords de partenariat écono-mique doivent permettre une politique agri-cole plus équilibrée, et pas seulement de pouvoir exporter vers l’Europe. C’est de la

responsabilité de l’UE, même s’il ne faut pas minorer celle des gouvernements afri-cains. L’Afrique de l’Ouest rencontre des difficultés à exprimer une volonté politique commune. Si le Ghana et la Côte d’Ivoire ont signé des accords intérimaires avec l’UE, et pas le Nigeria, c’est bien que les enjeux ne sont pas les mêmes. Néanmoins, le dossier avance. C’est maintenant à la Commu-nauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), à l’UE et à l’Organisation

mondiale du commerce (OMC) de proposer des protections tarifaires d’un niveau suffisant.

Que peuvent attendre les agri-cultures africaines de la négo-ciation à l’OMC ?La question n’est pas de savoir s’il faut sortir la question agricole de l’OMC, mais de remettre en cause les fondements de cette négocia-tion. La suppression des soutiens internes ne doit plus être le présup-

posé de tout accord : les grands pays déve-loppés veulent continuer à réduire les prix agro-alimentaires, accroître la sécurité sani-taire et protéger l’environnement ; et pour-tant le manque d’investissements agricoles (lire repère  20) montre la nécessité pour les agricultures pauvres de recevoir des soutiens internes.

Cela ne pourra être atteint que par des transferts publics massifs. Or que ce soit dans le cadre de l’OMC ou à la Commission européenne, la cohérence entre les négocia-tions commerciales et les politiques d’aide n’est pas assez forte. La crise alimentaire actuelle montre pourtant qu’il est temps de donner des moyens à l’agriculture et de les orienter sur la production et les activités économiques. n

du territoire du Kiribati, de la Papouasie Nouvelle-Guinée, de Tuvalu ou des îles Marshall, tous voisins de l’Australie, est tenue comme très probable.

FORÊTS TROPICALES : ULTIME FRONTIÈRE AGRICOLE ? 14 JUILLET La Rights and Resour-ces Initiative (RRI) publie une étude, Seeing People through the Trees, commandée par les coo-pérations britannique, suédoise et suisse, concluant que les ter-res agricoles disponibles ne per-mettront de couvrir que la moitié des besoins en alimentation et en production d’agrocarburants. L’étude estime que ce sont les forêts tropicales qui fourniront l’essentiel des terres agricoles supplémentaires nécessaires. Selon la RRI, il faudra 515 mil-lions d’hectares supplémentaires en 2030. Si l’on exclut les forêts tropicales, seuls 200  millions d’hectares seront disponibles.

ASIE : CRAINTES CLIMATIQUES ET URBAINES 14 JUILLET La Banque mon-diale publie un guide d’action pour adapter les villes d’Asie de l’Est aux contraintes posées par le changement climatique. La région est déjà aujourd’hui la plus touchée par les catastro-phes naturelles. La situation en bord de mer de la majorité de ses 30  mégapoles, accueillant chacune plus de 5  millions de personnes, contribue à faire craindre le pire. Le guide veut permettre aux responsables locaux d’anticiper les effets du changement climatique dans leur planification des infrastruc-tures et de l’urbanisation.

AGRICULTURE AFRICAINE : L’INCONTOURNABLE DIMENSION INTERNATIONALE

Bernard Bachelier,directeur de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM)

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JUILLETLES FAITSMARQUANTS1

BRÉSIL : LA DÉFORESTATION VUE DU CIEL 14 JUILLET Le Brésil et le Royaume-Uni signent un accord de coopération visant la mise en orbite en  2011 d’un satel-lite dédié à la surveillance de la déforestation en Amazonie. Le Royaume-Uni fournira une partie du matériel d’observation, dont chaque pixel d’image représen-tera dix mètres de terrain au sol. Le satellite Amazônia-1 devrait ainsi fournir des informations en temps réel sans précédent sur l’occupation des sols.

L’IVOIRE N’EST PAS UNE MARCHANDISE COMME LES AUTRES 15 JUILLET La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauva-ges menacées d’extinction (Cites) autorise quatre pays africains à vendre de l’ivoire, et la Chine à en acheter. 108  tonnes d’ivoire détenues par les gouvernements du Botswana, de la Namibie, d’Afrique du Sud et du Zimbabwe seront mises sur le marché, béné-ficiant d’une autorisation excep-tionnelle non renouvelable. Tout commerce de l’ivoire est inter-dit depuis 1989 pour décourager les braconniers. La Chine, après le Japon en  2006, est ajoutée à la liste des pays autorisés à s’en porter acquéreur. Les bénéfices de la vente aux enchères seront intégralement reversés à des pro-grammes de protection des élé-phants, sous la supervision de la Cites.

LES ÉTERNELS BIENFAITS DU COMMERCE 15 JUILLET L’OMC publie un rapport annuel sur le commerce, soulignant la prospérité et la sta-bilité créées par l’intensification des échanges marchands entre

les pays. Si le rapport reconnaît que les bénéfices de la libéralisa-tion du commerce n’ont pas été répartis de manière équitable entre et au sein des pays, il pré-conise encore plus de libéralisa-tion pour démultiplier les effets positifs de l’échange.

ÉTATS-UNIS : SCIENCE ET DIPLOMATIE 15 JUILLET L’American Asso-ciation for the Advancement of Science inaugure le Center for Science Diplomacy basé à Washington et visant à promou-voir une meilleure compréhen-sion internationale par la dif-fusion de la science et par la diplomatie. Le principe est de réunir non seulement des organi-sations de recherche mais aussi l’ensemble des acteurs concer-nés par la politique étrangère et des organisations de la société civile autour d’une réflexion sur le rôle de l’expertise scien-tifique dans la construction des relations internationales. La coopération scientifique est ici considérée comme un agent du rapprochement politique.

COUP DE GEL SUR LES AGROCARBURANTS 16 JUILLET L’Organisation de coopération et de développe-ment économiques (OCDE) publie un rapport sur l’impact environnemental, économique et climatique des agrocarburants, concluant à leur inefficacité à relever les défis posés dans ces trois domaines. Le rapport invite donc les pays membres de l’OCDE à geler leurs subventions au secteur et à les réorienter vers le développement d’énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien. Après les critiques de l’ONU, de la Banque mondiale et des ONG, les promoteurs des agrocarburants paraissent bien seuls.

2015, ET TOUJOURS PAS DE LATRINES… 18 JUILLET L’Unicef publie un rapport sur les progrès réalisés en matière d’accès à l’eau pro-pre et de retraitement des eaux usées. Pour la première fois depuis 1990, date des premières enquêtes mondiales sur le sujet, le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable passe en dessous d’un milliard. Néan-moins, les déjections de 2,7 mil-liards de personnes ne sont tou-jours pas retraitées, continuant de causer des pollutions et des contaminations préoccupantes. Il semble ainsi improbable d’at-teindre dans ce domaine l’objec-tif fixé par la déclaration du Mil-lénaire d’ici 2015.

CENT MOIS POUR SAUVER LE CLIMAT 21 JUILLET L’ONG britanni-que New Economics Founda-tion (NEF) publie une étude évaluant à cent mois le temps pour agir afin d’éviter un chan-gement climatique brutal et de grande ampleur. Pour la NEF, les moyens d’actions à mobi-liser sont autant environne-mentaux que financiers et énergétiques. Réorienter les investissements et la recherche en faveur des énergies renou-velables et des emplois verts

permettrait de créer un cercle vertueux de croissance durable, baptisé Green New Deal.

NOUVELLE-ZÉLANDE : LIBRE COMMERCE AVEC LA CHINE 23 JUILLET Le Parlement néo-zélandais entérine l’accord de libre-échange avec la Chine signé en avril  2008, premier accord de ce type entre la Chine et un pays développé. La sup-pression des droits de douane entre les deux pays entrera en vigueur le 1er  octobre  2008. La Chine est déjà le quatrième partenaire commercial de la Nouvelle-Zélande.

LA PLUS GRANDE ZONE HUMIDE DU MONDE 24 JUILLET La République démocratique du Congo crée la zone humide protégée de Ngiri-Tumba-Maindombe. Avec plus de 65 000 km², deux fois la taille de la Belgique, et la plus grande réserve d’eau douce d’Afrique, cette zone humide sera la plus importante au monde protégée par la convention Ramsar. Elle ravit ainsi le titre au golfe de la Reine-Maude au Canada. La protection de la zone doit per-mettre d’assurer une gestion durable des ressources forestiè-res de la région, de protéger la

UNE FINANCE À LA HAUTEUR DES MIGRATIONS 29 JUILLET L’Espagne, le Chili et l’Uruguay adoptent un système électronique commun de transferts financiers réduisant à quinze minutes le temps de transaction. Le système, similaire aux 150  corridors financiers déjà développés par l’Union postale universelle (UPU) des Nations unies, doit notamment permettre de faciliter et de sécuriser les transferts des migrants. Sur les 4,5 millions de travailleurs étrangers recensés en Espagne, 1,6 million viennent d’Amérique latine. En 2006, ils auraient envoyé près de 3,7 millions d’euros à leurs familles.

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JUILLET

Après la Banque mondiale, c’est au tour de l’OCDE de publier en juillet 2008 un rapport critique des politiques de promotion des agrocarburants, géné-

ralement coûteuses et inefficaces. Alors que le coût des mesures de soutien passerait de 8 à 18 milliards d’euros entre 2006 et 2015 rien que pour l’Europe et l’Amérique du Nord, la réduction correspondante des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports resterait inférieure à 1 %. L’OCDE remarque également, à l’instar de la FAO, que ces poli-tiques ont contribué à la hausse récente des prix agricoles.

Selon leurs promoteurs, les filières dites de deuxième génération apportent une réponse technique à ces critiques en permettant de valoriser plus de plantes, certaines pouvant être cultivées sur des terrains de moindre intérêt agronomique. L’utilisation de la plante entière permet-trait d’augmenter le rendement à l’hectare et de valoriser les résidus de culture et de transformation. Enfin, les agrocarburants de deuxième génération seraient de meilleure qualité pour la motorisation, et certaines filières présentent un bilan écolo-gique amélioré.

Deux technologies concentrent l’essentiel des efforts de recherche. La voie thermochi-mique BtL (Biomass to Liquid) permettrait de produire un substitut du gazole à partir de biomasse gazéifiée à très haute tempé-rature puis synthétisée en carburant par un procédé chimique. De grands espoirs sont aussi placés dans l’éthanol cellulosique issu de paille broyée ou de copeaux de bois : les molécules de cellulose, extraites par explo-sion à la vapeur ou par cuisson en présence d’acide, sont cassées en glucose à l’aide d’enzymes avant de récupérer une filière

éthanol classique, par fermentation suivie d’une distillation.

Les spécialistes estiment que les agrocar-burants de deuxième génération arriveront à maturité durant la prochaine décennie. Ils permettraient une production rentable du bioéthanol et du biodiesel, contrairement aux agrocarburants actuels produits au coût moyen d’un euro par litre équivalent pétrole (lep). À l’horizon  2010-2015, compte tenu des moyens considérables investis dans la recherche publique et privée en Amérique du Nord et en Europe, on espère descendre à 0,40 euro/lep pour le bioéthanol cellulo-sique et à 0,70 euro pour le BtL – l’essence et le gazole se situant respectivement à 0,32 et 0,37 euro le litre avec un baril de pétrole à 60 dollars.

Une fois la technique maîtrisée, reste à articuler ces nouveaux procédés avec le modèle agricole. En raison de contraintes technico-économiques, la filière ne pourra se constituer sur des unités de taille modeste, puisqu’elles conduiront à des consomma-tions de biomasse correspondant au moins à celles des grandes usines de pâte à papier. En conséquence, l’émergence d’une telle filière devra s’appuyer sur des cultures très productives en biomasse, prairies ou forêts, à proximité des usines. Des unités de pré-traitement de biomasse devront s’implanter près des lieux de production afin de concen-trer son contenu énergétique et de faciliter son transport.

Pour éviter de rencontrer les mêmes limites que la première génération d’agro-carburants, la seconde génération aura donc besoin de politiques fortes pour orienter le choix des cultures et l’organisation de la filière. nCYRIL LOISEL, IDDRI , YVES-MARIE GARDETTE, ONF

biodiversité et d’assurer le main-tien de la qualité des eaux.

CORÉE : LABEL CARBONE 28 JUILLET Le gouvernement coréen crée un label carbone sur une gamme de dix produits électroménagers pour inciter les consommateurs à tenir compte de l’empreinte carbone dans leurs achats. Lancé pour une période test de deux ans, le label pourrait être étendu à d’autres produits s’il prouve son effica-cité.

L’AUSTRALIE CAPTURE LE CARBONE EN CHINE 31 JUILLET Alors que près de 70 % de l’électricité de la Chine est produite à partir du charbon, la Chine et l’Australie annon-cent la mise en place d’une cap-ture de carbone à la sortie d’une centrale thermique au charbon dans la banlieue de Pékin. Ce sera le premier projet de ce type implanté sur le territoire chinois ; il devrait empêcher la dissémi-nation dans l’atmosphère de 3 000 tonnes CO2 par an.

AGROCARBURANTS : LES PROMESSES TECHNIQUES DE LA DEUXIÈME GÉNÉRATION

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AOÛT

SIDA, LES PAUVRES PLUS EXPOSÉS 3>8 AOÛT La 15e  Conférence internationale sur le sida réunit 22 000 participants à Mexico pour un bilan de la lutte contre la maladie. Pour la première fois depuis le début de la pandémie, le nombre de malades et de per-sonnes nouvellement infectées chaque année est en recul. Néanmoins, le coût toujours élevé du traitement explique que ce soit dans les zones de pauvreté que la maladie résiste et continue de poser des problèmes sociaux, sanitaires et économiques insurmontables. Forte de ce constat, la conférence s’est clôturée sur un nouvel appel au renforcement des systèmes de santé, du dépistage et de la prévention (lire repère 16).

LES FAITSMARQUANTS1

CONGO : DES GORILLES, PAR MILLIERS 5 AOÛT Au cours du 22e congrès de la Société internationale de primatologie d’Édimbourg, une équipe de la Wildlife Conserva-tion Society et de scientifiques congolais fait part de l’existence d’un groupe de 125 000 gorilles jamais encore recensés. Le groupe s’est perpétué dans une zone marécageuse difficile d’ac-cès, échappant ainsi au bracon-nage et à la déforestation. L’exis-tence de ce groupe, comptant à lui seul plus de membres que tous les individus jusqu’alors identifiés (moins de 100 000), donne un nouvel espoir pour la survie de l’espèce classée comme très menacée.

ÉTATS-UNIS : L’ÉTHANOL À TOUT PRIX 7 AOÛT L’Agence fédérale pour l’environnement (EPA) refuse le recours présenté en avril  2008 par le Texas, plaidant pour une révision à la baisse des objectifs gouvernementaux de produc-tion d’agrocarburants. Selon le gouverneur texan, les objectifs pour l’éthanol de maïs entrent en concurrence avec la pro-duction alimentaire de céréales

alors que le prix du maïs a déjà augmenté de 138 % en trois ans. Mais la position de l’EPA reste ferme  : produire des huiles végétales à mélanger aux car-burants fossiles reste le meilleur moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’amé-liorer l’indépendance énergéti-que des États-Unis. Elle main-tient donc les objectifs de production ambitieux définis en décembre  2007 par le pré-sident George W. Bush : 34 mil-liards de litres pour 2008, et 42 en 2009.

TROPIQUES : UNE PLUIE SOUS-ESTIMÉE 8 AOÛT Une équipe de cher-cheurs américains et britanni-ques publie dans le magazine Science une étude montrant que les modèles climatiques actuels sous-estiment l’évolution de la pluviométrie tropicale sous l’effet des changements clima-tiques. Du fait du réchauffe-ment, les précipitations tropica-les devraient devenir à la fois plus importantes en volume et plus fréquentes que ce qui est généra-lement annoncé. La température élevée de l’air permet en effet à l’atmosphère de retenir davan-tage de vapeur qu’auparavant.

ÉTATS-UNIS : LE CLIMAT PASSE PAR LES VILLES 11 AOÛT Vingt et une villes américaines, dont New York, Las Vegas, la Nouvelle-Orléans, Denver et Portland, s’engagent à mesurer et à rendre publi-ques leurs émissions de gaz à effet de serre. Chacune des villes compilera des données comparables sur les émissions de ses services –  pompiers, ambulances, police, bâtiments municipaux, transports des déchets, etc. Sur la base de ces résultats, deux ONG, le Carbon Disclosure Project et le ICLEI-Local Governments for Sustai-nability, leur feront des proposi-tions pour réduire ces émissions. Le premier rapport commun sera publié en janvier 2009.

AMAZONIE : DU PÉTROLE OU DES ARBRES ? 13 AOÛT L’ONG Save America’s Forest publie une étude accu-sant la hausse de la demande de pétrole et de gaz d’être respon-sable de la déforestation crois-sante de la partie occidentale de l’Amazonie. Près de 688 000 km² sont aujourd’hui voués à la recherche et à l’extraction d’hy-drocarbures et environ 35 multi-nationales y interviennent. Avec environ un tiers de leur surface consacré à la prospection, les forêts d’Équateur et du Pérou sont les plus touchées, devant celles de Colombie (un dixième). La Bolivie et le Brésil restent pour l’instant relativement pro-tégés du phénomène.

AGROCARBURANTS : L’HEURE DU LABEL ? 13 AOÛT Une commission d’ex-perts mandatée par la Roundta-ble on Sustainable Biofuels (RSB) présente un projet de label visant à garantir une production d’agro-carburants compatible avec un

développement durable. La RSB réunit depuis novembre  2006 tous les acteurs de la filière ainsi que des ONG pour définir un code de conduite commun. Le label proposé cherche à prendre en compte les impacts sociaux – résultant par exemple de l’effet sur les cours des produits agrico-les – et environnementaux de la production agricole utilisée pour l’énergie. Soumis à discussion, le label devrait être entériné en avril 2009.

LA BALEINE N’AIME PAS LE COMMERCE 14 AOÛT L’UICN publie une mise à jour de la liste des céta-cés menacés, confirmant l’amé-lioration de la situation des balei-nes à bosse et d’autres espèces de grandes baleines. Pour les chercheurs de l’UICN, cette heu-reuse reconstitution des popula-tions est le résultat direct du moratoire interdisant leur pêche commerciale.

AFRIQUE : PÉTROLE, PÊCHE… ET PAIX 14 AOÛT Le Nigeria signe un accord rétrocédant la pénin-sule de Bakassi au Cameroun, conformément à l’arrêt de la Cour internationale de jus-tice de La Haye en  2002. Le Nigeria avait six ans pour se reti-rer. Les controverses sur la sou-veraineté sur cette zone maré-cageuse avaient failli conduire à une guerre en 1994, car la pos-session de la péninsule déter-mine la délimitation de la fron-tière maritime dans une zone riche en poisson et en pétrole offshore.

LA MULTIPLICATION DES ZONES MORTES 15 AOÛT Une équipe interna-tionale de chercheurs publie une étude sur les «  zones mor-tes  » dans le magazine Science.

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AOÛT

L es négociations climat et les pourpar-lers d’Accra sur le changement clima-tique, du 21 au 27 août 2008, consti-tuaient la dernière échéance avant

la conférence de Poznan de décembre 2008. Les progrès réalisés, notamment sur le thème de la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégrada-tion des forêts (REDD), ont constitué une bonne surprise.

Le format de la conférence – organisée en ateliers de travail – a permis aux 160 parties au protocole de Kyoto de clarifier certains sujets conflictuels, comme celui des appro-ches sectorielles lesquelles permettraient d’assigner des objectifs et des mécanismes d’échanges de permis d’émission par secteur industriel (lire zoom p. 43). Pour la première fois, l’Union européenne a précisé comment elle pourrait utiliser ce principe pour soutenir la réduction des émissions dans les pays en développement : leurs efforts dans certains secteurs pourraient générer des crédits carbone valorisables sur le marché euro-péen ; l’UE pourrait aussi soutenir la créa-tion de plates-formes sectorielles d’échange de bonnes pratiques et de transferts de tech-nologies. La proposition européenne diffère de la conception japonaise qui voit dans les approches sectorielles un outil méthodolo-gique pour calculer des potentiels de réduc-tion d’émissions par industrie et un moyen pour comparer les efforts entre les pays développés (dits de l’Annexe I).

La conférence a vu la création d’un Groupe de contact sur la question du finan-cement et a permis de faire le bilan des différentes propositions en termes d’archi-tecture et de transferts financiers entre les parties. Si aucun consensus n’a été atteint, certaines propositions ont néanmoins reçu

un large soutien. La création, proposée par le Mexique, d’un fonds mondial de lutte contre le changement climatique, alimenté par tous les pays à l’exception des pays les moins avancés, a été soutenue par l’UE. De même, la proposition norvégienne de mise aux enchères d’une partie des quotas d’émissions des pays de l’Annexe I a béné-ficié du soutien de nombreux pays en développement.

Les pourparlers d’Accra ont surtout confirmé les difficultés à venir lors de la conférence des parties de Copenhague en 2009. Des points d’achoppement persis-tent, comme l’interprétation à donner au concept de « différentiation » distinguant les devoirs de chaque pays dans la lutte contre le changement climatique. Alors que seuls les pays industrialisés de l’Annexe I sont soumis à une limitation de leurs émissions de gaz à effet de serre, l’UE a tenté d’ouvrir un débat sur la différenciation entre les pays en développement. Elle propose une « graduation » des efforts des pays du Sud, venant récompenser leurs actions de réduc-tion des émissions, mais elle s’est heurtée à l’opposition unanime des pays en déve-loppement. Au sein des pays industrialisés d’autres interprétations existent, comme celle des membres du groupe de l’Ombrelle – un rassemblement assez flou de pays de l’Annexe I non européens – qui souhaitent que certains pays en développement très avancés, comme Singapour, la Corée du Sud ou le Mexique, deviennent membres de l’Annexe I.

Malgré l’importance de cette ques-tion, il n’est pas certain que le choix entre toutes ces approches soit effectué avant Copenhague. n

EMMANUEL GUÉRIN, IDDRI

Connues depuis le début du xxe  siècle, ces zones marines se distinguent par leur manque d’oxygène qui empêche toute vie animale ou végétale. Selon l’étude, on dénombre 405 zones mortes aujourd’hui (couvrant plus de 150 000  km2), soit cent fois plus qu’en 1910. Originelle-ment provoquées par une strati-fication locale et saisonnière de l’eau appauvrissant leur oxygé-nation, les zones mortes tendent aujourd’hui à perdurer, renfor-cées par les pressions humai-nes, notamment le ruissellement d’engrais azotés dans la mer. Certaines, comme celle pré-sente dans le golfe du Mexique, se déplacent et constituent une menace pour la reproduction des ressources halieutiques.

LA QUESTION GÊNANTE DES EAUX USÉES 17>23 AOÛT Le Stockholm Inter-national Water Institute organise en Suède la 10e  Semaine mon-diale de l’eau réunissant l’en-semble des acteurs du secteur. Cette année, une attention par-ticulière a été apportée au traite-ment des eaux usées et à l’accès des populations aux sanitai-res, un des objectifs du Millé-naire pour le développement. Le forum met notamment en lumière le problème de l’utilisa-tion des eaux usées ou partiel-lement retraitées pour le maraî-chage péri-urbain. Selon une étude portant sur 53 métropoles des pays en développement, et publiée à cette occasion, plus de 20 millions d’hectares de terres agricoles sont irrigués par des eaux usées, avec tous les risques afférents pour la santé humaine. Constatant que ces agriculteurs n’ont pas d’autres alternati-ves, l’étude enjoint les autorités

CLIMAT : UNE NÉGOCIATION MAIS PLUSIEURS APPROCHES

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ARCTIQUE : UNE COMPÉTITION DE PLUS EN PLUS CHAUDE 21 AOÛT Le brise-glace Louis S.  Saint-Laurent de la garde côtière canadienne appareille pour une mission de six semaines dans la mer de Beaufort, aux confins du Yukon canadien et de l’Alaska américaine. Il est rejoint, début septembre, par le garde-côte américain Healy parti d’Alaska pour cartographier le plancher océanique. Au-delà de la mission scientifique, l’enjeu est d’affirmer les droits canadiens et américains d’exploitation sur la zone, face aux prétentions russes affirmées depuis août 2007 (lire repère 9).

LES FAITSMARQUANTS1

municipales et les bailleurs de fonds de faire du traitement des eaux urbaines une priorité.

CLIMAT : ADAPTATION ONUSIENNE DANS LES ÎLES 19 AOÛT Les Nations unies et les îles Samoa établissent un centre inter-agences sur le changement climatique, devant aider les îles-pays du Pacifique à lutter contre l’impact du réchauffement cli-matique dans la région. Les mis-sions du centre concerneront l’atténuation, l’adaptation et la prévention des risques naturels.

ÉNERGIE : UNE ATTRACTION RENOUVELABLE 19 AOÛT Le cabinet Ernst & Young publie la cinquième édi-tion du Ernst & Young Renewa-ble Energy Country Attractiveness Indices, qui évalue les investis-sements globaux dans les éner-gies renouvelables. Pour la pre-mière fois, la Chine figure parmi les cinq  pays les plus attractifs pour les investisseurs dans ce domaine, se classant 4e après les États-Unis, l’Allemagne et l’Inde, et devant l’Espagne et le Royaume-Uni. La France arrive 9e. Les cinq premiers ont en commun le fort engagement des acteurs publics pour rendre

ce secteur attractif. Le rapport cite ainsi les efforts considéra-bles des lobbyistes, des séna-teurs et des États américains en faveur des énergies renou-velables ou encore le onzième plan quinquennal chinois (2006-2010), adopté en 2006 (lire repè-res 12 et 13).

CARTOGRAPHIER LES FUTURES CATASTROPHES CLIMATIQUES 22 AOÛT L’ONG Care Interna-tional, l’Office for the Coordi-nation of Humanitarian Affairs (OCHA) et Maplecroft publient Humanitarian Implications of Cli-mate Change, un travail de pros-pective et de cartographie visant à identifier les futures zones prioritaires pour l’action huma-nitaire. Selon l’étude, l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan et l’In-donésie seront les principaux pays victimes des sécheresses, des inondations et des cyclones sévères attendus dans les décen-nies qui viennent.

THONS MARQUÉS, THONS SAUVÉS ? 25 AOÛT L’ONG WWF lance un plan de marquage du thon rouge au large des Baléares. Le projet d’une durée de trois ans, mené en collaboration avec des équipes

de chercheurs et les gestionnai-res des pêcheries européennes, doit permettre de mieux connaî-tre le comportement migratoire de cette espèce menacée, et de mettre en place un plan de sau-vegarde. En attendant, l’ONG appelle à un moratoire sur les prises de thon rouge, estimées à 60 000 tonnes par an, soit le dou-ble des quotas alloués.

EN FINIR AVEC LES SUBVENTIONS FOSSILES ! 26 AOÛT Le Programme des Nations unies pour l’environne-ment (PNUE) publie Reforming Energy Subsidies : Opportunities to Contribute to the Climate Change Agenda, un rapport préconi-sant de supprimer les subven-tions aux énergies fossiles afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 6 %, tout en contribuant à une augmentation de 0,1 % du PIB mondial. Selon cette étude, 300 milliards de dol-lars, soit 0,7 % du PIB mondial, sont alloués annuellement dans le monde aux subventions éner-gétiques. La Russie, avec pres-que 40  milliards de dollars par an, principalement investis dans la réduction du prix du gaz natu-rel, arrive en tête. Derrière, vien-nent l’Iran (37 milliards de dol-lars), puis la Chine, l’Arabie saoudite, l’Inde, l’Indonésie, l’Ukraine et l’Égypte –  tous au-delà des 10 milliards de dollars de subventions.

ARCTIQUE : PLUS QUE TRENTE ANS DE GLACE… 27 AOÛT Le National Snow and Ice Data Center américain et l’Agence européenne spatiale publient des images satellites montrant l’étendue de la débâ-cle estivale du pôle Nord. En trente ans d’observation de la zone, la glace ne s’était jamais

autant retirée, dépassant même le record établi en 2005. Pour la deuxième année consécutive, le passage Admussen du nord-ouest est ainsi ouvert à la cir-culation navale. Cette évolution fait craindre aux climatologues que l’Arctique perde sa couver-ture de glace avant  2040 (lire repère 9).

LE MOINS CHER, C’EST LE CO2 DES TOURBIÈRES ! 28 AOÛT Un think tank britan-nique, Policy Exchange, publie Roots of the Matter, montrant l’intérêt économique de réduire les émissions des tourbières tro-picales  : préserver les tourbiè-res ne demande que 0,1  euro par tonne de CO2 évitée, contre 30  euros par tonne de CO2 évitée dans les forêts tropica-les, voire 600 euros par tonne de CO2 évitées grâce à l’utilisation de l’énergie nucléaire, de l’hydro-gène ou d’agrocarburants.

AFRIQUE : FUTUR PARADIS POUR OGM ? 28 AOÛT La commissaire à l’Économie rurale et à l’Agri-culture de l’Union africaine enjoint les délégués présents à la Conférence sur la révolu-tion verte en Afrique, tenue à Oslo, à promouvoir les OGM en Afrique. Selon elle, le déve-loppement de plantes transgé-niques adaptées au contexte africain est le seul moyen de répondre quantitativement aux besoins et qualitativement aux défis posés par les change-ments climatiques. Les autres participants ont estimé que les OGM ne constituaient qu’une des voies possibles de la modernisation de l’agricul-ture du continent. Aujourd’hui, seule l’Afrique du Sud présente une surface cultivée en OGM conséquente, le Kenya, le Bur-

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AOÛT

En septembre  2008, se réunit la 23e  commission mixte Chine-Union euro-

péenne sur la coopération commerciale et économique. Est-ce un lieu où peut être réanimé le débat sur les clauses sociales, bloqué à l’OMC ?La Chine est membre de l’OMC mais elle ne reconnaît pas les libertés syndicales défi-nies par la communauté internationale au sein de l’Organisation internationale du travail (OIT). Cette situation est non seule-ment dommageable pour les travailleurs chinois, mais elle affaiblit aussi le peu de gouvernance mondiale existant pour gérer les effets de la libéralisation des échanges. Les huit conventions fondamentales de l’OIT constituent un socle dont le respect universel permettrait de garantir la liberté syndicale, essentielle dans la lutte contre les inégalités, ou d’interdire le travail des enfants. On est loin de l’éta-blissement d’un salaire minimum ou de congés payés à l’échelle mondiale ! Depuis la création de l’OMC, le mouvement syndical international demande que l’Or-ganisation reconnaisse ces droits fondamentaux, déjà présents dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Malheureusement, la discus-sion multilatérale sur la clause sociale s’est bloquée entre la conférence de Seattle et celle de Doha, les pays en développement craignant son utili-sation comme barrière protectionniste. Si cette position est compréhensible au vu de la nature déséquilibrée des négocia-tions commerciales qui tendent à favoriser les pays riches, le respect des normes de travail n’est pas utilisé comme arme protec-tionniste. Le mouvement syndical interna-tional maintient que la clause sociale est indispensable pour une meilleure gouver-nance mondiale. La liberté syndicale est

un élément essentiel de la lutte contre les inégalités, qui ne cessent de croître entre les pays du Nord et du Sud et au sein même de ceux-ci.

Alors que les négociations sont bloquées à l’OMC, les négociations commerciales bilatérales sont-elles plus favorables à la promotion des normes sociales ?L’UE a négocié un important chapitre social qui va bien au-delà des normes fondamen-tales de l’OIT dans l’Accord de partenariat économique avec les Caraïbes, qui fait réfé-rence à la déclaration ministérielle du Comité économique et social de l’ONU de 2006 sur le travail décent et considère la qualité de l’em-ploi comme un critère de développement économique. Il semblerait que les accords de libre-échange en cours de négociations avec des sous-régions latino-américaines fassent

également référence à un chapitre social consistant.

Par ailleurs aux États-Unis, les démocrates ont obtenu que l’ac-cord signé avec le Pérou contienne une clause sociale imposant le respect des droits fondamen-taux des travailleurs péruviens. Aux États-Unis les effets d’une libéralisation sans garde-fou se font grandement sentir  : réduc-tion de la masse salariale, dispa-rition d’emplois, paupérisation de la classe moyenne. La vente de

jouets chinois de mauvaise qualité pendant l’été  2007 est venue accélérer la prise de conscience de l’opinion publique sur l’injus-tice à perdre son travail en raison de délo-calisations qui apportent des produits de mauvaise qualité, fabriqués par des salariés exploités et maintenus dans la pauvreté.

Remettre le respect des normes à l’ordre du jour dans un cadre de négociations commerciales multilatérales plus favorable aux pays du Sud est donc l’objectif de la Confédération syndicale internationale. n

kina Faso et l’Égypte ayant commencé des expérimenta-tions de mise en culture.

LA RICHESSE FAIT LA SANTÉ 29 AOÛT L’Organisation mon-diale de la santé (OMS) publie Closing the Gap in a Generation  : Health Equity through Action on the Social Determinants of Health, une étude sur les différences de situation sanitaire, résultat de trois ans de travaux menés par une équipe internationale avec à sa tête le prix Nobel d’écono-mie Amartya Sen. Le texte souli-gne combien les disparités socio- économiques, davantage que la biologie, déterminent l’état sani-taire des populations, et leur accès à l’alimentation, à l’ins-truction, au personnel médical ou aux traitements. L’exemple de pays comme Cuba, le Costa Rica, la Chine ou le Sri Lanka mon-tre néanmoins ce que peuvent accomplir des politiques volonta-ristes dans des pays pauvres.

VINGT ANS D’EXPERTISE CLIMATIQUE 31 AOÛT Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolu-tion du climat (GIEC) célèbre son 20e  anniversaire. Créé en  1988 par l’Organisation météorolo-gique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), le GIEC s’est imposé comme lieu de production d’une solide expertise internationale, utilisa-ble par les politiques. En décem-bre 2007, il a reçu le prix Nobel de la paix, conjointement avec Al Gore, en hommage pour son travail et ses quatre  rapports (1990, 1995, 2001, 2007).

PAS DE JUSTICE COMMERCIALE SANS NORMES SOCIALES

Claire Courteille,conseillère en politique sociale et économique à la Confédération syndicale internationale

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SEPTEMBRE

LES EUROPÉENS AGISSENT POUR LE CLIMAT 11 SEPTEMBRE Un sondage commandé par le Parlement européen indique que le changement climatique est considéré par les citoyens de trente pays européens (les Vingt-Sept, la Turquie, la Croatie et la Macédoine) comme le deuxième problème le plus important après la pauvreté. 61 % des personnes interrogées déclarent avoir modifié leur comportement pour réduire leurs émissions de CO2 : utilisation de transports moins polluants (28 %) ou achat de produits locaux et de saison (27 %). Les Suédois (87 %) semblent les plus concernés, à l’inverse des Lituaniens et Lettons qui, à 60 %, déclarent ne pas avoir changé leurs habitudes. Le même jour, les parlementaires de la com-mission Industrie, Recherche et Énergie se prononcent sur le « paquet énergie-climat » élaboré par la Commission européenne. Ce paquet prévoit une réduction de 20 % des émissions d’ici  2020, une augmentation du recours aux énergies renouvelables et des économies d’énergie. Pour les associations écologistes comme le WWF, les solutions retenues sont en deçà des enjeux.

LES FAITSMARQUANTS1

LA CONSCIENCE DES FORTUNÉS 2 SEPTEMBRE Le forum euro-péen d’investissement socia-lement responsable, Eurosif, publie une enquête indiquant que les plus grandes fortunes d’Europe (gérant au moins 1 mil-lion d’euros) ont placé 8  % de leurs actifs dans des investisse-ments socialement responsables (ISR) en  2007 –  soit 540  mil-liards d’euros. Ces ISR regrou-pent aujourd’hui essentiellement des produits liés au développe-ment durable, énergies propres, gestion des ressources alimen-taires, eau, climat. Un quart des gérants interrogés considèrent que les ISR en développement durable constituent une alterna-tive à la philanthropie et présen-tent, en plus d’un engagement solidaire, une rémunération à la hauteur du risque pris.

PÊCHE : DES RÈGLES POUR LA HAUTE MER 3 SEPTEMBRE La FAO annonce l’adoption de nouvelles règles internationales de pêche en haute mer, visant à limiter les dégâts sur les espèces et les habi-tats d’eau profonde. Ces règles, négociées pendant près de deux ans, constituent le premier ins-trument international encadrant les pratiques de pêche en dehors des zones économiques exclusi-ves. Outre des mesures techni-ques de pêche et de conservation, elles recommandent aux pays pêcheurs d’entreprendre une éva-luation de l’impact des campa-gnes de pêche menées par leurs flottes et, en cas d’impact négatif, de stopper ces activités.

UE : LE TEMPS DE L’HYDROGÈNE 3 SEPTEMBRE Le Parlement européen adopte des normes d’homologation des véhicules à hydrogène, arbitrant ainsi entre

les différentes approches déve-loppées par les constructeurs automobiles. Axées sur la sécu-rité, ces règles visent par exem-ple à identifier le mode d’ali-mentation pour les pompiers, à rendre impossible un ravitaille-ment par un autre combusti-ble ou à protéger les moteurs contre la surpressurisation. Elles veulent « conforter la confiance des utilisateurs potentiels et du public en général dans la nou-velle technologie ». Le texte fera partie d’un ensemble législatif sur la production, le stockage et la distribution d’hydrogène applicable dans deux ans dans les pays membres.

60 ANS DE DROITS DE L’HOMME 3>6 SEPTEMBRE La conférence annuelle du département d’in-formation publique des Nations unies est organisée à Paris pour marquer le soixantième anniver-saire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948. La conférence, réu-nissant près de 2 000  représen-tants d’ONG venus de 90 pays, a conclu que seul un partenariat entre les Nations unies, les États membres et la société civile per-mettrait de faire progresser le respect des droits de l’homme.

LA CRITIQUE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 9 SEPTEMBRE Le Groupe inter-national d’experts en biotech-nologies, innovation et propriété intellectuelle présente son rap-port sur le régime actuel de pro-priété intellectuelle et son impact sur les pays en développement (PED). Après sept  années de travaux, les experts réunis par Richard Gold de l’Université McGill (Canada) concluent que le régime actuel de brevet ne peut pas assurer le développement, la

production et la distribution de médicaments, d’aliments ou de processus industriels (comme la production de sources d’énergie propres) dans les PED. Ils préco-nisent en conséquence un chan-gement de régime fondé sur des droits de propriété négociés et collectifs, organisant la coopé-ration entre les acteurs et stimu-lant l’innovation.

UN MONDE D’AFFAIRES... 10 SEPTEMBRE La Banque mon-diale publie l’édition 2008 de son rapport Doing Business, évaluant les mesures prises pour faciliter les démarches des entreprises et lutter contre la corruption dans 113  pays. Pour la cinquième année consécutive, c’est en Europe de l’Est et en Asie cen-trale que le plus de réformes sont menées (90 %). Le rapport note cependant les efforts crois-sants en Asie de l’Est et dans la

région Pacifique. L’Afrique sub-saharienne reste la région du monde qui fait le moins d’efforts réglementaires pour attirer les entreprises.

AU NOM DES DERNIERS THONS ROUGES 11 SEPTEMBRE Greenpeace publie un rapport commandé à des experts indépendants sur le fonctionnement de la Commis-sion internationale de conser-vation des thonidés de l’Atlanti-que (Iccat). Son mandat est de maintenir les stocks d’une tren-taine d’espèces, des thons, mais aussi certains requins, oiseaux marins et tortues, à des niveaux compatibles avec une exploita-tion durable. Le rapport critique particulièrement la gestion du thon rouge, estimant que près de 60 000  tonnes ont été pêchées en Atlantique et en Méditerra-née, bien au-delà du quota fixé à 28 500 tonnes.

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SEPTEMBRE

Le 25 septembre 2008, une réunion de haut-niveau, convoquée par le secrétaire

général des Nations unies et le prési-dent de l’Assemblée générale, s’est penchée sur la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) d’ici 2015. Que peut-on dire de l’avancée des trois objectifs concer-nant la santé ? L’objectif de réduire de deux tiers la morta-lité infantile ne sera pas atteint en 2015 et les progrès sont très variables  : actuelle-ment, la réduction n’excède pas 20 % dans les régions en développement. Presque 10  millions d’enfants continuent de mourir avant l’âge de cinq ans. La principale limite à la réussite des traitements et des programmes de vaccination est la faiblesse des services sanitaires de base dans les pays pauvres.

L’objectif de réduire la morta-lité maternelle de 75  % sera atteint voire dépassé dans les pays à revenu intermédiaire. Mais les progrès sont lents dans les pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud-Est. Faute d’accès aux services de santé avant, pendant et après l’accouchement, plus de 500  000  femmes meurent chaque année suite à des compli-cations de grossesse ou d’accouchement.

Enfin, nous resterons encore loin de l’objectif fixé concernant la lutte contre le sida, la tuberculose ou le paludisme. Pour-tant, les progrès en matière de prévention et d’accès aux traitements contre le sida, commencent à porter leurs fruits, avec une réduction du nombre de nouveaux cas (2,5  millions en  2007). Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le

paludisme a encouragé la mise en œuvre de projets nationaux, l’amélioration de la gouvernance et la bonne utilisation des ressources. Depuis 2002, il a permis le trai-tement de 1,8 million de personnes par anti-rétroviraux, et a financé le traitement anti-tuberculeux de 3  millions de personnes, la distribution de 109  millions de mous-tiquaires imprégnées et la dispensation de 264  millions de traitements combinés contre le paludisme (lire repère 16). Malgré ces efforts, les progrès sont freinés dans les pays pauvres par la faiblesse des systèmes de santé. Le paludisme concerne toujours

40 % de la population mondiale, tuant plus d’1 million de personnes chaque année, dont près de 90 % en Afrique subsaharienne. Quant au nombre annuel de nouveaux cas de tuberculose, il continue d’augmenter.

Comment peut-on espérer améliorer ces résultats ?Les résultats à mi-parcours dans le domaine de la santé plaident pour une forte augmentation de

l’aide au développement, en particulier en Afrique subsaharienne où les retards sont les plus importants. Les agences de coopé-ration internationale ont conscience de ce problème et des réunions destinées à lever des fonds sont programmées fin  2008 et en 2009. Mais augmenter ces financements ou les orienter vers les seuls OMD ne suffira pas. Parallèlement, il est indispensable de renforcer les systèmes de santé pour assurer la réussite des programmes de prévention et de soin. Ce constat est partagé aujourd’hui par l’Organisation mondiale de la santé et le Fonds mondial, et commence à se concré-tiser sur le terrain. n

AGROCARBURANTS : LA DEUXIÈME GÉNÉRATION INDIENNE 11 SEPTEMBRE Le gouverne-ment indien se fixe pour objectif de pouvoir ajouter près de 20 % d’agrocarburants dans les com-bustibles d’ici dix ans. La politi-que de soutien présentée précise que le développement de la pro-duction d’agrocarburants doit privilégier l’utilisation de végé-taux non comestibles, comme le jatropha, pour ne pas entrer en concurrence avec l’alimen-tation humaine. Le gouverne-ment estime que 13,4  millions d’hectares, actuellement en fri-che, seraient utilisables pour la production de jatropha, avec un rendement annuel attendu de 15 millions de tonnes d’huile.

AFRIQUE : PAS DE BAILLEURS POUR L’AGRICULTURE 15 SEPTEMBRE La Cnuced publie son rapport annuel sur le développement en Afrique consacré cette année à l’agri-culture. L’étude conclut que les bailleurs de fonds et les gou-vernements ne prennent pas assez en compte l’agriculture et la recherche agronomique dans les stratégies de développement. Les structures de recherche sont trop petites pour générer des innovations suffisantes et, à l’ex-ception du maïs et du manioc, il n’existe pas de semences amé-liorées. Pour la Cnuced, le man-que de financement bilatéral et multilatéral serait l’une des prin-cipales causes de leur déclin (lire repère 19).

LA BIODIVERSITÉ EN VILLE 15 SEPTEMBRE Les représen-tants de vingt et une villes du monde signent sous l’égide de

AMÉLIORER LES SYSTÈMES DE SANTÉ : L’URGENCE DU MILLÉNAIRE

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Sarah Marniesse, chargée de projets de développement, division Santé et Protection sociale, AFD.

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SEPTEMBREBIODIVERSITÉ : UN OBJECTIF DU MILLÉNAIRE COMME UN AUTRE 25 SEPTEMBRE L’ONU élargit le champ couvert par le septième objectif du Millénaire pour le développement (« assurer la durabilité de l’environnement ») à la diversité biologique, se fixant ainsi pour but «  d’avoir abaissé de manière significative le taux de perte en biodiversité d’ici 2010 ». Les progrès en la matière seront mesurés à partir du recensement des populations animales et végé-tales effectué par l’UICN depuis 1963 dans sa Liste rouge des espèces menacées. La réunion de haut niveau sur les objectifs du Millénaire pour le développement a suscité par ailleurs de nouveaux engagements des bailleurs de fonds et des fonds philanthropiques à hauteur de 16 milliards de dollars, dont 3 milliards en faveur d’un nouveau plan mondial de lutte contre le paludisme.

LES FAITSMARQUANTS1

l’International Council for Local Environmental Initiatives (Iclei) une déclaration les engageant à protéger et développer la diver-sité biologique. Chacune des villes signataires devra identifier cinq initiatives vitales de conser-vation des plantes, des animaux et des ressources naturelles et les avoir mises en œuvre d’ici dix-huit mois. Ces initiatives peu-vent consister à réintroduire de la biodiversité – comme en Europe où celle-ci a quasiment dis-paru – ou à protéger une impor-tante richesse naturelle – comme en Afrique australe. Selon l’Iclei, les villes occupent 2  % de la surface de la planète mais absorbent 75  % des ressources naturelles mondiales.

AFRIQUE : CHASSER POUR CONSERVER 16 SEPTEMBRE Le Centre inter-national de recherche sur la forêt (Cifor) publie une étude plaidant pour l’encadrement de la chasse en Afrique centrale, pour assu-rer la conservation des grands animaux sauvages comme les éléphants. Selon l’étude, une interdiction totale serait trop préjudiciable à la sécurité ali-mentaire des populations loca-les pour être acceptée. En effet, dans certaines zones, la viande de brousse apporte 80 % des pro-téines et de la graisse consom-mées. Par ailleurs, elle entraî-nerait un développement des pratiques de braconnage, consi-dérées comme les plus dange-reuses pour la faune.

ONU : OÙ SONT LES VALEURS EUROPÉENNES ? 17 SEPTEMBRE   L’European Council on Foreign Relations publie une étude sur l’évolu-tion des votes aux Nations unies depuis dix  ans, concluant à la perte d’influence de la vision euro-

péenne d’une gouvernance mon-diale, reposant sur la défense des droits de l’homme et le développement du droit. Si dans les années  1990, les proposi-tions européennes recevaient en moyenne le soutien de 70 % des pays membres, depuis 2006, elles arrivent à peine à réunir les suffrages de 50 % des votants. À l’inverse, les propositions russes ou chinoises, qui dans le passé ne réunissaient qu’une minorité de votes, tendent aujourd’hui à obtenir près de 70 % de soutien.

CE QUE DISENT LES OISEAUX 22>27 SEPTEMBRE L’ONG Birdlife International publie L’État des populations d’oiseaux dans le monde à l’occasion de sa conférence mondiale qua-dri-annuelle à Buenos Aires. Les populations d’oiseaux consti-tuent un bon indicateur de la répartition de la biodiversité et du changement de l’environ-nement mondial  : une espèce sur huit est menacée d’extinc-tion, notamment les albatros, les grues, les perroquets, les fai-sans et les pigeons. Le rapport dénonce non seulement l’ex-pansion et l’intensification des industries agro-alimentaires et halieutiques, l’exploitation fores-tière, la colonisation des espèces invasives, la pollution, la chasse aux oiseaux sauvages et le chan-gement climatique, mais aussi le manque de valorisation de la nature par les systèmes écono-miques.

LE JOUR DU DÉPASSEMENT 24 SEPTEMBRE L’ONG cana-dienne Global Footprint Network, réunissant les créateurs du concept d’empreinte écologi-que, célèbre, trois mois avant la fin de l’année, le « jour du dépas-sement  », qui correspond au

jour où l’humanité a consommé l’intégralité des ressources natu-relles produites en une année par la planète. Du 24 septembre au 31 décembre, l’humanité vit, en quelque sorte, à crédit sur les générations futures.

CLIMAT : SOURCE D’EMPLOIS VERTS 24 SEPTEMBRE L’Organisation internationale du travail, le Pro-gramme des Nations unies pour l’environnement, la Confédé-ration syndicale internationale et l’Organisation internationale des employeurs publient le rap-port Green Jobs : Towards Decent Work in a Sustainable, Low Car-bon World évaluant les possibi-lités mondiales de développe-ment d’emplois verts. La lutte contre le changement clima-tique devrait susciter la créa-tion de millions d’emplois  : 600 000  personnes travaillent déjà à la fabrication et l’instal-lation de panneaux solaires en Chine  ; la production d’agro-carburants issus du manioc ou de la canne à sucre pour-rait employer 200 000  person-nes au Nigeria ; la gazéification de la biomasse pourrait géné-

rer 900 000 emplois en Inde et, en Europe et aux États-Unis, le secteur du bâtiment pourrait créer de 2 à 3,5 millions d’em-plois verts.

LA FINANCE DU CLIMAT 26 SEPTEMBRE Neuf pays indus-trialisés – Allemagne, Australie, États-Unis, France, Grande- Bretagne, Japon, Pays-Bas, Suède, Suisse – s’engagent auprès de la Banque mondiale à finan-cer les Climate Investment Funds à hauteur de 6,1 milliards de dollars. Ces fonds regrou-pent deux instruments finan-ciers lancés par la Banque le 1er  juillet  2008  : le Clean Tech-nology Fund, dédié aux projets de réduction des émissions de carbone et le Strategic Climate Fund, voué au financement de stratégie d’adaptation au chan-gement climatique.

BRÉSIL : LA FORÊT, UN (BON) PLAN POUR LE CLIMAT 29 SEPTEMBRE Carlos Minc, le nouveau ministre brésilien de l’Environnement, présente un plan national sur le change-ment climatique, basé sur la lutte

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SEPTEMBRE

L e troisième Forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide au dévelop-pement a rassemblé les gouverne-ments et les agences multilatérales, du

2 au 4 septembre 2008, à Accra au Ghana. Poursuite des réunions des bailleurs de fonds à Rome en 2004 et à Paris en 2005, il marque une étape de plus dans la prise de conscience de la nécessité d’une approche radicalement différente de l’aide. Ce processus s’est développé notamment au sein des institutions financières et du Comité d’aide au développement de l’OCDE.

Pendant les années 1980, années sombres de l’ajustement structurel, les bailleurs de fonds attribuaient les difficultés des pays bénéficiaires à leur manque de capacité d’ab-sorption et de mobilisation de l’aide interna-tionale. Après la guerre froide, la réflexion sur l’efficacité de l’aide est devenue plus systé-matique et cette explication est apparue peu satisfaisante. En 2001, le Rapport Brundtland Macroéconomie de la santé : investir dans la santé dans les pays en développement concluait que l’aide peut être investie massivement dans ce secteur sans problème d’absorption, malgré le manque d’infrastructures ou les contraintes administratives invoqués. Peu après, en 2006, l’économiste Jeffrey Sachs montrait que les objectifs du Millénaire pour le développe-ment (OMD) justifient un accroissement substantiel de l’aide. Le manque d’ambition des politiques des pays en développement semble dès lors avant tout imputable à leur intériorisation des contraintes budgétaires des pays donateurs.

Forts de cette évolution, les forums de Rome puis de Paris ont conseillé d’aligner l’action des bailleurs de fonds sur les politi-ques du pays bénéficiaire et de simplifier les

procédures. La déclaration de Paris en 2005 a mis ainsi en avant cinq mots clés de l’ac-tion bilatérale dans les pays en développe-ment : appropriation, harmonisation, aligne-ment, résultats et responsabilité mutuelle. Le forum d’Accra continue cet effort de rééqui-librage de l’aide en faveur des bénéficiaires en réaffirmant quatre principes  : prévisibi-lité des engagements, recours aux systèmes nationaux de distribution, conditionnalité des résultats alignée sur les politiques du pays et déliement de l’aide, assurant aux bénéficiaires une totale liberté dans le choix de leurs fournisseurs. Le processus réussit donc à associer davantage les pays bénéfi-ciaires. D’ailleurs, la localisation du dernier forum à Accra, plus que symbolique, signale ce changement de perspective.

Restent plusieurs problèmes. L’augmen-tation continue des crédits délégués –  un bailleur de fonds se voyant confier les concours d’autres bailleurs pour améliorer la coordination des opérations et diminuer les coûts de transaction – réduit les marges de manœuvre de l’aide bilatérale, puisqu’il s’agit d’une multilatéralisation silencieuse. Surtout, l’effort qualitatif ne suffira pas à masquer l’échec des OMD à constituer une feuille de route fiable pour l’aide au déve-loppement. Le sommet de l’ONU sur ces objectifs en septembre 2008 puis la confé-rence de Doha sur le financement du déve-loppement, en novembre 2008, mettent ainsi en évidence la crise de l’aide au dévelop-pement. Aujourd’hui, les politiques globales ne peuvent plus s’abriter derrière les seuls mécanismes de cette aide pour leur finan-cement mais doivent chercher à mobiliser autour d’un concept plus robuste. n

FRANÇOIS PACQUEMENT, IDDRI

contre la déforestation. Le plan prétend d’abord « en finir » avec les coupes illégales de bois, répu-tées responsables des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre du Brésil, en renforçant les contrôles locaux. Il se fixe par ailleurs comme objectif d’ar-river en 2015 à ce que le nom-bre d’arbres d’essence autoch-tone plantés soit égal à celui des arbres coupés –  ce qui impli-que le doublement des surfa-ces de plantation. Ces objectifs seront revus tous les quatre ans. Pour ses détracteurs, la réalisa-tion du plan dépendra en fait du bon vouloir des autorités locales et des moyens qui leur seront alloués.

CALIFORNIE : L’HEURE DE LA CHIMIE VERTE 30 SEPTEMBRE La Californie adopte une législation obligeant les industries chimiques à réduire l’emploi de produits polluants dangereux pour le consomma-teur ou l’environnement à partir de 2011. C’est la première légis-lation de ce type aux États-Unis. Selon Arnold Schwarzenegger, gouverneur de l’État, elle devrait également inciter l’industrie à développer des solutions tech-nologiques innovantes favora-bles à la croissance économique du secteur.

AIDE AU DÉVELOPPEMENT : SORTIR PROGRESSIVEMENT DE LA CRISE

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OCTOBRE

LE RETOUR DE LA FAIM 10 OCTOBRE La Banque mondiale publie un rapport esti-mant qu’en 2008 le nombre de personnes mal nourries va augmenter de 44 millions pour concerner au total 1 mil-liard d’individus. Cette augmentation spectaculaire s’expli-querait par la hausse combinée des prix de l’alimentation et du pétrole, pesant fortement sur le budget des familles modestes. Le rapport conclut à la nécessité de prendre des mesures d’aide d’urgence  : augmentation des aides financières, distribution alimentaire en faveur des enfants et des femmes enceintes, subventions alimentaires ciblées à destination des consommateurs pauvres et mesures de soutien à la scolarisation des enfants.

LES FAITSMARQUANTS1

BANQUE MONDIALE : SUR LA PISTE DES ÉNERGIES VERTES 2 OCTOBRE La Banque mon-diale annonce une augmen-tation de 87  % de ses engage-ments financiers en matière d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique entre l’année fiscale qui s’est termi-née en juin 2007 et celle qui s’est achevée en juin 2008, pour atteindre près de 2,7 mil-liards de dollars. Les deux lignes budgétaires représentent ainsi aujourd’hui 35  % des engage-ments de la Banque en matière d’énergie, contre 10  % seule-ment dans les années 1990.

AGROCARBURANTS : LEADERSHIP BRÉSILIEN 6 OCTOBRE Le cabinet Ernst & Young publie ses Biofuels Country Attractiveness Indices montrant qu’aux deux premiers trimes-tres 2008 le Brésil dépasse pour la première fois les États-Unis en termes d’investissements dans les agrocarburants. Ce résultat est dû avant tout à l’introduc-tion du B-3 (3  % de biodiesel et 97  % de carburant conven-tionnel) sur le marché brésilien en juillet 2008. Grâce à ce nou-veau produit, la demande de bio- diesel est passée de 800  mil-lions à 1,2  milliard de litres. Le Brésil exporte également des quantités croissantes d’éthanol vers les États-Unis et l’Inde. Le marché américain, lui, souffre de la crise du crédit et des cri-tiques virulentes contre les agro- carburants de première géné-ration (sucre, maïs, oléagineux) accusés d’augmenter le prix des denrées alimentaires. Selon le cabinet Ernst & Young, l’indus-trie doit se tourner aujourd’hui vers les agrocarburants de seconde génération tirés de la biomasse lignocellulosique et des algues (lire zoom p. 55).

PRODUCTEURS BIO DU MONDE, UNISSEZ-VOUS ! 6>7 OCTOBRE La Fédération inter nationale des mouvements d’agriculture biologique (Ifoam), la Cnuced et la FAO lancent des outils d’harmonisation des nor-mes de production dans l’agri-culture biologique, afin de facili-ter et d’intensifier le commerce de ces produits. Après six  ans de travail, deux outils ont été élaborés  : EquiTool, qui garan-tira l’équivalence des normes de production et de transformation et notamment la compatibilité avec les normes du Codex Ali-mentarius de la FAO, et les Inter-national Standards for Organic Certification Bodies, qui assu-reront la reconnaissance des normes à l’international.

L’INCERTAIN FUTUR DE L’AQUACULTURE 7 OCTOBRE La FAO publie un rapport préparatoire à la réu-nion du sous-comité à l’aquacul-ture de Puerto Varas (Chili), sou-lignant les limites des structures actuelles face à la demande crois-sante. Pour maintenir la consom-mation mondiale de poisson par habitant, dans un contexte d’ef-fondrement des stocks naturels de poisson, il faudrait que l’aqua-culture soit capable de produire 80,5 millions de tonnes de pois-son par an. En 2006, la produc-tion n’a été que de 51,7 millions de tonnes. Son rythme de déve-loppement actuel –  7  % par an depuis  1995, contre plus de 10  % dans la décennie précé-dente  – ne permet pas d’envi-sager un changement rapide de perspective.

13 % NE SAURONT PAS LIRE 7 OCTOBRE L’Unesco publie son rapport intermédiaire d’évalua-tion des progrès réalisés durant

la Décennie de l’éducation pour tous (2003-2012). Selon les ten-dances actuelles, en  2015 près de 87 % des adultes dans le monde sauront lire. Certaines régions, comme l’Asie du Sud et de l’Ouest ainsi que l’Afrique sub-saharienne, demeurent très loin des résultats du reste du monde, appelant des efforts et des stratégies particulières. 74 % des adultes illettrés dans le monde vivent ainsi dans 15 pays, dont le Bangladesh, le Brésil, la Chine, l’Inde et le Nigeria. La majorité, aujourd’hui comme hier, sont des femmes  : 64  % en 2006 contre 63 % en 1994.

MOINS PAUVRES PAR NATURE 9 OCTOBRE Le PNUE, le PNUD, la Banque mondiale et l’ONG World Research Institute publient World Resources Report 2008: Roots of Resilience, appe-lant au développement d’en-treprises valorisant la nature. Selon l’étude, cette orientation permettrait à la fois d’augmen-ter les revenus des populations rurales pauvres et d’améliorer leur résistance aux aléas éco-nomiques, sociaux et environ-nementaux. Les trois quarts des personnes vivant avec moins de deux dollars par jour dépendent

directement des ressources natu-relles pour leur survie. Dévelop-per une gestion efficace écono-miquement et écologiquement de ces ressources passe par trois étapes : affirmer la souveraineté des populations locales sur leurs ressources, renforcer les com-pétences de gestion des com-munautés locales et leur donner accès aux marchés en créant des réseaux d’entreprises.

PÊCHE : LE COÛT DE L’INEFFICACITÉ 9 OCTOBRE La FAO et la Ban-que mondiale publient Les mil-liards engloutis, un rapport éva-luant à plus 50  milliards de dollars les pertes annuelles des pêches maritimes en raison de leur mauvaise gestion et des pra-tiques de surpêche. Trois décen-nies de laissez-faire ont induit un cercle vicieux : la baisse des stocks de poisson augmente les coûts de prise et génère une surcapacité de pêche qui, elle-même, réduit encore la profita-bilité du secteur. L’étude suggère donc une réforme des politiques de pêche incluant le renforce-ment des droits pour rendre les pêcheurs responsables de la ges-tion des stocks, la réorientation des subventions pour découra-ger la surexploitation des stocks,

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OCTOBRE

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a publié, à l’occa-

sion de son congrès de Barcelone du 5 au 14  octobre 2008, une nouvelle version de sa Liste rouge des espèces végétales et animales menacées. En quoi cet instrument est-il important ?L’UICN publie cette liste depuis 1963. Grâce à sa méthodologie applicable à toutes les espèces, elle est devenue la référence sur l’état des espèces dans le monde et leur risque d’extinction. Sa réalisation mobilise 7 500 de nos 10 000  experts au sein de la Commission de sauve-garde des espèces. Chaque espèce est analysée autour de critères précis  : l’aire de distribution, l’ef-fectif et le degré de fragmentation de la population. Ils permettent de classer les espèces en fonction de leur déclin  : « en danger critique d’extinction  », «  en danger  » ou «  vulnérables  ». Une espèce classée en danger d’extinction a vu son aire de répartition se réduire de 80 % durant les dix dernières années  ; en danger de 50 %, vulnérable de 30  %. D’autres catégories –  éteint, éteint à l’état sauvage, presque menacée, préoccu-pation mineure, données insuffisantes – vien-nent affiner le recensement.

Si cet effort de recension s’est amélioré, il ne couvre qu’une partie de la réalité, faute de données suffisantes : en 2008, la liste a évalué 44 837  espèces sur les 1,8  million connues et sur les 15 millions estimées dans le monde. Les mammifères, les oiseaux et les amphibiens sont très bien connus  ; à partir de ces données fiables nous affirmons qu’un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit ou un amphibien sur trois est menacé.

À l’inverse, de graves lacunes demeurent dans la connaissance des invertébrés, des espèces marines et d’eau douce.

Toutefois, les données collectées décri-vent la même tendance  : le nombre d’es-pèces menacées ne cesse de croître. Chaque fois qu’on élargit la liste, on découvre qu’au moins 20 % d’entre elles sont menacées. Les derniers grands inventaires menés ont ainsi montré que 25 % des conifères ou encore 20 % des raies et des requins sont menacés. Nos lacunes ne doivent donc pas nous amener à attendre d’en savoir plus mais

plutôt à agir immédiatement.

L’augmentation du nombre d’espèces menacées signifie-t-elle que les politiques de conservation ne sont pas effi-caces ?Le nombre d’espèces menacées s’accentue parce que les pressions augmentent  : la destruction et la dégradation des milieux naturels qui fragilisent les espèces, la surex-ploitation des espèces (chasse, pêche, cueillette), la concurrence

des espèces exotiques invasives, les pollu-tions et la menace qui devrait devenir la principale cause de disparition des espèces : le changement climatique. La fonte d’un tiers de la banquise explique ainsi que pour la première fois l’ours polaire a été classé comme vulnérable. Les succès enregistrés depuis de nombreuses années montrent cependant que quand on investit sur la conservation d’une espèce, les résultats sont généralement au rendez-vous. C’est le manque de moyens qui freine l’action. Ce constat de l’aggravation des menaces doit nous amener à augmenter les efforts de conservation. n

et une allocation plus transpa-rente des ressources en poisson afin de favoriser le développe-ment d’un label de pêche dura-ble.

MALAWI : ASSURANCE INTERNATIONALE CONTRE LA SÉCHERESSE 13 OCTOBRE La Banque mon-diale signe avec le Malawi un contrat de gestion des risques climatiques, le premier contrat de ce type conclu avec un pays en développement à bas reve-nus. Il s’agit d’une assurance liant la pluviométrie à la produc-tion attendue de maïs. Quand le taux de précipitation baisse au-delà de 10 % de la moyenne his-torique observée, une compen-sation financière est débloquée, permettant ainsi au gouverne-ment de s’approvisionner sur le marché international.

SANTÉ PRIMAIRE, TROP VITE OUBLIÉE14 OCTOBRE L’Organisation mon-diale de la santé (OMS) consa-cre l’édition 2008 de son rapport annuel aux inégalités d’accès aux soins. Les dépenses annuel-les de santé par habitant varient selon les pays de 20 à 6 000 dol-lars. L’écart d’espérance de vie entre les pays les plus riches et les plus pauvres est mainte-nant de plus de quarante  ans. Les 5,6  milliards de personnes vivants dans des pays à reve-nus moyens ou bas paient géné-ralement l’intégralité de leurs soins de santé –  l’impossibilité de trouver les sommes néces-saires pousse près de 100  mil-lions de personnes dans la pau-vreté chaque année. La solution, selon l’OMS, tiendrait à un retour aux soins de santé primaires, approche développée dans les

BIODIVERSITÉ : DÉNOMBRER POUR PROTÉGER

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Sébastien Moncorps,directeur du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)

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L’EUROPE ET LE BOIS ILLÉGAL 17 OCTOBRE La Commission européenne présente son « paquet forêt », un ensemble de textes visant à lutter contre le commerce illégal de bois et contre la déforestation et ses impacts sur le climat et la diversité biologique. Environ 19 % du bois importé dans l’Union provient de coupes illé-gales. Le règlement proposé doit amener les entreprises européennes à s’assurer de la provenance des bois et des produits dérivés qu’elles commercialisent. Néanmoins, pour les ONG, ce règlement ne se donne pas les moyens de lutter efficacement contre le problème car il ne rend pas obligatoire la mention de la localisation de la parcelle exploitée dans le pays d’origine. La Commission propose, par ailleurs, la création d’un mécanisme mondial pour le carbone forestier (Global Forest Carbon Mechanism) qui permettrait de récompenser les mesures de protection des forêts prises par les pays en développement. Cette proposition sera présentée à la prochaine conférence des parties à la Convention de lutte contre les changements climatiques qui se tient à Poznan en décembre 2008.

LES FAITSMARQUANTS1

années  1970, encourageant les infirmières et les généralistes à dispenser des soins jusqu’alors assurés par les spécialistes.

SOLIDAIRES CONTRE LA FAIM15 OCTOBRE L’ONG World PublicOpinion et l’Université du Maryland publient un sondage montrant que plus de 75  % des citoyens des pays de l’OCDE sont prêts à contribuer personnelle-ment et financièrement à la lutte contre la faim. Le consentement à payer pour réduire la faim dans le monde va de 10 dollars par an et par personne en Turquie à 50 dol-lars aux États-Unis. Les Français seraient prêts à contribuer, cha-cun, à hauteur de 45 dollars.

LE DÉNUEMENT DE LA FEMME RURALE16 OCTOBRE Les Nations unies célèbrent, pour la première fois, la Journée internationale de la femme rurale, destinée à recon-naître sa contribution capi-tale à la production agricole.

Quelque 428 millions de femmes dans le monde travaillent dans le secteur agricole aux côtés de 608 millions d’hommes. Un rap-port publié par la FAO et la Ban-que mondiale le même jour, The Gender in Agriculture Sourcebook, énumère les domaines d’inéga-lité entre les hommes et les fem-mes en zone rurale  : accès aux soins, éducation, propriété de la terre et des outils agricoles ou accès au crédit.

CLIMAT : L’EUROPE PRESQUE À L’HEURE 16 OCTOBRE L’Agence euro-péenne de l’environnement publie son rapport annuel sur les émissions européennes de gaz à effet de serre, concluant que l’UE serait effectivement en mesure de tenir son engagement collectif de réduction d’ici à 2012 de 8 % de ses émissions par rapport à 1990. Le résultat serait même atteint dès  2010. Le rapport souligne néanmoins d’importantes diffé-rences de performance entre pays membres. Le retard de certains

pays, comme le Danemark, l’Espagne ou l’Italie, rend l’objec-tif fixé par les dirigeants euro-péens en 2007 – 20 % de réduc-tion des émissions d’ici  2020 par rapport à 1990 – difficile à atteindre.

UN MONDE D’INÉGALITÉS CROISSANTES 17 OCTOBRE L’Organisation internationale du travail (OIT) publie un rapport concluant que jamais la différence entre hauts et bas salaires n’a été aussi grande dans le monde depuis les années 1990. Dans les plus gran-des entreprises mondiales, les dirigeants perçoivent des salai-res 520  fois plus élevés que les salaires les plus bas – en 2003, l’écart n’était « que » de 360 fois. L’étude souligne en outre que la crise financière actuelle tou-che en premier lieu ceux qui n’ont pas bénéficié de l’expan-sion économique des dernières années : la progression du niveau de l’emploi (+ 30 % entre 1990 et 2007) n’a pas entraîné un enri-chissement équivalent des sala-riés. La part des salaires dans le PNB national a ainsi chuté de 13  % en Amérique latine et dans les Caraïbes, tandis qu’elle perdait 9 % dans l’ensemble des pays développés.

LE RETOUR DU PROTECTIONNISME ? 20 OCTOBRE L’Organisation mondiale du commerce (OMC) publie une étude signalant une croissance importante du nom-bre d’enquêtes ouvertes pour prix d’exportation anormale-ment bas ou dumping : 39 % de plus entre janvier et juin  2008 par rapport à la même période en  2007. Ces enquêtes concer-nent la production de métaux, de textiles et de produits

chimiques, et pour moitié des produits chinois. L’OMC note que jamais autant de pays mem-bres de l’Organisation n’ont pris de mesures de lutte contre la concurrence déloyale d’autres membres.

UNE MORT DORÉE ET RECYCLÉE 21 OCTOBRE L’ONG américaine Blacksmith Institute et La Croix verte suisse publient une étude sur les ravages sanitaires provo-qués par l’exploitation des mines d’or et le recyclage des batte-ries de voitures dans le monde. Chaque année dans les pays en développement, des centai-nes de millions de personnes tombent malades et des mil-lions meurent intoxiquées pen-dant leur travail par des substan-ces fortement nocives, comme le plomb durant le recyclage de batteries, ou le mercure dans les mines d’or.

LE SIÈCLE DES VILLES 23 OCTOBRE UN-Habitat publie son rapport annuel, State of the World’s Cities 2008/2009-Harmo-nious Cities, mettant en avant la transition démographique urbaine attendue au xxie siècle. D’ici 2050, la population urbaine mondiale devrait doubler sous l’effet de l’exode rural dans les pays en développement, en particulier en Asie et en Afrique. Mais si les vil-les attirent, elles n’enrichissent pas nécessairement leurs nou-veaux habitants. Aujourd’hui, un urbain sur trois vit dans un taudis, six sur dix en Afrique. Le rapport insiste sur la nécessité de contrô-ler le développement urbain, pour faire des villes des lieux de vie « harmonieux ».

EUROPE : TRI POUR TOUS 23>24 OCTOBRE Lipor, le ser-vice inter-municipal de gestion

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OCTOBRE

Les assemblées de la Banque mondiale et du Fonds moné-taire international (FMI),

les 11-13  octobre  2008, interviennent dans un contexte de crise financière. Comment envisager aujourd’hui l’avenir de ces institutions ?La crise actuelle montre à quel point la mondialisation a besoin de règles du jeu et d’institutions multilatérales fortes pour réguler la finance mondiale et coordonner les efforts de déve-loppement. Ces rôles pourraient revenir au FMI et à la Banque mondiale s’ils étaient des arbitres neutres, et non juge et partie. Ceci est difficilement envisageable tant que ces deux institutions restent étroitement contrôlées par les pays riches, les réformes de ces dernières années n’ayant pas changé la donne.

Renforcer leur légitimité implique donc une réforme de fond : faire sauter la capacité de veto des États-Unis pour toutes décisions importantes  ; revoir les modalités de nomi-nation des dirigeants, aujourd’hui invariable-ment d’Europe ou des États-Unis  ; refondre les conseils d’administration, où les pays euro-péens disposent encore d’un siège sur trois ; et, surtout, rehausser les votes des pays en développement, qui continuent d’être tenus à l’écart malgré les promesses.

Enfin, la crise financière exige une « mue idéologique » rapide de ces institutions, pour rompre définitivement avec le consensus de Washington. Sans de telles réformes, «  le retour du FMI sur la scène internationale », annoncé par Dominique Strauss-Kahn, ne jouera pas en faveur des pays du Sud.

Les Banques régionales de développe-ment répondent-elles mieux aux besoins des pays du Sud ?Les États-Unis disposent de 30 % des droits de vote à la Banque interaméricaine de déve-loppement. D’autres pays développés comme

la France y sont également représentés. À la Banque africaine de développement, 60  % des droits de vote vont aux pays africains, et il n’y a pas de droit de veto. Cependant, les pays hors-continent continuent de jouer un rôle important, par exemple la France qui dispose d’un siège au conseil d’administration.

Face aux conditionnalités libérales des programmes de la Banque mondiale et du

FMI et face à la mainmise des pays développés sur les autres orga-nismes régionaux de développe-ment, la création d’institutions véritablement régionales, telle la Banque du Sud en Amérique latine ou l’Initiative de Chiang Mai en Asie, semble légitime. La multipli-cation des fonds régionaux n’est pourtant pas la panacée si elle se fait au détriment du multilatéra-

lisme. Elle témoigne simplement de l’exclu-sion d’un nombre trop important de pays du « jeu » international.

Quel rôle peut jouer une ONG comme Oxfam dans ce contexte ?Oxfam France publiera, en 2009, un rapport sur le rôle des institutions financières inter-nationales (IFI) dans le secteur de l’éduca-tion au Mali. Mettre en évidence les consé-quences des programmes des IFI dans les pays pauvres et renforcer la capacité des organisations de la société civile au Sud à demander des comptes à leur gouvernement, mais également aux bailleurs de fonds, font évoluer les choses. N’oublions cependant pas que ces institutions ne sont pas autonomes mais qu’elles sont tenues par les pays déve-loppés et notamment la France qui y occupe un rôle de premier plan. Réformer la Banque mondiale ou le FMI implique aussi un chan-gement des politiques défendues par notre gouvernement, ainsi qu’un renforcement du contrôle parlementaire sur les décisions qui y sont prises. Sur ce dernier point, la route est encore longue. n

des déchets du Grand Porto, et l’Institute for the Sustainability of the Resources (ISR) organi-sent la IIIe  Conférence interna-tionale sur les déchets muni-cipaux à Porto. L’objectif est d’informer les acteurs européens de la récente directive sur le trai-tement des déchets et des obli-gations qu’elle crée en matière de tri, de prévention, de réutili-sation et de recyclage, d’effica-cité énergétique ou de responsa-bilité du producteur. La directive, adoptée en juin  2008, fixe en effet des objectifs ambitieux de recyclage des déchets munici-paux d’ici 2020  : +  50  % pour les déchets ménagers, comme le papier, le métal, le verre et le plastique, +  70  % pour les déchets de construction et de démolition non dangereux.

PARTAGER L’EAU 27 OCTOBRE L’Unesco publie la première carte mondiale des aquifères, qui fournissent 96  % des ressources d’eau douce de la planète. La majorité de ceux-ci sont transfrontaliers, ce qui pose des questions complexes de gestion et de partage, un sujet brûlant auquel l’Unesco s’est attelé depuis l’an  2000. Ce tra-vail débouche sur un projet de Convention sur la gestion des aquifères transfrontaliers, soumis aux délibérations de l’Assemblée générale des Nations unies.

FINANCE MONDIALE : UN PROFOND BESOIN D’ÉQUITÉ

Sébastien Fourmy,Oxfam France

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LES RÉCOLTES, LA FAIM, ET LA FINANCE 6 NOVEMBRE La FAO publie son rapport bisannuel, Food Outlook, prévoyant une production de céréales particu-lièrement élevée en 2008. La hausse des cours a, en effet, conduit les agriculteurs des pays développés à augmen-ter leur production. Néanmoins la contraction mondiale du crédit touche aussi les agriculteurs, transférant ainsi les risques de sous-production aux récoltes 2009-2010. La possibilité de prix élevés et de famine ne s’est donc pas éloignée. La FAO rappelle que, pour nourrir une population mondiale de neuf  milliards de personnes en 2050, la production agricole doit doubler d’ici cette date. Un objectif irréalisable sans des investissements importants dans l’équipement et la recherche agricoles (lire zoom p. 35).

LES FAITSMARQUANTS1

DÉSERTIFICATION… RIEN DE NOUVEAU 3>14 NOVEMBRE Le Comité chargé de l’examen de la mise en œuvre de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification tient sa 7e  réunion à Istanbul (Turquie). Chaque année, la désertifica-tion touche 12  millions d’hec-tares supplémentaires dans le monde tandis que près de la moitié du continent africain est déjà touchée. Malgré l’urgence de la situation, la réunion d’Is-tanbul a mis en évidence l’ab-sence de consensus entre les parties sur la mise en œuvre du plan stratégique décennal défini à Madrid en 2007. Si la définition d’indicateurs communs de mise en œuvre a un peu progressé, le manque persistant de finan-cement suffisant continue de bloquer le démarrage d’actions importantes.

DES ALTERNATIVES AU DDT ? 3>6 NOVEMBRE Le PNUE réu-nit 80  experts représentant les gouvernements, l’industrie, la recherche et les ONG pour rechercher des alternatives éco-nomiquement et écologique-ment viables à la démoustica-tion au DDT des zones touchées par le paludisme. Le DDT est considéré comme une subs-tance organique polluante per-sistante, et ses dommages sur la santé humaine et sur l’environ-nement posent autant de pro-blèmes que ses bienfaits dans la lutte contre les moustiques por-teurs du paludisme.

CONFLITS ET ENVIRONNEMENT 6 NOVEMBRE Les Nations unies célèbrent la Journée internatio-nale pour la prévention de l’ex-ploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit

armé. Initiée en  2001 par l’As-semblée générale, cette jour-née rappelle que les guerres n’entraînent pas seulement des pertes humaines  : les récoltes sont incendiées, les puits pol-lués, les sols empoisonnés, les animaux tués. Plusieurs instru-ments juridiques internationaux tentent de répondre à ces ques-tions  : la Convention sur l’inter-diction d’utiliser des techniques de modification de l’environne-ment à des fins militaires ou tou-tes autres fins hostiles (1976), la Convention sur les armes chimi-ques ou la Convention sur la pro-hibition des mines antipersonnel (1997). Il n’existe néanmoins aucun mécanisme de sanction pour les contrevenants.

L’ÉLOGE DE L’ÉCHANGE 6 NOVEMBRE La Banque mon-diale publie son Rapport annuel sur le développement dans le monde. L’édition  2009, consa-crée aux liens entre géographie et économie, a pour objectif de réfuter l’idée selon laquelle la concentration des richesses dans certaines zones se fait au détriment du développement d’autres. Selon le rapport, les différences de niveaux de déve-loppement ou de richesses natu-relles demandent, au contraire, l’essor des relations entre les dif-férentes zones géographiques afin de promouvoir les échanges et d’amener le plus grand nom-bre à en bénéficier.

CONNAÎTRE LA BIODIVERSITÉ MARINE 10 NOVEMBRE Le projet inter-national de recensement des fonds marins, Census of Marine Life, publie l’état de ses travaux. Depuis huit  ans, 2 000  cher-cheurs de 82 pays unissent leurs efforts pour mieux connaître la vie sous-marine terrestre. Les scientifiques ont recensé environ

120 000 espèces à ce jour. D’ici à la fin du projet, ils prévoient en dénombrer près de 250 000 dont des milliers de nouvelles espèces. Ces résultats intérimaires sont publiés à la veille de la Confé-rence mondiale sur la biodiversité marine de Valence (Espagne).

AFRIQUE : ACCOMPAGNER LA TRANSITION URBAINE 11 NOVEMBRE L’agence Habitat des Nations unies publie un rap-port sur L’État des villes africaines, soulignant les changements qui y sont attendus dans les deux décennies à venir. D’ici  2030 la population urbaine devrait dou-bler pour atteindre 759 millions, contre 373  millions en  2007. À cette date, la population afri-caine se partagera équitablement entre la ville et la campagne, l’es-sentiel de cette croissance se faisant dans les villes moyen-nes de moins de 500 000  habi-tants. L’étude enjoint les gouver-nements et les bailleurs de fonds à préparer dès aujourd’hui cette transition démographique, en se concentrant sur les infrastruc-tures et les capacités de gouver-nance des autorités locales.

SEUL LE VENT… 12 NOVEMBRE L’Agence inter-nationale de l’énergie publie son rapport annuel, World Energy Outlook  2008, plaçant pour la première fois l’éolien au cœur de son scénario de production éner-gétique pour 2020. Selon l’étude, seule cette énergie a le poten-tiel de répondre aux besoins mondiaux croissants sans éle-ver les émissions globales de gaz à effet de serre. L’agence estime que son développement pourrait permettre d’économi-ser 10  000  millions de tonnes de CO2 d’ici 2020. À cette date, l’éolien pourrait représenter 12 % de la production électrique dans le monde.

CALIFORNIE : LE COÛT DE LA POLLUTION 12 NOVEMBRE L’Institute for Economic and Environmental Studies publie une étude sur le manque à gagner dû à la pollu-tion atmosphérique en Califor-nie. Pour la région de Los Ange-les, la plus peuplée, les pertes induites atteignent 1 250 dollars par personne et par an. Pour la vallée de San Joaquin, cœur agricole de l’État, le manque à

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NOVEMBRE

L ’élection de Barack Obama le 4  novembre 2008 augure d’un chan-gement de cap majeur de la politique énergétique et climatique améri-

caine. Le nouveau président des États-Unis présente en effet en la matière un ambitieux programme, New Energy for America, dont la mise en œuvre figure parmi ses priorités.

L’arrivée de la nouvelle administration fédérale va tout d’abord se traduire par un retour des États-Unis au centre des négo-ciations climatiques sur l’après 2012. Pour mener à bien la préparation d’un nouvel accord, un format de discussions resserré incluant les membres du G8 ainsi que les principaux pays émergents est annoncé. Ce Global Energy Forum devrait s’ins-crire dans la continuité des Major Econo-mies Meetings (MEM) initiées en 2007 par George W. Bush et réunissant les seize principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre (GES). Il vise à servir de complé-ment, et non de concurrent, au processus de négociations déjà engagé sous l’égide de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Le nouveau président américain ambi-tionne de réduire les émissions de GES des États-Unis de 80 % d’ici à 2050, par rapport à leur niveau de 1990. Pour atteindre cet objectif, il appelle à la mise en place d’un marché national du carbone, avec une mise aux enchères de 100 % des permis d’émis-sion. Grâce, en partie, aux revenus tirés de ce mécanisme, Barack Obama entend promouvoir la commercialisation de véhi-cules hybrides, accélérer le développement des agrocarburants, encourager la mise en œuvre à grande échelle de nouvelles normes sur les performances énergétiques des bâtiments, commencer la refonte du

réseau électrique vieillissant et soutenir le développement des énergies propres, l’en-semble représentant un investissement de 150 milliards de dollars sur dix ans.

Ces actions doivent contribuer à réduire l’addiction pétrolière des États-Unis tout en renforçant l’indépendance énergétique du pays. Dans cette perspective, une augmen-tation annuelle de 4 % des économies sur le carburant est projetée dans le secteur auto-mobile. Barack Obama souhaite également que 10 % de l’électricité produite aux États-Unis provienne de sources renouvelables d’ici 2012 – et 25 % d’ici 2025. Cette ambi-tion contraste avec sa position modérée à l’égard de l’énergie nucléaire, laquelle n’est cependant pas absente de son programme. De même, la reprise des forages pétroliers en pleine mer, débattue dans le contexte de la flambée des prix de l’or noir au cours de l’été 2008, ne devrait pas être une priorité de son gouvernement.

Ce programme suscite de nombreux espoirs au sein des associations environ-nementales américaines et de la commu-nauté internationale, notamment dans la perspective d’un nouvel accord mondial sur le climat à Copenhague en décembre 2009. La nouvelle administration pourra-t-elle s’engager si vite après son entrée en fonction, et alors qu’elle devra faire face à une conjoncture économique difficile ? Elle devra aussi affronter les oppositions prévi-sibles au sein du Congrès américain, tandis que l’approbation du Sénat est indispen-sable pour la ratification des traités inter-nationaux. Barack Obama devra surmonter l’ensemble de ces obstacles pour engager les États-Unis sur un chemin énergétique nouveau. n

MATHIEU MAUCORT, SCIENCES PO PARIS ET EDF

gagner est encore plus impor-tant : 1 600 dollars par personne et par an. Ces pertes représen-tent avant tout les jours de tra-vail perdus en raison de mala-dies liées à la mauvaise qualité de l’air. Selon les auteurs de cette étude, les émissions de combustibles fossiles sont les principaux responsables de cette pollution.

CLIMAT : L’OMBRE DU NUAGE ASIATIQUE 13 NOVEMBRE Le PNUE publie un rapport sur l’impact environ-nemental de l’énorme nuage de pollution qui couvre une partie croissante de l’Asie du Sud. Avec une épaisseur de plus de trois  kilomètres, composé de suie et d’autres particules issues de l’activité humaine, le nuage brun s’étend de la péninsule ara-bique à la Chine et l’océan Paci-fique. Dans les grandes villes comme Pékin et New Dehli, il est suffisamment épais pour réduire la lumière du soleil, dégrader la qualité de l’air et nuir à la santé humaine et à la produc-tion agricole. Il serait aussi res-ponsable de la fonte accélérée des glaciers asiatiques. Selon le groupe de scientifiques qui étu-die le phénomène pour le PNUE depuis 2002, ce nuage se nourrit des mêmes sources que les gaz à effet de serre  : la combustion d’énergies fossiles, la combus-tion inefficace de la biomasse et la déforestation.

CHINE : UN APPÉTIT SAUVAGE 13 NOVEMBRE L’ONG Traffic, qui surveille le respect des limi-tations du commerce des espè-ces sauvages depuis  1976, publie une étude de l’impact de la consommation des Chinois

ÉTATS-UNIS : NOUVELLE ÈRE ÉNERGÉTIQUE ET CLIMATIQUE

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NOVEMBRE

EUROPE : LE LONG CHEMIN DES ÉLECTRICIENS 25 NOVEMBRE PricewaterhouseCoopers et Enerpresse publient Facteur Carbone 2008, leur 7e rapport annuel sur les émissions de gaz à effet de serre des producteurs d’électricité européens. En 2007, les émissions cumulées des 22  principaux électriciens européens s’élèvent à 800 millions de tonnes (Mt) de CO2, soit une augmenta-tion de 23 Mt par rapport à 2006 et de 46 Mt par rapport à  2001. Si l’augmentation de la production européenne globale d’électricité (+ 1,5 % en 2007) explique en partie ces résultats, l’étude souligne la dégradation du facteur carbone du secteur (+ 1,4 %), un résultat essentiellement lié à la croissance de la part des centrales à gaz et à char-bon dans cette production. Ce rapport paraît quelques jours après celui de l’Agence européenne pour l’environ-nement, indiquant que 80 % des émissions européennes de gaz à effet de serre proviennent aujourd’hui encore du secteur de l’énergie.

LES FAITSMARQUANTS1

sur la biodiversité. Le marché chinois en médicaments tirés d’espèces animales sauvages ne cesse de croître : + 10 % par an depuis  2003. Selon le rapport, le recours à ces produits est lié au fait que les Chinois per-çoivent les animaux sauvages, comme étant purs, sains et non pollués. La consommation de viande sauvage, pratique tradi-tionnelle en Chine, s’était beau-coup réduite grâce aux efforts des autorités pour lutter contre le braconnage. Elle est de nou-veau très recherchée dans les grandes villes, où près de 44 % des personnes interrogées ont reconnu avoir consommé de cette viande durant les douze derniers mois.

À QUAND DE VRAIS QUOTAS POUR LE THON ? 17>24 NOVEMBRE La Commis-sion pour la conservation du thon (Iccat) annonce les quo-tas de pêche du thon rouge pour  2009, provoquant une nouvelle déception de la part des scientifiques et des orga-nisations écologistes. Le ton-nage accordé (22 000  tonnes) est en effet à peine moins élevé que le tonnage pêché en  2008 (28 500  tonnes) et bien supé-rieur aux recommandations des scientifiques qui estiment le total admissible de capture entre 8 500 et 15 000 tonnes. On est également très loin du mora-toire sur le thon rouge demandé pour rétablir les stocks rapide-ment et durablement. Récusant la capacité effective de ges-tion des ressources en thon de l’Iccat, Greenpeace et le WWF demandent l’inscription du thon rouge dans la liste de la Conven-tion sur le commerce internatio-nal des espèces de faune et de flore sauvages (Cites) et appel-lent au boycott de ce poisson.

UN SOJA (PLUS) RESPONSABLE ? 18>20 NOVEMBRE La Table ronde pour une huile de soja responsable (RSPO), une orga-nisation internationale indépen-dante rassemblant l’ensemble des acteurs de la filière (produc-teurs, distributeurs, associations de conservation) pour définir des normes de production dura-ble, tient sa 6e réunion annuelle en Indonésie. Elle se félicite que du soja répondant aux nor-mes définies par la RSPO ait été produit pour la première fois en 2008. Elle conclut néanmoins à la nécessité de poursuivre cet effort pour garantir les filières jusqu’aux consommateurs, assu-rer la capacité des petits produc-teurs à respecter ces normes et impliquer plus avant les gouver-nements des pays producteurs pour transformer ces normes privées en normes publiques.

PAS DE RÉPIT POUR L’EFFET DE SERRE 25 NOVEMBRE L’Organisation météorologique mondiale publie

son Bulletin sur les gaz à effet de serre, donnant une évaluation annuelle des émissions mondia-les. La concentration du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmos-phère s’est accrue de 0,5  % en  2007 par rapport à  2006, celle de l’oxyde nitreux ou pro-toxyde d’azote (N2O) de 0,25 %, et celle du méthane (CH4) de 0,34  %. L’indice annuel d’accu-mulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère a ainsi pro-gressé de  24,4  % depuis  1990, témoignant de l’accroissement continu des émissions à l’origine du réchauffement de la terre.

TRANSPARENCE SUR LA DETTE 26 NOVEMBRE Le Club de Paris publie pour la première fois un tableau détaillé des créances des pays en développement détenues par ses membres. Le Club détient ainsi 330,2  mil-liards de dollars de créances, dont 172,5  milliards de dollars au titre de l’aide au développe-ment (APD) et 157,7 milliards de créances non APD. 10 % de ces

créances sont dues par des pays pauvres très endettés, un tiers concerne des pays émergents d’Asie, Afrique et Amérique du Sud membres du G20.

SIDA : DÉPISTAGE ET TRAITEMENT PRÉCOCES 27 NOVEMBRE Le groupe d’ex-perts sur le sida de l’OMS publie une étude dans le journal médi-cal The Lancet, montrant qu’un dépistage systématique et volon-taire du virus HIV couplé avec un traitement antirétroviral pré-coce réduirait le nombre de cas de sida de 95 % en dix ans. Ce plan d’action aurait, de plus, comme effets bénéfiques secon-daires de diminuer le nombre de cas de tuberculose associés au sida ainsi que la transmission du virus in utero. Un nouvel espoir donné à quelques jours de la journée mondiale de lutte contre le sida (1er décembre).

L’AVENIR INCERTAIN DES ENFANTS AFRICAINS 27 NOVEMBRE L’Unicef publie son rapport annuel sur l’état de santé des enfants en Afrique, montrant la grande vulnérabilité des plus jeunes sur le continent. L’Afrique représente aujourd’hui 22 % des naissances annuelles mondia-les mais près de 50 % des décès d’enfants de moins de cinq  ans. Le rapport appelle en consé-quence tous les acteurs – gouver-nements, agences de coopération, ONG  – à s’unir pour amélio-rer les soins de santé primaires aux mères et aux jeunes enfants. Pour atteindre la réduction des deux tiers de la mortalité infan-tile d’ici 2015 par rapport à 1990, cible fixée par les objectifs du Mil-lénaire pour le développement, il faudrait réduire le taux actuel de 10 % chaque année, pendant les huit prochaines années.

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NOVEMBRE

Les 11 et 12 novembre 2008, s’est tenue à Kuala Lumpur (Malaisie) la conférence

inaugurale de la Plateforme intergou-vernementale scientifique et poli-tique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). D’où vient cette initiative ?En janvier 2005, lors de la conférence inter-nationale Biodiversité : science et gouvernance à Paris, Jacques Chirac a appelé les « scien-tifiques à se rassembler pour créer un groupe intergouvernemental sur l’évolution de la biodiversité » sur le modèle du Groupe d’experts intergouver-nemental sur l’évolution du climat (GIEC). Reprise avec enthou-siasme par la communauté inter-nationale des scientifiques et des décideurs, l’idée s’est d’abord incarnée dans une large consul-tation sur tous les continents : le processus IMoSEB (International Mechanism of Scientific Exper-tise on Biodiversity). La confé-rence intergouvernementale de Kuala Lumpur, réunissant les représentants de 96 pays et de 30 organisations internationales, découle de cette consultation et donne mandat au directeur du PNUE de présenter l’IPBES lors du Forum ministériel global pour l’en-vironnement fin février 2009.

Pourquoi les spécialistes de la biodiver-sité comme ceux rassemblés par Diver-sitas ont-ils besoin d’une telle plate-forme de recherche ?Nous sommes plus que jamais convaincus de la nécessité d’établir une telle plate-forme. L’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire, menée sous l’impulsion des Nations unies, a montré la limite des efforts entrepris depuis 1992. Aujourd’hui, la sixième extinction d’espèces de l’histoire de la Terre est en cours et, contrairement

aux précédentes, elle est d’origine anth-ropique. Il est urgent d’améliorer la coor-dination et la pertinence des recherches internationales sur la biodiversité, à l’instar du GIEC qui a permis d’accroître les recherches sur le changement climatique et de les rendre plus stratégiques et mieux ciblées. Nous avons besoin d’indicateurs de la biodiversité utilisables par les scien-tifiques et les décideurs. Il nous faut aussi des systèmes globaux de suivi de la biodi-versité et des scénarios prospectifs d’utilisa-tion des terres et des mers, et d’adaptation

des populations en fonction des différents scénarios climatiques. Enfin, nous devons comprendre l’impact de ces pertes de biodi-versité sur le fonctionnement des écosystèmes locaux, sur le climat et sur nos sociétés.

Une telle plateforme aidera aussi à une meilleure prise de conscience par l’opinion publique de la valeur de la biodiversité. Celle-ci doit être associée aux services qu’elle rend directement aux populations – régulation du climat et des maladies –, et non

pas seulement à la perte d’espèces exotiques dans des contrées éloignées. Enfin, la consti-tution d’un mécanisme à la charnière entre science et politique permettra une meilleure utilisation des données scientifiques dans la prise de décision politique au niveau local, régional ou international.

L’indépendance scientifique de l’IPBES constitue, bien entendu, l’un des grands enjeux des discussions actuelles entre gouvernements. Seule une gouvernance solide saura garantir l’indépendance – et donc la qualité – du travail de l’institution. Si ce nouveau mécanisme doit entretenir des relations étroites avec les principaux accords multilatéraux sur l’environne-ment (AME), il ne doit pas être sous leur contrôle. n

FINANCER LE DÉVELOPPEMENT 29 NOVEMBRE>2 DÉCEMBRE La Conférence de suivi de la mise en œuvre du consensus de Mon-terrey, défini en 2002, se tient à Doha (Qatar). Son objet n’est pas de susciter de nouveaux enga-gements des bailleurs de fonds mais de mesurer les projets réa-lisés en termes d’augmenta-tion de l’aide, de réduction de la dette, de lutte contre la cor-ruption ou d’établissement de partenariat public-privé. Néan-moins, dans un contexte de crise financière mondiale et de grands plans de sauvetage des institu-tions bancaires des pays riches, l’absence de financement sup-plémentaire est vivement cri-tiquée par les ONG comme un abandon des plus pauvres. Les autres résultats – comme le prin-cipe d’une répartition équitable de l’aide entre hommes et fem-mes, la garantie et la facilitation des transferts des migrants ou la lutte contre l’évasion fiscale – passent presque inaperçus.

IPBES : UNE EXPERTISE INDÉPENDANTE POUR LA BIODIVERSITÉ

Anne Larigauderie,directrice de Diversitas, qui coordonne la recherche internationale sur la biodiversité

I N T E R V I E W

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LA GOUVERNANCEDU DÉVELOPPEMENT

DURABLE

UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANT

GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉ

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La gouvernance du développement durable

implique une réaffirmation du rôle

d’un pouvoir politique légitimé par son

assise démocratique

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GOUVERNANCE, LE CHAÎNON MANQUANT DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

LA GOUVERNANCE EN QUESTION

De nombreux accords multilatéraux promeuvent le développement durable, les déclarations politiques d’appui s’enchaînent et de nombreux acteurs non étatiques s’engagent en sa faveur ;

pourtant à tous les niveaux, local, national, régional et international, sa mise en œuvre bute sur de multiples problèmes. Plus de quinze ans après la conférence de Rio, la question de la gouvernance du développe-ment durable se pose avec une nouvelle acuité.Mais, quelles que soient les insuffisances de notre compréhension des phénomènes en cours, des instruments techniques, juridiques, économiques et sociaux, et des méthodes opérationnelles existent déjà. Ils devraient apporter des éléments de réponse concrets à ces problèmes. Resterait à gérer effective-ment la mise en œuvre des différents moyens, or c’est souvent là que le bât blesse. Telle était la conclusion commune qui semblait émerger des deux précédents

dossiers de Regards sur la Terre, l’un en 2007, consacré à la problématique de l’énergie et du changement climatique, l’autre en 2008, aux relations liant biodi-versitéa, nature et développement.Telle serait aussi la conclusion de l’analyse des autres grands problèmes du développement durable. Face aux crises de la désertifica-tion, des ressources halieu-tiques, des déchets chimi-ques ou de la diminution de la couche d’ozone, la question est autant celle des moyens à mettre en œuvre que celle de leur organisation et de leur gouvernance. Ces crises qui menacent l’humanité ont des causes multiples et complexes parmi lesquelles figurent la croissance démographique mondiale, l’expansion économique

a. Les mots ou expressions en rouge renvoient au glossaire.

RAPHAËL JOZANCHARGÉ DE MISSION AUPRÈS DU DIRECTEUR DE LA STRATÉGIE, AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD), PARIS (FRANCE)

JACQUES LOUPCHARGÉ DE MISSION, AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD), PARIS (FRANCE)

BENOÎT MARTIMORT-ASSORESPONSABLE COMMUNICATION ET VALORISATION DES ACTIVITÉS, INSTITUT DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DES RELATIONS INTERNATIONALES (IDDRI), PARIS (FRANCE)

Les différents niveaux d’intervention rendent difficile la mise en place d’un système de gouvernance coordonné et homogène

INTRODUC-TION

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et l’orientation consumériste du développement, les effets néfastes de certaines techniques, les insuffi-sances des expertises et le manque de volonté politique, pour ne mentionner que quelques-uns des suspects habituels. Cette causalité multiple appelle de fait une multiplicité de réponses, et leur gestion effective par un système de gouvernance mondiale adapté aux nouvelles exigences environnementales et sociales, telles qu’énoncées depuis 1992 à travers le concept de développement durable et résumées par les objectifs du Millénaire pour le développement.Les acteurs «  établis  », gouvernements et organi-sations internationales ont entrepris une série de réformes des institutions internationales financières et onusiennes (lire repère  2), mais conscients de leur incapacité à répondre seuls aux grands défis

de la planète, ils encoura-gent les acteurs non étati-ques à se mobiliser au service du développement durable. Les résultats sont pour le moins contrastés  : les négociations commer-ciales, censées intégrer les

enjeux de développement durable, s’enlisent ; celles portant sur le changement climatique s’éternisent alors que l’urgence de disposer d’un cadre interna-tional d’intervention se fait de plus en plus pressanteb. Les réformes des institutions financières internatio-nales et du Conseil de sécurité de l’ONU piétinent ou débouchent sur des changements mineurs ; et le débat sur la réforme de la gouvernance internatio-nale de l’environnement n’aboutit toujours pas.Cet immobilisme contraste avec l’activisme des acteurs non gouvernementaux, qu’il s’agisse de fonda-tions, d’entreprises, d’ONG ou de simples individus, qui multiplient initiatives et interventions. Cette prolifération des acteurs, des actions et des espaces de négociation conduit à une fragmentation de la gouvernance que vient encore renforcer l’absence de

b. Rapports Stern et du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évo-lution du climat (GIEC).

concertation entre les différents niveaux d’interven-tion. Ces différents niveaux, qu’ils dépassent l’État-nation et concernent une région ou même le monde, ou qu’ils le divisent et couvrent des provinces, régions écologiques ou simples bassins fluviaux, consti-tuent bien sûr autant de bases légitimes d’action  ; ils rendent toutefois difficile la mise en place d’un système de gouvernance coordonné et homogène. Dans un tel contexte, la question de la gouvernance apparaît cruciale, car intimement liée à la capacité de mettre en œuvre le concept même de dévelop-pement durable.Avec ce nouveau dossier, Regards sur la Terre 2009 souhaite contribuer à la réflexion en cours sur le système de gouvernance actuel et ses évolutions futures. Ce dossier s’organise en trois parties. La première analyse l’inadaptation actuelle du système institutionnel, créé pour répondre aux problèmes de l’après-guerre, à faire face aux défis du développe-ment durable. La seconde illustre, en s’appuyant sur des analyses et des études de cas, la diversité des dynamiques en cours et quelques réponses aux enjeux du développement durable. Les exemples choisis ici montrent à la fois la variété des acteurs et les modalités de remise en cause d’un système de moins en moins crédible. Ils portent par ailleurs en eux les prémices d’une nouvelle gouvernance : les leçons, bonnes ou mauvaises, de ces nouvelles initiatives devront être retenues dans l’élaboration d’un système de gouvernance durable à même de répondre aux défis du xxie siècle. Enfin la troisième partie analyse quelques-uns de ces défis et leurs impli-cations pour ce nouveau système. Sans prétendre esquisser totalement le cadre d’une gouvernance rénovée, elle propose quelques pistes.

UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Philipp Pattberg dans le chapitre 1 présente une typologie des différentes acceptions du terme de gouvernance mondiale du développement durable. Au-delà de la confusion conceptuelle qui entoure tant le terme de gouvernance que celui de

Le rôle croissant des acteurs non étatiques

a été accompagné d’une segmentation et d’une

fragmentation des politiques

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LA GOUVERNANCE DU DÉVELOPPEMENT DURABLEINTRODUCTION

développement durable, il montre que le rôle crois-sant des acteurs non étatiques a été accompagné d’une segmentation et d’une fragmentation des politi-ques de mise en œuvre du développement durable. Ce double mouvement a provoqué une « privatisa-tion » de la gouvernance, laquelle échappe de fait au contrôle des pouvoirs publics. Philipp Pattberg plaide en conséquence pour un retour de l’initiative politique afin de renforcer le noyau institutionnel de la gouvernance mondiale du développement durable au sein des Nations unies.L’évolution de la souveraineté des États, corollaire de la montée en puissance des acteurs non étatiques, fait l’objet de l’analyse de François Lerin et Laurence Tubiana dans le chapitre  2. Tous deux montrent comment la lente concentration des pouvoirs aux mains de l’État sur plus de trois siècles se trouve aujourd’hui remise en cause par différents facteurs, notamment par l’émergence des enjeux environne-mentaux globaux. Les auteurs se démarquent toute-fois de l’idée conventionnelle qui voit dans cette évolution une érosion de la souveraineté étatique : selon eux, il s’agirait plutôt d’une complexification de cette souveraineté puisque les enjeux environnemen-taux sont à la fois source de diminution de leur champ de pouvoir et source de légitimité de leurs actions. N’en demeure pas moins la nécessité de « refonder » le concept de souveraineté des États pour permettre l’avènement d’une gouvernance adaptée du dévelop-pement durable à l’échelle de la planète.Face à ce paysage complexe, marqué par une évolu-tion non réfléchie du rôle de l’État et par l’appari-tion d’acteurs et d’initiatives nouvelles, le système de gouvernance s’est trouvé dépassé et a évolué de manière plus réactive que proactive. Dans le chapitre  3, Adil Najam, Mihaela Papa et Nadaa Taiyab montrent comment le système international, dans le cas de l’environnement, a évolué en multi-pliant acteurs, sources de financement et accords internationaux. Cette prolifération a conduit à une fragmentation du système et à son inefficacité, accompagnée d’une prédilection pour les négocia-tions aux dépens de la mise en œuvre des accords

déjà conclus. Ils soulignent aussi que seule une volonté politique forte permettra de surmonter les nombreux intérêts établis qui ont bloqué jusqu’à aujourd’hui toutes les tentatives de réforme.

DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANT

De nouvelles dynamiques ont fait surface pour répondre aux problèmes complexes et de nature systémique de l’environnement et du développement durable. À coté de l’État – toujours présent –, sont apparus organismes non gouvernementaux, entre-prises, fondations, associations, réseaux d’expertise. Confrontés à des défis nouveaux, ces acteurs ont expérimenté des formes de gouvernance originales. Multi-acteurs, celles-ci font intervenir des gouverne-ments centraux ou locaux, des entreprises, des associa-tions ou des communautés villageoises. Multiniveau, elles concernent aussi bien des pays distincts, des régions ou des États, que des groupements urbains ou des municipalités. Jayashree Vivekanandan voit, au chapitre 4, dans cette gouvernance multiniveau un nouveau paradigme du développement durable. L’expérience des dernières décennies démontre le potentiel de cette forme de gouvernance, mais l’auteur souligne toutefois que cette promesse peut facilement être détournée et que sa réalisation dépend de la nature du système politique en place. À cet égard, il n’existe pas de dispositif institutionnel idéal ; instaurer un système de gouvernance adéquat sera nécessairement compliqué et désordonné, à l’image même de la démocratie.Les enjeux globaux donnent à certains acteurs l’opportunité de (re)légitimer leurs actions et politi-ques comme le montre le chapitre 5 pour la Chine et le chapitre 6 pour le Brésil. Dans le chapitre 5, Qi Ye, Ma Li, Zhang Huanbo, Li Huimin, Cai Qin et Liu Zhilin décrivent comment un objectif adopté à l’échelle mondiale, la lutte contre le changement climatique, a permis au pouvoir central chinois, à

Des formes de gouvernance originales, multi-acteurs et multiniveau

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l’aide d’un système de motivations, de fixer ces mêmes objectifs aux autorités provinciales. En liant l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’augmentation de l’efficacité énergétique comme un élément de performance économique et administrative, les provinces se sont engagées pleine-ment dans la lutte contre le changement climatique. La performance économique reste la principale incitation des provinces chinoises et la motivation des fonctionnaires provinciaux a été obtenue par la prise en compte, dans le système d’évaluation et de promotion, de leurs résultats dans ce domaine. On peut sans doute tirer de cette expérience limitée des leçons plus générales pour motiver les acteurs locaux en faveur de priorités mondiales.Il en est de même de l’expérience du Brésil, autre grand pays fédéral. Dans le chapitre 6, Dilip Loundo analyse comment un problème de portée mondiale, la déforestation de l’Amazonie, a été pris en

charge par les autorités fédérales et locales de ce pays. Dilip Loundo montre les limites des actions, impulsées par le gouvernement fédéral et souvent captées par des intérêts clientélistes, et

les résultats, quant à eux positifs, d’une décentrali-sation active et de la mobilisation de la société civile. En écho au thème évoqué plus haut de l’érosion de la souveraineté nationale, l’exemple brésilien montre aussi les limites de l’action nationale dans un pays où la déforestation peut dépendre tout autant des cours du soja sur le marché mondial que des efforts des pouvoirs fédéraux et locaux.Thierry Hommel et Olivier Godard s’interrogent, dans le chapitre 7, sur l’intérêt des entreprises pour la responsabilité sociale, laquelle peut apparaître comme une déviation par rapport à leur principal objectif de rentabilité, voire comme un détourne-ment de la confiance de leurs mandataires. Mais, notent-ils, l’engagement des firmes dans la respon-sabilité sociale et environnementale répond à la

poursuite de leur intérêt bien compris, s’il favorise la stabilisation de leurs marchés et un accès durable aux ressources dont elles dépendent, dans un contexte incertain. Une telle coïncidence entre intérêts privés et publics peut faire des entreprises un acteur essen-tiel du développement durable, particulièrement dans les pays pauvres où les pouvoirs publics manquent de moyens financiers et de capacités administratives. Toutefois, si les entreprises responsables peuvent s’avérer des acteurs utiles à la mise en œuvre d’un développement durable, elles ne peuvent se substi-tuer à l’État, et leurs actions doivent aussi être orien-tées par le consommateur.

GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉ

Si les dernières décennies du xxe siècle ont su trouver des éléments de réponses aux crises environnemen-tales, celles-ci perdurent et bien souvent s’aggravent. Les défis du nouveau siècle exigeront un nouveau système de gouvernance du développement durable, lequel devra être construit à partir des institutions existantes et des innovations récentes.Le plus grand de ces défis est sans doute le dévelop-pement des pays du Sud. Malgré les nombreuses avancées institutionnelles et légales auxquelles il a donné naissance, le concept de développement durable a peu modifié les stratégies de développe-ment au Sud. Dans le chapitre 8, Pierre Jacquet et Jacques Loup arguent que la convergence d’une série de crises environnementales rend dorénavant impossible la poursuite des pratiques passées. Pour répondre à des menaces de nature systémique, de nouvelles approches, intégrées et globales, devront prendre pleinement en compte les questions sociales et environnementales. Elles exigeront un approfon-dissement des connaissances scientifiques et une rénovation des instruments utilisés pour conduire le développement.Sciences et techniques sont au cœur des succès économiques et des crises environnementales du xxe siècle, et beaucoup en attendent aujourd’hui des réponses aux défis du siècle présent. Récemment

Un nouveau système de gouvernance du

développement durable, construit à partir

des institutions existantes et des innovations récentes

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LA GOUVERNANCE DU DÉVELOPPEMENT DURABLEINTRODUCTION

apparus sur la scène de la gouvernance, les réseaux d’expertise ont vu leur notoriété renforcée par l’attri-bution en 2007 du prix Nobel de la paix au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) conjointement à Al Gore. Dans le chapitre 9, Philippe Le Prestre et Romain Taravella analysent les finalités et modes d’intervention de ces réseaux, et s’interrogent sur les conditions de leur pertinence, crédibilité et légitimité. De fait, leur influence dépend autant, sinon plus, des processus de création et de diffusion des connaissances scien-tifiques, que du contenu de ces dernières. Pour neutres et objectifs qu’ils se prétendent, les réseaux ne peuvent être dissociés des jeux du pouvoir et des processus politiques.Sunita Narain situe, quant à elle, la problématique du développement durable dans les pays pauvres au centre des conflits politiques et des revendications sociales. À partir d’exemples indiens, elle montre dans le chapitre 10 comment des groupes locaux ont su se réapproprier des connaissances traditionnelles pour défendre leur accès aux ressources, face à des intérêts hostiles qui leur en contestaient la possession et les savoir-faire. Pour elle, la mise en place de stratégies de développement durable pour les pays du Sud passe par deux exigences : celle d’un système démocratique efficace appuyé par des institutions publiques crédi-bles, et celle de connaissances nouvelles et inven-tives. Autre impératif : que ces initiatives locales soient mieux connues des pays développés pour que les voix du Sud puissent, à leur tour, être entendues par les décideurs des pays du Nord. Dans un tout autre registre, Edith Brown Weiss explicite, dans le chapitre  11, l’apport du droit international au développement durable et le rôle novateur de la préoccupation pour les générations futures. Depuis son apparition il y a trois décen-nies, le concept de développement durable a été repris par le droit international permettant des avancées importantes dans les domaines du droit environnemental, économique ou humain. Il est à noter cependant que l’importance des instruments légaux contraignants va diminuant, tandis que des

instruments, légaux mais non contraignants, devien-nent beaucoup plus présents. Ces nouveaux outils se révèlent aussi efficaces à l’usage car ils permettent au système judiciaire de se saisir de certains dossiers du développement durable. Toutefois, remarque Edith Brown Weiss, dans ce contexte de soft law, seule une éthique du développement durable, qui englobe la planète, ses peuples et les générations futures, paraît aujourd’hui à même de contraindre et guider nos actions.

COMMENT RECONSTRUIRE ?La lecture de ce dossier permet d’identifier quelques thèmes sous-jacents aux différentes contributions et de formuler quelques conclusions préliminaires. Certes insuffisantes à définir un nouveau système de gouvernance adapté aux défis de notre siècle, elles peuvent toutefois permettre d’identifier des orienta-tions et de dégager des pistes pour une gouvernance plus juste, légitime et plus efficace.Tous les auteurs soulignent la multiplication des acteurs appelés à intervenir dans la promotion, la négocia-tion et la mise en œuvre du développement durable  : entreprises, réseaux d’exper-tises ou organisations non gouvernementales, posant de manière pressante d’ailleurs la mise en synergie de ces différents prota-gonistes. Longtemps seuls légitimes dans la gestion des affaires de la planète, les États-nations partagent aujourd’hui la gouvernance internationale du dévelop-pement durable avec ces nouveaux acteurs, entraî-nant une redéfinition du rôle de l’État, mais aussi des organisations internationales et de la science.À cette pluralité d’acteurs correspondent autant d’interprétations distinctes du concept de dévelop-pement durable. Rien de surprenant, sans doute, puisque, trente ans après son apparition, ce concept est resté avant tout discursif et rhétorique, dépourvu d’un contenu opérationnel qui s’impose à tous les protagonistes.

Des groupes locaux ont su se réapproprier des connaissances traditionnelles pour défendre leur accès aux ressources

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 200980

Face à ce vide, chaque acteur privilégie une inter-prétation du développement durable, la sienne, en fonction du problème à l’origine de sa mobilisation, de la communauté dans laquelle il s’inscrit, ou du débat auquel il participe. Ces acteurs manipulent alors la rhétorique du développement durable selon leurs propres intérêts et valeurs, pour la sauvegarde de leurs activités et possessions. Sans doute convient-il aujourd’hui d’abandonner l’idée, si nous l’avons jamais eue, que le concept de développement durable pouvait offrir un cadre fédérateur et une stratégie détaillée s’imposant à tous de manière incontestable. Sa définition est plurielle, en perpétuelle négociation et, en fin de compte, le développement durable sera ce que nous en ferons. Il est avant tout une réalité sociale et politique portée par des groupes dotés de systèmes de valeurs différents qui confrontent leurs points de vue et négocient pour défendre leurs intérêts. C’est dans cette constante négociation que se joue la coexistence des systèmes

de valeurs hétérogènes et se définit la réalité du dévelop-pement durable.À cet égard, l’expertise scien-tifique n’a pas une légitimité absolue qui s’impose aux

autres acteurs. Les auteurs de ce dossier soulignent en effet à la fois la diversité de cette expertise, les limites de sa légitimité et les insuffisances de ses connais-sances. Les experts ont certainement leur place à la table de négociations, mais ils doivent s’y trouver avec d’autres participants tout aussi légitimes. À l’adage « problème global, solution locale », on pourrait apposer la formule « problème local, impli-cations mondiales ». Les avancées vers un dévelop-pement durable sont fréquemment le résultat d’un processus de confrontation et de négociation entre différents acteurs, chacun avec ses objectifs et ses outils, parfois situés à différents niveaux. Ainsi, la lutte contre la déforestation, qui met en danger la survie des communautés amazoniennes, impliquera les gouvernements provinciaux et fédéral brésiliens, les ONG locales et internationales, voire des conventions

internationales telles que la Convention sur la diver-sité biologique (CDB). L’action des entreprises en faveur du développement durable sera influencée par les activités d’ONG locales, par les politiques de leur gouvernement ou même par les Nations unies à travers l’initiative du Pacte mondial. La gouver-nance du développement durable se joue dans ces interactions multiples, complexes où les rapports de forces évoluent et peuvent se solidifier en dispositifs « favorables au développement durable ». La formalisation de ces interactions dans une approche « multiniveau » peut stabiliser un espace de négociations et offrir un cadre approprié à une gouvernance du développement durable. La formu-lation de ces dispositifs de négociations implique des choix et ne peut être qu’imparfaite. Pour des raisons pratiques, tous les acteurs concernés ne peuvent appartenir au dispositif et sa définition même implique un extérieur et un intérieur, une inclusion et une exclusion. Une approche durable du dévelop-pement nécessite de reconnaître l’imperfection de ces dispositifs et l’incomplétude intrinsèque à tout arbitrage politique. Reconnaître l’imperfection de tout dispositif, c’est aussi affirmer qu’il n’est pas a priori de point de vue ou d’intérêt à exclure, qu’aucun groupe d’acteurs ne peut avoir le monopole de la vérité. Une telle approche doit sortir des discours cohérents et clos, qui enferment la problématique du développement dans des légitimités purement finan-cières ou purement scientifico-techniques.L’apparition de nouveaux acteurs en dehors des struc-tures étatiques s’est traduite par une « privatisation » de la gouvernance internationale du développement durable. En reconnaissant leur incapacité à mettre seuls en œuvre les recommandations de Rio et en appelant les ONG et les entreprises à y participer, les États ont de fait entériné ce mouvement qui apparaît aujourd’hui inéluctable. Il serait contre-productif et illusoire d’envisager un retour à une situation de centralisation du pouvoir et de l’action dans les seules mains de l’État. Pour l’essentiel, ce modèle a été, par le passé, celui de la gouvernance du développement et son échec est aujourd’hui patent.

C’est dans la confrontation et la négociation

que se définit la réalité du développement durable

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LA GOUVERNANCE DU DÉVELOPPEMENT DURABLEINTRODUCTION

Mais il faut souligner aussi les limites et les dangers de cette privatisation de la gouvernance, lorsque les acteurs non étatiques définissent le problème, proposent la solution, mettent en œuvre les politi-ques et s’auto-évaluent. Ces pratiques ne peuvent que susciter des questions concernant la légitimité de ces acteurs et leur responsabilité. Il apparaît souhai-table d’encourager toutes les initiatives en faveur du développement durable, qu’elles soient publiques, privées ou publiques-privées, mais il convient alors d’assurer leur encadrement et leur imputabilité.S’il n’est pas de cadre incontestable ou de système de valeurs s’imposant à tous, la nécessité d’agir, et donc le besoin d’un arbitrage, demeurent. C’est là le rôle du pouvoir politique et se pose alors la question de sa légitimité. La gouvernance du développement durable implique une réaffirmation du rôle d’un pouvoir politique légitimé par son assise démocratique. Il est fondamental enfin que le processus d’arbitrage soit

ouvert et transparent pour que des intérêts particuliers ne puissent détourner à leur seul profit les nécessaires prises de décisions. La mise en œuvre d’un dévelop-pement durable dépendra de ce fait de la capacité à traiter dans la durée et collectivement les affaires d’un monde commun, pluriel et changeant. Il est enfin d’autres exigences d’un système de gouver-nance du développement durable. Un processus de décision démocratique et transparent est nécessaire mais il faut aussi qu’il prenne explicitement en compte le long terme et le bien-être des générations futures.Une société démocratique et transparente est une société de droit, et le droit peut s’avérer un instru-ment puissant en faveur du développement durable. Mais tous les instruments à notre disposition seront sans doute insuffisants et un système de gouvernance ne pourra atteindre ses fins que s’il s’appuie sur une véritable éthique du développement durable.

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Le monde a assez pour satisfaire

les besoins de tous, mais pas l’avidité

de chacun M .   K . G A N D H I

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La gouvernance mondiale est un terme à la mode qui recouvre aussi bien l’influence de la société civile sur les processus internationaux de prise de décision que le rôle des organisa-tions intergouvernementales et des entreprises transnationales dans la politique mondiale. L’absence de consensus autour de sa définition limite cependant son application, en particu-lier dans le cadre du développement durable.

LA GOUVERNANCE, UNE SIMPLE MODE ?

PHILIPP PATTBERGCHERCHEUR, INSTITUTE FOR ENVIRONMENTAL STUDIES, VRIJE UNIVERSITEIT, AMSTERDAM (PAYS-BAS)

L a gouvernance mondiale pour le dévelop-pement durable est l’un des plus grands défis auxquels sont confrontés les décideurs politiques. Il est vital de conce-voir, aux niveaux local, national et inter-

national, des systèmes de gouvernance efficaces, stables et légitimes, capables d’assurer une évolu-tion conjointe de la nature et des sociétés humaines, avec comme objectif le développement durable. L’un des principaux obstacles sur ce chemin tient à l’ambiguïté conceptuelle qui entoure le terme de « gouvernance mondiale ». Comme le dit Lawrence Finkelstein, « nous disons “gouvernance” parce que nous ne savons pas réellement comment qualifier ce qui se produit » et « la “gouvernance mondiale” semble être à peu près tout et n’importe quoi  »1. Aucune définition précise ne fait consensus. Cette confusion conceptuelle limite notre capacité à comprendre et influencer la gouvernance mondiale pour le développement durable. L’examen de ses utilisations multiples et contradictoires, et l'analyse

du lien existant entre gouvernance mondiale et développement durable, doivent permettre d'iden-tifier les principales tendances qui se développent, ainsi que les principaux défis auxquels elle se trouve confrontée.

POURQUOI UNE GOUVERNANCE MONDIALE ?Un contexte de transformations fondamentales et profondes. Les premières années du xxie siècle sont fréquemment décrites comme une époque de profondes transformations. La fin de la guerre froide a modifié le système international qui est passé de deux pôles à de multiples centres de pouvoir. Les développements technologiques ont changé notre manière de traiter et de distribuer l’information, tandis que la mondialisation économique intègre en permanence un nombre de plus en plus grand d’acteurs dans l’économie mondiale. Parallèle-ment, il paraît clair aujourd’hui que l’humanité ne se contente plus de modifier son environnement local et régional mais qu’elle entre dans une phase de

UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE CHAPITRE 1

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 200984

l’évolution dont la dimension réellement planétaire est si profonde que, pour la nommer, certains intel-lectuels ont inventé un nouveau terme « l’anthropo-cène » pour nommer notre époque . Dans ce contexte

de transformations à grande échelle, des spécialistes des différentes sciences sociales se penchent sur la question de la gouvernance, autre-ment dit sur les nombreuses manières dont les êtres humains s’organisent pour parvenir à des objectifs

communs, et réagir notamment aux menaces crois-santes qui pèsent sur l’environnement. Leur atten-tion s’est notamment portée sur les processus de pilotage dans des conditions politiques autres que celles de l’État-nation et de la communauté internationale.La gouvernance mondiale est devenue, on l’a dit, un terme à la mode (cf. graphique 1). Mais malgré l’abondance des livres, articles et rapports publiés sur le sujet, les usages du concept reflètent des diver-gences d’approche. Au-delà de son statut de mot à

la mode, quel est l’état actuel de la situation dans les études sur la gouvernance mondiale ? Et qu’est-ce que la gouvernance mondiale pour le développe-ment durable ?

Gouvernance  : une pluralité de gammes pour une même mélodie. De l’influence de la société civile sur les processus internationaux de prise de décision au rôle des organisations intergouverne-mentales et des entreprises multinationales dans la politique mondiale, beaucoup de phénomènes ont été considérés comme des manifestations de la gouvernance mondiale2. Mais la signification précise de la «  gouvernance  » et de ce qui la qualifie de «  mondiale  » est rarement abordée en détail. Ses différentes acceptions dans des contextes très variés reflètent le désaccord sur la signification exacte des termes tant « mondiale » que « gouvernance ». Si l’adjectif « mondiale » peut faire référence au degré supérieur de l’activité humaine ou à la somme de tous les degrés de cette activité, le terme « gouver-nance » possède, quant à lui, au moins dix conno-tations distinctes, allant de l’État minimal, redéfinis-sant la nature des responsabilités publiques et des intérêts privés dans la fourniture des biens et services publics, jusqu’à la bonne gouvernance des adminis-trations imposée en tant que condition de conformité à l’obtention d’une assistance étrangère ou interna-tionale, de la Banque mondiale par exemple.

L’influence de la mondialisation. Le terme « gouver-nance » vient du grec kybernetes et kybernan, et fait référence à la navigation et à la conduite du timonier. Les verbes latins gubernare et regere utilisés pour décrire le pilotage tant d’un bateau que de l’État sont également liés aux actuels termes anglais, français et allemand utilisés pour piloter : to govern, gouverner et regieren. En sciences sociales, la gouvernance fait en général référence au processus consistant à piloter un système technique ou social à l’aide de mécanismes et de composantes déterminées. En science politique, le terme gouvernance a acquis une grande importance, en relation étroite avec le déclin, réel ou supposé,

LA SCIENCE ET LA GOUVERNANCEGRAPHIQUE 1

Source : ISI (Institute for Scientific Information) Web of Science

Les occurrences du terme « gouvernance mondiale » dans les titres et extraits de journaux scientifiquesanalysés par l'ISI, 1995-2008

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Cette confusion conceptuelle limite notre

capacité à analyser et influencer

la gouvernance mondiale pour le développement

durable

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLELA GOUVERNANCE, UNE SIMPLE MODE ?

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de la force institutionnelle de l’État-nation moderne et avec l’accroissement des interdépendances socié-tales. En conséquence de cette évolution, les intérêts ne sont plus soit publics soit privés, mais fréquem-ment partagés entre les autorités publiques, à tous les niveaux, et un large éventail d’acteurs non étatiques. La ligne de séparation entre les secteurs public et privé devenant de plus en plus floue, les pouvoirs publics ne sont que l’un des nombreux acteurs potentiels impli-qués dans le traitement des questions sociales. C’est pourquoi toute la question de la gouvernance est de savoir «  quels nouveaux instruments et nouvelles formes d’échange entre l’État et la société peuvent être élaborés pour garantir le contrôle politique et le soutien de la société3 ». En bref, la gouvernance est avant tout une stratégie politique résultant de la transformation continue de l’État libéral. Dans la même veine, le concept de gouvernance mondiale s’est également développé en réaction à une restruc-turation du système de souveraineté westphalienne provoquée par le processus de mondialisation.

Une multiplicité de définitions de la gouvernance. Suivant les auteurs, la définition de la gouvernance peut se révéler très différente. Pour Gerry Stoker, il existe un accord autour du fait que la gouvernance «  fait référence à l’élaboration de styles de gouvernement dans lesquels les frontières entre les secteurs public et privé sont devenues floues4 ». Précisant ces styles de gouvernement, R.A.W. Rhodes parle de « réseaux auto-organisés et inter-organisationnels caracté-risés par l’interdépendance, l’échange des moyens, des règles du jeu et une importante autonomie par rapport à l’État5 ». Pour Ronnie Lipschutz, l’une des « questions centrales à laquelle la civilisation humaine aurait dû répondre à la fin du xxe siècle était celle de la gouvernance : qui établit les règles et à qui appar-tiennent-elles ? Quelles sont les règles ? Quels sont les types de règles ? À quel niveau ? Sous quelle forme ? Qui décide ? Sur quelle base6 ? » Pour Christian Reus-Smit, la question essentielle est de savoir : « Comment les êtres humains peuvent-ils organiser leurs relations sociales pour améliorer la sécurité individuelle et

collective et le bien-être physique…7 ? » De manière similaire, Jan Kooiman comprend la gouvernance comme « la résolution de problèmes et la création d’opportunités, ainsi que les conditions structurelles et procédurales permettant d’y parvenir8 ».Trois caractéristiques se dégagent pourtant : m La gouvernance renvoie aux règles, à l’organisa-tion et aux conditions de l’ordre au sens large du terme.

m Elle implique l’existence, à des degrés divers, de nouveaux processus et mécanismes de résolution des problèmes.

m Elle décrit une relation qualitativement nouvelle entre acteurs publics et privés, et un élargissement des capacités de gouvernement, souvent sous forme de réseaux auto-organisés.

Pour conclure, l’une des raisons de la controverse actuelle autour de la gouvernance est sa capacité à couvrir une large gamme de phénomènes. Cette force est aussi une faiblesse : elle fait le lit de nombreux intellectuels aux préoccupations théori-ques et aux programmes de recherche parfois totalement divergents.

LA GOUVERNANCE MONDIALE : GENÈSE D’UN DÉBAT

Les récents débats sur l’influence politique crois-sante des acteurs non étatiques, les multiples niveaux poli tiques interconnectés et les nouveaux mécanismes fonctionnels de pilotage dépassant le cadre de l’État-nation peuvent être rassem-blés sous le titre de gouver-nance mondiale. La perception nouvelle des transformations qu’ils suscitent à grande échelle modifie profondément notre compréhension de « qui fait quoi pour qui » dans le domaine de la politique mondiale. Bien qu’il n’y ait ni définition incontestée de la gouvernance mondiale, ni acception commune de ce à quoi l’expression fait référence en termes de structure, de processus et de résultats, ce débat très controversé met en lumière certaines observations

Le terme gouvernance a acquis une grande importance, en relation étroite avec le déclin […] de l’État-nation moderne

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empiriques qui vont bien au-delà du cadre tradi-tionnel de l’étude des relations internationales. Les recherches actuelles sont cependant très influencées par des travaux antérieurs de science politique et de relations internationales. Trois courants ont notam-ment donné au concept de gouvernance mondiale ses fondements intellectuels, ou se sont développés en étroite relation avec lui (cf. encadré 1).

Besoin de piloter la mondialisation. Les tentatives pour appréhender la nature de cette transforma-tion, ainsi que les structures et les caractéristiques

du nouvel ordre sociopoli-tique émergeant en dehors du cadre de l’État, font fréquemment référence à deux concepts centraux : la mondialisation et la gouver-

nance mondiale. Mais la relation entre les deux termes est moins claire. Une approche intéressante attribue au processus de mondialisation la création de la demande de gouvernance mondiale. Autrement dit, la mondialisation peut ici être envisagée comme l’élargissement, l’approfondissement et l’accélération d’une interconnexité mondiale dans tous les aspects de la vie sociale, depuis le culturel jusqu’à l’économique, en passant par le spirituel. Cet enchevêtrement est l’une des raisons essentielles de l’échec des pouvoirs publics. La gouvernance mondiale a dès lors émergé comme réaction sociale, politique et économique au processus de mondialisation, intégrant beaucoup de ses postulats ontologiques. En bref, la gouvernance mondiale est une forme distincte de pilotage socio-politique à l’ère de la mondialisation.

Débat académique sur le rôle de l’État. La littérature sur les relations transnationales, vieille de trente ans, apporte une deuxième source d’influence au débat actuel sur la gouvernance mondiale. La politique n’est pas seulement un processus dialectique, elle est aussi un débat académique. Alors que les années  1990 et  2000 ont engendré des recherches importantes sur des sujets tels que la fin de l’État, la transformation

de la souveraineté, l’émergence d’une société civile mondiale et la gouvernance sans pouvoirs publics, la décennie 1980 avait, quant à elle, été dominée par des approches « étato-centriques », et en particulier par le néoréalisme waltzien. Si l’on remonte encore de dix ans, l’image change à nouveau. Les années 1970 sont celles du transnationalisme remettant en cause la pensée dominante en matière de relations inter-nationales. Ces deux approches –  relations inter-gouvernementales centrées sur l’État et transnatio-nalisme – représentent deux heuristiques distinctes qui alimentent toujours de nombreuses hypothèses intellectuelles sur le phénomène étudié.

Réformes du système multilatéral. La troisième source du débat sur la gouvernance mondiale se situe dans les travaux sur le multilatéralisme, les Nations unies et leur réforme organisationnelle. Le système des Nations unies constitue en effet le cœur organisationnel et normatif des efforts pour apporter des réponses plus pertinentes et plus fiables aux problèmes sociaux et politiques dont la dimension dépasse la seule capacité des États. Il constitue le dispositif institutionnel le plus ambitieux à ce jour en termes de gestion multilatérale des problèmes mondiaux.Pour beaucoup, praticiens et intellectuels confondus, la fin de la guerre froide et du système bipolaire dans lequel s’était enraciné ce système a signifié une trans-formation profonde de la structure de la politique mondiale. De grands espoirs ont alors été placés dans la capacité de la communauté internationale à apporter la paix, la prospérité et le développe-ment durable. Une série de conférences mondiales sur l’environnement et le développement durable, et jusqu’au statut des femmes, se sont succédé et témoi-gnent que ces questions ont été au moins abordées.En fin de compte, le concept de gouvernance mondiale est étroitement lié aux débats sur les Nations unies et leur réforme pour au moins deux raisons : la première est qu’en tant qu’unique organisation réellement planétaire, comptant pratiquement tous les États parmi ses membres, les Nations unies administrent

La gouvernance mondiale est une forme distincte

de pilotage sociopolitique à l’ère de la mondialisation

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLELA GOUVERNANCE, UNE SIMPLE MODE ?

1

une partie importante des ressources organisation-nelles nécessaires pour mener les affaires du monde. La seconde est que par le biais de leur réseau très complet d’agences, d’organisations et de commissions spécialisées, les Nations unies touchent à la grande majorité des problèmes actuels de la planète. Dans la foulée de la mutation du système international inter-venue en 1989-1991 et des fortes attentes liées à un «  nouvel ordre mondial  », les premiers débats sur la gouvernance mondiale faisaient des gouvernants les acteurs majeurs, tandis que la coopération, les organisations internationales, autrement dit le multila-téralisme, étaient considérés comme leurs principaux instruments (cf. encadré 2).

UNE GOUVERNANCE MONDIALE MULTIPLEDes acceptions analytique, programmatique et discursive. Parmi les débats académiques et politiques actuels, on peut observer trois acceptions paradigma-tiques du concept de gouvernance mondiale, dépen-dant chacune du raisonnement adopté pour justifier l’emploi de ce nouveau concept. Ces trois utilisations conceptuelles distinctes sont «  stables » quels que soient les domaines abordés et s’appliquent donc également au développement durable. m La première de ces acceptions relie étroitement

la gouvernance mondiale au phénomène de la mondialisation, mais contrairement à son sens plus politique, elle part de l’hypothèse que la gouvernance mondiale est un concept analytique qui explique les transformations actuelles de la sphère sociopolitique. En conséquence, elle met en lumière des qualités particulières des processus de gouvernance, tels que les modes de pilotage non hiérarchiques et le transfert de l’autorité à des acteurs non étatiques.

m La deuxième est centrée sur la nécessité et la perti-nence des réponses politiques au défi de la mondia-lisation. Dans cette perception, la gouvernance mondiale est d’abord et avant tout un programme politique visant à regagner la capacité étatique de pilotage de la résolution des problèmes à l’époque postmoderne.

m La troisième souligne la nature discursive du débat contemporain sur la gouvernance mondiale et analyse ce concept essentiellement comme un discours hégémonique visant à dissimuler sous la rhétorique les implications négatives des programmes économi-ques et politiques néolibéraux.

La gouvernance mondiale en tant que perception analytique. Perception analytique des transformations

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE : UNE LONGUE HISTOIRE CONCEPTUELLEENCADRÉ 1

n Les origines du discours sur la dura-bilité remontent au moins au début des années 1970, lorsqu’un certain nombre de publications et la première Confé-rence des Nations unies sur l’environ-nement humain se sont intéressées aux relations entre le développement humain et l’environnement. D’autres contributions importantes à ce débat sont venues de la Stratégie mondiale de la conservation et de la Commis-sion mondiale sur l’environnement et le développement. La Stratégie mondiale de la conservation, publiée en 1980 par l’Union internationale pour la conser-

vation de la nature, le Programme des Nations unies pour l’environnement et le Fonds mondial pour la nature (WWF) s’appuyait sur une approche systéma-tique du développement centrée sur une gestion écologique des ressources vivantes visant à préserver la biodiver-sité, en vue de la satisfaction des besoins humains présents et à venir. La Commis-sion mondiale sur l’environnement et le développement a été constituée en 1983 pour s’attaquer aux questions critiques que la Stratégie mondiale de la conser-vation n’avait pas abordées, notam-ment les causes de la surexploitation et

de la dégradation de l’environnement, et l’échec des politiques de développe-ment dans la lutte contre la pauvreté. Dirigée par Gro Harlem Brundtland, elle était chargée de définir une vision commune des questions environnemen-tales les plus urgentes et d’élaborer une stratégie à long terme pour parvenir à un développement durable à l’horizon 2000 et au-delà. Le rapport final, intitulé Notre avenir à tous et plus connu sous le nom de Rapport Brundtland, a façonné les débats internationaux sur la gouver-nance mondiale pour le développement durable qui ont suivi.

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actuelles de l’organisation politique et de la résolu-tion des problèmes au niveau mondial, la gouver-nance mondiale chapeaute alors différents systèmes de gouvernement à différents niveaux de l’activité humaine, en tant que principe social organisateur allant au-delà du pilotage hiérarchique et de l’auto-rité souveraine des États-nations. Ses caractéristiques clés sont la nature non hiérarchique du processus de gouvernement et la position centrale des acteurs non étatiques dans le processus. Si l’approche analytique de la gouvernance mondiale est assez variée – du fait d’une grande diversité théorique et méthodologique  – on peut cependant constater un certain nombre d’hypothèses communes.En tant qu’outil analytique permettant de comprendre la nature complexe et toujours plus segmentée de la politique mondiale, le concept de gouvernance mondiale : m accorde une pertinence particulière aux acteurs non étatiques ;

m analyse différents niveaux spatiaux et fonctionnels de la politique ainsi que leurs interactions ;

m se penche sur les nouveaux modes et mécanismes de production et de maintenance des biens publics mondiaux ;

m souligne, enfin, la mise en place de nouvelles sphères fonctionnelles d’autorité, en dehors de l’État-nation et de la coopération internationale.

Le transnationalisme a déjà mis en lumière l’importance croissante des acteurs non étatiques dans l’exercice de l’influence politique. La perception analytique de la gouvernance mondiale développe cette notion. À la recherche d’une nouvelle ontologie de l’ordre mondial

actuel, James N. Rosenau explique : «  Un ensemble réduit d’outils suggère que s’accrocher à l’idée que les États et les pouvoirs nationaux sont les fondements essentiels de l’organisation mondiale n’aide plus à la compréhension9 ». En effet, la gamme des acteurs impliqués dans la gouvernance mondiale pour le développement durable s’est forte-ment élargie, pour intégrer désor-mais les lobbies transnationaux et

les coalitions militantes, les communautés épistémi-ques (lire chapitre  9), les mouvements sociaux, les organisations transnationales de réglementation et de normalisation, et toutes sortes d’acteurs du monde des affaires (lire chapitre 6), les grandes firmes multinatio-nales de conseil et de service comme les plus petites.

ONTOLOGIE

Vision du monde qui sous-tend l’approche théorique adoptée. L’ontologie définit et délimite les éléments fonda-mentaux qui constituent le domaine étudié. Une ontolo-gie est donc la conceptualisa-tion d'une réalité, c'est-à-dire un choix quant à la manière de décrire cette réalité, et la spéci-fication de cette conceptuali-sation, c'est-à-dire sa descrip-tion formelle.

DÉFINITIONS DE LA « GOUVERNANCE MONDIALE »ENCADRÉ 2

n Club de Rome (1991). Nous utilisons le terme pour indiquer les mécanismes de commande d’un système social et ses actions qui s’efforcent d’assurer la sécu-rité, la prospérité, la cohérence, l’ordre et la continuité du système. [...] Au sens large, le concept de gouvernance ne doit pas être limité aux systèmes natio-naux et internationaux, mais être utilisé en relation avec les pouvoirs régionaux, provinciaux et locaux, ainsi que d’autres systèmes sociaux tels que l’éducation et l’armée, avec les entreprises privées et même avec le microcosme de la famille.

n Commission sur la gouvernance mondiale (1995). La gouvernance est la somme des nombreuses façons dont les individus et les institutions, publics et privés, gèrent leurs affaires communes. C’est un processus continu de coopé-ration et d’accommodement entre des intérêts divers et conflictuels. Elle inclut les institutions officielles et les régimes dotés de pouvoirs exécutoires pour faire respecter la conformité, ainsi que les arrangements informels sur lesquels les peuples et institutions sont tombés d’accord ou qu’ils perçoivent être de leur intérêt.

n  James  N. Rosenau (1995). La gouvernance mondiale est conçue pour intégrer des systèmes de règles à tous les niveaux de l’activité humaine – depuis la famille jusqu’à l’organisation internatio-nale – où la poursuite des objectifs par l’exercice du contrôle a des répercus-sions transnationales.n  OCDE (1996). La gouvernance mondiale peut être définie au sens large comme le processus par lequel nous gérons et gouvernons collectivement les ressources, les problèmes, les conflits et les valeurs dans un monde qui devient de plus en plus un « village mondial » [...].

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLELA GOUVERNANCE, UNE SIMPLE MODE ?

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Le deuxième point intéressant de la perception analy-tique de la gouvernance mondiale est la nature multi-niveau des interactions sociales et des institutions de gouvernance qui en résultent. Suivant cette idée, l’interconnexité des différents niveaux du processus politique, des différentes périodes et des différents espaces géographiques demande de revoir la concep-tualisation du modèle étato-centrique à deux niveaux de la politique internationale traditionnelle. Rosenau a clairement montré que la séparation entre les niveaux national et international de la politique ne devrait plus avoir le statut heuristique central dont elle a bénéficié pendant la plus grande partie de l’his-toire des sciences politiques. Il affirme que « dans un monde interdépendant et en rapide évolution, la séparation des affaires nationales et internationales pose problème », que « considérer le niveau national comme un aspect de la “politique comparative” et le niveau international comme une dimension de la “politique internationale” est plus qu’arbitraire : c’est erroné  » et que «  nous ne pouvons plus laisser la frontière entre intérieur et étranger perturber notre compréhension des affaires du monde »10. La notion de « gouvernance multiniveau » (lire chapitre 11) a ainsi gagné en crédibilité auprès des spécialistes de la gouvernance européenne, mais aussi des universi-taires intéressés par la gouvernance mondiale. Cette façon de voir s’accorde bien avec l’idée d’une intégra-tion des sphères sociales et naturelles dans le cadre plus large d’un «  système terrestre  »  ; elle appelle à une analyse de ces interrelations au sein d’une nouvelle science du système terrestre émergente, et à une étude de la gouvernance du système terrestre.La perception analytique de la gouvernance mondiale permet de tirer une troisième observation : la gouver-nance en dehors de l’État apparaît sous différents modes, utilisant des logiques et des instruments divers. Il n’existe en effet aucun principe organisateur unique sous-tendant la gouvernance mondiale, pas plus qu’il n’existe un état final clairement défini vers lequel convergent tous les acteurs. La gouvernance mondiale est au contraire la somme des différents mécanismes utilisés pour résoudre les problèmes au

niveau mondial. L’une des caractéristiques essen-tielles de ces «  nouveaux modes de gouvernance mondiale  » est leur nature fondamentalement non hiérarchique. Contrairement au gouvernement par les pouvoirs publics dotés, du moins en théorie, de moyens de coercition nécessaires pour faire respecter les lois en vigueur, la gouvernance mondiale ne peut s’appuyer que sur des modes de pilotage non hiérar-chiques. Dans le cadre du développement durable, les questions de la diffusion des normes, de l’apprentis-sage social et de l’adaptation organisationnelle revêtent une importance capitale. L’apprentissage, entre et au sein des différentes constel-lations d’acteurs, est devenu une préoccupation clé des décideurs politiques, illustrée par exemple par le Global Compact des Nations unies, un partenariat d’apprentissage entre les Nations unies et les acteurs économiques, centré sur le développement durable.La quatrième caractéristique du paradigme analy-tique de la gouvernance mondiale est l’émergence, la localisation et la persistance de sphères autonomes d’autorité en dehors du système des États. La carac-téristique essentielle de la gouvernance est ici la fragmentation de l’autorité politique. Dans cette optique, on peut faire la distinction entre la gouver-nance, en tant que modèle idéal d’une autorité fragmentée, et les pouvoirs publics, en tant qu’auto-rité centralisée. L’autorité se trouve dès lors débar-rassée de ses deux caractéristiques habituelles  : la territorialité et la totalité. La première de ces carac-téristiques fait référence à la capacité des régula-teurs (les pouvoirs publics) à contrôler un territoire spécifique, compris dans des frontières définies, sans interférence extérieure. La seconde décrit la capacité à contrôler tous les aspects de la vie économique, sociale et politique.Cette perception de la gouvernance mondiale considère les sphères d’autorité émergentes comme fragmen-tées tant géographiquement que fonctionnellement.

Dans un monde interdépendant […], la séparation des affaires nationales et internationales pose problème

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Ces « sphères d’autorité » définissent la capacité d’un système régulateur, formel ou informel, à générer la conformité au sein des parties concernées. C’est pourquoi, à la différence de la plupart des recher-ches classiques en relations internationales, l’essen-tiel des arguments de la perception analytique de la gouvernance mondiale est centré sur cette acqui-sition d’autorité, par des acteurs non étatiques et supra-étatiques. Dans le domaine de la gouvernance mondiale pour le développement durable, l’attention s’est portée sur sa récente institutionnalisation en dehors de la sphère internationale, sous la forme de schémas de gouvernance basés sur un marché non étatique (par exemple le Forest Stewardship Council ou le Marine Stewardship Council, lire repère 15).

La gouvernance mondiale en tant que programme politique. C’est lorsqu’elle est utilisée pour faire référence, au sens large, à un programme politique

que l’acception norma-tive de la gouvernance mondiale apparaît le plus clairement. Elle se fonde sur l’hypothèse que la pléthore de processus désintégrés attribués à la mondialisation appelle une réponse politique. La gouvernance mondiale

est supposée combler le fossé entre, d’une part, les échanges mondiaux de plus en plus rapides de biens, services, capitaux et personnes, et d’autre part, la capacité de pilotage de leur territoire par les gouvernements nationaux. Ce hiatus dans la capacité politique engendre non seulement des problèmes d’efficacité mais aussi un déficit démocratique.C’est pourquoi de grandes attentes se portent sur de nouvelles dispositions institutionnelles telles que les réseaux mondiaux de  politique publique. La commission d’étude « Globalisation de l’économie mondiale : défis et réponses » du Bundestag allemand note par exemple que : « Pour répondre à la mondia-lisation croissante et au développement des activités

économiques en dehors des cadres réglementaires nationaux, il devient plus nécessaire que jamais de façonner politiquement à l’échelle mondiale les processus économiques, sociaux et environnemen-taux. La manière de gérer démocratiquement les défis mondiaux commence depuis peu à être discutée sous l’appellation de gouvernance mondiale11. » En d’autres termes, la gouvernance mondiale est synonyme de pilotage politique du processus de mondialisation.On retrouve une autre acception normative de la gouvernance mondiale dans les travaux de la Commission sur la gouvernance mondiale. Ce groupe de vingt-huit personnalités publiques, pour la plupart d’anciens chefs d’État, fonctionnaires internationaux ou chefs de grandes entreprises, souligne l’impor-tance cruciale de la construction et du maintien d’une éthique civile mondiale fondée sur des valeurs communes. Toutefois, à ce stade, la gouvernance mondiale reste davantage une vision qu’une descrip-tion de l’état réel du système mondial.Quoi qu’il en soit, un certain nombre de caractéristi-ques clés peuvent être attribuées à l’usage normatif de la gouvernance mondiale en tant que description d’un programme politique visant à regagner, au moins en partie, une capacité de pilotage perdue à la fin de la période d’installation du libéralisme. Le premier point récurrent est que la gouvernance mondiale n’est pas synonyme de gouvernement mondial. Plutôt qu’un État-monde, la gouvernance mondiale envisage une confédération de républiques indépendantes, une vision déjà développée par Emmanuel Kant. Deuxièmement, la gouvernance mondiale repose sur plusieurs formes de coopération, de coordina-tion et de processus de décision à différents niveaux du système international. En particulier, elle souligne fréquemment la notion de partenariat entre acteurs à divers niveaux du système. Troisièmement, la gouver-nance mondiale reconnaît la structure essentiellement multipolaire de la politique mondiale. Elle met donc l'accent sur le développement de la régionalisation, qui permet de donner des impulsions fortes à la poursuite de l’intégration et de la coopération en tant que pierres angulaires de la gouvernance mondiale normative.

Les reproches adressés à la gouvernance mondiale

pour le développement durable en font une

tentative pour cacher les implications négatives

de la mondialisation économique

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLELA GOUVERNANCE, UNE SIMPLE MODE ?

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Enfin, la gouvernance mondiale voit l’incorporation d’organisations non gouvernementales comme une condition préalable au renforcement de la légiti-mité démocratique et à une résolution efficace des problèmes sur la scène mondiale. En fin de compte, la gouvernance mondiale est, dans son acceptation normative, fréquemment conçue comme un projet à long terme d’intégration mondiale reposant sur le multilatéralisme traditionnel, le renforcement de la coopération régionale et une multitude d’acteurs.Dans le contexte du développement durable, la version programmatique de la gouvernance mondiale se retrouve, par exemple, dans la déclaration de Johan-nesburg de 2002 sur le développement durable. Les gouvernements reconnaissent dans cette déclaration que « le développement durable exige une perspective à long terme et une large participation à la formula-tion des politiques, à la prise de décisions et à la mise en œuvre à tous les niveaux. Les partenaires sociaux continueront à œuvrer pour des partenariats stables avec tous les principaux groupes, en respectant les rôles importants et indépendants de chacun d’entre eux ». Ils reconnaissent également la nécessité de «  renforcer et améliorer la gouvernance à tous les niveaux pour une mise en œuvre efficace d’Action 21, des objectifs du Millénaire pour le développement et du Plan de mise en œuvre du présent sommet ».

La gouvernance mondiale en tant que discours. Enfin la référence à la gouvernance mondiale en tant que concept hégémonique est une tentative discursive pour dissimuler la nature du projet néoli-béral. Le « discours sur la gouvernance mondiale » est considéré comme un moyen de traiter plus effica-cement les conséquences négatives des transforma-tions sociales engendrées par le postfordisme et le néolibéralisme. Cette acception a été en grande partie développée aux confins théoriques du matérialisme historique trans-national. Ses principales critiques visent notamment les acceptions normatives et programmatiques de la gouvernance mondiale. La première de ces critiques est que la gouvernance mondiale apparaît comme

un processus consensuel dont le propos originel est de gérer les affaires communes de manière coopé-rative. La deuxième est que l’accent mis sur la multi-plicité des acteurs, et la pluralité des intérêts qui en résulte, dissimule la nature structurelle des relations sociales et la configuration hiérarchique sous-jacente du pouvoir social. La troisième critique porte sur le fait que la gouvernance mondiale est un concept qui ne tient pas compte de l’histoire et néglige la nature omniprésente des questions de gouvernance dans le passé de l’homme. C’est pourquoi les tenants de cette version critique de la gouvernance mondiale perçoivent le discours actuel, sur les mécanismes mondiaux de pilotage en dehors de l’État, comme profondément enraciné dans une tendance politique générale à la re-régulation de l’économie mondiale, cachant les tendances négatives d’un capitalisme attardé. La gouvernance mondiale en tant que tenta-tive de récupération de l’influence politique en vue de refaçonner le paysage institutionnel de la politique mondiale n’est donc pas perçue comme une contre-force à la mondialisation, mais bien comme sa compagne idéologique.Dans cette perception critique, les reproches adressés à la gouvernance mondiale pour le développe-ment durable en font une tentative pour cacher les implications négatives de la mondialisation écono-mique : le développement durable lui-même devient un concept vidé de son sens qui sert des intérêts opposés en offrant des visions spécifiques à chaque groupe (les trois piliers du développement durable : les sphères économique, sociale et environnemen-tale). Par exemple, dans la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (Cnued) de 1992, les acteurs du monde des affaires ont vu l’occasion d’influencer, dans leur propre intérêt, le programme d’action mondial qui émergeait. Ce n’est pas une coïncidence si l’année 1992 marque à la fois la fondation du Business Council for Sustainable Development et la publication de Changing Course,

La gouvernance mondiale pour le développement durable est caractérisée par une pluralité d’acteurs

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une étude approfondie du rôle des entreprises dans le développement durable. Il est intéressant de noter que c’est un chef d’entreprise canadien, Maurice Strong, qui, en sa qualité de secrétaire général du Sommet de Rio, a engagé Stephan Schmidheiny, le principal auteur de Changing Course, comme coordinateur des contributions des entreprises à ce sommet. Avec pour résultat que les entreprises ont été reconnues et acceptées en tant qu’acteurs légitimes dans le discours sur le développement durable. Plutôt que d’être perçu comme une partie du problème, le monde des affaires, à partir du début des années 1990, a été de plus en plus considéré comme une partie de la solution. Selon Livio De Simone, prési-dent du World Business Council for Sustainable Develo-pment en 1997 : « Les entreprises étaient généralement identifiées comme l’une des principales sources des problèmes environnementaux du monde. Aujourd’hui, elles sont de plus en plus perçues comme contributeurs essentiels à la résolution de ces problèmes et à l’assu-rance d’un avenir durable pour la planète. »En résumé, les usages actuels du terme de gouver-nance mondiale relèvent de trois grandes acceptions :

analytique, programmatique et discursive (cf. tableau  1). La confusion ne tient pas seulement à

l’existence de ces trois usages différents, mais aussi à l’habitude qui consiste à les utiliser de manière interchangeable au sein d’un seul et même débat. Il est impératif que ces usages soient rendus explicites pour éviter toute confusion conceptuelle. Puisque aucune définition communément acceptée n’existe, et ne semble souhaitée au vu des nombreuses connotations divergentes du terme, les intel-lectuels devraient au moins se pencher atten-tivement sur leurs propres conceptions de la gouvernance mondiale et s’efforcer de les faire connaître aussi clairement que possible. Un tel effort de clarification permettrait non seule-ment de renforcer la somme des connaissances dans le domaine des sciences sociales, mais

aussi d’établir des passerelles entre les disciplines et les orientations métathéoriques.

DES TENDANCES CLÉS POUR LES DÉFIS DE DEMAIN

Conformément à la conception de la gouvernance mondiale en tant que perception analytique de la politique mondiale, nous utilisons ici ce paradigme pour un ensemble spécifique de phénomènes obser-vables interreliés – à savoir la somme de toutes les

AcceptionPrincipales utilisations de la gouvernance mondiale dans le contexte du développement durable

Caractéristiques Exemples

analytiqueLa gouvernance mondiale en tant que phénomène observable inclut de multiples acteurs, niveaux et mécanismes.

Les systèmes non étatiques de certification des forêts (FSC, PEFC).

programmatique

La gouvernance mondiale en tant que programme inclut l’appel à une résolution coopérative des problèmes, associant tous les principaux groupes, à tous les niveaux, du local au mondial.

Documents programmatiques sur le développement durable tels que la déclaration de Johannesburg sur le développement durable.

discursive

La gouvernance mondiale en tant que projet hégémonique dissimule les effets négatifs de la mondialisation néolibérale.

L’idée d’une « triple ligne de résultats » et de la responsabilité sociale de l’entreprise représente une tentative pour cacher les effets négatifs de la mondialisation par une action symbolique.

« GOUVERNANCE MONDIALE » ET DÉVELOPPEMENT DURABLETABLEAU 1

CHANGING COURSE

Ouvrage publié en 1992 par l’homme d’affaires suisse Stephan Schmidheiny. Chang-ing Course: A Global Business Perspective On Development And The Environment explore les moyens par lesquels les entreprises peuvent réconcilier leurs activités avec la promo-tion du développement durable et la protection de l’environne-ment. Suite à la publication de ce livre, l’auteur a été nommé conseiller principal du secré-taire général du Sommet de Rio et a fondé le World Busi-ness Council for Sustainable Development en 1992.

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLELA GOUVERNANCE, UNE SIMPLE MODE ?

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institutions, processus et interactions entre les diffé-rents acteurs à tous les niveaux du système socio-politique, qui traitent, de manière non hiérarchique, un problème mondial spécifique en prescrivant des normes et règles de comportement implicites et explicites induisant au moins certaines incidences transnationales.

Pluralité des acteurs et élargissement des champs d’action. Appliquée au domaine du développement durable, cette acception analytique de la gouver-nance mondiale révèle deux grandes tendances. Premièrement, la gouvernance mondiale pour le développement durable est caractérisée par une pluralité d’acteurs et, en particulier, par l’implication croissante d’acteurs non étatiques. La gouvernance mondiale pour le développement durable inclut les activités des pouvoirs publics, mais aussi les diffé-rentes manières dont les objectifs sont formulés, les directives émises et les politiques suivies en dehors du domaine des pouvoirs publics. Les débats récents se sont, en particulier, penchés sur la question de savoir s’il est pertinent que les acteurs non étatiques définis-sent et mettent en œuvre les normes des politiques mondiales de développement durable en dehors des activités intergouvernementales. La politique clima-tique mondiale en est une bonne illustration : alors que les efforts intergouvernementaux pour atténuer les changements climatiques anthropogéniques ont bénéficié d’une attention maximum, la foule des organisations, à but lucratif ou non, qui se sont engagées d’elles-mêmes dans la gouvernance clima-tique contemporaine est en grande partie passée inaperçue. Or, toute tentative sérieuse pour résoudre les défis liés au changement climatique devra prendre en compte les contributions importantes du monde des affaires et de la société civile.

Une immixtion complexe des acteurs non étati-ques. Le rôle croissant des acteurs non étatiques dans la gouvernance mondiale du développement durable n’est toutefois pas allé sans provoquer de frictions  ; il est même devenu le point central des

grands débats sur les réformes politiques. Les pays en développement, en particulier, rechignent fréquem-ment à accroître l’influence des organisations non gouvernementales dans les forums internationaux, parce qu’ils considèrent ces groupes comme plus favorables aux programmes, aux vues et aux intérêts du Nord qu’aux leurs. Ils font valoir que la plupart de ces organisations ont leur siège dans les pays indus-trialisés, que la majorité des financements dont elles bénéficient proviennent d’organisations publiques et privées des pays du Nord, et qu’une telle situation influence les programmes de travail de ces groupes forcément plus redevables envers les intérêts du Nord. Néanmoins, ces préjugés autour du travail des acteurs non gouvernementaux ne doivent pas conduire à une réduction de la participa-tion de la société civile, mais plutôt à la mise en place de mécanismes assurant une représentation juste et équitable des opinions et des points de vue.

La privatisation de la gouvernance pour le dévelop-pement durable. Deuxièmement, la gouvernance mondiale pour le développement durable est définie par de nouvelles formes de coopération en dehors des négociations intergouvernementales traditionnelles des lois internationales (cf. tableau 2). L’influence des acteurs non étatiques ne se limite pas au lobbying lors de ces négociations. De plus en plus, les acteurs privés font officiellement partie des institutions de définition et de mise en œuvre des normes ainsi que des mécanismes de gouvernance mondiale. Ceci dénote, au niveau mondial, un passage des régimes intergouvernemen-taux à une coopération et prise de décision public-privé, voire privé-privé. Les acteurs privés sont devenus les partenaires des pouvoirs publics dans la mise en œuvre des normes internationales, par exemple en tant qu’agences de quasi-mise en œuvre de nombreux programmes d’aide au développement administrés par l’intermédiaire de la Banque mondiale ou d’agences bilatérales. Parfois même, les acteurs privés se risquent

Des initiatives politiques sont nécessaires pour renforcer le noyau institutionnel […] au sein des Nations unies

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à négocier leurs propres normes, comme dans le cas du Forest Stewardship Council ou du Marine Stewardship Council, deux instances de normalisation créées par de grandes entreprises et des groupes de militants pour l’environnement, sans implication directe des gouver-nements. Les nouvelles institutions mises en place par des scientifiques et des experts pour conseiller les politi-ques, bien que souvent officiellement placées sous le contrôle de l’État, bénéficient également d’un degré élevé d’autonomie par rapport aux pouvoirs publics. En fin de compte, la portée des dispositifs de gouver-nance dans le domaine du développement durable s’est élargie, pour inclure trois fonctions : m Le partage de l’information, qui est au cœur d’un certain nombre de dispositifs transnationaux de gouvernance mondiale pour le développement durable. Dans ce type de dispositifs, l’information et la connaissance sont les principales ressources échangées entre les participants, en se fondant sur des processus cognitifs, discursifs et d’appren-tissage social. Parmi les exemples relevant du

domaine de la politique climatique, citons le projet Carbon Disclosure et le réseau Climate Actiona.

m La mise en œuvre des politiques à travers des partenariats public-privé, qui est heureusement venue compléter les actions dirigées par l’État (exemple des partenariats public-privé pour la mise en œuvre du développement durable qui ont vu le jour après le Sommet mondial sur le développe-ment durable de 2002 à Johannesburg).

m La définition des règles et des politiques, devenue une fonction centrale des dispositifs de gouvernance en dehors des États. Les exemples vont des systèmes de certification privés pour la gestion durable des forêts aux conserveries de poissons et à la produc-tion de caféb.

LES DÉFIS FUTURS DE LA GOUVERNANCE MONDIALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Des politiques de développement durable incohé-rentes. Les tentatives actuelles de gouvernement du développement durable se caractérisent par une segmentation croissante des différentes couches et noyaux de définition et de mise en œuvre des règles, soumise à une fragmentation à la fois verticale entre des niveaux d’autorités supranationales, internatio-nales, nationales et subnationales (gouvernance multi-niveau), et horizontale entre systèmes de réglementa-tions parallèles gérés par différents groupes d’acteurs (gouvernance multipolaire). Suite à cette fragmentation, ni les liaisons positives, ni les interrelations négatives entre les approches réglementaires existant au niveau international (par exemple entre le cycle actuel de l’Organisation mondiale du commerce et la Conven-tion cadre sur les changements climatiques) ne sont suffisamment comprises. La segmentation croissante de la gouvernance mondiale pour le développement durable a renouvelé les débats sur la réforme politique et institutionnelle. Les puissantes organisations inter-nationales orientées vers la croissance économique

a. www.cdproject.net et www.climatenetwork.org

b. www.fsc.org ; www.msc.org et www.4c-coffeeassociation.org

Autorité

Fonction de gouvernance

publique hybride/partagée

privée

Partage de l’information

La Convention de Nairobi Clearinghouse et le système de partage d’informations

Global Compact Le projet Carbon Disclosure (CDP)

Mise en œuvre

Agences nationales de développement (ex. Usaid)

Partenariats SMDD (ex. le Partenariat pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique)

World Business Council for Sustainable Development (WBCSD)

Définition des règles

Prise de décision à travers une conférence des parties (ex. CDP climat)

Commission mondiale des barrages (CMB)

Forest Stewardship Council (FSC)

LES DISPOSITIFSTABLEAU 2

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLELA GOUVERNANCE, UNE SIMPLE MODE ?

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–  comme l’Organisation mondiale du commerce, la Banque mondiale ou le Fonds monétaire interna-tional  – trouvent difficilement leur équivalent dans le Programme des Nations unies pour le développe-ment (PNUD) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). C'est pourquoi, des initiatives politiques sont nécessaires pour renforcer le noyau insti-tutionnel de la gouvernance mondiale pour le dévelop-pement durable au sein des Nations unies.

Le renforcement de la privatisation des politiques mondiales. L’élaboration intergouvernementale tradi-tionnelle des politiques par le biais de conférences diplomatiques est parfois remplacée par des réseaux et d’autres dispositifs de gouvernance plus flexibles, que certains considèrent comme plus efficaces et plus transparents. Mais la répartition des réseaux mondiaux de politique publique est souvent liée aux intérêts d’acteurs privés qui doivent répondre devant leurs instances particulières, et de sérieuses questions subsistent concernant la légitimité de la définition des règles par le privé. Ainsi, la Commission mondiale des barrages a été saluée comme un mécanisme nouveau et efficace qui a rapidement produit et fait largement accepter des normes auparavant difficiles à négocier en raison de la résistance persistante des pays concernés. Mais ce succès dans l’élaboration privée des règles a fait s’élever d’autres voix qui stigmatisent le manque de légitimité inhérente au processus de définition des politiques par le privé, qui ne peut s’appuyer sur aucune élection démocratique ou autre forme de représenta-tion officielle.En plus de la privatisation de la définition des règles, la tâche cruciale de mise en œuvre des politiques de développement durable est également de plus en plus privatisée ou du moins partagée entre un grand nombre d’acteurs aux intérêts assez divergents. Ainsi, la majorité des 330 partenariats de type II présentés au Sommet mondial sur le développement durable de 2002 à Johannesburg n’ont enregistré jusqu’à présent que peu d’améliorations concrètes dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement et autres cibles de développement durable définies dans

Action 21. Dans la mesure où le contrôle public de ces dispositifs de gouvernance se limite à une immatricu-lation libre auprès de la Commission du développe-ment durable (CDD), laquelle manque de ressources pour vérifier les déclarations qui sont faites, il n’y a rien de surprenant à ce que près de 21 % des partena-riats enregistrés à la Commission du développement durable n’aient produit absolument aucun résultat visible (sous forme de produits, sites internet…).Pour renforcer le contrôle public sur ces mécanismes flexibles de gouvernance dans le domaine du dévelop-pement durable, il faut non seulement que la CDD dispose de toute urgence de moyens supplémentaires, mais aussi que l’opinion publique soit en mesure de vérifier précisément le succès des formes de mise en œuvre public-privé du développement durable.

1. FINKELSTEIN (L. S.), « What is Global Governance ? », Global Governance. A Review of Multilateralism and International Organizations, 1 (3), 1995, p. 368.

2. BIERMANN (F.) et PATTBERG (P), « Global Environmental Governance : What Can We Learn from Experience? », Annual Review of Environment and Resources, 33, 2008.

3. PIERRE (J.), « Introduction : Understanding Governance », dans J. Pierre (dir.), Debating Governance, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 2.

4. STOKER (G.), « Governance as Theory : Five Propositions », International Social Science Journal, 155, Paris, Unesco, 1998, p. 17.

5. RHODES (R. A. W.), Understanding Governance. Policy Networks, Governance, Reflexity and Accountability, Philadelphie (Penn.), Open University Press, 1997, p. 15.

6. LIPSCHUTZ (R. D.), « From Place to Planet : Local Knowledge and Global Environmental Governance », Global Governance. A Review of Multilateralism and International Organizations, 3 (1), 1997, p. 83.

7. REUS-SMIT (C.), « Changing Patterns of Governance : From Absolutism to Global

Multilateralism », dans A. Paolini (ed.), Between Sovereignty and Global Governance. The United Nations, the State and Civil Society, New York (N. Y.), St Martin’s Press, 1998, p. 3.

8. KOOIMAN (J.), « Governance : A Social-Political Perspective », dans J. R. Grote et B. Gbikpi (eds), Participatory Governance. Political and Societal Implications, Opladen, Leske+Budrich, 2002, p. 73.

9. ROSENAU (J. N.), « Governance and Democracy in a Globalizing World », dans D. Archibugi, D. Held et M. Köhler (eds), Re-imagining Political Community : Studies in Cosmopolitan Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 287.

10. ROSENAU (J. N.), « Global Environmental Governance : Delicate Balances, Subtle Nuances, and Multiple Challenges », dans M. Rolen, H. Sjöberg et U. Svedin (eds), International Governance on Environmental Issues, Dordrecht, Kluwer Academic Publishing, 1997, p. 19-56.

11. Deutscher Bundestag, Commission d’étude « Globalisation de l’économie mondiale », version abrégée du rapport final, 14e législature, Berlin, 2002, p. 67.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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La lente concentration de pouvoir

aux mains de l’État qui a commencé avec

la paix de Westphalie est finie J E S S I C A M A T H E W S

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La conception traditionnelle de la souveraineté des États est battue en brèche par la crois-sance des interdépendances écologiques, par l’émergence de biens publics mondiaux et par l’apparition d’acteurs de la société civile se positionnant comme « libres de souveraineté ». Ces évolutions conduisent à une refonte de la souveraineté. Néanmoins, les États demeurent des acteurs décisifs de l’action collective internationale, d’autant plus qu’ils sont garants de l’application des normes.

LES PARADOXES DE LA SOUVERAINETÉ

FRANÇOIS LERINCHERCHEUR, CENTRE INTERNATIONAL DE HAUTES ÉTUDES AGRONOMIQUES MÉDITERRANÉENNES - INSTITUT AGRONOMIQUE MÉDITERRANÉEN DE MONTPELLIER (CIHEAM-IAMM), MONTPELLIER (FRANCE)

LAURENCE TUBIANADIRECTRICE, INSTITUT DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DES RELATIONS INTERNATIONALES (IDDRI) ET CHAIRE DÉVELOPPEMENT DURABLE DE SCIENCES PO, PARIS (FRANCE)

Il y a une dizaine d’années, Jessica Mathews résumait, dans Foreign Affairs, une interpréta-tion courante du changement d’époque que le monde était en train de vivre  : « La fin de la guerre froide n’a pas engagé seulement un

ajustement entre les États mais une nouvelle redis-tribution du pouvoir entre l’État, les marchés et la société civile. Les gouvernements nationaux ne sont pas seulement en train de perdre de l’autonomie dans une économie globalisée. Ils partagent les pouvoirs, y compris politique, social et la fonction de sécurité, au cœur de la souveraineté, avec le business, les organisations internationales et une multitude de groupes de citoyens connus comme organisations non gouvernementales (ONG). La lente concentra-tion de pouvoir aux mains de l’État qui a commencé avec la paix de Westphalie est finie, au moins pour un temps1. »Aujourd’hui la question de la souveraineté – entendue comme souveraineté étatique – resurgit périodique-ment dans l’actualité. En 2008 elle a été massive-ment invoquée dans la déclaration d’indépendance du Kosovo, dans la bataille médiatique autour des

Jeux olympiques en Chine à propos du Tibet, dans le conflit russo-géorgien pour l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud et même d’une certaine façon dans le « non » irlandais au traité de Lisbonne… Une intense bataille diplomatique est également en cours, s’appuyant sur des arguments puisés chez les scientifiques à propos des revendications territoriales sur l’Arctique, après que les Russes ont, en août 2007, planté un drapeau sur le fond marin du pôle Nord. Cette action symbo-lique est à rapprocher de l’ouverture d’une voie navigable par le Nord permise par le réchauffement climatique et des avancées techniques qui rendent plausible l’exploitation des ressources minières et énergétiques des grands fonds marins de cette partie de la Terre (lire repère 9).En s’appuyant sur un débat important, qui date princi-palement des années 1990, et sur les évolutions des discussions internationales environnementales sur les questions globales, il est possible d’amorcer une réponse à deux questions : m La souveraineté, comme principe d’organisation des relations internationales, est-elle un facteur défavorable à la gestion des biens publics mondiaux

UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE CHAPITRE 2

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environnementaux ou, au contraire, est-elle un principe intangible nécessaire au traitement de ces biens ?

m En quoi les questions environnementales contri-buent-elles à changer la conception que l’on peut se faire de la souveraineté ?

LES CONTOURS D’UNE NOTION ISSUE DU RÉALISME

Pour tenter de répondre à ces questions il est néces-saire, dans un premier temps, de revenir sur la notion elle-même en prenant en compte un certain nombre de discussions académiques venant de champs disci-plinaires différents (philosophie, économie politique, relations internationales, droit…). La « souveraineté » est une notion cardinale des conceptions de l’État moderne et des relations internationales, mais pour comprendre le flou et les controverses qui entourent son utilisation il faut revenir à son origine dans la pensée politique européenne. Car, comme le notent Marc Levy, Robert Keohane et Peter Hass  : «  La persistance de la souveraineté formelle et de l’éro-sion opérationnelle de la souveraineté rend politique-ment complexe et conceptuellement confuse l’action environnementale internationale2. »La référence souvent citée comme fondatrice est la définition donnée par Jean Bodin dans les Six Livres de la République : « La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République3.  » Comme le souligne Michel Foucault, dans son cours au Collège de France de 1976, Il faut défendre la société 4, il s’agit en fait de la constitution progressive d’un sujet qui se constitue par étapes (le «  souverain  ») et qui tend à homogénéiser les représentations du pouvoir, en sortant des ordres et des hiérarchies de l’époque médiévale.Or, il importe de constater que cette théorie de la souveraineté est antérieure au libéra-lisme et à la constitution des États tels que la modernité les conçoit. L’idée de souveraineté est donc en quelque sorte préalable à l’unification entre la «  population et le territoire  » qui est l’objet de

la « gouvernementalité » laquelle se met en place à l’époque moderne. Foucault note à propos de Hobbes – l’autre grande référence prérévolutionnaire sur la question –  : « Mais au cœur, ou plutôt à la tête de l’État, il existe quelque chose qui le constitue comme tel, et ce quelque chose, c’est la souverai-neté, dont Hobbes dit qu’elle est précisément l’âme du Léviathan 5. »Vu sur la longue période, on peut dire qu’autant le principe d’absolue souveraineté défendu chez ces penseurs initiaux comme Bodin et Hobbes était le gage d’un certain ordre entre les puissances – lequel n’excluait en rien la guerre entre elles –, autant l’évo-lution moderne suggère que c’est au contraire une souveraineté limitée qui est aujourd’hui garante de l’équilibre et d’une certaine paix internationale. Par ailleurs, la souveraineté intérieure était aussi le gage que des pouvoirs constitués (noblesse en particu-lier, mais également communautés et pouvoirs religieux) ne pourraient porter atteinte à la paix civile en s’appuyant sur l’extérieur – l’efficacité de ce principe étant plus que relatif. De même, c’est l’exer-cice de certains attributs de la souveraineté « par le bas » (niveaux territoriaux inférieurs à l’État, commu-nautés, individus) qui sera défini par la Révolution comme le principe de la concorde civile, encore une fois difficilement obtenue, puisqu’elle ne s’ins-

titue progressivement qu’à la suite de nombreuses guerres civiles, révoltes démocratiques et contre-révolutions sanglantes…Ce sont ces sujets de droit souve-rain qui composent une ébauche d’un système de relations inter-nationales et c’est sur la base de ce principe de souveraineté que s’invente l’idée d’un ordre basé sur des puissances égales en droit. En référence à la paix de Westphalie

de 1648 qui institue une sorte de concordat entre les puissances par un principe de non-ingérence, la litté-rature d’économie politique internationale, d’abord et principalement dans le monde anglo-saxon,

PAIX DE WESTPHALIE

Système international né des traités de Westphalie mettant fin à la guerre de Trente Ans en 1648. Ces traités consacrent le triomphe de l’État comme forme privilégiée d’organi-sation politique des sociétés et marquent la naissance du système interétatique moderne fondé sur les principes de la souveraineté et de l’équilibre des puissances.

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLELES PARADOXES DE LA SOUVERAINETÉ

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nommera ce système « l’ordre westphalien »6. Il va de soi qu’il s’agit d’un modèle «  théorique  » plus que réel.D’abord parce qu’une lecture historique montre qu’il y a de nombreuses formes concurrentes à cette forme spécifique d’organisation du pouvoir par la souveraineté… et qu’il a fallu les minorer pour donner l’illusion d’un principe de souveraineté les définissant toutes7. C’est aussi un moment particulier de l’histoire où se confondent l’idée de nation et l’idée d’État, confusion aujourd’hui remise en question par le développement d’autres formes de pouvoir qui dépassent les frontières, par la montée en puissance des formes de souveraineté infra-étatiques ou indivi-duelles et par l’affirmation de communautés organi-sées sur d’autres bases.Ensuite, comme le montre Stephen Krasner, parce que cette souveraineté n’est presque jamais à l’œuvre dans les relations internationales réelles8. Pour lui, le concept de souveraineté régulièrement invoqué par les États recouvre en fait quatre dimen-sions qui peuvent être groupées (bundled) ou disso-ciées (unbundled) et qui font de la souveraineté un « ensemble » dont les États ne jouissent que rarement en totalité.

La souveraineté internationale légale. Cette souveraineté correspond à l’état de droit interna-tional. Cette notion se réfère aux pratiques interna-tionales, mutuellement reconnues comme légitimes entre territoires qui jouissent d’une indépendance juridique. Dans le domaine de la souveraineté légale internationale, l’État est traité au niveau interna-tional comme un individu l’est au sein de la nation. La souveraineté, l’indépendance et le consentement sont des attributs comparables à ceux dont jouit l’individu dans la théorie libérale de l’État. Les États, comme les individus, sont donc égaux en droits quelle que soit leur taille.Le principe de base de la souveraineté internatio-nale légale est la reconnaissance qui est accordée à des entités – les États – qui sont établies sur un territoire et qui jouissent d’une autonomie juridique

formalisée. Rechercher la souveraineté légale inter-nationale, c’est un moyen pour les États de se faire reconnaître, c’est un « ticket d’entrée sur la scène internationale9  ». Cette souveraineté a aussi de sérieux attraits pour les gouvernants. Comme le souligne Hedley Bull, « ce qu’un État particulier peut espérer gagner de la participation à la société inter-nationale, c’est la reconnaissance de son indépen-dance vis-à-vis de toute autorité extérieure, particu-lièrement la reconnaissance de son autorité absolue sur ses sujets et son territoire. Le prix principal qu’il doit payer pour cela, c’est la reconnaissance de mêmes droits à l’indépendance et à la souveraineté pour les autres États10 ».La souveraineté légale internationale s’est traduite dans le domaine de l’envi-ronnement par le dévelop-pement, voire la proliféra-tion, des accords multilatéraux sur l’environnement (AME). Sujet par sujet, des accords ont été conclus pour protéger des ressources communes (océans, atmosphère…), réguler les activités destruc-trices de l’environnement et prévenir les exter-nalités négatives. Cette multiplication des traités, notamment après 1980, peut s’interpréter de deux manières opposées. Elle peut être considérée comme une érosion progressive de la souveraineté, les États étant contraints d’abandonner une partie de leur autonomie de décision pour se soumettre à des règles et des normes négociées avec d’autres au bénéfice de l’intérêt commun. C’est l’interpréta-tion communément admise. Mais elle peut aussi se comprendre comme la reconnaissance mutuelle de politiques environnementales, la quasi-totalité des États s’étant dotés pendant cette même période d’administrations dédiées à la protection de l’envi-ronnement. À partir de la fin des années 1970, les États ont en effet commencé à adopter des régle-mentations environnementales pour faire face aux pressions internes et satisfaire à leurs nouvelles

La protection de l’environnement induit une évolution de la définition de la souveraineté légale internationale et des conditions de son exercice

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obligations internationales. La construction des politiques environnementales est la résultante de ces diverses forces. Ainsi, la protection de l’envi-ronnement induit une évolution de la définition de la souveraineté légale internationale et des condi-tions de son exercice.

La souveraineté westphalienne. La souveraineté westphalienne se réfère à la notion d’autorité exclu-sive sur un territoire défini  ; c’est-à-dire à l’inter-

diction par la puissance souveraine de l’intervention d’autres acteurs sur son territoire. C’est la traduc-tion, dans le langage de la théorie moderne de l’État, de la définition de la souve-raineté donnée par Jean

Bodin dans ses Six Livres de la République de 1576. L’autorité suprême n’est plus le prince mais l’État. Dans le domaine de l’environnement, cette souverai-neté westphalienne est invoquée, au moins de façon rhétorique, dans la négociation des traités pour en limiter le caractère contraignant. Elle est menacée de façon croissante par le réseau toujours plus dense de débats d’expertise et d’influences d’acteurs opérant à l’échelle globale.

La souveraineté domestique. Elle s’analyse comme l’organisation de l’autorité politique au sein d’un État et se mesure à la capacité d’exercer un contrôle effectif de sa communauté politique à l’intérieur des frontières. Elle est paradoxalement nécessaire à l’application des traités environne-mentaux bi ou multilatéraux dans la mesure où de son bon exercice dépend l’application effective des règles négociées au plan international.

La souveraineté de l’interdépendance. La souverai-neté de l’interdépendance, enfin, se réfère au contrôle des flux qui traversent les frontières étatiques – flux d’information, de polluants, de biens et de services, de capital et de personnes. C’est cette composante

de la souveraineté qui est la plus battue en brèche par les problèmes environnementaux. En effet, les flux de ressources de la biodiversité, particulièrement les migrations d’organismes vivants, les déplacements de polluants chimiques, le changement climatique ou la dégradation de la couche d’ozone, mettent en échec l’exercice de la souveraineté des interdépen-dances. Les moyens de contrôle de l’État sur l’envi-ronnement sont encore plus faibles que sur les flux financiers ou les migrations humaines.Il va de soi que peu d’États peuvent se prévaloir de ces quatre souverainetés. États en faillite, manque de puissance administrative ou économique, défaut de légitimité interne, compromis structurels sur cette souveraineté liés à la globalisation, mise sous tutelle coloniale  : les cas ne manquent pas pour vider la notion de souveraineté de son contenu. Krasner conclut qu’il s’agit d’une « hypocrisie organisée11 ». Le principe de souveraineté est toujours invoqué par les États dans leurs négociations sur la scène interna-tionale, alors même qu’ils ne disposent pas de tous ses attributs… Il s’agit au mieux d’une illusion, au pire d’une façon de conforter l’illégitimité du pouvoir dans de nombreuses situations. C’est un principe qui pose aujourd’hui un problème majeur et récurrent aux tentatives d’action collective.Ainsi, paradoxalement, les États réitèrent leur référence à la souveraineté, tandis que la réalité ne cesse de démontrer que le contrôle, en théorie « exclusif », du territoire et des populations est sans cesse défaillant. Lorsqu’il s’agit d’un simple jeu diplo-matique, le paradoxe peu paraître supportable, même s’il peut se révéler un frein à l’efficacité. Mais lorsqu’il s’agit de traiter d’enjeux majeurs, « l’hypocrisie » est beaucoup plus problématique. La discussion sur le « droit d’ingérence » dans les situations de crise humanitaire reflète la difficulté de se satisfaire, à l’échelle internationale, de cette hypocrisie. Dans le cas des enjeux environnementaux, il en va de même : alors que le temps presse, la souveraineté formelle revendiquée dans le jeu diplomatique devient un obstacle à la réalisation des objectifs. Mais s’affran-chir de ce principe de souveraineté, sans réforme

Les moyens de contrôle de l’État sur

l’environnement sont encore plus faibles que sur

les flux financiers ou les migrations humaines

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du système de gouvernance mondiale, revient à octroyer aux États les plus puissants et donc « les plus souverains » un poids disproportionné dans la mise en place de dispositifs contraignants et efficaces. Il faut donc regarder de plus près ce que recouvre cette opposition entre enjeux collectifs environnementaux et principe de souveraineté aujourd’hui.

PROTÉGER LA SOUVERAINETÉ OU L’ENVIRONNEMENT ?

La souveraineté est-elle incompatible avec la gouver-nance de l’environnement ? Représente-t-elle, dans les procédures de coopération, la meilleure façon de traiter des questions collectives ou bien est-elle un frein, opposant les préférences collectives contradic-toires des États souverains ?

Des interdépendances qui transgressent l’auto-rité nationale. On considère généralement la crois-sance des interdépendances écologiques entre nations (pollutions globales, migrations des espèces végétales et animales…) comme un coin enfoncé dans la souveraineté nationale, d’où l’expression récurrente et inquiétante d’« érosion de la souverai-neté ». Les États contrôleraient encore moins leurs frontières dans le domaine environnemental que dans d’autres domaines, commerce ou migrations humaines par exemple. Inversement, les efforts pour limiter les impacts humains sur l’environnement et lutter contre la dégradation environnementale impli-quent des actions qui dépassent les frontières. La protection de l’environnement est donc souvent un défi pour l’exercice de la souveraineté nationale, les États souverains résistant, en règle générale, à entrer dans une logique d’action collective. De surcroît les États modernes qui détiennent les clés de la souve-raineté (et de la coordination collective) ont été histo-riquement –  voire continuent d’être  – des acteurs dominants de la dégradation de l’environnement par leurs pratiques et leurs politiques énergétiques, agricoles, industrielles…La lutte contre le changement climatique et la protec-tion de la biodiversité offrent deux exemples de cette

relation ambivalente entre souveraineté et protec-tion de l’environnement. Depuis la conférence de Stockholm en 1972 et la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 1988, l’hypothèse d’un réchauffement climatique d’une très grande ampleur dû aux émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique a gagné du terrain, pour n’être plus contestée que de façon minoritaire et à partir d’autres visions disciplinaires que celles des modélisateurs du climat. Comment la question du réchauffement climatique interagit-elle avec celle de la souveraineté ? La souveraineté domestique est, au même titre que la souveraineté des interdépendances, battue en brèche par cet enjeu global. Ses impacts ne connaissent en effet pas de frontières et outrepassent toute décision nationale. Le réchauffement entraîne avec lui un déplacement sur de très grandes distances des espèces végétales et animales, des réactions en chaîne comme la fonte des glaciers et la destruction d’écosystèmes dépendants de ces stocks d’eau, des événements extrêmes qui peuvent provoquer dépla-cements de population, crises politiques ou grandes pandémies… Sans entrer dans une analyse précise des impactsa, on peut dire qu’ils ont, et auront, de façon croissante un effet important sur la géographie naturelle et humaine du monde. En cela, le change-ment climatique modifie profondément la notion de territoire et donc la question cardinale de son contrôle, via la souveraineté nationale.L’évaluation et la représentation du risque clima-tique sont le produit des analyses et des actions d’une communauté scientifique, largement transna-tionale, relayée par un réseau d’influence agissant au niveau global, d’ONG, de gouvernements, d’acteurs économiques, de collectivités locales… C’est la nature globale du réseau et la façon dont les acteurs

a. Se reporter aux rapports du groupe sur les impacts du changement climatique du GIEC et à la Stern Review.

S’affranchir de ce principe de souveraineté revient à octroyer aux États les plus puissants un poids disproportionné

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interagissent entre eux qui sont importantes et qui en font sa force. L’ampleur et la gravité du risque comme l’urgence de l’action ont ainsi pu être établies en dépit d’oppositions nationales récurrentes basées sur l’intérêt ou des conceptions préconçues.Les modalités de lutte contre le changement clima-tique interfèrent aussi avec les attributs de la souve-raineté. Réduire les émissions de GES ou capturer le carbone dans le sol, dans la végétation ou les océans sont les seules actions possibles si l’on ne croit pas réaliste l’option de géo-ingénierie du climat. Or réduire significativement les émissions de GES, de moitié globalement à l’horizon  2050, implique des changements majeurs des politiques de l’énergie – gestion de la demande, choix des sources et modes d’accès  –, de l’industrie –  normes et standards, processus technologiques  –, d’habitat –  organisa-tion urbaine et politique du patrimoine immobi-lier –, de transports, du commerce, et des politiques agricoles et forestières… politiques qui sont au cœur

du pouvoir de l’État.Une réduction d’une telle ampleur implique aussi une modification des styles de vie et des modes d’orga-nisation de la société, les ajustements à la marge ne suffisant pas. Il s’agit donc

de changer en profondeur le modèle de production et de consommation de l’énergie dans toutes les dimen-sions de l’activité sociale, au nom d’un objectif global défini en dehors des cadres de délibération ou de déléga-tion nationaux, et qui ne procède pas d’une redéfini-tion autonome du contrat social national. Il y a là une remise en question de la conception classique de la souveraineté westphalienne dans la mesure où l’auto-rité exclusive de l’État est contrecarrée par l’influence et les actions d’acteurs agissant à la fois au sein et en dehors du territoire national. L’exemple le plus frappant est sans doute celui des États et des villes aux États-Unis qui ont choisi de se référer au proto-cole de Kyoto pour entamer des actions de réduction des émissions, en contradiction avec la politique et

la législation fédérale américaine. La délégation de souveraineté en faveur de l’État national, détenteur exclusif de l’autorité, a ainsi été contestée.A contrario, la protection de l’intégrité de la souverai-neté passe souvent par une opposition aux actions collectives internationales en faveur de l’environne-ment au nom d’objectifs nationaux définis comme prioritaires et du plein exercice de la souveraineté. L’atteinte à la souveraineté est souvent brandie par différents États au cours des négociations pour s’opposer à des actions ayant un impact sur leur terri-toire, comme l’illustre le débat sur les taxes carbone envisagées au début de la négociation du proto-cole de Kyoto. Les États-Unis et le Japon ont refusé l’hypothèse d’une taxe internationale sur le carbone en invoquant le conflit de souveraineté. «  Pas de taxation sans représentation », le mot d’ordre des patriotes américains, l’a emporté dans la discussion sur le changement climatique. De même, aujourd’hui le refus de prendre des engagements quantifiés et contraignants d’émission est invoqué par la Chine ou par l’Inde, au nom de leur souveraineté en matière de choix de développement.Les principes de la souveraineté légale internationale sont mentionnés de façon récurrente pour défendre la position des États. Les exemples abondent. Ainsi le Brésil, en vertu des principes de la souveraineté légale internationale et westphalienne, s’oppose à toute action de protection de la forêt amazonienne qui se ferait sans l’État. L’enjeu est de taille dans la mesure où le bassin amazonien joue un rôle de régulation de la température et du climat, et fournit des «  services  » de maintien de la biodiversité à l’ensemble de la planète. Les grandes ONG environ-nementales comme les réseaux scientifiques auraient donc tendance à vouloir protéger cette zone, en parti-culier de la déforestation, même si cela s’opère au détriment de la souveraineté brésilienne. C’est pour prévenir ce contournement de l’État que le Brésil s’oppose aujourd’hui à la rémunération de la fonction de stockage du carbone dans la forêt amazonienne par un système de crédits carbone échangés sur le marché international. Pour faire face à ces initiatives,

Les accords internationaux négociés aujourd’hui

traduisent cette tension entre souveraineté

et protection des biens communs

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le Brésil a lancé un fond « souverain » pour financer les actions de lutte contre la déforestation, géré par le gouvernement et auquel d’autres pays peuvent contribuer, s’ils le souhaitent, mais sans participer à sa gouvernance (lire chapitre 6). Plus généralement d’ailleurs le Brésil s’est toujours opposé à un accord sur les forêts tropicales.Les accords internationaux négociés aujourd’hui traduisent cette tension entre souveraineté et protection des biens communs. Nombre de pays, notamment les grands pays émergents, défendent des principes d’action collective qui renforcent la souveraineté légale internationale : c’est ainsi qu’ils font confiance aux formes d’arrangements entre parties indépendantes plutôt qu’aux organisations internationales pour traiter des problèmes globaux. Les conventions entre parties, comme la Convention sur la diversité biologique (CDB), la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ou sur la lutte contre la désertification ont leur préférence par rapport aux organismes comme le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) ou même le Programme des Nations unies pour l’envi-ronnement (PNUE). On constate que les pays en développement, dans leur ensemble, sont réticents à l’idée de créer une organisation mondiale de l’envi-ronnement qui ferait autorité, pourrait émettre des jugements sur les politiques conduites par les États et formuler des recommandations prescriptives. L’idée même d’une autorité scientifique environnementale globale ne recueille pas leurs suffrages, et moins encore celle d’obligations contraignantes et éventuel-lement de sanctions en cas de manquement.Ainsi un modèle de coordination appuyée sur le consen-tement des parties (member led arrangements) émerge comme modalité préférée par un grand nombre de pays au nom de la protection de la souveraineté. Cette préférence a de surcroît bénéficié d’un appui particu-lièrement vigoureux de l’administration américaine républicaine durant ses huit années au pouvoir.

Une souveraineté en appui à la gouvernance envi-ronnementale. Cette préférence n’est pas cependant

un obstacle rédhibitoire et il faut apporter des nuances à une représentation souvent trop carica-turale. Certes, le principe de non-intervention, l’un des principes fondant la souveraineté, interdit de s’opposer aux actions nationales qui sont domma-geables pour l’environnement global. Mais d’un autre côté, les États sont aujourd’hui les acteurs principaux, même s’ils ne sont pas les seuls, d’une action collec-tive à l’échelle internationale. On le constate à propos de la haute mer : le libre accès y est la règle car les principes de souveraineté ne s’appliquent pas au-delà des eaux territoriales. La haute mer et ses ressources pâtissent d’un manque de gouvernance plutôt que d’un excès de souveraineté. Aujourd’hui, si aucun État ne peut légitimement y exercer sa souveraineté, la haute mer se trouve soumise à des activités toujours plus nombreuses et menaçantes pour l’exceptionnelle biodiversité qu’elle recèle. Or l’ancrage persistant du principe de liberté, établi à une période où l’espace marin constituait encore un vaste espace inexploré aux ressources jugées illimitées, s’accorde difficilement avec l’exigence d’une gestion durable des zones situées au-delà des juridictions nationales. La répartition des questions de protec-tion du milieu marin entre plusieurs organisations internationales, les difficultés à intégrer les recom-mandations de la communauté scientifique au sein du processus décisionnel, la faible articulation entre les accords régionaux relatifs à la biodiversité marine et les accords de pêche illustrent ces difficultés. De même, le contrôle de l’application des réglementa-tions internationales, déjà imparfait dans les mers côtières, s’avère d’autant plus complexe sur un espace d’une superficie considérable. En témoi-gnent la persistance de la pollution due aux hydro-carbures ou les ravages causés par la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (lire repère 11).La souveraineté de l’État est aussi la condition de la mise en œuvre des mesures de protection environ-nementales. Seuls les États ont les moyens, l’autorité

Seuls les États ont les moyens, l’autorité et les ressources pour faire appliquer les normes environnementales

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et les ressources pour faire appliquer les normes environnementales. La négociation internationale des traités, leur mise en œuvre et leur respect sont pour l’essentiel dans les mains des États. Depuis 1970, une écrasante majorité de pays se sont dotés de légis-lations et d’institutions nationales de protection de l’environnement. Ces politiques font appel à la capacité de contrôle et de régulation publique. Cette confiance dans le caractère efficace de la souverai-neté nationale pour protéger l’environnement se traduit aussi dans de nombreux cas par des clauses et des actions qui visent à renforcer les capacités d’intervention des États là où elles font défaut. Ainsi, le protocole de Carthagène sur la circulation des organismes vivants modifiés (OVM) se présente comme un cadre légal par défaut, qui peut être utilisé par les pays qui ne se sont pas dotés d’une législation nationale sur le contrôle des échanges d’OVM. Par le biais du protocole, ce cadre légal « par défaut » fait l’objet d’une reconnaissance mutuelle par les signa-taires et protège ainsi des contestations.Enfin la protection de l’environnement, on l’a vu, passe par une révision en profondeur des modes de production et de vie d’une grande partie des sociétés humaines. Il s’agit de conduire des trans-formations coordonnées dans un grand nombre de pays, la coordination étant un facteur majeur d’effica-cité pour éviter des comportements de passager clandestin mais surtout pour abaisser les coûts de cette trans-formation. Il serait impossible, cepen-dant, d’envisager ces changements sans la constitution d’un consensus au sein des États qui ont souvent la légitimité nécessaire pour le construire. Il y aura donc nécessairement, et utilement, une « internalisation » au sein des espaces publics nationaux des enjeux et des modalités de traitement des questions environnementales globales. Cette re-nationalisation des enjeux environnementaux ne doit pas seulement être prise négativement comme une manière de rendre acceptable et démocratique des décisions et des compromis qui auraient été pris ailleurs que dans le cadre de la légitimité nationale.

Il s’agit d’un moyen d’améliorer les dispositifs et les objectifs en les adaptant et en impliquant les acteurs nationaux : in fine l’interprétation nationale des enjeux globaux est la meilleure garantie de l’appropriation de ces enjeux et donc de la mise en œuvre effective des changements.Enfin, le rééquilibrage progressif des puissances mondiales favorise des solutions pour l’action collec-tive qui ménagent le respect de la souveraineté, souvent chèrement acquise, des pays émergents et des autres pays dits en développement.

VERS UNE REDÉFINITION DE LA NOTION DE SOUVERAINETÉ

Moins d’autonomie contre plus d’efficacité. Les États échangent l’érosion de leur souveraineté contre la durabilité – aux deux sens du mot : résilience et modèle environnemental  – de leur pouvoir. Face aux problèmes environnementaux globaux, les États perdent leur pouvoir de contrôle, et c’est à travers la coopération internationale qu’ils regagnent un peu ou beaucoup de contrôle sur ce qui les affecte. La coopération diminue l’autonomie des États mais leur permet de mieux maîtriser les phénomènes qui touchent leur territoire. Elle constitue aussi parfois l’occasion de renforcer les régulations, les contrôles et la surveillance sur de nouveaux terrains. En ce

sens, si l’on mesure la souveraineté à l’aune de la capacité des États à résoudre leurs problèmes domestiques dans un contexte d’interdépendance, on peut conclure que l’érosion de certaines formes de souverai-neté se traduit par une souveraineté accrue

sous d’autres formes, et qui ne se définit plus par l’exclusion des influences extérieures12.À travers la coopération, la constitution de réseaux et la gestion des interdépendances, les États sont capables de mener des actions à long terme et de s’ouvrir de nouveaux domaines d’interven-tion. La discussion sur l’accès aux technologies «  vertes  » en est un bon exemple. En acceptant des contraintes en matière d’émissions de carbone, les pays peuvent, si un accord international sur le

PASSAGER CLANDESTIN

En économie, cette notion désigne le comportement d’ac-teurs qui bénéficient de règles qu’ils n’appliquent pas.

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climat est trouvé, bénéficier de nouvelles sources de financements et d’un meilleur accès aux techno-logies, aux énergies renouvelables ou à la séques-tration de carbone.

Plus de surveillance ou plus de légitimité. Les régimes environnementaux internationaux intègrent de plus en plus la surveillance des actions et des politiques des pays comme un moyen d’assurer leur convergence dans la protection accrue de l’environ-nement. Cette surveillance, qui amène à comparer les politiques suivies, est difficile à accepter pour des pays souverains même si la réciprocité de cette mise sous observation peut s’intégrer dans une vision de la souveraineté internationale légale qui assure aux États une forme de reconnaissance. De fait, la réputation touche autant les pays que les entreprises. Le name and shame pratiqué par les organisations non gouvernementales, les pressions internationales pour dénoncer les pratiques de dumping écologique conduisent les États à passer des compromis avec l’exercice de la souveraineté westphalienne.La coordination internationale d’actions essentielle-ment domestiques implique un partage des objectifs et pose de redoutables problèmes comparables au dilemme du prisonnier, chaque pays voulant obtenir des preuves de la bonne foi des autres avant d’agir. La plupart des pays, notamment en développement, sont réticents à l’idée d’une surveillance extérieure ou d’un jugement par les pairs dont ils ne perçoi-vent pas le bénéfice immédiat. Les exceptions à cette règle sont les processus de révision des politiques commerciales au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), justifiés par les gains attendus du commerce et la nécessité de se protéger des effets de l’asymétrie économique. Les procédures d’audit des politiques par le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale ne sont acceptées que sous la contrainte du besoin de financement. C’est le cas aussi de l’examen des politiques par les pairs au sein de l’OCDE qui correspond à un besoin de coordination pour traiter des problèmes de relance économique mais sans entraîner aucune obligation.

On a observé d’ailleurs que dès que cette contrainte se relâche, les pays choisissent immédiatement de changer de mode de financement.La protection de l’environnement a souvent mis les États en compétition avec des acteurs non gouver-nementaux qui peuvent apparaître plus légitimes ou plus efficaces qu’eux, particulièrement lorsque ces derniers n’ont pas pris la mesure des risques environ-nementaux ou ne les ont pas jugés prioritaires. En se revendiquant d’une source de légitimité directe – celle de la représentation de l’intérêt commun et des générations futures –, les acteurs non gouver-nementaux ont contesté la souveraineté nationale domestique. Les exemples sont légion : des mobili-sations locales contre les pollutions de l’eau, pour la protection de la nature ou la sécurité des instal-lations nucléaires, à des mobilisations plus globales –  campagne contre les émissions de GES ou les politiques de pêche… –, les organisations non gouver-nementales ont poussé les États à s’engager dans des compromis et des marchandages de souveraineté avec d’autres États ou même à négocier avec elles ces compromis. La signature du protocole de Carthagène en 2000 sur la biosécurité (lire repère 18) en est un exemple révélateur. Les ONG ont joué un rôle déter-minant dans la négociation finale, obligeant les gouver-nements canadien et américain réticents à signer ce texte qui encadre la circulation mondiale des OVM. En échange de ces compromis de souveraineté, les États ont pu trouver d’autres sources de légitimité et investir de nouveaux champs du politique.

Une souveraineté à refonder. La protection de l’environnement conduit à affaiblir la séparation entre la souveraineté intérieure et la souveraineté inter-nationale de façon sans doute plus effective que la défense des droits de l’homme. Dans la théorie et la pratique classique de la souveraineté, la poursuite de

La protection de l’environnement a souvent mis les États en compétition avec des acteurs non gouvernementaux qui peuvent apparaître plus légitimes ou plus efficaces

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la « raison d’État » a permis de séparer les critères de légitimité de la souveraineté intérieure de ceux de la souveraineté internationale. Ainsi les responsa-bles politiques nationaux ont-ils toujours été consi-dérés par les autres États comme légitimes dans leurs capacités à engager leur communauté natio-nale sans s’interroger sur leur mandat, ni contester leur mode de désignation ou d’exercice du pouvoir. En ce sens, la souveraineté internationale est une affaire d’États et non pas une question entre les États et la société.Le développement de l’intervention, à l’échelle inter-nationale, des acteurs non gouvernementaux au nom des biens communs globaux et des droits fondamen-taux rend cette asymétrie difficile à tenir. Les ONG soulèvent la question de la légitimité des responsables politiques même si, par définition, les régimes autori-

taires laissent peu ou pas d’espace à la contesta-tion intérieure et que, dès lors, la portée des actions internationales des ONG

reste limitée. Les actions des ONG dans les régimes démocratiques interrogent aussi le droit des États à négocier des accords internationaux sans débat préalable au sein de la communauté nationale.Ainsi, par leurs actions et leurs argumentaires, les ONG rendent caduques les conceptions classiques de la souveraineté internationale et amènent à des révisions de son exercice. En un sens, les actions des acteurs non gouvernementaux cherchent à établir une sorte de « souveraineté populaire » pour la défense de l’environnement. Sans contester de front la reconnaissance des États, ces mouvements font valoir une autre source de légitimité qui n’est pas liée à la définition du territoire. Ils sont donc inter-prétés comme l’embryon d’une citoyenneté globale13, les institutions environnementales se situant comme des acteurs « libres de souveraineté ». En tout état de cause, ces interpellations critiques de l’auto-rité exclusive de l’État font pression et amènent à passer des compromis, créant de nouveaux circuits, « des boucles étranges ». L’un des exemples les plus

frappants de ces boucles est sans doute la coalition créée par les groupes indigènes qui cherchent à faire reconnaître leur existence politique, sociale et juridique contre l’autorité des États qui les ignorent ou les oppriment. Les liens de ces groupes avec les mouvements environnementaux, au nom de la protection de la biodiversité, ont joué un rôle crois-sant dans leur légitimation, renforcé leurs revendica-tions territoriales, et obligent aujourd’hui une grande partie des gouvernements à leur faire une place dans la discussion internationale. La nation ne s’identi-fiant plus à l’État, les citoyens, jusque-là invisibles, deviennent visibles.Par ailleurs, les questions environnementales, qu’elles soient globales ou nationales, sont venues renforcer au cours des quarante dernières années – depuis les mouvements civils, étudiants et citoyens de la fin des années 1960 – le principe d’une souveraineté qui de « populaire » par le vote et la représentation devient de plus en plus individuelle et citoyenne. Les thèmes de démocratie participative, puis de « réflexi-vité » et délibérative, témoignent d’un approfondis-sement et d’une redéfinition de la démocratie elle-même, c’est-à-dire des contrats sociaux qui fondent la légitimité effective de la souveraineté étatique. Il ne s’agit pas seulement de nouvelles modalités du demos voulues par une conception politique, mais aussi d’un problème d’efficacité. En matière environ-nementale, les États peuvent bien signer des accords internationaux avec des règles et des contraintes, mais au moment de l’application sur leur territoire, ils ne peuvent pas seulement recourir à l’autorité, à la loi et à la sanction.Les citoyens doivent s’approprier ces nouvelles injonctions pour qu’elles aient une chance de trouver une réelle application et une réelle efficacité. Les processus d’apprentissage croisés (des autorités publiques, des échelons territoriaux, des experts, des consommateurs ou des citoyens) deviennent décisifs pour enrichir en retour les conventions internatio-nales, les bonnes pratiques et les comportements individuels citoyens. Sans ces aspects de délibéra-tion et de réflexivité, il est impossible d’aboutir à

Des acteurs « libres de souveraineté » pour une

citoyenneté globale

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLELES PARADOXES DE LA SOUVERAINETÉ

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un continuum entre des États souverains à l’échelle internationale et les comportements individuels. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une redéfinition complexe mais indispensable de la souveraineté, qui se déplace d’une souveraineté étatique prédo-minante vers sa source originelle de légitimité, c’est-à-dire la souveraineté citoyenne. Il n’y a pas donc pas lieu de s’inquiéter de l’érosion de la souveraineté nationale en faveur des compromis négociés à l’échelle internationale, pas plus qu’il ne faut percevoir la montée en puissance des commu-nautés ou des échelons territoriaux infra-étatiques comme des menaces à la cohérence de l’État ou à son efficacité. La réponse aux défis environne-mentaux suppose en effet à la fois une modification consentie des comportements et des préférences des individus, de la gouvernementalité étatique –  des États stratèges et garants des accords  – et des innovations, dispositifs et combinaisons qui ne peuvent prendre sens qu’à certains échelons terri-toriaux –  écosystèmes, bassins énergétiques… Ce processus peut donc être jugé positif car il oblige à poser la question de la gouvernance environne-mentale par-delà le système stato-centré classique analysé par les théories des relations internationales. Le phénomène est même doublement positif dans la conjoncture actuelle  : il élargit l’efficacité de la souveraineté traditionnelle des États en leur donnant la possibilité de traiter des questions que, de manière isolée, ils ne peuvent traiter – la sécurité, les biens publics environnementaux –, et d’autre part, il tend à approfondir la citoyenneté et donc la souveraineté des individus ou des collectivités infra-étatiques. En cela, il ne s’agit de rien d’autre que de la reformula-tion de la question démocratique. Ce processus n’est ni écrit d’avance ni linéaire, mais il prend acte du fait que l’interdépendance des États et la nature des questions globales, dont les questions environnemen-tales, présupposent d’autres modes d’action et de compromis que les accords interétatiques, même si ces derniers restent indispensables.La coexistence des différentes formes de souveraineté est problématique mais également génératrice d’un

renouveau du système de gouvernance mondiale. Les nouveaux acteurs influents du système interna-tional, qu’ils soient étatiques ou non, invoquent et redéfinissent en permanence la notion de souverai-neté sans qu’une définition stabilisée puisse encore émerger. Un point d’équilibre, lequel ne signifie pas la disparition des tensions, devra être trouvé entre principe de souveraineté institué « par le haut » et fondé sur la responsabilité collective et principe fondé « par le bas » sur la réalité de l’organisation nationale.

1. MATHEWS (J. T.), « Power Shift », Foreign Affairs, 76 (1), janvier-février 1997, p. 50-66.

2. LEVY (M. A.), KEOHANE (R.) et HASS (P. M.), Improving the Effectiveness of International Environmental Institutions for the Earth, Cambridge (Mass.), MIT Press, 1995.

3. BODIN (J.), Six livres de la République. Morceaux choisis, Bordeaux, Confluences, 1999 [1re éd. 1576].

4. FOUCAULT (M.), Il faut défendre la société, cours au Collège de France, 1976, Paris, Seuil-Gallimard, 1997.

5. Ibid, p. 26.

6. KRASNER (S. D.), Sovereignty : Organized Hypocrisy, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1999.

7. SPRUYT (H.), The Sovereign State and Its Competitors, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1994.

8. KRASNER (S. D.), Sovereignty : Organized Hypocrisy, op. cit.

9. FOWLER (M. R.) et BUNCK (J. M.), Law, Power, and the Sovereign State, University Park (Penn.), Penn State Press, 1995.

10. BULL (H.), The Anarchical Society. A Study of Order in World Politics, New York (N. Y.), Columbia Unversity Press, 1977.

11. KRASNER (S. D.), Sovereignty : Organized Hypocrisy, op. cit.

12. BECK (U.), « The Silence of Words and Political Dynamics in the World Risk Society », Logosonline, 2002.

13. HELD (D.), Democracy and the Global Order : From Modern State to Cosmopolitan Governance, Stanford (Calif.), Stanford University Press, 1995.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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L’Union européenne s’est peu à peu dotée d’une politique de l’environnement fondée sur un équi-libre subtil entre compétences nationales et communautaires. Le cadre mis en place a assuré le développement graduel mais spectaculaire de cette politique largement soutenue par les citoyens européens.

SOUVERAINETÉ ET POLITIQUES EUROPÉENNES DE L’ENVIRONNEMENTMARC PALLEMAERTS, SENIOR FELLOW, INSTITUTE FOR EUROPEAN ENVIRONMENTAL POLICY, BRUXELLES (BELGIQUE)

Depuis le début des années 1970, la Communauté économique euro-péenne (CEE) puis l’Union euro-péenne (UE) s’est dotée d’une poli-tique de l’environnement. Celle-ci

est aujourd’hui fondée sur un cadre législatif qui conditionne, dans une large mesure, les politi-ques publiques de protection de l’environnement menées par les autorités nationales, régionales et locales des pays de l’Union. On estime que près de 80 % du droit de l’environnement en vigueur dans les États membres trouve son origine, direc-tement ou indirectement, dans des actes législa-tifs européens adoptés par le Conseil de l’UE et le Parlement européen. Le processus d’intégration européenne a donné naissance à une politique de l’environnement commune, souvent présentée comme un modèle sur la scène internationale. Ses principes, objectifs et instruments sont fixés au niveau supranational dans le cadre des institu-tions européennes, mais sa mise en œuvre conti-nue à relever des autorités de chaque État. Les pays membres de l’UE ont-ils ainsi abandonné leur souveraineté nationale dans le domaine de l’environnement ? La réponse à cette question est complexe et doit être nuancée, mais il est incon-testable que la politique européenne de l’environ-nement a atteint un niveau avancé d’intégration

régionale, sans égal dans le monde et dépassant le cadre de l’État-nation.L’essor de cette politique est d’autant plus remar-quable qu’à l’origine, les textes fondateurs des Communautés européennes ne prévoyaient pas d’action commune pour la protection de l’environ-nement, sujet qui, à l’époque du traité de Rome, n’était pas encore perçu comme un enjeu majeur des politiques publiques. Ainsi, le mot « environ-nement » ne figurait pas dans les traités de 1957. La volonté politique de développer une politique européenne dans ce domaine est la conséquence d’une nécessité économique, mais elle constitue aussi une réponse aux nouvelles préoccupations écologiques de l’opinion publique qui se manifes-taient dans tous les pays industrialisés à la fin des années 1960 et au début des années 1970.Suite à cette prise de conscience et à l’instar des États-Unis et d’autres pays occidentaux, les six États européens fondateurs de la CEE ont donc commencé à développer des politiques natio-nales de l’environnement. Mais leur mise en œuvre isolée risquait de créer de nouvelles entraves à la libre circulation des marchandises au sein du marché commun et des distorsions de concurrence entre les industries des États membres. Ainsi, une certaine harmonisation de ces nouvelles politiques nationales s’avérait indispensable pour éviter que

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l’intégration économique ne soit compromise. Ce défi auquel l’Europe se trouva confrontée présen-tait en même temps de nouvelles opportunités politiques. En étendant son action à la protection de l’environnement, la Communauté pouvait se donner une nouvelle dimension politique, proche des préoccupations citoyennes, au moment où le modèle de croissance de l’après-guerre s’essouf-flait et où la société de consommation était mise en question par de nouveaux mouvements sociaux contestataires.Le feu vert pour le lancement de la politique européenne de l’environnement fut donné lors du sommet de Paris d’octobre  1972, à la veille du premier élargissement de la CEE au Royaume-Uni, à l’Irlande et au Danemark. Dans leur déclaration, les chefs d’État et de gouvernement insistèrent sur cette dimension politique, en affirmant qu’ils entendaient mettre «  l’expansion au service de l’homme » et apporter une attention nouvelle à la « qualité de la vie » dans le processus de construc-tion de l’Europe. Cependant, cette nouvelle politique européenne n’était pas appelée à se substituer aux politiques nationales de l’environnement, mais plutôt à les compléter, là où la Communauté pouvait apporter une valeur ajoutée. En fait, les points de vue des États membres différaient sur l’étendue des compé-tences communautaires et sur l’opportunité de conférer aux institutions européennes des respon-sabilités propres dans ce domaine. Les nouveaux États membres étaient parmi les plus réticents, pour des raisons de souveraineté nationale. C’est pourquoi les premiers textes parlent d’une politique de l’environnement « dans la Commu-nauté » et non pas de la Communauté. D’autres pays préféraient encore présenter l’action de la Communauté en matière d’environnement comme une forme de coopération intergouvernementale volontaire, plutôt que comme une politique basée sur la « méthode communautaire » et menée par

les institutions européennes au moyen des instru-ments législatifs supranationaux (directives et règlements). Malgré ces divergences et les artifices politiques utilisés pour les masquer, une action législative communautaire, au début assez timide, a commencé à se déployer. L’absence de bases juridiques spécifiques limitait les ambitions politi-ques, car les institutions devaient recourir à une interprétation extensive des dispositions existantes (anciens articles 100 et 235 du traité CEE) et ne pouvaient adopter des directives en matière d’envi-ronnement que moyennant l’accord unanime des États membres au sein du Conseil.Ce n’est qu’en 1986, à la faveur de l’Acte unique européen, que la CEE s’est vue reconnaître expli-citement des compétences environnementales, par l’inscription de dispositions spécifiques sur « l’action de la Communauté dans le domaine de l’environ-nement » au traité CEE (anciens articles 130r, 130s et 130t). Celles-ci soulignaient le caractère partagé des compétences de la Communauté et des États en matière d’environnement, en mettant l’accent sur la subsidiarité ainsi que sur la liberté d’adopter des normes environnementales plus strictes au niveau national. Mais les réticences souverainistes de certains États continuaient à se manifester, puisque ces nouvelles dispositions maintenaient l’exigence d’unanimité au sein du Conseil pour les mesures environnementales ne visant pas l’harmonisa-tion nécessaire à l’achèvement du marché unique (ancien article 100a). Ces réticences à l’affirma-tion d’une politique supranationale de l’environne-ment provenaient à la fois d’États opposés à une politique européenne trop volontariste et coûteuse pour leur économie, et d’États ayant une politique nationale avancée et craignant un nivellement par le bas des normes environnementales. Dans cette dernière catégorie, le Danemark en particulier

...

Mettre « l’expansion au service de l’homme », déclaration de Paris, octobre 1972

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s’est battu pour obtenir la possibilité de déroger aux règles européennes harmonisées en mainte-nant des normes nationales plus protectrices de

l’environnement dans le cas où des règles commu-nautaires seraient adoptées à la majorité qualifiée sur la base des disposi-tions relatives au marché

intérieur. Cette possibilité de dérogation tendant à préserver la « souveraineté environnementale » des États membres a été inscrite dans l’Acte unique européen, sous réserve de contrôle et de confirmation par la Commission européenne pour chaque cas. Elle a été élargie par le traité d’Amsterdam en 1997 (nouvel article 95 § 4-8 du traité CE), après que le Danemark a été rejoint en 1995 dans le camp des pays « environnemen-talistes » par la Suède, la Finlande et l’Autriche. L’application de ces dérogations a donné lieu à de nombreuses controverses et litiges entre les États et la Commission européenne. Ainsi, lorsque l’Allemagne obtint en  1992 l’autorisation de la Commission pour maintenir une réglementation nationale interdisant l’utilisation du pentachlo-rophénol, alors qu’une directive communautaire autorisait encore certaines applications de ce produit dangereux, la décision fut attaquée devant la Cour de justice des Communautés européennes par la France, où se trouvait le dernier produc-teur de la substance. Dans un premier temps, la Cour annula la décision litigieuse pour défaut de motivation, mais cela n’empêcha pas la Commis-sion européenne de prendre une nouvelle décision dûment motivée en 1994, confirmant la législation allemande. Depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, les recours aux clauses dérogatoires se sont multipliés, en particulier par l’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark. Outre ces trois pays, la Suède et la Belgique ont aussi exercé ce droit.C’est le traité de Maastricht qui a supprimé le

principe de la prise de décision à l’unanimité pour les mesures relevant de l’environnement. Depuis son entrée en vigueur, en  1993, une majorité qualifiée suffit pour leur adoption par le Conseil, comme pour les mesures nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur. Cependant certains aspects de la politique de l’environnement ont été soustraits à la règle de la majorité quali-fiée, pour lesquels le Conseil doit statuer à l’una-nimité. Parmi les sujets sensibles pour lesquels les États se sont réservé un droit de veto, notons les mesures fiscales, celles affectant l’aménage-ment du territoire ou la gestion quantitative des ressources hydrauliques, ainsi que les mesures susceptibles d’affecter sensiblement les politiques énergétiques nationales. Même si dans la pratique ces exceptions sont rarement invoquées, elles n’ont pas été remises en cause par les réformes ultérieures des institutions européennes faisant l’objet des traités d’Amsterdam (1997), de Nice (2000) et de Lisbonne (2007). Par ailleurs, depuis le traité d’Amsterdam, la procédure de codéci-sion, qui donne des pouvoirs importants au Parle-ment européen, constitue la règle générale pour les mesures relevant de la politique de l’environ-nement. Ainsi, un point d’équilibre entre mise en commun de compétences législatives et respect de la souveraineté nationale semble avoir été atteint. La souveraineté des États est garantie par le principe de subsidiarité, selon lequel, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, comme la politique de l’environnement, la Communauté n’intervient « que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire » (nouvel article  5). Toute proposition législative faite par la Commission européenne doit être justi-fiée au regard de ce principe. Souvent, le principe

...

Les compétences de la Communauté…

et les dérogations des États

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de subsidiarité est invoqué par des États ou des députés européens pour s’opposer à des proposi-tions de la Commission considérées comme une intrusion injustifiée dans des politiques nationales. Ainsi, faisant valoir ce principe, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la France et le Royaume-Uni bloquent l’adoption d’une proposition de directive cadre pour la protection des sols présentée par la Commission en 2006.L’adoption d’un acte législatif en matière d’envi-ronnement requiert une majorité qualifiée des États membres au sein du Conseil ainsi que la majorité des voix au Parlement européen, sauf pour un nombre limité de matières qui relèvent encore d’une décision unanime du Conseil. L’instrument législatif le plus utilisé en matière d’environnement est la directive cadre, qui lie les États membres quant au résultat à atteindre, mais leur laisse une certaine latitude dans le choix des moyens. On constate depuis une dizaine d’années un recours croissant, par le législateur communautaire, à des directives cadres, qui fixent des objectifs environ-nementaux assez vagues au niveau européen, et laissent aux États une liberté considérable dans la mise en œuvre. La directive cadre sur la gestion de l’eau, adoptée en 2000, est un exemple de ce type de législation fortement influencé par le principe

de subsidiarité, de même que la toute récente directive cadre « Stratégie pour le milieu marin » du 17 juin 2008. Dans son ensemble, le cadre institutionnel et juridique de la politique européenne de l’environne-ment, fondé sur un équilibre subtil entre compétences nationales et communau-taires, a assuré le développe-ment graduel mais specta-culaire de cette politique, qui jouit d’un large soutien des citoyens de l’UE. Selon un sondage Eurobaromètre réalisé en 2007a, 67 % d’entre eux – moyenne des 27 États membres – considèrent en effet que les décisions environne-mentales devraient être prises en commun au sein de l’Union plutôt que par leur propre gouverne-ment national. Si ce pourcentage varie d’un État à l’autre, et est généralement plus élevé dans les anciens États membres que dans les nouveaux, il n’y a qu’en Finlande qu’une majorité des citoyens interrogés est plus favorable aux décisions natio-nales que communautaires. n

a. « Attitudes des citoyens européens vis-à-vis de l’environnement », Eurobaromètre, 295, mars 2008.

67 % des Européens considèrent que les décisions environnementales devraient être prises en commun

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La gouvernance internationale

de l’environnement a un besoin cruel

de réforme, non pas parce qu’elle a échoué,

mais parce que ses contours ne correspondent

plus à l’ampleur des problèmes actuels

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Le système de gouvernance internationale de l’environnement est aujourd’hui dépassé. Malgré ses succès passés, il a besoin d’être réformé pour répondre à la nécessité de plus en plus pressante d’améliorer l’état de l’environnement. Plutôt que la création d’une super-organisation, cette transformation impliquerait l’évolution des organisations existantes. Une telle réforme est difficile, mais peut être menée à bien si elle est portée par une volonté politique et si elle est appuyée par la société civile.

POUR L’ENVIRONNEMENT, LE TEMPS DES RÉFORMES1

ADIL NAJAMPROFESSEUR, FREDERICK S. PARDEE OF GLOBAL PUBLIC POLICY ET DIRECTEUR, PARDEE CENTER FOR THE STUDY OF THE LONGER-RANGE FUTURE, BOSTON UNIVERSITY, BOSTON (ÉTATS-UNIS)

MIHAELA PAPADOCTORANTE, FLETCHER SCHOOL OF LAW AND DIPLOMACY, TUFTS UNIVERSITY, MEDFORD (ÉTATS-UNIS)

NADAA TAIYABCONSULTANTE ET VISITING FELLOW, PARDEE CENTER FOR THE STUDY OF THE LONGER-RANGE FUTURE, BOSTON UNIVERSITY, BOSTON (ÉTATS-UNIS)

Le problème de la gouvernance internatio-nale de l’environnement (GIE) est similaire à celui des vêtements pour enfants. Ceux-ci ont la fâcheuse habitude de grandir en âge et en taille chaque année,

laissant les parents dans l’embarras : les vêtements qui vont bien à leurs enfants au moment de l’achat leur vont beaucoup moins bien l’année suivante. Ils pourraient alors punir leurs enfants parce qu’ils grandissent et les forcer à porter des vêtements trop petits. Heureusement, la plupart d’entre eux ont l’intelligence de comprendre que cette solution n’est ni désirable ni applicable, et ils renouvellent les vêtements en fonction des besoins de l’enfant au fur et à mesure de sa croissance.Les garants de notre système de GIE ne semblent pas avoir cette intelligence. Ils s’obstinent à perpé-tuer un système conçu à une époque où notre compréhension des problèmes environnemen-taux mondiaux et leurs solutions étaient beaucoup plus simples, plus limitées et beaucoup moins

sophistiquées qu’aujourd’hui. Et quand les choses ne fonctionnent pas comme ils l’auraient souhaité, ils s’en prennent aux institutions et aux acteurs du système. Ils les réprimandent pour ne pas avoir fait ce qu’il fallait, mais ne reconnaissent jamais que ces derniers n’ont pas eu les outils nécessaires. La gouvernance internationale de l’environnement a un besoin cruel de réforme, non pas parce qu’elle a échoué, mais parce que ses contours ne corres-pondent plus à l’ampleur des problèmes actuels, ni aux solutions ambitieuses que nous voulons leur apporter.

L’ESSOR DE LA GOUVERNANCE INTERNATIONALE DE L’ENVIRONNEMENT

Le terme de « gouvernance internationale de l’envi-ronnement  » désigne l’ensemble des organismes (par exemple le Programme des Nations unies pour l’environnement – PNUE), traités (les conven-tions sur le climat ou la biodiversité…), politiques, mécanismes de financement (dont le financement

UN SYSTÈMEÀ L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE CHAPITRE 3

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environnemental bilatéral ou multilatéral), procé-dures et normes qui régissent la protection de l’environnement au niveau mondial (cf. encadré 1). L’orientation de la GIE est d’améliorer l’état de l’environnement et, à terme, de conduire à un objectif de développement durable. Ce que nous appelons « système de GIE » a évolué durant les quatre dernières décennies (lire repère 1). Cette évolution s’est produite de manière sporadique, inégale et souvent fortuite, ce qui en soi n’a rien de surprenant ; mais il est important de se rappeler que ce système de GIE n’a jamais été pensé et défini pour ressembler à ce qu’il est aujourd’hui. Il est en effet le résultat de décisions institutionnelles souvent

prises sans grande considération de leur impact sur son architecture générale.Si certains éléments existaient avant la conférence historique de Stockholm de 1972, c’est durant cette dernière que la majeure partie du système actuel a commencé à prendre forme ; depuis, il n’a fait que se développer. Le résultat le plus important sur le plan de la gouvernance a certainement été la création du PNUE2, instrument privilégié de la coordination des interventions environnementales au sein de l’ONU. Depuis, une multitude d’institutions et de politiques en matière environnementale –  et tout récemment en faveur du développement durable – se sont succédé, souvent de façon désordonnée.

n  La liste des adhérents au Groupe de gestion environ-nementale de l’ONU donne une image, certes incom-plète, mais déjà impression-nante de la diversité et de la segmentation des acteurs qui influencent la GIE. Le groupe, constitué des «  programmes, organes et agences spécia-lisées du système de l’ONU, et tous les secrétariats d’ac-cords multilatéraux sur l’envi-ronnement », a été établi pour «  améliorer la coordination inter-agences  ». Chacune de ces organisations a un mandat environnemental et plusieurs ont des activités spécifiques.

QUI S’OCCUPE DE L’ENVIRONNEMENT ?ENCADRÉ 1

› Secrétariat de la Convention de Bâle

› Secrétariat de la Convention sur la biodiversité (CDB)

› Secrétariat de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites)

› Secrétariat de la Convention sur la conservation des espèces migratrices (CMS)

› Commission économique et sociale pour l’Afrique (CEA)

› Commission économique européenne (CEE)

› Commission économique et sociale pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc)

› Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (Cesap)

› Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (Cesao)

› Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

› Fonds pour l’environnement mondial (FEM)

› Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)

› Organisation de l’aviation civile internationale (OACI)

› Fonds international de développement agricole (FIDA)

› Organisation internationale du travail (OIT)

› Organisation maritime internationale (OMI)

› Secrétariat inter-institutions de la Stratégie internationale de prévention des catastrophes naturelles (UN/ISDR)

› Centre du commerce international (ITC)

› Union internationale des télécommunications (UIT)

› Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH)

› Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH)

› Secrétariat de la Convention de Ramsar relative aux zones humides (Ramsar)

› Secrétariat de la Convention sur la lutte contre la désertification (UNCLD)

› Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced)

› Département des Affaires économiques et sociales des Nations unies/ Division du Développement durable (Undesa/DSD)

› Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)

› Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE)

› Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco)

› Secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC)

› Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap)

› Programme des Nations unies pour les établissements humains (Habitat)

› Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR)

› Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef )

› Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi)

› Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (Unitar)

› Université des Nations unies (UNU)

› Union postale universelle (UPU)

› Programme alimentaire mondial (PAM)

› Organisation mondiale de la santé (OMS)

› Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI)

› Organisation météorologique mondiale (OMM)

› Banque mondiale › Organisation mondiale

du commerce (OMC) › Organisation mondiale

du tourisme (OMT)

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLEPOUR L’ENVIRONNEMENT, LE TEMPS DES RÉFORMES

3

Elles ont pris la forme de traités, d’organisations et de mécanismes. Le Sommet de la Terre de Rio en  1992 et le Sommet pour le développement durable de Johannesburg en 2002 ne représentent que deux des nombreuses étapes de cette évolution rapide du système de GIE3.Bien qu’il est courant et pratique de désigner le PNUE comme l’interlocuteur principal lors des discussions sur les questions de GIE, la réalité du système est beaucoup plus vaste. Le système de GIE a grandi et évolué dans plusieurs directions. Loin d’être une mauvaise chose, cette évolution montre en fait l’importance accrue et reconnue de ces questions. Cette expansion peut s’observer au travers de trois dimensions : les acteurs, le finance-ment et les normes4.

Plus d’acteurs. Les activités environnementales des institutions au sein du système de l’ONU ont connu une croissance marquée : aujourd’hui, plus de trente agences et programmes de l’ONU sont impliqués dans la gestion environnementale (lire repère 3). Des institutions majeures, comme la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont fait du développement durable un objectif priori-taire. D’autres institutions internationales et régio-nales non affiliées à l’ONU témoignent d’un intérêt grandissant pour les questions environnementales et le développement durable. La multiplication des accords multilatéraux sur l’environnement (AME) a également engendré un foisonnement de secré-tariats et de communautés épistémiques consa-crés aux différents aspects de l’agenda environ-nemental mondial et à l’organisation des forums intergouvernementaux qui l’accompagnent. L’intérêt pour l’environnement mondial a généré la création de contingents, toujours plus actifs et nombreux, d’acteurs de la société civile qui influencent la gouvernance internationale de l’environnement et encouragent son développement. Non seulement le nombre d’acteurs non étatiques a augmenté, mais leurs intérêts et la manière qu’ils ont d’agir dans et sur le système se sont eux-mêmes diversifiés. Aux

ONG internationales qui disposent de bureaux sur différents continents, aux ONG nationales et autres groupes communautaires s’ajoutent maintenant de façon croissante les entreprises. Si l’État reste l’acteur principal de la GIE, il n’est clairement plus le seul.

Plus d’argent. De multiples sources de finance-ment de l’action environnementale internationale sont désormais disponibles. Ces dernières incluent les budgets opérationnels des différentes organisa-tions mais aussi des mécanismes de financement spécialisés, intégrés au départ à certains traités spécifiques (le Fonds ozone lié au protocole de Montréal par exemple) ou d’origine plus générale (comme le Fonds pour l’environnement global). Des sommes substantielles sont par ailleurs disponibles pour les projets environnementaux, provenant des flux d’aide des bailleurs de fonds, des organisa-tions internationales, des agences des Nations unies et des ONG internatio-nales (Conservation Inter-national ou le WWF pour ne citer qu’eux). Une estimation conservatrice des montants disponibles dans le système de GIE tourne autour de 10 milliards de dollars5. Et ceci reste sans comparaison avec le marché mondial des biens et services environnementaux qui représente près de 600 milliards de dollars et atteindrait 800 milliards de dollars en 2015. Même si ces financements sont encore sans commune mesure avec l’ampleur des défis auxquels la planète est confrontée, leurs montants n’en sont pas moins importants, et leurs origines et destinations des plus variées.

Plus de normes et de règles. Certains estiment à plus de 500 le nombre d’accords multilatéraux sur l’environnement. Si la majorité de ces accords sont régionaux, plusieurs présentent un caractère vérita-blement mondial. L’environnement est probablement le second domaine en termes de réglementations

Aujourd’hui, plus de trente agences et programmes de l’ONU sont impliqués dans la gestion environnementale

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009116

internationales, après le commerce international ; il est vrai que les traités environnementaux sont davantage des déclarations de principe tandis que la majorité des accords commerciaux sont orientés vers la définition de règles.Le Sommet de la Terre de Rio, par exemple, a débouché presque immédiatement sur une multi-tude de nouveaux accords. Les règles et les normes sur l’environnement sont de plus en plus souvent créées par des organismes non environnementaux,

tels l’OMC, les objectifs du Millénaire pour le dévelop-pement, la Société finan-cière internationale et les grandes banques privées par le biais de leurs politiques de prêt… La forte adhésion de la société civile, des gouver-nements nationaux et du

secteur privé au concept de développement durable a également incité les organisations internationales à articuler des normes et parfois des politiques visant à améliorer l’environnement mondial et à atteindre un développement durable.Au regard de l’augmentation des émissions de carbone, de la diminution du couvert forestier, du déclin des réserves de poisson et de la disparition de la biodiversité, il paraît évident que malgré l’étendue et la portée du système de GIE, celui-ci n’a pas été suffisament efficace pour améliorer l’environnement mondial, atteindre un développement durable et inverser les dégradations. Même s’il peut paraître prématuré d’évaluer un système qui est toujours en évolution, il semble que la transformation même de la gouvernance internationale de l’environne-ment est devenue source de nouveaux défis insti-tutionnels, et que son évolution rapide a conduit le système au-delà de ses propres limites.

LES DÉFIS DE LA GOUVERNANCE ENVIRONNEMENTALE

Pour positives qu’elles soient, l’évolution rapide et la croissance du système de GIE sont également

devenues sources de problèmes. La littérature abonde en exemples de mauvaises expériences, la majorité d’entre elles parce que le système grandit trop et trop vite. À ce titre, six défis méritent d’être soulignés.

Une trop grande fragmentation. Trop d’organisa-tions sont impliquées dans la gouvernance environ-nementale, elles sont souvent géographiquement dispersées et leurs mandats se chevauchent6. Les secrétariats des AME sont situés dans divers endroits du monde, ils possèdent des niveaux d’autonomie différents et se concentrent sur des problèmes environnementaux distincts mais néanmoins liés. Ainsi le secrétariat Climat est géré par le secrétariat de l’ONU alors que les secrétariats de l’ozone et de la Convention sur la diversité biologique (CDB) sont rattachés au PNUE. Le siège de la Convention sur la biodiversité est à Montréal, ceux de la Convention sur la lutte contre la désertification (UNCLD) et de la Convention cadre des Nations unies sur les change-ments climatiques (CCNUCC) sont à Bonn, tandis que la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) et la Convention de Bâle ont leurs sièges à Genève7. Cette fragmentation peut générer des conflits dans les agendas et une incohé-rence des règles et des normes, parce que ces diffé-rents secrétariats n’ont que peu d’occasions d’inte-ragir et de coopérer8. La dispersion géographique entraîne aussi des frais de déplacements et de personnels, exige plus de rapports et de documents de suivis, et contribue à un phénomène de « fatigue liée aux négociations  ». Elle décourage en parti-culier l’investissement en ressources humaines et institutionnelles dans les pays en développement et détourne les meilleures ressources vers la gouver-nance internationale au détriment de la mise en œuvre au niveau national.

Un manque de coopération et de coordination. La GIE ne dispose d’aucun mécanisme de coordination significatif. En théorie, cette coordination fait partie

L’évolution rapide de la gouvernance

internationale de l’environnement a conduit le système

au-delà de ses propres limites

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLEPOUR L’ENVIRONNEMENT, LE TEMPS DES RÉFORMES

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du mandat naturel du PNUE. Cependant, ce dernier n’a jamais reçu les ressources ou le capital politique pour assumer cette fonction. La capacité du PNUE à « coordonner » les autres agences de l’ONU est également handicapée par le nombre d’agences et de programmes de l’ONU dont le mandat a trait à la protection environnementale. La création du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) comme principal mécanisme de financement, les divers secrétariats des AME et la Commission sur le développement durable (CDD) ont nui à l’autorité du PNUE, et ces entités se sont lancées dans des luttes fratricides de territoire et de politiques inter-agences. Un climat de méfiance entre les agences, des inégalités dans les dotations en ressources, et des mandats flous (et parfois contradictoires) reçus de leurs États membres n’ont été favorables ni à la coopération, ni à la coordination institutionnelle.

Un manque de mise en œuvre et d’efficacité. Le système de gouvernance internationale de l’envi-ronnement s’est transformé en un «  système de négociations » qui semble immuable et davantage « obsédé » par la poursuite des négociations que par la mise en œuvre des conventions existantes. Les retards sont aggravés par l’absence de méca-nismes d’application de ces conventions et par le peu d’attention portée à l’efficacité des instruments dans la réalisation des objectifs initiaux. Le système environnemental ne possède aucun organe signifi-catif de règlement des différends et peu de moyens sont disponibles pour s’assurer que les pratiques sont conformes aux textes9. Comme pour beaucoup d’autres processus et institutions, l’obtention d’un consensus au cours des négociations des AME est plus un résultat politique que scientifique. Ce problème est bien sûr endémique aux organisations internationales et nullement propre au système de GIE. Cependant, ignorer la science dans le cas de processus environnementaux complexes et à long terme peut avoir des effets bien plus importants et durables que dans beaucoup d’autres domaines (lire chapitre 2).

Une utilisation inefficace des ressources. Le système dans son ensemble semble disposer de ressources considérables –  même si elles sont insuffisantes  –, mais la duplication des efforts et le manque de coordination rend leur utilisation inefficace. En 2000, par exemple, le portefeuille de projets environnementaux de la Banque mondiale atteignait plus de 5  milliards de dollars, celui du PNUE plus de 1,2  milliard de dollars, tandis que celui du FEM dépassait 4,5  milliards depuis sa création. Les ressources financières consacrées aux projets environnementaux par les gouvernements nationaux, la société civile et le secteur privé sont aussi très importantes. Pourtant certains domaines restent sous-financés de façon chronique. La fragmentation géographique et la duplica-tion des activités peuvent entraîner une hausse des coûts opérationnels et une inefficacité dans l’utilisation des ressources. Une plus grande cohérence dans le système de gouver-nance et de financement permettrait d’accomplir beaucoup plus avec les ressources existantes.

Une implication des enjeux non environnemen-taux. Un nombre croissant de décisions impor-tantes affectant la gouvernance environnementale est désormais pris en dehors du domaine de l’envi-ronnement, et relève du commerce, des investisse-ments et du développement international. Malgré l’attention qu’elles portent aujourd’hui à l’environne-ment et au développement durable, des institutions comme l’OMC, le PNUD et la Banque mondiale restent dans la plupart des cas en dehors du débat sur la gouvernance internationale de l’environne-ment. Ou, plus exactement, les acteurs de l’envi-ronnement restent à la périphérie des décisions qui les concernent. La plupart des décideurs environ-nementaux ont tendance à se parler exclusivement entre eux. Ils ne sont pas invités, et ne font pas non plus l’effort de s’impliquer de manière significative

Le système de gouvernance internationale de l’environnement s’est transformé en un « système de négociations » qui semble immuable

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dans les décisions importantes sur le développe-ment. En outre, les questions de santé et de sécurité sont de plus en plus liées à celles de l’environnement. Pour que le système de GIE soit efficace, il faut qu’il favorise de manière plus complète l’intégration des questions environnementales aux décisions écono-miques et sécuritaires, et qu’il assure la cohérence entre l’environnement et les autres domaines des politiques publiques mondiales.

Des acteurs non étatiques dans un système centré sur l’État. Les institutions impliquées dans la GIE ont été au départ focalisées sur l’État alors qu’aujourd’hui des acteurs de la société civile (lire repères 14 et 15), comme les ONG et les entreprises concernées par l’environnement, jouent un rôle de

plus en plus important dans l’élaboration des politi-ques10. Les ONG environ-nementales assument un rôle de premier plan dans l’émergence des conven-tions internationales, la préparation des traités et leur application, la mise

à disposition d’information scientifique. La place des ONG dans l’élaboration des mesures et projets environnementaux peut s’avérer cruciale11. Le secteur privé, quant à lui, s’implique toujours plus par le biais d’engagements volontaires et de parte-nariats public-privé. Or, la GIE n’a pas été conçue pour prendre en compte cette multitude d’inter-venants. Le défi actuel est la création d’une plate-forme institutionnelle susceptible de rassembler les acteurs non étatiques et de leur permettre de réaliser leur potentiel.Si l’importance de ces «  carences  » continue de faire débat parmi les universitaires et les praticiens, il y a aujourd’hui consensus sur la nécessité d’une réflexion commune sur la manière d’améliorer le système actuel. Un nombre croissant d’observateurs et d’acteurs estiment par ailleurs que les discussions sur la réforme de la GIE doivent aller au-delà d’une

simple réforme du PNUE et envisager un système qui permettrait aux différentes parties d’interagir de manière plus performante, afin de pouvoir concré-tiser les objectifs ultimes que sont la protection environnementale et le développement durable.En examinant l’évolution du système de GIE et l’émergence de ces défis, il semble que le problème ne vient pas tant des carences du système, que du fait que celui-ci a évolué au-delà de ses fonctions initiales et n’est plus à même de faire face aux réalités d’aujourd’hui. En effet, parmi les problèmes que nous avons identifiés, nombre d’entre eux sont précisément dus au fait que le système a réussi à croître rapidement, multipliant de ce fait le nombre d’instruments et d’institutions. Cette perspective suggère que le défi n’est pas de «  réparer  » un système qui serait en faillite, mais plutôt de le mettre à jour pour faire face aux réalités et aux défis créés par sa propre évolution.

POURQUOI LA RÉFORME EST-ELLE DIFFICILE ?

L’idée de réformer le système de gouvernance inter-nationale de l’environnement n’est pas nouvelle. En fait, le système a essayé de se « réformer » prati-quement depuis sa création. Mais la réforme s’est faite de manière sporadique  : chaque fois qu’un nouveau besoin survenait, un nouvel élément (une organisation, un mécanisme de financement, un traité) se greffait au système. Ajouter de nouveaux éléments plutôt que renforcer l’existant s’est avéré une méthode souvent coûteuse et inefficace, du fait notamment de duplications, mais elle a la vertu de ne pas menacer les éléments déjà mis en place. Cette approche en réaction et décousue a contribué à la création de la mosaïque actuelle. Les tentatives de rétablir la cohérence ont été beaucoup moins réussies, et ce pour plusieurs raisons.

L’inertie et le désir de maintenir le statu quo. La plupart des acteurs du système ne sont guère motivés à modifier le statu quo. La perspective d’un changement significatif de la GIE n’intéresse ni les

Une plus grande cohérence dans le système de gouvernance

et de financement permettrait d’accomplir

beaucoup plus avec les ressources existantes

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délégués nationaux, ni les bureaucrates environne-mentaux internationaux. Malgré toutes les failles, ils se sentent à l’aise dans ce système où ils ont appris à utiliser leurs avantages individuels et institution-nels. Les propositions de changement ont tendance du coup à privilégier des changements progressifs plutôt qu’une réforme radicale qui bouleverserait le statu quo.

Le manque de leadership. À l’inertie qui semble frapper les acteurs de la GIE s’ajoute un manque apparent de volonté politique de la part des dirigeants réticents à prendre des initiatives. Quelques appels à l’action ont été lancés, mais la plupart n’ont pas dépassé la phase de déclaration de principe. La GIE n’a pas suffisamment capté l’attention des dirigeants nationaux et institutionnels et n’a jamais émergé comme une priorité dans un monde assailli par tant d’autres défis plus immédiats.

L’inquiétude des pays en développement. Les pays en développement, déjà méfiants à l’égard du système international en général, se révèlent parti-culièrement inquiets devant la croissance rapide des instruments environnementaux et des impacts que ceux-ci pourraient avoir sur leur développement économique. Bien qu’ils ne soient pas nécessai-rement favorables au statu quo, ils craignent qu’un changement soit néfaste pour eux. Ils craignent surtout qu’une attention renouvellée portée à la GIE ne se fasse au détriment des enjeux de développe-ment durable.

L’existence de fiefs institutionnels. Les institu-tions de l’ONU répugnent généralement à l’idée de céder la moindre partie de leur autorité ou de leur compétence, même si le chevauchement et la dupli-cation sont évidents. Après avoir créé un système complexe composé d’une multitude d’institutions enchevêtrées, nous observons maintenant – ce qui n’est pas surprenant – que chaque institution défend son existence. Plus encore, un certain équilibre a été trouvé dans ce système complexe qui, s’il souffre

d’inefficacité, a l’avantage d’offrir une certaine stabi-lité. La peur est alors grande qu’une réforme ne mette à mal l’ensemble du système plutôt que d’en améliorer certains aspects.

Le conflit entre intérêts nationaux et mondiaux. Les intérêts économiques et sécuritaires nationaux peuvent s’opposer aux questions environnemen-tales, ce qui explique que certains États ne sont pas favorables à une gouvernance internationale de l’environnement plus forte. En effet, même quand une réforme dans ce sens semble nécessaire, elle tend à être marginalisée par les acteurs même du système qui ont avant tout pour mandat de sauve-garder leurs intérêts nationaux et institutionnels les plus étroits (lire chapitre 2).

POUR UNE RÉFORME SYSTÉMIQUE MAIS MODULABLE

Malgré les contraintes, il existe un intérêt pour la réforme. Les ONG, les universitaires et les respon-sables politiques au sein du système sont unanimes à reconnaître son caractère inévitable. Par ailleurs, le nombre mais également l’identité de ceux qui la récla-ment ont changé. Depuis peu, ces appels proviennent des plus hautes sphères des gouvernements nationaux. Enfin et surtout, l’expé-rience collective accumulée après de nombreuses tentatives de réformes a donné à leurs promoteurs une vision plus claire de celles qui sont politique-ment possibles et désirables.Ces multiples tentatives n’ont peut-être pas encore abouti, mais elles ont souligné quelques points essentiels sur le type de réforme qui pourrait effec-tivement réussir.

Trois leçons essentielles. Tout appel à la réforme de la GIE doit commencer par une reconnaissance – en fait une célébration – des avancées importantes

Des plans grandioses de remaniement massif du système de gouvernance internationale de l’environnement ne sont ni désirables ni réalistes

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effectuées par la politique environnementale inter-nationale durant les trois dernières décennies.Le besoin de réforme est urgent mais son programme n’a pas besoin d’être drastique. De nombreux aspects du système fonctionnent bien et des tendances encourageantes méritent d’être utili-sées comme points de départ. En bref, le système n’a pas besoin d’être entièrement démantelé pour être reconstruit, mais il ne s’agit pas non plus de proposer un simple changement cosmétique. Il faut plutôt chercher à renforcer les éléments du système de GIE qui fonctionnent, tout en ciblant un nombre limité de défis et de carences particulièrement critiques. D’un point de vue conceptuel et straté-gique, le programme de réformes doit être restreint mais ciblé  ; il faut qu’il soit réalisable. Des plans grandioses de remaniement massif du système de

gouvernance internationale de l’environnement ne sont ni désirables ni réalistes.Enfin, pour être significatif, un programme de réformes ne doit pas seulement se limiter aux défis et aux problèmes les plus importants, il doit égale-ment s’intégrer dans une vision plus vaste et à plus long terme des contours souhaitables de la GIE. L’objectif ultime est l’amélioration de l’état actuel de l’environnement mondial. Il sera plus facile à atteindre si une approche d’ensemble est adoptée.

La définition d’objectifs. Partant de ces constats, il serait judicieux de commencer le processus de réforme, non par l’identification de ce qui devrait être accompli, ou même de ce qui peut être accompli, mais plutôt par une réflexion sur les raisons profondes qui poussent à vouloir réformer.

DES PROPOSITIONS D’ÉTAPES POUR RÉALISER LES OBJECTIFSENCADRÉ 2

m Leadership› Mobiliser une coalition de dirigeants mondiaux défendant la réforme.› Rationaliser la sélection des dirigeants des organisations environnementales.› Attirer de meilleurs candidats et améliorer la cohérence de la gouvernance environ-nementale en nommant une personne à la tête de plusieurs organisations, notam-ment concernant les secrétariats d’AME.m Connaissances› Le PNUE doit proposer des connais-sances interdisciplinaires faisant autorité sur les questions environnementales.› Création d’un bureau scientifique du PNUE, constitué de scientifiques indé-pendants, de réputation internationale, capables de concevoir et coordonner un programme de suivi de recherche scien-tifique d’avant-garde.› Rationaliser le nombre d’organes scien-tifiques, en particulier les organes subsi-diaires pour le Conseil scientifique et technique des accords multilatéraux en environnement (OSAST), dont les acti-vités ont été multipliées.

› La production de connaissances doit assurer une représentation équitable des experts des pays en développement.m Cohérence› Le Forum ministériel mondial sur l’envi-ronnement du PNUE doit être le principal lieu de prise de décision politique sur les questions stratégiques liées à la GIE.› Promouvoir le PNUE au statut d’agence, plutôt qu’à celui de programme, avec la capacité de définir son propre budget. Son rôle doit être axé sur les questions de politique, le renforcement des capacités et les connaissances. Il ne devrait pas être impliqué dans la gestion des projets.› Restreindre l’expansion des mandats des secrétariats des AME, encourager la collaboration et la fusion de ces accords par une incitation financière.› Les exigences des rapports des divers AME doivent être rationalisées et centrées sur la mise en œuvre et la performance plutôt que sur la négociation, contraire-ment à ce qui est le cas actuellement.m Performance› Rediriger les efforts de la gouvernance

environnementale vers des investisse-ments facilitant sa conformité à la poli-tique environnementale internationale.› Les États membres doivent assurer une source de financement stable et adéquate pour les principales organisa-tions environnementales.› Établir un suivi financier qui garde trace des différentes ressources multilatérales et bilatérales circulant dans le système.› Empêcher la prolifération des fonds de financement liés à des traités bilatéraux.m Intégration› La Commission du développement durable doit revenir à son but initial : l’intégration de l’environnement dans le développement.› Préparer l’intégration des questions environnementales dans de nouveaux domaines de la politique internationale.› Étendre le rôle des acteurs non étati-ques par l’intermédiaire d’un Forum de la société civile plus inclusif et plus intégré dont les réunions seraient conjointes à celles du Forum ministériel mondial sur l’environnement.

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Avons-nous une vision commune de la forme défini-tive du système de GIE ? Qu’attendons-nous de lui et quel doit être son but ? Si nous avons une vision à long terme de l’orientation que devrait prendre le système de GIE, nous pourrons plus facilement identifier les mesures à court terme susceptibles de l’orienter, mais aussi évaluer les progrès, et si néces-saire, prendre des mesures correctives.Un consensus, tacite mais solide, sur ce que devraient être les objectifs centraux du système de la gouvernance internationale de l’environne-ment semble bien exister. Cinq objectifs spécifi-ques se distinguent en particulier par leur impor-tance, et pourraient mobiliser un appui généralisé (cf. encadré 2) : m Le leadership. Le système de GIE doit exiger l’attention et le soutien des dirigeants politiques de haut niveau. Les principales institutions doivent être gérées par des dirigeants de réputation inter-nationale et travailler ensemble dans l’intérêt du système global. C’est là l’un des meilleurs investis-sements à faire pour que les institutions de la GIE soient respectées et soutenues par les dirigeants politiques. Le leadership ne serait plus une condi-tion mais un signal que le système de GIE est performant.

m Les connaissances. La science doit impérative-ment être la base de référence de toute politique environnementale solide. Le système de gouver-nance doit être fondé sur les connaissances et produire des connaissances. In fine, la légitimité de la GIE provient de sa performance, mais également du fait qu’elle est perçue comme un système basé sur la connaissance et produisant de la connaissance. Les politiques environnemen-tales doivent être fondées sur des connnaissances scientifiques qui incluent les intérêts légitimes de toutes les parties prenantes.

m La cohérence. Les différents acteurs doivent former un tout cohérent et coordonné, avec une communication régulière et un sens commun de l’orientation à suivre. Mais la cohérence, qui reste l’éternel défi à relever, est, à de nombreux égards,

impossible à cause de la nature englobante de l’environnement. Outre le fait que ce terme est protéiforme, l’objectif de cohérence ne néces-site pas un organisme centralisateur mais doit se traduire par la recherche d’objectifs communs et de vision partagée par les différents acteurs du système.

m La performance. Le but ultime de la GIE est d’amé-liorer l’état de l’environnement mondial. Bien qu’il soit évident, il vaut la peine de répéter et de renforcer le fait que, pour atteindre cet objectif de performance environne-mentale, les institutions qui composent le système de GIE devraient égale-ment rechercher l’excellence dans leur propre performance. Cela signifie que les institutions qui composent le système de GIE doivent être bien gérées, disposer de ressources suffisantes, les utiliser à bon escient, et être efficaces dans la mise en œuvre. Le défi de la performance se résume à relever le défi de la mise en œuvre. Il exige donc non seulement la participation des institutions internationales, mais aussi celle des États membres.

m L’intégration. Le système de GIE doit chercher à inclure les questions et les actions environne-mentales dans d’autres domaines de la politique et de l’action internationales ; c’est la seule façon d’envisager un développement durable. Ces objec-tifs peuvent former la base d’une vision mondiale commune de la finalité souhaitée du système de GIE. Alors que plusieurs pistes ont été proposées pour la réforme du système, la plupart d’entre elles visent à concrétiser tout ou partie de ces objectifs.

Les étapes intermédiaires. L’intérêt de cette approche est qu’une fois les objectifs du système reconnus, il devient possible d’identifier un ensemble d’étapes intermédiaires pour atteindre chacun de ces objectifs. On trouve beaucoup de documentation

Identifier systématiquement les objectifs de la réforme, tout en étant souple quant à la détermination de ses étapes

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sur le sujet. De toute évidence, la réalisation d’objec-tifs de cette envergure nécessite du temps, mais certaines des étapes qui y conduisent peuvent facile-ment être mises en place.Certes, la réalisation de toutes ces étapes ne garantit pas d’atteindre les objectifs définis dans leur intégra-lité. Cependant, si un nombre, même limité, d’entre elles est effectué avec succès, nous en approcherons. C’est l’essence même de la voie suggérée : identi-fier systématiquement les objectifs de la réforme,

1. Cet article est basé sur le livre de NAJAM (A.), PAPA (M.) et TAIYAB (N.) Global Environmental Governance : A Reform Agenda, Winnipeg, International Institute for Sustainable Development (IISD), 2006, disponible sur le site internet www.iisd.org

2. IVANOVA (M.), Can the Anchor Hold ? Rethinking the United Nations Environment Programme for the 21st Century, New Haven (Conn.), Yale School of Forestry and Environmental Studies, 2005, disponible sur le site www.yale.edu

3. NAJAM (A.), « Developing Countries and Global Environmental Governance : From Contestation to Participation to Engagement ». International Environmental Agreements : Politics, Law and Economics, 5 (3), 2005, p. 303-321.

4. NAJAM (A.), « The Case Against a New International Environmental Organization », Global Governance, 9 (3), 2003, p. 367-384 ; VON MOLTKE (K.), « The Organization of the Impossible » Global Environmental Politics, 1 (1), 2001, p. 23-28 ; BIERMANN (F.) et BAUER (S.) (eds), A World Environment Organization : Solution or Threat for Effective Environmental Governance ?, Aldershot, Ashgate, 2005.

5. NAJAM (A.), PAPA (M.) et TAIYAB (N.) Global Environmental Governance : A Reform Agenda, op. cit.

6. NAJAM (A.), CHRISTOPOULOU (I.) et MOOMAW (B.), « The Emergent System of Global Environmental Governance », Global Environmental Politics, 4 (4), 2004, p. 23-35.

7. LE PRESTRE (P.) et MARTIMORT-ASSO (B.), Issues Raised by the International Environmental Governance System, Paris, Iddri, 2004.

8. FRENCH (H.), « Reshaping Global Governance », dans L. Starke, State of the World, New York (N. Y.), W.W. Norton, 2002, p. 176-183.

9. WEISS (E.B.) et JACOBSON (H.) (eds), Engaging Countries : Strengthening Compliance with International Environmental Accords, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2001.

10. CHAMBERS (W.B.) et GREEN (J.F.) (eds), Reforming International Environmental Governance : From Institutional Limits to Innovative Reforms, Tokyo, United Nations University Press, 2005.

11. SPETH (J.G.) et HAAS (P.M.), Global Environmental Governance, Washington (D. C.), Island Press, 2006.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

et rester souple quant à la détermination de ces étapes.Mais la réforme ne peut pas être limitée à quelques organisations. Elle doit être systémique. Cela implique qu’elle doit se concentrer sur les organi-sations environnementales clés et sur leurs relations. Toute réforme doit être pensée, et in fine évaluée, pour avoir un impact positif sur les performances environnementales actuelles.

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Le besoin de préserver les ressources naturelles a rendu nécessaire de leur attribuer une valeur économique, les faisant ainsi figurer dans les comptabilités nationales et internationales. Cette valorisation, complexe du fait de la multiplicité des bénéficiaires de la biodiversité, a un impact réel sur les décisions politiques.

DONNER UNE VALEUR À LA BIODIVERSITÉ ANIRBAN GANGULY, ASSOCIATE FELLOW, DIVISION CHANGEMENT CLIMATIQUE, THE ENERGY AND RESOURCES INSTITUTE (TERI), NEW DELHI (INDE)

On peut considérer les ressour-ces naturelles comme un capital, source durable de revenus. Contrai-rement aux actifs physiques tels que les machines, elles ne sont pas

le résultat d’un procédé de fabrication contrôlé par l’homme, mais le fruit de processus naturels de longue durée. Alors que les machines peuvent être immédiatement –  ou, en tout cas, rapide-ment – remplacées, la reconstitution des ressour-ces naturelles ne se fait que très lentement et, le plus souvent, le processus naturel qui en est à l’origine ne peut être reproduit à l’identique. D’où l’importance du concept de gestion durable de la biodiversité, c’est-à-dire de l’utilisation de ces res-sources à un rythme inférieur ou égal à celui de leur reconstitution.Cette prise de conscience est un phénomène récent, qui a pris une importance croissante depuis deux décennies, en particulier depuis la Conférence des Nations unies sur l’environne-ment et le développement de  1992 à Rio, et la signature au cours de celle-ci de la Convention sur la diversité biologique (CDB). À cette occasion, pays développés et en voie de développement ont reconnu les conséquences locales et mondiales

des pertes de ressources naturelles, et la nécessité d’élaborer des stratégies nationales et des projets pour faire face à ces pertes. La CDB s’est appuyée sur un mécanisme financier international, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), conçu pour soutenir les pays dans leurs efforts de préservation de l’environnement.

ÉVALUER LES RESSOURCESUn large consensus sur le besoin d’utiliser les ressources naturelles de manière rationnelle a permis de dégager un autre constat : la croissance économique rapide s’est faite au prix de la diminu-tion de certaines de ces ressources, laquelle n’était pas intégrée dans les systèmes de comptabilité. En réponse, la Banque mondiale a développé en 1997 l’indicateur d’épargne véritable qui étend la notion de richesse nationale afin d’inclure des actifs tels que les ressources naturelles ou des passifs tels que la pollution. Dans le même temps, un système intégré de comptabilité économique et environnementale a été proposé, qui fournit un cadre pour valoriser les ressources environnemen-tales et mesurer leur épuisement, en faisant appel à des méthodes conformes à celles de la comptabi-lité conventionnelle. Lancée en 1998, l’Évaluation

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des écosystèmes pour le Millénaire (EM)1 s’efforce d’utiliser la valorisation économique comme un instrument pour aider les décideurs à mieux comprendre les changements dans les biens et services fournis par l’écosystème. Plus précisé-ment, l’accent est mis, non pas sur l’évaluation de la valeur totale de la ressource, mais sur l’évalua-tion des changements marginaux, dus à un facteur humain ou à l’introduction d’une politique, dans la valeur des écosystèmes.De tels mécanismes comptables se heurtent à un obstacle majeur : les techniques d’évaluation classiques ne sont pas adaptées à la biodiver-sité. Alors que les rendements des actifs physi-ques sont bien définis et directement conver-tibles en monnaie, ceux de la biodiversité sont plus difficiles à cerner du fait de la multiplicité de leurs bénéficiaires. De plus, ces rendements ont souvent la forme de services environnemen-taux2 qui sont rarement échangés sur un marché. Ainsi la valeur – c’est-à-dire les bénéfices tirés – des terrains forestiers est en général sous-estimée en raison des valeurs indirectes qui la composent en grande partie. En Norvège, l’exploitation des forêts, la pâte de bois, le papier, le bois scié et les industries du bois ne représentent que 1,1 % du PIB. En Finlande, l’agriculture, l’exploitation des forêts, la pêche et la chasse constituent 3,5 % du PIB. La contribution des forêts au PIB de l’Inde est estimée à 1,2 % par le système de comptabi-lité nationale. Mais ces chiffres n’incluent pas la valeur extrêmement élevée de services forestiers tels que la séquestration du carbone, la préserva-tion des versants et la valeur esthétique. L’évalua-tion de ces services viendrait vraisemblablement augmenter les chiffres de manière significative. Malheureusement, s’il est facile d’admettre le

principe d’une telle valorisation, lui assigner une valeur numérique est un sujet de controverse.

UNE DÉMARCHE POLITIQUECette valeur est avant tout politique. Accorder une valeur supplémentaire à la biodiversité affecte les décisions en matière de planification et de programmation, et oblige à des arbitrages entre des priorités nationales concurrentes, voire entre des priorités nationales et internationales. Par exemple, l’affectation d’une haute valeur aux forêts pourrait empêcher l’utilisation de ces terrains pour la construction d’un barrage hydro-électrique, comme elle pourrait conduire aussi à préserver des terres pour fournir un habitat à des espèces animales en danger.L’évaluation de la biodiversité, au moins d’un point de vue théorique, a accaparé l’attention des écono-mistes à travers le monde et plusieurs méthodes indirectes d’évaluation sont utilisées. Dans le cas de services environnementaux pour lesquels il n’y a que des marchés très limités, voire pas de marchés, ces méthodes ont recours à des produits de substitution – un médicament disponible dans le commerce pour évaluer la valeur d’une herbe médicinale locale – ou à des approches fondées sur la disposition à payer – les sommes dépensées par des touristes pour visiter un site.Il existe aujourd’hui une multitude d’estimations de la valeur d’une ressource donnée. En Inde, par exemple, un décret gouvernemental de 2002 oblige les utilisateurs de terrains forestiers à payer une somme allant de 580 000 à 920 000 roupies par hectare (soit entre 8 930 et 14 150 euros), représentant donc la valeur que le gouverne-ment attribue à ce type de terrain dans le cadre de son utilisation à des fins non forestières. Un

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UN SYSTÈME À L’ÉPREUVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLEPOUR L’ENVIRONNEMENT, LE TEMPS DES RÉFORMES

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ensemble d’études réalisées par le projet indien de comptabilité environnementale a produit des comptes monétaires pour divers biens et services forestiers, exprimant la valeur de l’utilisation des ressources en proportion du produit intérieur net (PIN). Elles estiment à environ 0,43 % du PIN le coût de la perte totale des ressources forestières due au bois de construction et de chauffage, au carbone, et aux autres produits tirés de la forêt.Plusieurs arguments plaident en faveur d’une évaluation de la biodiversité. D’une part, ces estimations révèlent que celle-ci à une valeur économique bien plus élevée que celle prise en compte dans les comptes nationaux. Vue sous cet angle, cette réalité pourrait attirer l’attention des décideurs politiques sur le fait que la préserva-tion et l’utilisation rationnelle de ces ressources méritent une plus grande attention aussi bien en termes de fonds disponibles qu’en termes de stratégies et de plans d’actions.D’autre part, ces exercices d’évaluation permet-tent de se concentrer sur les pertes engendrées pour l’économie du fait de la diminution et de la dégradation des ressources naturelles, ainsi que sur les moyens d’y mettre fin. À un niveau micro-économique, il s’agit d’une aide précieuse pour comprendre l’importance des ressources naturelles dans la subsistance des populations et dans les activités économiques locales.Récemment, on a vu des collectivités apparte-nant à un système fédéral réclamer des finan-cements pour les ressources naturelles dont ils

assurent l’entretien. L’argument avancé alors est que celui-ci impose des contraintes sur le dévelop-pement local, alors que les bénéfices tirés de ces ressources profitent à l’ensemble de l’économie. En Inde par exemple, certaines régions riches en minéraux et en forêt souffrent d’un développement socio-économique faible alors que leurs ressources alimentent la croissance économique nationale. De même, le développement d’un potentiel hydro-électrique, qui contribuera à la sécurité énergé-tique nationale, impose un ensemble de dépenses sociales et environnementales au niveau local, d’où la revendication d’une valorisation appropriée des ressources concernées et d’une compensation par des mécanismes financiers.En 2007, l’Allemagne et la Commission européenne ont lancé une nouvelle initiative, l’Économie des écosystèmes et de la biodiversité, dans le but de mieux faire comprendre la valeur économique des avantages fournis par la nature, et d’en promouvoir, au niveau international, une meilleure comptabilité. Le processus, qui pourrait avoir un rôle semblable à celui joué par le Rapport Stern pour le change-ment climatique, devrait être conclu en 2010. n

1. Le rapport de l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire est disponible sur le site internet : www.milleniumassessment.org

2. JACQUET (P.) et TUBIANA (L.) (dir.), Regards sur la Terre 2008, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 217-230.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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Le concept de gouvernance multiniveau

peut permettre d’intégrer la stratégie

pluridimensionnelle indispensable

au développement durable

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Longtemps clé de voûte des politiques nationales et internationales, l’État n’est plus en mesure de relever les défis transnationaux posés par le développement durable. La place prédomi-nante prise par des acteurs non étatiques et leur capacité croissante d’interconnexion tra-duisent l’émergence de mécanismes de gouvernance multiniveau dans la politique mondiale. Dès lors, le rôle de l’État évolue du contrôle des politiques à leur coordination.

VERS LA GOUVERNANCE MULTINIVEAU

JAYASHREE VIVEKANANDANRESEARCH ASSOCIATE, SCIENCE AND TECHNOLOGY, RESOURCES AND GLOBAL SECURITY DIVISION, THE ENERGY AND RESOURCES INSTITUTE (TERI), NEW DELHI (INDE)

La gouvernance et le développement, dimen-sions fondamentales de l’activité humaine, sont très souvent appréhendés ensemble dans le cadre du discours sur la durabi-lité. Le développement durable requiert,

aujourd’hui que les mécanismes traditionnels de gouvernance des États soient basés sur un nouveau paradigme, et que l’action politique soit concertée à tous les niveaux. Un certain nombre de fonctions, jusque-là considérées comme des prérogatives de l’État, sont désormais remplies par un ensemble d’acteurs étatiques et non étatiques. Ce réajustement a fondamentalement modifié le paysage politique de la gouvernance, notamment en ce qui concerne les acteurs et les processus intervenant dans la gestion des questions de développement durable.Si l’adaptation des modèles classiques de gouver-nance aux impératifs du développement durable semble difficile, le concept de gouvernance multi-niveau peut permettre d’intégrer la stratégie pluri-dimensionnelle indispensable au développement

durable. Forts de cette approche, les différents acteurs –  État, communauté scientifique, société civile et citoyens – peuvent alors détenir un rôle en matière d’élaboration des politiques de développe-ment.

UN DISCOURS INADAPTÉ AU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Le développement durable, concept intégrateur par nature, met l’accent sur l’imbrication des dimen-sions environnementales, économiques et sociales du développement1. La compréhension de ces liens est fondamentale pour la gestion des ressources naturelles. La logique de leur renouvellement prend appui sur les cycles concomitants d’épuisement et de régénération, et la régulation de leur utilisation a un impact direct sur les communautés qui en dépen-dent. Les ressources naturelles, telles que les océans et les sources d’eau douce, peuvent renouveler leurs stocks si leur extraction n’excède pas leur capacité de régénération. C’est en préservant l’équilibre entre

DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANT CHAPITRE 4

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consommation et reconstitution qu’une énergie renouvelable devient durable2.L’étendue et la complexité des défis posés par le développement durable aux structures actuelles de gouvernance à travers le monde sont transnationales. Or, selon le modèle classique de la gouvernance, l’État est la clé de voûte des politiques nationales et internationales. Il défend une conception rigide de la souveraineté, articulée non seulement autour d’une perspective étroite et statique de la sécurité, mais aussi autour d’une gestion des ressources

naturelles perçue comme une prérogative souveraine. Cette conception statocen-trique conventionnelle de la gouvernance, et le mode descendant d’élaboration des politiques qui l’accom-pagnent, sont remis en cause par l’extension de la mondialisation, le dévelop-

pement des technologies de la communication et une préoccupation croissante pour les grandes questions transnationales.Le développement durable est complexe parce qu’il implique différents niveaux. Celui auquel les actions sont menées – générant par exemple des change-ments environnementaux  – n’est souvent pas le même que celui auquel les décisions les régulant sont prises. Cette disjonction se produit parce que les ressources naturelles sont possédées et utili-sées de façon collective, contrairement à l’appro-priation des unités de ressource. C’est l’opposition entre utilisation publique et consommation indivi-duelle des ressources communes qui conduit à un développement non durable. De fait, l’extraction des ressources relève plutôt de la théorie du bien privé, tandis que les stratégies visant à coordonner leur utilisation, à en distribuer les bénéfices et à faire appliquer des dispositions acceptables se rappro-chent plus de la théorie du bien public3.Les ONG ont mis en évidence le coût local d’un développement effréné  ; ce que les institutions

multilatérales avaient été incapables de faire4. Le développement non durable affecte négativement les moyens de subsistance des populations, en provoquant la salinisation des sols, la pollution des rivières, la déforestation, etc. Concrètement, les préoccupations liées au développement durable s’enchevêtrent, au niveau local, avec une multitude d’autres questions. Pourquoi en effet les populations touchées seraient-elles sensibles aux avantages d’un environnement sain si celui-ci entrave leurs moyens de subsistance  ? Ainsi, la fermeture d’une usine polluante qui affecterait l’emploi local. Pour définir des stratégies durables, les décideurs politiques doivent impérativement prévoir des mesures d’indem-nisation appropriées des populations locales5.L’analyse de la relation entre citoyenneté et dévelop-pement durable déplace le cadre de référence de la sécurité de l’État vers celle des personnes. Et bien qu’omniprésentes, les questions affectant la sécurité des personnes sont par nature plus nationales qu’in-ternationales. Elles ont un impact direct sur la vie des groupes socialement marginalisés et tout le défi consiste à élever le débat aux niveaux national et régional6.La faiblesse des institutions de gouvernance alimente également la crise environnementale. Le manque d’agences efficaces de mise en œuvre et de surveillance favorise la dégradation des ressources naturelles. Si les grands projets d’infrastructures s’avèrent des désastres environnementaux, c’est essentiellement parce que les décideurs politiques ne respectent pas les règles en vigueur lorsqu’ils donnent leur feu vert à de telles entreprises. Les rapports d’évaluation de l’impact environnemental (REIE) et les engagements publics sont générale-ment ignorés avant le démarrage des projets, et il est par ailleurs peu probable que des fonctionnaires ayant autorisé un projet non viable soient un jour sanctionnés. Or « lorsque les institutions chargées de la mise en application a posteriori font défaut, l’obliga-tion de s’expliquer a priori n’a pratiquement aucune chance d’atteindre son objectif déclaré7 ». La clé du développement durable se situe dans la recherche de

L’étendue et la complexité

des défis posés par le développement durable

aux structures actuelles de gouvernance

à travers le monde sont transnationales

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solutions sociales efficaces grâce à des mécanismes de gouvernance réactifs, plutôt que dans la mise en œuvre de mesures techniques8.La mesure des coûts humains et environnementaux d’un développement non durable est dans une large mesure tributaire des dynamiques sociales et politi-ques au sein de chaque société. Par-delà l’inadéqua-tion de l’information, véritable barrière empêchant le public de se forger une bonne compréhension des impacts environnementaux, trouver le juste milieu entre les perceptions concurrentes de l’intérêt des populations est un problème politique. Pour que le développement durable soit une alternative viable à nos pratiques actuelles de développement, il est impératif d’évaluer les ressources communes en tant que biens publics valorisés indépendamment de leurs valeurs économiques9.

LA GOUVERNANCE MULTINIVEAU : UN NOUVEAU PARADIGME

Le concept de « tragédie des biens communaux » de Garrett Hardin décrit l’état apocalyptique vers lequel nous conduit la quête égoïste des avantages des biens communs : « la ruine est la destination vers laquelle courent tous les hommes, chacun recherchant son propre intérêt dans une société qui croit en la liberté des biens communaux10. »Pour se dégager de l’appropriation égoïste des ressources naturelles et protéger l’environnement, la société et l’État doivent dépasser les modes traditionnels de gouver-nance. L’État n’est pas alors en situa-tion d’opposition avec les autres acteurs (la société civile, l’indus-trie ou les organisations internatio-nales), mais à leurs côtés dans son effort pour assurer la pérennité des biens publics. Comme l’explique la littérature consacrée à la gouvernance multiniveau, l’État est impliqué dans différentes étapes du contrôle

politique. « Ce qui est en train d’émerger à la place des anciens discours est l’idée d’un système politique à multiples niveaux, qui fait pression sur les diverses institutions et processus à travers lesquels les sociétés sont gouvernées11. »La place prédominante prise par des acteurs étran-gers aux structures hiérarchiques formelles de l’État, associée à leur capacité croissante d’interconnexion, traduit l’émergence de ces mécanismes de gouver-nance multiniveau. Celle-ci suppose l’existence d’influences multiples se chevauchant, caractéris-tiques des processus d’élaboration des politiques de l’ordre mondial actuel. Les États se découvrent dans l’obligation de partager l’élaboration des politi-ques avec un ensemble d’acteurs non gouverne-mentaux dont la participation accrue aux processus politiques fait évoluer le rôle de l’État du contrôle des politiques à leur coordination12. Cette néces-sité de revisiter l’interprétation conservatrice de la gouvernance vient de la nature même des questions en jeu. Le développement durable touche en effet à la fois à la sécurité des personnes et à celle de

l’État  ; il transcende les frontières politiques et sa complexité implique la coopération de divers acteurs à de multiples niveaux. La répar-tition de la prise de décision entre différents niveaux politiques est le signe de l’émergence d’un système politique multiniveau qui rend d’autant plus nécessaire l’orientation vers une nouvelle structure de gouvernance capable d’intégrer un ensemble d’acteurs à différentes échelles (mondiale, régionale, sous-régionale, nationale et locale).Une compréhension plus large de la gouvernance et de ses acteurs est indispensable. Ces derniers sont nombreux : citoyens (forums citoyens, organi-sations communautaires), sphère économique (industrie, monde des affaires, sociétés multi-nationales), communauté scientifique (secteur de la recherche, organisations scientifiques), société civile (ONG, médias, syndicats, réseaux

sociaux transnationaux) et structures coopératives mondiales ou régionales. La gouvernance multiniveau

TRAGÉDIE DES BIENS COMMUNAUX

Thèse défendue dans un livre éponyme publié par Garett Hardin en 1968 où il explore les enjeux de la gestion des ressources naturelles commu-nes. La thèse soutenue par Hardin est que les individus, cherchant à maximiser leurs gains personnels, en viennent à sur-utiliser et à détruire la ressource commune. Ce résul-tat découle du calcul rationnel selon lequel le gain marginal d’une unité additionnelle de la ressource est plus grand pour un individu que la perte encou-rue par la détérioration de la ressource, qui elle est partagée entre tous. Hardin conclut que la liberté des utilisateurs d’une ressource commune doit être restreinte afin d’éviter la tragé-die des biens communaux.

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participative a des conséquences importantes sur la façon dont les questions sont définies, négociées et traitées. Elle repose sur le principe selon lequel plus la prise de décision est participative, plus elle implique les acteurs directement touchés par les décisions, et plus elle est susceptible de répondre aux besoins locaux13. Elle permet également d’aller au-delà de l’interpréta-tion formelle de la citoyenneté et de mesurer la vigueur des revendications des personnes qui luttent pour la satisfaction de leurs droits et de leurs besoins au sein de cette structure participative. La gouvernance multi-niveau traduit une relation État-société de plus en plus complexe, où les acteurs en réseaux jouent un rôle prédominant dans la prise de décision.Liesbet Hooghe et Gart Marks ont identifié deux caractéristiques centrales de la gouvernance multi-niveau de l’Union européenne14. Tout d’abord, bien que les États restent les acteurs centraux en matière de prise de décision, les compétences sont partagées et disputées entre acteurs intervenant à différents niveaux territoriaux, au lieu d’être monopolisées par les gouvernements nationaux. Ensuite, les domaines politiques sont interconnectés à travers des réseaux formels et informels. Les acteurs locaux interviennent simultanément dans des domaines nationaux et supranationaux, créant ainsi des réseaux transnationaux. Des chercheurs, tels que Neera Chandhoke15, parlent d’une émergence de « la gouvernance en réseau » au sein de laquelle un ensemble d’acteurs non étatiques, situés au-dessus et en dessous du niveau étatique, partagent avec l’État les fonctions de prise de décision et de mise en œuvre. La gouvernance en réseau implique donc l’État dans un réseau d’acteurs qui s’étend horizontalement – à des acteurs de la société civile et de l’industrie – et verticalement –  depuis le niveau mondial jusqu’aux niveaux sous-régionaux et locaux. Ce réseau se développe essentiellement à partir de partenariats coopératifs – plutôt que sur des positions conflictuelles –, lesquels sont par nature, et contrai-rement à l’appareil d’État formel, adaptables, fluides et flexibles16. Dans la gouvernance multiniveau, « les

gouvernements supranationaux, nationaux, régionaux et locaux sont impliqués dans des réseaux de politi-ques territorialement prédominants17 ». Cependant, tous les liens ne sont pas hiérarchisés, au sens où ils ne passent pas toujours à travers tous les niveaux de contrôle politique : il est fréquent que les acteurs nationaux et supranationaux communiquent directe-ment via des réseaux transnationaux sans passer par le niveau national.Les réponses institutionnelles sont multiniveau parce que les problèmes environnementaux qu’elles cherchent à résoudre le sont. Les dégradations de l’environnement ont, par essence, une très large portée, ce qui en fait des sources endémiques de conflits. Une question transfrontalière telle que celle de l’eau fait l’objet de contestation depuis le niveau international jusqu’aux niveaux national et local. De la réduction de la couche d’ozone au niveau mondial au problème plus localisé de la pollution de l’air, les crises environnementales affectent toutes les échelles de l’activité politique. Elles requièrent une approche multidirectionnelle intégrant les initiatives mondiales, telle la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), comme les

initiatives de protection de proxi-mité, tel le syndrome Nimby (Not in my backyard).On pourrait citer à titre d’exemple la solution locale à laquelle les décideurs politiques sont parvenus à Alanya, en Turquie, dans les années  1970, pour contrôler la pêche non réglementée. Les autorités nationales ont laissé aux coopératives locales une liberté de manœuvre suffisante pour qu’elles trouvent elles-mêmes des solutions innovantes de nature à

résoudre le problème. Dans l’accord final imaginé par ces dernières, des sites de pêche ont été alloués aux pêcheurs admissibles, suivant une rotation en phase avec les saisons de migration des stocks. L’aspect le plus ingénieux de cet accord est qu’il a permis,

SYNDROME NIMBY

Not in my backyard : concept décrivant les mouvements organisés de groupes et rési-dents d’une localité contre un développement ou un inves-tissement proposé dans cette même localité, et ce même si le projet apporte des bénéfi-ces à l’ensemble de la popu-lation. C'est notamment le cas des groupes de citoyens s’op-posant à la construction d’éo-liennes dans leur municipalité en raison du bruit et de l’al-tération du paysage qu’elles causent.

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTVERS LA GOUVERNANCE MULTINIVEAU

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grâce à l’organisation du déploiement des pêcheurs, d’optimiser la production tout en régulant les activités individuelles. Cet exemple permet de démontrer que la gouvernance des ressources communes exige un partage du pouvoir à tous les niveaux, y compris avec des acteurs n’appartenant pas à l’appareil de l’État. Le fait de trouver des solutions localisées est une avancée importante dans la lutte contre les problèmes de portée mondiale. De même, le fait de reconnaître le lien intrinsèque entre le niveau mondial et le niveau local est indispensable pour bien comprendre le développement durable18.Différents niveaux de contrôle politique peuvent être interconnectés au sein du processus de dévelop-pement durable. Au niveau local, par exemple, la résilience et la faculté d’adaptation des ménages aux effets d’un développement non durable (tels que les changements climatiques) dépendent du fonctionnement du système aux niveaux national et mondial. Ce fonctionnement inclut, entre autres, des flux d’information, une structure fédérale, des systèmes de commercialisation et de livraison facili-tant la diffusion des ressources. La nature du système politique a deux conséquences importantes sur la façon dont les changements environnementaux sont abordés au niveau national. En premier lieu, un système politique plus ouvert permet l’expression de protestations et de flux d’information, obligeant les administrations publiques à réagir face aux crises environnementales. Des chercheurs comme Jean Drèze et Amartya Sen soutiennent qu’une société civile vigilante peut agir comme un système d’alerte précoce qui, associé aux contributions d’agences spécialisées, attire l’attention du gouvernement sur des crises imminentes requérant des mesures urgentes19. En deuxième lieu, le fonctionnement et l’efficacité d’un système politique ont des réper-cussions directes sur la façon d’appréhender les changements environnementaux. La gestion des bassins versants en Inde a ainsi bénéficié d’inves-tissements importants pour des activités structu-relles telles que la construction de barrages, alors que les dépenses consacrées au renforcement des

capacités des communautés locales à travers des groupes de gestion du bassin versant sont restées relativement faibles.

LES ACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Les institutions internationales du développement durable sont multiples. Les questions environnemen-tales ont dès l’origine été réparties entre diverses agences des Nations unies. Depuis les agences inter-gouvernementales – organismes spécialisés tels que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)  – jusqu’aux organisations issues de traités, comme la Commission baleinière internationale, en passant par les banques de développement telles que la Banque mondiale, les organisations multilatérales mènent depuis deux décen-nies une politique environne-mentaliste selon des modes très variés. L’action de ces organismes intergou-vernementaux est complétée par des programmes environnementaux nationaux qui font le lien sur de nombreuses questions relevant du développement durable : utilisation des ressources, droits de l’homme et développement social… Avec l’inconvénient que pour résoudre des problèmes locaux, les acteurs clés doivent parcourir la totalité de la structure de prise de décision pour finalement élaborer des politiques répondant à des besoins locaux.

L’État : négocier l’agenda de la gouvernance. Pour rendre le discours sécuritaire sensible à l’environne-ment, plusieurs phases ont été nécessaires. Les tout premiers écrits avaient tendance à vouloir redéfinir la notion de sécurité en étendant l’agenda politique aux questions environnementales. La connexion ne s’imposant pas d’elle-même, la génération suivante de chercheurs a délaissé la sécurité pour examiner, à travers des études de cas, les liens entre conflits et

Les États se découvrent dans l’obligation de partager l’élaboration des politiques avec un ensemble d’acteurs non gouvernementaux

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environnement. Bien que le cadre de référence se soit déplacé vers des questions plus intra-étatiques qu’interétatiques, la thématique de la sécurité des personnes ne s’est développée que plus tard20.Que le discours environnemental soit profondément marqué par la notion d’étatisme transparaît clairement à travers les différences de répartition des droits et des responsabilités dans les pays développés et en dévelop-pement. Les États sont tout sauf des entités homogènes et les disparités entre pays créent un véritable clivage, qui doit être reconnu et dont il faut tenir compte lorsque l’on aborde les questions environnementales. Dans tous les pays, il existe des individus plus vulnéra-bles que d’autres face à un problème environnemental donné. Lorsque les réseaux transnationaux dépassent

les frontières de l’État pour se rapprocher des groupes affectés, l’hétérogénéité des expériences devient plus visible et peut à son tour déboucher sur des alliances entre pays habituellement

séparés par des disparités économiques21. Comme le montrent les mouvements en faveur de l’environ-nement, l’activité politique englobe des processus informels, tels que la mobilisation citoyenne autour d’un problème, totalement distincts des institutions officielles de prise de décision22.Ceci dit, l’État reste, à plus d’un titre, un acteur clé de la politique internationale. Même si nous constatons des progrès dans l’activité transnationale institution-nalisée, sous la forme d’organisations internationales et régionales, il continue d’être l’unité de représenta-tion dans les forums internationaux (tels que l’ONU), et le premier artisan de la création d’entités intégrées (telles que l’Union européenne). En outre, aucun acteur ou agence n’est réellement transnational dans la politique internationale actuelle. Les réseaux trans-nationaux et les entreprises multinationales dépen-dent de l’infrastructure et de la sécurité de l’État pour la conduite de leurs opérations, même si une grande partie de leurs activités peut être menée en dehors du pouvoir de l’État. L’importance de la structure

formelle est soulignée par le fait que les protestations et les exigences des mouvements locaux s’adressent à l’appareil étatique pour obtenir, selon les cas, son action ou son inaction.Les États restent ainsi des acteurs clés du développe-ment durable. Du fait de leur niveau élevé d’industria-lisation et de croissance urbaine, les pays développés ont été des contributeurs importants au réchauffe-ment de la planète et aux problèmes qui en résultent. Sur le plan démographique, des pays en dévelop-pement, comme la Chine et l’Inde, représentent 35 % de la population mondiale totale. La Chine est devenue aujourd’hui le plus gros émetteur de dioxyde de carbone – 16 des 20 villes les plus polluées du monde s’y trouvent –  et l’Inde est le troisième plus grand pollueur au mondea selon les indications de Lauren Phillips23. Les quatre puissances émergentes que sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (les BRIC) deviendront les principaux consommateurs d’énergie et centres de production au cours des cinquante prochaines années. Il est capital que les initiatives de développement durable s’assurent le concours de ces États clés.

Les scientifiques : éclairer les décisions politiques. La manière de présenter un problème détermine grandement sa perception par le public. Les environ-nementalistes fournissent généralement des analyses denses en données et informations, dont le grand public a dû mal à saisir la portée. Or, dès l’instant où l’on présente le problème en termes d’impact sur la population ou de justice sociale, la mobilisation populaire devient possible. La forêt amazonienne est un exemple type d’une cause ancienne reformulée avec succès : la croisade en faveur des droits terri-toriaux locaux s’est longtemps révélée inefficace, alors qu’elle a bénéficié d’un très large écho dès qu’elle a été exprimée en termes de déforestation24

a. L’industrie du fer et de l’acier est responsable de 87 % de la pollution des eaux, l’industrie du ciment de 34 % de la pollution de l’air. Sept États indiens sont à eux seuls responsables de près de 70  % de la pollution industrielle du pays.

Il est capital que les initiatives

de développement durable s’assurent

le concours des BRIC

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTVERS LA GOUVERNANCE MULTINIVEAU

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(lire chapitre 6). Ici, une campagne en faveur des droits de l’homme a été réinterprétée en tant que problème environnemental.Dès que l’opinion est divisée sur la nature et l’ampleur d’une crise environnementale, les arguments scien-tifiques commencent à être contestés. Par exemple, les avis de la communauté scientifique divergent fortement concernant la fonte des glaces sur cette question fondamentale  : celle-ci a-t-elle atteint un rythme suffisamment alarmant pour justifier des actions concertées urgentes de la part de la commu-nauté internationale ? Dans de telles situations, toute preuve crédible devient capitale puisque les questions dites « scientifiques » sont soumises à interprétation et donc à controverse.Alan Irwin cite le cas de la substance carcinogène 2,4,5-T utilisée comme pesticide en Angleterre au début des années  1980. Lorsque le caractère toxique du pesticide a été porté à la connaissance du public, l’importance accordée aux risques par les parties concernées a varié suivant le crédit qu’elles accordaient aux preuves avancées. En tant que communauté la plus concernée, les agriculteurs ont jugé celles-ci suffisamment convaincantes pour exiger que la substance soit inter-dite. Mais de son côté, la Commis-sion consultative des pesticides, formée d’experts, a décrété qu’en l’absence d’autres preuves fiables prouvant de façon définitive la toxicité de la substance, le pesti-cide ne devait pas être interdit25.Le phénomène des pluies acides constitue un autre exemple intéressant de l’hétérogé-néité de la perception des connaissances. Il a requis l’intervention d’experts venus de la chimie, de la météorologie et de l’agriculture. Leurs conclusions ont été bloquées devant l’incertitude de pouvoir mettre en œuvre, sur le plan social, les solutions proposées d’une manière qui soit jugée satisfaisante par les décideurs politiques, les environnementalistes et les groupes de défense. Comme le met en évidence Alan Irwin26, cette

confrontation de la communauté scientifique avec la réalité sociale fait tomber la science du piédestal sur lequel le modèle de développement traditionnel l’avait placée, et met en lumière sa nature négociée et ses limitesb.

Des réseaux transnationaux interconnectés. En tant qu’acteurs simultanément impliqués dans la politique nationale et internationale, les réseaux transnationaux (RTN) constituent l’un des nombreux facteurs qui renforcent la porosité des acteurs et des institutions et représentent un phénomène curieux qui échappe aux classifications. Margaret Keck et Kathryn Sikkink se réfèrent aux réseaux transnationaux de plaidoyer, qui se développent dans les espaces séparant fonction-nellement et spatialement les différents acteurs. Ils partagent de manière intensive l’information, laquelle devient un outil puissant pour lever les ambiguïtés pesant sur certaines questions, et pour transformer un problème existant en une nouvelle préoccupa-tion. Ces réseaux présentent des caractéristiques qui leur sont propres, et en particulier la prépondé-

rance accordée à certaines valeurs qui devien-nent le point de ralliement de la mobilisation. L’importance donnée à de tels principes leur permet de développer une attitude morale sur les sujets qui les concernent. Depuis la trans-mission de l’information jusqu’au recours à un personnel spécialisé, les réseaux transnatio-naux sont à cheval entre sphères nationales et internationales27.Ces réseaux établissent des liens avec des acteurs opérant au sein de l’appareil d’État, de la société civile et d’organisations inter-

nationales, élargissant ainsi la voie d’accès aux questions tant internationales que nationalesc.

b. Une étape fondamentale à cet égard consisterait à créer des magasins scientifiques qui agiraient comme intermédiaires entre les citoyens et la communauté scientifique et mettraient à la disposition du public des infor-mations techniques socialement utiles.

c. Le terme « accès » implique ici la disponibilité à la fois des informations et des ressources, que ce soit au niveau des renforts matériels ou tout simple-ment des facilités logistiques apportées par un partenaire local.

PLUIES ACIDES

Précipitations (pluie, neige, brouillard) qui se sont acidi-fiées au contact du dioxyde de soufre et de l'oxyde d'azote contenus dans l'atmosphère et émis surtout par les usines et les voitures. Elles peuvent tomber à des centaines de kilo-mètres du lieu d'émission des polluants et affectent grave-ment les écosystèmes (surtout les forêts) et certains matériaux utilisés dans les bâtiments.

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Les réseaux transnationaux forment « des structures communicatives  » cherchant à se connecter avec des agences de terrain. De fait, l’un des éléments clés d’une campagne réussie est le rassemble-ment efficace autour d’un même sujet d’acteurs à la poursuite d’objectifs différents28. Pour expliquer la manière dont fonctionnent les réseaux, Maragret Keck et Kathryn Sikkink évoquent l’effet boomerang. Le manque de communication avec l’État génère une incapacité des organisations nationales à exercer une quelconque influence sur l’élaboration des politiques. Dans un tel contexte, les organisations peuvent être

amenées à court-circuiter les canaux étatiques et à mobiliser des partenaires internationaux pour exercer une influence extérieure sur l’État. Cet impact par ricochet est possible grâce à un déploiement stratégique

de l’information, comme le montrent de nombreuses campagnes en faveur des droits de l’homme29.Néanmoins, tout plaidoyer en faveur du dévelop-pement durable n’aboutit pas nécessairement à un consensus entre les différents acteurs ; ceux-ci mettent parfois un terme à leur collaboration faute de compréhension réciproque, comme le montre la campagne contre l’abattage des arbres à Sarawak, en Malaisie. Alors que la communauté des chercheurs tentait d’éclairer le problème à l’aide d’informations scientifiques et documentées, les réseaux d’ONG, de leur côté, politisaient la campagne en redéfinissant la nature de ce qu’elles considéraient comme crédible (les témoignages par exemple), mais aussi en introduisant d’autres acteurs dans le processus de négociation pour augmenter leur poids.D’ailleurs, même si les causes d’une menace environ-nementale transnationale sont faciles à établir, ses conséquences peuvent, pour diverses raisons, être minimisées. Le brouillard qui a affecté l’Asie du Sud-Est au milieu des années 1990 fournit un exemple de ce type de situation. Il avait pour origine les brûlis pour

préparer le sol à la culture, pratiqués dans les forêts d’Indonésie puis étendus aux pays voisins, Singapour et Malaisie notamment. Incapable de faire respecter par les propriétaires de plantations l’interdiction du brûlis malgré la législation existante, le gouverne-ment indonésien n’en a pas moins accusé les fermiers pauvres de cette pollution. Le gouvernement malaisien, quant à lui, n’a communiqué aucune information sur l’ampleur des dommages par peur de l’impact négatif que le brouillard pourrait avoir sur le tourisme30.

L’industrie  : observer des pratiques durables. Le discours sur le développement durable ne serait pas complet sans prendre en compte le rôle du secteur privé, qu’il s’agisse des lobbies d’affaires intervenant de façon transnationale ou des acteurs du monde des affaires ancrés localement. Grâce à leurs échanges commerciaux, les acteurs du secteur privé forment des groupes solidement interconnectés entre eux, mais également liés à la sphère politique. Au-delà de cette influence politique –  qui varie selon son domaine d’activité et sa capacité économique – et parce qu’elle joue un rôle clé dans la production et la prestation des services, l’industrie s’impose comme

un acteur de poids, dont la coopé-ration est essentielle au succès de tout paradigme de développement durable. Sa responsabilité dans la dégradation de l’environnement (pollution de l’eau, abattage fores-tier et extraction minière excessive, par exemple) le montre, même si les États ont, eux aussi, une part de responsabilité non négligeable,

dans la mesure où ils promulguent des réglemen-tations permissives au lieu de faire appliquer des normes de qualité. Mais la coopération de l’indus-trie est décisive pour endiguer les dommages causés par un développement non réglementé.À cet égard, la notion de responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui repose sur l’hypothèse que l’intérêt des entreprises et l’éthique sociale ne sont pas antithétiques, se trouve au centre du discours

La coopération de l’industrie est décisive

pour endiguer les dommages causés par

un développement non réglementé

PARADIGME

Ensemble cohérent de croyan-ces, valeurs, représentations et normes qui forment un système de perception du monde ou d’un domaine. Un paradigme est une approche théorique, un ensemble d’hy-pothèses ou un modèle qui sert de principe organisateur et de guide pour la pensée.

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTVERS LA GOUVERNANCE MULTINIVEAU

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sur le développement (lire chapitre 7). La RSE implique que ces dernières assument la responsabi-lité des conséquences de leurs actions et prennent des mesures proactives pour rendre durables à long terme leurs relations avec le reste de la société et l’environnement. Bien que largement accepté, ce concept n’est à ce jour pas complètement intégré dans les approches nationales du développement. En Inde par exemple, la responsabilité sociale des entreprises est encore trop souvent abandonnée à l’autorégulation. Ceci est largement dû au manque de pressions concertées exercées par la société civile en faveur du développement de mécanismes corégle-mentaires impliquant des parties multiples. À l’échelle internationale, la première initiative de gouvernance dans le domaine de la RSE a été le Pacte mondial des Nations unies lancé en 2000, avec pour objectif d’obtenir la participation de différents acteurs à l’élaboration des politiques de responsabi-lité sociale des entreprises participantesd. L’une de ses principales difficultés a été la représentation et la participation des acteurs de l’industrie et la repré-sentation faible des organisations syndicales. Les entreprises engagées dans des initiatives de RSE ne représentent qu’une petite partie des 61 000 multi-nationales qui dominent le monde des affaires aujourd’hui.Ceci nous amène au thème plus large de la redeva-bilité (accountability) et à la façon dont celle-ci est conçue au sein des structures de gouvernance internationale et multiniveau. Avec la réactivité des systèmes de gouvernance multiniveau, la diffusion du pouvoir a apporté dans son sillage un plus grand intérêt pour la notion de redevabilité. Lorsque diffé-rents acteurs sont responsables et que la prise de décision devient collective, il est difficile de tenir un acteur particulier pour responsable des résultats31. Une des solutions consiste alors à faire appel à une

d. Les dix principes du Pacte mondial des Nations unies prévoient notam-ment des mesures pour encourager la responsabilité environnementale et pour faciliter la diffusion de technologies écologiques, voir sur le site internet : www.unglobalcompact.org

forme transnationale de règlement des litiges. Elle permet aux États et aux citoyens affectés de tenir les entreprises pour redevables dans leur pays d’origine ; y compris pour les activités de leurs filiales dans d’autres pays. Les batailles juridiques relevant d’un règlement transnational sont nombreuses, comme en témoignent notamment les poursuites engagées en 1994 contre Rio Tinto au Royaume-Uni par un ancien employé contaminé par de l’uranium toxique sur l’un des sites de la compagnie en Namibie  ; ou contre Union Carbide suite à la catastrophe de Bhopal (Inde) en 1984 au cours de laquelle 19 000  personnes ont péri à cause des émana-tions chimiques toxiques produites par une usine de cette société. En fin de compte, la bonne gouvernance des entreprises reste du ressort de l’État souverain qui doit pénaliser les excès transnationaux commis sur son territoire par les multinationales qui en sont originaires.

Les citoyens : le visage humain du développement. Pour que le développement soit durable, les relations de la société avec l’environnement doivent être soutenues. Reconnaître que la nature ne peut exister indépendamment du social nous amène à penser que les crises environnementales expriment des problèmes fondamentaux de la société et reflètent une vision mondiale faussée de ce que constituent la citoyenneté, la connaissance et le progrès32.Repenser le développement exige aussi de repenser ce qui fonde la connaissance. Le développement est traditionnellement considéré comme une diffusion de la connaissance à partir d’un centre où elle est générée. Le public est perçu comme le destinataire passif des avantages offerts par le développement, équation qui le place donc au bout de la chaîne de production de la connaissance. Comme le note Alan Irwin, « la citoyenneté » ne commence aujourd’hui que lorsque « l’expertise » a défini l’ordre du jour environ-nemental33. Ce modèle donne au progrès scientifique une telle place dans le développement humain que

Donner du pouvoir aux citoyens par la reconnaissance de leurs droits sur les ressources

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la moindre tension entre les citoyens et la science est attribuée à l’irrationalité de l’opinion publique. Ce poids accordé aux sciences formelles a eu pour conséquence de discréditer les savoirs traditionnels, qui n’ont plus de place dans le schéma général. Cette équation biaisée a rendu le développement actuel non durable, parce qu’incapable de s’adapter aux besoins locaux, humains comme environnementaux. La durabilité doit au contraire corriger, voire inverser cette équation, au profit de pratiques locales donnant du pouvoir aux citoyens par la reconnaissance de leurs droits sur les ressources. La sécurité des personnes, mais également celle des États, n’a pas la même valeur et n’est pas respectée de la même manière selon les pays. Suite à la tragédie de Bhopal et alors que l’Inde s’était portée partie plaignante et réclamait 3 milliards de dollars

d’indemnités, la somme finalement accordée aux survivants n’a pas dépassé 470 millions de dollars à l’issue d’une longue bataille juridique aux États-Unis. Par contre, pour la marée noire causée par Exxon en 1989, l’Alaska s’est vu attribuer 1 milliard de dollars. La population d’Alaska a donc été mieux indemnisée pour la perte de ses moyens de subsis-tance que les survivants de la tragédie chimique de Bhopal. Plus grave encore, un État souverain n’est pas parvenu à obtenir une indemnisation et une pénali-sation appropriées, ce qu’un ensemble de plaignants privés appartenant à une entité infra-étatique a réussi

de son côté34.Le projet hydraulique des hautes terres du Lesotho en Afrique du Sud fournit un autre cas de pratique de développement non durable. Réalisées dans un contexte de corruption généralisée, les études

1. GEORGE (C.), « Sustainable Development and Global Governance », The Journal of Environment and Development, 16, 2007, p. 103.

2. OSTROM (E.), Governing the Commons : The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 30.

3. OSTROM (E.), Governing the Commons, op. cit., p. 32-34.

4. KECK (M.) et SIKKINK (K.), Activists Beyond Borders, New York (N. Y.), Cornell University Press, 1998, p. 127-129.

5. IRWIN (A.), Citizen Science : A Study of People, Expertise and Sustainable Development, Londres, Routledge, 1995, p. 94.

6. NAJAM (A.), « Broadening the Security Debate : Human and Environmental Dimensions », dans Sustainable Development : Bridging the Research/Policy Gaps in Southern Contexts, volume 1, Environment, Sustainable Development Policy Institute, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 45.

7. GOETZ (A.-M.) et JENKINS (R.), Reinventing Accountability : Making Democracy Work for Human Development, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2005, p. 64.

8. NAJAM (A.), « Broadening the Security Debate », art. cité, p. 46.

9. GEORGE (C.), « Sustainable Development and Global Governance », art. cité, p. 106.

10. HARDIN (G.), « The Tragedy of the Commons », Science, 162, 1968, p. 1 244.

11. GAMBLE (A.), « Policy Agendas in a Multi-Level Polity », dans A. Gamble et al., Developments in British Politic, 6, Londres, Macmillan, 2000.

12. BACHE (I.) et FLINDERS (M.), Multi-Level Governance, Oxford, Oxford University Press, 2004.

13. BACHE (I.) et FLINDERS (M.), « Multi Level Governance and the Study of the British State », Public Policy and Administration, 19 (1), 2004, p. 31-51.

14. HOOGHE (L.) et MARKS (G.), Multi-Level Governance and European Integration, Londres, Rowman et Littlefield, 2001.

15. CHANDHOKE (N.), The Conceits of Civil Society, New Delhi, Oxford University Press, 2003.

16. GOETZ (A.-M.) et JENKINS (R.), Reinventing Accountability, op. cit., p. 22.

17. MARKS (G.), « Structural Policy and Multi-Level Governance in the EC », dans A. Cafruny et G. Rosenthal (eds.), The State of the European

Community : The Maastricht Debate and Beyond, Boulder (Colo.), Lynne Reinner, 1993.

18. OSTROM (E.), Governing the Commons, op. cit., p. 20-21.

19. DRÈZE (J.) et SEN (A.), India : Development and Participation, New Delhi, Oxford University Press, 2005.

20. NAJAM (A.), « Broadening the Security Debate », art. cité, p. 33-35.

21. KECK (M.) et SIKKINK (K.), Activists Beyond Borders, op. cit., p. 125.

22. IRWIN (A.), Citizen Science, op. cit., p. 45.

23. PHILLIPS (L.), « International Relations in 2030 : The Transformative Power of Large Developing Countries », discussion paper, Bonn, German Development Institute, 2008.

24. KECK (M.) et SIKKINK (K.), Activists Beyond Borders, op. cit., p. 17.

25. IRWIN (A.), Citizen Science, op. cit., p. 67.

26. IRWIN (A.), Citizen Science, op. cit., p. 48.

27. KECK (M.) et SIKKINK (K.), Activists Beyond Borders, op. cit., p. 9.

28. KECK (M.) et SIKKINK (K.), Activists Beyond Borders, op. cit., p. 3.

29. KECK (M.) et SIKKINK (K.), Activists Beyond Borders, op. cit., p. 12.

30. GOETZ (A.-M.) et JENKINS (R.), Reinventing Accountability, op. cit., p. 66-67 ; KECK (M.) et SIKKINK (K.), Activists Beyond Borders, op. cit., p. 161.

31. GOETZ (A.-M.) et JENKINS (R.), Reinventing Accountability, op. cit., p. 23. 

32. IRWIN (A.), Citizen Science, op. cit., p. 42.

33. IRWIN (A.), Citizen Science, op. cit., p. 79.

34. GOETZ (A.-M.) et JENKINS (R.), Reinventing Accountability, op. cit., p. 70.

35. GOETZ (A.-M.) et JENKINS (R.), Reinventing Accountability, op. cit., p. 65.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTVERS LA GOUVERNANCE MULTINIVEAU

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d’évaluation de l’impact du projet sur les commu-nautés situées en aval n’ont pas été menées à terme. La réalisation du projet a rendu le prix de l’eau inabordable pour les populations pauvres qui avaient déjà souffert d’une distribution inégale à l’époque de l’Apartheid. Un jugement de 2002, qui fait jurispru-dence, a lourdement sanctionné à la fois le président de la Highlands Development Authority, l’institution en charge de la mise en œuvre de ce projet, et la société canadienne, Acres International Limited, impliquée dans la corruption des fonctionnaires. D’autres violations des droits de l’homme, lors de grands projets de développement, peuvent être mises en lumière. Citons l’indemnisation discriminatoire des populations marginalisées et dépossédées lors de la construction du barrage Sardar Sarovar en Inde. Ce projet ne reconnaissant pas aux femmes mariées le droit d’être propriétaires, la possession de terre ne leur a pas été reconnue et aucune indemnité ne leur a été versée pour la perte de revenus consécutive à la construction du barrage35.Au final, la gouvernance multiniveau paraît promet-teuse face aux objectifs de développement durable. Elle permet à différents acteurs de défendre des revendications concurrentes au sein du système de

gouvernance. Si de puissants groupes de pression peuvent avoir intérêt à faire avorter les tentatives d’imposer des restrictions à l’utilisation des ressources naturelles, les populations locales peuvent elles aussi défendre leurs droits sur ces ressources. Toutefois le degré de prise en considération des questions de développement durable dépend de la nature du système politique de chaque pays et de l’influence interne des acteurs concernés. Car même si les réseaux constitués sont transnationaux, l’État demeure le cadre où se joue la politique des ressources.Aucune solution ni accord institutionnel idéaux ne sont aujourd’hui prêts à être mis en œuvre. Ce qui s’en rapprocherait le plus – la gouvernance multini-veau, par exemple – implique des processus en proie à des contradictions difficiles à dépasser. De tels dispositifs, lorsqu’ils sont mis en œuvre, conduisent en effet à des solutions très variables, en fonction des multiples aspects du développement durable. Ils impliquent également des acteurs différents, dont les mandats se chevauchent, donnant lieu à des arrangements peu ordonnés, mais réactifs par rapport aux besoins concurrents de la société et de l’environnement.

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009138

Les pays en développement sont particulièrement vulnérables aux conséquences du changement climatique et aux catastrophes naturelles qu’il engendre. En Inde, le secteur agricole risque d’être particulièrement touché. Si certaines mesures de prévention sont déjà mises en place, beaucoup reste à faire.

CATASTROPHES NATURELLES : COMMENT SE TENIR PRÊT ?JYOTSNA BAPAT, CONSULTANTE SENIOR INDÉPENDANTE (INDE)

Difficiles à prédire et à quantifier, les effets du changement climatique pourraient aggraver la désertifica-tion et la perte de biodiversité et affecter négativement la disponi-

bilité et la qualité de l’eau douce dans de nom-breuses régions en raison des changements de température et de pluviométrie qui en découlent. La pollution de l’air, l’appauvrissement des sols et les changements dans la couverture forestière pourraient à leur tour modifier le climat, non seu-lement en déplaçant les sources et les puits de

gaz à effet de serre, mais également en modifiant l’absorption ou la réflexion des radiations solaires. Il est probable que le chan-gement climatique se tra-

duise par une augmentation de la fréquence, de l’intensité et de la durée des événements clima-tiques extrêmes (pluies plus importantes, séche-resses plus fortes, hivers plus rigoureux, étés plus chauds, etc.). Les conséquences en seraient la multiplication des catastrophes naturelles, et des conditions de vie encore plus difficiles dans les agglomérations, surtout pour les plus pauvres. Depuis les années  1980, tempêtes, inondations et sécheresses nous rappellent que le change-

ment climatique est un problème mondial qui affecte les zones forestières, les régions côtières et, plus particulièrement, l’agriculture. Les popu-lations des pays en développement et des pays émergents comme l’Inde sont particulièrement concernées.En Inde, le réchauffement aura un impact signifi-catif sur le Gange. Ce fleuve prend sa source dans l’Himalaya et est alimenté par plusieurs glaciers dont le Gangotri, le plus important d’entre eux, long de 26 kilomètres. Les chercheurs qui étudient ce glacier ont constaté qu’il reculait actuelle-ment de 20 mètres par an contre 16 mètres dans le passé. Si cette tendance devait se poursuivre pendant encore vingt-cinq ans, le Gange pourrait d’abord voir augmenter son débit en raison d’une fonte accélérée, pour ensuite s’assécher, au fur et à mesure de la diminution des réserves d’eau dans les montagnes. Cette évolution menacera la vie d’environ 400 millions de personnes dans les plaines bordant le Gange, qui en dépendent pour leur subsistance.Outre les conséquences sur la réduction de la biodiversité et sur les écosystèmes forestiers, le réchauffement climatique pourrait affecter la production agricole indienne. Dans les zones tropi-cales et subtropicales, où les températures sont en général très chaudes, les récoltes se déroulent déjà

Le plus important glacier alimentant le Gange

recule aujourd’hui de 20 mètres par an

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 139

dans un environnement difficile, caractérisé par des terres sèches et une agriculture non irriguée. La production va donc dépendre non seulement de la réponse physiologique des plantes affec-tées, mais également de la capacité des systèmes socio-économiques de production à s’adapter à des changements de rendements et à la fréquence des sécheresses ou des inondations. Le troisième rapport d’évaluation du Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que les productions de riz et de blé baisse-ront de manière significative en raison du change-ment climatique. Dans la vallée du Kullu dans l’État de l’Himachal Pradesh par exemple, les frontières des régions de culture de la pomme se sont déplacées de 30 kilomètres vers le nord au cours des cinquante dernières années : alors que cette culture commençait à Bajaura au creux de la vallée, aujourd’hui, on ne la trouve plus en dessous de Raisan, à mi-hauteur de la vallée.En réponse à ce phénomène, l’Inde a pris plusieurs mesures, suivant en cela la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Les programmes de développement du pays visent un équilibre entre développement économique et protection de l’environnement au sein d’un processus de planification conforme aux principes du développement durable. Lorsqu’une catastrophe naturelle survient, le gouvernement a pour mission d’organiser et d’assurer les secours et la réhabilitation des biens matériels. Mais avec l’augmentation de la fréquence des catastrophes, le rôle de l’État devra changer, et accroître la prévention et la préparation des

communautés. Dans ces domaines, l’Inde, comme la majorité des pays en développement, n’a pas suffisamment investi. Elle a cependant pris des mesures allant dans le bon sens en établissant des institutions à l’échelle nationale et à l’échelle des districts. Elle a adopté une approche appropriée pour la formation du personnel et l’identification des institutions de formation qui auront en charge le renforcement des capacités. En 2005, l’Inde a promulgué une loi nationale sur la gestion des catastrophes et a placé l’Organisation nationale de gestion des catastrophes sous l’autorité directe du Premier ministre qui en est lui-même le président. Cette organisation a pour mandat de conseiller les gouvernements des États. Elle aide en parti-culier à la conception de leurs plans d’action et de leurs directives pour la gestion des catastro-phes, et offre un appui aux agences des États en matière de formation et de renforcement des capacités. Chaque État a mis en place une organisation chargée de la gestion des catastrophes et préparé un plan spécifique pour répondre aux risques de catastrophes, basé sur les conditions géo-climatiques de l’État.Les efforts en vue d’améliorer la préparation en amont restent cependant rares. Juste avant le tsunami de 2004, il n’y avait dans l’État du Tamil Nadu qu’un seul programme mettant l’accent sur la prévention : il s’agissait d’un programme de l’ONU de réduction des catastrophes. Or, les interventions de l’ONU se faisaient par le biais du gouvernement central et il n’existait ni

Une banque de céréales a été créée à l’échelle locale et communautaire

...

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009140

financement ni collaboration directe avec les ONG locales. L’équipe-pays de l’ONU a eu besoin de six mois pour que la communauté locale, par le

canal des autorités locales, participe à une formation sur les premiers soins et les systèmes d’alerte précoce, et ce malgré une collaboration impor-tante des fonctionnaires

de l’État et des talukas –  les sous-divisions administratives des États fédéraux indiens régissant plusieurs villages.Une ONG du Rajasthan a mis en place un programme de banque alimentaire afin de limiter les effets des sécheresses. Une banque de céréales a été créée à l’échelle locale et communau-taire, à laquelle, après la récolte, chaque famille apporte une contribution proportionnelle aux parts auxquelles elles auront droit par la suite. Comme dans une banque, on peut emprunter des céréales et les rembourser avec une quantité additionnelle, correspondant aux intérêts. Ce mécanisme utile en période de soudure permet

aux familles de tenir pendant les années maigres, quand les précipitations sont faibles et que sévit la sécheresse. Il aide particulièrement les plus pauvres et les groupes marginalisés qui en sont également des actionnaires, qu’ils soient ou non propriétaires terriens. Au-delà des interventions planifiées par l’État ou les ONG afin d’anticiper les catastrophes naturelles, certaines pratiques culturelles favori-sent naturellement la prévention. Des enquêtes anthropologiques en Inde évoquent des commu-nautés tribales sur les îles d’Andaman dont tous les habitants ont eu la vie sauve lors du passage du tsunami, alors qu’une base navale située sur l’île a subi de lourdes pertes en vies humaines. Selon une pratique culturelle ancestrale, chaque personne de cette tribu se voit attribuer, dès la naissance, un arbre et une corde à son nom. En cas de tempête, chacun grimpe dans «  son  » palmier et s’y attache avec la corde. Cette pratique culturelle issue d’un savoir traditionnel encourage une soumission aux lois de la nature et leur acceptation –  une perspective sur le monde assurément bien différente. n

Certaines pratiques culturelles favorisent

naturellement la prévention des

catastrophes naturelles

...

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 141

Le changement climatique, longtemps loin des priorités des autorités locales en Chine, retient leur attention depuis 2007. Ce revirement n’est ni une réaction directe à la menace du changement climatique ni le résultat d’une sensibilisation accrue des hommes politiques. Il s’agit davantage d’une réponse aux injonctions du pouvoir central et d’un intérêt économique local bien compris.

QUAND LE CLIMAT DEVIENT L’AFFAIRE DES PROVINCES CHINOISES

QI YE, MA LI, ZHANG HUANBO, LI HUIMIN, CAI QIN ET LIU ZHILIN*SCHOOL OF PUBLIC POLICY AND MANAGEMENT, UNIVERSITÉ DE TSINGHUA, PÉKIN (CHINE)

Jusqu’à récemment, la lutte contre le change-ment climatique n’était pas une priorité pour les autorités locales chinoises, qui considé-raient que cette question relevait essentiel-lement du domaine international – et donc

du pouvoir central –, et que celle-ci allait à l’encontre de leurs intérêts, dans la mesure où la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de la consom-mation d’énergie était susceptible de freiner la crois-sance économique1. Ainsi, aucune autorité locale ne montrait de réel intérêt pour la lutte contre le change-ment climatique. Cette situation s’est retournée vers le milieu de l’année 2007 : la plupart des provinces ont mis en place des groupes spéciaux de travail pour conduire l’effort de lutte contre le changement clima-tique et certaines ont même établi des plans spécifi-ques en vue de projets de recherche et de mesures d’atténuation et d’adaptation. Elles ont également incité les différents personnels administratifs à parti-ciper à cette lutte. Ces efforts se concrétisent par des investissements financiers et humains, le renfor-cement des capacités et des projets de coopération

internationale. Quels sont donc les facteurs qui ont conduit à ce revirement ? Quelles en sont les impli-cations pour la gouvernance environnementale en Chine ?

UN DÉVELOPPEMENT INSTITUTIONNELUne initiative des autorités nationales. Bien que la Chine ne soit contrainte à aucun engagement chiffré dans la lutte contre le changement clima-tique, les autorités nationales se montrent particuliè-rement volontaires dans ce domaine. La question est aujourd’hui prise en charge par les plus hautes autorités politiques chinoises, qui ont su se doter en vingt ans de dispositifs institutionnels renforçant la capacité du pouvoir central à formuler des politiques de lutte contre le changement climatique. Centralisés au plus haut niveau de l’État chinois, ils permettent la coordi-nation des actions menées par différents ministères.

DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTCHAPITRE 5

* Les auteurs remercient Miranda Schreurs, professeur de politique environ-nementale à l’Université libre de Berlin, pour avoir proposé ce sujet de recherche, financé par le ministère des Sciences et technologies chinois, et pour ses commentaires.

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009142

En 1990 a été créé le Groupe national de coordina-tion de la stratégie contre le changement climatique (GNCSCC), dirigé par un vice-premier ministre, sous la responsabilité directe du Comité pour la protec-tion de l’environnement du Conseil des affaires de l’État – lequel représente le gouvernement central et contrôle environ trente entités gouvernemen-tales centrales. En octobre 2003, le GNCSCC a été déplacé du Bureau météorologique national vers la Commission nationale pour la réforme et le développement (CNRD), organe considéré comme

le plus puissant du pouvoir centrala. Ce fut l’un des premiers symboles indiquant que le changement climatique n’était plus traité seulement comme une question scientifique, mais plutôt comme une composante du développement durable.Le GNCSCC, constitué de treize membres – la CNRD, les ministères des Sciences et Technologies, des Finances, du Commerce, de l’Agriculture, de la Construction,

a. Cf. le site internet de China Climate Change Info-Net : http://www.ccchina.gov.cn/en

Pékin (Beijing)

TianjinHebei

Shanxi

Mongolie-Intérieure

Liaoning

Jilin

Heilongjiang

Shanghai

Zhejiang

Jiangsu

Anhui

Fujian

Jiangxi

Shandong

Henan

Hubei

Hunan

GuangdongGuangxi

Hainan

Chongqing

Sichuan

Guizhou

Yunnan

Tibet (Xizang)

ShaanxiGansu

QinghaiNingxia

Xinjiang

Hong-KongMacao

JAPON

CORÉE DU SUD

CORÉE DU NORD

RUSSIE

MONGOLIE

KIRGHIZISTAN

TADJIKISTAN

PAKISTAN

AFGHANISTAN

INDE

NÉPAL

BHOUTAN

BANGLADESH

MYANMAR

THAÏLANDE

LAOSVIÊTNAM

TAIWAN

PHILIPPINES

DÉCOUPAGE ADMINISTRATIF DE LA CHINECARTE 1

Atel

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ctob

re 2

008

Province

Municipalité de niveau provincial

500 km

Région autonome

Région d'administration spéciale

D'après Marie-Françoise Durand, Philippe Copinschi, Benoît Martin, Delphine Placidi, Atlas de la mondialisation, Paris, Presses de Sciences Po, 2008

Page 141: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 143

DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUAND LE CLIMAT DEVIENT L’AFFAIRE DES PROVINCES CHINOISES

5

des Communications, des Ressources hydrauliques, le Bureau des forêts domaniales, l’Académie des sciences, l’administration océanique et l’administration de l’avia-tion civile chinoise –, a été créé en vue de coordonner les actions contre le changement climatique menées par différents ministères. Il était également chargé de conduire et de coordonner l’application de la Conven-tion cadre des Nations unies sur les changement clima-tiques (CCNUCC) que la Chine a signée en 1992, avec le premier groupe de nations signataires. Enfin, il avait la capacité d’établir des rapports sur les émissions de GES et des évaluations nationales sur une base volon-taire. En juin 2007, il a ainsi publié le Plan national de lutte contre le changement climatique.Cependant, en tant que groupe de coordination, le GNCSCC ne disposait que d’un pouvoir limité en matière de politiques. En juin 2007, le Conseil des affaires de l’État a annoncé la création du Groupe national d’action contre le changement climatique (GNACC), sous l’égide du Premier ministre. Cette nouvelle entité a considérablement renforcé la capacité du pouvoir central à formuler et à impulser des politiques de lutte contre le changement clima-tique  : le rôle du GNACC, constitué de vingt-sept organes –  soit la quasi-totalité des institutions du pouvoir central  –, est de prendre des décisions majeures et de coordonner les actions nationales relatives au changement climatique. L’organisation de ce groupe est la preuve d’un changement de position du pouvoir central face au changement climatique et témoigne de l’attention qui lui est accordée.

La composition du GNACC est fondamentalement la même que celle du Groupe national d’action pour l’économie d’énergie et la réduction de la pollution. Si ces deux entités ont des objectifs distincts, elles ont le même dirigeant, le Premier ministre Wen Jiabao, et sont composées des mêmes organismes. Cette proximité montre qu’il existe en Chine un lien étroit entre le changement climatique et les économies d’énergie (et sans doute le contrôle de la pollution). En d’autres termes, les plus hauts dirigeants chinois traitent ces deux sujets de manière intégrée lorsqu’ils formulent des politiques et préconisent des actions dans ce domaine.

Des relais aux échelons locaux. Depuis le milieu de l’année 2007, les actions et programmes de lutte contre le changement climatique sont devenus une caractéristique notable de la politique des autorités provinciales et municipales.Peu après la mise en place du GNACC par le pouvoir central, les autorités provinciales ont créé leurs équiva-lents au niveau territorial, dirigés par le gouverneur, avec l’assistance du vice-gouverneur et des directeurs d’organismes des autorités provinciales. Ces groupes d’action provinciaux élabo-rent un plan d’action, que les autorités provinciales transmettent ensuite à tous les organismes et à tous les échelons administratifs inférieurs (cf. tableau 1).Ce plan requiert des villes-préfectures et des districts qu’ils instaurent leur propre groupe d’action doté de fonctions similaires. Ainsi Xiamen, ville importante de la province du Fujian située le long du détroit de Taiwan, a créé en janvier 2008 son groupe d’action et de coordination contre le changement climatique, doté d’un secrétariat au sein du Bureau de dévelop-pement économique.Parmi les huit provinces qui ont créé des groupes d’action provinciaux contre le changement climatique, sept les ont combinés à ceux des économies d’énergie

n  Malgré sa superficie, la Chine est gouvernée selon un système politico-administratif centralisé. Ainsi, le gouverne-ment central supervise quatre niveaux territoriaux : province, ville-préfecture, district, canton. La vie collective s’organise aussi autour des villages, mais ceux-ci ne sont pas consi-dérés comme un niveau distinct de la division administrative du pays. Concernant les divisions administratives de premier rang, la Chine compte 22 provinces, 5 régions autonomes, 2 régions d’administration spéciale et 4 municipalités de niveau provincial.

DIVISION ADMINISTRATIVE DE LA CHINEENCADRÉ 1

Depuis 2007, les développements institutionnels en vue de la lutte contre le changement climatique ont été spectaculaires

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et de réduction de la pollution. Seule la province de Qinghai n’a pas choisi cette combinaison et demeure la seule province sans groupe d’action pour les écono-mies d’énergie et la réduction de la pollution. Pourtant située sur le plateau du Qinghai-Tibet, elle est consi-dérée comme l’une des plus vulnérables au réchauf-fement climatique. Quant aux provinces qui n’ont pas inclu les mots « changement climatique » dans l’appel-lation de leur groupe d’action, elles ont clairement déclaré qu’elles avaient intégré cette question dans leur champ de responsabilité.En l’espace de quelques mois, des développements institutionnels spectaculaires ont été engagés à tous les niveaux – central, provincial, préfectoral (villes-préfectures) et districtal – et se sont focalisés sur la lutte contre le changement climatique. Ce phénomène n’est pas négligeable dans la mesure où, en Chine, la création d’institutions est l’étape la plus importante qui soit pour la promotion d’une question.

UN ACTIVISME LOCALDes plans locaux de lutte contre le changement climatique. Suite à la publication du Plan national de lutte contre le changement climatique, élaboré par l’ancien GNCSCC, le 4  juin  2007, des plans

provinciaux ont été mis en place, à l’instar de ceux des provinces du Xinjiang et du Hebei.En novembre 2007, la région autonome du Xinjiang a publié son plan et sa stratégie de lutte contre le changement climatique. Cette région, dont le terri-toire représente un sixième du territoire chinois, souffre énormément du changement climatique. Déjà couverte par un désert, elle est touchée par la fonte progressive et continue de ses glaciers, princi-pale source d’eau douce de la région. Le plan du Xinjiang se concentre sur la consommation et la production d’énergie. Bien que les combustibles fossiles conventionnels restent la source d’énergie dominante, les autorités vont promouvoir les économies d’énergie et les énergies renouvelables. Selon ce plan, qui se fixe des objectifs de réduction des émissions de CO2 à l’horizon 2010 sur la base des données de 2005, l’inten-sité énergétique devra diminuer de 20 %. Pour cela, le Xinjiang compte augmenter sa production d’électri-cité hydraulique et éolienne pour atteindre 3,5 % de sa production totale d’énergie et 5 % de sa consom-mation. En tant que grand producteur de charbon, la région s’engage à faire des efforts en matière de production d’électricité et de technologies du charbon

Phase Province Date de création Province Date de création

Groupe d’action pour les économies d’énergieXinjiang 18 août 2006

Shanxi 10 septembre 2006

Groupe d’action pour les économies d’énergie, la réduction de la pollution et la lutte contre le changement climatique

Fujian 23 juin 2007 Ningxia 21 mars 2008

Gansu 23 juin 2007 Sichuan 28 juin 2007

Hainan 23 juillet 2007 Zhejiang 1er juillet 2007

Hubei 11 septembre 2007

Groupe d’action contre le changement climatique Qinghai 4 septembre 2007

Groupe d’action pour les économies d’énergie et la réduction de la pollution

Guangdong 27 avril 2007 Shanghai 6 juillet 2007

Mongolie intérieure 8 mai 2007 Hunan 9 juillet 2007

Tianjin 2 juin 2007 Guizhou 17 juillet 2007

Jilin 4 juin 2007 Chongqing 14 août 2007

Jiangsu 7 juin 2007 Liaoning 31 août 2007

Gansu 23 juin 2007 Guangxi 5 septembre 2007

Shandong 27 juin 2007 Jiangxi 24 octobre 2007

Pékin 29 juin 2007 Yunnan 31 octobre 2007

FORMATION DES GROUPES D'ACTIONTABLEAU 1

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUAND LE CLIMAT DEVIENT L’AFFAIRE DES PROVINCES CHINOISES

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propre, ainsi que dans l’industrie chimique utilisant ce minerai. La région compte par ailleurs augmenter sa couverture forestière pour la porter à 3,2 % de sa superficie totale, permettant une meilleure fixation du carbone. Enfin, la politique des autorités incitera aux économies d’énergie, à l’usage des transports en commun et à l’achat de véhicules hybrides ou à faible niveau d’émission.Des mesures similaires sont prises dans la province du Hebei, forte émettrice de CO2 du fait de sa production d’acier qui couvre à elle seule un sixième des besoins mondiaux. Les autorités provinciales ont ainsi adopté un plan d’application pour la lutte contre le change-ment climatique en janvier  2008 qui prévoit d’ici à 2010 de réduire l’intensité énergétique de 11 % par rapport à 2005, soit une réduction de 0,128 gigatonne de CO2. En outre, le plan prévoit de stabiliser les émissions de NO2 et de porter la couverture fores-tière de la province à 26 % de sa superficie.Plus généralement, les mesures prises par les autorités locales se multiplient dans tout le pays  : la municipalité de Pékin, les provinces du Fujian, du Liaoning, du Shandong et du Jiangxi ont également défini des objectifs, mis en place des politiques et pris des dispositions réglementaires.

Évaluation de la performance et réglementation. Pour réaliser les réductions d’émission de CO2 et atteindre les objectifs d’économies d’énergie qu’elles se sont fixées, les autorités provinciales ont conçu des mécanismes d’évaluation de la performance, laquelle est liée à la promotion des dirigeants locaux et des responsables d’entreprises publiques.Le but, fixé par le onzième plan quinquennal pour 2006-2010, est la réduction, d’ici à 2010, de 20 % de l’intensité énergétique nationaleb. Selon une estima-tion de l’organisation américaine Energy Founda-tion, si cet objectif est atteint, la Chine réduira ses émissions de CO2 de 1,2 gigatonne par rapport à

b. Le plan quinquennal vise à organiser les projets de construction natio-naux, à gérer la répartition des forces de production et à orienter le dévelop-pement.

2005. Pour y parvenir, elle a fixé des quotas pour chaque province et chaque grande entreprise publique. Les autorités provinciales ont fait de même, en assignant des quotas aux villes-préfec-tures et à leurs entreprises publiques, quotas qui ont ensuite été transmis aux districts, selon la hiérarchie du modèle centralisé.Les autorités à un échelon inférieur sont évaluées en fonction des progrès qu’elles ont réalisés par rapport à l’objectif national. Certaines provinces utilisent le système du veto : si les objectifs d’éco-nomies d’énergie ne sont pas atteints, les chances de promotion des dirigeants locaux sont compromises, même s’ils ont été perfor-mants dans le reste de leur activité. Ce système d’évalua-tion basé sur des quotas vaut aussi pour les entreprises publiques. Ainsi, les autorités provinciales du Shandong ont signé un contrat avec 103 grandes entreprises : si les objectifs annuels ne sont pas atteints, les entreprises ne pourront recevoir ni récompenses ni honneurs. La province d’Anhui a signé des engagements similaires avec 153 entreprises et a exigé des villes-préfectures qu’elles signent des contrats de responsabilité.Par ailleurs, certaines provinces ont été promptes à légiférer en matière d’économies d’énergie. La municipalité de Shanghai, les provinces du Shandong et de l’Anhui ont ainsi institué une réglementation sur la préservation de l’énergie. Ces dispositions concernent la structure industrielle, la consomma-tion d’énergie et l’innovation technologique. Les entreprises et organisations seront pénalisées si elles ne répondent pas à certaines normes. La municipa-lité de Pékin a également pris des dispositions dans le secteur de la construction, rendant obligatoire le recours à des appareils et des technologies qui écono-misent l’énergie, notamment en matière de chauffage et d’éclairagec.

c. Début 2001, Pékin a promulgué une réglementation sur la préservation de l’énergie des bâtiments.

Le plan d’action met aussi l’accent sur la priorité qui doit être donnée à la recherche scientifique sur les changements climatiques

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La recherche scientifique. Le plan d’action met aussi l’accent sur la priorité qui doit être donnée à la recherche scientifique sur les changements clima-tiques et fixe ses objectifs généraux dans le cadre du onzième plan quinquennal. Si l’essentiel de la recherche scientifique est conduit au niveau national, les provinces commencent à financer elles-mêmes des évaluations de l’impact des activités régionales sur le changement climatique. La province du Guangdong a publié un document intitulé «  Évaluation des impacts du changement climatique au Guangdongd  » en août  2007, et en novembre, c’était au tour de la province du Qinghai avec son rapport « Impacts du changement climatique

de plateau sur l’économie et la société au Qinghaie ». Ces publications reprennent le format d’évaluation utilisé par le Groupe d’experts

intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC) et relatent les modifications du modèle clima-tique de chaque province, en expliquent les causes et prévoient les scénarios et les impacts futurs pour les écosystèmes, l’économie et la société. Une fois le diagnostic établi, les rapports recommandent des mesures concrètes d’atténuation et d’adaptation qui devraient être intégrées aux plans de développement socio-économiques à moyen et long termes.D’autres études scientifiques et évaluations régio-nales sont en cours. Ainsi, la province du Sichuan, durement frappée par un tremblement de terre dévas-tateur, a lancé en mai 2008 un projet de recherche intitulé «  Évaluation de l’impact du changement climatique sur l’agriculture et les ressources hydrau-liques du Sichuan », conduit par le bureau météoro-logique du Sichuan et doté d’un budget important par le ministère des Sciences et Technologies pour la province du Sichuan.Des coopérations scientifiques se mettent égale-ment en place. Certaines provinces travaillent ainsi

d. Voir le site internet en chinois : www.gd.gov.cn

e. Voir le site internet en chinois : www.forestry.gov.cn

ensemble sur des projets de recherche collectifs : en janvier 2007, cinq provinces de l’ouest de la Chine se sont regroupées pour procéder à une évaluation collective des changements du climat et des écosys-tèmes incluant des prévisions en cas d’événements climatiques extrêmes. Certaines provinces n’hési-tent pas à inviter des experts internationaux pour renforcer leurs équipes de recherche  : ainsi, en septembre  2007, la province du Gansu a convié des scientifiques canadiens à conduire des recher-ches concernant les impacts du changement clima-tique sur les écosystèmes de la région. L’Institut de recherche sur les régions froides et arides de l’Aca-démie chinoise des sciences de Lanzhou, capitale de la province, a joué un rôle majeur dans cette colla-boration. De même, dans la province du Guangdong, le département Chine méridionale de l’Académie chinoise des sciences, situé dans sa capitale, Guang-zhou, a participé aux évaluations régionales concer-nant les effets du changement climatique sur le delta de la rivière des Perles.

Des programmes financés par les autorités locales. De nombreuses provinces et municipalités ont mis au point des programmes spéciaux d’économies d’énergie et de réduction des émissions. Pékin promeut le passage aux ampoules basse consomma-tion ; les villes de Rizhao et Dezhou, dans la province du Shandong, encouragent l’utilisation du chauffage à l’énergie solaire. La ville de Baoding, dans la province du Hebei, collabore avec le Fonds mondial pour la nature (WWF) et l’Université de Tsinghua pour lancer un programme de développement urbain à faible niveau d’émission de carbonef. La ville a établi un plan d’action pour promouvoir l’industrie des énergies renouvelables et leur utilisation dans les infrastruc-tures urbaines et par les ménages. Le ministère du Logement et de la Construction urbaine et rurale – connu sous le nom de ministère de la Construction avant mars 2008 – a promulgué un décret relatif aux normes de construction qui requiert une diminution

f. Voir le site internet de WWF Chine : www.wwfchina.org/english

Pékin promeut le passage aux ampoules

basse consommation

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUAND LE CLIMAT DEVIENT L’AFFAIRE DES PROVINCES CHINOISES

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de la consommation d’énergie de 50 % en matière de construction et de fonctionnement des immeubles. La municipalité de Chongqing a, quant à elle, élaboré un plan d’application et renforcé ses mesures de suivi et de respect des dispositions légales.

La coopération internationale. Un grand nombre de programmes internationaux ont été menés en matière d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, particulièrement dans le cadre des efforts d’amélioration de l’efficacité énergétique. À la fin des années  1990, le ministère de l’Énergie améri-cain a collaboré avec le gouvernement chinois pour concevoir un programme de renforcement de l’effi-cacité énergétique. Le Centre conjoint pour l’effi-cacité énergétique (dénommé Becon) –  constitué par le Lawrence Berkeley National Laboratory qui dépend du ministère de l’Énergie et de la Commis-sion nationale pour la réforme et le développement (CNRD) – a rendu possible une collaboration à long terme entre la CNRD, le ministère de la Construc-tion et l’Energy Foundation pour renforcer l’efficacité énergétique de la Chine.

POUVOIR LOCAL ET MÉCANISME DE DÉVELOPPEMENT PROPRE

Dans le système gouvernemental centralisé chinois, les autorités locales appliquent pratiquement mécani-quement les décisions du pouvoir central. On peut alors penser que les nouvelles priorités des autorités locales résultent uniquement des exigences ou des incitations initiés par le pouvoir central. Nous verrons que la réactivité des autorités locales dépend aussi des avantages administratifs et économiques qu’elles peuvent en tirer, comme en témoigne le recours par les provinces au Mécanisme de développement propre (MDP) du protocole de Kyoto.Ceux-ci encouragent fortement les autorités locales à s’engager dans des mesures d’atténuation du changement climatique. En tant que premier prestataire de réductions d’émissions certifiées (REC) basées sur le MDP, la Chine a contribué de façon importante au respect, par les pays

développés, de leurs engagements découlant du protocole de Kyoto. Si le bureau national du MDP est abrité par la CNRD, les provinces ont leurs propres bureaux au sein des commissions provinciales pour la réforme et le développement et ont élaboré des réglemen-tations et des recommandations pour le dévelop-pement de projets MDP. Dès 2006, la province de Shanxi, premier producteur de charbon de Chine, a constitué un groupe d’action pour le MDP, conduit par le vice-gouverneur et dont le secrétariat est abrité par la commission pour la réforme et le développe-ment. Cette structure a pour mission de conduire et coordonner la mise en place de projets MDP, d’examiner et approuver les politiques, réglementations et normes relatives à ces mécanismes. La province du Guizhou a quant à elle créé une conférence conjointe de onze organismes placée sous la direction de son vice-gouverneur, ainsi qu’un centre pour le développe-ment de projets MDPg.Cette situation contraste nettement avec la grande majorité des autres pays, où le développement de ces projets est laissé essentiellement aux initiatives du secteur privé, les autorités se contentant de les examiner et de les approuver. Une telle mobilisa-tion au plus haut niveau de l’État montre que les autorités locales chinoises prennent très au sérieux les mécanismes de développement propre.Certaines provinces ont pris des dispositions régle-mentaires spéciales pour les projets MDP. En septembre 2007, le Gansu a émis une recomman-dation conjointe relative au développement de ces projets – recommandation qui venait à l’origine de la commission provinciale pour la réforme et le développement, du ministère des Sciences et Techno-logies, du ministère des Finances et du ministère des Affaires étrangères. D’autres provinces incorporent des projets MDP à leur plan d’économies d’énergie

g. Voir le site internet en chinois : www.gzzb.gov.cn

Les autorités locales chinoises prennent très au sérieux le Mécanisme de développement propre

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et de réduction de la pollution. La municipalité de Chongqing a fixé des objectifs précis pour l’applica-tion du MDPh. La province du Hunan a également incorporé le MDP à son onzième plan quinquennal ainsi qu’à sa liste de projets de recherche à financer en priorité. Dès septembre  2007, les vingt-sept provinces et régions autonomes avaient créé des centres de promotion du MDP pour soutenir la mise en œuvre de ces projets. Celui de la province du Hebei se propose ainsi de développer de trois à cinq projets qui auront reçu l’approbation des autorités nationales et un ou deux projets approuvés par le

conseil exécutif du MDP.L’intérêt pour les projets MDP s’étend au-delà des provinces. Certaines autorités préfectorales ou de districts sont aussi très enthousiastes. La ville de Longnan, dans la province du Gansu, a formé un groupe d’action

et de coordination du MDP en mars 2006, portant essentiellement sur la production hydraulique. Par ailleurs, la préfecture de Gannan, la ville de Leshan dans la province du Sichuan, la ville de Nanyang dans la province du Henan et la ville de Baoding dans la province du Hebei ont toutes mis en place des organi-sations municipales visant à la promotion du MDP. En décembre 2007, la ville de Baoding a signé une lettre d’intention pour établir une collaboration stratégique en vue de réduire la pollution générée par les fermes laitières à travers le MDP.

LES MOTEURS DE L’ACTION DES AUTORITÉS LOCALES

Le mode de fonctionnement des autorités locales. Actuellement, la croissance économique semble être la mesure principale de la réussite chinoise, au détriment souvent de l’équité sociale et de

h. Chongqing prévoit de développer quarante projets MDP d’ici à 2012, produisant ainsi 15 millions de réductions des émissions certifiées pour un revenu de 0,15 milliard de dollars.

l’environnement, et il est donc dans l’intérêt des autorités locales de favoriser le maintien et l’expan-sion des entreprises.Cependant, plusieurs facteurs, en interaction, permet-tent de comprendre le mode de fonctionnement des autorités locales chinoises (cf. encadré 2) : m La motivation  : les dirigeants locaux sont avant tout motivés par la bonne rentrée des recettes des administrations, constituées des impôts, taxes et dividendes versés par les entreprises publiques, et dont dépendent leurs revenus personnels. De plus, le système d’évaluation de la performance lie la promotion à la manière dont les autorités locales appliquent les demandes et les ordres de l’échelon supérieur. Ainsi, l’essor économique et la satisfac-tion des demandes de la hiérarchie sont les princi-paux facteurs de motivation des pouvoirs locaux dans la lutte contre le changement climatique.

m Le pouvoir : le système centralisé chinois est basé sur la délégation de pouvoir. Chaque autorité doit appliquer les lois et les politiques décidées par l’échelon supérieur mais elle se voit aussi déléguer un pouvoir discrétionnaire dans des domaines particuliers.

m La capacité  : elle détermine ce qu’une autorité locale peut faire et dans quelles limites. Ainsi, même s’ils ont la volonté d’agir, les échelons, surtout locaux, sont confrontés en matière de changement climatique au manque de capacité, c’est-à-dire de compétences et de moyens.

m Les incitations  : le système d’évaluation de la performance utilise comme indice le taux de croissance du PIB, et prévoit un certain nombre d’incitations, souvent financières et fiscales, pour influencer le comportement des autorités locales.

m Les contraintes : elles fixent les limites de l’action des autorités locales et peuvent aboutir à des amendes. Cependant, insuffisamment explicitées, leur application manque de rigueur. Par ailleurs, les autorités locales, contrairement aux autorités centrales, ne sont pas élues par le peuple et ne lui sont donc pas redevables.

L’essor économique et la satisfaction des

demandes de la hiérarchie sont les principaux facteurs de motivation des pouvoirs locaux dans la lutte contre le changement climatique

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUAND LE CLIMAT DEVIENT L’AFFAIRE DES PROVINCES CHINOISES

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Répondre au pouvoir central. L’analyse de la mise en place des politiques publiques de lutte contre le changement climatique montre que la multiplication des groupes provinciaux d’action contre le change-ment climatique ne doit pas grand-chose à une sensi-bilisation au problème du changement climatique ou à une vision particulière des autorités provinciales, à la différence de ce qui se passe en Californie et dans les États du nord-est des États-Unis2. Cette politique est définie au niveau central, et le système politico-administratif chinois est conçu de telle manière qu’il s’appuie sur une distribution de la responsabilité dans les niveaux administratifs inférieurs.Au cours des années 1980 et 1990, la Chine a réalisé des progrès constants en matière d’efficacité énergé-tique3, mais depuis le début du xxie siècle, du fait de la rapide augmentation du nombre d’usines de génie civil chimique consommant beaucoup d’énergie, et de la vague d’urbanisation, cette tendance s’est inversée. La consommation de combustibles fossiles

a fortement augmenté depuis 20004. L’augmentation du nombre d’automobilistes et l’expansion de l’indus-trie automobile ont porté le besoin en énergie à des niveaux record. La nation doit donc parvenir à contrôler la croissance de sa consommation d’énergie sous peine d’être confrontée à une crise énergétique. Des pénuries en charbon et en pétrole sont apparues dans plusieurs régions, comme en témoignent l’augmentation des prix du carburant et les longues files de véhicules qui se forment occasionnellement à l’entrée des stations-service. La Chine subit une pression supplé-mentaire du fait des subventions qui ont toujours été versées aux compagnies pétrolières publiques afin de maintenir les tarifs de l’essence et du gaz à un faible niveau pour les consommateurs.Pour faire face à ce problème, le pouvoir central a fait des économies d’énergie une priorité du plan de développement national. Il a fixé un objectif de réduction d’émission annuelle de CO2 et de SO2 de 10 %, objectif réparti entre les différentes provinces, villes et districts. Pour veiller à ce qu’il soit atteint, le pouvoir central a créé un groupe d’action pour les économies d’énergie et la réduction de la pollution. Pour les autorités centrales, les économies d’énergie et la réduction de la pollution sont essentiellement des questions intérieures dominées par des considé-rations économiques, alors que le changement clima-tique a été traité dès le départ comme une question internationale mue essentiellement par la pression extérieure. Le pouvoir central a fait du changement climatique une question liée au développement durable5 alors que les autorités locales font de l’effi-cacité énergétique une question économique.

Répondre aux besoins locaux. Il serait pourtant exagéré de qualifier la création des groupes d’action locaux uniquement de réponse administrative. La question des économies d’énergie est celle qui préoc-cupe le plus les autorités locales, dans la mesure où l’utilisation intensive de l’énergie augmente les coûts de croissance économique et affecte sa pérennité.Le fait que la combustion fossile altère le climat

n Le modèle conceptuel MPC-IC permet de saisir les trois principaux facteurs amenant une autorité locale à conduire une politique publique en Chine : la motivation (M), le pouvoir (P) et la capacité (C). Les variables environnementales sont répertoriées en deux groupes  : incitations (I) et contraintes (C) et elles déterminent la façon dont une autorité locale se comporte. Le diagramme montre les liens existants entre les cinq variables, la motivation d’une autorité locale étant essentiellement l’expression collective de la motivation de ses principaux dirigeants, soucieux de leur réputation auprès du public.

LE MODÈLE MPC-ICENCADRÉ 2

I P C C

M M : MotivationP : PouvoirC : CapacitéI : IncitationsC : Contraintes

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n’entre pas ici en ligne de compte. Pour les autorités locales, le contrôle de la pollution est une question moins prioritaire car il peut provoquer un ralentis-sement de la croissance du PIB en forçant les entre-prises industrielles polluantes à investir dans des technologies de contrôle de la pollution ou à inter-rompre leurs activités, réduisant alors les recettes fiscales et donc les revenus des autorités locales. En soi, le changement climatique n’a finalement que peu d’importance pour les autorités locales. S’il est plus que probable qu’il occasionne bien des sinistres au niveau mondial, régional et local, il n’affecte vraisem-blablement pas l’économie durant la période relative-ment courte pendant laquelle ces dirigeants sont au

pouvoir. En outre, ceux-ci ne subissent ni la pression de leur opinion publique ni celle de la communauté internationale.Pourquoi les responsables locaux devraient-ils alors se soucier du change-ment climatique  ? Fonda-

mentalement, rien ne les motive à lutter contre ce phénomène. Pourtant, toutes les provinces se sont engagées avec ferveur à travailler dans ce domaine. Outre les ordres émanant du pouvoir central, elles ont pris conscience du lien entre économies d’énergie et changement climatique. Elles peuvent se prévaloir de leur action sur les deux fronts, même si elles n’agissent que du point de vue des économies d’énergie. Un bref examen des plans provinciaux et municipaux de lutte contre le changement clima-tique suffit pour montrer que les actions envisagées visent presque toutes à renforcer l’efficacité énergé-tique et à encourager l’usage d’énergies renouvela-bles, ce qui favorise la croissance économique locale, priorité des responsables locaux. Ainsi, les autorités locales n’expriment en aucune manière leur volonté de réduire les émissions de GES, mais veulent plutôt augmenter l’intensité énergétique.Cependant certaines provinces, confrontées à des menaces immédiates, sont davantage prêtes à

lutter contre le changement climatique. À l’ouest, les régions autonomes du Xinjiang et du Ningxia ainsi que la province du Gansu connaissent des climats plus chauds et plus humides et voient les glaciers, source importante d’eau, fondre progres-sivement. Les provinces côtières comme celles du delta du Yang-Tsé et du delta de la rivière des Perles sont, quant à elles, menacées d’inondations du fait de l’élévation du niveau des océans, et ont donc intérêt à agir immédiatement et de manière drastique6. Néanmoins, le manque de sensibilisation des responsables à l’urgence du problème climatique freine parfois la réaction des autorités locales.

Répondre aux incitations du marché. On peut encore expliquer le comportement des autorités locales face au changement climatique par leur réaction face aux forces du marché. Bien avant qu’elles n’aient commencé à prendre des mesures politiques et administratives contre le changement climatique, la plupart des autorités provinciales, et parfois les villes-préfectures, s’étaient intéressées et impliquées dans la mise en œuvre des projets MDP.Ce vif intérêt témoigne de la nature entrepreneu-riale des autorités locales chinoises7. À de nombreux égards, elles agissent comme des entreprises à but lucratif et sont donc attirées par les profits réalisa-bles sur le marché du MDP. La province du Shanxi, premier producteur de charbon et d’électricité de Chine, est dotée d’un grand potentiel pour monter des projets MDP dans le domaine du charbon propre. Le marché du MDP constitue de fait une opportunité majeure pour cette province. Plus important encore, ce mécanisme permet d’intro-duire de nouvelles technologies. C’est le cas pour la province du Gansu, traversée par le fleuve Jaune et dotée d’un fort potentiel hydro-électrique, activité s’inscrivant dans le cadre du MDP.On peut dire à juste titre que le profit financier et la technologie sont les deux motivations premières des autorités locales dans la mise en place de projets MDP, qui permettent de réaliser des profits à moindre coût. Fin 2006, la Chine était devenue le

Pour les autorités locales, le contrôle de la

pollution est une question moins prioritaire car il peut provoquer un ralentissement de la

croissance du PIB

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUAND LE CLIMAT DEVIENT L’AFFAIRE DES PROVINCES CHINOISES

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premier vendeur de RECi, ce qui peut sans nul doute être attribué aux efforts des autorités locales.

Innovations et leadership. Certaines autorités locales visionnaires saisissent cette opportunité pour tenter de se distinguer en innovant et en prenant des initiatives dans un domaine important. On croit souvent que le système politique chinois est rigide et n’encourage pas les dirigeants politiques à innover. En réalité, certaines des innovations les plus importantes ont débuté dans des localités avant d’être adoptées et promues par le pouvoir central. La réforme agricole, par exemple, a commencé par la mise en place expérimentale, à la fin des années 1970, du « système de responsabilité des ménages » dans les villages de l’Anhui et du Sichuan.La tentative de la ville de Baoding de constituer une localité à faible niveau d’émission de CO2 en est un exemple dans le domaine de l’environnement. Le maire et ses conseillers ont pris conscience que la décarbonisation de l’économie mondiale favorise le développement d’industries à faible niveau d’émis-sion. Ils ont donc décidé de faire de la fabrication de matériel pour les énergies renouvelables une priorité de leur développement industriel. Ainsi, la municipalité offre des incitations à la fabrication de panneaux solaires et de turbines éoliennes. Elle promeut l’usage du chauffage solaire et a exigé que l’éclairage municipal et les feux de signalisation routière soient alimentés par des panneaux solaires. En janvier 2008, Baoding, mais également Shanghai sont ainsi devenues des villes pilotes à faible niveau d’émissions. La vision et le leadership du maire sont ici d’une importance capitale.Ces deux qualités créent aussi souvent des oppor-tunités d’ordre politique. Il y a quelques années, la ville de Guiyang, capitale de la province du Guizhou, a saisi toute l’importance du concept de « recyclage des matériaux de la production industrielle » et a mis en place ce qu’elle a baptisé une « économie circu-laire ». La ville est vite devenue un modèle pour le

i. Voir le site internet : http://cdm.unfccc.int

reste du pays. Lorsque le pouvoir central a décidé de généraliser le concept d’économie circulaire à l’ensemble du pays, les dirigeants de Guiyang ont été promus. L’innovation est ainsi favorisée par le système d’incitations, lié à la promotion profes-sionnelle.

LES IMPLICATIONS POUR LA GOUVERNANCE EN CHINE

Ainsi, les injonctions du pouvoir central, les besoins et intérêts locaux et le marché MDP constituent trois motivations pour l’engagement des autorités locales dans la lutte contre le changement climatique. D’autres éléments – tels l’impact réel de ce phéno-mène naturel, la prise de conscience de son impor-tance, les capacités d’action, le leadership de certains acteurs – jouent aussi un rôle dans cette lutte, mais de façon secondaire dans la plupart des cas.Aujourd’hui et dans les années à venir, on peut s’attendre à voir augmenter l’intérêt pour cette lutte comme le montre l’augmentation du nombre d’initiatives et d’actions, encouragées par le pouvoir central. Plusieurs stratégies politiques semblent souhaitables.Il faut tout d’abord que la question du changement climatique corresponde à un besoin local et, ensuite, que les autorités locales se dotent de moyens plus importants. Le pouvoir central doit réaliser qu’il est dans l’intérêt de la nation d’agir pour atténuer le changement climatique et s’y adapter, et que la coopération et l’initiative des autorités municipales et provinciales sont essentielles au succès. Après tout, les impacts sont ressentis de manière locale, les mesures d’atténuation et d’adap-tation doivent donc venir des localités.Au-delà de la préservation des sources d’énergie, il est peu probable que des actions significatives soient entreprises tant que la question du change-ment climatique en général ne dépassera pas celle des économies d’énergie et tant qu’elle ne sera pas

Certaines innovations ont débuté dans des localités avant d’être promues par le pouvoir central

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009152

intégrée au niveau local. Si l’on veut réellement traiter ce problème dans un avenir proche, l’interac-tion entre le pouvoir central et les autorités locales, l’augmentation des actions locales et le renforcement des capacités locales sont cruciaux pour l’élabora-tion et l’application de politiques en la matière.

1. PAN (J. H.), « The Impact of a Deceleration of Climatic Change on the Economies and Politics of Different Regions », World Economics and Politics, 6, 2003, p. 66-71.

2. NICHOLAS (L.) et DANIEL (S.), « America’s Bottom-up Climate Change Mitigation Policy », Energy Policy, 36, 2008, p. 673-685.

3. Energy Foundation, « Energy in China : The Myths, Reality, and Challenges », 2007, disponible sur le site internet : www.ef.org

4. RAUPACH (M. R.), MARLAND (G.), CIAIS (P.), LE QUÉRÉ (C.) et al., « Global and Regional Drivers of Accelerating CO2 Emissions », PNAS June 12, 24, 2007, p. 10 288-10 293.

5. QI (Y.), MA (L.) et ZHANG (L. Y.), « Towards Proactive Climate Change Policy », China Population, Resources and Environment, 17, 2007, p. 8-12.

6. CHANG (G. G.), LI (F. X.) et LI (L.), « Impact of Climate Change on Ecology and Environment in Qinghai Province and Its Countermeasures », Advances in Climate Change Research, 1, 2005, p. 172-175.

7. OI (J. C.), « The Role of the Local State in China’s Transitional Economy », The China Quarterly, 144, 1995, p. 1 132-1 149 ; WALDER (A.), « Local Governments As Industrial Firms », American Journal of Sociology, 5, 1995, p. 262-301.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

Enfin, dans la mesure où les autorités locales sont sensibles aux signaux du marché, le MDP et autres types de mécanismes de marché devront jouer un rôle central dans le cadre international qui sera adopté pour l’après-2012.

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La gouvernance locale de la gestion forestière est au cœur du débat actuel sur la durabilité en Amazonie brésilienne. Les évolutions économiques, politiques et environnementales des quinze dernières années ont abouti à la promulgation de la Loi sur la gestion des forêts publiques pour une production durable dont la mise en œuvre sur le terrain illustre bien la dynamique historique d’une région marquée par les intérêts de l’économie mondiale, les pré-occupations relatives à la déforestation croissante et la lutte pour la survie et le bien-être des communautés locales et indigènes.

À PROBLÈME GLOBAL, ACTIONS LOCALES EN AMAZONIE BRÉSILIENNE 

DILIP LOUNDOPROFESSEUR, CHAIR ON BRAZILIAN CULTURE AND PORTUGUESE LANGUAGE, GOA UNIVERSITY, GOA (INDE)

En avril 2008, le rapport Global Monitoring publié par la Banque mondiale révèle que le Brésil détenait, entre 2000 et 2005, le triste privilège d’être le premier pays au monde en matière de déforestation, devant

l’Indonésie et le Soudan. La zone la plus gravement affectée est, de loin, la forêt amazonienne qui compte une réduction annuelle de 0,6  % de sa superficie totale. L’Institut national de la recherche spatiale (Instituto Nacional de Pesquisa Espacial – INPE) – organe officiel de l’État brésilien chargé du contrôle de la région amazonienne  – estime la diminution de la superficie de la plus grande forêt tropicale du monde à 700 000 km2, soit 17  % de sa superficie originelle. La comparaison avec l’Europe, où ne subsiste que 0,1 % de la forêt initiale, ou avec les taux annuels de déforestation de certaines régions du globe – 7,5 % aux Îles Comores entre 2000 et 2005, par exemple – ne saurait rassurer et inciter au laisser-aller (cf. graphique 1). Ces vingt dernières années,

300 000 km2 ont été déboisés, l’équivalent de dix fois la superficie de la Belgique.Alors que les Brésiliens et les gouvernements qui se sont succédé depuis les années 1970 à Brasilia ont nourri l’ambition légitime d’exploiter les nombreuses ressources de l’Amazonie – bois, minerais, eau, sol, flore et faune – pour promouvoir le développement économique de cette région, les avertissements relatifs à l’impact destructeur de la déforestation amazo-nienne sur la biodiversité et sur le climat de la planète sont devenus, au cours des quinze dernières années, le centre des préoccupations d’une série d’acteurs, tant nationaux qu’internationaux, dans une commu-nauté mondiale de plus en plus solidaire. L’Amazonie brésilienne est aujourd’hui le champ d’affronte-ments complexes entre des intérêts antagonistes qui opposent les fonctionnaires des administrations

DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTCHAPITRE 6

700 000 km² ont été déboisés en Amazonie, soit 17 % de sa superficie originelle

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009154

fédérales, locales et municipales ; les sociétés natio-nales et internationales opérant dans l’agro-industrie et l’exploitation forestière  ; les réseaux transnatio-naux des ONG attachées à la défense de l’environ-nement ; les communautés locales et indigènes, et bien d’autres organisations de la société civile.

MONDIALISATION ET GOUVERNANCE LOCALELes stratégies sociopolitiques qui conditionnent et mobilisent ces multiples acteurs en Amazonie brési-lienne (dite Amazonie légale) s’organisent autour de deux évolutions concomitantes : l’intensification de la mondialisation et le renforcement de la gouver-nance locale, le premier phénomène ayant influencé de façon plutôt positive le second au cours des dernières années.Dès le début de la colonisation au xvie siècle – en particulier pendant ce que l’on appelle le « cycle du caoutchouc » au xixe siècle – la région amazonienne s’est trouvée étroitement liée aux réseaux économi-ques mondiaux. Aujourd’hui, les intérêts des grandes compagnies agro-industrielles partagent le devant de la scène avec les nouveaux impératifs de dévelop-pement durable formulés par les forums régionaux et internationaux, les organisations internationales telles que les Nations unies, et au sein des réseaux transnationaux de dialogue interlocal, allant au-delà des frontières et des idéologies nationales. La nouvelle gouvernance mondiale, au sein de laquelle le pouvoir des États-nations est partielle-ment érodé et les centres politiques du monde s’éten-dent de façon exponentielle, aboutit à une forme directe et pragmatique d’interaction entre les forces locales et mondiales. Le nouveau système « n’est plus un système d’États, mais une structure plurielle et décentralisée, faite de blocs régionaux, de cadres de réglementation, d’agences internationales et trans-nationales, et d’initiatives politiques concrétisées dans des accords et des traités. En résumé, nous avons affaire à un système composé de multiples couches et formes de réglementation, où le micro et le macro ainsi que différentes modalités d’associa-tions, d’organisations et de réseaux de participation

citoyenne surgissent telles de nouvelles entités politiques toutes prêtes à contribuer, d’une manière plus démocratique, à une nouvelle édification de la politique mondiale1 ». L’histoire récente de la région amazonienne témoigne de ce phénomène, avec la prolifération d’un troisième secteur, à côté de l’État et du marché. Incarné par des ONG préoccupées non seulement de causes environnementales, mais aussi de droits humains, de migrations, d’éducation, de santé, d’égalité des sexes, ce secteur a endossé un rôle unique de médiation entre les instances locales et mondiales, au bénéfice des communautés direc-tement concernées. Le réseau mondial de commu-nication, en tant que réseau – aussi bien virtuel que réel – contractant le temps et l’espace, renforce la capacité des communautés à remodeler leurs desti-nées à travers un échange planétaire permanent d’expériences marquées par des problèmes et des aspirations similaires.Bien que les défis mondiaux imposés à la souverai-neté nationale et les expériences de construction de la nation dans une situation postcoloniale comme

LA DÉFORESTATION DANS LE MONDEGRAPHIQUE 1

BrésilIndonésie

Asie du SudAfrique subsah.

Europe et Asie centraleMoyen-Orient et Afrique du Nord

Asie du Sud et Paci�que

Am. latineet Caraïbes

SoudanMyanmar

ZambieTanzanie

NigeriaRDC

ZimbabweVenezuela

3118,75,94,74,44,1

911

14147

4,13,23,12,9

Source : Banque mondiale

déforestationreforestation

Déforestation et reforestation, 2000-2005 (en milliers de km2 par an)

Les 10 premiers pays touchés par la déforestation, 2000-2005 (en milliers de km2 par an)

Atel

ier d

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTÀ PROBLÈME GLOBAL, ACTIONS LOCALES EN AMAZONIE BRÉSILIENNE

6

L'AMAZONIE LÉGALECARTE 1

Atel

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e ca

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ienc

es p

o, o

ctob

re 2

008

MinasGerais

Bahia

Brasília D.F.

Piauí

Maranhão

Tocantins

Goiás

Mato Grossodo Sul

MatoGrosso

Amazonas Pará

Amapá

Roraima

Rondônia

Acre

GUYANEFR.SURINAME

GUYANAVENEZUELA

ÉQUATEUR

COLOMBIE

PÉROU

BOLIVIE

O cé a n A t l a n t i q u e

Biome amazonien(au Brésil)

Amazonie légale

frontière entre pays

frontière entre États fédérés du Brésil

Source : Compilation de François-Michel Le Tourneau, Credal, d'après le ministère brésilien de l'Environnement

500 km

Pour des raisons administratives et d’élaboration des politiques, la région de l’Amazonie est connue sous le nom d’Amazonie légale en vertu de la loi fédé-rale de 1955. Elle comprend tous les États du Brésil partageant la région du grand bassin  : Acre, Amapá, Amazonas, Mato Grosso, Pará, Rondônia et Roraima, et une partie du Maranhão et du Tocantins.

celle du Brésil, ont fortement favorisé les processus locaux d’autorégulation, l’articulation entre ces deux niveaux –  mondial et local – n’est cependant pas dépourvue de moments de tension. Le rôle néfaste du marché mondial des matières premières est bien connu. En Amazonie, l’agro-industrie est directement

responsable de l’insertion forcée de communautés locales dans des cycles de production capitaliste sauvage, et elle constitue l’une des causes princi-pales de la déforestation. Cependant, même l’inter-vention du troisième secteur peut constituer dans certains cas un facteur d’obstruction. En effet, le

Superficie globale : 5 023 000 km² (59 % du territoire brésilien)..  22 % de la biodiversité et 9 % des ressources fluviales du monde..  Population en 2004 : 22,5 millions d’habitants (12 % de la population du Brésil)..  PIB en 2004 : 51,18 milliards de dollars américains (environ 8 % du PIB du Brésil)..  Croissance moyenne du PIB entre 2000 et 2004 : 6 %..  Revenu annuel par habitant en 2004 : 2 320 dollars américains (environ 64 % de la moyenne

brésilienne)..  Indicateur de développement humain en 2000 : 0,705 (légèrement en deçà du niveau

de référence national).

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009156

consensus mondial sur le développement durable a engendré dans plusieurs cas un « environnemen-talisme axé sur la performance », qui coexiste avec les objectifs initiaux de transformations sociale et politique2. Des locutions homogénéisantes comme «  créer un consensus  », «  expertise technique  », « solutions communes » ou « efficacité » pourraient bien s’avérer préjudiciables aux communautés fores-tières traditionnelles d’origine mestizo (les caboclos), et en particulier, aux populations indigènes (les Amérindiens) qui survivent en Amazonie et qui repré-sentent approximativement 250 000 personnes répar-ties entre 80 groupes ethniques.

LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE AU BRÉSILUn modèle clientéliste épuisé et l’extension de l’emprise économique. La montée en puissance de la gouvernance locale au Brésil résulte directement de l’épuisement du modèle centraliste-intervention-niste de développement économique qui prévalait depuis les années  1950. Son réseau de contrôle social au moyen de politiques populistes et corpo-ratistes d’une part, répressives et clientélistes d’autre part, avait favorisé l’industrialisation en même temps qu’un patrimonialisme, une corruption et une dépen-dance effrénés vis-à-vis de l’extérieur. Dans la deuxième moitié des années 1980, le Brésil a repris la voie de la démocratie, alors qu’apparais-saient des signes évidents de crise économique et sociale : récession, hyperinflation, dette extérieure et, surtout, une pauvreté persistante. Les conséquences pour l’Amazonie ont été dévastatrices. En effet, des projets mégalomanes dans les domaines des infras-tructures, du grand élevage bovin, de l’agro-industrie, de l’exploitation forestière ou de l’extraction minière ont conduit à une dégradation sociale, environne-mentale et culturelle sans précédent. Les soi-disant avantages économiques en termes d’approvisionne-ment alimentaire des principaux centres urbains et les politiques axées sur les exportations ont donné naissance à une nouvelle oligarchie d’entrepreneurs peu soucieux des communautés et des aspirations locales. La devise nationaliste «  intégrer pour ne

pas céder » (integrar para não entregar) ouvrait les portes d’un territoire doté de ressources inépuisables et démographiquement vide, devant permettre de relancer le cycle précaire de l’accumulation capita-liste. La construction de la nouvelle capitale, Brasilia, et l’ouverture, à travers la forêt, de l’autoroute Belém-Brasilia furent des symboles de l’intégration de l’Ama-zonie dans la dynamique économique nationale et dans un marché de plus en plus mondialisé. Le processus autocratique de modernisation et d’extension de l’exploitation économique du Brésil à la région amazonienne a laissé en héritage une attitude prédatrice et une dépendance vis-à-vis d’intérêts exogènes (nationaux et internationaux) qui perdurent encore aujourd’hui. La géographe Bertha Becker affirme qu’un « modèle exogène basé sur une vision étrangère à la région qui favorise l’établisse-ment de liens puissants avec les principaux centres métropolitains de la planète, et qui est mis en œuvre à travers une géométrie de réseaux », l’a emporté sur l’alternative qu’aurait pu être un « modèle endogène basé sur une vision interne visant à privilégier le développement local et à le mettre en œuvre à travers une géométrie de zones »3.

Le décollage démocratique. Depuis le début des années  1990, un processus de re-démocratisation s’est développé, incarné d’abord par  la promulga-tion de la Constitution de  1988 –  une des magna carta les plus progressistes et les plus visionnaires de l’histoire du Brésil et de l’Amérique latine – qui accorde une reconnaissance légale et juridique à de nouveaux acteurs et à l’organisation de la société civile apparus au cours des années de résistance au régime militaire (1964-1985). La démocratisation s’est également manifestée par l’organisation, en 1992 à Rio de Janeiro, du Sommet mondial de l’environne-ment des Nations unies, qui a rassemblé les princi-paux représentants d’une société civile mondiale émergente (les ONG) et encouragé sa pluralité et sa structuration. Le Sommet mondial offrait à ces groupes une occasion unique d’intégrer leurs prati-ques et leurs discours de résistance locale dans le

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTÀ PROBLÈME GLOBAL, ACTIONS LOCALES EN AMAZONIE BRÉSILIENNE

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contexte plus large de la protection de l’environne-ment mondial, et de renforcer leur dialogue avec les mouvements sociaux et les ONG du monde entier représentés lors de la conférence. Le sommet a ainsi marqué un tournant dans la manière de percevoir la mondialisation comme complice des agents de l’État pour déboiser l’Amazonie au profit de l’exploitation forestière et de l’agro-industrie. Un nouveau visage de la mondialisation apparaissait alors, qui appelait à une meilleure prise de conscience de la nécessité de protéger la forêt et, ce faisant, de lutter contre le réchauffement du climat, l’extinction de la biodi-versité et la destruction des communautés locales et indigènes.La lutte intérieure au Brésil pour la décentralisation, la transparence et la participation de la société civile, accompagnée de pressions mondiales exercées par

les réseaux d’ONG en vue d’assurer l’insertion des principes de durabilité dans les politiques de dévelop-pement, se sont alliées pour créer une synergie entre le local et le mondial, où le second devenait l’un des moteurs du premier.Un processus d’autonomisation des États et des municipalités s’est progressivement développé, au sein duquel les organisations de la société civile, les communautés indigènes et les ONG nationales et internationales étaient invitées à prendre part à l’élaboration, à la mise en œuvre et au contrôle des politiques. Un certain nombre de dispositions consti-tutionnelles ont permis de donner un fondement légal à ce processus (cf. encadré 1) : le transfert vers les États et les municipalités de compétences relevant de domaines comme l’environnement, et la reconnais-sance de la gouvernance locale en tant que troisième

LA CONSTITUTION « VERTE » BRÉSILIENNEENCADRÉ 1

› Article 18. L’organisation politique et administrative […] du Brésil inclut l’Union, les États, les districts fédéraux et les municipalités, chacun étant auto-nome comme le prévoit la présente Constitution. › Article 23. L’Union, les États, les districts fédéraux et les municipalités ont en commun le pouvoir  : […] VI – de protéger l’environnement et de lutter contre la pollution sous toutes ses formes ; VII – de préserver les forêts, la faune et la flore. › Article 24. L’Union, les États, et les districts fédéraux ont le pouvoir de légi-férer conjointement sur  : […] VI – les forêts, la chasse, la pêche, la faune, la préservation de la nature, la défense des sols et des ressources naturelles, la protection de l’environnement et le contrôle de la pollution.› Article 170. L’ordre économique […] a pour but de permettre à chacun de vivre dans la dignité, en accord avec les principes de la justice sociale et dans le strict respect des principes suivants : […] VI – protection de l’environnement, y

compris par le biais de traitements diffé-rents correspondant à l’impact environ-nemental des produits et services ainsi qu’à leur production et rendement.› Article 225. Chacun a droit à un environ-nement écologiquement équilibré, un bien dont l’usage est commun et qui est essen-tiel à une bonne qualité de vie ; et tant le gouvernement que la communauté ont le devoir de la protéger et de la préserver pour les générations présentes et à venir. I – préserver et restaurer les processus écologiques essentiels et veiller au traite-ment écologique des espèces et écosys-tèmes […] ;III – définir dans toutes les composantes de la fédération, les espaces territoriaux et leurs composants qui nécessitent une protection spéciale […] ; VI – promouvoir l’éducation environne-mentale à tous les niveaux du système scolaire et la sensibilisation du public à la nécessité de préserver l’environnement. VII – protéger la faune et la flore avec l’interdiction, de la manière prescrite par la loi, de toute pratique qui représente un risque pour leurs fonctions écologiques,

provoque l’extinction d’espèces ou traite les animaux avec cruauté. […] Paragraphe 4 – La forêt amazonienne brésilienne, la forêt atlantique, la Serra do Mar, la Pantanal Mato-Grossense et la zone côtière font partie du patrimoine national […]. › Article 231. L’organisation sociale, les coutumes, les langues, les principes et les traditions des Indiens sont reconnus, ainsi que leurs droits originels sur les terres qu’ils occupent traditionnelle-ment, la charge de délimiter ces terres, de protéger et d’assurer le respect de toutes leurs propriétés incombant à l’Union. […] Paragraphe 2 – Les terres traditionnellement occupées par les Indiens restent leur possession perma-nente et ils détiennent l’usufruit exclusif des richesses du sol, des rivières et lacs qui s’y trouvent. […] › Article 232. Les Indiens, leurs commu-nautés et organisations ont, aux termes de la loi, le droit d’intenter des procès pour défendre leurs droits et intérêts.

Source : Constituição da República Federativa do Brasil, São Paulo, Editora Sarvaiva, 1998.

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niveau autonome de la structure fédérale (articles 18, 23 et 24). Un chapitre sur la protection environne-mentale a défini les zones protégées et les principales unités écologiques, dont l’Amazonie (article  225). Par ailleurs, un cadre contraignant pour les activités économiques a été adopté afin que celles-ci ne mettent pas en péril l’environnement (article 170). Enfin, la Constitution assure la reconnaissance de la nature multiculturelle de la nation et consacre un chapitre inédit sur les populations indigènes – qui vivent pour la plupart dans la région amazonienne –, leurs droits intemporels sur leurs territoires tradition-nels et leur maturité juridique (articles 231 et 232).

LES CAUSES DE LA DÉFORESTATION La croissance économique mondiale. D’après les estimations du gouvernement brésilien, la surface totale déboisée en Amazonie brésilienne entre août 2007 et juillet 2008 devrait atteindre 12 000 km2. Ce chiffre représente une augmentation du taux annuel de déforestation, après trois années de baisse prometteusea qui avaient créé un sentiment de quasi-euphorie. En effet, d’un record de 27 379 km2 enregistré en 2004 – second chiffre record de l’histoire de la région – la surface déforestée était descendue à 18 759 km2 en 2005, et avait encore chuté à 14 039 km2 en 2006 et à 11 224 km2 en 2007 (cf. tableau 1).Ces reculs de la déforestation correspondent grosso modo aux trois dernières années du premier mandat

a. « Governo Segura Divulgação de Aumento de Devastação », Folha de São Paulo, 8 juillet 2008

du président Luiz Inácio Lula da Silva. Marina Silva, une environnementaliste de renommée interna-tionale, souvent qualifiée de «  représentante des peuples de la forêt », était alors à la tête du minis-tère de l’Environnement.Les sphères gouvernementales ont toujours prétendu que le recul de la déforestation était le résultat de politi-ques environnementales plus judicieuses, de l’adoption de critères plus rigoureux dans l’allocation des terres et des permis d’exploitation forestière, de l’amélioration des systèmes de contrôle et d’une meilleure gestion des services chargés d’appliquer la loi. Or, les chiffres prévisionnels de la déforestation en 2008 semblent indiquer tout autre chose  : aujourd’hui, il apparaît clairement que la chute des prix du marché mondial de certains produits agricoles, en particulier le soja et la viande, a favorisé la réduction continue des surfaces déboisées au cours des années 2005-20074. Inversement, l’augmentation de la surface déforestée en 2008 est imputable à la hausse des prix mondiaux des produits agricoles.

La privatisation et l’occupation des terres. Le théâtre principal de la déforestation est une zone connue comme « l’arc de la déforestation », compre-nant 174 municipalités dans les États du Pará, du Mato Grosso et du Rondônia5. En 2007, plus de 87 % de la déforestation en Amazonie touchait cette zone, le Pará en tête avec 5 569  km2 de forêt déboisée, suivi de l’État du Mato Grosso avec 2 476 km2 et du Rondônia avec 1 465 km2 (cf. tableau 2). Les principales activités économiques responsables

LA DÉFORESTATION DE L’AMAZONIE (EN KM2 PAR AN*)TABLEAU 1

Année km² Année km² Année km² Année km²

1988 21 050 1993 14 896 1998 17 383 2003 25 282

1989 17 770 1994 14 896 1999 17 259 2004 27 379

1990 13 730 1995 29 059 2000 18 226 2005 18 759

1991 11 030 1996 18 161 2001 18 165 2006 14 039

1992 13 786 1997 13 227 2002 21 238 2007 11 224

* L’exercice va d’août à juillet : à titre d’exemple, l’année 2007 couvre la période d’août 2006 à juillet 2007. Source : Institut national de recherches spatiales (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais – INPE), disponible sur le site internet www.obt.inpe.br

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTÀ PROBLÈME GLOBAL, ACTIONS LOCALES EN AMAZONIE BRÉSILIENNE

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du déboisement sont l’exploitation forestière « classique », le grand élevage bovin et les travaux d’infrastructures. Elles sont d’ailleurs organiquement liées. Les énormes projets d’infrastructures lancés de façon arbitraire dans les années 1970 et 1980 par le régime militaire, tels que l’ouverture de réseaux de routes à travers la forêt, la construction de barrages et les programmes d’exploitation minière, annon-çaient l’accroissement de l’activité économique en Amazonie.

L’acquisition illégale de terres dans des zones proté-gées. Une partie des terres consacrées à l’exploita-tion forestière et à l’élevage bovin formaient initiale-ment de petites propriétés conçues pour attirer les migrants issus de régions défavorisées, comme le Nord-Est. Or la plus grande partie d’entre elles ont fini entre les mains de grands propriétaires capita-listes en mesure, soit de les acheter en profitant des incitations fiscales offertes par l’administration centrale, qui rendaient ridicule le prix de la terre, soit de les occuper illégalement (grilagem) pour ensuite en obtenir une régularisation par la corruption ou l’influence politique. Ce procédé fallacieux d’occu-pation des terres a fini par devenir la norme dans la région amazonienne. C’est dans ce contexte, qui voit la concentration des terres et la destruction de l’environnement se

compléter pour déforester, qu’a prospéré au cours de la dernière décennie la très profitable culture du soja qui requiert des capitaux importants. De nouvelles frontières ont été ouvertes depuis lors, particuliè-rement dans les États de Goiás, Tocantins, l’ouest du Pará, et au sud-est de l’Amazonie. Le «  nouvel or  » a fortement bénéficié de l’association étroite avec l’exploitation forestière et le grand élevage bovin, qui a permis aux producteurs de soja d’abaisser leurs coûts, de renforcer leurs lobbies et de demeurer relativement insensibles à l’augmentation du prix de la terre. La distribution actuelle des terres dans l’Amazonie légale est assez suggestive  : 36 % de la région se trouve entre les mains du secteur privé, dont seule-ment un dixième environ (4 %) avec des titres de propriété en règle, et un quart (9  %) considéré comme une occupation illégale. 42,1 % de la région est constituée de zones protégées incluant des terri-toires indigènes (20,5 %), des unités de conserva-tion (Unidades de conservação – UC, 21,1 %) et des zones militaires (0,5 %) ; enfin 21,9 % sont des terres soi-disant publiques en attente de relevés cartogra-phiques et d’enregistrement.L’essor de l’économie du soja au cours des années 1990 et ses liens avec le grand élevage bovin

LA DÉFORESTATION PAR ÉTAT (EN KM2 PAR AN*)TABLEAU 2

États/années 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

Acre** 547 419 762 1 061 729 539 323 136

Amazonas 612 634 881 1 587 1 211 752 780 582

Amapá -- 7 0 2 500 4 600 3 300 30 0

Maranhão 1 065 958 1 014 993 755 922 651 631

Mato Grosso 6 369 7 703 7 892 10 405 11 814 7 145 4 333 2 476

Pará 6 671 5 237 7 324 6 996 8 521 5 731 5 505 5 569

Rondônia 2 465 2 673 3 067 3 620 3 834 3 233 2 062 1 465

Roraima 253 345 84 439 311 133 231 306

Tocantins 244 189 212 156 158 271 124 59

Amazonie légale 18 226 18 165 21 238 25 282 27 379 18 759 14 039 11 224

* L’exercice va d’août à juillet ; à titre d’exemple, l’année 2007 couvre la période d’août 2006 à juillet 2007.** Données de 2000 à 2007 en cours d’examen.Source : Institut national de recherches spatiales (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais – INPE), disponible sur le site internet www.obt.inpe.br

La régularisation par la corruption de terres occupées illégalement a fini par devenir la norme

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ont consolidé de façon incontestable les connexions historiques de la région avec les intérêts du marché mondial. On retrouve un phénomène similaire à celui du « cycle du caoutchouc » au xixe siècle. Production de poids dans le PIB du Brésil, elle connaissait alors

une croissance record par rapport aux autres secteurs, et était essentiellement orientée vers l’exportation. Avec une production de 9  milliards de dollars en 2004, soit 19 % de l’éco-nomie totale de l’Amazonie légale, l’agriculture (princi-palement les céréales et le

soja) et l’élevage bovin représentent respectivement 19 % et 6 % des exportations de la région (soit un montant de 15 milliards de dollars). Si l’on ajoute les produits du bois (8 %), on arrive à un total de 33 % des exportations de la région, un taux qui n’est dépassé que par le secteur traditionnel de l’exploi-tation minière (métaux et minerais) avec 40  %. Paradoxalement l’exploitation minière ne représente pourtant que 3 % du PIB total de l’Amazonie.

GOUVERNANCE LOCALE ET IMPACT MONDIALL’Amazonie à l’agenda mondial. Si les causes de la déforestation dans la région amazonienne et les facteurs mondiaux auxquels elles sont liées sont connues, le débat sur les moyens de réduire le rythme de la déforestation ou de l’arrêter complètement est loin d’être clos. La confrontation géopolitique classique entre les pays en développement et les pays développés semble perdre du terrain. La méfiance des premiers à l’égard des seconds, soupçonnés de vouloir paralyser leurs processus de développement économique et de justifier une intervention internatio-nale par un discours officiellement environnemental, engendre certes encore des réactions virulentes voire des discours nationalistes dans certains pays. La très vive réaction du ministre brésilien de l’Environne-ment Carlos Minc à un récent éditorial du quotidien The Independent qui suggérait la nécessité d’une plus

grande intervention de la communauté internationale en Amazonie, en est un rappel cinglantb. Et pourtant, l’on passe, progressivement mais régulièrement, du plan national à une perspective locale qui voit dans la gouvernance centralisée un obstacle et dans les ONG transnationales des partenaires potentiels, et qui plaide en faveur du développement durable à tous les stades de la planification, osant même proposer des formes existentielles de cohabitation humaine en dehors du cadre conceptuel du développement.

Perspective locale dans la gestion de la forêt amazonienne. Ces dix dernières années, on a assisté à une consolidation graduelle de la perspec-tive locale dans la gestion de la forêt amazonienne. Le rôle du gouvernement fédéral a été positif à cet égard, du moins si l’on en juge par sa capacité à écouter et à prendre en compte les idées et les thèses locales dans l’élaboration de ses politiques. Sa bonne volonté et son initiative sont en effet indispensables si l’on se réfère à la tradition historique d’autocratie et de concentration du pouvoir. Et l’on en revient à l’idée de la décentralisation en tant qu’idéal social et pratique administrative. En tant que pratique, on parle de transfert des pouvoirs vers les États et les municipalités, en tant qu’idéal, est visée l’autono-misation des actuelles parties intéressées et des communautés locales. L’article 225 de la Constitution est sans équivoque lorsqu’il dispose que « chacun a droit à un environnement écologiquement équilibré » et que « tant le gouvernement que la communauté auront le devoir de le défendre et de le préserver » (cf. encadré 1).En d’autres termes, la décentralisation administra-tive représente un moyen d’atteindre la gouvernance locale et vise essentiellement à faciliter la partici-pation de la société civile organisée. Dans « l’esprit de décentralisation », les interventions des agences fédérales dans les États et les municipalités en vue d’éviter toute déviation par rapport à cet objectif sont légitimes, tout comme la participation de la

b. « Save the Lungs of Our Planet », The Independent, 15 mai 2008.

La décentralisation administrative représente

un moyen d’atteindre la gouvernance locale

et vise essentiellement à faciliter la participation

de la société civile organisée

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société civile à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques générales par les organes fédéraux.

La création d’institutions. La décentralisation verti-cale et horizontale a aidé à diffuser les positions des défenseurs du développement durable et de la protec-tion de l’environnement, organisés mondialement en réseaux (les ONG). Ces derniers ont apporté aux intervenants locaux un complément de légitimité et de pouvoir politique, ainsi que des outils théoriques et pratiques pour poursuivre leurs aspirations. Les mesures prises en faveur d’une gestion locale de la forêt amazonienne se sont inspirées directement des dispositions constitutionnelles relatives aux politi-ques environnementales et à la gestion du territoire et des ressources naturelles. Parmi ces mesures, on peut relever en 1990, l’institutionnalisation longtemps attendue du Système national de l’environnement (Sistema Nacional do Meio-Ambiente – Sisnama), un forum réunissant tous les organes de l’État fédéral, des États et des municipalités dédié à la protection de l’environnement et à l’amélioration des normes environnementales. Son organe de régulation et de conseil, le Conseil national pour l’environnement (Conselho Nacional do Meio Ambiente – Conama), est chargé de définir les principes et les normes environnementales visant à concilier le développe-ment économique, la préservation de l’environne-ment et la qualité de vie. Il est composé de membres issus de cinq secteurs : les organes fédéraux, les États, les municipalités, les entreprises et la société civile (syndicats et ONG). L’Institut brésilien de l’environ-nement et des ressources renouvelables (Instituto Brasileiro do Meio Ambiente – Ibama) demeure le principal organe exécutif du Sisnama. Au fil des années, les délibérations du Conama ont pressé les États et les municipalités à créer leurs propres conseils pour l’environnement (Conselho Estadual do Meio Ambiente – Consema et Conselho Municipal do Meio Ambiente – Consemme) dotés de leurs propres organes exécutifs (versions locales de l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources renouvelables) connus sous le nom

d’organismes d’État pour l’environnement (Orgão Estadual do Meio Ambiente – OEMA). Elles les ont encouragés à améliorer la coordination entre les États et entre les municipalités au sein de forums tels que l’Association brésilienne des organismes d’État pour l’environnement (Associação Brasileira de Entidades Estaduais de Meio Ambiente – Abema) et l’Association nationale des organismes munici-paux pour l’environnement (Associação Nacional de Orgões Municipais de Meio Ambiente – Anama). Ces deux associations ont été à la pointe du combat pour une mise en œuvre des délibérations du système national de l’environnement relatives à la décentra-lisation dans la région amazonienne. Avant cela, en  1993, le ministère de l’Environne-ment avait été créé pour donner un nouveau visage à l’ancien secrétariat de l’Environnement et assumer le principal rôle de coordination au sein du système national de l’environnement. Parallèlement, le secré-tariat pour la coordination en Amazonie (Secre-taria de Coordenação da Amazônia – SCA) était spécifiquement mis en place, avec pour mission de remédier à la détérioration de l’environnement dans la région et de promouvoir les nouvelles technologies durables et les processus alternatifs de production économique, de manière à améliorer les conditions de vie des communautés locales et à réduire l’impact négatif sur l’environnement.

DES AGENDAS POSITIFS POUR LA GOUVERNANCE LOCALE

Le signe d’une décentralisation réussie. Depuis lors, la tâche la plus importante du secrétariat pour la coordination en Amazonie a été la mise en œuvre d’une série de projets dans le cadre des Agendas positifs (Agendas Positivas). Ceux-ci constituent jusqu’à présent l’expression la plus concrète et la plus importante de la décentralisation et de la parti-cipation de la société civile dans l’élaboration des politiques et le suivi des programmes. Ces agendas témoignent également de l’impulsion positive dans la région du réseau mondial d’idées et d’acteurs insti-tutionnalisés  : les ONG consacrées aux questions

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environnementales et les centres de recherche travaillant sur l’utilisation économique durable de la forêt. Ils s’inspirent, entre autres, des conventions internationales signées à l’occasion du Sommet mondial, telles que la Convention Climat, la Conven-tion sur la diversité biologique (CDB) et, par-dessus tout, l’Agenda  21, un plan d’action de 900  pages en faveur du développement environnemental. Les programmes ont également mobilisé d’autres initia-tives internationales telles que le projet Our Global Neighbourhood de 1995.

Un engagement total de la société civile. Le programme pilote pour la rotection des forêts tropi-cales au Brésil, connu sous le nom de PPG-7, a sans doute été le précurseur le plus significatif des Agendas positifs en Amazonie. Lancé en 1992, le PPG-7 résulte d’un partenariat entre le gouvernement brésilien, la société civile brésilienne, la communauté internationale (G7) et la Banque mondiale. Il a pour objet de lutter contre la déforestation et les émissions de CO2 et de parvenir à un développement durable. Divisé en plusieurs projets différents, le PPG-7 a parmi ses objectifs principaux le renforcement des organisations de la société civile opérant dans la région en favorisant des formes créatives de collaboration et de participation à la gouvernance publique. La consolidation du Groupe de travail pour l’Amazonie (Grupo de Trabalho Amazônico – GTA) constitue un développement positif dans ce sens. Il s’agit d’un réseau créé en 1992, regroupant plus de 600 ONG environnementales et d’autres mouvements sociaux. C’est aujourd’hui un protagoniste majeur de l’éla-boration des politiques de développement durable dans la région. Outre les ONG locales, nationales et transnationales, le GTA intègre des mouvements sociaux tels que les gemmeurs d’hévéas, les fendeurs de noix de coco et les amasseurs de noix, tous regroupés dans le Conseil national des gemmeurs d’hévéas (Conselho Nacional de Seringueiros) fondé en  1885 par le célèbre militant environnemental

Chico Mendes. Le GTA regroupe aussi les popula-tions indigènes rassemblées, entre autres, au sein du Forum des organisations indigènes de l’Ama-zonie brésilienne (Coordenação das Organizações Indigenas da Amazônia Brasileira), mais aussi des petits exploitants agricoles et des communautés de pêcheurs6.L’Agenda positif a été formellement adopté en 1999 dans les neufs États de l’Amazonie légale, marquant ainsi l’engagement de la société civile dans l’avenir de la région. Le Parlement, les trois niveaux d’admi-nistration, des mouvements sociaux organisés, des représentants des communautés traditionnelles, des institutions privées, des ONG, des experts techni-ques et des scientifiques ont été invités à élaborer ensemble des plans à l’échelle des États (Agendas positifs d’État) sur la base desquels un Agenda positif consolidé pour toute l’Amazonie (Agenda Positiva da Amazônia) a été approuvé en 2000. Ce programme couvre un large éventail de questions, comprenant notamment la cartographie écologique et écono-mique, les infrastructures (transport et énergie), la création durable d’emplois et de revenus dans des domaines tels que les produits de la forêt, la pêche, l’agriculture et l’élevage bovin, l’écotourisme et la

biotechnologie. L’agenda traite également de l’octroi de licences environnementales aux propriétés rurales, des politiques foncières, des zones protégées et des territoires indigènes, de la science et de la technologie, de la

surveillance et du contrôle de l’environnement, des services et de la formation en matière d’environne-ment, ou encore de la constitution d’un cadre légal et institutionnel.

La décentralisation de l’octroi de licences d’exploi-tation. Le Système d’octroi de licences environ-nementales aux propriétés rurales (Sistema de Licenciamento Ambiental em Propriedade Rural na Amazônia), l’une des principales composantes des Agendas positifs, a abouti, au cours des sept dernières années, à une décentralisation substantielle du processus de décision relatif à l’octroi de licences

GEMMEUR

Ouvrier qui incise l’écorce de certains pins pour en recueillir les sucs résineux.

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aux activités économiques et travaux d’infrastructure dans les zones rurales. Les revenus engendrés par ce système ont constitué une incitation supplémen-taire pour les États et les municipalités à disposer de leurs propres conseils pour l’environnement, puisque l’existence de ces organes est une condi-tion préalable à l’octroi de licences7. De même, le processus de certification par le Conseil brésilien de gérance des forêts (Conselho Brasileiro do Manejo Florestal) de la production économique durable du bois et des produits non ligneux (fruits, graines, huiles) a, lui aussi, obtenu des résultats très positifs. La conception et la mise en œuvre du processus de certification, démarré en 2001, ont bénéficié de l’indispensable collaboration des ONG8.

Des zones protégées pour les terres indigènes. Une autre tâche importante des Agendas positifs a été d’assurer la délimitation des « zones protégées », comprenant les territoires indigènes et les unités de conservation (Unidades de Conservação – UC). Leur proportion a considérablement augmenté ces dernières années, passant de 8,5 % en 1990 à 42,1 % (2,1 millions de km2) en 2006. La délimitation des territoires indigènes, fortement encouragée par les dispositions constitutionnelles garantissant l’autonomie de ces populations et leurs droits intemporels sur leurs territoires tradi-tionnels, a progressé lentement mais sûrement avec l’adjonction, depuis 2003, de 100 000 km2 de terres régularisées. À ce jour, près de 90 % des territoires identifiés ont été régularisés. Les superficies en jeu représentent 20,5 % de l’Amazonie légale, et 12,41 % de l’ensemble du territoire brésilienc. Les États, les municipalités et la société civile se sont, par ailleurs, impliqués de manière croissante dans la délimita-tion des unités de conservation. Définies comme zones de protection légale spéciale en raison de leur importance capitale en termes de biodiversité et de ressources naturelles, les unités de conservation représentent une étape essentielle dans la protection

c. Fundação Nacional do Indio (Funai), www.funai.gov.br

de la forêt primaire et ont été au centre des efforts des ONG. Ces unités représentent aujourd’hui 21,1 % de la superficie totale de l’Amazonie légale, la moitié environ placée sous la juridiction fédérale et l’autre sous celle des États et des municipalités. Elles comprennent les unités de protection totale, qui englobent les parcs nationaux, les réserves biologi-ques et les stations écologiques (7 %) ; et les unités d’usage durable, qui regroupent les réserves desti-nées à la cueillette et les forêts nationales (13 %)d. Rien qu’au cours des cinq dernières années (2003-2007), 145 873 km2 ont été classés comme unités de conservation.

La délégation audacieuse de la gestion des forêts publiques. L’une des mesures les plus audacieuses prises par le gouvernement actuel du président Luiz Inácio Lula da Silva pour décentraliser et engager la société civile dans la gestion de la forêt, dans l’esprit de l’Agenda 21, a sans doute été la promul-gation en 2006 de la Loi sur la gestion des forêts publi-ques pour une production durable (Lei de Gestão das Florestas Públicas para a Produção Sustentável) qui transfère, dans une large mesure, la gestion des forêts vers les États et la société civile. Son article 4 énonce sans équivoque que «  la gestion des forêts publi-ques pour une production durable comprend : 1) la création de forêts fédérales, étatiques et municipales, et leur gestion directe ; 2) la remise de la gestion des forêts publiques aux communautés locales […] ; 3) les concessions forestières […]e ».Ces dispositions ouvrent la voie à la gestion directe des forêts par concessions, de préférence aux commu-nautés locales, puis aux ONG, aux organisations

d. Instituto Socioambiental, www.socioambiental.org

e. « Lei No. 11.284, de 2 de Março de 2006 », Presidência da República, Brasilia, 2 mars 2006.

L’Agenda positif a été formellement adopté en 1999 dans les neufs États de l’Amazonie légale, marquant ainsi l’engagement de la société civile dans l’avenir de la région

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communautaires et aux entreprises. Ces conces-sions n’impliquent aucune espèce de propriété ou de titre pour les adjudicataires. Ils sont habilités à exploiter produits ligneux et non ligneux de la forêt, et un contrat définit les règles auxquelles cette exploitation doit se conformer, ainsi que le régime des prix des produits et des services. Les concessions sont surveillées par le Service forestier brésilien (Serviço Florestal Brasi-leiro – SFB), nouvellement créé. Il convient de souligner que le processus d’octroi des concessions et celui du contrôle de sa bonne

gestion sont effectués de manière décentralisée et participative, tel qu’envisagé par le système national de l’environnement, dans le respect des juridictions fédérale, étatiques ou municipales, selon les zones

forestières concernées. La Loi sur la gestion des forêts publiques pour une production durable a été saluée par les ONG environnementales, les associa-tions et toutes les organisations de la société civile comme un pas déterminant dans la lutte contre

ZONES PROTÉGÉES D'AMAZONIE BRÉSILIENNECARTE 2

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Unité de conservation fédérale

Unité de conservation de l’État concerné

Terres indigènes

Amazonie légale

frontière entre pays

frontière entre États fédérés du Brésil

Source : Compilation de François-Michel Le Tourneau, Credal, d'après le ministère brésilien de l'Environnement

500 km

PRODUITS LIGNEUX

L'ensemble des bois ronds, sciages, panneaux dérivés du bois, copeaux et pâte de bois généralement destiné à des activités commerciales ou à l'utilisation individuelle sous la forme de poteaux bruts pour la construction.

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l’occupation illégale, l’exploitation sauvage et la déforestation en Amazonie. Les forêts sous conces-sions seront vraisemblablement mieux protégées du déboisement à des fins agricoles, cause principale de la déforestation. La première expérience qui sera faite dans le cadre de cette nouvelle loi aura lieu dans l’État du Rondônia et portera sur une surface fores-tière de 900 km2.

L’OBJECTIF D’UNE AMAZONIE DURABLE Une tradition participative. Il est communément admis que le gouvernement du président Luiz Inácio Lula da Silva, ancien responsable syndical avant de fonder le Parti des travailleurs actuel-lement au pouvoir, a pris depuis 2003 d’importantes mesures pour décen-traliser les structures de gouvernance et adopter des méthodes participa-tives dans la gestion de l’Amazonie. Le renforcement du Sisnama par le biais du Conama, la mise en œuvre des Agendas positifs et la promul-gation de la loi sur la gestion des forêts publiques ont été parmi ses réussites les plus remarquables en matière de gestion durable de la forêt. Grâce à elles, le discours et les pratiques mondiales des ONG transnationales et des centres de recherche ont pu, en partenariat avec les communautés locales, se faire connaître et avoir un impact positif sur des programmes concrets de préservation de l’environnement, de certification forestière et de gestion des projets économiques.L’ancienne ministre de l’Environnement, Marina Silva, a résumé les innovations introduites dans les politi-ques publiques durant son mandat par deux expres-sions : « action structurante » et « transversalité ». La première fait référence aux initiatives visant à modifier les bases de l’économie et les formes d’occupation du territoire et d’exploitation de l’Amazonie, en vue d’introduire dans la région un modèle de développe-ment durable et de réduire ainsi progressivement les taux de déforestation. La seconde expression renvoie

à une politique sans précédent d’articulation et de synergie entre tous les ministères sous la coordination du ministère de l’Environnement, afin que le principe de durabilité soit intégré dans l’élaboration de toutes les politiques.

Une recrudescence de la déforestation en 2008. En revanche, l’augmentation des taux de déforestation en 2008 montre clairement que la mise en œuvre de ces plans et de ces programmes si prometteurs est loin d’être suffisante. En effet, elle met cruellement en évidence les difficultés considérables d’applica-tion de politiques durables face aux intérêts contradic-

toires des marchés nationaux et mondiaux des produits de base. Les considérations gouverne-mentales à court et moyen termes en matière de croissance économique, de promotion des exportations et de réduction de la pauvreté s’entrecroisent dans un environnement de politiques clientélistes et de corruption. La violence croissante associée à l’occupation illégale des territoires en dit long sur l’inef-ficacité des agences de contrôle, en dépit du renforcement de leurs capacités et de leurs ressources techniques, juridiques et stratégi-ques. Le nombre des conflits pour la terre est passé de 156 en 1997 à 328 en 2006, année

où l’Amazonie a été le théâtre de 43 % des conflits enregistrés au Brésil9. Très souvent, les mesures de décentralisation échouent à impliquer véritablement la société civile, et elles deviennent des outils aux mains des représen-tants des États ou des municipalités acquises à des intérêts privés. La puissance des lobbies locaux qui font pression pour obtenir l’approbation de projets d’infrastructures douteux dans l’État de Rondônia ou la poursuite de projets agricoles dans l’État du Mato Grosso, dirigé par l’un des plus grands producteurs mondiaux de soja, est emblématique de ce type de distorsions.

Des batailles politico-économiques. Le retour en arrière le plus significatif dans la mise en œuvre des

PRODUITS NON LIGNEUX

Les produits non ligneux dési-gnent les matières biologiques autres que le bois rond indus-triel qui peuvent être extraites des écosystèmes naturels à des fins commerciales, domesti-ques, sociales, culturelles ou religieuses. Ils comprennent des produits utilisés comme nourriture (noix comestibles, fruits, etc.), fibres (utilisées dans la construction, les meubles, etc.) ou encore des produits végétaux utilisés à des fins médicinales ou cosmétiques.

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1. SILVA (A.), « Relações Internacionais e Governança na Pan-Amazônia : Atores e Dinâmica de Redes Regionais e Globais », disponible sur le site internet www.obed.ufpa.br

2. ZHOURI (A.), « O Ativismo Transnacional pela Amazônia : Entre a Ecologia Pól’tica e o Ambientalismo de Resultados », Horizontes Antropológicos, 12 (25), janvier-juin 2006, p. 139-169.

3. BECKER (B.), « Workshop “Modelos e Cenários para a Amazônia Brasileira : o Papel da Ciência”. Resumo das Discussões e Conclusões », Ministério da Ciência e Tecnologia, disponible sur le site internet www.mct.gov.br

4. GIORGI (D.), « Um Dia Chegaremos ao Desmatamento Zero », Correio da Cidadania, 4 juin 2008.

5. CASTRO (E.), « Dinâmica Socioeconômica e Desmatamento da Amazônia », Novos Cadernos NAEA, 8 (2), décembre 2005, p. 6-10.

6. ROS-TONEN (M.), « Novas Perspectivas para a Gestão Sustentável da Floresta Amazônica: Explorando Novos Caminhos », Ambiente e Sociedade, 10 (1), janvier-juin 2007, p. 18-19.

7. CARVALHO (P.), OLIVEIRA (S.), BARCELLOS (F.) et ASSIS (J.), « Gestão Local e Meio Ambiente », Ambiente & Sociedade, 8 (1), janvier-juin 2005, p. 2-5.

8. CARNEIRO (M.), « ONGs, Expertise e o Mercado do Desenvolvimento Sustentável : a Certificação Florestal na Amazônia », Novos Cadernos NAEA, 9 (1), juin 2006, p. 152-154.

9. CELENTANO (D.) et VERISSIMO (A.), « The Amazon Frontier Advance : From Boom to Bust » et « The Brazilian Amazon and the Millennium Development Goals », The State of the Amazon : Indicators, Belém, Imazon (Institut amazonien des peuples et de l’environnement), 2007.

10. « Sete Anos para Zerar Desmatamento na Amazônia: ONGs Brasileiras Mostram como », 3 octobre 2007, disponible sur le site internet www.greenpeace.org

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

politiques de décentralisation a peut-être été la démis-sion de la ministre de l’Environnement Marina Silva début 2008, suite à des pressions exercées par les lobbies. Sa lettre de démission dénonçait l’existence, au sein même du gouvernement, de forces s’opposant à l’application de son programme environnemental, et témoignait des batailles intestines qu’elle avait dû mener. Son scepticisme et ses réserves, partagés par de nombreux environnementalistes, à l’égard du Programme pour l’Amazonie durable (Programa da Amazônia Sustentável – PAS) annoncé par le gouver-nement en 2007 sous la direction du ministre pour les Affaires stratégiques, Mangabeira Unger, étaient bien connus. Son opposition portait en particulier sur l’accent prioritaire mis sur les travaux d’infras-tructures et les activités industrielles au détriment de la protection de l’environnement, conformément

à l’objectif de promotion de ce que Mangabeira Unger désigne lui-même comme «  l’industrialisa-tion de l’Amazonie ».

Des avocats pour une déforestation zéro ? L’ampleur des problèmes est énorme. C’est la survie de la plus grande forêt de la planète et de sa biodiversité qui est en jeu. La balle est maintenant dans le camp du nouveau ministre de l’Environnement, Carlos Minc, un autre environnementaliste tout aussi réputé que Marina Silva, et originaire de Rio de Janeiro. Une alter-native ou, peut-être, une proposition de compromis est actuellement soumise à son évaluation. En 2007, un groupe composé de neuf grandes ONG et d’inter-locuteurs crédibles dans le dialogue entre le local et le mondial – à savoir, l’Institut socio-environne-mental (Instituto Socioambiental), Greenpeace, l’ins-titut Centre de vie (Instituto Centro de Vida), l’Institut amazonien de recherche environnementale (Instituto de Pesquisa Ambiental da Amazônia), The Nature Conservancy, Conservation International, Les Amis de la terre-Amazonie brésilienne (Amigos da Terra-Amazônia Brasileira), Imazon et le WWF Brésil  – ont soumis au gouvernement une proposition qui se donne l’objectif ambitieux de réduire la défores-tation au niveau zéro d’ici à 2015 grâce à l’adoption d’un système de quotas annuels et de compensations financières destinées à tous ceux qui sont disposés à lutter contre le déboisement. Seul le temps dira si la participation croissante de la société civile dans la gestion et le destin de l’Ama-zonie a véritablement atteint un point où le rêve fou d’une déforestation zéro peut devenir réalité10.

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Il est a priori paradoxal d’attendre des entreprises qu’elles endossent volontairement une res-ponsabilité sociale en exerçant des fonctions qui incombent d’ordinaire aux administrations publiques. Or un tel phénomène se développe au sein des entreprises transnationales. Rideau de fumée, transfert au privé de fonctions politiques, frein ou accélérateur d’une meilleure régulation de la mondialisation ? Les initiatives oscillent entre ambiguïté et sincérité.

QUE PEUT-ON ESPÉRER DES ENTREPRISES SOCIALEMENT RESPONSABLES ?

THIERRY HOMMELDIRECTEUR DÉLÉGUÉ, CHAIRE DÉVELOPPEMENT DURABLE DE SCIENCES PO, PARIS (FRANCE)

OLIVIER GODARDDIRECTEUR DE RECHERCHE CNRS, PROFESSEUR À L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE, PARIS (FRANCE)

Certaines entreprises revendiquent désor-mais une responsabilité « élargie », dite sociale ou sociétale (RSE). Elles s’enga-gent volontairement dans des actions visant l’amélioration des conditions de

travail ou de leur performance environnementale, au-delà des obligations qui leur incombent du fait de la réglementation publique. Dans les pays les moins avancés, elles investissent dans des infrastruc-tures collectives, prennent en charge des services de santé ou se préoccupent de l’impact environne-mental de leur activité, au-delà de ce qu’imposent les réglementations des pays d’accueil. N’est-ce pas paradoxal pour des organisations dont le but est de faire du profit  ? Il est complexe et encore trop tôt pour savoir jusqu’où cette évolution conduira. Mais il est facile de diagnostiquer qu’une redéfinition de

la ligne de partage entre le public et le privé, des contours du collectif et de la manière de «  faire société » se joue ici à l’échelle de l’humanité.

LES INITIATIVES VOLONTAIRES EN QUESTIONAu cours des deux dernières décennies, les expres-sions «  initiatives volontaires » et «  responsabilité sociale » ont renvoyé à des réalités très différentes dont il convient avant tout de distinguer les diffé-rentes modalités (cf. tableau 1).Ces initiatives volontaires touchent des aspects divers, et pour une part importante des fonctions traditionnellement dévolues à des administrations ou des services publics, comme : m les conditions de rémunération et de travail du personnel employé, l’organisation de services

DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANT CHAPITRE 7

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Enjeux Type de standards/actions Principes de fonctionnement

Exemples

1. Actions standardisées

Management qualité. Appui sur la normalisation de l’International Standardisation Organisation : ISO série 9000 (première version ISO 9001 rédigée en 1978).

Démarche de progrès continu.Méthodologie associant engagement, planification, mise en œuvre et fonctionnement, contrôle et action corrective puis revue de direction.

Secteur automobileEffet d’entraînement vertical : adoption de normes de la série ISO 9000 par les constructeurs automobiles.Effet d’entraînement horizontal : diffusion de la norme le long de la chaîne de sous-traitance automobile.

Management qualité environnement.

Appui sur la normalisation de l’International Standardisation Organisation : ISO série 14000 (première version ISO 14001 rédigée en 1996).

Démarche de progrès continu.Méthodologie associant fixation d’objectifs, plans d’action, mesure de la performance et amélioration continue.

Secteur automobileAdoption de la série des normes ISO 14000 par les grands constructeurs automobiles et effets d’entraînement horizontal et vertical.

Responsabilité sociétale de l’entreprise.Investissement socialement responsable.

Action visant la performance extrafinancière, environnementale et sociale des entreprises qui peuvent être sélectionnées sur les marchés financiers.

Reporting auprès des parties prenantes.Démarche de progrès continu.Méthodologie associant fixation d’objectifs, plans d’action, mesure de la performance et amélioration continue.

Démarche de RSE de l’entreprise Lafarge : codéfinition de la politique environnementale et monitoring de la performance avec une ONG (WWF).

2. Actions non standardisées

Engagement individuel ou sectoriel visant la performance environnementale, non sollicité par des cadres institutionnels.

Engagement d’un secteur d’activité ou d’entreprises pour améliorer la performance environnementale des sites de production et/ou des produits.

Adoption de chartes avec vérification interne et externe.

Responsible Care dans l’industrie chimique (sans adoption de charte).Partenariat Lafarge (avec l’adoption d’une charte).

Action en faveur du développement sans inflexion d’institutions internationales.

Mécénats ou philanthropie sans création de fondations.Coalition d’entreprises de type groupement d’intérêt économique.

Création d’organisations fédératives.Allocation de fonds à des organisations pour la résolution d’un problème donné.

Coalition des entreprises contre le sida/VIH.World Business Council for Sustainable Development (WBCSD).

Engagement en faveur du développement en concertation avec des institutions internationales.

Pacte mondial ouvert à toutes les entreprises transnationales.Principes d’Équateur ouverts aux organismes de crédits.

Adhésion aux grands principes des droits de l’homme.Évaluation des impacts sociaux et environnementaux avant financement de grands projets.

Adhésion de l’entreprise Total aux principes du Pacte mondial.

Création d’organisations périphériques à but non lucratif.

Mécénats ou philanthropieavec création de fondations.

Actions désintéressées sans lien avec l’activité initiale des fondateurs.

Fondation Bill et Melinda Gates : financementde la recherche de thérapies antipaludiques.

MODALITÉS DES INITIATIVES VOLONTAIRESTABLEAU 1

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUE PEUT-ON ESPÉRER DES ENTREPRISES SOCIALEMENT RESPONSABLES ?

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sociaux (éducation, santé) pour les salariés et leurs familles ;

m la protection de l’environnement (lutte contre les pollutions, réduction des émissions de gaz à effet de serre, préservation de la biodiversité) ;

m l’animation économique locale ; m le financement et la réalisation d’infrastructures (réseaux) ou de programmes au bénéfice de populations locales.

Firmes transnationales et politique mondiale. Des fondations privées, créées par des entreprises ou des entrepreneurs ayant fait fortune, disposent désormais de fonds financiers équivalents à ceux de certaines organisations internationales. C’est par exemple le cas de la fondation Bill et Melinda Gates, créée en 2000 et dédiée à l’amélioration de la santé et de l’éducation dans les pays du Sud. Ces entreprises, seules ou sous des formes variables de regroupementsa et de représentation, agissent au niveau de la diplomatie interna-tionale et deviennent des parte-naires privilégiés de l’Organisation des Nations unies. Est-ce à dire que certaines fonctions classi-ques de l’État et du politique sont déléguées aux entreprises à but lucratif et aux ONG internatio-nales ? Entreprises et ONG sont-elles devenues des entités politi-ques d’un nouveau genre ? Cette évolution peut-elle conduire à une prise en charge satisfaisante des biens collectifs, planétaires aussi bien que locaux, ou bien assis-tons-nous à un nouveau mouvement historique d’enclosure, c’est-à-dire d’appropriation privée des ressources et biens communs ?

a. Créé en 1990, le club mondial des entreprises contribuant à la mise en œuvre du développement durable, le World Business Council for Sustai-nable Development (WBCSD), compte aujourd’hui plus de 180 membres.

Une énigme économique à élucider. Il est dans la nature juridique des entreprises de limiter leur rôle à la production et à la distribution de biens et services répondant à des demandes, dans le but d’en tirer un profit. Dans la mesure où l’élargisse-ment des activités et critères considérés se traduit par des coûts supplémentaires, et où les bénéfices ne reviennent que partiellement ou aucunement aux entreprises concernées, cette évolution semble contraire aux intérêts mêmes des entreprises et de leurs actionnaires. Deux scénarios explicatifs peuvent a priori (de manière simpliste) être dégagés face à un tel paradoxe. m On assiste à un phénomène médiatique en décalage avec la réalité fondamentalement inchangée du capitalisme et de sa propension générale à inter-naliser les profits et externaliser les coûts1.

m Dans un contexte de développement d’une économie mondialisée mais dépourvue d’État mondial, il s’agit de la modalité contemporaine

de prise en charge de ce vieux problème, en débat depuis la naissance de l’économie politique, de la conciliation des intérêts privés et collectifs.L’organisation économique contemporaine est complexe et marquée par l’imbrication du public et du privé. Les effets externes du marché – tels que la pollution ou les dégra-dations environnementales  – n’étant pas reflétés par les prix, celui-ci doit en consé-quence être régulé et complété par d’autres formes de coordination. L’État, pour pallier ses défaillances et ses limites, notamment en matière d’information et de finances publi-ques, peut faire appel aux compétences et

moyens d’entreprises privées pour réaliser certaines de ses missions dans le cadre de partenariats ou de délégations. De plus son monopole de la définition de l’intérêt général se trouve contesté. Or, face à la mondialisation de la finance et des échanges commer-ciaux, remodelant la géographie de la production, il n’existe aucun État mondial. De là résulte une source de déséquilibre dans la régulation économique.

MOUVEMENT HISTORIQUE D’ENCLOSURE

Phénomène né à partir de la fin du xvie siècle et au xviie siècle en Angleterre lorsque les terres soumises à un droit d’usage communautaire ont été confisquées aux paysans et aux bergers, et clôturées, consa-crant le passage d’un régime de possession avec des droits d’usage collectifs à un régime de propriété privée. Les enclo-sures marquent la fin des droits d'usage, en particulier des communs, dont bon nombre de paysans dépendaient.

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L’enchâssement de l’économique dans le socio-politique. Si l’accent mis sur les enjeux environ-nementaux est assez récent, l’idée d’une coordina-tion des activités humaines moins dépendante de l’intervention d’un pourvoyeur ou d’un régulateur public n’est pas nouvelle. Sans remonter jusqu’à la métaphore de la « main invisible » d’Adam Smith, il est intéressant de revenir à la notion d’enchâs-sement social du marché, définie par Karl Polanyi en  19442 pour rendre compte de l’imbrication de la sphère productive et de l’organi-sation des échanges commerciaux dans les règles sociales et politi-ques, et pour souligner l’impact des caractéristiques culturelles sur les pratiques économiques les plus ordinaires. La coordination des activités humaines y est carac-térisée par la coexistence de trois modalités : réciprocité-solidarité, échange marchand et régulation étatique. La place relative de chacune variant en fonction de l’histoire, au point de pouvoir parler aujourd’hui d’une co-évolution entre elles.

La RSE comme prolongement du patronage volontaire. Il est tentant de rapprocher la façon dont des entreprises transnationales du xxie siècle exercent leur responsabilité sociétale des thèses du « patronage volontaire » de Frédéric Le Play au milieu du xixe  siècle. Dans les deux configu-rations, la relative faiblesse de l’État et des insti-tutions publiques (moyens disponibles, secteurs couverts, compétences, légitimité) et leur incapa-cité à assumer certaines responsabilités collec-tives expliquent les innovations sociales réalisées à l’initiative du secteur privé, au croisement de la coordination par le marché et par la « récipro-cité-solidarité  ». En incitant les firmes à satis-faire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais également «  à aller au-delà, à “investir davantage” dans le capital humain,

l’environnement et les relations avec les parties prenantes3  », la RSE peut être vue comme un prolongement modernisé du patronage volontaire. À l’instar de cette doctrine conçue pour asseoir la viabilité d’un mode d’organisation industriel naissant, en situation d’instabilité sociale et de faiblesse de l’État dans la France du xixe siècle4, les choix stratégiques des firmes transnationales

contemporaines sont multiples et peuvent avoir pour objectif : m de faire face à des besoins directs non

comblés par l’action publique (formation et stabilisation d’une main-d’œuvre par exemple) ; m de préempter le contenu d’une future

intervention publique ; m de dissuader les autorités publiques de

mettre en place des dispositifs contrai-gnants ; m de se prémunir par avance contre

le déclenchement de mouvements de contestation sociale à l’encontre de

leurs activités, de leurs techniques ou de leurs produits, lesquels porteraient atteinte à leur sécurité juridique et à leur viabilité écono-mique, et menaceraient leur profitabilité.

Une responsabilité sociale ambiguë. Au même titre que le patronage volontaire, la responsabilité sociale des entreprises est doublement ambiguë. D’abord parce que sa signification peut varier d’un pays à l’autre selon le niveau de développe-ment et d’efficacité des services publics et selon le mode de fonctionnement de l’État. Ensuite parce que, au sein d’un même pays, ces initia-tives privées peuvent se lire, soit comme une avancée dans la prise en charge de problèmes collectifs, soit comme le moyen d’empêcher une action publique plus légitime et de plus grande ampleur. La façon dont les firmes ont investi l’espace public et contribué aux réflexions sur la gouvernance n’a pas toujours facilité les avancées, notamment sur le dossier climatique.

ENCHÂSSEMENT SOCIAL DU MARCHÉ

Imbrication des règles poli-tiques, culturelles et sociales dans les sphères de la produc-tion et de l’échange. Selon cette notion développée par Karl Polanyi en 1944, les entre-prises conservent la réalisation d’un profit comme une condi-tion non négociable de leur existence, mais les conditions de la réalisation de ce profit font l'objet de négociations, dans lesquelles intérêts diffé-rentiés et valeurs doivent être coordonnés.

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUE PEUT-ON ESPÉRER DES ENTREPRISES SOCIALEMENT RESPONSABLES ?

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Elles ont, au contraire, souvent ajouté des obsta-cles ou des blocages au traitement efficace des problèmes5.

UN DISCOURS DE RESPONSABILITÉL’autorégulation. Le thème des approches volon-taires et contractuelles des entreprises a véritable-ment émergé au début des années  1990, devant les difficultés à mettre en place des réglementa-tions économiquement efficaces pour traiter de problèmes complexes, et à effectuer les réformes requises par un recours plus systématique à des instruments économiques (taxes, marchés de permis).Certaines entreprises se sont alors engagées de façon proactive : la régulation des comportements économiques, une fois atteints certains minima garantis par la réglementation, devait s’appuyer sur la bonne volonté et le sens des responsabilités des entreprises. Alors que depuis trente ans, la critique intellectuelle imputait aux défaillances du marché, et à la logique d’entreprise, la dégradation de l’envi-ronnement planétaire et les inégalités sociales, ce nouveau discours mettait en avant le volontariat des entreprises et les initiatives de la société civile comme les deux leviers permettant de promou-voir un développement attentif à la donne écolo-gique et à la dimension sociale. Des États-nations et des institutions internationales paralysées ou défaillantes, des entreprises devenues sponta-nément pourvoyeuses de biens collectifs pour pallier l’absence de volonté ou de moyens publics, une société civile et des entreprises œuvrant de concert pour un développement durable, telle était la nouvelle rhétorique, bien déconcertante.

En route pour un engagement durable. À première vue, le discours sur la responsabilité sociale des entreprises et, plus largement, sur les accords volon-taires rompt délibérément avec l’analyse écono-mique classique. Le déploiement de nouvelles règles publiques et d’instruments économiques n’apparaît plus comme le moyen le plus efficace

pour atteindre les objectifs de la collectivité en corri-geant les défaillances du marché. Pour les pouvoirs publics, l’enjeu principal consiste à créer un contexte favorable à l’accueil des initiatives volontaires des entreprises. Pour les tenants de la responsabilité sociale des entreprises, l’engagement volontaire des firmes, en visant la qualité environnementale, l’essor économique et la justice sociale, constitue la base du progrès vers un développement durable. Crédibles, ces engagements le seraient doublement. D’abord, parce qu’ils relèveraient de stratégies d’anticipation de l’environnement économique, social et réglemen-taire futur de l’activité des entreprises. Ensuite parce qu’ils s’appuieraient direc-tement sur les demandes formulées par les diverses parties prenantesb des firmes. L’entreprise serait ainsi l’institution primor-diale où se feraient les arbitrages sur les compo-santes du bien-être (notamment l’arbitrage consom-mation/protection de l’environnement,) et sur sa distribution. Instances étatiques et institutions inter-nationales seraient largement disqualifiées par leur manque de réactivité, voire leur paralysie, comme en témoignent la faiblesse ou l’inadéquation des résultats obtenus en matière de protection de l’envi-ronnement ou de prévention des risques sanitaires et naturels. Les entrepreneurs pourraient de surcroît prendre des décisions reposant sur une meilleure connaissance empirique des problèmes et bénéficier de coûts de transaction réduits.Ces idées fréquemment épousées par les entre-prises et leurs multiples représentants (syndicats patronaux, organisations professionnelles, fédéra-tions ou groupes internationaux) le sont aussi parfois par des acteurs issus de la sphère publique ou des organisations internationales, qui ont favorisé la promotion de ce modèle. Ainsi Kofi Annan, secré-taire général des Nations unies, exhortait-il, dans

b. Les compromis se réalisent alors à l’intersection d’intérêts particuliers ; ils ne sont pas négociés au nom de l’intérêt général.

L’engagement volontaire des firmes, une base du progrès vers un développement durable

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son discours du 14  juin  2005 (cf. encadré 1), les entreprises à s’impliquer dans le développement via le Pacte mondial des Nations unies pour les entre-prises (Global Compact)c. Celui-ci comporte l’adop-tion d’une dizaine de principes de base : respect des droits de l’homme, droit des travailleurs à s’organiser collectivement, abolition du travail des prisonniers et des enfants, lutte contre la corruption, protection de l’environnement, notamment.

L’émergence d’une gouvernance aux configurations multiples. Dans cette conception privilégiant l’imbri-cation de la réciprocité et du marché aux dépens des dispositifs publics – pour reprendre les trois formes de coordination retenues par Karl Polanyi –, les États, pas plus que les institutions internationales, ne sont voués à disparaître. Toutefois leurs actions sont davantage circonscrites et limitées que par le passé, du moins dans les pays qui ont vu se développer un État providence. Il leur est proposé de se transformer en États et institutions de type résiduel. En dehors des domaines régaliens (armée, police, justice) qui leur

c. Le Global Compact fut lancé en 1999 à l’initiative du secrétaire général des Nations unies.

demeurent partiellement réservésd , le rôle des insti-tutions publiques se bornerait pour l’essentiel à un rôle d’exhortation, d’influence et de sollicitation des bonnes volontés, et, dans certains cas, à l’établisse-ment de partenariats avec des acteurs économiques et sociaux ou des ONG.Ce discours a depuis dix ans une influence certaine. Les thèmes des « coalitions des bonnes volontés » et des partenariats public-privé (PPP) ont ainsi émergé, associant entreprises et États, parfois avec le concours d’organisations non gouvernemen-tales, autour de réalisations précises faisant appel aux compétences techniques et aux capacités finan-cières des entreprises pour des buts d’intérêt collectif. Ils ont également permis une diversification des processus de concertation. Au duo classique « entre-prises-pouvoirs publics  » s’est substituée, dans le domaine de l’environnement et dans certains pays, une triple concertation entre entreprises, ONG et pouvoirs publics. Nous assistons même depuis peu à une coexistence de jeux à configurations multiples :

d. Le recours à des mercenaires, à des entreprises de service de sécurité militaire ou à des milices privées, et le développement des procédures d’arbi-trage parajudiciaire montrent que le domaine régalien aussi s’effrite.

DES INTÉRÊTS DIVERGENTSENCADRÉ 1

n  «  Le monde des affaires, comme le monde politique, a intérêt à ce que la mondialisation apporte des avantages réels au plus grand nombre.Nous devons offrir d’autres perspectives à ceux qui vivent dans un sentiment de perpétuelle impuissance économique.Dans un monde plus interdépendant que jamais, la pauvreté non seulement détruit les individus et ronge les familles de l’intérieur, mais elle se propage par vagues, répandant le malheur et la révolte. Combien de fois avons-nous vu l’indigence, les violations des droits de l’homme et la guerre se nourrir mutuel-lement dans un engrenage fatal qui ignore les frontières ?

Aucune entreprise n’est à l’abri du phénomène, car aucune ne travaille isolément. Beaucoup ont une longue expérience des pays en développe-ment  ; beaucoup d’autres, qui décou-vrent la mondialisation des contacts et des réseaux de fournisseurs, rencontrent ces problèmes pour la première fois.Mais toutes savent maintenant que la manière dont elles vont les aborder a un effet direct sur les risques qu’elles pren-nent, l’image qu’elles donnent, le moral de leurs employés et la solidité même des marchés dont elles dépendent.Il est plus clair que jamais que les inté-rêts du secteur privé convergent parfai-tement sur les objectifs de dévelop-

pement des Nations unies… C’est pourquoi nous faisons dorénavant cause commune.Nous ne sommes pas ici pour dresser des plans nouveaux, mais bien pour mettre en œuvre une stratégie qui jouit d’une légitimité et d’un soutien interna-tional sans précédents. Je parle évidem-ment des objectifs du Millénaire pour le développement, tirés de la déclaration adoptée par les dirigeants du monde entier lors de la réunion au sommet qu’ils ont tenue en septembre  2000 à l’ONU. »Source : Extraits de l’allocution de Kofi Annan, le 14  juin 2005, lors de la réception des représentants du Pacte mondial des Nations unies pour les entre-prises.

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUE PEUT-ON ESPÉRER DES ENTREPRISES SOCIALEMENT RESPONSABLES ?

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duos (ONG-entreprises, entreprises-administra-tions, ONG-administrations), trios (les mêmes en ajoutant des organisations internationales) et même un quintettee réparti entre sphère publique et sphère privée, et différents niveaux d’organisation territo-riale. Le plus significatif dans tout cela étant l’appa-rition de processus au sein desquels entreprises et ONG se concertent et coopèrent directement, sans plus se soucier d’associer les États.La profusion des initiatives privées rencontre cepen-dant une limite  : celle de la « babellisation ». Les entreprises ont elles-mêmes assez rapidement manifesté le souhait de voir se stabiliser des cadres explicites et reproductibles, surtout au niveau de l’information. Des processus de codification de l’information ont été mis en place. Ainsi, la Global Reporting Initiative (GRI), constituée en 1997 à l’ini-tiative de la Coalition pour les économies environ-nementalement responsables, en association avec le Programme des Nations unies pour l’environ-nement (PNUE), cherche à obtenir une adoption consensuelle de principes et indicateurs suscepti-bles de rendre compte des performances économi-ques, sociales et environnementales d’organisations économiques et non économiques. Ces dispositifs sont destinés aux différentes parties prenantes et aux agences de notation sociale, récemment apparues aux côtés des agences de notation financière. Mais jusqu’à quel point une codification, fruit d’initiatives privées portées par des réseaux non gouvernemen-taux entre investisseurs, ONG et entreprises, peut-elle et doit-elle aller ?

LA RSE, STRATÉGIE DE STABILISATION DE L’ENVIRONNEMENT DE L’ENTREPRISE

L’intentionnalité sous-jacente à l’engagement d’une démarche de responsabilité sociale des entreprises peut être abordée de deux façons.

e. En 2007, en France, le Grenelle de l’environnement a réuni des représen-tants de cinq catégories d’acteurs : administrations, collectivités territoriales, ONG environnementales, entreprises, syndicats de salariés, à l’exclusion des élus de la nation.

m L’éthique et le public concern sont les ressorts principaux de l’engagement  : ceci n’est possible que dans un cadre où l’entreprise est vue comme une organisation économique et comme une personne morale, au sens fort et non juridique, délibérant de façon morale pour déterminer sa conduite et acceptant que son comportement soit jugé moralement. Un courant mettant en avant l’éthique de l’entreprise en a résulté.

m L’horizon de réalisation des profits des entreprises doit être allongé par rapport à celui que la théorie économique standard considère. En effet, l’irré-versibilité de fait ou la réversibilité coûteuse des choix stratégiques d’investissements et de produc-tion implique que les dirigeants d’entreprises se préoccupent de préserver les conditions d’exploi-tation profitable de leurs actifs pour un horizon minimal d’engagement correspondant au temps nécessaire à la valorisation des investissements consentis.

Pour l’économiste, cette seconde version, dont la rationalité intéressée est en phase avec l’objet social des entreprises, est moins perturbante que la première, qui crédite l’entreprise d’un messia-nisme social déconcer-tant. Tout altruisme n’est pas écarté, mais il n’est pas le déterminant principal de l’engagement d’une politique de responsabilité sociale des entreprises. Il s’agit plutôt d’un altruisme intéressé au sens suivant : le bénéfice retiré d’une action de RSE est partagé avec différentes parties prenantes, mais le gain le plus important est retiré par l’entreprise elle-même. Examinée sous cet angle, la RSE s’appa-rente bien à une stratégie d’entreprise dont l’enjeu est de stabiliser, par le biais d’investissements non directement productifs, le contexte socio-écono-mique et physique dans lequel elles conduisent leurs actions.En fonction de leur situation et de leurs intérêts stratégiques, les entreprises auront pour préoc-cupation de prendre en compte différents enjeux

Le gain le plus important de la RSE est retiré par l’entreprise elle-même

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sociaux et politiques, des particularismes locaux, des traits culturels, des paramètres environnemen-taux qui, à défaut d’être intégrés stratégiquement, pourraient conduire à une remise en cause de leur social license to operate 6. La bonne prise en compte de leur environnement socio-économique devient tout simplement, de par les contraintes de la technologie de produc-tion, l’une des conditions de la performance économique des firmes s’engageant de façon durable dans une activité déterminée en un lieu identifié7.

UN MÉCANISME VERTUEUX QUI N’EST PAS UNIVERSEL

Si la vision de l’entreprise socialement respon-sable peut trouver des fondements rationnels dans l’économie de la réglementation ou dans celle de la gestion des relations avec diverses parties prenantes, elle ne permet cependant pas de faire le postulat un mécanisme universel valant pour toutes les entreprises. Sachant que certaines font le choix de la RSE et d’autres non, il convient d’en comprendre les raisons. L’éthique des dirigeants fournit une explica-tion peu convaincante, car il n’existe pas de raisons valables pour que cette éthique varie fortement en fonction des secteurs, de la taille ou de la notoriété des entreprises. Retenons plutôt comme fil rouge l’idée que les firmes cherchent à préserver les condi-tions socio-économiques et institutionnelles de leur rentabilité à moyen et long termes en gérant par anticipation les menaces potentielles de contesta-tion de leurs activités, de leurs techniques ou de leurs produits8.Selon cette interprétation, les entreprises ne doivent pas seulement respecter la réglementation publique mais également entretenir leur légitimité sociale et se prémunir contre différentes menaces de contes-tation futures qui prendraient appui sur la dénoncia-tion de risques environnementaux ou sanitaires, ou sur celle d’injustices des relations économiques, qu’il s’agisse de commerce ou d’organisation du travail.

Cependant toutes les entreprises n’ont pas à affronter cette perspective au même degré. Celles qui sont engagées dans des activités techniques (l’exploita-

tion d’un haut-fourneau, d’une centrale nucléaire, d’une mine…) pour une longue période doivent être très attentives à la préven-tion des risques ou à ce qu’un processus de contestation ne déclenche pas une crise portant atteinte à leur viabilité écono-mique. Pour d’autres au contraire, la menace de contestation est peu crédible. C’est le cas lorsqu’une firme possède essentiellement des actifs aisément redéployables ou déjà amortis, lorsque l’investisse-ment initial est modeste, ou que l’entreprise n’a aucune image de marque à défendre. La contesta-tion aurait alors peu de prise sur elle  : il lui suffirait de redéployer son activité. Avec cet éclairage, il apparaît que les entreprises qui sont le fer de lance de la RSE

auraient en commun d’être objectivement exposées à des menaces de contestation pouvant porter un coup sévère à leur profitabilité si elles se concré-tisaient avant que les équipements productifs ne soient totalement amortis.

UNE EFFICACITÉ INCONNUEDes résultats stimulés par l’innovation technolo-gique. Si la prise en compte de la contestation tend à nous mettre sur la piste des ressorts de l’engage-ment de certaines firmes et du faible intérêt des autres, elle ne permet cependant pas d’évaluer l’efficacité économique de ce mécanisme – quels gains pour les opérateurs engagés et pour la collec-tivité ? – et sa performance environnementale – quel gain environnemental par rapport à une situation où les pouvoirs publics seraient directement intervenus avec les instruments de première (réglementation)

SOCIAL LICENSE TO OPERATE (PERMIS SOCIAL D’OPÉRER)

Relation interactive entre une entreprise et les parties prenantes (stakeholders) par laquelle les acteurs sociaux reconnaissent la légitimité de l’entreprise à effectuer ses activités. Les critères de cette autorisation sociale sont chan-geants et définis par une négo-ciation directe ou indirecte entre les parties. Ce « permis social d’opérer  » n’a pas de force légale mais peut avoir une influence sur la capa-cité d’opérer de l’entreprise à travers différents canaux. Par exemple, dans le cas où une compagnie dépasse les limi-tes de l’acceptation sociale en polluant le cours d’eau local, les acteurs sociaux peuvent faire pression sur le gouverne-ment (normes légales) ou sur les consommateurs (boycott) pour contraindre l’entreprise à modifier ses pratiques.

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUE PEUT-ON ESPÉRER DES ENTREPRISES SOCIALEMENT RESPONSABLES ?

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ou deuxième (taxes, marchés de permis) généra-tion  ? S’agissant de l’environnement, l’expérience des vingt dernières années ne plaide pas en faveur d’une large confiance dans les capacités de progrès volontaire des entreprises. Dans un premier temps, dans les années 1990, différents travaux et notam-ment ceux de l’OCDE avaient souligné l’intérêt des approches volontaires, en particulier pour les premières étapes de prise en charge d’un problème émergent. Mais la première vague d’accords volontaires sur cette même période s’est soldée dans différents pays (France, États-Unis…) par de nombreux cas d’habillage environnemental de changements techniques profitables en eux-mêmes ou décidés pour d’autres motifs. Les principaux résultats environnementaux semblent devoir être attribués non à ces instruments, mais au mouvement

général d’innovation technologique stimulé par la concurrence et par le niveau des prix. Aussi, les observateurs adoptent-ils depuis 2003 une position plus mesurée, soulignant l’intérêt de combiner des approches volontaires avec des instruments régle-mentaires ou économiques garants de l’atteinte des objectifs affichés. C’est le cas par exemple d’appro-ches publiques consistant à proposer aux entreprises de choisir un instrument au sein d’un menu compor-tant la possibilité d’un engagement sur des objectifs et des moyens en lieu et place d’une taxe sur les émissions polluantes.

Les enjeux de la viabilité et de la compétitivité. Surtout, force a été de constater que le niveau d’amélioration environnementale rendu possible par une modernisation volontaire de l’appareil de

VIH ET ENTREPRISES EN AFRIQUEENCADRÉ 2

n  La situation sanitaire de l’Afrique australe est une préoccupation priori-taire pour la communauté internationale. Cette priorité onusienne, notamment dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le développement, est partagée par les milieux d’affaires, conduisant à la constitution de la Coalition des entre-prises contre le VIH/sida. L’approche économique de la question assure l’im-plication des parties prenantes. En effet, ne pas lutter contre la pandémie tuerait dans l’œuf les possibilités de dévelop-pement des populations locales et des États en question, lesquels fondent leur stratégie de développement sur l’inves-tissement direct de l’étranger et l’attrac-tivité des pays.Un rapport publié par l’Agence des États-Unis pour le développement (Usaid) établit ainsi un lien direct entre les menaces sur la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée et la prévalence du sida. Soulignant le fait que la main-d’œuvre africaine est abondante, bon marché et productive, le rapport y voit

un avantage compétitif à exploiter, que la pandémie érode quotidiennement. En Afrique du Sud, où 21 % de la popula-tion serait séropositive, 5 % de la force de travail tend à disparaître annuelle-ment et 1  % du PIB en est grevé. La mort frappe les travailleurs dans la force de l’âge. Ils sont remplacés par des ouvriers plus jeunes et moins qualifiés. Ce faisant, l’épidémie réduit la produc-tivité de la main-d’œuvre et renchérit le coût du travail. Au-delà des effets quan-tifiables, l’épidémie affecte le moral et contribue à la dégradation des relations professionnelles, ce qui a aussi une inci-dence sur la productivité. Dans le cas d’une entreprise comme Lafarge, la Harvard School of Public Health a calculé le coût d’un décès pour l’entreprise à environ 4 600  euros, en considérant l’absentéisme, les dépenses de santé, les frais liés aux funérailles, la baisse de productivité et le coût de formation et de recrutement d’un nouvel employé. Les recherches sur le terrain ont mis en évidence un taux annuel

de mortalité d’environ 1  %, mais les effets du VIH ne peuvent être réduits à la mortalité. Pour faire face à la situa-tion, l’entreprise a adopté une stra-tégie de lutte qui se déploie autour de la sensibilisation du personnel, du dépis-tage et de l’offre de soins gratuits pour les malades et leur famille. L’entreprise le concède donc, elle s’est engagée dans la lutte contre le VIH, non seule-ment par altruisme ou pour valoriser son image, mais aussi parce qu’il s’agit d’une décision économiquement justi-fiée quand le coût annuel d’une thérapie est de l’ordre de 1 650 euros. La sensi-bilisation, la prévention et les soins sont onéreux pour Lafarge, représen-tant un budget de 1,1  million d’euros sur cinq ans. « Mais nous avons calculé que, sans cette politique, le sida coûte-rait 1,7  million d’euros à l’entreprise. Alors, nous y gagnons. C’est ce que nous voulons montrer aux autres entreprises, pour qu’elles suivent notre exemple  », note Frédéric de Rougemont, président de Lafarge South Africa.

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production en contexte concurrentiel était demeuré beaucoup trop modeste au regard des changements à introduire face aux tendances lourdes qui accrois-sent la pression sur les ressources et sur les milieux naturels. Il n’y a jamais eu autant «  d’entreprises responsables  » et pourtant le rythme et l’échelle de dégradation de l’environnement n’ont jamais été aussi importants sur la planète. Remettons les choses à leur place. Qu’ils soient technologiques ou autres, les choix stratégiques des entreprises indus-trielles répondent d’abord à des enjeux de viabilité et de compétitivité. Les entreprises appréhendent les mesures de protection de l’environnement en termes de compétitivité-prix, de différenciation des marchés, et de préservation de leur sécurité économique et juridique. Les démarches volontaires trouvent là leurs limites. S’il est envisageable qu’enjeux collec-tifs et intérêts des entreprises se recouvrent dans certaines situations, comme l’illustrent les initiatives prises par des entreprises implantées dans des pays fortement touchés par le VIH (cf. encadré 2), cela ne constitue pas un cas général.La politique de ces entreprises a été salutaire dans la lutte contre le sida, eu égard à la faiblesse initiale de l’action publique dans les pays les moins avancés et les pays en développement concernés par cette pandémie. Mais elle demeure un pis-aller qui ne

saurait remplacer une politique publique d’ensemble prenant en charge les besoins sanitaires de toute la population.

ENTRE ÉCRAN DE FUMÉE ET AMORCESi l’apport des démarches volontaires des entre-prises transnationales à la réalisation d’un dévelop-pement plus durable est âprement discuté, que dire de leur participation à la gouvernance publique à l’échelle nationale et mondiale ? Deux lectures sont possibles.

La désinformation comme manipulation de l’opi-nion ou frein à l’action. Selon la première, la RSE constitue pour les entreprises transnationales une manière de freiner la régulation publique ou de la manipuler à leur profit. Dans le cas du groupe Exxon-Mobil, s’opposant à toute régulation publique natio-nale et internationale des émissions de gaz à effet de serre, le projet serait même de précipiter le démantè-lement de ce qui existe. La mise en avant des démar-ches de responsabilité volontaire servirait alors avant tout un but stratégique et idéologique  : il s’agirait de donner à croire qu’une alternative à la régula-tion publique existe, et que cette dernière n’est pas vraiment nécessaire. Cet écran de fumée masque-rait également la réalité de pratiques de lobbying

CHANGEMENT CLIMATIQUE ET DÉSINFORMATIONENCADRÉ 3

n  On peut trouver sur le site d’un des bénéficiaires des aides d’ExxonMobil, le Competitive Enterprise Institute (CEI), le texte suivant daté de février 2008 et intitulé « Les Coûts humains d’une poli-tique de lutte contre le réchauffement climatique ». Notons que ce texte jouant sur la désinformation est beaucoup plus modéré que ceux qu’on trouvait il y a quelques années. Pour connaître l’état des connaissances scientifiques, il suffit de se rapporter au rapport du GIEC de 2007.«  Les débats publics sur la politique de lutte contre le réchauffement de la

planète se concentrent souvent sur les conclusions scientifiques concernant le changement climatique. Pourtant, le fait que le réchauffement se produise effec-tivement n’est pas encore démontré et, s’il se produit effectivement, l’étendue de l’influence des actions humaines n’a pas encore été clairement établie. Selon les mesures réalisées à la surface de la terre, la température de celle-ci s’est élevée de 0,5 degré Celsius au cours du siècle dernier, et des modèles informa-tiques prévoient une augmentation de près de deux degrés Celsius au cours du

prochain siècle. Toutefois, les données satellite de mesure de la température de la terre ne montrent aucune augmen-tation de celle-ci au cours des dix-huit dernières années ; en fait, elles montrent même une tendance à un léger refroi-dissement. En outre, au fur et à mesure que les modèles ont été ajustés et que de nouvelles données ont été intégrées, l’élévation prévue de la température s’est trouvé de plus en plus réduite, passant d’environ cinq degré initialement à moins de deux degrés à l’heure actuelle.  » [traduction de l’éditeur] Source : www.cei.org

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DYNAMIQUES D’UN MONDE CHANGEANTQUE PEUT-ON ESPÉRER DES ENTREPRISES SOCIALEMENT RESPONSABLES ?

7

visant à freiner ou stopper les initiatives publiques. En creux de cette analyse, les entreprises apparais-sent bien comme les principales forces de résistance à l’organisation d’une gouvernance mondiale plus ferme en matière de protection de l’environnement à l’échelle planétaire.Sans tomber dans une critique caricaturale et manichéenne, il est incontestable que de grandes entreprises ont élaboré des stratégies de désinforma-tion du public et de blocage de la régulation publique allant à l’encontre d’une attitude de RSE. L’un des principaux ressorts mobilisé par l’industrie du tabac aux États-Unis, outre la rétention d’information scien-tifique, a été d’attaquer systématiquement l’expertise scientifique afin de susciter le doute et l’incertitude, et d’écarter des mesures publiques d’interdiction9. Leur lobbying avait pour but d’accroître les exigences de preuve de nocivité pouvant justifier l’adoption de mesures publiques restrictives ou de condamnations par les tribunaux. Il est tout aussi notoire que de grandes entreprises se sont organisées pour peser sur la présentation publique des connaissances scientifi-ques en diffusant des informations tronquées, défor-mées ou abusives et en finançant des travaux suscep-tibles d’entretenir artificiellement des controverses. C’est ainsi que la société ExxonMobil a soutenu finan-cièrement plus d’une quarantaine de think tanks dans le but de diffuser dans l’opinion l’idée d’une absence de consensus scientifique sur l’épineux problème du changement climatique (cf. encadré 3). Parallèlement, la société mettait en avant son engagement en faveur de la responsabilité sociale des entreprises à travers divers financements sur d’autres thématiques.

La RSE, une impulsion vers la transformation. On ne saurait cependant réduire le mouvement foisonnant et encore incertain de la responsabilité sociale des entreprises aux manœuvres cyniques de certaines d’entre elles. C’est là qu’intervient la seconde lecture de la RSE. Quelles que soient ses motivations, d’ailleurs diverses, en faisant écho à l’émergence d’une société civile active au sein de laquelle on constate une montée

des préoccupations environnementales, le mouve-ment de RSE contribuerait à transformer les pratiques de l’ensemble des agents économiques et de leurs partenaires. La responsabilité sociale des entreprises permettrait de contourner la situation de blocage ou de lenteur politique décourageante à l’échelle inter-nationalef. En affirmant leur responsabilité sociale et environnementale, les firmes attirent l’attention sur leur comportement dans ces domaines et s’expo-sent aux jugements de l’opinion. Or l’expérience a montré qu’il n’est guère pardonné à une entre-prise d’être prise en défaut, par négligence ou par mensonge caractérisé, sur la valeur qu’elle prétend précisément incarner aux yeux du public. En cela, les démarches volontaires des entreprises et les actions des ONG contribueraient à transformer la société en profondeur, même par petites touches, et finale-ment à modifier à terme la donne politique. L’inflexion progressive du gouvernement des États-Unis sur le dossier climatique viendrait à l’appui de cette inter-prétation, puisqu’elle fait suite à l’engagement d’ini-tiatives multiples d’États fédérés, de villes et d’entre-prises à travers le territoire américain.En fait, face à une menace d’intervention régle-mentaire appelée par l’émergence d’un nouveau problème scientifiquement et socialement contro-versé, le premier réflexe des entreprises est de chercher à obtenir la réglementation la plus favorable à leurs intérêts ou d’œuvrer pour faire échouer les projets. Toutefois, au bout d’un certain temps, lorsque l’incertitude sur le devenir des règles du jeu n’a toujours pas été dissipée, et que des initiatives désor-données commencent à être prises par différents

f. Ainsi parmi les pays industriels qui avaient pris à Rio en 1992 l’engage-ment de stabiliser leurs émissions de gaz à effet de serre en 2000 à leur niveau de 1990, les États-Unis les ont finalement augmenté de 15 % et le Canada, en 2007, de 25 %.

En affirmant leur responsabilité sociale et environnementale, les firmes attirent l’attention sur leur comportement dans ces domaines et s’exposent aux jugements de l’opinion

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acteurs, les milieux industriels convergent vers une demande d’intervention publique pour stabiliser des règles du jeu communes. À ce moment, dans leur relation à l’intervention publique, les milieux indus-triels peuvent basculer du rôle de force d’inertie ou de blocage vers celui de force de propulsion, faisant pression pour que les pouvoirs publics surmontent les conflits politiques qui les paralysent. Nombre de représentants d’entreprises étaient ainsi présents à la Conférence des parties de la Convention Climat à Montréal en novembre 2005 et à celle de Bali en décembre 2007. C’était alors davantage pour presser les diplomates de se mettre d’accord sur des règles claires que pour empêcher un accord.

La fonction incontournable des consommateurs. Aux États aujourd’hui de prendre le relais des entre-prises et des ONG. Toutefois, il ne faut pas se leurrer. Qu’il s’agisse de l’action des États ou de celle des entreprises, la clé de voûte d’une transformation de la société vers un développement durable demeure l’attitude des consommateurs et des habitants,

individuellement et à travers leurs organisations  : associations diverses, mouvements, partis.Au-delà des écrans de fumée, les entreprises s’orien-tent en fonction de deux repères  : l’évolution des marchés sur lesquels elles vendent leur production, ce qui les rend sensibles à la façon dont la qualité des produits est appréhendée par les consommateurs ; l’entretien de leur légitimité sociale à produire, ce qui les rend sensibles aux menaces de contestation de leur activité ou des techniques qu’elles emploient. C’est par anticipation de nouvelles exigences des consommateurs ou de la menace d’une défiance sociale vis-à-vis de leurs produits ou techniques, avec leurs possibles répercussions réglementaires ou judiciaires, que les entreprises sont amenées à prendre des mesures de responsabilité sociale et environnementale, au-delà de la stricte conformité réglementaire. C’est donc de la vigilance informée des populations dans leurs rôles de consomma-teurs et de citoyens au regard des exigences écolo-giques et sociales que dépendra la mise en place et le développement de stratégies volontaires de responsabilité au sein des entreprises et, parallè-lement, le maintien des enjeux de développement durable sur l’agenda des gouvernants.Dans quelle mesure les consommateurs futurs, au Sud comme au Nord, seront-ils durablement des citoyens écologiquement responsables dans leurs choix quotidiens, dans leurs mobilisations collectives et dans leurs demandes de nouvelles règles du jeu adressées à leurs représentants politiques ?

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

1. KAPP (K. W.), The Social Costs of Private Enterprise, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1950.

2. POLANYI (K.), La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983 [éd. originale 1944].

3. Commission des communautés européennes, Livre vert. Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, Bruxelles, COM (2001) 366 final, 2001.

4. HOMMEL (T.), « Paternalisme et RSE, continuité et discontinuités de deux modes d’organisation industrielle », Entreprises et histoire, 45, 2006, p. 20-38.

5. GODARD (O.) et HOMMEL (T.), « Les multinationales : un enjeu stratégique pour l’environnement ? », La Revue internationale et stratégique, 60, IRIS, hiver 2006.

6. GUNNINGHAM (N.), KAGAN (R. A.) et THORNTON (D.), Shades

of Green : Business, Regulation, and Environment, Stanford (Calif.), Stanford University Press, 2003.

7. PORTER (M.) et KRAMER (M.), « Strategy and Society, The Link Between Competitive Advantage and Corporate Social Responsibility », Harvard Business Review, décembre 2006.

8. HOMMEL (T.), Stratégies des firmes industrielles et contestation sociale, Paris, INRA-Éditions, 2004 ; GODARD (O.), « Stratégies industrielles et conventions d’environnement : de l’univers stabilisé aux univers controversés », INSEE-Méthodes, « Environnement et économie », 39-40, 1993, p. 145-174.

9. MICHAELS (D.), Doubt is their Product. How Industry’s Assault on Science Threatens your Health, Oxford, Oxford University Press, 2008.

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Les acteurs privés s’impliquent davantage dans le financement de l’aide internationale, comme l’ONU les y a encouragés. En raison de leur capacité à orienter d’autres financements, l’engage-ment des fondations philanthropiques privées américaines dans la santé mondiale suscite espoir et prudence.

PHILANTHROPIE ET SANTÉ PUBLIQUEMARAME NDOUR DOCTORANTE, CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE LA SORBONNE (CRPS) ET INSTITUT DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DES RELATIONS INTERNATIONALES (IDDRI), PARIS (FRANCE)

Les fondations américaines dominent le paysage du financement philan-thropique composé d’une kyrielle d’ac-teurs répartis sur l’ensemble du globe. En 2005, elles ont investi 3,8 milliards

de dollars à l’international, contre 807 millions de dollars pour les fondations européennes. Véritable institution aux États-Unis, la philanthropie inter-vient quand les fondations estiment pouvoir et devoir infléchir une situation et quand les actions des gouvernements, des organisations internatio-nales, et parfois du marché, sont jugées insuffi-santes ou inexistantes. Ses secteurs d’intervention sont très variés. Ainsi, certaines fondations enga-gent des objectifs « politiques » et soutiennent la société civile et le processus de démocratisation quand d’autres financent des biens et services essentiels comme l’éducation, la santé et l’envi-ronnement. Quelles que soient les visées politi-ques, ces organisations s’imposent désormais de plus en plus comme des entrepreneurs moraux et définissent les contours d’un véritable agenda de réforme et de régulation de la mondialisation. L’engagement des fondations dans l’espace inter-national s’intensifie depuis les années 1990 : leur nombre a doublé et le volume de leurs contributions locales et internationales est passé de 16 milliards de dollars en 1997 à 43 milliards en 2007. Pour

la seule année  2006, les fonds des fondations américaines alloués à l’international s’élevaient à 4,2 milliards de dollars contre 1,4 milliard dix ans plutôt, atteignant ainsi un niveau record de 22 % des donations totales des fondations améri-caines. L’essor de ces fondations se fait particuliè-rement ressentir dans le domaine de la santé. Au total, sur l’ensemble des investissements mondiaux effectués par les fondations américaines en 2007, 43 % ont été dédié à la santé publique dans le monde – soit près de 1,8 milliard de dollars. L’un des acteurs majeurs dans ce secteur est la fondation Bill et Melinda Gates. D’autres fondations comme le Wellcome Trust (Grande-Bretagne), la fondation Rockefeller, la fondation Burroughs Wellcome, le Rotary International ainsi que des fondations créées par les firmes pharma-ceutiques (Bristol Meyer Squibb, GlaxoSmithKline, Pfizer, Eli Lilly, Sanofi-Aventis…) ont aussi entrepris des actions aux retombées significatives.

Des actions innovantes, indépendantes et hétérodoxes. Les fondations sont aujourd’hui de véritables entreprises du don : elles ne se conten-tent plus seulement de financer des opérations,

En 2006, l’aide des fondations américaines dans le domaine de la santé s’est élevée à 1,8 milliard de dollars

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mais interviennent directement au plus près des acteurs intermédiaires, voire des destinataires, dans des domaines relativement nouveaux. Icône emblématique, la fondation Bill et Melinda Gates est le premier bailleur privé au monde à s’intéresser à la lutte contre les maladies dites négligées. Ainsi, depuis sa création, elle a dépensé plus de 6 milliards de dollars pour son programme intitulé Global Health et elle a versé cette année avec le milliardaire Michael Bloom-berg 500 millions de dollars pour lutter contre les méfaits du tabac et les maladies chroniques. Elle affiche une stratégie interventionniste orientée vers le « capitalisme créatif » et sa position dominante dépasse aujourd’hui sa seule capacité financière : ainsi, elle oriente les priorités en matière de R&D sur les maladies négligées en participant à des partenariats comme le GAVI, alliance mondiale pour la vaccination et l’immunisation.D’autres fondations occupent une place de poids dans le secteur de la santé. Ainsi, le Rotary Inter-national est un acteur majeur dans la mise en œuvre des programmes d’éradication de la polio-myélite  : l’organisation a fourni 450 millions de dollars et mobilisé des ressources humaines en recrutant de nombreux volontaires. La fonda-tion Clinton négocie directement auprès des firmes pharmaceutiques une réduction des prix des médicaments antirétroviraux, comme le font certaines ONG médicales.L’engagement des fondations ouvre une nouvelle ère dans l’aide au développement. Leur modèle d’intervention, issu des entreprises commerciales, entraîne une gestion plus managériale de l’aide. En effet, les fondations suivent de très près l’évo-lution et les retombées de leurs investissements.

Leur principe d’action consiste plus que jamais à atteindre les plus pauvres, à agir vite et à obtenir des résultats concrets et probants.

La participation des fondations au finance-ment public de la santé. Par l’intermédiaire des fondations, les acteurs privés ont acquis un poids tant financier que politique et une capacité d’influencer les décisions internationales en matière de santé publique. Certes, leur apport à la santé à l’échelle internationale peut sembler encore très modeste en comparaison avec les bailleurs de fonds publics, mais elle est sous-évaluée et certains financements se réalisent parfois indirectement : la baisse des contributions directes des fondations entre 2000 et 2005 est ainsi trompeuse, car elle cache l’augmentation du financement des bailleurs multilatéraux impliqué dans la santé, comme le Fonds mondial pour le sida, la tuberculose et le paludisme, l’Alliance mondiale pour la vaccination, de même que certaines agences des Nations unies (OMS, Onusida, Fnuap, Unicef). La contribution financière réelle est très probablement supérieure aux montants publiés.

FINANCEMENT DE LA SANTÉGRAPHIQUE 1

Par catégorie de bailleurs, 2000 et 2005 (en milliards de dollars)

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ctob

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008

Agencesbilatérales

Nations unies

Banquesmultilatérales

de développement

Autres bailleursmultilatéraux

Fondations privées

1 2

2005

2000

3 4 5 6 7

Source : Catherine M. Michaud, Harvard School of Public Health, communication personnelle, janvier 2007

. L’aide à la santé des fonda-tions est encore modeste par rapport à celle des acteurs publics, mais elle est aussi sous-évaluée.

...

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Par ailleurs, la part de financements provenant des fondations dans le domaine des partenariats public-privé est très souvent dominante quand il s’agit d’achat de médicaments. Ainsi, l’Organisa-tion mondiale de la santé (OMS), en mal de finan-cement et en quête d’une plus grande efficacité de ses programmes, a noué des alliances avec les fondations. On comprend alors que les fonda-tions ne jouissent pas seulement de capacités de financement  : elles ont aussi une forte capacité d’influence. Les bailleurs multilatéraux, pour avoir accès aux financements des fondations, doivent nécessairement suivre des orientations prédéfinies. C’est pourquoi l’OMS a dû avaliser la nette préférence des fondations pour des programmes verticaux, qui consiste à miser sur des programmes spécifiques visant des résul-tats rapides et peu coûteux. À l’opposé, l’OMS rencontre des difficultés à obtenir des soutiens pour des projets participant d’une approche plus globale des systèmes de soins  : les fondations sont peu disposées à se lancer dans le finance-ment d’une telle démarche – dont la pertinence est pourtant reconnue – car ses résultats ne sont visibles que sur le long terme.

On comprend donc que la capacité financière des fondations et la frénésie caritative correspondante suscitent de l’admiration, mais appellent également à une certaine prudence, comme en témoignent les critiques essuyées par la fondation Bill et Melinda Gates. La vision et l’approche scientifiques de cette fondation ont été qualifiées d’étroites et de dange-reuses par Hannah Brown, professeur de la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Selon elle, cette orientation de la fondation masque la nécessité d’intervenir dans les domaines les plus urgents : l’amélioration des infrastructures sanitaires et la lutte contre la pauvreté. La plus lourde critique tient au fait que l’investis-sement managérial de la fondation Bill et Melinda Gates dans des programmes évalués sur le résultat perpétue le schéma des programmes verticaux qui, selon de nombreux spécialistes, se sont avérés néfastes pour les systèmes de santé des pays pauvres. Malgré certains résultats probants, les programmes verticaux fragmenteraient et déséquilibreraient les systèmes de santé. Ils conduiraient aussi à rendre les politiques de santé moins cohérentes, car davan-tage dessinées en fonction des fonds octroyés qu’en fonction des besoins réels. n

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Le développement durable, qui était vu

comme un mode particulier de croissance,

apparaît désormais comme une condition

préalable et sine qua non du développement

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Si, depuis trois décennies, de multiples conférences et accords internationaux ont favorisé l’émergence du concept de développement durable, les pratiques de développement des pays du Sud ont bien peu changé. Dans les années à venir, la convergence de plusieurs crises environnementales exigera de rompre avec les expériences passées et de repenser complète-ment les stratégies de développement, en intégrant la protection de l’environnement dans des approches globales.

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE NÉCESSITÉ POUR LES PAYS DU SUD

PIERRE JACQUETDIRECTEUR EXÉCUTIF CHARGÉ DE LA STRATÉGIE ET ÉCONOMISTE EN CHEF, AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD), PARIS (FRANCE)

JACQUES LOUPCHARGÉ DE MISSION, AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD), PARIS (FRANCE)

En  1987, le rapport Notre avenir à tous de la Commission mondiale sur l’environne-ment et le développement a mis le concept de développement durable sur le devant de la scène mondiale1. Au cours des

vingt dernières années écoulées, depuis l’appel de la commission Brundtland, ce concept est devenu omniprésent, même s’il est loin d’être le principe directeur des politiques économiques et sociales. Dans les prochaines années, toutefois, plusieurs crises ou menaces vont forcer le monde à lui donner un contenu opérationnel, et ce de façon urgente. Dans les pays du Sud, l’opinion publique et les décideurs reconnaissent de plus en plus que les dimensions environnementales et sociales sont des détermi-nants essentiels du processus de développement. Le développement durable, qui était vu comme un mode particulier de croissance, apparaît désormais comme une condition préalable et sine qua non du développement. Il impose des changements impor-tants à toutes les parties concernées : gouvernement,

secteur privé, société civile et communauté de l’aide. La recherche de nouvelles approches exigera des efforts importants pour approfondir notre compré-hension des changements complexes en cours, mais également la création de nouveaux instru-ments nécessaires pour avancer en terra incognita. La réponse aux défis liés à l’environnement devra néanmoins éviter les approches compartimentées et rechercher des stratégies globales et intégrées.

UNE IDÉE NOUVELLE ?Une pléthore de déclarations et accords internatio-naux… La préservation de l’environnement n’est pas une préoccupation nouvelle. Il y a près de cinquante ans, Le Printemps silencieux, un manifeste qui dénon-çait l’impact destructif des produits chimiques sur les espèces sauvages, était rapidement devenu un best-seller mondial2. En 1972, Les Limites de la croissance, premier rapport du club de Rome, a attiré l’attention sur le conflit inhérent à une croissance démogra-phique rapide conjuguée à des ressources limitées3.

GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉ CHAPITRE 8

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La même année, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) était créé. Au cours de la première moitié des années 1980, il est vrai, l’impact du deuxième choc pétrolier et la nécessité d’effectuer des ajustements macro-économiques ont pris la place de l’environnement au centre des préoccupations mondiales. Cependant, à la fin de la décennie, le Rapport Brundtland a appelé à une nouvelle prise de conscience et a mobilisé l’opinion

publique et les gouver-nements mondiaux4. Le terrain était alors propice à la tenue de divers sommets et conférences, lesquels ont débouché sur des conven-tions et accords de grande portée, tel le protocole de

Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone en 1987 et la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio en 1992 (lire repère 1). Cette dernière a abouti la même année à la signature de deux conventions capitales : la Convention sur la diversité biologique (CDB) et la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CNUCC). En 1994 la Convention sur la lutte contre la désertification a été adoptée et, en décembre 1997, le protocole de Kyoto. Le Sommet de la Terre « Rio plus dix » de 2002 a souligné de nouveau l’importance mondiale accordée à la dégradation de l’environnement et a réaffirmé la priorité à donner au développement durable.

… mais encore peu de changements sur le terrain. Ce consensus sur la priorité de l’environnement et du développement durable ne s’est pas pour autant traduit en de nouvelles approches dans les pays en développement. Les stratégies de développement des années  1980 et  1990 ont surtout été guidées par la préoccupation de l’ajustement structurel. Mises en œuvre sous le regard vigilant des insti-tutions financières internationales, elles ont large-ment ignoré l’environnement et les objectifs de long terme. Le xxie  siècle a vu un regain d’intérêt pour la réduction de la pauvreté, comme en témoi-gnent l’adoption des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et la généralisation des stratégies de réduction de la pauvreté (SRP) sous les auspices des institutions de Bretton Woods. Ces stratégies de réduction de la pauvreté peuvent sans doute être considérées comme une amélioration par rapport aux programmes d’ajustement précédents, ne serait-ce que parce que les institutions financières internationales sont moins omniprésentes dans leur définition et leur mise en œuvre. Elles ont encou-ragé de nouvelles approches, souvent couronnées de succès dans les secteurs de la pêche, de l’exploi-tation des forêts ou de l’agriculture de conservation5. Elles demeurent néanmoins centrées sur les court et moyen termes et ne s’intéressent guère à la question du développement durable au-delà de ses implica-tions financières, notamment celle de la dette. Elles n’ont pas conduit à repenser l’environnement comme un élément clé du développement et de la réduction

L’APPUI DE LA BANQUE MONDIALE À L'ENVIRONNEMENT DURABLEENCADRÉ 1

La généralisation des préoccupations environnementales

a provoqué des changements dans

l’architecture de l’aide

n Une récente évaluation de la Banque mondiale analyse ainsi son soutien à l’environnement durable :« La Banque mondiale a joué un rôle de premier plan en attirant l’atten-tion sur l’importance mondiale d’un environnement durable. Des progrès ont été faits en ce qui concerne l’in-clusion des enjeux environnemen-

taux dans ses stratégies et ses produits d’analyse et de prêt depuis 1990, et depuis 2001, ses efforts se sont accé-lérés […]. Néanmoins, le Groupe de la Banque mondiale s’est avéré bien moins capable d’intégrer ces efforts de façon centrale dans des programmes de pays, d’en faire les conditions d’une croissance et d’une réduction dura-

bles de la pauvreté, et de proposer des prêts pour aider ces pays à prendre en compte leurs priorités environnemen-tales –  souvent, d’ailleurs à cause du peu d’enthousiasme montré par ces pays pour ce type de soutien. »Source : Groupe indépendant d’évaluation, Environ-nemental Sustainability. An Evaluation of World Bank Group Support, Washington (D. C.), Banque mondiale, 2008.

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de la pauvreté et ont continué à l’envisager avant tout comme une contrainte.Par ailleurs, si la généralisation des préoccupations environnementales a provoqué des changements dans l’architecture de l’aide et dans l’approche des institu-tions bi- et multilatérales, ces organisations se sont souvent contentées de consacrer plus de ressources à la prise en compte des dimensions environnemen-tales et sociales dans leurs programmes de dévelop-pement. La prise en compte de l’environnement en tant que facteur déterminant du développement est, elle, encore timide (cf. encadré 1).Au début du xxie siècle, l’éducation primaire, la santé et la gouvernance ont supplanté la privatisation, la libéralisation du commerce et la réforme de la fonction publique en tant que priorités des organismes d’aide. L’importance accordée à l’environnement et au développement durable ne s’est pas accrue pour autant. La proportion de l’aide pour l’environnement dans l’aide totale a atteint un sommet en 1997, avec 19 %, et s’est ensuite réduite de moitié, retombant à 10 % en 20056. Jusqu’au début des années 2000, dans la plupart des institutions du secteur, la politique du développement durable se limitait à l’adoption de directives et de mesures devant être respectées par les projets. Plus récemment, cependant, certains organismes dont la Banque mondiale et l’Agence française de développement ont repensé leur organi-sation, afin de mieux intégrer les approches environ-nementales au développement, en mettant en place des départements spécialisés dotés du « poids » insti-tutionnel nécessaire et en plaçant l’environnement au cœur de leurs stratégies de pays.

Une sonnette d’alarme  ? Au cours des dernières années, pourtant, des rapports alarmants et des vérités qui dérangent ont réintroduit un sentiment d’urgence. Cette nouvelle inquiétude a fait prendre conscience que les stratégies actuelles ne sont pas viables sur le long terme, et qu’il est urgent d’identifier de nouvelles approches. Fin 2005, l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire (EM), une analyse globale menée sous les auspices des Nations unies, a alerté l’opinion

publique sur le caractère sans précédent de la destruc-tion en cours de la biodiversité à l’échelle planétaire. Un an après, le Rapport Stern a souligné les coûts irrémédiables qui accompagneraient un changement climatique, et a montré la nécessité et la faisabilité de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES)7. En 2007, le quatrième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a confirmé l’ampleur des changements en cours et a décrit les tragédies qu’une incapacité à maîtriser ces changements pourrait entraîner8. Par ailleurs, le coût humain est déjà réel aujourd’hui. En 2007, par exemple, une enquête a conclu que 460 000 Chinois meurent prématurément tous les ans en raison de la pollution de l’air et de la contamination de l’eau9.La situation a profondément évolué et la dégrada-tion de l’environnement, perçue il y a à peine trois ans comme un problème à long terme, est vue aujourd’hui comme une menace immédiate. Dans certains pays en dévelop-pement, comme en Chine, elle a donné lieu à des manifestations de rues. La perte de la biodiversité est aujourd’hui plus visible et le débat sur ce phénomène de plus en plus vigoureux à l’échelle mondiale. La crise alimentaire a rendu plus concrètes l’urgence et la complexité du problème auquel le changement climatique et la production de biocarburants ont contribué. Au demeurant, cette nouvelle problématique illustre bien en quoi la détérioration de l’environnement et des politiques bien intentionnées pour le protéger peuvent avoir un impact immédiat sur de vastes segments de la population mondiale.Cette nouvelle perception de l’urgence des problèmes a conduit à une évolution des positions et des politiques des gouvernements. Ainsi, la lutte contre le change-ment climatique bénéficie aujourd’hui de financements de plus en plus nombreux, qui ne sont pas destinés exclusivement aux activités d’atténuation mais aussi à des politiques d’adaptation (cf. encadré 2).

Cette nouvelle perception de l’urgence des problèmes a conduit à une évolution des positions et des politiques des gouvernements

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Témoins de l’impact d’une détérioration de l’envi-ronnement sur leur population et sur leur potentiel de développement, les gouvernements du monde en développement se mobilisent. Après avoir en grande partie abattu ses forêts, la Chine s’est lancée dans un vigoureux programme de reforestation. Néanmoins, ses importations de bois montent en flèche, avec pour résultat une déforestation importante dans d’autres pays en développement10. De son côté, le gouvernement brésilien, qui a longtemps regardé d’un œil suspect les inquiétudes étrangères devant la déforestation de l’Amazonie, a maintenant pris conscience de ses coûts sociaux et économiques, et a pris des mesures pour la contenir (lire chapitre 6). Aujourd’hui, rares sont les gouvernements du Sud qui affirment que la protection de l’environnement est un luxe qu’ils ne peuvent se permettre.En dépit de cette récente prise de conscience, les réponses sont demeurées rares et non systémati-ques. Au niveau national, les questions environne-mentales sont encore trop souvent perçues comme des défis à gérer individuellement et séparément de la stratégie globale de développement. L’appauvris-sement des ressources, le déclin des rendements, la déforestation, la sécheresse ou encore la pollution de l’eau sont considérés à juste titre comme des obstacles majeurs à la réduction de la pauvreté et à la croissance. Mais on est encore loin d’une refon-dation de la réflexion sur une approche intégrée du

développement durable et de la mise au point de solutions opérationnelles.

REPENSER LE DÉVELOPPEMENT SUR TOUS LES FRONTS

Durant ces dernières années, la liste des préoccupa-tions environnementales s’est allongée. L’énergie, le changement climatique, la disponibilité des terres, l’environnement urbain, l’eau et l’assainissement, la pollution chimique constituent autant d’aspects d’une contrainte multiple limitant le développement. Chacun de ces enjeux doit être analysé et intégré aux stratégies de développement de tous les pays.

L’énergie, pas seulement un problème de riches. L’accès à l’énergie est une condition sine qua non du développement. Quel que soit le secteur, toutes les activités dépendent d’une source d’énergie fiable et accessible, et la croissance de l’économie nécessite de repenser les systèmes de production et d’appro-visionnement énergétique. Des contraintes existent partout dans le monde. D’après la Banque mondiale, le vieillissement des infrastructures combiné à la croissance de la demande provoquent déjà des coupures d’électricité de plus en plus fréquentes et lourdes de conséquences dans trente-cinq pays d’Afrique subsaharienne11. Les familles pauvres dépendent pour leur approvisionnement en carburant de la biomasse et du fumier. Si ces sources d’énergie

UNE NOUVELLE ARCHITECTURE POUR FINANCER L’ENVIRONNEMENTENCADRÉ 2

n  La Fondation Böll et le WWF ont lancé en 2008 une étude afin de mieux comprendre la structure des finance-ments pour l’environnement et les changements climatiques. Le para-graphe suivant, extrait de cette étude, résume la complexité de la situation actuelle :«  En 2007, l’architecture proposée pour financer des actions mondiales pour l’environnement a connu de rapides changements. Tandis que le

changement climatique prenait une place centrale parmi les questions de politique internationale, quatorze nouvelles initiatives de financement sans précédent ont été annoncées. Cette soudaine prolifération de fonds environnementaux mondiaux n’a pas pour but de remplacer les fonds qui existent déjà et sont gérés par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) au nom de la Convention cadre des Nations unies sur les chan-

gements climatiques (CCNUCC). Néanmoins, elle représente un défi de grande ampleur pour le système exis-tant et soulève de nombreuses ques-tions sur la future architecture de la finance environnementale mondiale –  en particulier, quel rôle et quelles fonctions le FEM devrait jouer dans cette structure. »

Source  : G. Porter, N. Bird, N. Kaur et L. Peskett, New Finance for Climate Change and the Environment, Washington (D. C), WWF, 2008.

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sont renouvelables, l’utilisation de la biomasse, essen-tiellement du bois, pour le chauffage et la cuisine, cause déjà une déforestation importante autour des villes des pays en développement. Quant à l’utilisa-tion du fumier, son principal inconvénient est qu’elle détourne vers un autre usage un engrais peu coûteux et efficace.Alors que par le passé l’essentiel de la demande d’énergie provenait des pays industriels, le dévelop-pement économique et humain des pays pauvres entraînera une forte hausse de la demande d’énergie, à un moment où se multiplient les inquiétudes sur la durabilité des tendances actuelles12 (cf. encadré 3).Pour des raisons économiques et financières évidentes, les économies et l’efficacité énergétiques seront une priorité pour tous les pays, en particulier pour les pays en développement. L’inquiétude crois-sante devant les émissions de GES et leurs impli-cations sur le changement climatique fera aussi davantage pression pour utiliser des énergies moins productrices de carbone.

Atténuer le changement climatique, mais aussi s’adapter. Le changement climatique, qui résulte directement des émissions anthropogéniques, aura des conséquences sur l’ensemble de la planète. Certains de ces changements seront bénéfiques (nouvelles

terres agricoles au Nord, augmentation des rende-ments agricoles dans plusieurs régions, ouverture de nouvelles routes maritimes). Mais de nombreuses autres modifications seront négatives, surtout dans les pays en développement. Le GIEC prévoit des baisses catastrophiques des rendements agricoles en Afrique. D’autres études prédisent d’importantes réductions en Inde et en Chine. En parallèle, il est probable que la montée du niveau des océans et les déplacements géographiques des grandes endémies auront des conséquences majeures sur des pays dont la capacité d’adaptation est limitée. De grandes incer-titudes demeurent quant à l’ampleur des impacts de ces évolutions, mais la probabilité que surviennent des catastrophes n’est nullement négligeable.Le principe de précaution exige donc que le change-ment climatique soit traité comme une question prioritaire dans tous les pays. Un accord multila-téral post-Kyoto pourrait faciliter les processus natio-naux, en mettant en place un système cohérent de contraintes et d’incitations. Mais même sans un tel accord, il est de l’intérêt de chaque pays de faire de la réduction des émissions de GES et de l’atténua-tion du changement climatique une priorité de sa stratégie de développement. Mais les mesures d’atténuation du changement clima-tique, pour nécessaires qu’elles soient, ne sont pas

QUEL AVENIR ÉNERGÉTIQUE POUR DEMAIN ?ENCADRÉ 3

n L’Agence internationale pour l’éner-gie (AIE) publie chaque année son analyse de la situation énergétique mondiale et ses perspectives pour les prochaines années. L’extrait ci-dessous présente ses vues sur l’évolution de la demande énergétique mondiale : «  Le système énergétique mondial se trouve à la croisée des chemins. À l’heure actuelle, de toute évidence, les tendances de l’offre et de la consom-mation d’énergie ne sont guère viables pour l’environnement, l’économie ou le social […].

En raison de leur importante croissance économique, la Chine et l’Inde représen-tent un peu plus de la moitié de l’augmen-tation de la demande mondiale d’énergie primaire entre 2006 et 2030. Les pays du Moyen-Orient deviennent un pôle de consommation plus important, avec une part de 11 % dans l’accroissement de la demande mondiale. Au total, 87 % de l’ac-croissement est imputable à l’ensemble des pays non-membres de l’OCDE. Leur part dans la demande mondiale d’énergie primaire passe en conséquence de 51 % à 62  %. La consommation énergétique

de ces pays a dépassé celle de la zone OCDE en 2005.[…] La totalité de l’augmentation prévue de la demande mondiale de pétrole émane de pays non-membres de l’OCDE (plus des quatre cinquièmes proviennent de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient). […] Environ 85 % de l’accroissement de la consomma-tion mondiale de charbon est le fait du secteur de l’électricité de la Chine et de l’Inde. »Source  : World Energy Outlook 2008. Résumé, Paris, Agence internationale de l’énergie, 2008.

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une alternative à l’adaptation. Même si des mesures drastiques étaient adoptées aujourd’hui pour réduire les émissions de GES, la température moyenne de la planète continuerait à augmenter, du fait d’un phéno-mène d’inertie. Les mesures d’adaptation doivent devenir une priorité urgente dans tous les pays en développement. Si certains aspects des changements à venir sont évidents – c’est le cas par exemple de la hausse du niveau des mers – , d’autres sont toutefois moins faciles à prévoir. La hausse des tempéra-tures mondiales affectera diffé-remment les diverses régions du monde. Les changements de cycles et de volumes pluviométriques, les événements extrêmes et le ruissel-lement des eaux ne peuvent pas être prévus avec précision. Ces inconnues rendent la formulation de politiques d’adaptation difficile, mais cette difficulté ne saurait constituer une excuse pour remettre à plus tard leur définition et leur mise en œuvre. La recherche agricole doit être orientée vers les caractéristiques du futur climat. Les systèmes de santé devront prendre en compte les évolutions prévisibles dans la localisation des maladies. Il est par exemple probable qu’en raison des changements de températures et de pluviométrie, le paludisme devienne endémique dans certaines régions d’Afrique australe, d’où il était auparavant absent. De même, si nous ne connaissons pas avec certitude l’évolution future des cycles pluviométriques et l’effet du change-ment climatique sur les endémies par exemple au Mali, nous savons déjà que, dans ce pays, l’agriculture et la santé seront les secteurs les plus affectés par le changement climatique, et que le renforcement des capacités des institutions agricoles et médicales doit être une priorité.

Malédiction des ressources ou défi de gouver-nance ? La hausse récente des prix des produits de base et des recettes d’exportation qui en résulte a rappelé l’importance d’une exploitation durable de ces

ressources. Pour les pays producteurs, une concen-tration exclusive sur une marchandise d’exportation, que ce soit le cuivre, le pétrole ou le phosphate, se fait souvent au détriment du reste de l’économie. Une telle polarisation économique est la principale cause de ce qui a été appelé la « malédiction des ressources » ou, dans sa version économique, le « syndrome hollan-dais ». Des facteurs économiques – surévaluation du

taux de change, insuffisance de l’investissement dans d’autres secteurs économiques – et des facteurs politiques – élite rentière improduc-tive, corruption destructrice – sapent l’effica-cité globale de l’économie et restreignent sa croissance réelle.Par ailleurs, les ressources non renouve-lables sont limitées, et leur exploitation diminue le patrimoine du pays. La durabilité faible – pour employer un jargon environne-mentaliste – ne peut être maintenue que si les ressources tirées de cette exploitation

sont investies dans une autre forme de capital, au moins aussi productif, qu’il soit physique, financier ou humain. Dans un pays développé comme la Norvège, la diminution des ressources pétrolières est compensée par l’investissement d’une partie des recettes associées dans un fonds fiduciaire destiné aux générations futures. Mais dans le cas des pays en développement, où règne la pauvreté, d’autres formes d’investissement qui bénéficieront aussi aux générations actuelles (infrastructures, institutions, capital humain comme l’éducation ou la santé) paraîtraient préférables.L’utilisation des ressources naturelles renvoie à la question de la gouvernance. Une gestion prudente des ressources d’un pays et des recettes qui en proviennent repose sur une direction politique forte, des institutions compétentes et un large soutien de la population. Ce constat n’est pas propre à la gestion des ressources rares. Dans tous les problèmes de développement durable, les capacités institution-nelles et la pleine implication des populations concer-nées sont des facteurs essentiels de la formulation et de la mise en œuvre réussies des politiques.

PHÉNOMÈNE D’INERTIE

Processus, souvent de nature physique ou chimique, qui fait qu’un changement une fois déclenché se poursui-vra pendant un certain temps après que sa cause première a disparu. Du fait de ce phéno-mène, notre bicyclette ne s’ar-rête pas brutalement si nous cessons de pédaler et la casse-role d’eau continue à bouillir quelques instants après que nous la retirons du feu.

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La spirale descendante de la biodiversité. De toutes les crises qui affectent l’environnement et paralysent le développement des pays pauvres, la destruction de la biodiversité reste sans doute la moins bien appré-hendée et la plus négligée. Pourtant, son ampleur est sans précédent : le taux actuel d’extinction des espèces est de 100 à 1 000 fois plus élevé qu’il ne l’a été au cours des temps géologiques13 et son impact à long terme sur la qualité de la vie humaine pourrait être dévastateur. Bien que nos connaissances scien-tifiques soient encore très insuffisantes, nous savons que le « capital naturel » est l’un des atouts primor-diaux dont disposent les populations pauvres pour améliorer leurs conditions de vie. La préservation de sa qualité doit donc être une composante essentielle de toute stratégie de développement durable. Celle-ci devra dépasser la création et l’entretien de parcs nationaux et de réserves naturelles pour s’atta-quer aussi à d’autres problèmes tels que la protec-tion de la biodiversité et la fertilité du sol par un labourage limité, la conservation de la qualité de l’eau des rivières et des aquifères… De nouveaux instru-ments devront être utilisés, comme le paiement de services environnementaux ou la certification de la forêt. Dans les pays en développement, la déforesta-tion est à présent une cause majeure de perte de la biodiversité et une source importante d’émission de GES. Cette déforestation représente quelque 20 % des émissions anthropogéniques dans le monde et la réduire constituerait un facteur important de préser-vation de la biodiversité et d’atténuation du change-ment climatique. La maîtrise de ce fléau nécessitera de nouveaux types d’outils et de financements. Mais pour que ces actions soient possibles, des incitations adéquates doivent être mises en place, aux plans international et national. À ce titre, les conférences de l’ONU sur le changement climatique, en 2007 à Bali et en 2008 à Poznan, ont inclus la conservation des forêts parmi les thèmes à traiter dans la formu-lation d’un accord qui prendrait en 2012 la relève du protocole de Kyoto, à travers un programme intitulé « Réduction d’émissions issues de la déforestation et de la dégradation » (REDD).

Des problèmes locaux mais potentiellement graves. À l’échelle locale, les problèmes environne-mentaux affectent aussi la qualité de vie des popula-tions et contraignent le développement. S’ils sont limités géographiquement, ils n’en sont pas moins d’une grande importance. Le manque d’eau potable, par exemple, est une cause majeure de maladie et de décès dans les pays en développement, particulière-ment chez les enfants. Assurer leur large disponibilité est un des objectifs du Millénaire pour le dévelop-pement. Favoriser l’accès à l’eau et à l’assainisse-ment des populations les plus pauvres, afin de leur garantir une vie plus décente, fait aussi partie d’une politique de développement bien conçue, et doit être pleinement intégré aux stratégies de dévelop-pement de tous les pays. Les mêmes considérations s’appliquent à l’environnement urbain. Dans les pays en développement, la crois-sance exponentielle des villes s’est accompagnée d’une expansion rapide des taudis, dont l’amélioration est une priorité sociale et environnementale. Il s’agit là également d’une condi-tion préalable à un développement économique durable, qui devrait faire partie intégrante des straté-gies de développement.

Des problèmes nouveaux, complexes et entre-mêlés. La liste des défis environnementaux ne s’arrête pas là et les pays en développement sont aujourd’hui confrontés à d’autres problèmes, comme la pollution de l’air intérieur et extérieur ou les déchets chimiques toxiques. Sans établir une liste exhaustive de ces questions, on peut en relever deux caractéristiques communes. La première est que la majorité de ces problèmes étaient en grande partie absents de l’agenda du développement durant la seconde moitié du xxe  siècle. C’est seulement au cours de ces dernières années que les difficultés liées aux énergies fossiles, au changement climatique, à la biodiversité et à la pollution se sont accrues et ont reçu l’attention des responsables politiques et

La préservation du capital naturel est essentielle à toute stratégie de développement durable

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de l’opinion publique. Les interrelations entre ces phénomènes et leur nature systémique constituent une deuxième caractéristique commune. Ainsi, le changement climatique a déjà des effets négatifs sur la biodiversité  ; la déforestation contribue à la destruction des écosystèmes et à l’émission de GES ; l’usage de combustibles fossiles aggrave le change-ment climatique et la pollution locale… Ce réseau d’interrelations rend impossible l’analyse isolée de chacun de ces problèmes.L’agenda politique est en conséquence devenu plus complexe : le recours aux solutions antérieures n’est

pas nécessairement pertinent pour traiter des problèmes actuels, et leur nature systé-mique complique la formu-lation de réponses appro-priées. Une comparaison

permet d’illustrer cette idée. Il y a trente-cinq ans, la conjonction de stocks bas et de mauvaises récoltes dans plusieurs pays a conduit à de fortes hausses des prix alimentaires et a débouché sur la première crise alimentaire mondiale de l’après-guerre. En quelques années, toutefois, la situation s’est nette-ment améliorée. L’augmentation des budgets agricoles et de l’aide internationalea y a contribué, mais la réaction des marchés a joué un rôle central – hausse de la production alimentaire en réponse à la hausse des prix. L’année 2008 a connu une situation similaire. Une flambée des prix alimentaires et des émeutes de la faim dans les pays en développement ont été suivies d’une réunion des dirigeants mondiaux à Rome pour résoudre la crise. Les problèmes sont toutefois plus compliqués et interconnectés aujourd’hui. Une résolution de la crise par les seuls mécanismes de marché paraît moins vraisemblable, ou alors elle sera coûteuse pour l’environnement. Dans sa recherche de solutions, la réunion de Rome, intitulée de manière révélatrice « Conférence de haut

a. La création, en 1997, du Fonds international de développement agricole (FIDA) fut l’un des résultats importants de la Conférence mondiale de l’alimentation.

niveau sur la sécurité alimentaire mondiale : les défis du changement climatique et des bio-énergies », a débattu des causes de la crise, dont le changement climatique, le rôle des biocarburants, les prix élevés du pétrole et des engrais, la perte de terres agricoles et l’impact de l’expansion de l’agriculture sur les forêts et la biodiversité. Mais aucun plan de sortie de crise convainquant n’en a émergé. Bien que la crise alimentaire de 2008 paraisse moins dramatique que celle d’il y a trente-cinq ans, sa résolution pourrait être plus difficile, et les remèdes du passé ne seront pas entièrement applicables.

AMÉLIORER SAVOIRS ET SAVOIR-FAIREPendant plus de cinquante ans, le monde a accumulé de nombreuses connaissances sur le développement social et économique. Des analyses en profondeur combinées aux résultats obtenus sur le terrain ont permis de mieux maîtriser les moyens de promouvoir le développement et de sélectionner des programmes pertinents. Par contraste, la compréhension de l’envi-ronnement et du développement durable reste encore aujourd’hui insuffisante, limitant notre capacité d’action.

Un déficit de connaissances. Le développement a longtemps été considéré comme un processus d’adoption par les pays en développement des technologies et des instruments du monde riche. Dans tous les domaines, il s’agissait d’importer les connais-sances des pays étrangers ou d’utiliser à plus grande échelle des technologies « modernes ». Cela reste en partie vrai aujourd’hui, mais dans de nombreux domaines de l’environnement et du développement durable, le manque de connaissances et de compré-hension des processus limite indéniablement notre capacité d’action.Ce défaut de connaissance est particulièrement contraignant dans le cas de l’énergie, des change-ments climatiques et de la biodiversité. En matière d’énergie, nous ne connaissons pas avec suffisam-ment de précision la quantité de réserves mondiales de combustibles fossiles, même si nombre de

Les problèmes sont plus compliqués

et interconnectés aujourd’hui

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spécialistes craignent que les gisements de pétrole facilement accessibles soient bientôt épuisés. Les recherches en matière d’énergies alternatives ont conduit à des améliorations en termes de coûts et de qualité, mais aucune n’est pour le moment économiquement compétitive face aux combustibles fossiles. La recherche scienti-fique et empirique reste donc une priorité pour garantir l’accès aux énergies fiables, polyva-lentes et peu onéreuses qu’exige le dévelop-pement à long terme.En ce qui concerne l’atténuation du change-ment climatique, un accès généralisé à des formes d’énergie à faible teneur en carbone est un impératif. Il est aussi crucial de poursuivre les recher-ches en matière de capture et stockage du carbone, une technique qui apparaît de plus en plus comme l’unique moyen d’obtenir les réductions draconiennes nécessaires en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Dans le cadre de l’élaboration des politiques énergétiques, le recours à l’énergie nucléaire a fait planer des craintes en matière de sécurité. Les gouvernements vont être de plus en plus confrontés à des choix difficiles, entre le risque d’une énergie potentiellement dangereuse et celui de la pénurie des sources énergétiques et du changement climatique. La recherche sur des approches plus sûres dans le domaine de l’élimination des déchets nucléaires et sur les nouvelles technologies, telles que la fusion, doit être poursuivie. Il est tout aussi important que les gouvernements et la société civile débattent ouvertement de la place qui doit être réservée à l’énergie nucléaire dans les politiques énergétiques.Notre niveau de compréhension du change-ment climatique limite aussi la possibilité d’élaboration de stratégies de développement durable. La communauté scientifique ne saisit pas encore entièrement les effets de rétroaction potentiels du changement climatique, dont certains pourraient accélérer le processus. La recherche doit tout particulièrement être poursuivie à l’échelle

locale. Dans ce domaine, c’est en Afrique que les besoins sont les plus pressants et les défis les plus difficiles à relever, en raison du manque de scientifi-

ques et d’équipements météoro-logiques.Les limites des savoirs scien-tifiques sont particulièrement critiques dans le domaine de la diversité biologique. Des études récentes, telles que l’Évaluation des écosystèmes pour le Millé-naire (EM), ont mis à jour la destruction continue des écosys-

tèmes à travers le monde. Les médiocres résultats des efforts menés au cours des cinquante dernières années afin de préserver la biodiversité sont dus en partie à notre compréhension insuffisante des phéno-mènes naturels sous-jacents. Il est impératif que nous arrivions à mieux appréhender la manière dont les

écosystèmes réagissent aux diffé-rentes contraintes auxquelles ils sont soumis, leurs liens récipro-ques et les seuils au-delà desquels ils risquent d’être détruits. Dans le même esprit, l’étude des relations complexes entre la biodiversité, la santé humaine et le développe-ment économique est prioritaire. Le lancement d’un processus de consultation visant à la création d’une plateforme intergouverne-mentale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) repré-sente, à cet égard, un progrès encourageant.Par ailleurs, la crise alimentaire et l’impact du changement clima-tique sur l’agriculture accentuent le besoin d’une recherche efficace

dans le domaine agricole. Cette dernière a été négligée depuis la Révolution verte des années 1960 et 1970. Les recherches doivent porter en priorité sur les

EFFETS DE RÉTROACTION

Au sens large, action en retour d’un effet sur le dispositif qui lui a donné naissance. Une rétroaction positive amplifie le phénomène tandis qu’une rétroaction négative le réduit, provoquant un amortisse-ment. On utilise aussi le terme anglais feedback.

RÉVOLUTION VERTE

Bond technologique réalisé en agriculture au cours de la période 1944-1970, à la suite de progrès scientifiques réali-sés durant l'entre-deux-guerres dans plusieurs pays en déve-loppement, essentiellement en Asie. Elle a été rendue possible par la mise au point de nouvel-les variétés à haut rendement, notamment de céréales (blé et riz), grâce à la sélection varié-tale. L'utilisation des engrais minéraux et des produits phyto-sanitaires, ainsi que la méca-nisation de l'irrigation y ont aussi contribué. Elle a eu pour conséquence un accroissement spectaculaire de la productivité agricole et a sans doute permis d'éviter les famines catastrophi-ques, qui auraient pu découler de l'augmentation sans précé-dent de la population mondiale depuis 1950.

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espèces végétales et les techniques agricoles contri-buant à préserver les sols et la biodiversité et résistant aux nouvelles conditions climatiques. L’ampleur du défi consistant à alimenter une population croissante malgré la baisse des rendements exige que toutes les voies de recherche soient exploitées. Les éventuels

dangers des organismes génétiquement modifiés (OGM) ont été largement débattus, mais refuser a priori d’examiner leur potentiel paraîtra de plus

en plus obstiné et dogmatique, au fur et à mesure que la situation alimentaire se détériorera.

À la recherche de nouveaux instruments. Nos méthodologies et nos outils ont des lacunes compa-rables. En se basant principalement sur l’économie et, dans une moindre mesure, sur d’autres sciences sociales, les théoriciens ont conçu une vaste panoplie de méthodes et d’outils destinés à guider les profes-sionnels du développement. Nombre des progrès conceptuels et matériels réalisés dans le domaine du développement sont liés à l’attribution d’une « valeur monétaire » à des facteurs qui ne relèvent pas du marché (éducation, santé, capital social) ou à la reconnaissance d’un rôle de « créateurs de valeurs  » à certaines entités (institutions, techno-logie, recherche). Actuellement, des efforts sembla-bles visent à intégrer les concepts environnementaux dans les approches du développement, en estimant leur valeur monétaire. C’est le cas, par exemple, du capital naturel, tel qu’il est présenté par Kirk Hamilton dans Where is the Wealth of Nations ? 14. Des instru-ments destinés à limiter les émissions de gaz à effet de serre tels que les systèmes de plafonnement des émissions ont conduit à la création d’un marché du « carbone » et à la détermination d’un prix pour la tonne de CO2. Le paiement pour certains services environnementaux est devenu possible grâce à leur attribution d’une valeur monétaire, mesurée par le montant que les bénéficiaires sont disposés à payer en échange de ces services. L’application de concepts

économiques aux questions environnementales s’est avérée fructueuse et on peut en attendre d’autres avancées.Il ne faudrait pas croire cependant que l’introduction de l’environnement dans la sphère de l’économie du développement sera suffisante. La notion d’envi-ronnement est imprégnée de « valeurs » de natures différentes, éthique, esthétique, morale, que nous ne saurions réduire à une simple valeur monétaire. Mesure-t-on de façon appropriée la « valeur » de la préservation d’une espèce par la somme que les gens seraient disposés à payer pour celle-ci ? Quelle est la valeur d’une nature vierge ? À combien devons-nous estimer le prix que les générations futures donne-raient à la préservation des glaciers des Andes  ? L’économie ne peut apporter toutes les réponses, pas plus qu’elle n’a de légitimité à créer et diffuser des valeurs de nature sociale. Dans notre quête du développement durable, nous devons, sans nul doute, recourir aux méthodes de l’économie, mais nous avons aussi besoin d’autres instruments – dont nous ne disposons pas encore.

UN DÉVELOPPEMENT GLOBAL, AXÉ SUR LES PERSONNES

De manière générale, les efforts réalisés par le passé pour intégrer les questions environnementales dans les politiques de développement ont été caractérisés par trois principaux défauts. Ils n’ont pas été totale-ment intégrés dans la stratégie de développement des pays. Ils ont été poursuivis sous la forme d’appro-ches technocratiques, du haut vers le bas. Enfin, ils n’ont pas été soutenus d’une façon systématique par les pays développés.

Sortir des stratégies sectorielles. Au cours de ces dernières décennies, la multiplication de straté-gies sectorielles non intégrées a été un problème sérieux pour les pays en développement. Souvent à la demande d’un donateur spécifique, les ministères ont préparé un plan ou une stratégie pour « leur » secteur, généralement sans lien avec le reste de l’éco-nomie. Ces politiques sectorielles, préparées et mises

La multiplication de stratégies sectorielles

non intégrées est un problème sérieux

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en œuvre de manière isolée, sans impliquer d’autres acteurs et sans référence à une stratégie globale de développement du pays, ignorent largement les conflits potentiels et les compromis possibles entre ces différentes approches.Les stratégies environnementales ne font pas excep-tion. Suite à la conférence de Rio de 1992, le monde en développement s’est engagé dans l’élabora-tion d’une multitude de plans nationaux d’action environnementale (PNAE). Ces plans, soutenus par les organisations des Nations unies et quelques donateurs, n’étaient généralement pas intégrés dans les stratégies officielles de développement des pays. De ce fait, ils n’ont pas été considérés comme prioritaires et n’ont pas reçu le soutien des minis-tères clés (ministère des Finances, en particulier), des institutions de Bretton Woods et de l’ensemble des donateurs.Plus récemment, les préoccupations en matière d’environnement se sont axées davantage sur la question du changement climatique. Les cinquante pays les moins avancés ont été encouragés à préparer des plans d’action nationaux d’adaptation (PANA), sous les auspices du secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur le changements clima-tique. En octobre  2008, trente-huit plans avaient été ainsi élaborés. L’histoire s’est malheureusement répétée, en ce sens que les priorités et les politiques des PANA sont, elles aussi, imparfaitement intégrées à leurs stratégies de développement, maintenant appelées stratégies de réduction de la pauvreté. Comme les PNAE, les PANA sont élaborés par les ministères de l’Environnement, d’où les difficultés liées à leurs ressources limitées et à leur faible poids politique ainsi qu’au peu de soutien et d’implication des autres ministères.Il était par le passé généralement concevable et certainement plus pratique d’élaborer indépendam-ment les stratégies de différents secteurs, dans la mesure où les interdépendances entre ceux-ci étaient peu nombreuses. Après tout, les politiques envisa-gées pour les secteurs de l’agriculture ou du transport ne risquaient pas d’être grandement affectées par

les politiques proposées pour d’autres secteurs tels que l’éducation tertiaire ou les petites entreprises. Il n’en va plus de même aujourd’hui pour les questions relatives à l’environnement et au développement durable. Cela n’aurait, en effet, aucun sens de débattre d’une politique concernant le changement climatique sans aborder les questions relatives à l’énergie, à la déforestation, à l’agriculture et au transport, ou d’éla-borer une politique destinée à préserver la biodiversité sans y traiter des questions relatives à l’agriculture, au changement climatique, à l’exploitation forestière et à la pollution locale. La nature systémique de nombreuses questions environnemen-tales impose l’adoption d’une approche d’ensemble et l’intégration des politiques environnementales dans une stratégie de développement globale.

Le pouvoir des communautés et un appui cohérent. En règle générale, l’élaboration et la mise en œuvre de programmes environnementaux ont été effectuées selon une approche du haut vers le bas (approche top-down), avec une participation insuffisante des populations concernées. L’un des arguments souvent avancés pour justifier cette approche est que les questions en cause sont techniquement complexes et leur compréhension requiert une expertise solide. Pourtant, les populations locales ont beaucoup à apporter, en ce qui concerne, par exemple, leurs observations des changements du climat ou de la biodiversité, ainsi que leur propre expérience d’adap-tation vis-à-vis de ces transformations. Ces commu-nautés locales auront, en fin de compte, la responsa-bilité de mettre en œuvre sur le terrain les politiques adoptées et l’expérience a montré que l’on ne pourra pas compter sur leur participation si elles n’ont pas été impliquées dans la définition de ces politiques. Il y a, bien sûr, quelques exceptions à cette approche technocratique prédominante, comme, par exemple,

Les efforts des pays en développement dans leur recherche d’un développement durable ne bénéficient pas du soutien constant et cohérent du monde développé

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les projets locaux d’écotourisme qui sensibilisent les populations locales à la valeur de leur écosystème et à la protection de l’environnement. D’autres initia-tives, telles que le Fonds multi-bailleurs pour les écosystèmes en danger critique (Critical Ecosystem Partnership Fund – CEPF)b, développent des straté-gies sous la direction d’organisations locales de la société civile. Dans l’ensemble, cependant, l’objectif « d’appropriation » par les populations locales, qui est devenu un slogan pour les organisations d’aide, reste largement lettre morte !De façon plus significative, les efforts des pays en développement dans leur recherche d’un développe-ment durable ne bénéficient pas du soutien constant et cohérent des pays du monde développé. L’aide au développement, aspect le plus visible de ce soutien,

demeure très en deçà des engagements pris. Quels que soient par ailleurs les avantages que l’aide puisse apporter, ils sont susceptibles d’être atténués, voire complè-

tement neutralisés, par d’autres politiques du monde développé. Cette situation n’est bien sûr pas nouvelle : une contradiction semblable existait déjà dans le passé entre les objectifs d’aide de nombreux pays donateurs et les impacts négatifs de leurs politiques commerciales ou d’exportation d’armement. C’est cependant dans le domaine de l’environnement que cette contradiction est la plus flagrante15. Les prati-ques de pêche destructrices des flottes européennes, par exemple, déciment les stocks de poissons au large des côtes africaines et détruisent les moyens de subsistance des pêcheurs locaux, tandis que les institutions européennes d’aide au développement s’attachent à développer les activités économiques des pays côtiers de l’Afrique. Même les politiques bien intentionnées du monde développé peuvent avoir un impact négatif sur les pays en développement.

b. Les donateurs contribuant au Fonds sont des partenaires qui soutien-nent des ONG locales engagées dans la préservation de la biodiversité dans les hotspots.

C’est le cas notamment de l’utilisation accrue, par les pays industrialisés, de céréales pour la produc-tion de biocarburants, laquelle s’est révélée l’un des facteurs de la hausse récente des prix des aliments qui a durement frappé les pays en développement. Le développement durable ne sera pas une réalité dans les pays du Sud tant que les pays riches ne veilleront pas à ce que leurs propres politiques n’anéantissent pas leurs efforts.

Le commencement de la fin  ? Vingt ans après le Rapport Brundtland, une série d’accords internatio-naux ont été signés, de nouveaux instruments ont été créés et certains concepts débattus et clarifiés. Et pourtant, hormis quelques expériences prometteuses, le développement durable demeure, au mieux, un objectif hors d’atteinte et, au pire, un slogan vide de sens. Les efforts déployés n’ont pas débouché sur un cadre solide, et encore moins sur une théorie opération-nelle. De nombreux facteurs contribuent à expliquer cette absence de progrès : une compréhension insuffi-sante des phénomènes en jeu, des instruments inappro-priés, des ressources financières limitées soumises à des demandes concurrentielles et une capacité de gestion inadéquate. La raison principale réside cependant dans l’absence de toute notion d’urgence. La détérioration de l’environnement, pourtant visible, n’a pas été saisie dans toute sa gravité, comme un danger non seulement pour le bien-être humain, mais aussi pour le dévelop-pement des sociétés.Aujourd’hui, beaucoup reste encore à faire. Il sera nécessaire de placer l’environnement au centre des stratégies de développement, plutôt que d’avoir une stratégie pour le développement et d’autres pour l’environnement. Pour faire face aux défis, des réponses devront se fonder sur une meilleure compré-hension des phénomènes en cours. Des technolo-gies et des instruments innovants seront nécessaires pour aborder les nouveaux problèmes que nous ne comprenons pas encore totalement. La science et la technologie joueront incontestablement un rôle important, mais il sera tout aussi essentiel d’impli-quer tous les acteurs concernés dans la définition

La détérioration de l’environnement, pourtant

visible, n’a pas été saisie dans toute sa gravité

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉLE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE NÉCESSITÉ POUR LES PAYS DU SUD

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et la mise en œuvre des politiques requises. Enfin, il est capital que les efforts des pays en développe-ment soient soutenus par un ensemble cohérent de politiques du monde industrialisé.Du fait de l’évolution rapide des événements au cours de ces dernières années, beaucoup compren-nent aujourd’hui que l’environnement ne peut plus

1. BRUNDTLAND (G. H.), Notre avenir à tous, Rapport de la Commission mondiale des Nations unies sur l’environnement et le développement, Oxford, Oxford University Press, 1987.

2. CARSON (R.), Le Printemps silencieux [éd. originale Silent Spring, 1962], Paris, Plon, 1963.

3. MEADOWS (D. H), MEADOWS (D. L.), RANDERS (J.) et BEHRENS III (W.W.), The Limits to Growth, New York (N. Y.), Universe Books, 1972.

4. BRUNDTLAND (G. H.), Notre avenir à tous, op. cit.

5. Voir notamment GODDART (T.), ZOEBISCH (M. A.), GAN (Y.), ELLIS (W.), WATSON (A.) et SOMBATPANIT (S.), No-Till Farming Systems, Special Publication, 3, Pékin, World Association of Soil and Water Conservation, 2008.

6. OCDE, « Environnement et mondialisation : document d’information à l’intention des ministres », ENV/EPOC(2007)18, 29 janvier 2008.

7. STERN (N.), Stern Review on the Economics of Climate Change, Oxford, Oxford University Press, 2006.

8. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Climate Change 2007. The IPCC 4th Assessment Report, 2007.

9. Voir aussi le chapitre 12 « China : Lurching Giant », dans DIAMOND (J.), Collapse : How Societies Choose to Fail or Succeed, Londres, Allen Lane, 2005.

10. China and the Global Market for Forest Products, Transforming Trade to Benefit Forest and Livelihoods, Washington (D. C.), Forest Trends, 2006 ; CANBY (K.), « La Chine et le commerce mondial des produits forestiers », dans P. Jacquet et L. Tubiana (dir.), Regards sur la Terre 2008, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 165-182.

11. Extrait de « Lighting up Africa », Business Daily Africa, 24 juin 2008.

12. LAPONCHE (B.), « L’énergie dans le monde : enjeux et

prospectives », dans P. Jacquet et L. Tubiana (dir.), Regards sur la Terre 2007, Paris, Presses de Sciences Po, 2006, p. 71-83.

13. Millennium Ecosystem Assessment, Ecosystems and Human Well-being : Health Synthesis, Genève, OMS, 2005. Voir également CUNG (A.) et al., « La biodiversité : évolution et perspectives », dans P. Jacquet et L. Tubiana (dir.), Regards sur la Terre 2008, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 101-110.

14. HAMILTON (K.), Where Is the Wealth of Nations ? Measuring Capital for the 21st Century, Washington (D. C.), Banque mondiale, 2006.

15. BELLOT (J. M.), JACQUET (P.) et LOYER (D.), « Sustainable Development in European Cooperation Policy », Europe and Sustainable Development, Paris, CulturesFrance, coll. « Penser l’Europe », 2008.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

être ignoré et que de nouvelles approches s’impo-sent. Si elle constitue un préalable nécessaire, cette révélation ne rapproche pas pour autant le monde du développement durable. L’objectif demeure aussi distant que jamais, mais cette urgence enfin ressentie annonce peut-être la fin du commencement.

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La complexité des relations entre le commerce international et le climat suscite des controverses passionnées, qui portent tant sur l’impact du commerce sur le climat que sur l’effet des politiques climatiques sur le commerce extérieur et la compétitivité d’un pays. L’idée d’une « taxe carbone » par exemple est au centre de ces questionnements.

COMMERCE VS. CLIMAT ?TANCRÈDE VOITURIEZ, CHARGÉ DE PROGRAMME, INSTITUT DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DES RELATIONS INTERNATIONALES (IDDRI), PARIS (FRANCE)

Le transport représente environ 20  % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES). Alors que le transport commercial aérien est particulièrement dénoncé pour ses effets négatifs sur le

climat, les trois quarts des émissions de CO2 liées au transport émanent du transport terrestre. Et si près de 90  % du commerce international se fait par voie maritime – l’un des modes les moins émetteurs par tonne kilométrique (cf. tableau 1) –, celui-ci n’est responsable que de 13 % des émis-sions du secteur des transports.Le transport maritime devrait rester le mode de transport le moins émetteur de GES. Dans l’hypo-thèse d’une croissance continue du commerce mondial et d’une efficacité énergétique constante, on estime que les émissions de GES vont croître

de 35 à 45 % entre 2001 et 2020. Les incitations et les réglementations internationales environne-mentales visant à accroître l’efficacité énergétique du transport sont actuellement quasi inexistantes, alors que d’importantes réductions d’émissions sont possibles.Le commerce régional de courte distance – parce qu’il tend à substituer au transport maritime le transport terrestre et aérien, davantage émetteurs de GES – n’est sans doute pas la solution pour réduire les émissions de GES induites par les échanges. Selon le Rapport Stern1, une croissance des émissions de GES du transport aérien plus rapide que celle des autres moyens de transport est très probable, en raison de l’augmentation du trafic liée à la mondialisation des échanges.C’est bien ce que dénoncent les contempteurs du commerce international dans leur compta-bilité des food miles – ces kilomètres parcourus en avion par les produits agricoles entre leur lieu de production et l’assiette du consomma-teur. En Grande-Bretagne par exemple, le trans-port aérien est responsable de 50 % de toutes les émissions du transport de fruits et légumes bien qu’il ne représente que 1,5 % des impor-tations de ces mêmes produits. Les fruits et légumes exportés par avion depuis l’Afrique vers la Grande-Bretagne émettent ainsi jusqu’à 10 fois

Mode de transport

Émission de CO2 (gramme par tonne kilométrique)

Transport routier 12 tonnes110

24 tonnes 92

36 tonnes 84

Transport maritime 14

Transport ferroviaire 23

Transport aérien 607

Source : R. A. Kraemer, Fr. Hinterberg et R. Tarasofsky, « What Contribution Can Trade Policy Make towards Combating Climate Change ? », Study for the Policy Department External Policies, European Parliament, 2007.

ÉMISSIONS DE CO2 PAR MODE DE TRANSPORTTABLEAU 1

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 197

leur poids en CO2, et 80 fois plus que lorsqu’ils sont exportés par bateau.Mais, d’un autre point de vue, ces importations par voie aérienne ne représentent que 0,1 % des émissions de CO2 du Royaume-Uni et apportent 200 millions de livres sterling dans les campagnes africaines. Elles peuvent alors s’inscrire « dans une perspective de développement », comme le notent James MacGregor et Bill Vorley de l’Institut inter-national pour l’environnement et le développe-ment (IIED), pour qui «  les 0,1 % d’émission de CO2 dû au fret aérien de fruits, légumes et fleurs coupées [représentent] un investissement efficace du Royaume-Uni dans sa stratégie d’allocation d’émissions en soutien à plus d’un million d’Afri-cains. On peut se demander quels sont au juste les bénéfices pour le développement des 99,9 % restants. »

ENTRAVER LE COMMERCE AU NOM DU CLIMAT ?

À l’occasion du sommet de l’ONU sur l’environne-ment en 2006, le gouvernement français a proposé d’utiliser des politiques commerciales ou fiscales ayant des effets sur le commerce – comme une taxe à l’importation – afin d’atteindre ses objec-tifs de réduction des émissions de GES. Intitulée « taxe d’ajustement aux frontières », l’initiative reste en tête de l’agenda climatique français, mais elle n’est cependant qu’une option parmi d’autres pour la Commission européenne qui examine l’oppor-tunité de soumettre les importations à l’effort global de réduction des émissions de GES. En cas d’échec de la négociation climat au terme de la conférence de Copenhague en décembre 2009, et dans l’hypothèse d’une poursuite unilatérale des politiques européennes d’internalisation du coût du carbone dans un nombre toujours accru de secteurs, un mécanisme d’ajustement ou de « compensation » sur les échanges des produits concernés limiterait les pertes de compétitivité des

entreprises européennes. Il permettrait par ailleurs d’éviter les « délocalisations climat » provoquées par une politique restrictive en matière d’émission qui présenterait le risque de fragiliser l’économie européenne et d’accroître les émissions à l’exté-rieur de l’Union.L’initiative de compensation ou d’ajustement aux frontières pose la question du partage de la respon-sabilité dans les émissions de GES entre produc-teurs et exportateurs d’un côté, et importateurs et consommateurs de l’autre. L’accent a été mis jusque-là sur la production, tant dans le décompte des émissions que dans les politiques de réduc-tion de celles-ci. Cette approche est contestée par certains pays comme la Chine, les officiels chinois estimant que les émissions de leur pays sont provo-quées en grande partie par les importations des pays occidentaux. Ainsi, les exportations de la Chine seraient responsables d’un quart à un tiers des émissions chinoises liées à la consommation d’énergie. Dans une étude à paraître, Glen Peters et Edgar Hartwich ont créé un indicateur qui mesure pour chaque pays le solde des émissions contenues dans les importations et les exportations : le balance embodied emissions in trade (BEET). Ils concluent que le solde de la Chine s’établit à 585,5 millions de tonnes de CO2 – autrement dit ses exportations contiennent 585,5 millions de tonnes de carbone de plus que ses importations – à comparer avec le solde négatif de 438,9  millions de tonnes de CO2 des États-Unis (cf. tableau 2).La controverse autour des food miles et celle liée à la taxe d’ajustement aux frontières montrent toutes les deux la complexité du lien entre commerce et climat, ainsi que les difficultés à utiliser le commerce comme levier de la négociation climat, et réciproquement. Pascal Lamy, directeur général

La controverse autour des food miles et celle liée à la taxe d’ajustement aux frontières montrent toutes les deux la complexité du lien entre commerce et climat

...

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de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a prudemment rappelé que l’usage de politi-ques commerciales à des fins climatiques serait inefficace et même contre-productif tant que la gouvernance climat dans la période post-Kyoto qui s’ouvre en 2012 n’aura pas trouvé une forme stable pour la mise en œuvre de politiques multi-latérales. Il conviendrait que chaque négociation –  climat d’une part, commerce d’autre part  – n’interfère pas avec l’autre, au risque sinon de voir les deux négociations s’enliser.Une option diamétralement opposée consisterait justement à lier les deux enjeux, et faire en sorte que par ce lien, des pays émergents, acteurs clés

dans les deux négociations, trouvent une incitation à s’impliquer de manière toujours plus contrai-gnante dans la négociation climat. Dans le cas du commerce entre l’Union européenne et la Chine par exemple, il serait envisageable de substituer aux mécanismes de compensation ou d’ajuste-ment aux frontières en Europe des taxes en Chine sur les exportations de produits dont les équiva-lents en Europe sont soumis aux mécanismes du marché d’émission. Cela éviterait d’imposer des taxes à l’importation en Europe.Dans le même ordre d’idées, un accès accru au marché européen pourrait être accordé aux produits brésiliens –  en particulier les produits agro-énergétiques – en échange d’un soutien du Brésil à certaines positions prises par l’Union européenne dans la négociation climat. Cette même logique de « troc » d’un accès au marché contre un soutien à sa politique climat pourrait également s’appliquer entre l’Union européenne et l’Inde. n

1. STERN (N.), Stern Review on the Economics of Climate Change, Oxford, Oxford University Press, 2006.

Solde des émissions contenues dans les échanges (BEET) en millions de tonnes de CO2

Pays de l’annexe B

Pays hors de l’annexe B

Suisse -63,1 Singapour -62,8

Lettonie -4,6 Corée du Sud -45,4

Royaume-Uni -102,7 Maroc -2,5

Allemagne -139,9 Mexique -17,6

Japon -197 Brésil 2,5

États-Unis -438,9 Inde 70,9

Canada 15,5 Chine 585,5

Australie 57,9 Indonésie 58,1

Russie 324,8 Afrique du Sud 123,5

Source : G. P. Peters et E. G. Hertwich, « CO2 Embodied in International Trade with Implications for Global Climate Policy », Environmental Science and Technology, 42 (5), 2008, p. 1 401-1 407. Note : L’annexe B du protocole de Kyoto rassemble des pays, essentiellement industrialisés, qui avaient accepté des objectifs quantifiés de réduction de leurs émissions de GES.

...

LES ÉMISSIONS DE GES LIÉES AU COMMERCETABLEAU 2

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Dotés d’une autorité intellectuelle souvent morcelée, privés de l’autorité politique formelle d’imposer leurs choix, dépourvus de la légitimité démocratique dont les gouvernements peu-vent se parer, comment les réseaux d’expertise parviennent-ils à participer à la gouvernance internationale de l’environnement et à en influencer le cours ? Leur influence est déterminée tant par le contenu informationnel que par le processus de production de ces informations.

POUVOIRS ET LIMITES DES RÉSEAUX D’EXPERTISE

PHILIPPE LE PRESTREDIRECTEUR, INSTITUT HYDRO-QUÉBEC EN ENVIRONNEMENT, DÉVELOPPEMENT ET SOCIÉTÉ, UNIVERSITÉ LAVAL, QUÉBEC (CANADA)

ROMAIN TARAVELLA POSTDOCTORANT, INSTITUT HYDRO-QUÉBEC EN ENVIRONNEMENT, DÉVELOPPEMENT ET SOCIÉTÉ, UNIVERSITÉ LAVAL, QUÉBEC (CANADA)

Si les États et, dans leur sillage, les orga-nisations intergouvernementales (OIG) demeurent les principaux intervenants dans le processus de gouvernance inter-nationale de l’environnement (GIE) (lire

chapitre 3), des entités non étatiques se sont progres-sivement affirmées comme des acteurs à part entière. C’est le cas des organisations non gouvernemen-tales (ONG), des entreprises, des réseaux d’expertise scientifique, des communautés indigènes et locales. Leur intervention n’est pas nouvelle, mais elle a pris une importance accrue ces dernières années.L’interaction entre ces différents acteurs sur la scène mondiale a pris la forme d’un processus d’échanges permanents, oscillant entre périodes de tension et phases d’ajustement réciproques. Leurs formes de communication mutuelles sont devenues des variables explicatives clés de l’action collective internationale et de son évolution. Leur influence se fonde sur leur pouvoir d’expression critique, leur capacité de mobili-sation et, pour certains d’entre eux, d’expertise.

L’expertise scientifique est mobilisée pour fournir des réponses fondées scientifiquement aux questions politiques importantes. Organisée en réseaux trans-nationaux, l’expertise foisonne et apparaît sous des formes de plus en plus variées, au point de sembler particulièrement insaisissable : fondations philanth-ropiques, associations scientifiques, centres d’études et de réflexion politiques (think tanks), universités, associations professionnelles, cabinets de consul-tants, ONG, administrations, etc. Pour autant, l’exper-tise s’impose et se situe au cœur des plus impor-tantes négociations internationales, ce qui conduit à considérer ces acteurs comme particulièrement légitimes et puissants. Quelles questions leur succès, même limité, pose-t-il à la gouvernance internatio-nale de l’environnement ?

LES RÉSEAUX DE LA GOUVERNANCE DE L’ENVIRONNEMENT

Les trois dernières décennies du xxe siècle ont été marquées par la transformation de la souveraineté

GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉ CHAPITRE 9

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étatique, entre autres sous la pression de la mondia-lisation (lire chapitre 2). On assiste à une prédomi-nance croissante des structures et des processus transnationaux, qu’ils soient économiques ou politi-ques. Ces évolutions affectent la vie des individus plus que ne le fait l’État et conduit par ailleurs à l’autonomisation des citoyens, des entreprises, des ONG et d’autres groupes qui interviennent effecti-vement dans la politique mondiale. Ainsi on peut concevoir qu’une nouvelle géopolitique mondiale s’articule désormais autour de réseaux transna-tionaux ouvrant des espaces politiques élargis qui transcendent les frontières nationales et plus généralement le cadre des États.

Les réseaux au cœur des relations internationales.Les relations transnationales ne sont en aucun cas un phénomène nouveau. Depuis plusieurs siècles, les contacts directs entre hommes d’affaires, bureau-crates, aristocrates, élites, intellectuels ou révolu-

tionnaires ont joué un rôle majeur dans le système inter-national. Robert Keohane et Joseph Nye ont été parmi les premiers à s’intéresser à l’importance des réseaux transnationaux qu’ils définis-sent dès 1971 comme « des contacts, des coalitions et des interactions traversant les frontières étatiques [et] qui ne

sont pas contrôlés par l’organe central responsable de la politique étrangère des gouvernements1 ». On peut considérer le réseau comme une organisa-tion sociale faiblement institutionnalisée associant des individus et des groupes dans un faisceau d’échanges et d’obligations réciproques. Sa dynamique vise la consolidation et la progression des activités des membres dans une ou plusieurs sphères sociopolitiques2. En 1997, James Rosenau a identifié trois caractéristiques principales qui distin-guent un réseau d’une organisation hiérarchique traditionnelle3. L’interdépendance  : la coopération

entre les acteurs d’un réseau s’appuie sur l’hypothèse qu’aucun d’entre eux ne peut, à lui seul, répondre à l’enjeu traité ; la flexibilité et l’ouverture : les réseaux sont de tailles et formes différentes  ; la complé-mentarité  : les réseaux entretiennent et mettent à profit la diversité des participants, tout en facilitant la combinaison et la coordination de ressources complémentaires.Alors que les réseaux et les études sur le sujet se sont multipliés, l’échange de connaissances, d’informa-tions et d’expertise s’est affirmé comme un aspect central de leur mode de fonctionnement. On classe généralement les réseaux en fonction de l’enjeu politique auquel ils sont liés et de la nature des acteurs qui les composent (publics ou privés). On pourra, sur cette base, distinguer trois types de réseaux  : publics, privés et hybrides. Les réseaux publics sont exclusivement constitués d’acteurs gouvernemen-taux, représentants de collectivités territoriales, législateurs, juges ou services d’organisations inter-gouvernementales. C’est le cas, dans le domaine du climat4, du réseau Cities for Climate Change Program (CCP)a. Les réseaux privés comprennent uniquement des acteurs non étatiques. C’est le cas de l’International Emissions Trading Association (IETA)b, du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD)c, ou des accords volontaires industrie-ONG. Enfin, on assiste depuis quelques années à la multiplication des réseaux hybrides rapprochant acteurs privés et publics. C’était l’un des objectifs du sommet de Johannesburg que de les encourager et leur importance va grandissant. On peut citer par exemple l’accord volontaire signé par la Commission européenne et l’association des

a. Le CCP se compose de plus de 600 représentants politiques, issus de plus de 30 pays, qui se sont engagés à contrôler leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

b. L’IETA est un réseau de 145 compagnies dédié à l’établissement d’un système d’échange de droit d’émission basé sur les mécanismes de marché.

c. Le WBCSD réunit 190 directeurs de multinationales préoccupés par la problématique environnementale et soucieux d’y apporter une réponse collective.

On peut considérer le réseau comme une organisation

sociale faiblement institutionnalisée associant

des individus et des groupes dans un faisceau

d’échanges et d’obligations réciproques

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entreprises automobiles européennes, japonaises et américaines portent sur les émissions de CO2 des véhicules mis sur le marché. Le Chicago Climate Exchange (CCX) est un système volontaire cap and trade dont les membres sont des entreprises privées, des ONG, des universités, des États et des collecti-vités territoriales d’Amérique du Nord. En raison de leur caractère fuyant, il est bien diffi-cile de saisir la dynamique générale des réseaux autrement que par l’accumulation d’études de cas bien documentés. Les travaux de John Meyer et de ses collègues montrent ainsi l’émergence des réseaux internationaux d’experts à partir de quelques indicateurs de la rationalisation croissante du souci environnemental dans le monde. Le nombre des associations scientifiques internationales a connu une croissance continue entre 1870 et 1990. Si leur nombre était proche de zéro en 1870, il en existait déjà une douzaine en 1920, autour de 75 en 1970 et plus de 225 en 19905.Le succès des réseaux hybrides d’expertise, sous une forme fortement ou faiblement institutionna-lisée, découle directement des ressources straté-giques liées à leur capacité à articuler deux inter-faces : entre science et politique d’une part, et entre public et privé d’autre part. La portée de leur action peut être considérablement limitée par ce double système de contraintes. L’importance des réseaux d’informations s’inscrit dans le mouvement plus large de rationalisation des préoccupations environ-nementales par l’activité scientifique, observé dans la deuxième moitié du xxe siècle.La croissance continue des associations interna-tionales environnementales et celle des associa-tions scientifiques internationales et intergou-vernementales depuis les années  1940 invite à attribuer la même dynamique à l’émergence des réseaux d’experts. Ces derniers ont accompagné l’institutionnalisation croissante de la probléma-tique environnementale à l’échelle internatio-nale. Quels liens peut-il exister entre les réseaux d’information et la coopération internationale en environnement ?

Des expertises à grande échelle. L’institutionnalisa-tion de l’expertise en réseau s’est particulièrement accentuée durant les trois dernières décennies  ; elle a touché des problématiques environnemen-tales aussi diverses que la dégradation de la couche d’ozone, la pollution de l’air en Europe, le change-ment climatique, l’érosion de la biodiversité ou l’impact des changements climatiques en Arctique. Les conventions internationales se sont avérées être les principales consommatrices de ces exper-tises. Chacune a ainsi développé son propre mode d’utilisation de ces connaissances et d’intégration à la prise de décision (cf. encadré 1). Les évaluations des groupes d’experts constituent le plus souvent des synthèses des connaissances scien-tifiques sur une problématique environnementale précise apparue à l’agenda politique. Elles visent à clarifier les fondements scientifiques des choix politi-ques et à dégager un consensus scientifique sur la question. Les thématiques de ces évaluations souvent menées à l’échelle mondiale sont parfois définies par les décideurs eux-mêmes. Elles sont rédigées par des équipes d’experts renommés issus de différentes disciplines, s’appuient sur la littérature scientifique et bénéficient d’un suivi par les pairs. Le produit de leur travail est directement communiqué aux décideurs et parfois à un plus large public.Les organes subsidiaires scientifiques et techni-ques des conventions constituent ainsi d’impor-tants forums pour la communication des résultats de l’expertise institutionnalisée auprès des parties. Cependant, alors que ces organes ont été créés dans le but d’évaluer les implications politiques des connaissances scientifiques, certains ont égale-ment acquis un rôle politique. C’est notamment le cas de l’Organe subsidiaire de conseil scientifique, technique et technologique (OSAST) de la Conven-tion sur la diversité biologique (CDB) qui agit comme

L’importance prise par les réseaux d’informations s’inscrit dans le mouvement plus large de rationalisation des préoccupations environnementales par l’activité scientifique

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un organe de mise en œuvre et dont la composition est plus politique que scientifique. Certaines expertises se réalisent parfois à très grande échelle et peuvent mobiliser plusieurs centaines d’experts. La série de rapports Global Environment Outlook sur l’initiative du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) est un exemple de programme faisant appel à une expertise à grande échelle pour lancer une évaluation transectorielle combinant des évaluations environnementales ambitieuses, constituées à une échelle mondiale et régionale. L’ensemble des données utilisées dans ces études ont été réunies grâce à la forma-

tion d’un réseau constitué par les centres régionaux du PNUE, les organes des Nations unies et de multi-ples centres de recherche.L’Évaluation internationale des connaissances, des sciences et des techno-logies agricoles pour le développement (IAASTD)

et l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire sont d’autres exemples de travaux collectifs mobili-sant un grand nombre d’experts. Il en est de même pour le Groupe d’évaluation scientifique sur l’ozone, conduit par le Groupe d’experts intergouverne-mental sur l’évolution du climat (GIEC). Certains réseaux hybrides institutionnalisés sont même d’une

plus grande envergure  : l’Union mondiale pour la nature (UICN) et le GIEC représentent à ce titre des succès emblématiques (lire repère 1).

Une nouvelle génération d’expertise environne-mentale. Depuis le début du xxie siècle, de nouveaux types de réseaux d’expertise apparaissent, telle l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire qui met en œuvre une approche innovante, multi-thématique et multiscalaire la différenciant des expertises plus classiques comme celle du GIEC. Lancée par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, en 2001, l’évaluation est coordonnée par un comité directeur composé de représentants de la communauté scientifique, du secteur privé, des organisations non gouvernementales, des organi-sations internationales et des gouvernements. Son expertise a été étroitement orientée pour les besoins de plusieurs conventions  : la Convention sur la diversité biologique (CDB), la Convention sur la lutte contre la désertification (CLD), la Conven-tion Ramsar sur les zones humides et la Conven-tion sur les espèces migratoires (CMS). Plus de 360 experts venus de 95 nations ont participé au processus qui a également bénéficié du soutien de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du Fonds pour l’environne-ment mondial (FEM), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de la Banque mondiale, de l’UICN et du World Research Institute.

L’INTÉGRATION DE L’EXPERTISE À LA CONVENTION SUR LA DIVERSITÉ BIOLOGIQUEENCADRÉ 1

L’expertise produite par l’Évaluation des

écosystèmes pour le Millénaire a montré une

capacité d’adaptation et de flexibilité en intégrant

à mi-parcours des enjeux nouveaux

n Comme dans le cas de la Convention cadre des Nations unies sur les chan-gements climatiques (CCNUCC), les apports scientifiques ont été canalisés et intégrés au processus politique par l’intermédiaire d’une institution spéci-fique liée à la Convention sur la diver-sité biologique (CDB)  : l’Organe subsi-diaire de conseil scientifique, technique

et technologique (OSAST). Il est chargé de fournir les évaluations scientifiques nécessaires à la mise en œuvre de la Convention. Les informations scientifi-ques sont issues de plusieurs processus – séparés ou, le plus souvent, combinés. La préparation des évaluations scienti-fiques par des groupes d’experts tech-niques ad hoc répond à une question

précise. Le secrétariat, à partir de la littérature publiée, des récents ateliers et réunions, et parfois avec l’aide de consul-tants extérieurs, prépare des documents de synthèse. D’autres organisations, notamment les agences spécialisées de l’ONU et les organisations interna-tionales non gouvernementales, sont amenées à préparer des rapports.

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Les résultats obtenus par l’Évaluation ont permis de «  réduire la complexité  » du problème en produi-sant des informations synthétiques à destination des décideurs. Elle a réussi à tracer la frontière entre le connu (et largement accepté) et l’inconnu (encore soumis à controverse)6. L’expertise produite par l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire a montré une capacité d’adaptation et de flexibilité en intégrant à mi-parcours des enjeux nouveaux, tels que les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Le processus a permis la participation d’un grand nombre d’experts des pays du Sud et a créé une véritable dynamique interactive entre les diffé-rents groupes de travail.Cependant, cette expertise a montré d’impor-tantes limites. En effet, les experts de différentes disciplines employaient des terminologies et des perspectives divergentes, voire contradictoires. Un cadre conceptuel spécifique a dû alors être imaginé, ancré autour du concept de «  services écosysté-miques  » qui correspond aux avantages que les populations humaines tirent des écosystèmes. Ce choix méthodologique, fortement anthropocentré, a été vivement critiqué, car il témoigne de l’adoption

d’une approche instrumentale explicitement tournée vers les futurs utilisateurs. Dans le cadre de cette évaluation, le rapproche-ment entre science et politique ne s’est pas fait sans difficulté : ainsi, de nombreuses informations indis-pensables aux yeux des décideurs continuaient à manquer. Les critiques ont également souligné le caractère unique de l’expertise  et proposé que la CDB se dote d’un organe d’évaluation scientifique permanent, à l’image du GIEC pour la CCNUCC, doté d’un mandat clair qui compléterait, sans le dupli-quer, celui de l’OSAST. C’est dans cet esprit qu’a été lancé le Processus consultatif vers un mécanisme international d’expertise scientifique sur la biodiver-sité, l’IMoSEB (lire repère 1). La création de l’IMoSEB ou son successeur, la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) issue d’une fusion entre l’IMoSEB et l’Évalua-tion des écosystèmes pour le Millénaire, constitue pour partie une réponse aux déficiences de cette évaluation. Mais cette dernière n’a pas réussi à s’imposer comme un réseau hybride à part entière car elle n’avait pas prévu initialement, ni intégré par la suite, les apports

L’UNION MONDIALE POUR LA NATUREENCADRÉ 2

n  L’Union mondiale pour la nature (anciennement Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources) a été fondée en  1948. Elle a la particularité de rassem-bler des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux de 160  pays. Elle comprend actuellement plus de 1 000 membres, soit plus de 200 acteurs gouvernementaux et 800  acteurs non gouvernementaux, qu’accompagnent 11 000  scientifiques volontairement apparentés. L’UICN est basée en Suisse, mais son secrétariat et son fonctionne-ment sont de plus en plus décentralisés autour d’une quarantaine de bureaux régionaux ou nationaux.

La mission officielle du réseau est d’ « influencer les sociétés du monde entier, de les encourager et de les aider pour qu’elles conservent l’intégrité et la diversité de la nature et veillent à ce que toute utilisation des ressources natu-relles soit équitable et écologiquement durable ».L’UICN a joué un rôle fondamental dans le développement du droit et des politiques nationales de conserva-tion des ressources naturelles, dans la surveillance des accords internationaux, dans la conception et la mise en œuvre de projets techniques de conservation dans les pays du Sud et dans la sensi-bilisation des publics à la dégradation

accélérée des écosystèmes ainsi qu’aux menaces d’extinction de la faune et de la flore sauvage.Son influence normative est remar-quable. Elle est à l’origine de la Charte mondiale pour la nature de 1982. On la retrouve également dans la promotion et la négociation de la Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992. L’UICN collabore étroitement avec les institutions onusiennes. Par exemple, elle administre, avec le PNUE et le WWF, le Centre mondial de surveillance de la conservation de la nature (WCMC). Elle a collaboré avec le PNUE au dévelop-pement de la Convention de Bonn sur la conservation des espèces migratoires.

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informationnels directs venant des États. L’évaluation s’est vue isolée et politiquement ignorée par des États qui ont refusé de valider ses principales conclusions. L’IMoSEB et l’IPBES ont été créés afin de faire un lien avec les États et de constituer une double interface science/politique et public/privé plus poreuse. Le succès politique de ces organisations illustre le champ de forces qui traverse les réseaux hybrides d’expertise  : lorsque les acteurs publics gouverne-mentaux ne sont pas engagés dans le processus, dès le départ et jusqu’à la remise des conclusions, l’influence de tels réseaux en est considérablement compromise. Le succès à venir de l’IPBES reposera sans doute sur sa capacité à implanter, au travers d’organes créés à cette fin, son caractère hybride.

Une faible institutionnalisation. L’interface entre science et politique est en réalité rarement aussi formelle qu’à l’occasion de grandes évaluations. Dans bien des cas, l’intégration de l’information à la prise de décision se fait d’une manière floue, labile et peu trans-parente, comme en témoignent les commu-nautés épistémiquesd. Les membres d’une telle communauté, qui partagent un paradigme et des valeurs, ont pour objectif d’influencer les politiques publiques. Alors, spécialistes de la chimie de l’atmosphère ou du déboisement, experts de la dynamique de l’ozone stratos-phérique ou cétologistes tendent à trans-former les croyances causales et normatives des décideurs. Par exemple, ce ne serait pas un changement soudain de la qualité des eaux de la Méditerranée qui expliquerait le soutien des États riverains à la Convention de Barcelone, mais plutôt l’activisme d’une communauté épistémique ad hoc7.

d. La communauté épistémique est « un réseau de professionnels possédant une expertise reconnue dans un domaine particulier et revendiquant une autorité intellectuelle sur les connaissances politiquement pertinentes dans ce domaine ». Les communautés épistémiques « forment des canaux par lesquels de nouvelles idées circulent des sociétés vers les gouvernements tout comme de pays en pays  » (P. M. Haas, «  Introduction  : Epistemic Communities and International Policy Coordination », International Organi-zation, 46 (1), 1992, p. 1-35).

Or, plus une situation est complexe et plus l’infor-mation est incertaine et ambiguë, ce qui augmente l’incertitude des responsables politiques et les incite à se tourner davantage vers les experts nationaux capables de les aider, que ceux-ci viennent de l’uni-versité, de l’industrie, de la société civile ou de l’admi-nistration. Les communautés épistémiques apparais-sent lorsque ces experts échangent leurs points de vue sur une question précise et qu’ils parviennent à s’entendre sur une position commune et une réponse au problème considéré. Par ce mécanisme, les communautés épistémiques participent à la construc-tion d’une compréhension partagée des problèmes et des solutions dans un domaine spécifique, qui peut être diffusée au niveau national, lorsque les experts nationaux conseillent leurs gouvernements.Ainsi, les communautés épistémiques ont la capacité d’influencer la prise de décision en élucidant les relations de cause à effet en jeu et en fournissant des conseils sur les résultats probables de différentes actions. Elles éclairent la complexité des liens entre

les problématiques et mettent en évidence la succession d’événe-ments qui pourraient découler de la prise d’une décision politique ou de son absence. Elles sont mobili-sées pour aider à définir l’intérêt propre des États. Elles sont d’autant plus influentes qu’elles contribuent à élaborer des politiques à travers l’identification des options ou des implications des actions envisa-gées. Les communautés épistémi-

ques assurent donc le rôle de « caution » dans le long processus de la prise de conscience, tant par les décideurs que par l’opinion publique, de la gravité d’un problème écologique abordé et de l’urgence à le traiter.Il faut bien voir que les communautés épistémiques se différencient fondamentalement des groupes d’inté-rêts dans la mesure où c’est le partage de croyances causales et leur accord sur les mécanismes de cause à effet qui déterminent les intérêts des membres du

CONVENTION DE BARCELONE

Convention pour la protection de la Méditerranée contre la pollution signée en 1976 à Barcelone, sous l’égide du Programme des Nations unies pour l'environnement. Son objectif est d’assurer une protection particulière aux espèces et aux habitats mena-cés dont l’importance est jugée vitale pour la conservation de la Méditerranée.

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groupe, et non l’inverse. Contrairement aux groupes d’intérêts, les communautés épistémiques ne visent pas des résultats pouvant aller à l’encontre des connaissances scientifiques qu’elles détiennent. Elles jouent bien un rôle de « courtiers des connaissances », contribuant de manière décisive à la formation des normes internationales. Mais de quelles connais-sances s’agit-il ? Celles-ci sont des savoirs partagés et consensuels, et non pas des « vérités » sur le monde. Ainsi, même si l’on peut concevoir que les commu-nautés épistémiques ne privilégient pas d’intérêt parti-culier, leur influence pose problème car elles promeu-vent une certaine vision du monde, issue d’un savoir spécialisé et donc nécessairement partiel.

INFLUENCE DU SAVOIR SUR LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

Les attributs de l’information à destination poli-tique. Il est difficile de cerner les facteurs qui déter-minent quand, comment et jusqu’à quel point les connaissances scientifiques influencent le cours de la gouvernance internationale. L’ensemble des connais-sances scientifiques précises et utiles aux décideurs est défini comme usable knowledge8. Ces informations doivent avoir au moins trois attributs principaux pour influencer de manière efficace le processus politique  : la pertinence, la crédibilité et la légitimité9.L’information doit d’abord s’avérer pertinente, c’est-à-dire adaptée aux capacités et aux préoccupations des futurs utilisateurs. Elle doit renvoyer à des problémati-ques qui intéressent ces derniers et dont ils ont poten-tiellement le contrôle. En effet, même un public dont on imagine a priori l’intérêt pour certains savoirs peut tout à fait les ignorer si ceux-ci ne traitent pas d’un problème ou de ses répercussions d’une manière qui le touche. Les informations sur l’élévation du niveau des mers, par exemple, ont des implications impor-tantes pour les populations hawaïennes ; or, celles-ci ont généralement ignoré les expertises sur ce sujet, car ces informations n’intégraient pas les phéno-mènes d’érosion et d’inondation qui préoccupent les

responsables de la gestion du littoral. On saisit que la pertinence d’une information scientifique ne va pas de soi, d’autant plus lorsque l’information s’adresse à un public varié. Une information gagne en influence à mesure qu’elle parvient à se « localiser », c’est-à-dire à mesure qu’elle parvient à s’ancrer à grande échelle.L’influence de l’information scientifique dépend égale-ment de sa crédibilité, c’est-à-dire de sa capacité à convaincre les acteurs que les faits et scénarios proposés par les scientifiques sont « vrais », du moins qu’ils représentent des guides fiables du fonctionne-ment du monde. En effet, avant l’intégration d’une infor-mation scientifique dans l’une de leurs décisions, les utilisateurs s’assurent que les données produites sont le résultat d’une démarche non biaisée : Ronald Mitchell parle à ce sujet d’une «  crédibilité technique  »10  . L’information scientifique doit également être dotée d’une «  crédibilité locale  »11, car il arrive que les études soient rejetées pour la simple raison qu’elles ne corroborent pas l’expérience locale des acteurs : c’est ainsi que les agriculteurs du Zimbabwe n’ont trouvé les prévisions climatiques liées au phénomène El Niño crédibles qu’à partir du moment où elles ont été appuyées, corroborées et reprises par des scien-

tifiques locaux de confiance.Enfin, il faut souligner que les problèmes environnementaux sont liés à des processus biophysicochimiques et à des interactions avec les humains particulièrement complexes. Aucune information scientifique ne peut

prétendre intégrer l’ensemble des facteurs en jeu, des manifestations et des solutions politiques imagina-bles pour y répondre. Les variables étudiées dans une analyse scientifique sont nécessairement limitées et font donc l’objet de choix d’ordre politique. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le public cible de ces informations, conscient de ces procédures de sélection inhérentes à l’activité de production du savoir, soit sensible à la légitimité des choix effectués avant d’en accepter et d’en reprendre les résultats.Généralement, les mesures prises pour améliorer l’un des attributs profitent aux deux autres, mais

USABLE KNOWLEDGE

Savoir qui génère des outils pouvant être utilisés par les décideurs à diverses fins prati-ques, notamment l'élaboration de politiques publiques.

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elles peuvent parfois leur porter atteinte. Les informa-tions produites par des panels scientifiques réputés essaient souvent de maximiser leur crédibilité en ne faisant intervenir que les experts d’un domaine et en tentant d’isoler le processus d’expertise de toute influence politique extérieure jugée néfaste. Une telle

approche est vouée, dans les faits, à n’avoir que très peu d’influence, car les questions les plus pertinentes pour les décideurs seront systémati-quement évacuées. L’inverse peut tout aussi bien se produire lorsque la pression

exercée par les décideurs ou le public conduit les experts à rendre public certains résultats de manière prématurée, ce qui nuit à leur crédibilité.

Les réseaux au service de la gouvernance environ-nementale. Les informations produites et fournies par les réseaux d’expertise agissent donc sur les dynamiques sociopolitiques. En quoi cette influence peut-elle être profitable à la gouvernance internatio-nale de l’environnement ? L’information véhiculée par les réseaux permet de faciliter une compréhension commune des problé-matiques environnementales. Les travaux de Peter Haas12 permettent de saisir les préalables d’une information au service d’une gouvernance environ-nementalee, autour de trois fonctions principales des réseaux d’expertise : la production de connaissances fondamentales, le suivi de l’état de l’environnement et la proposition de recommandations politiques. La production de connaissances fondamentales consiste en l’approfondissement de la compréhension des dynamiques naturelles transnationales et globales. Elle fournit des renseignements utiles aux décideurs politiques sur les impacts sur l’environnement au

e. L’efficacité de la gouvernance internationale de l’environnement peut être mesurée par la ratification d’un accord international par les États, la mise en œuvre de politiques nationales ou la résolution du problème environne-mental, approche retenue ici, bien que posant des difficultés analytiques.

niveau national et subnational. En ce sens, l’amélio-ration des connaissances fondamentales peut contri-buer à l’établissement des priorités d’action, leur mise à l’ordre du jour, l’alerte rapide et la réalisation des choix politiques qui y répondent.Le suivi environnemental correspond à la collecte systématique d’informations sur une problématique donnée. Une activité de veille environnementale et d’évaluation efficace est une condition d’appren-tissage collectif ; elle peut procurer des ressources informationnelles clés aux acteurs spécialisés dans la mobilisation des opinions publiques.Enfin, les recommandations politiques formulées sur la base d’informations scientifiques consistent à spéci-fier les actions politiques à mener afin de modifier les comportements collectifs. Ces prescriptions sont de nature à influencer le contenu des politi-ques environnementales nationales et internatio-nales. Elles influenceront également la conformité et l’effectivité des régimes. Sur ce plan, l’approche par les communautés épisté-miques ouvre des voies fécondes pour appréhender le rôle des connaissances dans la coopération inter-nationale. Ainsi, il est important de questionner la réalité des fondements scientifiques de la décision politique, car l’hypothèse de l’influence des commu-nautés épistémiques et, plus largement, de l’influence de la science et des scientifiques, demeure difficile à évaluer.Malgré tout, l’explication du rôle des communautés épistémiques dans la coopération internationale pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, comment reconnaît-on une communauté épistémique  ? La composition de ces réseaux s’avère très variable : les communautés comprennent des individus revendi-quant une expertise particulière, s’élargissent parfois aux bureaucraties nationales ou internationales favorables à leurs idées. Telle ou telle communauté épistémique est investie – ou non – d’un pouvoir par les gouvernements qui, confrontés à l’incertitude, cherchent informations et conseils auprès d’elle. Enfin, une communauté épistémique peut exister sur le plan transnational sans qu’elle ne se traduise

L’approche par les communautés épistémiques

ouvre des voies fécondes pour appréhender le rôle

des connaissances dans la coopération internationale

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par une cohésion scientifique sur le plan national où l’on retrouve souvent des « groupes de plaideurs » distincts, en concurrence les uns avec les autres.L’intérêt empirique d’une telle approche par les communautés épistémiques est donc sujet à caution. Pourquoi étudier les communautés épistémiques qui s’appuient sur le savoir plutôt que les ONG ou les groupes de plaideurs transnationaux qui s’appuient sur des valeurs  ? Philip Howard, dans son étude sur l’influence respective des ONG et de la communauté scientifique dans l’élaboration de nouvelles politiques à l’égard de l’Antarctique en  199813, soutient qu’il est plus utile d’étudier les premières pour expli-quer la gestion des communaux internationaux . L’étude des cas de la mer Noire et de la mer Caspienne suggère que si les communautés épistémiques jouent divers rôles significatifs, dont celui de conseil, elles n’expliquent pas pourquoi la coopération a été possible dans le premier cas et plus difficile dans le second. En l’occurrence, un modèle d’explication rationnelle faisant appel à un simple calcul des avantages économiques attendus expliquerait la décision des États riverains de participer à l’accord régional de la mer Caspienne.L’approche par les communautés épistémiques insiste sur l’existence d’un paradigme commun. Elle a tendance à postuler que la science est au-dessus de la politique et que la connaissance peut être séparée du politique. Or, ces communautés sont aussi des acteurs politiques, car elles revendiquent une autorité particulière, fondée sur l’expertise et, comme les autres plaideurs, elles sont traversées par des intérêts.Si le rôle des communautés scientifiques demeure problématique, il ne faut pas négliger la place des idées ou des facteurs cognitifs et culturels, que résume le concept de « vision du monde ». Ainsi, Karen Litfin14 insiste sur l’importance des énoncés discursifs, des idées, des connaissances et de l’exis-tence d’une intelligence commune dans la définition d’un problème. En effet, deux types de croyances

jouent un rôle, dont l’importance relative est média-tisée par un contexte politique qui leur donne un sens : les croyances qui concernent les relations de cause à effet (caractéristiques des expertises scien-tifiques) et celles qui concernent les convictions normatives, comme le principe de précaution.

L’autorité et l’objectivité de la science en cause. Les limites de l’étude des communautés épisté-miques amènent à s’interroger plus largement sur l’importance accordée aux connaissances pour expliquer la coopération politique internationale. La sociologie des sciences et des techniques a remis en question le caractère « objectif » de l’information scientifique qui est plutôt appréhendée comme un construit social. L’autorité de la science a ainsi été remise en cause à partir de trois objections principales15.

Le consensus scientifique est souvent perçu comme suspect, car l’argumentaire scientifique fait lui-même partie d’un discours qui n’est pas culturellement neutre. En relations internationales, l’origine de la connaissance importe autant sinon davantage que sa nature, et le recours à la science dans l’élabo-ration des politiques internationales fait intervenir des processus de médiation qui ouvrent la porte à la possibilité d’utiliser cette connaissance afin de soutenir les objectifs politiques de ses utilisateurs. La science est politique car certains en tirent des avantages et d’autres peuvent souffrir des connais-sances nouvelles. En effet, les choix politiques justi-fiés par ce savoir ont des influences sur la distribu-tion du pouvoir entre acteurs. D’autre part, lorsque les groupes affectés par l’utilisation des connais-sances scientifiques dans la décision politique n’ont pas été consultés sur sa construction et son applica-tion, l’usage et la nature même de la science devien-nent alors fréquemment illégitimes.

CROYANCES CAUSALES ET NORMATIVES

Deux types d’idées à l’œuvre dans le processus de définition d’un problème et de ses solu-tions. Les croyances causales sont des hypothèses testées scientifiquement qui établis-sent un lien de causalité entre deux phénomènes (par exem-ple, la croyance que les CFC détériorent la couche d’ozone). Les croyances normatives sont des principes normatifs qui guident les comportements et décisions des acteurs qui les détiennent (par exemple, la croyance qu’il est préférable d’agir avec précaution dans le cas d’incertitude scientifique sur un problème).

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La science moderne s’inscrit dans le système des inégalités internationales et on saisit que les inéga-lités scientifiques entre le Nord et le Sud jouent un rôle majeur dans la gouvernance internationale de l’environnement, dans la mesure où la capacité de négocier de certains États dépend fortement de leur accès à des données et arguments scientifiques. En raison du manque d’expertise au Sud, les commu-nautés épistémiques internationales peuvent de fait sous-représenter les intérêts des pays en développe-ment. On saisit bien alors que de nombreux pays du

Sud ne peuvent participer pleinement aux négocia-tions internationales. Ce fut le cas lors des négociations sur la protection de la couche d’ozone, sujet sur lesquels seuls les pays industrialisés disposent d’une forte exper-tise constituée à partir des

recherches conduites sur leur territoire. Une certaine incapacité de nombreux pays à évaluer eux-mêmes les risques environnementaux qu’ils assument constitue un autre aspect de cette inégalité. On suppose généralement que l’acquisition de connaissances facilite le choix des décideurs  : plus les connaissances scientifiques seraient étendues et approfondies, et mieux on connaîtrait les mécanismes de l’environnement, et plus aisée serait la formulation de politiques éclairées, bénéfi-ciant d’un large consensus et de grandes chances de réussite. Or, le savoir ne facilite pas toujours la résolution des problèmes environnementaux. En effet, l’accroissement des connaissances ne réduit pas automatiquement l’incertitude des décideurs. En fait, il arrive que celles-ci viennent compliquer le processus de coopération et qu’elles accrois-sent l’incertitude sur le monde. À mesure que l’on perce les mystères des cycles bio-physico-chimiques naturels, de nouvelles interrogations ne manquent pas de surgir et viennent déplacer la zone d’incerti-tude. Dans certains cas, alors que les connaissances s’accumulent, les choix apparaissent de plus en plus

difficiles à mesure que les contradictions potentielles entre diverses solutions aux problèmes d’environ-nement deviennent plus évidentes. Il peut même arriver que les connaissances scientifiques s’avèrent de véritables obstacles à la résolution politique des conflits environnementaux. Si, par exemple, l’ori-gine et la circulation de certains polluants étaient connues, la volonté de toutes les parties concer-nées d’accepter une part des coûts de leur contrôle diminuerait drastiquement. Pourquoi, en effet, les victimes devraient-elles accepter de payer ? Parado-xalement, la présence d’un «  voile d’incertitude  » scientifique quant aux conséquences des change-ments environnementaux peut faciliter la coopéra-tion. C’est ainsi qu’on a vu les experts techniques fusionner les données nationales sur les pollutions telluriques dans le Plan d’action pour la Méditer-ranée, afin d’obscurcir la responsabilité de chacun et d’éviter que certains pays méditerranéens ne soient clairement identifiés comme de gros pollueurs. Il existe des cas extrêmes, mais fréquents, où la production de connaissances nouvelles permet de surmonter des blocages, lorsqu’elle sert de prétexte à repousser le moment d’une décision ou l’adoption de mesures : l’appel à la science soutient alors l’inac-tion environnementale.

BILAN ET PERSPECTIVESLa dynamique des relations internationales dans les domaines économique, environnemental ou des droits de la personne ne peut être appréhendée si elle ignore le rôle que peuvent jouer les réseaux d’exper-tise. La coordination des politiques, surtout dans les pays industrialisés, tient beaucoup à leur existence. Dans le domaine de l’environnement, l’identification des problèmes, leur mise à l’ordre du jour, l’adoption de concepts, tels que celui de services écosystémi-ques, l’évaluation et l’évolution des politiques ont été largement tributaires de l’action des réseaux d’exper-tise scientifique.Il ne faut cependant pas exagérer l’influence de la connaissance scientifique. Depuis une vingtaine d’années, de nombreux travaux ont contribué à la

Paradoxalement, la présence d’un « voile

d’incertitude » scientifique quant aux conséquences

des changements environnementaux peut

faciliter la coopération

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉPOUVOIRS ET LIMITES DES RÉSEAUX D’EXPERTISE

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fois à mieux définir les processus en jeu et les limites de cette influence. La manière dont l’information s’insère dans le jeu politique en fait une variable clé, mais le processus de production de l’informa-tion compte autant, sinon davantage, que le contenu informationnel. Alors, comprendre l’importance des savoirs revient à s’intéresser au processus, depuis l’effort initial de définition du problème jusqu’à la diffusion des connaissances nouvelles auprès du public et leur intégration dans la prise de décision. En effet, les réseaux d’expertise ne peuvent pas

1. KEOHANE (R.) et NYE (J.), Transnational Relations and World Politics, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1970.

2. SMOUTS (M.-C.), BATTISTELLA (D.) et VENNESSON (P.), Dictionnaire des relations internationales. Paris, Dalloz, 2003.

3. ROSENAU (J. N.), Along the Domestic-foreign Frontier. Exploring Governance in a Turbulent World, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.

4. ANDONOVA (L.), BETSILL (M.) et BULKELEY (H.), « Transnational Climate Change Governance », communication, Conference on the Human Dimensions of Global Environmental Change, Amsterdam, 24-26 mai 2007.

5. MEYER (J. W.), FRANK (D. J.), HIRONAKA (A.), SCHOFER (E.) et TUMA (N. B.), « The Structuring of a World Environmental Regime, 1870-1990 », International Organization, 51 (4), 1997, p. 623-651.

6. LEEMANS (R.), « Personal Experiences with the Governance of the Policy-relevant IPCC and Millennium Ecosystem Assessments », Global Environmental Change, 18, 2008, p. 12-17.

7. HAAS (P. M.), Saving the Mediterranean : The Politics of International Environmental Cooperation, New York (N. Y.), Columbia University Press, 1990.

8. DIMITROV (R. S.), « Knowledge, Power, and Interests in Environmental Regime Formation », International Studies Quarterly, 47, 2003, p. 123-150.

9. MITCHELL (R. B.), CLARK (W. C.) et CASH (D. W.), « Information and Influence », dans R. B. Mitchell, W. C. Clark, D. W. Cash et N. M. Dickson, Global Environmental Assessments. Information and Influence, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2006, p. 307-335.

10. Ibid.

11. JASANOFF (S.) et MARTELLO (M. L.), Globalization Seen through the Lens of Environmental Governance. Analyses of How the Global and Local Can Accommodate One Another, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2004.

12. HAAS (P. M.), « Science Policy for Multilateral Environmental Governance », dans N. Kanie et P. M. Haas (eds), Emerging Forces in Environmental Governance, Tokyo, United Nations University, 2004, p. 115-136.

13. HOWARD (P.), « Institutional Change in International Environmental Regime : The Case of the Antarctic Treaty System », communication, Congrès de l’International Studies Association, Chicago, 1998.

14. LITFIN (K. T.), Ozone Discourses : Sciences and Politics in Global Environmental Cooperation, New York (N. Y.), Columbia University Press, 1994.

15. JASANOFF (S.), MARKLE (G. E.), PETERSEN (L. C.) et PINCH (T.) (eds), Handbook of Science and Technology Studies, Thousands Oaks (Calif.), Sage, 1995.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

être dissociés des jeux de pouvoir, soit parce qu’ils contribuent à institutionnaliser une perspective dominante, soit parce que l’information générée et diffusée affecte la distribution des ressources, soit parce qu’ils sont instrumentalisés par les États. Ainsi, alors que l’expertise était définie à l’aune d’une connaissance scientifique sacralisée, inscrite dans une documentation fixée, elle doit être considérée en rapport avec le processus même de production de cette connaissance.

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Les pays du Sud doivent réinventer leur

marche vers le progrès et repenser cette

notion même. S’éloignant des modèles

proposés ailleurs, ils doivent impérativement

trouver de nouvelles réponses avec

des ressources financières limitées

et des choix technologiques encore plus

restreints. Pour cela, un dialogue et une

solidarité entre les plus pauvres et les élites

est indispensable

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Le développement durable est au cœur des revendications sociales des pays du Sud. En Inde, les mouvements ruraux ont permis une réelle prise de conscience des préoccupations environ-nementales. Spontanés à l’origine, ils se sont structurés, afin de se réapproprier les connais-sances en matière de gestion des ressources naturelles. Si les mobilisations citoyennes pour l’équité existent aussi dans les milieux urbains du Sud, leur influence sur les pouvoirs publics reste encore insuffisante.

L’ « ÉCOLOGIE DES PAUVRES » EN INDE

SUNITA NARAIN DIRECTRICE, CENTRE FOR SCIENCE AND ENVIRONMENT, NEW DELHI (INDE)

L es préoccupations environnementales, qu’elles soient nationales ou internatio-nales, s’immiscent dans l’économie et la vie quotidienne. Le monde doit réinventer profondément ce qu’il entend par crois-

sance et développement. Les nouvelles alternatives répondront-elles aux aspirations des populations défavorisées qui dépendent de l’environnement pour leur survie ou à celles des consommateurs des classes moyennes  ? Il est certain que l’innovation technologique ne suffit pas à combler les nouveaux besoins de mouvements de pauvres qui luttent contre la dégradation de l’environnement. Ils revendiquent que les problèmes délicats d’accès aux ressources naturelles soient résolus et que l’équité et la justice deviennent les fondements du mouvement en faveur de l’environnement.Ces mouvements, issus des classes les plus défavori-sées à l’échelle internationale, souvent conduits par des communautés de villageois et de fortes person-nalités, tracent la voie de l’avenir. Ils sont le fruit de la

démocratie, dans la mesure où le changement qu’ils ont impulsé est le résultat de la négociation et de l’innovation.Dans de nombreuses parties du monde pauvre, où ces voix se transforment en véritables cris, l’environ-nement constitue pour les populations une ressource précieuse. Il procure notamment des plantes médici-nales, des matériaux de construction, du bois de chauffage et du fourrage pour les animaux. Sa destruction affecte la vie quotidienne de ces popula-tions. La forte pression démographique implique que chaque parcelle de terre ou d’eau est utilisée de manière intensive. Dans un tel contexte, il suffit que l’environnement se dégrade ou que les moyens de subsistance se raréfient pour que le conflit devienne inévitable. C’est la raison pour laquelle le dialogue doit faire partie d’un modèle alternatif de croissance. Les communautés pauvres, très dépendantes de la nature, doivent nécessairement négocier leurs straté-gies de développement pour que leurs besoins soient pris en considération.

GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉ CHAPITRE 10

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Les pays du Suda doivent réinventer leur marche vers le progrès et repenser cette notion même. S’éloi-gnant des modèles proposés ailleurs, ils doivent impérativement trouver de nouvelles réponses avec des ressources financières limitées et des choix technologiques encore plus restreints. Pour cela, un dialogue et une solidarité entre les plus pauvres et les élites est indispensable.

L’ÉCOLOGIE DU PAUVRE AU CŒUR DE L’ACTION LOCALE

En Inde, le mouvement écologique, comme beaucoup d’autres dans le pays, doit gérer les contra-dictions entre les besoins humains et le respect de la nature, le contentement des riches et des pauvres. Il se distingue des mouvements des pays riches par une caractéristique essentielle, clé de son avenir : il s’est développé dans un contexte de très grande inégalité où les défis sont tels que la protec-tion de l’environnement ne peut s’envisager qu’en

a. Au lieu d’une synthèse rapide des mouvements environnementaux dans l’ensemble des pays, nous avons privilégié un focus sur ceux de l’Inde, où beaucoup dépendent de la biomasse pour leur subsistance mais où l’indus-trialisation progresse vite.

remettant totalement en cause le modèle de crois-sance occidentale.

Le mouvement Chipko à l’origine des revendica-tions. La genèse du mouvement écologique indien remonte au début des années 1970, avec le célèbre discours du Premier ministre indien, Indira Gandhi, lors de la Conférence des Nations unies sur l’environ-nement à Stockholm. À la même époque, les femmes du mouvement Chipko dans l’Himalaya révélaient la préoccupation des pauvres pour leur environne-ment (cf. encadré 1). Longtemps avant que l’envi-ronnement ne devienne un concept à la mode, ces femmes du village de Reni, pauvre et éloigné de tout, interdirent aux bûcherons de couper les arbres de leurs forêts. L’environnementaliste Anil Agarwal commenta cette évolution : « La principale préoc-cupation du mouvement Chipko porte sur l’utilisa-tion de l’environnement ; la manière dont celui-ci doit être utilisé, qui doit l’utiliser et en bénéficier. C’est cette compréhension de plus en plus affirmée de la relation entre les hommes et leur environne-ment, née d’une préoccupation pour une utilisation plus équitable et plus durable de l’environnement, qui est probablement l’évolution la plus fascinante

LE MOUVEMENT CHIPKO, UNE RÉVOLTE SPONTANÉEENCADRÉ 1

n  Le mouvement Chipko apparaît en Inde comme une leçon de droit et devient un modèle pour l’éclosion de nouvelles initiatives de défense environnementale. En  1974, les habitants de Reni dans le district de Chamoli, au pied de l’Hima-laya, apprirent que des bûcherons allaient venir dans les forêts près de leur village pour abattre des arbres appartenant à l’État. Les femmes du village, conduites par Gaura Devi, âgée de 50 ans, bloquè-rent le chemin menant à la forêt. Elles chantaient : « Cette forêt est la maison de nos mères, nous la protégerons de toutes nos forces.  » Les bûcherons repartirent les mains vides. Le message du mouve-ment Chipko (littéralement, mouve-

ment « étreindre les arbres ») se répandit comme une traînée de poudre aux villages de la région.Le mouvement Chipko ne fut jamais une révolte organisée, mais une série de protestations disparates et multiformes de villages himalayens comme Reni, Gopes-hwar et Dungari-Paitoli. Dans certains cas, ce furent des villageois luttant contre le gouvernement ; dans d’autres, des femmes s’opposant à leurs maris plus soucieux de couper les arbres et de recevoir de l’argent immédiatement, que de se préoccuper de la disponibilité du bois de chauffage dans l’avenir.Cette mobilisation des femmes constituait l’affirmation de leur droit à gérer les forêts

dont dépendait leur survie. La délégation brésilienne à la conférence de Stockholm avait affirmé haut et fort « La fumée est le signe du progrès » et liait ainsi dégradation de l’environnement et sociétés prospères. Le mouvement Chipko montra que dégra-dation de l’environnement et pauvreté sont deux faces d’une même réalité, les ménages ruraux vivant dans une économie de subsistance fondée sur les ressources de leur environnement immédiat. Ainsi pour Chandi Prasad Bhatt, leader gand-hien du mouvement Chipko : « Sauver les arbres est uniquement la première étape du mouvement Chipko. Nous sauver nous-mêmes est l’objectif réel. Notre avenir est lié aux forêts. »

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉL’ « ÉCOLOGIE DES PAUVRES » EN INDE

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en Inde aujourd’hui1. » En d’autres termes, l’objectif de ce mouvement de femmes n’était pas en soi la préservation de l’environnement, mais la reconnais-sance du droit des communautés locales à disposer de leurs ressources. Il affirmait que les économies fondées sur l’exploitation des ressources naturelles les rendaient plus vulnérables que la pauvreté. En effet, dans de vastes régions rurales, que ce soit en Inde ou en Afrique, la pauvreté n’est pas tant liée au manque de moyens financiers, mais au manque d’accès aux ressources naturelles. Des millions de gens vivent dans une économie de subsis-tance, où le produit naturel brut est plus important que le produit intérieur brut. Dans ce contexte, le développement n’est pas envisageable sans gestion environnementale.

La loi, premier pas d’une politique de conserva-tion. Cette prise de conscience environnemen-tale a conduit le gouvernement indien à mettre en œuvre une législation très stricte pour protéger sa richesse forestière. Dans les années 1980, le Parle-ment a adopté une loi sur la préservation des forêts, le Forest Conservation Act qui a investi le gouverne-ment central de New Delhi de tous les pouvoirs pour régir la protection de terrains forestiers à des fins non forestières.Cependant, le succès de Chipko n’apparaît qu’en demi-teinte, car aucune politique n’a été mise en place pour garantir aux communautés villageoises le contrôle de leurs ressources naturelles. La rédac-tion de lois protégeant l’environnement ne s’est pas accompagnée d’efforts visant à utiliser les ressources locales – la forêt dans ce cas précis – pour assurer la sécurité économique des communautés locales. La prise en compte du développement des économies locales et des individus a été négligée. Au contraire, l’Inde, comme le reste du monde, a suivi le modèle historique consistant à s’approprier d’abord les ressources des communautés locales et à les utiliser à des fins d’extraction forestières ou minières. Au

fil des ans, ce choix a provoqué une dégradation à caractère endémique.

DES MOUVEMENTS QUI SE RÉAPPROPRIENT LES SAVOIRS

Différents groupes de la société civile ont défendu de manière significative la gestion de l’eau en intervenant dans le débat politique concernant la manière dont l’Inde peut et doit gérer ses ressources hydrauliques, non seulement pour les riches, mais aussi dans l’intérêt des pauvres.

La défense du fleuve Narmada, éveil de la conscience indienne. Les groupes qui luttent contre la construction de grands barrages hydrau-liques ont initié une nouvelle prise de conscience de la nécessité de repenser le mode de développe-ment, et plus particulièrement de celle de disposer de telles installations.Ces groupes issus de la société civile ont manifesté en faveur de la sauvegarde de l’environnement et de l’aide aux populations déplacées. Si leurs protesta-tions n’ont pas empêché la construction de tous les barrages, elles ont contribué à mettre en place un environ-nement politique qui envisage de reconsidérer la gestion de l’eau. Le principal mouvement à avoir éveillé la conscience de la nation est le Narmada Bachao Andolan, le mouve-ment pour la sauvegarde du fleuve Narmada. Dirigé par l’environnementaliste Medha Patkar, ce mouvement continue de s’opposer aux grands projets d’amé-nagement et cherche à stopper la construction de barrages sur ce fleuve. Il revendique également une meilleure réinsertion des personnes déplacées en réclamant à l’État une politique de gestion de ces populations plus efficace.

Militants et chercheurs mobilisés pour la gestion de l’eau. D’autres groupes dans le milieu rural indien

L’objectif de ce mouvement de femmes n’était pas en soi la préservation de l’environnement, mais la reconnaissance du droit des communautés locales à disposer de leurs ressources

PRODUIT NATUREL BRUT

Ensemble de la biomasse permettant de répondre aux besoins essentiels quotidiens.

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ont souligné le rôle de l’eau dans le développement des économies locales. Ces expériences ont permis de comprendre que la gestion de l’eau a moins trait à la rareté de cette ressource qu’à une utilisa-tion prudente et un accès équitable : ces groupes

avancent que l’accès à l’eau est le point de départ de l’éradication de la pauvreté et le socle de la sécurité des moyens de subsistance.Les instituts de recherche politique et les associations

militantes se sont penchés sur la question de la gestion de l’eau et ont montré comment les connais-sances traditionnelles peuvent être la base d’un nouvel avenir hydraulique dans le pays. Leurs études concluent que les stratégies de gestion de l’eau doivent être élaborées avec soin, afin d’entraîner la création de richesses équitablement réparties (cf. encadré 2). Il est par ailleurs évident que cet objectif impose de nouvelles formes de gestion institutionnelle, car la bureaucratie traditionnelle

éprouvera très certainement des difficultés à gérer des réseaux aussi vastes et disparates.Les travaux publiés par le Centre for Science and Environment (CSE) au milieu des années 1990 a montré que dans des pays comme l’Inde, le progrès exige de tirer des leçons des systèmes communau-taires traditionnels de gestion de l’eau. Conçus pour stocker les eaux de pluie dans des millions de struc-tures diverses, ils permettaient de réinjecter l’eau dans le sol. Ce modèle de récupération de l’eau, à la base de la sécurité d’approvisionnement en eau, a suscité l’intérêt des responsables politiques dans le pays2 au point qu’il est désormais bien établi que toute stratégie de gestion de l’eau implique une délégation de pouvoir aux communautés locales qui leur permette de construire des structures de conservation de l’eau et de les utiliser de manière efficace et équitable.La combinaison de mouvements de protestation et de mise en avant de pratiques alternatives motivées par la recherche d’une meilleure politique a débouché sur des politiques de construction de structures

GESTION ÉCONOME DE L’EAU ET RELANCE ÉCONOMIQUEENCADRÉ 2

L’accès à l’eau est le point de départ de l’éradication de la pauvreté et le socle

de la sécurité des moyens de subsistance

n  Hiware Bazar, village situé dans le district d’Ahmednagar, est aujourd’hui un laboratoire de développement pour enseigner à d’autres communautés comment récupérer l’eau et favoriser la croissance économique. Ce village est un modèle de régénération écolo-gique, et des passerelles reliant science et pratique. Composé d’un millier de familles, souvent frappé par la séche-resse, Hiware Bazar était pourtant à l’abandon il y a une quinzaine d’années.Le tournant est survenu dans les années  1990 quand Popat Rao Pawar, diplômé d’université, est devenu sarpanch (leader) du village. À cette époque, le gouvernement de l’État a lancé le programme Adarsh Gram Yojana (programme de villages modèles). Issu des travaux du village de Ralegan Siddhi et de sa créatrice, Anna Hazare,

ce programme se fonde sur cinq prin-cipes : interdiction d’abattre des arbres, de laisser le bétail paître librement et de consommer de l’alcool, planning fami-lial et contribution aux travaux du village pour des projets de développement. Hiware Bazar a choisi de faire partie de ce programme. Sa première action fut de planter des arbres sur les terres forestières et de persuader les popula-tions d’arrêter d’y faire paître leurs bêtes. Le village a ensuite construit des rete-nues dans les canaux de drainage et creusé des citernes. Les habitants se sont chargés de niveler leurs champs pour retenir l’eau.Pawar s’est rapidement aperçu que l’at-ténuation des contraintes relatives à la gestion de l’eau, source par ailleurs de gaspillages, avait fait perdre aux gens le sens de l’intérêt de la communauté. Il

résume ainsi leur attitude : « C’est mon eau, et je l’utiliserai pour faire pousser des récoltes à haute valeur, même si cela détruit la nappe phréatique. » Le village a alors entrepris des audits des ressources hydrauliques : une surveillance des puits, en comparant chaque mois les données provenant de six puits d’observation avec celles de quatre pluviomètres, et mises en corrélation avec celles des bassins versants.Le village a établi une règle simple : si le niveau de précipitations est de 100 mm, il y a de l’eau potable pour tous et suffi-samment pour une récolte  ; 200  mm de précipitations permettent de faire une récolte complète et deux demi-récoltes  ; si les précipitations sont de 300  mm ou plus, le village est assuré d’avoir suffisamment d’eau pour irriguer trois récoltes complètes.

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉL’ « ÉCOLOGIE DES PAUVRES » EN INDE

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hydrauliques locales assorties de programmes de garantie d’emploi. Avec ces derniers, l’État a garanti le droit au travail des plus défavorisés qui ont pu bénéficier d’emplois pour construire des structures de conservation des eaux dans le but de transformer « l’assistance en cas de sécheresse » en une véritable « assistance contre la sécheresse ».

La lutte violente pour le partage des ressources. Aujourd’hui en Inde, le mouvement écologique est entre les mains de groupes communautaires répartis sur l’ensemble du pays. Partout où des terres sont gagnées pour l’agriculture, où l’eau est tirée pour l’industrie ou pour l’extraction de minerais, où se trouvent des industries polluantes, des personnes luttent, parfois jusqu’à la mort, pour mettre un terme à la dégradation de leurs terres, à la pollution de leurs eaux. La violence est présente. Le désespoir aussi.Les révoltes rencontrent un certain succès. Ainsi, dans l’État montagneux du Sikkim, le gouvernement indien a cédé aux manifestants locaux : il a annulé onze projets hydroélectriques. Plus récemment, dans l’Uttarakhand, deux projets de barrages sur le Gange ont été interrompus face à la pression des défenseurs de l’environnement qui affirmaient qu’ils empêche-raient le fleuve de couler. Dans l’autre État himalayen de l’Himachal Pradesh, les barrages sont devenus un tel sujet de controverse que les élections ont été remportées par les candidats qui s’étaient engagés à interdire leur construction.Les leçons tirées de ces protestations sont très claires. On constate une intensification de l’exploi-tation des ressources naturelles, et de ce fait l’aug-mentation des conflits et des dégradations. Les plus défavorisés qui dépendent directement des ressources naturelles connaissent une marginalisa-tion encore plus forte. Les personnes qui protestent ont pour objectif de mettre un terme à la dégra-dation de l’environnement, mais aussi d’assurer la sécurité alimentaire de millions de personnes. Aucune solution technologique rapide ne peut être apportée et les Indiens doivent trouver des moyens

de réduire leurs besoins et de mettre en place de nouveaux modèles de partage des bénéfices.

INVENTER DE NOUVELLES VOIES DE DÉVELOPPEMENT

Les dangers de la croissance occidentale. Dans les pays du Sud, le mouvement écologique porté par les classes moyennes est très au fait des nouvelles technologies, et il constate que le modèle de protection de l’environne-ment hérité de l’Occident consiste à polluer d’abord pour nettoyer ensuite. Ce modèle de croissance, que l’Inde et le reste du monde en développement privilé-gient, est par essence dange-reux. Le monde industrialisé a appris à atténuer les effets pervers de la création de richesses via d’énormes investissements mais reste en retard au regard des défis colossaux qu’il doit affronter.Ainsi, depuis la seconde guerre mondiale, la crois-sance économique a engendré une pollution de l’air dans les grandes villes des pays développés, de Londres à Tokyo en passant par New York. Les pays riches ont répondu à la prise de conscience écologique de leurs citoyens et ont cherché des réponses à la pollution par des technologies de nouvelle génération.Dans le cas des technologies liées aux carburants et aux émissions de particules toxiques par les véhicules par exemple, les scientifiques découvrent aujourd’hui que si la taille de ces particules se réduit, la quantité émise, elle, augmente. Appelées nanoparticules, elles ne sont pas seulement difficiles à mesurer, mais s’avè-rent plus nocives encore pour l’organisme humain car elles pénètrent plus facilement l’épiderme. On assiste également à une augmentation des émissions d’oxyde d’azote, – un gaz toxique –, par les véhicules.La réalité est incontestable : le monde industrialisé a peut-être nettoyé ses villes, mais ses émissions ont mis en danger l’ensemble du système climatique mondial. Il a ainsi augmenté la vulnérabilité et la

L’objectif des personnes qui protestent est de mettre un terme à la dégradation de l’environnement, mais aussi d’assurer la sécurité alimentaire de millions de personnes

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pauvreté de millions de personnes à la limite de la survie. Il externalise ses problèmes de croissance vers d’autres régions, moins riches et donc moins à même d’en traiter les excès. Ainsi, un pays émergent comme l’Inde n’a pas d’autre choix que d’inventer une nouvelle voie de développement. Contrairement aux pays du Nord, s’il suit le modèle occidental de croissance, il n’aura pas la capacité de réaliser les investissements nécessaires à l’équité et à la péren-nité de son système.

Une vision alternative pour les villes indiennes. Un nombre toujours croissant de véhicules envahit les villes. Celles-ci peuvent-elles réinventer aujourd’hui le rêve de mobilité sans qu’il devienne un cauchemar ? Peuvent-elles tracer de nouvelles voies combinant mobilité et croissance économique avec les impéra-tifs de santé publique ? Les villes devraient utiliser des transports publics en faisant appel aux techno-logies les plus avancées. En d’autres termes, alors que le monde entier n’envisage que des solutions marginales à la pollution et à la congestion urbaine, elles doivent inventer leurs propres solutions. Un récent rapport publié dans l’hebdomadaire indien Economic and Political Weekly, comparant les subven-tions accordées aux différents utilisateurs des trans-

ports publics, montre que les véhicules particu-liers et les deux roues, qui occupent la plus grande partie de l’espace routier, bénéficient en fait de plus d’investissements publics

que les véhicules de transport public3. Les villes du Sud peuvent-elles tenter de développer une vision alternative de la croissance ? Peuvent-elles élaborer des schémas de déplacements reposant sur l’utilisa-tion des bus et tramways, ainsi que des voies cycla-bles et piétonnes ? Peuvent-elles faire aujourd’hui ce que les villes modernes du vieux monde riche, de Berlin à Vancouver, rêvent de faire demain ?Il y a quelques années, le Centre for Science and Environment (CSE) a fait campagne pour que la ville

de Delhi convertisse son réseau de transports publics au gaz naturel comprimé. Le bond en avant techno-logique réalisé par cette conversion devait réduire de manière drastique les émissions de particules. Les organisations de la société civile se sont alors forte-ment impliquées en faveur du passage à un carburant plus propre ; elles auront un rôle significatif à jouer à l’avenir pour guider les décisions sur les techno-logies avancées dans les villes. Aujourd’hui, Delhi compte la flotte de bus et d’autres véhicules de trans-port commerciaux roulant au gaz la plus importante au monde. La pollution est maîtrisée, en dépit du grand nombre de véhicules, d’une technologie peu élaborée et de systèmes réglementaires de contrôle des émissions de chaque véhicule pas totalement efficients. Dans ce domaine, Delhi n’a pas opté pour l’évolution technologique progressive que connais-sent les pays occidentaux. Elle a sauté les étapes en essayant d’intégrer directement des problématiques environnementales au développement économique. 60 % des transports s’y font en bus, qui occupent moins de 7 % de l’espace de circulation, tandis que les voitures, qui occupent 75 % de cet espace ne transportent que 20 % de la population.À Delhi, la société civile invite les politiques urbaines à penser différemment ses réseaux de dépla-cements. La ville construit un réseau de bus de transit rapide, empruntant un itinéraire de quinze kilomètres dans le centre-ville. Ce projet repose sur l’idée que l’espace routier doit être équitablement réparti entre les différents moyens de transport (bus, voitures, vélos et piétons). L’égalité est une prescrip-tion politique dont il est facile de parler, mais qu’il est difficile de mettre en œuvre. Si tous les habitants de Delhi reconnaissent aujourd’hui l’importance des transports publics, ils souhaitent également que leur mise en pratique se fasse sans conflit ni perturba-tion. Le couloir réservé aux transports publics a été contesté, à cause de ses dysfonctionnements techniques, mais aussi parce qu’il est perçu comme empiétant sur l’espace réservé aux voitures. Réattri-buer cet espace crée des tensions. Par ailleurs, les institutions professionnelles de la classe moyenne,

Aujourd’hui, Delhi compte la flotte de véhicules

de transport commerciaux roulant au gaz la plus importante au monde

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉL’ « ÉCOLOGIE DES PAUVRES » EN INDE

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qui poussent l’idée d’une politique des transports publics, ne se mobilisent pas pour défendre ce projet. La recherche d’équité n’est en effet pas encore leur véritable préoccupation, même s’il s’agit d’une notion essentielle, puisqu’il est question de gestion durable de ressources insuffisantes.

PORTER LA VOIX DES DÉSHÉRITÉS DANS LES DÉBATS MONDIAUX

Les mouvements du Sud ont indéniablement contribué à introduire la question de l’équité et de la justice liée aux changements climatiques dans les débats internationaux. Ils ont été les premiers à porter attention à la gravité du réchauffement climatique à l’échelle mondiale et à ses répercus-sions économiques et politiques. Les émissions de dioxyde de carbone sont directement liées à la crois-sance économique, dont les bénéfices doivent être partagés entre les nations et les peuples. La question posée par ces mouvements est de savoir si le monde s’entend sur un partage du «  droit à polluer  ». Ils ont fait entendre leur voix sur la question épineuse de l’accumulation par le monde riche d’une énorme « dette naturelle », dont le montant dépasse large-ment la part des biens collectifs mondiaux qui lui revient, et sur l’obligation qu’il a de la rembourser, afin que les pays pauvres puissent se développer.

Pluralisme de l’expertise et changement de perspective. Un rapport publié en  1990 par le World Resources Institute (WRI) montrant que les émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) du monde en développement étaient presque équiva-lentes à celles du monde industrialisé et que les émissions des pays en développement dépasseraient celles de l’hémisphère nord dans un avenir assez proche4. Mais un examen critique de ce rapport par le Centre for Science and Environment a conclu que la méthode utilisée par le World Resources Insti-tute pour calculer la responsabilité de chaque nation favorisait le pollueur.Le World Resources Institute assigne en effet à chaque nation une partie des puits écologiques de

la Terre, et cette affectation est proportionnelle à la contribution de la nation aux émissions brutes mondiales de GES5. Les puits écologiques sont des systèmes naturels, océans et forêts, qui absorbent les émissions de GES. Le réchauffement climatique est dû au fait que les émissions dépassent cette capacité naturelle de la Terre à nettoyer les polluants. Le World Resources Institute estime que le monde produit 31 000 millions de tonnes de dioxyde de carbone et 255 millions de tonnes de méthane chaque année. Les puits de la Terre assimilent naturellement chaque année 17  500  millions de tonnes de dioxyde de carbone et 212 millions de tonnes de méthane. Sur cette base, l’institut calcule une émission « nette » de chaque nation.Dans sa critique, le CSE fait valoir qu’il existe deux principaux types de puits écologiques où le dioxyde de carbone est réabsorbé par la biosphère  : les océans et les puits terrestres. Si les puits terres-tres, comme les forêts et les pâturages, peuvent être considérés comme un bien national, les puits océani-ques appartiennent, eux, à l’humanité tout entière. Ils peuvent être considérés comme un bien collectif mondial. Le CSE a réparti les puits entre les pays sur la base de leur pourcentage de la population mondiale, faisant valoir que chaque habitant de la planète a un droit identique sur les biens collectifs mondiaux. Cette répartition, basée sur les droits des individus à bénéficier de la capacité naturelle d’absorption de la planète, a radicalement modifié le calcul de la responsabilité des nations. Ainsi, pour le World Resources Institute, les États-Unis contribuent pour 17  % aux émissions nettes du monde, tandis que pour le CSE, leur contribution s’élève en fait à 27,4 %. De même, la contribution de la Chine est passée de 6,4 % selon l’estimation du World Resources Institute à 0,57 % des émissions annuelles nettes, et celle de l’Inde de 3,9 % à tout juste 0,013 %.

Les mouvements du Sud ont indéniablement contribué à introduire la question de l’équité et de la justice liée aux changements climatiques dans les débats internationaux

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Cette affectation des puits mondiaux à chaque nation en fonction de sa population a permis de mettre au point un système de droits d’émission par tête qui, une fois additionnés, donne le niveau d’émission autorisé pour chaque pays. Le CSE voit dans ce système un cadre d’échanges entre les nations, le pays ayant dépassé son quota annuel de dioxyde de carbone pouvant acheter des droits auprès de pays disposant encore de permissions d’émissions. Ce système incitera financièrement les pays à maintenir leurs émissions à un niveau aussi bas que possible et à investir dans des solutions zéro carbone.

L’équité et la justice au cœur de la coopération internationale. Le Centre for Science and Environ-ment soutient que le monde a besoin de concevoir un système équitable entre les nations, et que chaque nation a besoin d’élaborer un système équitable sur son propre territoire. Les émissions de carbone de l’Inde s’élevaient à 1,5 tonne par habitant et par an en 2005. Mais ce chiffre cache de très fortes disparités. Le secteur urbain industriel est un grand consomma-teur d’énergie qui gaspille beaucoup, tandis que le secteur rural caractérisé par une économie de subsis-tance consomme peu d’énergie. On estime actuel-

lement que seuls 31 % des ménages habitant en milieu rural ont accès à l’électri-cité. Raccorder tous les villages de l’Inde au réseau électrique serait coûteux et

difficile. C’est là que l’option visant à développer des solutions hors réseau basées sur les énergies renou-velables devient économiquement plus viable. Pour que tous les Indiens aient accès à la même qualité de services publics et pour favoriser des technolo-gies zéro émission, il conviendrait que les citoyens les plus riches financent l’accès à l’énergie des pauvres. Un programme basé sur les droits est essentiel pour répondre aux défis des changements climatiques. Il pourrait stimuler une forte demande d’investisse-ments dans de nouvelles énergies renouvelables6.Les changements climatiques nous enseignent

d’abord que le monde est un tout : si le monde riche a rejeté hier des quantités excessives de dioxyde de carbone, le monde riche émergent le fera aujourd’hui. Ils nous enseignent également que la seule manière d’instaurer des contrôles sera de s’assurer de la justice et de l’équité de tout accord, afin de rendre possible cette immense entreprise de coopération.

Connaissance et démocratie, piliers de l’ « écologie des pauvres ». L’insécurité dans laquelle vit le monde est renforcée de manière délibérée et obstinée par des actions, intentionnelles ou non, de la part des États, au nom du développement et de la justice mondiale. Si les pays développés sont de plus en plus paranoïaques dans leur lutte contre les États despotiques, en faillite et corrompus du monde en développement, les pauvres vivent, quant à eux, dans l’insécurité parce qu’ils sont de plus en plus margi-nalisés par les politiques des riches. Le défi des changements climatiques ajoute un niveau d’insécurité supplémentaire, surtout si l’actuel statu quo des trajectoires de croissance voraces en matières premières et en capitaux n’est pas remis en cause.Les pays du Sud qui font face à d’importants défis doivent porter la voix de ceux qui n’en ont pas, et exiger des changements dans les règles de la mondiali-sation. Le renforcement démocratique favorise la mise en œuvre du développement durable. Il implique la mise en place d’un cadre politique qui donne aux personnes victimes de la dégradation de l’environne-ment des droits sur les ressources naturelles. L’impli-cation des communautés locales dans la gestion de l’environnement est une condition préalable au développement durable. La demande du Sud pour une stratégie de croissance alternative comportera deux conditions essentielles.En premier lieu, un système démocratique plus efficace permettant aux pauvres d’exiger des change-ments. Le facteur le plus important du changement environnemental dans ces pays n’est plus le gouver-nement, la législation, les moyens financiers ou la technologie, mais la capacité des peuples à faire

Cette « écologie des pauvres » a besoin

d’institutions publiques plus crédibles

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉL’ « ÉCOLOGIE DES PAUVRES » EN INDE

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fonctionner la démocratie. Celle-ci exige un soin attentif, afin que les médias, le pouvoir juridique et tous les autres organes de la gouvernance puissent décider dans l’intérêt collectif. Plus simplement, cette « écologie des pauvres » a besoin d’institutions publi-ques plus crédibles.En second lieu, le changement exige l’émergence d’une pensée nouvelle et inventive. Cette capacité à penser différemment nécessite de surmonter la tendance historique à camoufler les problèmes et l’arrogance des vieilles conceptions bien établies. La capacité mentale de court-circuiter les étapes technologiques du développement occidental et de faire un véritable saut dans le processus d’évolu-tion est ce dont le Sud manque le plus. L’impact le plus négatif du modèle actuel de croissance indus-trielle est qu’il a «  anesthésié  » les planificateurs du Sud. Il leur a fait croire que le Sud n’est pas en mesure d’apporter des réponses, mais seulement des

problèmes, dont les solutions se trouvent dans les pays développés.Il est également important que cette « écologie des pauvres », fondée sur des principes d’équité et de besoins humains, influence le monde. Si le monde doit lutter contre les changements climatiques, il est essentiel qu’il apprenne de ces mouvements la nécessité du partage des ressources, afin que tous puissent profiter de la planète. Aujourd’hui, le rôle de la société civile du Sud en termes d’engage-ment en faveur de la gouvernance économique et environnementale mondiale émergente est essen-tiel, mais reste encore marginal. Les voix du Sud ne se font pas encore suffisamment entendre dans les cercles de décision des pays développés. Cela doit changer  ; leur murmure doit devenir un cri. Cela doit changer si nous voulons réinventer notre avenir. Notre avenir à tous.

1. AGARWAL (A.), Politics of Environment in the State of India’s Environment. 1984-1985, New Delhi, Centre for Science and Environment, 1985.

2. AGARWAL (A.) et NARAIN (S.) (eds), Dying Wisdom : Rise, Fall and Potential of India’s Traditional Water Harvesting Systems, New Delhi, Centre for Science and Environment, 1997.

3. SREENIVAS (A.) et SANT (G.), « Unravelling Myths about Subsidies in Urban Transport », Economic and Political Weekly, 2 août 2008.

4. World Resources Institute, « World Resources 1990-1991 : A Guide to the Global Environment », Oxford, Oxford

University Press, 1990.

5. AGARWAL (A.) et NARAIN (S.), Global Warming in an Unequal World : A Case of Environmental Colonialism, New Delhi, Centre for Science and Environment, 1991.

6. NARAIN (S.), « One Earth : A Rights Framework to Climate Change », Business Standard India 2008, New Delhi, 2008.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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L’agenda mondial défini par les huit objectifs du Millénaire pour le dévelop-pement (OMD) adoptés par la com-munauté internationale a élevé au rang de priorité l’éradication de l’extrême

pauvreté et de la faim. Dans les pays en dévelop-pement, pauvreté et disponibilité des ressources naturelles sont en fait étroitement liées. Des étu-des ont montré que l’amélioration des services écosystémiques contribue à réduire la pauvreté et la vulnérabilité, ainsi qu’à renforcer les moyens de subsistance.La détérioration des écosystèmes affecte, de manière directe ou indirecte, le bien-être des plus défavorisés. La dégradation de l’environnement réduit le volume et la productivité du capital naturel et diminue la capacité des pauvres à générer des revenus. Elle augmente le risque de catastrophes naturelles et d’événements extrêmes, face auxquels les pauvres sont les plus vulnérables, en raison de leur faible capacité d’adaptation et de leur résilience limitée. La perte de fonctions écosystémiques, non seulement réduit l’accès direct à la nourriture et aux combustibles, mais provoque également une pénurie de ces biens sur les marchés locaux et donc une augmentation de leur prix. Le manque de ressources contraint les pauvres à vivre dans des zones de moindre qualité environnementale, ce qui augmente leur vulnérabilité aux maladies. La pauvreté les empêche en effet d’accéder à des

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Les plus pauvres sont aussi les plus dépendants de l’environnement, et lutter contre sa détériora-tion contribue à endiguer la pauvreté. Les politiques de protection environnementale utilisent pour cela la réglementation, l’incitation et la mobilisation des communautés.

LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ COMMENCE AVEC LES RESSOURCES NATURELLESARABINDA MISHRA, DIRECTEUR, CLIMATE CHANGE DIVISION, THE ENERGY AND RESOURCES INSTITUTE (TERI), NEW DELHI (INDE)

soins de santé adéquats et de guérir rapidement des maladies qui les frappent, ce qui entraîne une diminution de leur capacité à travailler et à gagner leur vie. Ces « pièges à pauvreté » ont souvent pour effet une plus grande dépendance des plus pauvres par rapport aux écosystèmes, accroissant ainsi la pression sur l’environnement et sa dégradation.Une étude récemment réalisée sur les liens entre environnement et pauvreté en Asie du Suda présente de nombreux exemples de formes de pauvreté dues à la dégradation de l’environnement. Ainsi, le déclin des pêcheries côtières au Pakistan a contribué à l’endettement important des pêcheurs pauvres  ; l’érosion du sol due à la dégradation de la forêt des collines au Népal a fait basculer des fermiers en dessous du seuil de pauvreté ; la salinité des sols au Bangladesh a réduit la diversité nutritionnelle des ménages pauvres et forcé les femmes à parcourir de longues distances pour aller chercher de l’eau potable ; et la dégradation des sols dans les zones arides de l’Asie du Sud a entraîné l’augmentation de la migration des villageois vers les zones urbaines déjà surpeuplées. En réponse à ces phénomènes, les politiques de gestion des écosystèmes, en particulier dans les pays en développement, ont traditionnellement

a. Voir sur la situation pour l’Inde et la région himalayenne de l’Hindou Kouch, Ecosystem Services and Poverty Alleviation Study in South Asia, New Delhi, The Energy and Resources Institute (TERI), 2008.

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mis l’accent sur les réglementations et sur l’inves-tissement public direct, plutôt que sur des instru-ments économiques basés sur l’incitation, tels que les impôts, les subventions et les permis négocia-bles. Les lois de zonage pour les pêcheries côtières sont un exemple d’intervention directe des pouvoirs publics dans la gestion environnementale, à travers la réglementation. Ces politiques centralisées ont souvent échoué en raison de leurs coûts de transac-tion très élevés et de problèmes de coordination. Elles ont conduit à une érosion progressive des connaissances et des pratiques de gestion tradition-nelles, en particulier dans les écosystèmes fragiles. Pour y remédier, les mécanismes de partage des bénéfices proposés dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique (CDB) confèrent des droits de propriété intellectuelle au savoir indigène. Ils se sont avérés de puissants instruments de réduction de la pauvreté à travers l’implication des entreprises.Une alternative à la réglementation par les pouvoirs publics réside dans le paiement pour services environnementaux, qui constitue en principe un moyen efficace de préserver l’environnement tout en indemnisant la communauté locale utilisatrice. De tels mécanismes ont été expérimentés pour la séquestration du carbone, la protection des bassins fluviaux et de la biodiversité. Une autre possibilité consiste à exploiter les marchés déjà établis de biens ou services environnementaux tels que l’ali-mentation issue de l’agriculture biologique, l’éco-tourisme ou les produits certifiés « durables ». Dans de nombreux cas, la mise en œuvre d’un système de paiement des services environnementaux est cependant restreinte par la faiblesse ou l’absence de marchés de services écosystémiques, dues à la non-existence de droits de propriété – c’est-à-dire au fait que les activités de conservation des écosys-tèmes ne sont pas récompensées financièrement et que leur dégradation n’est pas sanctionnée –, au manque d’information – sur la valeur monétaire des

services écosystémiques…  –, à une architecture institutionnelle inadéquate – entre autres l’absence de mécanisme de facturation des utilisateurs pour les services écosystémiques – et une mise en œuvre déficiente des lois – par exemple l’abattage illégal, qui conduit à la déforestation. Il existe aussi des cas de conflits entre des politiques : des fermiers peuvent ainsi recevoir une indemnité pour ne pas utiliser d’engrais, alors que parallèlement l’achat de ces produits est subventionné.Par ailleurs, l’action collective est aujourd’hui consi-dérée comme une alternative institutionnelle à la réglementation officielle. De nombreuses activités de gestion des ressources naturelles initiées par les communautés ont été couronnées de succès. Au Népal, la foresterie communautaire a contribué de manière significative aux revenus des ménages ruraux tout en atteignant ses objectifs de conser-vation. Le soutien apporté par le droit national à ces institutions communautaires est une condition préalable essentielle qui leur permet d’interagir avec les intervenants extérieurs, leur apporte une protec-tion juridique, fixe des limites au pouvoir de l’État, empêche l’abus de pouvoir au niveau local et aligne les décisions prises localement avec les intérêts nationaux. Dans certaines situations, l’attribution de droits légaux aux communautés tributaires de la forêt a réduit leurs conflits avec les pouvoirs publics et les a incitées à s’impliquer dans la protection de l’environnement.L’élaboration et la mise en œuvre des politiques doivent s’inscrire dans un processus consultatif inclusif pour être efficace. Il existe de nombreux exemples où une gestion environnementale « du haut vers le bas » a entraîné l’échec des politiques et, parfois, engendré des situations conflictuelles. Néanmoins, une approche « du bas vers le haut » demandera une validation scientifique appropriée avant qu’elle ne soit approuvée par les pouvoirs publics. n

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Il est nécessaire que nous adoptions cette

nouvelle valeur du développement durable

et qu’elle se généralise à tous les peuples,

toutes générations confondues

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Le développement durable doit devenir l’éthique du xxie siècle. Il incarne la relation néces-saire que nous avons avec notre planète et se fonde sur notre conviction que toutes les généra-tions appartiennent à une même communauté humaine. Bien qu’il n’y ait pas aujourd’hui de consensus quant à la définition exacte du développement durable, il a joué un rôle fondamen-tal dans la coordination des actions entreprises en vue d’un objectif commun et s’est traduit par des dispositions juridiques applicables encadrant notre comportement.

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE ÉTHIQUE POUR LE XXIe SIÈCLE

EDITH BROWN WEISSPROFESSEURE FRANCIS CABELL BROWN DE DROIT INTERNATIONAL, GEORGETOWN UNIVERSITY, WASHINGTON D. C. (ÉTATS-UNIS)

La notion de développement durable est avant tout une valeur éthique. En tant que telle, elle sous-tend la conception et la mise en œuvre de toutes les actions entreprises pour promouvoir la croissance économique

tout en protégeant l’environnement. Elle jauge les besoins de la génération actuelle en garantissant la satisfaction des besoins des générations futures. Pour être effective, cette notion doit être une valeur partagée, facteur d’une importance majeure à une époque où la communauté internationale est consti-tuée d’acteurs très divers.Le développement durable est également une notion normative : elle se traduit par des obligations juridi-ques qui régissent le comportement humain et qui, dans certains cas, sont contraignantes. Le dévelop-pement durable constitue-t-il une norme juridique à part entière ou un fondement général qui embrasse des principes spécifiques  ? Alors que le dévelop-pement durable s’impose de manière particulière-ment pressante aujourd’hui, l’analyse de l’évolution

des normes et des obligations juridiques permet une meilleure compréhension de la manière dont sont pris en compte les principaux enjeux environ-nementaux.

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EN DROITDans son rapport Notre avenir à tous, la commis-sion Brundtland définit le développement durable comme s’efforçant «  de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satis-faire ceux des générations futures1 ». Cette défini-tion recouvre à la fois la notion d’équité intergé-nérationnelle –  entre la génération actuelle et les générations futures – et d’équité intragénérationnelle – entre les diverses composantes de la génération actuelle, notamment entre les actions humaines et leur environnement. Bien qu’elle manque de préci-sion dans la mesure où elle n’en délimite pas claire-ment la portée, cette définition, la seule à ce jour, a le mérite de susciter le consensus. Cette norme est le reflet d’une valeur universelle qui peut orienter la

GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉ CHAPITRE 11

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manière de se comporter. Ce n’est que lorsqu’elle se traduit par des accords spécifiques contraignants qu’elle se fait plus précise.Dans cette perspective, les juristes ont énoncé certains principes qui incluent des règles de droit positif concernant l’utilisation des ressources naturelles, l’intégration des questions environnementales au développement économique ainsi que la prise en considération des besoins du développement écono-mique et social dans l’interprétation des obligations environnementales. Ils ont également fait référence aux principes de précaution, d’équité, de responsabi-

lités communes mais diffé-renciées, d’accès public à l’information, de participa-tion des populations et de gouvernance. L’accent mis sur l’accès du public à l’infor-mation et sur la participa-

tion de la population encourage un développement qui donne plus de pouvoir aux individus.L’allocation des ressources fait plus spécifiquement appel au principe d’équité. Ainsi, la Cour internatio-nale de justice a invoqué ce principe à de nombreuses reprises pour déterminer les frontières maritimes entre États. Or, si la notion d’équité intergénération-nelle fait de plus en plus consensus, tel n’est pas encore le cas de l’équité intragénérationnelle.

L’importance du principe d’équité. Le Rapport Brundtland souligne qu’« un monde qui permet la pauvreté endémique sera toujours sujet aux catastro-phes écologiques2 ». La pauvreté est en effet l’un des premiers facteurs de dégradation de l’environnement auquel il faut remédier pour pallier les profondes inégalités entre les pays et au sein de chaque pays.Certains avancent l’idée qu’il faut laisser les pays se développer sans respect de l’environnement, comme d’autres l’ont fait dans le passé. Les constats empiri-ques de Simon Kuznets concernant la relation entre développement économique et répartition des revenus ont conduit, par analogie, à modéliser la relation entre développement économique et dégradation

de l’environnement sous la forme d’une courbe en forme de U inversé3 dite « courbe de Kuznets ». Selon ce modèle, un pays pollue jusqu’à ce qu’il soit suffi-samment industrialisé pour pouvoir s’offrir le luxe de sauvegarder l’environnement. Bien que la popula-tion le dégrade, elle génère en théorie la richesse qui lui permettra de les réparer plus tard. Cet argument présume implicitement que les atteintes à l’environ-nement n’ont pas un effet définitif, mais qu’elles sont toujours réversibles ou réparables ultérieurement, grâce aux fruits de la croissance économique.L’expérience a pourtant montré que les coûts environ-nementaux peuvent être sans commune mesure pour certains pays. Ils concernent généralement la santé et le bien-être de la population ainsi que la disponibilité en ressources naturelles (sols productifs, eau potable, qualité de l’air…). Considérer l’environnement en tant que simple « agrément » de la vie soulève d’impor-tants problèmes d’équité au sein même d’un pays, dans la mesure où la population pauvre supporte souvent une part disproportionnée du passif environ-nemental. Par conséquent, le développement durable se fonde sur un principe normatif qui veut que le développement économique ne se fasse pas au détri-ment des intérêts écologiques des plus pauvres. C’est pourquoi on voit naître dans certains pays riches un mouvement en faveur d’une justice environne-mentale qui s’oppose à la contamination de l’envi-ronnement des quartiers pauvres. En droit interna-tional, l’équité pourrait s’appliquer à la répartition des coûts environnementaux et des avantages économi-ques du développement durable entre les personnes directement concernées, ainsi qu’à la lutte contre la pauvreté, source première des dégradations de l’environnement. Le Rapport Brundtland laisse aussi clairement entendre que, « pour que le développe-ment durable puisse advenir dans le monde entier, les nantis doivent adopter un mode de vie qui respecte les limites écologiques de la planète4 ».

Protéger la planète, un devoir intergénérationnel. Le développement durable est par nature intergéné-rationnel. En droit international, ce principe contient

Le développement économique ne doit pas

se faire au détriment des intérêts écologiques

des plus pauvres

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉLE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE ÉTHIQUE POUR LE XXIe SIÈCLE

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une obligation normative qui sert de fondement au concept. Toutes les générations détiennent la Terre en commun ; elles ont la responsabilité de la protéger. On peut assimiler leur passage sur Terre à une fiducie. Chaque génération en est bénéficiaire, et dispose du droit de jouissance pour la faire fructifier, pour utiliser ses ressources pour la satisfaction de ses besoins. Elle doit cependant transmettre la planète aux généra-tions futures dans un état au moins aussi bon que celui dans lequel elle l’a reçue. Elle a donc l’obliga-tion de la protéger pour le compte des générations suivantes. Cette obligation s’applique à la diversité des ressources tout comme à la qualité de l’environ-nement et aux ressources culturelles.Des éléments du principe d’équité intergénération-nelle définissent plus précisément la relation norma-tive entre générations actuelles et futures. La préser-vation de la diversité des ressources et de la qualité de l’environnement se fonde sur l’idée que les secondes souhaiteront bénéficier d’une diversité au moins aussi importante que la nôtre en matière de ressources naturelles et culturelles, afin de disposer de la flexi-bilité nécessaire pour répondre à leurs besoins et assurer leur bien-être. La génération actuelle doit accomplir une série d’actions pour garantir que les générations futures ne seront pas désavantagées en matière d’environnement naturel et culturel. Elle doit évaluer sur le long terme les effets de ses projets et programmes de développement, prêter atten-tion au coût de maintien des infrastructures, donner la priorité à la recherche scientifique et techno-logique, et défendre les intérêts des générations futures de manière plus significative. Ces critères ne peuvent autoriser une exploitation inconsidérée des ressources de l’environnement par la génération actuelle, ni lui imposer des charges trop lourdes.

Une jurisprudence nationale et internationale active. Depuis de nombreuses années, le droit inter-national se soucie des générations futures. Certains accords conclus au début du xxe siècle et relatifs à la préservation des otaries à fourrure et des oiseaux migratoires, à la pêche durable des baleines ou à

la protection de la nature à l’échelle régionale de l’hémisphère occidental traduisaient cet intérêt. Dans les années  1970, trois traités au moins font expli-citement référence à la protection des ressources naturelles et culturelles au profit des générations futures : la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion des déchets (1972), la Convention sur le commerce inter-national des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (1973), et la Convention de l’Unesco concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (1972).Des instruments juridiques fondamentaux tels que la déclaration de Stockholm adoptée lors de la Confé-rence des Nations unies sur l’environnement humain de 1972 et, plus tard, la déclaration de Rio sur l’envi-ronnement et le développement de 1992 intègrent la notion d’obligation envers les générations futures. La déclaration de Stockholm prévoit comme premier principe que l’homme « a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environne-ment pour les générations présentes et futures », et en second principe que «  les ressources naturelles de la planète […] doivent être préservées dans l’intérêt des générations actuelles et à venir ». En 1997, l’Unesco adopte une Déclaration sur les responsabilités des générations actuelles envers les générations futures (cf. encadré 1).La jurisprudence fait également référence aux obliga-tions envers les générations futures. En 1996, la Cour internationale de justice a émis un avis consultatif sur la légalité de la menace de l’utilisation des armes nucléaires dans lequel elle fait référence aux intérêts des générations futures. Christopher Weeramantry, ancien juge à la Cour internationale de justice, mentionne le principe d’équité intergénérationnelle dans quatre opinions individuelles ou dissidentes. Arguant qu’« aucune génération n’a le droit, quelle qu’en soit la raison, d’infliger un tel dommage aux

L’homme « a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures », déclaration de Stockholm, 1972

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générations futures », il conclut par exemple à l’illé-galité absolue de l’utilisation de l’arme nucléaire dans une opinion dissidente de l’avis consultatif déjà mentionné de la Cour internationale de justice. En  2001, la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dans une opinion individuelle sur l’affaire opposant la communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni à l’État du Nicaragua, indiquait les obliga-tions de la génération actuelle envers les généra-tions futures.Certaines décisions des tribunaux nationaux ont aussi énoncé le principe d’équité intergénération-nelle. Dans une affaire d’importance historique qui se déroulait aux Philippines, la Cour suprême a accordé à des enfants le statut de représentants des générations futures (Oposa vs. Factoran, 1993). Au

Kenya, la Haute Cour a explicitement appliqué en 2006 le principe d’équité intergénérationnelle dans une affaire de pollution par les eaux d’écoulement et les égouts (Waweru vs. République du Kenya). Au Sri Lanka, la Cour suprême a noté que le principe d’équité intergénérationnelle « devait être considéré comme axiomatique dans le processus décisionnel relatif aux questions des ressources naturelles et de l’environnement du Sri Lanka en général » (Bulanku-lama vs. ministère du Développement, 2000).Hormis la tentative française, entravée en 1993, de création d’un Conseil pour les droits des générations futures, deux pays au moins ont institué des média-teurs pour les générations futures. En Israël, de 2001 à 2007, un médiateur était rattaché au parlement national, la Knesset, pour évaluer les projets de lois

RESPONSABILITÉ INTERGÉNÉRATIONELLEENCADRÉ 1

n Extraits de la déclaration de l’Unesco sur les responsabilités des générations actuelles envers les générations futures (12 novembre 1997)

› Article 1. Besoins et intérêts des géné-rations futures

Les générations présentes ont la respon-sabilité de veiller à ce que les besoins et intérêts des générations présentes et futures soient pleinement sauvegardés.

› Article 4. Préservation de la vie sur Terre

Les générations présentes ont la respon-sabilité de léguer aux générations futures une Terre qui ne soit pas un jour irré-médiablement endommagée par l’acti-vité humaine. Chaque génération, rece-vant temporairement la Terre en héritage, veillera à utiliser raisonnablement ses ressources naturelles et à faire en sorte que la vie ne soit pas compromise par des modifications nocives des écosystèmes et que le progrès scientifique et technique dans tous les domaines ne nuise pas à la vie sur Terre.

› Article 5. Protection de l’environnement

1. Afin que les générations futures puissent bénéficier de la richesse des écosystèmes de la Terre, les généra-tions présentes devraient œuvrer pour un développement durable et préserver les conditions de vie, et notamment la qualité et l’intégrité de l’environne-ment.2. Les générations présentes devraient veiller à ce que les générations futures ne soient pas exposées à des pollutions qui risqueraient de mettre leur santé, ou leur existence même, en péril.3. Les générations présentes devraient préserver pour les générations futures les ressources naturelles nécessaires au maintien de la vie humaine et à son développement.4. Les générations présentes devraient, avant de réaliser des projets majeurs, prendre en considération leurs consé-quences possibles pour les futures générations.

› Article 8. Patrimoine commun de l’hu-manité

Les générations présentes devraient faire usage du patrimoine commun de l’humanité, tel qu’il est défini dans le droit international, sans le compro-mettre de façon irréversible.

› Article 10. Développement et éducation

Les générations présentes devraient veiller à assurer les conditions d’un déve-loppement socio-économique équitable, durable, et universel pour les générations à venir, tant sur le plan individuel que collectif, notamment par une utilisation juste et prudente des ressources disponi-bles afin de lutter contre la pauvreté.

› Article 11. Non-discrimination

Les générations présentes ne devraient entreprendre aucune activité ni prendre aucune mesure qui aurait pour effet de provoquer ou perpétrer une forme quel-conque de discrimination pour les géné-rations futures.

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉLE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE ÉTHIQUE POUR LE XXIe SIÈCLE

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portant sur les générations futures. En Hongrie, il aura, conformément à une loi votée par le parle-ment en novembre 2007, des pouvoirs étendus lui permettant de passer en revue la législation et de s’opposer aux actions qui pourraient nuire aux générations futures.

Une norme qui progresse. Plus de vingt-cinq ans après le Rapport Brundtland, le développement durable est devenu une norme de droit international environnemental et de droit des ressources naturelles. On y fait de plus en plus référence en droit écono-mique international et dans divers aspects des droits de l’homme. Aux niveaux local et national, cette notion s’intègre de plus en plus souvent, de façon implicite ou explicite, aux lois, règlements et arrêtés.

Une norme en évolution constante. L’histoire du droit international de l’environnement montre qu’il s’est en grande partie développé depuis la confé-rence de Stockholm des Nations unies sur l’envi-ronnement humain, en 1972, et qu’il a rapidement évolué depuis.En août 2008, il existait plus de 1 200 instruments juridi-ques internationaux qui, soit portaient uniquement sur l’environnement et les ressources naturelles, soit prévoyaient des dispositions importantes s’y rappor-tant. Ils limitent l’action des États qui portent atteinte à l’environnement ou obligent certains États à prendre des mesures pour le protéger ou pour préserver les ressources naturelles. La norme du développement durable intègre un grand nombre d’accords internatio-naux qui ont été négociés depuis 1992 pour préserver les ressources naturelles, marines ou culturelles, ainsi que l’environnement en général.Cette norme est formulée de manière générale, bien qu’il y ait eu des efforts pour en articuler les compo-santes. Ainsi, en septembre  1995, le service des Nations unies chargé de la coordination des politiques et du développement durable a réuni des experts en droit. L’objectif était d’identifier en détail les principes du droit international applicables au développement durable et d’évaluer leur statut. Dans leur rapport, les

auteurs ont souligné certaines obligations procédu-rales essentielles de droit positif, mais ce document n’a jamais pris la forme d’un instrument juridique et n’a jamais été adopté par un gouvernement.Aucun consensus n’existe sur les éléments juridiques positifs spécifiques au développement durable, mais la plupart des juristes semblent s’accorder sur les points suivants : le cadre normatif fondamental est l’équité intergénérationnelle et intragénérationnelle, tel qu’il est énoncé dans la déclaration de Stockholm de 1972 sur l’environnement humain et dans la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement. Cette dernière définit plusieurs obligations de droit positif : intégrer la protection de l’environnement au processus de développement, coopérer pour éradi-quer la pauvreté et traiter en priorité « la situation particulière et les besoins des pays en développe-ment », coopérer pour « préserver, protéger et rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème de la Terre », instaurer le principe du pollueur-payeur, appliquer le principe des responsabilités communes mais différen-ciées, « réduire et éliminer les modes de production et de consommation non durables et promouvoir les politiques démographiques appropriées », et appli-quer le principe de précaution. Ces principes sont définis en détail dans de nombreux instruments juridiques, contraignants ou non.La déclaration de Rio énonce également les obliga-tions de procédures implicites liées au dévelop-pement durable. Elles concernent l’obligation d’accorder un accès individuel aux informations détenues par les autorités publiques, la possibilité de participer au processus de décision et le droit à l’accès aux procédures judiciaires et administra-tives. Y figure également le devoir de procéder à une étude d’impact environnemental dans le cas où des activités seraient susceptibles d’avoir un effet néfaste sur l’environnement.En 2002, l’Association de droit international (ADI), organisation professionnelle non gouvernementale, a

Aucun consensus n’existe sur les éléments juridiques positifs spécifiques au développement durable

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adopté la déclaration de New Delhi sur les principes du droit international relatifs au développement durable. Ce document identifie sept éléments de base  : le devoir des États de garantir une utilisa-tion durable des ressources naturelles ; le principe de l’équité et de l’éradication de la pauvreté  ; le principe des responsabilités communes mais diffé-renciées  ; le principe de précaution appliqué à la santé, aux ressources naturelles et aux écosys-tèmes ; le principe de la participation du public et l’accès à l’information et à la justice  ; le principe de la bonne gouvernance ; le principe de l’intégra-tion et de l’interdépendance, en particulier en ce qui concerne les droits de l’homme et les objectifs sociaux, économiques et environnementaux.En mai 2003, l’ADI a créé un comité international qui évalue le statut juridique et la mise en œuvre du développement durable. Dans son ouvrage

consacré au droit relatif aux cours d’eau internatio-naux, Owen McIntyre remet en cause le statut d’obli-gation juridique contrai-gnante générale et interna-tionale du développement

durable, du fait de «  son incertitude normative et, en conséquence, des lacunes au niveau des normes judiciaires d’examen5 ». Certains juristes partagent volontiers ce point de vue. D’autres, comme Christopher Weeramantry, ancien juge de la Cour internationale de justice, font valoir qu’il a d’ores et déjà force d’obligation. De fait, nombre de juristes s’accordent à dire que, dans la mesure où le développement durable a été défini sous forme d’obligations dans des accords interna-tionaux spécifiques, il lie les États et des remèdes sont prévus en cas d’infractions. De manière plus générale, on s’accorde à dire, au moins de manière superficielle, que le développement durable, en tant que norme générale ou valeur fondamentale, doit guider les actions entre États ou entre ces derniers et les autres acteurs de la communauté internationale.

La Cour internationale de justice a explicitement débattu du développement durable en 1997 dans l’affaire du projet Gab ikovo-Nagymaros d’une série de barrages sur une portion du Danube. Un traité de  1977 entre la Hongrie et la Slovaquie prévoyait la construction de deux séries d’écluses. Les travaux ont été arrêtés par Budapest sur certaines portions du projet en invoquant des préoccupations d’ordre environnemental. La Cour a estimé que les deux pays avaient enfreint leurs obligations internationales : la Hongrie en cessant les travaux sur le projet, et la Slovaquie en exploi-tant un barrage sur son territoire, lequel détour-nait la majeure partie du cours du Danube vers le canal de déviation jusqu’à ce que ce dernier rejoigne le lit du Danube. La Cour a aussi noté que « de nouvelles normes et standards ont été élaborés… [qui] doivent être pris en considération et lesdites normes doivent peser… Cette néces-sité de réconcilier développement économique et protection de l’environnement est bien exprimée par la notion de développement durable » (§ 140). Cette affaire constitue une avancée judiciaire significative dans la mesure où elle reconnaît que le développement durable est une norme nouvelle du droit international.Les juges ont également fait explicitement référence au développement durable en tant que norme dans un certain nombre d’affaires jugées de par le monde : deux affaires jugées par la Cour européenne de justice, une douzaine par les tribu-naux fédéraux de première instance et les cours d’appel des États-Unis, et une douzaine par les tribunaux du Canada, de Hong Kong (Chine), d’Inde, du Kenya, du Pakistan et du Sri Lanka. Les tribunaux nationaux d’autres pays tels que le Bangladesh, le Brésil, le Costa Rica, la Hongrie, le Népal, le Nigeria et les Philippines ont traité des affaires environnementales dans le cadre de dispositions constitutionnelles définissant les droits et les obligations environnementaux. Enfin, la Constitution d’Afrique du Sud fait spécifiquement référence au développement durable.

Défini sous formes d’obligations

internationales, le développement

durable lie les États

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉLE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE ÉTHIQUE POUR LE XXIe SIÈCLE

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Le droit économique au regard de l’environnement. Alors que l’objectif du droit commercial international est de réduire les obstacles au commerce et d’éliminer les traitements discriminatoires, les accords commer-ciaux sont de plus en plus confrontés à la nécessité d’intégrer aux exigences commerciales des questions environnementales. Ainsi, l’accord de Marrakech de 1994 créant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en remplacement de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), inclut expli-citement un « objectif de développement durable ». L’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) de 1994 prévoit dans son préambule de « promou-voir le développement durable ». En 2001, lorsque les gouvernements ont lancé un nouveau cycle de négociations multilatérales sur le commerce à Doha, au Qatar, les ministres du Commerce ont déclaré : «  Nous réaffirmons avec force notre engagement en faveur de l’objectif du développement durable. » D’autres accords bilatéraux entre pays y font égale-ment référence (lire repère 6).Selon le GATT, si les mesures qu’un État prend pour protéger l’environnement et ses ressources contreviennent à l’une des dispositions relatives au commerce, elles peuvent toutefois être maintenues en vertu de l’article 20, alinéa b lorsqu’elles sont « néces-saires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux », ou de l’alinéa g « lorsqu’elles sont liées à la préservation des ressources naturelles épuisa-bles », « sous réserve que ces mesures ne s’appli-quent pas de façon à constituer, soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international ». Cependant, le GATT ne fait pas explicitement référence à l’envi-ronnement dans son article 20, ni au développement durable, omission à laquelle, selon certains, il pourrait être remédié en ajoutant une nouvelle exception à cet article.Gary Sampson, expert en commerce, avance dans son travail exhaustif sur l’OMC et le développement durable qu’il ne «  fait aucun doute que [l’OMC] a

évolué pour devenir une Organisation mondiale du commerce et du développement durable… intention-nellement ou non6 ». D’autres remettent en question cet argument et estiment que l’OMC ne se préoccupe pas suffisamment des problèmes liés au dévelop-pement durable. Il est certain en tout cas que de nombreux problèmes traités par l’OMC comme les subventions à la pêche ou à l’agriculture ont des impli-cations d’importance cruciale en matière environne-mentale. Les États ont le droit de limiter les impor-tations pour protéger la santé publique, la sécurité et l’environnement à travers des normes techniques, sous réserve de leur conformité avec les obstacles techniques au commerce. Les dispositions relatives au « traitement spécial et différencié » s’appliquent à des pratiques de développement durable dans les pays en développement.L’un des principaux problèmes potentiels tient au conflit entre des accords multilatéraux sur l’environ-nement (AME) et l’OMC. L’OMC a bien créé un groupe chargé de traiter ce sujet, mais il n’a fait que peu de progrès en août  2008. L’Alena, de son côté, traite certaines de ces questions dans son article  104 qui prévoit que si des accords multilatéraux de préser-vation de l’environnement contreviennent aux obligations de l’Alena, les dispositions desdits accords prévalent. Les AME régissent à ce jour le commerce des espèces menacées, le contrôle des substances nuisibles à la couche d’ozone et le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et leur élimination. Plusieurs accords portant sur le développement durable ont été portés devant l’Organe de règlement des diffé-rends (ORD) de l’OMC. Le litige crevettes-tortues de  1998 est le plus significatif, puisque l’organe d’appel a fait référence au libellé du préambule de l’OMC qui mentionne le développement durable pour interpréter les dispositions de l’Organisation et statuer sur le litige.

Les accords commerciaux sont de plus en plus confrontés à la nécessité d’intégrer aux exigences commerciales des questions environnementales

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La première affaire dans laquelle il est fait référence au développement durable est l’affaire thon-dauphin I de  1991 (cf. encadré 2). Le Mexique s’opposait alors à la réglementation américaine qui limitait les importations de thon albacore et de produits à base de thon albacore en se fondant sur le nombre de dauphins tués durant l’année précédente, la méthode de la pêche à la senne coulissante utilisée pour le thon albacore décimant un grand nombre de dauphins. Le Groupe spécial n’a pas validé la réglementation des États-Unis, mais a signalé expressément que « l’objectif du développement durable, qui inclut la protection et la préservation de l’environnement, avait été largement reconnu par les parties contractantes » au GATT, et que le litige ne portait pas sur «  la validité des objectifs

environnementaux des États-Unis visant à protéger et à préserver les dauphins ». Autre affaire de l’OMC faisant explicitement référence au développement durable, celle sur les droits de douane préférentiels de la Communauté européenne en 2001. Elle concerne un dispositif spécial visant à lutter contre la production et le trafic de drogue en vertu du Système de préférences généralisées des

Communautés européennes (SPG). Dans ce litige, l’Organe de règlement des différends ne fait référence au développement durable, sous la forme d’une référence au SPG.D’autres litiges liés au développement durable ont été portés devant l’OMC sans pour autant que la mention de développement durable soit explicite dans les rapports du Groupe spécial

et de l’organe d’appel.Le développement durable touche également d’autres secteurs du droit économique international,

DIFFÉRENDS GATT/OMCENCADRÉ 2

Titre abrégé/courant Titre complet de l’affaire et référence

Thon-dauphin I Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Restrictions à l’importation de thon, WT/DS21/R (3 septembre 1991)

Thon-dauphin II Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Restrictions à l’importation de thon, WT/DS29/R (20 mai 1994)

Essence nouvelle

Rapport de l’organe d’appel, États-Unis – Normes concernant l’essence nouvelle et anciennes formules, WT/DS2/AB/R, adopté le 20 mai 1996, DSR 1996:I, 3

Rapport du Groupe spécial, États-Unis – Normes concernant l’essence nouvelle et anciennes formules, WT/DS2/R, adopté le 20 mai 1996, modifié par le rapport de l’organe d’appel, WT/DS2/AB/R, DSR 1996:I, 29

Bœuf aux hormonesRapport de l’organe d’appel, Communautés européennes – Mesures concernant les viandes et produits carnés (hormones), WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R, adopté le 13 février 1998, DSR 1998:I, 135

Crevettes-tortuesRapport de l’organe d’appel, États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, DSR 1998:VII, 2755

AmianteRapport de l’organe d’appel, Communautés européennes – Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant, WT/DS135/AB/R, adopté le 5 avril 2001, DSR 2001:VII, 3243

CE-Préférences tarifaires

Rapport de l’organe d’appel, Communautés européennes – Conditions d’octroi de préférences tarifaires aux pays en développement, WT/DS246/AB/R, adopté le 20 avril 2004, DSR 2004:III, 925

Rapport du Groupe spécial, Communautés européennes – Conditions d’octroi de préférences tarifaires aux pays en développement, WT/DS246/R, adopté le 20 avril 2004, modifié par le Rapport de l’organe d’appel, WT/DS246/AB/R, DSR 2004:III, 1009

Décision de l’arbitre, Communautés européennes – Conditions d’octroi de préférences tarifaires aux pays en développement – Arbitrage au titre de l’Article 21.3(c) du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends, WT/DS246/14, 20 septembre 2004, DSR 2004:IX, 4313

CE-Biotech / Affaire OGMRapport du Groupe spécial, Communautés européennes – Mesures affectant l’approbation et la commercialisation des produits biotechnologiques, WT/DS291, 292 et 293/R, adopté le 21 novembre 2006

Brésil-Pneus rechapés

Rapport du Groupe spécial, Brésil – Mesures affectant l’importation de pneumatiques rechapés, WT/DS332/R, Rapport final distribué le 12 juin 2007

Rapport de l’organe d’appel, Brésil – Mesures affectant l’importation de pneumatiques rechapés, WT/DS332/AB/R, adopté le 3 décembre 2007

SENNEUR À SENNE COULISSANTE

bateau de pêche équipé d’un grand filet qui sert à encercler les poissons. Il est muni d’an-neaux de coulisse et d’une corde de senne coulissante qui ferme le filet.

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉLE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE ÉTHIQUE POUR LE XXIe SIÈCLE

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notamment les investissements étrangers. Les arbitrages du Centre international pour le règle-ment des différends relatifs aux investissements (Cirdi) doivent parfois prendre en considération des arguments fondés sur la norme du développe-ment durable. À titre d’exemple, on citera l’arbitrage de 2007 entre Biwater Gauff Ltd et la République unie de Tanzanie concernant la privatisation des ressources en eau, au cours duquel des questions liées au développement durable et aux droits de l’homme ont été soulevées.Les institutions du développement, comme la Banque mondiale et plusieurs autres banques de dévelop-pement régionales, souscrivent désormais à cette norme et ont adopté diverses politiques et procé-dures visant à son application. Le protocole d’accord instituant la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD), rédigé après 1992, y fait explicitement référence.La Commission nord-américaine de coopération environnementale (Nacec), qui a été instituée à l’époque de l’Alena, visait en partie à promouvoir l’application effective du droit environnemental pour garantir l’existence d’un accord équitable pour toutes les parties signataires. Les articles  14 et 15 de la Nacec prévoient que les citoyens doivent soumettre leurs plaintes à la commission s’ils considèrent que des lois environnementales spécifiques ne sont pas appliquées et que cette dernière doit alors enquêter et publier des constats factuels liés à ces questions. Des citoyens, des ONG et une entreprise ont eu recours à cette procédure. Au 21 août 2008, la Nacec avait reçu 65 plaintes et émis 15 constats factuels. Les plaintes concernaient chaque fois des questions relatives au développement durable.

LÉGISLATION INTERNATIONALE ET DROITS DE L’HOMMELier les droits de l’homme à la protection de l’envi-ronnement. Au cours des deux dernières décen-nies, on s’est efforcé de lier les droits de l’homme à la protection de l’environnement. La Déclaration universelle des droits de l’homme et deux pactes

internationaux (voir infra), concernent des éléments importants du développement durable tels que l’ali-mentation, les conditions de vie et de santé. Ils ne prévoient cependant pas expressément de droit au développement durable car ils ont été négociés avant que le terme ne se généralise. Aucun texte relatif aux droits de l’homme ne prévoit expressément de droit à un environnement propice au développement de l’homme. La Charte africaine relative aux droits de l’homme et des peuples de 1981 s’en approche en décla-rant que «  tous les peuples ont droit à un environne-ment général satisfaisant et propice à leur développe-ment » (article 24).Sous les auspices des Nations unies, des experts ont cherché à définir un droit à l’environ-nement au cours des dernières décennies. En 1994, la Commission des droits de l’homme des Nations unies et le sous-comité sur la prévention de la discrimi-nation et la protection des minorités ont publié un rapport final sur les droits de l’homme et l’environ-nement. Celui-ci comprenait un projet de déclaration sur le droit à l’environnement. En 2002, un groupe d’experts s’est de nouveau réuni pour discuter de la relation entre les droits de l’homme et l’environ-nement, cette fois sous les auspices du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et du haut commissaire aux droits de l’homme des Nations unies. Aucune déclaration n’a toutefois encore émergé.Les Nations unies s’efforcent également d’éla-borer un droit à l’eau. La Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international sur les droits civils et politiques et le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ne prévoient pas ce droit. Le Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, qui est chargé de suivre l’application du pacte, a déclaré dans un commentaire général qu’un droit à l’eau existe dans la mesure où il est implicitement prévu aux articles 11 et 12 du pacte. En présumant qu’un

Aucun texte relatif aux droits de l’homme ne prévoit expressément de droit à un environnement propice au développement de l’homme

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tel droit existe, le problème est de savoir quelles actions incombent aux États qui n’ont pas encore donné leur assentiment à ces articles.Il existe aussi une jurisprudence européenne sur les droits de l’homme et l’environnement. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

et des libertés fondamen-tales contient des disposi-tions relatives au droit à la vie (article 2) et au droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance (article  8).

La Cour européenne des droits de l’homme a inter-prété ces dispositions, et notamment l’article 8, pour se déclarer compétente à traiter des plaintes contre des mesures causant des dégradations à l’environne-ment. Elle fait référence au développement durable dans au moins deux affaires  : Hatton contre le Royaume-Uni en 2003, et Tatar et Tatar contre la Roumanie en 2007. Cette dernière affaire est particu-lièrement importante car elle concerne une pollution de l’eau due à l’exploitation minière. La référence au développement durable est également explicite dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée en  2000, qui prévoit dans son article  37 qu’un «  niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du dévelop-pement durable. »

Les défis posés à une philosophie du développe-ment durable. Le développement durable guide un vaste éventail d’activités humaines. Il a inspiré des modes de pensée novateurs sur les programmes et les mesures spécifiques de protection de l’environne-ment en mettant en lumière des pratiques qui ne sont manifestement pas durables. Aujourd’hui, le dévelop-pement durable s’impose : le terme commence à faire partie de la jurisprudence nationale et internationale.Lorsque l’on envisage le développement durable à l’avenir, il convient de le faire dans le cadre d’un

système international en transition. Nous passons en effet d’un système centré presque exclusivement sur des États souverains et théoriquement indépendants à un système qui est tout à la fois plus intégré et plus fragmenté. Les preuves de l’intégration mondiale abondent : les réseaux de communication mondiaux, les marchés financiers mondiaux, les régimes inter-nationaux pour les océans, la santé, l’environnement, pour n’en citer que quelques-uns. Dans le même temps, le nationalisme, l’appartenance ethnique, les identifications religieuses et les besoins d’affiliation et de satisfaction individuels alimentent la fragmen-tation et la décentralisation. Il existe bien des acteurs importants en dehors des États  : les organisations internationales, les entreprises et les associations industrielles, les ONG, diverses associations, les groupes ad hoc qui se forment instantanément sur Internet, jusqu’aux individus.Le plus grand défi auquel le développement durable est confronté est le changement climatique et les mesures à prendre pour le ralentir, pour en atténuer ou en prévenir les dommages. Ses effets sont proba-blement irréversibles, du moins à l’échelle du temps humain, et il est peu probable que les générations futures puissent utiliser leurs ressources finan-cières et intellectuelles, qui seront sans doute plus importantes, pour les surmonter ou les compenser intégralement.Le développement durable porte également sur les mesures à prendre pour créer les ressources techni-ques, économiques, sociales et culturelles néces-saires pour permettre à toutes les communautés de s’adapter au changement climatique à l’avenir. Cet aspect est particulièrement important pour les pays en développement, qui risquent de supporter la part la plus importante de ce changement alors qu’ils disposent d’une capacité moindre pour y parvenir. Sans mesures de développement durable, le change-ment climatique pourrait exacerber les divisions économiques déjà existantes entre les pays et au sein même des pays.Alors que jusqu’à présent, le développement durable s’est davantage focalisé sur le court terme, il est

En 2000, la Charte des droits fondamentaux

de l’Union européenne évoque le « principe du

développement durable »

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GÉRER DURABLEMENT LA COMPLEXITÉLE DÉVELOPPEMENT DURABLE, UNE ÉTHIQUE POUR LE XXIe SIÈCLE

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désormais nécessaire de se recentrer sur le long terme. Si nous pouvons négocier des accords sur le changement climatique qui soient justes à la fois pour la génération actuelle et pour les générations futures, nous devrions être capables d’en tirer les enseigne-ments pour négocier d’autres accords essentiels au développement durable. Au regard du changement climatique, la pertinence du développement durable permet de poser des questions fondamentales : qu’a apporté l’engagement en faveur du développement durable  ? Comment la philosophie du développe-ment durable guidera-t-elle notre comportement et nos actions à l’avenir ?Si l’on considère les progrès accomplis au cours des trente dernières années, les nombreuses actions pour intégrer la protection de l’environnement au dévelop-pement et donner un contenu juridique à la notion de développement durable sont prometteuses. En droit international, la négociation du protocole de Montréal pour le contrôle des substances nuisibles à la couche d’ozone est, par exemple, une réalisa-tion importante. Mais si l’on se penche sur ce qui reste à accomplir pour parvenir à un développe-ment durable, les incohérences qui entachent cette notion et l’incapacité d’intégrer cette dernière à un grand nombre, et éventuellement à l’ensemble, de nos activités en laissent présager une portée limitée. Dans le système international, le clivage entre action publique et action privée s’estompe, de même que la distinction entre activités nationales et interna-tionales et entre droit national et international. On s’appuie moins sur des instruments juridiques contraignants que sur des instruments non contrai-gnants (droit mou), notamment pour s’adapter à des situations en rapide évolution. Les valeurs y ont un rôle d’autant plus important qu’elles consti-tuent le ciment qui unit les peuples et guide leurs actions. Il est nécessaire que la durabilité devienne une valeur, générant le sentiment d’appartenir à une communauté de générations. Notre voix doit porter au-delà des instruments juridiques officiels et des États pour garantir que tous les peuples riches ou pauvres vivent dans le respect de cette valeur, qui

est compatible avec les nombreuses cultures du monde, ce qui est essentiel à son acception. L’édu-cation des jeunes générations est essentielle à ce titre. Au nombre des mesures importantes de sensi-bilisation à l’environnement figurent la conception de matériel éducatif, l’encouragement à l’utilisation par les jeunes de techniques simples pour suivre l’évolution de la pollution ou de la préservation des ressources, l’élaboration de programmes de renforce-ment des capacités des institutions aux niveaux local et régional, la publication de documents accessibles aux populations locales, la création de sites internet et de forums de discussion sur ces questions, la tenue d’auditions publiques et de réunions, la préparation de vidéos et d’autres outils d’information, le dialogue au niveau local.Des efforts sont certes actuellement accomplis, mais il faudra bien d’autres mesures pour renforcer l’engagement en faveur de la valeur de développe-ment durable et le sentiment d’appartenance à une communauté de générations. Il est nécessaire que nous adoptions cette nouvelle valeur et qu’elle se généralise à tous les peuples, toutes générations confondues.

1. BRUNDTLAND (G. H.), Notre avenir à tous, Rapport de la Commission mondiale des Nations unies sur l’environnement et le développement, Oxford, Oxford University Press, 1987.

2. Ibid.

3. KUZNETS (S.), « Economic Growth and Income Inequality », The American Economic Review, 45 (1), 1955, p. 1-28.

4. BRUNDTLAND (G.H.), Notre avenir à tous, op. cit.

5. McINTYRE (O.), Environmental Protection of International Watercourses under International Law, Aldershot, Ashgate, 2007.

6. SAMPSON (G. P.), WTO and Sustainable Development, Tokyo, United Nations University Press, 2005, p. 2.

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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Page 234: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009236

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 237

LES REPÈRES DU DÉVELOPPEMENT

DURABLEm NATIONS UNIES m BANQUE MONDIALE m G8 m COMMERCE m OMC m CARBONE, EAU, DÉCHETS m CLIMAT m ARCTIQUE m

FORÊTS TROPICALES m HAUTE MER m AUTORITÉS LOCALES m CHINE m ONG m

ACTEURS NON ÉTATIQUES m SANTÉ GLOBALE m ADAPTATION m RESSOURCES PHYTOGÉNÉTIQUES m AGRONOMIE m

INSTITUTIONS, ÉCHANGES, TERRITOIRES ET INNOVATIONS

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009238

INSTITUTIONS

› 3e décennie du développe-ment des Nations unies : développement économi-que et durabilité de la nature sont liés.

› Conférence sur l’homme et l’environnement (Stockholm, Suède).

› Création du Programme des Nations unies pour l’environne-ment (PNUE), basé à Nairobi, au Kenya. Il doit inciter l’ensemble des agences de l’ONU à intégrer les questions environnementa-les dans leur action.

NATIONS UNIES 30 ANS DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

L’environnement est entré en 1972 sur l’agenda politique international. Depuis, l’intégration progressive de la préoccupation environnementale dans les approches économique ou sociale a entériné l’émergence du concept de développement durable, basé sur ces trois piliers. Les Nations unies témoignent de cette évolution à la fois profonde et inachevée : le développement durable a suscité l’essor d’une expertise nouvelle, associant environnement, social et économie, et orientée vers la prise de décision politique. Un système de financement spécifique se met peu à peu en place. Néanmoins, la discussion institutionnelle, entre exigences politiques et besoins de régulation, reste sans doute le chantier le moins avancé.

G O U V E R N A N C E

AG E N D A I N T E R N AT I O N A L

| 1972 | 1980

E X P E R T I S EF I N A N C E M E N T

| 1970

› L’Assemblée générale des Nations unies engage les pays riches à consacrer 0,7 % de leur revenu national brut à l’aide au développement.

F I N A N C E M E N T

› La question du financement de l’environnement et du dévelop-pement durable n’a trouvé que tardivement une formulation sur l’agenda des Nations unies. Ce n’est qu’en 1991 que le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) a été créé. Il a lentement construit le champ de son action et son mode de fonctionnement. Cette place centrale est aujourd’hui dispu-tée par la multiplication des fonds ad hoc et la place croissante de la Banque mondiale sur les thémati-ques environnementales et éner-gétiques (lire repère 3).

› L’inscription du développement durable sur l’agenda politique inter-national est inséparable de l’essor d’une expertise spécifique aux pro-blèmes globaux et capable de pro-duire des propositions politiques. Depuis le Rapport Brundtland, l’intégration de la problématique de la durabilité au sein du système onusien est allée de pair avec le développement d’une expertise visant à surmonter les oppositions politiques traditionnelles. Le Groupe d’experts intergouver-nemental sur l’évolution du climat (GIEC) est ainsi devenu le modèle de référence d’une expertise inter-nationale, comme l’a signalé le lan-cement d’un processus similaire en matière de biodiversité en 2007 (lire zoom p. 71).

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 239

INSTITUTIONS

› Le Rapport Brundtland im-pose le concept de développe-ment durable.

› Le premier rapport du GIEC confirme la réalité des change-ments climatiques.

› Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) publie son premier rap-port comparant le développe-ment humain dans 170 pays dans le monde.

› La déclaration de La Haye sur l’environnement appelle à une mobilisation des moyens pour répondre aux défis environne-mentaux.

E X P E R T I S E › À la demande du G7, l’Orga-

nisation météorologique mon-diale (OMM) et le PNUE créent le Groupe d’experts intergou-vernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

AG E N D A I N T E R N AT I O N A L

| 1987 | 1988 | 1990| 1989

E X P E R T I S E

E X P E R T I S E

G O U V E R N A N C E

G O U V E R N A N C E Depuis 1998, le Groupe d’experts intergouverne-mental sur l’évolution du climat (GIEC) est chargé de synthétiser les travaux réalisés dans le monde

entier sur les changements cli-matiques de manière à exposer les consensus existants, les dou-tes persistants et les options poli-tiques qui en découlent. Ses rap-ports reprennent les conclusions

de trois groupes de travail : le premier sur les princi-pes physiques et écologiques du changement clima-tique, le deuxième sur les impacts, la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique et le troi-sième sur les moyens d’atténuer le changement cli-matique. De plus, une équipe spéciale a produit des guides méthodologiques pour les inventaires d’émis-sions de carbone que les États doivent réaliser dans le cadre du protocole de Kyoto. n

GIECUN CONSENSUS SCIENTIFIQUE

› La place du développement dura-ble au sein du système des Nations unies est indissociable de celle de l’environnement. Depuis la créa-tion du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en 1972, l’objectif affiché a été la centralisation des actions en faveur de l’environnement au sein d’un seul organisme. Pourtant, le développement du droit inter-national en matière d’environne-ment a conduit, tout au contraire, à la création d’une multitude d’ins-truments ad hoc tels les quelques 500 accords multilatéraux pour l’environnement. La discussion autour de la création d’une Orga-nisation des Nations unies pour l’environnement (ONUE) a été au cœur de l’agenda international depuis la fin des années 1990.

REPÈRE 1NATIONS UNIES

...

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009240

INSTITUTIONS

› Le Fonds pour l’environne-ment mondial (FEM) est créé.

› Le PNUE crée l’initiative UNEP-FI, destinée à sensibiliser le secteur bancaire et financier aux questions environnemen-tales. UNEP-FI est aujourd’hui un partenariat réunissant plus de 160 institutions financières privées.

› Le FEM est chargé de la ges-tion du financement des conventions de Rio – diversité biologique et changements cli-matiques.

› Le FEM entre dans sa première phase opératoire avec un bud-get de 2 milliards de dollars.

› Le 2e rapport du GIEC conclut à la nature anthropique des changements climatiques et au rôle déterminant des émissions de gaz à effet de serre (GES).

› Création de la Commission du développement durable (CDD).

› La CDD lance le Panel inter-gouvernemental sur les forêts, chargé d’établir une conven-tion globale sur les forêts.

› Création de l’Organisa-tion mondiale du commerce (OMC), reconnaissant l’objec-tif de développement durable dans son préambule.

F I N A N C E M E N T

E X P E R T I S EF I N A N C E M E N T

F I N A N C E M E N T

G O U V E R N A N C E

G O U V E R N A N C E

› Conférence de Rio sur l’environnement et le développement.

› Conférence internationale sur la population et le développement (Le Caire, Égypte).

› Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification.

› Sommet mondial pour le développement social (Copenhague, Danemark).

› 4e Conférence mondiale sur les femmes (Beijing, Chine).

AG E N D A I N T E R N AT I O N A L

| 1991 | 1992 | 1994 | 1995

Le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) aide les pays en développement en finançant les coûts addi-tionnels de projets et programmes qui protègent l’envi-

ronnement mondial – biodiversité, changements climatiques, eaux internationales, ozone, dégradation des sols et polluants organiques per-sistants (POPs). Mécanisme finan-cier de quatre conventions (biodi-

versité, POPs, désertification et climat), il s’appuie sur trois agences de mise en œuvre (Banque mondiale, Programme des Nations unies pour le développement – PNUD – et PNUE) auquelles s’ajoutent sept agen-ces d’exécution depuis 1999. Avec un budget de 6,2 milliards de dollars depuis 1994 et 1 800 projets et activités financés, le FEM est aussi reconnu pour la participation égalitaire de ses 178 pays membres. Il est néanmoins concurrencé par les fonds privés et les fonds thématiques dont les coûts de transaction sont plus faibles, les délais d’instruction plus courts et la complexité moins grande. n

Créée pour superviser la mise en œuvre du pro-gramme d’action Agenda 21 et l’intégration des trois piliers du développement durable au sein du

système onusien, la Commission du développement durable (CDD) est un outil de dialogue entre les gouvernements, les grands grou-pes et les organisations intergou-vernementales (OIG). Elle reçoit

les rapports soumis périodiquement par les gouver-nements et l’information en provenance d’autres OIG, d’ONG ou du secteur privé. Elle évalue les progrès réalisés en matière de transferts technologiques et de soutien financier. Très critiquée, la CDD a réformé son mode de fonctionnement en 2004 : elle organise ses travaux en cycles thématiques de deux ans, dont la première année est consacrée à l’examen des progrès accomplis et des obstacles rencontrés, et la deuxième à l’élaboration de programmes et de politiques en vue de renforcer sa mise en œuvre. n

FEMUN FONDS POURL’ENVIRONNEMENT

CDDUN ORGANE DE SUIVI DES PROGRÈS

...

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 241

INSTITUTIONS

› Le FEM entre dans sa deuxième phase opératoire avec un budget de 2,75 mil-liards de dollars.

› La Banque mondiale lance un premier fonds carbone pilote.

› Le PNUE publie son premier Global Environment Outlook (GEO) sur l’état de la planète.

› Le PNUD consacre son rapport annuel aux modes de consom-mation et à leur impact sur le développement humain.

› Au G7 de Denver, le chance-lier Helmut Kohl propose la création d’une Organisation mondiale de l’environnement (OME).

› Maurice Strong, secrétaire général de la conférence de Rio en 1992, souhaite la créa-tion d’une OME sur les fonda-tions du PNUE.

› Kofi Annan met en place une Task Force on Environment and Human Settlements, prési-dée par Klaus Töpfer, et chargée d’évaluer l’efficacité des struc-tures et arrangements institu-tionnels du système onusien œuvrant dans le domaine de l’environnement.

› La déclaration de Nairobi affirme le rôle central du PNUE, en tant qu’organe principal des Nations unies en matière d’en-vironnement.

› Création du Groupe de ges-tion de l’environnement (GGE)et du Forum mondial des ministres de l’environnement (FMME).

› Ernest Ruggiero, président sortant de l’OMC, soutient la création d’une OME.

› Le G8 de Cologne appelle à une clarification des relations entre les accords environne-mentaux et les règles de l’OMC.

› Jacques Chirac appelle à la création d’une Autorité mon-diale de l’environnement.

› Déclaration de Schwerin des ministres de l’Environnement du G8 en faveur d’un renforce-ment du PNUE.

E X P E R T I S E

E X P E R T I S E

F I N A N C E M E N T

F I N A N C E M E N T

G O U V E R N A N C E

G O U V E R N A N C E

G O U V E R N A N C E

AG E N D A I N T E R N AT I O N A L

| 1999| 1998| 1997

› L’Assemblée générale des Nations unies examine les résultats du Sommet de la Terre (Rio+5).

› Signature du protocole de Kyoto.

› Global Compact : mécanisme de partenariat entre les entreprises et les Nations unies.

Le Groupe de gestion de l’environnement (GGE) réu-nit l’ensemble des organismes, des fonds et des pro-grammes de l’ONU, ainsi que les conventions mul-

tilatérales sur l’environnement. Sa présidence est assurée par le direc-teur exécutif du PNUE. Le GGE doit aider à une résolution parti-cipative des problèmes entre ces acteurs. Au titre de ses réalisations,

on cite la rationalisation de la présentation de rap-ports entre les conventions relatives à la diversité bio-logique ou la coopération à l’échelle de l’ONU en matière de produits chimiques. Le GGE dirige aussi un inventaire des compétences des différentes unités au sein des Nations unies dans le domaine de l’en-vironnement. n

› La convention d’Aarhus reconnaît le droit à l’accès à l’information en matière d’environnement.

› 184 pays membres de l’ONU signent à l’unanimité la déclaration définissant les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

› Forum des Nations unies sur les forêts.

› Création du Fonds pour la mise en œuvre du protocole de Montréal sur la protection de la couche d’ozone.

› Kofi Annan commande l’Éva-luation des écosystèmes pour le Millénaire mobilisant 1 300 experts.

› Le PNUE publie son deuxième GEO.

› La 1re réunion du Forum mon-dial des ministres de l’Environ-nement adopte la déclaration de Malmö réaffirmant le rôle central du PNUE.

› La CDD est chargée d’une par-tie du suivi des objectifs du Mil-lénaire pour le développement (OMD).

G O U V E R N A N C E

F I N A N C E M E N T

E X P E R T I S E

| 2000

GGELA RECHERCHE DE TRANSVERSALITÉ

...

REPÈRE 1NATIONS UNIES

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009242

INSTITUTIONS

› Création du Fonds pour l’adaptation du protocole de Kyoto.

› Création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tubercu-lose et le paludisme sous l’auto-rité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’Onusida et de la Banque mondiale.

› Création de l’alliance GAVI, réunissant des agences de l’ONU, des gouvernements du Nord et du Sud et des fonds phi-lanthropiques pour financer la vaccination dans les pays en développement (PED).

› La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification désigne le FEM comme mécanisme financier.

› Le BioCarbon Fund de la Ban-que mondiale propose des financements pour les projets de séquestration de gaz à effet de serre.

› Le GIEC publie son 3e rapport confirmant le réchauffement de la surface terrestre.

› Le PNUE crée le Groupe inter-gouvernemental sur la gouver-nance internationale de l’envi-ronnement (GIE) réunissant les ministres de l’Environnement ou leurs représentants.

› Le PNUE consulte les ONG et des experts internationaux sur la gouvernance internationale de l’environnement.

› La CDD est chargée du suivi de la mise en œuvre du plan d’action de Johannesburg.

› Le PNUD établit le secrétariat du Groupe de gestion de l’envi-ronnement à Genève.

G O U V E R N A N C E

E X P E R T I S E

G O U V E R N A N C E

G O U V E R N A N C E

F I N A N C E M E N T

F I N A N C E M E N T

› Sommet mondial pour le développement durable (Johannesburg, Afrique du Sud).

› Sommet sur le financement du développement (Monterrey, Mexique).

› Convention sur les polluants organiques persistants (POPs).

AG E N D A I N T E R N AT I O N A L

| 2001 | 2002 | 2003

Définis en 2000 par l’Assemblée générale des Nations unies, les objectifs du Millénaire pour le développe-ment (OMD) veulent orienter l’action internationale

jusqu’en 2015 dans huit domai-nes : éliminer l’extrême pauvreté et la faim, assurer une éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomie des femmes, réduire la mortalité

des enfants de moins de cinq ans, améliorer la santé maternelle, combattre le sida et le paludisme, assurer un environnement durable et mettre en place un par-tenariat mondial pour le développement. Les indica-teurs chiffrés de progression vers ces objectifs mon-trent que malgré des progrès certains en matière de santé et de scolarisation, l’ensemble des OMD ne seront pas atteints en 2015. n

| 2004

› Le PNUE et le Forum minis-tériel mondial sur l’environne-ment rédigent le plan stratégi-que de Bali, visant le transfert de technologies propres vers les pays du Sud.

G O U V E R N A N C E

OMDHUIT OBJECTIFS POUR 2015

...

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 243

INSTITUTIONS

› La 3e assemblée du FEM per-met de récolter 3 milliards de dollars de financement sup-plémentaires.

› La Banque mondiale lance le Clean Energy Investment Fra-mework en faveur des éner-gies propres.

› Le secrétariat intérimaire du Fonds d’adaptation est confié au secrétariat du FEM.

› La Banque mondiale crée le Clean Technology Fund et le Strategic Climate Fund.

› L’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire documente la destruction de la biodiver-sité depuis la seconde guerre mondiale.

› La déclaration de Paris sur la biodiversité demande la créa-tion d’un groupe international d’expertise sur la biodiversité comparable au GIEC.

› La CDD propose 96 indica-teurs de développement dura-ble, finalisant des versions anté-rieures proposées en 1995 et 2001.

› Première réunion de l’IMoSEB, groupe international d’experts sur la biodiversité.

› Le GIEC publie son 4e rap-port, confirmant l’origine anth-ropique des changements cli-matiques.

› Lancement du processus de réforme de l’ONU visant à prendre en compte les enjeux du développement durable et la gouvernance internationale de l’environnement.

E X P E R T I S E

E X P E R T I S E

E X P E R T I S E

G O U V E R N A N C E

F I N A N C E M E N T

F I N A N C E M E N T

F I N A N C E M E N T

› Année internationale de l’eau.

› Le Sommet du Millénaire + 5 juge « modestes » les progrès réalisés vers les OMD (New York, États-Unis).

› Forum de l’eau.

› Le protocole de Kyoto entre en vigueur.

AG E N D A I N T E R N AT I O N A L

| 2008| 2007| 2006| 2005

Lancée en 2005, lors de la Conférence internationale sur la biodiversité de Paris, l’idée d’un groupe interna-

tional d’expertise scientifique sur la biodiversité équivalent au GIEC est en train de préciser sa forme ins-titutionnelle. Elle prend d’abord le nom d’IMoSEB, puis est baptisée IPBES en décembre 2007 à Bonn.

La plateforme devra produire une expertise facilement mobilisable pour les acteurs politiques dans la gestion de la biodiversité. Sa forme finale devrait être précisée en novembre 2008 en Malaisie (lire zoom, p. 71). n

› L’Assemblée générale des Nations unies mandate deux ambassadeurs pour faire une synthèse des propositions en matière de gouvernance inter-nationale de l’environnement.

G O U V E R N A N C E

› La conférence de Bonn de la convention Biodiversité fixe le mandat de l’IPBES, groupe scientifique international char-gé d’une expertise en matière de biodiversité.

E X P E R T I S E

IPBESLES EXPERTS ET LE POLITIQUE

REPÈRE 1NATIONS UNIES

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009244

INSTITUTIONS

NATIONS UNIES OÙ EN EST LA RÉFORME ?

1997. Kofi Annan est nommé secrétaire général des Nations unies. Dès son discours d’investiture il annonce son intention de réformer l’institution.

2002. Le rapport An Agenda for Further Change souligne toute l’aide que peut apporter l’ONU aux États membres pour la poursuite des objectifs du Millénaire pour le développement adoptés deux ans plus tôt.

2003. Kofi Annan crée le Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, pour permettre l’évaluation des processus et des mécanismes d’intervention des Nations unies.

Décembre 2004. Le Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement publie Un monde plus sûr, définissant six catégo-ries de menaces et apportant 101 recommandations concer-nant la sécurité collective, la prévention, le recours à la force et la réforme de l’ONU.

Mars 2005. Le discours de Kofi Anan Dans une liberté plus grande appelle à six réformes : renforcer l’Assemblée générale, améliorer la representativité du Conseil de sécurité, réformer le Conseil économique et social, créer un Conseil des droits de l’homme, restructurer le Secrétariat, renforcer la coopération régionale.

2005. Le sommet mondial célébrant les soixante ans des Nations unies appelle à un renforcement de la cohérence entre les agences et instaure un Haut Panel pour la réforme chargé d’émettre des recommandations.

Mars 2006. Première réforme : le Conseil des droits de l’homme est créé pour remplacer la Commission des droits de l’homme.

2006. Le Haut Panel publie 48 recommandations dans huit domaines d’action.

2007. Les Nations unies lancent l’initiative Delivering as One, regroupant toutes les aides onusiennes dans un pays.

Mars 2008. Les huit domaines sont répartis en deux « paniers » qui seront examinés séparément. Le premier panier regroupe : Delivering as One, le financement, la réforme des institutions et de la gouvernance, la parité homme-femme.

Juillet 2008. Les ambassaseurs Peter Maurer (Suisse) et Claude Heller (Mexique) soumettent à l’Assemblée générale un nouveau projet de résolution sur la gouvernance globale de l’environnement, privilégiant un approfondissement des relations entre le PNUE et les Accords multilatéraux d’environnement.

L ’objectif premier de la Charte des Nations unies de 1945 était de pré-venir les conflits futurs entre États

et de préserver les générations futures du fléau de la guerre entre grandes puis-sances. La notion de sécurité a beau-coup évolué depuis (lire repère 8), tout comme la nature des questions pour les-quelles on recherche une réponse col-lective. Ainsi le terrorisme, le sida, les nouvelles pandémies (lire repère 16), les problèmes environnementaux ou les conflits régionaux tiennent aujourd’hui une place presque équivalente à celle de la paix et de la guerre dans le travail des Nations unies.La scène internationale s’est elle aussi beaucoup transformée avec l’appari-tion et le renforcement des organisa-tions non gouvernementales (lire repère 14) qui fournissent des informations et disséminent des normes tant dans le domaine de la démocratie et des droits

de l’homme que dans celui de l’environ-nement (lire repère 15) ou de la santé. De nouvelles organisations internationales sont également nées, avec leurs propres mécanismes de coopération et de défi-nition des normes dans des domaines tels que le commerce, la banque, les droits de l’homme, la santé internatio-nale ou la lutte contre la pauvreté.

NÉGOCIER LA RÉFORME. Dans ce contexte, l’ONU est apparue inadaptée aux nou-veaux enjeux, d’autant qu’elle faisait, par ailleurs, face à une série de criti-ques directes. Elle apparaissait comme une administration archaïque, surabon-dante, peu efficace et manquant de transparence. Ses responsables n’étaient pas suffisamment tenus de rendre des comptes sur les résultats obtenus. Dès sa nomination en 1997, Kofi Annan s’est fixé pour mission d’entreprendre une profonde évaluation du rôle, du fonc-

tionnement et des moyens onusiens. Sous son impulsion, une série de mesu-res, comme la consolidation de la struc-ture, l’amélioration de la coordination entre agences et programmes, le rema-niement des opérations de maintien de la paix, l’intégration de la défense des droits de la personne dans des domai-nes importants du travail de l’ONU ou la recherche de nouvelles façons de dia-loguer avec la société civile et le sec-teur privé, ont été prises. Fondés sur de multiples consultations, le rapport Dans une liberté plus grande ainsi que le dis-cours Un monde plus sûr de Kofi Annan ont posé le cadre de négociation de la réforme de l’Organisation. En septem-bre 2005, la réunion plénière de haut niveau de l’Assemblée générale a défini onze domaines de réforme.Trois ans plus tard, ces onze processus sont parvenus à des résultats très variables. Des progrès institutionnels importants

NATIONS UNIES : 10 ANS DE RÉFORME>

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 245

INSTITUTIONS

ont été accomplis en matière de droits de l’homme, d’intervention post-conflit ou de responsabilité des États à proté-ger leurs citoyens. Des avancées certai-nes ont été enregistrées dans la défi-nition des objectifs de la réforme en matière de terrorisme, de fonctionne-ment du Conseil économique et social ou de cohérence générale du système. La réforme de la gouvernance mon-diale de l’environnement, après un réel effort de mobilisation, reste quant à elle, inachevée, tandis que celle du Conseil

de sécurité, du Secrétariat ou de l’Assemblée générale semble toujours difficile à initier.L’examen des motivations qui ont amené ces réformes explique partiellement ces différences de résultat. Certaines cor-respondent au besoin de décliner de manière opérationnelle les idéaux défen-dus par la Charte  ; d’autres répondent à la nécessité d’augmenter la puissance de l’institution ; d’autres, enfin, cherchent à moderniser de manière pragmatique les institutions existantes. C’est finale-

ment dans le premier domaine – peut-être parce que la référence à la Charte évite de devoir construire un consensus politique – que les réformes se sont révé-lées les plus faciles à mettre en œuvre. Les deux autres domaines entrent éga-lement plus directement en compétition avec les intérêts et les stratégies de puis-sance des États membres eux-mêmes.En ce sens, l’exemple du Conseil de sécurité est révélateur. Les cinq mem-bres permanents du Conseil représen-tent l’équilibre entre les puissances en 1945, dans un monde encore colonial, coupé en deux par la guerre froide et où les pays du Nord dominaient tant l’économie que l’agenda politique. Pour le Japon, l’Allemagne mais aussi le Bré-sil ou l’Inde, entrer de manière per-manente au Conseil serait une façon d’affirmer le poids qu’ils détiennent aujourd’hui dans les affaires mondiales. L’Union africaine réclame, quant à elle, un siège permanent (voire deux) pour le continent. Ces ambitions ont nourri une dizaine de propositions d’élargisse-ment du Conseil depuis cinq ans. Tou-tes ont été défaites par des coalitions changeantes semblant préférer le statu quo à une redistribution des cartes du pouvoir politique. n

NATIONS UNIES : 10 ANS DE RÉFORME

11 RÉFORMES ENTRE IDÉAUX, PUISSANCE ET PRAGMATISME

Conseil des droits de l’homme Créé en 2006, il remplace la Commission des droits de l’homme, critiquée pour son manque d’indépendance.

Commission de consolidation de la paix Créée en 2005 et opérationnelle depuis juin 2006, elle doit permettre aux Nations unies de lier sécurité et développement.

Responsabilité de protégerEn février 2008, un conseiller spécial a été nommé avec rang de sous-secrétaire général. Il est chargé de transcrire la notion de « responsabilité de protéger » dans les interventions de l’ONU dans les pays en conflit.

Sécurité humaine Aucune action n’a été entreprise depuis 2005.

Terrorisme Une stratégie globale de l’ONU contre le terrorisme a été adoptée en 2006. La rédaction d’une Convention butte toujours sur une définition commune du terrorisme.

Développement/ réforme de l’EcosocEn 2006, l’Assemblée générale a réaffirmé la nécessité de réorganiser les agences de développement de l’ONU autour des objectifs du Millénaire pour le développement.

Cohérence générale du systèmeUn rapport a été publié en 2006. En avril 2007, Ban Ki-moon qui a été nommé secrétaire général le 1er janvier 2007 a créé un nouveau groupe de travail.

EnvironnementEn juin 2007, un résumé des discussions en cours depuis 2005 a été distribué à l’Assemblée générale.

Assemblée généraleEn 2006, un groupe de travail ad hoc a été créé.

Réforme du Secrétariat, de la gestion, du mandatL’Assemblée générale a travaillé sur la structure du Secrétariat et l’évaluation des mandats datant de plus de cinq ans. Le peu de progrès a failli empêcher le vote du budget en 2007.

Conseil de sécuritéDifférents modèles d’élargissement ont été présentés, mais aucun n’a été soutenu par une majorité d’États.

RÉFORME BLOQUÉE RÉFORME AVANCÉE

PRA

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Source : Jan-Gustav Strandenaes, UN Reform Processes, ANPED AGM, 2006. Mise à jour Isabelle Biagiotti (Courrier de la planète).

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Lancés en 2005, les onze grands domaines de réforme de l’ONU ne progressent pas à la même vitesse, selon l’ambi-tion qu’ils poursuivent : décli-ner de manière opération-nelle les idéaux défendus par la Charte, augmenter la puis-sance de l’institution, moder-niser de manière pragmatique les institutions existantes.

REPÈRE 2NATIONS UNIES

Page 244: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009246

INSTITUTIONS

16,84 (États-Unis)

8,07 (Japon)

4,64

1

0

Absence de données ou État non-membre de la BIRD

(en %)

Palau, Kiribati,Îles Marshall,Samoa, Salomon,Tonga, Vanuatu, Fiji

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Contribution au budget de la Banque internationale pour la reconstructionet le développement (BIRD)

Source : Banque mondiale, www.worldbank.org, juin 2008

QUAND LES ÉMERGENTS FINANCENT LE SYSTÈME>

G râce à leur croissance économique – parfois spectaculaire –, les pays émergents disposent aujourd’hui

d’un système banquier et financier rela-tivement performant et peuvent accéder facilement aux marchés de capitaux pri-vés internationaux, à des conditions de prêt intéressantes. Ces pays sont pro-gressivement devenus moins dépen-dants des financements publics inter-nationaux notamment de ceux de la Banque mondiale. D’après le dernier rapport du Groupe indépendant d’évaluation de la Banque mondiale, les nouveaux prêts de la Ban-que ne représentent plus qu’une faible part, sans cesse décroissante, de l’in-vestissement dans les pays émergents : cette proportion est passée de 1,2 % en 1995 à 0,6 % en 2005. Toujours selon ce rapport, les remboursements des anciens prêts des pays émergents ont dépassé les déboursements de nou-veaux prêts de 3,8 milliards par an, en moyenne sur les douze dernières années (de 1995 à 2007). Cette plus grande autonomie finan-cière est incontestablement une bonne chose pour les pays émergents. Néan-moins, la diminution des prêts de la Ban-que mondiale en leur faveur menace son système d’autofinancement, construit

BANQUE MONDIALEDU DÉVELOPPEMENT AU CLIMAT

sur une subvention croisée entre deux agences de la Banque mondiale : la Banque internationale pour la recons-truction et le développement (BIRD) et l’Agence internationale de développe-ment (AID). Une partie des profits réa-lisés par la BIRD –  laquelle intervient principalement dans les pays émer-gents, généralement avec des prêts pro-ches des conditions de marchés – est réinvestie dans l’AID  – laquelle inter-vient elle, principalement dans les pays les moins avancés (PMA) au moyen de prêts concessionnels ou de dons. Pour la pérennité de son système de finance-ment, il est donc essentiel que la Banque mondiale conserve les pays émergents comme client. À défaut, le financement

de l’AID risque de devenir trop étroi-tement dépendant des promesses de dons des bailleurs, toujours incertaines et potentiellement victimes de contrain-tes budgétaires.

LE CLIMAT, BIEN PUBLIC. Pour garder son attractivité, la Banque mondiale s’est donc réorientée vers la production et la préservation des biens publics mon-diaux, et notamment le financement de l’adaptation au changement climatique dans les pays émergents. En effet, si les systèmes bancaires et financiers des pays émergents sont aujourd’hui rela-tivement efficaces, certains secteurs ou certaines activités n’ont pas accès à ces sources de financement. C’est

La contribution des pays émergents à la BIRD est deve-nue quasiment équivalente à celle de l’Europe de l’Ouest, de l’Australie ou de la Fédéra-tion de Russie.

Page 245: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 247

INSTITUTIONS

Prêts de la Banque mondiale en matière d'énergie allouée à des projets à basse intensité de carbone (en millions de dollars)

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Source : Banque mondiale, Energy Portofolio, 2008, www.worldbank.org

* hormis les unités de productionhydro-électrique dépassant les 10 mégawatts** calculé sur la première moitié de 2008

Les projets « à basse intensité de carbone » regroupent les projets d'énergie renouvelable, d'e�cacité énergétique, de rénovation de centrales électriques, de chau�age collectif, de biomasse, de réduction du torchage de gaz, de centrales à charbon de haute e�cacité...

DES FONDS TROP CARBONÉS>

Transmissionet distributionde l'énergie

Pétrole, gazet charbon

Énergies renouvelables*

Grands barrageshydrauliques

Énergie thermique

Autres

2003 2004 2005 2006 2007 2008**

1 218

497278 241

374 464

461260

100

521360

550

23 23

453250

751

1 318

270 286445

892682

1 026

325496

689

1 094

628

980

90 156

883

1 796

809 912

1999 2002 2006-50

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50

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Flux nets

Banquemondiale

FMI

Flux nets de dette vers les pays en développement (en milliards de dollars)

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Source : Banque mondiale, Financial Flows to Developing Countries : Recent Trends and Prospects, 2008.

LES IFI MARGINALISÉES>

notamment le cas de l’ensemble des actions nécessaires pour réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) ou pour s’adapter aux effets du change-ment climatique. Faute de prix du CO2 reflétant la vraie valeur des émissions, les marchés restent inefficaces pour assurer le développement et le déploie-ment de technologies à faible utilisation de carbone. La création de Fonds stra-tégiques de financement du climat est, de ce point de vue, une bonne initiative, notamment parce qu’elle s’accompagne de celle du Fonds d’investissement tech-nologique dont la priorité est de financer

des actions de réduction des émissions dans le secteur des énergies grâce à la diffusion de technologies adaptées (lire repère 17). Le véritable enjeu reste néan-moins la transformation de l’ensemble du portefeuille d’activités de la Banque mondiale, ce qui est encore loin d’être le cas, comme le montre la composi-tion actuelle des financements accordés dans le domaine énergétique... n

La prise en compte des impé-ratifs d’adaptation au chan-gement climatique par la Banque mondiale s’exprime avant tout dans le secteur de l’énergie, avec une incitation à la diversification des sources de production et au dévelop-pement des énergies renou-velables.

Les institutions financières internationales (IFI) de Bret-ton Woods ne sont plus, et de loin, les premiers créanciers des pays en développement.

TIMIDE DIVERSIFICATION>

0

1

2

3

4

5Total

Secteurs à basse intensité de carbone

2003 2004 2005 2006 2007 2008

Répartition sectorielle des prêts de la Banque mondiale en matière d'énergie, 2003-2006 (en milliards de dollars)

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Source : Banque mondiale, Energy Portofolio, 2008, www.worldbank.org

REPÈRE 3BANQUE MONDIALE

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009248

INSTITUTIONS

G8 DE L’ÉNERGIE AU CLIMAT

1975 Rambouillet (France) Les six pays les plus industrialisés (France, États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Japon et Italie) créent le G6 qui doit se réunir tous les ans.

1979 Tokyo I (Japon) Le G7 (le Canada est devenu membre en 1976) reconnaît la nécessité de développer des énergies alternatives afin de lutter contre la pollution de l’atmosphère et en particulier celle liée au CO2 et aux oxydes de sulfure.

1986 Tokyo II (Japon) La déclaration finale parle pour la première fois d’environnement, s’engageant à transmettre aux générations futures un environnement sain.

1988 Toronto (Canada) Le G7 reconnaît que les « menaces sur l’environnement n’ont pas de frontières » et adoptent le concept de développement durable.

1989 Paris (France) Le G7 s’engage à prendre des mesures pour prévenir le changement climatique, la déforestation, les pollutions atmosphériques, protéger la couche d’ozone et lutter contre les marées noires.

1990 Houston (États-Unis) Le G7 reconnaît la Convention des Nations unies sur les changements climatiques comme le bon forum pour définir des actions globales et individuelles.

1991 Londres III (Royaume-Uni) Le G7 s’engage à soutenir les conclusions du Sommet de la Terre, prévu pour juin 1992, et se déclare favorable à la mise en place d’instruments contraignants en matière de protection de la biodiversité et des forêts.

1993 Tokyo III (Japon) Le G7 s’engage à ratifier et à mettre en œuvre les conventions de Rio – en particulier en matière de changements climatiques et de biodiversité.

1994 Naples (Italie) Le G7 s’engage à réapprovisionner le Fonds mondial pour l’environnement.

1998 Birmingham (Royaume-Uni) Le G8 (la Russie devient membre) s’engage à signer le protocole de Kyoto de lutte contre le changement climatique dans l’année qui suit et à développer un système d’échange de permis à émettre des gaz à effet de serre.

2002 Gênes (Italie) Le G8 s’engage à négocier une réduction chiffrée des émissions de gaz à effet de serre au sein de la Convention Climat, assurer le financement du Fonds pour l’environnement mondial, et développer des énergies renouvelables.

2003 Évian (France) Le G8 s’engage à participer à une conférence internationale sur le développement des énergies renouvelables à Bonn en 2004.

2004 Sea Island (États-Unis) Le G8 reconnaît le besoin de politiques énergétiques équilibrées, favorisant le développement des énergies renouvelables.

2005 Gleneagles (Royaume-Uni) Le G8 s’engage à continuer de lutter contre le changement climatique. Il reconnaît les efforts faits par les États membres en dehors du protocole de Kyoto. Le Plan d’action veut favoriser l’émergence d’un marché pour les énergies renouvelables.

2007 Heiligendamm (Allemagne) Le G8 désigne la Convention des Nations unies comme le forum où négocier des engagements pour l’après-2012.

Sources : G8 Observatory, Universités de Toronto et d’Oxford (www.g8.utoronto.ca/compliance) ; divers rapports. Compilation d’Isabelle Biagiotti, Courrier de la planète.

D ès leur premier sommet à Ram-bouillet (France) en 1975, dans un contexte de crise énergéti-

que, les pays du G5 puis du G7 ont jugé nécessaire « de coopérer afin de réduire notre dépendance vis-à-vis de l’énergie importée par la conservation et le développement de sources alter-natives » (Communiqué du G7, 1975). Lutter contre la pollution atmosphéri-que est devenu dès 1979 un engage-ment collectif du G7, qui décidait de « développer d’autres sources d’éner-gie et plus particulièrement celles grâce auxquelles il sera plus facile d’empê-cher l’accroissement de la pollution » (Communiqué du G7, 1979). Le G7

puis le G8 ont par la suite systémati-quement souligné l’importance de sta-biliser les émissions de dioxyde de car-bone dans l’atmosphère. À partir de 1987, des engagements précis, identi-fiables et mesurables ont été pris pour protéger l’environnement des émis-sions de CO2. Les dirigeants ont ainsi reconnu leur responsabilité collective à encourager « les efforts visant à faire face efficacement aux problèmes d’en-vironnement de portée mondiale, tels que la diminution de l’ozone stratos-phérique, les modifications climatiques, les pluies acides, les espèces menacées, les substances dangereuses, la pollu-tion aérienne et la pollution des eaux,

et la destruction des forêts tropicales » (Communiqué du G7, 1987).

DU DISCOURS À LA RÉALISATION. Pour juger de la performance globale du G7, devenu G8, sur la question du change-ment climatique, on peut observer à la fois le nombre d’engagements pris et leur niveau de mise en œuvre. De 1987 à 2007, le G7 puis le G8 a pris 167 engagements normatifs dans le domaine du changement climatique, dont plus de la moitié (54  %) entre 2005 et 2007. Le G8 de 2007 a pris, à lui seul, 41 engagements couvrant à la fois les émissions de gaz à effet de serre (GES), les transferts de technologie,

G6, G7, G8... LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LE CLIMAT>

Page 247: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 249

INSTITUTIONS

la protection du climat et l’importance de protéger les forêts en tant que puits de carbone.Mesurer le respect effectif de ces enga-gements a intéressé tant les écono-mistes que les politologues. En 1991, George von Furstenberg et Joseph Daniels ont commencé à suivre la mise en œuvre par les membres du G7 de leurs engagements en termes éco-nomiques et énergétiques, l’estimant relativement bonne pour la période 1975-1989. Ella Kokotsis a poursuivi cet effort à partir de 1999, se concen-trant sur l’ensemble des engagements en matière de développement dura-ble, dont le climat, pour aboutir à un niveau de mise en conformité de 34 %. Le Groupe de recherche G8 de l’Uni-versité de Toronto a continué depuis à mesurer la mise en œuvre des enga-gements en termes de changement cli-matique, l’estimant globalement à 52 % depuis 1996. Le plus grand mouvement de mise en conformité avec les engage-ments liés au climat a fait suite au som-

met de Gleneagles en 2005 : 80 % des engagements pris ont été tenus par les pays du G8.Le degré de mise en conformité avec ces engagements varie en fait beaucoup selon les pays. Le Royaume-Uni, l’Alle-magne, le Japon et le Canada ont glo-balement fait des efforts supérieurs à la moyenne des pays du G8 : respecti-vement 70 %, 65 %, 59 % et 55 %. La France se situe à la moyenne (50 %), les États-Unis, la Russie et l’Italie attei-gnent respectivement 37 %, 30 % et 38 %. L’été dernier lors du sommet d’Hokkaido au Japon, le G8 a réaf-firmé son engagement en matière de lutte contre le changement climatique, soulignant dans un document séparé sa détermination « à parvenir à une stabi-lisation des concentrations atmosphéri-ques des gaz à effet de serre à l’échelle de la planète, conformément à l’objec-tif ultime visé à l’article 2 de la Conven-tion et dans un délai compatible avec la croissance économique et la sécu-rité énergétique » (Environnement et

changement climatique, Déclaration des chefs d’État et de gouvernement du G8, 2008). Plus encore, les chefs d’État ont entériné la proposition japonaise Cool Earth, fixant comme objectif de réduire d’au moins 50 % les émissions mondiales d’ici 2050, soulignant qu’at-teindre un tel objectif « ne sera possible que grâce à la détermination commune de toutes les grandes économies ».

VOLONTÉ POLITIQUE. En prenant ces engagements chiffrés et datés, le G8 d’Hokkaido a réaffirmé sa volonté de répondre aux défis climatiques. Il recon-naît ainsi la nécessité de plans natio-naux basés sur des objectifs concrets à moyen terme et prenant à bras le corps un large panel de problèmes – des tech-nologies sans carbone à l’efficacité énergétique en passant par des méca-nismes durables d’échange des droits à émettre. Reste à mesurer combien de ces engagements auront été concréti-sés d’ici au prochain sommet qui aura lieu en Italie en 2009. n

> G8 : DES EFFORTS À GÉOMÉTRIE VARIABLE

États du G8G8 + 5

Respect des engagements pris à Heiligendamm par le G8, évaluation de juillet 2008

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2008

Source : The G8 Research Group, The G8 and Climate Change since Heiligendamm. Final Compliance Report for the G8 and Outreach Five Countries, LSE-Oxford, 3 juillet 2008, www.g8.utoronto.ca

stabiliser la concentration

production

consommation

Soutenir l'adaptation au changement climatiquedans les pays en développement

réduire les émissions en limitant la déforestation

UE

AllemagneJapon

France

Canada

Roy.-Uni

États-UnisItalie

RussieChine

MexiqueBrésil

Inde

Afr. du Sud

Promouvoir les énergiesmoins émettrices

Gaz à e�et de serrre

États du G8G8 + 5

Mise en conformité totale (budgets et programmes en place)

Aucune mise en conformité(hors discours ou déclaration d'intention)

Mise en conformité partielle

G6, G7, G8... LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LE CLIMAT

REPÈRE 4G8

Page 248: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009250

ÉCHANGES

4 963

5 118

-155

4 532

4 633-101

2 355

290

381

2 838

282

378

-677

1 678

426

645

3 278

363

430

135

264

439

81

52

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Solde du commerce de marchandises par région, 2006 (en milliards de dollars)

Source : OMC, International Trade Statistics 2006, www.wto.org

Amériquedu Nord

Amériquedu Sudet centrale

Europe

UE (25)

CEI

Afrique

Moyen-Orient

Asie

ImportationsExportations

Solde

UN SUD EXCÉDENTAIRE>

A ujourd’hui, l’essentiel de la crois-sance du commerce se fait entre et avec les pays dits en dévelop-

pement. Tiré par l’essor de la Chine, le commerce avec le « Sud » a ainsi qua-siment doublé en proportion du PIB des pays de l’OCDE ces dix derniè-res années. Plus encore, ces échanges concernent maintenant des produits transformés, entrant plus directement en concurrence avec les produits manu-facturés des pays développés. Dans le cas chinois, ces produits sont fabriqués à un taux salarial représentant à peine 4 % de celui des pays de l’OCDE. À titre de comparaison, le salaire des dragons asiatiques s’établissait dans les années 1990, à environ 25 % du salaire américain dans le secteur manufactu-rier selon le Bureau international du travail. Pour ces raisons, la montée en gamme des exportations de masse des produits du Sud a un effet sur les salai-res des pays importateurs sans compa-raison avec ce que l’on connaissait dans les années 1980 et 1990. Ce qui expli-que sans doute pourquoi dans les enquê-tes d’opinion sur la mondialisation, les bas salaires des pays émergents arrivent maintenant en tête des préoccupations de l’électorat des pays riches.

L’EXCEPTION EUROPÉENNE. Le poids du commerce avec la Chine est plus spécialement pointé du doigt dans le creusement des inégalités salaria-les observé depuis un peu moins de dix ans aux États-Unis et, dans une moindre mesure, en Europe. Là où les

COMMERCE L’HEURE DU SUD ?économistes balayaient l’argument en montrant que le commerce internatio-nal ne contribuait que marginalement (entre 2 et 7 % selon les études) au creu-sement de l’écart entre salaires quali-fiés et salaires non qualifiés, l’embarras, la prudence et parfois même l’autocri-tique prédominent aujourd’hui. Pour autant les économistes du commerce se gardent bien en général de promou-voir le protectionnisme et continuent au contraire de souligner les vertus de l’ouverture, de la spécialisation et de l’in-

1996 2004

Haut 14 31Moyen-

haut 31 28

Moyen 22 18

Faible 34 23

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Source : Compilation de Tancrède Voituriez (Iddri) d'après OCDE, ITS database.

>

Degré de technologie des produits manufacturés chinois, 1996-2004(en % du commerce de marchandises)

TECHNO-CHINE

novation. Simplement ils évitent doréna-vant de traiter avec condescendance le sort des perdants. Notons que l’Europe jouit dans ce contexte d’une position plutôt avanta-geuse : protégée par le volume de son marché intérieur – lequel représente jusqu’aux trois quarts du commerce de ses pays membres –, elle dispose d’une capacité d’absorption du choc des importations à bas salaires (dont l’effet est proportionnellement plus ténu) qu’on ne rencontre pas aux États-Unis. n

En moins de dix ans, la part des produits de haute technologie a plus que doublé dans les exporta-tions chinoises, signalant l’émer-gence d’une Chine en concur-rence de plus en plus directe avec les pays développés.

Page 249: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 251

ÉCHANGES

3 051

72

33

111

905

1 63880

73

340366

314

62

111

7021

42

148

120

129

604

246 142

5046

24

72

430

279

86

22

80135

708

69107

67

103

Unioneuropéenne

Europe3 6513 651

Am.du Nord

Asieet Océanie

Afrique

Moyen-Orient

Amériquedu Sud

et centrale

CEI

Europe UE Asie AfriqueAmériquedu Nord

Moyen-Orient

Amériquelatine

intrarégional (surface des cercles)

Commerce de marchandises, 2006 (en milliards de dollars)seules les valeurs supérieures à 20 milliards sont représentées

interrégional(épaisseur des �èches)

Les �èches ci-dessous permettent de comparer les �ux interrégionaux (�èches sur la carte) avec les �ux internes à chaque région qui, pour des raisons de lisibilité, ont été représentés en cercles proportionnels sur la carte.

CEI

Source : OMC, International Trade Statistics 2006, www.wto.org

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UN COMMERCE TRIPOLAIRE>

L’Union européenne est protégée par la taille de son marché intérieur des effets négatifs de la croissance commerciale de la Chine. Malgré des progrès importants durant la der-nière décennie, l’Afrique reste la région la plus marginalisée dans les échanges.

REPÈRE 5COMMERCE

Page 250: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009252

ÉCHANGES

OMC PROMESSESET MARCHANDAGES

octobre 1947

avril-août1949

sept. 1950avril 1951

janvier - mai 1956

1er CYCLEGENÈVE

104 accords de réduction des droits de douane.

23 pays

2e CYCLEANNECY

147 accords de réduction des droits de douane.

33 pays

3e CYCLETORQUAY

Réduction des droits de douane de 25 % par rapport au niveau de 1948, une centaine d’accords.La République fédérale d’Allemagne entre au GATT.

34 pays

4e CYCLEGENÈVE

Réduction des droits de douane,environ 60 nouvelles concessions tarifaires.Le Japon entre au GATT en 1955.

22 pays

5e CYCLEDILLON ROUND

49 accords bilatéraux de réduction des droits de douane(notamment entre la CEE et ses partenaires).

35 pays

6e CYCLEKENNEDY ROUND

• Réduction des droits de douane de 35 %• Mesures anti dumping• Mécanismes préférentiels jugés insuffisants par les PED.

48 pays

7e CYCLETOKYO (OU NIXON) ROUND

• Réduction des protections tarifaires de 34 %• Mesures non tarifaires• Mise au point des codes anti dumping.

99 pays

8e CYCLEURUGUAY ROUND

• Réduction des droits de douane• Mesures non tarifaires• Agriculture• Services• Droits de propriété intellectuelle• Préférences commerciales pour les PED.

125 pays

sept. 1960 juillet 1962

mai 1964 juin 1967

sept. 1973 avril 1979

sept.1986 avril 1994

janvier2002…

9e CYCLEDOHA ROUND

Baptisé « cycle du dévelop-pement », il devait durer trois ans. Les négociations continuent…

151 pays

DOHA, LE CYCLE DE TROP ?

GAT

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1er

janv

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995

E n dépit de leur engagement solen-nel de faire du cycle de négocia-tion commercial inauguré à Doha

en 2001 un « cycle du développement » (Development Round), les pays membres de l’Organisation mondiale du com-merce (OMC) peinent toujours à débou-cher sur un accord de libéralisation favorable aux pays pauvres. Derrière ces difficultés perce l’excès d’enthou-siasme et d’opprobre dont le com-merce continue de faire l’objet. La libé-ralisation commerciale souffre d’avoir été mise en place trop rapidement et

d’avoir été trop vite promue comme la solution la plus efficace aux maux du développement – pauvreté, faible pro-ductivité, faible croissance. Si les modè-les mathématiques annoncent que les pays en développement sont gagnants quels que soient les scénarios présents sur la table des négociations, le détail des simulations montre que le montant des gains ne dépasse pas le demi-point de PIB. Surtout, ces gains se concen-trent parmi les pays riches et quelques pays en développement. Rebaptiser le cycle du développement « cycle des

pays riches » ou « cycle des pays émer-gents » n’était évidemment pas envisa-geable ; mais au final ce sont bien les plus riches des pays pauvres et les plus riches des pays riches qui devraient tirer le plus grand profit de la libéralisation, selon la plupart des estimations.

INTÉRÊTS ÉMERGENTS. Le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud – la Chine se tenant scrupuleusement en retrait jusqu’aux tous derniers jours de la Conférence de juillet – ne s’y sont pas trompés. Offen-sifs sur le volet agricole, plus défensifs

La régulation multilatérale du commerce a juste soixante ans et sa forme institutionnelle permanente, l’OMC, n’a pas quinze ans. Historiquement comprises comme le moyen de soutenir la croissance économique globale, ces négociations sont aujourd’hui suspectées par l’ensemble des acteurs de remettre en cause leur autonomie dans un contexte de compétition accrue.

Page 251: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 253

ÉCHANGES

Subv

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Bien

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riels

Serv

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États-Unis

Union européenne

Australie, Chili, Nouvelle Zélande,

Afrique du Sud

Japon, Corée du Sud, Taiwan, Suisse, Norvège

Brésil, Argentine

Chine

Inde

Pays en développement

Pays les moins avancés

o�ensive

Position lors des négociations commerciales de l’OMC

défensive

les deux

Agriculture

CRISPATION AGRICOLE>

Atel

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o, ju

illet

200

8

Source : D'après une présentation de Marcos S. Jank « Agriculture : A Problem or A Solution ? », séminaire Regionalism and Multilateralism : The Latin American Experience, 6e réunion ministérielle de l'OMC, Hong-Kong, décembre 2005, Institute for International Trade Negotiation.

50

100

150

200

1948 1977 1991 2003 2008

44 47

205

222

Nombre d'accords commerciaux régionaux noti�és au GATT/OMC

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200

8

Source : OMC, Regional Trade Agreements : Facts and Figures, www.wto.org

EXPLOSION DU BILATÉRAL>

DOHA, LE CYCLE DE TROP ?

sur les biens non agricoles (en anglais, les « nama » pour non agricultural mar-ket access) et les services, ils ont très tôt réussi à organiser les négociations autour de l’agriculture, faisant de la libé-ralisation de ce secteur le préalable à tout accord global. Cette exigence a paru légitime du fait même de l’intitulé du cycle de négociation. Le protection-nisme et les subventions agricoles des pays de l’OCDE étaient depuis 2001 désignés comme injustes et contrai-res à l’intérêt des producteurs des pays en développement, sans parler des consommateurs européens. Premiers perdants d’un ajournement de la libéra-lisation du commerce agricole, ces trois pays n’ont eu de cesse de relancer les pourparlers depuis l’échec de la confé-rence ministérielle de Cancun en 2003, alors que Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, semblait prêt à y renoncer. Les pays émergents – Inde en tête – ont rapi-dement fait valoir qu’ils préféraient ne pas obtenir d’accord plutôt que de signer un texte qui serait néfaste pour le déve-loppement (« no deal better than a bad deal »). Les pays riches, de leur côté, ont adopté une position assez semblable – d’où l’ajournement incessant des discus-sions –, en arguant du fait que leur géné-rosité envers les pays pauvres n’était pas récompensée et que l’un des premiers obstacles au développement restait le protectionnisme des pays du Sud.

DÉSACCORD TENACE. En réalité deux logiques se sont affrontées : la logique européenne et américaine de la négo-ciation, selon laquelle les pays en déve-loppement devaient accepter d’ouvrir davantage leurs secteurs industriel et des services, en échange d’un accès

accru au marché agricole des pays riches et à une baisse des subventions agricoles chez ces derniers ; la logique des pays émergents, de l’autre, selon laquelle réparation devait leur être apportée après l’inéquité des précé-dents cycles de négociation – le cycle d’Uruguay (1986-1994) ayant notoire-ment négligé, selon eux, les secteurs d’intérêt des pays en développement

(agriculture en premier lieu) et privilé-gié les secteurs ou sujets d’intérêt des pays riches (services, propriété intel-lectuelle). La conférence de Genève, convoquée en urgence par Pascal Lamy en juillet 2008 pour tenter de débloquer les négociations une dernière fois avant l’élection présidentielle américaine, a montré l’incompatibilité tenace de ces deux logiques. n

L’enlisement des négociations multilatérales a soutenu l’ex-plosion du nombre des accords commerciaux bilaté-raux et régionaux, au bénéfice des pays les plus puissants.

REPÈRE 6OMC

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009254

ÉCHANGES

CARBONE, EAU, DÉCHETS… LES FACES CACHÉES DU COMMERCE INTERNATIONAL

L ’expansion des échanges de biens, de capitaux et de personnes consti-tue le moteur de la mondialisation.

Jusqu’à très récemment, seul le volume de ces échanges était pris en compte par les analystes. Aujourd’hui, avec l’inté-gration de la notion de développement durable, les études sur l’impact environ-nemental du commerce international se multiplient, s’intéressant autant aux volumes échangés qu’à leur qualité, leur mode de production, l’énergie dépen-sée ou les émissions de carbone géné-rées. Les recherches s’intéressent aussi à l’exploitation des ressources naturel-les liée au commerce, notamment aux ressources rares, comme l’eau, utilisées dans la production des biens échangés. Enfin, l’approche en termes de cycle de vie des produits amène à rassembler des données sur ce que deviennent les produits en fin de vie, les volumes de déchets échangés ou sur la part du recy-clage dans les échanges.

LE CARBONE CACHÉ. Les échanges inter-nationaux sont directement polluants pour l’environnement. Ils sont en effet à l’origine d’émissions de CO2 à la fois lors de la production et du transport de biens. Cette pollution a un impact global

sur le climat et nuit à tous les consomma-teurs, qu’ils soient proches ou éloignés du lieu de production des biens qu’ils achètent. Ainsi plus de 20 % (5 gigaton-nes) des émissions mondiales sont liées aux échanges internationaux de biens. Alors que les pays du Nord s’engagent à réduire leurs émissions de CO2, les évaluations montrent que l’ensemble

des pays de l’annexe B du protocole de Kyoto – qui ont convenu d’un objectif de réduction des émissions  – impor-tent près de 25 % de leurs émissions de CO2. En privilégiant des approvision-nements bon marché mais lointains, ils deviennent ainsi importateurs nets de carbone. Dans les pays émergents ou en transition, non contraints par le

Afriquedu Sud0,4

Brésil0,5

Turquie0,4

Russie3,4

Norvège

Chine6,8

Pays en développement 8 premiers (carte)12,6 17,8

Total

Indonésie0,2

Thaïlande0,2

Inde0,7

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8

CO2 émis par les importations de la Norvège en provenance de quelques pays en développement, 2006 (en millions de tonnes)

Source : Rasmus Reinvang et Glen P. Peters, Norwegian Consumption, Chinese Pollution. An Example of How OECD Imports Generate CO2 Emissions in Developing Countries, WWF, Norwegian University of Science and Technology, janvier 2008.

NORVÈGE : CE CARBONE VENU D'AILLEURS>

70 % des émissions de car-bone imputables aux impor-tations de la Norvège pro- viennent de pays en déve-loppement, notamment de la Chine.

Page 253: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 255

ÉCHANGES

protocole de Kyoto, les exportations sont responsables de plus de 25 % des émissions. Les études tendent à mon-trer que la part des échanges dans les émissions de CO2 est moins importante dans les pays de grande taille (États-Unis, Russie, Chine) que dans les petits pays (Pays-Bas, Taiwan), dont les pro-ductions nationales ne couvrent qu’une faible partie des besoins.Le carbone contenu dans les échanges peut venir annuler les efforts domesti-ques de réduction des émissions. Ainsi la Norvège, qui a notablement stabilisé ses émissions nationales de carbone (55 à 57 millions de tonnes par an depuis le début des années 2000), voit croître très fortement les émissions incluses dans les produits qu’elle importe (33 à 39 millions de tonnes de 2001 à 2007). Dans le cas norvégien, près de 70 % du carbone « importé » provient de pays en développement.

UNE EAU RARE QUI CIRCULE. Parmi les ressources naturelles nécessaires à la vie humaine, l’eau est sans doute la plus irremplacable. La croissance de la population, la fonte des glaciers, le réchauffement des sols contribuent à en faire une ressource rare et recher-chée. Aucun discours sur le dévelop-pement durable n’omet d’indiquer qu’il faut l’économiser et en protéger la qua-lité. Un aspect moins connu de la ges-tion de l’eau est directement lié au com-merce : il faut souvent beaucoup d’eau pour produire des biens de consomma-tion – 1 160 litres pour un kilogramme de blé, 3 500 litres pour un kilogramme de bœuf et 8 000 litres pour une paire de chaussures. La production agricole végétale est la première consommatrice d’eau, et le commerce de produits agricoles se tra-duit donc par des exportations d’eau. Beaucoup de grands pays agricoles (États-Unis, Brésil, Argentine, Austra-lie) sont ainsi exportateurs nets d’eau. La question de la durabilité de ce modèle

Part du commerce dans les émissions de CO₂ (en %)part des importations part des exportations

39,1

21,3

22,7

25,3

14,5

26,5

27,6

26,4

8,3

19,4

19,7

31,7

40,0

13,1

21,9

28,5

31,4

24,4

31,4

27,5

44,6

58,1

37,9

38,8

41,0

29,8

41,8

39,1

36,6

15,6

23,9

18,9

28,8

36,9

6,2

12,5

15,1

14,9

6,6

12,4

5,9

6,4

Pays-Bas

Royaume-Uni

France

Allemagne

Japon

Italie

Corée du Sud

Espagne

États-Unis

Mexique

Brésil

Canada

Taiwan

Inde

Pologne

Biélorussie/Ukraine

Australie

Chine

Indonésie

Russie

en gras : les pays de l'annexe B pour qui le protocole de Kyoto spécifiait des objectifs de réduction chiffrés des émissions.

Afrique du Sud

6 006,9

1 502,8

1 291,0

892,2

618,6

547,7

509,9

475,1

363,3

351,6

309,8

305,7

204,5

3 289,2

1 024,8

397,7

389,9

323,7

321,0

305,4

247,9

25,3

21,5 (moy.)21,5 (moy.)

Émissions totales de CO₂ (en millions de tonnes)

Pays de l'annexe B 14 616,718,924,5

Pays hors annexe B 10 138,917,2

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8

Source : Glen P. Peters et Edgar G. Hertwich, CO₂ Embodied in International Trade with Implications for Global Climate Policy, Industrial Ecology Programme, Norwegian University of Science and Technology, décembre 2007.

LE COMMERCE, CARBONE COMPRIS>

Les échanges de biens comptent pour 20 % des émissions de carbone. La part des pays développés ou émergents, les plus engagés dans le commerce international, est très importante dans ces émissions.

REPÈRE 7CARBONE, EAU, DÉCHETS

...

Page 254: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009256

ÉCHANGES

Produits agricoles hors élevage

Produits d’élevage

Produits industriels

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Source : Water Footprint Network, www.waterfootprint.org

importations nettes

exportations nettes

Eau contenue dans les échanges de produits (en millions de m3 par an)

61 50024 00012 000

3 400340

L'EAU : À LA SOURCE DU COMMERCE>s’impose quand les pays exportateurs nets d’eau sont aussi des pays qui souf-frent de sécheresse chronique, ont du mal à approvisionner leur population en eau potable ou sont dépendants de leurs voisins pour leurs ressources hydro-liques. Une majorité de pays du Sud, notamment les pays africains ou asiati-ques, sont exportateurs nets d’eau, alors que l’Europe de l’Ouest, malgré l’impor-tance de son agriculture, importe plus d’eau par le biais des produits agrico-les qu’elle n’en exporte. On dit ainsi que l’eau du Colorado sert à nourrir les consommateurs allemands. L’exporta-tion d’eau à travers l’échange de pro-ductions animales ou de biens indus-triels, activités moins gourmandes en eau, signale néanmoins la spécialisa-tion d’un petit nombre de pays.

DANGEREUX OU RECYCLABLES. On estime entre 2,5 et 4 milliards de tonnes la pro-duction annuelle mondiale de déchets. Malgré l’existence de la convention de Bâle sur le commerce de déchets dan-gereux, en vigueur depuis 1992 et signée par 165 pays, les données sur l’ampleur des échanges en la matière restent par-tielles. Près de 70 % des pays signatai-res ne fournissent pas d’informations sur les flux entrants ou sortants. Le peu de données disponibles signalent pourtant une forte progression des échanges : 2 millions de tonnes en 1993 à 8,5 mil-lions de tonnes en 2001 pour les 50 pays déclarants. En Asie, devenue l’atelier de

La circulation de l’eau liée à la production de biens révèle d’abord la spécialisation des pays : agriculture irriguée, éle-vage, production de biens manufacturés. L’allocation n’est cependant pas toujours res-pectueuse des ressources en eau disponibles dans ces pays.

...

Page 255: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 257

ÉCHANGES

production de biens manufacturés du monde, la production de déchets dan-gereux a pris une ampleur sans précé-dent et les flux des pays les plus déve-loppés (Japon, Taiwan, Singapour) vers les pays les moins développés d’Asie (Malaisie, Indonésie, Corée du Sud) se sont notablement renforcés. Le commerce de déchets recyclables s’est lui aussi beaucoup accru en Asie. Pour les pays les moins développés, l’im-portation de déchets constitue en effet une source de matériaux (aluminium, plomb, plastiques, papier) meilleur mar-ché que de véritables matières premiè-res et de meilleure qualité que leurs pro-pres déchets nationaux. Ce commerce est souvent considéré comme un moyen de réduire la pression globale sur les res-sources naturelles. En juin 2004, sur proposition japonaise, le G8 a adopté l’initiative 3R visant à réduire, réutiliser et recycler les déchets, notamment en proposant une réduction des barrières tarifaires sur leurs flux. Le Japon a déjà passé des accords bilatéraux favorisant les échanges de déchets avec la plupart de ses voisins. Ces accords dépassent souvent les seuls déchets recyclables et posent des ques-tions sur la capacité des pays récipien-daires à traiter des déchets dangereux comme les composants électroniques et les déchets chimiques ou médicaux. n

La circulation des déchets en Asie est le reflet des flux de marchandises entre les pays. Les pays les plus dévelop-pés sont exportateurs nets de déchets dangereux ou recy-clables. Les pays en voie d’in-dustrialisation rapide (Chine, Inde, Malaisie, Corée du Sud) sont les premiers importa-teurs de déchets recyclables, qui leur fournissent des matiè-res premières bon marché.

113

814

796

979336

4 665 407

607

59

259

10 921

3 622

328

428

12 151

2 831

3 163

5 066

5973 224

31 774

9 360

Indonésie

Malaisie

Philippines

Taiwan

Coréedu Sud

Hong Kong

Chine

Thaïlande

Singapour

Inde

Japon

1 000 km

27

14 597

93 306

2361

14 354

122

2 100

3 971

1 847

305 398

240 220

44 190

2 841

Taiwan

Japon

Corée du Sud

Malaisie

Singapour

Thaïlande

Chine

Indonésie

ImportationsExportations

ImportationsExportations

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8

Sources : Compilation du professeur Yoshida, Université de Hokkaido (Japon) d'après World Trade Atlas, ministère Japonais de l'Environnement, The Second Workshop on Asian Network for Prevention of Illegal Transboundary Movement of Hazardous Wastes, 23 novembre 2005 ; sites internet des ministères de l'Environnement de chacun des pays cités.

Commerce de déchets dangereux(réglementé par la convention de Bâle),2004* (en tonnes par an)

Flux transfontaliers de déchets recyclables,en 2004 (en milliers de tonnes par an)

* dernières données disponibles entre 2001 et 2004.

ASIE : DES DÉCHETS DE VALEUR>

REPÈRE 7CARBONE, EAU, DÉCHETS

Page 256: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Sources : compilation de Clémence Mallatrait (Clesid, Lyon II) et Isabelle Biagiotti (Courrier de la planète).

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009258

TERRITOIRES

1964-1975. L’utilisation de défoliant pendant la guerre du Viêtnam met en lumière les conséquences environnementales des conflits armés.

1987. Le Rapport Brundtland popularise le concept de développement durable et définit la sécurité comme un « produit de la durabilité de l’environnement ».

1989. Les États-Unis créent l’Army Environmental Policy Institute qui travaille sur la notion de sécurité environnementale nationale.

1990. Selon le premier rapport du GIEC, des millions de personnes pourraient être déplacées par l’érosion du littoral, les inondations côtières et les bouleversements agricoles.

1992. Sommet de la Terre à Rio : 188 États signent la Convention sur la diversité biologique et adoptent la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, laquelle reconnaît une responsabilité commune différenciée entre États du Nord et du Sud dans la concentration des gaz à effet de serre.

1994. Le Rapport sur le développement humain du PNUD définit la sécurité humaine globale comme recouvrant l’économie, l’alimentation, la santé,

l’environnement, l’intégrité de la personne, le respect des communautés et les libertés politiques.

1996 à 2000. Sous la direction de Lloyd Axworthy, le Canada se veut précurseur d’une politique de sécurité humaine, basée sur la redéfinition des risques dans un monde globalisé.

1997. Le sommet de Kyoto sur les changements climatiques cherche un processus conciliant réduction des émissions de CO2 et d’autres GES avec la croissance économique, notamment pour les pays les moins avancés (PMA).

1999. Sous l’impulsion du Canada et du Japon, le G8 s’engage à lutter contre les causes multiples de l’insécurité humaine.

2001. Le 3e rapport du GIEC fait le lien entre l’émission des GES et le dérèglement climatique, soulignant l’origine anthropique du changement climatique.

2001. Le Conseil de sécurité débat des implications du sida pour la sécurité internationale. C’est la première fois qu’une question sanitaire est discutée dans cette enceinte.

2002. L’ONG internationale Institute for Environmental Security, basée à La Haye, est

créée pour travailler sur les liens entre sécurité et préservation des capacités de régénération des écosystèmes.

2004. Le conseiller scientifique de Tony Blair, Sir David King, fait du changement climatique le plus grave problème de l’époque et la priorité du Royaume-Uni.

2006 La sous-commission des Nations unies pour la promotion et la protection des droits de l’homme recommande la création d’un poste de rapporteur pour les États disparus pour raison environnementale.

2007. Un think tank militaire américain, la CNA Corporation, publie un rapport faisant du climat une question de sécurité nationale : National Security and the Threat of Climate Change.

2007. Le Royaume-Uni, présidant pour un mois le Conseil de sécurité des Nations unies, initie le premier débat sur le réchauffement climatique dans cette enceinte, malgré l’opposition des États-Unis, de la Chine et du Pakistan.

2007. La Grèce prend la présidence du Human Security Network, et introduit l’impact du changement climatique sur la sécurité humaine comme priorité pour ce réseau d’États créé en 1999 pour lutter contre les mines antipersonnel.

2007. Le Conseil consultatif allemand sur le changement global (WBGU) présente au gouvernement son rapport Climate Change as a Security Risk.

2007. L’OMS publie la première étude de l’impact des facteurs environnementaux sur la santé : pollution, eau non potable, radiation, ultraviolet et changement climatique causent 13 millions de décès chaque année.

2007. Le PNUE publie un rapport liant le conflit au Darfour avec le changement climatique. La surexploitation des ressources naturelles et le réchauffement ont réduit de 70 % la productivité agricole du pays et entretiennent la déforestation galopante.

2007. Le prix Nobel de la paix est décerné conjointement au GIEC et à Al Gore pour leur travail de sensibilisation aux questions de changement climatique.

2008. Une étude de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime réaliste le chiffre d’au moins 250 millions de migrants climatiques forcés en 2050, soit 1 habitant du monde sur 45.

CLIMAT MONTÉE DES EAUX, VIDE JURIDIQUE

Parmi les conséquences du réchauf-fement climatique envisagées par le GIEC, la hausse du niveau des

mers est sans doute la plus perceptible partout dans le monde. Elle est directe-ment due à l’augmentation des tempéra-tures moyennes qui dilate l’eau de mer et accélère la fonte des glaciers et des pôles

(lire repère 9). Au cours du xxe siècle, les mers se sont élevées d’une vingtaine de centimètres mais le rythme de cette évo-lution s’accélère : 3,1 mm par an depuis 2003, contre 1,8 mm de 1961 à 2003. La montée des eaux est une menace directe pour la population des petites îles et des littoraux très peuplés. Elle est d’autant

plus inquiètante qu’aujourd’hui près de la moitié de la population mondiale vit à quelques kilomètres des côtes. Selon les travaux du GIEC, la pour-suite de cette montée est certaine mais devrait être lente et inégale selon les régions et les caractéristiques géolo-giques des côtes. Il est néanmoins très

SÉCURITÉ, SÉCURITÉ HUMAINE, SÉCURITÉ CLIMATIQUE>

Page 257: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 259

TERRITOIRES

Inde

Bangladesh

Viêtnam

Sénégal

Gambie

Nigeria

Côte d’Ivoire

Tanzanie

Bahamas

Maldives

Marshall

Tuvalu

Égypte 2 100

6 000

92

850

1 800

2 126

10 800

25 000

181

298

26

36 000

11 000

-

--

80 000

400 000

10 000 000

26 000 000

60 000 000

3 000 000

42 000

180 000

12 000 00012

0,8

1,6

1,5

5

14

1

100

100

100

90

-

- absence de donnée

-

-

Sources : ONU, http://data.un.org ; Rapport spécial du GIEC, Incidences de l'évolution du climat dans les régions : évaluation et vulnérabilité - Afrique, 2007, www.grida.no ; Rapport spécial sur les impacts régionaux du changement climatique par le GIEC ; Rapport du Groupe de travail II sur les impacts, l'adaptation et la vulnérabilité du changement climatique, ww.ipcc-wg2.org/

Superficie menacée

en km²en %

de la populationen nombre

de personnes

Population touchée

DES PAYS EN SURSIS

Cas de quelques territoires touchés par l'élévation du niveau de la mer d'un mètre

>

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probable qu’on atteigne une augmenta-tion moyenne du niveau de la mer d’un mètre en 2100. Un tel bouleversement serait alors directement responsable de la migration de près de 200 millions de personnes. Des archipels, des villes et des régions pourraient ainsi entièrement dis-paraître. Si les pays industrialisés sem-blent en mesure de financer des mesu-res d’adaptation à ce bouleversement annoncé, ce n’est pas le cas de pays pau-vres ou de petites îles dont une grande partie, voire la totalité, du territoire peut être menacée.

ECORÉFUGIÉS. L’ «  eustatisme  », terme scientifique désignant la variation du niveau des mers, ne constitue que l’une des conséquences attendues des chan-gements climatiques. La modification des conditions de production agricole pour-rait aussi provoquer des mouvements de population. Le GIEC s’attend ainsi à voir les rendements de l’agriculture non irri-guée se réduire de près de 50 % dans certains pays africains d’ici 2020. Outre la question du financement de l’adapta-tion (lire repère 17), les bouleversements climatiques attendus posent donc des problèmes politiques et juridiques. Les conséquences des déplacements à l’in-térieur des frontières et des migrations vers d’autres pays deviennent de véri-tables enjeux sécuritaires pour les États, comme en témoigne la multiplication des rapports et prises de positions ces der-nières années. Il n’existe cependant, pour l’heure, aucun statut juridique pour proté-ger ces « écoréfugiés » ou « réfugiés de l’environnement », dont le nombre n’a de cesse de croître. On ne sait pas davantage ce qu’il adviendrait légalement des ressor-tissants d’un pays qui disparaîtrait « pour des raisons environnementales ». n

Depuis l’estimation faite en 2001 par la Croix-Rouge internatio-nale dénombrant 25 millions d’ « écoréfugiés », on tend à parler de « réfugiés climatiques » alors qu’il est probable que la plus grande partie des mouvements de population a lieu au sein même des pays. Seule la disparition totale de petits États insu-laires créerait en droit international des « réfugiés ». En 2008, l’OIM propose le terme de « migrant climatique forcé ».

REPÈRE 8CLIMAT

Page 258: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009260

TERRITOIRES

La fonte constatée de l’Arctique (20 % de moins depuis les années 1970) permet aujourd’hui d’envisager l’ex-

ploitation de la zone. En effet, consé-quence du réchauffement des eaux maritimes, les routes restent ouvertes plus longtemps tandis que de nouvel-les voies apparaissent, offrant des alter-natives plus courtes aux gros transpor-teurs. Par le pôle Nord, l’Asie n’est ainsi plus qu’à 13 000 km de l’Europe

(contre 21 000 km par le canal de Suez). On espère aussi beaucoup des ressour-ces géologiques de la région, notamment des réserves d’hydrocarbures estimées à 10 % des réserves mondiales, soit 9 mil-liards de tonnes de gaz et pétrole. De grands groupes pétroliers se lancent dans la course à l’or noir arctique : le Danemark a délivré une licence d’ex-ploitation du Groenland à Encana Cor-poration, un groupe pétrolier canadien ;

les États-Unis veulent exploiter leur zone maritime (protégée) en Alaska ; la Norvège développe un projet d’exploi-tation du gaz en mer de Barents. Tous comptent sur l’augmentation des cours du pétrole pour financer les surcoûts liés à l’intervention dans cette région avec les incertitudes que cela comporte. Le changement climatique tend aussi à pousser les espèces subarctiques à migrer vers le nord, transformant la région arcti-que en nouvelle zone de pêche.Dans la course aux ressources naturel-les, l’ouverture d’une « nouvelle fron-tière » pose des questions environne-mentales et diplomatiques importantes. Les nouveaux passages nord-ouest et nord-est entre Atlantique et Pacifique sont des routes maritimes dangereuses, du fait de leur étroitesse. On s’attend à un grand nombre d’accidents, certains pouvant causer des dommages envi-ronnementaux importants comme des marées noires. L’exploitation de la zone est par ailleurs devenue un enjeu straté-gique majeur pour la Russie, les États-Unis et le Canada. En août 2007, une expédition scientifique russe a planté le drapeau de la Fédération de Russie par 4 200 mètres de profondeur, affir-mant ainsi les droits russes sur les res-sources naturelles présentes sous la banquise. Depuis 2001, la Russie accu-mule les données pour faire reconnaître que le plateau continental russe s’étend jusqu’à la crête de Lomonosow et agran-dir d’autant la zone économique que lui octroie la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (lire repère 11). Les Nations unies ayant fixé à mai 2009 la date limite pour recevoir les argumentai-res, le Canada, les États-Unis et le Dane-mark se positionnent donc à leur tour pour affirmer leurs droits. n

ARCTIQUE QUAND LE CLIMAT OUVRE DE NOUVELLES ROUTES

Écart constaté en avril 2008, par rapport à la normale* (en °C)

- 1 1- 3 3* moyenne d'avril entre 1979 et 2007

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Source : D'après le département américain du Commmerce, NOAA/ESRL, Physical Sciences Division.

UN RÉCHAUFFEMENT LOCALISÉ>

CANADA

RUSSIE

ISLANDE

NORVÈGE

Groenland(Dan.)

Alaska (É.-U.)

Océan Glacial

Arctique

PôleNord

Page 259: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 261

CANADA

RUSSIE

ISLANDE

NORVÈGE

Terre de Ba�n(Can.)

Terre-Neuve(Can.)

Ellesmere (Can.)

Spitzberg(Nor.)

N.-Zemble(Rus.)

Terre du Nord

(Rus.)

Kamtchatka

Groenland(Dan.)

Alaska (É.-U.)

Océan Atlantique

Merde Barents

Merd'Okhotsk

MerBaltique

Baied'Hudson

Océan Paci�que

Océan Glacial Arctique

Détroit de Béring

Détroitde Melville Pôle

Nord

Extension de la banquise au 16 septembre 2007

Extension minimale moyenne de la banquise entre 1979 et 2000

Ouverture de nouvelles voies maritimes navigables en permanence si la calotte glaciaire continue à fondre

CONSÉQUENCES SUBSÉQUENTES :

Questions environnementales : Les passages nord-ouest et nord-est entre Atlantique et Asie sont étroits et di�ciles à pratiquer. On peut s'attendre à des accidents (comme des marées noires) plus fréquents.

Question de la souveraineté territoriale des États : Les eaux des détroits appartien-nent aux eaux intérieures du Canada et de la Russie ce qui s'oppose à la revendication des États-Unis de libre navigation de sa marine. On peut s'attendre à des litiges entre les trois pays.

ENJEUX DE LA FONTE DE LA GLACE EN MER ARCTIQUE :

Réserves possibles d’hydrocarbures : 10 % des réserves mondiales d’hydrocarbures (9 milliards de tonnes de gaz et pétrole) se trouveraient sous les glaces de l’Arctique.

Ressources halieutiques : En raison du réchau�ement climatique, les espèces subarctiques devraient migrer vers le nord.

OPPORTUNITÉ ÉCONOMIQUE OU DANGER ENVIRONNEMENTAL ?>

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Source : Compilation de Clémence Mallatrait (CLESID, Université de Lyon) et Benoît Martin (Atelier de cartographie de Sciences Po) à partir de National Snow and Ice Data Center (NSIDC) http://nsidc.org

TERRITOIRES REPÈRE 9ARCTIQUE

Page 260: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009262

TERRITOIRES

U un cinquième des émissions mon-diales de carbone provient de la déforestation tropicale. On peut

alors espérer que les forêts tropicales seront formellement incluses dans la convention Climat, via le mécanisme REDD (Réductions des émissions issues de la déforestation et de la dégradation).Les négociations autour de ce méca-nisme ont été officiellement lancées lors de la 13e Conférence des parties à Bali en décembre 2007. Le principe est de financer les activités de lutte contre la déforestation (et les émissions asso-ciées) dans les pays en développement pour lutter contre le changement cli-matique. Avec 13 millions d’hectares déboisés chaque année, des émissions carbonées pouvant atteindre quelques centaines de tonnes de CO2 à l’hectare, et des coûts d’action présumés relative-ment faibles (5 à 10 dollars par tonne de CO2), le secteur forestier offre de gran-des possibilités d’action. L’idée du méca-nisme REDD est de valoriser les stocks de carbone forestiers pour compenser les coûts engendrés par la conservation des forêts, en particulier lorsque celle-ci se fait au détriment d’usages agrico-les : palmiers à huile, soja, bétail, café, etc. Trois paramètres principaux déter-minent le niveau et donc la faisabilité de

FORÊTS TROPICALES ET SI LE CARBONE FINANÇAIT LEUR PROTECTION ?

cette compensation : la quantité d’émis-sions évitées, la valorisation de la tonne de carbone stockée et les revenus éco-nomiques procurés par les usages des terres. Si les compensations semblent appropriées pour limiter certains usa-ges extensifs dans des zones peu déve-loppées, il est néanmoins vraisembla-ble qu’elles ne seront jamais en mesure de rivaliser avec des usages industriels intensifs. Il est maintenant question d’étendre le mécanisme REDD aux activités provo-

quant une « dégradation forestière », comme la production industrielle de bois. De fait, l’exploitation forestière est responsable d’une quantité considérable d’émissions. Il est cependant difficile de définir de manière univoque la dégrada-tion, qui constitue un phénomène multi-forme dont les conséquences sont diffé-rentes selon l’objectif visé : lutte contre la déforestation ou conservation. Ainsi, les concessions forestières dans les pays du bassin du Congo, même aménagées durablement, ont tendance à émettre

Répartitions des émissions de gazà effet de serre par source, 2000(en %)

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Source : Compilation de la Stern Review, d'après les données du World Resources InstituteClimate Analysis Indicators (CAIT), www.wri.org

* principalement due à la déforestation tropicale

Déchets

Autres usages

Construction

Industrie

Transports

Agriculture

Utilisation du sol*

Énergie

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18 % DES ÉMISSIONS DE CO2>

1

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revenus économiques(en dollars par hectare)

Valeur accordéeaux stocks de carbone :

FORTE

FAIBLE

Utilisation des espaces forestiers

Usages peu rémunérateurs (agricultureitinérante, certaines plantations forestières, etc.)

Usages ayant de bonnes perspectivesde revenus (monocultures d’hévéa,exploitations forestières commerciales, etc.)

Usages très rémunérateurs (palmiersà huile, soja, rizières irriguées, etc.)

Le stockage de carbone peut-il compenser les usages alternatifs de la forêt ?

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Source : D'après Romain Pirard (Iddri)

AU PRIX OÙ EST LE CO2>

On estime à près de 20 % les émissions de CO2 pro-voquées par la déforesta-tion. Pour certains experts, ce chiffre est très en-deçà de la réalité.

La valorisation du stockage du carbone permettrait d’in-citer à conserver les forêts intactes de certaines activités mais sa rémunération devra être très élevée pour peser sur les activités très rémuné-ratrices comme les planta-tions agroforestières.

Page 261: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 263

TERRITOIRES

forêt naturelle

forêtnaturelle

essertagedéfrichement

culture régénérationnaturelle

reconstitutiondes stocks

essertagedéfrichement

forêtnaturelle

couperase

préparationet plantation

croissancedes arbres

croissancedes arbres

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La dégradation génère des émissions de CO2 de manières di�érentes.

1. Exploitation forestière

2. Culture sur brûlis itinérante

3. Plantations d’arbres à croissance rapide

Temps

Source : D'après Romain Pirard (Iddri)

Neutre

Forêt Non-forêt

Émissionsmodérées

Séquestrationélévée

Séquestrationlente

Émissionsélévées

FORÊTS ET CO2 : DES RELATIONS SAISONNIÈRES>plus de carbone qu’elles n’en absorbent. Pourtant, ces mêmes concessions émet-tent nettement moins que les mêmes étendues déforestées. D’autre part, cer-taines activités, comme la conversion des forêts naturelles en plantations d’ar-bres à croissance rapide ou l’agriculture itinérante sur brûlis par les habitants des forêts, n’entraînent qu’une perte momen-tanée du couvert forestier. Les qualifier comme « dégradation forestière » pour-rait alors permettre de comptabiliser les flux de carbone dans la durée, en tenant compte de leurs caractères cycliques. Limiter les dégradations forestières à leurs seules émissions réduirait de beau-coup l’appréhension du phénomène et les outils de régulation qui pourraient être mis en place.

NÉGOCIATIONS. Ces deux questions – les moyens de valoriser le carbone séques-tré par les forêts pour compenser les revenus agricoles et la définition de la dégradation forestière – sont inscrites à l’agenda des négociations préparatoi-res à la Conférence des parties au proto-cole de Kyoto à Copenhague en décem-bre 2009. Les décisions qui seront prises alors – sur les définitions de la dégrada-tion et de la déforestation, les systèmes de comptabilité des flux de carbone, les moyens de valoriser le carbone forestier, etc. – détermineront dans quelle mesure la lutte globale contre le changement climatique modifiera l’avenir des forêts tropicales. n

Le bilan carbone des activités forestières n’est pas simple à établir. Si les forêts en croissance sont avant tout des puits de carbone et les coupes des sources d’émission, c’est sur le long terme que l’on peut évaluer l’impact sur le climat des modes de gestion des forêts.

REPÈRE 10FORÊTS TROPICALES

Page 262: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009264

TERRITOIRES

Côte120Distance

de la côte(en miles

nautiques)

24 200

CONTINENT

ENSEMBLES GÉOMORPHOLOGIQUES :

PLATEAU CONTINENTAL(physique)

TALUS GLACIS PLAINE ABYSSALE

Eaux territoriales(Art. 3 et 4)

Droits souverains de l'État identiques à ceux exercés sur le territoire terrestre

Zone contiguë(Art. 33)

Compétence de l'État pour prévenir et réprimer les infractions en matièredouanière, fiscale, sanitaire et d'immigration

Zone économique exclusive (ZEE)(Art. 57)

Compétence de l'État en matière de pêche, de mise en place d'installations et d'ouvrages, de recherche scienti�que marine et de protection du milieu marin

Zone internationnaledes fonds marins(Art. 1-1 et 137)

Haute mer (Art. 86)

Plateau continental(juridique) (Art. 76)

A

A

Les articles cités proviennent de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Montego Bay -1982)

La zone internationale des fonds marins s'ouvre à partir de 200 milles des côteslorsque le plateau continental (tel que dé�ni par l'article 76) ne dépasse pas cette limite. At

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Sources : Compilation de Julien Rochette, Iddri, à partir d'un schéma de l'IUCN, www.iucn.org ; Géocon�uences, L'Espace maritime français en quête d'extension, 2006, http://geocon�uences.ens-lsh.fr

OÙ COMMENCE LA HAUTE MER ?>

1 mile nautique = 1,8 km

HAUTE MER LA DERNIÈRE FRONTIÈRE DU DROIT INTERNATIONAL ?

L ongtemps, les activités maritimes se sont cantonnées à la seule mer côtière. Grâce aux progrès technolo-

giques, la distance à la côte ou la profon-deur des fonds ne constituent plus des obstacles infranchissables et l’ensemble des océans est aujourd’hui accessible à l’homme. Depuis la fin du xxe siècle, les États cherchent sans cesse à repous-ser leurs limites en mer et à exploiter l’ensemble des ressources disponibles.

La haute mer se trouve ainsi soumise à des activités toujours plus nombreu-ses et menaçantes pour l’exceptionnelle biodiversité qu’elle abrite.

NOUVELLES PRESSIONS. Depuis 1970, le trafic maritime international a ainsi aug-menté de près de 470 %. À l’explosion du nombre de navires sillonnant les mers se conjugue une course au gigantisme naval, multipliant les risques pesant sur

les espèces et les habitats marins. Les rejets d’hydrocarbures provoqués par les dégazages sauvages ou l’introduction d’espèces allogènes suite à des déballas-tages en constituent les illustrations les plus significatives. Les navires sont éga-lement à l’origine d’une pollution acous-tique intense dont les effets – longtemps méconnus – sur les mammifères marins, poissons et organismes invertébrés sont aujourd’hui de mieux en mieux évalués :

Page 263: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 265

TERRITOIRES

LA MER NOURRIT L'HOMME>

Évolution des prises mondiales, 1950-2006 (en millions de tonnes)

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1950 1980 2006

FAO, département des pêches et de l'aquaculture, www.fao.org/�shery/statistics/global-production

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Captures(en mer)

Aquaculture

83,1

66,7

17,3

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échouage, décès en mer, réduction des capacités de reproduction, sensibilité accrue à la maladie. La surexploita-tion des ressources halieutiques consti-tue une autre menace. En effet, la raré-faction des ressources côtières conduit à une intensification de la pêche au-delà des zones de juridiction nationale, menaçant la pérennité de certaines espèces (empereur, grenadier, légine...), provoquant la destruction des habitats

Activités humaines

Outils juridiques applicables

Outils nécessaires manquants

Pêche › Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM)

› Accord de 1995 sur les stocks chevauchants et les stocks de poissons grands migrateurs

› Organisations régionales de pêche (ORP)

› Mise en œuvre effective des obligations juridiques adoptées

› Renforcement des capacités des ORP par des évaluations externes

› Lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée

› Identification des écosystèmes vulnérables et désignation de zones interdites aux activités de pêche

Navigation › CNUDM › Règles adoptées dans

le cadre de l’Organisation maritime internationale (OMI)

› Règles adoptées à l’échelle européenne

› Mise en œuvre effective des obligations juridiques adoptées.

› Application du concept de « zones maritimes particulièrement vulnérables » sous l’égide de l’OMI,

› Intensification de la lutte contre les pollutions acoustiques et atmosphériques

Exploitation des ressources minérales du sol et du sous-sol

› CNUDM › Autorité internationale

des fonds marins

› Systématisation des études d’impacts pour toute activité exercée en haute mer

› Réglementation des nouvelles formes d’exploitation : gaz hydratés, séquestration de CO2…

Exploitation des ressources marines génétiques

› Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC)

› Définition des conditions d’accès, d’exploitation et de commercialisation des ressources marines génétiques.

Recherche scientifique

› CNUDM › Encadrement des activités de recherche

Source : Compilation de Julien Rochette (Iddri), mai 2008.

LES LIMITES DU DROIT ACTUEL

profonds du fait des opérations de cha-lutage et de la multiplication des prises accessoires d’espèces non commercia-lisables ou d’individus trop petits pour être consommés.

UNE URGENCE. Au-delà de cette crois-sance exponentielle des activités mari-times traditionnelles, de nouvelles for-mes d’exploitation et d’utilisation de la haute mer apparaissent depuis quelques années. L’océan constitue, en effet, une formidable source d’énergie et de biodi-versité encore largement sous-exploitée. Par conséquent, les activités de recher-che scientifique, de bioprospection, de séquestration du carbone ou de fertili-

sation des océans devraient largement se développer au cours des prochaines décennies.Dans un contexte où l’intensité et la diversité des pressions anthropiques ne peuvent qu’augmenter, le cadre interna-tional reste largement inspiré par le prin-cipe de liberté des mers, théorisé par Grotius au xviie siècle, à une période où l’espace marin constituait encore un vaste désert inexploré. La mise en place d’une nouvelle gouvernance de la haute mer constitue donc une urgence si l’on veut imposer aux acteurs mariti-mes une utilisation durable des espaces et des ressources situés au-delà des juri-dictions nationales (lire zoom p. 37). n

Le droit international encadre déjà une grande partie des activités humaines en haute mer. Néanmoins, il n’a ni les moyens de réguler leur déve-loppement sans précédent ni ceux d’assurer la conservation de la biodiversité.

REPÈRE 11HAUTE MER

En moins de 50 ans, l’améliora-tion des techniques de pêche a permis de quadruler les pri-ses en mer. Hier marginale, la production aquacole tend aujourd’hui à l’égaler.

Page 264: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009266

TERRITOIRES

AUTORITÉS LOCALES LES PIONNIERS DU CLIMAT AUX ÉTATS-UNIS

2002. La Californie adopte des normes d’émission de gaz à effet de serre plus sévères que les normes nationales. Depuis 16 États les ont adoptées.

2003. À l’initiative de l’État de New York, 7 États de la côte est créent un marché commun d’émissions de carbone, la Regional Greenhouse Gas Initiative. Le Massachussetts et le Rhode Island (janvier 2007) et le Maryland (avril 207) les ont rejoints depuis.

Juin 2004. La Western Governors’ Association (WGA) réunissant 19 États et 3 îles se fixe l’objectif d’atteindre 30 000 mégawatts d’énergie propre en 2015 et d’avoir amélioré de 20 % l’efficacité énergétique en 2020.

Décembre 2004. Les fabricants automobiles américains entament un procès contre la Californie, récusant la légalité de ses normes d’émissions automobiles.

2005. La Californie demande à l’Environmental Protection Agency (EPA) de l’autoriser à prendre des normes automobiles plus sévères que les normes nationales. Le maire de Seattle crée la Conference of US Mayors for Climate Protection, pétitionnant pour le respect des objectifs du protocole de Kyoto par les États-Unis. Fin 2007, 710 villes américaines y ont adhéré.

2006. La Californie adopte le Global Warming Solutions Act, fixant des objectifs en termes de GES. 5 États depuis ont adopté des législations équivalentes.

Mars 2006. L’Oregon, l’État de Washington et la Californie créent le clean air corridor bannissant les automobiles les plus polluantes.

Août 2006. La Clinton Fundation lance la Climate Initiative, offrant un appui financier aux actions prises par les 40 plus

grandes villes du monde en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Octobre 2006. La Californie et 7 États du Nord créent un marché commun des droits à émettre des GES, incluant les émissions automobiles.

Février 2007. 7 États américains et 3 provinces canadiennes créent la Western Climate Initiative incluant un marché des droits à émettre, des objectifs de réduction des émissions et des normes sur les véhicules.

Mars 2007. Le Climate Registry devient l’organisme indépendant de mesure des émissions des autorités locales et tribus américaines.

Avril 2007. L’EPA s’estime non habilité à autoriser la Californie à utiliser des normes automobiles plus contraignantes mais la Cour suprême récuse cette non-habilitation. Le Maryland

est le 12e État à adopter les normes californiennes.

Juillet 2007. La Floride est le 13e État à adopter les normes automobiles californiennes.

November 2007. Six États du Midwest et la province canadienne du Manitoba s’accordent à lancer un programme régional d’échanges de droits à émettre.

Décembre 2007. L’administrateur de l’EPA refuse d’autoriser la Californie à mettre en vigueur ses normes automobiles.

Janvier à avril 2008. Une coalition de 19 États, de villes et de groupes environnementaux se forment pour poursuivre l’EPA devant une cour fédérale pour défaut de régulation en matière automobile.

Juin 2008. L’Arizona est le 14e État à adopter les normes automobiles californiennes.

LA PRÉOCCUPATION CLIMATIQUE AUX ÉTATS-UNIS>

S ymbole de la pression qui monte autour de la question du change-ment climatique, le Sénat amé-

ricain a accepté d’examiner en juin 2008 un projet de loi sur le sujet, le Cli-mate Security Act. Celui-ci ambition-nait de diminuer les émissions nationa-les de CO2 de 4 à 6 % en 2020 et de 50 à 57 % en 2050 par rapport à 1990, l’année utilisée comme référence dans le protocole de Kyoto. Alors que la cham-bre haute avait été saisie de la ques-tion pour la première fois en 2003, les débats ont une nouvelle fois tourné court après une manœuvre d’obstruction des adversaires du projet, au prétexte qu’il était « mauvais pour l’économie amé-

ricaine ». Le président George W. Bush avait de toute façon menacé de mettre son veto. Il s’agit d’une nouvelle occasion manquée de voir les États-Unis adopter à l’échelle fédérale un programme ambi-tieux de limitation des émissions de gaz à effet de serre (GES).

FRONDE LOCALE. En attendant une pro-chaine initiative nationale qui pourrait être prise en 2009 par la nouvelle admi-nistration Obama, les autorités locales et les acteurs privés sont quant à eux très engagés dans l’adoption de politi-ques pour faire face au changement cli-matique : développement des énergies renouvelables, systèmes d’échanges de

crédits d’émission de carbone, efficacité énergétique, etc. S’il est difficile de recenser l’ensemble de ces initiatives, on peut toutefois citer parmi les plus significatives ou les plus récentes, le Regional Greenhouse Gas Initiative, un marché régional d’échange de permis d’émission de GES dans dix États du Nord-Est pour les produc-teurs d’électricité. La Pennsylvanie, le Maryland, l’Oregon, le district de Colum-bia et la Californie (qui a adopté en 2004 des normes contraignantes de réduc-tion des émissions de GES pour les auto-mobiles) pourraient, à terme, rejoindre ce marché. Il couvrirait alors 14 % des émissions de GES aux États-Unis, soit

Page 265: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 267

TERRITOIRES

de 15 à 20de 10 à 14de 3 à 8

Californie 20

Arizona 15

Nevada 14

Utah 13Nouveau-

Mexique 16

Texas 13

Colorado 12

Connecticut 19New Jersey 17

Maryland 16

Caroline du Nord 11Caroline du Sud 8Géorgie 7

Virginie 10District de Columbia 7

Floride 11

Kentucky 8

Missouri 7Louisiane 6

Tennesse 6Mississippi 3

Alabama 5Alaska 5

Delaware 12

Hawaii 15

Rhode Island 18Massachusetts 17Maine 15

New Hampshire 13

New York 17Pennsylvanie 15Virginie-Occidentale 6Ohio 10

Vermont 17

Oregon 18

Washington 17

Idaho 10Montana 13Wyoming 6

Dakota du Nord 6

Nebraska 4Dakota du Sud 4

Illinois 16Michigan 10

Indiana 8

Kansas 8Oklahoma 8

Arkansas 7

Minnesota 15Iowa 14

Wisconsin 15

Nombre d’engagements pris en faveur du climat par les États américainssituation en juin 2008

Source : Pew Center on Global Climate Change, Learning from State Action on Climate change, mai 2008, www.pewclimate.org

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DES ÉTATS EN POINTE POUR LE CLIMAT>

l’équivalent des émissions de l’Allema-gne. En mai 2008, 136 villes, dont Seattle, New York et Los Angeles, représentant plus de 30 millions d’habitants, ont signé un accord par lequel elles s’engagent à respecter l’objectif de réduction de 7 % des GES prévu par le protocole de Kyoto. Enfin, dernier exemple, en décembre 2003 avait été lancé le Chicago Climate Exchange, une bourse de permis d’émis-sions reposant sur des engagements volontaires, qui regroupe 90 entreprises

situées aux États-Unis, au Canada et au Mexique (Ford, Dupont, Motorola, IBM, American Electric Power, etc.), des ONG et les villes de Chicago et Oakland.Cette mosaïque d’initiatives locales, asso-ciée au volontarisme de l’État fédéral en matière de recherche & développement sur les nouvelles technologies énergéti-ques, contribue à créer un élan favorable à la lutte contre le changement climati-que. Ainsi, selon le cabinet d’audit Ernst & Young, au premier semestre 2008, les

États-Unis se classaient toujours en tête des pays les plus attractifs en matière d’investissement dans les énergies renou-velables. Le rapport indiquant que « les politiques des différents États améri-cains contribuent fortement à l’attracti-vité du territoire ». Combien de temps encore le gouvernement fédéral pourra-t-il résister à cette pression venue d’en bas et continuer de refuser de s’associer à un régime multilatéral contraignant sur le climat ? n

REPÈRE 12AUTORITÉS LOCALES

Page 266: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009268

TERRITOIRES

50

100

150Scénario :

défavorable

gaz naturel

médian

favorable 300

400

500

600Scénario :

défavorable

gaz naturelmédian

favorable

Consommation d'énergie primaire (en millions de tonnes équivalent pétrole)

Émissions de CO2 (en millions de tonnes)

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Source : Carine Barbier et Guillaume Durand, La Croissance du secteur residentiel chinois à l’horizon 2030. Impact sur les consommations d’énergie et les émissions de CO2, Iddri, février 2008.

Besoins en logements neufs dans les zones urbaines du nord de la Chine, 2030

LA NORME FAIT L'ENVIRONNEMENT>

CHINE LA VILLE FERA LE CLIMAT

M ême si ses émissions par habi-tant restent très inférieures à la moyenne de celles des pays

de l’OCDE, la Chine est en passe de devenir le premier pays émetteur de CO2 devant les États-Unis. En 2025, la Chine sera ainsi à l’origine d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre contre 15 % aujourd’hui. La consommation énergétique des villes, où se concentrent maintenant 40 % de la population contre 20 % en 1980, constitue dès lors une question primor-diale pour toute politique chinoise de développement durable.

LES LOGEMENTS DE DEMAIN. Depuis les réformes des années 1990, le secteur de la construction s’est développé très rapidement, attirant près de 9 % du PNB en termes d’investissements et bâtissant plus d’un milliard de mètre carré cha-que année depuis 2000. À ce rythme, la

Chine construira en quinze ans l’équi-valent du parc actuel de logements en Europe. Actuellement, la consomma-tion énergétique pour le chauffage au mètre carré est une fois et demi supé-rieure à celle observée dans les pays industrialisés à climat comparable. Et selon des études prospectives récentes, la demande énergétique du secteur rési-dentiel devrait tripler, voire quadrupler, d’ici 2030 entraînant une augmentation proportionnelle des émissions de CO2.Conscient de cet enjeu, le gouverne-ment chinois a promulgué des normes en faveur de l’efficacité énergétique dans le secteur résidentiel. Le 11e plan prévoit de réduire de 110 millions de tonnes équivalent charbon (Mtec) la consommation d’énergie du bâtiment d’ici 2010 : 61 Mtec seraient économi-sés grâce au respect de nouvelles nor-mes de construction ; 38 térawattheures (TWh) par la rénovation de bâtiments

existants et 11 Mtec grâce au recours aux énergies renouvelables. L’efficacité thermique des nouveaux logements sera déterminante à long terme pour la demande d’énergie et les émissions de la Chine. Si des normes plus respec-tueuses de l’environnement ne sont pas intégrées dès aujourd’hui, il sera très dif-ficile et coûteux de réhabiliter les bâti-ments plus tard, comme les pays occi-dentaux en font l’amère expérience aujourd’hui.

L’ENJEU PROVINCIAL. C’est aux autorités provinciales de déterminer les moyens pour atteindre ces objectifs (lire chapi-tre 5). Le respect des nouvelles normes va donc d’abord dépendre de la com-préhension des enjeux par les fonction-naires provinciaux. Les grandes villes de la côte est, plus proches du gou-vernement central et connaissant une forte croissance économique, sont plus

La définition de nouvelles nor-mes de construction en Chine est cruciale pour l’évolution de la consommation d’éner-gie et les émissions de CO2. Entre le respect de normes strictes (scénario favorable), un respect moins stricte (scé-nario médian), la simple subs-titution du gaz naturel moins polluant au charbon (scéna-rio gaz naturel) et le laisser-faire (scénario défavorable), les besoins énergétiques et l’impact climatique des nou-veaux bâtiments chinois sont multipliés par deux.

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 269

TERRITOIRES

Hong-Kong 100 %

Macao 100 %

Shanghai 89 %

Pékin 83,6 %

Tianjin 75,1 %

Yunnan29,5 %

Guishou26,8 %

Tibet 26,6 %

Croissance du nombre de nouveaux urbains entre 2005 et 2030 (en millions d’habitants)

64,3

515

0,1

26,6 30 40 50 60 75 100

Part de la population urbaine en 2005 (en % de la population de chaque province)

Les noms des provinces sont indiqués pour les valeurs les plus fortes et les plus faibles.

Sources : Compilation de Carine Barbier (Iddri) d’après Ferenc L. Toth, Gui-Ying Cao, Eva Hiznsyik, Regional Population Projections for China, décembre 2003 ; Recensement chinois, China Statistical Yearbook 2006, www.stats.gov.cn

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QUAND LA CHINE DEVIENT URBAINE>

réceptives que les provinces du centre du pays, où le défi reste de sortir de la pauvreté. L’importance que le gou-vernement chinois accorde aux ques-tions de sécurité énergétique et clima-tique se reflétera notamment à travers la notation de ses fonctionnaires ter-ritoriaux. Mais tant que la croissance économique restera l’objectif principal assigné aux autorités locales, les nor-mes environnemen tales passeront au second plan. Enfin, leur mise en œuvre

L’urbanisation de la Chine est alimentée par un flux constant de migrants. Près de 180 mil-lions de personnes arrivent chaque année dans les villes chinoises, soit autant que la totalité des migrants trans-frontaliers dans le monde. Les loger devient un enjeu envi-ronnemental réel.

dépendra de la capacité des structures locales à définir un cadre institutionnel garantissant l’application des réglemen-tations, en les assortissant de mesu-res incitatives, et la coordination des acteurs de la ville : urbanistes, promo-teurs immobiliers, fournisseurs d’éner-gie, gestionnaires de transports col-lectifs, ainsi que les différents services des collectivités locales. Une approche qui reste encore loin des pratiques cou-rantes en Chine. n

REPÈRE 13CHINE

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009270

INNOVATIONS

ONG L’AUTRE MONDIALISATION

DES ACTEURS DE POIDS>

59 000

20 000

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Source : Compilation d'Isabelle Biagiotti, (Courrier de la planète) et Benoît Martimort-Asso (Iddri), d'après les sites officiels des organismes.

Budgets de quelques ONGpar rapport à d’autres institutions(en millions d’euros)

Ville de New York, 2008

Ministère de l'écologie, de l'énergie, du dévelop-pement durable et de l'aménagement du territoire, France, 2008

Greenpeace, 2006

Ville de Paris, 2008

Environnemental Protection Agency (EPA), États-Unis, 2008

PNUD, 2005Ministère de l'environnement, Japon, 2009 (estimations)

Ministère fédéral de l'environnement, Allemagne, 2008

Oxfam, 2007OMC, 2008 WWFPNUE, 2008 (estimation hors budget régulier)

L a société civile a émergé d’abord dans quelques pays, puis dans l’en-semble des pays développés, avant

de s’étendre à partir des années 1980 presque partout dans le monde. Elle a participé du mouvement global de mon-dialisation et d’échanges des marchan-dises, des biens, des capitaux mais aussi des idées et des informations.

UNE PRÉSENCE MONDIALISÉE. Si les tis-sus associatifs et civiques varient beau-coup selon les pays, la fin du xxe siècle a vu l’émergence de réseaux transna-tionaux, réunissant tous les acteurs non gouvernementaux, non marchands et non familiaux intéressés par les gran-des questions globales : les droits de l’homme, l’environnement, la santé, la justice sociale ou le développement. Les grandes ONG internationales – comme Oxfam, Greenpeace ou le WWF – figurent parmi les organisa-tions les plus connues et les plus visi-bles de cette altermondialisation. Mais le mouvement est plus vaste encore. Alors que les Nations unies ne dénom-braient qu’un millier d’organisations de citoyens transnationales en 1914, elles étaient treize fois plus nombreu-ses en 1981 pour atteindre près de 50 000  aujourd’hui. Le nombre de ces organisations reconnues comme obser-vateurs par le Conseil économique et social des Nations unies (Ecosoc) a suivi une progression similaire.Leur influence est souvent mesurée en fonction de leur impact sur les gran-des institutions internationales comme l’OMC, le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale. Mais si des évé-nements comme la manifestation qui a rassemblé 50 000 personnes issues de 500 regroupements différents contre

la conférence ministérielle de l’OMC à Seattle en 1999 ont marqué la mémoire collective, l’essentiel de l’influence des ONG est ailleurs.Leur principal rôle depuis leur appa-rition sur la scène internationale a été de faire émerger de nouveaux sujets de débat, de poser de nouvelles ques-tions, de rendre politiques et internatio-naux des problèmes jusqu’alors jugés inexistants ou relevant de la souverai-neté des États. En ce sens, les ONG se sont révélées de véritables élaborateurs de questions globales, tirant leur légiti-mité notamment de leurs relations avec les communautés locales dans les pays en développement.

LA FORCE DU RÉSEAU. Ce qui fait la force d’organisations comme Oxfam, Greenpeace ou le WWF, c’est leur capa-cité à mobiliser l’opinion publique dans plusieurs pays autour des mêmes ques-tions, à coordonner des campagnes, à produire une expertise indépendante, voire à mener des actions de terrain, pour obliger les politiques à se position-ner à leur tour dans le débat. C’est l’en-gagement permanent de Greenpeace contre la chasse des baleines, d’Ox-fam pour la réforme de la politique agricole commune, du WWF pour la création d’aires protégées et la protec-tion des espèces menacées qui contri-bue au maintien de ces questions sur l’agenda international. Les campagnes menées pour l’accès aux traitements du sida depuis 1999 ont amené l’OMC à reconnaître des exceptions sanitaires aux brevets sur les médicaments, les pays développés à créer le Fonds mon-dial de lutte contre le sida, la tubercu-lose et le paludisme (lire repère 16) et les grands laboratoires à baisser le prix

du traitement des malades dans les pays en développement. De la même manière la pression organisée par l’Al-liance mondiale contre la pauvreté dans 72 pays a sans doute participé aux enga-gements pris au G8 de Gleneagles en 2005 en faveur de la diminution de la dette des pays en développement, de

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 271

INNOVATIONS

1775. Apparition des associations cherchant à influencer la prise de décision politique pour abolir la traite des esclaves : Société de Pennsylvanie, Société des amis des Noirs.

XIXe siècle. Multiplication des unions publiques internationales : Convention mondiale contre l’esclavage (1840), Association internationale des ouvriers (1864), Fédération internationale de la Croix-Rouge (1863), Association internationale de droit (1873).

1910-1918. Participation d’ONG, avant et pendant la première guerre mondiale, à la création d’une institution intergouvernementale pour le maintien de la paix.

1922. L’Union interparlementaire et la Ligue de la Cour mondiale permettent la mise en place de la Cour permanente de justice internationale.

1935-1944. La participation des ONG aux travaux de la Société des Nations se renforce jusqu’à ce que ses activités deviennent régulières. La seconde guerre mondiale freine leur participation.

1938. 8e conférence inter-américaine de Lima : développement d’ONG de protection de la nature.

1945. L’article 71 de la Charte des Nations unies prévoit que le Conseil économique

et social des Nations unies (Ecosoc) puisse consulter « les ONG concernées par des sujets sur lesquels elles sont compétentes ».

1951. Participation des ONG à la Conférence pour la convention des réfugiés.

1954. Participation des ONG à la Conférence des Nations unies sur la convention supplémentaire pour l’abolition de l’esclavage.

1954. Les ONG environnementales soutiennent la rédaction du Traité sur la pollution marine.

1964. La Commission des droits de l’homme des Nations unies commence à tenir compte des commentaires des ONG.

1969. Les ONG environnementales condamnent les essais nucléaires américains dans les îles Aléoutiennes.

1972. Conférence des Nations unies sur l’homme et son milieu : 113 gouvernements et 225 ONG sont représentés.

1987. Les ONG interviennent lors de la session plénière de la Conférence sur le protocole de Montréal pour la protection de la couche d’ozone.

1992. 17 000 représentants d’ONG participent au Sommet de la Terre de Rio, où elles sont reconnues officiellement comme parties prenantes ;

1 400 sont membres de délégations gouvernementales.

1995. 35 000 représentants d’ONG participent à la 4e Conférence mondiale sur les femmes ; 2 600 sont membres de délégations gouvernementales.

1996. Révision du statut des ONG à l’Ecosoc, sans améliorer leur représentation ou leurs droits sous la pression de beaucoup de gouvernements.

1997. Le Traité interdisant les mines antipersonnel puis la création de la Cour internationale de justice sont des grandes victoires des ONG. La coalition mondiale Jubilee 2000 se fixe comme objectif d’éliminer les dettes des pays pauvres avant l’an 2000.

1998. La mobilisation des ONG favorise l’abandon des négociations sur l’accord multilatéral sur l’investissement.

1999. Les ONG mobilisent 4 000 manifestants contre la conférence ministérielle de l’OMC à Seattle.

2001. Premier Forum social mondial de Porto Alegre.

2003. Première manifestation mondiale contre la guerre en Irak. Kofi Annan met en place un Groupe de personnalités éminentes sur les relations entre la société civile et les Nations unies.

2005. L’Alliance mondiale contre la pauvreté réunit 150 millions

de signatures venant de 72 pays demandant aux pays riches d’agir contre la pauvreté. Le G8 de Gleneagles prend des engagements sans précédents.

2007. Lancement d’Avaaz, la première organisation dédiée aux campagnes mondiales par internet.

Février 2008. Première réunion du groupe d’experts gouvernementaux pour l’élaboration d’un traité international sur le commerce des armes classiques, en réponse à la pression exercée par la campagne internationale Controlarms depuis 2005.

L’HISTOIRE D’UN MOYEN DE PRESSION>

la lutte contre la pauvreté et du déve-loppement du continent africain. Née au Forum social mondial de 2005, la cam-pagne mondiale Controlarms s’applique quant à elle à faire avancer la régulation mondiale concernant la limitation des armes légères et des mines antiperson-nel à fragmentation. En 2008, les pre-miers pas vers un traité international sur les armes classiques ont été effectués.Forts de cette capacité de mobilisation, les réseaux de la société civile mondiale sur-veillent la mise en œuvre des engagements

pris par les gouvernements et les institu-tions internationales. Ils jouent aussi un rôle important de diffusion de l’information sur la situation dans les États autoritaires et soutiennent les mouvements de reven-dication des droits politiques et sociaux dans beaucoup de pays. On lie ainsi sou-vent l’émergence de la société civile mon-diale en réseau avec la chute du mur de Berlin ou la démocratisation de l’Améri-que latine dans les années 1980.Reste la difficulté à réellement repré-senter les populations du Sud et leurs

attentes : longtemps, les grands réseaux sont restés dominés par les organisations européennes ou nord-américaines qui les ont initiés et ont reflété leurs valeurs. Face au renouvellement des enjeux globaux, ces réseaux s’efforcent aujourd’hui de participer à l’émergence d’organisations partenaires dans les pays émergents et en développement, capables de média-tiser leurs propres inquiétudes, valeurs et propositions. L’organisation de forums sociaux mondiaux au Brésil, en Inde et en Afrique témoigne de cet effort. n

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Source : Ecosoc, 2008

ONG ayant un statut consultatifauprès de l'Ecosoc, 1948-2008

REPÈRE 14ONG

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009272

Régulation ONG-privéPROMOTEUR : Conservation InternationalEXEMPLES : Conférence de Rio, 1992, CDB, CCNUCC

LA BOÎTE À OUTILS DES ONG SE DIVERSIFIE>

INNOVATIONS

D ans les années 1980, l’action des ONG était essentiellement concen-trée sur une critique médiatisée de

l’action publique et des groupes privés. Les ONG étaient organisées en grou-pes de pression qui défendaient leurs positions à travers les médias ou lors des grandes conférences internationa-les. Par exemple, les campagnes viru-lentes pour la conservation des forêts avaient pour objectif d’inciter certains gouvernements à interdire l’importation des bois tropicaux. On se souvient éga-lement du combat des ONG aux côtés de Chico Mendes, leader des récolteurs de latex brésiliens, qui aboutit à la sus-pension du financement d’un projet de route transamazonienne et conduisit le gouvernement brésilien à mettre en place des réserves extractivistes pro-tégées. Si les campagnes médiatiques orchestrées par les ONG se sont pour-suivies jusqu’à aujourd’hui, elles ont tou-tefois été complétées par de nouvelles formes d’action, en partie grâce à la

ACTEURS NON ÉTATIQUESLES FAISEURS DE NORMES ENVIRONNEMENTALES

hausse considérable des moyens finan-ciers à leur disposition.

L’ÈRE DES PARTENARIATS CONSTRUCTIFS. Si la conférence de Rio en 1992 témoi-gne d’une ouverture de l’action inter-gouvernementale aux ONG, les gran-des négociations environnementales font cependant l’objet de critiques appuyées : certaines ONG écologistes leur reprochent leur lenteur et parfois leur manque d’ouverture et de trans-parence. Elles estiment également que certains accords multilatéraux sur l’envi-ronnement manquent cruellement d’ef-ficacité. Ces constats dressés au fil de l’avancée des discussions internationa-les sur l’environnement ont conduit de nombreuses ONG à infléchir significati-vement leurs modes d’action. Premiè-

rement, l’action de certaines ONG se concentre alors davantage sur l’appui à la mise en œuvre, voire à l’exécution de l’action publique. Celles-ci se sont large-ment impliquées dans les partenariats public-privé élaborés lors du Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg en 2002. L’élabora-tion et les modalités de mise en œuvre du partenariat pour les forêts du bas-sin du Congo a, par exemple, fait l’ob-jet d’une coopération étroite entre les ONG, les entreprises, les organisations internationales et les États. Ce type de collaboration peut être illustré par l’ac-tion du World Ressource Institute (WRI) qui réalise des observations permettant de cartographier et de suivre les conces-sions et les pistes forestières, afin que les autorités puissent repérer plus aisément

Sans délaisser forcément leurs anciennes stratégies d’ac-tion (campagnes médiati-ques, actions de conservation dans les aires protégées...), les ONG cherchent de plus en plus à influencer directement la régulation environnemen-tale en formalisant des parte-nariats avec les États et/ou les entreprises, voire en concevant et en mettant en œuvre leurs propres instruments (conces-sions de conservation). 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2008

Partenariats privé-privéPROMOTEURS : WRI, WWF, WCS, TNCEXEMPLES : Certification, compensation carbone volontaire

Campagne médiatiquePROMOTEURS : Greenpeace, WWF, Amis de la TerreEXEMPLES : Réserves extractivistes (Chico Mendez) ; Terres indigènes (Sting et Raoni)

Lobbying pendant les négociations intergouvernementalesPROMOTEURS : WRI, UICN, WWFEXEMPLES : Concessions de conservation

Partenariats privé-publicPROMOTEURS : UICN, WWFEXEMPLES : Conférence de Johannesburg 2002, observatoires indépendants

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 273

INNOVATIONS

Entreprises

ÉtatsONG

Campagnesmédiatiques

Campagnesmédiatiques

Partenariats

public-privé

GOUVERNANCE ENVIRONNEMENTALE : LE JEU DES ACTEURS>

Compensationsvolontaires

Certifications

Observatoiresindépendants

Marchés de droits

Participation aux négociationsintergouvernementales

Délégation(par exemple : gestion des aires protégées)

Lobbying

Contrôle

Réglementation

Fiscalité

Régulations non gouvernementales

(concessions de conservation)

Source : D’après Stéphane Guéneau (Iddri et Cirad).

les activités d’exploitation illégales et sanctionner les contrevenants. Deuxiè-mement, de nouvelles formes de par-tenariats exclusivement privés, entre entreprises et ONG, ont été créés dans les années 1990. Ces configurations sont nouvelles dans la mesure où elles ne cherchent plus à influencer les poli-tiques publiques mais plutôt à élaborer des règles du jeu en dehors de tout cadre étatique, et à les mettre en œuvre au moyen d’instruments tels que la certifi-cation. Elles se distinguent ainsi des pro-cessus d’autorégulation des entreprises qui créent leurs propres labels de res-ponsabilité ou qui éditent des rapports annuels de leurs efforts en matière de développement durable.Des forums multi-acteurs sectoriels, réu-nissant industriels, distributeurs, négo-ciants, ONG, communautés locales, etc., élaborent de manière concertée des nor-mes de bonnes pratiques dans un nom-bre croissant de secteurs : forêts, pêche, tourisme, agriculture (café, soja, huile de palme…), agrocarburants... Les acteurs économiques qui respectent ces nor-mes peuvent obtenir une certification de conformité par un organisme indépen-dant, et valoriser ainsi leurs bonnes pra-tiques sur les marchés à l’aide d’un label. Des partenariats privés se développent également de plus en plus pour mettre

en œuvre des projets de compensation des émissions de CO2 résultant des acti-vités économiques. Les crédits carbone peuvent être échangés sur des marchés volontaires et valorisés par des labels de type « zéro émission ».

INTERVENTION DIRECTE. Enfin, l’augmen-tation considérable des moyens finan-ciers de certaines ONG leur permet de définir et de mettre en application leurs propres instruments au service de leurs objectifs – bien qu’en général avec l’ac-cord et/ou la coopération des États sou-verains. Des formes de paiement pour la fourniture de services écosystémiques sont ainsi actuellement développées, comme le mécanisme de concessions de conservation proposé par Conser-vation International, par exemple. Son principe est l’établissement d’un contrat

L’implication croissante d’ac-teurs non étatiques (ONG et entreprises) dans la gouver-nance mondiale de l’environ-nement a beaucoup influencé la conception et la mise en œuvre des instruments de régulation. À côté des pro-cessus classiques d’influence des ONG (campagnes média-tiques) et des entreprises (lob-bying), des instruments classi-ques de politiques publiques (réglementation, fiscalité), de nouveaux partenariats et instruments volontaires ont émergé.

entre une ONG, les populations et l’État qui acceptent de conserver une forêt normalement affectée à la production, l’accord comprenant une rémunération au titre de la fourniture de services envi-ronnementaux. Bien que ce mécanisme soit appliqué marginalement à l’heure actuelle, d’autres instruments compara-bles pourraient voir le jour.Si ces quelques exemples révèlent l’in-fluence croissante des acteurs non éta-tiques dans la gouvernance mondiale de l’environnement, celle-ci doit toutefois être relativisée. D’une part parce que les États autorisent, voire soutiennent, les initiatives privées – à travers des sub-ventions ou via des marchés publics par exemple – et surtout parce qu’ils dispo-sent encore d’instruments de politiques publiques très puissants (fiscalité, régle-mentation…). n

REPÈRE 15ACTEURS NON ÉTATIQUES

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009274

INNOVATIONS

SANTÉ GLOBALE INNOVATIONS STRATÉGIQUES ET FINANCIÈRES

L ’amélioration de la santé demeure un défi pour les pays en dévelop-pement. Pour y faire face, la coo-

pération internationale entend finan-cer l’accès des plus pauvres à la santé. Cette quête de financements et de stra-tégies innovants a conduit à la mise en place de nouvelles structures interna-tionales : les partenariats public-privé. La déclaration de Paris en 2005 sur l’ef-ficacité de l’aide fait de la multiplica-tion des sources de financement inno-vant et durable un pilier de la stratégie internationale pour atteindre les objec-tifs du Millénaire pour le développe-ment (2000). Aujourd’hui, les partena-riats public-privé mondiaux concentrent par exemple environ 70 % des projets de recherche et développement (R&D) sur les maladies négligées.

LE FONDS MONDIAL. Le Fonds mon-dial de lutte contre le sida, la tubercu-lose et le paludisme a été créé en 2002 pour, d’une part coordonner l’action des bailleurs et, d’autre part, trouver un

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2003 2004 2005 2006 2007 2008

1 Fondation Bill et Melinda Gates 2 Product Red and Partners (American Express, Apple, Converse, Dell + Windows, GAP, Giorgio Armani, Hallmark, Motorola Foundation, Motorola Inc. & Partners, Media Partners and Red Supporters13 3 Unitaid4 Debt2Health, expérience pilote Indonésie5 Fondation des Nations unies et ses donateurs6 Charity Project Entertainment Fund (Idol Gives Back) 7 Fondation Communitas

Donateurs publics Donateurs privés

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Principaux donateurs du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (en millions de dollars)

Source : Compilation de Marame Ndour (Iddri) à partir du site du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, mai 2008, www.theglobalfund.org

FINANCER LA SANTÉ>

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40 60 168 119 202 216

106 121 124 180 180 186

79 86 100 130 186 183

50 264 69 117 91 155

63 182 180 292 424 466

840531512414458322 50 50 100 100 100

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0,1 1,6 0,7 0,6 0,2

Mis en place en 2002, le Fonds mondial est un méca-nisme de coordination finan-cière destiné à fédérer les efforts de lutte des princi-paux donateurs publics et privés face à trois maladies – le sida, la tuberculose et le paludisme – responsables de plus de six millions de décès chaque année. Après plusieurs années de fonctionnement, cette approche innovante en matière de financement inter-national de la santé constitue un outil important dont l’im-pact reste à améliorer.

Page 273: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 275

INNOVATIONS

moyen de financer à grande échelle la lutte contre ces trois maladies. Les bailleurs publics, États-Unis, France, constituent de loin la première source de financement. Même si le volume de leurs apports tend à augmenter, les États continuent d’utiliser d’autres canaux d’aide et ne tiennent pas tou-jours leurs promesses d’aide. Du côté des bailleurs privés, les contributions sont très modestes. Hormis la contri-bution de la fondation Bill et Melinda Gates, les entreprises ainsi que les autres fondations n’investissent pas de manière significative dans le fonds.Le Fonds mondial suscite beaucoup d’es-poir mais il fait également l’objet de criti-ques, dues en grande partie à la faiblesse relative et à l’irrégularité des contribu-tions faites sur la base du volontariat. Après le lancement du fonds, des asso-ciations de santé ont proposé de fixer une périodicité ainsi qu’un système de répartition équitable des contributions en fonction du poids économique des pays afin de rendre, à terme, le finance-ment plus sûr et surtout prévisible.

Aid Guarantee FacilityMécanisme proposé par la coopération britannique (DFID) dès 2005 et repris dans un rapport parlemen-taire en mars 2007.

Protéger les pays  .récipiendaires d’un retard

ou d’une absence de versement des fonds

promis.

, Le fonds garantit le versement par un collectif de pays donateurs des niveaux d’aide promis.

LE FINANCEMENT MONDIAL DU PALUDISMEFONCTIONNEMENTMÉCANISMEOBJECTIF

International Finance FacilityProposition du gouvernement britannique lancée en 2005 au G8.

Utiliser les engagements  .à long terme des donateurs

pour se procurer, sur les marchés internationaux,

des capitaux utilisables immédiatement pour

approvisionner en médicaments les pays les

plus pauvres.

, L’émission d’une obligation d’1 milliard de dollars en 2006 a permis de débloquer 854 millions de dollars au 1er janvier 2008. L’idée est de faire de même pour le paludisme.

Debt2HealthInitiative approuvée en avril 2007, expérience pilote lancée en septembre 2007.

Effacer une partie de la  .dette à condition que ce

montant soit investi pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le

développement.

, Dans quatre pays (Indo-nésie, Pérou, Pakistan et Kenya), les créanciers annu-lent une partie de la dette contre l’engagement que la somme ainsi épargnée soit investie pour le financement des programmes du Fonds mondial. Entre l’Allemagne et l’Indonésie, l’accord a dégagé 50 millions d’euros.

UnitaidLancé en 2006 à New York, en marge de la session d’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies, par les cinq pays fondateurs : France, Brésil, Chili, Norvège, Royaume-Uni.

Améliorer l’accès aux  .médicaments dans les

pays en développement contre trois pandémies, le

sida, la tuberculose et le paludisme. En générant

une demande stable de médicaments et de

moyens de diagnostic, il est possible de faire jouer la

concurrence pour réduire les prix et augmenter la

disponibilité et l’offre.

, Ses ressources viennent de la taxe de solidarité sur les billets d’avions instaurée en 2006, d’aides budgétaires à long terme et de la taxe sur le CO2 instaurée par la Norvège. En 2007, elle a réuni plus de 300 millions de dollars. 90 % de ces fonds ont déjà été engagés.

Affordable Medicines Facility-malariaNouveau mécanisme proposé par le partenariat mondial Roll Back Malaria et le Fonds mondial en 2007. Des négociations auprès des firmes pharmaceutiques productrices d’ACTs sont en cours.

Permettre un accès  .rapide et généralisé

aux traitements les plus efficaces à l’heure actuelle

contre le paludisme : les combinaisons à base

d’artémisinine ou ACTs.

, En négociant auprès du fabricant le prix du médicament à 1 dollar pour tout acheteur, on induit une baisse réelle du prix final. Sur 1 dollar reçu par le fabricant, 0,95 sont payés par l’AFM-malaria et 0,05 par l’acheteur public ou privé. Dans le circuit public, le médicament sera gratuit et, dans le circuit privé (en pharmacie par exemple), le coût final sera entre 0,20 et 0,50 dollars pour le patient.

Les principales sources de financement de la lutte contre le paludisme sont le Fonds mondial, la President’s Malaria Initiative (PIM) lancée par les États-Unis, la Banque mondiale et la fondation Bill et Melinda Gates. Pour attein-dre les objectifs internatio-naux dans les 82 pays les plus touchés, d’ici 2010 pour la déclaration d’Abuja, ou d’ici 2015 pour les objectifs du Millénaire pour le dévelop-pement, 3,2 milliards de dol-lars par an sont requis. Or, en 2006, seul 1 milliard de dol-lars (hors fonds alloués à la R&D) a été dépensé pour lut-ter contre le paludisme.

REPÈRE 16SANTÉ GLOBALE

...

Source : D’après Marame Ndour, Iddri

Page 274: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009276

INNOVATIONS

Tous ces mécanismes contribuent déjà à financer la lutte contre le paludisme, ou bien ont fait leur preuve dans d’autres domaines comme la vaccination, et ils sont susceptibles d’être appliqués plus directe-ment aux programmes de lutte contre le paludisme. Même si leur mise en place est un signal positif envoyé aux acteurs de l’aide, ces nouveaux outils doivent béné-ficier d’un appui politique fort afin d’avoir un impact réel et à grande échelle. Les partenariats public-privé semblent constituer de véritables opportunités de faire avancer la cause d’une meilleure santé globale, occupant de nouveaux espaces politiques et expérimentant des solutions inédites. Par contre, depuis leur introduction dans le paysage sani-taire international, aucun bilan de leur impact n’a pu être établi. Or, pour évi-ter une explosion des initiatives par-fois redondantes et infructueuses, une évaluation sereine de ces structures est nécessaire. n

tionale d’achat de médicament. Elle est en partie financée par un mécanisme de financement innovant, la taxe de solida-rité sur les billets d’avion. Debt 2 Health, une initiative soutenue par le Fonds mon-dial et certains pays développés, consti-tue un autre mécanisme innovant de financement du développement, en per-mettant d’agir à la fois dans le domaine de la santé et en faveur de l’allègement du poids de la dette. Les initiatives telles que International Finance Facility et Aid Guarantee Facility s’attaquent quant à elles à un problème récurrent en matière d’aide au développement et dramatique en matière de santé : le manque de pré-visibilité de l’aide. Le mécanisme for Affordable Medicines Facility-malaria, développé en 2007 par Roll Back Mala-ria et le Fonds mondial, veut co-finan-cer l’achat de traitements de dernière génération contre le paludisme et garan-tir ainsi un accès véritable et rapide aux médicaments les plus innovants.

Selon ses dirigeants, le fonds fournissait, en 2007, les deux tiers du financement international du paludisme et de la tuber-culose et environ 20 % du financement global du sida. Il doit aujourd’hui trouver les moyens d’améliorer le taux de réus-site de ses programmes qui connaissent des taux de suspension importants – de l’ordre d’un tiers par exemple concernant les programmes contre le paludisme. Le gel des subventions qui s’ensuit suscite l’incompréhension et parfois l’indigna-tion des pays concernés qui remettent en question les critères d’évaluation.

LA PREUVE PAR LE PALUDISME. Dans la quête de nouveaux traitements contre le paludisme (molécule et vaccin), les ini-tiatives globales se sont rapidement mul-tipliées. Parmi elles, la Drug for Negle-ted Diseases Inititiative (DNDi), créée en 2003, a réussi le lancement de deux médicaments très innovants : l’ASAQ (artésunate et amodiaquine) en 2007 et l’ASQM (artésunate et méfloquine) en 2008. Mais, comme pour les autres questions de santé globale, les actions de lutte contre le paludisme nécessitent aujourd’hui de nouvelles sources de financement. Des initiatives telles que Unitaid, Debt 2 Health, Aid Guarantee Facility et l’International Finance Faci-lity permettent d’alimenter les structu-res d’intervention existantes comme le Fonds mondial et in fine de financer les pays touchés. Grâce à ces nouveaux outils, les dirigeants du Fonds mondial – qui concentre actuellement 64 % des fonds internationaux destinés à la lutte contre le paludisme – espèrent améliorer et augmenter le volume de leur aide.Unitaid agit comme une facilité interna-

RELANCER L’INNOVATIONDifférents efforts de coordination de la recherche fondamentale existent. L’ini-tiative de collaboration MIM (Multilateral Initiative on Malaria) soutient la recherche scientifique contre le paludisme à l’échelle mondiale et renforce les capacités de recherche en Afrique. De son côté, Roll Back Malaria (l’initiative Faire reculer le paludisme), mise en place dès 1998, regroupe des partenaires aussi divers que des États (donateurs et destinataires), plusieurs agences des Nations unies, des banques de développement, des instituts de recherche, des organisations non gouvernementales, des laboratoires pharmaceutiques et des fondations philanthropiques. Le financement des partenariats public-privé de R&D peut se faire par une subvention de départ ou par un système de récompense de l’innovation, une fois celle-ci réalisée. Ce dernier système est de plus en plus utilisé notamment à travers l’Engagement international d’achat (Advanced Market Commitment) qui offre une garantie de marché.

...

Page 275: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 277

INNOVATIONS

Le paludisme fait partie des « maladies tropicales négligées » qui touchent un habitant de la planète sur six mais contre lesquelles sont développées moins de 1 % des 1 393 nou-veaux médicaments homologués entre 1975 et 1999. L’accent doit donc être logiquement mis sur la nécessité de financer la recherche et développement (R&D) afin de trouver de nouvelles molécules permettant de lutter efficacement contre cette maladie qui tue un enfant toutes les trois secondes dans le monde. Depuis la fin des années 1990, plusieurs initiatives de collaboration entre les secteurs publics et privés ont émergé afin d’inves-tir cet espace de la R&D laissé vacant par les laboratoires pharmaceutiques. La fondation Bill et Melinda Gates est devenue en 2005 le premier contributeur privé dans le monde avec 258,3 millions de dollars de financement.

DÉVELOPPEMENT DE PRODUIT

MMVMedecine for Malaria Venture (médicaments contre le paludisme), 1999.

P A R T E N A I R E S

› OMS › Roll Back Malaria › Fédération internationale

de l’industrie du médicament

› 39 partenaires en R&D › Universités et centres

de recherche › Fondation Bill et Melinda

Gates › Fondation Rockefeller › Fondation Wellcome Trust › Banque mondiale › Direction du

développement et de la coopération suisse

DNDiDrug for Neglected Diseases (initiative médicaments contre les maladies négligées), 2003.

P A R T E N A I R E S

› Médecins sans frontières international

› Oxfam International › Fondation Oswaldo Cruz

(Brésil) › Institut de recherche

médicale du Kenya › Institut Pasteur (France) › Conseil indien pour la

recherche médicale › Centre national de

recherche et de formation sur le paludisme (Burkina Faso)

› Biological Open Source Initiative (Australie )

› Universités › OMS › PNUD › Banque mondiale › UE › Agences de coopération

(France, Espagne, Pays-bas, Royaume-Uni, Suisse…)

› Ministère de la Santé de Malaisie

› Sanofi-Aventis › Farmanguinhos/

Fiocruz (compagnie pharmaceutique publique brésilienne)

EMVIEuropean Malaria Vaccine Initiative (initiative européenne pour un vaccin contre le paludisme), 1998.

P A R T E N A I R E S

› 19 institutions scientifiques en Europe et en Afrique

› Réseau Eurhavac (coordonne la recherche en Europe d’un vaccin antipaludique)

› Réseau d’infrastructures européennes de recherche clinique

› Africa Malaria Network Trust (réseau africain de lutte contre le paludisme )

› European and Developing Countries’ Clinical Trials Partnership (partenariat sur les essais cliniques entre pays européens et pays en développement)

› National Health Institute (États-Unis)

› Malaria Vaccine Initiative › OMS › UE › USAID › 11 pays (Brésil, Colombie,

Danemark, France, Ghana, Inde, Liban, Pays-Bas, Sénégal, Tanzanie et Suisse)

› Des fabricants européens de vaccins

MVI Malaria Vaccine Initiative (initiative pour un vaccin contre le paludisme),1999.

P A R T E N A I R E S

› Seattle Biomedical Research Institute (organisme de recherche biomédicale)

› USAID › Alliance mondiale pour les

vaccins et la vaccination (GAVI)

› Fondation Bill et Melinda Gates

› Fondation Rockefeller › Fondation Wellcome Trust › Laboratoire

GlaxoSmithKline (GSK)

RENFORCEMENT DES CAPACITÉS EN R&D

MIMMultilateral Initiative on Malaria (initiative multilatérale contre le paludisme), 1996.

P A R T E N A I R E S

› Pays de l’OCDE (Norvège, Japon, France, États-unis, Suède)

› National Institute of Allergy and Infectious Diseases (États-Unis)

› National Library of Medicine (États-Unis)

› Fogarty International Center (États-Unis)

› Medical Research Council (Royaume-Uni)

› Institut Pasteur (France) › African Malaria Network

Trust › American Society of

Hematology › Howard Hughes Medical

Institute (États-Unis) › Center for Diseases Control

and Prevention (États-Unis) › Fondation Wellcome Trust › Fondation Rockefeller › Fondation Burroughs

Wellcome › Fondation des Nations

unies › Banque mondiale › OMS › Roll Back Malaria › USAID

DES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ POUR DÉVELOPPER DE NOUVELLES MOLÉCULES ?

REPÈRE 16SANTÉ GLOBALE

Source : D’après Marame Ndour, Iddri

Page 276: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009278

INNOVATIONS

Jusqu’en 2007, le Fonds pour l’en-vironnement mondial (FEM) était le seul mécanisme multilatéral de

financement de l’adaptation. Depuis, de nouveaux fonds ont été créés, cer-tains en dehors du FEM, voire en dehors de la Convention sur le changement cli-matique. Parallèlement, des engage-ments financiers sans précédent ont été annoncés, témoignant d’une prise de conscience de la part des donateurs. Ce nouveau cadre reste néanmoins embryonnaire et doit relever une série de défis conceptuels et pratiques.Il reste en effet à définir ce que l’on entend par adaptation et, par là même, quels types de projets ces fonds peuvent concrètement aider. Plus précisément, il est important de déterminer en quoi l’adaptation diffère des projets et pro-grammes jusqu’alors rassemblés sous le terme de « développement ». Est-ce que l’adaptation se limite aux effets négatifs du changement climatique, voire aux changements directement liés à l’activité humaine ? Ne devrait-elle pas au contraire s’élargir à des pro-grammes plus larges de développement durable ? Au-delà du débat conceptuel, l’enjeu est politique. Beaucoup de pays en développement craignent que les fonds d’adaptation soient détournés vers le financement de la conservation de l’environnement chère aux pays du Nord, – au détriment des besoins de leur

50

75

90

65

50

165

500

950 en 2012

Pilot Programme for Climate Resilience under the World Bank

Strategic Climate Fund

Fonds pour les paysles moins avancés (LDCF)

Fonds pour l’adaptation

Fonds spécialpour les changements

climatiques (SCCF)

Initiative allemandepour le climat (pour 2008)

Alliance globale contre le changement climatique

Fonds stratégique prioritaire pour l'adaptation (SPA)

Engagements enregistrés au 31 mai 2008 (en millions de dollars)

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Source : Compilation de Katell Le Goulven, Financing Mechanisms for Adaptation, The Commission on Climate Change and Development, Suède, juin 2008.

> QUELS FINANCEMENTS POUR L’ADAPTATION ?

MécanismesTypes d’instruments Engagements

Dons du fonds fidu-ciaire du FEM

Dons

Dons et prêts concessionnels

Dons

Dons

Dons

À définir

ADAPTATION INVENTER SON FINANCEMENT

population. Nombreux sont ceux qui s’opposent aussi à une approche sous forme de prêt (et non de don) pour finan-cer l’adaptation à un problème princi-palement provoqué par les pays déve-loppés. Une définition trop large et un fonctionnement opaque des fonds peu-vent alimenter une suspicion quant à la volonté des donateurs d’aider réellement les pays en développement à se préparer aux changements climatiques en cours et de reconnaître leur part de responsabilité dans l’origine de ces changements.

FINANCER POUR NÉGOCIER. Plus large-ment, l’organisation du système multi-latéral de financement de l’adaptation ne peut pas être séparée des négo-ciations internationales à venir sur la répartition des efforts de lutte contre le changement climatique après 2012. Les

mécanismes de financement existants peuvent se classer selon deux types de gouvernance. Les fonds du FEM et de la Convention sur le changement climati-que sont en général perçus comme plutôt démocratiques, mais fondés sur des pro-cédures trop complexes pour être réelle-ment efficaces. Les fonds issus du G8 ou de la Banque mondiale sont par opposi-tion considérés comme étant gérés effi-cacement mais peu transparents, avec une représentation insuffisante des pays en développement. Aujourd’hui, ce deuxième type d’organismes cana-lise les fonds les plus importants. Cette préférence des donateurs pour des ins-titutions moins démocratiques pourrait peser négativement sur la relation de confiance qui doit se développer afin que les négociations climatiques sur l’après-2012 puissent aboutir. n

Les fonds pour l’adapta-tion sont des mécanismes récents dont l’avenir dépen-dra des bailleurs et d’outils spécifiques comme les mar-chés carbone. Comparer leurs moyens actuels ne donne donc qu’une vision partielle de la question.

Page 277: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 279

INNOVATIONS

Origine Prise de décision

Les principaux fonds Date de création

Bénéficiaires Agences de mise en œuvre

Objectifs

Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques 16 pays en développement (PED) sur les 32 siégeant au conseil d’administration du FEM.

Décision par consensus ou double majorité de 60 % des participants et des contributeurs.

Fonds stratégique prioritaire pour l’adaptation (SPA) 2001

Les PED satisfaisants certains critères. PNUD, PNUE et Banque mondiale.

Réduire la vulnérabilité et augmenter les capacités.

Fonds pour les pays les moins avancés (LDCF) 2001

Les 49 pays les moins avancés (PMA) peuvent en bénéficier. PNUD, PNUE et Banque mondiale.

Réaliser les Programmes d’action nationaux d’adaptation (PANA).

Fonds spécial pour les changements climatiques (SCCF) 2004

Tous les PED. PNUD, PNUE et Banque mondiale.

Répondre aux besoins à long terme des PED en matière de santé, d’agriculture et d’écosystèmes humides et vulnérables.

Protocole de Kyoto Le conseil de 16 membres comprendra 10 PED.

Décision par consensus ou 2/3 des votes.

Fonds pour l’adaptation 2001

PED parties au protocole. Les bénéficiaires potentiels désigneront l’agence de mise en œuvre.

Banque mondiale Le comité compte 6 PED et 6 pays développés, 1 représentant de la Banque mondiale et 1 des banques multinationales de développement. Décision par consensus.

Pilot Programme for Climate Resilience under the World Bank Strategic Climate Fund 2008

Pays éligibles aux prêts à taux réduits des banques de développement multilatérales ou petits États insulaires en développement. Banques multinationales de développement.

Développer des plans de développement adaptés au climat et financer les investissements nécessaires.

Commission européenne Processus politique de discussion entre l’UE et les bénéficiaires.

Alliance globale contre le changement climatique 2007

Les PMA et les petits États insulaires en développement.

Soutenir le développement de Programmes d’action nationaux d’adaptation (PANA) pour les non-PMA.

Soutenir la mise en œuvre des PANA existants.

Financer des projets pilotes en matière d’eau et d’agriculture.

Soutenir les recherches en matière d’impact.

Renforcer la prise en compte du climat.

Ministère allemand de l’environnement

Initiative allemande pour le climat 2007

À déterminer GTZ, KfW, et sans doute des ONG.

Source : Katell Le Goulven, Financing Mechanisms for Adaptation, The Commission on Climate Change and Development, Suède, juin 2008.

La multiplication des fonds dédiés à l’environnement constitue une avancée politique importante de la communauté internationale face au changement climatique. Néan-moins la réussite de ces fonds nécessite qu’ils offrent aux pays en développement un mode d’association aux décisions qui corresponde à leurs attentes.

DES FONDS PLUS NOMBREUX MAIS OUVERTS À QUI ET POUR FAIRE QUOI ?

REPÈRE 17ADAPTATION

Page 278: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009280

INNOVATIONS

RESSOURCES PHYTOGÉNÉTIQUES DES FLUX TRÈS CONVOITÉS

I l n’existe pas de définition consen-suelle internationale de la notion de ressources phytogénétiques – ou

ressources génétiques végétales. Ses contours se dessinent davantage dans les pratiques des différents acteurs inter-nationaux qui les utilisent : des États, des instituts de recherche, des organisations non gouvernementales ou encore des entreprises privées.

L’ENJEU DE LA PROPRIÉTÉ. Communé-ment, les flux phytogénétiques recou-vrent les échanges de semences, de plantes et de tout échantillon biologique pouvant en être issu et renfermant des unités héréditaires du vivant sous forme d’ADN. Les applications possibles de ces ressources sont alimentaires (créa-tion de nouvelles variétés, croisement), pharmaceutiques (pour la médecine moderne et traditionnelle), cosméti-ques, ou encore industrielles (dépollu-tion de sols, fertilisants, etc). Deux tendances sont perceptibles dans la gestion des ressources naturel-les. D’un côté, la progression des droits de propriété intellectuelle (DPI) sur les inventions dérivées du vivant entraîne la privatisation des ressources génétiques. Les DPI interdisent dès lors l’accès pour un temps défini aux innovations généra-lement élaborées par des industries des pays du Nord, tandis qu’en contrepartie, les pays en développement demandent l’abolition du principe de libre accès aux

ressources « brutes » in situ. Cette der-nière revendication a été reconnue en 1992 par la Convention sur la diversité biologique (CDB) qui établit la souverai-neté des États sur les ressources natu-relles et remplace le système de libre accès. De l’autre côté, la privatisation de l’ac-cès au matériel brut et au matériel éla-boré est propice à une redéfinition des conditions d’obtention des ressources génétiques. De plus en plus, les contrats des prospecteurs imposent des clau-ses de partage équitable des bénéfices avec les pays d’origine et les populations locales ou indigènes responsables des ressources in situ. La question est négo-ciée aujourd’hui à l’échelle internatio-nale sous les termes d’accès et de par-tage des avantages (APA). Elle progresse à la fois à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) mais aussi à la CDB, à l’Organisa-

tion mondiale pour la propriété intellec-tuelle (OMPI) et à l’Organisation mon-diale du commerce (OMC).

UN MÉCANISME DE FINANCEMENT. Ces clauses de partage permettent d’éta-blir un fonds commun dans lequel sont reversés les bénéfices de la commer-cialisation de ressources naturelles élaborées, à l’image du système pro-posé par la FAO. Elles peuvent égale-ment concerner la standardisation des contrats d’accès avec la mise en place de standards minimaux de partage des avantages. La garantie de l’accord des populations locales et indigènes avant chaque accès et le versement d’une par-tie des bénéfices à ces parties prenantes en sont un exemple. Ce système bénéfi-cie de la faveur de la CDB qui doit éta-blir un régime pour l’APA d’ici à 2010. Pour faciliter la mise en œuvre de ces contrats, la divulgation de l’origine des

UN MARCHÉ SANS DOUTE CONSIDÉRABLE

Du fait de la disparité des matériaux et des utilisations, la quantification exacte des flux de ressources génétiques végétales reste délicate. Leur utilisation pos-sible a suscité de nombreux fantasmes. Plusieurs tentatives de quantification, avec pour unité de référence la forêt amazonienne, se sont succédé dans les années 1990. En 1999, le marché global annuel pour les produits dérivés de res-sources génétiques issues de la biodiversité a été estimé entre 500 et 800 mil-liards de dollars. Par comparaison, le marché de la pétrochimie est lui de 500 milliards de dollars.Aujourd’hui, si la quantification pose toujours problème, le potentiel contenu dans les ressources phytogénétiques ne fait plus aucun doute. Un système ramifié de réglementations s’est peu à peu mis en place au niveau interna-tional pour réguler les conditions d’accès à ces richesses. Les mécanismes d’échange de ressources phytogénétiques peuvent s’appréhender en fonction de deux facteurs : d’une part les modalités de ces échanges et, d’autre part les régulations internationales et les institutions internationales qui les régissent.

Page 279: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 281

INNOVATIONS

1978. La convention de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) définit un certificat d’obtention végétale (COV) protégeant une combinaison unique et nouvelle de variétés végétales agricoles et ornementales. Elle reconnaît le libre accès aux ressources à des fins de recherche ainsi que le « droit des agriculteurs » à ré-ensemencer une partie de leur production agricole d’une année sur l’autre.

1980. Suite au procès Chakrabarty aux États-Unis le dépôt de brevet est autorisé sur une bactérie et ouvre ainsi le champ d’application des brevets au vivant. La protection est plus contraignante que pour un COV et les critères d’obtention de droits de propriété intellectuelle élargis.

1983. Les ressources génétiques agricoles et biologiques restent théoriquement en libre accès, mais la FAO reconnaît le besoin d’institutionnaliser le « droit des agriculteurs » afin de limiter les pratiques de privatisation des ressources agricoles.

1989. La FAO reconnaît le « droit des obtenteurs » à percevoir une compensation financière contre l’accès à leurs variétés, limitant de fait le « droit des agriculteurs ».

ressources génétiques dans les deman-des de brevet est un instrument qui a été proposé dès 2002 par une coalition de pays riches en biodiversité : les pays mégadivers, dits « du même esprit ». Il est discuté au sein de l’OMC et de l’OMPI. Ces dispositifs ont un objectif commun : améliorer la traçabilité des

flux phytogénétiques et la transparence des contrats d’accès. Malgré les réticen-ces initiales des pays développés, ces instruments sont de plus en plus per-çus comme des compromis efficaces pour favoriser les échanges et les inno-vations à base de ressources phytogé-nétiques. n

1991. La révision de la convention UPOV limite l’exemption de recherche et encadre certaines pratiques du « droit des agriculteurs ».

1992. La Convention sur la diversité biologique (CDB) est adoptée, reconnaissant la souveraineté des États sur leurs ressources génétiques et mettant ainsi fin au statut de patrimoine commun des ressources naturelles.

1994. Les Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic) sont adoptés dans le cadre de l’OMC.

1995. En mai, le décret présidentiel philippin 247 entre en vigueur comme la première législation nationale régulant l’accès et l’échange des ressources génétiques.

1996. En juillet, le régime commun sur l’accès aux ressources génétiques de la Communauté andine des Nations est le premier texte de portée régionale régissant l’accès aux ressources naturelles.

1999. La Convention sur la diversité biologique mandate un groupe de travail sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des bénéfices de leur commercialisation.

2001. Le protocole de Carthagène sur la biosécurité régulant les transferts transfrontières d’organismes génétiquement modifiés est adopté.

2001. Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture est adopté dans le cadre de la FAO. Ce régime établit une liste de plantes soumises à un système multilatéral en libre accès mais dont les applications dérivées doivent faire l’objet d’un reversement à un fonds multilatéral.

2002. Les lignes directrices de Bonn sur « l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages résultant de leur utilisation » sont adoptées dans le cadre du groupe de travail de la CDB.

2002. La conférence de Johannesburg de septembre 2002, ou Sommet mondial pour le développement durable, relance les négociations sur l’accès aux ressources génétiques, jusqu’alors freinées par des blocages politiques dans le cadre de la CDB.

2002. En novembre, est créée la coalition des « pays mégadivers du même esprit » – notamment le Brésil, la Chine et l’Inde – regroupant les pays à forte biodiversité. Elle veut défendre les intérêts des fournisseurs de ressources génétiques dans les instances internationales.

2003. Les États-Unis, et dans une moindre mesure l’Union européenne, signent plusieurs accords bilatéraux avec des pays en développement et dépassant les exigences des accords Adpic en matière de protection de la propriété intellectuelle. Ces accords sont connus sous le nom d’Adpic+.

2010. Date butoir pour l’établissement d’un régime international pour l’accès et le partage des avantages dans le cadre de la CDB. Un certificat international de provenance des ressources génétiques pourrait être créé et utilisé comme instrument de conformité.

4 RÉGIMES JURIDIQUES, 4 CONSTRUCTIONS POLITIQUES

REPÈRE 18RESSOURCES

PHYTOGÉNÉTIQUES...

Source : D’après Amandine Bled, Science Po, Bordeaux

Page 280: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009282

INNOVATIONS

Fidji,Salomon,Tonga

UEUE

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o, ju

illet

200

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Source : OMC, www.wto.orgSource : International Union for the Protection of New Varieties of Plants, www.upov.int

LIBRE ACCÈSP R I N C I P E

› Libre accès aux ressources génétiques pour utilisation commerciale ou non.

E X E M P L E S

› Tous flux génétiques avant 1978.

AVA N TAG E S

› Aucune restriction d’accès et dynamisation de l’échange des ressources.

I N CO N V É N I E N T S

› Difficulté de maintenir l’application du principe au regard de l’évolution des droits de propriété intellectuelle liés aux ressources.

› Abus des utilisateurs de ressources, voire pillage.

CONTRAT PRIVÉP R I N C I P E

› Les échanges de ressources se font sur une base de négociations bilatérales entre les parties. Les droits de propriété intellectuelle protègent les inventions issues de ressources naturelles.

E X E M P L E S

› Contrats de licences pour les ressources brevetées.

› Contrats d’accès aux banques privées de semences et de gènes.

AVA N TAG E S

› Dynamisation possible de la recherche avec attribution d’une protection des inventions.

I N CO N V É N I E N T S

› Diminution des possibilités d’accès aux ressources génétiques.

› Privatisation de la gestion des ressources.

› Absence de contrôle des termes de l’échange.

Union internationale

pour la protection des

obtentions végétales (Upov)

1978 65 États

membres

Accords sur les droits de propriété

intellectuelle qui touchent

au commerce (Adpic)

1994 135 États membres

4 SYSTÈMES D’ÉCHANGES CONCURRENTS ET COMPLÉMENTAIRES...

Page 281: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 283

INNOVATIONS

FONDS COMMUN P R I N C I P E

› Libre accès à une liste de ressources génétiques mais paiement de redevances à un fonds multilatéral en cas de développement d’une variété qui en est dérivée et faisant l’objet de droits de propriété intellectuelle contraignants.

E X E M P L E S

› Traité international de la FAO de 2001.

AVA N TAG E S

› Réinvestissement des fonds pour la conservation de la biodiversité.

› Libre accès aux ressources à des fins non commerciales.

I N CO N V É N I E N T S

› Difficulté de contrôle de la mise en œuvre régionale et nationale du traité.

› Incertitude quant à l’utilisation finale des ressources.

› Nombre limité de ressources soumises au système.

› Ne concerne que les ressources pour l’alimentation et l’agriculture.

CONTRAT STANDARDISÉP R I N C I P E

› Mise en place de critères minimums pour la négociation de contrats d’accès aux ressources génétiques.

E X E M P L E S

› Législations nationales des Philippines, législation de la Communauté andine.

› Option pour le régime de 2010 de la CDB.

AVA N TAG E S

› Équilibre assuré entre accès aux ressources et utilisation à des fins d’innovation.

› Limitation des pratiques abusives d’accès aux ressources.

I N CO N V É N I E N T S

› Difficulté d’établissement de critères minimums.

› Augmentation des étapes préalables à l’accès aux ressources.

› Nécessite en partie la modification du système de contrat privé de l’OMC.

UE

Fidji,Kiribati,Îles Marshall,Nauru, Niue,Palau,Salomon,Samoa,Tonga

UE

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illet

200

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Source : Convention sur la diversité biologique, www.cbd.intSource : FAO, www.fao.org

Convention sur la biodiversitéProtocole de Carthagène

Traité international

sur les resssources

phytogénétiques2001

64 États membres

Convention sur la diversité

biologique1992

191 États membres

Protocole de Carthagène

sur la biosécurité

2001147 États membres

Quatre régimes juridiques parallèles organisant les droits de propriété des ressources phytogénétiques se sont développés dans des enceintes différentes, selon des processus distincts de négociation. Cette pluralité d’instruments complique le débat global sur le statut des ressources génétiques végétales mais permet aussi aux États de développer des stratégies multiples, selon les besoins et les intérêts de leurs différents acteurs (agri-culteurs, industries, communautés autochtones, chercheurs, etc.).

REPÈRE 18RESSOURCES

PHYTOGÉNÉTIQUES

Source : D’après Amandine Bled, Science Po, Bordeaux

Page 282: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009284

INNOVATIONS

AGRONOMIE L’AGRICULTURE DURABLE RESTE À INVENTER

A ucun système agricole aujourd’hui ne peut être considéré comme durable. Les agricultures des

pays de l’OCDE consomment trop de ressources (engrais, eaux) et de pétrole – directement ou indirectement –, elles polluent trop et exigent trop de subven-tions publiques pour être considérées comme durables. Les systèmes agricoles traditionnels quant à eux, s’ils sont plus économes en ressources, atteignent des perfor-mances insuffisantes par rapport aux besoins nutritifs de leur population et créent des problèmes comme la migra-tion des hommes en âge de travailler ou des conflits fonciers. Surpâturage, éro-sion, déforestation liés aux techniques traditionnelles exercent aussi des pres-sions environnementales importantes.Promouvoir une agriculture durable qui réponde aux besoins sociaux, environ-nementaux et économiques – impose d’inventer de nouvelles méthodes de production. Une question posée direc-tement à la recherche agronomique.

GÉRER LA COMPLEXITÉ. Historiquement, celle-ci a contribué à la standardisation des espèces et à la simplification des méthodes de mise en culture, jusqu’à un idéal d’artificialisation – une récolte produite dans un environnement totale-ment artificiel et contrôlé. Aujourd’hui, l’émergence conjointe de différents pro-blèmes globaux, tels que l’appauvrisse-ment de la biodiversité, le manque d’eau, le changement climatique, le renchéris-sement du pétrole, oblige à reformuler les attentes vis-à-vis de la recherche. La pression écologique actuelle remet en cause les principes traditionnels de l’agronomie en lui demandant d’ap-

prendre à gérer la complexité : com-ment mettre en culture un champ assez large de variétés pour améliorer la rési-lience naturelle des cultures ? Comment prendre en compte les aspects positifs comme négatifs des relations hôtes-parasites ? Aujourd’hui, en raison même de la complexité évoquée, les réponses res-tent parcellaires et locales, tenant plus de l’horticulture et du jardinage que de l’agriculture. Et transposer les solutions développées pour le Nord aux agricul-tures du Sud, comme cela a été si long-temps proposé ne convient en aucun cas. Aujourd’hui une seule technique agricole durable, le semis sous cou-vert végétal, s’est répandue sur les cinq continents. Elle présente en effet une

bonne opportunité pour beaucoup de systèmes agraires déjà mécanisés en exigeant à la fois peu de travail supplé-mentaire, et en offrant une bonne ren-tabilité et un respect des principes de l’agro-écologie.

LES MOYENS DE LA DURABILITÉ. Les tra-vaux récents comme ceux de la Ban-que mondiale ou de l’International Food Policy Research Institute (Ifpri), soulignent avant tout un manque glo-bal d’investissement dans la recherche agronomique. Depuis les années 1990, les investissements publics ont aug-menté d’à peine 3 % en Europe ou en Amérique du Nord. Et si aujourd’hui les pays en développement représen-tent 55 % des dépenses publiques en

PUBLIC OU PRIVÉ ?Les appareils publics de recherche agronomique ne sont apparus qu’au xviiie siècle. Auparavant toute l’inno-vation agricole était le fait d’indivi-dus ou de communautés. Depuis les années 1990, et grâce au dévelop-pement de la génomique, les socié-tés privées de recherche se déve-loppent, espérant des retours sur investissement importants grâce au développement des brevets sur le matériel phytogénétique (lire repère 18). Ce type de recherche est souvent éloigné des impératifs d’une agriculture durable ou des attentes des agricultures les moins rentables. Son emprise sur les semences et les engrais limite de plus la diffusion de l’innovation.

LE SECTEUR ATTIRE LE PRIVÉ>

74,771,558,657,754,353,651,534,024,8

Part du privé et du public dans les dépenses en R&D en agronomie, 2000 (en %)

Atel

ier d

e ca

rtog

raph

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ienc

es p

o, s

epte

mbr

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08

Source : Philip G. Pardey, Nienke Beintema, Steven Dehmer et Stanley Wood, Agricultural Research A Growing Global Divide ?, Washington (D.C.), Ifpri, août 2006.

93,7

45,7

6,3

54,3

PublicPrivé

PED

Paysde l'OCDE

Part du privé dans quelques pays de l'OCDE, 2000

AustralieCanada

AllemagneÉtats-Unis

Pays de l'OCDE

JaponPays-Bas

Royaume-UniFrance

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 285

INNOVATIONS

RECHERCHE SANS FONDS>

3 047 4 847 7 523

1 897 2 107 2 454

1 196 1 365 1 461

7641 139 1 382

8 293 10 534 10 191

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Source : Philip G. Pardey, Nienke Beintema, Steven Dehmer et Stanley Wood, Agricultural Research A Growing Global Divide ?, Washington (D.C.), Ifpri, août 2006.

Dépenses en R&D publique pour l’agronomie, 1981-2000 (en millions de dollars)

Afrique subsaharienne

Moyen-Orientet Afrique du Nord

Pays de l'OCDE1981 1991 2000

Asie-Paci�que

Amérique latine et Caraïbes

PEU D'AIDE AGRICOLE>

4,9

16,6

9,8

4,24,9

16,6

9,8

4,2

Atel

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08

Source : Philip G. Pardey, Nienke Beintema, Steven Dehmer et Stanley Wood, Agricultural Research A Growing Global Divide ?, Washington (D.C.), Ifpri, août 2006.

Aide bilatérale (en milliards de dollars constants de 2000)

20

30

40

50

1970 1980 1990 2000 03 04

Part de l'agriculture (en %)

recherche agronomique, c’est avant tout dû aux efforts colossaux effectués par la Chine et l’Inde – en 2000, les deux pays représentaient plus de 20 % des dépen-ses publiques en recherche et dévelop-pement. Le manque de ressources financières pour la recherche agronomique classi-que constitue une limite importante à la mise au point de nouveaux traitements des maladies végétales ou au dévelop-pement de nouvelles variétés mieux adaptées aux contraintes de certains pays. Il semble nécessaire, sur la base de ce constat, de refonder la coopéra-tion internationale en la matière et de faire de l’aide publique à l’agriculture une priorité fondamentale tant dans la lutte contre la pauvreté que dans celle contre le changement climatique. Mais si l’objectif est de promouvoir une agriculture durable, le système actuel de recherche agronomique a besoin d’autre chose que de crédits. De nou-veaux domaines de connaissance doi-vent être promus et développés : pour être capable d’appréhender les champs comme des écosystèmes complexes, il faut d’abord développer une science des sols axée sur leur biologie et leur recons-titution, plutôt que sur leur cartographie et leur aptitudes techniques. Il faut aussi

renforcer une approche alternative de l’eau, visant à abaisser la consommation globale plutôt que de réfléchir à la tarifi-cation de son usage. Ce sont des chan-gements de paradigmes importants qui demandent plus que des crédits et du personnel de recherche. Une autre agriculture –  une agricul-ture durable – répond essentiellement aux besoins de l’agriculture familiale, qui reste le modèle dominant dans le monde. C’est une agriculture de petites parcelles – la moyenne mondiale est

aujourd’hui d’un hectare par actif agri-cole contre 1,45 il y a cinquante ans. Même s’il existe encore certaines mar-ges de manœuvre, en Asie notamment, la majeure partie du monde reste dépen-dante d’une très petite agriculture pour laquelle l’augmentation ou le simple maintien des rendements, la réduction des impacts environnementaux ou l’amélioration des conditions de vie ne peuvent passer par l’utilisation de trac-teurs, d’engrais pétroliers ou de semen-ces améliorées. n

Les fonds publics alloués à la recherche agronomi-que n’ont pas beaucoup progressé depuis les années 1980, sauf pour la zone Asie-Pacifique. Hors pays de l’OCDE et d’Asie, les appareils de recher-che souffrent d’une man-que patent de crédits.

REPÈRE 19AGRONOMIE

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GLOSSAIRELISTE DES SIGLES

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› Acception normative : sens particulier dans lequel un mot est utilisé en référence à un ensemble de normes spécifiques.

› Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT)  : accord signé en 1947 par 23 États dans l’objectif de libéra-liser le commerce par l’élimination des quotas d’importation et des tarifs douaniers. Il s’agis-sait d’un accord provisoire devant mener à la création d’une Organisation internationale du commerce dans l’esprit des accords de Bret-ton Woods. Le GATT est néanmoins resté le cadre principal des négociations multilatéra-les sur le commerce jusqu’à la signature de l’accord final du cycle d’Uruguay en 1995, qui l’a placé sous le couvert de l’OMC.

› Accords Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) : relations commerciales préférentielles des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique avec l’Union européenne, en vertu de l’an-cienne Convention de Lomé, aujourd’hui devenue l’Accord de Cotonou. Ce dernier est en cours de renégociation.

› Accords multilatéraux sur l’environne-ment (AME)  : instruments juridiquement contraignants par lesquels les États natio-naux s’engagent à réaliser des objectifs envi-ronnementaux spécifiques. Bien que chaque AME possède des caractéristiques uniques fondées sur des conditions négociées, tous ont été créés sous les auspices des Nations unies et découlent de décisions explicites de l’Assemblée générale de l’ONU. Les AME sont assujettis au principe onusien d’«  un pays, une voix  ». Tous les AME sont créés sous réserve de leur ratification au niveau national et de leur codification par l’établis-sement d’institutions et de politiques natio-nales appropriées, d’une compétence natio-nale et d’une volonté politique.

› Action 21 ou Agenda 21 (21 pour xxie siè-cle) : guide de mise en œuvre du développe-ment durable à l’échelle mondiale adopté à l’issue de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (Som-met de Rio, en 1992). Il comprend 40 chapi-tres et plus de 2 500  recommandations tou-chant à un vaste nombre de sujets, allant de la protection des écosystèmes jusqu’aux modè-les de développement économique. Le plan d’action met l’accent sur la mise en œuvre de projets à l’échelle locale et sur la participation de divers groupes de la société civile (les fem-mes, les enfants, les communautés régiona-les, les populations autochtones, les ONG, les travailleurs, les agents économiques, les cher-cheurs, les collectivités locales). Le suivi de sa

mise en œuvre est assuré par la Commission du développement durable des Nations unies.

› Adaptation  : ajustement des systèmes naturels ou des systèmes humains face à un nouvel environnement ou à un environne-ment changeant. L’adaptation aux change-ments climatiques indique l’ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse à des stimuli climatiques présents ou futurs ou à leurs effets, afin d’en atténuer les effets néfastes ou de tirer profit des opportunités nouvelles.

› Agences de notation sociale : agences qui évaluent et notent la politique de responsa-bilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises. Elles travaillent à partir d’analy-ses des documents publics, de questionnai-res spécifiques et de rencontres avec des res-ponsables d’entreprises. Leurs rapports sont destinés en premier lieu aux investisseurs, mais peuvent également être sollicités par les collectivités locales, les entreprises, les consommateurs.

› Agrocarburants  : carburants liquides obte-nus à partir de plantes cultivées. Les agro-carburants de première génération sont issus d’huile ou de fermentation alcoolique d’oléa-gineux ou de céréales. La deuxième généra-tion, qui devrait être opérationnelle dans une dizaine d’années, elle, est issue de procédés pétro-chimiques qui veulent utiliser toute la plante ou de la biomasse cellulosique comme de l’herbe ou du bois. Elle entre ainsi en moin-dre compétition avec l’agriculture alimentaire.

› Aires protégées  : portion de terre ou de milieu marin vouée spécifiquement à la pro-tection et au maintien de la diversité biolo-gique, des ressources naturelles et culturel-les associées, et administrée par des moyens efficaces, juridiques ou autres.

› Annexe I : annexe à la Convention cadre sur les changements climatiques reprenant la liste des 4l pays (ou parties) considérés comme des pays développés. À ce titre, la Convention les engage moralement dans un premier temps à ramener leurs émissions de gaz à effet de serre en l’an 2000 à leur niveau de 1990.

› Anthropocène : terme utilisé par un nom-bre croissant de scientifiques pour indiquer que la planète est entrée dans une nouvelle ère géologique définie par l’altération d’ori-gine humaine. Cette notion implique que les effets des activités humaines sur la planète sont suffisamment importants pour laisser une signature géologique distincte de l’ère précédente. L’anthropocène, selon le lauréat

du prix Nobel de chimie Paul Crutzen, aurait débuté en  1784, année de l’invention de la machine à vapeur et succéderait à l’ère de l’holocène.

› Aquifère : formation géologique contenant de façon temporaire ou permanente de l’eau mobilisable, constituée de roches perméa-bles et capable de la restituer naturellement et/ou par exploitation.

› Atténuation  : ensemble des actions indivi-duelles ou collectives permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) ou d’accroître leur séquestration, généralement dans des puits forestiers. À la différence de l’adaptation, l’atténuation offre une approche préventive des changements climatiques.

› Bien public mondial  : transposition au niveau international du concept de biens, services et ressources collectifs, c’est-à-dire dont l’existence est bénéfique à la commu-nauté internationale. Dans leur définition la plus pure, ces biens ne s’épuisent pas lorsqu’on les consomme (propriété de non-rivalité) et nul n’est exclu de leur consomma-tion (propriété de non-exclusion). En matière d’environnement, le climat, la biodiversité ou la couche d’ozone sont des exemples de biens publics mondiaux.

› Biodiversité  : «  Variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les com-plexes écologiques dont ils font partie  ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosys-tèmes. » (Convention sur la diversité biologi-que, article 2).

› Biomasse : quantité totale de matière (masse) de toutes les espèces vivantes présentes dans un milieu naturel donné (écologie) ou ensem-ble des matières organiques pouvant devenir des sources d’énergie (énergie).

› Biomasse lignocellulosique  : ensemble des matières végétales à haute teneur en cellulose et en lignine transformables en énergie par thermochimie. La cellulose et la lignine sont produits par photosynthèse et donc particulièrement présents dans les her-bes, les pailles, les arbres.

› Biosphère : concept défini par le géologue Eduard Sess pour désigner à la fois un sys-tème planétaire incluant l’ensemble des orga-nismes vivants et des milieux où ils vivent et le processus d’entretien et de complexification de la vie dans ce système.

GLOSSAIRE

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 289

› Bonne gouvernance : ensemble de règles et de principes qui définissent les caracté-ristiques et critères de comportements aux-quels un gouvernement doit se conformer afin d’être en mesure de répondre aux aspi-rations des citoyens. La Banque mondiale, qui définit la bonne gouvernance comme une gestion saine du développement, iden-tifie quatre critères  : la gestion du secteur public, le cadre juridique (État de droit), l’in-formation et la transparence, et la responsa-bilité.

› Brûlis  : technique agricole utilisant le feu comme moyen de création du champ, plus particulièrement utilisée comme moyen de défrichement et de fertilisation dans la zone tropicale et équatoriale.

› Capitalisme créatif : idée proposée par le fondateur de Microsoft, Bill Gates, reposant notamment sur une collaboration accrue entre les entreprises, les gouvernements et les ONG afin que les aspects du capitalisme servant les personnes les plus fortes profi-tent aussi aux plus pauvres. Selon lui, tout en conservant leur sens inné des affaires, les entreprises doivent trouver de nouveaux moyens pour résoudre les principaux problè-mes affectant les populations les plus pau-vres, qui souffrent de malnutrition, d’un man-que d’eau ou de médicaments.

› Capture et stockage du carbone (CCS) : procédé technique qui sépare le dioxyde de carbone des gaz produits par les gran-des centrales thermiques, transporte le CO2 ainsi capté jusqu’à un lieu de stockage après injection en profondeur (dans des formations géologiques ou minérales). Les différentes composantes du procédé (captage, trans-port et stockage de CO2) ont toutes fait l’ob-jet de démonstration à moindre échelle, mais il est encore nécessaire de les intégrer dans un processus complet de projet de démons-tration. Les principaux acteurs développant des projets pilote de CCS sont les multina-tionales de gaz et de pétrole (comme Exxon-Mobil, Shell, Statoil, Total, GDFSuez). L’UE a également créé en  2005 une plateforme technologique européenne de démonstra-tion regroupant 25  membres de l’industrie, de la recherche, des autorités et des ONG.

› Cétologiste : spécialiste de l’étude des céta-cés.

› Changements climatiques anthropogé-niques  : altérations du système climatique mondial, persistant sur une période étendue et causées directement ou indirectement par

l’activité humaine, notamment par la modifi-cation de la composition de l’atmosphère et de l’utilisation des sols.

› Charte mondiale pour la nature : adop-tée par l’Assemblée générale des Nations unies le 28  octobre  1982. Elle se compose de 24 articles dans lesquels sont abordés les principes de respect de la nature et des éco-systèmes (art.  1 à 5), les principes visant à assurer l’intégration de la conservation de la nature dans le développement socioécono-mique (art.  6 à 13) et les mesures d’incor-poration de ces principes dans la législation de chaque État. Bien que cette charte n’ait pas de portée juridique, elle a néanmoins influencé les accords multilatéraux sur l’en-vironnement subséquents.

› Commission sur la gouvernance mon-diale (Commission on Global Governance) : groupe de 28  leaders internationaux émi-nents, formé à l’instigation de l’ancien chan-celier allemand Willy Brandt en  1992, avec la mission d’analyser les changements mondiaux à l’issue de la guerre froide et de proposer des moyens d’améliorer la coopération internationale. En 1995, les co- présidents de la Commission, Ingvar Carls-son (à l’époque Premier ministre de la Suède) et Shirdath Ramphal (alors secrétaire-général du Commonwealth et président de l’Union internationale pour la conservation de la nature), ont présenté le rapport intitulé Our Global Neighboorhood mettant en avant plu-sieurs propositions de réforme en profondeur des institutions internationales, en particulier l’Organisation des Nations unies.

› Communauté épistémique : réseau de pro-fessionnels possédant une expertise reconnue dans un domaine particulier et revendiquant une autorité intellectuelle sur les connaissances politiquement pertinentes dans ce domaine. Elle forme des canaux par lesquels de nouvel-les idées circulent des sociétés vers les gouver-nements tout comme de pays en pays.

› Communaux internationaux ou patri-moine commun : ressources naturelles qui dépassent la juridiction nationale des États, tels l’Antarctique, les océans et l’atmosphère.

› Comptabilité nationale  : cadre compta-ble qui permet d’exploiter les données éco-nomiques d’un pays et de les présenter sous une forme qui convienne aux fins de l’analyse économique, de la prise de décisions et de la définition des politiques. Le recueil System of National Accounts (publié conjointement par l’ONU, la Commission européenne, le

FMI, l’OCDE et la Banque mondiale) établit les standards statistiques internationaux de mesure de l’activité économique. Ce cadre est formé d’une série cohérente de comp-tes macroéconomiques, de comptes de patri-moine et de tableaux articulés et coordonnés qui s’appuient sur un ensemble de concepts, définitions, nomenclatures et règles de comp-tabilisation approuvé au plan international.

› Consensus de  Monterrey  : ensemble de mesures adoptées en 2002 à la Conférence des Nations unies sur le financement du développement de Monterrey afin d’amélio-rer l’efficacité de l’aide envers les plus pau-vres et atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Les plus importan-tes de ces mesures sont la mobilisation des ressources nationales, l’adoption au plan national de politiques macroéconomiques assurant la viabilité des politiques budgétai-res et l’articulation des dépenses publiques avec l’investissement productif privé.

› Convention sur la diversité biologique (CDB)  : convention signée au sommet de la Terre, à Rio de Janeiro (Brésil) en  1992 et entrée en vigueur le 29  décembre  1993. Signée par 168 pays, cette convention a pour objectifs « la conservation de la diversité bio-logique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques » (article premier). Elle est le pre-mier accord mondial complet qui prend en compte tous les aspects de la diversité biolo-gique : les ressources génétiques, les espèces, les écosystèmes. Elle reconnaît que la conser-vation de la diversité biologique est « une pré-occupation commune à l’humanité » (préam-bule) et fait partie intégrante du processus de développement. Voir www.cbd.int

› Cour internationale de justice (CIJ)  : principal organe judiciaire de l’ONU institué en juin 1945 par la Charte des Nations unies. La Cour, qui siège à La Haye (Pays-Bas) se compose de quinze juges, qui sont élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée géné-rale et le Conseil de sécurité. La mission de la CIJ est de régler, conformément au droit international, les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les États et de donner des avis consultatifs sur les questions juridi-ques que peuvent lui poser les organes et les institutions spécialisées de l’ONU autorisés à le faire. C’est ainsi qu’elle intervient dans des causes variées telles que la délimitation des eaux territoriales et des droits de pêche ou l’épandage aérien de pesticides.

GLOSSAIRE...

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› Courbe de Kuznets  : concept économi-que développé par Simon Kuznets en  1955 selon lequel la relation entre l’augmentation du revenu par habitant et le niveau d’inéga-lité sociale a la forme d’un U inversé. Cette théorie a ensuite été appliquée à la qualité de l’environnement sous le vocable de « Courbe environnementale de Kuznets  ». Selon cette logique, à des niveaux de revenus très fai-bles, l’impact environnemental anthropi-que est limité aux activités de subsistance. À mesure que l’économie s’industrialise, l’ex-traction accélérée des ressources naturelles et les rejets massifs de polluants accentuent la pression sur les écosystèmes naturels. Cepen-dant, lorsque les conditions de vie matérielles s’améliorent, la société en vient à avoir suf-fisamment de capital pour orienter une par-tie de ses investissements vers la diminution de l’empreinte écologique et ainsi à renverser le sens de la relation entre la croissance éco-nomique et la dégradation environnementale. Les preuves empiriques de ce modèle sont toutefois fortement contestées.

› Coût additionnel : coût associé à la trans-formation d’un projet avec des bénéfices environnementaux nationaux en un pro-jet avec des bénéfices pour l’environnement mondial. Cette approche par les coûts addi-tionnels, imposés par la nécessité d’entre-prendre une action dans un secteur donné (conservation de la biodiversité, adaptation aux changements climatiques, etc.) fonde le fonctionnement du Fonds pour l’environ-nement mondial comme du Fonds mondial pour l’adaptation.

› Déballastage : vidange des compartiments (ballasts) d’un navire. Il existe trois types de déballastage, le déchargement des eaux de lestage (réglage de l’assiette, de la stabi-lité et des efforts de structure), le décharge-ment des résidus de cargaisons liquides et le déchargement des résidus de fonction-nement (boues). Le déballastage de l’eau de mer, pompée à un endroit du globe et vidan-gée dans un autre, peut provoquer le trans-fert d’espèces invasives dans un écosystème. Le déballastage des résidus et des boues est source de pollution.

› Déclaration de Johannesburg de  2002 sur le développement durable  : l’un des deux documents issus du Sommet mondial du développement durable, qui s’est tenu du 26 août au 4 septembre 2002 à Johannesburg (Afrique du Sud). La déclaration réévalue la situation mondiale et les progrès accomplis depuis 1992, engage ses signataires au res-

pect des principes du développement dura-ble et met l’accent sur l’action multilaté-rale. Un plan d’action, le Plan d’application du Sommet mondial pour le développement durable, l’accompagne. Ce plan constate la lenteur de concrétisation de l’Action  21 et recommande un changement profond des modes de production et de consommation.

› Différenciation : dans le contexte des négo-ciations climatiques, principe distinguant des niveaux de responsabilité différent pour les pays en fonction de leur contribution histori-que au renforcement de l’effet de serre. C’est au nom de ce principe que les pays dévelop-pés ont accepté une réduction contraignante de leurs gaz à effet de serre alors que les pays en développement, eux, n’ont qu’un engage-ment moral à les limiter dans le cadre du pro-tocole de Kyoto.

› Droit positif : ensemble des règles posées, en vigueur à un moment donné, dans une société donnée. On l’oppose au droit naturel qui ne serait pas créé, mais découvert.

› Dumping : pratique commerciale déloyale interdite par l’Organisation mondiale du commerce consistant à vendre dans un autre pays à un prix inférieur à celui pratiqué dans le pays de production, voire en dessous des coûts réels de production.

› Durabilité faible : conception du dévelop-pement durable fondée sur le principe de substitution entre les stocks de capitaux du développement durable (économiques, envi-ronnementaux et sociaux), du moment que la somme total des stocks reste inchangée. Selon cette conception, il est possible de détruire le stock de capital environnemental si on le remplace par des technologies qui fournissent les mêmes services.

› Durabilité forte  : conception du dévelop-pement durable, selon laquelle aucune des trois dimensions (ou capitaux) du dévelop-pement durable (économiques, environ-nementales, et sociales) ne doit diminuer. Selon cette hypothèse défendue notamment par l’économiste Herman Daly, les capitaux environnementaux, sociaux et économiques sont complémentaires et non substituables.

› Écosystème  : milieu défini à l’intérieur duquel des organismes vivants (animaux et végétaux) interagissent avec la matière inerte dans une relation d’étroite interdépen-dance pour former une unité écologique. À grande échelle, les écosystèmes sont définis seulement en fonction des régions géogra-phiques qu’ils occupent, souvent appelées

biomes (ex. arctique, haute prairie ou forêt d’arbres feuillus). À petite échelle (ex. dune ou marais), les écosystèmes recouvrent des conditions précises et correspondent à des aires où se jouent les interactions entre les différents organismes présents.

› Efficacité énergétique  : capacité à pro-duire autant ou plus (de chaleur par exem-ple) avec moins d’énergie et/ou à réduire les consommations d’énergie à service rendu égal.

› Émissions anthropogéniques : émissions de gaz résultant de l’activité humaine.

› Emplois verts  : emplois qui conduisent à une réduction directe de l’impact humain sur l’environnement  : réduction de la consom-mation d’énergie et des matières premières, de l’utilisation du carbone dans l’économie, protection et restauration des écosystèmes et de la biodiversité, réduction de la produc-tion de déchets et de la pollution.

› Espèces invasives  : espèce dont l’intro-duction ou la propagation, dans des zones situées au-delà de son aire de répartition naturelle, menace l’environnement, l’écono-mie ou la société.

› État minimal  : théorie politique libé-rale, défendue notamment par le philoso-phe Robert Nozick, qui prône la réduction de l’État et de ses pouvoirs dans les stric-tes limites de sa légitimité. Le rôle de l’État est perçu comme celui d’un «  gardien de nuit » qui n’a comme objectif que de proté-ger les citoyens contre la violence, le vol et la fraude. La juridiction de l’État y est limitée aux pouvoirs régaliens (taxation, police, jus-tice, armée). Un État qui outrepasse ces limi-tes est considéré comme illégitime puisqu’il brime la liberté naturelle de ses citoyens.

› Éthanol : combustible végétal issu de la fer-mentation du saccharose (betterave, canne à sucre…) ou par hydrolyse enzymatique de l’amidon (blé, maïs…).

› Eutrophisation  : asphyxie des eaux d’un lac ou d’une rivière due à un apport exa-géré de substances nutritives – notamment le phosphore – qui augmentent la production d’algues et de plantes aquatiques.

› Évaluation des écosystèmes pour le Millé-naire : lancée en 2000 à la demande du Secré-taire général des Nations unies, Kofi Annan et instaurée en 2001, elle a pour objectif d’éva-luer les conséquences des changements éco-systémiques sur le bien-être humain. Elle doit également établir la base scientifique pour

GLOSSAIRE...

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mettre en œuvre les actions nécessaires à l’amélioration de la conservation et de l’uti-lisation durable de ces systèmes, ainsi que de leur contribution au bien-être humain. Plus de 1 360 experts du monde entier ont participé à ce projet. Leurs conclusions, réunies en cinq volumes techniques et six rapports de syn-thèse, présentent une évaluation scientifique de la condition et des tendances des éco-systèmes dans le monde et de leurs fonc-tions (comme l’eau potable, la nourriture, les produits forestiers, la protection contre les crues et les ressources naturelles), ainsi que les possibilités de restaurer, de conser-ver ou d’améliorer l’utilisation durable des écosystèmes. Voir www.millenniumassess-ment.org

› Externalité négative  : concept intro-duit en  1932 par Arthur Cecil Pigou pour corriger l’incapacité du marché à prendre en charge les problèmes liés à la dégra-dation de l’environnement et à la réparti-tion des revenus. Pigou le définit comme « un effet de l’action d’un agent économi-que sur un autre qui s’exerce en dehors du marché ». Il y a donc externalité négative lorsqu’une activité induit des coûts pour un autre agent qui n’est pas impliqué direc-tement, par exemple dans l’activité d’une entreprise. Pour une entreprise, par exem-ple, « internaliser » une externalité néga-tive signifie prendre en compte dans ses calculs d’opportunité les coûts associés à la dépollution ou à la dégradation de l’en-vironnement.

› Facteur carbone (ou facteur d’émission) : mesure calculée en divisant les émissions totales de CO2 par la production totale d’énergie d’une zone ou d’un secteur donné. Elle est exprimée en kg CO2/MWh.

› Fiducie : concept issu du droit anglais (trust) qui désigne un  transfert de propriété sou-mis à des conditions d’usage ou de durée. Il s’agit d’arrangements selon lesquels une propriété, tangible ou intangible, est confiée à une personne ou à une organisation pour le bénéfice d’une autre. La propriété est confiée à un fiduciaire qui, bien qu’il en détienne légalement les droits de propriété, a l’obligation de le gérer dans l’intérêt d’un ou plusieurs bénéficiaires identifiés par celui qui crée la fiducie.

› Flexifuel (ou polycarburant)  : désigne une voiture dont le moteur peut fonctionner avec plusieurs types de carburants, générale-ment une combinaison d’essence et d’agro-carburant tel l’éthanol.

› Formule Arria  : instrument permettant à des organisations non gouvernementales de s’adresser de manière officieuse et confi-dentielle au Conseil de sécurité des Nations unies en dehors des séances officielles. Cette pratique informelle tient son nom de l’am-bassadeur du Venezuela, M. Arria, qui avait invité les membres du Conseil de sécurité à se réunir autour d’un café dans le Salon des délégués pour écouter un prêtre bosniaque en  1993. Cette formule est utilisée réguliè-rement depuis 1999 comme source d’infor-mations et de témoignages sur des questions examinées par le Conseil, notamment sur les questions humanitaires.

› Gaz à effet de serre (GES) : les six gaz à effet de serre visés par la Convention cadre des Nations unies sur les changements cli-matiques et le protocole de Kyoto sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), l’oxyde nitreux (N2O), l’hexafluore de soufre (SF6), l’hydrofluorocarbone (HFC) et l’hydrocarbure perfluoré (CF4).

› Gaz hydratés ou hydrate de gaz  : subs-tances ressemblant à de la glace que l’on trouve sur les plateaux continentaux près des côtes et dans le pergélisol partout dans le monde. Ils se forment quand un gaz, habi-tuellement le méthane, est en contact avec l’eau dans des conditions de température et de pression précises. Ils constitueraient un des réservoirs d’énergie non exploités les plus importants du monde. Selon certaines prévisions, ils pourraient en effet satisfaire les besoins énergétiques de la planète pen-dant les mille prochaines années.

› Indicateur d’épargne véritable  : mesure du développement qui corrige la mesure tra-ditionnelle de l’épargne brute de la valeur monétaire correspondant à la dégradation du capital naturel et à l’accumulation de capital humain. L’épargne véritable recouvre le calcul suivant  : [formation brute de capi-tal fixe (FBCF) + dépenses en éducation + dépenses en santé] - [dépréciation du capital physique + diminution des ressources éner-gétiques + diminution des ressources miné-rales + diminution des forêts + dommages liés aux émissions de CO2].

› Institutions de Bretton Woods : institutions issues d’une série d’accords multilatéraux sur les relations économiques internationales qui furent signés à Bretton Woods (États-Unis) en juillet 1944 sous l’égide de l’ONU. De façon générale, le système de Bretton Woods dési-gne le système monétaire et financier interna-tional qui depuis son établissement en 1944,

régule l’économie et institue des formes de régulation économique à l’échelle interna-tionale. Il est composé du Fonds monétaire international, voué à la surveillance des poli-tiques économiques et au soutien des pays en déficit, et de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (commu-nément appelée Banque mondiale), destinée à fournir une aide aux pays dévastés par la guerre et aux pays en développement. La troi-sième institution de Bretton Woods, dédiée à la régulation du commerce et à la coopéra-tion économique internationale, resta sous la forme d’un accord provisoire (le GATT) jusqu’à la création de l’OMC en 1995.

› Intensité énergétique : rapport de la consom-mation d’énergie à la production économique ou physique. À l’échelon national, l’intensité énergétique est le rapport de la consommation d’énergie intérieure totale, ou de la consom-mation d’énergie finale au produit intérieur brut ou à la production matérielle.

› Jurisprudence : ensemble des décisions de justice qui interprètent la loi ou comblent un vide juridique. Les décisions qui font juris-prudence deviennent source de droit et ser-vent subséquemment de référence dans les cas similaires.

› Major Economies Meeting ou Rencon-tre des économies majeures sur l’éner-gie et le climat : initiative américaine lancé fin 2007, le MEM est une enceinte de discus-sion politique qui regroupe 16 pays représen-tant 80 % des émissions mondiales de CO2 avec l’objectif de faire progresser les discus-sions internationales concernant les change-ments climatiques. Cette initiative de l’admi-nistration Bush vise notamment à créer un processus en parallèle au protocole de Kyoto, permettant de demander des réductions de gaz à effet de serre aux pays émergents (Bré-sil, Chine, Inde, Indonésie, Mexico, Corée du Sud, Afrique du Sud).

› Maladies négligées : maladies qui frappent presque exclusivement les populations des régions les plus pauvres et marginalisées. Les maladies négligées, entretenues par la pau-vreté, touchent environ un milliard de person-nes qui vivent pour la plupart dans des pays en développement. Ces infections sont favo-risées par l’absence d’eau salubre, les mau-vaises conditions de logement et le manque de moyens d’assainissement. Parmi les mala-dies négligées les plus répandues se trouvent le choléra, les maladies diarrhéiques endémi-ques, la dengue et la trypanosomiase humaine africaine (maladie du sommeil).

GLOSSAIRE...

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009292

› Mécanisme de développement propre (MDP) ou Clean Development Mecha-nism (CDM)  : dispositif permettant aux pays développés regroupés dans l’Annexe B du protocole de Kyoto d’acquérir des réduc-tions d’émissions certifiées en finançant dans les pays en développement des projets conduisant à des réductions des émissions de gaz à effet de serre. Ces réductions obte-nues entre les années 2000 et 2007 peuvent être utilisées pour les obligations concernant la période 2008-2012.

› Mesures d’atténuation et d’adaptation  : interventions anthropiques, qui, dans le contexte de la lutte contre les changements climatiques, visent à réduire les sources ou augmenter les puits de gaz à effet de serre afin de prévenir ou de limiter l’altération du système climatiques (mesures d’atténuation). Actions visant l’ajustement des systèmes humains en réponse à des changements cli-matiques présents ou futurs, afin d’en atténuer les effets néfastes ou d’en exploiter des oppor-tunités bénéfiques (mesures d’adaptation).

› Multiscalaire  : qualifie une approche déployée sur plusieurs échelles spatiales à la fois, allant de l’échelle mondiale à indivi-duelle.

› Objectifs du Millénaire pour le développe-ment (OMD) : objectifs adoptés en septem-bre 2000 lors de la 55e session de l’Assemblée générale des Nations unies. Au total, 191 pays ont signé la Déclaration du Millénaire, les enga-geant « à faire du droit au développement une réalité pour tous et à mettre l’humanité entière à l’abri du besoin  ». Les huit  OMD visent à améliorer les conditions de vie d’ici à  2015, notamment en réduisant de moitié l’extrême pauvreté, en garantissant l’accès à l’éducation primaire pour tous et en stoppant la propaga-tion du VIH/Sida. Ces objectifs comportent 22 cibles et plus de 60 indicateurs permettant de mesurer les progrès accomplis.

› Obstacles techniques au commerce (OTC)  : règlements techniques et normes énonçant les caractéristiques spécifiques et les méthodes de fabrication des produits pou-vant être importés dans un pays. L’Accord sur les obstacles techniques au commerce de l’OMC vise à faire en sorte que les règle-ments, normes et procédures d’essai et d’ho-mologation ne créent pas d’obstacles non nécessaires au commerce. Toutefois, l’ac-cord reconnaît aussi le droit des pays d’adop-ter les normes qu’ils jugent appropriées, par exemple pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux, préserver les

végétaux, protéger l’environnement ou défen-dre d’autres intérêts des consommateurs.

› Organisation mondiale du commerce (OMC) : née le 1er janvier 1995 des accords du Cycle d’Uruguay et établie à Genève, l’OMC succède au GATT sans en changer les principes fondamentaux de libéralisation du commerce. Elle remplit quatre fonctions principales : être le garant des règles et des accords du commerce international, consti-tuer le forum des négociations multilaté-rales à venir, établir régulièrement le bilan des politiques commerciales suivies par les pays membres, et proposer des règlements aux différends commerciaux. L’Organisa-tion compte 143  membres qui souscrivent en bloc à tous les Accords de l’OMC, et qui représentent près de 90  % du commerce mondial. L’OMC accueille actuellement de nouvelles négociations, dans le cadre du Programme de Doha pour le développe-ment lancé en 2001.

› Organisme génétiquement modifié (OGM) : organismes dont le patrimoine génétique a été modifié artificiellement afin de le doter de propriétés n’existant pas à l’état naturel.

› Organisme vivant modifié (OVM) : tout organisme vivant possédant une combinai-son de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologie moderne (protocole de Carthagène, article 3).

› Pacte mondial (ou Global Compact)  : pacte par lequel des entreprises s’enga-gent à aligner leurs opérations et leurs stra-tégies sur dix principes touchant les droits de l’homme, les normes du travail, l’environ-nement et la lutte contre la corruption. Ins-tauré par les Nations unies en 1999, à l’ini-tiative de son secrétaire général Kofi Annan, le Pacte mondial a pour objectif premier de promouvoir la légitimité sociale des entre-prises et des marchés. L’adhésion des entre-prises et le rapport des progrès accomplis se font sur une base volontaire.

› Partenariat de type II  : engagements sous forme de projets que prennent diffé-rents partenaires (gouvernements, organi-sations internationales, entreprises privées, collectivités locales, universités, ONG), afin de soutenir et de renforcer la mise en œuvre des conclusions des négociations intergou-vernementales du Sommet mondial pour le développement durable (Johannesburg, 2002). Initiatives volontaires, ils sont mis en œuvre par les membres participants et reposent sur le respect mutuel et le partage

des responsabilités. En mobilisant les moyens nécessaires pour réellement passer à l’action, ces partenariats veulent permet-tre à la communauté mondiale de réaliser les engagements qu’elle a pris. Ces initiati-ves sont dites de « type II » par opposition aux engagements officiels négociés par les gouvernements.

› Pays mégadivers  : groupe de 18 pays qui représentent à eux seuls 75 % de la biodiver-sité mondiale et 45 % de la diversité cultu-relle du monde.

› Principe d’équité intergénérationnelle  : principe selon lequel les générations futures ont le droit d’hériter de ressources suffisantes pour générer un niveau de bien-être égal ou supérieur à celui des générations actuelles.

› Principes d’Équateur  : démarche volon-taire à l’intention des institutions financières. Elle propose 10 principes environnementaux et sociaux destinés à maîtriser les impacts environnementaux et sociaux des projets supérieurs à 10 millions de dollars. Initiée par la SFI, une première version à été adoptée en 2003 puis, une nouvelle version plus exi-geante des Principes d’Equateur a été pro-mulguée en 2007 à Londres.

› Production durable  : production de biens et services qui répond aux besoins vitaux et entraîne une meilleure qualité de vie, tout en minimisant l’utilisation de ressources naturel-les, de matériaux toxiques et l’émission de polluants et de déchets tout au long du cycle de vie du produit, et ceci sans compromettre la capacité des générations futures à répon-dre à leurs besoins.

› Produit intérieur net (PIN)  : on obtient le produit intérieur net (PIN) en déduisant du PIB la consommation de capital fixe. Le produit intérieur brut (PIB) est la valeur de tous les biens et services produits dans une économie durant une période donnée. La consommation de capital fixe mesure la diminution (par usure ou obsolescence) des ressources destinées à maintenir la capacité de production.

› Protocole de Kyoto  : protocole de la CCNUCC qui fixe un calendrier de réduc-tion des émissions de six  gaz à effet de serre. Il comporte des engagements abso-lus de réduction des émissions pour 38 pays industrialisés, avec une réduction globale de 5,2 % des émissions de dioxyde de car-bone d’ici  2012 par rapport aux émissions de 1990.

GLOSSAIRE...

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 293

› Redevabilité : responsabilité d’un acteur de justifier et de rendre compte de ses actions. Dans le contexte de la gouvernance, la redevabilité désigne un ensemble de règles publiques obligeant les dirigeants politiques à rendre compte de leurs actions devant la population.

› Réduction d’émissions certifiées (REC) ou Unité de réduction certifiée des émis-sions (URCE) : crédit carbone ou quota car-bone attribué dans le cadre du protocole de Kyoto, correspondant à l’émission d’une tonne métrique d’équivalent dioxyde de car-bone. Les REC sont utilisées dans le cadre du Mécanisme de développement pro-pre (MDP) qui aide les pays industrialisés à atteindre leurs objectifs de réduction d’émis-sions de CO2 par le biais de projets d’inves-tissements propres au sein de pays en voie de développement.

› Régime international : forme particulière d’institution internationale, définie comme un ensemble de principes, de normes, de règles et de procédures de décision autour desquels les attentes des acteurs conver-gent dans un domaine donné.

› Réseau transnational (RTN)  : interac-tions structurées et structurantes d’acteurs non étatiques entre eux, avec des États, et/ou avec des organisations internationa-les. Les RTN sont définis par la multiplicité quantitative et qualitative des liens entre les acteurs qui les composent, articulés en une structure souple, horizontale et multi-niveau.

› Réserves extractivistes protégées  : au Brésil, aires protégées d’usage durable et intégrées au Système national des unités de conservation de la nature. L’outil de réserve extractiviste a été conçu comme un dispo-sitif visant à réconcilier la protection des ressources naturelles et les demandes de possession de la terre, avec pour vocation la préservation des diversités biologique et sociale. Les portions de terre réservées sont attribuées collectivement à des populations extractives auxquelles on prête un impact environnemental faible et une sagesse dans la gestion des ressources naturelles.

› Résilience naturelle  : aptitude de toute communauté et de tout écosystème pris dans son ensemble à survivre à des altéra-tions et des perturbations dans leur struc-ture et/ou leur fonctionnement et de retrou-ver après la disparition de ces dernières un état comparable à la situation initiale.

› Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) : intégration volontaire par les entre-prises de préoccupations sociales et environ-nementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. Il s’agit de la déclinaison des principes du développement durable à l’échelle de l’en-treprise.

› Ressources halieutiques : stocks ou popu-lations de poissons qui soutiennent les acti-vités de pêche commerciale, sportive ou de subsistance.

› Ressources phytogénétiques  : matériel d’origine végétale contenant des unités fonc-tionnelles du patrimoine héréditaire ayant une valeur effective ou potentielle.

› Séquestration de carbone  : processus de fixation du dioxyde de carbone hors de l’atmosphère. Deux méthodes existent  : le développement de cultures ou d’écosys-tèmes permettant la fixation de CO2, et la capture du CO2 émis à la sortie des installa-tions industrielles. Le dioxyde de carbone est ensuite stocké dans des réservoirs naturels (lire capture et stockage de carbone).

› Services écosystémiques ou services fournis par les écosystèmes  : bienfaits que les hommes obtiennent des écosystè-mes. Ils comprennent les services d’approvi-sionnement tels que la nourriture et l’eau, les services de régulation tels que la régulation des inondations et des maladies, les servi-ces culturels tels que les bénéfices spirituels, récréatifs et culturels, et les services de sou-tien qui maintiennent des conditions favora-bles à la vie sur Terre, tels que le cycle des éléments nutritifs.

› Stern Review on the Economics of Climate Change ou Rapport Stern  : rapport sur l’économie du changement climatique dirigé par l’ex-économiste en chef de la Banque mondiale, Nicholas Stern, pour le gouver-nement du Royaume-Uni. Il présente les ris-ques et les conséquences liés au changement climatique, ainsi que les coûts et mesures préventives pour limiter ses effets. La publi-cation de ce rapport de plus de 700 pages, le 30  octobre 2006, a contribué à faire du réchauffement climatique une question prio-ritaire dans les agendas politiques.

› Stratégies de réduction de la pauvreté (SRP)  : ensemble des politiques macroéco-nomiques, structurelles et sociales, des mesu-res de promotion de la croissance et des pro-grammes de lutte contre la pauvreté d’un pays, ainsi que des besoins financiers externes

qui en découlent. Les stratégies sont déve-loppées par les gouvernements lors d’un pro-cessus participatif impliquant la société civile et les partenaires de développement, notam-ment la Banque mondiale et le Fond moné-taire international.

› Substance carcinogène  : substance pou-vant causer le cancer.

› Syndrome hollandais  : situation dans laquelle un afflux considérable de ressour-ces extérieures (pétrole, transferts de fonds ou aide étrangère) amène une hausse du taux de change qui s’avère préjudiciable pour les exportations.

› Théorie du bien privé/public  : théorie économique développée par Paul A. Samuel-son qui distingue les biens publics et privés en fonction de deux critères  : l’exclusivité et la rivalité. Un bien public est, en science éco-nomique, un bien ou un service dont l’utili-sation est non rivale et non exclusive, c’est-à-dire que la consommation du bien par un individu n’empêche pas sa consommation par un autre (non-rivalité), et qu’il n’est pas possi-ble d’empêcher une personne de consommer ce bien (non-exclusion). Les biens privés cor-respondent aux caractéristiques contraires, soit la rivalité et l’exclusivité. Les biens publics sont sujets aux problèmes de la tragédie des biens communaux et du passager clandestin.

› Total admissible de capture : limite maxi-male de capture fixée pour une ressource particulière, généralement pour une année ou pour une saison de pêche ou de chasse. Le total admissible de capture est normale-ment exprimé en tonnes ou en unité de la ressource (par exemple en nombre de pois-sons).

› Traitement antirétroviral : schémas théra-peutiques interrompant, gênant ou prévenant la réplication du virus d’immunodéficience humaine (VIH) chez les patients porteurs de l’infection. En général, ces schémas impli-quent l’administration d’au moins trois médi-caments différents.

GLOSSAIRE

Page 292: L’ANNUEL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009294

A

› Abema. Associação Brasileira de Entidades Estaduais de Meio Ambiente (Association brésilienne des organismes d’État pour l’environnement)

› ADI. Association de droit international

› ADN. Acide désoxyribonucléique

› Adpic. Accords sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce

› AID. Agence internationale de développement

› AIE. Agence internationale de l’énergie

› AIEA. Agence internationale de l’énergie atomique

› Alena. Accord de libre-échange nord-américain

› AME. Accords multilatéraux sur l’environnement

› Anama. Associação Nacional de Orgões Municipais de Meio Ambiente (Association nationale des organismes municipaux pour l’environnement, Brésil)

› APA. Accès et de partage des avantages

› Asean. Association of Southeast Asian Nations (Association des nations du Sud-Est asiatique)

B

› BCAH. Bureau de la coordination des affaires humanitaires

› BEET. Balance embodied emissions in trade

› BERD. Banque européenne de reconstruction et de développement

› BIRD. Banque internationale pour la reconstruction et le développement

› BRIC. Brésil, Russie, Inde et Chine

C

› CCNUCC. Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques

› CCP. Climate Change Program

› CCX. Chicago Climate Exchange

› CDB. Convention des Nations unies sur la diversité biologique

› CDD. Commission du développement durable

› CDP. Carbon Disclosure Project

› CEA. Commission économique et sociale pour l’Afrique (Nations unies)

› CEC. Commission de coopération environnementale (Alena)

› CEE. Commission économique pour l’Europe (Nations unies)

› CEI. Competitive Enterprise Institute

› Cepalc. Commission économique et sociale pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Nations unies)

› CEPF. Critical Ecosystem Partnership Fund

› Cesao. Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (Nations unies)

› Cesap. Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (Nations unies)

› CI. Conservation International

› Cirdi. Centre international de règlement des différents liés aux investissements

› Cites. Secrétariat de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction

› CLD. Convention sur la lutte contre la désertification

› CMB. Commission mondiale des barrages

› CMS. Convention sur la conservation des espèces migratrices

› CNRD. Commission nationale pour la réforme et le développement (Chine)

› Cnuced. Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement

› CNUDM. Convention des Nations unies sur le droit de la mer

› Cnued. Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement

› Conama. Conselho Nacional do Meio Ambiente (Conseil national pour l’environnement, Brésil)

› Consemme Conselho Estadual do Meio Ambiente – Consema et Conselho Municipal do Meio Ambiente (Conseils pour l’environnement, Brésil)

› COP. Conférence des parties

› COV. Certificat d’obtention végétale

› CSE. Centre for Science and Environment (Inde)

D

› DDT. Dichlorodiphényltrichloroéthane (pesticide)

› DNDi. Drugs for Neglected Diseases Initiative

› DPI. Droits de propriété intellectuelle

E

› Ecosoc. Conseil économique et social des Nations unies

› EM. Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire

› EPA. Environmental Protection Agency (États-Unis)

F

› FAO. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

› FEM. Fonds pour l’environnement mondial

› FIDA. Fonds international de développement agricole

› FMI. Fonds monétaire international

› FMME. Forum mondial des ministres de l’environnement

› Fnuap. Fonds des Nations unies pour la population

› FSC. Forest Stewardship Council

G

› GATT. Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce

› GAVI. Global Alliance for Vaccines and Immunization

› GEO. Global Environment Outlook (publication du PNUE)

› GES. gaz à effet de serre

› GGE. Groupe de gestion de l’environnement

› GIE. Gouvernance internationale de l’environnement

› GIEC. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

› GIM. Groupe intergouvernemental sur la gouvernance internationale de l’environnement

› GNACC. Groupe national d’action contre le changement climatique (Chine)

› GNCSCC. Groupe national de coordination de la stratégie contre le changement climatique, (Chine)

› GRI. Global Reporting initiative

› GTA. Grupo de Trabalho Amazônico (Groupe de travail pour l’Amazonie, Brésil)

› GTZ. Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit (Coopération technique allemande)

H

› Habitat. Programme des Nations unies pour les établissements humains

› HCDH. Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme

› HCNUR. Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés

I

› IAASTD. Évaluation internationale des connaissances, des sciences et des technologies agricoles pour le développement

› Ibama. Instituto Brasileiro do Meio Ambiente (Institut brésilien de l’environnement et des ressources renouvelables)

› IETA. International Emissions Trading Association

› IFI. Institutions financières internationales

LISTE DES SIGLES

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R E G A R D S S U R L A T E R R E 2009 295

› Ifpri. International Food Policy Research Institute

› IMoSEB. Mécanisme International d’Expertise Scientifique sur la Biodiversité

› INPE. Instituto Nacional de Pesquisa Espacial (Institut national de la recherche spatiale, Brésil)

› IPBES. Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques

› ISO. Organisation internationale de normalisation

› ISR . Investissement socialement responsable

› ITC. Centre du commerce international

L

› LDCF. Least Developed Countries Fund (Fonds pour les pays les moins avancés)

M

› MDP. Mécanisme de développement propre (CCNUCC)

› MIM. Multilateral Initiative on Malaria

› Mtec. Millions de tonnes équivalent charbon

O

› OACI. Organisation de l’aviation civile internationale

› OCDE. Organisation de coopération et de développement économiques

› OEMA. Orgão Estadual do Meio Ambiente (organismes d’État pour l’environnement, Brésil).

› OGM. Organisme génétiquement modifié

› OIG. Organisation intergouvernementale

› OIT. Organisation internationale du travail

› OMC. Organisation mondiale du commerce

› OMD. Objectifs du Millénaire pour le développement

› OME. Organisation mondiale de l’environnement

› OMI. Organisation maritime internationale

› OMM. Organisation météorologique mondiale

› OMPI. Organisation mondiale de la propriété intellectuelle

› OMS. Organisation mondiale de la santé

› OMT. Organisation mondiale du tourisme

› ONG. Organisation non gouvernementale

› ONU. Organisation des Nations unies

› Onudi. Organisation des Nations unies pour le développement industriel

› ONUE. Organisation des Nations unies pour l’environnement

› Onusida. Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida

› ORD. Organe de règlement des différends (OMC)

› OSAST. Organe subsidiaire de conseils scientifiques et techniques

› OTC. Obstacles techniques au commerce (OMC)

› OVM. Organisme vivant modifié

P

› PAM. Programme alimentaire mondial

› PANA. Plan d’action national d’adaptation

› PAS. Programa da Amazônia Sustentável (Programme pour l’Amazonie durable, Brésil)

› PED. Pays en développement

› PEFC. Pan European Forest Certification

› PIB. Produit intérieur brut

› PIN. Produit intérieur net

› PMA. Pays moins avancés

› PNAE. Plan national d’action environnementale

› PNB. Produit national brut

› PNUD. Programme des Nations unies pour le développement

› PNUE. Programme des Nations unies pour l’environnement

› POPs. Polluants organiques persistants

› PPP. Partenariat public-privé

R

› R&D. Recherche et développement

› Ramsar. Secrétariat de la Convention de Ramsar relative aux zones humides

› REC. Réductions d’émissions certifiées (CCNUCC)

› REDD. Réductions des émissions issues de la déforestation et de la dégradation

› REIE. Rapport d’évaluation de l’impact environnemental

› RSE. Responsabilité sociale des entreprises

› RSPO. Rountable on Sustainable Palm Oil (Table ronde pour une huile de soja responsable)

› RTN. Réseau transnational

S

› SCA. Secretaria de Coordenação da Amazônia (Secrétariat pour la coordination en Amazonie, Brésil)

› SCCF. Special Climate Change Fund (Fonds spécial pour les changements climatiques)

› SFB. Serviço Florestal Brasileiro (Service forestier brésilien)

› Sisnama. Sistema Nacional do Meio-Ambiente (Système national de l’environnement, Brésil)

› SMDD. Sommet mondial du développement durable

› SPA. Strategic Priority on Adaptation (Fonds stratégique prioritaire pour l’adaptation)

› SPG. Système de préférences généralisées (Communauté européenne)

› SRP. Stratégies de réduction de la pauvreté

T

› TNC. The Nature Conservancy

U

› UC. Unités de conservation

› UE. Union européenne

› UICN. Union mondiale pour la nature

› UIT. Union internationale des télécommunications

› UN/ISDR . Secrétariat interinstitutions de la Stratégie internationale de prévention des catastrophes naturelles

› Undesa/DSD. Département des Affaires économiques et sociales des Nations unies/ Division du Développement durable

› Unesco. Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture

› UNGC. United Nations Global Compact

› Unicef. Fonds des Nations unies pour l’enfance

› Unitar. Institut des Nations unies pour la formation et la recherche

› UNU. Université des Nations unies

› UPOV. Union internationale pour la protection des obtentions végétales

› UPU. Union postale universelle

W

› WBCSD. World Business Council for Sustainable Development

› WCMC. Centre mondial de surveillance de la conservation de la nature

› WCS. Wildlife Conservation Society

› WGA. Western Governors’ Association

› WRI. World Resource Institute

› WWF. Fonds mondial pour la nature

LISTE DES SIGLES

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Achevé d’impriméCorlet imprimeur SA

1er trimestre 2009