L’HÉRITAGE DE SHANNARA 1Shannara 1. L’épée de Shannara, J’ai lu 7556 2. Les pierres...

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  • L’HÉRITAGE DE SHANNARA 1Les descendants de Shannara

  • Du même auteur aux Éditions J’ai lu :

    Shannara 1. L’épée de Shannara, J’ai lu 75562. Les pierres elfiques de Shannara, J’ai lu 77143. L’enchantement de Shannara, J’ai lu 7940

    L’héritage de Shannara1. Les descendants de Shannara, J’ai lu 81102. Le druide de Shannara, J’ai lu 8335

    Royaume magique à vendre !1. Royaume magique à vendre !, J’ai lu 36672. La licorne noire, J’ai lu 40963. Le Sceptre et le Sort, J’ai lu 42774. La boîte à malice, J’ai lu 45105. Le brouet des sorcières, J’ai lu 6683

    Hook, J’ai lu 3298

    Également disponible en intégrale semi-pocheShannara, la trilogie originaleL’héritage de Shannara

  • L’HÉRITAGE DE SHANNARA 1Les descendants de Shannara

    r om a n

    T E R RY B R O O K S

    Traduit de l’anglais (États - Unis)par Rosalie Guillaume

  • Collection dirigée par Thibaud Eliroff

    Titre original :THE SCIONS OF SHANNARA

    Published by The Ballantine Publishing Group,a division of Random House, Inc.

    © Terry Brooks, 1989

    Pour la traduction française© Éditions Bragelonne, 2004

    EAN 9782290077122

    Couverture : © Johann Blais

  • À Judine,qui rend toute la magie possible.

  • Chapitre 1

    Assis seul à l’ombre des dents du Dragon, le vieilhomme regardait les ténèbres chasser la lumièredu jour. Pour un milieu d’été, la journée avait étéétonnamment fraîche. La nuit serait glaciale. Desnuages cachaient le ciel, dérivant comme un trou-peau égaré entre la lune et les étoiles.

    Un silence profond régnait sur les lieux.Le silence typique de la magie, pensa le vieillard.Un feu brûlait devant lui, mais trop faiblement

    pour durer jusqu’à son retour, puisqu’il serait partiplusieurs heures. Il l’observa avec un certainmalaise, puis ajouta de plus gros morceaux de boismort, qui firent aussitôt crépiter les flammes.

    Le vieil homme les attisa avec un bâton et reculapour échapper à la chaleur soudaine. Il resta à lalisière de la zone éclairée, entre le feu et les ténè-bres, comme une créature appartenant à lalumière et à l’ombre – ou à aucune des deux.

    Ses yeux brillèrent quand il regarda au loin. Lespics des dents du Dragon s’élançaient vers le cielcomme des os jaillissant de la terre. Un calmesouverain émanait des montagnes – avec une sortede mystère qui y planait telle la brume par un

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  • matin glacial, dissimulant les rêves de tous lesâges.

    Le feu jetant des étincelles, le vieil hommeécarta d’un geste vif la cendre incandescente quimenaçait de se poser sur lui. Son corps ressemblaità des brindilles mal fagotées et susceptibles detomber en poussière si un vent trop fort se levait.Ses robes grises et son manteau de forestier pen-daient sur ses membres décharnés comme sur unépouvantail. Sa peau parcheminée et tannée sem-blait prête à éclater sous la pression de ses os. Sescheveux et sa barbe entouraient son visage d’unhalo blanchâtre et il était si ridé et voûté qu’on luiaurait donné cent ans.

    En réalité, il en avait près de mille.Bizarre, se dit-il soudain, au souvenir des trop

    longues années de sa vie. Paranor, le Conseil desRaces, et même les druides... Tout avait disparu.Étrange qu’il ait survécu à ça.

    Cela datait de si longtemps qu’il se rappelait àpeine cette période de sa vie. Il avait pensé qu’elleétait terminée pour de bon, il s’était cru libre. Maisil ne l’avait jamais été. Comment se libérer d’unphénomène sans lequel il serait mort depuis deslustres ?

    N’était le Sommeil Druidique, aurait-il encorearpenté ce monde ?

    Il frissonna, les ténèbres l’entourant de plus enplus comme le soleil plongeait sous l’horizon.

    C’était le moment. Les rêves le lui avaient révéléet il les croyait, parce qu’il les comprenait. Cettepartie de son ancienne vie refusait aussi de le quit-ter : des songes, des visions de mondes étranges,des avertissements, des vérités... et des événe-

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  • ments qui pourraient se passer – et parfois, quidevaient se passer.

    Il s’éloigna encore du feu et emprunta un sentierétroit qui serpentait entre les rochers. Les ombresglaciales se refermèrent sur lui. Il marcha long-temps, traversa des défilés, escalada des rocherset longea des précipices et des crevasses. Au sortirde ces passages, il déboucha dans une vallée peuprofonde. Le sol couvert de rochers, elle étaitdominée par un lac dont la surface unie commecelle d’un miroir émettait une lueur verdâtre.

    Le lac Hadeshorn était le lieu de repos desombres des druides disparus. Et on y avait appeléle vieil homme.

    — Autant y aller et en finir le plus vite possible,grommela-t-il.

    Il descendit vers la vallée d’un pas hésitant, lecœur battant la chamade. Il n’était pas venu depuissi longtemps !

    Les eaux du lac ne frémirent pas. Les ombresdormaient... Tant mieux, pensa-t-il. Mieux vaut nepas les déranger.

    Il arriva au bord du lac et s’arrêta. Dans lesilence absolu, il inspira profondément puis expiraet entendit l’air sortir de ses poumons, son soufflebruissant comme des feuilles mortes poussées parle vent.

    Le vieil homme dénoua les cordons de la bourseattachée à sa ceinture. Y plongeant la main, il ensortit une poudre noire dans laquelle étincelaientdes particules argentées. Il hésita, puis jeta la pou-dre dans les airs, au-dessus du lac.

    Elle explosa et produisit une étrange lumière quiéclaira les environs comme en plein jour. Il n’y eut

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  • aucune chaleur. Seulement une vive lueur quiscintilla et dansa telle une créature vivante.

    Le vieillard la regarda, les yeux plissés. Se balan-çant un bref instant d’avant en arrière, il se sentitde nouveau jeune.

    Puis une forme apparut au cœur de la lumière.Elle s’éleva de ses profondeurs comme un spectre,une ombre noire égarée dans les ténèbres du lac.Mais le vieil homme savait que ce n’était qu’uneillusion : l’ombre n’errait pas, elle avait été invo-quée. Elle prit l’apparence d’un homme vêtu denoir, un être terrifiant facile à reconnaître pour peuqu’on l’ait jamais aperçu.

    — Allanon, murmura le vieillard.L’apparition leva la tête, révélant le visage caché

    par son capuchon : des traits anguleux, une barbenoire, un nez long et mince, une bouche fine etdes yeux capables de sonder l’âme de son inter-locuteur.

    Ils trouvèrent ceux du vieil homme et soutinrentson regard.

    — J’ai besoin de vous...Les mots retentirent dans l’esprit du vieillard,

    lourds d’un sentiment d’urgence et d’insatisfac-tion. L’ombre communiquait uniquement par lapensée.

    Le vieil homme recula d’un pas, souhaitant quela créature qu’il avait invoquée ne soit jamaisvenue.

    Puis il se ressaisit et attendit.— Je ne suis plus des vôtres ! cracha-t-il sou-

    dain. Vous ne pouvez pas me donner d’ordres !Trop furieux, il en oubliait qu’il n’avait pas

    besoin de parler à voix haute.

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  • — Il ne s’agit pas d’ordres. Je vous présente unerequête. Écoutez-moi. Vous êtes le dernier, jusqu’àce que mon successeur soit découvert... Comprenez-vous ?

    Le vieil homme ricana.— Comprendre ? Qui le peut mieux que moi ?— Une partie de vous sera toujours ce que vous

    n’auriez pas mis en doute, jadis. La magie demeureen vous. À tout jamais. Aidez-moi. J’ai envoyé lesrêves, et les enfants de Shannara ne réagissent pas.Quelqu’un doit aller les voir. Vous...

    — Pas moi ! Je vis à l’écart des Races depuisdes années. Plus question d’être mêlé à leurs pro-blèmes ! J’en ai fini avec ces âneries il y a bienlongtemps.

    L’ombre sembla grandir devant le vieillard, quise sentit soulevé de terre et s’éleva très haut dansle ciel.

    Il ne se débattit pas, conscient de la colère deson interlocuteur.

    — Regardez..., dit Allanon d’une voix grinçante.Les Quatre Terres apparurent sous les yeux du

    vieil homme, avec leurs prairies, leurs montagnes,leurs collines, leurs forêts, leurs rivières et leurslacs inondés de soleil. Il retint son souffle, ébahide les voir aussi clairement – d’une telle altitude –même s’il savait qu’il s’agissait seulement d’unevision. Puis la lumière baissa et les couleurs vivess’affadirent. L’obscurité s’abattit sur le paysage,accompagnée d’une brume grise et de cendressulfureuses qui jaillissaient de cratères brûlés.

    La terre devint stérile et sans vie. Le vieil hommela survola de moins haut. Le spectacle qu’il décou-

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  • vrit le révulsa. Et l’odeur qui monta à ses narinesmanqua le faire vomir.

    Des malheureux erraient sur ces terres désolées.Plus proches des bêtes que des humains, ils sedéchiquetaient les uns les autres en hurlant. Dessilhouettes noires circulaient entre eux. Ombressans substance mais aux yeux de feu, elles sedéplaçaient au rythme des humains, se mêlaientà eux, devenaient eux. Cette danse macabre avaitun but : les ombres dévoraient les humains. Elless’en nourrissaient.

    — Regardez...La vision changea. Le vieil homme se vit lui-

    même, mendiant squelettique campé devant unchaudron rempli d’un étrange feu blanc qui bouil-lonnait et murmurait son nom. De la vapeur mon-tait du chaudron et se frayait lentement un cheminvers lui. Elle l’enveloppait, le caressant aussi ten-drement que s’il était son fils.

    Les ombres passaient autour de lui. L’évitant audébut, elles se ruèrent en lui comme s’il était uneboîte vide où elles pouvaient jouer à loisir.

    Il sentit leur contact et eut envie de crier.— Regardez...La vision changea de nouveau. Le vieillard vit

    une grande forêt. Au milieu se dressait une mon-tagne imposante. À son sommet se perchait unchâteau à demi en ruine dont les tours et les para-pets tutoyaient le ciel, au-dessus de la terre obs-cure.

    Paranor, pensa le vieillard. Paranor, revenuedans le monde ! Un espoir insensé monta en lui etil aurait voulu crier de soulagement. Mais la vapeurenveloppait déjà le château, et les ombres s’en

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  • approchaient. L’antique forteresse se lézarda, puiscommença à s’écrouler, pierre et mortier cédantcomme s’ils étaient pris dans un étau. Quand laterre frémit, des hurlements jaillirent de la gorgedes humains devenus des animaux. Du feu fusa dela terre, éventra la montagne où se dressait Paranoret l’engloutit.

    Un gémissement s’éleva, ultime cri d’un hommesoudain privé du seul espoir qui lui restait.

    Le vieillard s’aperçut que ce son sortait de sagorge.

    Alors, les images disparurent. Il était de nouveaudevant le lac Hadeshorn, sous les dents du Dragon,seul avec l’ombre d’Allanon. En dépit de sa déter-mination, il tremblait de tout son corps.

    L’ombre brandit un index vers lui.— Que les rêves soient ignorés, et les choses se

    passeront comme je vous les ai montrées. Il en iraainsi, si vous n’agissez pas. Il faut m’aider. Vousdevez contacter le jeune homme, la jeune fille etl’Oncle Obscur. Convainquez-les de la réalité desrêves. Dites-leur de me rejoindre ici, la première nuitde pleine lune qui suivra le cycle en cours. Je leurparlerai à ce moment-là...

    Le vieil homme fronça les sourcils, marmonnaquelque chose et se mordilla la lèvre inférieure.Puis il resserra les cordons de la bourse et la remità sa ceinture.

    — Je le ferai, parce qu’il n’y a personne d’autre !dit-il enfin. Mais n’attendez pas que...

    — Allez les voir. On ne vous demandera rien deplus. Mettez-vous en route, à présent...

    L’ombre d’Allanon vacilla puis disparut. Dès que

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  • la lumière mourut, la vallée fut de nouveaudéserte.

    Avant de se détourner, le vieil homme contem-pla un moment les eaux paisibles du lac.

    Quand il revint à son campement, le feu qu’ilavait allumé brûlait toujours, mais il était faible etdispensait peu de lumière. Le vieil homme regardales flammes, l’air absent, puis s’accroupit à côté.

    En attisant les cendres, il repensa à ce qu’Alla-non lui avait dit.

    Le jeune homme, la jeune fille et l’Oncle Obs-cur... Il les connaissait. C’étaient les descendantsde Shannara, ceux qui pourraient les sauver tousen ramenant la magie dans le monde. Mais com-ment les convaincrait-il ? S’ils n’avaient pas écoutéAllanon, pourquoi en irait-il autrement avec lui ?

    Le vieillard revit mentalement les images terri-fiantes. Il fallait qu’il trouve un moyen de retenirleur attention, pensa-t-il. Parce qu’il en connaissaitun bout sur les visions, comme il aimait à se lerépéter. Et celles-là étaient authentiques, sansaucun doute – même pour quelqu’un comme lui,qui avait renié les druides et leur magie.

    Si les descendants de Shannara refusaient del’écouter, ces visions de fin du monde se réalise-raient.

  • Chapitre 2

    Depuis la porte de derrière de la taverne LaMoustache Bleue, Par Ohmsford regardait la ruellesombre qui serpentait entre les bâtiments etconduisait aux lumières de Varfleet. La MoustacheBleue était un vieux bâtiment déglingué aux mursvermoulus et au toit en bardeaux de bois. On eûtdit une grange. La taverne avait pourtant des cham-bres à l’étage, au-dessus de la salle commune, etdes remises à l’arrière. Bâtie à la base d’un pâtéde maisons en forme de U, elle était située sur unecolline, à la lisière ouest de la cité.

    Par respira profondément l’air nocturne etsavoura ses senteurs : celles de la ville, de la vie,des ragoûts aux épices, des liqueurs fortes, desbières fermentées, des harnais de cuir, du ferencore chaud dans les forges et de la sueur desanimaux et des hommes. L’odeur de la pierre, dubois et de la poussière...

    Plus loin dans l’allée, au-delà des boutiques auxmurs du fond couverts d’inscriptions, la collinedescendait vers la partie centrale de la ville, à l’est.Les bâtiments de pierre, hideux le jour, prenaientla nuit un aspect différent. Ils se fondaient dans

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  • l’obscurité quand les lumières s’allumaient par mil-liers, s’étendant à perte de vue comme un gigan-tesque essaim de lucioles.

    Ces lumières qui scintillaient dans le noir éclai-raient le lit de la rivière Mermidon, au sud.

    À cette heure de la nuit, Varfleet était belle,comme une souillon transformée en reine des fées.

    Par aimait penser que la cité était magique. Iladorait son gigantisme, la diversité des gens ou desobjets que l’on y trouvait, et l’impression de viequi s’en dégageait. La ville était très différente deValombre, le hameau forestier où il avait grandi.Elle ignorait tout de la pureté des arbres et desruisseaux, ou des sentiments d’intemporalité et desolitude qui régnaient dans la vallée. Mais celan’importait pas aux yeux de Par, car il l’aimaitaussi. Rien ne l’obligeant à choisir entre les deux,il ne voyait pas pourquoi il n’aurait pas appréciéla cité et le hameau.

    Bien entendu, Coll n’était pas d’accord. Commetoujours, il regardait les choses d’un autre œil. Pourlui, Varfleet était une ville hors-la-loi, à la limite desterres gouvernées par la Fédération. Un antre demécréants où les gens pouvaient faire n’importequoi en toute impunité. Selon lui, en Callahorn etdans toutes les Terres du Sud, il n’existait pas depire endroit.

    Coll haïssait la ville.Des voix et des tintements de verres retentirent

    quand quelqu’un ouvrit la porte de la taverne, etmoururent dès qu’on la referma.

    Par se retourna. Son frère avançait vers lui, levisage dissimulé par la pénombre.

    — C’est presque le moment, dit-il.

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  • Par hocha la tête. À côté de son frère, il semblaitpetit et menu. Jeune homme robuste au visagecarré et aux cheveux brun terne, Coll ressemblaità un Valombrien typique : tanné et dur, avec desmains et des pieds immenses.

    Les pieds de Coll étaient l’objet de plaisanteriesincessantes. Par aimait tout particulièrement lescomparer aux pattes d’un canard...

    Lui était mince et blond, avec des traits indiscu-tablement elfiques, comme en témoignaient sesoreilles pointues et ses sourcils arqués, sans parlerde ses pommettes saillantes.

    Les Ohmsford ayant toujours vécu dans la vallée,le sang elfique avait quasiment disparu de lalignée. Mais quatre générations plus tôt, aux diresde son père, son arrière-arrière-grand-père étaitretourné dans les Terres de l’Ouest, où vivaient leselfes. Il y avait épousé une jeune elfe, et un fils etune fille étaient nés de cette union. Le garçons’était également marié avec une elfe. Pour desraisons inconnues de Par, il était retourné à Valom-bre, ramenant ainsi du sang elfique dans la lignéedes Ohmsford. Pourtant, de nombreux membresde la famille n’affichaient aucune caractéristiquede leur héritage métissé. Coll et leurs parents, Jara-lan et Mirianna, en étaient des exemples frappants.En revanche, les origines elfiques de Par ne fai-saient aucun doute.

    Être aussi reconnaissable n’était malheureuse-ment pas toujours un atout. À Varfleet, Par sedéguisait. Il s’épilait les sourcils, portait les che-veux longs pour cacher ses oreilles et dissimulaitla pâleur de son teint avec des herbes « noircissan-tes ». Il n’avait pas le choix. Attirer l’attention sur

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  • son ascendance elfique n’était pas une bonneidée, ces derniers temps.

    — Elle a mis sa robe du soir, dit Coll en regar-dant la cité. Velours noir et diamants, pas un filqui dépasse. Cette ville est une fille rusée ! Mêmele ciel est son ami.

    Par sourit.Mon frère, le poète...Dans le ciel dégagé, un croissant de lune brillait

    avec les étoiles.— Tu en viendrais peut-être à l’aimer, si tu lui

    donnais une chance !— Moi ? ricana Coll. Je suis ici parce que tu y

    es. Si je n’y étais pas obligé, je ne resterais pas uneminute de plus.

    — Tu peux partir, si tu veux...— Ne recommence pas ! Nous avons déjà parlé

    de tout ça. C’est toi qui voulais connaître les citésdu Nord. Je n’aimais pas cette idée avant notredépart et je ne l’aime toujours pas. Mais nousétions d’accord pour faire ça ensemble. Je seraisun mauvais frère si je te laissais tomber maintenantpour repartir à Valombre ! D’ailleurs, tu ne t’ensortirais pas, sans moi.

    — D’accord, d’accord, soupira Par. Je voulaisseulement...

    — Te moquer un peu de moi ! acheva Coll, ner-veux. Tu ne t’en es pas privé, récemment. On diraitque ça te fait plaisir.

    — Ce n’est pas vrai.Les yeux perdus dans les ténèbres, Coll ignora

    son frère.— Je n’oserais jamais me moquer de quelqu’un

    qui a des pattes de canard en guise de pieds.

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  • Coll sourit malgré lui.— Ça te va bien de dire ça, avec tes oreilles

    pointues ! Tu as de la chance que j’aie décidé derester et de m’occuper de toi...

    Par le bouscula gentiment et ils éclatèrent derire.

    Une fois calmés, ils se regardèrent et écoutèrentles bruits qui montaient de l’auberge et des rues.Par soupira. La nuit d’été, très chaude, faisaitoublier le froid des dernières semaines.

    Le genre de nuit où les problèmes disparaissentet où les rêves se réalisent...

    — On parle de Questeurs en ville..., dit soudainColl, ruinant ce moment de paix.

    — Il y a tout le temps des rumeurs...— Souvent, elles sont vraies. On raconte qu’ils

    ont prévu de capturer tous les jeteurs de sorts, deles empêcher de travailler et de fermer les tavernesà bière. Ce seraient des Questeurs, Par, pas desimples soldats.

    Par savait de quoi il s’agissait. Les Questeursétaient la police secrète de la Fédération. Bref, lessbires des législateurs du Conseil de la Coalition.

    Coll et lui étaient arrivés à Varfleet deux semai-nes plus tôt. Ils venaient de Valombre, au sud,abandonnant la protection de leur maison natalepour explorer les terres frontalières de Callahorn.Ils étaient partis parce que Par l’avait décidé. Selonlui, l’heure de raconter leurs histoires à d’autresavait sonné. Oui, il fallait que les gens sachent, etpas seulement les habitants de Valombre !

    Ils avaient choisi Varfleet parce que c’était uneville ouverte, indépendante de la Fédération. Unhavre pour les hors-la-loi, les réfugiés... et les idées

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  • nouvelles. Un lieu où les gens écoutaient encorevolontiers, où la magie était toujours tolérée, voirerecherchée. Par avait un pouvoir. Accompagnépar Coll, il était venu à Varfleet pour le partageravec d’autres personnes. Car si beaucoup d’hom-mes et de femmes pratiquaient la magie en ville,la sienne avait un caractère unique.

    Elle était réelle !Le jour de leur arrivée, ils étaient allés à La Mous-

    tache Bleue, une des plus grandes tavernes de lacité – et des plus connues. Par avait très vite per-suadé le tenancier de les engager. Rien d’étonnantà cela, puisqu’il pouvait convaincre n’importe quide faire n’importe quoi grâce à l’Enchantement deShannara.

    Parce que c’est de la vraie magie, bien sûr...,pensa-t-il.

    Il restait bien peu de magie authentique dansles Quatre Terres, sinon dans les régions isoléesoù la Fédération ne régnait pas encore. L’Enchan-tement de Shannara était la dernière magie desOhmsford. Il avait été transmis de génération engénération – plus de dix – pour arriver jusqu’à lui,sautant plusieurs membres de sa famille, apparem-ment au hasard. Coll ne contrôlait pas l’Enchante-ment de Shannara, et leurs parents non plus. Enréalité, personne ne l’avait plus maîtrisé depuis leretour de leurs arrière-grands-parents des Terres del’Ouest. Mais la magie de l’Enchantement étaitavec Par depuis sa naissance. La même magie quecelle qui, trois cents ans plus tôt, avait appartenuà son ancêtre Jair. Les légendes le lui avaientrévélé. Souhaiter quelque chose et chanter pourl’obtenir... Il pouvait générer dans l’esprit de ceux

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  • qui l’écoutaient des images si réelles qu’elles sem-blaient vraies. Et créer des choses à partir dunéant...

    Pour cette raison, ils étaient venus à Varfleet.Depuis trois cents ans, les Ohmsford racontaientles histoires de la maison elfique de Shannara.Cette habitude avait commencé avec Jair. Bienavant lui, en réalité, quand les histoires ne par-laient pas encore de magie, car elle n’avait pas étédécouverte, mais de l’ancien monde, avant sa des-truction au cours des Grandes Guerres. Ceux quiles racontaient étaient les rares survivants de cetholocauste. Mais Jair avait été le premier à béné-ficier du soutien de l’Enchantement de Shannarapour mettre ses récits en scène, donner forme auximages que ses mots éveillaient et rendre les légen-des vivantes pour son public.

    La saga des jours anciens : la légende de la mai-son elfique de Shannara, des druides, de la cita-delle de Paranor, des elfes, des nains et de la magiequi gouvernait leurs vies... Les récits parlaient deShea Ohmsford et de son frère Flick, partis enquête de l’Épée de Shannara. Ils racontaient lalutte de Wil Ohmsford et de la jeune elfe Amberlepour renvoyer les hordes de démons derrière laBarrière. Ils narraient l’histoire de Jair Ohmsford etde sa sœur Brin, détaillant leur voyage jusqu’à lacitadelle de Graymark et leurs combats contre lesspectres Mords et l’Ildatch. Ils évoquaient les drui-des Allanon et Bremen, le roi des elfes EventineElessedil, les guerriers comme Balinor Buckhan-nah et Stee Jans et bien d’autres héros. Ceux quimaîtrisaient l’Enchantement de Shannara s’en ser-

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  • vaient. Ceux qui en étaient privés se contentaientdes mots.

    Les générations d’Ohmsford s’étaient succédé,emportant les récits vers des terres lointaines. Maisdans la génération actuelle, aucun membre de lafamille n’avait raconté les légendes hors de Valom-bre. Car personne n’avait voulu courir le risqued’être fait prisonnier.

    Ce danger était considérable. La pratique de lamagie, sous toutes ses formes, était désormais hors-la-loi dans les Quatre Terres, ou du moins, danstoutes les régions gouvernées par la Fédération– ce qui revenait presque au même. Il en allaitainsi depuis cent ans. Aucun Ohmsford n’avaitquitté Valombre durant cette période. Par était lepremier, parce qu’il en avait assez de répéter lesmêmes récits aux mêmes gens. D’autres devaientconnaître ces légendes, apprendre la vérité sur lesdruides, sur la magie et sur les luttes qui avaientprécédé leur époque.

    La peur d’être capturé étant moins grande quesa vocation, Par avait arrêté sa décision malgré lesobjections de ses parents et de Coll. Son frère,finalement, s’était décidé à le suivre, comme ill’avait toujours fait dès que Par, selon lui, avaitbesoin qu’on s’occupe de lui. Varfleet serait ledébut, une ville où la magie, sous des formes affai-blies, était toujours pratiquée, ce secret qui n’enétait pas un défiant les lois de la Fédération. Lamagie présente à Varfleet était vraiment mineureet valait à peine le déplacement. Callahorn étaitun protectorat de la Fédération, et Varfleet en étaitsi loin qu’elle se situait presque dans les territoireslibres. La ville n’était pas encore occupée par l’ar-

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  • mée. Jusque-là, la Fédération ne s’était pas déran-gée.

    Mais des Questeurs ? pensa Par, troublé.Les Questeurs apparaissaient uniquement

    quand la Fédération s’efforçait sérieusement d’éra-diquer la pratique de la magie. Personne ne voulaitavoir affaire à eux.

    — Il devient trop dangereux pour nous de resterici, dit Coll, comme s’il lisait dans l’esprit de Par.On finira par nous découvrir.

    — Parmi la centaine de gens qui pratiquent lamagie, je suis une goutte d’eau dans l’océan.

    — Possible, dit Coll. Mais tu es le seul quicontrôle une magie véritable.

    Par regarda derrière lui. La taverne les payaittrès bien. Les meilleurs revenus qu’ils aient jamaiseus, et ils en auraient besoin pour aider leur familleet Valombre à payer les impôts levés par la Fédé-ration. Par n’avait pas envie de tout abandonnersur la foi d’une rumeur.

    Il en avait encore moins envie à cause des récits,qui seraient de nouveau confinés à Valombre s’ily retournait. Cela signifierait que l’étau de la Fédé-ration, qui broyait les idées et les pratiques qu’ellen’approuvait pas, se serait refermé un peu plus.

    — Il faut y aller, dit Coll.Par sentit de la colère monter en lui, puis il

    comprit que son frère ne parlait pas de quitter laville, mais d’entrer dans la taverne pour montersur scène. Leur public devait attendre.

    Par laissa sa colère le quitter et sentit qu’unecertaine tristesse la remplaçait.

    — J’aurais aimé que nous vivions à une époquedifférente, dit-il doucement. (Il s’interrompit en

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  • voyant Coll se raidir.) J’aurais voulu que les elfeset les druides existent encore. Et les héros... J’au-rais désiré qu’il y en ait encore un... au moins.

    Coll posa une main sur l’épaule de son frère, leforça à se tourner et le poussa dans le couloirobscur.

    — Si tu continues à chanter à leur sujet, quisait ? Tout ça reviendra peut-être...

    Par se laissa guider comme un enfant. Il ne pen-sait plus aux héros, aux elfes, aux druides, nimême aux Questeurs.

    Il réfléchissait aux rêves.

    Ils racontèrent l’histoire de la bataille du col deHalys, où Eventine Elessedil, les elfes, Stee Jans etle Régiment libre de la Légion avaient tenu lesmonts Brisure contre des hordes de démons. Undes récits favoris de Par, la première bataille deselfes dans la terrible guerre des Terres de l’Ouest...

    Les deux frères étaient montés sur une plate-forme basse, à un bout de la salle principale. Collse tenait un pas en arrière de Par sous les lumièrestamisées. La foule ne les quittait pas des yeux.Pendant que Coll racontait l’histoire, Par chantaitpour éveiller les images correspondantes. Bientôt,la taverne entière fut envahie par la magie de savoix. À la petite centaine de clients présents, Partransmit la peur, la colère et la détermination quianimaient les défenseurs du col de Halys. Il leurfit connaître la fureur des démons et entendre leurscris de guerre.

    Le jeune Ohmsford les attira dans les rets de sonrécit et ne les laissa pas s’en échapper. Face à deshordes déferlantes de démons, ses auditeurs furent

    26

  • témoins de la chute d’Eventine, blessé, et del’émergence de son fils Ander. Ils regardèrent ledruide Allanon se dresser seul contre la magie desdémons et la repousser. Enfin, ils partagèrent lavie et la mort des combattants avec une intimitépresque terrifiante.

    Quand Coll et Par eurent terminé, un silenceébahi salua leur performance. Puis des cris d’en-thousiasme éclatèrent, ponctués par le fracas deschopes de bière qui heurtaient les tables enrythme. Un instant, Par craignit que les spectateursne fassent s’écrouler le plafond, tant leurs applau-dissements étaient nourris.

    Trempé de sueur, Par mesura à retardementl’énergie qu’il avait investie dans le récit. Pourtant,son esprit en était curieusement détaché quand ilquitta la plate-forme, profitant de la courte pauseque le tavernier leur accordait entre deux séances.

    Il pensait toujours aux rêves.Coll s’arrêta pour prendre une chope de bière.

    Par continua jusqu’à un tonneau vide entreposéprès des portes du cellier. Il s’assit dessus et réflé-chit.

    Ces rêves le hantaient depuis plus d’un mois, etil ne comprenait toujours pas pourquoi.

    Survenant avec une fréquence troublante, ilscommençaient toujours par une silhouette vêtuede noir qui sortait d’un lac.

    Le lac pouvait être l’Hadeshorn et la silhouetteressemblait à Allanon. L’apparition lui répétait tou-jours les mêmes mots : « Venez à moi. J’ai besoinde vous. Les Quatre Terres sont en danger. La magiea presque disparu. Venez, descendants de Shan-nara. »

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  • D’autres images suivaient. Parfois, c’étaient cel-les d’un monde né de quelque effroyable cauche-mar. À d’autres occasions, il voyait les talismansperdus : l’Épée de Shannara et les Pierres elfiques.Plus rarement, il entendait la voix appeler Wren,ou son oncle Walker Boh.

    On avait aussi besoin d’eux.La première nuit, Par avait cru que ces songes

    étaient un effet secondaire de l’utilisation prolon-gée de l’Enchantement de Shannara.

    Il chantait la saga du Roi-Sorcier, des porteursdu Crâne, des démons, des spectres Mords, d’Al-lanon et d’un monde menacé par les forces dumal. Était-il étonnant qu’il en rêvât ? Il avait essayéde combattre ce phénomène en se servant de l’En-chantement de Shannara pour des récits plusjoyeux – en pure perte.

    Il n’avait rien dit à Coll, qui aurait pris ce pré-texte pour lui conseiller d’arrêter et de rentrer àValombre.

    Trois nuits plus tôt, les rêves avaient cessé. Main-tenant, Par voulait savoir pourquoi. Peut-êtres’était-il mépris sur leur origine. Il se demandait sion ne les lui avait pas envoyés...

    Mais qui ? Allanon, un druide mort depuis troiscents ans ? Quelqu’un ou quelque chose d’autre ?Un être ou une créature hostile ?

    Par frissonna à cette idée. Puis, se forçant à neplus y penser, il retourna dans le couloir rejoindreColl.

    La foule était plus nombreuse encore pour ladeuxième représentation. Beaucoup d’hommes,qui n’avaient pas trouvé de place assise, étaient

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  • adossés aux murs. Pourtant, La Moustache Bleueétait une taverne de bonne taille dont la salle prin-cipale faisait environ quatre-vingt-dix pieds delong. Des lampes à huile et des filets de pêcheornaient le plafond, probablement pour donnerune illusion d’intimité.

    Par n’appréciait pas tellement cette affluence,parce que les clients étaient très près de l’estrade,où certains avaient même osé s’asseoir.

    Ce groupe est différent du précédent, pensa leValombrien. Il y avait quelque chose d’étrangerchez ces gens, mais il n’aurait pas su dire quoi.

    Coll avait dû s’en apercevoir aussi... Il jeta uncoup d’œil à Par quand ils remontèrent sur l’es-trade, et ses yeux noirs exprimaient un certainmalaise.

    Un homme de grande taille à la barbe noire,vêtu d’un manteau de forestier, s’approcha de lascène et s’assit entre deux autres clients. Par ledévisagea un moment, puis détourna le regard.Quelque chose n’allait pas, mais quoi ?

    Des applaudissements rythmés éclatèrent. Lepublic s’impatientait.

    — Par, je n’aime pas ça, dit Coll. Il y a un pro-blème...

    Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Lepatron de la taverne arriva et leur ordonna de com-mencer avant que la foule se déchaîne. Collrecula. Les lumières baissèrent et Par commençaà chanter.

    Cette fois, ils évoquèrent Allanon et sa bataillecontre le Jachyra. Coll donna le ton du récit etdécrivit le bosquet où Allanon était assis avec BrinOhmsford et Rone Leah. Par créa les images dans

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  • l’esprit des spectateurs. Il leur instilla un sentimentd’attente et d’anxiété, en essayant de ne pas selaisser aller à le partager.

    Au fond de la salle, des hommes se placèrentdevant les portes et les fenêtres. Puis ils enlevèrentleur manteau. Tous vêtus de noir, ils tirèrent leursarmes. Sur leurs manches et leur poitrine brillaientdes insignes. Par cligna des yeux. Avec sa visionperçante d’elfe, il reconnut les dessins.

    Des têtes de loup.Les hommes en noir étaient des Questeurs.La voix de Par se voila et les images perdirent

    leur netteté. Les hommes grognèrent en regardantautour d’eux. Coll cessa de parler et s’approchade Par pour le protéger.

    Les lumières reprirent leur éclat initial, et plu-sieurs Questeurs avancèrent vers l’estrade. Lesclients protestèrent mais se poussèrent tout demême. Le patron de La Moustache Bleue essayad’intervenir et fut écarté sans ménagement.

    Les hommes s’arrêtèrent devant l’estrade. Mas-qués du front à la bouche, ils portaient des épées,des dagues et des matraques. Si certains étaientpetits et d’autres de haute taille, tous affichaient lemême air féroce.

    Leur chef, un grand type maigre mais musclé,avait des bras très longs et une démarche de félin.Le peu qu’on voyait de son visage était parche-miné et il arborait une belle barbe rousse.

    Son bras gauche, remarqua Par, était ganté jus-qu’au coude.

    — Votre nom ? demanda-t-il d’une voix caver-neuse.

    Par hésita.

    30

  • — Qu’avons-nous fait de mal ?— Vous vous appelez Ohmsford ? lança

    l’homme sans le quitter du regard.— Oui... Mais nous n’avons...— Vous êtes en état d’arrestation pour avoir

    violé la Loi Suprême de la Fédération. Vous avezutilisé la magie, en dépit de...

    — Ils racontaient seulement des histoires ! pro-testa un homme dans la foule.

    Un des Questeurs lui flanqua un coup de matra-que. Le malheureux s’écroula, sonné.

    — Vous avez utilisé la magie en dépit de l’in-terdiction de la Fédération, mettant votre publicen danger. Vous serez emmené...

    Il ne termina pas sa phrase. Une lampe à huiletomba soudain du plafond, au milieu de la foule,et explosa dans une gerbe de flammes. Les hom-mes s’écartèrent en hurlant. Le chef des Questeurset ses compagnons se retournèrent, étonnés. Aumême instant, le grand type qui s’était assis aubord de la plate-forme se leva, sauta par-dessusd’autres clients et fonça sur les Questeurs, les ren-versant comme des quilles. Puis il bondit sur lascène, devant Par et Coll, et enleva son manteau,révélant sa tenue verte de Chasseur et ses armes.

    Il leva un bras.— Hommes libres ! cria-t-il.Ensuite, tout alla très vite. Un des filets de pêche

    décoratifs se détacha du plafond, emprisonnantdans ses plis presque toute l’assistance. Devant lesissues, des hommes vêtus de vert apparurent et sejetèrent sur les Questeurs. Quelqu’un fracassa leslampes à huile, plongeant soudain la salle dans lesténèbres.

    31

  • Le grand type dépassa Par et Coll à une vitesseincroyable. Il écarta le premier Questeur qui blo-quait la sortie d’un coup de botte, puis tira uneépée et une dague et se débarrassa des deuxautres.

    — Par là, vite ! cria-t-il à Par et Coll.Ils coururent vers lui. Une ombre noire essaya

    de les arrêter au passage, mais Coll la découragead’un bon coup de poing. Il tendit le bras pours’assurer que son frère le suivait, puis referma unede ses énormes mains sur l’épaule de Par, qui englapit de douleur.

    Coll avait tendance à oublier sa force...Ils s’engagèrent dans le couloir du fond, l’in-

    connu les précédant de quelques pas. Quelqu’untenta de s’interposer, mais leur sauveur le renversasans cesser de courir.

    Un affreux vacarme montait de la salle, derrièreeux, et des flammes léchaient les murs et le sol.L’inconnu les conduisit rapidement au bout ducouloir, puis dans l’allée, derrière la taverne, oùattendaient deux autres hommes vêtus de vert.Sans un mot, ils flanquèrent les deux frères et lesentraînèrent loin de la taverne.

    Par jeta un coup d’œil en arrière. Des flammessortaient des fenêtres et grimpaient vers le toit. LaMoustache Bleue avait vécu sa dernière nuit.

    Ils coururent le long de la ruelle, puis tournèrentdans un passage que Par n’avait jamais remarqué.Franchissant plusieurs portes et traversant des piè-ces, ils débouchèrent finalement sur une autre rue.Personne ne parlait. Quand ils furent loin duvacarme et ne virent plus la lueur du feu, l’inconnu

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  • ralentit, fit signe à ses compagnons de monter lagarde, et tira Par et Coll à l’ombre d’un porche.

    Tous haletaient après cette course effrénée. L’in-connu les regarda en souriant.

    — On dit qu’un peu d’exercice facilite la diges-tion. Qu’en pensez-vous ? Ça va ?

    Les deux frères hochèrent la tête.— Qui êtes-vous ? demanda Par.Le sourire de l’homme s’élargit.— Presque un membre de la famille, jeune

    homme. Vous ne me reconnaissez pas ? Ah, je voisque non. Mais comment le pourriez-vous ? Nousne nous sommes jamais rencontrés. Cela dit, leschants devraient vous donner un indice. (Il branditun doigt sur le nez de Par.) Vous vous souvenez,maintenant ?

    Troublé, Par regarda Coll, mais son frère avaitl’air aussi intrigué que lui.

    — Je ne crois pas...— Peu importe, pour le moment ! Il y a un

    temps pour tout. (Le type se pencha vers Par.) Cetendroit n’est plus sûr pour vous, jeune homme. Jeparle de Varfleet et de Callahorn. Et peut-être aussides autres endroits ! Savez-vous à qui vous aviezaffaire, dans la taverne ?

    Par fit signe qu’il l’ignorait.— Rimmer Dall, dit l’inconnu, qui ne souriait

    plus. Le Premier Questeur en personne ! Il siège auConseil de la Coalition, quand il n’est pas occupéà tuer les mouches. Mais il s’intéresse beaucoup àvous, s’il s’est imposé le chemin jusqu’à Varfleetpour vous arrêter ! Ça ne fait pas partie de sesfonctions habituelles. Il vous juge très dangereux,petit, pour vous avoir suivi jusqu’ici. Heureuse-

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  • ment, j’avais l’œil sur vous. J’ai entendu dire queRimmer Dall venait vous capturer et je me suisassuré qu’il n’y arrive pas. Méfiez-vous, parce qu’iln’en restera pas là. Vous lui avez échappé, et çale rendra encore plus avide de vous avoir. Il conti-nuera de vous traquer.

    L’homme se tut pour mesurer l’impact de sesparoles. Par le regardant, muet de saisissement, ilcontinua :

    — Votre chant est une magie véritable, n’est-cepas ? J’en ai vu assez de fausses pour le savoir.Vous pourriez la mettre à bon usage, petit, au lieude l’utiliser dans les tavernes et au coin des rues.

    — Que voulez-vous dire ? demanda Coll, soup-çonneux.

    L’inconnu sourit.— Le Mouvement pourrait en tirer parti, dit-il

    doucement.— Vous êtes un hors-la-loi ?— Oui, jeune homme, et je m’en flatte. Voyez-

    vous, je suis né libre et je n’accepte pas les règlesde la Fédération. Aucun homme sensé ne s’y plie.Et vous ne les acceptez pas non plus, j’imagine ?Reconnaissez-le.

    — Exact, admit Coll. Mais je me demande si leshors-la-loi valent mieux que la Fédération.

    — Dures paroles, jeune homme ! Une bonnechose pour vous que je ne me vexe pas facile-ment...

    Le type eut un sourire arrogant.— Que voulez-vous ? demanda Par, l’esprit de

    nouveau clair.Il avait réfléchi à Rimmer Dall. Connaissant la

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  • réputation de cet homme, il était terrifié à l’idéed’être sa proie.

    — Vous désirez que nous nous joignions à vous,c’est ça ?

    — Oui. Vous verriez vite que ce n’est pas unemauvaise affaire.

    Par secoua la tête. Accepter l’aide de l’étrangerpour fuir les Questeurs allait de soi. Se joindre auMouvement, en revanche, demandait mûreréflexion.

    — Je crois que nous devons refuser pour lemoment, dit-il. Si vous nous laissez le choix...

    — Bien sûr que je vous laisse le choix ! s’écrial’inconnu, visiblement vexé.

    — Alors, nous refusons. Mais nous vous remer-cions de cette offre, et surtout de votre aide, dansla taverne.

    L’inconnu regarda un moment son interlocu-teur, l’air solennel.

    — Je suis heureux de l’avoir fait, croyez-moi. Jevous souhaite tout le bien du monde, Par Ohms-ford. Tenez, prenez ça.

    Il retira une bague de son majeur. En argent,elle portait l’image d’un faucon.

    — Mes amis me connaissent grâce à cettebague. Si vous avez un jour besoin d’une faveurou si vous changez d’avis, allez avec ce bijou à laforge de Kiltan, au Bout de Reaver, à la lisière nordde la cité, et demandez l’Archer. Vous vous ensouviendrez ?

    Par hésita avant d’accepter la bague.— Oui. Mais pourquoi ce cadeau ?— Parce que beaucoup de choses nous unis-

    sent, jeune homme, dit le chasseur en posant une

    35

  • main sur l’épaule de Par. L’histoire nous lie si étroi-tement que je dois être là pour vous défendre, sinécessaire. De plus, ce lien impose que nous nousdressions ensemble devant tout ce qui menace cepays. Souvenez-vous aussi de ça. Un jour, nous leferons... Si nous parvenons à rester en vie jusque-là.

    L’homme sourit aux deux frères et lâcha l’épaulede Par.

    — Il faut que j’y aille, et vous aussi. Dépêchez-vous. La rue descend vers la rivière. De là, vouspourrez aller où il vous plaira. Mais soyez prudents.Cette histoire n’est pas terminée.

    — Je sais, dit Par en tendant une main. Vousêtes sûr de ne pas vouloir nous dire votre nom ?

    — Une autre fois...L’homme serra la main de Par, puis celle de Coll.

    Ensuite, il siffla pour appeler ses compagnons.Sur un geste d’adieu, il disparut dans les ombres.Par regarda la bague, puis interrogea Coll du

    regard. Mais des cris retentirent soudain derrièreeux.

    — Je crois que les questions devront attendre,dit Coll.

    Par fourra la bague dans sa poche. En silence,ils s’enfoncèrent dans la nuit.

  • Chapitre 3

    Il était près de minuit quand Par et Coll atteigni-rent la rivière de Varfleet. Là, ils mesurèrent à quelpoint ils étaient mal préparés pour échapper àRimmer Dall et aux Questeurs de la Fédération.Aucun d’eux ne s’était attendu à fuir, et ilsn’avaient rien de tout ce qui était nécessaire à unlong voyage : ni nourriture, ni couvertures, niarmes, à part les longs couteaux que portaient tousles Valombriens. Pire encore, ils n’avaient pas d’ar-gent.

    Le tenancier de l’auberge ne les avait pas payésdepuis un mois, et le peu qui leur restait du moisprécédent avait disparu dans l’incendie avec tousleurs autres biens. Dans ces conditions, ils se direntqu’ils auraient peut-être dû rester un peu plus long-temps avec leur sauveur !

    Au bord de l’eau se dressaient des bâtisses deguingois, des hangars à bateaux, des ateliers deréparation et des entrepôts. Beaucoup étaientéclairés. À la lumière des lampes à huile, les doc-kers et les pêcheurs y buvaient en mâchouillantleur brûle-gueule. De la fumée sortait des réchauds

    37

  • en ferraille et des tonneaux, l’odeur du poissondominant toutes les autres.

    — Ils ont peut-être abandonné la poursuitepour la nuit, lâcha Par. Ils nous chercheront aumatin. Ou jamais...

    Coll regarda son frère et leva un sourcil.— Et les vaches ont des ailes, dit-il. Nous

    aurions dû insister pour être payés plus rapide-ment. Comme ça, nous ne serions pas si embêtés !

    Par haussa les épaules.— Ça n’aurait pas fait une grande différence.— Non ? Au moins, nous aurions un peu d’ar-

    gent !— Si seulement nous avions pensé à le garder

    sur nous pendant la représentation...Coll plissa le front.— N’empêche, ce tavernier a une dette envers

    nous.Ils marchèrent en silence jusqu’à l’extrémité sud

    des quais et s’arrêtèrent quand la partie éclairéecéda la place aux ténèbres.

    La nuit avait fraîchi, et leurs vêtements trop finsne les protégeaient guère. Les deux frères frisson-naient, les mains enfoncées dans leurs poches etles bras serrés contre leurs flancs. Des insectesexaspérants bourdonnaient autour d’eux.

    Coll soupira.— As-tu idée d’où aller ? Un plan ?— Oui, dit Par en se frottant les mains pour les

    réchauffer. Mais pour ça, il nous faut un bateau.— Vers le sud, le long de la Mermidon ?— Oui. Jusqu’au bout.Coll sourit, pensant que son frère avait décidé

    38

  • de rentrer à Valombre. Par décida qu’il valaitmieux le lui laisser croire pour le moment.

    — Attends-moi, dit Coll.Il disparut avant que son frère ait eu le temps

    de protester.Par resta seul sur les quais une bonne demi-

    heure – qui lui parut durer le triple ! Il s’assit devantune cabane de pêcheur et essaya de se protégerdu froid. Il était agité de sentiments contradictoi-res. Surtout de la colère, contre l’inconnu qui lesavait abandonnés. D’accord, il lui avait demandéde les laisser, mais cela ne le consolait pas. Etcontre la Fédération, qui les avait forcés à quitterla ville comme des voleurs. Et enfin contre lui-même, un crétin assez irresponsable pour utiliserla magie véritable alors qu’elle était interdite. Ilaurait dû se douter que le pouvoir de l’Enchante-ment de Shannara, de toute évidence réel, leurattirerait un jour des ennuis avec les autorités.

    Pour le moment, il ne pouvait rien faire. Coll etlui devraient recommencer à zéro quelque partailleurs...

    Il ne lui vint pas à l’idée de renoncer. Les his-toires étaient trop importantes, et il devait veillerà ce qu’elles ne soient pas oubliées. Parce que lamagie qu’il détenait lui avait été donnée dans cebut. Peu importait ce que disait la Fédération quitenait la magie pour une menace contre les QuatreTerres et leurs habitants. Qu’en savait-elle ? En pro-fanes bornés, les membres du Conseil de la Coa-lition avaient décidé d’agir à cause de rumeursprétendant que certaines parties des Quatre Terrespériclitaient. Les gens, disait-on, y devenaient desmonstres semblables à ceux que décrivaient les

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  • récits de Jair Ohmsford. Et ils tiraient leur pouvoird’une forme de magie disparue depuis l’époquedes druides.

    Ces créatures avaient un nom : les Ombreurs.Soudain, Par pensa aux rêves et à la silhouette

    noire qui l’appelait.Il s’avisa que la nuit était étrangement silen-

    cieuse. Les voix des pêcheurs et des dockers, lebourdonnement des insectes et le sifflement duvent nocturne s’étaient tus. Il entendait le batte-ment du sang à ses oreilles... et autre chose.

    Un bruit d’éclaboussure le fit sursauter. Coll sor-tit de la Mermidon à quelques pas de Par ets’ébroua.

    Son frère le regarda, ébahi.— Par l’enfer, tu m’as fait peur ! Que fabriquais-

    tu ?— À ton avis ? lança Coll en souriant de toutes

    ses dents. Je suis allé nager !En réalité, Par découvrit bientôt qu’il s’était

    approprié une barque de pêche appartenant aupatron de La Moustache Bleue. L’homme lui enavait parlé une fois ou deux, vantant ses talents depêcheur. Coll s’en était souvenu quand Par avaitdit qu’il leur faudrait un bateau. Connaissant lacabane où était rangée l’embarcation, il avait forcéla porte. La tirant par ses filins d’amarrage, il avaitremorqué la barque jusqu’à l’endroit où Par l’at-tendait.

    — C’est le moins qu’il puisse faire pour nous,avec tous les clients que nous avons attirés chezlui !

    Par ne protesta pas. Il leur fallait un bateau etc’était la seule façon de s’en procurer un. En sup-

    40

  • posant que les Questeurs écumaient toujours laville pour les trouver, leur seule autre option étaitde partir à pied vers les monts de Runne, unvoyage de plus d’une semaine. Descendre la Mer-midon en barque leur prendrait quelques jours.Après tout, ils n’avaient pas volé le bateau...

    Enfin, si, en un sens, c’est du vol, se dit Par. Maisils le rendraient ou dédommageraient un jour letavernier.

    La barque n’était pas bien grande, mais ellecontenait des rames, des cannes à pêche, desustensiles de cuisine, du matériel de campement,deux couvertures et une bâche en toile.

    Ils montèrent à bord et laissèrent le courant lesemporter.

    Toute la nuit, ils voguèrent en se servant desrames pour rester au milieu du courant. L’oreilletendue, les yeux rivés sur les berges, ils essayèrentde ne pas s’endormir. Pour passer le temps, Collparla de ce qu’ils devraient faire ensuite. Il leurétait impossible, bien entendu, de revenir à Calla-horn, car la Fédération les chercherait. Et il seraitdangereux d’aller dans n’importe quelle grandecité du Sud, parce que les autorités de la Fédéra-tion seraient averties aussi. Moralité, il valait mieuxrentrer à Valombre, où ils pourraient toujoursraconter leurs histoires, peut-être pas immédiate-ment, mais dans un mois ou deux, dès que laFédération aurait cessé de les rechercher. Plustard, ils voyageraient vers de petites communautésque les Questeurs visitaient rarement, et tout iraitbien...

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  • Par laissa son frère parler, certain qu’il ne croyaitpas un mot de ce qu’il disait. Et même s’il y croyait,il était inutile de le contrarier maintenant.

    Les frères Ohmsford accostèrent au lever dusoleil et dressèrent leur campement dans un bos-quet ombragé, au pied d’un promontoire battu parles vents. Ils dormirent jusqu’à midi, puis allèrentpêcher pour le repas. Au début de l’après-midi, ilsrepartirent sur la rivière, s’arrêtèrent longtempsaprès le coucher du soleil et campèrent de nou-veau au bord de l’eau. Comme il commençait àpleuvoir, ils s’abritèrent sous la bâche. Puis ilsfirent un petit feu, s’enroulèrent dans les couver-tures et restèrent assis, face à la rivière, à regarderles gouttes de pluie former des motifs complexessur les eaux de la Mermidon.

    Ils parlèrent de tout ce qui avait changé dansles Quatre Terres depuis l’époque de Jair Ohms-ford.

    Trois cents ans plus tôt, la Fédération, ouverte-ment isolationniste, gouvernait seulement quel-ques lointaines cités du Sud. Le Conseil de laCoalition existait déjà, regroupant des notables desdifférentes villes. Peu à peu, l’armée de la Fédéra-tion avait dominé le Conseil, et l’isolationnismeavait cédé le pas à une politique expansionniste.La Fédération avait décidé d’étendre ses frontièreset d’annexer les autres cités des Terres du Sud. Ilsemblait logique qu’elles soient gouvernées par unorgane central. Et qui pouvait se prétendre mieuxqualifié pour le faire que la Fédération ?

    Ce fut ainsi que tout commença. Cent ans aprèsla mort de Jair Ohmsford, toutes les terres, au sudde Callahorn, étaient sous la coupe de la Fédéra-

    42

  • tion. Les autres Races, les elfes, les trolls, les nainset même les gnomes regardaient nerveusementvers le sud. Son roi étant mort et les dissensionsfaisant rage, Callahorn accepta assez vite de deve-nir un protectorat.

    Ainsi disparut le dernier bastion entre la Fédé-ration et les autres Terres.

    Les rumeurs sur les Ombreurs commencèrent àcourir dès cette époque. On accusait la magie desanciens temps, qui s’était enfouie dans la terre etrevenait maintenant à la vie. La magie prenait denombreuses formes, parfois aussi inoffensivesqu’un coup de vent froid, et plus rarement, vague-ment humaines. Toutes étaient appelées« Ombreurs ». Les Ombreurs rendaient malade laterre et les créatures vivantes. Créant des bourbierssans vie, ils attaquaient les mortels, humains ouanimaux. Quand leurs proies étaient suffisammentaffaiblies, ils s’infiltraient dans leur esprit et y res-taient. Bref, ils avaient besoin de la vie des autrespour exister.

    La Fédération confirma les rumeurs en procla-mant que ces créatures étaient réelles... et qu’elleseule était assez puissante pour protéger leshumains.

    Personne n’objecta que ce n’était peut-être pasla faute de la magie, les Ombreurs n’ayant rien àvoir avec elle. Au fond, il était plus facile d’accep-ter l’explication officielle, puisqu’il n’y avait plusde magie dans les Terres depuis la disparition desdruides. Les Ohmsford gardaient les légendesvivantes, bien sûr, mais peu de gens entendaientleurs histoires, et moins encore y croyaient. En fait,

    43

  • la plupart pensaient que les druides n’avaientjamais existé.

    Quand Callahorn devint un protectorat, Tyrsisétant occupée, l’Épée de Shannara disparut. Per-sonne ne s’en soucia. Nul ne savait commentc’était arrivé, mais on n’avait plus vu l’arme depuisdeux cents ans. Il ne restait que la salle censéel’avoir abritée, au milieu du parc du Peuple, et lasouche où la lame était plantée. Puis un jour, elleaussi s’était volatilisée.

    Les Pierres elfiques disparurent peu de tempsaprès. Personne ne sut ce qui était arrivé, pasmême les Ohmsford.

    Alors, les elfes commencèrent à disparaîtreaussi. Des communautés et des villes entièress’évanouirent, jusqu’à ce qu’Arborlon même sevolatilise. Un jour, il n’y eut plus d’elfes nulle part,comme s’ils n’avaient jamais existé. Les Terres del’Ouest devinrent un désert livré à quelques trap-peurs étrangers et à des bandes de vagabonds. Lesvagabonds, mal accueillis partout ailleurs, yavaient toujours vécu. Pourtant, ils prétendirent nepas savoir ce qui était arrivé aux elfes. La Fédéra-tion ne tarda pas à tirer parti de la situation. LesTerres de l’Ouest, décréta-t-elle, avaient été le ter-rain où poussaient les graines de la magie sinéfaste aux Quatre Terres. Après tout, c’étaient leselfes qui l’y avaient introduite, bien des annéesauparavant. Ils l’avaient pratiquée les premiers, etelle les avait consumés : une bonne leçon pourceux qui auraient voulu les imiter.

    La Fédération enfonça le clou en interdisant lapratique de la magie sous toutes ses formes. LesTerres de l’Ouest furent transformées en protecto-

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  • rat, même si elles restèrent désertes, car il n’y avaitpas assez de soldats pour patrouiller dans un ter-ritoire si vaste. Mais un jour, c’était une promesse,ces terres seraient purgées des derniers vestiges dela magie.

    Peu après, la Fédération déclara la guerre auxnains. Parce qu’ils l’avaient provoquée, affirma-t-elle. Mais on ne sut jamais comment ils s’y étaientpris...

    La partie était jouée d’avance. La Fédérationpossédait l’armée la plus puissante et la mieuxentraînée des Quatre Terres et les nains n’avaientpas de troupes régulières. Leurs alliés, les elfes,n’étaient plus là, et les gnomes ou les trollsn’avaient jamais compté parmi leurs amis. Pour-tant, la guerre dura près de cinq ans. Les nainsconnaissaient les montagnes des Terres de l’Estbeaucoup mieux que la Fédération. Même siCulhaven tomba presque aussitôt, ils continuèrentà combattre dans les hauts plateaux jusqu’à cequ’ils soient obligés de se rendre ou de mourir defaim. Faits prisonniers, ils furent envoyés dans lesmines de la Fédération, au sud. La plupart y mou-rurent. Après ce désastre, les tribus de gnomes serangèrent rapidement sous la bannière de la Fédé-ration, dont les Terres de l’Est devinrent un pro-tectorat.

    Il restait des poches isolées de résistance. Quel-ques nains et de rares tribus de gnomes, tapis dansles étendues sauvages du nord et de l’est. Mais ilsétaient trop peu nombreux pour faire une diffé-rence.

    Pour célébrer l’unification de la plus grande par-tie des Quatre Terres et honorer ceux qui l’avaient

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  • réalisée, la Fédération construisit un monumentsur la rive nord du lac Arc-en-ciel, là où la Mermi-don traversait les monts de Runne. Le monumentde granit noir, haut de plus de deux cents pieds,se voyait de loin dans toutes les directions. Onl’appelait la sentinelle du Sud.

    Tout cela s’était déroulé cent ans plus tôt. Désor-mais, seuls les trolls restaient un peuple libre. Ilshabitaient toujours les monts Charnal et le Kers-halt, dans les Terres du Nord, une région dange-reuse où la Fédération n’avait pas envie des’aventurer. Elle décida donc de les laisser en paixtant qu’ils ne se mêleraient pas de ses affaires.Ayant toujours été un peuple solitaire, les trolls n’yvirent aucun inconvénient.

    — Tout est si différent, maintenant, soupira Par.Plus de druides, plus de Paranor, plus de magie,excepté la fausse, et le peu de vraie que nousconnaissons. Et plus d’elfes. Que leur est-il arrivéà ton avis ? (Il attendit, mais Coll ne répondit rien.)Plus de monarchies, plus de Leah, plus de Buck-hannah, plus de Régiment libre de la Légion... etpour ainsi dire plus de Callahorn !

    — Plus de liberté, ajouta Coll d’une voix sinis-tre.

    — Plus de liberté, répéta Par. J’aimerais savoircomment les Pierres elfiques ont disparu. Et l’Épée.Qu’est-il arrivé à l’Épée de Shannara ?

    — Ce qui arrive à tout, un jour ou l’autre. Ellea été perdue.

    — Comment ça ?— Personne n’en prenait soin, et...Par réfléchit. C’était possible. Nul ne s’étant sou-

    cié de la magie après la mort d’Allanon, elle avait

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  • été ignorée puis oubliée. Il fallait inclure les Ohms-ford dans le lot des négligents, reconnut Par.Sinon, ils auraient toujours eu les Pierres en leurpossession. L’Enchantement de Shannara était toutce qui leur restait de l’ancienne magie.

    — Nous connaissons les récits de cette époque,et pourtant, nous ne savons rien, dit Par.

    — Faux, car nous savons une chose ! La Fédé-ration ne veut pas que nous en parlions !

    — Par moments, je me demande quelle diffé-rence ça fait... Les gens viennent nous écouter,mais que font-ils après ? Personne ne se souvient...De toute façon, pour tout le monde, c’est de l’his-toire ancienne. Des légendes et des mythes sansqueue ni tête !

    — Non, pas pour tout le monde, souffla Coll.— À quoi me sert l’Enchantement de Shannara,

    si raconter les histoires ne fait aucune différence ?L’inconnu avait peut-être raison au sujet des meil-leures utilisations de la magie...

    — Par exemple, aider les hors-la-loi à combattrela Fédération et te faire tuer ? Non, ce serait aussiidiot que de ne pas l’utiliser du tout.

    Un bruit d’éclaboussure monta soudain de larivière. Les deux frères tournèrent la tête, mais ilsne virent rien.

    — Tout semble si inutile, dit Par. Que faisons-nous ici, Coll ? On nous a chassés de Varfleetcomme des chiens. Nous avons été obligés devoler ce bateau et de filer piteusement... À ton avis,pourquoi avons-nous toujours l’usage de lamagie ?

    — Que veux-tu dire ? demanda Coll.— Pourquoi pouvons-nous l’invoquer ? Pour-

    47

  • quoi n’a-t-elle pas disparu en même temps que toutle reste ? Tu vois une raison ?

    Il y eut un long silence.— Je l’ignore, dit enfin Coll. J’ignore aussi ce

    que c’est qu’avoir la magie.Par le regarda, honteux de ce qu’il avait dit.— Ce n’est pas que j’en aie envie, précisa Coll,

    conscient du malaise de son frère. L’un de nous aun talent, et c’est bien suffisant !

    Il sourit et Par lui rendit son sourire.— Je suppose. (Il bâilla.) Et si on se couchait ?— Pas tout de suite. J’aimerais parler encore un

    peu. C’est une bonne nuit pour ça.Pourtant, Coll resta silencieux, comme s’il

    n’avait finalement rien à dire. Par le regarda unmoment, puis tous deux contemplèrent la Mermi-don, où dérivait un tronc d’arbre probablementarraché par la tempête. Le vent avait d’abord souf-flé violemment, mais il s’était calmé. La pluie tom-bait toujours.

    Par pensa à l’inconnu qui les avait tirés des grif-fes des Questeurs de la Fédération. Il se demandaitqui était cet homme et il n’avait pas trouvé deréponse. Pourtant, il y avait quelque chose de fami-lier dans sa façon de parler et son assurance. Il luirappelait quelqu’un, présent dans les histoires qu’ilracontait, mais il ne voyait pas qui. Il y avait tantde gens dans ces récits, et beaucoup étaientcomme ce bandit, des héros que Par avait crudisparus. Peut-être s’était-il trompé. Le type de LaMoustache Bleue s’était montré impressionnantquand il les avait sauvés et il semblait résolu às’opposer à la Fédération. Il restait peut-être del’espoir pour les Quatre Terres.

    48

  • Par se pencha, ajouta quelques brindilles dansle feu et regarda la fumée tourbillonner et sortirde leur petit abri de toile. Un éclair illumina leciel, et le tonnerre gronda.

    — J’aimerais avoir quelques vêtements secs,dit-il. Les miens sont trempés.

    — Moi, je voudrais du ragoût chaud et du painfrais, dit Coll.

    — Un bain et un bon lit douillet.— Et l’odeur des épices...— De l’eau de rose...Coll soupira.— À ce stade, je serais content si cette fichue

    pluie cessait. J’en arriverais presque à croire auxOmbreurs, par une nuit comme celle-là.

    Par décida soudain de parler des rêves à sonfrère.

    — Je ne te l’ai pas encore dit, mais j’ai fait descauchemars bizarres ces derniers temps. Toujoursle même, en fait.

    Il décrivit ses visions et exprima ses doutes surla silhouette vêtue de noir qui lui parlait.

    — Je ne le vois pas assez clairement pour enêtre sûr, mais il pourrait s’agir d’Allanon.

    Coll haussa les épaules.— Ça pourrait être n’importe qui. C’est un rêve,

    et ils sont toujours confus.— Mais j’ai fait celui-là une vingtaine de fois !

    J’ai d’abord cru que c’était à cause de la magie,après avoir chanté les récits tout ce temps... Maissi...

    — Si quoi ?— Si ça n’était pas la magie ? Si c’était une ten-

    49

  • tative de contact, venant d’Allanon ou de quel-qu’un d’autre ? Pour m’envoyer un message ?

    — Qui te dirait de faire quoi ? D’aller au lacHadeshorn ou dans un autre endroit tout aussidangereux ? À ta place, je ne me soucierais pas deces rêves. Et je n’envisagerais même pas d’y aller !(Coll fronça les sourcils.) Mais toi, tu y penses,n’est-ce pas ?

    — Non, répondit Par.Pas avant d’avoir réfléchi, reconnut-il mentale-

    ment.— Ouf ! Nous avons assez de problèmes comme

    ça. Alors, nous mettre à la recherche de druidesmorts...

    Pour Coll, la question était réglée.Par ne répondit pas. Il attisa le feu. Oui, il envi-

    sageait d’y aller. Soudain, il avait besoin de savoirce que les rêves signifiaient. Peu importait qu’ilsaient été envoyés par Allanon ou pas. Une voixintérieure lui soufflait que leur source lui permet-trait de découvrir des choses sur lui-même et surl’usage de sa magie. Envisager de faire ce qu’ils’était promis de ne pas faire l’ennuyait. Mais dansla lignée des Ohmsford, les songes étaient impor-tants et ils recélaient presque toujours un message.

    — J’aimerais être sûr..., murmura-t-il.Coll s’était allongé, les yeux fermés.— Sûr de quoi ?— Les rêves... Si quelqu’un me les a envoyés

    ou non.— Moi, j’en suis sûr ! Il n’existe pas de druides,

    et pas d’Ombreurs non plus ! Aucun fantôme noirne tente de t’envoyer des messages dans ton som-

    50

  • meil. Tu es fatigué, c’est tout ! Et tes rêves sontinfluencés par les récits que tu chantes...

    Par s’étendit aussi et tira sa couverture sur lui.— Je suppose, dit-il.Intérieurement, il n’était pas d’accord.Coll roula sur le côté et bâilla à s’en décrocher

    les mâchoires.— Cette nuit, avec cette humidité, tu rêveras

    probablement d’inondation et de poissons !Par ne répondit pas tout de suite, écoutant un

    moment le bruit de la pluie.— Je choisirai peut-être mes rêves, dit-il douce-

    ment.Puis il s’endormit.Cette nuit-là, il rêva pour la première fois depuis

    deux semaines. Le songe qu’il avait voulu faire,celui de la silhouette vêtue de noir... Elle vintimmédiatement, comme si elle jaillissait des pro-fondeurs de son subconscient. Surpris par la sou-daineté de son apparition, Par ne se réveillapourtant pas. Il regarda la silhouette sombre sur-voler le lac et venir vers lui, si menaçante qu’ilaurait fui s’il l’avait pu. Mais le rêve ne le laissapas faire. Il s’entendit demander pourquoi il nes’était pas manifesté depuis si longtemps... et nereçut pas de réponse.

    La silhouette s’arrêta devant lui, encore indis-tincte.

    Parle-moi, pensa-t-il, effrayé.La créature resta debout devant lui, drapée dans

    les ombres. Immobile, elle semblait attendre.Par avança et, animé par une force intérieure

    qu’il n’avait pas eu conscience de posséder, tira

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  • le capuchon du spectre. Un visage apparut, aussiclair qu’en plein jour.

    Par le reconnut aussitôt, car il avait chanté salégende un millier de fois. Ces traits lui étaientaussi familiers que les siens.

    C’étaient ceux d’Allanon.

  • Chapitre 4

    Quand il se réveilla le lendemain, Par décida dene rien dire à Coll au sujet du rêve. Pour commen-cer, il n’aurait pas su quoi raconter, peu sûr quele songe n’avait pas été provoqué par son simpledésir. De plus, il n’avait aucun moyen de savoirs’il était vrai. Ensuite, en parler à Coll reviendraità le lancer de nouveau sur le sujet. Comme dejuste, son frère dirait que Par était stupide de pen-ser encore à quelque chose qu’il ne ferait pas. Etils finiraient par se disputer sur le bien-fondé d’undépart vers les dents du Dragon pour y chercherle lac Hadeshorn et un druide mort depuis troiscents ans.

    Ils prirent un petit déjeuner froid – des baiessauvages et un peu d’eau. La pluie avait cessé,mais le ciel était plombé et la journée s’annonçaitgrise et sinistre. Le vent soufflait du nord-ouest,secouant les branches sur son passage.

    Ils emballèrent leurs affaires, montèrent dans labarque et reprirent leur voyage.

    La Mermidon étant en crue, le petit bateau rou-lait et tanguait en voguant vers le sud. Des débriscouvraient la surface de l’eau. Ils gardèrent les

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  • rames à la main pour repousser les plus gros, sus-ceptibles d’endommager l’embarcation. Les falai-ses de Runne se dressaient de chaque côté de larivière, enveloppées dans la brume et les nuages.Dans leur ombre, il faisait très froid, et les deuxfrères sentirent rapidement leurs pieds et leursmains s’engourdir.

    Ils s’arrêtaient sur le rivage pour se reposer dèsque c’était possible. Mais cela ne leur servait pasà grand-chose, puisqu’ils n’avaient rien à mangeret aucun moyen de se réchauffer sans perdre dutemps à allumer un feu. Au début de l’après-midi,la pluie recommença et le froid empira. Le ventaugmentant, le voyage devint trop dangereux. Dèsqu’ils trouvèrent une petite crique à l’abri d’unbosquet de pins, ils tirèrent la barque au sec ets’installèrent pour la nuit.

    Les deux frères firent du feu et mangèrent lepoisson que Coll avait pêché. Ils essayèrent de seréchauffer sous la bâche, mais la pluie venait departout. Du coup, ils dormirent très mal dans lefroid et l’humidité.

    Cette nuit-là, Par ne rêva pas.Au matin, l’orage s’était éloigné et le ciel s’éclair-

    cit. L’air redevenu tiède, les frères Ohmsford firentsécher leurs vêtements pendant que la barque lesemmenait vers le sud. Au milieu de la journée, ilfit assez bon pour leur permettre d’enlever leurtunique et leurs bottes et de se réchauffer au soleil.

    — Comme dit le dicton, le beau temps vienttoujours après l’orage, déclara Coll. Tu verras, letemps restera clément ! Dans trois jours, nousserons rentrés chez nous.

    Par sourit et ne dit rien.

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  • La journée passa, le parfum des arbres et desfleurs embaumant l’air.

    Ils laissèrent la sentinelle du Sud derrière eux,son ombre massive émergeant de la montagne.Même de loin, la tour était impressionnante, avecsa pierre si noire qu’elle semblait absorber lalumière. Des rumeurs couraient sur la sentinelledu Sud. Certains disaient qu’elle était vivante et senourrissait de la terre. D’autres prétendaientqu’elle pouvait se déplacer. Et presque tout lemonde s’accordait à dire qu’elle grandissait en per-manence. Comme toujours, elle paraissait déserte.Une unité d’élite de soldats de la Fédération étaitcensée y être cantonnée, mais personne ne l’avaitjamais vue. Tant mieux, pensa Par, tandis qu’ilspassaient devant le monument.

    À la fin de l’après-midi, ils atteignirent l’embou-chure de la rivière, où elle se jetait dans le lacArc-en-ciel.

    Le lac scintillait devant eux, grande étenduebleue couronnée d’argent et frangée d’or par lesoleil couchant. L’arc-en-ciel qui lui avait donnéson nom s’élevait au-dessus des eaux, assez peuvisible à la lumière du soleil. Des grues planaientdans le lointain, leurs longs corps gracieux offertsaux caresses du vent.

    Les Ohmsford tirèrent leur bateau sur la rive etle mirent à l’abri d’un bosquet, face à un promon-toire. Ils installèrent leur campement et suspendi-rent la bâche à un arbre en prévision d’un éventuelchangement de temps. Puis Coll pêcha pendantque son frère ramassait du bois.

    Par marcha le long de la rive un moment, appré-ciant la clarté des eaux du lac et les couleurs de

    55

  • vaux, les voix basses des hommes, les mains cal-leuses qui l’avaient lavé et nourri, l’engourdisse-ment qu’il éprouvait chaque fois qu’il était assezréveillé pour sentir quelque chose...

    Il avait encore dans la bouche le goût amer desdrogues qui l’avaient maintenu inconscient.

    L’homme termina son repas et se leva. Oùl’avait-on amené ?

    Lentement, car il était encore très faible, il gagnala fenêtre et regarda par les fentes des volets.

    Il était en haut d’une tour. Le soleil illuminait unpaysage semé de forêts et de collines verdoyantesqui s’étendait jusqu’aux rives d’un grand lac auxreflets argentés. Au-dessus de l’eau, il vit les tracesd’un arc-en-ciel coloré qui courait d’une rive àl’autre.

    Le prisonnier sursauta. Le lac Arc-en-ciel !Il regarda les murs extérieurs de sa prison et en

    aperçut une petite partie, en granit noir.Cette fois, la révélation lui coupa le souffle. Il

    était à l’intérieur de la sentinelle du Sud !À l’intérieur !Mais qui l’avait capturé ? La Fédération, les

    Ombreurs... ou quelqu’un d’autre ? Et pourquoil’avoir amené ici ? D’ailleurs, pourquoi était-ilencore en vie ?

    Baissant la tête, il ferma les yeux. Tant de ques-tions, une fois de plus...

    Qu’est-il arrivé à Par ?Coll Ohmsford rouvrit les yeux. Le visage appuyé

    contre les volets, il sonda le paysage, se deman-dant quel sort ses geôliers lui réservaient.

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  • Cette nuit-là, Cogline rêva. Endormi parmi lesarbres qui entouraient les hauteurs désolées oùParanor s’était autrefois dressée, il s’agita dans sonsommeil, harcelé par des visions qui lui glaçaientle sang plus sûrement que le vent mordant.

    Le vieil homme se réveilla en sursaut, tremblantde peur. Il avait rêvé que tous les descendants deShannara avaient péri.

    Un moment, il fut convaincu que c’était vrai.Puis la peur céda la place à l’irritation et à lacolère. Il comprit que son rêve était une prémoni-tion, pas une vision du présent...

    Cogline fit un petit feu pour se réchauffer et secalmer. Puis il prit une pincée de poudre argentéedans une bourse accrochée à sa ceinture et la jetasur les flammes. De la fumée s’éleva et emplit l’aird’images chatoyantes qu’il scruta soigneusementavant qu’elles ne se dissipent.

    Alors, le vieillard grogna de satisfaction, éteignitle feu d’un coup de pied, s’enroula de nouveaudans ses robes et se recoucha.

    Les images ne lui avaient pas appris grand-chose, mais cela suffisait pour le moment.

    Les descendants de Shannara vivaient toujours.Des dangers les menaçaient, bien entendu,comme depuis le premier jour. Cogline les avaitvus dans les images, monstrueux et effrayants.

    Mais ça, c’était dans l’ordre des choses !Le vieil homme ferma les yeux. Il ne pourrait

    rien faire cette nuit.Oui, se dit-il, tout est dans l’ordre des choses.Puis il s’endormit comme une masse.

    Les descendants de ShannaraDu même auteur aux Éditions J’ai luTitreCopyrightDédicaceCarteChapitre 1Chapitre 2Chapitre 3Chapitre 4