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BanksMaya
Laforced’aimer
LesMontgomeryetlesArmstrong-2
Maisond’édition:J’ailu
BenitaPaul
©MayaBanks,2013Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2014Dépôtlégal:août2014
ISBNnumérique:9782290087381ISBNdupdfweb:9782290087398
Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290087275
CompositionnumériqueréaliséeparFacompo
Présentationdel’éditeur:GenevieveMcInnis était si belle que le redoutable IanMcHugh l’a enlevée. Et comme elle serefusaitàlui,ill’adéfiguréed’uncoupdepoignard.Durantunan,elleestrestéecaptivedansundonjon,jusqu’aujouroùleclanMontgomeryaassiégélefiefdesontortionnaire.Prêteàtoutpourrecouvrerlaliberté,Genevieves’offreàBowenMontgomery.Àsagrandesurprise,leHighlandernelatraitenicommeunecourtisanenicommeunmonstre.Maiscommentaccepterleparadisdanslesbrasd’unhommequandunautrevousafaitvivrel’enfer?
Elle est l’un des écrivains les plus importants de la romance actuelle. Ses livres érotiques,contemporainsouhistoriques,sonttoujoursclassésparmilesmeilleuresventesduNewYorkTimeset du USA Today. Après la série Les McCabe, elle s’est lancée dans une nouvelle trilogiehistorique,LesMontgomeryetlesArmstrong.
©Piauded’après©MalgorzataMaj/ArcangelImages
©MayaBanks,2013
Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2014
MayaBanks
Elleestl’undesécrivainslesplusimportantsdelaromanceactuelle.Auteurprolifique,ellefigureentêtedelistedesbest-sellersduNewYorkTimesetdeUSAToday,ets’estspécialiséedansl’écriturederomancescontemporainesethistoriquesauxaccentsérotiques.Saplumesensuelleaconquislecœurdenombreuseslectricesàtraverslemonde.
AprèslasérieLesMcCabe,aveclaquelleelleafaituneentréetrèsremarquéedanslaromancehistoriqueécossaise,elles’estlancéedansunenouvelletrilogie,LesMontgomeryetlesArmstrong.
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
DanslacollectionAventuresetPassions
LESMCCABE
1–DanslelitduHighlanderN°10167
2–LaséductionduHighlanderN°10262
3–LeHighlanderquinevoulaitplusaimerN°10410
LESMONTGOMERYETLESARMSTRONG
1–Au-delàdesmotsN°10774
DanslacollectionPassionintense
HOUSTON,FORCESSPÉCIALES
1–DouceredditionN°10263
2–DoucepersuasionN°10512
3–DouceséductionN°10606
4–DouceobsessionN°10695
1
—Quin’ajamaissouhaitéremonterletemps?murmuraGenevieveMcInnis,deboutàlafenêtredelaminusculechambrequ’onluiavaitoctroyéeplusd’unanauparavant.
Lesoleild’étéétaithautdans lecieletnesemblaitpasprèsderedescendre,pourtant les ténèbresapprochaient. Elle le sentait. LesMontgomery ne toléreraient pas le tort qui avait été fait à l’une desleurs,etmaintenanttoutleclan–oucequ’ilenrestait–allaitpayerleprixdelatéméritédeIanMcHugh.
Elle aurait dû avoir peur,mais cela faisait trop longtemps qu’elle avait accepté son sort. Samortéventuelle.Ellenelacraignaitplusautantqu’autrefois.Ilyavaitpirequelamort,avait-elledécouvert.Parfois, survivre demandait beaucoup plus de courage. Affronter un nouveau jour. Subir. Voilà quiexigeaitdelaforce.Bienplusquemourir.
Leventselevait,soufflantdel’airfraissursonvisage,apaisantlabrûluredusoleil.Lesmotsqu’ellevenaitdeprononcerrésonnaientdoucementàsesoreillescommesilabriselesavaitrassembléspourlesramenerverselle.
Siseulementellen’avaitjamaisrencontréIanMcHugh.SiseulementelleétaitrestéedanssachambrecejourmauditoùilétaitarrivéàlaCouretavaitposélesyeuxsurelleavecconvoitise.
Maislesdésirsdecescélératneselimitaientpasàsaseulepersonne.C’étaituncollectionneur.Defemmes.Pourlui,ellesn’étaientquedesobjetsqu’ilpouvaits’approprier.Et telunenfant irascible, ilrefusaitdeprêtersesjouets.S’ilnepouvaitlesavoir,alorsaucunautrenelesaurait.
IlavaitvouluajouterEvelineMontgomeryàsaliste–unefemmequi,commeelle-même,avaitrefuséses avances.Mais cette fois, il s’était attaqué à beaucoup plus fort que lui et l’avait payé de sa vie.GraemeMontgomeryavaitréparéletortfaitàsonépouseenpassantIanparlefildesonépéedevantleclanMcHughtoutentier.
EtmaintenantleditclanattendaitavecangoisseleretourdecesmêmesMontgomery.LepèredeIan,Patrick,lelaird–aussirisiblequesoitcetitredonnéàuntelincapable–,avaitfuidanslamatinée,carilsavaitqueGraemeMontgomeryn’enavaitpasfiniavecsavengeance.Qu’ilreviendrait.ExauçantainsilesprièresdeGenevieve.
Enfin.Enfin,elleavaitaumoinsl’espoirderetrouversaliberté.Patrickn’étaitpasdignedu titrede laird. Iln’avait riend’unseigneur. Ian luiavait très tôtet très
brutalementarrachélesrênesduclan.Ianprenaitlesdécisions.Iandonnaitlesordresettyrannisaitsonpère.Patrickauraitdûabdiquerdepuisdesannéesauprofitdesonfils.
Seulement,maintenant, leclanétaiten ruine.Beaucoupavaient fui l’inévitablebaindesangquisepréparait.N’étaientrestésqueceuxquin’avaientnullepartoùaller.
CommeGenevieve.Oùirait-elle?
Poursafamille,elleétaitmorte.Tuéelorsdel’embuscadedanslaquelleétaittombéesonescorteaucoursduvoyagequilaconduisaitverssonfiancé.Cejour-là,IanMcHughavaitmassacrétousceuxquil’accompagnaient.Ill’avaitramenéedanssonproprefief,faisantlesermentquenulautrequeluinelaposséderaitjamais.
Unsermentqu’ilavaittenu.Ellefrôladuboutdesdoigtslacicatricequiluibarraitlajouegauche.Etfermalesyeuxpourretenir
seslarmes.Pleurerneservaitàrien.Elleavaitdepuislongtempscessédes’apitoyersurelle-même.QuandelleavaitrepoussélesavancesdeIanaprèssacapture,commeellel’avaitfait lorsqu’il lui
avaitétéprésentéàlaCour,saragen’avaitconnuaucunelimite.Illuiavaitlacérélajoued’uncoupdepoignard,jurantdevantDieuqueplusjamaisellen’inspireraitdedésir.
Ilavaiteuraison.Nulhommenepouvaitdésormaislacontemplersanséprouverdelarépulsion.Ellen’avaitquetropvucetressaillementhorrifiélorsqu’elletournaitlatête,révélantsacicatrice.
Endéfinitive,qu’ellerefusesesavancesn’avaitserviàrien,carilavaitpriscequ’ilvoulait,encoreetencore,jusqu’àdétruiretoutessesdéfenses.Ilneluirestaitplusrien,niforcenivolonté.Rienqu’unerésignationhagarde.
Ellesehaïssaitpourcela.Lahonteetl’humiliationétaientsesfidèlescompagnes,etmaintenantqu’ilétaitmort,ellevoulaitjusteêtrelibredequittercetendroit.
Maispouralleroù?Oui,où?Elle ferma les yeux, ordonnant à son cœur de cesser de se serrer ainsi. La peur lui étreignait la
poitrine,suffocante;ellesavaitqu’ellen’avaitguèredetempsdevantelle.Sonsortétaitdéjàscellé.Laportedelaminusculecellulequiluiservaitdechambres’ouvritbrusquementetTaliesanentraen
boitant,lestraitscrispésparladouleuretlaterreur.—Qu’allons-nous faire ?murmura-t-elle.Nous sommes condamnées.Le lairdMontgomeryn’aura
sûrementaucunepitiépournous.PasaprèscequeIanetsonpèreontfaitàcettefemme.Toutleclann’étaitcomposéquedeparentséloignésetderéprouvésquiavaienttrouvéuneplaceici
aprèsavoirétérejetésparlesleurs.Taliesanétaitlacousinedefeul’épousedulairdMcHugh.Elleétaitaussi,pourGenevieve,leseulvisageamicaldansunocéand’animosité.
Genevieve n’avait jamais compris pourquoi elle suscitait une telle haine chez les McHugh. Ellen’étaitcertespasicidesonpropregré,ettouslesavaient.Maisellen’avaitjamaisfaitlemoindremalàaucund’entreeux,alorsquelaréciproquen’étaitpasvraie.
Ellegrimaçatandisqueleséchosdesmotsputainettraînéeluirésonnaientauxoreilles.Cesinsulteslui étaient régulièrement jetées à la figure et elle avait dû s’endurcir pour supporter la douleur etl’humiliationqu’ellesluicausaient.
—Ilsarrivent?demanda-t-elle.—Oui.Lavigievientdedonnerl’alerte.LesarméesdesMontgomeryapprochent,maisc’estencore
pirequetoutcequ’onpouvaitimaginer,carcellesdesArmstronglesaccompagnent.Ilssesontalliés.—DouxJésus,soufflaGenevieve,épouvantée.S’ilsviennentsinombreux,c’estsûrementpournous
tuertous.Elle n’avait jamais voulu cela. Bien sûr, elle avait rêvé de la mort de Ian. Une mort lente et
abominable, dont elle avait étéprivéequandGraemeMontgomery lui avait transpercé le cœurde sonépée.Unefinbientroprapideetclémenteàsongoût.
Ellemurmurauneprièreferventepourquesesproprespéchésn’apportentpasladestructionsurtouscesmalheureux.Toutcequ’ellevoulait,c’étaitêtrelibre.Vivreetnonpassurvivreenétantconstammentenproieàlapeuretàl’humiliation.Était-cetropdemander?
—Qu’allons-nousfaire,Genevieve?répétaTaliesand’unevoixrauquedeterreur.Genevievecarralesépaules.Illuirestaitencoreunpeudedignité.
— Il faut avant tout s’occuper des femmes et des enfants. Les hommes, eux, devront affronter lesconséquencesdelatéméritédeleurlaird.Iln’yarienquenouspuissionsfairesinonimplorerlapitiédesMontgomeryetdesArmstrong,etprierpourqu’ilssoientmiséricordieux.
GenevievecontournaTaliesanpourgagnerlaporte.Savoixclaquacommeunfouet.—Viens.Allonslesrassembler.Sicejourdoitêtrenotredernier,affrontons-leaumoinsavecfierté.
CettefiertédontniIannisonpèren’ontfaitpreuve.Puisqueleshommesdececlanensontincapables,c’estauxfemmesqu’ilrevientdefaireface.
—Tuasraison,réponditTaliesanavecdétermination.Genevievecalquasonalluresurcelledesacompagneinfirmeetrabattitlacapuchedesacapepour
dissimulersonvisage.Elle allait réunir les femmes et les enfants du clan et faire appel à la clémence du chef des
Montgomery.Illuivintsoudainàl’espritqu’ellenedevaitrienàceclan.Qu’elleauraittoutintérêtàfuir,àsaisir
l’occasionqu’illuiétaitdonnéd’obtenircequ’elledésiraitpar-dessustout.Laliberté.Mais elle n’avait nulle part où aller.Aucun sanctuaire.Et elle n’avait ni argent ni nourriture pour
survivrependantlevoyage.Peut-être…peut-êtreque le lairddesMontgomerysemontreraitmiséricordieuxetqu’il l’enverrait
dansuneabbayeoùellepourraitfinirsesjourspaisiblement,libéréedujougd’unmonstrequiavaittoutfaitpourladétruire.
2
Bowen Montgomery lança son destrier à l’assaut de la dernière colline derrière laquelle sedissimulait lechâteaudesMcHugh.Teague, son frère, chevauchait à sescôtés.Chose stupéfiante, tousdeuxétaientflanquésparAidenetBrodieArmstrong.
Plusd’unMontgomeryetd’unArmstrongavaientdûseretournerdansleurstombesenapprenantqueleursdeuxclanss’étaientalliés.Maislafemmequiétaitàl’originedecetteallianceétaitaussichèreauxunsqu’auxautres.
EvelineMontgomery.ÉpousedeGraemeMontgomerymais fille deTavisArmstrong, lairdde sonclanet,encorequelquesjoursplustôt,ennemimorteldesMontgomery.
Bowennesavaittoujourspasqu’enpenser.Ilauraitpréférés’occuperseulducasdePatrickMcHughetprendrepossessiondesondomainejusqu’àcequeGraemedécidecequ’ilvoulaitenfaire.C’étaitunetâchequeTeagueetluiauraientpuaccomplirfacilement,sanss’encombrerdesArmstrong;maisBowennetenaitpasàprovoquerdestensionsentreleursdeuxclansalorsqu’Evelineétaitencoresifragileaprèsl’épreuvequ’elleavaitendurée.
Sa belle-sœur était solide, mais même la fille la plus robuste aurait été ébranlée par ce que cemonstreluiavaitfaitsubir.
—Tuasunplan?criaTeaguepar-dessuslefracasdessabots.Bowenhochabrièvementlatête,maisgardalesyeuxfixésdroitdevantluialorsqu’ilsfranchissaient
lacrêtedelacollineetdécouvraientlechâteau.Oui,ilavaitunplanetilétaittrèssimple:tuerPatrick,vengerEveline,prendrelecontrôledufiefetéliminertousceuxquiserebelleraient.
—Ettuveuxbiennousenfairepart?demandaTeague,exaspéré.Bowentirasursesrênes,samonturesecabraausommetdelapenteabrupte.Àsescôtés,Teague,
AidenetBrodieenfirentautant.—MonplanestdepasserPatrickaufildemonépée,déclaracalmementBowen.Lesimplefaitqu’il
respirelemêmeairquenousconstitueuneoffense.C’estunmenteuretuncouard.—Oui,renchéritBrodie,l’airsombre.Ilaoséprétendreenmeregardantdroitdanslesyeuxqu’il
ignoraitcequienétaitdenotresœuralorsqu’ilsavaitqu’ellesetrouvaitdansleurdonjonoùsonorduredefilsabusaitd’elle.
Aiden fronça les sourcils et se retourna vers les soldats des Montgomery et des Armstrong quiavaientatteintàleurtourlacrêtedelacolline,yformantuneligneimpressionnante.
Avecleursarmuresétincelantsouslesoleil,onauraitditunebarrièredefeu.Ceuxquisetrouvaientencontrebasdevaientavoirl’impressionquel’enferétaitsurlepointdes’abattresureux.Àelleseule,l’arméedesMontgomeryétaitassezterrifiantepourfairetremblerlesplusendurcis.AveclerenfortdesArmstrong,elleformaituneforcesanségale,ycomprisfaceauroi.
Jamais encore deux clans aussi puissants ne s’étaient alliés. Et il était peu probable que cela sereproduiseunjour.
—Est-ceundrapeaublancquiflottesurleurtourdeguet?demandasoudainAiden,incrédule.Bowenplissalesyeux.—Ondiraitundrap,maugréa-t-il.—Oui,confirmaTeague.—Ilyenadeux!s’exclamaBrodie,enindiquantlatourjumelledel’autrecôtédelagrille.Eneffet,unautredrapvenaitd’êtredéployéàl’unedesmeurtrièresetflottaitauvent.—Ilsserendentsanscombattre?fitAiden,ébahi.Bowenfronçalessourcils.—C’estpeut-êtreunpiège.—Sic’enestun,ileststupide,grommelaBrodie.Noussommesbeaucoupplusnombreuxet,mêmeà
forceségales, ilsn’auraientaucunechancecontrenous.Ilsparviendraientpeut-êtreàtuerquelques-unsd’entrenousparsurprisemaiscelanelesempêcheraitpasdesefairemassacrerjusqu’audernier.
—Iln’yaqu’uneseulefaçondelesavoir,déclaraTeagueavecunhaussementd’épaules.Dégainantsonépée,iléperonnasamonture.Bowenl’imita,etnetardapasàlerattraper.Derrièrelui,BrodieetAidenpoussèrentuncriquifutreprisparlesguerriersdesdeuxclansjusqu’à
cequ’uneimmenseetuniqueclameurrésonneàtraverstoutelacolline.Alors qu’ils arrivaient non loin de la grille ouverte sur la cour intérieure, un gamin surgit de
l’enceinteentitubant,brandissantuneépéebientroplongueettroplourdepourlui,auboutdelaquellependaitunboutdetissublanc.
Sespauvresmainstremblaienttellementqu’ilneparvenaitpasàagitersondrapeau.Écœuré,Bowenimmobilisasonchevaletfixacegossequinedevaitpasavoirplusdesixousept
ans.—Ilsenvoientunenfantau-devantd’unearmée?rugit-il.Teague, lui, resta sansvoixdevant cettemascarade.AidenetBrodie se tournèrentversBowenen
secouantlatête.—Quellebandedepleutres,crachaBrodie.Iln’yarienquejeneméprisedavantagequ’unlâche.—S’il vous plaît, ne nous faites pas demal, supplia l’enfant, qui claquait des dents comme s’ils
étaientaucœurdel’hiver.C’estundrapeaudereddition.Nousneprendronspaslesarmescontrevous.—Oùesttonlaird?demandafroidementBowen.—P…p…parti,bredouillalepetit.—Parti?répétaAiden.Legaminhochavigoureusementlatête.—Oui,cematin.Mamamanditqu’ilafuiparcequ’ilsavaitqu’ilallaitmourirpoursespéchés.—Tamèrearaison,maugréaTeague.Unelueuraffoléepassadanslesyeuxdugarçon.—Beaucoupsontpartis.Nousnesommesplustrèsnombreuxici.Nousnevoulonspaslaguerreet
nousvoussupplionsdefairepreuvedepitié.Il n’osait croiser leurs regards et gardait la tête baissée en signe de soumission, mais ses mains
continuaientdetrembler.Bowenétaitfurieuxquecesgensaientenvoyéunenfantcommeémissaire.—Ansel!Ansel!appelaunefemme.Sa voix vibrait de colère… et de peur. Soudain, une femmemince, qui portait une cape dont la
capucherabattuesursatêtedissimulaitsestraits,franchitlesgrilles.Ellecourutjusqu’àl’enfant,l’attiracontreelle,etlefitdisparaîtredanslesplisdesacape–seuls
sespiedsdemeurèrentvisibles.
—Quit’ademandédefaireunepareillebêtise?demanda-t-elleaugamin.C’étaitunequestionàlaquelleBowenétaitcurieuxdeconnaîtrelaréponse.—Corwen,ditlepetit,lavoixétoufféeparletissu.Delafemme,onnevoyaitquelesmains.Bowenlesexaminaavecintérêttandisqu’ellesétreignaient
l’enfantavecunetelleforcequelesphalangesblêmissaient.Desmainsjeunes.Lisses.Pasunerideenvue.Lesonglesétaientélégammentcoupés,lesdoigtslongs
etminces,pâlesaussi,commes’ilsn’avaientjamaisétécaressésparlesoleil.Cen’étaientpaslesmainsdequelqu’unquitravaillaitdansleschamps.Niauxcuisinesduchâteau.— Salaud de froussard, cracha-t-elle, surprenant les quatre hommes par sa véhémence… et son
langagechâtié.Nonpasqu’ilsfussentendésaccordavecsonverdict.—C’estlafillequinousaindiquélecachotoùEvelineétaitenfermée,ditBrodieàmi-voixafinque
seulssescompagnonsl’entendent.Bowensentitlespoilssedressersursanuque.Eneffet,c’étaitelle.AlorsqueGraemedésespéraitde
retrouversafemme,unesilhouetteencapuchonnéeétaitapparueenhautdesmarchesetlesavaitenvoyésdanslesentraillesduchâteau,làoùEvelineétaitretenueprisonnière.
—Legarçondit-ilvrai?demandaBowen.PatrickMcHughs’est-ilenfui,abandonnantsonclanetsonfief?
Lafillesefigea,etserralespoingsrageusement.Detouteévidence,elleétaitfurieuse.—Oui, répondit-elle froidement. Il ne resteque les enfants, leursmères, ceuxqui sont tropvieux
pourvoyageretleshommesquiontrefuséd’abandonnerleursfamilles.Lesautressontpartisàl’aube.—Etoùsetrouventceuxquisontrestés?insistaBrodie.—Danslechâteau.Rassemblésdanslagrandesalle,sedemandantsichacundeleursouffleserale
dernier,répliqua-t-elled’unevoixdédaigneuse.QuelquechosedanssontondéplutàBowen,d’autantqu’iltrouvaitirritantqu’ellecachesonvisage.—Ôtecettecapuche,femme,ordonna-t-il.Jeveuxsavoiràquijeparle.Ellesepétrifia.Allait-elleoserledéfierdevantseshommesetceuxdesArmstrong?Bowenpinçaleslèvres.—Obéis!Lesmainstremblantes,ellefitpasserl’enfantderrièreelle,puisrefermalesdoigtssurlescôtésdesa
capuche.Elles’étaittournéedefaçonàleurprésenterlecôtédroitdesonvisage,etquandellerepoussasacapucheuneexclamationétoufféeretentitderrièreBowen.
Seigneur,cettefemmeétaitunebeauté.Peut-êtrelaplusbellefemmequ’ilaitjamaisvue.Sestraitsétaientlaperfectionmême.
Seslongscheveuxondulaientsursesépaules.Lapremièrefoisqu’ilavaitvucettefille,ilavaitcruqu’elleétaitbrune.Mais il faisaitsombredanslechâteauetseulesquelquesmèchesdépassaientdesacapuche. Mais sous le soleil, sa splendide crinière révélait une subtile palette de bruns chaudséblouissants.
Sonossatureétaitdélicate,sespommetteshautes,samâchoireferme,etl’arcdesaboucheparfait.Ledessindesonsourcilétaitfinetseslongscilsvoilaientdesyeuxd’unvertincroyable.
Ilenavaitlesoufflecoupé,commesionvenaitdeluiasséneruncoupdepoingdansleventre.Etàsentirlafaçondontilss’étaientfigés,seshommesn’étaientpasmoinsaffectésparlasplendeurdecettecréature.
Pourquoidiablesedonnait-elletantdemalpourcacherunetellebeauté?C’est alors qu’elle se tourna pour lui faire face, les dents serrées, comme si elle prenait là une
décisiondifficile.
Une autre exclamation – d’horreur, cette fois – résonna dans le silence. Bowen lui-même eut unmouvementderecul,commesionl’avaitdenouveaufrappéparsurprise.
L’autrecôtéduvisagedelafilleétait…dévasté.Sursajouegauche,unelonguecicatriceendentsdesciepartaitdelatempeetvenaitmouriraucoin
deslèvres.Ilétaitévidentqu’onn’avaitpasprisbeaucoupdesoinpourrecoudrelaplaie.Etilétaittoutaussiévidentquecetteblessureétaitrelativementrécente.
Illavitseraidirdevantlaréactiondeseshommes–etlasienne,àlui–etileuthonte.Maistrèsvite,cesentimentlaissalaplaceà…larage.Déjàfurieuxdelatournurepriseparlesévénements, il l’étaitplusencorequandilcontemplaitcetteignominie.
—Femme,quediableest-ilarrivéàtonvisage?demanda-t-il.
3
Lajouequin’étaitpasbalafréesecolora.L’humiliationvoilaleregarddelajeunefemme,etBowenregrettadel’avoirinterrogéeavecsipeudefinesse.
C’étaitsansaucundoutelacréaturelaplusfascinantesurlaquelleilaitjamaisposélesyeux.Uncôtédesonvisageétaitd’uneperfectioninimaginable.L’autre,laplusterribletragédie.
Lacuriositéétaitcommeunfeudanssesveines,lerendantimpatientetnerveux.Ilvoulaittoutsavoir.S’agissait-il d’un accident ou l’avait-onmarquée ainsi à dessein ? La honte qu’il percevait dans sonregard suggérait un secret aussi sinistre que la balafre elle-même, et lui donnait d’autant plus envied’exhumerlavérité.
— Comment t’appelles-tu ? reprit-il, changeant de tactique quand il devint évident qu’elle nerépondraitpasàsaprécédentequestion.
Ellen’avaitvisiblementpasenvied’évoquercettecicatrice,cequiétaitcompréhensible,etilavaitbesoind’enapprendredavantagesurleclanMcHugh.
—Genevieve.Lenométaitaussibeauquelapartiedroitedesonvisage.Unnomdignedelafemmequ’elleavaitdû
êtreavantqu’unelamenesouilleseschairs.—GenevieveMcHugh?Ellehaussalementon,leregardétincelantmaisimpénétrable.—JusteGenevieve.Quij’étaisimportepeu,carjenesuispluscettefemmedésormais.La déclaration était énigmatique, Teague arqua les sourcils. Brodie et Aiden étaient tout aussi
éberlués.—Ehbien,Genevieve,puisquetuagis,semble-t-il,commeleporte-paroledetonclan,conduis-nous
verscequ’ilenresteafinquejepuissedéciderdesonsort.Seslèvress’incurvèrentsurunemoueméprisantetandisquelacolèreflamboyaitdanssesyeux.—Votrearroganceestdéplacée,messire.Cesgensn’ontfaitaucunmalàEvelineMontgomery.Ils
sontautantlesvictimesdeIanetdelacouardisedesonpèrequ’Evelineelle-même.Brodies’avança,unrictusmauvaisauxlèvres.—Jedoutequ’ilsaientétéenfermésdansundonjon.EtmaltraitésparIanMcHughcommemasœur
l’aété.Genevievesoutintsonregard.—Non,lesgensduclann’ontpasétéemprisonnésdansundonjon.Non,ilsn’ontpasétésoumisaux
mêmesmauvaistraitementsqu’Eveline.Jesuisdésoléepourelle,carilnepeutexisterpireennemiqueIanMcHugh.
Son visage était crispé par une telle douleur et un chagrin si déchirant queBowen en éprouva unprofondmalaise. La détresse qui émanait de cette femme était palpable et, d’instinct, il éprouvait un
besoinlancinantdelaréconforter.Il tendit lamaindans l’intentionde lui toucher lebras,maiselle reculaaussitôtet le fixad’unair
méfianttandisqu’ellemettaitentreeuxunedistanceprudente.—Necroyezcependantpasqu’ilsn’ontpassouffert,enchaîna-t-elle.Sansuncheffortàleurtête,ils
ontbeaucoupenduré.Patrickn’était lairdquedenometIanunebrutequifaisait régner la terreur.Sonproprepèrelecraignait.Quiconqueosaitlecontredireouexprimerundésaccordlepayaitchèrement.
—Jeveuxbienlecroire,commentaTeaguesombrement.Cen’estpasunjoliportraitquinousaétébrosséquandnoussommesvenusladernièrefois.Evelinenousaparlédecettecanaille.Quiconquesedonnepourbutdetourmenterunejeunefemmeaussidouceàunâgeaussitendren’estqu’unmonstrequiméritesaplaceenenfer.
— Je suis persuadée que c’est là qu’il réside désormais, répliquaGenevieve avec une tranquilleconviction.
—Conduis-nousauxautres, intervintBowen,presséd’enfinir.Jeveuxvoir les tienspourprendremadécision.
—Cenesontpaslesmiens,dit-elledoucement.Maisjen’entienspasmoinsàcequ’ilssoienttraitésdefaçonéquitable.
Ne sachant que penser de lamystérieuse Genevieve – juste Genevieve –, Bowen fit un geste endirectiondelacour,luiindiquantdelesprécéder.
Anselquittalesjupesdesaprotectrice,ets’enfuitencourant,grimpantlesmarchespourdisparaîtredanslechâteau.
Genevievemarchait d’un pas égal, la tête haute, sa dignité drapée autour d’elle telle une cape enhiver.Lasérénitédontellefaisaitmontresemblaitlefruitd’unelonguepratique,commeunmécanismededéfensedontelleavaitdûfairetropsouventusage.
Elleétaitbientropcalmepourquelqu’unquiaffrontaitunearméeennemiedécidéeàsevengeretàfairecoulerlesang.Laplupartdesfemmes–etdeshommes–seraientterrifiésetimploreraientpitié.
Paselle.Elleavaitquelquechosederoyaldansl’allure,commesic’étaitellequileuraccordaitunefaveuren
les précédant dans le château. Bowen ne détectait pas le moindre tremblement chez elle. Était-ellevraimentindifférenteouétait-ellesimplementmaîtressedansl’artdemasquersesémotions?Sabalafreavait-ellealtérésonjugementetsacapacitéàréagiràunpointtelqu’elleneserendait toutbonnementpascomptedecequ’ilsepassait?
Non,ilavaitvusaréactionquandseshommeset luiavaientmontréleureffroidevantsacicatrice.Même si elle s’était ressaisie très vite, il était clair que cette horreur collective l’avait blessée etembarrassée.
Ils’envoulait–commeilenvoulaitàseshommes–d’avoirfaitpreuved’untelirrespectàl’égardd’unedamequiétaitàl’évidencedenoblenaissance.Maislemalétaitfait.
La cour était déserte. On n’entendait pas le moindre bruit, pas même au loin. Le vent se leva,apportantunefraîcheurbienvenuesouscesoleilaccablant.
Quandilsgravirentlesmarchesdudonjon,ilsperçurentenfinunerumeurinquièteàl’intérieur.Onydiscernait des pleurs étouffés et des voixmasculines offrant des mots de réconfort.Mais surtout unetensionquinetrompaitpas.
Tousceuxquiétaientenferméslàattendaientqueleursortsoitscellé.L’air sombre, en proie à une soudaine tristesse, Bowen pénétra dans le hall sur les talons de
Genevieve.Iln’avaitaucundésird’apporterlamortetladésolationàdesinnocents.D’autantque,pourlapremièrefoisaprèsunlongpasséchargédeviolence,l’avenirs’annonçaitpaisible.
LesMontgomeryavaientsignéunetrêveaveclesArmstrong–unetrêveauthentique–scelléeparlemariagedeGraeme,etparsonamourpourEvelineArmstrong.
Envérité,BowennepouvaitreprocherauxArmstrongleurdésirdeprotégerleurfilleetleursœur.Etsidifficilequecesoitdel’admettre,TavisArmstrongsemblaitunlairdjusteetéquitable.
Dès que les membres du clan McHugh découvrirent Genevieve, puis les quatre hommes qui lasuivaient, la rumeur enfla.Lespleurs s’intensifièrent.Des sanglots éclatèrent.Desgrimacesdedégoûtapparurentsurlesvisagesdeshommes,ainsiquedesregardsaccusateursducôtédecertainesfemmes.
Ettousétaientadressésà…Genevieve?Denouveauperplexe,Bowenfronçalessourcils,maisavantqu’ilpuissedirequoiquecesoit,deux
femmeslancèrentdevilesaccusations.—Commetudoisjubilermaintenant!sifflal’une.Es-tulàpourassisterànotremassacre?T’es-tu
offertecommeputainàl’ennemipouravoirlaviesauve?—Commentoses-tu?crachal’autre.Ilyadesenfantsici.Oui,surtoutdesfemmesetdesenfantset
nospauvresmarisquisontrestés,sachantqu’ilsrisquaientleursvies.D’autres encore s’avancèrent, comme pour ajouter leur propre condamnation, mais Bowen
s’interposaentreGenevieveetlafoulehostile.Teague, quant à lui, se plaça au côté de la jeune femmequi, pour sa part, apparaissait totalement
imperturbable.Levisagedemarbre,pas lamoindreémotiondans lesyeux,elle regardaitdroitdevantelle.
Était-elledoncinhumaine?Nulhommeoufemmesurcetteterrenesupporteraituntelflotd’insultessansmontrerlamoindreréaction.Etpourtant,Genevievedemeuraitabsolumentimpassible.
LavoixdeBowenclaquacommeunfouet.—Surveillezvosproposquandvousvousadressezàcellequivousadéfendus.Lafoulesetutsubitement.AidenetBrodieavancèrentàleurtour,balayantduregardlesMcHughrassemblésdevanteux.Ilsne
paraissaient guère impressionnés. À raison, songea Bowen, qui avait rarement vu un tel ramassis demiséreux.
—Défendu?répétaunetrèsjeunefemme,brisantlesilence.Ellesemblaitterrifiée,maiss’avançanéanmoinsd’unpas,toutendévisageantGenevieve.—C’estlavérité,Genevieve?Tuasprisnotredéfense?Genevievecroisaleregarddelafillesansciller,maisneréponditpas.—Personnen’auraitpu teblâmersi tuavais tentédenesauverque toi-même,ajouta l’autreàmi-
voix.PuisellesetournaversBowen.Elleenfouitsesmainstremblantesdanslesreplisdesarobeavant
d’affrontersonregardnonsansuncertaincourage.—J’ignorequelssontvosplans,messire,maisjen’aiquedeuxsouhaitsàexprimer.Bowen l’examina avec intérêt. C’était une brave petite chose, lui arrivant à peine à l’épaule. Il
n’auraitsu luidonnerunâge,maisellesemblaitàpeineavoir franchi lecapde laféminité.Nuldoutequ’avecletemps,elledeviendraitunefortbellefemme,d’autantqu’ellenemanquaitpasdebravoure.
Sescheveuxétaientdelacouleurdel’avoinesousleclairdelune.Etsesyeuxétaientd’uneétonnanteteintebleu-vertquiévoquaitl’eaud’unlochparunebellejournéeensoleillée.
Elle fitunautrepas,etc’estalorsqu’il remarquaqu’elleboitait.Unegrimace lui tordit les lèvresavant qu’elle ne la réprime avec impatience. Sa main se tendit et l’un des hommes du clan la saisitvivementpourluiéviterdetomber.
— Comment t’appelles-tu, petite ? demanda Bowen avec gentillesse, ne désirant nullementrécompensersonaudaceenlaterrifiant.
—Taliesan,murmura-t-elle.ElleexécutaunerévérenceetBowencraignitqu’ellenes’effondre.
Ill’auraitsecouruesinécessairemais,ànouveau,l’hommedesonclanlasoutintd’unemainferme.D’un hochement de tête, Bowen lui signifia son approbation, gravant ce visage dans sa mémoire. Iln’oubliaitjamaisunebonneaction,etcomptaits’entretenirenprivéaveccethommeunpeuplustard.
Onapprenaitbeaucoupdesessemblablesenobservantlafaçondontilstraitaientlesautres.Sonpèrele lui avait enseigné dès son plus jeune âge. Robert Montgomery disait toujours que les paroles nesignifient rien,maisque les actes endisent long, et que c’est à travers euxqu’on jugede lavéritablevaleurd’unhomme.
—Etquellessontcesdeuxsouhaits,Taliesan?demanda-t-il.Lesjouesdelafilles’empourprèrentetBowendevinaqu’elleluttaitpournepasbaisserlatête.Sa
mainsecrispasurcelleduguerrierquil’avaitaidée,puisellesejetaàl’eau:—Jevousdemanderaid’avoirpitiédeshommesdemonclan.IlestvraiqueIanetsonpère,notre
laird, ont agi sanshonneur.Et il est aussi vrai qu’une femme innocente agrandement souffert par leurfaute.IanestmortdelamaindeGraemeMontgomery,etmaintenantPatrickafui,abandonnantsonclanausortquidoitêtrelesien.
Taliesan tourna la tête,parcourutduregard leshommes, les femmeset lesenfantsentassésdans lasalle.
— Nous n’avons nulle part où aller. Nous n’avons pas d’autre foyer que celui-ci. Nous ferionsd’excellentsserviteurspourvotrelairdetpourvous-même.
Teague,AidenetBrodien’étaientpasmoinstouchésquelui-mêmeparsonplaidoyeréloquent.MaisBowenétaitfurieuxque, jusqu’àprésent,seulsungaminetdeuxjeunesfillesaienteulecouragedeseprésenterdevantlui.Quelétaitdoncceclanquilaissaitlesfemmesetlesenfantssebattreàsaplace?Lesplusfaiblesdevaientêtrechérisetférocementprotégés.Ilétaiteffarédeconstaterquecen’étaitpaslecasici.
—Etquelesttonautresouhait,petite?s’enquit-ilpoursedonnerletempsd’éteindrelesflammesdelacolèrequileconsumaient.
Ilavaitenviedefairesortirtousceshommesdanslacouretdeleurinfligerunebastonnadedontilssesouviendraient.
Taliesan se mordit la lèvre et, après un coup d’œil nerveux vers ceux de son clan, regardaGenevieve.
—JedemanderaiquevousnemaltraitiezpasGenevieve.Elleaassezsouffertcommecela.LestraitsdeGenevievesecrispèrentd’horreur–lepremiersigned’émotionqu’ellemontraitdepuis
qu’ilsétaiententrésici.—Taliesan,non!chuchota-t-elle.S’ilteplaît,tais-toi!Jet’ensupplie!Bowenhaussalessourcils,surprisquecettefièrejeunefillesuppliequiquecesoitaprèsavoirfait
preuved’unvraicouragemêlédedédain.QuellesétaientdonccessouffrancesdontellenevoulaitpasqueTaliesanlesraconte?
Celle-cijetaunregardmalheureuxàGenevievemaisluiobéitnéanmoinsetsetut.On regarda Taliesan d’un air désapprobateur. Des lèvres se retroussèrent. Des narines frémirent.
D’autresregards,franchementhostilesceux-là,serivèrentsurGenevieve.Bowen ne savait trop comment répondre à un tel affront, d’autant qu’il était certain que Taliesan
n’avaitpasvoulul’offenser.Nonseulementsonhonneuravaitétémisendoute,maisilétaittrèscurieuxdesavoircequeTaliesanavaitvouludire.Cependant,Genevievesemblaitsimortifiéequ’ilrenonçaàexigeruneexplication.Ilauraitamplementletempsderésoudrecemystèreplustard.Ildevaitd’abordleurfairecomprendreàtousqu’iln’étaitpaslemonstresanguinairequ’ilsimaginaient.
—Jevousassurequejen’aiaucuneintentiondemaltraiterGenevieveniaucunedespersonnesquisetrouventsousmaprotection,déclara-t-ild’untonsévère.
Taliesanrougitetbaissalesyeux,maiselleneprésentaaucuneexcuseet,étrangement,Bowennel’enrespectaquedavantage.
—Alorsqu’avez-vousl’intentiondefairedenous?Enfin,l’undeshommesduclanavaitretrouvéunsemblantdefiertéetosés’exprimer.—Etmoiqui croyaisque le clanMcHughne comptait que sur ses femmes et ses enfantspour se
battreàsaplace,observaBowensanscachersondégoût.Leshommesprésentsdanslasalleseraidirentvisiblement.Lerougedelacolèreapparutsurcertains
visages,maissurd’autres,c’étaitlahontequil’emportaitetceux-làbaissaientlesyeux.—C’estundéshonneurqued’envoyerungaminagiterundrapeaudereddition,lançaTeague,prenant
laparolepourlapremièrefois.Il écumait littéralement de rage et de mépris, et maintenant que Bowen avait abordé le sujet, il
donnaitvoixàsessentiments.Les bras croisés sur le torse, l’air menaçant, les Armstrong acquiescèrent. Brodie, notamment,
paraissait furieux.Un instant,Bowencraignit dedevoir le retenir, car il semblait tout prèsdevouloirpasserchacundesMcHughparlefildesonépée.
—Etce sontvos femmesquiparlentpourvous,grondaBrodie.Pourquoine sont-ellespasmieuxprotégées ?Pourquoi les laissez-vous affrontervos ennemis ?C’est unehonte.Unaffront à l’honneur.Est-ilencoreunhommeceluiquinonseulementpermetcelamaisl’encourage?
Celuiquiavaitposélaquestionquantàleursorts’avança,l’airsombreethonteux.MaisilsoutintlesregardsdeBowen,Teague,AidenetBrodie sans fléchir, lementon levécommepourdirequ’il savaitdéjàquelchâtimentilsluiréservaientetqu’ill’acceptait.
—Nousavionspeurqu’envoyerunguerriervousattendreà lagrille soitperçucommeundéfi, etnousn’avionsaucundésirdemeneruneguerrecontrevous.Noussavonsquenoussommesinférieursennombreetenhabileté.PatrickMcHughn’étaitpastrèsversédanslemétierdesarmes.EtIan…
Gêné,ils’interrompitetseraclalagorge.—Messire,permettez-moidem’exprimerlibrement.Cen’estpastrèsrespectueux,cequej’aiàdire,
maisiln’empêche,c’estlavérité.Bowenhochalatête.—Jepréfèrel’honnêtetéentout.Quelesttonnom?—TearlachMcHugh.—Jet’écoute,TearlachMcHugh.—Ianétaitunhommedépourvud’honneur.Nonseulementdanssafaçonde traiter lesplusfaibles
quelui,maisaussisurlechampdebataille.Ilpréféraitpoignarderdansledosplutôtquedefairefacedansuncombatéquitable.Nousnesommespasentraînés.C’estassezévident.Nousn’aurionspasunechancecontrevous,etceuxd’entrenousquisontrestésontdécidédeplacerleursortentrevosmainsetcellesdevotrelaird.Nousn’avionspasd’autrechoixpossiblepourpréservernosfemmesetnosenfants.Nousnesouhaitonspasmouriretleslaisserdansledénuementleplustotaletsansprotection,mêmesivouscroyezquec’estcequenousfaisonsdéjà.
C’était un discours sincère, et dont l’honnêteté impressionna Bowen. Visiblement, cet hommen’aimaitpasdiredumaldufilsdesonlaird,maisilavaiténoncélavéritésansfard.
—J’apprécietafranchiseetjeterendrailapareilleenmemontrantàmontourtrèsdirect,déclaraBowen.
Genevieven’avaitpasbougé.Ellesetenaitavecraideur,lesmainscroiséesdevantelle,leregardsilointainqu’ilenétaitàsedemandersielleserendaitcomptedecequ’ilsepassaitautourd’elle.C’étaitcommesielles’étaittransportéeailleurs.
D’où ilétait, ilnevoyaitpassa jouebalafréeets’émerveillaunefoisdeplusde lapuretédesonprofil.Iln’avaitjamaisvudefemmeaussibelle,etpourtant,quandsonvisageentierétaitvisible,cette
beautésetransformaitenquelquechosedepitoyable.Ilyavaittantdequestionsqu’ilauraitvouluposer,maislemomentétaitmalchoisi.Ilnepouvaitse
laisserdistrairedesonbut.Son frère luiavaitassignéunemissionet il comptait la remplircoûtequecoûte.
—Mon frère, le lairdMontgomery, se trouve auprès de sa femme, Eveline, qui a été capturée ettraitée avec laplusgrandecruautépar Ian. Il restera à ses côtés jusqu’à cequ’elle soit complètementremiseetn’aitabsolumentplusrienàcraindre.PatrickMcHughestunemenacepourEveline,maisaussipourlesMontgomeryetpourlesArmstrong.Ornousnetoléronsaucunemenace.
La nervosité gagna le groupe réuni dans la salle. Certains s’agitèrent, d’autres échangèrent desregardsanxieux.
—JerevendiquecedomaineettoutcequiappartientàPatrickMcHughaunomdemonlairdjusqu’àcequelui-mêmedécidedecequ’ilserafaitdesterres,duchâteau…etdesgens.
Bowenlevalamaincommetoussemettaientàparlerenmêmetemps.—Monfrèreestunhommejusteetéquitable.Sivousnemedonnezpas–àmoietdoncàlui–la
moindreraisondevoirenvousdesennemis,toutsepasserabien.J’agiraienlairdetmonautrefrèreiciprésentm’aideraàdresserunrapportcompletdesactivitésdecechâteauetdesterresquil’entourentquejetransmettraiaulairdMontgomery.Sivoustravaillezduretfaitespreuvedeloyauté,iln’yaurapasdeproblèmes.Enrevanche,sivoustrahissezmaconfiance,vousserezpunissur-le-champetsévèrement.Iln’yaurapasdesecondechance.Mesuis-jebienfaitcomprendre?
Il y eut des « oui » murmurés et des visages sombres un peu partout. Certains étaient craintifs.D’autres rancuniers.D’autres encore en colère.Maispasun seulMcHughn’exprimaàvoixhaute sondésaccord.
Bowen jetauncoupd’œil àTaliesanpuis àGenevieveafinde jauger leur réactionà sesparoles,maisaucunedesdeuxneregardaitdanssadirection.
Taliesan avait battu en retraite derrière l’homme qui l’avait soutenue quand elle avait vacillé, etGenevievesetenaittoujoursaussiimmobilequ’unestatue.Froideetimpressionnante,commesielleneressentaitabsolumentrien.MaisBowenn’étaitpasdupe.Ilavaitsurpriscetteétincelled’émotiondanssesyeuxdurantcet infimeinstantoùelleavaitbaissésagarde.Ilavait lesentimentquesouslafaçadeglacialesetrouvaitunefemmefougueuseetpassionnéequitenaitsesémotionsenbride.
Chassantcespensées,ilsetournaversTeague,AidenetBrodie.—Ilnousfautévaluerlasituationauplusvite.Jen’aimepaslaissermonfrèreetsafemme,ainsique
votre famille, ajouta-t-il à l’adresse de Brodie et d’Aiden, sans une protection suffisante. Nos deuxarméessontici.Iln’estpasnécessairequetoutesnosforcess’ytrouventmobilisées.
Teague acquiesça. Avant de glisser un regard aux McHugh qui continuaient à les observer aveccrainte.
— Allons discuter dehors, proposa-t-il. Je ne tiens pas à ce que tout le clan assiste à notreconversation.
4
DèsqueleMontgomeryeutquittélasalle,lesépaulesdeGenevievesevoûtèrentet,pourlapremièrefois,elles’autorisaàlaissersonregardcourirsurlesMcHugh.
Sielleavaitespérétrouverl’expressiond’unquelconqueremordssurleursvisages,ellesetrompaitlourdementEllenevitquelemélangehabitueldedégoût,deréprobation,demoquerie,depitié–oui,depitié, chez quelques-uns – et de confusion, car nombre d’entre eux essayaient encore de comprendrepourquoiellen’avaitpasdéjàtentédetouslestuerdansleursommeil.
Iln’yavaitqu’unseulMcHughàquielleavaitrêvéd’infligerunemortlente.Elleavaitététellementdéçue que GraemeMontgomerymette un terme si rapide à la vie de Ian. Cela n’avait pas été assezsanglant.Niassezdouloureux.Ianauraitdûsouffrir.Ilneméritaitnimiséricordeniclémence.
ParcequeGraemenesesouciaitquedeprotégersafemme,ils’étaitdébarrassédeIansansattendre,luiépargnantlestourmentsqu’ilinfligeaitauxautres.
Genevieveauraitnéanmoinsaiméremercierlelairdenpersonne,maisunetelledémarchesusciteraitdesquestionsauxquellesellen’avaitaucuneenviederépondre.Commentexpliquerqu’unejeunefemmedebonneéducationexprimesareconnaissancepourlemeurtred’unhomme?
—Genevieve?Cettedernièrecillaet s’empressadechassersespenséesmacabres.Taliesanse tenaitdevantelle,
sestraitsdélicatsmarquésparl’inquiétude.Genevievesoupira.Taliesanétaitàsesyeuxcequiserapprochaitleplusd’uneamie–endépitde
seseffortspourinstaurerunedistanceentreelles,carellenevoulaitpasêtreprochedesmembresdececlan.
Certes,ilsn’étaientpastousàblâmerpourlesactesdeIanMcHugh,maisGenevieveavaittellementsouffertdelasituationquiluiavaitétéimposée,dechaqueaffrontqu’elleavaiteuàsubirdeleurpart,qu’ellerefusaittoutlienaveceux.Ellevoulaitquittercechâteau,allerdansunendroitoùelleseraitenfinseule;alors,peut-être,pourrait-elleoubliercettedernièreannéeetretrouverlapaix.
Quelle ironie!Ellequiavaitvécuuneexistenceauseind’unefamilleaimanteavait longtempscruquelapaixetlebonheurallaientdesoi.
Encoreaujourd’hui,lorsqu’ellesesouvenaitdecetteépoquerévolue,soncœurseserraitatrocement.Lepoidsduchagrinquil’accablaitétaitaussilourdqu’unsacdepierresqu’elleauraitportésurledos.
Unanplus tôt, elleétait tellementheureuse.Tellementnaïveaussi, convaincueque riendemalnepourrait jamais lui arriver. Ian McHugh lui avait prouvé à quel point elle se trompait. Il l’avaittransforméedemanièreirrévocable.Delajeunefilleavecdesétoilesdanslesyeux,prêteàaffronterlavie le sourire aux lèvres, il avait fait une coquille vide. Plus jamais elle ne serait de nouveau cellequ’elleavaitété.
—Qu’ya-t-il,Taliesan?demanda-t-elleavecdouceur,refusantdelaisserlacolèrepercerdanssavoix.
Taliesanétaitunegentillefillequiavaiteusapartd’adversitéetqui,malgrésoninfirmité,demeuraitd’unebontéangélique.
—Jem’inquiètepourtoi,Genevieve,avouaTaliesanàvoixbasse.NousignoronstoutdeceBowenMontgomery.Onditquesonlairdestunhommejuste,etilestévidentqu’ilesttrèsattachéàsafemme.Onditaussiqu’illatraiteavecleplusgrandrespectetqu’ilenexigeautantdetousceuxquil’entourent.Jen’aiaucunecraintequantausortqu’ilteréserve.
Genevieveluitouchalebras.—Celaneteconcerneenrien,Taliesan.—Biensûrquesi,répliquacettedernièrefarouchement.Monclant’afaituntortépouvantable.J’ai
enviedepleurerquandjesongeàcequetuassubiauxmainsdeIan.Tucroisquejenesaisriendecequetuasenduré?Etlesmembresdemonclannevalentpasmieux,carilssavent.Ilssavent,etpourtantilstetournentledosparcequ’ilssaventaussiqu’ilsn’ontrienfaitpourarrêterIan.ToutcommePatrickn’a rien fait pour arrêter son fils. Alors ils préfèrent te mépriser, parce qu’admettre que tu n’es quevictimedanscetteaffaireseraitadmettrequ’ilsontpermisquecelaarrive.
Soudain,Genevieveavait les jouesen feu.Entendreévoquerde façonaussidirecte les traitementsauxquelsIanl’avaitsoumiselamettaithorriblementmalàl’aise.Elleavaitcruavoirtouchélefonddel’humiliation.Ellesetrompait.
Quetoutlemondeconnaissesoncalvaireluidonnaitlanausée.QueTaliesanaitpitiéd’elleétaitplusqu’elle n’en pouvait supporter. Elle était pressée de fuir. Loin, très loin. Là où elle pourrait êtrequelqu’und’autre.EtqueGenevieveMcInnismeureunebonnefoispourtoutes,commelarumeurl’avaitannoncéunanplustôt.
—Netemêlepasdecela,dit-elled’untonferme.Mieuxvautquetut’occupesdetoietdestiens.Net’inquiètepaspourmoi.Riendecequ’onmeferanepourraêtrepirequeceàquoij’aisurvécu.
— Je ne peux pas te tourner le dos, s’entêta Taliesan, la voix rauque d’émotion. Je ne peux pasignorertadétressecommelesautresl’ontfait.
—Taliesan,s’ilteplaît.JepriepourqueBowenMontgomerysoitaussijustequesonfrèreetqu’ilmepermettedetrouverrefugedansuneabbaye.
—Oh,Genevieve,non!s’exclamaTaliesan,choquée.Ettafamille?Tuesjeune,tuastoutelaviedevanttoi.
Genevievesecoualatête,unsourddésespoirluiétreignantlecœur.—Mieux vaut quema familleme croiemorte. Jamais je n’oseraime présenter devant elle. Leur
infligercettehonte.Aucunhommenevoudrademoidésormais,laputaindeIanMcHugh.Jenepourraijamaisprétendreàuneunionavantageuse.Jeseraiunfardeaupourmonpèreetmamèrejusqu’àlafindeleurs jours.Ilsauront lecœurbriséetnepourrontplusgarder la têtehauteà laCour.Non,mieuxvautqu’ilensoitainsi.Detoutemanière, ilsm’ontdéjàpleurée.Jepréfèreque l’onmecroiemorteetquel’honneursoitsaufplutôtquevivredanslahonteetapporterledéshonneursurmafamille.
Taliesanavaitleslarmesauxyeux.—JehaisIandet’avoirfaitça.—Moiaussi,jelehais,répliquaGenevieve,lesnarinesfrémissantes,maiscelanesertàrien,caril
estmortetnepeutplusfairedemalàquiquecesoit.Lemomentestvenuderecollerlesmorceauxquipeuventencorel’êtreet,sipossible,detrouver…lapaix.
—Jenetrouveraipaslapaixtantquetuneseraspasheureuseetbienaccompagnée,insistaTaliesan.Genevievesouritetpressalamaindelajeunefille.—Jepensequenousaurionspuêtredegrandesamies,murmura-t-elle tristement.Oui, j’auraisété
heureused’avoiruneamietellequetoi.
Taliesanpinçaleslèvresavecobstination.—Jesuistonamie.Genevievesecoualatête.—Non,etc’estmieuxainsi.Jeneveuxpasquetonclantecondamneàcausedetesliensavecmoi.
Tun’imaginespascombiencelapeuttenuire.Quelquesmotsbienplacéssuffisentàdétruirelaréputationd’unefilleetruinersonaveniretseschancesdemariage.Écoutecequejetedis,Taliesan.Prendsgardeàceuxavecquitut’allies.
—Tupréfèresmouriretquel’honneursoitsauf,dis-tu,plutôtquedevivredanslahonte.Iln’estpasplusgranddéshonneurquedechoisirsesalliésenfonctiondecequel’onaàperdreouàgagner.Siunmariageetunavenir sûrmesont confisquéspour la seule raisonque j’aurais choisi l’amitié avecunefemmequiaplusd’honneurenellequeleplusintrépidedesguerriers,alorsj’yrenoncevolontiers.
Genevievedemeurasansvoixdevanttantdedétermination,desincéritéetdepassion.Quepouvait-elledire?
—Jeteremercie,articula-t-ellefinalementavecémotion.Ceseraunhonneurpourmoidet’appelermonamietantquejedemeureraisurcesterres.
Taliesansouritetsecoualatête.—Non,Genevieve,nousseronsamiesoùquetusois,iciouailleurs.C’estcelal’amitié.Cédant à une impulsion, Genevieve la serra dans ses bras. Elle ferma les yeux, savourant cette
proximité physique. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas connu le réconfort que procure unesimpleétreinte.Nilesoutienamical,inconditionnel…loyal.
Toutesceschosesqu’ellecroyaitàjamaisperduespourelle.Durantuneannéeentière,ellen’avaitconnuquelabrutalité.Iannepermettaitàpersonnedeposerla
mainsurelle,sinonpourluiinfligerdouleurouhumiliation.Illasurveillaitjalousement,teluntrophéedont lui seul avait le droit de profiter. Jamais elle n’avait éprouvé un tel sentiment d’abandon et desolitude.Cetteannéel’avaitmétamorphosée,etellen’aimaitpaslapersonnequ’elleétaitdevenue.
Àcontrecœur,ellelaissaTaliesans’écarter.Ellen’avaitpasenviederomprelelienquilesunissait,si temporaire fût-il. Elle se languissait des choses les plus simples.Une caresse.Un rire.Un sourire.D’infimesmoments de bonheur.L’affection.La camaraderie.Toutes ces choses dont sa famille l’avaitabreuvée.
Taliesanluipritlesmainsetlespressa.—Qu’allons-nousdevenir,selontoi?—Jel’ignore,avouaGenevieveavechonnêteté.LeurcolèreestdirigéecontreIanetvotrelaird.Ian
estmort,lelairds’estenfui,etjedoutequ’ilrevienneunjour.Ilneleurserviraitàriendesedéchargerde leurcourrouxsur leclanMcHugh. Ilssavent trèsbienquiest responsablede l’ignominiesubieparEvelineMontgomery.
Beaucoup parmi les McHugh s’étaient tus pour l’écouter, et même s’ils n’étaient pas prêts àl’admettre, le soulagementqu’elle lutdans leurs regardsdisaitmieuxquedesmotsqu’ils se rendaientcomptedubonsensdesesparoles.L’espoirremplaçaitlapeur.
Maisquelques-unsétaientdéterminésàneluiépargneraucunehumiliation.—Qu’est-cequ’uneputainconnaîtdesintentionsd’unhomme?ricanaClaudiaMcHugh.Undeceuxquisetrouvaientprèsd’elleéclataderire.—Oh,ilyaundomaineoùelleensaitbeaucoup!C’estunfaitqu’elleécartaitlescuissespourIanet
pourtousceuxquiétaientprésents.Claudiaetdeuxautresfemmess’esclaffèrent.—Oui, tu as raison.C’est tout cequ’elle sait faire.Si les frères deGraemeMontgomeryveulent
s’offrirunpeudebontemps,elles’empresseradeleurmontrersestalents.EtauxArmstrongaussi.
—Avecunvisagepareil, une fille doit compenser avecd’autres parties de son corps.Si elle estassezbonnesurledos,peuimportesonvisage.Unhommepeutfermerlesyeux.
Sa remarque fut accueillie par d’autres rires.Genevieve avait l’impression demourir à petit feu.Morceauparmorceau,ilsarrachaientcequ’ilrestaitd’elle,etbientôtiln’yauraitplusrienàsauver.
Unbruitderrièreellelafitseretourner,etlesangdésertasonvisage.BowenMontgomerysetenaitàquelquespasde là, flanquédesonfrèreetdesdeuxArmstrong.Ilétaitévidentque lesquatrehommesavaiententendul’échangequivenaitd’avoirlieu.
Ledésespoiremplitsoncœur,menaçantdelefairevolerenéclats.Elleauraitvoulupleurer,maissaréservedelarmesétaitdepuislongtempsépuisée.Nonpasquecelaluiaitjamaisserviàquoiquecesoit.
Jamais elle n’avait à ce point souhaité que le sol s’ouvre sous elle et l’engloutisse. Jamais ellen’avaitàcepointsouhaitéavoirpériavecsonescortelorsdecetteembuscade.
Auxyeuxdumonde,GenevieveMcInnisétaitmortedepuislongtemps,etelleregrettaitquecenesoitpaslecas.Carç’auraitétélaseulefaçond’échapperàl’enferqu’étaitdevenuesonexistence.
5
LesnarinesdeBowenfrémirentetseslèvressecrispèrenttandisqu’ilfixaitGenevieve,dontlaviedésertaitlittéralementlecorps,lesyeux,l’âmemême.
Jamais,jusqu’àprésent,iln’avaitvulamortdansleregarddequelqu’unquin’avaitpasreçudecoupfatal.Maislesyeuxdecettefemmeétaientmorts.Onneluiavaitpeut-êtrepasplantéuneépéedanslecœur,maisc’étaittoutcomme.
Elleétaitd’unepâleurinquiétanteetchancelaittelunroseaudanslevent.Puis les larmes emplirent ses yeux. Elle semordit la lèvre pour les retenir et porta lamain à sa
cicatrice,commesiellecherchaitàsesoustraireàlavueetaujugementdesautres.Voilàunefemmequinesupportaitpasdemontrerlamoindrefaiblesse,maisunelignevenaitd’être
franchieetmêmeellenepouvaitplusdésormaisprétendreàl’indifférence.Mâchoiresserrées,TeaguefusilladuregardlesMcHughquis’étaientmontréssiinsultants.Bowenattendit.Genevieveallaitsûrementsedéfendreetilvoulaitsavoircequ’elleallaitrépondre.
Elleneluiparaissaitpasdugenreàhésiteràdirecequ’elleavaitentête.Ellenes’enétaitcertespasprivéeaveclui.
Aulieudecela,elletournaledosàsesagresseursdanscequiressemblaitfortàunefuite.Ellepassadevant lui d’un pas raide, comme s’il lui fallait faire appel à toute sa volonté pour simplement resterdebout.C’étaitladémarched’unefemmebienplusvieille,uséeparl’âgeetlepoidsd’unevieentière.
Teague fixait lesmoqueurs avec incrédulité. Brodie etAllen, pour leur part, faisaient grisemine.BrodieesquissaunpasversGenevieve,quiseraiditencoredavantageetsehâtadequitterlasalle.
Bowensecoualatête,stupéfaitqu’onpuissemontrerunetelleanimositéàl’égardd’unefemmequin’auraitdûinspirerquedelapitié.Pourquoiunetellehaine?
Labalafresedétachaitsivivementsursapeaulividequ’elleparaissaitdavantagemortequevivante.—Quediablesignifiaitceci?demandaBrodie,lesdentsserrées.Il se dirigea vers Taliesan, qui recula d’instinct, et si vite que sa mauvaise jambe céda. Elle
s’effondraàterre.—Brodie,fitBowend’untonsec,tuluifaispeur.Brodieserenfrognadavantage,maiss’immobilisa.Puis,àlastupeurdeTaliesan,ilsepenchaetla
remitdebout.—Vousvousêtesfaitmal?demanda-t-il.Mesexcuses.Jenevoulaispasvouseffrayer.Maisceà
quoi je viens d’assisterm’amis en colère et je suis surpris que personne n’ait cherché à ymettre unterme.
Derrière Taliesan, les détracteurs de Genevieve tentaient de s’esquiver discrètement. Bowen lesrappelaàl’ordre.
—Vousnequitterezpascettesallesansmapermission,déclara-t-ild’untonglacial.Etjenevousladonneraipastantquevousnem’aurezpasexpliquépourquoivousavezcalomniécettefille.
L’hommeeutunemouededégoûtetlacolèrebrilladanslesyeuxdelafemme.—Cen’estpasdelacalomniequandc’estlavérité,répliqua-t-elle,lespoingssurleshanches.—Etpourtant,ellevousaprotégée,luirappelaBowen.Jemedemandebienpourquoi.Lafemmeviraàl’écarlate.Ellebaissalesyeuxtandisquesoncomparses’agitaitàsoncôté,malà
l’aise.—Ellen’estriend’autrequelaputaindeIan,marmonna-t-il.Bowenéchangeaun regardavecTeague,BrodieetAiden.Puis il se tournaversTaliesan.Mais il
étaitclairqu’elleneluidonneraitaucuneréponse.Aucunecapabledelesatisfaireentoutcas.—OùGenevieveest-elleallée?s’enquit-il.Sonfrèreparutsurprisqu’ilchangeaussiabruptementdesujet.Bowen lecomprenait,mais,àvrai
dire,ilnesupportaitpasderesterenprésencedeceuxquiavaienttourmentéGenevieve.Quelgenredepersonnesétaient-cedonc,quiprenaientplaisiràenhumilierainsiuneautre?
Ilétaitcensés’occuperdudomaineMcHughetdéciderdusortdedizainesd’hommesetdefemmes,etvoilàqu’ilvoulaitsavoiroùétaitalléeuneinconnue.Ilnesavaittroplui-mêmepourquoiilavaitposécettequestion,maisladétressedansleregarddeGenevieve,ladésolationquiavaitprivésonvisagedetoutecouleurcontinuaientdelehanter.
—Elleresteseulelaplupartdutemps,chuchotaTaliesan.Engénéral,danssachambre.—Etoùestsachambre?—Enhautdel’escalier,bafouillalajeunefille.Toutauboutducouloir.Danslatour.Àcôtédecelle
deIan.Bowen remarqua son hésitation, la façon dont son regard se détourna quand elle mentionna la
chambredeIan.Il se demandait quelle part de vérité recelaient les accusations lancées à la figure deGenevieve.
L’idéequ’elleaitétélamaîtressedeIanluisoulevaitl’estomac.Commentavait-ellepus’offrirdesonpleingréàuntelmonstre?EllesavaitpertinemmentcequiétaitarrivéàEveline.C’étaitellequiavaitenvoyéGraemeaudonjon.Etpourtant,elleavaitacceptédepartagerlacouched’unvioleur?
Ilensuffoquaitpresquededégoût.Iljetauncoupd’œilàTeague.—QueTaliesantefassevisiterleslieux.Assure-toiqu’ellenemarchepastrop.Taliesanrougit,embarrasséeparcetteallusiontransparenteàsoninfirmité.—Vousferiezbiend’accompagnerTeague,ajoutaBowenàl’intentiondesfrèresArmstrong.Quand
vousaurezterminé,nousnousretrouveronsdanslacour.Rassembleztousleshommesduclanafinquenousleurdonnionsnosdirectives.
—Ettoi,oùvas-tu?s’enquitTeagueendévisageantsonfrèreaînéd’unairintrigué.—JedoisdiscuterdecertainesaffairesavecGenevieve.
Genevieveétaitassisesurleborddelapetitepaillassequiluiservaitdelit.Ellen’avaitpasprislapeined’allumerunechandellenid’écarterlesfourruresquimasquaientlafenêtreafindelaisserlesoleilentrerdanslapièce.
Elleavaitenfinatteintlepointderupture,ets’étonnaitquecenesoitpasarrivéplustôt.Leshorreursqu’elle avait subies ces douze derniersmois auraient brisé n’importe qui,mais elle avait obstinémentrefusédedonnercettejoieàIan.
Cequi l’avaitmis en rage.Dès lors, trouver de nouveauxmoyensde l’humilier, de la blesser, del’avilirétaitdevenuunevéritableidéefixe.
Celan’avait rienchangé : elleétait comme immuniséecontre les remarquesdégradantes. Ianavaitencouragéseshommesàs’adresseràelleetàparlerd’elle comme ils levoulaient.Plusviles étaientleursinsultes,plusilétaitravi.Seulerestriction:ilsn’avaientpasledroitdelatoucher.Ilspouvaientlatourmenter,maiselleétait sapropriétéexclusive–c’étaitdevenuuneobsessionchez lui,prochede lafolie.
Ellevivaitdansunesorted’enferpublicetintime.Lespremiersmois,elleavaitpasséénormémentdetempsàs’interroger.Pourquoi?Pourquoiluifaisait-oncela?Quelpéchéavait-ellecommisquiméritaituntelchâtiment?Mêmelesanimauxétaientmieuxtraités.
Elle avait pris à cœur chaquemot, chaque commentaire, chaque injure. Jusqu’au jour où elle étaitdevenuecomplètementinsensible.Parfois,elles’inquiétaitvaguementd’êtredevenuesi…inhumaine.Ouunfantômedépourvud’émotionsetdesentiments.Soncorpsétaitprésent,maissonespritl’avaitdepuislongtempsdéserté.
Mais comment aurait-elle pu survivre autrement ?Et surtout, pourquoi tenait-elle tant à survivre ?Cela semblait tellement stupide,cette fiertéqui l’empêchaitde se laisserbrisercomplètementpar Ian.Ellenevoulaitpasleurdonnerlasatisfaction,àsonclanetàlui,desavoirqu’ilsl’avaientdétruite.Elleavaitdécidédesurvivre…Etaprès?Après,ellepourraitmouriroupas.Vivreoupas.Celan’auraitplusaucuneimportance,carpersonnenelesaurait.
Soudain,elleserenditcomptequ’ellesanglotait.D’effroyableshoquets lui tordaient lecorps.Elleessayadeprendreuneprofondeaspiration,maiscelanefitqu’aggraverleschoses.Elleavaitbienfailliperdrelecontrôledesesémotionslà-bas,danslagrandesalle,devanttoutlemonde.
Sonhumiliationavaitététellequ’elleavaitététentéedepleurer.Deselaisseraller.Enfin.Dieumerci, elle ne l’avait pas fait.Dieumerci, elle avait su se retenir le temps d’atteindre cette
piècequiétaitsonuniquerefuge.Siseulementelleavaitpuenfermerlaporte,maisIann’avaitautoriséniverrounicrochetspourposerunebarredebois.
Ellen’avaitpasd’autreintimitéquecellequ’onvoulaitbienluiaccorder.Ellen’avaitaucundroit,aucunprivilège,pasmêmelesplustriviauxquelaplupartdesgensconsidèrentcommeacquis.
Sapaillasseétaitdureetinconfortable.Elleplialesgenoux,lesremontacontresapoitrineet,ayantentourésesjambesdesesbras,elleyposalajoue.
Elle ferma lesyeux,sedemandantquelmarchéellepourraitpasseravecBowenMontgomerypourobtenircettelibertéqu’elledésiraitpar-dessustout.
Ellenepossédaitqu’un seul talentquipourrait intéresserunhommecomme lui– si tant estqu’onpuisseappelercelauntalent.L’idéed’offrirsoncorpsdesonpleingrélarendaittellementmaladequesonestomacserebella.
Maisquefaired’autre?Qu’avait-elled’autreàoffrir?Rien.Etquereprésentaitunaccouplementsupplémentairecomparéàlaliberté?Bowennedevaitpasêtre
aussibrutalqueIan.Ilyavaitdelabontédanssonregard.Chosequ’ellen’auraitpascruepossible.Peut-êtresemontrerait-ildouxavecelleou,aumoins,pasaussibestial.
C’étaitleseulespoirauquelseraccrocher.EllesesouvintdufrèredeBowenetdesdeuxguerriersArmstrong,etlapeurlasaisit.Etsiceux-là
aussiexigeaientsesservices?EtsiBowenvoulaitlapartageraveceux?Unsourdgémissement luiéchappa.Unsonpitoyablequiressemblaitaurâled’unebêteà l’agonie.
Ellepinçaleslèvres,refusantdeselaissersubmergerparcedésespoirabjectquis’étaitemparéd’elle.Ellen’abandonneraitpas.Pasmaintenant.Pasaprèsavoirsurvécuàl’enfer.Elleavaitencoredel’espoir,aussiinsenséquecelaparaisse.C’étaitplusquecequ’elleavaiteupar
lepassé.Ianétaitmort.Ilnepouvaitplusluifairedemal.Elledevaitàprésents’efforcerdecroirequetousleshommesn’étaientpasaussimalfaisantsquelui.Etprierpourquecelasoitvrai.
6
Deboutdevantlaporteentrouverte,BowenobservaitGenevieveassisesurunemisérablepaillasse.Lesjambesrepliéescontresontorseenuneattitudeprotectrice,elleapparaissaitd’unevulnérabilité
effarante.Ilsedemandasielles’enrendaitcompte.Soudain,ellelaissaéchapperunlonggémissementdéchirant,etpleind’unteldésespoirquesagorge
senoua.Ilhésitaitmaintenantàluiparler.Ellesouffrait.Seule.Loindesregardsindiscretsetdescalomnies.
Ilferaitmieuxdepartiravantqu’ellesachequ’ilavaitététémoindesadétresse.Maisilenétaitincapable.Sansqu’ilencomprennelaraison,cettefillel’intriguait,lefascinait.Elle
étaitunmystèrequ’ilétaitdéterminéàrésoudre.Et il avait une dette envers elle pour l’aide qu’elle avait offerte à son frère quand il recherchait
Eveline.Oui,ilavaitunedette,etilréglaittoujourssesdettes.Ilpoussalaporteets’avançad’unpas.Voyantqu’elleneréagissaitpas,ils’éclaircitlavoix.Elle releva vivement la tête, une lueur anxieuse s’alluma dans son regard. Elle avait adopté une
posture défensive demanière si spontanée qu’il semblait évident qu’elle était habituée à se défendre.CetteidéedéplutfortementàBowen.
—Pourquoiacceptes-tuceladeleurpart?demanda-t-ilsansdétour.Elleécarquillalesyeux,visiblementstupéfiéeparsafranchise.—Pourquoisupportes-tuleursinjuresetleurpermets-tudet’insulterainsi?Tunemanquespourtant
pasdecourage,ilmesemble.Elle haussa une épaule avec délicatesse, donnant soudain l’impression d’avoir été vaincue. Elle
semblaitépuiséeet…résignée.Sonregardétaitàprésentterriblementexpressif,etiln’étaitpascertaindepréférercela.Unepalette
d’émotionsselisaitdanscesflaquesd’émeraude.Lestoïcismequ’elleaffichaitenbasavaitdisparu,etilserendaitcomptemaintenantcombienelleavaitdûprendresurellepourdemeurerimpassible.Lafaçades’était lézardée. Il suffisait de l’observer un peu pour savoir exactement ce qu’elle ressentait.Elle neferaitpasunebonneguerrière.Onlisaitenellecommedansunlivreouvert.
—Ilsn’ontfaitquedirelavérité,répondit-elled’unevoixcassante.Devrais-jeleleurreprocher?Auborddelanausée,Bowenfronçalessourcils.Ilrefusaitd’acceptercetteidée.—TuétaislaputaindeIanMcHugh?Lacruditédesaquestion luiarrachaun tressaillement. Iln’avait jamaisétédugenreàmâcherses
mots,contrairementàGraeme.Non,ilavaitpourhabitudededirecequ’ilpensait,cequiendéconcertaitplusd’un.
Elle leva les yeux et il cilla. Son regard était si morne, tout à coup. Le flot d’émotions s’étaitsubitementtari,commesiunbarrageavaitétédressé.
—Oui, j’étais la putain de Ian McHugh, confirma-t-elle avec amertume. Tout le monde le sait.Interrogezquivousvoulezdanslechâteau,tousvouslediront.
Il ne put empêcher le dégoût de lui tordre les lèvres. Et secoua la tête, incapable de comprendrepourquoielleavaitacceptéuntelsort.
Elleselevaets’écartadequelquespasavantdeseretourner,lesbrascroiséssurlapoitrinedansuneposturetoujoursaussiprotectrice.Cequ’unefoisdeplusilnemanquapasderemarquer.C’étaitcommesichacundesesgestesétaitdictéparlanécessitédesedéfendre.
—Jevoudraisvousparlerd’uneaffairepersonnelle,commença-t-elleprudemment.Cetabruptchangementdesujet le laissaperplexe.Ilhochacependant la tête,curieuxd’entendre la
suite.—Jenesouhaitepasrestericipluslongtemps,reprit-elle.Maisjen’ainullepartoùaller.Aucune
familleversquimetourner.Jen’appartienspasauclanMcHughetsesmembresnesesoucientpasdemoi.Jenepuiscomptersurleurgénérosité.
Bowenvoulutl’interrompre,luidirequelesMcHughn’avaientpasleurmotàdirequantàcequ’ilsepassaitdésormaisici,maisellecontinuad’unevoixtremblante,seulindicedesontrouble.
—S’ilvousplaît,messire,permettez-moidepoursuivreavantquelecouragem’abandonne.Il acquiesçaetellepritune longue inspiration frémissanteavantdedétourner levisagede façonà
dissimulersacicatrice. Iln’auraitsudiresielle l’avait faitvolontairementousicegesteétaitdevenupurementinstinctif.
— J’aimerais trouver refuge dans une abbaye, mais je n’ai ni moyen de transport ni… argent,murmura-t-elle.J’aiaidévotrefrère,etmêmesicen’estpasdanscebutquejel’aifait,jevousseraisàjamaisreconnaissantedemepermettredemenerceprojetàbien.
Illafixad’unregardincrédule.C’étaitbienladernièrerequêteàlaquelleilseseraitattendudesapart.
Saréactionnefitqu’accroîtrelanervositédeGenevieve.Samainvintcouvrirsajouebalafréeavantderamenerunemèchedecheveuxpourlacacher.
—Je suisprêteà resteraussi longtempsqu’ilvousplairaafindevousassisteretdevous fournircertainesinformationsdontvousauriezbesoinpourremplirvotretâche.Jepourraisaussivousprocureruncertain…réconfort.
Sajouesecoloraetellebaissalesyeux.Ellesemitàlissersajupeencoreetencoretandisqu’elleattendaitsaréponse.
—Uncertainréconfort?répéta-t-il,pastoutàfaitcertaindecomprendre.Ilavaitbienuneidée,maisildevaitsûrementsetromper.—Jevousserviraidecompagne,lâcha-t-elletrèsvite.Aussilongtempsquevouslevoudrezouen
aurez besoin, à la condition qu’à la fin de notre… liaison…vousm’escortiez dans une abbaye où jedemanderaiàêtreadmise.
Il la contempla, bouche bée. Avant d’éclater de rire. Que pouvait-il faire d’autre ? Elle parlaitd’entrerdanslesordresjusteaprèsluiavoiroffertd’êtresaputain.
Jusqu’àprésent,iln’avaitpasvraimentcruàlavéritédesarelationavecIan.Maisellevenaitdeluioffrirsoncorpsavecl’aplombd’unecatinaguerrie.Qu’ellepuissesevendreainsi,marchanderavecluicommes’ils’agissaitd’unsimpletrocl’écœurait.
Sa joueétaitécarlatemaintenantet ilcrutdiscernerde la…douleurdanssesyeux.Maiscommentpouvait-elle encore en éprouver ? Rien chez cette femme ne lui était compréhensible ; il eut soudainl’intuitionqu’ilnelaconnaîtraitjamaistoutàfait.
—Je saisqueme regarder estuneépreuve,déclara-t-elle calmement. Je comprendsvotredégoût.Celadit,j’aiquelquestalents…aulit.
Elle s’étrangla en prononçant ce dernier mot comme s’il la faisait suffoquer. Elle était livide àprésentetparaissaitmalade.
De mieux en mieux. Voilà maintenant que la fille était persuadée que c’était sa cicatrice quiprovoquaitsondégoût.
Ilpoussaunsoupir;cettesituationavaitdequoisuscitersacolère,etilétaitplusqu’unpeuconsternéparlemarchéqu’elleluiproposait.Bonsang,ellenemontraitpaslemoindrerespectenverselle-même.
Non,celanesuscitaitpassimplementsacolère.Celalemettaitenrage.—N’avez-vousdoncplusaucune fierté ?martela-t-il.Vousoffrez-vousainsi à chaquehommequi
croisevotrechemin,ouest-ce justeparcequevousavezperduvotreprotecteur?N’importequi feraitl’affaire?
Elleétaitd’unepâleurmortelle.—Monprotecteur?Unrirerauqueetsaccadéluiéchappa:unsongutturaletlaidquifracassalesilence.Ilcrutqu’elle
allaitajouterquelquechose,maisellesecontentadelefixer.Sonregardétaitfroidetvide.Lafaçadeétaitdenouveauenplace.Aucuneémotion.C’étaitcomme
deregarderleseauxd’unlochenhiver.—Qu’endites-vous,BowenMontgomery?Acceptez-vousmaproposition?Avons-nousunaccord
oupas?Ilsecoualatête.—LesrestesdeIanMcHughnem’intéressentpas,cracha-t-il.Surce,iltournalestalonsetsortitdelachambreaupasdecharge,maisilavaiteuletempsdevoir
l’angoisseremplacerlafroideurdanslesyeuxdeGenevieve.
7
Bowentraversalagrandesalledéserteetétrangementsilencieusepourgagnerlacour.ToutleclanyavaitétérassembléparTeagueafind’entendrelesortquiluiétaitréservé.
Ledomaineétaitdansunétat lamentable.Patrick s’était enfuienemportant lecontenudescoffres,laissantlessiensdansledénuementleplustotal.
Un acte aussi lâche était incompréhensible : quand un homme devenait laird, il faisait le vœu desubvenirauxbesoinsdechaquemembredesonclanetdelesprotéger.
Qu’allait-ilseulementfairedesMcHughetdecequ’ilrestaitdeleurfief?s’interrogeaBowen.Pourcommencer,illuifaudraitdemanderàGraemedeluienvoyerdesvivresetdel’argentafind’assurerlasurviedeceuxquiétaientrestés.
Ilsortitsouslesoleiletobservalafouleréunie.Dèsqu’onpritconsciencedesaprésence,touslesregards se braquèrent sur lui. LesMcHugh étaient plus nombreux qu’il ne l’avait d’abord cru. Raresétaient ceux qui avaient accompagné Patrick dans sa fuite, sans doute parce qu’ils savaient à quois’attendre.
Maisiln’yavaitplusaucunerichesseici.Leur«laird»avaittoutpris:provisions,argent,chevauxetbétail.LatâchequiattendaitBowenétaitimmense.
IlrejoignitTeague,AidenetBrodie,deboutsurleperronduchâteau.Ilsaisitsonfrèreparl’épaule.—JevoudraisqueturetournesauprèsdeGraeme.Explique-lui lasituation.Nousavonsbesoinde
fournitures,d’argentetdevivres.Jeluiferaipartdemesrecommandationsàtraverstoi,maisladécisionfinaleluiappartient.LaCouronne,aussi,doitêtreinformée.LesrumeursnevontpastarderàserépandredanslesHighlandsetjepréfèrequeGraemeetnotreroiapprennentlavéritédelabouchedeceuxquilaconnaissent.
TeaguehochalatêteavantdesetournerversAidenetBrodie.—Ilvaudraitmieux,jecrois,dit-il,quevousretourniezauprèsdevotrepèreetquevousemmeniez
vossoldatsavecvous.Moi-même,jeconduiraiunepartiedenotrearméecheznotrefrèreafindenepaslaissernotreclansansprotection.
Brodieacquiesça.TeaguejetaunregardàBowenavantdes’adresserdenouveauauxfrèresArmstrong:—C’estunechosequejen’auraisjamaiscruepossible,maisj’aiunefaveuràvousdemander.Brodiearqualessourcils,puissonfrèreetluiéchangèrentunregardsurpris.—SijeregagnelechâteaudesMontgomeryavecl’essentieldenoshommesetsivousretournezdans
votrefiefavectoutevotrearmée,Bowenseretrouveradansunepositiontrèsvulnérableici.Fronçant les sourcils, celui-ci s’apprêta à protestermaisTeague leva lamain pour lui imposer le
silence.
—Avant,leplanétaitsimple.Ilsuffisaitd’éliminerPatricket,aveclui,toutemenaceéventuelle.Cen’estpluspossiblemaintenant.Nousignoronsoùilsetrouveets’ilanouédesalliances.Sadisparitionnousposedoncunproblème.
Encoreunefois,AidenetBrodiemanifestèrentleurapprobation.—Lefaitest,reconnutAiden,quenousn’imaginionspasqu’ilauraitprislafuite.Nouscomptions
réglertrèsviteleproblèmeetrepartirennelaissantquequelqueshommesderrièrenous.—Cequejedemande,réponditTeague,c’estquel’undevousdeuxdemeureiciavecBowenpendant
monabsence.— Je resterai, proposa Brodie. Je garderai une douzaine de soldats, les autres repartiront avec
Aiden.Aveclesvôtres,ceseraamplementsuffisantpourdéfendrelechâteau.—Jeteremercie,ditBowenavecsincérité.IlnejugeaitpascerenfortnécessairemaisilappréciaitqueBrodiesoitprêtàlesoutenirmalgréle
longpassédediscordeentreleursfamilles.—Moi aussi, je te remercie, ajoutaTeague. Je n’aimais pas l’idéede laissermon frère sans être
certainqu’ilavaitlesmoyensdesedéfendre.Brodierépliqua:—Vousavezétébonsenversmasœur.Vousluiavezoffertvotreprotectionetvotre…approbation.
Pourcela,mafamilleaunedettedegratitudeenversvous.Beaucoupl’auraientmépriséeetn’auraientvuenellequelafilledel’ennemi.C’estunepetitefaveurquevousmedemandezetjesuisheureuxdevousl’accorder.
BowenoffritunepoignéedemaindeguerrieràBrodiepuisàAiden,quil’acceptèrent,luitémoignantainsileurrespect.PuisilhochalatêteendirectiondeTeague.
—Occupons-nousmaintenantdesMcHugh.Lesquatrehommessetournèrentversleclanrassemblé.Latensionétaitpalpable,etBowenlaperçut
aussitôt.—LatêtedePatrickMcHughestmiseàprix,annonça-t-ild’unevoixforte,provoquantunecascade
decrisétouffésetuntorrentdemurmures.Quiconquel’accompagneous’allieavecluipartagerasonsort.Ilacommisungrandpéchéàl’encontredesclansMontgomeryetArmstrong.Sescrimesneresterontpasimpunis.
—Queva-t-ilnousarriver,messire?s’écriaunjeunegarçondanslafoule.—Àpartird’aujourd’hui,cechâteauettoutcequ’ilcontientappartiennentauclanMontgomery.Ilyeutdenouveauxmurmures,desprotestations,descrisdecolèreet,de lapartdecertains,des
riresamusés.—Ilnecontientplusrien!lançaquelqu’un.Lelairdapristoutcequiavaitdelavaleuràl’exception
dequelquesmoutonsmaladesetdesvieuxchevauxdelabour.Bowenlevalamain.—Silence!Larumeursecalma.—Maintenant,etjelerépète,lechâteau,lesterres,lesmoutons,leschevauxdelabourappartiennent
àGraemeMontgomery ; etmoi, son frère, qui suis son représentant, je superviserai lamarche de cedomainejusqu’àcequ’ilprenneunedécisionleconcernant.
Ilobservaunepausepourbalayerl’assembléeduregard.—Vouspouvezl’accepteroupas.Àvousdechoisir.Vouspouvezresteroupas.C’estvotredécision.
Mais sachezceci.Sivousdécidezde rester, la rébellionet l’irrespectne seront enaucuncas tolérés.Vous continuerez à effectuer vos tâches comme avant. Mon frère retourne chercher dans le fief desMontgomeryvivresetmatérielafind’assurerlasurviedetousici.
Cettefois,lesmurmuresexprimèrentlasurpriseetlechoc.Beaucoupsecouaientlatête,incrédules.S’attendaient-ilsqu’onlesmassacresur-le-champ?Peut-êtreaurait-ceétélecassiIanouPatrickavaientétéàlaplacedeBowen.Peut-êtreétait-cecequeleclanMcHughattendaitdelapartdeseschefs.
—Maisquisommes-nous,messire?demandaunefemme,l’airgrave.—Jenecomprendspastaquestion,femme.—Nous sommesdesMcHugh, auxordresdu lairdMcHugh.Quenous soyonsoupas fiersdenos
chefsn’estpaslaquestion.Quellesquesoientlescirconstancesquinousontconduitsàlasituationquiestlanôtreaujourd’hui,noussommesdesMcHugh.Etmaintenant,vousnousditesquenousappartenonsau clan Montgomery et que le laird Montgomery sera notre chef. Qu’est-ce que cela fait de nous ?Sommes-nousencoredesMcHughousommes-nousforcésdedevenirdesMontgomery?
D’autres voix se joignirent à la sienne, si bien que, très vite, un brouhaha emplit la cour. Bowens’apprêtait à intervenir quandBrodie s’avança et poussa un rugissement qui réduisit tout lemonde ausilence.
—Merci, lui ditBowenavec flegme tandisque legrandguerrier à l’expression farouche reculaitd’unpas.
Avoir un tel gaillard à ses côtés ne serait pas unemauvaise chose finalement. L’homme semblaitcapabledetenirtêteàundragon.
—Peum’importelenomquevousvousdonnez,déclaraBowen,unefoislecalmerevenu.SivousêtesfiersdeporterceluideMcHughetquevousvoulezletransmettreàvosenfants,c’estvotredroit.
—Letempsvenu,GraemeMontgomerynousautorisera-t-ilàélirenotre laird?Quelqu’un issudenospropresrangs?demandaundeshommeslesplusâgés.
—Jenepeuxrépondrepourmonfrère,ditBowen.Pourl’instant,jesuisvotrelairdetc’estàmoiquevousobéirez.Unjour,Graemedéciderapeut-êtredemettreunMcHughàvotretête,maisilestbientroptôtpourysonger.
Quelques grommellements suivirent sa déclaration,mais la plupart des hommes hochèrent la tête.Bowenensurpritmêmecertainsquimurmuraient:«C’estplutôtjuste.»
—Jepasseraivoirchacund’entrevouspourdiscuterdevos tâchesetdevotre rôledansceclan,reprit-il.Jen’aipasledésirforcenédeprendrelaviedequiquecesoit.J’étaiscensévengerl’épousedemon laird,etmaintenantquePatrickMcHughs’estenfuidecechâteau, jenevoisaucuneraisondevousfairesupporterlepoidsdesespéchés.
De nouveau, des expressions surprises et approbatrices sur les visages. De toute évidence, lesMcHughs’étaientattendusàbienpireet,envérité,siPatrickétaitresté,ilsauraientsansdouteconnuunsortplusterrible.
Leurlairdétaituncouarddelapireespècemais,enl’occurrence,enfilantlaqueueentrelesjambesilavaitépargnéàsonclandegrandessouffrances.
AprèsqueBowenauraitdresséunpremierbilandelasituation,illuifaudraits’occuperdePatrick.Graemen’accepteraitpasqu’ils’entireàsiboncompte.Ilfaudraitdoncleretrouverafinqu’ilrépondedesesméfaits,auxquelss’ajoutaitmaintenantlevoldesrichessesdesonclan.
Il était étonné que ces gens nemontrent pas davantage d’animosité à l’égard de leur chef.À leurplace,etaprèssadéfection,Bowenseseraitdéjàlancéàsestrousses.
—Vouspouvezreprendrevostâches,dit-il,congédiantlafouled’ungeste.Jeviendraivoirchacund’entrevousdèsquepossible.
Bowen,Teague,BrodieetAidenregardèrentlesMcHughquitterlentementlacour.Toussemblaientdubitatifs.
—C’estplusquecequenousaurionsdûleuraccorder,déclaraTeagueàmi-voix.Bowenacquiesça.
—Oui.Maisnousnepouvonspasnousmontrer tropdursaveceux,ni lesabandonnerà leursort.Celaneferaitqu’inciterunautreclanàlesattaquerpourannexerleursterres.DèsquelanouvelledelafuitedePatrickseraconnue, lesvautourscommencerontà rôder. Il est importantquenousétablissionsuneforteprésenceici.
—Jeseraiheureuxderesteravectoipourt’aideràyparvenir,déclaraBrodie,unelueurgourmandedanslesyeux.
L’aînédesArmstrongsemblaitsavourerledéfi,etpourêtrefranc,Bowenlui-mêmeavaittrèsenvied’exercersonautoritéici,loindesonproprefiefoùilnefaisaitqueservirsonfrère.
Nonpasqu’ilnes’acquittaitpasdesondevoirdesonmieux.Graemeétaitson lairdetBowenluidevait,ainsiqu’àEveline,sonabsolueloyauté.Maiscelafaisaitlongtempsqu’ilattendaituneoccasioncommecelle-ci.Oui,ilsesentaitcapablededirigerunclan.
—Jesuisheureuxdet’avoiràmescôtés,Brodie,assura-t-il.Uneaubenouvelleselevaitsurl’histoiredesclansMontgomeryetArmstrong.Quin’avaitétérendue
possiblequeparlemariagedeGraemeetd’Eveline.Jamaisauparavant,lesdeuxclansn’avaientétéalliés.Chacuntoléraitàpeinel’existencedel’autre,
etvoilàqu’ilss’unissaientpouréliminerunemenacecommune.
8
Brodieàsoncôté,Bowenécoutaitpatiemment lesdeuxvieuxMcHughexpliquer leursbesognesetlesmanquesdontilssouffraientenraisondudépartdePatricketdeceuxquil’avaientsuiviouavaientprofitédelasituationpourpartirdeleurcôté.
Ni l’unni l’autreneprenaient lapeinedemasquer ledédainqu’ilséprouvaientenvers leurancienchefetceuxquiavaientchoisidelesabandonner.
Bowen avait parcouru une bonne partie du domaine, parlant à chacun, homme ou femme, afind’évaluerleursbesoinsainsiquelestâchesquidevaientêtreeffectuées.
Peudefemmesavaientfui.Quelques-unesavaientaccompagnéleursmaris,peut-êtrepourchercherrefuge chez des parents dans d’autres clans.Mais la plupart étaient restées. Il n’y aurait donc aucunproblèmepourassurerlalessive,leménageetlacuisinepourlacommunauté.
Ilyavaitaussiassezdejeunesgarçonsquin’avaientpasencoreatteintlestatutdeguerriers;ceux-làpourraient chasser et s’occuper du rare bétail restant.Des chevaux seraient nécessaires, car il n’y enavaitpasassezpourlelabouretletransportdesmarchandises.
—Ilestévidentquevoussavezcommentassurerlabonnemarchedudomaine,ditBowenauxdeuxhommesquandilseurentterminéleurrapport.
PeterMcHughgonflalapoitrine,fierdececompliment.Hiramrépondit:—Eneffet,laird.Bowenn’avaitpasl’habitudedes’entendreappelerparcetitre.Ilnesavaittropqu’enpenser,mais
s’ilétaitsincère,ildevaitadmettrequecen’étaitpasdésagréable.—J’aibesoind’hommesconsciencieuxquiconnaissentleurtravail.Etj’aibesoind’hommesloyaux
quisontprêtsàœuvreravecmoipourlebiendetoutleclan.Peterhochasolennellementlatête.—Vous ne trouverez pas plus loyaux que nous, laird.Notre loyauté va au clan, non à un homme.
PatrickMcHughnousatournéledos.Ilnemériteninotrefidéliténinotreconsidération.BowenéchangeaunregardavecBrodiequiacquiesça.—Dans ce cas, déclara Bowen, vous serezmes régisseurs et vous me servirez d’intermédiaires
auprèsdesvôtres.Ilestimportantqu’ilssoientfaceàdespersonnesquileursontfamilièresetenquiilsontconfiance. Ilsnem’accepterontpasd’emblée.Vous transmettrezmesordreset ferezensortequ’ilssoientsuivisd’effets,maisvousmerapporterezaussidirectementtoutsouciouproblèmequipourraitseposer.
—Ceseraunhonneuretunplaisir,laird,déclaraHiramavecgravité.—Laird!Laird!BowenetBrodiefirentvolte-face.EtdécouvrirentTaliesanquis’efforçaitdelesrejoindreencourant
etnecessaitdetrébucher.
Lesdeuxhommesseprécipitèrentverselledecraintequ’elleneseblesse.Ellesemblaitenproieàunefolleagitation.
Brodielarattrapajusteavantqu’ellenes’effondre.—Ilvafalloirsoignercettejambe,marmonna-t-il,l’airsombre.Ignorantsaremarque,TaliesanadressaunregardsuppliantàBowen.—Vousdevez l’arrêter, laird.S’ilvousplaît, elleestbouleversée.Ellen’anullepartoùaller. Je
n’oseimaginercequil’attendlà-dehorstouteseule.Ellesetordaitlesmains,sesbeauxyeuxbleusnoyésdelarmes.D’ungeste,Bowencoupaleflotdeparoles.—Dequoiparles-tu,Taliesan?demanda-t-il.Quin’anullepartoùalleretques’est-ilpassé?—Genevieve!s’exclamaTaliesan.Bowenpinçaleslèvres,puisdemandadansunsoupir:—Qu’a-t-ellefait?—Elleaquittélechâteau.Àpied.Ellen’arien.Aucunendroitoùaller.Personnepourveillersur
elle.Bowenémitungrognementirrité.—Jen’aipasdetempsàperdreavecdesrusesdefemme.Uneétincelledecolères’allumadanslesyeuxdeTaliesan.—Vous croyez qu’elle fait cela pour attirer votre attention ? Pour vous émouvoir afin d’en tirer
profit?Messire,vousnelaconnaissezpas.Vousn’imaginezpascombienelleasouffert.Ellen’aparléàpersonnedesonplan,maisjel’aivuequitterlechâteauencachette.Iln’yavaitplusdeviedanssesyeux.Aucun espoir. Rien que lamort et l’accablement, et c’est quelque chose que j’espère ne plus jamaisrevoirdansleregarddequiconque.Iln’yarienpourelleicietellelesait,maisiln’yariennonplusdehors.
—Jecroisqu’ilesttempsquenousparlionsfranchement,déclaraBowend’unevoixsourde.Jeveuxtout savoir surGenevieve avantdedélaissermesdevoirs pourme lancer à la recherched’une femmeassezstupidepourpartirseuleàpied.
Taliesanaffichaunregardmalheureux.Ilétaitclairqu’ellehésitait.—Vienst’asseoir,suggéraBrodie,quilaconduisitdoucementjusqu’àunbanc.Bowenattenditpatiemmentqu’ilaitinstallélajeunefilleavantdeseplanterdevantelle.—TunetrahiraspasGenevieveenm’expliquantsasituation,prit-ilsoindepréciserd’emblée.Jene
pourraipasl’aidersijenesaispasdequoiilretourne.J’aieuuneconversationavecelle,aucoursdelaquelleellenem’estpasapparuesousunjourtrèspositif.Jeveuxsavoirsijemesuistrompésursoncompte.
LacolèrecrispalestraitsdeTaliesan.—Jepeuxvousassurerquesiellevousafaitunemauvaiseimpression,celle-cin’estpasméritée.—Danscecasaide-moiàlacorriger,répliquaBowen.Taliesanprituneprofondeinspiration.—Jeneconnaispersonnequiaitautantsouffert,commença-t-elleàmi-voix.Ellerefuseradevousle
diremaiselleappartientauclanMcInnisetvientdesLowlands,prèsdelafrontièreanglaise.L’airsurpris,BrodiesetournaversBowenenhaussantunsourcil.—Attendsunpeu,fitcelui-ci.C’estuneMcInnis?Taliesanacquiesça.—Oui…ouplutôt,c’étaituneMcInnis.—Le clanMcInnis est puissant et influent,murmuraBrodie. Il entretient des liens étroits avec la
Couronne.Leurlairdestunvieilamiduroi,quiestvenutrèssouventchezluientantqu’invité.—C’estlafilledulaird,intervintTaliesan.
—Cela n’a aucun sens ! s’exclamaBowen. La fille desMcInnis serait devenue la putain de IanMcHugh?
L’insultefitsursauterTaliesan,dontlesyeuxlancèrentdeséclairs.—Cen’étaitpasdesonfait!hurla-t-elle.SavéhémencepritBowendecourt.—Raconte-nous,Taliesan,l’encourageaBrodie.—Jenesaispastout,dit-elle,frustrée.Genevievenes’estjamaisconfiéeàmoi.C’estainsi.Ellene
parlequetrèspeud’elle-mêmeets’efforcedepréserverlepeudefiertéqu’illuireste.—Quesais-tualors?demandaBowen.Était-ellevraimentlaputaindeIan?Taliesansursautadenouveau,lesjouesenfeu.BrodieadressaàBowenunregardréprobateur,mais
celui-cicommençaitàperdrepatience.—Ianl’aamenéeici.Ellen’estpasvenuedesonpleingré.Cela,jelesais.Etj’aivudemesyeux
commentillatraitait.C’étaitpireencorepourelle,carelleluirésistait–ou,dumoins,elleaessayé.—Jésus,marmonnaBowen.Celadit,s’agissantdeIanplusriennemesurprend.— Il était commeunenfantgâtéque l’onprivede son jouetpréféré, repritTaliesan.Genevieve a
refusédesesoumettre.Alors,ilajuréqueplusaucunhommenelaregarderaitavecdésiretil…illuiaentaillélevisage.Délibérément.Avantdejurerqu’aucunautrehommeàpartluinelaposséderaitjamais.
—C’estluiquil’adéfigurée?articulaBowend’unevoixméconnaissable.—Oui,maiscen’estpaslepire.—Paslepire?répétaBrodie,incrédule.—Non,murmuraTaliesan.Ilenafaitsaputain.Malgréelle.Ilétaitobsédéparelleetd’unejalousie
maladive.Personnen’avaitledroitdelatoucher,nimêmedelaregardersinonc’étaitellequ’ilpunissait.Sévèrement.Ill’abrisée,laird.Safamillelacroitmorteet,d’unecertainefaçon,ellel’est,carellen’estpluslaGenevieveMcInnisqu’elleaété.
Unprofonddégoûtdelui-mêmesubmergeaBowentandisqu’ilseremémoraitsaconversationavecGenevieve,etleméprisqu’ilavaitaffichéàsonendroit.Ill’avaitjugéeetcondamnée.Ils’étaitconduitcommesielleluiétaitinférieureetavaitrefusél’aidequ’ellelesuppliaitdeluiapporter.
—SaintemèredeDieu,murmura-t-il.—Vousn’avezpasidéedeladépravationdecemonstre,soufflaTaliesan.Bowendemeurasansvoix,tandisquedansleregarddeBrodiebrillaitunelueurmeurtrière.—Samortaététroprapide,grondacedernier.Graemes’estmontrétropclément.Ilauraitdûlefaire
souffrirpourtoutcequ’ilainfligéàuneinnocente.—Combiende temps?demandaBowend’unevoixrauque.Combiende tempsGenevievea-t-elle
étésaprisonnière?—Une année entière, laird, réponditTaliesan. Si vous croyez qu’elle joue la comédie ou qu’elle
chercheàvousmanipuler,vousvous trompez.Ellen’attend riendepersonne.Ellene se souciemêmeplusdesonpropresort.Elleveutjusteêtrelibreetprofiterd’unmomentdepaix,aussibrefsoit-il.Ellese sentirait profondément trahiepar la confidenceque je viensdevous faire et je n’en suis pas fière.Maisjenesupporteplusqu’onlamaltraite.
—Tuasbienfait,mafille,assuraBowenens’emparantdesamain.Etnet’inquiètepas,Genevieveneseraplusmaltraitée.
Ellelevaversluiunregardpleind’espoir.—Alors,vousallezlachercher?—Jenereviendraipassanselle,déclaraBowend’unairdéterminé.
9
Genevieve contemplait les collines hérissées de rochers qui s’étendaient aussi loin que le regardportait.Unsentimentd’impuissancel’envahit,qu’elletentavaillammentderepousser.
Au fond,peu importaitoùelle se trouvait.Lesimple faitdequitter l’enceinteduchâteauavaitétélibérateuràunpointqu’ellen’imaginaitpas.Franchircesmuraillesavaitôtécepoidsqui l’oppressaitdepuisdesmois.
Ilpouvaitluiarrivern’importequoimaintenant,ellen’étaitplusunevictime.IanMcHughnepouvaitplusseservird’ellenilasouiller.Leclannepouvaitplussemoquerd’ellenil’avilir.
Elleresserrasacapucheautourdesonvisageenungestemachinal.Lechâteauavaitdepuislongtempsdisparuderrièreunecollinetandisqu’elles’empressaitdemettre
leplusdedistancepossibleentrecetendroit,quiavaitétésaprisonpendantuneannée,etelle.Elle trouverait bien quelqu’un pour l’aider. Pour lui indiquer où trouver une abbaye. Elle devait
garderlafoi,malgrétout.Ilyavaitdebravesgenssurcetteterre.Ellelesavaitd’expérience.Safamilleavaitétélameilleure
detoutes.Maiss’ilsapprenaientcequ’illuiétaitarrivé,sonpèreetsamèrenes’enremettraientpas,etc’étaitlaraisonpourlaquelleellepréféraitmourirplutôtquedeseréfugierauprèsd’eux.
Sesprochesétaientd’uneloyautéàtouteépreuveetprotégeaientavecférocitélesmembresdeleurclanettousceuxqu’ilsconsidéraientcommedesamis.Silatromperieetl’ambitionrégnaientàlaCour,Genevieven’avaitjamaiseuàensouffrir.Toutlemondes’étaittoujoursmontrébonetcourtoisavecelle.
ToutlemondesaufIanMcHugh.Soudain, elle se figea. Il lui semblait avoir entendu un bruit au loin. Puis elle perçut d’infimes
vibrationssoussespieds.Quelqu’unapprochaitàcheval.Lecœurbattant,elles’élançaversunpetitbouquetd’arbresaumilieuduquelcoulaitunerivière.Lebruitétaitàprésenttoutproche.Puiss’arrêta.Retenantsonsouffle,ellerisquaunregardentreles
branchesetdécouvritunchevalsurlesentierqu’ellevenaitdequitter.Lefeuillagedissimulaitlecavalieràlavue,etellen’osal’écarter.
Auboutdequelquesinstants,etàsongrandsoulagement,lecavalierrepartit.Elleattendittoutefoisdelonguesminutesavantdeserisqueràsortirdesacachette.
Lacolline suivanteétaitplusabrupteque lesprécédentes, le terrainplusaccidenté.Elle se révéladifficileàgravir.Quand,enfin,Genevievefranchitlacrêtepourentamerladescente,elles’immobilisasibrusquementqu’elletrébuchaetfaillitroulerdanslapente.
BowenMontgomeryétaitsursamontureàquelquespasdevantelle.Illacontemplaittranquillement,commes’ill’attendait.
Priseaudépourvu,ellenesutcommentréagir.Quefaisait-illà?L’instinctlapoussaitàfuir,maisellen’avaitrienfaitdemal.LespéchésdeIann’étaientpaslessiensetiln’étaitpasquestionqu’onleslui
fassepayer.Rassemblantsonsang-froid,ellese remitenmarched’unpas raide, la têtebaissée.Ellevenaitde
dépasserBowenquandellel’entenditsoupirer.Puiselleperçutlepetitbruitsourddesespiedsheurtantlesolcommeilsautaitdeselle.
Elledutfaireappelàtoutesavolontépournepaslaisserlapaniqueprendreledessusetsemettreàcourir.
—Bonsang,Genevieve!LejurondeBowenretentitunefractiondesecondeavantqu’ilnel’attrapeparlebrasetlaforceàse
tournerverslui.D’instinct,ellelevalamainpourlerepousseretseprotéger.Ungestequidéplut àBowen, à en jugerpar la flammedecolèrequi s’allumadans son regard. Il
serralesmâchoires,etellesentitunepeurimmondeluinouerlesentrailles.CethommeétaitautrementplusfortqueIan.—Neme regardezpas ainsi, gronda-t-il. Jenevousveuxaucunmal.Oui, je suis encolère,mais
uniquementparcequevouscroyezquevousavezbesoindevousdéfendrecontremoi.Jevouslerépète,jenevousferaiaucunmaletpersonnenevousenfera.Croyez-moi,Genevieve.
Elleledévisagea,ahurie.Pourquoicettesoudaineexplosiondecolère?Puiselleserenditcomptequ’il l’avait vouvoyée pour la première fois, lui témoignant ainsi un respect auquel elle n’était plushabituée.
Elleretrouvaenfinsavoix…etsoncourage.—Quefaites-vousici?Pourquoim’avez-voussuivie?Il jura de nouveau, laissant échapper des blasphèmes si violents qu’elle ne put s’empêcher de
grimacer.— Vous pensiez que j’allais vous laisser quitter le château sans protection, ni vivre ni argent ?
Commentespérez-voussurvivreneserait-cequ’unejournée?Unefemmeseuleetsansescortedanscescollines ? Vous seriez une proie facile pour n’importe quel homme qui croiserait votre chemin, etpersonnen’ensauraitrien.
Genevieve blêmit, car c’était précisément ce qu’il s’était passé avec Ian. Il avait massacré sonescorte et l’avait enlevée pour faire d’elle son esclave. Personne n’en avait rien su. Et, à ce jour,personnenelesavait.
GenevieveMcInnisétaitmorte.— Je ne resterai pas au château un jour de plus, dit-elle avec toute la conviction dont elle était
capable.Elleavaitpeur,etBowennepouvaitpasnepass’enrendrecompte.Savoixavaittrembléendépitde
sesefforts.Il posa lamain sur son bras. Elle essaya de la chassermais il insista, l’attirant vers lui avec un
curieuxmélangedefermetéetdedouceur.Ilétaitévidentqu’ilfaisaitsonpossiblepourlarassurer.Sesmainsremontèrentjusqu’àsesépaulesqu’ilpressadoucement.
—Jenevouspermettraipasdepartir.Ledésarroi l’envahit.Ladéceptionetunepeur atroce lui coupèrent le souffle.C’était tropcruel !
Alorsqu’ellevenaitàpeinedes’évader.Il soupira et ses traits s’adoucirent.Elle crutmêmediscernerdu regret dans son regard, cequi la
déconcerta.— Vous ne serez plus prisonnière, Genevieve. Jamais. Vous serez traitée comme une invitée
d’honneur.Personnenevousferalemoindremal.Vousn’aurezàrépondredevosactesqu’àmoi.Jevaisfaireprévenirvotrefamille,maisjusqu’àcequ’ellearrive,vousaurezdroitàlaplushauteconsidération.Etjepuniraiquiconqueoseramedéfiersurcepoint.
—Non!s’écria-t-elled’unevoixméconnaissable,s’arrachantàsonétreinte.Non,pascela!Ilfronçalessourcils.—Jenecomprendspas.Sonsouffleétaiterratique,etelleétaitsiterrifiéequ’ellearrivaitàpeineàarticuler.—Neprévenezpasmafamille.ElleserendaitbiencomptequesaréactiondevaitparaîtreanormaleauxyeuxdeBowen.—Maispourquoidiable?demanda-t-il,sidéré.Vosparentsdoiventêtrefousd’inquiétude.Ellesecoualatête,lesyeuxgonflésdelarmes.Unsanglotluidéchiralagorgeetellefutincapablede
seretenirdavantage.Ellesemitàpleurer.ElleétaitfurieusequecethommeparvienneàluiarracherdeslarmesquemêmeIanMcHughn’avaitpasobtenues.
—Ilsmecroientmorte.Ilspensentquej’aiététuéeaveclerestedemonescorteilyaunan.Bowenlafixaavecstupeur.—Danscecas,vousnevoulezsûrementpasleslaissercroireunetellehorreurunjourdeplus.Ellesecoualatêteavecplusdevéhémenceencore.Elleavaitl’impressiondevolerenéclats.Peut-
êtredevenait-ellefollefinalement.—Ilvautmieuxqu’ilsmecroientmorte.S’ilssavaienttoutceque…Elles’interrompit,secoualatêteetsedétourna,incapabledesoutenirleregarddeBowen.Elle ne se pensait pas capable de supporter la pitié et le dégoût qu’il n’allait pas manquer de
manifester.Pasplusqu’ellenepourraitsupporterdes’entendreraconterl’abjectevérité.— Il vautmieux qu’il en soit ainsi, reprit-elle. Je ne veux pas qu’ils sachent.Ma honte serait un
fardeautroplourdàporterpoureux.Jen’auraisd’autrechoixquederetourneràlamaisonetd’yvivreenrecluse,aucrochetdemonpèrejusqu’àlafindemesjours.
Bowenplissaleslèvres.Ildevaitprobablementlatrouveridiote.Ouextrêmementégoïste.Cen’étaitpasparfiertéqu’ellenevoulaitpasprévenirsafamille.Sijamaiselleapprenaitcequ’illuiétaitarrivé,samèreseraitanéantie,toutcommesonpère.Ellenesupporteraitpasdeleurinfligerunetelledouleur.PlutôtmourirquesalirlenomdesMcInnis.
—Jesuisledéshonneurdemonclan,dit-elled’unevoixétouffée.Jememéprisedevousavoirfaitcettepropositiontoutàl’heure.Seuleunepersonnesansespoirnihonneursecomporteraitainsi,etilestclair que je n’ai ni l’un ni l’autre. Comment ma famille pourrait-elle m’accueillir alors que je l’aicouvertedehonte?
Bowens’avançaet repoussasacapucheavantdeprendresa jouebalafréeencoupedanssamain.Elleenécarquillalesyeuxdestupéfaction,etdemeurapétrifiée.
Tandisqu’ilcaressaitdoucementseschairstorturées,ladétressedeGenevieveallaitcroissant.—Jeproposequenousoubliionstouslesdeuxcequis’estpassétoutàl’heuredansvotrechambre.
Jemesuismoi-mêmetrèsmalconduit.Elle secoua la tête, essayant de se dégager,mais il lui prit doucement lamâchoire et refusade la
lâcher.—Vousavezréagiavecdégoût,dit-elle.Quivouslereprocherait?Qu’est-cequ’unefemmecomme
moi a à offrir à un homme comme vous ?Vous êtes beau, lâcha-t-elle.Vous pourriez avoir n’importequellefille.
Oui, c’était la vérité. Cet homme était magnifique. Son corps – du moins ce qu’elle en voyait –n’avaitpaslamoindreimperfection.Nombreusesdevaientêtrelesfemmesquisoupiraientaprèslui.
—J’étaisjolieàregarderautrefois,murmura-t-elle.Etmaintenant,jesuisruinée.Ellesetouchalevisage,justeau-dessusdesesdoigts,avantd’émettreunrirerauque.—Jesuisruinéedetouteslesmanièrespossibles.IanMcHughm’atoutpris.Jeneseraiplusjamais
moi-même.
L’expression deBowen aurait sans doute dû l’effrayer.Mais elle n’avait plus rien à perdre, et secontentadelefixerd’unregardmorne,empreintderésignation.
—Cedéshonneurn’estpaslevôtre,déclara-t-ild’unairsombre.Iln’yapasdehonteàsupportercequ’onvousafaitententantdepréservervotredignité.
Elleéclatadumêmeriresinistre.—Madignité?Jen’enaipas.Onnem’enapaslaissé.Jevousenaidonnélapreuveenm’offrantà
vouscommeuneputain.Ellefermalesyeuxpourretenirleslarmesquimontaientdenouveau,l’humiliationpsalmodiantson
abominablelitaniedanssatête.—Vousnepouvezpasimaginercequel’onressentlorsqu’onn’apaslechoix,lorsqu’oncroitque
toutcequel’onaàoffriràunhomme,c’estsoncorps.Jecroyaisnepaspouvoirdescendreplusbas,nepaspouvoirm’avilirdavantage.Jemetrompais.C’estquandjevousai…offert…mes…servicesquej’ai comprisque j’avais touché le fond.Enéchangedema liberté, j’étaisprête àmeprésenterdevantvoussanshontenifierté.Jemehaisdel’avoirfait.
En prononçant cette dernière phrase, elle s’étrangla de colère et de dégoût.Elle aurait voulu s’enprendreaumondeentier.Hurlersaragedevantl’injusticequiluiétaitfaite,etsonimpuissance.
LesyeuxdeBowenétincelaientdecolère.Ellenepouvaitleluireprocher.—Surmonâme,jeregrettequemonfrèreaittuéIanMcHugh,gronda-t-il.Elleécarquillalesyeux.—Pourquoivoudriez-vousqu’ilaitsurvécu?Il l’attira à lui, si prèsque sa chaleur l’enveloppa commeunmanteau enhiver. Il caressa sa joue
balafréesitendrementqu’elleeneutmal.Puisils’inclinaverselle.Sonregardétaitfarouche,pourtantcefutd’unevoixcalmeetdéterminée
qu’ilrépondit:—Pourquejepuisseletuerdenouveauàcausedetoutcequ’ilvousafait.Uneautrelarmeroulaauborddesescils,glissalentementsursajoue.Illacueillitaveclepouce.—Nepleurezpas,Genevieve.Jenesupportepasvoslarmes.Ellebaissalatête,maisd’undoigtsouslementon,illaforçaàleregarderdenouveaudanslesyeux.—Jevousramèneauchâteau,dit-ild’untonsansréplique.Vousaurezunenouvellechambre.Jeveux
quevousmepromettiezdeneplusvousaventurerdehorsseule.Pourmapart,jenepermettraiplusjamaisqu’onvousmaltraite,Genevieve.Jevousendonnemaparole.
Lesoufflecoupé,ellefouillaleregarddeBowen,ycherchantlemoindresignedetromperieoudetricherie.Ellen’yvitqu’unesincéritébrûlante–etdelarage.Pourelle.Etnoncontreelle.Elleétaitsidérée.Cethommeluiétaitunparfaitétranger.Ilneluidevaitrien.IlavaittouteslesraisonsdemépriserIanMcHughet sa catin. Il lui aurait été si facilede faire le siègeduchâteau,puisd’abuserd’elledetouteslesmanièresconcevables.Etpourtant,illatraitaitavecbonté.
Ilétaitleplusimprobabledesdéfenseursetelle,laplusimprobabledesdamescapablededonneràunhomme l’enviededéfendresacause.Ellen’était rienqu’uneputaindéfiguréealorsqu’ilétaitbeaucommeundieu.Commesicelanesuffisaitpas,ilétaitaussilefrèredel’undespluspuissantslairdsdesHighlands,etpossédaitrichesseetpouvoir.
Untelhommepouvaitavoirn’importequellefemmed’Écosse.Etpourtant,ilsemblaitdéterminéàveillersurelleetàla…protéger.Nulendehorsdesonpèreetdesesfrèresnel’avaitjamaisprotégée.Personnenel’avaitdéfendue
contreIan.—Etquandvouspartirez?demanda-t-elle,lapeurluinouantdéjàlagorge.Quandvousquitterezce
château,quem’arrivera-t-il?
—Jenevousabandonneraipasàvotresort,répondit-ild’untonferme.Sivousn’avezpaschangéd’avisàproposdevotre famille,vouspourrezchoisir, soitde rejoindremonclanetdeprofiterdesaprotection,soitdevous réfugierdansuneabbaye,commevous l’avezdemandé,et jevousyconduiraimoi-même.
Lesoulagementfutimmédiat.Etbouleversant.Ellefermalesyeuxpoursavourercettepromesse.Quellemerveille, l’espoir !Elle enavait été si longtempsprivée.Etvoilàqu’il s’épanouissaitde
nouveautelleunefleurauprintempsdontlespétalessedéploientpourchercherlesoleil.Ellel’accueillitcommeunvieilamiperdudevue.L’espoirétaitleplusdouxdescadeaux.Illuipermettaitd’envisagerl’avenir.—Merci,sanglota-t-elle.Elleserrasesbrasmusclés.Ellecraignait,sielleleslâchait,deseréveillerdecerêvemerveilleux
pours’apercevoirqueriendetoutcelan’étaitréel.—Vousn’avezpasàmeremercier.Àprésent,rentronsauchâteau.Vousdevezêtreépuisée.—VousêtesunangeenvoyéparDieului-même,murmura-t-elle.J’aitellementprié.Jecroyaisqu’Il
m’avaitoubliée.LesmâchoiresdeBowensecrispèrent.—Jesuisarrivétroptard.Sij’avaissuplustôtcequ’ilenétait,Genevieve,jeseraisvenu.Jevous
auraissecourue.—Nevousfaitesaucunreproche.Votrebontéestunfeuimmensedanslanuitlaplusnoire.J’avais
oubliéquecelaexistait.Ilparutgênéparsoncompliment,maiselleleregardadanslesyeux,sansciller,afinqu’ilnepuisse
douterdesasincérité.Alors,ilglissalebrasautourdesataille.—Rentronsavantquelesautresnes’inquiètent,murmura-t-il.Et elle le suivit volontiers, s’émerveillant encorede cette promessequ’il lui avait faite et qu’elle
gardaitauchaud,toutcontresoncœur.
10
Quand Bowen pénétra dans la cour avec Genevieve, il eut droit à des regards entendus quil’agacèrent.CertainsdesMcHughaffichaientunsourire,quelquesfemmesunmépriséloquent;mêmesonfrèreetlesdeuxArmstronghaussèrentlessourcils.
Néanmoins,Teague,toujourscourtois,vintaiderGenevieveàdescendredeselle.Elles’écartadeluidèsqu’elle toucha terre. Il se renfrognacommesiellevenaitde l’insulterencroyantqu’ilpourrait luifairedumal.
Taliesansurgitdanslacour,marchantbeaucouptropvite.Cequidevaitarriverarriva:elletrébucha.Vifcommel’éclair,Brodie la rattrapaavantqu’ellene tombe.Ellese redressa, levisageécarlate,
maisn’enpoursuivitpasmoinssaroute.Après une brève révérence et un remerciement tout aussi succinct à l’adresse de Bowen, elle
s’avançad’unpaspluslentmaistoutaussidéterminéversGenevieve.—Ilfautquejeteparleavantmondépartdemainmatin,ditTeagueàvoixbasseafinqueseulBowen
l’entende.—Aprèsdîner,réponditcedernier.Teagues’écartaetfitsigneàundeleurshommesdes’occuperdelamonturedesonfrère.Taliesan,quiavaitrejointGenevieve,s’emparadesesmains,l’airinfinimentsoulagé.—Dieumerci,tuesrevenue!s’exclama-t-elle.Puis,commesielleserendaitcomptedel’absurditédecequ’ellevenaitdedire,ellerougitavantde
poursuivre:—C’estmoiquiaidemandéàBowend’allertechercher.S’ilteplaît,nesoispasencolèrecontre
moi.Unefemmeseule,sansprotection,n’arienàfairedanslescollines.Jesaisquetuesmalheureuseici,maisj’aiespoirquecelachangeraaveclesMontgomery.
Attendantsaréaction,BowennequittaitpasGenevievedesyeux.Ilespéraitqu’ellenesemontreraitpastropsévèreenversTaliesanquis’étaittellementinquiétéepourelle.
Ilfutcontentdelavoiresquisserunsourireenpressantlesmainsdelajeunefille.—Jeteremercie,Taliesan.Bowenm’aramenéeetjecroisquec’estunebonnechose.Maisillutl’incertitudeetlapeurdanssonregardtandisqu’ellesurveillaitlesMcHughquitraînaient
dans la courou l’observaient depuis lesmarchesdu château, affichant des expressionsqui allaient dudédainàlamoquerie.
D’unseulcoup,levisagedeGenevievedevintimpénétrable.Elleavaitremissonmasque,celuiquiluipermettaitdeseprotégerdelahonteetdeshumiliationsquelesautresluiinfligeaient.
Enprétendantneplusavoiraucunefierté,ellese trompait lourdement.Elleenpossédaitdavantagequelaplupartdesguerriersqu’ilconnaissait.
SachantlessévicesqueIanMcHughluiavaitinfligés–etiln’avaitpasentendutoutesonhistoire,ilenétaitsûr–,iln’auraitpuluireprocherd’avoirperdutouteenviedesebattre.Pourtant,cen’étaitpaslecas,etilnecomprenaitpascommentcelaétaitpossible.
Iltiendraitsapromessedelaprotégerauseindesonclanoudelafaireadmettredansuneabbaye.Maisd’abord,iltenteraitdel’inciteràchangerd’avisausujetdesesparents,parcequ’unefilleabesoindesa famillepar-dessus tout. Ilnepouvait imaginerEveline sans le soutiende la sienneetdecelleàlaquelleelles’étaitunie.
Soudain,ilserenditcomptequ’ilvoulaitqueGenevievesoitheureuse.Satristesseetsarésignationluifendaientlecœur.Cen’étaitpasunesensationagréable.
Danssonmalheur,Evelineavaiteuplusdechance.Ilavaitapprisàappréciersabelle-sœurquiavaitsugagnersonrespectetsonaffection.Sanssoningéniosité,elleseraitlafemmedeIanMcHugh.
Soudain,l’idéelefrappaquesiEvelinel’avaitépouséquelquesannéesplustôt,commecelaavaitétédécidé,Iann’auraitsansdoutejamaisrencontréGenevieve.Ilnel’auraitpasenlevée,nin’auraitabuséd’ellependantuneannéeentière.
Celadonnaitàréfléchir,etilsesentitcoupabled’êtretellementsoulagéquesabelle-sœurs’ensoitsortieindemne.
—Ilestgrandtempsd’allermanger,décréta-t-il.Genevieve le regardad’unairhésitant tandisqu’il sedirigeaitvers l’entréeduchâteau. Il s’arrêta
prèsd’elleetluioffritsonbras,attendantpatiemmenttandisqu’ellelescrutaitavecnervosité.Finalement, elle posa lamain sur son avant-bras, comme le voulait l’usage, et ils rejoignirent la
grandesalle.Quand il se retourna, il vit avec satisfaction que Brodie suivait Taliesan de près, au cas où elle
trébucherait.Taliesan était une bonne fille, sérieuse, et peut-être un peu trop confiante.La vie se chargerait de
l’endurcir,songeaBowenavecunmélangedecynismeetdetristesse.CommecelaavaitétélecaspourEvelinelorsdesapremièrerencontreaveclesMontgomery.Ilavaithontedel’admettre,maissonpropreclannes’étaitguèremontréaccueillantavecelle.
Il s’assit à la grande table, Genevieve à sa droite et Teague à sa gauche. Aiden et Brodies’installèrentfaceàface,cedernierfaisantasseoirTaliesanaucôtédeGenevieve.UngestequeBowenapprouva.
Lesfemmesapportèrentunpremierplatquiluiarrachaunegrimacededégoûtdèsqu’ilyeutgoûté.Enplusd’êtrefroid,lamixturen’étaitpasappétissante.Siauxautrestablespersonnenesemblaitavoirdeproblèmeaveclanourriture,cen’étaitpaslecasàlasienne.
Teaguefaillits’étoufferavecsapremièrebouchée.Aidennesedonnamêmepaslapeinedemasquersaréactionetrecrachaaussitôtparterrecequ’ilvenaitdemâcher.BrodiedéglutitavecdifficultétandisqueTaliesantripotaitsanourritureavecsacuillère.
Genevieve,elle,secontentaitdefixersontranchoir,levisagepâle,leslèvrespincées.Elles’emparadesongobelet,etbutunpeudel’eauqu’elleavaitdemandéeàlaplacedelabière.
Aussitôt,ellesemitàtousser.Sedétournant,ellesepencha,continuadetousseretdesuffoquer.—Quesepasse-t-il?s’inquiétaBowen.—J’aiavalédetravers,dit-elle,lesyeuxlarmoyants.Cen’estrien.Soupçonneux, il attrapasongobelet, engoûta lecontenu : lebreuvageétaitunesaumure, tellement
saléequ’elleétaitimpossibleàboire.Sonpoing s’écrasa sur la table avecune telleviolenceque toutes lespersonnesprésentesdans la
sallesefigèrent.Lesservantesledévisagèrentaveccrainte.—Qu’onapportedel’eaufraîche!rugit-il.
Unefemmes’éloignaencourantetrevintavecungobeletplein.IlpritlaprécautiondelegoûteravantdeletendreàGenevieve.Elles’ensaisitlentement,leportaàseslèvresetenbutquelquesgorgées.
Leselétaitunedenréerareetchère,etqu’ilpuisseêtregâchépourfaireuntouraussipendable,alorsmêmequeleclanenavaitsipeu,nefaisaitqu’exacerberlacolèredeBowen.
—Lanourritureest-elletoujoursaussiexécrable?demanda-t-ilàGenevieveetàTaliesan.Genevieverougitetbaissalesyeux,refusantd’affrontersonregard.—C’estnotreordinaire,réponditTaliesan,visiblementperplexe.MaisBowenavaitremarquélaréactiondeGenevieve.—Genevieve?Votreopinionsurlaquestion?—Jenesauraisvousrépondre,laird.Jen’étaispasautoriséeàmangerdanslagrandesalle.C’estla
premièrefoisquejedîneicidepuismonarrivée.Onm’atoujoursapportédupainetdufromagedansmachambre.Parfoisdugruauoudelabouillied’avoine.Lesmeilleursplatsétaientréservésauclan.
Il regrettait de l’avoir interrogée, car à présent, il fulminait. Genevieve avait vraiment été traitéecommeunanimal.Unebêtecaptivequ’onprenaitplaisiràmaltraiter.
— Les meilleurs plats ? ricana Teague. Je crois que je préférerais encore du pain rassis et dufromageavarié.Unebouseseraitplusappétissante.Jeramèneraidesprovisionsdebase.Maispeut-êtredevrais-tulancerunecampagnedechasse.Cetteviandedatedeplusieursmois.
Bowenacquiesça.Unedesesprioritésétaitderemplirlesgarde-manger.—Nousenavionsdelameilleure,lâchaTaliesanavantdebaisserlatêteenrougissant.—Commentcela,petite?demandaBrodie.—Ceseraitdéloyaldemapartdeledire,murmura-t-elle.—Parlelibrement.Iln’yapersonneiciquitecontredira,déclaraBowen.Elleluiobéitàcontrecœur.— Le laird a emporté toute la viande fraîche. Il a fait charger deux chevaux avec les bêtes des
dernièreschasses.Ducerf,dusanglieretdel’agneau.Ilatoutpris.—Dèsquej’auraimisGraemeaucourantdelasituation,déclaraTeague,c’estPatrickMcHughque
nouschasserons.—Certes,acquiesçaBowen,maisnotrepriorité,c’estdeveillerà lasurviedesgensdesonclan.
Nous ne pouvons permettre qu’ilsmeurent de faim ni qu’ils restent sans protection pendant que noustraquonscettecanaille.
Aideninclinalatête.—Tuasraison,Bowen.C’estunbonchefqueceluiquipensed’abordàsonclan.—JenefaisquecequeferaitGraemes’ilétaitici,réponditBowen.IlsetournaversGenevievequin’avaitpasencoretouchéàsanourriture.Aprèssonexpérienceavec
l’eau,ellesemblaitcraindred’ygoûter.Difficiledeleluireprocher.— Qu’aimeriez-vous manger ? lui demanda-t-il à voix basse. Ce plat est abominable. Je peux
demanderdupainetdufromage,sivouspréférez.—Oui,s’ilvousplaît.Maisàconditionquecelanesoitpassourcedeproblème.—C’estbienledernierdemessoucis,répliquaBowenaveccalme.Cesgensobéirontouenpaieront
lesconséquences.Ilesttempsqu’ilsapprennentàvoustraiteravecrespect.Jenesupporteraipasleursplaisanteriespuériles.
UnelueurapparutdanslesyeuxdeGenevieveetuneesquissedesourireincurvasabellebouche.Ilétaitfasciné.Encetinstant,elleétaitsplendide.Ilétaitfaciled’oublierlacicatricequiluibarraitl’unedesjoues,carlerestedesonvisageétaitlisseetd’uneincomparablebeauté.Quesoncourageetsaforcedecaractèrenefaisaientquemagnifier.Sanscompterqu’ellefaisaitdetelseffortspourcachersabalafrequ’il était facilede l’oubliercomplètement ; sibienquec’était toujoursunchocpourBowend’yêtreconfronté.
D’autres servantes s’approchèrent de leur table, certaines souriant timidement, d’autres avec plusd’audace, tandis qu’elles lui rapportaient de la bière et ajoutaient de la nourriture chaude sur sontranchoir.
Latéméritédecertaineslesurprit.Elless’offraientàsonregardaveccoquetterie,dansdesposesquin’avaientriendetrèssubtil.Nonpasqu’ilnefûtpashabituéàcequedesfillesluifassentdesavances.Graeme et Teague ne cessaient d’ailleurs de plaisanter à ce sujet, prétendant qu’aucune femme ne luirésistaitetqu’ilneseprivaitpasdetrousserlamoindrejupe.
Cen’étaitpas toutà faitvrai,mais ilne lesdétrompait jamais,carcelan’aurait servià rien : sesfrèresn’endémordraientpas.
Oui, les femmes s’intéressaient à lui, et alors que la plupart des hommes en auraient été plus queravis,Bowen, lui,enéprouvaitde l’agacement.Surtoutquandlesdamesenquestionétaientmariéesetqu’ildevaitsesoucierd’épouxjaloux.
Àmesurequeledîneravançait,Genevievesemblaitdeplusenplusmalàl’aise.Sapâleurdevenaitalarmante.
—Quelquechosenevapas?chuchota-t-ilensepenchantverselleafinqu’elleseulel’entende.—Cesontdetelleshypocrites,siffla-t-elle.Surprisparsavéhémence,ilhaussaunsourcilinterrogateur.—Nefaitespassemblantd’ignorercequ’ellesattendentdevous, reprit-elle.Pourtant,celane les
empêchepasdemejugeretdemecondamner.Ellesmetraitentdedépravéealorsquej’étaisforcée,maiselless’offrentlibrementàvous.C’estgrotesque.
Elle avait raison, mais Bowen savait aussi que dénoncer l’hypocrisie de ces femmes ne feraitqu’accroîtreleurcolèreetlesdresserdavantagecontreGenevieve.Siunetellechoseétaitpossible.
Ellepoussaunsoupirdesoulagementquandlesservantesdébarrassèrentlestranchoirs,signalantlafindudîner.
—J’aimeraismonterdansmachambre,laird,dit-elled’unevoixsoumisequineconvenaitguèreàlaGenevievequ’ilconnaissait.
—Vousenavezunenouvelle,justeàcôtédelamienne,dit-ild’unevoixforte.Queleclanenpensecequ’ilvoulait,maisqu’ilgardesescommentairespourluis’ilnevoulaitpas
enpayerlesconséquences.—Vous pouvezmonter à condition que Taliesan vous accompagne, ajouta Bowen. Elle occupera
l’autrechambrevoisinedelavôtre.Taliesanparutsurprise.—Mais, laird, j’ai toujours habité dans un cottage à l’extérieur du château. Je n’ai jamais eu le
privilègededemeureràl’intérieur.—Maintenant,tul’as,répliquaBowen.Genevieveettoiserezvoisines.—Oh,c’estmerveilleux,Genevieve!s’écriaTaliesan.Tun’aurasplusrienàcraindreaveclelaird
etmoiàtescôtés.—Et je serai en facedevousdans lemêmecouloir, annonçaBrodied’unevoixbizarre.Si l’une
d’entrevousabesoindequoiquecesoit,j’espèrequevousviendrezmetrouver.—Oumoi,ajoutaBowen.—Nousn’hésiteronspas,assuraTaliesan,lesjouesenfeuetlesourireauxlèvres.
11
Genevieve se laissa tomber sur le lit et caressa les draps de lin.Un vrai lit était un luxe qu’ellen’avait pas connudepuis un an.Depuis qu’elle avait quitté sapropre chambredans le châteaude sonpère.
Elle avait étégâtée.Honteusement.On répondait aumoindrede sesbesoins.Elle avait été aimée,choyée,dorlotée.
Unimmensechagrins’emparad’elle.Cesderniersmois,lesseulesfoisoùelles’étaitretrouvéedansunvrailit,c’étaitquandIanabusait
d’elle. Elle en était venue à redouter la simple vue d’un matelas, car tant qu’elle se trouvait sur sapaillasseàmêmelesol,ellen’avaitpasàcraindreses«attentions».
Bowenavaitveilléàsonconfortenfaisantallumerunfeudanslacheminée.Ilyavaitmêmeunpichetd’eauprèsdelabassinesouslafenêtre.Lelitétaitgarnidefourruresetdesbougiesavaientétéplacéesunpeupartout,diffusantunedoucelumière.
Cet isolement aurait dû la rendre heureuse.Elle aurait dû être soulagée que personne ne l’ennuie.Pourtant,ellesesentaitdésespérémentseule.Craintiveetnerveuse,aussi.
Entoutehonnêteté,ellenesavaitquefaired’elle.BowenMontgomeryavaittoutchangé.Elle devrait être irritée qu’il ait refusé qu’elle quitte ce château qui avait été son enfer personnel
pendant une année entière et où elle avait été soumise à la volonté d’un être abominable. Pourtant,quelquechosechezBowenMontgomeryluidonnaitde…l’espoir.
Cemotencore.Espoir.Commeilétaitdoux.Uncoupfrappéà laporte la fit sursauter.Avantqu’ellepuisse répondre, la têtedeTaliesansurgit
dansl’entrebâillement.—Jepeuxentrer?Sedétendant,Genevieveluifitsignequeoui.Lajeunefillepénétradanslachambreetrejoignitlelitdesadémarcheclaudicante.—Ilyaunproblème?s’inquiétaGenevieve.Taliesans’assitsurlematelasàsoncôté.—Non.Mais j’étais trop excitée pour dormir.Ma chambre est très belle. Elle est presque aussi
grandequetoutlecottageoùj’habite.Genevieveremarquaqueseslèvresétaientpincées,seulsignechezellequitrahissaitsasouffrance.—Tajambetefaitmal,n’est-cepas?Taliesangrimaçaetbaissalesyeuxsursacuisse,qu’ellemassaitmachinalement.—Oui,maisj’ail’habitude.C’estainsietonn’ypeutrien.—Jesuisdésolée,ditGenevieveavecdouceur.
Taliesanparutsurprise.—Dequoi?—Quetusouffresainsienpermanence.Personnenedevraitavoiràendurercela.—Tuasboncœur,GenevieveMcInnis.Jesuisheureusequenoussoyonsamies.C’étaitencoretrèsbizarredesedirequ’elleavaitunevéritableamieici.Celaavaitsipeudesens.
À ses yeux, lesMcHugh incarnaient ce qu’il y avait de plusmalfaisant en ce basmonde.Certes, Iann’était que l’un d’entre eux et elle ne pouvait tenir tout le clan pour responsable de ses actes. Iln’empêche,aucundesesmembresn’avaitjamaischerchéàladéfendre.Aucunn’avaitditquecequ’onluifaisaitsubirn’étaitpasjuste.
Maisaufond,c’étaitidiotdesapartdeleurenvouloir.Ceshommesetcesfemmesétaientsoumisàl’autoritédeleurchef.Qu’auraient-ilspufaire?
Elle n’oubliait cependant pas la façon dont la plupart l’avaient traitée. Avec quel dédain et quelméprisalorsquetoussavaientpertinemmentqu’ellen’étaitqu’unevictime.C’étaitcelaqu’elleneleurpardonnaitpas.
Ilsauraientpuluitémoignerunpeudecompassion.Sansallerjusqu’àsedressercontreleurlairdetsonfils,ilsauraientpuaumoins…
Taliesanluitouchatimidementlebrasetelleserenditcomptequ’ellen’avaitcessédeparlerpendantqu’elle-même était absorbée dans ses sombres pensées. Battant des paupières, elle concentra sonattentionsurlajeunefille.
—Quevas-tufaire,àprésent,Genevieve?Jesuisdésoléed’avoirenvoyéBowenàtapoursuite.Maisàpeineeut-elleprononcécettedernièrephrasequ’ellesecoualatête.—Non,cen’estpasvrai, reprit-elled’unevoixsisourdequeGenevieve l’entenditàpeine.Jene
suispasdésoléeparcequej’étais tellement inquiètepourtoi.Jesaisquejen’auraispasdûintervenir,maisjenesupportaispasl’idéequ’ilt’arrivecequit’estarrivéilyaunan.
Taliesanlafixad’unregarddébordantdesincérité.—S’ilteplaît,pardonne-moi,Genevieve.Celle-cisoupira.—C’étaitidiotdemapartdefuirainsi.Jen’avaispluslesidéesclairesetjen’avaispaslemoindre
plan,niaucunmoyend’atteindremadestination.Jevoulaisjustepartird’ici.—Jesaisàquelpointcelaaétéhorriblepourtoi.Maistessouffrancessontterminées.Bowent’a
prisesoussonaile.Sesprochesetluiontl’aird’êtredeshommesbons.Ilsn’ontriendecommunavecIan.
Lesimplefaitd’évoquerIanarrachaunfrissondedégoûtàGenevieve.—Non,eneffet,acquiesça-t-elle.Entoutcas,pasencore.Taliesanétrécitlesyeux.—Tucroisqu’ils’agitd’uneruse?— Je ne sais que penser, avoua Genevieve. Mais il serait stupide de ma part de m’en remettre
aveuglémentàBowenMontgomery–ouàn’importequelautrehomme.Ilsemblehonnêteetjuste,maisIanaussisavaitêtrecharmantetconvaincantquandillevoulait.
Incapable de dissimuler sa douleur, elle détourna les yeux de peur de s’effondrer devant la jeunefille.
Soudain,ellesentitlesbrasdeTaliesanl’entourer.Commelapremièrefois,ellefutsurprise.Au début, elle se raidit, ne sachant comment réagir. Mais Taliesan refusa de la lâcher. Alors,
timidement,Genevieveserisquaàluirendresonétreinte.Etfinalementlesdeuxfemmesseretrouvèrentdanslesbrasl’unedel’autre.
—Jejured’êtreuneamieloyale,murmuraTaliesan.
CesmotsfirentàGenevievel’effetd’unepluiedeprintemps,douceetbienfaisante.Lagentillesse,lasincéritédeTaliesanluiréchauffaientlecœur.
—Jeserai,moiaussi,uneamiefidèle,murmura-t-elle.Taliesans’écartaetdéclaraavecungrandsourire:—Bien.Voilàquiestréglé,alors.
12
Bowenregardasonfrèreentrerpuisrefermersoigneusementlaportederrièrelui.—Tuesbieninstallé,commentaTeague,ironique.Jetantuncoupd’œilaumobilierspartiateetauxmursnus,Bowenhaussalesépaules.Ilavaitrefusé
d’occuperleschambresdePatrickoudeIan,préférantleslaisseràsonfrèreetauxArmstrong.—Tuvoulaismeparler?s’enquit-il.L’air soudain grave, Teague hocha la tête avant de prendre place dans l’un des deux fauteuils
disposésdevantlafenêtreouverte.—Ce n’est pas une affaire agréable quim’amène. Il se peut que jem’alarme pour rien,mais je
manqueraisàtousmesdevoirssijen’attiraispastonattentiondessus.—Jet’écoute,fitBowenens’asseyantenfacedelui.Teagueprituneprofondeinspiration.—L’histoire,tellequ’onmel’arapportée,estqueGenevieveaconvaincuIand’enleverEveline.Bowentressaillitdesurprise.—Celan’aaucunsens.Qu’aurait-elleeuàygagner,aunomduciel?Enoutre,jevoismalIanse
laisserdictersaconduiteparunefemme.Teaguelevalamain.—Cen’estpastout.Laisse-moiterminer.LeslèvresdeBowenseretroussèrentsurunrictusméprisant.—Descommérages.IlestévidentquepersonneicineporteGenevievedanssoncœur.Ilyapeude
chancesqu’ilsfassentpreuved’équitéàsonégard.—C’estpossible,admitTeagueaveccalme.Maisj’aientendulesmêmesmotsrépétésparplusieurs
sourcesdifférentes.LeslèvresdeBowenneformaientplusqu’unelignemince,maisilfitsigneàsonfrèredepoursuivre.— Ian aurait découvert la supercherie que notre belle-sœur avaitmanigancée pour empêcher son
unionavecluiauprofitdeGraeme.Ilauraitétéfurieux,biensûr,etGenevieveauraitversédel’huilesurlefeudesacolère,luimurmurantqu’ilnedevraitpaslaisserunefemmeridiculiserunhommetelquelui.Onditaussiquec’estellequiauraiteul’idéedesonenlèvementetenauraitconçuleplan,conseillantàIandechercherqui,parmilesnôtres,étaitprêtànoustrahir,afindes’enfairedesalliées.
—Es-tucertaindecesinformations?—Jenesuiscertainderiendutout, reconnutTeague.Jen’aipasd’opinionarrêtée.Je terapporte
simplementcequej’aientendu.—Maistuestimesquecettehistoireestcrédible,insistaBowen.Teaguehésita,puisfinitparacquiescer.
— Oui, ceux qui me l’ont racontée étaient convaincants. Ce n’étaient pas les plus hostiles àGenevieve, et il est clairqu’ilsne lui fontpasconfiance.Mêmesipersonnenenieque Ian l’a traitéecommeuneprisonnière,beaucoupsemblentcroirequ’elleexerçaitunegrandeinfluencesurluietqu’elleutilisaitcelle-ciàsonprofit.
Bowensecoualatête.—Celan’aaucunsens,répéta-t-il.Qu’avait-elleàgagnerenfaisantenleverEveline?Non,celane
tientpasdebout.— Peut-être est-ce une actrice consommée, hasarda Teague. Qui joue le rôle de la victime à la
perfection.Quioseraitfairelemoindrereprocheàunefemmecenséeavoirtantsouffert?—Tucroisquetoutcelan’estqu’unerusedesapart?Qu’ellenousmanipule?Teaguehaussalesépaules.—Ce n’est pas àmoi d’en juger.Mais je ne voulais pas partir sans te faire part de ce que j’ai
découvert.Àtoidedéciderdelasuiteàdonneràcetteaffaire.Ilestpossiblequecettefemmetetrompe–etd’autresavectoi.
Bowenselaissaallercontreledossierdesonfauteuil,lacolèreetledégoûtluinouantlesentrailles.Il n’aimait pas l’idée que cette fille puisse être si calculatrice. Mais il ne pouvait en éliminerl’éventualité.Entantquechefdeclan,iln’enavaitpasledroit.
Ilsedemandaitàprésentoùétaitlavérité.Ilétaitévidentqu’elleavaitétéenlevéeetabuséedelapiredesfaçons.Dumoins,audébut.Maislaquestionseposait:legeôlierétait-ildevenuleprisonnier?Avait-elleétécapable,avecletemps,d’influencerIan?
Et si tel était le cas, pouvait-il lui reprocher d’avoir tenté de prendre le dessus sur un individupareil?N’était-cepaspourelleunenécessitépoursurvivre?Sid’autreslacondamnaientpouravoirfaitusagedetouslesmoyensdontelledisposait,Bowenavaitplutôttendanceàadmireruntelcourageetunetelleforce.
Saufsielleavaitfaitcourirunterribledangeràsasœurparalliance.Pourquoi aurait-elle semé une idée pareille dans la tête de Ian ? Quel intérêt aurait-elle eu à ce
qu’Evelineconnaisselemêmesortqu’elle?—Méfie-toi, Bowen, conseilla Teague. Nous sommes entourés de vipères. Tu ne sais pas où se
trouvePatrick,niquellemenaceilreprésente.Demeurevigilantetnefaisconfianceàpersonne.Jeseraideretourdèsquepossible.Lemieuxseraitpeut-êtredesubvenirauxbesoinsdesMcHughetderenonceràlesdiriger.Laissons-lessedébrouillerseuls.
Oui. Sauf que Bowen avait promis sa protection à Genevieve. Il lui avait offert un sanctuaire.Seigneur,illuiavaitmêmeproposéuneplaceauseinduclanMontgomery!
Commentpouvait-ilemmenerchezsonfrèrelafemmeresponsabledel’enlèvementdesonépouse?—Jevaism’occuperdecetteaffaire,déclara-t-il.Jeneprendraidedécisionqu’aprèsavoirentendu
touteslespartiesconcernées.—Tuasraison.Situasbesoindemoi,envoie-moiunmessage.Jeviendraiaussitôt.—C’estbizarre,murmuraBowen.—Qu’est-cequiestbizarre?—Quenoussoyonsséparés.Noussommestoujoursrestésensemble.Touslestrois.Graemeentant
quelaird.Etnousdeuxenrenfort.C’estétranged’êtreloindecheznous.Dansunclanquin’estpaslenôtre.
—Jenedoutepasdetescapacitésdechef,assuraTeague.LesMcHughprospérerontavectoiàleurtête,mêmesitunerestesquepeudetemps.
Bowenseleva.—Mercidemedirecela.Vaetreviensvite.Jemesensplusàl’aiseavectoiàmescôtés.Teagueserralebrasdesonfrère.
—QueDieuteprotège,Bowen.—Toiaussi,Teague.Aprèsledépartdecedernier,Bowendemeuraunlongmomentàlafenêtre,àcontemplerlanuit.GenevieveMcInnisétaitunevéritableénigme.Ilsavaitqu’iln’avaitpasledroitdeluienvouloirtant
qu’iln’auraitpaslapreuvedecequeluiavaitrapportéTeague.Maisilnepouvaitempêcherlacolèrededéferlerenluiàl’idéequ’ellepuisseêtreresponsabledel’attaquecontreEveline.
Ilsecoualatête.Ilnedevaitpastirerdeconclusionshâtives.Ildécouvriraitlavéritébienasseztôt.Etilsavaitàquis’adresserpourl’obtenir.
13
Il se leva à l’aube pour aller saluer Aiden et son frère avant leur départ. C’était étrange de seretrouveravecBrodieArmstrongcommeseullieutenant,maisBowenétaitcontentdel’avoiràsescôtés.LesMcHughétaientdesgenshostilesetobstinés,latâchequil’attendaitn’étaitpasdesplusfaciles.
Dèsquelesdeuxarméeseurentquittélechâteau,ilpartitàlarecherchedeTaliesan.Ilnelatrouvanidanslacournidanslagrandesalle.SielleétaitavecGenevieve,ilallaitdevoir
attendre.Ilnevoulaitpasl’interrogerensaprésence.IldéjeunaavecBrodie,ettousdeuxnepurentretenirunegrimace:lerepasnevalaitguèremieuxque
celuidelaveille.Ceseraitunmiracles’ilssurvivaientjusqu’àcequeTeaguerevienneavecdesvivres.—As-tuvuTaliesan,cematin?s’enquitBowen.Brodiefronçalessourcils.—Non,pourquoilacherches-tu?—Ilyacertaineschosesdontjedoisparleravecelle.—Ilesttôt.Elleestpeut-êtreencoreaulit.Leresteduclanétaitdéjàdeboutetenpleineactivité,c’étaitdoncpeuprobable,songeaBowenen
jetantunregardautourdelui.Celadit,iln’avaitpasvuGenevievenonplus.Ilseforçaàavalerunpeudenourriture,etpritladécisiond’organiserunepartiedechasse.Rienque
depenseràdelaviandefraîchementrôtie,ilenavaitl’eauàlabouche.Alors qu’il traversait la cour, peu après, il repéra Taliesan qui se dirigeait vers le château. Elle
venaitdetouteévidencedugroupedecottagesadossésàlacolline,nonloindesmurailles.Dèsqu’elleeutfranchilagrille,ils’approchad’elle.
—Taliesan,j’aimeraistedireunmot.Elleparutaussitôtnerveuseetbredouilla:—Biensûr,laird.Ilya…unproblème?— Je désire te parler en privé, se contenta de répondre Bowen en balayant du regard la cour
grouillantedemonde.Il l’escorta jusqu’à la grande salle qui, découvrit-il agacé, était elle aussi pleine demonde. Il la
traversa,sortitàl’arrièreduchâteauoùiltrouvaenfinuncointranquilleprèsdesbainscommuns.—Quelquechosevoustrouble,laird?risquaTaliesand’unevoixchevrotante.— Oui, dit-il sans détour. J’ai besoin de renseignements, Taliesan, et j’exige que tu te montres
honnêteavecmoi.Ellepâlit,maishochavigoureusementlatête.—Biensûr,laird.Jenemensjamais.Cen’estpasdansmanature.—Sais-tusiGenevievea,d’unemanièreoud’uneautre,cherchéàpersuaderIand’enleverEveline
Montgomery?
LesangdésertalevisagedeTaliesan;onl’auraitcrueauxportesdelamort.Ladétressedanssonregardétaitpluséloquentequelesmotsqu’elleneparvenaitpasàprononcer.
Toutétaitlà,sursonvisage.Et,parlediable,cen’étaitpascequ’ilavaitenvied’apprendre.—Taliesan?insista-t-il.Ildevait–voulait–toutsavoir.Pasdeviner.Nispéculer.—Nemefaitespasdirecequejesais,l’implora-t-elle.JeneveuxpastrahirGenevieve.—Danscecas,c’estmoietsurtoutEvelineque tu trahirais, rétorqua-t-il.Unefemmeinnocenteet
sansdéfensequin’ajamaisfaitdemalàpersonne.—Ellen’estpaslaseuleàavoirsouffert!s’écriaTaliesan.Bowenricana.—Non,eneffet.Maisellen’estpasnonplus responsabledessouffrancesd’uneautre.Genevieve
peut-elleendireautant?Lepeut-elle,Taliesan?Tuasditquetunementaisjamais.Alors,dislavérité.Quesais-tu?
Des larmes brillèrent dans ses yeux et il s’en voulut de la pousser ainsi dans ses retranchements.Maisilluifallaitsavoirs’ilpouvaitavoirconfianceenGenevieve.Sielleavaitfaitdutortàsabelle-sœur,Graemenel’accepteraitjamaisauseindeleurclan.
—Jel’aientenduedireàIanqu’ilnedevraitpasaccepterunetellehumiliationdelapartd’Eveline,murmuraTaliesan,leslarmesruisselantàprésentsursesjoues.Elleluiaditqueseulunidiotetunfaiblenechercheraitpasàsevenger.
Bowenserralesdents.LagarceavaitdirigélacolèredeIanMcHughsurEveline.Elleétaitbeletbienàl’originedelacaptured’Eveline.Ilneleluipardonneraitjamais.
EtGraemenonplus.IltournalestalonsmaislasuppliquedeTaliesanl’arrêta.—Jevousenprie,laird,nelapunissezpas.Ellel’adéjàétésuffisamment.Bowendemeuraunlongmomentimmobile,ledostourné.PuisilfitfaceàTaliesan.—Oùest-elle?Lapaniquecrispalestraitsdelajeunefille.—Neluifaitespasdemal!cria-t-elle,puis,esquissantunpasversluicommepourlemenacer,elle
ajoutaaveccolère:Vousnevalezpasmieuxqueluisivousabusezd’elle.Bowencilla, surprispar savéhémence.Puis il se rembrunit devant l’insultequivenait de lui être
faite.—Tucroisquej’abuseraisd’elle?Taliesanrougit,maissonregardétincelaittoujours.—Jenesaisquecroire,laird.Vousêtesfurieux.Vouspensezqu’onvousacauséungrandtortàvous
et à vos proches.Mais je vous souhaite de ne jamais connaître le tort qui a été causé à GenevieveMcInnis.
Bowenlaissaéchapperunlongsoupir.—Jen’aipasàm’expliquerdevanttoinidevantquiconque.Jesuistonlaird.Néanmoins,situcrois
que j’abuserais d’elle ou de n’importe quelle autre fille, tu te trompes lourdement. Je n’apprécie pasl’insulte,Taliesan.Jeneletoléreraiplusdetapart.
Seslèvressemirentàtrembleretleslarmesroulèrentdenouveausursesjoues.—Quediablesepasse-t-ilici?Bowenseretourna.Brodiesedirigeaitverseuxàgrandesenjambées,levisagefermé.—Taliesanetmoivenonsdenousmettred’accord surcertaineschoses, répliquaBowend’un ton
modéré.—Danscecas,pourquoipleure-t-elle?
BrodiesemblaitsihorrifiéqueBowenenfutpresqueamusé.—Parcequec’estunebruteetqu’ilm’effraie,lâchaTaliesan.EtilvafairedumalàGenevieve.Je
lesais.Jenecroisplusauxpromessesetauxbellesparoles.Ianétaittrèsdouépourcela.Dejolismotsprononcéspardeshommesavecunbeauvisage.Non,merci.
Elle frémit si violemment queBowen etBrodie la fixèrent d’un regard stupéfait.Un sentiment demalaiseétreignitBowenet,àenjugerparlatêtedeBrodie,lamêmepenséeavaitdûletraverser.
—Qu’est-cequ’ilt’afait,petite?demandaBowenavecdouceur.Elletressaillitcommes’ilvenaitdelagifler.Ilétaitclairqu’ellenes’attendaitpasàcettequestion,
etqu’ellesemblaitincapabled’yrépondre.—R…rien,bafouilla-t-elle.—Tuasditquetunemensjamais,luirappela-t-il.—Cesalaudt’afaitquelquechose?rugitBrodie.Taliesanserecroquevilla.Bowennepouvaitleluireprocher.Ilsdevaientluiapparaîtresiimposants.
Unseuld’entreeuxauraitintimidén’importequi.Alorslesdeuxensemble…—Rienquejenepuissesupporter,répondit-elled’untonhautain.Cette force de caractère impressionna Bowen qui ne l’en admira que davantage. Cette fille avait
décidément du cran. Il ne pouvait s’empêcher de respecter la loyauté dont elle faisait preuve enversGenevieve,mêmes’iln’étaitplusaussicertainqu’ellefûtméritée.
—OùestGenevieve?s’enquit-il,lesyeuxrivéssurTaliesan.Illafixasanscillerjusqu’àcequ’ellecommenceàs’agiter,malàl’aisesoussonregard.—Ellen’aimepassebaigneraveclesautresfemmes.Ellesn’arrêtentpasdesemoquerd’elle.Elle
préfèreselaverseule,danslarivièrederrièrelesbains.QuandIanétaitvivant,ilobligeaitseshommesàl’accompagner,etilspouvaientlacontemplertoutleursoûl.Parfois,ellerestaitdesjourssansselaver,carellenelesupportaitpas.
Bowen éprouva une pointe de compassion pour Genevieve, quand bien même c’était la dernièrechose qu’il pouvait se permettre. Il en ignorait encore beaucoup trop à son sujet. Le peu qu’il savaitsemblaitn’avoiraucunsens,etplusilenapprenait,plusilétaitintrigué.
—EmmèneTaliesandéjeuner,ordonna-t-ilàBrodie.JedoisparleràGenevieve.—Jevousensupplie,laird,insistalajeunefille.Ayezpitiéd’elle.Elleestsifragilequ’ellepourrait
sebrisercommeunebrindille.Jenesaispascommentellearéussiàteniraussilongtemps.—Jeferaidemonmieux,Taliesan,maissachequesielleatrahilesmiens,ilfaudraqu’elleenpaie
lesconséquences.Taliesan se décomposa et détourna les yeux en se tordant lesmains. Brodie lui prit le bras, puis
l’escortajusqu’auchâteau.Bowensedirigeaalorsverslarivièrequiserpentaitau-delàdesmurailles.C’étaitaudacieuxdela
partd’unefemmedes’aventurerhorsdeleurenceinteprotectricepours’ybaigner.N’importequiauraitpulasurprendre,abuserd’ellesurplaceoumêmel’enleversansquequiconqueentendequoiquecesoit.
Celadit,sielleétaitenpermanencesurveilléeparleshommesdeIan,ilcomprenaitqu’ellechercheunpeud’intimité.Ils’immobilisa,sesentantsoudaincoupableàl’idéedeladéranger.Ilpouvaittoutdemêmeattendrequ’elleaitfini,non?
Puis il se remit en route, irrité à l’idée de laisser cette fille lui dicter sa conduite. C’était unemanipulatriceetiln’avaitpasl’intentiondeselaisserabuserparsonregardtriste.
Ilavaitbeausavoiràquois’attendre,quandilatteignitlehautdutalusquidominaitlarivière,ilfutsaisiparlavisionquis’offraitàlui.
Munie d’une jarre en terre, Genevieve se rinçait les cheveux, et, Seigneur, c’était une véritabledéesse!
Elle semblait yprendreun tel plaisir, ses lèvrespleines esquissant un sourire tandisque le soleililluminaitsonprofiletlescourbessuperbesdesoncorps.
Petiteetdélicate,ellepossédaitunetailled’unefinesseexquise,desfessesrebondies,deshanchesrondes,etsesseins…UneondedechaleurserépanditdansleventredeBowenetsonsouffles’altéra.Sesmainsledémangeaient,ilrêvaitdelatoucher,decaressersapeausilisse,de…
Àl’instantoùelletournalatête,révélantsajoueravagée,ilsepétrifia,prisderemords.Ilnevalaitpasmieuxqu’unIanMcHughàlacontemplerd’unregardbrûlantdedésir.Ànevoiren
elleque le réceptaclede sonpropreplaisir.C’était seconduire sanshonneurquede l’espionnerainsidanssonintimité.
Maisavantqu’ilpuissebattreenretraite,etcommesielleavaitsentisonregardsursoncorps,ellelevalesyeux.Elleétaitsurprise,detouteévidence,maisellenebougeapas.Peut-êtrecomprenait-ellel’inutilitédecouvrircequiétaittellementexposéauxregards.
Ilsentitlerougeluimonterauxjoues.Ilavaithontedecontinueràlafixerainsialorsmêmequ’elleavaitdécouvertsaprésence.Etpourtant,ilnepouvaits’empêcherdeladévorerdesyeux.Oui,sonvisageétaitirrémédiablementmarqué,maiscelan’avaitaucuneimportance.Sabeautén’ensouffraitnullement.
Oupeut-êtreétait-ceenraisonducourageetducalmedontelle faisaitpreuve.Cette façonqu’elleavaitdel’affrontersanscilleretsansjouerlesinnocenteseffarouchées.Ellelefascinait,etc’étaitfortennuyeuxvulesdoutesqu’ilavaitàsonsujet.
Ilavait l’habitudequelesfemmess’intéressentàluietn’avaitaucunmalàlesignorerlorsquedesaffairesplussérieusesseprésentaient.Maisilappréciaitleplaisirquepouvaitluioffrirunefilleardenteetconsentanteetn’avaitjamaiseuàs’enpriver.
MaisGenevieveétaitdifférente:iln’yavaitnidésirnilamoindrelueurprovocantedanssesyeux.Ellenejouaitnilestimidesnilesaguicheuses.
Ellesecontentaitdelefixer,bravache,commesiellenevoulaitpasêtrelapremièreàdétournerleregard.Commesiellesepréparaitàcequiallaitsuivre–quoiquecefût.Commesielles’attendaitqueluiaussiluiinfligedouleurethumiliation.
Ce qui rendait la raison de sa présence ici encore plus désagréable et ne fit qu’accroître saculpabilité.Jusqu’àcetinstant,ilnes’étaitpasrenducomptequ’ilvoulaitsetromperàsonsujet…
Finalement,ildescenditverselle,brisantlatensionentreeux.Ellesetenaitdeboutdansl’eaujusqu’àmi-hanchesetdevaitavoirfroid,devina-t-il.
Ilavaitbeaus’efforcerdenepaslaissersonregardvagabonder,celui-ciétaitinexorablementattirévers ses seins, son ventre plat, les boucles sombres de sa féminité à peine visible sous la surface del’eau.
Jésus,ilentranspiraitmalgrélafraîcheurdecettebellematinée.Soncorps était parfait, et idéalement taillépour lesmainsd’unhomme.Ses seins étaientopulents
maispastrop.Justeassezpourluiemplirlespaumes…Quantàsesfesses,ilimaginaitdéjàcommentillespétriraittandisqu’ils’enfonceraitenelle.
Alorsqu’ilapprochaitdelarive,elles’accroupitdansl’eau,leregardcraintif.—Jedoisvousparler,Genevieve,dit-ild’unevoixplusgravequ’ilnel’auraitvoulu.—Jepréféreraisattendred’êtreunpeuplusdécente,répliqua-t-elleavecunagacementquiredonna
espoiràBowen.Ilpréférait,deloin,avoiraffaireàuneGenevieveirritéeplutôtqu’àuneGenevieveeffrayée.—Jevaismeretournerafinquevouspuissiezsortirdel’eau,quidoitêtreglaciale.Cettepropositionn’étantpasaussitôtsuivied’effet,ellefronçalessourcilsetluifitsigned’ungeste
circulairedejoindrelegesteàlaparole.Réprimantunsourirequilesurpritlui-même,ilpivotasursestalonsetcontemplalechâteauquise
dressaitau-dessusd’eux.
Bonsang, iln’avaitaucuneenviedese radoucir.Niqu’elle le fassesourire–ouquoiquecesoitd’autre.Maisilpouvaitdiretoutcequ’ilvoulait,quelquechosechezcettefemmel’ensorcelait.
Soncorpsetsonespritétaientendésaccordàcesujet,etsoncorpsmenaçaitderemporterlabataillerapidement.
Depetitsbruitsd’éclaboussuresluiparvinrentetunfrissonremontalelongdesacolonnevertébraletandisqu’ilimaginaitGenevieveseredressantdanslarivière.Lesgouttesruisselantsursoncorpsmince,lespointesdurciesde ses seins,et l’eauquiclapotaitentre sescuisses, léchantceschairsqu’il auraitaiméexplorer.
Unjuronluimontaauxlèvres.C’étaitabsurde.Ilseconduisaitcommeungaminquin’ajamaisvudefemmenue.
—Vouspouvezvousretourner.LavoixdeGenevieveétaitbasseetdouce,etilfitvolte-face,impatientdelacontemplerdenouveau.Elle s’était enveloppée dans une couverture qui la dissimulait entièrement. Seul son visage était
visible.Elleavaitarrangésescheveuxtrempésdemanièrequ’ilscachentsacicatrice.Il aurait voulu lui dire que c’était inutile, que sa cicatrice ne diminuait en rien l’attrait qu’elle
exerçait sur lui. Ian s’était lourdement trompé en croyant que lui taillader la joue la rendrait moinsdésirable.C’étaitvraimentunimbécile.
Bowenserralespoingsensongeantàcethommeluiinfligeantunepareilleblessure.Sonsilenceseprolongeant,elleseraclalagorge,malàl’aise.—Laird?Vousvouliezmeparler?Il expira longuement tandisqu’elle s’asseyait sur l’undesgros rochersquibordaient la rivière en
resserrantlacouvertureautourd’elle.Ilauraitdûluipermettredeserhabilleretderentrerauchâteau,maisilnevoulaitpasquequiconque
surprenneleurconversation.Ilpréféras’asseoirenfaced’elleplutôtquedecontinueràladominerainsidetoutesahauteur.—J’aiunequestionàvousposeretjevoudraisuneréponsehonnête,dit-ilàbrûle-pourpoint.L’insulteimpliciteluifitpincerleslèvres,maisellegardalesilence,etsecontentad’acquiescer.—Avez-vousjouéunrôlequelconquedansl’enlèvementd’EvelineMontgomery?Ellesefigea.Sepétrifiaplutôt.Samâchoiresecrispa,etlapeur,immondeetsombre,s’insinuadans
son regard.Elleagrippaitavecune telle force lacouverturedrapéesurellequesesphalangesavaientblanchi.Elleétaitblême.
Décidément,cettefilleneferaitpasunbonguerrier,songea-t-ilpourlasecondefois.Ellenesavaitpasdéguisersesréactions,nisesémotions.
Malgrétousseseffortspourmaîtrisersacolère,celle-ciseglissaenlui,sedéploya,jusqu’àceque,n’ytenantplus,ilselève.
Aussitôt,Genevieveserecroquevillasurelle-même,etilyavaitunetelledésolationdanssonregardqu’ungrandfroidenvahitBowen.
—Dites-moiquevousn’avezpasfaitcela,murmura-t-il.—Jenepeuxpas,dit-elled’unevoixenrouée.—DouxJésus,maispourquoi?tonna-t-il.Commentavez-vouspufaireunechosepareille,sachant
quellesorted’hommeétaitIanMcHugh?Ils’approchad’elled’unedémarcheplusmenaçantequ’ilnel’auraitvoulu.—Genevieve?J’attendsuneréponse.Lesyeux écarquillés, elle semblait anéantie.Elle ouvrit la bouche,mais rien, pas lemoindre son,
n’ensortit.C’estalorsque lescriséclatèrent.Tousdeuxse tournèrentvers lechâteaud’unmêmemouvement,
essayantdedevinercequ’ilsepassait.Soudain,unappelretentit,glaçantlesangdeBowen.
14
IlattrapaGenevieveparlebras,laforçaàselever.—Vite!dit-ilens’élançantendirectionduchâteau.Dépêchons-nous.Piedsnus,uniquementvêtuedesacouverture,Genevievetitubaàsasuitesurlesolrocailleux.Ilscoururentjusqu’àlaportedansl’enceintequ’ilsfranchirentsansralentirl’allure.—Allezvouscacherdansvotrechambre,ordonna-t-il.Illapoussaendirectiondelatouravantdes’éloigneraupasdecourseendégainantsonépée.Danslacour,c’étaitlechaos.LesMcHughsemblaientdéconcertés,tandisquecequirestaitdesguerriersdesclansMontgomeryet
Armstrongsepréparaitaucombat.RepérantBrodie,ill’appela.Celui-ciseretourna,puislerejoignitd’unpasdécidé.—Quesepasse-t-il?Quiadonnél’ordredeprendrelesarmes?—C’estmoi,réponditBrodie,levisagefermé,leregarddur.CescrétinsdeMcHughétaientprêtsà
souhaiterlabienvenueàleurlaird.Maisilnevientpaspoursefaireacclamer.—PatrickMcHughs’apprêteànousattaquer?demandaBowen,incrédule,maispasmécontent.Voilà
quinousépargneralapeinedeletraquer.—Iln’estpasseul,précisaBrodie.Ilatrouvédesalliés:lesMcGrieve.Ilschevauchentcôteàcôte
etontleurarméeaveceux.Bowenlâchaunjuron.—Combiensont-ils?—Jel’ignore.Ilssontàunquartd’heuredechevald’ici.LeséclaireursMcHughlesontrepéréset
sontvenusannoncer,toutguillerets,leretourdeleurlaird.J’aidûdireàcesimbécilesdeseprépareràsebattre.
Bowenserralesdents.—Répète-leurqueMcHughrevientpourcombattrelessiens.Rappelle-leurcequ’illeuravoléetle
déshonneurqu’ilaapportésurleurnom.Dis-leurquesatêteestmiseàprix,etquequiconques’allieàluin’estpasseulementunennemidesMontgomeryetdesArmstrong,maisaussidelaCouronne.Essaiederepérerlestraîtresenpuissanceetsurveilletesarrières,monami.
Brodieluiserralebrasàlamanièredesguerriers.—Toiaussi,dit-il.Bowenhurlaàseshommesdesetenirprêtsavantd’appelerlavigie:—Tulesvois?—Oui,laird!Ilsfranchissentlesommetdelacollineaunord.Bowenseretourna,branditsonépéeenfixantlessoldatsrassemblés.—Pasdequartier!
—Pasdequartier!rugirent-ilsenretour.
Genevieve enfila à toute vitesse la première robe qui lui tomba sous lamain sans se soucier dechercherdessous-vêtements.Elletremblaitdetoussesmembres.
—Genevieve,onnousattaque!LecriaffolédeTaliesanluiarrachaunsursaut.Ellefitvolte-face,trébuchantsursarobepasencore
fermée.—Oui,jesais,dit-elleàlajeunefilleenluiprésentantsondos.Aide-moi.Les doigts tremblants, Taliesan noua tant bien que mal les cordons. Dès qu’elle eut terminé,
Genevieve courut vers le petit coffre posé près du lit, où elle conservait les quelques affairespersonnellesqu’elleavaitréussiàsauver.Iansemoquaitdescadeauxoffertsparsesparents,etlaplupartavaientdisparu,maisellechérissaitceuxqui lui restaient. Ilprenaitbeaucoupdeplaisiràbriserouàdétruirecequ’elleaimaitpourlapunir.
Ellesouleva lecouvercleets’emparade l’arcetdes flèchesquesonpèreavait fait fabriquer toutspécialementpourelle.EllecalalecarquoissursonépaulesousleregardébahideTaliesan.
—Oùvas-tu?Queveux-tufaire?Genevievelaregardadroitdanslesyeux.—Écoute-moi.Réfugie-toidansl’unedeschambresdelatour.Choisis-enunequin’apasdefenêtre
etbloquelaporte.Prendslemaximumdefemmesetd’enfantsavectoi.Etn’ouvreàpersonnequetuneconnaispas.
—Ettoi?s’enquitTaliesan,affolée.Quevas-tufaire,Genevieve?—Onnem’emprisonneraplusjamais.Sic’estPatrickquinousattaque,jevaisaiderlesMontgomery
à défendre le château ou je mourrai en essayant. Je ne serai plus jamais soumise aux caprices d’unMcHugh.
—Faisattentionàtoi,Genevieve,jet’ensupplie.Nefaispasdebêtises.—TuerquelquesMcHughn’ariend’unebêtise.—QueDieusoitavectoi,murmuraTaliesanenserrantGenevievedanssesbras.—Etavectoi,réponditcelle-cienluirendantsonétreinte.Àprésent,vavitetemettreàl’abridans
latour.Surce,ellecontournaTaliesanetdévalal’escaliermenantàlagrandesalle.Déjà,elleentendaitle
fracasdelabataillequifaisaitragedehors.Leschocsdesépéesetdesboucliers.Lesrugissementsderageetlescrisdedouleur.
Lorsqu’ellefranchitlaporte,l’odeurl’assaillitdepleinfouet:celledelasueuretdusang.Leplusgrandchaosrégnaitdanslacoursibienqu’ilétaitdifficiledesavoirquicombattaitqui.Elle
cherchadesyeux lesguerriersMontgomeryetArmstrongqui étaientbeaucoupmoinsnombreuxque laveille.
Encouardqu’ilétait,Patrickavaitdûfairesurveillerlechâteaupourl’attaqueraumomentoùlegrosdestroupesl’avaitquitté.
Sonregards’arrêtasurBowen,quisebattaitavecfureurcontredeuxdesMcHughquiavaientsuiviPatrick.Ilnesemblaitpasendifficultéetn’avaitnullementbesoindesonaide.
Ellecontinuaàscruterlamassehurlanteetfrénétique,ycherchantPatrick.Ellenes’attendaitpasàlevoir à la tête de ses hommes.Non, tel qu’elle le connaissait, il devait attendre à l’écart, évitant touteconfrontation.
Elle finitpar le trouveret,commeelle lesoupçonnait, il rôdaità la lisièrede lacour, l’épéeà lamain,deuxdesesplussolidesguerrierssetenantdevantlui.
Laragelasaisit.Cethommen’avaitpeut-êtrepasprisunepartactiveàsestourments,maisilavaitlaissé faire Ian.Pasuneseule fois, ilne l’avait réprimandé. Jamais ilne luiavaitditquesesactes ledéshonoraient.
Iln’avaitpasbronchépendantquesonfilsabusaitd’elledefaçonrépétée.Sortantuneflèchedesoncarquois,ellebandasonarc.Elleallaitdevoirfairevite.Dèsqu’ilsentirait
ledanger,Patricks’enfuiraitcommeunratquicourtseterrerdansl’ombre.Ellelâchasapremièreflèche.Unplaisirsauvagel’envahitquandcelle-cisefichajusteau-dessusde
lacottedemaillesdel’undesguerriersquiprotégeaientPatrick,auseulendroitoùilétaitvulnérable.Patrick lança un regard affolé autour de lui, cherchant l’origine de cette attaque. Déjà, il s’était
recroquevilléderrièresonbouclierenhurlantqu’onvienneàsonsecours.Unsourireféroceauxlèvres,Genevievepritunesecondeflèche,visa,etattendit.Concentréesursacible,elleétaitennage,lasueurruisselaitsursonfrontetdanssondos.Sesbras
étaientdouloureux,maiselleétaitprêteàattendrejusqu’àlafindestempss’illefallait.Lavengeanceavaitungoûtsuave.Ellen’éprouvaitpaslemoindreremordsàl’idéedetuerànouveau
desang-froid.C’étaitcequ’elleavaitfaitsisouventenrêveetcelaluiavaitpermisdesurvivredurantcesinterminablesmois.
Sonbrascommençaità tremblerquandPatricksedécidaenfinàbouger. Ilavaitde touteévidencedécidéquesapositionétaittropvulnérable.Ilseredressa,sonbouclierprotégeantlapartiesupérieuredesoncorps,ets’enfuitversl’arrièreduchâteauoùlescombatsétaientmoinsviolents.
Calmement,Genevievevisalajambe.Elle lâcha sa flèche, et sa patience fut récompensée. Touché à la cheville, Parick tituba avant de
s’effondrer à genoux en hurlant de douleur. Il ne pouvait plusmarcher.Elle s’empara d’une troisièmeflèchesansjamaisquittersacibleduregard,bandasonarcetattenditdenouveau.Commeellel’espérait,ilbaissasonbouclier.Justeassez…
Elletira.Laflèchelefrappaàlabaseducou,letraversantdepartenpart.Lesyeuxdéjàvitreux,ils’écroula
surleflanc.Elledemeuraun longmoment immobile, sonarcbrandi, contemplant lecorpsque laviedésertait.
Puis,lentement,elleabaissasonarme.Uncalmebienfaisants’emparad’elle.C’était fait. Elle n’avait peut-être pas donné le coup de grâce à Ian, mais elle avait assouvi sa
vengeancesursonpoltrondepère.Etelleneressentaitpaslemoindreremords.Lefracasducombatenvahitpeuàpeusaconscience,etelleseretourna,s’efforçantdevoircequ’il
advenaitdesMontgomeryetdesArmstrong.Àlatêtedequelquesguerriers,Brodiesefrayaituncheminsanglantàtraversunemeuted’ennemis.
Aucunnesemblaitenmesuredel’arrêter.Ellefouilladuregard lacourà la recherchedeBowen.Soncœurmanquaunbattementquandelle
l’aperçut au loin, engagé dans un duel féroce avec un immense guerrier qui ne pouvait être qu’unMcGrieve,carelleneleconnaissaitpas.
Mais aussi monstrueux fût-il, ce n’était pas lui qui l’inquiétait mais le McHugh qui se trouvaitderrièreBowen.Iln’étaitpasdeceuxquis’étaientenfuisavecPatrick.Non,ilétaitrestéetavaitmêmeprêtésermentd’allégeance.
Untraître.Qui,dagueà lamain, s’approchait sournoisementdeBowen.Etun lâche,prêtà l’assassinerde la
façonlaplusimmonde.L’hommeétaitloin.Ellen’étaitpascertainedepouvoirl’atteindreavecuneabsolueprécision.Mais
ellen’avaitpaslechoix.
Toutens’emparantd’unenouvelle flèche,elles’élançaencourantpour réduire ladistancequi lesséparait,priantleCielqu’elleparvienneàtireràtempspoursauverBowen.
15
Ignorantladouleurquiirradiaitdanssonflancetsonépaule,Bowenattaquaavecplusdesauvagerieencore.CeMcGrieveétaitcoriace,leplusdangereuxqu’ilaitaffrontéjusqu’àprésent,etilnemontraitpaslemoindresignedefaiblesse.Bowenétaitconscientqu’illuifallaitenfinirauplusvitepournepasaffaiblirsesréserves:ilavaitdéjàperdubeaucoupdesang.
Leurs épées sifflaient et cognaient, le soleil rebondissant sur les lames dans une danse frénétique.Bowenparvintà lefairereculer,mais l’autre,beaucouppluspuissantetcommeprisdefolie,semitàdécriredesmoulinetsrageursenrugissantcommeundamné.
Bowendutbattreenretraite,maispasavantdeluiavoirtranchélebiceps.Lesangjaillitetl’autres’immobilisauninstant,avantdereculerprudemment.Bowens’apprêtaitàrepartiràl’attaquequandunmouvementattirasonregard.Levantlesyeux,ildécouvrit,unpeuenretraitdesonadversaire,Genevievequibrandissaitun…arc,partouslessaints,dontlaflècheétaitpointéedroitsurlui!
Avantqu’ilpuisseréagir,ellelalâcha.Unrugissementrageurdevantcettetrahisonjaillitdesagorgetandisquelaflècheluifrôlaitl’épaule.Uncriretentitderrièrelui.
Necomprenantpascequ’ilvenaitdesepasser,ildutparerl’attaqueduMcGrieve.Cequ’ilfitensedésaxant,déterminéàporterlecoupdegrâce.
Iln’eneutpas le temps.Avantqu’ilpuisse frapper,Genevieveavaitdécochéunenouvelle flèche.Celle-ci toucha le géant à la nuque avec une violence effroyable, traversant le cou pour émerger à laplacedelapommed’Adamdansungeyserdesang.
UnétrangebruitdesuccionéchappaauMcGrievejusteavantqu’ilheurte lesol telunarbrequ’onabat.
BowenseretournaaussitôtpourdécouvrirunMcHugh–undeceuxquin’avaientpasaccompagnéPatrickdanssafuite–unpoignardàlamainqu’ilavaitclairementl’intentiondeluiplanterdansledos.
La flèchedeGenevieve l’avait frappéenplein front,uneciblepour lemoinsdifficile à atteindre.Pourtant,ellevenaitd’effectuerdeuxtirsmortelsenmoinsd’uneseconde.
Letraîtresemblaitcommefigéenpleinmouvement, lesyeuxvitreux.Bowenlecontempla,fasciné,tandisquelaviel’abandonnaitlentement:ilcommençaparlâchersonarmeavantdes’écrouler.
LaterretremblasouslespiedsdeBowenetilchancela.Latêteluitournait.Etsoudain,Genevievefutàsoncôté,appelantàl’aide.
Elleglissal’épaulesoussonaisselle,tentantvaillammentdelesoutenir.Bonsang,ilavaitdûperdreplusdesangqu’ilnelepensait!
Il faillit les faire tomber tous les deux, mais l’obstination de Genevieve triompha. Il l’entenditproférer quelques jurons bien sentis et sourit devant son langage coloré. Elle parlait comme uncharretier…ouunvraichevalier.
—Venezaidervotrelaird!s’époumona-t-elle,savoixrésonnantàtraverslacour.
Enplus, elle savait donner des ordres.Elle n’aurait aucunmal àmener des troupes au combat. Ilfallaitêtreidiotpourcontredireunefemmequicriaitainsi.
—NomdeDieu,Bowen,tut’esséparédenousettut’esdébrouillépourtefaireblesser.Brodiesemblaittoutproche,maisBowenn’avaitpaslaforcedeleverlatêtepourvoiroùilétait.—Lafillem’asecouru,déclara-t-ild’unevoixfaible,songeantques’ildevaitmourir,ondevraitau
moinsattribueràGenevievelemérited’avoirprolongésaviedequelquesminutes.—Vousnemourrezpas,aboya-t-elle.Cen’estqu’uneégratignure.—Etmaintenant,ellesemoquedemadouleur,marmonnaBowen.LevisagedeBrodieapparutdevantsesyeux,etilsemblaitinquiet.—Tunesaispluscequetudis.Tubafouillescommeunivrogne.Ettusaignescommeunporc.—Vraiment?Ilbaissalesyeuxetdécouvritnonsanssurprisequeledevantdesatuniqueétaittrempédesang.Puis
ilserralesmâchoirespourluttercontreladouleur.—Ilfautfinirletravail,dit-ilententantdeseredresser,etchasserlesMcHughjusqu’audernier.— Ils battent en retraite, le rassura Brodie. Nous avons subi très peu de pertes. Dès qu’ils ont
compris quenous étionsprêts à les recevoir, etmalgré leur supériorité numérique, lesMcHugh et lesMcGrieveontdétalé.Noshommessontentraindelespoursuivre.
Ce compte rendu apaisaBowen.Lemonde tournait à toute allure soudain, et il redouta de perdreconscienceavantd’avoirposélaseulequestionquienvalaitlapeine.
—Patrick?demanda-t-ild’unevoixrauque.Qu’enest-ildePatrick?Avantquelaréponsearrive,sesgenouxcédèrentetilentenditlecrideGenevieve.Puislesténèbres
l’engloutirent.
Genevieve voulut le retenirmais il était bien trop lourd.Réagissant promptement,Brodie agrippaBowenavantqu’ilnes’écroule.
— Emmenez-le dans sa chambre, ordonna Genevieve. Postez un homme devant sa porte enpermanence.Ilyadestraîtresparminous.UnMcHughquiluiavaitprêtéallégeanceatentédeletuer.
Brodielafixa,lesyeuxétrécis.—Allez ! reprit-elle. Il perd son sang. Il faut le soigner. Je dois envoyer quelqu’un prévenir son
frère. Nous étions déjà dans une situation périlleuse, mais maintenant qu’il est blessé, nous sommesencoreplusaffaiblis.
Brodiehochalatêteavecraideur.Ilétaitévidentqu’iln’appréciaitpasd’obéiràunefemme,maissesordresétaientlogiques,ellelesavait.Enoutre,ilnepouvaitsepermettredediscuteravecellealorsqueBowensevidaitdesonsang.
Hissantsoncompagnonsursonépauleauprixd’unbeleffort,Brodiechancelalégèrementavantderetrouver son équilibre et de se diriger vers le château.Genevieve examina la cour d’un airméfiant,s’assurantquetoutemenaceavaitdisparu,puisellesedirigeaversundessoldatsMontgomery,unhommeplusâgéquelesautresdontellesavaitqu’ilavaitlaconfiancedeBowenetdeTeague.
—Messire,luidemanda-t-elle,commentvousappelle-t-on?Lerobustesoldatlaconsidéraavecperplexité,sansdouteàcausedel’arcetducarquois.—Onm’appelleAdwen,répondit-ild’unairbourru.—IlvousfautintercepterentoutehâteTeagueMontgomery.Sivousnelerattrapezpasavantqu’ilait
atteintlesterresdesMontgomery,allezjusqu’aufiefexpliqueràTeagueetàGraemecequ’ilvientdesepasser ici.Nous sommes sous lamenace d’une nouvelle attaque desMcGrieve qui se sont alliés auxMcHugh renégats.Vous pouvez aussi leur annoncer lamort de PatrickMcHugh, ajouta-t-elle d’un ton
neutre.Nousavonsautantbesoinde renfortsquedevivresetdematériel.Bowenaétéblesséetnousignoronsdansquelétatilest.FaitesunrapportcompletauxMontgomery.
Adwenfitsigneàdeuxautressoldatsdelerejoindre.PuisilsetournadenouveauversGenevieveaveccequiressemblaitàdurespectdansleregard.
Elleserenditalorscomptequ’elleneportaitpassacape.Danssondésirdesejoindreauplusviteaucombat,ellenes’enétaitpassouciée.Ellen’avaitaucunmoyendedissimulersacicatrice.
Elle se détourna vivement, présentant son bon profil, tandis qu’une rougeur gênante luimontait auvisage. Ellemourait d’envie de toucher la chair durcie et gonflée de sa cicatrice,mais elle serra lespoings,sel’interdisant.
Ellesemoquaitdecequecesguerrierspensaientd’elle.Ellenevoulaitplusd’hommedanssaviedetoutefaçon.Quelleimportancesiaucunneladésiraitninelaregardaitavecbienveillance?
—Jeparssur-le-champ,madame,ditAdwen.Jeferaimonrapportcommevousmel’avezdemandé.—QueDieusoitavecvous,dit-elle.Il inclina la tête, puis, tournant abruptement les talons, aboya un ordre aux deux autres. Ils étaient
couvertsdesangetsansdouteépuisés,maisaucunneprotesta,ninerechignaàaccomplirsondevoir,etGenevieveleurensutgré.Aucund’euxn’avaitmissaparoleendoute.
PresséedesavoircommentallaitBowen,ellecourutverslechâteau.Lesangl’inquiétait,maiselleignoraitoù,exactement,ilavaitététouché.
Ellepassad’aborddanssachambrepourydéposersonarcetsesflèches.Lecoffrerefermé,elleseredressaetfutprisedevertige.
Fermantlesyeuxuninstant,ellelaissapasserlechocinévitable.Ellen’avaiteunil’envieniletempsde regretter ses actes. Maintenant, elle voulait bien permettre à Patrick McHugh de s’imposer unedernière fois à elle. Il était mort. Il ne représentait plus une menace. Elle avait enfin assouvi savengeance.
EllerouvritsubitementlesyeuxenserappelantqueTaliesanétaitenferméedanslatour,sansdouteterrifiéecarelleignoraitl’issuedelabataille.
Seforçantàrespirerprofondément,ellesortitdesachambreetcourutjusqu’àl’unedeschambresoùTaliesanavaitdûseréfugier.Ellecognaàlaporteensefaisantconnaître.Quelquessecondesplustard,lebattants’entrouvrit,puiss’ouvritengrand.
—Genevieve!s’écriaTaliesanenlaprenantdanssesbras.Derrièreelle,desfemmesetdesenfantsétaiententassésdanslaminusculepièce.Elleétaitsurprise
qu’autantdemondeaitpuytrouverrefuge.Toussemblaientterrifiés.Malgréelle,Genevieveneputs’empêcherd’éprouverdelapeinepourcesfemmesetcesenfantssi
visiblementterrorisés.Leursexistencesavaientétécomplètementbouleverséesàcausedelaconduitedeleurlaird.
Elleauraitvoulunerienressentircartousavaientprispartàsonmalheuretàsonhumiliation.Ilsneméritaientpasqu’elles’apitoiesurleursort,etpourtantelleneparvenaitpasàleurtournerledos.
—Ques’est-ilpassé?demandaTaliesanens’écartant.Sommes-nousensécurité?Les autres écoutaient avec attention. Pour une fois, il n’y avait pas de regards désobligeants, pas
d’insultesvoilées.Toutescesfemmessemblaientsi…vulnérables.Unsentimentquiluiétaittellementfamilier.—Patrickaattaquélechâteauavecl’aidedesMcGrieve.Desexclamationsétoufféesaccueillirentsonannonce.—Ilvoulaitnoustuer?demandaunedesfemmes.Elleétaitencolère,etGenevievenetardapasàserendrecomptequ’ellen’étaitpaslaseule.—Ilnesesoucienidesmembresdesonclannidesondevoirde laird,répondit-elle.Mais ilest
difficile de savoir ce qui se passe dans la tête d’un lâche. Il est mort, ajouta-t-elle, toujours sans la
moindreémotion.Ilnenousmenaceraplus,maisj’aifaitprévenirlesMontgomery,carnousavonsperdudeshommes,etnousauronsbeaucoupdemalàrepousseruneautreattaque.Maintenantquelelairdestmort,lesMcGrievepourraientvouloirannexerlesterresdesMcHugh.Etilsrisquentfortdesetrouverdesalliés.
Descrisdedétresseretentirent.— Tu as bien fait, Genevieve, murmura Taliesan en lui pressant la main entre les siennes. Je te
remerciedeveillerainsisurnosintérêts.Aucunedesautres femmesn’alla jusqu’àexprimer sagratitude.Etplusieurs l’observaient toujours
avecconsternation.—Oùestcenouveaulairdquiprétendaitnousprotéger?lançal’uned’elles,soupçonneuse.—Ilestblesséetsetrouvedanssachambre.Sousbonnegarde.UndesMcHughquiluiavait juré
allégeanceatentédeluiplanterunpoignarddansledos.Celui-làaussiestmort,etlelairdresterasouslaprotectiondeceuxenquiilpeutavoirconfiancejusqu’àcequ’ilsoitenétatdeselever.
—Non!s’écrièrentplusieursfemmes.—Quiestmort?—Quil’atué?—Quiétait-ce,Genevieve?Tudoisnousdiresic’étaitlemaridel’uned’entrenous.Lesquestionsfusaientdepartout.Genevievetournalesyeuxversl’unedesfemmes.—C’étaittonmari,Maggie,dit-ellecalmement.—Tumens!Ilneferaitjamaisunechosepareille.Elles’étaitattendueàcetteréponse.Quiétaitprêtàcroiresonmaricapabled’unetelleignominie?—Jel’aivudemespropresyeux.Maggielafixaavecmépris.—Etilfaudraitcroirelaparoled’uneputain?Genevievetressaillitcommesielleavaitreçuunegifleetreculaspontanément.Taliesanvintseplanterdevantlafemme,levisageempourpréparlacolère.—Tunel’insulterasplus!explosa-t-elle.Genevieveafaitbeaucouppournous,et jemedemande
pourquoi.Queluiimportenotresort?Elleauraitdûs’enlaverlesmains.Elleauraitdûsouhaiternotremort etpourtantellecontinueàveiller surnotre sécurité.Mêmemaintenant, alorsqu’elleaenvoyéunmessagepourqu’onnousaide,vousnepensezqu’à l’insulter.Celasuffit !Conduisez-vouscomme lesadultesquevousprétendezêtre.Vosenfantssecomportentmieuxquevous.
Quelquesfemmeseurentlabonnegrâcedeparaîtredécontenancées,maisd’autresfixèrentGenevieveavechostilité.Ellesavaitqu’àl’instantoùelleavaitnomméletraître,elles’étaitfaitplusieursennemiesmortelles.Maisellen’avaitpaseulechoix.
—Ilfautquejeparte,chuchota-t-elleàTaliesan.Quej’aillevoirlelaird.J’ignorelagravitédesablessure.Et ilyabeaucoupà faireenbas.Leshommesvontavoir faimaprèsunpareil combatet ilsdoivententerrerlesmorts.Nouslespleureronscesoir,quandnousenauronsfaitlecompte.
—Tuesbraveetgénéreuse,murmuraTaliesan.J’espèreteressemblerunjour.LaréponsedeGenevievearrivadansunsanglot.—Non,Taliesan.Nepriepaspourconnaîtremondestin.Jenelesouhaiteraispasàmonpireennemi.
16
GenevievehésitaitdevantlaportedelachambredeBowen.Elleétaitferméeetellesedemandaitsielleyseraitadmise.Brodiel’avaitregardéeavecméfiance,luiavait-ilsemblé.
Redressantlementon,ellefrappadoucementetattendit.Longtemps.Ellesedemandaitsielledevaitfaire une autre tentative ou pas lorsque le battant s’entrouvrit. Le visage de Brodie apparut. Il étaitsombre.
Elle ouvrait la bouchepour s’enquérir deBowenquand il ouvrit la porte engrand et lui fit signed’entrer.
—Savez-voussoignerlesblessures?demanda-t-ilalorsqu’ellefranchissaitleseuil.Elles’immobilisa.—Celadépenddesblessures.Jen’aijamaisrecousuuneplaieetjeneconnaisrienauxpotionsni
auxemplâtres.Déçu,ilpinçaleslèvres.—Ilfautpourtantbientrouverquelqu’un.L’unedesesblessuresesttropprofonde.Jepeuxluidonner
quelquechosepourlecalmeretpourapaiserladouleurquandonlerecoudra,maisjeneveuxpasconfiersavieàunguérisseurMcHugh.
Genevieveportamachinalementlamainàsacicatrice.—Non,acquiesça-t-elle.Ilnevautmieuxpas.Toutenparlant,elles’étaitapprochéedulitoùétaitallongéBowen,lesyeuxclos.Mêmeinconscient,
il s’agitait.On luiavaitenlevésa tunique.Surson torse, lachairétaitouverteetcontinuaitdesaignermalgrélescompressesqu’unsoldatymaintenait.
—Voussentez-vousà lahauteurde la tâche?hasardaBrodie.Vousavezdespetitesmainsetêtessansdouteplusdouéeavecunfiletuneaiguillequemeshommesoumoi.
Elleavalasasalive,lesyeuxrivéssurlaplaie,puiscarralesépaules.—Oui, je saismeservird’uneaiguille, confirma-t-elle.Etcen’est sansdoutepasbeaucoupplus
difficilequederecoudreunvêtement…Maisjen’oseraipasluienfonceruneaiguilledanslachairsionneluiariendonnépourlecalmer.
— Je vais envoyer chercher ce dont vous aurez besoin.Nous lui donnerons une potion à base debière,celadevraitsuffireàl’assommerletempsquevouslerafistoliez.
Genevieve n’en était pas convaincue,mais elle préféra ne pas le contredire. Elle ne tenait pas àdéfierBrodie,etcraignaitenoutrequ’ilne lui interdise l’accèsdelachambredeBowensielleneserendaitpasutile.
Legrandguerrierallachercherlesiègeprèslafenêtreetl’installaprèsdulitavantdeluifairesignedes’yasseoir.Puisildonnadebrèvesinstructionsausoldatetquittalachambre.
GenevievesepenchaenavantetposalamainsurlefrontdeBowen.Ils’agitadèsqu’elleletoucha,puissecalma.
—Bowen,vousavezmal?demanda-t-elle.—Ilaperduconscience,madame,expliqualeguerrier.Ellesetournaverslui.—Oui,jesais.J’essaiejustedevoirs’ilperçoitcequ’ilsepasseautourdelui.Déconcerté,l’hommen’insistapas.EllepritlelingeposésurletorsedeBowenetessuyadélicatementlesangquicontinuaitdecouler.
Elledécouvrituneautrelongueentaillesurlehautdesonbras,beaucoupmoinsprofonde,toutefois,quecellesursapoitrine.
Il portait sa cottedemailles, se rappela-t-elle, pourtant l’épée avait réussi àpasser cettebarrièrepours’enfoncerdanssontorse.Uncoupaussipuissantauraitpuluiêtrefatalsanscetteprotection.
—Lablessurea-t-elleétélavée?s’enquit-elle.Leguerrierparutmalàl’aise.—Non,madame.Nouscherchionssurtoutàarrêterleflotdesang.—Vousavezeuraison.Maisapportez-moidel’eauquejepuissenettoyerlaplaie.Ilfautenleverla
poussièreetlespetitsboutsdeferquis’ytrouventavantderecoudre.Soulagéqu’onluiconfieunetâchetangible,lesoldats’empressad’allerchercherlepichetprèsdela
fenêtre.Ils’emparad’unlingeproprequ’ilmouillaettorditavantdeleluitendre.—Commentvousappelle-t-on,soldat?demandaGenevieveencommençantànettoyerlaplaieavec
précaution.—Geoffrey,madame.Elleluijetauncoupd’œil.—Mercipourvotreaide,Geoffrey.Ilparutsurprisqu’elleleremercie,ethochalatêteavecsolennité.Brodienetardapasàreveniraccompagnédel’undeseshommes.—Voilàdufiletuneaiguille,annonça-t-il.DeaglanapréparéunepotionpourBowenafinqu’ilnese
débattepasquandvouslerecoudrez.Genevieveluiadressaunregardreconnaissant.Ellenesavaitquetropquellemenaceunhommequi
avaittoutesatêtepouvaitreprésenter.Alorsunmalheureuxàmoitiéconscientetquidéliraitdedouleur…ElleselevapourpermettreauxdeuxguerriersdefaireboireBowen.Cenefutpasuneminceaffaire,
maisquandilseurentterminé,Brodieseredressaets’adressaàelle:—Ilfautattendrequeçafasseeffet.Geoffrey,DeaglanetmoiresteronspournousassurerqueBowen
restecalmependantquevousvousoccupezdelui.—C’estgentildevotrepart,fitGenevieve.Brodieladévisagealonguement,puis:—Vousn’êtespashabituéeàcequ’onlesoitavecvous,n’est-cepas?Ellerougitetsedétourna.—JesaisqueBowens’estfaitvotredéfenseur,enchaînaBrodie.Necraignezrien,tantqu’ilnesera
pasrétabli,jenetoléreraipasqu’onvousfasselemoindremal.UneviolenteculpabilitéétreignitlapoitrinedeGenevieve.Bowenn’avaitpasdûluifairepartdeses
soupçons:s’ill’avaitfait,lechefdesArmstrongneseseraitpasmontréaussigalantavecelle.Commentallait-il réagir quand il découvrirait l’horrible vérité ? Celle que Bowen avait apprise juste avantl’attaque?
—Merci,parvint-elleàbredouiller.IlluiindiqualesiègeprèsdeBowen,maisluiconseillad’attendreencoreunpeu.
Genevieves’exécuta,sedemandantcommentelleallaitréussiràempêchersesmainsdetrembler.Lapeur, sa compagne de tous les instants, avait aussitôt déferlé à l’idée d’être percée à jour. BrodieArmstrongpouvaitfortbiendéciderdefairejusticelui-mêmepourletortcauséàsasœur.
Serrantlesmainsdanssongiron,ellefitappelàtoutesavolontépouressayerderetrouversonsang-froid.
Auboutd’unmoment,Bowencessades’agiter.Sarespirationdevintplusrégulière,satêteroulasurlecôtéetsoncorpsentiersedétendit.
Brodielepoussasanstropdeménagementpourprovoqueruneréactionquinevintpas.IlsetournaalorsversGenevieve.
Serrant les dents, elle accepta le fil et l’aiguille que lui tendaitDeaglan.Après avoir effectué unnœudsolideauboutdufil,ellerapprochalesbordsdelablessure.Craintive,elleguettaitBowen.Nelevoyanttoujourspasréagir,elleplongealapointedanssachair.
Iltressaillitàpeine,etellepoussaunsoupirdesoulagement.Ledosvoûté,elleseconcentrasursabesogne,s’efforçantdefairedespointstrèsserrésafindebien
refermerlaplaie.Detempsàautre,Brodietamponnaitavecunlingelesangquicoulait.Elleosaittoutjuste respirer. Quand elle eut recousu la moitié de la plaie, elle était en nage, des gouttes de sueurruisselaientsursestempesetsanuque.
Elleserralenœud,fitplusieursbouclespourqu’iltiennebienavantd’enfilerunenouvellelongueurdefilpourrecommencerl’opérationsurl’autrepartiedelablessure.
Ce fut une opération longue et pénible. Un silence absolu régnait dans la pièce. Lorsqu’elle eutterminé, elle se laissa aller contre le dossier de son siège.La tension avait été telle qu’elle avait lesépaulesetlanuqueraides.
—C’estdubeautravailquevousavezfaitlà,lafélicitaDeaglan.Ellesecontentadehocherlatête.EllefixaunlongmomentlevisagedeBowen,puissetournavers
Brodie.— Il faut que je m’occupe aussi de son bras. La blessure n’est pas très profonde, il n’est pas
nécessairedelarecoudre,maissionnelabandepas,elleneguérirapascommeilfaut.Brodie lui tenditaussitôtplusieurs longsmorceauxde tissu,etGeoffreysouleva lebrasdeBowen
afinqu’ellepuisseleluibander.Cecifait,ellesuggéraqu’onluiprépareencoreunpeudepotionpourêtrecertainqu’ildorme.
—Jem’enoccupe,ditDeaglan.—Allezvousreposer,àprésent,Genevieve,conseillaBrodie.Jevaisvousescorter jusqu’àvotre
chambreetposterunhommedevantvotreporteafinquepersonnenevousdérange.Ellejetauncoupd’œilàBowen,hésita,puis:—Jepréféreraisrestersicelavousparaîtpossible.Jevoudraisveillersurluicettenuitetm’assurer
qu’ilnetirepassursespointsdesuture.Silafièvremonte,ilaurabesoind’unesurveillanceconstante.Brodiefronçalessourcilsavantd’échangerdesregardsavecseshommes.—Vouspouvezrestersivouspensezquec’estnécessaire,dit-ilaprèsréflexion.Encasdebesoin,
Deaglan et Geoffrey ne seront pas loin. Il vous suffira de les appeler. Je passerai voir comment vaBowen,maispourl’heure,jedoism’occuperdesmortsàenterreretdestraîtresàdébusquer.
—Ilyenad’autres?s’inquiétaGenevieve.—Jel’ignore.Vousenavezsurprisun,cen’estdoncpasimpossible.Lapeurs’insinuadenouveauenelle.LesMcHughétaientdéjàsuffisammenthostilesàsonendroit.
C’étaitellequiavaitdémasquéletraître;sionendécouvraitd’autres,ilsseraientpunisettoutlemondeicil’entiendraitpourresponsable.
17
LanuitétaitdéjàbienavancéeetGenevieves’efforçaitdepuisunmomentdetrouverunepositionuntantsoitpeuconfortablesursachaiseenbois.Sansyparvenir.
Soncorpsétaitraide,sesmusclesdouloureux,pourtant,ellen’avaitpasquittélechevetdeBowen.Elleleregardaitdormir,fascinée,laissaitsonregardsepromenersursontorse,puissursonvisageauxtraitsparfaits.
C’étaitunhommeaucorpscertesmarquéparlescombats,maisdontlevisageétaitabsolumentintact.Lenez,jamaisbrisé,étaitdroit.Ets’ilavaitdescicatricessurlapoitrineetlesbras,ellesnefaisaientqu’ajouteràsavirilité.
Jamaisellen’avaitapprochéd’hommecapablederivaliseravecBowenMontgomery,etelleavaitpourtant côtoyébeaucoupde jolis cœursà laCour :desnoblesquin’avaient jamais foulé lemoindrechampdebataille,quines’étaientjamaissalilesmainsaucombat.
Celles deBowen étaient dures et calleuses. Il avait l’habitude de travailler et de se battre, et necraignaitvisiblementpaslabesogne,sirudesoit-elle.
Cen’étaitpourtantpassonphysiquequilafascinait.Maisbienplutôtlagentillessedontilavaitfaitpreuvedepuis sonarrivée.Avantqu’ilapprenneson terriblepéché.Ellenes’attendaitcertespasàcequ’ilcomprennesesraisons.Commentlepourrait-il?Elleétaitresponsabledumalfaitàsesprochesetàsonclan.Et la loyautédecethommeà l’égardde son frèreétait à touteépreuve.C’était évidentdanschacundesesmots,chacundesesactes,etilétaittoutaussiévidentquecetteloyautés’étendaitàsasœurparalliance.
Il s’agitapour lapremière foisdepuisqu’ilavaitbu lapotion,et tourna la tête tandisqu’unsourdgémissementfranchissaitseslèvresdesséchées.Instinctivement,ellesepenchaetluicaressalevisageenmurmurantdesparolesapaisantes.
Elleignoraits’ill’entendait,maisilsecalmaetsombradenouveaudanslesommeil.Elleserisquaalorsàglisserlesdoigtsdansl’épaissechevelurequiluifrôlaitlesépaules.Elleen
avaittellementenvie.Etpuis,oùétaitlemal?Iln’yavaitpasdetémoins,etBowennesesouviendraitderienàsonréveil.
Pouvoir toucherquelqu’un sansy être forcée, offrir quelque chosed’elle-même sansque cela soitexigé, avoir un véritable contact avec un autre être humain après avoir été traitée comme un animalpendantsilongtemps,luiétaituneinexplicableconsolation.
Dèsquesamainquittasonvisage,ils’agitadenouveau,sonfrontseplissatandisqu’ilmarmonnaitdesparolesincompréhensibles.Ilsemitàtournerlatêted’uncôtéetdel’autre,lesouffleerratique.
Alorsellereposalapaumesursonfront,lelissad’unecaresselégère.Aussitôt,ilretrouvasoncalmeetsarespirationdevintrégulière.
C’était comme d’apaiser une bête sauvage. Il semblait apprécier son contact, mais sans douteréagirait-elle de la même façon avec n’importe qui. C’était ridicule de sa part d’imaginer qu’ilaccueilleraitceréconfortavecjoies’ilsavaitquec’étaitellequileluiprocurait.
Maispourl’instant,ellepouvaitfeindredelecroireetsavourercebrefmomentdepaix.Cherchantàsoulager ladouleurdanssesmembresraides,ellechangeaànouveaudeposition.Son
corpsprotesta.SamaindemeurantsurlefrontdeBowen,elleselevagauchement,ravalalegémissementquiluimontaitauxlèvres,puis,aprèsavoirregardéautourd’elle,sedemandasoudainsiellenepourraitpas s’asseoir sur le lit. Et si Bowen se réveillait et la trouvait là ? Comment réagirait-il ? Sesouviendrait-ilqu’elleétaitvenueàsonsecoursouneserappellerait-ilqueleurconfrontationauborddelarivière?
Elleseperchatoutauborddulit.Avantdeglisserunpeuenarrièrepourprofiterdeladouceurdumatelas.SonderrièreheurtalacuissedeBowenetelleretintsonsouffle.Commeilnebougeaitpas,ellesedétendit, et se tortilla jusqu’à trouverunepositionconfortable.Elle se remitalorsà lui caresser lefront,serisquantdetempsàautreàglisserlesdoigtsdanssescheveux.
Bowenlaissaéchapperunprofondsoupiretmarmonnavaguementavantdetournerlevisagecontresapaumecommepours’yblottir.
Àcesimplegeste,elleréagitcommejamaisellen’auraitcrupouvoirréagiraprèsavoirpasséuneannéeauxmainsdeIanMcHugh.
Elleseprità imaginercequ’elleressentiraitsiunguerrier telqueBowenMontgomery la touchaitcommeelleétaitentraindeletoucher.Ensesouciantdesonplaisiretdesessouhaits.Secontenterait-ildelatenirdanssesbrasetdelacaresserpourlaréconforterounepenserait-ilqu’àsespropresbesoins?
N’ayantaucuneexpériencedeshommesendehorsdeIanMcHugh,ellen’auraitsuledire.Elleavaitdurestedumalàcroirequ’ilexistedeshommescapablesdesemontrerdouxetgentils.
N’empêche,c’étaitagréabledelepenser,quandbienmêmeilnes’agissaitqued’unbeaurêve.Etquidevait le rester.Car il faudraitêtred’unestupiditésansnompourdonneràunhomme,quelqu’il soit,l’occasiondeluifaireànouveaudumal.
L’idéequeBowenpuisse ressemblerà Ian la révoltait.Certes,ellen’avaitaucunmoyendesavoirquelgenred’hommeilétaitaujuste,maisellenepensaitpass’êtretrompéeàsonsujet.Ellenes’était,entoutcas,pastrompéeausujetdeIan.Dèsleurpremièrerencontre,elleavaitsuqu’ilvalaitmieuxl’éviter.Etc’étaitcequ’elleavaitfaitjusqu’àcequ’ilattaquel’escortequilaconduisaitverssonfuturmari.
Elleserenditcompte,choquée,qu’ellen’avaitpaspenséàsonfiancédepuisdesmois.Cequin’avaitriend’étonnant,aufond.Lesimplefaitd’imaginercequ’auraitpuêtresavied’époused’unchefdeclandesHighlandsluiétaitunetorture.
Avait-ilépouséuneautrefemme?C’étaitprobable.Leurmariageavaitétéarrangé.L’affectionn’ytenait aucune place. Elle n’avait rencontré son promis qu’une seule fois, quand il était venu faire sademande officielle à son père. L’accord avait été rapidement conclu entre les deux hommes. Et laprésentationàceluiquiallaitdevenirsonépouxn’avaitétéqu’uneformalité.
Si tout s’était déroulé comme prévu, elle aurait peut-être un enfant à l’heure qu’il était. Un bébéqu’ellegâteraithonteusement.Samèreseraitvenuesouventleurrendrevisiteet,avecunpeudechanceetsisonmaris’étaitmontréconciliant,elleauraitpuretournerdeloinenloinauchâteaudesonpère.
Lechagrinlasubmergea,etelles’empressadechasserlesvieuxsouvenirsquiremontaientenmasseàlasurface.Penseràcequiauraitpuêtreneservaitàrien.
Maisellen’ensouffraitpasmoinspourautant,etc’étaitpeut-êtrepourcelaqueBowenMontgomerylafascinaittellement.Parsasimpleprésence,illuirappelaitlaviequ’elleauraitpuconnaître.Épouseruntelhomme,possédanthonneuretloyauté,auraitétéextraordinaire.
Elleluicaressalajoue,latristesses’accrochantàellecommeleplusobstinédeslierres.Elledevaitoubliercesrêves-là.Sachantcequ’ilsavait,Bowenneluioffriraitpasderefugeauseindesonclan.Au
mieux,ilaccepteraitpeut-êtredelaconduiredansuneabbaye.Tirerpartidecirconstancesabominablesétaitdevenuunesecondenaturechezelle.Ellen’avaitpas
eud’autrechoixcesderniersmois,etelleétaitprêteàrecommencer.
18
Elle se réveilla en sursaut. Les ténèbres l’enveloppaient et, l’espace d’un instant, elle futcomplètementdésorientée.Ellesavaitqu’ellen’étaitpasdanssachambre,mais il lui fallutunmomentpoursesituertandisquelesimagesdesévénementsdelajournéeaffluaientdanssonesprit.
Elle tomba presque du lit, horrifiée de s’être endormie et, pire encore, de s’être blottie contreBowen.
Etsiquelqu’unétaitentré?Etsionl’avaitdécouverteallongéeprèsdulaird?Elleavaitprisdeslibertés,etdegrandsrisques.
Tâtonnantdans l’obscurité à la recherchede labougiequibrillait unpeuplus tôt prèsdu lit, elledécouvritqu’elles’étaitentièrementconsumée.
Danslefoyerdelacheminée,quelquesbraisesrougeoyaientencore.Toutengourdiedesommeil,ellesemitendevoirderallumer lachandelle,puisderanimer le feu.
Quandenfindesflammesenjaillirent,elleretournaauprèsdeBowen.Àsongrandsoulagement,ildormaitencore.Elle se laissa tomber sur le siège près du lit en soupirant.Comment avait-elle pu se laisser aller
ainsi ? Si elle avait appris une chose cette dernière année, c’était bien la prudence, et voilà que cethommelatransformaitenidiote.
Ellebâillaàs’endécrocherlamâchoire,avantdeconcentrersonattentionsurBowendontlevisageétaitilluminéparladoucelueurdelabougie.
Il remua, et elle se félicita de s’être réveillée avant que quiconque – lui, surtout – la surprenne.Qu’aurait-ilimaginéenlatrouvantlovéecontreluitelleunechatterepue?
Ilrecommençaàs’agiter,satêteroulantàgaucheetàdroiteavecunetelleviolencequ’ellecraignitqu’ilnetombedulit.Ellesepenchasurluietessayadenouveaulaméthodedelamainsurlefront,maiscettefois,ellefutsanseffet.
Unrâle luiéchappaetellecompritqueladouleurétaitrevenue.Celafaisaitplusieursheuresqu’iln’avaitbudepotion.
Ellecourutjusqu’àlaporte,s’attendantàtrouverDeaglanouGeoffreydanslecouloir,commeBrodieleluiavaitpromis.Etilsl’étaient,eneffet,l’unprèsdelaporte,l’autreenface,tousdeuxassisparterre,ledosaumur.
Dèsqu’ilslavirent,ilsbondirentsurleurspiedssansmontrerlemoindresignedefatigue.— J’ai besoin de votre aide, chuchota-t-elle. Le laird souffre. Il est temps de lui redonner de la
potion,maisjenepeuxm’enchargerseule.—Biensûr,ditGeoffrey.Deaglanetmoiallonsnousenoccuper.Ilslasuivirentàl’intérieur.Deaglanrécupéralacoupecontenantlamixturequ’ilavaitpréparée.Les
deuxhommesredressèrentBowendefaçonàpouvoirverserleliquidedanssabouche.
Iltoussaetcracha,maisenavalal’essentiel.—Voilàquidevrait lecalmerquelquesheures,déclaraDeaglan.Sivousavezbesoinderetourner
dansvotrechambre,nouspouvonsveillersurluijusqu’àvotreretour.Ellenesuttropquepenserdecetteproposition.Luiconseillait-ilsimplementd’allersereposerou
luisuggérait-ild’allerselaver,carellepuaitlesangetlasueur?Quoiqu’ilensoit,elledevaitêtreenpiteuxétatet,àvraidire,unbrindetoiletteneseraitpasduluxe.
—J’aimeraisprendreunmomentpourmechangeretmedébarrasserdecetteodeurdesang.Lesdeuxhommesacquiescèrent,etelleseréfugiadanssachambre,justeàcôté.S’étantdébarrasséedesarobe,elles’approchadelapetitecuvetteetyversal’eaud’unpichet.Elle
aurait aimé se baigner entièrement – il aurait fallu aumoins cela pour venir à bout de cette odeur demort–,maiss’aventurerhorsduchâteauétait troprisqué,nonseulementparcequ’unenouvelleattaqueétaittoujourspossible,maisaussiparcequ’ellecraignaitlesMcHugheux-mêmes.
Elleignoraitdansquelétatd’espritétaientlesmembresduclanetsiBrodieavaitdémasquéd’autrestraîtres.Maisunechoseétaitcertaine:lerôlequ’elleavaitjouédanslamortdumarideMaggiedevaitêtreconnudetousdésormais.
Êtreintelligentnesignifiaitpasêtrelâche.Danscertainscas,ilvalaitmieuxéviterdeseprécipiterau-devantdesennuis.Ellen’avaitaucune intentiondebraver tout leclan tantqu’ellenesauraitpascequ’ils’étaitpassédepuisl’attaque.
Elle sebrossa les cheveux,passaun lingemouillé sur les longuesmèchespour enôter autantquepossiblelapoussièreetlesangséché.Àpeuprèssatisfaitedurésultat,elleenfilaunerobepropreetselaissatombersurlelit.Sonlit.Qu’ellen’avaitpasàpartageravecquiconque.
Ellefermalesyeux,savourantleconfortdesoreillers.C’étaitleparadis.Pourtant,elleavaitdormiprofondémenttoutàl’heureaucôtédeBowen.Unebizarreriequ’ellen’étaitpassûredecomprendre.
Celafaisaitunanqu’ellenedormaitplusvraiment.Tropsouvent,Ianvenaitlaréveilleraumilieudelanuitpourabuserd’elleetelleavaitapprisàtoujoursseprépareraupire,ycomprisdanssonsommeil.Pourtant, ces dernières heures, la foudre aurait pu tomber dans la chambre qu’elle ne s’en serait pasaperçue.
Probablementparcequ’elleétaitépuiséeaprèslesévénementsdelaveille.Undescordonsquimaintenaientlesfourruresdevantlafenêtres’étaitdénouéetunelégèrebriseles
soulevait,laissantentrerlespremièreslueursdel’aube.Bientôt,lechâteaubourdonneraitd’activité,maiselleétaitmalàl’aiseàl’idéed’affronterlesMcHugh.
Tant qu’on l’y autoriserait, elle resterait ici ou dans la chambre deBowen, décida-t-elle. Elle nefaisaitcertesquerepousserl’inévitable,maiselles’enmoquait.
Quand on frappa à la porte, sa peur s’intensifia. Elle se sermonna.Ce n’était peut-être qu’un deshommes de Bowen qui venait aux nouvelles. Ou Brodie lui-même. Elle commençait à se redresserlorsquelebattants’ouvrit.Ellefronçalessourcils,agacéequ’onnerespectepassonintimité.
—Ah,tuesréveillée!s’exclamaTaliesan.Tantmieux,ilfautquejeteparle.Jepeuxentrer?—Biensûr,ditGenevieve,soulagée.Elle tapota le lit pour inviter la jeune fille à l’y rejoindre, conscienteque c’était la première fois
qu’ellesecomportaitainsidepuisqu’elleétaitici.L’airravi,Taliesanlarejoignitenclaudiquant.Ellesemblaitsedéplaceravecplusd’aisancequela
veille,etGenevieveespéraquesajambelafaisaitmoinssouffrir.Ellen’eutpasletempsdes’interrogerdavantage:Taliesan,quis’étaitassiseprèsd’elle,sepencha
etl’étreignit.—Mais…pourquoi?demandaGenevieve,ahurie.Toutenserendantcomptequ’elleappréciaitcegesteaffectueuxquiluidonnaitl’impressiond’être…
aimée.
—Parcequej’avaisl’impressionquetuenavaisbesoin,réponditgentimentTaliesan.—Tuasraison,avouaGenevieveavecunsourire.Merci.Taliesanredevintgrave.—Quesepasse-t-il,Genevieve?LesArmstrongetlesMontgomeryrefusentdedirequoiquecesoit
àproposdulaird,cequinefaitqu’alimenterlesragots.Onracontequ’ilagonisedanssachambre.Etlesgenss’inquiètentbeaucoupdecequ’ilnousarriveras’ilmeurt.Toutlemondesaitquec’estPatrickquiest l’instigateurdel’attaqueetquecertainsdeceuxquiavaientprêtéallégeanceaunouveaulairdl’onttrahi.
—Combiensont-ils?demandaGenevieve.Taliesanparutétonnée—Tunelesaispas?—Jenesaisriendutout.J’aipassélanuitauchevetdulairdaprèsavoirsoignésesblessures.Je
viensjustederegagnermachambre.—Alors,jeregrettedetedéranger.Tudevraisêtreentraindetereposer.Genevievesecoualatête.—Jenesuispasfatiguée,net’inquiètepas.J’aimeraissavoircequ’ilsepasse.LorsqueBrodiea
quittélachambredeBowenhiersoir,ilétaitdéterminéàdénicherlestraîtresquisetrouventparminous.Taliesansoupira.—C’estunebientristehistoire.TroisautresMcHugh,quiavaientchoisideserangerauxcôtésdu
laird Bowen, ont tué deux hommes, a-t-on découvert : unMontgomery et un Armstrong. Ils vont êtreexécutésetleclanenesttoutretourné.
—C’esttoutcequ’ilsméritent,rétorquaGenevieve.Ilsontsuivil’exempledeleurancienlaird.Entrichantetensedéshonorant,ilsontapportélahontesurvotreclanetvousdevriezêtrelespremiersàexigerquejusticesoitfaite.
—Maiscesontaussidesmarisetdespères,luirappelaTaliesan.Ilsontdesfemmesetdesenfants.Quidemainserontdesveuvesetdesorphelins.
—Jesais,mais ilsauraientdûypenseravant. Ils savaientquelles seraientconséquencesde leursactesavantdes’engagersurcettevoie,
—Quanddonccela finira-t-il?Notreclanbaignedans lesang, la traîtriseet les tromperies.ToutcelaàcausedeIanMcHugh.
—Non,répliquaGenevieve.Iln’estpasleseulresponsable.PatrickMcHughalaissésonfilsdonnerlibre cours à ses pires instincts. C’était Patrick le laird et non Ian. Il était trop faible et n’a pas sus’opposeràsonfils.C’estcontreluietcontreIanqueleclandevraitdirigersacolère.Pascontremoi.PascontrelesMontgomeryoulesArmstrong.Cesontleurschoix,àl’unetàl’autre,quisontàl’originedescalamitésquis’abattentàprésentsurvous.
—Tuas raison,biensûr,admitTaliesan.Maiscela reste tristedevoir le frèresebattrecontre lefrère. Le père contre le fils. La femme contre le mari. Un clan n’est pas fait pour vivre ainsi. Nousformonsunefamille.Sinousnenoussoutenonspaslesunslesautres,commentpourrions-noussoutenirquoiquecesoitd’autre?
Genevieveluisaisitlamain.—C’esttristeeneffetmaisiln’yarienquetoioumoipuissionsychanger.Cesontleursdécisions.
Leurschoix.Ilsdoiventenassumerlesconséquences.Taliesanpoussaunsoupir.—Je saisque tu as raisonmais jen’endétestepasmoins toutecette sordideaffaire.Elleme fait
craindrepour l’avenirduclan–pournotre lignée.NousavonsdéjàunlairdMontgomery.Combiendetempsavantquenousnesoyonsplusqu’unbutindeguerreéparpilléauxquatrevents,etnotrenomunnoirsouvenirquelesgénérationsàveniroserontàpeineévoquer.
—Tuendossesunfardeaubientroplourd,Taliesan,commentaGenevieve.Tuessagepourtonâgeettapenséeestplusprofondequecelledeshommesdetonclan.Maistunepeuxêtreresponsablequedetespropresactes.
—C’esttoiquiessage,Genevieve,pasmoi.—Si je l’étais, j’aurais trouvé lemoyende tuer IanMcHugh il y a longtemps, cequinous aurait
épargnétouscesmalheurs,répliqua-t-elled’unevoixsifroidequ’elleenfrissonna.C’étaitlapurevérité.TuerIanauraitsansdoutesignésonarrêtdemort,maisç’auraitétépréférableà
cequ’elleavaitenduré.Aulieudecela,elles’étaitaccrochéeavecobstinationàlavie,refusantdeselaisserbriser.
—Commentleclanréagit-ilàlamortdePatrick?demanda-t-elle.Sait-onquil’atué?GenevievesesentaitcoupabledetromperainsiTaliesan,maisellen’avaitpasvraimentlechoix.—Le clan est divisé. Il y a ceux qui en veulent à Patrick de sa trahison, et qui estiment que les
MontgomeryetlesArmstrongontagicommeillefallait–ilsontfaittransportersoncorpsau-delàdenosfrontières,luirefusantl’honneurdereposersurlesterresdesMcHugh.Etilyenad’autresquienveulenttoutautantàPatrickmaisestimentqu’ilauraitdûêtreenterréici.
LefaitqueTaliesann’aitpasmentionnésonrôledanslamortdePatricksignifiaitqu’ellel’ignorait.Genevieveenfutsoulagée:c’étaitaumoinslàunreprochequeleclanneluijetteraitpasauvisage.
EllepressalamaindeTaliesan.— Je dois aller voir comment se porte le laird. Il a fallu le recoudre et c’estmoi quim’en suis
chargée.JejuredevantDieuquejamaismamainn’aautanttremblé.Jevaism’assurerqu’iln’apasdefièvreetprierpourqu’ilserétablisserapidement.
—Situasbesoindequoiquecesoit,fais-moiappeler.Jeseraisheureusedet’apportermonaide.—Merci,Taliesan.Jen’auraisjamaisimaginétrouveruneamiesincèreaumilieudetantd’hostilité,
maisjesuiscontentedet’avoir.Lajeunefillelagratifiad’unsourireradieux,puisselevaunpeumaladroitementetlissasesjupes.—Tudoisêtreaffamée.Jevaistefairemonterunrepasdanslachambredulaird.Àl’évocationdelanourriture,l’estomacdeGenevievesecrispa,etelleserenditcomptequecela
faisaitlongtempsqu’ellen’avaitrienavalé.—Merci,dit-elleavecgratitude.Sicelanet’ennuiepas,peux-tudemanderqu’onapportedel’eau
chaudepourquejenettoielesblessuresdulaird?—Jem’enoccupetoutdesuite.Taliesansedirigeaverslaporte,hésita,puisseretourna.—Leschosesvonts’arranger,Genevieve, tuverras.BowenMontgomerymeparaîtêtreunhomme
bonetdroit.Ilterendrajustice.Genevievehocha faiblement la tête, l’estomacnouénonpar la faimmaispar lacertitudequ’à son
réveil,lelairdluidemanderaitdescomptes.Etilrisquaitfortdenepasappréciercequ’elleavaitàluiavouer.
19
GenevievefrappaàlaportedeBowen.Cettefoisencore,ontardaàluirépondre,etellefaillitbattreen retraite dans sa chambre. Seule la pensée queGeoffrey etDeaglan lui avaient fait avaler assez depotionpourqu’ildemeureinconscientluidonnalecouragederester.
Laportes’ouvritsurDeaglan,quis’écartaetluifitsigned’entrer.—Ilabupresquetouteunecoupe,annonça-t-il.Ilestpluscalmemaintenant.Ilnesemblepasavoir
defièvre.C’estgrâceàvousetausoinaveclequelvousavezrefermésaplaiequ’ilseremetsibien.Cecomplimentinattendulafitrougir.Elleenavaitperdul’habitude.—C’estunebonnechosequ’ilpuissesereposer,dit-elleengagnantlachaiseàcôtédulit.Elleexaminalelairdquisemblait,eneffet,pluspaisible.Sonfrontn’étaitplusplissédedouleuret
soncorpsétaitdétendu.On frappa ànouveau à la porte etDeaglan alla répondre. Il revint, unplateau à lamain.Taliesan
apparutderrièrelui,ouvrantdegrandsyeux.Ellesemblaitintimidéeparlaprésencedesdeuxguerriers.Genevieveseleva,luisourit,puissetournaversGeoffreyetDeaglan.—L’undevousa-t-ilmangédepuisl’attaqueduchâteau?Geoffreyfronçalessourcils.—Non,madame.—Alors,partageons,décidaGenevieveenmontrantleplateau.—Non,objectaDeaglan.C’estvotrerepas.Vousêtesauchevetdulairddepuishieretilvousfaut
reprendredesforces.Nouspouvonsattendre.ContemplantlamontagnedevictuaillesrapportéeparTaliesan,Genevievelevalesyeuxauciel.—Ilyalargementassezpournoustrois.Vousaccomplirezmieuxvotredevoirleventreplein.Jene
mangeraipastout,c’estcertain.Ceseraitunehontequedegâchercela.— Dans ce cas, merci, dit Deaglan avec gravité. Nous apprécions votre geste, car il n’est pas
questionquenousabandonnionsnotrelairdicipourallernousrestaurerenbas.LesdeuxhommessourirentàTaliesan,cequin’avaitriend’étonnant.Elleétaitsicharmante,avaitsi
visiblementboncœurqueceuxquilacôtoyaientenétaienttransformés.—Mercidevotregénérosité,déclaraDeaglan,s’adressantdirectementàelle.Taliesanrosit,effectuaunepetiterévérencemaladroiteavantdequitterlachambre.Genevieve se servit une toute petite portion de la nourriture.Même si elle avait faim, elle savait
qu’ellen’avaleraitpasgrand-chose.Elleétaittropinquiète.Lesdeuxhommessepartagèrentlerestequ’ilssemirentàdévoreràbellesdents.Elle retourna s’asseoir près de Bowen, et picora nerveusement dans son assiette. La nourriture
n’avaitaucungoût,cequivalaitprobablementmieux,maiselleseforçaàenavalerchaquebouchée.
Elleenavaitpresque terminé lorsque laportes’ouvritdenouveau.Tournant la tête,elledécouvritBrodiesurleseuil.
Il rejoignitGeoffreyetDeaglanavecqui iléchangeaquelquesmotsàvoixbassesanscesserde laregarderdelaplusétrangedesmanières.
Quandileneutfiniaveceux,ils’approchadulit.—Commentva-t-il?demanda-t-ilàmi-voix.Genevieveposasontranchoirsurlatabledechevet.— Il s’est calmé.Geoffrey etDeaglan lui ont donnéune nouvelle dose de potion, car il était très
agité.Ilsouffrait,detouteévidence.—Delafièvre?—Non.J’espèrequ’àsonréveil,ladouleurauradiminuéetqu’iln’auraplusbesoindecettemixture.
SiDieuleveut,ils’ensortiraetseratrèsvitesurpied.Sedétendantvisiblement,Brodiehochalatête.Ilsemblaitfatigué.Iln’avaitsansdoutepasdormide
lanuit sielleencroyaitceque luiavait racontéTaliesan.Ellesemordit la lèvrepours’empêcherdeposerlesquestionsquis’imposaient.CommentréagissaitleclanMcHugh?Redoutait-iluneattaque?Et,surtout, les forces restantesdesMontgomeryet desArmstrong seraient-elles capablesde repousserunnouvelassaut?
—Vousavezfaitdubontravail,Genevieve.Bowenauraunedetteenversvous.Elleendoutait.— J’ai des affaires à régler, continua Brodie, et il faut que nous surveillions les frontières du
domaine.Faites-moiappelerquandilseréveilleraousisonétatempire.—Biensûr.Illuipressabrièvementl’épauleavantdequitterlapièce.Ellesevoûtasursachaise.Quellehypocriteelleétait,àjouerlessauveursetlesimportantes.Deaglan et Geoffrey, qui étaient assis près de la cheminée, se levèrent. Le premier lui offrit de
nouveauleursservicesàtousdeuxencasdebesoin,puisilssortirentmonterlagardedanslecouloir.Danslesilencequisuivit,GenevievefrôlalamaindeBowen,quireposaitsurlafourrure.— Je sais que vous dormez, laird, chuchota-t-elle. Mais je souhaite sincèrement que vous vous
rétablissiez,quandbienmêmeilmefaudraalorsrépondredemesactes.Vousêtesnotreseulespoir,auclanetàmoi-même.Jeveuxquevousviviezpournousguideraucoursdesjoursquiviennent.JerefusequeIanetPatrick,mêmes’ilssontmortsetenterrés,soientvictorieux.
Ellelaissasamainsurlasienne,savourantcecontactinnocent.Inoffensif.Cethommefaisaitnaîtreenelled’étrangesréactions.Ellen’éprouvaitàsonégardniledégoût,nila
peur,nilahainequesuscitaientIanetsescomplices.Etquellequesoitladécisionqu’ilprendraitàsonencontre,ellesavaitdéjàqu’elleseraitdictéeparl’honneur.Etqu’ellepourraitdoncl’accepter.
Oui,elleseraitenpaix.Elleméritaitsacolèreetsesreproches.Elleavaitbeletbiencommisl’actehorribledontill’avaitaccusée.Toutautrequeluiseraitvenulatrouverlarageaucœur,enproférantdesmenacesouenusantdeviolence.
Illuiavaitsimplementdemandésicequ’ilavaitentendudireétaitvrai.Orquand,pourladernièrefois,unhommel’avait-ilinterrogéeavantderendresonverdict?
Rien que pour cela, il méritait son respect. Elle ne détestait que le fait de ne pouvoir nier sesaccusations.
Se souvenant soudain de l’eau qu’elle avait commandée, elle se précipita vers la cheminée, oùTaliesan avait posé le pichet. L’eau était encore chaude, elle y plongea plusieurs linges qu’elle torditavecsoin.
Puis elle revint au chevet de Bowen, enleva délicatement le bandage qui entourait son biceps etexaminasablessureavantdelanettoyer.
Celafait,elleluirebandalebras,puiss’occupadelaplaiesursontorse.Aprèsavoirôtélescroûtesdesangséché,elleétalaunecompressechaudesurlablessure.Ayantfait toutcequiétaitensonpouvoirpourlesoulager,ellerepritplacesurlachaise,enproie
soudainàuneimmenselassitude.Elleresteraitàsonchevet.Tantqu’onleluipermettrait,elledemeureraitàsescôtés.Elle avait prié et prié encorepourqueDieu lui envoieun sauveur, et jusqu’àprésent, ses prières
étaientrestéessansréponse.QuandbienmêmeellesavaitqueBowennedéfendraitplussacause,ellechériraitjusqu’àlafindesesjourslesouvenirduguerrierquis’étaitmontrésibonavecelle.
20
Tarddans lasoirée,Bowencommençaàremuer.Seredressantsursachaise,Genevieve l’observaavecanxiété.Sespaupièrespalpitaientcommes’illuttaitpourouvrirlesyeux.
Ellefuttentéed’allerprévenirimmédiatementlesautres,maiselledevaitd’abords’assurerdesonétat.Ellen’avaitpasbougédelajournée,guettantlemoindresignealarmant.
Spontanément,elleluitouchalefrontpours’assurerqu’iln’avaitpasdefièvre.Illaissaéchapperunlongsoupiret,bienquesapeaufûtfraîche,Genevieveneputs’empêcherdes’interrogerenentendantsesparoles.
—Unesibellefille.Elleretiravivementlamainetreculadansl’ombre.Iln’avaitcertespasdefièvre,maisiln’étaitpas
nonpluscomplètementréveillé,carcen’étaitsûrementpasd’ellequ’ilparlaitainsi.Ilétaittempsdeprévenirlesautresetderegagnersaproprechambre.ElleseglissadanslecouloiroùGeoffreyetDeaglan,toujoursfidèlesauposte,montaientlagarde.—Lelairdseréveille,annonça-t-elle.Etsoudain,ellechancela,lafatigueprenantledessus.Deaglantenditunemainsecourable,maiselle
s’écartaaussitôt.—Iln’apasdefièvreetladouleursembles’êtreapaisée.—NousallonsprendrelerelaisetprévenirBrodie,déclaraDeaglan.Quantàvous,madame,allez
vouscoucher.Vousêtesrestéeàsonchevetpendantdeuxjoursentiers.Cereposestplusquemérité.Ellenerenâclapas.EllenetenaitpasàretournerdanslachambrealorsqueBowenétaitsurlepoint
deseréveiller.Ohcertes,ellenepourraitsesoustraireauchâtimentquil’attendait,maisunevraienuitdesommeill’aideraitàaffrontersonsortaveccalme.
Une fois dans sa chambre cependant, et en dépit de son épuisement, elle ne tarda pas à se rendrecomptequ’elleétaitincapablededormir.Enproieàlaplusextrêmeagitation,ellenefaisaitqu’arpenterlapièce.
Dansl’espoirqu’unpeud’airfraisluiferaitdubien,elleallaàlafenêtreetécartalesfourrures.C’étaitunebellenuitétoiléeetlalunepresquepleinebrillaitd’unéclatsurnaturel.Lerubanargenté
delarivièreluisaitencontrebas.Genevieve contempla l’horizon avec nostalgie. En dessous, la cour était silencieuse. Les torches
brûlaientsurlesmuraillesetelledistinguaitparfoislessilhouettesdessentinellesquiassuraientlagardedenuit.
Un calme trompeur régnait. Plus rien ne laissait deviner qu’un combat sanglant s’était déroulé icideuxjoursplustôt.Desviesavaientétéôtées.Encemomentmême,desfemmesetdesenfantspleuraientdesmarisetdespères.Desexistencesavaientchangéirrévocablement.
Un flot de tristesse la submergea. Tout cela était tellement inutile. Tant de gens avaient souffert àcausedeschoixdequelques-uns.Maisn’était-cepastoujoursainsi?Lamassesouffrantdel’inaptitudeetdel’inefficacitéd’unchef.
Ellefermalespaupièresetsavouralabrisesursonvisage.Uncri l’arrachaà sa rêverie.Rouvrantvivement lesyeux, ellevitdeshommes remonter lagrille.
Puis découvrit au-delà des murailles des douzaines de cavaliers se dirigeant vers le château enbrandissantdestorches.
L’effroiemplitsoncœurjusqu’àcequ’unautrecriretentisse:—LesMontgomerysontderetour!Un soulagement insensé s’empara d’elle. Teague était de retour. Le messager était parvenu à le
rattraper.Lesrenfortsétaientlàetilsétaientensécurité.Maisavecl’arrivéedufrèredeBowenvenaituneautrecrainte.DèsquelesMontgomerysauraient
quelrôleelleavaitjouédansl’enlèvementd’Eveline,elledeviendraitunparia.Denouveauenproieàuneirrépressibleagitation,ellesedétournadelafenêtre.Soudain,ellen’avait
plusenvied’êtreseule.Cettesolitudequ’elleavaitappeléedesesvœuxluidevenaitinsupportable.ElleentrouvritlaportedesachambrepourvérifierqueGeoffreyetDeaglann’avaientpasregagnéle
couloir,puiselleseglissajusqu’àlaportedeTaliesanetfrappa.Lajeunefilleouvritpresqueaussitôtetluifitsigned’entrer.—Quelquechosenevapas,Genevieve?s’inquiéta-t-elle.—Non.Jen’arrivaispasàdormiretje…jemesentaisseule.Jeviensdevoirparlafenêtrequeles
Montgomeryarrivent.—Maisc’estunebonnenouvelleque tum’apportes !Viens t’asseoir,Genevieve.As-tubesoinde
quoiquecesoit?Genevieveseperchaauborddulit.—Non,justedetacompagnie.—C’estmoiquisuisheureused’avoirtacompagnie,assuraTaliesan.Ilyatropdetensionauseindu
clan.J’aifiniparmeréfugierdansmachambre,carpartoutoùj’allais,jenerencontraisqu’inquiétude,peuretcolère.BeaucoupenveulentauxMontgomeryetauxArmstrong.Ilsnesaventplusoùilsensont,etontlesentimentd’êtredéloyauxàl’égarddePatricketdeIanmalgrétousleurstorts.
—Jesupposequenousallonsdevoirattendrelasuitedansnoschambresrespectives,ditGenevieved’unevoixfaible.
—Pourquoineresterais-tupasavecmoi?Tusembleséreintée.Tupeuxpartagermonlitsituveux.Personneneviendratedérangerici.
Genevievejetauncoupd’œilaulitenréprimantunbâillement.—J’aiunechemisedenuitàteprêter,insistaTaliesan.Inutilederetournerdanstachambre.Allez,
déshabille-toietvienstecoucher.
21
Bowenpoussaungrognement,puisseredressadanslelit.Ladouleurquiexplosadanssapoitrinelepritdecourt.Ilselaissaretomberenarrière.Bonsang.Quediableluiarrivait-il?
Quandsatêteheurtalecoussin,ilouvritlesyeuxpourvoirBrodieArmstrongpenchéau-dessusdelui.
—Qu’est-cequetufaislà?luidemanda-t-il.—Jeprendsdesnouvellesdetasanté.Commenttesens-tu?La question était pour lemoins étrange,mais elle le fit réfléchir, car la brume se levait dans son
esprit,etàmesurequ’ellesedissipait,sonmaldecrâneempirait.Avait-ilétépiétinéparuntroupeaudechevauxsauvages?—J’aiconnupire,marmonna-t-il.Etc’étaitvrai.Iln’arrivaitpasàcomprendrepourquoiilétaitaulit,pourquoiBrodieétaitdanssachambre.Ainsi
queGeoffreyetunautreArmstrong…comments’appelait-il,déjà?Ahoui,Deaglan!Quandilessayadebougerànouveau,ileutl’impressionqu’onluiplantaitunmillierd’aiguillesdans
lapoitrine.Baissant lesyeux, ildécouvrituneplaie toutefraîchesursontorse.Elleavaitétérecousueavecunsoinextrême.Lasutureétaitpropreetlespointstrèsserrés.Celuiquis’enétaitchargéavaitfaitdel’excellenttravail.
—Ques’est-ilpassé?demanda-t-il.Satêteluisemblaitvide,ettenterderéfléchirdéclenchaitsoussoncrâneunedouleurpireencoreque
cellequi lui labourait lapoitrine. Ilavait labouchesèche, la langueépaisse.Unpeucommes’ilavaitabusédelabière.Saufqu’iln’avaitpasbudepuisdeslustres.
Brodiefronçalessourcils.—Nousavonsétéattaqués.Tunet’ensouvienspas?Desimagesrapidessesuccédèrentdansl’espritdeBowen,telleunenuéedeflèches.—Raconte-moitout,dit-ilsèchement.Jeveuxunrapportcomplet.Depuisquandsuis-jealité?Qu’en
est-ilduclan?Avons-noussubidespertes?Brodielevalamain.—Tonfrèrevientd’arriver.Ilseraitbeaucoupplussimplequejeracontemonhistoireuneseulefois.—Teague?Quediablefait-ilici?—Genevievel’aenvoyéchercher,dittranquillementBrodie.Ouplusexactementenadonnél’ordre.
En rugissant.Elleaexpédié troisde teshommesà sapoursuite.Mais j’expliquerai toutquandTeagueseralà.Ilvientàpeinededescendredeselle.
Bowenacceptadeprendresonmalenpatience.
Il se souvenait de sa confrontation avec Genevieve au bord de la rivière. Et il se souvenait, ôcombien,del’avoirvuesebaigner…nue.Ilsesouvenaitaussidesapâleurquandill’avaitinterrogéesur son rôle dans l’enlèvement d’Eveline. Elle n’avait pas eu besoin de dire quoi que ce soit pourconfirmersessoupçons.Toutétaitlà,sursonvisageetdanssonregard.
Maisilsesouvenaitaussidel’avoirvueailleurs:aubeaumilieuduchampdebataille,d’avoirétéconvaincuqu’elleallaitletuerpourensuitedécouvrirqu’elleavaitdécochésaflèchesurleMcHughquis’apprêtait à lui planter un poignard dans le dos. Et qu’ensuite, elle s’était ruée à son côté pourl’empêcherdes’effondrer.
Après cela, plus rien. Il n’avait aucun souvenir des événements qui avaient suivi. Et il ignoraittoujoursdepuisquandilgisaitinconscientdanscelit.
—Quandaeulieulabataille?demanda-t-il.—Ilyadeuxjourspleins,réponditBrodie.Bowenlâchaunjuron.—Deuxjourspouruneblessureaussiridicule?Brodieesquissaunsourire.—Si ça peut te consoler, tu es resté inconscient si longtemps parce qu’on t’a forcé à avaler une
potionpourqueturestestranquille.Bowengrognaànouveauenseredressantpours’adosserauxcoussins.Fortheureusement,l’attente
prit fin. Il venait àpeinede trouveruneposition relativement confortablequand laporte s’ouvrit à lavolée.Teague,lestraitstirésparl’inquiétude,seruadanslachambre.
—Commentvas-tu?voulut-ilsavoir.Jesuisvenuaussivitequej’aipu.Nousétionspresquearrivésauchâteauquandteshommesm’ontrattrapé.
—Jevaisbien.Cen’estqu’uneégratignure,quinevalaitpasquejepassedeuxjoursaulit.Jeseraideboutdemainmatin.
TeagueregardaBrodie.—Ques’est-ilpassé?Brodietiraunechaise,laretournapourlachevaucheràl’envers,lesbrassurledossier.— PatrickMcHugh s’est allié auxMcGrieve et nous a attaqués. Nous les avons repoussés,mais
Bowenaétéblessé.UndesMcHughquinousavaitprêtéallégeanceatentédelepoignarderdansledospendantqueBowensebattaitavecunautreguerrier.Ilafailliréussir.
Teaguehaussaunsourcil.—Failli,seulement?Brodieacquiesça.—Oui.Genevieveluiamisuneflècheenpleinetête.Teagueouvritdegrandsyeux.—Attends?Genevieveafaitquoi?—Elleluiatiréuneflècheenpleinfront,avantd’acheverlesoldatquiaffrontaitBowen.Lafilleest
féroce.Etellesaitviser.Teaguesetournaverssonfrère,lessourcilsfroncés.—Qu’endis-tu,Bowen?Etqu’enest-ildecedontnousavonsdiscutéavantmondépart?Bowenluiadressaunregardquileréduisitinstantanémentausilence.—Jem’intéressedavantageausortdePatrickMcHugh.Jenel’aipasvusebattre.Est-ilencoredans
lesparages,tapiaufondd’untrou?Etqu’enest-ildesautresMcHugh?S’ilyavaituntraître,ilpeutyenavoird’autres.
Brodiegrimaça.—Ilyenavaitd’autres.Troisaumoinsquenousavonsdémasqués.Ilsontétéexécutésàl’aube.—EtPatrick?s’enquitTeague.
Brodiepritunelongueinspiration.—Ilestmort.—Mort?s’écriaBowen.Comment?Quil’atué?Trouve-moilesoldatquiamisuntermeàsavie,
quejelerécompensecommeillemérite.—C’estbienlàleproblème,réponditBrodie.NousavonstrouvéuneflèchedanslajambedePatrick
etuneautreenpleinegorge.LesdeuxappartiennentàGenevieve.BowenetTeaguelefixèrent,bouchebée,avantd’échangerunregardstupéfait.—Tuescertainquec’estlafillequil’atué?insistaTeague,sceptique.—Je l’ai vuedemesyeux abattre deuxhommespour défendreBowen. Je n’ai donc aucunmal à
l’imaginertuantPatrick.Elleestd’uncalmeimpressionnant.Etaveccepetitarcquiestlesien,elleestd’uneprécisionmortelle.
—Ques’est-ilpasséquandj’aiperduconscience?Bowen voulait tout savoir, car il était hanté par d’étranges réminiscences. Il aurait juré que
Genevieveétaitconstammentàsescôtés,luiavaittouchélefront.Cequiluiavaitfaitl’effetd’unbaume.Saufquelorsqu’ils’étaitréveillé,seulsDeaglanetGeoffreyétaientprésents.
—Genevievet’asoutenupouréviterquetune t’affalesfacecontre terre,expliquaBrodieavecunamusementàpeinevoilé.Puiselleacommencéàaboyerdesordrestelunchefdeguerre.Commejetel’aidit,c’estellequiaenvoyélescavaliersintercepterTeague.Elleredoutaitquenoussubissionsunenouvelleattaque;avectablessureetnospertes,nousétionsconsidérablementaffaiblis.
Bowensecoualatête,deplusenplusperplexe.Ilauraitdûêtreencolère–non,furieux–contrecettefille pour son rôle dans l’enlèvement d’Eveline, et pourtant, l’idée de la punir pour un tel crime nel’enthousiasmaitnullement.
Iln’étaitentoutcaspasquestionqu’ilprennelamoindremesureavantqu’ellenesesoitexpliquée.—Elleaveillésurtoicommeunelouvesursespetits,enchaînaBrodie,etonpercevaitdanssavoix
uneadmirationnondéguisée.Elle a recousu tablessure, etn’apasquitté tonchevetpendant cesdeuxjours.Jel’aitrouvéeentraindedormiràtoncôtéaumilieudelanuit.Elleétaitàboutdeforces,etjen’aipasvoululadéranger.Jesuisparti,maissachequ’elleestrestéesurcettechaisependantdeuxjoursetdeuxnuits,mangeantetdormantàpeine.
Teague affichait une expression de plus en plus renfrognée, et Bowen voyait combien il devaitprendresurluipoursetaire.Illuilançaunregardd’avertissement,puisdemandaàBrodie:
—Quellessontnospertes?— Pas très importantes, mais avec les forces réduites dont nous disposions depuis le départ de
Teagueetd’Aiden,c’estencore trop.J’aiperduundemeshommesetdeuxMontgomerysontmortsaucombat.
Bowenjura.—Jen’auraispasdûrenvoyerTeague.Brodiehaussalesépaules.—Tun’avaispaslechoix.Nousavionsbesoindevivresetdematériel.Ceclann’aplusgrand-chose
etsinousvoulonsqu’ilsurvive,ilfautl’aider.Mêmeinférieursennombre,nousétionsmeilleurssurlechampdebataille.Lespertesennemiessontbienplusélevées.
Bowenregardasonfrère.—As-tupufairetonrapportàGraeme?—Non,réponditTeague.J’aienvoyélamoitiédemeshommesluiexpliquercequ’ils’étaitpasséet
jesuisrevenuiciaveclesautres.— Il nous espionnait, marmonna Bowen. Il se cachait comme un voleur, attendant l’occasion de
reprendresonfief.—C’étaitunidiot,déclaraBrodie.Etill’apayédesavie.
—Vous croyez que lesMcGrieve vont rallier des soutiens pour tenter de prendre le château desMcHughparlaforce?s’enquitTeague.
Bowenricana.—Seuluncrétinaurait lancécettepremièreattaque.Alors,oui, lesMcGrieveétantdescrétins, je
pensequ’ilsvoientlàlapossibilitéd’ajouterquelquesterresauxleurs.—Jevaisenvoyerunmessageàmonpère,annonçaBrodie.Ilnousferaparvenirdesrenforts,ainsi
quedesvivres.BowenfaillitrefusercetteaidedelapartdesArmstrong,avantdesesouvenirqueleursdeuxclans
étaientalliésdésormais.Lapropositionnesemblaitpasnonplus réjouirTeague–quis’étaitdéjàsuffisamment rabaisséen
demandantàBrodiederesterauxcôtésdeBowen–,maisiltintsalangue.—Jeresterai,moiaussi,décréta-t-il.Enfin,jusqu’àl’arrivéedeGraeme,quidécideraquoifaire.Il
nevoudraitpasquejetequittealorsquetuesblesséetsouslamenaced’uneattaque.Bowenhochalatêteavantdes’adresseràBrodie:—TonpèreetGraemevontsûrementécrireauroi.Ets’ilsnelefontpas,ilfinirad’unemanièreou
d’uneautreparapprendrecequisepasseici.Iln’apprécierasûrementpascetteguerreentreclansalorsqu’il a tant fait pourmettre un terme à la rivalité entre lesMontgomery et lesArmstrong. Il est biendécidéàramenerlapaixdanslesHighlandsmaintenantqu’ilasignéunetrêveavecl’Angleterre.
Brodies’assombrit.—Tantqu’ilnesemêlepasdenosaffaires.Sesinterventionsnoussontpénibles.Il n’avait, à l’évidence, toujours pas pardonné au roi d’avoir ordonné lemariage entreGraeme et
Eveline,mêmesicetteunionfaisaitlebonheurdesdeuxépoux.Bowennepouvaitleluireprocher.Lui-mêmen’avaitpasappréciécedécret.Brodieseleva,repoussasachaisecontrelemur.—Ilesttempsd’allerdormir.Repose-toietremets-toi,Bowen.Ilyaencorebeaucoupàfaire.Bowenlesaluad’unsignedetête.Teagueluisouhaitabonnenuit.Dèsquelaportefutreferméeetqu’ilsseretrouvèrentseuls,ilseretournaverssonfrère.—EtGenevieve?L’as-tuinterrogée?Quelrôlea-t-ellejouédansl’enlèvementd’Eveline?—Jen’aipaseul’occasiond’enparleravecelle,ditBowend’unevoixsourde.C’étaitunmensongeetildétestaittrompersonfrère.Maiss’illuirévélaitlavérité,ilcondamnerait
Genevieve à ses yeux, or il n’était pas prêt à ce qu’on la juge. Pas encore. Pas quand il lui restait àdécouvrirpourquoielleavaitagiainsi.
IlenétaitencoreàruminersurcequeBrodievenaitdeluiapprendre.S’ilfallaitl’encroire,elleluiavaitsauvélavie.EtelleavaittuéPatrickMcHugh–unexploitquenisesguerriersnilui-mêmen’étaientparvenusàaccomplir.
Cettefilleétaitdécidémentuneénigmeet ilavaitbien l’intentionde ladéchiffrer.Pourcefaire, ilavaitbesoindetemps.Enoutre,s’ilconfiaitcequ’ilsavaitàTeague,Graemel’apprendraitforcément,ainsiqueBrodieet tous lesArmstrong.Tousvoudraient sevengeret l’idéequ’on infligedenouveauxsévicesàGenevieveluidonnaitlanausée.
—Jecroyaisquetuétaispartiàsarecherche,insistaTeague.— En effet. Je l’ai du reste trouvée au bord de la rivière.Mais aumoment où je m’apprêtais à
l’interroger,l’alerteaétédonnée.Jel’airamenéeauchâteauetjeluiaiordonnédeseréfugierdanssachambre.
—Unordreauquelelleavisiblementobéi,commentaTeagueavecflegme.—Ilestheureuxqu’ellenel’aitpasfait.Carjeneseraisvraisemblablementplusdecemonde.Teaguedemeurasilencieuxunmoment.Puisils’agitasursachaise,leslèvrespincées.
—SionencroitBrodie,tuluidoislavie,admit-il.EtsielleatuéPatrickMcHugh,lesMontgomerycommelesArmstrongontunedetteenverselle.
Ilétaitévidentqu’iln’appréciaitguèrededevoir le reconnaître. Ilavaitunedentcontre la filleetBowennepouvaitl’enblâmer.ElleavaittrahiEvelineetmisleursdeuxclansendanger.
MaisBowenne pouvait s’empêcher de penser qu’il ne connaissait pas le finmot de l’histoire, etjusqu’àcequ’ilensoitainsi,ilrefusaitdelacondamneraunomdesonclan.OudeceluideBrodie.
Teaguelefixaitd’unregardaigu.—Est-cegrave?demanda-t-ilàmi-voix.—Dequoiparles-tu?demandaBowen,perplexe.—Detablessure.Envérité,moncœurafaillis’arrêterdebattrequandAdwenm’aapprisque le
châteauavaitétéattaquéetquetuétaisblessé.Ilignoraittoutdetonétatetj’aicraintdetetrouvermortàmonarrivée.
—Cen’estrien,justeuneégratignure,assuraBowen.—Humm.Uneégratignurequiaexigédesacrés travauxdecoutureàceque jevois.Tum’as fait
peur,Bowen.Jeneveuxpasteperdre.Surtoutpaspourunecausepareille.JepréféreraismassacrertouslesMcHughjusqu’audernierquetevoirfrappéd’unefaçonaussilâche.
Bowensourit.—Ducalme,monfrère.Jesuisplusdifficileàtuerquecela.Etilsemblequelafilleétaitdéterminée
ànepasmelaissermourir.Quoique,mêmesij’avaisétépoignardédansledos,ilesttrèsprobablequej’auraissurvécu.
—J’aimeautantqu’ellet’aitévitéça.Bowenacquiesçad’unairlas.—Moiaussi. J’avouequecetteblessuremefaitunmaldechien,mais je refusequ’ilsmefassent
encoreavalerleurmauditepotion.Àcausedecepoisonqu’ilsn’ontcessédem’administrer,jesuisrestéinconscientpendantdeuxjours.
—Jevaistelaissertereposer,déclaraTeagueenselevant.JeverraidemainavecBrodiecequ’ilfautfairepourrenforcerlesdéfensesduchâteau,tupourrasdonccontinueràtevautrerdanscelit.
Bowensouritetlevasonbrasvalidepourprendreceluidesonfrère.—Jesuiscontentquetusoisrevenu.Teagueluirenditsonétreinte.—Aufait,nesoispastropsurprissiGraemeenpersonnefaituneapparition,leprévint-il.—Dieunousvienneenaide!gémitBowenenguisederéponse.
22
Lelendemainmatin,Bowententadeseleverprécautionneusement.Lemouvementtirasurleschairsrecousues,etilseredressaengrimaçant.
Ilpressalamainsursapoitrine,palpasablessure.Il ne risquait certes pas de retourner dès aujourd’hui sur le champ de bataille,mais il pouvait au
moinss’extrairedecelitavantd’endeveniruneextensionpermanente.Iltitubajusqu’àlacuvetteetselavalevisage.Maisc’étaitsurtoutd’unbonbainqu’ilavaitbesoin.Il
puait lasueuret lesang.Seulunbonrécurageledébarrasseraitdecettecouchedecrassequisemblaitincrustéedanssapeau.
Aprèsavoirenfiléunetunique,ilcherchadeshauts-de-chaussespropres,puisdécidadesepasserdebottes.Illesenfileraitaprèss’êtrelavé.
Ilattrapaunecouvertureetouvritlaporte.Geoffreyétaitseuldanslecouloiretsemitaugarde-à-vousdèsqu’ilsortitlatête.
—Vousavezbesoind’aide,laird?—Non,jevaisprendreunbain.Bowensedirigeavers l’escalier, le soldat sur ses talons. Il était encore tôt, lechâteaun’étaitpas
réveillé.L’eau fraîche de la rivière devrait achever de le réveiller, songea-t-il en ouvrant la porte dederrière.
L’air froiddumatin le gifladèsqu’ilmit le pieddehors. Il inspira à fond, contempla les traînéeslavandequicoloraientlecielàl’est,annonçantlavenuedusoleil.
Ilatteignitlesommetdelapetitebuttequidominaitlarivière,etsepétrifia.SetournantvivementversGeoffrey,ilordonna:—Retourneauchâteau.Lesoldatparutsurpris,etBowensutàquelmomentprécisilrepéraGenevieveentraindesebaigner.
Lesjouesdujeunehommesecolorèrentetildétournalesyeuxenhâte.—Biensûr,laird,marmonna-t-ilenbattantenretraite.Dèsqu’ilfutassezéloigné,Bowenportalesyeuxverslarivière,sedemandants’ilallaitladéranger
denouveau.S’il était aussigalantqu’il aimait à le croire, il s’esquiveraitdiscrètement.Saufqu’elle était bien
tropbelle, bien trop attirantepourqu’il l’ignore.Avantmêmede s’en rendre compte, il descendait lapente.
—Celasembledevenirunehabitudequejevoustrouveici,lança-t-ilquandilfutassezproche.Genevievelevaaussitôtlesyeux,etsecouvritinstinctivementlapoitrinedesesbras.Songestelui
comprimalesseins,attirantencoredavantagel’attentionsureux.
—Vousdevriezêtreaulit,fit-elle.Ilestbeaucouptroptôtpourvouslever.Votreplaierisquedeserouvrir.
—Onm’aassuréquelapersonnequim’arecousuafaitunexcellenttravail.Ellelefixaitd’unairméfiant,leregardsombreetinquiet.Elles’attendaitàcequ’ilseconduisemal
avecelle,cequin’avaitriendesurprenant.IanMcHughs’étaitconduitavecellecommeledernierdessalauds,ets’ilsefiaitàcedontilavaitététémoin,leresteduclann’avaitguèrefaitmieux.
—Ilfaitunfroiddegueux,observa-t-il.Pourquoiêtes-vousdanslarivièreàcetteheure?—Ilfallaitquejemelavelescheveux,quejelesdébarrassedelapoussièreetdusang,répondit-elle
d’unevoixsourde.J’aimeraislefaireseule,sivouslepermettez.—Danscecas,nousavonsunpetitproblème,carjesuismoi-mêmevenumelaver.—Dans ce cas, retournez-vous, que je puisse sortir de l’eau etme rhabiller.Après quoi, je vous
laisseraiàvosablutions.Il s’exécuta sans rechigner. Et tandis qu’il écoutait des bruits d’éclaboussures, il l’imagina nue et
ruisselante.Ledésirluiincendialesreinsetsonsexesedressa.Cettesoudainetélepritparsurprise.Il s’efforça de reprendre le contrôle de son corps,mais celui-ci refusait obstinément de lui obéir.
Quantàsonesprit,ilétaitremplid’imagesaussisplendidesquetorrides.Genevieveavaitaussiuneffetsaisissantsursonimagination.
Iln’empêche,cetteréactionexagéréen’avaitaucunsens.Cettefemmeportaitlamarqued’unautre–unhommequiavaitfaitd’ellesaputain.Sanscompterqu’elleavaitdescomptesàrendreàsonclan.Etpourtant, ilsesurprenaità lui trouverdesexcuses.Àchercheruneexplicationraisonnableàsesactes,alorsqu’iln’yavaitrienderaisonnableàavoirentraînéEvelinedanscetenfer.
Non, cette femme ne lui valait rien, et pourtant il était attiré par elle commeune phalène par uneflamme.
—Vouspouvezregardermaintenant,dit-elled’untonteintéd’agacement.Ilpivota.Perchéesurunrocher,elles’étaitentièrementdrapéedansunecouverture,etilsedemanda
sielleavaitprisletempsdes’habillerousielleétaitnuesouslalaine.Sachevelure trempéeétaitdéployée sur sonépaulegauche,masquant sabalafre.Onauraitditune
nymphedesmers.Unenympheauxsecretsbiengardés.Il s’approcha de l’eau, retira sa tunique non sans difficulté. Du coin de l’œil, il vit Genevieve
détourner vivement les yeux. Il avait prévu de se baigner avec ses hauts-de-chausses,mais si elle luiaccordaitcetteintimité,autantsedéshabillerentièrement.
Quandellefitminedepartir,ilprotestasansréfléchir.—Non,dit-il.Restez.Elletournalatêteverslui,etlasurprisesursonvisagelaissarapidementplaceàlaméfiance.— Il vautmieux que je vous laisse à votre toilette, laird. Il ne serait pas convenable que je sois
présente.— C’est vrai, reconnut-il. Mais je veux vous parler, et je préfère le faire ici, loin des oreilles
indiscrètes.Ilcommençaàbaisserseshauts-de-chausses,puiss’interrompit.—Mieuxvautquevousvousretourniezsivousnevoulezpasêtreoffenséeparmanudité.Ellepivotasihâtivementqu’ellefaillitdégringolerdesonperchoir.Maisalorsqu’ilgardaitlesyeux
rivéssurelletoutensedéshabillant,illavitjeterunregardpar-dessussonépaule.Cecoupd’œilfurtiflefitsourire.Elleparaissaittimide,cequ’iltrouvaitétrangementattirant.Inviter
unefilleàlecontempler?Sonaudaceallaitl’envoyerdirectementenenfer!Unhommebienauraittournéles talonsà l’instantoùil l’auraitsurpriseentraindesebaigner.Mais ilnedevaitpasêtreunhommebien,carilnedésiraitrientantquedepasserquelquesinstantsavecGenevieve,loindesregards.Loindujugementàvenir,etloindesondevoirenversceclan-cietlesien.Surtoutlesien.
Il devait une absolue loyauté à Graeme, laird desMontgomery. Il était ici son représentant, et iln’étaitpasquestiondenepasréparerlestortsquiluiavaientétéfaits.
Maisquis’était jamais tenuauxcôtésdeGenevieve?Quiavait jamaischerchéà réparer les tortsqu’elleavaitsubis?
Ilnecomprenaitpaspourquoiellerefusaitd’avertirsafamillequ’elleétaitenvie,celadit,ilavaitdumalàimaginerparquoielleétaitpassée.Ilcomprenaitlafierté,ilnelacomprenaitmêmequetropbien.Chaquefoisqu’illaregardait,ilétaitfrappéparcettefiertéinébranlable,presquestoïque,dontellefaisaitmontre.Commesic’étaitlàtoutcequ’illuirestaitetqu’ellerefusaitd’enêtredépouillée.
Ilavaitbeaucontinueràpenserqu’elledevraitprévenirsafamille,commentpourrait-illuidictersonchoix,alorsquedepuisunand’autresn’avaientcessédeluiimposerleurvolonté?
Il grimaça lorsqu’il pénétra dans la rivière.Rien de tel que l’eau froide pour calmer les ardeurs,songea-t-ilcommeleniveauatteignaitleszoneslesplussensiblesdesonanatomie.Ilfrissonnaavantdes’yplongercarrément.
Unefoisaccroupi,illançaàGenevieve:—Vouspouvezregardermaintenant.Elleseretournaavecprécaution,serrantlacouvertureautourd’elle.Perchéeainsisursonrocher,ses
longscheveuxtrempéss’accrochantàsoncorps,elleressemblaitàunesirène.Oui,l’unedecescréaturesmythiquessortiedel’onde.
—Cetteeauestglaciale.Quelleidéedevousbaignerdesibonneheurelematin!s’exclama-t-il.Ellehaussauneépaule.—Ilyamoinsderisquequ’onmevoie.Biensûr.—Ilsemblequej’aiunedetteenversvous,dit-il.Perplexe,elleinclinalatêtedecôté.—Unedette,laird?—Maisoui,fit-ilavecunpetitrire.Ilsembleraitquevousayezétéfortoccupéependantlabataille.
Onaretrouvévosflèchesdansquatrehommesdifférents.L’und’entreeuxétantPatrickMcHugh.Elleblêmit.—Vous avez agi avec bravoure, poursuivit-il.Vous avez pris de grands risques en vous exposant
ainsiaulieudevouscachercommeonvousl’avaitdemandé.Il commençait à s’habituer à l’eau glacée. Du regard, il chercha lemorceau de savon qu’il avait
apportéetdécouvritqu’ill’avaitlaissésurlariveavecsesvêtements.Ilnetenaitpasàchoquerlafilleensortantdel’eaupourallerlerécupérer.—Vousvoulezbienmelancerlesavon?Genevieve baissa les yeux sur ledit savon en fronçant les sourcils avant de regarder de nouveau
Bowen. La couverture toujours soigneusement serrée autour d’elle, elle descendit de son rocher, sepenchapourramasserlesavonqu’elleluijeta.Ill’attrapaauvol.
Toutencommençantàselaver,ilcherchasonregard.—Pourquoiavoiragiainsi?Cettefois,ellelaissaéchapperunsoupir.—ParcequejehaïssaisPatrickMcHughautantquesonfils.C’étaitmondroitdeletuer.Etunplaisir
quejen’aipaseuavecIan.Boweninterrompitun instantsa toilette.Ellefaisaitpreuved’ungrandcalmequandelleparlaitde
tuer – un acte dont la plupart des femmes n’avaient pas l’occasion de discuter, et auquel ellesparticipaientrarement.
—Etpourquoiavez-vouschoisid’intervenirdansmoncombat?Elleétrécitlesyeux.
—C’estuneréprimande?—Non.Jemevoismalvousréprimanderalorsquejemetiensdevantvousaulieud’êtredansma
tombe.—Ilfallaitintervenir,marmonna-t-elle.C’étaitsilâchedevousattaquerpar-derrière.—Jevousenremercie.Etmonclanaussi.Elledéglutitetseslèvresfrémirentcommeelledéclarait:—Nousnepouvonspasprétendrequenotredernièreconversationicimêmen’apaseulieu.Ilsoupira.—Non,nousnelepouvonspas.Ellehaussalementon,fièredenouveau,etdéterminéeànepasselaisserbriser.—Dites-moiquelseramonsort,laird.Nepassavoirestpénible.Bowens’enfonçadansl’eauetrenversalatêtepoursemouillerlescheveux.Pendantunmoment,il
seconsacrauniquementàsatoilette,car,envérité,iln’avaitpasencoreprisdedécisionlaconcernant.Ilnesavaitpasquoiluidire.Pasencore,entoutcas.
Ilseredressaitlorsqu’illavittournerlestalonsetsedirigeràgrandspasverslechâteau.—Arrêtez!ordonna-t-il.Elle se figea, attendit quelques secondes, puis se retourna lentement vers lui, les yeux lançant des
éclairs.—Jenejoueraipasàcepetitjeu,l’avertit-elle,farouche.Jerefusedemelaissertorturer.Depasser
chaqueinstantàmedemanderquandlasentencetomberateluncouperet.Sivousaviezuntantsoitpeuderespect,vousnemeferiezpassouffrirainsi.
Ilyavaittantdedouleurdanssavoixqu’ilentressaillit.Etsesyeux:desocéansdetristessedanslesquelsilauraitpusenoyer.
—Nepartezpas.Sijen’airiendit,c’estquejen’airiendécidéencore.—Etc’estcensémeréconforter?demanda-t-elle,incrédule.—Asseyez-vous,s’ilvousplaît.Cetendroitestprobablement leseuloùnouspouvonsavoircette
conversationsansêtredérangés.—C’estpeut-êtrelelieumaiscertainementpaslemoment.Jenedevraispasêtreicientraindevous
regarderprendrevotrebain.Sicelasesavait,onmetraiteraitencoredeputain.Saufquecettefois, jeseraisdevenuelaputaindulairdMontgomery.
Elleavaitraison,biensûr,etpourtantilnevoulaittoujourspasqu’elles’enaille.—Tournez-vousquejepuissemerinceretmerhabiller.Nousparleronsdetoutcelaaprès.Uninstant,ilcrutqu’elleallaitrefuserdeluiobéir,maisellefinitpars’exécuter.Ilachevarapidementsatoiletteavantdesortirdel’eau.Dieuqu’ilfaisaitfroid.Bientropfroidpour
undébutd’été.Lesoleilcommençaitàpeineàpoindreàl’horizon,quiseteintaitd’oretd’ambre.Ilseséchaavecunecouverture,puisenfilaseshauts-de-chaussesetsatunique.Aumoins,soncorps
secomportaitnormalement,àprésent.—Vouspouvezvousretourner.Elleluilançaunregardprudentpar-dessussonépaulepours’assurerqu’ilétaitdécent,avantdese
retournervraiment.Elleallas’asseoirsurunrocher.Ilpritplacesurlerocherenfaced’elle.—Dites-moipourquoi,demanda-t-ilsimplement.Ellebaissalesyeuxetsemitàtripoterleborddesacouverture.—Mesraisonsont-elleslamoindreimportance?Cequej’aifaitestterrible.Votreclanetvousavez
parfaitementledroitd’exigerréparationpourlespéchésquej’aicommis.—Vosraisonsontdel’importance,Genevieve.Ellesenontpourmoi.Jeveuxsavoircequivousa
pousséeàagircommevousl’avezfait.Elleleregardadroitdanslesyeux.
—J’aiagiainsiparcequevousétiezmonseulespoir,articula-t-elled’unevoixvibrante,commesiellelesuppliaitdecomprendre.
Ilenrestabouchebée.Quevoulait-elledire?—Jenecomprendspas,lâcha-t-il.LesyeuxdeGenevieves’emplirentdelarmesetelleserralacouvertureautourd’elleavecforce.— Je savais que si Ian s’en prenait à Eveline, ses actes ne demeureraient pas impunis. Les
Montgomeryet lesArmstrongsontdeuxclans trèspuissants.Ni l’unni l’autrene toléreraitqu’ons’enprenneàl’unedesleurs,orEvelineestàlafoisuneMontgomeryetuneArmstrong.
Bowencontinuaitdelafixer,comprenantenfinsamanœuvre.—Vousvoulieznousfairevenir.—Oui,murmura-t-elle.J’ignoraissimonsortseraitmeilleurentrevosmains,maisilnepouvaitêtre
pirequeceluiqueIanm’infligeait.C’étaitunrisquequejedevaiscourir.—Jenesaispassijedoisapplaudirvotregénieoucondamnerunplanquifaisaitsipeudecasdu
dangerquecouraituneinnocente.Genevievesemorditlalèvrecommepours’empêcherdedirequelquechose.Puisellesecontentade
détournerlesyeux,refusantdecroiserpluslongtempssonregard.—Qu’allez-vousfairedemoi?souffla-t-elle,ledosvoûtédansuneattitudequiclamaitsadéfaite.Lavoiraussirésignéealorsqu’ilsavaitquellepassionl’habitaitlepeinait.Ilpritunelongueinspiration,sachantquesadécisionseraittrèsmalaccueillieparsonclanainsique
parceluidesArmstrongsilerôlejouéparGenvievevenaitàêtreconnu.—Jevousaifaitunepromesse,etj’entendslatenir.Jevousaiditque,selonvotresouhait,jeferais
en sorte que vous soyez accueillie au sein de mon propre clan, ou que je vous conduirais dans uneabbaye.Ilestfortprobablequel’abbayedemeurevotreseulchoixdésormais.J’ignoresimonclanvouspardonnerajamaisletortquevousavezcauséàEveline.
Une larme roula sur sa joue parfaite. Comme d’habitude, elle se tenait de trois quarts afin dedissimulersacicatrice,etapparaissaitsitragiquementbellequ’ilavaitdumalàrespirer.
Ilmouraitd’enviedelaprendredanssesbras,deluioffrirunpeudeceréconfortdontelleavaitétéprivéedurantdesmois.
—Jeneméritepasquevousteniezvotrepromesse, laird.Ellevousaétéarrachéealorsquevousignoriezcequej’avaisfait.Jecomprendraisquevousreveniezsurvotreparole.Jenevousenblâmeraispas.
—Maismoi,jem’enblâmerais,assuraBowen.Jecompatisàvotreépreuve.Jenepeuxmêmepasdirequejetrouvevotreplansansintérêt.S’ils’étaitagid’uneautrefemmequel’épousedemonfrère,jen’auraispas éprouvé la colèrequim’a envahiquand j’ai appris cequevous aviez fait. J’ai dumal àdemeurerobjectifalorsquejeconnaisEvelineetladouceurdesonâme.Etpourtant,jenepeuxignorervotre désespoir et la nécessité à l’origine de vos actes. Je ne peux vous reprocher d’avoir tenté deretrouvervotreliberté.
Un sanglot étouffédéchira la gorgedeGenevieve.Ellepressa le poing sur sabouche.Quandellerepritlaparole,cefutd’unevoixcasséetantelleseretenaitdepleurer.
—Mêmepourm’ensortir,jenesouhaitaisfairedemalàpersonne.Vousdevezmecroire.Bowenl’étudiaunlongmoment,bouleverséparsasincérité.—Jevouscrois,murmura-t-il.— Il faut que je parte, dit-elle en se levant, les coins de sa couverture flottant dans la brise.Les
autresdoiventêtrelevés,etjeneveuxpasqu’ilsmevoientdanscetétatenvotrecompagnie.—Jecomprends.Vousavezdéjàassezsouffertdeleurjugement.Illasuivitduregardtandisqu’ellereprenaitlecheminduchâteau.Piedsnus,lescheveuxmouillés,
enveloppée dans une couverture. Parvenue au sommet de la butte, elle hésita une fraction de seconde
23
—Oùdiableétais-tu?Tels furent les mots qui accueillirent Bowen quand il pénétra dans la grande salle où Brodie et
Teagues’apprêtaientàdéjeuner.Ils’assitàcôtédeBrodie,faceàTeague.—Bonnejournéeàvousaussi,dit-ilavecflegme.Teaguefronçalessourcils.—Tuescenséêtreaulit,etvoilàquetutebaladesdehors?Ilyavaitquelqu’unavectoiaumoins?Bowenricana.—Quandj’auraibesoind’unenourrice,jeviendraitechercher,petitfrère.—Tuasaussiperduteschaussures?demandaBrodied’unevoixneutre.—Jen’enavaispasbesoinpourprendreunbain.—On peut savoir pourquoi tu es d’aussi bonne humeur ? s’enquit Teague, soupçonneux. Pour un
hommequivientd’êtreblessé,tumeparaisbienguilleret.Bowenlevalesyeuxauciel.—Tupréféreraisquej’arpentelapièceenbraillant«Qu’onleurcoupelatête!»?—Toutdépenddestêtesquetuvoudraisqu’oncoupe,observaBrodie.—J’envoisdéjàune,répliquaBowenenlorgnantTeague.—Laissez-moi vous dire, reprit Brodie, que si lesMontgomery n’arrivent pas très vite avec des
provisions,monestomacrisquefortdesedévorerlui-même.Impossibled’organiserunepartiedechassetantquesubsistelerisqued’uneattaque.
Teaguecontemplalecontenudesontranchoirqu’iltripotaduboutdesoncouteau.—J’ignorecequec’estsupposéêtre,avoua-t-il.Cen’estmêmepaschaudetcettechoseaungoût
quejen’arrivepasàidentifier.Brodiesepenchapourreniflersanourritureetfitlagrimace.—C’est unmiracle que lesMcHugh soient parvenus à survivre aussi longtemps en ingurgitant ce
genredetrucs.—Nouspourrionsinspecterlesgarde-manger,proposaBowen.Ounon!Peut-êtrevaut-ilmieuxne
passavoircequ’ilscontiennent.Teagueacquiesçaetrepoussasonassiette.—Jevaispassermontourpouraujourd’hui.Direquejerêvaisd’undélicieuxdînercheznousquand
Adwennousarattrapés.Uneétincelles’allumasoudaindansleregarddeBrodie.—Etpourquoinepaslancerunereconnaissance?Nousenprofiterionspourchasser,avecunpeude
chance,nousramèneronsdequoifaireunrepasdignedecenom.
Un grand sourire éclaira le visage de Teague, son estomac approuvant déjà bruyamment cettesuggestion.
—Quelapestevousemportetouslesdeux,marmonnaBowen.Teagueéclataderire.—Et,non, tun’aspasledroitdenousaccompagner.Nousseronsderetouravant ledîner.Jevais
demanderàGeoffreyetàDeaglandetesurveiller,aucasoùtuseraistentéd’enfairetroppendantquenouspatrouillons.
—Patrouiller,moncul,grommelaBowen.Pourtant,aussiimpatientfût-ildeprendrepartàcettechasseimprovisée,ilneregrettaitpasderester
auchâteau, car cela luipermettrait depasserunpeude tempsavecGenevieve sans avoir à fournir lamoindreexplicationàcesdeux-là.
Brodieselevaetposalamainsursonépaule.—C’estdécidé,nouspartons.Priepourquenousnerentrionspasbredouilles.Bowenlesregardaquitterlasalle.Unliensemblaitêtreentraindesetisserentreeux.C’étaitétrange
d’imaginerunMontgomerynouantuneamitiéavecunArmstrong,maisilsemblaitbienquecefûtlecas.Lanourriture froide ne le tentait nullement,mais après deux journées sansmanger, il était affamé.
Grimaçant,ilseforçaàenavalerunebonneportionqu’ilfitpasseravecdecopieusesrasadesd’eau.Quand il eut terminé, il se leva avec l’impressiond’avoir ingurgité une assiette de cailloux, et se
demandasimangercetteinfâmemixtureavaitétéunesibonneidéequecela.Ilmontadanssachambrepourenfilersesbottes.Oui,sablessureétaitdouloureuse,maisiln’avait
pasl’intentiondepasserunejournéedeplusaulit.Ilsepeignaetattachasescheveuxenqueue-de-chevalsurlanuqueavecunelanièredecuir.
Ilmouraitd’enviedeteniruneépée.Des’entraîner,des’activer…n’importequoipourretrouversavigueur.Ilavait l’impressiondetoutfairepluslentement,commesisablessurel’avaitdépouillédesacapacitéàréfléchir,àréagir.Unboncombatluiferaitdubienetl’aideraitàsortirdesatorpeur.
Aprèsavoirexaminésasuturepours’assurerqu’elletenaitetnesaignaitpas,ilrajustasatuniqueetquitta sa chambre. Ce serait bien le diable s’il ne trouvait pas un partenaire avec qui faire un peud’exercice.Ilétaitd’humeuràmettrequelqu’unenbouillie.
Genevieve avait réussi à éviter de se retrouver mêlée auxMcHugh aujourd’hui. Elle n’éprouvaittoutefois aucune fierté à admettre qu’il lui avait fallu pour cela passer son tempsdans sa chambre, laportefermée.
Ce n’était qu’en se rendant à la rivière aux petites heures du jour qu’elle pouvait jouir d’un peud’intimitépoursebaigner.Saufquelesdeuxdernièresfois,BowenMontgomeryétaitvenuluiaussi.
Ilétaitdoncévidentqu’elleallaitdevoirrenonceràcetinfimeplaisir.Celafaisaitdesheuresqu’ellearpentaitlapièce,s’immobilisantdetempsàautredevantlafenêtre
pour jeter un coup d’œil dehors Elle avait vu Teague Montgomery et Brodie Armstrong partir avecquelqueshommesilyavaitmaintenantplusieursheures.L’après-midiétaitbienentaméeetellen’avaitrienmangéd’autrequelepainetlefromagequeTaliesanluiavaitapportécematin.
Elleguettaitavecanxiétélessignesannonçantquelasiesteavaitcommencé.Aprèslerepasdelami-journée,lestâchesdelamatinéeétantachevées,leclanétaitautoriséàprendreunpeuderepos.
Pour l’instant,Bowenn’avait pas changécettepratique,même si ellene les avait jamaisvus, sonfrère,seshommesetlui,s’accorderlamoindrepause.Ilssemblaientenpermanencesurlequi-vive.
Enfin,lacoursevidatandisquechacunrentraitauchâteauoudanssoncottage.Genevievesuivitduregardlesderniersretardataires.
Siellevoulaitprendreunpeul’air,c’étaitmaintenantoujamais.Mêmeunecourtepromenadejusqu’àlarivièreseraitlabienvenue.Êtreenferméedanssachambrelarendaitfolle,maissipéniblequefûtcetteséquestration volontaire, elle préférait éviter toute confrontation avec les McHugh. D’autant qu’ilsdevaientmaintenantsavoirqu’elleavaittuéPatrick.
Elledrapasacapesursesépaules,rabattitsoigneusementsacapucheetsortitdesachambre.Elleseglissadans lacourparunepetiteporte.Àsongrandsoulagement,ellenecroisapersonne.
Quelquesinstantsplustard,elleprenaitlechemindelarivière.Peut-êtresecontenterait-elledes’asseoirausommetdutaluspourcontemplerlaprairieoù,autrefois,
broutaientdesmoutons.Dutroupeau,ilnesubsistaitplusqu’unebrebisetsonpetit,sansdouteparcequePatrickn’avaitpasréussiàlesattraper.L’endroitdemeuraitnéanmoinsbeauetpaisible.
Elles’assitdans l’herbe, ledosappuyéàungros rocherde façonàcequ’onnepuisse lavoirduchâteau.Ramenantlesjambescontresapoitrine,lementonposésurlesgenoux,ellelaissaéchapperunlongsoupir.
C’étaitunedélicieuseaprès-midi.Lesoleilencorehautentamaitàpeinesadescenteversl’horizon.Quelquesnuageséparsdérivaientdoucementdanslecield’unbleutrèspur.
Genevieve inspira profondément, savourant les senteurs suaves qui flottaient dans l’air, et cetteagréableléthargiequel’onressentlorsquelesoleilvouscaresselapeau.Unesiesteseraitunavant-goûtdu paradis. Être seule, étendue sous l’immense ciel desHighlands, la brise luimurmurant une doucemélodieàl’oreille.
Sespaupièressefermèrent,sesmusclessedétendirent.Elleplongeaitlentementdanslesommeil,sespenséessemêlantàdesrêvesdelieuxoubliés,quandunbruitlaramenabrutalementauprésent.
Ellerouvritlesyeuxettournalatête.Lapeur et ledésarroi lui nouèrent lagorgequandelledécouvritCorwenMcHughqui approchait,
l’airbelliqueux.Sonsangseglaça.Quefaisait-ilici?Saprésencen’annonçaitriendebon.Pourelle,entoutcas.Instinctivement, elle se releva, le regard tourné vers le château, cherchant… quelque chose.
N’importequoi.—Tuesheureused’avoircausélaruinedetoutleclan?aboya-t-ild’unevoixcoléreusetelunenfant
àquionarefuséuncaprice.Saufquel’hommen’avaitriend’unenfant.Unfrissonluicourutlelongdel’échineetelleseforçaà
chasserdesonespritlesimageshorriblesquil’assaillaient.Ilavaitétésontortionnaire,etellelehaïssait.—Jen’airienfaitquin’aitétémérité,rétorqua-t-elle,lesdentsserrées.Ilricana.—Tun’esqu’uneputain,ettuasététraitéecommetelle.C’estàcausedetoiquePatricketIansont
morts.Mauditefemelle.Tun’apportesquelemalheuretlamort.Lahainepritledessusetellelefixad’unregardmauvais.—Oui,c’estvrai,jesuismaudite.Tuferaismieuxdem’évitersituneveuxpasl’êtreàtontour.L’espaced’uninstant,ellevitlapeurdanssonregardetcrutqu’ilallaitsimplementrepartircommeil
étaitvenu.Puissestraitssetordirentcommes’ilavaitrevêtuunmasqueeffrayant.Menaçant.Ils’avançaverselle,tropvitepourqu’ellepuisses’échapper.Elletentadereculer,trébuchaettendit
lesbraspourretrouversonéquilibre.Il lui attrapa les poignets et l’attira à lui. Elle ouvrit la bouche pour hurler,mais il la fit pivoter
brusquementafinqu’elleseretrouveledoscontresontorse,etlabâillonnadesamain.Ellesedébattit,ruant,donnantdescoupsdepied,setordantavecfrénésie.Elleessayademordrela
mainquil’étouffait,alorsill’écartaetlacognaavecsonpoingfermé.Elles’écroula,sonnéeparlaviolenceduchoc.
—Restecouchée,putain,cracha-t-il.Tun’esbonnequ’àécarterlescuisses.Ettuvasmesatisfairesituneveuxpasquejetemetteunebonneraclée.
UncriétrangléfranchitleslèvresdéjàtuméfiéesdeGenevieve.Elleavaitdusangpleinlabouche.Ellevoulutroulersurelle-même,loindelui,maisilselaissatombersurelle,laclouantausolface
contreterre,luicoupantlesouffle.Malgrétout,malgrécepoidsquil’immobilisait,elletentaencoredes’échapper.Non!Plusjamais.
LevisagedecethommeétaitgravédanssonespritàcôtédeceluideIan.Siseulement,ellel’avaitvupendantlabataille,elleluiauraitdécochéuneflèchedanslagorgesanslemoindreremords.
Ellefermalesyeuxetessayaànouveaudehurler,maisCorwenlaretournapourécrasersabouchesurlasienne.Cen’étaitpasunbaiser.Unbaiserestunechosemerveilleuse.Romantique.Qu’échangentdeuxpersonnesquis’aiment.Cequ’ilfaisait,lui,étaitunetorture.Unchâtiment.
Elleluimorditlalangueetfutrécompenséeparunnouveaucoupdepoingauvisage.Unvoiletombadevantsesyeuxtandisqueladouleursedéployaitenelle.Hébétée,elleserenditàpeinecomptequ’illuidéchiraitsoncorsage.
Lechoclapétrifia.Non,çanepouvaitpasrecommencer.Devait-elleêtreàjamaissoumiseauxdésirsbestiauxdeshommes?Était-elleàjamaiscondamnéeà
êtreviolée?Utiliséecommebonleursemblait?Commentpourrait-elleendurerdenouveaucela?Sonvisage,soncorps,sonâmemêmeavaientdéjà
étésouillés.Volés.Ellenes’appartenaitplus.Elleétaitdevenuequelqu’und’autre,GenevieveMcInnisétaitmorteet,àsaplace,vivaitunefemmequ’elleneconnaissaitplus.
Non.Non!Lemotexplosadanssoncrâne,sortitpéniblementdesaboucheensanglantée.Etsonéchoserépéta
encoreetencorejusqu’àdevenirunelitanie.Desmainscalleusessoussesjupes.Douloureusesentresescuisses.Ilgrognadesatisfactionquandil
parvintà luiarracherun largepandesa robe. Ilne restaitplusquesacape,étaléesur l’herbe, tandisqu’illadénudait.
Un froid terrible s’empara d’elle. Une hébétude effrayante l’accompagnait, car elle annonçaitl’acceptation:ellenepouvaitrienfaire.
Commetantdefoisdepuisunan.Quelquechosechangeaenelle,s’éteignit.L’obscuritél’envahit,unbaumeapaisantsurlapeuretla
rage.Ellenesentaitpluscesmainsquilafouaillaient.Ellenesentaitplusriendutout.Unrugissement inhumainretentitalors.UncricommeGenevieven’enavaitencore jamaisentendu.
Unesecondeplustard,Corwenfutlittéralementarrachédesoncorps.Avec indifférence,elle le regardavolerdans lesairsetheurter le solavecunbruit sourd,qu’elle
sentitplusqu’ellenel’entendit.PuisilyeutlavoixdeBowen,anxieuseetinquiète.—Genevieve!Çava?
24
Bowen se pencha sur elle, dévoré de rage et d’inquiétude. Il trouva son regardmais il était vide,mort,commesiellen’avaitaucuneconsciencedecequil’entourait.
—Genevieve,parlez-moi.Ilavaitpeurdelatoucherdecraintedeluifairemal.Dusangruisselaitdesabouche.Cetteordure
l’avaitfrappéeaumoinsunefois,maisquisaitcombiend’autrescoupsilluiavaitinfligés,provoquantdesblessuresinvisibles.
Ilétaitarrivéàtempspourempêcherleviolmaisellen’enétaitpasmoinschoquée.—Çava,dit-elled’unevoixfaible.Pourlemoment,ilsecontenteraitdecela.IlseredressaetpivotaversleguerrierMcHughquigisait
encoreàterreàquelquesmètresdelà.Ce dernier tenta de se relever,maisBowen se jeta sur lui, le clouant au sol.Une douleur féroce
explosadanssapoitrine,mais iln’en tintaucuncompte.CethommeétaitunemenacepourGenevieve,unemenacequ’illuifallaitsupprimer.
Leguerrier lançalepoingpourdélogerBowen,quiréponditdedeuxdirectsauvisage,puis,avantquel’autreaitletempsderéagir,illuisaisitlatêteetluibrisalecoud’unetorsionbrutale.
Ilauraitpréférélefairesouffrir,maisilvoulaitenfinirauplusvitepours’occuperdeGenevieve.Il lâcha la tête qui roula sur le côté. Bowen se releva, regarda l’homme avec dégoût avant de
retournerauprèsdeGenevieve.Ils’agenouillaàsoncôté,illapritdoucementdanssesbras.—Parlez-moi.Vousa-t-ilfaitdumal?Ellelefixait,lespupillesdilatées.—V…vousl’aveztué.—Oui.C’étaittoutcequ’ilméritait.Elle tourna les yeux vers le guerrier qui gisait sur le sol. Elle semblait avoir encore du mal à
comprendrecequ’ilvenaitdesepasser.Bowensepenchapouremplirsonchampdevision.—Neleregardezpas,Genevieve.Ilneleméritepas.Quelquechosechangeasubitementenelle.—Non,dit-ellefarouchement.Ilneleméritepas.Ettoutaussisoudainement,elleparutserendrecomptequ’elleétaitpratiquementnue.Lahonteemplit
sonregardetellesaisitsacape,s’efforçantdesecouvrirtantbienquemal.Bowenl’aidaàsecouvrirdumieuxqu’ilput,sansjamaiscesserdelatenirserréecontrelui.Ilsentaitsoncœurbattreàtoutromprecontresapoitrine.Etlorsqu’ilfouilladenouveausonregard
etvitdeslarmesybriller,ilenressentitunchagrinsansnom.—Nepleurezpas,dit-ild’unevoixrauque.Ilnevautpasqu’onverseunelarmeàcausedelui.
Elleenfouit levisageaucreuxde sonépaule, et il se relevaen la soulevantdans sesbras.Aprèss’êtreassuréqu’elleétaitdécemmentcouverte,ilregagnalechâteau.
Il enrageait qu’on ait pu l’attaquer alors qu’elle était sous sa garde, sous sa protection. Que lesMcHughcontinuentainsiàs’enprendreàellelerendaitfouderage.
Elleavaitassezsouffertcommecela.Quanddiablecelafinirait-il?Sessanglotsétouffésluibrisaientlecœur.Il ignora les regardset lesquestionsdesunsetdesautres tandisqu’il traversait lagrandesalle. Il
chassamême ses propres hommes, impatient qu’il était de soustraireGenevieve à cette insupportablecuriosité.
QuandTaliesansurgitdanslecouloiràl’étage,visiblementdévoréed’inquiétude,illuiordonnasansménagementdedéguerpiretdes’assurerquepersonnenevienneledérangerdanssachambre.
Aprèsavoirrefermélaported’uncoupd’épaule,ildéposaGenevievesurlelitets’assitprèsd’elle.Dupouce,ilchassalesangquiperlaitaucoindesabouche.
—Quevousa-t-ilfait?demanda-t-il.Ellesemitàpleurerdeplusbelle,etcelafaillitl’achever.Ilavaittoujoursétédésemparédevantune
femmeen larmes : ilsesentait impuissant,etDieusavaitpourtantqu’ilaurait faitn’importequoipouraiderunefemmeendétresse.
Les lèvresdeGenevieve tremblaientet savoixétaitàpeineplusqu’unmurmure, sibienqu’ilduttendrel’oreille.
—Rienquinem’aitdéjàétéfait,chevrota-t-elleenréponseàsaquestion.Commesicelan’avaitpasd’importance.Commesielleétaitrésignéeàsonsort.Celanefitqu’accroîtresacolère.Ilauraitvoulupouvoirtuercesalaudunedeuxièmefois.Samort
n’avaitpasétéassezdouloureuse.Dansuneffortpourmaîtriserlaragequibouillonnaitenlui,ilserralespoings.—Celan’arriveraplus,articula-t-il.Jevouslejure,Genevieve.Désormais,vousnedonnerezquece
quevousaurezchoisidedonner,entouteliberté.Elle détourna le visage,mais pas avant qu’il n’ait vu un nouveau flot de larmes ruisseler sur ses
joues.Ilsepenchaetpressaleslèvressursatempe.—Jesuisdésolédenepasêtrearrivéplustôt.Ellelevalesyeuxverslui,immensesflaquesvertesscintillantdelarmes.—Vousvoulezbien…Elles’interrompit,semorditlalèvre.Dudoigt,ilcaressasajoueintacteavecuneinfiniedélicatesse.—Qu’ya-t-il?Sachezquesic’estenmonpouvoir,jeferaitoutcequevousmedemanderez.Ellerougit,etparutsoudainnerveuse.—Vousvoulezbienmeserrerdansvosbras?Sansrépondre,ils’allongeaprèsd’elleetl’attiradoucementcontrelui.Luicaressantlescheveux,il
déposaunbaisersurlesommetdesoncrâne.—Envérité,iln’yarienquej’aimeraisdavantage,souffla-t-il.Elleseblottitcontresontorsecommepourchercherlachaleuretleréconfortqu’illuioffrait.Elle
s’accrochaitàluidetoutessesforces,etilétaitheureuxdelaserrerenretour.Le temps s’étira lentement, la respiration deGenevieve s’apaisa peu à peu et Bowen la sentit se
détendrecontrelui.Il savaitqu’il fallaitencoresoignersesblessuresmais il répugnaità la lâcher,àbrisercet instant
d’intimité.Quoiqu’elleaitfaitparlepassé,ilnepouvaitserésoudreàluientenirrigueur.Ellen’avaitcherché
qu’àéchapperauxmauvaistraitementsetauxviolsrépétés.
Ilnesouhaitaitàpersonnedeseretrouverdanslasituationquiavaitétélasienne.Iln’osaitimaginersapropresœursubissantcequ’elleavaitsubi.Maisilespéraitquen’importequellefemmeàsaplaceserévélerait suffisamment ingénieuse pour trouver une issue, comme l’avait fait Genevieve. Quand bienmêmecelaimpliquaitqu’uneautrefemme,Evelineenl’occurrence,ensubisselesconséquences.
Celadit,leproblèmedemeurait.IlétaitpeuprobablequelesArmstrongetGraemefassentpreuvedelamêmeclémencequelui.
Ilallaitavoiraffaireàfortepartie,illesavait.Maisquoiqu’ilpuisseluiencoûter,ilnelalaisseraitpasaffrontercecombatseul.
Genevieveméritaitqu’onladéfende.Etqui,àpartlui,pouvaitsechargerdecettetâche?Ettandisqu’illuicaressaitlescheveux,uneimmensetendressel’envahit.Non,s’ilavaitsonmotà
dire, cette femme ne souffrirait plus jamais comme elle avait souffert. Quelles que soient lesconséquencespourlui.
25
Illevalatêtecommeoncognaitàlaporte.Genevieveseraiditetseséparadelui,l’aircraintif.—Chut,fit-ilenposantdoucementl’indexsurseslèvrestuméfiées.Nevousinquiétezpas.Jereviens
toutdesuite.Ilquittalelit,etelleremontaaussitôtlacouverturedefourrurejusqu’àsonmenton.Ilallaitdemander
qu’onluiapportedesvêtements:ellesesentaitbeaucouptropvulnérabledanscetterobedéchirée.Ilentrouvritlaporte.TeagueetBrodiesetenaientdanslecouloir,épaulecontreépaule,l’airsombre.—Nousavonsunproblème,déclaraTeaguesansdétour.Enrevenantdenotrepatrouille,nousavons
trouvéuncadavre.L’hommeaeulanuquebrisée.Ilsepourraitquecelaannonceunenouvelleattaque.Bowensecoualatête.—C’estmoiquil’aitué.Lesdeuxautresouvrirentdegrandsyeux.—Quoi?s’exclamaBrodie.—Tuvasdevoirnousfournirquelquesexplications,ajoutaTeagueenfaisantunpasenavant.Bowenlerepoussasansménagement.—Ya-t-iluneraisonpourquetunousrefusesl’accèsàtachambre?grommelaTeague.Bowens’avançadanslecouloiretrefermadoucementlaportederrièrelui.—Genevieveestàl’intérieur.Brodiehaussalessourcils.—L’hommequevousaveztrouvél’aattaquée.Parchance,jesuisarrivéavantqu’ilnelaviole.TeagueetBrodielâchèrentunjuronbiensenti.— Décidément, les hommes de ce clan ne sont que des charognes, commenta Teague, écœuré.
Commentva-t-elle?—Elleaeupeur,bien sûr. Je l’ai conduitedansmachambrepour laprotéger.À l’évidence, elle
n’estpasensécuritédanscechâteau.Teaguesoufflabruyamment.— Ils ne vont pas apprécier d’apprendre que tu as tué l’un des leurs. Ils vont avoir l’impression
qu’aprèsavoirexécutélestraîtres,nouscherchonsàlesmassacrerlesunsaprèslesautres.—Jememoquequ’ilsapprécientoupas,rétorquaBowend’unairmauvais.S’ilsveulentêtretraités
convenablement,qu’ilscommencentparsecomportercommeil le faut.Jene toléreraipasqu’on traiteainsiunefemmequellequ’ellesoit.C’esthonteux.
—Alorsqu’allons-nousleurdire?s’enquitBrodie.Lecorpsaétéportédanslacouretonparledéjàd’une nouvelle attaque. Ils sont tous convaincus que les McGrieve pourraient nous assiéger à toutmoment.
Bowen prit une profonde inspiration. Il regarda les deux hommes avant de déclarer d’une voixdangereusementcalme:
—Dites-leurquec’estmoiquil’aituéparcequ’ilaattaquéGenevieve.Dites-leurqu’elleestsousmaprotectionetquejeconsidérerailamoindreoffenseàsonencontrecommeuneoffensepersonnelleetqu’elledonnera lieuàdes représailles. Jene toléreraipas lemoindremanquede respectà sonégard.Quelamortdecettecanailleleurserved’avertissement.
CettedécisionparutinquiéterTeague,maisBrodieacquiesçavigoureusement.IlsemblaittoutaussiaffectéqueBowenparcequiétaitarrivéàGenevieve.
Bowenfixasonfrère.—Dis-moiquetuesd’accordavecmoi,Teague.Celui-cisoupira.—Cen’estpasquejenesuispasd’accord.Jen’admetspasplusquetoiqu’ons’ensoitprisàelle
decettemanière.Elleabesoinqu’onladéfendeetilestévidentquetuesprêtàassumercerôle.MaisjepensequetudevraisfaireattentionàtafaçonderéglerlesproblèmesaveclesMcHugh.
—Pourlemoment,jememoquequeleclanentiertombedansungouffreetdisparaissedelasurfacedelaterre,crachaBowen.
—Jecomprends tacolère, intervintBrodieaveccalme.Maisnousdevonsgarder la tête froidesinousvoulonséviterlechaos.Ilssontencolère.Ilssontperdus.Ilsontpeur.Ilsontbesoind’unchefetd’unemainferme.
Bowenhochalatête.—C’estvrai.Pourlemoment,jesuistropfurieuxpourmeprésenterdevanteuxetfairel’effortde
memontrermagnanime.Ilsonttoustraitéeffroyablementcettefilleetjenel’oubliepas.Uneportes’ouvritunpeuplusloindanslecouloiretlatêtedeTaliesanapparut.Ellehésita,comme
sielleavaitpeurdeparler.Bowensoupiraetluifitsigned’avancer.—Viens,petite,etdiscequetuasàdire.BrodieetTeagueseretournèrenttandisqu’ellelesrejoignaitenboitant,l’airinquiet.Elles’immobilisaàunpasdeTeagueetdeBrodie.Fronçantlessourcils,celui-ciluipritdoucement
lebraspourl’attirerplusprès.—Pardonnezmonimpertinence,laird,maisjevoulaisvousdemanderdesnouvellesdeGenevieve.
Pouvez-vousmedirecommentelleva?Bowens’adoucit.GenevieveavaitdetouteévidenceuneamiesincèreenlapersonnedeTaliesan.La
seulesansdoutedansunocéand’animositéetdetraîtrise.—Ellevabien.Elleaeutrèspeuretreçuquelquescoups,maisjesuisintervenuavantqu’unplus
grandtortneluisoitinfligé.Taliesanparutbouleversée.Deslarmesbrillèrentdanssesyeuxetseslèvrestremblèrent.—Queluiest-ilarrivé,laird?Quis’enestprisàelle?Brodieposaunemainréconfortantesursonépaule.—Toutvabien,maintenant.Bowenyaveillé.—L’hommequiaattaquéGenevieveestmort,lâchaBowen.—Tantmieux!fit-elle.EtvousêtessûrqueGenevievevabien?—Certain, la rassura-t-il.Ellesereposeàprésent.Et je luiaipromisquecelanesereproduirait
plus.—Merci,laird.Genevieveabesoinquequelqu’uncommevousprennesadéfense.Personnenel’a
jamaisfait.Entraînantlajeunefilleàl’écart,Bowenluidemandaàmi-voix:
—Peux-tuapporterdesvêtementspourGenevieve?Sarobeestdéchiréeetellen’aquesacapepoursecouvrir.
—Biensûr,laird.Jevouslesapportetoutdesuite.—Laisse-moijusteletempsdeterminermaconversationavecBrodieetmonfrère.—Entendu,laird.ElleseruadanssachambreetBowenrevintverslasienne,presséderetrouverGenevieve.—Lachassea-t-elleétéfructueuse?s’enquit-il.—Oui,réponditBrodie.Unedouzainedelièvresetunjeunecerf.Laviandeseratendreetsucculente
cesoir.Bowenenavaitdéjàl’eauàlabouche.—Qu’onnousapportedequoidîner,àGenevieveetàmoi.Nousmangeronsdansmachambre.Teagueacquiesça.Ilallaitpartirquand,soudain,ilhésita.—Graemenevasansdouteplustarder,dit-il.Bowencompritparfaitementl’avertissement.—Jesais.—Songeàtesprioritésavantqu’iln’arrive,insistaTeague.Tun’aspaschoisiuncheminfacileen
devenantledéfenseurdecettefille.—Lebienn’estjamaisfacile.Ilfautenêtredigne.Brodiemarquasonassentiment.—Voilàquiestvrai.Teagueposalamainsurl’épauledeBowen.—Tuasmonsoutien,Bowen.Quoiqu’ilarrive.Etils’étendàlafille.Mêmesijenesaispastout.Bowenleregardadroitdans lesyeux. Il luiétait reconnaissantdenepas lecondamnerpouravoir
choisidedéfendreGenevieve.—Jeteremercie,Teague.Ettoiaussi,Brodie.Cedernieraffichauneexpressionamusée.—Quiauraitcruqu’unjourtudiraisunetellechoseàunArmstrong?Celanetelaissepasungoût
tropamerdanslabouche?Bowensourit.—J’admetsquecelam’arappelécertainsrepasquej’aifaitscesdernierstemps.TeagueetBrodies’esclaffèrentavantdetournerlestalons,nonsansavoirpromisdeleurfairemonter
delanourrituredèsqu’elleseraitprête.Bowens’apprêtaità rentrerdanssachambrequandTaliesan l’appeladoucement.Laissant laporte
ouverte,ilallaau-devantd’elleetlasoulageadesonballotdelinge.—Merci,Taliesan.TuesunevéritableamiepourGenevieve.Jenemanqueraipasdeleluidire.LesjouesdeTaliesansecolorèrentetelleeffectuaunerévérence.—Jevousenprie,dites-luiaussiquesielleabesoindemoi,jesuistoutprès.Ilacquiesçaavantdebattreenretraitedanslachambre.Genevieveétait assisedans le lit, à l’abri sous lescouvertures.Lesangavait séchéaucoindesa
boucheetsursamâchoire.Salèvreinférieureétaitenflée.—Taliesan vous a apporté des vêtements, annonça-t-il en s’approchant. Laissez-moi le temps de
ranimerlefeuetvouspourrezvoushabillerdevantlacheminée.Jeneregarderaipas,jevouslepromets.Elleesquissaunpauvresourire.—Ilestunpeutardpourêtrepudique,jepense.Vousavezdéjàtoutvu.Ils’assitsurleborddulit,leballotsurlesgenoux.—Iln’estpastroptardpourlerespect,objecta-t-il,l’airgrave.Etc’estdurespectquejeveuxvous
donnerenvousoffrantunpeud’intimité.
D’unseulcoup,leslarmesaffluèrent,etBoweneutl’impressionderecevoiruncoupdepoingdansl’estomac.Ilavaitdumalàrespirer.
Illuitouchalajoue.— Vous n’avez pas eu souvent l’occasion de sourire mais je compte bien y remédier. Je ferais
n’importequoipourquevoussoyezdenouveauheureuse.— Vous êtes un homme bien, BowenMontgomery, dit-elle d’une voix cassée. Je ne m’étais pas
trompéeàvotresujet.Ildéposalesvêtementssurlelit.—Jevaism’occuperdufeu.Vousavezl’aird’avoirfroid.Il se levaet sedirigeavers le tasdebûches.Tandisqu’il s’affairait, il risquauncoupd’œilpar-
dessussonépaule,etcequ’ilvitlebouleversa.Les cheveux emmêlés, l’air vulnérable, Genevieve serrait les genoux contre sa poitrine sous les
couvertures,commepourseprotégerencore.Mais leregardqu’elleportaitsur lui…C’étaitunregardémerveillé,etreconnaissant.Ellesemblaitledécouvrir,levoirpourlapremièrefois.
C’étaitunregardquetouthommeespèresusciterchezunefemme.Unregardquidisaitqu’ilétaitsondéfenseuretqu’àsesyeuxiln’existaitnulautrehommequeluiencemonde.
Bon sang, voilà qu’il divaguait !Oui,Genevieve lui était sans doute reconnaissante,mais cela nesignifiaitpaspourautantqu’elleéprouvaitautrechosequedelagratitudeàsonégard.Elleauraitregardéainsitouthommequiauraitprissadéfense.
Il seconcentrasur le feu,etbientôtdes flammes jaillirent. Il faisaitpresque tropchaudprèsde lacheminée,maisilsavaitquelechocqu’elleavaitsubil’avaitglacéejusqu’auxos.
Unefoissatisfaitdurésultat,illarejoignitetdénouagentimentsespoingscrispés.—Allezvous réchauffer,dit-ildoucement. Je resteraiprèsde laporte, ledos tourné.Ou, sivous
préférez,j’attendraidanslecouloiretvousm’appellerezquandvousaurezterminé.—Vouspouvezrester,murmura-t-elle.Tenant sa cape serrée sur sapoitrine, elle sortit du lit.Commepromis,Bowen sepostadevant la
porte,lesbrascroisésetledostourné.Il entendit des froissements de tissu tandis qu’elle s’habillait et, fermant les yeux, imagina sa
silhouettenuesedécoupantsurlesflammes.Sonsouffles’accéléraetsonsexedurcitinstantanément.Ilsetraitamentalementdetouslesnoms,sereprochantdenepasvaloirmieuxquel’ordurequiavait
tentéde lavioler. Ilnedevraitpaspenseràde telleschosesalorsque la fille se remettait àpeinedel’épreuvequ’ellevenaitdetraverser.
Maisilnepensaitpasàcequ’ilpouvaitluiprendre.Ilnepensaitqu’àcequ’ilpouvaitluidonner.Commentlacourtiseravecdedouxbaisers.Luidireàquelpointelleétaitbelle.Lacaresserjusqu’àcequ’ellesoupiredecontentement.
Ilvoulait luimontrercommentcelapouvaitêtreentreunhommeetune femme.Effacer ladouleur,l’humiliationetlahonte,etlesremplacerparquelquechosedebeau.
Il mourait d’envie d’être celui qui lui montrerait combien aimer pouvait être bon. Il se moquaitqu’ellesoitbalafrée,qu’unhommeaitmarquésonvisageafinquenulautreneveuilled’elle.Si,commeelle l’avait dit, tel avait étévraiment lebutde Ian, il avait lamentablement échoué, car jamais aucunefemmeneluiavaitinspiréundésiraussiimpérieux.
—Vouspouvezvousretourner.Savoix interrompit le coursde sespensées. Il pivota lentement sur ses talons, seplaçantde telle
sortequel’évidencedesondésirnesoitpastropvisible.Seigneur,elleétaitd’unebeautésaisissante.Vêtued’unechemisedenuittoutesimple,ellesetenait
prèsdufeu,sespiedsnusdépassantsousl’ourlet.Sachevelurecascadaitsursesépaules,etelleavaitlatêtelégèrementdebiaispourdissimulersajouebalafrée.
Il y avait toujours du sang séché au coin de sa bouche, et il ne s’était pas encore enquis d’autresblessureséventuelles.
Il s’approchade lacuvetteprèsde la fenêtre, s’emparad’undes lingesposésàcôtéet leplongeadans l’eau fraîche. Puis, revenant près deGenevieve, il lui saisit délicatement lementon et essuya lesang.
Ellefrissonna,maisselaissafaire.Ilfronçalessourcilsenconstatantqu’unbleus’étaitformésursonmentonetsamâchoireinférieure,
làoùelleavaitreçuunautrecoup.—Oùvousa-t-ilencorefrappée,Genevieve?—Nullepart.J’aireçudeuxcoupsauvisage,maisvousêtesarrivéavantqu’ilaitletempsdem’en
donnerd’autres.—J’auraisdûêtrelàavantquevousreceviezunseulcoup.Elleposalamainsursonbras.—Vousêtesvenu,c’est toutcequicompte.Vousavezempêchéquecelasereproduise.Et jevous
remerciedufondducœur.Ilneputs’enempêcher,illuicaressalajoueaveclepouce.—Jevoudraisquevousn’ayezjamaissubiceschoses.Elle ferma lesyeuxet logeasa jouemutiléeaucreuxde sapaume.Puis, commesi elle se rendait
soudaincomptedecequ’ellefaisait,ellesefigeaettentadesedétourner.—Non,protesta-t-il.Nevous cachezpas,Genevieve. Jamais. Jeveuxquevous sachiezque cette
cicatricesurvotrevisagen’aaucuneimportanceàmesyeux.Il lasentit trembler.Puiselle levavers luiunregardpoignant.Celuid’unefemmedont lesespoirs
avaientétésisouventanéantisqu’elleavaitpeurd’espérerdenouveau,qu’ellenesavaitpassicelaluiétaitencorepermis.
—Venez,murmura-t-il. Il est temps de nous coucher. Je veux que cette nuit vous vous sentiez ensécurité.
Elleécarquillalesyeux,toutenagrippantlamainquicouvraitsajoue.—Maisquedira-t-onsijepasselanuitdansvotrechambre,laird?—Jememoquedecequ’ondira.Jen’aiaucunrespectpourlesgensduclanMcHugh.S’ilsosent
s’enprendreàvousencoreunefois, ils le regretteront.Je leurai fait savoirque jene toléreraipas lamoindreinsulteàvotreendroit.Vousêtessousmaprotection,Genevieve.Cesoir,vousnequitterezpasmachambre.
Ilavaitbeauêtreparfaitementsincère,ilcomprenaitsespeurs.Ceseraitfairepreuvedefortpeuderespectenversellequedepermettrequ’onlatraitedeputaindunouveaulaird.
Illacontemplaavantd’ajouterdoucement:—N’ayezcrainte,personnenesaura.JeparleraiàTaliesan,quiestprêteàtoutpourvous,etnous
dironsquevousavezdormiavecelle.Le soulagement de Genevieve fut immédiat. Tout son corps parut se détendre. Il baissa la main,
qu’elletenaittoujours,pourl’entraînerverslelit.UnnouveaucoupretentitàlaporteetBowenseretintderugir–bonsang,onnepouvaitdoncpasles
laissertranquilles?PuisilserappelalapromessedeTeague.—C’estsûrementledîner,dit-il.Ilyadelaviandefraîche,cesoir,lesautressontallésàlachasse.Genevievesourit.—J’avouequejemeursdefaim.—Alors,mettez-vousaulitetjevousapportevotrerepas.N’ayezcrainte,jenelaisseraipersonne
entrer.LesouriredeGenevieves’élargit,réchauffantlecœurdeBowen,puisellefilasecoucher.
Jamais il n’avait rien vu de plus merveilleux que GenevieveMcInnis se blottissant dans son lit,attendantqu’illarejoigne.
26
Genevieve se nicha plus près de Bowen et soupira d’aise. Elle ouvrit un œil paresseux pourdécouvrirquelejourétaitdéjàlevé.
Quelledéception!Jamaisellen’avaitpasséuneaussibellenuit.Jamaisellen’avaitéprouvéuntelsentimentdepaixnines’étaitsentieàcepointensécuritéquedanslesbrasdeBowenMontgomery.
—Lavoilàquiseréveille.LavoixamuséedeBowen luiparutaussidoucequede lasoie.Ellehésitaà lui répondredepeur
qu’ilneluidemandedepartir.Elleauraitvouluquecemomentduretoujours.—Oui,murmura-t-ellefinalement,sachantqu’ellenepourraitretarderl’inévitable.Maisilnelapressapas,neluiordonnapasderegagnersachambre.Non,ilsecontentadeluicaresserledos,etc’étaitsibonqu’ellefaillitgémirdeplaisir.—Commentvoussentez-vouscematin,Genevieve?Elle frotta la joue contre son torse, savourant son odeur et son contact. Cela paraissait tellement
bizarredenepaséprouverlamoindrecrainte.Elleavaitapprisàredouterleshommes–tous.Àneleurfaireaucuneconfiance.
Pourtant, Bowen était… différent. Dès le début, il s’était révélé différent. Il l’avait traitée avecdouceuretbonté,etill’avaitdéfendue.
—Mieux,répondit-elledansunsoupir.—Jesuisheureuxdel’entendre.J’espèrequevotremâchoirenevousfaitpastropsouffrir.Ellesecoualatête,carellesesentaitsibienqu’ellen’avaitpasenviedeparler.LamaindeBowenserefermasursanuque,lamassantetlacaressant.Illuitouchasoudainlementon,
l’obligeantàreleverlatêtepourexaminersabouche.Il fronça lessourcils.Une lueurmeurtrières’allumabrièvementdanssonregard.Puis,àsagrande
surprise,illahissasurlui,etsonvisageseretrouvaàquelquescentimètresdusien.—Bowen,votreblessure!protesta-t-elle.—Cen’estqu’uneégratignurequevousavezsuperbementrecousue.Ellenemefaitpasmal.Ellenelecrutpasvraiment,eteuthonteden’avoirpaspenséàsablessureplustôt.Ils’étaitbattu
pourellealorsqu’ilauraitdûêtreencoreaulit.—Jedevraisyjeteruncoupd’œil,dit-elle,inquiète.Ilsepeutqu’ellesesoitrouvertelorsquevous
vousêtesbattu,hier.Ileutunsourireamusé.—Sicelapeutvousrassurer,jeveuxbienquevousl’examiniez.Elleselibéradesonétreinte,ets’agenouillaprèsdelui.Il se redressa en position assise le temps de se débarrasser de sa tunique, révélant son torse
puissammentmusclé,etGenevieveneputs’empêcherdelebalayerduregard.
Duboutdesdoigts,ellepalpasablessure.—Celavousfaitmal?—Non.Pasquandvousmetouchezainsi.Enfait,c’estplutôtlecontraire:jeneressensqueleplus
douxdesplaisirs.Les joues soudain brûlantes, elle faillit écarter lamain, mais il la captura et la garda fermement
contrelui.—J’aimequandvousmetouchez,avoua-t-ild’unevoixrauque.Jemesouviensquevousl’avezfait
quandj’étaisassomméparcettepotionqu’onm’avaitfaitingurgiter.Affreusement embarrassée, elle baissa la tête. Il devait la trouver très audacieuse. Elle n’aurait
jamaisdûprendredetelleslibertés,etcertainementpasalorsqu’ilétaitàpeineconscient.—Alors?reprit-il.Suis-jeenbonnevoiedeguérison?—Oui,murmura-t-elle.Jenevoisaucunsigned’infection.Il la ramena sur son torsenu.Ce fut commede toucherdu feu.Sa chaleur l’enveloppa, lagardant
prisonnière.LamaindeBowenluifrôlalajoue,s’enfonçadanssachevelureavantdeserefermersursanuque;
puis,commes’iln’yavaitriendeplusnaturel,ilposaseslèvressurlessiennes.Délicatement.Elleémitunpetitcriétouffécontresabouchealorsmêmequesoncorpssedétendaitcontrelesien.Cela,c’étaitunbaiser.Bowen explorait sa bouche avec une tendresse infinie, ses lèvres se mouvant doucement sur les
siennes.Delapointedelalangue,ilcaressalacoupureàlacommissure.C’était enivrant, comme lorsqu’on boit trop de bière. Sentir son corps contre le sien la grisait
littéralement.Elleressentaituneimpatience,uneenvieformidableetinconnue.Samainlibreseposasursajouebalafrée,etquandelletentades’écarter,ilcaressalachairtorturée
etpritsonvisageentresespaumespourapprofondirsonbaiser.Elle laissaéchapperunsoupirhaletant ;aussitôt, la languedeBowens’introduisitdanssabouche,
douceetsensuelle,sollicitantuneréponse.Timidement,elleserisquaàlagoûter,etsoudain,leursdeuxlanguessemirentàdanserensemble.
Cefutluiquirompitleurbaiser.Ilavaitlesoufflecourt,lesyeuxmi-clos,etlesjouesenfeucommes’ilavaitlafièvre.Maissonregard…Illacontemplaitcommesielleétaitlaplusbellefemmedumonde.L’espaced’un instant, elleoublia sonvisage ravagéet lacicatricehideusequi lamarquerait à jamais.DanslesyeuxdeBowen,ellesevoyaitquecommeunecréaturebelleetdésirable.
—Vousêtesaussidélicieusequejel’imaginais,dit-ild’unevoixrauquedepassion.—C’estmonpremiervraibaiser,avoua-t-elle.—Etquepensez-vousdevotrepremiervraibaiser?Il avait parfaitement compris cequ’elle avait vouludire.Oui, elle avait déjà été embrassée,mais
jamaisainsi,jamaisavecunetelletendresseniuntelrespect.—C’étaitmerveilleux.Jen’aijamaisrienconnudecomparable,reconnut-elle,honnête.—Jesuisheureuxd’êtrelepremier.Il lui caressa la joue et la lèvre de son pouce. Celle-ci était gonflée, mais pour une raison très
différenteàprésent.Puisilcapturadenouveausaboucheenuninterminablebaiser.Cettefois,quandils’écarta,ilyavait
duregretdanssonregard.—Jedoismelever,dit-il.Bienquejen’enaieaucuneenvie.Envérité,jevendraismonâmepour
pouvoir continuer à vous embrasser.Mais j’ai des affaires à régler, dont celle de lamort d’un autreMcHugh.IlvousfautgagnerlachambredeTaliesan,àprésent,commenousenétionsconvenus.
Àlamentiondesonagresseur,Genevieveeutl’impressionqu’onluiversaitunseaud’eaufroidesurlecorps.Elles’écartaetserefermacommeunehuître,enproieàunehontesansnom.
Elleseconduisaitcommeunedévergondéequelquesheuresàpeineaprèsqu’unhommeavaittentédelavioler.Qu’est-cequin’allaitpaschezelle?
LeclanMcHughétaittoutprêtàlatraiterdeputainetvoilàqu’elleseretrouvaitdanslelitdulaird.—Arrêtez,ditBowenaveccalme.Ils’assitetluicaressalebras,luiarrachantunfrisson.—Gardezlatêtehaute,carvousn’êtesenrienresponsabledecequiestarrivé.L’hommequivousa
attaquéeaeucequ’ilméritait.Commequiconqueoseras’enprendreàvousdésormais.—Jenesuispasdigned’unetelleprotection,souffla-t-elle,refusantdecroisersonregard.Illuipritlementonpourl’yforcer.Ilsemblaitfurieux.—Pourmoi,vousenêtesdigne.Ellenesutqueluirépondre,etsecontentadelefixerd’unairperdu.Ildéposaunbaisersursonfrontavantdequitterlelit.—JevaisvousaccompagnerchezTaliesan.Peut-êtrevaut-ilmieuxquevousrestiezàl’étagetantque
jen’auraipaséclaircilasituationavecleclan.Vousn’êtespasprisonnièredansvotreproprechambre.Vousêtes libred’aller etvenir àvotreguise,mais jeveux simplementm’assurerquevouspuissiez lefairesanscrainte.Croyez-moi,j’yveillerai.
—Jenecomprendspaspourquoivousfaitestoutcelapourmoi,articula-t-elle,lagorgenouée.Illuitenditlamainpourl’aideràselever.—Parcequec’estquelquechosequ’onauraitdûfairedepuistrèslongtemps.
27
Bowen accompagna Genevieve jusqu’à la porte de la chambre de Taliesan, mais alors qu’elles’apprêtaitàfrapper,illaretintdoucement.
Ellelevaversluiunregardsurprisquandill’attiradenouveaucontreluipourl’embrasser.C’étaitcommedeprendrefeu.Ilsesentaitplusvivantqu’ilnel’avaitjamaisété.ParDieu,ilmourait
d’enviedes’enfermeravecelledansunechambre,del’étreindreetdel’embrasserjusqu’àlafindelajournée.
Non.Jusqu’àlafindesesjours.Elleémitleplusdouxdessoupirs,etiléprouvaencoreplusdeplaisiràl’idéequ’ilétaitcapablede
luienprocurer.Ilétaitévidentqu’ellen’avaitjamaiseudroitàdetendresattentions,etn’avaitpasnonplusconnulesjoiesdel’amour.
Quandelleluiavaitavouéqu’ils’agissaitdesonpremierbaiser, ilenavaitétéàlafoisfurieuxettriste. Parce qu’il savait que s’il n’était pas le premier à l’avoir embrassée, il était le premier à semontrertendreetrespectueuxavecelle.
Rompant leur étreinte à contrecœur, il lui fit signed’entrer dans la chambre.Cequ’elle fit.Alorsqu’il était planté là à contempler la porte close, il fut frappépar l’idéequ’il était peut-être amoureuxd’elle.
Ladécouverteétaittellementstupéfiantequ’ilenrestapétrifié.Amoureux.Plusilysongeait,plusilserendaitcomptequec’étaitunevraiepossibilité.Ilsavaitfortbienàquoi
ressemblait un homme amoureux, et comment il se comportait. Graeme lui en avait fourni un parfaitexempleavecEveline.Etvoilàqu’il l’imitait.Avecune femmequiavaitdesproblèmes.Beaucoupdeproblèmes.
Soudain,ilétaittirailléentrel’envied’entrerdanslachambredeTaliesanpourdéclarersonamouràGenevieve–etaudiablelesconséquences!–etlanécessitéderéglerlaquestiondesasécuritéauprèsduclan.Ildevaitaussitrouverunmoyendeluifairequittercetendroitauplustôt.
Saufquec’étaitloind’êtresimple.D’abord,illuifaudraitprendredesprécautionsavecGenevieve.Aumoindrefauxpas,ilrisquaitde
perdrecetteconfiancequ’ilcommençaittoutjusteàgagner.Toutcequ’elleavaitsubil’avaitprofondémentatteinteetn’allaitpasdisparaîtredesamémoiredu
jouraulendemain.Tisseravecelleunlienvéritableallaitexigerdestrésorsdepatiencedesapart.Par ailleurs, il n’avait aucune envie de se séparer d’elle : l’idée de lui faire quitter le fief des
McHughluiarrachaitlecœur.Onavaitbesoindeluiici,etDieuseulsavaitpourcombiendetemps.Ildevait aider son frère et il le ferait, quoi qu’il lui en coûtât. Mais il ne voulait pas non plus queGenevievesoitexposéequotidiennementàlavindictedecesgens.
C’étaitàcoupsûrunsacrécasse-tête.Etcettehistoired’amourneluifacilitaitcertespaslavie.Énervé et irrité, il s’éloigna avant de céder à la tentation d’ouvrir cette porte, qu’il contemplait
depuistroplongtempsdéjà,etdeserueràl’intérieurpourdéclarersaflamme.Quand ilentradans lagrandesalle,sonhumeurs’étaitconsidérablementdétériorée.Tousceuxqui
croisaientsoncheminavaientdroitàunregardmeurtrier.Cequisuffitàfairecourirlebruitqu’ils’apprêtaitàtuerdenouveauquelqu’un.Iltraversaitlacour
quandBrodieetsonfrère,visiblementinquiets,lerejoignirentàgrandspas.—Quet’arrive-t-il?s’enquitTeague.Brodiegardalesilence,observantl’échangeentrelesdeuxfrères,commes’ilrépugnaitàintervenir.Bowenhaussaunsourcil.—Dequoiparles-tu?— Il paraît que tu as l’intention de régler son compte à un autreMcHugh. J’aimerais savoir quel
crimeaétécommiscettefois-ci.L’irritationdeBowennefitquecroître.—Àt’entendre,onal’impressionqu’aucuncrimen’avaitétécommisavant.Teagueplissalespaupières,l’airsoudainextrêmementsérieux.—Jenenienullementcequelafilleasubi.Et,oui,celasuffit.Elleaassezsouffert.Quelsquesoient
messentimentsàsonégardoulespéchésqu’elleacommis,personnenemérited’êtretraitéainsi.—Jesuisheureuxdetel’entendredire.Teaguefusillasonfrèreduregard.—Croirequej’aiepupenserdifféremment,c’estm’insultergravement,Bowen.Depuisquandsuis-je
ducôtédeceuxquis’enprennentauxplusfaibles?—Jepréféreraisquevousévitiezdevousbattre, intervintBrodied’unevoixcalme.Lebruits’est
répanduqu’en arrivantdans lagrande salle tu étais dansune ragemeurtrière et que sûrementun autreMcHughallaitenêtrevictime.Teagueetmoisommessimplementvenusvoirdequoiilretournait.
Bowenémitunbrefricanement.—J’aibiendûenregarderquelques-unsdetravers,jel’admets,maisjen’aipasversélesang.Pas
encore.Celadit, la journéenefaitquecommencer. Il sepeutque j’enéprouve lebesoinavantqu’elles’achève.
—Pasquestiondelelaissers’amusertoutseul,déclaraTeagueàl’adressedeBrodie.Cettefois,Bowenritdeboncœuravantdesecouerlatête.— Je veux simplement qu’il n’y ait pas de malentendu. Que chacun ici ait bien conscience des
conséquencess’ils’enprenddenouveauàGenevieve.TeaguelescrutaunmomentavantdedemanderàBrodie:—Tuveuxbiennousexcuseruninstant?J’aimeraisdireunmotàmonfrèreentêteàtête.Brodieacquiesçaettournalestalons.Bowenhaussaunsourcilinterrogateur.—Quelssonttesprojetsconcernantlafille?lâchaTeague.Etjenetedemandepasquelchâtimenttu
comptes lui infliger. Il est évident qu’elle te plaît. C’est ce que tu as l’intention de faire sur un planpersonnelquim’intéresse.
—Cenesontpastesaffaires.—Pasdeçaavecmoi,Bowen,maugréaTeague.Réfléchisbien.Nelui infligepasça.Tulaveux,
c’estévident.Çasevoitcommelenezaumilieudelafigure.Maisellen’estpasdecellesavecquionpeutcouchersanspenseraulendemain,tudevraislesavoir.J’aipeut-êtredesréservesàsonégard,maiselleaplusquesapartdesouffrances.Neprofitepasd’elledecettemanière.
Bowenlefixaitd’unairchoqué.
—C’esttoiquim’insultesàprésent,monfrère.Quiteditquej’aijustel’intentiondecoucheravecelle?Parailleurs,cequejefaisoupasavecGenevieveneteregardepas.Tul’asdéjàjugéeettunet’enespascaché.
—Non,jen’airienfaitdetel.J’aidesyeuxetjevoisàquelpointelleesttourmentée.Jevoislestracesque sonépreuvea laissées et cela suffit àme soulever l’estomac.Mais je te connais.Pour toi,séduire n’est qu’un jeu. Dès que tu as mis une fille dans ton lit, tu en cherches une autre. Je dissimplement que tu devrais faire preuve davantage de respect enversGenevieve et ne pas voir en ellequ’uneconquêtedeplus.
Bowenserralesdentsàs’enfairemalauxmâchoires.Ils’avançaverssonfrère,menaçant.—Jel’aime,articula-t-il.Ellen’estpasunamusementpassager.Jamaisjeneluiferaidumal.Etje
tueraiquiconqueessaiera.Enformulantcelaàhautevoix,ilseditque,peut-être,celaluisembleraitidiot.Qu’ils’étaitemballé
etn’enétaitpasaupointd’êtrevraimentamoureuxdeGenevieve.Il avait tort. Jamais iln’avaiteu l’impressiondeprononcerdesparolesplus justes,plusvraies. Il
étaitbeletbienamoureuxd’elleetn’enéprouvaitqu’unimmensebonheur.Teague,quantàlui,endemeurabouchebée.Stupéfait,ilcontinuaàdévisagersonfrèresansmotdire
jusqu’àcequecelui-cisepasselamaindanslescheveux,dégoûté.—Bonsang,Teague,arrêtedemeregardercommeça,ondiraitunpoissonmort!Teagues’ébrouaetpoussaunlongsoupir.—As-tuperdulatête?—Detouteévidence,rétorquaBowen.Crois-moi,jesaisàquelpointcelapeutparaîtregrotesque.
Je tombeamoureuxd’unefemmedontunautreavait faitsaputain.Je tombeamoureuxd’unefemmeauvisage détruit par la lame d’un couteau. Je tombe amoureux d’une femme qui a trahi lesmiens. Il estcertainquej’aiperdul’esprit,maiscelanechangerienàlaréalité.
—Bonsang,quevas-tufaire?—Jen’ensaisrien,réponditBowend’untonlas.Etjeteleconfirme,elleabienincitéIanàs’en
prendreàEveline.Teagueserembrunit,etBowenlevalamain.—Elleavaitdebonnesraisons,ladéfendit-il.—Tuasbeletbienperdul’esprit,déclaraTeague.—Écoute-moicinqsecondes,aboyaBowen.Il expliqua à son frère quel raisonnementGenevieve avait tenu pour agir comme elle l’avait fait.
C’étaitdangereux,illesavait,maisilétaitbiendécidéàlegagneràsacause.Quandilsetut,Teaguesoupira.— Et je suis censé applaudir son ingéniosité ? Elle a réussi à faire d’une pierre deux coups en
provoquantaussibienlecourrouxdesArmstrongqueceluidesMontgomery.Commeellel’espérait,ilsont attaqué ensemble et l’ont sauvée.Mais imagine qu’Eveline ait été violée ou tuée ? Crois-tu queGraemevaappréciercetteruse?
Bowenserradenouveaulesdents.—Ettoi,imaginenotresœuràlaplacedeGenevieve!Sielleavaitmanipulésontortionnaireenle
lançantàlapoursuited’uneinconnueappartenantàunautreclan,serais-tuaussipromptàlacondamner?Oulefaitquenousparlionsd’Evelineetnond’unefemmesansnometsansvisagechange-t-illadonne?
Teaguehésita,etBowensutquel’argumentavaitfaitmouche.—Tun’aspasledroitdem’obligeràimaginerRorieàlaplacedeGenevieve,marmonnasonfrère.
Jememoqueraisdesconséquencesdesesactes,quelsqu’ilssoient,sicelaluipermettaitd’échapperàunetelledépravation.
—C’estbiencequejepensais,avouaBowen.
—Maudite soit toutecettehistoire,Bowen.Tunepouvaispas tomberamoureuxd’une fillemoinscompliquée ?As-tu lamoindre idée des problèmes que cela va poser ?En admettant queGraeme serangeàtesargumentsetfinisseparl’accepter,jedoutequelesArmstrongsemontrentaussicléments.Dèsqu’ilssauront,nouspourronsnousestimerheureuxqu’ilsnenousdéclarentpaslaguerre.
—Alors,peut-êtrevaut-ilmieuxqu’ilsne le sachent jamais, suggéra tranquillementBowen.C’estuneaffaireprivéequin’apasàêtrerenduepublique.Graemeseramisaucourant,biensûr.Maisilseraleseul.Ilestmonlaird.PaslesArmstrong.Ilsn’ontpasleurmotàdirequantausortdeGenevieve.
—Jesupposequetuasraison.Iln’empêchequetun’aspaschoisilavoiedelafacilité.—Jesais.MaisGenevieveméritequejemebattepourelle.
28
Depuisqu’elleavaitpassé lanuitdanssesbras,Genevievesemontraitexcessivement timideaveclui.Bowentrouvaitcela touchant,etsoncœurfondaitdavantagechaquefoisqu’ellebaissait la têteousouriaitquandellecroyaitqu’ilnelaregardaitpas.
N’ayantaucuneintentiondeconnaîtrel’enferdel’amournonpartagé,ilsedonnaitbeaucoupdemalpourelle.Ledilemmeétaitplutôtintéressantdanslamesureoùnombredefemmesqu’ilavaitfréquentéesluiavaientavouéêtrepasséesparlà.Iln’yavait jamaisréfléchi,maisilcomprenaitmieuxcequ’ellesavaientdûressentirlorsqu’ellescherchaientàleséduire:c’étaitluimaintenantquijouaitlesamoureuxtransisquêtantunemietted’attentionde lapartdeGenevieve. Il étaitprêt à toutpour la faire sourire.Pourlarendreheureuse.Illuidécrocheraitlalunes’illefallait.
Il se rendait aussi plus que jamais compte qu’elle n’avait jamais été courtisée. Qu’aucun hommen’avaitjamaischerchéàlaséduire.Sonmariageavaitétéarrangé,etc’estalorsqu’elleserendaitauprèsdesonpromisqueIanl’avaitcapturée.
Biendécidéàluioffrircequ’ellen’avaitjamaiseu,Bowenavaitdoncentreprisdeluifairelacour.AugranddésespoirdeTeagueetdeBrodie.Lepremiernecessaitdesemoquerdelui,etlesdeux
réunismenacèrentàplusieursreprisesdelenoyers’ilcontinuaitainsi.Bowenacceptait leursprovocations sansbroncher.Autrefois, jamais il n’aurait toléré cegenrede
plaisanteries ; aujourd’hui, il s’en moquait, découvrait-il. La façon dont le visage de Genevieves’éclairaitdèsqu’illuiadressaituncomplimentvalaitqu’ilsupportetouteslesrailleriesdumonde.
Il allamême jusqu’à composerunpoèmeen secret.Qu’il finit par lui réciter au clair de lune.Unexercicequilemitextrêmementmalàl’aise,jusqu’àcequ’elleleregardeavecdesyeuxquibrillaientcommedeuxsoleils.
Encetinstant,peuluiauraitimportéquetoutlechâteaul’entendedéclamersesvers.Seulecomptaitl’expressiondeGenevieve,qu’ilgarderaitenmémoireetchériraitlongtemps.
Ilspoursuivirentleurpromenadeauclairdelune,suivantlerubanargentédelarivière.Ilmêlasesdoigtsauxsiens,savourantcegestetoutsimple:luitenirlamain.
Autrenouveauté,ilavaithontedelafaçondontils’étaitcomportéaveclesfemmesjusqu’àprésent.Mais il se garda bien d’en faire part à Genevieve. Elle aussi avait honte, mais leurs raisons étaientdifférentes. Genevieve avait été obligée de se conduire comme elle l’avait fait, alors que lui s’étaitcomportéainsidélibérément.
Il avait apprécié ses liaisons. Il avait été heureuxde ses aventures.Quel hommen’aimait pas unebonnepartiedejambesenl’air?TeagueetluiavaienttendancesemoquerdeshabitudesmonacalesdeGraeme,maisBowenserendaitcomptequesonfrèreavaiteuraisondesemontrerplusdifficiledanslechoixdesespartenaires.
AvantderencontrerEveline,Graemenepassaitpassontempsàtroussertouslesjuponsquipassaientàsaportée.Bowennepouvaitcertespasendireautant,etrienqued’ypenserilengrimaçait.
QuepenseraitGenevieve si elle savait ?L’opinionqu’elle avait de lui changerait-elle ?Commentpourrait-ellenepaschanger?
Ce n’était pas qu’il n’aimait pas les femmes. Bien au contraire. Mais il s’interrogeait quant aumanquederespectdontilavaitfaitpreuveàleurendroit.C’étaitdouloureuxetdégradantdeseretrouverrangédans lamêmecatégoriequedeshommescommeIanMcHugh.Mêmes’iln’enavait jamaisforcéaucune,pouvait-ildirequ’iln’avaitpasutilisécesfemmescommedesputains?
Ilpréféraitnepasserisqueràrépondreàcettequestion.Genevievel’avaitfondamentalementtransformé.Peut-êtreàl’instantoùilavaitposélesyeuxsurelle
pourlapremièrefois,etàcoupsûrlorsqu’ilavaitapprissonhistoireetdécouvertdequelcourageelleavaitfaitpreuve.
Ilvoulaitêtreunhommemeilleurpourelle.Ilvoulaitêtredigned’elle.Ilvoulaitqu’ellel’aime.—Àquoipensez-vous?s’enquit-elled’unevoixdouce.Surpris,ilcillaetbaissalesyeuxsurelle.Sonagressionremontaitàplusieursjoursmaintenant,etil
n’avaitcessédesemontrerd’uneinfinieprévenanceavecelledansl’espoirdegagnersaconfiance.Celan’avaitpasétéfacile,carilnevoulaitpasqu’ellesoitenbutteauxragots,aussiavait-ildûsemontrertrèsdiscret.Ilssevoyaientquasimentensecret–desmomentsvolésqu’ilattendaitavecimpatience.
Jamais,iln’avaitétéaussipatientavecunefemme,maisilétaitdéterminéàgagnersoncœur,quelsquesoientletempsetleseffortsquecelaexigerait.
—Vous étiez plongé dans vos pensées, reprit-elle. Jeme demandais pourquoi vous étiez soudainaussisongeur.
Ilsourit.—Jemedisaissimplementquec’étaitunebellenuit,etquelafemmequimarcheprèsdemoilarend
encoreplusbelle.Genevievedétournalesyeuxetbaissalatête,visiblementembarrasséeparsoncompliment.Maisil
eutletempsdevoirsonsourire.Et,commechaquefois,celaluiserralecœur.Ellesouriaitsirarement.—Voussavezparleràunefemme,BowenMontgomery,déclara-t-elle.Diablementbien,même.—Jesaisfaireautrechosequeparler,murmura-t-il.Elles’immobilisapourluifairefaceausommetdelapetiteéminencequisurplombaitlarivière.—Quoid’autre?demanda-t-elle,l’airinnocent.Lapetiteespiègleleprovoquait.Etc’étaitunbonheurdelasentiraussilibreaveclui.Elletoujourssi
réservéeetprudente.Ilavaitpeut-êtrelalanguebienpendue,maiselleaussisavaitseservirdelasienneetiladoraitcela.—Cela,parexemple,chuchota-t-ilavantdes’emparerdeseslèvres.Ellecessauninstantderespirer,prisedecourt,maiscelanedurapaset,cettefois,elleluirenditson
baiseravecaudace.Illalaissaprendreladirectiondesopérations,secontentantd’encadrersonvisagedesesmains.Il ne se lassait pas de l’embrasser : c’était commede laisser une cuillerée demiel fondre sur sa
langue,oudeboireunrayondesoleil.Elle était douce, soyeuse, délicate et infiniment féminine. Et il avait envie de hurler à la face du
mondequ’elleétaitàlui,rienqu’àlui.Etellenelesavaitmêmepas!Ilneleluiavaitpasdit.Pasunmot.Pasun«jet’aime».
C’étaitunsermentqu’ils’étaitfaitdevantDieu.Jamaisilnes’imposeraitàelle.Jamaisiln’exigeraitquoiquecesoitqu’ellen’étaitpasprêteàluidonner.
Ilattendrait.Ellefutlapremièreàrompreleurétreinte.—Embrasseresttellementagréable,dit-elled’unepetitevoixdélicieusementessoufflée.Jen’aurais
jamaiscrucelapossible.Celam’avaittoujoursparuhorrible.Ellegrimaçacommesielleregrettaitdesemontrersifranche.Sansdouteparcequec’étaitlàunsujet
liéàlahontequ’ellenecessaitd’éprouver.PourBowen,cependant,c’étaitaussilesignequ’elleétaitdeplusenplusàl’aiseensacompagnie.
—Parcequecen’étaitpasmoiquevousembrassiez,observa-t-il,nonsanssuffisance.Elles’esclaffa,etlecœurdeBowenmanquaunbattement.—Peut-être,admit-elle.Ilfautdirequevousêtestrèsdoué.Ilne réponditpas,nedésirantguèreaborder les raisonspour lesquelles ilétait sidoué.C’étaitun
sujetdangereux.Il reprit donc ses lèvres, sachant que c’était le meilleur moyen d’éviter toute question
embarrassante…Etpuis,c’étaitsibon.Ilss’embrassaientàperdrehaleine lorsqu’uncri retentitau loin.Alarmé,Bowenrelevaaussitôt la
tête,repoussaGenevievederrièreluitoutensaisissantsonépée.Iltenditl’oreille,s’efforçantdecomprendrecequelesvoix,nombreusesmaintenant,disaient.—LesMontgomeryarrivent!L’appeldessentinellesfutreprisetrésonnalelongdelamuraille.Bowensedétendit.—C’estmonfrère,expliqua-t-il.Ilnousapportedesvivres.Allonsl’accueillir.
29
L’angoisse de Genevieve allait croissant à mesure qu’ils se rapprochaient du château. Bowen semontraitprévenant, ralentissait lepaspourmarcheràsonrythmealorsqu’ilétaitévidentqu’ilmouraitd’impatiencederetrouverlessiens.
ElleavaitentenduTeaguedireenriantqueGraemeenpersonneviendraitdèsqu’ilapprendraitqu’ilavaitétéblessé.Elleauraitpréféréqu’iln’enfasserien.
Les journées qu’elle venait de passer avec Bowen avaient été pour ainsi dire parfaites.Mais cen’étaitqu’unrépitqui luiavaitétéaccordé,elle lesavait,etcelanepouvaitdoncdureréternellement.DèsqueGraemeapprendraitcequ’elleavaitfait,ilexigeraitqu’ellesoitchâtiée.Commentpourrait-ilenêtreautrement?
Elleavaitfaitdumalàsafemme.Elleavaitmisendangersonclantoutentier.Ellenes’attendaitpasqu’onluipardonnedetelsméfaits,mêmesiBowenyparaissaitdisposé.
CommeilsapprochaientdelacourdanslaquellelessoldatsMontgomerycontinuaientd’entrer,ellesecramponnaàsamain…avantdelalâchersubitement.C’étaitlàungesteintimeetellenevoulaitpasqueleclanlesurprenne.
D’instinct, elle rabattit sacapuchesur sa tête.Elleavait trop tendanceà sedétendreavecBowen.Ellenecherchaitplusàsecacher.
Sajoueladémangeaitetellegrattasacicatriceavantderesserrerlacapucheautourdesonvisage.—Genevieve,toutvabien,murmuraBowenalorsqu’ilspénétraientdanslacour.—Puis-jeêtreexcusée,laird?demanda-t-elleavecraideur.Ils’immobilisaetluipritlesdeuxmainssanssesoucierdesavoirsionlesregardait.Ledésespoirla
submergea.Ellenevoulaitpass’offrirenspectacle.Bowenladévisagealonguement,puissonregards’adoucit.Duboutdudoigt,ilrepoussaunemèche
decheveuxquiluigriffaitlajoue.—Retournezdansvotrechambre.Jeviendraivousvoirplustard.Auprixd’unviolenteffort,elleparvintànepass’enfuirencourant.Ellepréfératoutefoispénétrer
danslechâteaupar-derrièredecraintedecroiserdesprochesdeBowen.Lecœurbattant,ellegrimpal’escalieràtouteallure,etfaillitrenverserTaliesanenhautdesmarches.—LesMontgomery viennent d’arriver, annonça la jeune fille. Ils nous apportent des vivres et du
matériel.Noussommesensécuritéàprésent!Genevievejetauncoupd’œilverslaportedesachambre,puisfitpivoterTaliesan.—Tuveuxbienmetenircompagnie?demanda-t-elleenl’entraînantàsasuite.Jen’aiguèreenviede
resterseulecesoir.Taliesan accepta volontiers. Mais dès que la porte fut fermée, elle regarda Genevieve d’un air
soucieuxetdemanda:
—Quesepasse-t-il?Tuesnerveuse,tesmainstremblent.Dequoias-tupeur?Genevieves’efforçadeseressaisir.— J’ai entendu Teague dire qu’il ne serait pas surpris queGraeme en personne accompagne ses
hommes.— Je crois l’avoir vu, confirma Taliesan. Teague et Brodie sont allés l’accueillir. En revanche,
ajouta-t-elleenfronçantlessourcils,jen’aipasvuBowen.Étais-tuaveclui?Soudainécarlate,Genevieve lui tourna ledosetentrepritd’empilerdesbûchesdans le foyer.Elle
avaitpassébeaucoupdetempsavecluicesderniersjours,maisilsavaientétédiscrets.Bowenavaitprissoindepréserverlesapparencesetelleluienétaitreconnaissante.
—Genevieve?insistaTaliesand’unevoixdouce.Qu’ya-t-ilentrevous?Jesaisquejen’aipasledroitdememontreraussicurieuse,maisj’ai l’impressionqueBowens’estentichédetoi.Éprouves-tulesmêmessentimentsàsonégard?
Genevieveallumalefeu,puisseredressaencontemplantlesflammes.—Iln’yarienentreBowenMontgomeryetmoi,déclara-t-elle.Ilsemontregentilavecmoi.C’est
tout.Taliesansoupira.—J’aibienvucommeilteregarde.Iltedévoredesyeux.—Iln’yarienàregarder.—Tuestoujourstrèsbelle,Genevieve.Tacicatricen’ychangerien.Genevieveregrettaitmaintenantd’avoirinvitéTaliesan.Ellen’avaitpasdutoutenvied’avoircette
conversation.—Jesuisfatiguée,dit-elle.J’aimeraismecoucher.La jeunefilleapprochadesadémarcheclaudicanteet,soudain,Genevieveseretrouvaenveloppée
danssesbras.—Jenevoulaispasteblesser.Genevievepivotaetluirenditsonétreinte.—Jesais.C’estmoiquisuistropnerveuse.Sansdouteàcausedel’arrivéedesMontgomery.—Jevaistelaissertereposer.Veux-tuquejetefassemonteràmangerdemainmatin?—C’estgentildemeleproposer,maisçaira.Jenepeuxpasmecacherdanscettechambrejusqu’à
lafindemesjours.Aprèsl’avoirgratifiéed’unsourirerassurant,Taliesangagnalaporteetsortit.Genevieves’allongeasurlelit,puis,lespaupièrescloses,ellelaissasespenséesdériver,songeantà
cesderniersjourspassésavecBowen.Ilsavaientétémagiques.Ellenecomprenaitpascommentc’étaitpossible,etencoremoinsl’intérêtqueBowenluimanifestait.
Était-ilfeint?Non,sûrementpas.Dureste,àquoicelaluiaurait-ilservi?Ilsecomportaitcommes’iltenaitsincèrementàelle,cequilatroublaitd’autantplusqu’ilauraitdû
êtrefurieuxcontreelleaprèscequ’elleavaitfait.Or,ilnecherchaitniàsevengerniàluifairepayersespéchés.
Àcelas’ajoutaitlefaitqu’elleétaitrepoussantealorsqueluiétaitsiséduisant.Elleétaitsouillée.Laputaind’unautredontelleportaitàjamaislamarquesurlevisage.Chaquefois
queBowenregardaitsacicatrice,ildevaitpenseràcetautrehommequil’avaitpossédée.Qu’allait-ilsepassermaintenantquesonfrèreétaitlà?Allait-onlapunir?Lachasser?Tantdequestionssebousculaientdanssatête,auxquellesellen’avaitpasderéponse.Sielleétaitsincère,elledevaitreconnaîtrequ’ellenedésiraitrientantquerevivrelesquelquesjours
quivenaientdes’écouler.
Parcequepourlapremièrefoisdepuisunan,serendait-ellecompte,elleavaitétéheureuse.C’étaitstupéfiant,maisc’étaitlavérité.Elleavaitsouri.Elleavaitri.Oui,elleavaitétéheureuse.
Depuisquandn’avait-ellepaseudroitàunpeudebonheur?Depuisqu’elleavaitquittésafamille.Leslarmesjaillirent.Lebonheurluisemblaithorsdeportée.Quelquechosequiappartenaitàuneautrevieetqu’ellene
connaîtraitplusjamais.Pourtant,durantquelquesjours,Bowenleluiavaitoffert.Etvoilàqu’illuiétaitdenouveaurefusé.
30
—Graeme!Ce dernier, qui discutait avec Teague et Brodie, se retourna et fronça les sourcils en découvrant
Bowenquitraversaitlacourpourlerejoindre.Lesdeuxfrèress’étreignirent.—Tumeparaisenforme,observaGraeme.Moiquim’attendaisàtetrouverpresquemourant.Bowensourit.—Mablessureaétégrandementexagérée.Cen’étaitqu’uneégratignure.—Uneégratignurequ’ilaquandmêmefallurecoudre,fitremarquerTeague.Graemeétrécitlesyeux.—C’estvrai?Bowenhaussalesépaules.—Jevaisbien.C’esttoutcequicompte.—Eneffet,acquiesçaGraeme,c’esttoutcequicompte.—CommentvaEveline?s’enquitBowen.EtRorie?Lesas-tulaisséesauchâteau?—Rorieestrestée.Ellenevoulaitpasratersesleçonsdelecture.Maisj’aiconduitEvelinedanssa
famille.Jecrainsqu’ellenesoitencorebouleverséeparsonenlèvement.—J’espèrejustequetunousasrapportédequoimanger,grommelaTeague.Jemeursdefaim!—Jeveuxsavoircequ’ils’estpasséici,déclaraGraeme,ignorantsonfrèrecadet.Bowenretintunegrimace,sachantcequil’attendait.Maisilétaitdéterminéàgagnersonfrèreàla
causedeGenevieve.Coûtequecoûte.Ilnesavaitpasencoreexactementquelsétaientsesprojetsàsonendroit,maisunechoseétaitsûre,il
nevoulaitpasêtreséparéd’elle.IlallaitdoncluifalloirconvaincreGraemedeluioffrirunsanctuaireauseinduclanqu’elleavaittrahi.
Unedémarchequin’avaitdesens,biensûr,quesielleéprouvaitunequelconqueaffectionpourlui.Ilpréféraitnepaspenseràcela,carl’alternativeluiétaitinsupportable.—Entrons,dit-ilàsonfrère.Graeme esquissa un geste en direction de Teague et Brodie pour qu’ils les accompagnent, mais
Bowenl’arrêta.—Non.Jedoisteparlerentêteàtête.Teaguehaussa les sourcils tandisqueGraeme l’observait, lesyeuxétrécis.Cedernierhésita,puis
finitparhocherlatête.—Trèsbien.Allons-y.Évitant la grande salle, où il aurait dû offrir des rafraîchissements à son frère après son voyage,
Bowenarrêtauneservanteetluiordonnaqu’onlesserve,sonfrèreetlui,danssaproprechambre.
—Touscessecretsaiguisentmacuriosité,commentaGraemetandisqu’ilsgravissaientl’escalier.Ilyaunproblème?
Bowendemeurasilencieuxjusqu’àcequ’ilsaientrejointsachambre.Ilindiquaàsonfrèrel’undessiègesdevantlacheminée.
Celui-cisecoualapoussièredesatuniqueavantd’étendrelesjambesdevantlefeu.—Tum’as inquiété,Bowen,commença-t-il. Jedoisavouerque j’aieu trèspeurenapprenantque
vousaviezétéattaquésetquetuétaisblessé.Eveline,aussi,étaitaffolée.J’aieudumalàlapersuaderderestersouslaprotectiondessiens.
Bowengrimaça.—Cen’étaitpasgrand-chose.SiBrodienem’avaitpasforcéàavalerunepotiondesorcière,jene
seraispasrestéaulitpendantdeuxjournéesentières.Graemel’étudiauninstant,puis:—Commentcelasepasse-t-ilaveclesArmstrong?—Trèsbien.AidenestpartiavecTeague,maisBrodieaacceptéderesterpourmeprêtermain-forte.
Etjesuisheureuxqu’ill’aitfait.Sansseshommesetlui,nousn’aurionspeut-êtrepasréussiàrepoussercetteattaque.
Graemehochalatêteavecsatisfaction.—Alors,cetteallianceestunebonnechose.Peut-êtresommes-nousàl’aubed’unenouvelleèreentre
lesMontgomeryetlesArmstrong.Evelinenousaunis.Celamelaisseencoreperplexe,jedoisdire.—PatrickMcHughestmort,annonçaBowen.Ilaététuépendantlabataille.—Tantmieux,crachaGraeme.Jenesupportaispasdelesavoirenvie.Cettecanaillel’avaitbien
mérité.As-tuassistéàsamort?—Non.—Dommage.J’auraissuquiremercier.—Onsaitquil’atué,ditBowen.C’estunefemme.—Unefemme?répétaGraeme,stupéfait.Quediablefaisait-ellelà?—C’estunelonguehistoirequejedoisteraconter.Graemeobservadenouveausonfrère,lesyeuxplissés.Onfrappaàlaporte,etBowenselevapourallerouvrir.Laservantequientrasemblaitnerveuse,elle
posatrèsviteunplateaudevictuaillessurlatable.Bowenlaraccompagnaàlaporteetluimurmura:—Qu’onapporteàmangeràGenevievedanssachambrecesoir.Lafilleexécutaunerévérence,leslèvrespincées.—Alors,parle-moidecettefemmequiatuéPatrickMcHugh,ditGraemequandilrevintprèsdufeu.—Necrainsrien,jevaistoutteraconter.C’esttropimportant.Graemearqualessourcils,etattenditlasuite.—TutesouviensdecettefemmequinousaindiquéoùEvelineétaitenferméedansledonjon?Celle
quiportaitunecapuchequidissimulaitsonvisage.—Biensûrquejem’ensouviens.J’étaisfoudenepastrouverEveline.Jeregrettedenepasavoireu
l’occasiondelaremercier.Toutestarrivésivite.—Elles’appelleGenevieve.GenevieveMcInnis.—LesMcInnisdesLowlands?—Oui.LaridesurlefrontdeGraemesecreusa.—Qu’est-ce qu’uneMcInnis fabriquait dans le fief desMcHugh ?Ce sont des amis du roi. L’an
dernier,lafilledeleurlairdaététuéedansuneembuscadealorsqu’elleétaitenroutepourrejoindresonfiancé.
Bowensecoualatête.—Non.Genevieveesttoujoursenvie.—Attendsunpeu.TuesentraindemedirequecetteGenevieveestlafilledulaird?Qu’ellen’est
pasmorteetquec’estellequinousaguidésversEveline?—Oui,maiscen’estpastout.J’aiencorebiendeschosesàt’apprendre.Alorsmangeetécoute.Graemeledévisageaavantdeluifairesignedecontinuer.—AprèsavoirrencontréGenevieveàlaCour,Ians’estentichéd’elle.Illesaattaquées,sonescorte
etelle,lorsdecevoyage,lesmassacranttousjusqu’auderniersaufelle.C’estpourcelaqu’onl’acruemorte.
Graemevoulutintervenir,maisBowenlevalamain.—Ianl’aramenéeici,etquandellearefusésesavances,illuiatailladélajoueavecsonpoignard
afinqueplusjamaisunhommenelaregardeavecdésir.Graemelâchaunjuron.—Lapauvrefille.Etelleesttoujoursici?—Cen’estpastout,continuaBowen.Ill’avioléeencoreetencore,laforçantàdevenirsamaîtresse.
Ill’agardéeprisonnièreicipendantunan.—BonDieu!As-tuprévenusonclan?Vont-ilsvenirlachercher?Bowenpoussaunlongsoupir.—Non.Ellerefuse.—Pourquoi?fitGraeme,sidéré.—Ilvautmieuxquejeteracontetout.C’estuneaffairetrèscompliquée.—Jet’écoute.—Genevieveaterriblementhontedetoutcequ’onluiafaitsubir.Sacicatricenes’effacerajamais.
Elle porte donc sur le visage la marque de la honte que Ian lui a infligée. Elle refuse d’apporter ledéshonneuràsafamille.Voilàpourquoielleneveutpasluirévélersonexistence.
AvantqueGraemepuissefaireuncommentaire,Bowenenchaîna:—Commejetel’aidit,c’estellequinousaguidésversEveline.Ilhésita,puis:—Cequetuignores,c’estqueGenevieveest,indirectement,responsabledel’enlèvementd’Eveline.— Quoi ? explosa Graeme. Je ne comprends pas. Comment pourrait-elle être responsable de
l’enlèvementd’Eveline?—Iln’estpasnécessaired’entrerdanslesdétails,réponditBowend’unevoixsourde.—Ohquesi!C’esttoutàfaitnécessaire,aucontraire.SicetteGenevieveaquoiquecesoitàvoir
aveccequ’Evelineaenduré,jeveuxlesavoir.Bowensoupira.— Elle a encouragé Ian à se venger. Tu sais mieux que personne comment Eveline a rusé pour
échapper à ses fiançailles avec lui. Ian a eu l’impression d’être pris pour un idiot etGenevieve en aprofité.Ellel’apousséàenleverEveline.
—Aunomduciel,pourquoi?rugitGraeme.—Parcequenousétionssesseulsespoirsdesalut,répliquaBowen,lesdentsserrées.—Maisçan’apasdesens!— Au contraire. La fille est maligne. Elle savait que ni les Montgomery ni les Armstrong ne
toléreraient qu’on enlève Eveline. Et que nous viendrions pour nous venger. C’était son seul espoird’échapperauxgriffesdeIan.
Graemeserraientlesmâchoires,s’efforçantvisiblementdetenirsacolèreenbride.—Ilyaautrechosequ’ilfautquetusaches,Graeme.Jesuisamoureuxd’elle.
31
Lafureurfaillitl’emporter,maisfinalement,Graemesecoualatête.—Elleatrahinotreclan–elleatrahiEveline–,ettul’aimes?As-tuperdul’esprit?— Elle avait de bonnes raisons pour agir ainsi. Cela me rend malade, mais elle était dans une
situationdésespéréeetelleafaitcequ’ilfallaitpoursurvivre.Jenepeuxpasleluireprocher.SiEvelinen’étaitpastafemmebien-aimée,tuneleluireprocheraispasnonplus.
—Nemedispascommentjeréagirais,rétorquaGraeme.Elleadélibérémentmisuneautrefemmeendanger pour son profit personnel. Je frémis en songeant à tout ce qu’Eveline a enduré.C’estma plusgrandepeur,mêmeaujourd’hui,qu’ellerefusedem’enparlerafindem’épargner.As-tuidéedelatorturequec’estd’imaginerqu’unechoseaussihorribleestarrivéeàquelqu’unqu’onaimedetoutsoncœur,detoutesonâme?
—Cela,etplusencore,estarrivéàGenevieve.Demanièrerépétée,déclaraBowenfroidement.Graemeexhalalentement,puissemassalefrontd’ungestelas.—Cen’estpasquelquechosequejepardonneraifacilement,Bowen.Ilfautquetulecomprennes.Tu
nepeuxattendredemoiquejel’accepte.—Jeluiaipromisquenousluioffririonsunrefugeauseindenotreclan.Jelaprotégerai,carelle
seramafemme.LasurpriseetlacolèredéformèrentlestraitsdeGraeme.—Tu épouserais une femme qui a fait tant de tort à ton propre clan ? À ta sœur par alliance ?
Réfléchisbien,Bowen.Ilestclairqu’elletemanipule.Elletetientparlesbourses.LaragesubmergeaBowen.Ilsesentaitinsulté.MaisdéjàGraemeenchaînait:—Jenet’accorderaipasmabénédiction.Elleneserapaslabienvenueauseindenotreclan.UngrandfroidenvahitBowen.Uninstant, ildemeurahébété.Etpourtant, ilsavaitsanslamoindre
hésitation qu’il faisait le bon choix. Il ne pouvait pas abandonnerGenevieve. Il ne pouvait briser sonsermentdelaprotéger.Etdel’aimer.
—Avecousanstabénédiction,jeresteavecelle,articula-t-il.Graemelefixa,bouchebée.—Tuchoisiraisvraimentcettefemmecontrelestiens?Bowenluirenditsonregard.Lesilences’étiraentreeux,pesant,inconfortable.—Justeunechose,Graeme:choisirais-tulestienscontreEveline?Laquestionparutprendresonfrèredecourt.Ilfronçalessourcils,maisnetrouvarienàrépondre.Bowenluiadressaunregarddégoûté.—C’estbiencequejepensais.Il se leva, et se dirigea vers la porte. Il avait besoin de se calmer afin de réfléchir de façon
rationnelle.Justeavantdesortir,ilseretournaversGraeme,toujoursassisprèsdufeu.
—Tupeuxresterdansmachambrecettenuit.Jem’arrangeraiautrement.Unefoisdehors, ilsedirigead’instinctverscelledeGenevieve.Iln’appréciaitguèred’ypénétrer
sansfrapper,maisilnetenaitpasàs’attarderdanslecouloiraurisquequ’onlevoie.Il ouvrit donc la porte et se glissa à l’intérieur. Ses longs cheveux cascadant sur ses épaules,
Genevieveétaitassisesurunechaiseprèsdufeu,lespiedssurleborddusiège,lesgenouxrepliéscontreelle.
Elletournavivementlatête,etilvitdel’effroidanssesyeux.—Cen’estquemoi,dit-ild’unevoixqu’ilespéraitapaisante.Ellesedétendit,maisdemeurasurlequi-vive.Ils’avançaverselle,plusquejamaisconscientqu’iln’auraitpasdûentrerchezelleainsi,alorsqu’il
luiavaitpromisquepersonnenel’ennuierait.Ils’immobilisaàquelquespasd’elle,nesachantquefaire.—Vousvoulezvousasseoir?demanda-t-elle.Voussemblezpréoccupé.Ilpritplacesurlachaisequ’elleluiindiquaitetsepenchaenavant,lescoudessurlesgenoux.—Jevoulaisvousvoir,dit-ilsimplement.Iln’allaitpasluiparlerdelaréactiondeGraeme,celaneferaitquel’inquiéterdavantage.Etpuis,il
neluiavaitpasencorerévélé…sessentiments.Envérité,ilavaitpeur.Cequi, tout bien considéré, était assez amusant de la part d’unhommequi connaissait si bien les
femmesetétaitsisûrdesonpouvoirdeséduction.MaisGenevieven’étaitpasn’importequellefemme.Elleétaitimportante.Ilnevoulaitpascommettred’erreuretgâchertoutesseschancesdelafairesienne.
Elle se pencha à son tour pour lui prendre la main. Un geste si simple, mais qui le touchaprofondément.Illuicaressalapaumeavantderefermerlesdoigtssurlessiens.
—Avez-vousaccueillivotrefrère?demanda-t-elleprudemment.—Oui,répondit-il,l’airsombre.Ildormiradansmachambrecettenuit.Ellefronçalessourcils.—Etoùallez-vousvousinstaller?Ilhésita,craignantdeparaîtretropdirect,maisilvoulaitaussiêtrehonnêteavecelle.—J’aimeraisresterici.Avecvous.Sesyeuxs’assombrirent,samaintrembladanslasienne.Illaserrapourlarassurer.—Jen’attendsrienquevousnesoyezprêteàdonner,s’empressa-t-ild’ajouter.Votrecompagnieme
suffit.Elle s’agita sur sachaise, avantde se lever, sans libérer samain,puis, se tenantentre ses jambes
écartées,ellesepenchalentementpoureffleurersabouchedelasienne.Lesouffleunpeuerratique,elleapprofondittimidementsonbaiser.
—Ah,femme,quemefais-tu!murmuraBowencontreseslèvres.L’attirantspontanémentsursesgenoux,ill’enveloppadesesbras,etcalalementonsursatête.Illui
caressadoucementlebras.Oui,songea-t-il,ilpouvaittoutaffronter,maispasunavenirsansGenevieve.Elles’écartaetleregardaavecunetellecraintequ’ilenfuttoutremué.—Genevieve,qu’ya-t-il?Vousdevezsavoirquejamaisjenevousferaidumal.Ellesecoualatête,lesyeuxemplisdelarmes…etdehonte.—Biensûrque je lesais,Bowen.Mais jedoisvousavouerquelquechose.Quandvoussaurez…
vousnevoudrezplusdemoidecettefaçon.Etpourtant,ilfautquejevousledise,carjenepuislaisserleschosesprogresserentrenoussansquevoussachiez.
Lapeurl’étreignit.Iln’aimaitpascequ’ilsentaitdanssavoix.Iln’aimaitpascequ’illisaitdanssonregard.
Illuitouchalevisage,lesdoigtstremblants.—Jevousécoute.Ellefermalespaupièresetbaissalatête.
—JemesuisvolontairementdonnéeàIan,dit-elle,àvoixsibassequ’ilfutcertaindenepasavoirentenducorrectement.
Ellerouvritlesyeux.—QuandEvelineaétéamenéeauchâteau…Ianétaitdéterminéà…laprendre.Ilavaitl’intentionde
lavioler.Ilétaitdansuntelétat.Sontriompheluimontaitàlatête.Ilétaiteuphorique,commeunhommeivre.Iln’arrêtaitpasdedirequecettefemmeneleridiculiseraitplusetqu’ilallaitlapunir.
Unsanglotl’obligeaàs’arrêteruninstant.—Jenepouvaispaslelaisserfaire.Savoixsebrisa,etcefutauprixd’unénormeeffortsurelle-mêmequ’ellepoursuivit:—C’étaitma faute si elle était ici et j’avais tellement honte. Je ne supportais pas l’idée quema
libertécoûtesicheràuneautrefemme.Alors…alors,jel’aiinvitédansmonlit.Jel’aisé…séduit.Ellesetutetsedétourna,sesmainsvolantverssonvisagetandisqueleslarmesruisselaient.Bowenlafixait,choqué,puislacolèrelesaisit.Ellefrémitenvoyantsaréactionetfitaussitôtmine
deselever.Illaretintavantderefermerlesbrasautourd’elleetd’enfouirlevisagedanssachevelure.Dieu qu’il était furieux. Furieux qu’elle porte un pareil fardeau.Qu’elle ploie sous la honte et la
culpabilitéalorsqu’elleneméritaitnil’unenil’autre.Il était furieux contre lui-même d’avoir passé tant de temps à être en colère contre elle. Et il en
voulaitencoreplusàGraemequi réprouvait sonunionaveccette femmeen raisondecequ’elleavaitprétendumentfaitàEveline.
Ilfuttentéderetournerdanssachambrepourluirévélertoutelasordidevérité,maisilnevoulaitpaslaisserGenevieveseuleavecsonchagrin.
Et soudain, sa décision fut prise : il allait lui montrer cette nuit même ce que c’était que d’êtrevraimentaimée.
—Jenesuispasencolèrecontretoi,dit-ild’unevoixétouffée, latutoyantdenouveausansmêmes’enrendrecompte.J’aihontedet’enavoirvoulu.
—J’étaisconsentante,murmura-t-elle.Cettenuit-là,j’aiétélaputainqu’ilavaitfaitedemoi.Etlelendemainsoiraussi.ÔDieu,commejemesuishaïe!C’estàcemomentseulementquej’aienvisagélesuicide.Pasavant,pasmêmequandilmeviolait.Quandilordonnaitauxautresdemetenirpourêtrelestémoinsdemonhumiliation.Pasmêmequandilleslaissaitmefairedumal.Maislà,oui.Seigneur,c’estunpéchédeseulementl’admettre,maisj’avaistellementhontequejevoulaismejeterduhautdelatour!
—Oh,monange!murmuraBowen.Ilsemità labercerdoucement tandisqueses larmeslui inondaient lapoitrine.Il luiembrassales
cheveux,latempe,puisluisoulevalevisagepourluiembrasserlajoue,lenezetenfinleslèvres.Elleluirenditsonbaiseravecardeur,etilsentitleseldeseslarmessursalangue.Nouantlesmains
derrièresoncou,elles’accrochaàlui.—Sijedoisunjourconnaîtreunautrehomme,jeveuxquecesoittoi,Bowen,souffla-t-elle.Montre-
moi.Montre-moicommentc’est.EffaceenmoilesouvenirdeIan.—Tun’aurasjamaisàmesupplierpourquoiquecesoit,monange.Demande-moilalune,j’iraitela
chercher.Seslarmessetarirenttandisqu’elleleregardaitdanslesyeux.—Montre-moi,répéta-t-elledansunmurmure.Il se leva en la soulevant dans ses bras et la porta jusqu’au lit où il la déposa avec une infinie
délicatesse.—Jevaisêtredoux,promit-ilenplongeantsonregarddanslesien.J’irailentementetjetechérirai
commetulemérites.Maissitutrouvesquejevaistropvite,sijefaisquoiquecesoitquit’effraieetquetuveuxquej’arrête,ilfaudrameledire.Jepréféreraismecouperunbrasplutôtquedetefairemal.
Elleluisourit,sesyeuxbrillantcommedesémeraudesjumelles.
—J’aiconfianceentoi,Bowen.Entoi,seulement.Aime-moi.Fais-moioublierlepassé.Ils’assitauborddulit,s’inclinasurelle,sabouchefrôlalasienne.—Cesoir,jeveuxquetunepensesqu’auprésent.
32
Genevieve accepta son baiser avec ferveur. Elle n’avait jamais rien connu de tel. Jamais aucunhommenes’étaitmontréaussitendreetpatientavecelle.
Elleenétait…bouleversée.Elleignoraitdequoisonfuturseraitfait,maiscesoir,ellenevoulaitquecela.Êtredanslesbrasde
Bowen. Savoir, ne serait-ce que quelques instants, ce que l’on éprouvait lorsqu’on était…aimée. Selaisseralleràl’illusionquelepassén’avaitjamaisexisté.Quesonvisageétaitintactetqu’aucunpéchén’avait été commis. Que Bowen était son amour – son unique amour – et qu’il était le premier à latoucher.
D’instinct,elleplaquasajoueabîméecontrelematelasafinqu’ilembrassel’autre.Maisilrefusadela laisser faire.Lui tournant doucement le visage, il déposa une pluie de baisers légers le long de sacicatrice.
—Jepourraismecontenterdet’embrassertoutelanuit,murmura-t-il.—Moiaussi.Il jouaitavecsachevelure,sesdoigtspeignant les longuesmèches, lescaressant, lesécartantavec
douceurdesonfrontetdesonvisage.—Assieds-toi,chuchota-t-il.Elle semit à tremblermais lui obéit.Lentement, il fit remonter sa chemisedenuit le longde son
corps.Ilgardaitlesyeuxrivésauxsienscommes’ilguettaitlemoindresignederéticenceoudepeur.Oui,elleétaitnerveuse.Ellenevoulaitpasledécevoir.Maisellen’avaitpaspeur.Pasdelui.Jamais
delui.Elleretintsonsoufflequandlevêtementglissaau-dessusdesatête,puiscroisavivementlesbrassur
sapoitrinepourmasquersesseins,intimidée,soudain,àl’idéedeseretrouvernuedevantlui.—Nemecachepastantdebeauté.Avecprécaution,illuiécartalesbras.Ellefutchoquéedesentirquesesmainstremblaient.Ilétait
doncnerveux,luiaussi.Elleenfutprofondémentémue.Cessant de résister, elle lui permit de voir sa nudité. La satisfaction qu’elle lut dans son regard
ranimasoncouragedéfaillant.Elle n’était pas étrangère au désir. Ian la regardait comme s’il voulait non seulement la posséder,
mais aussi investir la moindre parcelle de son corps, de son esprit et de son âme. Bowen, lui, lacontemplaitd’unefaçontotalementdifférente.Etc’étaitelle,àprésent,quiavaitenviedeplongerdanssonregard,des’ybaigner,deselaisserenvelopper.
—Jevoudraistedéshabillermoiaussi,dit-elled’unevoixrauque.Ellehésitapourtant,decraintedeparaîtretropaudacieuse.
Alorsils’emparadesesmainsetlesguidaverslelacetquifermaitsatunique.—Riennemeferaitplusplaisir,assura-t-il.Elledénoua lenœudmaladroitement avantde laisser sesmainsglisser sur sesbras, son abdomen
musclé,puisd’attraperlebasdutissu.Bowenl’aidaàledébarrasserdesonvêtement.LeregarddeGenevieveseposasurlaplaiequ’elle
avait recousueavec tantde soin.Comme il l’avait fait avecsaproprecicatrice,elleembrassachaquecentimètredelasienne,seslèvress’attardantsurleschairsblessées.
Ellesentaitsoncœurbattrelachamadesoussabouche.Illaissaéchapperunlongsoupir.—Sais-tuàquelpointj’enairêvé?articula-t-il.Tabouchesurmoi,ladouceurdetesbaisersetde
tescaresses.Jamaisjen’auraisoséespérercelapossible.Ils’exprimaitavecunetelleferveurqu’elleneputs’empêcherdebaisserlatête,lesjouesenfeu.Illuipritlajoueencoupeavecuneinfinietendresse.—Monange,tatimiditémebouleverse,murmura-t-il.Enréponse,ellefrottalajouecontresapaume.Ilselevaensuitelentementetsetintdevantelleafin
qu’elleachèvedeledévêtir.Son érection était plus que visible. Plus nerveuse que jamais, elle avala sa salive avant de
commencerà ledépouillerdeseshauts-de-chausses.Finalement, ilcouvritsesmainsdessiennespourl’aideràfaireglisserlaculottelelongdesesjambes.
Ilétaitmagnifique.Viril,toutenmuscles,leguerrierdanstoutesasplendeur.Soncorpsétaitconstellédecicatrices,certainesanciennes,d’autres,commecellessursapoitrineetsonbiceps,plusrécentes.Cethommeavaitcombattuplussouventqu’àsontouretlesmultiplestracesdesesbatailles,preuvesvisiblesdesoncourageetdesabravoure,étaientinscritesdéfinitivementsursoncorps.
Sonsexeenérectionjaillissaittelleunelance,épaisetlourd.Elleavaitapprisàredouterunetellevision,carellesavaitqu’ellen’annonçaitquedouleurethumiliation.Maislà,c’étaituntémoignagedel’excitationetdudésirqueBowenavaitd’elle.D’elle.Unefillebalafréequin’avaitrienàluioffrir,àquil’onavaitarrachésavertudepuisbienlongtemps.
Elleeutdumalànepasserecroquevillerdehonte,carellen’étaitpasdignedecethommenidesaconsidération.
Bowennotadansl’instantsonchangementd’attitude.Ils’assitprèsd’elle,luicaressalescheveux.—Pourquoi cette expression ? s’enquit-il d’unevoixdouce.Comme si tu avais honted’être avec
moi?LeregarddeGenevieves’emplitd’uneinfinietristesse.—Autrefois,j’auraisétédignedetoi,souffla-t-elle.J’étaisinnocenteetintacte.Mesparentsétaient
denoblenaissanceetj’étaisaccueillieàlacourduroi.Jeservaislareineelle-même.Ellelevaversluiunvisagetourmentéavantdepoursuivre:—Désormais,jenesuisplusqu’unevulgaireputain.Enaucuncasdigned’unguerrierportantlenom
deMontgomeryetfrèred’undespluspuissantslairdsd’Écosse.Larages’emparadeBowen.—Pas digne ? répéta-t-il d’un ton bourru.C’est àmoi d’en décider et, crois-moi, je n’ai jamais
rencontrédefemmeplusdignedemonrespectquetoi.Genevieveécarquillalesyeux,l’airémerveillé.Ellelefixaitcommes’ilvenaitàluiseuldevaincre
touteunearmée.—Oh,Bowen!murmura-t-elle.Ill’allongeadélicatementsurlelit,commes’ilpréparaitunfestin–et,eneffet,ellel’était.Unfestin
pourlesyeuxetpourlessens.Ilparvenaitàpeineàtenirsondésirdelatoucherenbride.Les mains toujours tremblantes, il caressa son ventre si doux, juste au-dessus de la toison plus
sombrequidissimulaitsaféminitéauxregards.Celle-cil’appelait,etlebesoindelatoucher,d’yglisser
undoigtétait fort,mais iln’étaitpasquestiond’aller tropvite.Cesoir,mêmesiceladevait le tuer, ilferaitpreuvedepatience.
Ileffleuralapeausatinéesoussapoitrine,remontaentresesseinsrondssiparfaits.Lespointesenétaientdéjàdressées,invitantsaboucheàlessucer.
Quandilpritl’undesglobesencoupe,ellesefigeaetretintsonsouffle.Unfrissonlaparcourut.—Tuesbelle,Genevieve,dit-ild’unevoixenrouée.Iln’existepasdefemmeplusbellequetoi.Uninstant,ilcrutavoirditcequ’ilnefallaitpas.Qu’ilétaitallétroploin,qu’ellenecroyaitpasàsa
sincérité.Puislalumièrerevintdanssonregard.Elleparaissait…heureuse.Jamaisencore,ilneluiavaitvu
cetteexpression,etc’étaitnormal.Ellen’avaitguèreeul’occasiond’êtreheureusejusqu’àprésent.—Tumerendsbelle,avoua-t-elleavecémotion.Cesmotsluiallèrentdroitaucœur,l’emplissantd’uneétrangefaiblesse.Ilsepenchasurelle,frôla
sabouchedelasienne.—Àmesyeux,tuesplusbellequemillecouchersdesoleilsurlesHighlands.Ildéposaunetraînéedebaiserssursajoue,samâchoire,sonoreille,luiarrachaungémissementde
plaisirquandilluienmordillalelobe.Puisilluiembrassalecou,lecreuxdel’épaule.Ilpoursuivitsoncheminplusbas,boucheouverte,jusqu’àsesseinsdontilléchalapointe.Ellelaissa
échapperunpetitcriétoufféensecambrantsurlelit.SesmainsplongèrentdanslescheveuxdeBowenqu’elleattiraplusprès.
Il joua avec un téton après l’autre, les léchant, les taquinant avant de les aspirer dans sa bouche,provoquantdenouveauxspasmesdeplaisirchezGenevieve.
—C’estleparadis,soupira-t-elleenluicaressantlescheveux.Ilfermalesyeuxdebonheur.—Oui,leparadis,souffla-t-il.Maisilsavaitqu’êtreenelleseraitmeilleurencore.L’attenteletuait.Ilétaitimpatientdes’enfouir
danssadouceur,danssachaleur.Ilcontinuasaprogression,couvritsonventredebaisersbrûlants,puis,lesmainsposéesdechaque
côtédesescuisses,ilpressalabouchesursatoisonbouclée.Elle ouvrit des yeux comme des soucoupes et leva la tête. Une protestation naquit sur ses lèvres
quandilluiécartadoucementlescuisses.—Bowen!Ilritdoucement.—Genevieve,laisse-moit’aimercommetulemérites,dit-il,tendrementmoqueur.Glissant les doigts entre les pétales de son sexe, il frôla la petite crête érigée, source du plaisir
féminin.Enréponse,Genevievesecabraetpoussauncri.Jamais Ian ne s’était soucié de son plaisir, il le savait. Elle n’avait été qu’un instrument pour
satisfairelesien.Maiscelaallaitchanger.Fermantlesyeux,ilrespirasonodeurdefemme.Elleétaitentêtante,envoûtante…Puis il la goûta.Dubout de la langue, il lécha l’orée de son sexe avant de remonter vers le petit
boutondechair.Genevieve tremblait irrépressiblement, lesmusclesdeses jambes tressaillaient tandisqu’ilcontinuaitàluiinfligerlaplusdélicieusedestortures.
—Bowen!cria-t-ellesoudain.Il releva la tête.Elle était tendue commeun arc, et son expression était unmélangedepeur et de
plaisirintense.—Que…quesepasse-t-il?balbutia-t-elle,abasourdie.
—Tuéprouvesduplaisir,toutsimplement,expliqua-t-il.Aieconfiance,Genevieve.Laisse-toialler.Neluttepas.Ceseramerveilleux,crois-moi.
Ellelecrut.Ellesoupira,sedétendit,etilpoursuivitsescaresses,plusdécidéquejamaisàluioffrirlebonheurultime.
Ilvoulaits’assurerqu’elleétaitprêteàlerecevoir,carelleétaitmenueetluiplutôtimposant.Tandis que sa langue s’activait entre les replis de son sexe, il inséra un doigt en elle. Elle se
contracta aussitôt. Elle était étroite et son fourreau humide aspira son doigt avec avidité. Il l’enfonçadavantagesanscesserdelasucer,delalécher,delatitiller.
Ellesetordaitsoussadoublecaresse,sessoupirsetsesgémissementsentrecoupésdecris,etcambraledoscommepourimplorerdavantage.
Libérantsondoigtdesaprisondechair,illuisaisitlesfessesàdeuxmainsetlasoulevapourmieuxse régaler de sa chair offerte. Il la savoura comme le plus délicieux des festins, la lécha doucement,caressa de la pointe de la langue l’entrée de son intimité avant de plonger à l’intérieur. Elle cria denouveauetserralescuissesautourdesatête.Elleétaitauborddelajouissance.
Unfrissoncourutlelongdesacolonnevertébrale.Lemomentétaitvenu.L’attenteavaitétéunetelletorturequesesgestesétaientpresquemaladroits.Ils’allongeasurGenevieve,luiécartadenouveaulesjambes,etsepositionnaàl’oréedesaféminité.Leurscorpss’épousaientparfaitement,sadouceurcontresadureté.
—Jemeursd’envied’êtreen toi,murmura-t-il.Cramponne-toi àmoiet regarde-moi. Jeveuxquenoussoyonsensemblejusqu’aubout.Situsouhaitesquej’arrête,dis-le.J’arrêteraimêmesiçametue.
Ellesourit,etlalueurquiéclairaitsonregardressemblaitàl’amour.Peut-êtreétait-ceparcequ’illevoulaittellement.Peut-êtrel’imaginait-il.Maisilavaitenviedelecroireetd’espérerqu’ellefiniraitparl’aimer,elleaussi.Ilattendraitletempsqu’ilfaudrait.
Letempsdevaincrelesdémonsquil’habitaientetcontrelesquelselledevaitlutter.Ilentralégèrementenelle,s’immobilisa.Ilnevoulaitsurtoutpasprendrelerisquedeluifairemalou
del’effrayer.Cedevaitêtreparfaitparcequ’iln’auraitpasdesecondechance.—Respire,monange.J’iraitrèsdoucement.Jeveuxquecesoitbon.Elleglissalesmainssursesépaules,sesonglesseplantèrentdanssachair.Auprixd’uneffortinsensé,illapénétralentement.Jamais,iln’avaitprisautantdeprécautions.Illa
guettait,lascrutait,cherchantlemoindresignequ’ellen’étaitplusaveclui.Elleémitunpetitsoupiretsetortilla,commesielleétaitaussiimpatientequelui.
Elleserefermaitautourdelui,douce,humideetvoluptueuse.Scandaleusementvoluptueuse.Unefoisdeplus, il fut sidéréd’éprouverunpareilplaisir.Unepareille satisfaction.C’étaitcommes’il rentraitenfinchezlui.Commes’il l’avaitattendue–elle,cemoment–depuis toujours.Etpeut-êtreétait-celecas.
Ellelecomplétaitcommejamaisiln’auraitimaginéqu’unefemmepuisselecompléter.Lespaupièrescloses,ilplongeadavantageenelle,jusqu’àcequeleursbassinsentrentencontact.Sonregardétaitvoiléetsesmainsnecessaientdecourirlelongdesesbras.Ellefinitparlesenfouir
danssescheveux.Il se retira et ils gémirent ensemble tandis qu’un plaisir exquis les assaillait. Bowen plongea de
nouveau avec lenteur dans son sexemoite.L’effort sur lui-mêmeque cette retenuequ’il s’imposait luidemandaitluifitperlerlasueuraufront.
—Bowen,j’aibesoin…—Dequoi,monange?Dis-moi.Jetedonneraitoutcequ’ilestenmonpouvoirdetedonner.—J’aibesoinde… toi,articula-t-elle,désespérée.Çametordleventre,cebesoin.Jenesaispas
quoifaire.Çaenfleetçaenfleaupointd’êtredouloureux.
Il se retira, puis s’enfonça avecunpeuplusde force, avant de recommencer, instaurant un rythmepuissantetréguliertoutenlatenantparleshanches.
Puisilinsinualamainentreleurscorps,cherchaettrouvalepetitbourgeoncharnu.Elle se raidit, ses muscles intimes se crispèrent si violemment qu’il faillit jouir sur-le-champ. Il
gémit,fitunepause,respirantrapidementpourretrouverlecontrôle.Puisilseremitàflattersonclitorisduboutdudoigt.Ellefrémitdelatêteauxpieds.Elleoscillaitau
borddel’abîmeetilvoulaitytomberavecelle.Sonpoucesemitàdécriredescerclestandisqu’ilreprenaitsonva-et-vient,s’enfonçantchaquefois
profondémentenelle.Lafrictionétaitpresqueinsupportabletantelleétaitétroite.Elleluiplantalesonglesdanslesbras.Sesyeuxsefermèrenttandisquesabouches’ouvraitsurun
crimuet.Etsoudain,ellefuttrempée,luifacilitantlepassage,etilsemitàalleretvenirplusviteetplusfort.
Ellecreusalesreinsetunlongcriluiéchappa,quis’achevadansunrâle.Àprésent,ellesecabraitetse tordait follementsous lui.Lesmusclescommetétanisés, il sentit la
semencemonter, parcourir toute la longueur de son sexe et jaillir en elle tandis qu’il s’enfonçait unedernièrefois,jusqu’àlagarde.Desspasmeslessecouaienttouslesdeux,entrecoupésdegémissementsdeplaisir.
Audéchaînementdessenssuccédaunsilencequeseulsbrisaientleurssouffleserratiques.Bowen enveloppaGenevieve de ses bras.Elle était toutemolle contre lui, sans force et repue. Il
demeura un long moment enfoui en elle. Il n’avait aucun désir de se séparer d’elle. Si cela n’avaitdépenduque de lui, il serait resté ainsi aussi longtemps que possible, relié à elle de la façon la plusintimequifût.
Il lui embrassa la tempe, et lui dit de nouveau, à voix basse, combien il la trouvait belle. Et cen’étaientpasquedesmots.Desavieiln’avaitétéplussincère.Elleétaitbelle.Etelleétaitsienne.
—Jet’aime,souffla-t-ilcontresachevelure.Jet’aimeraitoujours,Genevieve.Mais quand il releva la tête, il découvrit qu’elle s’était endormie. Et qu’une esquisse de sourire
incurvaitsabouchepulpeuse.Ellesemblaitdétendue,aucunerideinquiètenecreusaitsonfront.Ill’embrassadenouveauetseretiraavecdélicatesse.Puisilremontalescouverturessureuxavant
del’attirerdanssesbras.
33
L’auben’étaitpasencorelevée.BowencaressaitlescheveuxdeGenevieve,allongéeàsoncôté.Tous deux étaient réveillés, mais ne bougeaient pas, se contentant de savourer l’intimité de leur
étreinte.Detempsàautre,Bowendéposaitunbaisersursonfront,parcequ’ilnepouvaits’empêcherdelatoucheroudel’embrasser.
Elleluicaressaitletorsed’unemainparesseuseetilauraitvouluquecelanes’arrêtejamais.—Commentsefait-ilquetusachessibienmanierunarc?demanda-t-ilenfin,brisantlesilence.Surprise,ellelevalatêtepourleregarder.— Tu es très habile, c’est évident. Tu as abattu quatre hommes au combat. Je ne connais guère
d’archerquiviseaussibien.—C’estmonpèrequim’aappris.Ilm’emmenaitsouventchasseraveclui,augranddésespoirdema
mère.Elleprétendaitqu’ilvoulaitfairedemoiungarçonpourcompenserlefaitqu’elleneluiavaitpasdonnélefilsqu’ildésirait.
Ellelaissaéchapperunpetitsoupirtandisquelatristessevoilaitsonregard.—Ilsmemanquent,admit-elle.Bowenlaserracontrelui,etl’embrassadenouveausurlefront.—Queva-t-ilsepasser,maintenantquetonfrèreestlà?Iln’avaitpasenvied’aborderdessujetsquilemettaientencolère,maisréponditcequ’ilsavaitêtre
lavérité:— Je l’ignore. Nous avons peu parlé de la suite des événements. Aujourd’hui, il va visiter le
domaineetlechâteau,etdécideraprobablementensuitedel’avenirduclanMcHugh.—Promets-moiquejeneseraipasunecausedediscordeentrevous.Bowenseraidit.Elleétaitbientropperspicace.—Jetelepromets.Cela,aumoins,c’étaitvrai. Il refusaitqueGenevievedevienneleprétexted’unequerelle.Graeme
avaitététrèsclair,maisluil’avaitététoutautant.Sisonfrèrenel’acceptaitpas,Bowenpartiraitavecelle.Ceseraitdouloureuxd’êtreséparédessiens,deses frèresetdesasœur,Rorie.MaisvivresansGenevieveétaitinimaginable.
—Le clan est important, reprit-elle. Lemienmemanque.Mes parentsmemanquent terriblement,maisdesavoirqu’ilsn’apprendrontjamaismadisgrâcemerassure.
SatristesseserralecœurdeBowen.Maissesparoleslefirentréfléchir.Il comprenait sondilemme, et savait aussique la solutionqu’elle avait choisien’enétait pasune.
Cependant,ilétaitcertainquesisesparentsapprenaientqu’elleétaitvivante,illaperdraitdansl’instant.Lapanique s’emparade lui à l’instantoùcettepensée lui traversa l’esprit.Non, ilnepouvaitpas
l’envisager.Ilresserrasonétreintecommepourempêcherqu’onlaluiarrache.
—J’aimerais que tu restes dans ta chambre aujourd’hui,Genevieve, commença-t-il. Il y a encorebeaucoupdechosesàrégler.Ilvautmieuxquetunetemontrespas.Jeneveuxpasquetucoureslerisquequ’ons’enprenneàtoi.
Ilvoulaitsurtout laprotégerdeGraeme.Cedernierétaitsi furieuxqu’il risquait fortdevouloir lachâtier sur-le-champ. Or, si cela devait arriver, alors le frère se dresserait contre le frère, car il nepermettraitàpersonnedemenacerGenevieve.
Ilrefusadelaisserlatristessel’envahir.Genevieveneméritaitqu’amouretbonheur,etilétaitbiendéterminéàlesluioffrir.
Maisc’étaitdifficiledenepasenvouloiràGraemedeleforceràchoisir.Ilcomprenaitcequesonfrèreressentait,maisestimaitqu’ilétaitallétroploin.IlavaitcondamnéuneunionavecGenevieveavantmêmedel’avoirrencontrée.Iln’avaitpasnonplusvraimentécoutésonhistoire.IlavaitlaissélacolèreleguideretmaintenantBowensetrouvaitfaceàl’impensable.
Choisirentrelafemmequ’ilaimaitetsonclan.C’étaitunchoixquenulnedevraitjamaisavoiràfaire.ParDieu,ilnepourraitjamaissepardonner,nimêmeseregarderenfaceoumériterlenomd’homme
s’ilabandonnaitGenevieve. Ilne trouveraitplus lesommeils’ildevaitsanscessesedemandersielleétaitheureuse,effrayée,seuleoublessée.Àlavérité,ilnevoulaittoutsimplementpasvivresanselle.
Ellen’avaitquetropsouffert,etsicelanetenaitqu’àlui,ellenesouffriraitplusjamais.Elle se redressapour l’embrasser, sesdoigts lui effleurant levisage. Il captura samain, lapressa
contresajouetoutenluirendantsonbaiser.Sonsexedurcit.Ilavaitdéjàfaimd’ellealorsqu’ill’avaiteueencoreetencoretoutelanuit.Maisce
n’étaitpasassez.Ilneserassasieraitjamaisd’elle,illepressentait.Ill’attiradanssesbras,l’embrassad’unefaçonquinelaissaitaucundoutesursesintentions.Puisil
lafitroulersouslui,luiécartantlesjambesdugenou.—Encore?murmura-t-elle.—Oui,encore.
34
L’heureàlaquelleilselevaitd’habitudeétaitpasséedepuislongtempsquandBowenquittaenfinlachambredeGenevievepoursemettreenquêtedeGraeme.TeagueetBrodienesetrouvaientpasdanslechâteau;sansdoutefaisaient-ilsletourdupropriétaireavecGraeme.
LanuitavecGenevievel’avaitapaiséetn’avaitfaitqueconfortersadécision.Ilsesentaitàprésentcapabledediscutercalmementavecsonfrèreaînéetespéraitencoreluifaireentendreraison.
Ilsortaitdanslacourlorsquecelui-ciyentra,effectivementencompagniedeTeagueetdeBrodie.Graemesautaàbasdesoncheval.Sonvisagesedurcitdèsqu’ilaperçutBowen.Cedernierlerejoignitd’unpasdécidé.
—Ilfautquejeteparleenprivé,dit-il.Graemepinçaleslèvres.—Tum’enasdéjàbeaucoupdit.—Ilyaencoreunechosequetudoissavoiravantdeprendretadécision.Graemehésitalonguement,puishochalatête.Aprèsavoirdemandéqu’ons’occupedesamonture,il
setournaversBowen.—Allonsfaireuntour.Lesdeuxfrèresquittèrentl’enceinteduchâteau.Ilsmarchaientcôteàcôteet,soudain,cefutcommeautrefois.BowenauxcôtésdeGraeme.Bowen
devançantlemoindresouhaitdesonlairdetfrère.Lefosséquivenaitdesecreuserentreeuxledésolait.Soudain,Graemes’immobilisapourcontemplerlepaysage.Leventbalayaitlacolline.—Àquoipenses-tu,Bowen?JeprésumequetuaspassélanuitavecGenevieve.Letonétaitonnepeutplusréprobateur,maisBowenneréagitpas.Lesyeuxfixéssurlarivièreen
contrebas,ildéclara:—GenevieveapersuadéIand’agirdetellesortequ’iln’enréchappepas–etqu’ellesoitsauvée.—Oui,tumel’asdéjàdit.Enl’encourageantàenleverEveline,lâchaGraemed’unairdégoûté.—Tu te trompesde coupable en l’accusant.Cen’est pas ellequi a exécuté ceplan.Ellen’apas
tourmentéEveline.C’étaitIan,ettulesais.Maiscen’estpastout.Jet’aiditqu’elleavaitétéenlevéeparIan,qu’ill’avaitdéfiguréeetqu’ill’avaitvioléedefaçonrépétée.J’aiapprisautrechosecettenuit,etjenel’aiapprisequeparcequeGenevieveétaitenlarmesetterroriséeàl’idéedeseconfieràmoi.Elleavaithonteparcequ’elleavait invitéIandanssonlit,pasunemaisdeuxfois.Veux-tusavoirpourquoi,Graeme?
Sonfrèreparutgêné,toutàcoup.Ilneréponditpas,etBowencontinua:—Ellea invitécetteorduredanssonlit,car ilétaitbiendécidéàviolerEveline.Danssonesprit
tordu,c’étaitunefaçondesevengerparcequ’elleavaitoséserefuseràlui.CommeGenevieveautrefois.ÀceciprèsqueGenevieven’apaseu lachanced’échapperàsavengeance.Maisellepouvait sauver
Eveline,etc’estcequ’elleafaitens’offrantvolontairementàluipourqu’ilépargnetafemme.Etàcausedecela,elleseconsidèrecommeindignedemoi,demaconsidération.Demonamour.
Ilavaitprononcécederniermotd’untonrageur.Graemeserralesdents.Ilyavaitàprésentdelatristesseetduregretdanssonregard.—Toute cette histoire est terrible, reconnut-il. C’est une honte qu’un seul homme puisse infliger
autantdesouffrance,maissonpèreétaitaussicoupablequeluipourl’avoirlaisséfaire.Bowenacquiesça.—Ill’était,eneffet.IlabienméritélaflèchequeGenevieveluiaplantéedanslagorge.—Tu te lancesdansuneentreprisedifficile,Bowen.Mêmesi je t’accordemabénédictionetmon
consentement, leproblèmede sonclandemeure.Tunepourraspas la leur cacher éternellement. Il estmêmepossiblequeturencontreslessiensàlaCour.Imagineleurréactions’ilsdécouvrentquetuleurasdissimulélefaitqueleurfilleétaitencoreenvie.Ilspourraienttrèsbiennousdéclarerlaguerre.
Bowen grimaça,mais il y avait déjà réfléchi. Il ne se souvenait que trop bien de l’expression deGenevieve, laveille,quandelleavaitévoquésafamille–sonregardhantéet la tristessedanssavoixlorsqu’elleavaitadmisquesesparentsluimanquaient.
Graeme avait raison. Il voulait épouser Genevieve. Il voulait lui offrir un refuge au sein de sonpropreclan.Maisilnepouvaitpasnonpluslacacheràjamaisderrièredehautsmurs.Etiln’enavaitpasenvie.
Cela signifierait qu’il avait honte de l’avoir comme épouse, et il n’en était pas question. Peu luiimportaitcequelesautrespensaientdesacicatrice.Àsesyeux,elleétaitàcouperlesouffle.
Mais la crainte lui emplissait le cœur, car il savait ce qu’il lui restait à faire. Il n’y avait pasd’alternative.
—J’aibesoind’unpeudetempspourréfléchir,articula-t-ild’unevoixsourde.Graemesoupira.—Sicelapeutt’aider,jeretiretoutcequej’aidithiersoir.J’accueilleraicettefilleàbrasouverts
au sein du clan si tel est ton désir. Tu esmon frère et je t’aime par-dessus tout. Je ne veux que tonbonheur.Sielleterendheureux,alorsjel’accepterai.
Hochantlatête,Bowenluiétreignitlebras.—Jelarencontreraiquandtujugeraslemomentvenu,conclutGraeme.—Jetelaprésenteraimoi-même.—Bien.Alors,jetelaisse.Graeme lui pressa l’épaule dans un geste de réconfort.Bowen lui répondit d’un sourire sans joie
avantdetournerlestalonspoursedirigerverslarivière.LàoùGenevieveetluiavaientprisl’habitudedeseretrouver.Làoùill’avaitvuepourlapremière
foistelleunenymphesortantdel’onde.Seigneur,lapenséedecequil’attendaitlelaissaitdésemparé!Unaffreuxchagrinleconsumait.Jamaisiln’avaitrienfaitd’aussidifficile,maisildevaitlefaire.
35
Bienqu’illuiaitdemandéd’yrester,GenevievequittalachambrequelquesheuresaprèsledépartdeBowen.Normalement,elleluiauraitobéi–commeellel’avaitfaitjusqu’àprésent–,maiselleétouffaitetavaitbesoindesedégourdirlesjambes.
Depuislabataille,elleavaitévitélesMcHugh–àl’exceptiondeTaliesan,biensûr–etignoraitdoncs’ils avaient appris quel avait été son rôle dans lamort de Patrick. De toute façon,même s’ils n’ensavaientrien,ilscontinuaientàlatenirresponsabledecelledeCorwen.
Serrant sa capeautourd’elle, sa capuche rabattue sur la tête, elledescendit rapidement l’escalier.Ellehésitaavantderisqueruncoupd’œildanslagrandesalle.C’était l’heuredurepasdemidiet lestablesétaienttoutesoccupées.Ellesortitpar-derrière.
Têtebaissée,ellequittal’enceinteduchâteau.Dèsqu’ellefutdehors,leventluiôtasacapuche.Elleseprotégealesyeuxdelapoussièresoulevéeparlesrafales.
À l’instant où elle s’engageait sur le sentier quimenait à la rivière, elle tombanez à nez avecungroupedefemmesquienrevenaient,despaniersdelingesouslebras.
L’uned’entreellesposasonpanieret,sansdireunmot,ramassauncaillouqu’elleluijeta.Leprojectilelatouchaaubrasetellegrimaçadedouleur.Horrifiée,ellevitlesautresfemmessuivre
l’exempledelapremière.—Putain!hurlal’uneenluilançantunepierreauvisage.Dieumerci,ellevisaitmal.—Meurtrière!Affolée, Genevieve fit volte-face pour regagner le château à toutes jambes. Une pierre la frappa
violemmentdansledos.Uneautreluiéraflalatempeetellesentitlesangcoulersursajoue.Maiscefutcellequil’atteignitàlatêtequilafittomber.Elles’écroula,quasimentdanslesbrasdeTeagueMontgomeryquivenaitdesurgirdelacour.Elleheurtadouloureusementlesol,maisvoulutsereleveraussitôt,sachantquelameuteétaitaprès
elle.—Quesepasse-t-ilici?grondaTeagueens’agenouillantprèsd’elle.Levantlesyeux,elleaperçutBrodieArmstrongàsoncôté.Ilaffichaituneexpressionféroce.Lescrisdesfemmesquis’étaientlancéesàsestroussess’interrompirentnet.—Brodie,aboyaTeague,occupe-toid’elles.Sur ce, il soulevaGenevievedans sesbras.Encorehébétée, elle seblottit contre son torse tandis
qu’illaramenaitauchâteau.Uninstantplustard,illadéposaitavecprécautionsursonlit.Il allachercherun lingemouilléet lui lava levisage.Sous lechoc,elle le laissa faire.Elleavait
froidetvaguementconsciencedeladouleursourdeaucrâneetailleurs,maisuneimagelapoursuivait:
celledelarageetdelahainesurlevisagedecesfemmes.Seigneur,ellen’étaitpasàsaplaceici!Ellel’avaittoujourssu,maisavecl’arrivéedeBowenelle
avaitcrupouvoirsurmonterl’animositédesMcHughàsonégard.Sentantunelarmeperlerauborddesescils,ellefermalesyeux.—Nepleurezpas,marmonnaTeagued’untonbourru.Çamepanique.Ellebattitdespaupières.Assis sur leborddu lit, il continuaitde lui tamponner la tempe, le front
plissé.—Cen’estriendutout,assura-t-il.Uneégratignure.Iln’yaurapasdecicatrice.Elleravalaseslarmesetlerireamerquilesaccompagnait.—Jememoqued’avoirunecicatricedeplus,dit-elledansunsanglot.UnelueurdecompassionapparutdansleregarddeTeague.Puis,commegêné,ilseleva.—Dois-jedemanderàTaliesandevenir?s’enquit-ilaprèss’êtreraclélagorge.Ellesecoualatête.—Non.Jepréfèreresterseulepourlemoment.Ilacquiesçaavantdesedirigerverslaporte.—Faites-moiappelersivousavezbesoindequoiquecesoit.Jevaisvousfairemonteràmanger.—Merci,souffla-t-elle,reconnaissante.Etmercidem’avoiraidée.—C’estunehonte,grommela-t-il,lafaçondontellesvoustraitent.Bowenvaêtrefurieux.EtGraeme
neletolérerapas.
—Çafaitdesheuresquetuesici,observaGraeme.Assissurunrocherauborddelarivière,Bowensetournaverssonfrèrequivenaitdelerejoindre.—Jeréfléchis.Graemes’arrêtaàsoncôté,lesbottesàquelquescentimètresdel’eauquiléchaitlarive.—Oui,jevoisça.Tunem’asmêmepasentenduarriver.Qu’est-cequitepréoccupeautant?—Genevieve.Àsontour,Graemes’installasurlerocher,etlaissasonregarderrersurlarivière.—Etqu’as-tudécidé?Bowenfermalesyeux.—Jedoislalaisserpartir,répondit-il,etsavoixsebrisaaumilieudelaphrase.Graemeleregarda.— Elle ne sera jamais vraiment heureuse tant qu’elle n’aura pas retrouvé sa famille, poursuivit
Bowen.Cen’est justenipourellenipoursesparents,qu’ilscontinuentàlacroiremorte.J’entendsladouleurdanssavoixquandelleparled’eux.Ils l’aimentetellelesaime.C’est leurfilleunique.Jenepeuxpasêtreégoïsteaupointdelagarderpourmoiseul.Jelaveux.Dieu,commejelaveux!Jel’aime.Etjenesupportepasl’idéedevoirlamoindretristessedanssonregard.Etc’estcequ’ilsepasserasiellerestecloîtréeavecmoidansnotrefief.
—Lamalheureusen’aconnuquelechagrin.Etjen’oseimaginerladouleurdessiens.Tuferasunebonneactionenluipermettantderetrouversonclan.
—Ellerisquedemehaïr,ditBowensombrement.Jetrouverévoltantqu’onneluiaitpaslaissélapossibilitédechoisir,etvoilàquejechercheàallercontresavolontéeninformantsafamille.Ellenem’enremercierapas.
—Fairecequiestjusteestparfoisleplusdouloureuxdeschoix.—Jesais.—Je suisdésolépour toi,mon frère,murmuraGraeme, le regard emplide compassion. Je serais
anéantisijedevaisenvisagerdeperdreEveline.
—NonseulementjeferaiscourirdesrisquesàmonclansilesMcInnisdécouvraientqueleurfilleestvivanteetsousmaprotection,maissurtout,etc’estleplusimportant,jedoutequeGenevievepuisseêtrevraimentheureusetantqu’ellen’aurapasretrouvésafamille.Etjeveuxsonbonheurplusquejeveuxlemien.
Lesdeuxfrèrescontemplèrentlarivièreensilence.Iln’yavaitrienàdire:Bowenétaitentraindemouriràl’intérieur.
—Bowen!Cedernierseraiditenentendantl’appel.Graemeetluiseretournèrentd’unmêmemouvementpour
découvrirTeaguequisedirigeaitverseux,l’airpréoccupé.—GenevieveaétéattaquéepardesfemmesduclanMcHugh,annonça-t-ilsanspréambule.Elleslui
ontjetédespierres.—Quoi?Bowenétaitdéjàdebout.—Heureusement,jesuisarrivéàtemps.C’étaitunevéritablemeutequiétaitàsestrousses.Jel’ai
ramenéedanssachambreetj’aisoignésesblessures.—Sesblessures?répétaBowen.—Riendegrave.Elleaunepetitecoupureauvisageet, sansdoute,quelquesbleusailleurs,mais
elleétaitsurtouteffrayéeetbouleversée.Jeluiaidemandédenepasbougerdesachambre.Serrantlespoings,Bowenlâchaunjuron.—Ellenepeutpasvivreainsi!s’écria-t-il.C’estimpossible,Graeme.Ilsontfaitdesavieunenfer.
Etilscontinuent.Malgré la rage qui l’avait envahi et l’envie de courir rejoindre Genevieve, Bowen s’efforça de
réfléchir.—Mêmesijeprévienssafamille,jeneveuxpasqu’elleresteiciunjourdeplus,déclara-t-il.Ces
gens la détestent. Elle ne peut pas vivre ainsi, en étant prisonnière dans sa propre chambre. Teague,pourrais-tumeremplacer,enchaîna-t-il,ett’occuperduclanetdudomaineselonlesvœuxdeGraeme?JeveuxemmenerGenevievecheznous,oùelleseraensécurité.
Teagueparutsurprisetjetauncoupd’œilàGraeme.—Jesuisd’accordsitul’es,ditsonaîné.C’estbeaucouptedemander,maispasplusquejenel’ai
faitavecBowen.Tudevrasfairefaceàunesituationtrèsdifficile,celanefaitaucundoute.Quiexigeradelapoigneetbeaucoupdepatience.Tesens-tuàlahauteur,Teague?
Solennel,leplusjeunedesfrèresacquiesça.—Jenetoléreraipaslamoindreincartade.J’ail’intentiondememontrerbeaucoupplusfermeque
Bowen.Graemehaussalessourcils.—Exécuter trois d’entre eux n’est pas ce que j’appelle faire preuve de faiblesse, commenta-t-il.
Certainslequalifieraientmêmed’intolérant.—Ilsontbesoinqu’onleurflanquelatrouille,marmonnaTeague.Leursfemmessontdesharpies,et
leurshommesdeslâchesetdestraîtres.GraemesetournaversBowen.—Peut-êtrevaudrait-ilmieuxquetudemandesauxMcInnisdeserendredansnotrefief?Dis-leur
tout,maisfaisensortequ’ilsretrouventGenevievecheznous.S’ilsdevaientvenirici,chezceuxquisontresponsables desmalheurs de leur fille, ils pourraient décider de raser le château et d’exterminer seshabitants.Àvraidire,cen’estpasmoiquiytrouveraisàredire.Sijamaisunclans’enprenaitàl’undemesenfants,jenetrouveraispaslereposavantd’avoirversélesangdesesmembresjusqu’audernier.
— Je vais emmenerGenevieve sur-le-champ, décidaBowen. Si tu veux bien transcriremesmotspourlelairdMcInnis,jeluienverraiunmessageavantnotredépart.
—Nonseulementj’écrirailalettrequetumedicteras,réponditGraeme,maisjeparsavectoi.J’enaiassezvu.
—Trèsbien,jevaisprévenirGenevieve,conclutBowen.Nouspartironsdemainàl’aube.
36
Genevievesetenaitprèsdufeu,s’efforçantenvainderéchauffersesmainsglacées.Elleconnaissaitlahaine,c’était toutcequ’elleéprouvaitàl’égarddePatricketdeIan,maiselleétaitdéconcertéeparcellequeluitémoignaitleclanMcHugh.
JamaiselleneseraitvenueicisiIannel’avaitpasenlevée.Enfait,àl’heurequ’ilétait,elleseraitsansdoutemariée.
Maissitelavaitétélecas,ellen’auraitjamaisrencontréBowen,ellen’auraitjamaispassécettenuitmagnifiqueentresesbras.C’étaitétrange,maiscesinstantspassésàl’aimeravaientapaiséladouleuretleshumiliations.
La porte s’ouvrit. Le temps qu’elle se retourne, Bowen avait traversé la chambre et la serrait àl’étouffer.
Samainfrôlalapetitecoupuresursatempe,puisilenfouitlesdoigtsdanssachevelure,commeàlarecherched’uneautreblessure.Detouteévidence,sonfrèreluiavaitracontécequ’ils’étaitpassé.
—Commentvas-tu?demanda-t-il,anxieux.Teaguem’atoutdit.Souffres-tu?—Non.J’aiunpeumalàlatête,c’esttout.J’aieutrèspeur,maistonfrèreaprisleschosesenmain.Bowenl’écrasadenouveaucontresapoitrineetdéposaunbaisersursonfront.—Jet’emmèneloind’ici.Elle sepétrifia.Avait-ellebienentendu?Allait-il finalement la conduiredansuneabbayecomme
elleleluiavaitdemandé?—Genevieve?L’écartantdelui,ilplongeasonregarddanslesien.—Tuneveuxpaspartir?Elletentadesouriremaisn’yparvintpas.Seslèvrestremblaient.—Biensûrquesi.C’estcequej’aitoujoursvoulu.Meréfugierdansuneabbaye.Ilfronçalessourcils.—Ce n’est pas ce que j’ai en tête. Je veux t’emmener dans le château desMontgomery. Si tu es
d’accord,nouspartironsdemainàl’aube.Lanouvelle arrachaàGenevieveun frissonde soulagement.Elle était si bouleverséequ’elle était
incapabled’articulerunmot.Ellesecouvritlevisagedesdeuxmainsdepeurd’éclaterensanglots.—Jesuisdésolé,Genevieve.J’auraisdûprendrecettedécisiondepuislongtempsdéjà.Maisj’aiété
égoïste : jevoulais t’avoir iciavecmoi,cequin’aeupour résultatquede te fairesouffrirdavantage.TeagueetBrodierestentici.Tuvasquittercetendroitetplusjamaistuneserastraitéecommetul’asété.
GlissantlesbrasautourdelatailledeBowen,ellesepressacontrelui.Sesjouesétaientmouilléesdelarmes,maiselleenfouitlatêteaucreuxdesoncoupourqu’ilnelesvoiepas.
Il dut toutefois deviner qu’elle pleurait, car il resserra son étreinte.Aubout d’un longmoment, ils’écartaetluisoulevadoucementlementon.
—Lajoieaveclaquelletuaccueillescettenouvellemefaithonte.J’auraisdûdéciderdetondépartàla seconde où j’ai appris ton calvaire. Je suis désolé,Genevieve. Je suis désolé d’avoir prolongé tasouffrance.
Ellel’embrassaavantd’encadrersonvisagedesesmains.—Jesuisheureusequetum’aiesgardéeici.Jechériraijusqu’àlafindemesjourslanuitquej’ai
passéeavectoi.—Nouspasseronslaprochaineensemblesituleveuxbien,dit-il,lavoixsoudainenrouée.LepoulsdeGenevieves’emballaetsabouches’asséchad’uncoup:illadésirait.Celan’avaitaucunsensqu’ilveuilled’unefilledéfiguréealorsqu’ilauraitpuavoirn’importequelle
femme. Elle avait bien vu comment celles-ci le dévoraient des yeux, elle avait surpris leurs souriresaguicheurs.Etpourtant,pasuneseulefoisilneleuravaitaccordéunregard.
—Celameplairait,admit-elleenfrottantdoucementsajouecontresontorse.Illasaisitsoudainparlesépaulesetcapturasabouche,lagratifiantd’unbaisertorride.Ilsemontrait
plus exigeant, nota-t-elle d’emblée. En proie à un désir puissant qu’il ne parvenait visiblement pas àcontrôler,iln’étaitpasaussipatientoutendrequelaveille.
Une folle excitation s’empara d’elle. Une onde de chaleur la submergea tandis que son corpsréagissaitspontanémentàsesbaisers.
—Jeteveux,gronda-t-il.Seigneur,Genevieve,jeteveuxtellement.Tuescommeunalcoolfortdontjenepeuxplusmepasser.
Illasoulevadanssesbrasetlaportajusqu’aulit,puiscommençaàsedévêtir.Ilfitpassersatuniquepar-dessussatête,révélantsamusculatureimpressionnante.
Il était fort et cependant capablede semontrer incroyablement tendreet aimant.Tellementaimant.Riennelaravissaitdavantagequed’êtredanssesbraspuissants,sachantqu’ilnelaisseraitpersonneluifairedumal.
Ilenlevasesbottesetseshauts-de-chausses,lesjetadansuncoin.Ilétaitmagnifique.Leguerrierdanstoutesasplendeur.Couvertdecicatriceset…beau.Elle eut l’impressionde recevoiruncoupdemassue : ellen’était pasgênéepar ses cicatrices et,
mieuxencore,ellelestrouvaitbelles.Commeautantdepreuvesdecequ’ilétait,desoncourageetdesavaleur.Oui,elleslerendaientbeaualorsqu’elle-mêmeavaithontedecellequiluibalafraitlevisage.Cequ’elleaccordaitvolontiersàBowen,elleselerefusaitàelle-même.
Tousdeuxavaientsouffert.Tousdeuxétaientdessurvivants.Cescicatrices,cellesdeBowencommelessiennes,étaientdecellesquel’onpouvaitarborerlatêtehaute.L’accepterait-ellejamaisetarrêterait-elledesecacherderrièresahonteetsonhumiliation?Elleaimeraitenêtrecapable,mais,ellelesavait,lescicatriceslesplusprofondessontcellesqu’onnevoitpas,cellesquisegraventdanslecœur,l’espritetl’âme.Etquisontlesplusdifficilesàeffacer.
—Jevaist’enlevertesvêtementsunparunetsavourerchaquepartiedetoncorps,dit-ild’unevoixrauquedepassion.Etj’ail’intentiondet’aimerjusqu’àl’aube.
Ellesecambrasurlelit,réclamantsescaresses.Ils’assitprèsd’elleetcommençapardénouerlesliensquifermaientsarobe.Avecunepatiencedont
iln’avaitpasfaitpreuvepourlui-même,ilentrepritdeladéshabillercommeill’avaitpromis,pièceparpièce,dévorantdesyeuxchaqueparcelledepeauàmesurequ’illesdénudait.
—Jepourraispassermavieàteregarder,avoua-t-illorsqu’ileutachevédeladévêtir.Ellegisaitàprésentdevantlui,nue,vulnérable,offerte.Lespointesdesesseinsétaientdresséeset
presquedouloureuses,etsachairintimepalpitaitd’impatiencetandisqu’ellesesouvenaitdecequeleuravaientinfligésalangueetsabouche.
Jamais elle n’aurait imaginé que l’accouplement était un don et un échange, un acte de partage.Bowenluirendaittoutcequ’ilrecevaitetbienplus.Ilétaitpatientetveillaitàtoujoursluidonnerautantdeplaisirqu’elleluienoffrait.
Pourcetteraison,ellevoulaitquecettenuitsoitparticulière.Etqu’ils’ensouviennelongtemps.Sefiantàsoninstinct,elleseredressaetposalesmainssurletorsedeBowen.Puisellel’embrassa,faisantmontred’uneaudacequi lui était complètementétrangère. Ilgrondaet elledut le retenir àdeuxmainspourl’empêcherdes’écroulersurelle.
La bouche toujours scellée à la sienne, elle s’agenouilla et le força doucement à s’allonger. Il selaissaallersur ledos,uneflammesombres’allumantdanssonregard.Sanshésiter,elle lechevaucha.Son érection se dressait, formidable et chaude contre son ventre. Elle enroula timidement les doigtsautourdesonsexe.
Ilfrémitetellelelâchaaussitôtdepeurdeluiavoirfaitmal.—Seigneur,non,touche-moi!C’estleparadis,tamainsurmoi.Soulagéequ’ilappréciesatémérité,ellesaisitsavirilité,fitglissersesdoigtssurtoutelalongueur,
fascinéeparcemélangededuretéetdedouceursoyeuse.Il s’arqua sous elle. Tout son corps était tendu comme un arc et elle s’émerveilla à l’idée d’être
capabledeluiprocurerautantdeplaisirensecontentantdelecaresser.Appréciantsontoutnouveaurôledeséductrice,elles’autorisaàexplorersoncorps,s’égarantdans
lesmoindrescreux,savourantsonpouvoirsurlui,sacapacitéàluiarracherrâlesetgémissements.Ellesepenchapourdéposerunbaisersursonventre,etréprimaunsourireenvoyantsesabdominaux
secontracteretsespoingsseserrer.Ilnefitcependantrienpourl’arrêter.Ildemeuraallongélà,lesyeuxmi-clostandisqu’ilguettaitchacundesesgestes.
Ellelevalatêteethésita,nesachantcommentformulerlaquestionquilatourmentait.—Qu’ya-t-il?murmura-t-il.Ilyadel’inquiétudedanstonregard,etc’estbienladernièrechose
quejeveuxyvoiralorsquetumedonnestantdeplaisir.Rassemblantsoncourage,ellesejetaàl’eau:—Tutesouviens,hier,quandtuasmistabouche…Ellerougitjusqu’àlaracinedesescheveux.—Où,monange?Tuveuxdirequandjet’aiembrasséeentrelescuisses?—Oui,fit-elled’unetoutepetitevoix.—As-tuaimécela?Ellehochalatête.—Beaucoup.Jemedemandais…Elles’interrompit.—Continue,monange,nesoispas timide.Mêmesi,àvraidire, je trouvecela tellementadorable
quej’aijusteenviedeterenversersurlematelasetdeplongerentoiencoreetencore.Touterougissante,Genevievemurmura:—Jemedisaisquesic’étaitagréablepourmoid’avoirtabouche…là…alorspeut-êtretrouverais-
tuagréablequejemeservedemabouche…ici,ajouta-t-elleenrefermantlamainautourdelui.Ilsefigea.Sespupillessedilatèrent,sesdoigtssecrispèrentsurlacouverturedefourrure.Puisiltenditlesmainspourprendresesseinsencoupe.—Jen’imagineriendemeilleurquetabouchesurmoi,assura-t-il.Maisjeneveuxpasquetufasses
celauniquementpourmeplaire.Tesmainsm’offrentdéjàplusdeplaisirquejen’auraisoséenrêver.Ellesepencha,toutprès.Leursregardsseverrouillèrent.Puisellel’embrassa.—Jecroisquej’auraiautantdeplaisiràtegoûter,murmura-t-ellecontresabouche.—Jesuistonserviteur,dit-ild’unevoixméconnaissable.Faisdemoicequetuveux.
Rassurée,ellecouvritdebaiserssonvisageetsoncou,taquinadelalanguelecreuxsensiblesouslapommed’Adam,continuasonchemin,frôlantdeslèvreslalonguecicatricesursontorse.Chacundesesgémissements,sonsoufflesaccadé,lamoindredesesréactionsluiprocuraientunejoieindicible…
Ilsecabraquandellearrivaaunombril,enléchalescontoursavantdeglisserlalangueàl’intérieur.Puiselles’emparadesonsexedressé.Ellen’étaitpascertainedevraimentsavoircequ’ellefaisait.
Toutceciétaitnouveaupourelle.Maiselleavaitdepuislongtempsapprisàsefieràsoninstinct.Elleenembrassadonc labase.Hésitante,elleprit ses testiculesdanssapaumeet lesmassadoucement tandisqueseslèvresetsalangueremontaientlelongdesonérection.
Bowenhaletait,ledosarqué.L’audace appelant l’audace, elle aspira l’extrémité de son sexe dans sa bouche, le caressa de la
langue.Unpetitjetdeliquidechaudlapritparsurprise.Ellecrutd’abordqu’ilavaitjoui,maislaquantité
étaittropfaibleetilétaitencoreplusdurqu’auparavant.—Tumerendsfou,marmonna-t-il.Ellepoursuivitsescaressesintimesquelquesinstantsavantd’empoignersonsexeetdesedresserau-
dessusdelui.Elle n’était pas sûre que cela soit possible, mais elle était fascinée par l’idée d’inverser
complètement les rôles.Bowens’était servidesaboucheavecelle,etellede la sienneavec lui.S’ilavaitétésurelle,alorselleseraitsurlui.
Ellel’observa,guettantlemoindresignededésapprobationoumêmederefus.Mais,étrangement,ilparaissaitimpatient.Excité.Cequil’excitaenretour.
—Maintenant,ordonna-t-ild’unevoixqu’elleneluiconnaissaitpas.Prends-moientoi.Chevauche-moi.
L’agrippantauxhanches,illasouleva.Ellepositionnasavirilitéàl’entréedesonsexe,puis,aprèsunebrèvehésitation,selaissaglisserlentement,s’empalantsurlui.Latêterejetéeenarrière,elleretenaitsonsouffle.SonsoupirdeplaisirsemêlaaugrognementdeBowen,etelleécarquillalesyeuxlorsquesesfessesseposèrentsursescuissesmusclées.
Il l’emplissait toute, l’écartelait. Comment pouvait-elle l’accueillir ainsi en elle, lui qui étaittellement…imposant?
—Sijemouraislà,toutdesuite,jeseraisleplusheureuxdeshommes.Elleledévisagea,unpeuperdue,carmaintenantqu’elleétaitparvenueàleprendreenelle,ellene
savait plus quoi faire. Il dut deviner sa perplexité, car il glissa les mains sous elle et la soulevadoucement. Puis, creusant les reins, il la fit descendre à sa rencontre, et recommença encore, dans unmouvementdeva-et-vient.
Cette nouvelle position déclenchait des sensations différentes mais tout aussi délicieuses que laveille.ElleappuyalesmainssurletorsedeBowenetsemitàlechevaucherenrythme.Ilcommençaitàpeineàluipétrirlesseinsqu’ellefutemportéedanslaspiraleduplaisir.
ÀsoncridejouissanceréponditceluideBowen,quiexplosaenelleàlongstraitsbrûlants.Haletant,ill’attiracontresontorse,luicaressalescheveux,ledos,etlesfesses,sonsexecontinuant
detressaillirenelle.Aprèsunlongsilence,elleserisquaàdemander:—Ai-jeététropaudacieuse?Ilrit.—Jet’inviteàl’êtreautantquetulevoudras.Jenem’enplaindraijamais.Unsourirejouasurseslèvrestandisqu’ellel’embrassaitsouslementon.—J’aimetongoût,avoua-t-elle.Ilgrognaetellelesentitdurcirenelle.Ellelevalatête,choquée.
—Commentveux-tuquejeréagissequandtumeparlesainsi?sedéfendit-il.—Maisc’estsitôt!s’exclama-t-elle.JamaisIan…Elles’interrompit,honteused’avoirévoquécethommedansunmomentpareil.—Tuasceteffetsurmoi,avouaBowenenluicaressantlescheveux.C’estainsi:j’aitoujoursenvie
detoi.Pusill’enveloppadesesbrasetlafitroulersousluiavantdedonnerunlégercoupdereins.—Tuvois,jesuisplusqueprêtàrecommencer,murmura-t-il.Ellel’embrassa.—Alors,prends-moi,guerrier.Prends-moitouttonsoûl.Nousavonslanuitdevantnous.
37
Elle ne dormit pas de la nuit. Même quand Bowen sombra dans le sommeil après lui avoir faitl’amouràdemultiplesreprises,elledemeuraéveillée,songeantqued’iciquelquesheuresellequitteraitdéfinitivementcetendroitmaudit.
Elle ignoraitquelsétaient lesprojetsdeBowen,mais il l’emmenait ailleurs, et cela suffisait à luiemplirlecœurdejoieetdesoulagement.
Ellen’auraitplusàsubirsévicesetbrimades.Elleneseraitplusforcéedevivrejouraprèsjourdansunendroitquin’étaitsourcepourellequedesouffrancesetd’humiliations.
Juste avant l’aube, elle se rendit compte qu’elle n’avait pas prévenuTaliesan de son départ. Elleseuleallaitluimanquer,elleseuleavaitétéunevéritableamieetunealliée.
Seglissanthorsdulit,elles’habillarapidementetsortitdanslecouloir.ArrivéedevantlaportedelachambredeTaliesan,elleentrasansfrapper.Ilfaisaitsombre,seulesquelquesbraisesdanslacheminéerougeoyaientencore.
Ellesecouadoucementlajeunefille.—Taliesan,Taliesan,chuchota-t-elle.Celle-cis’étiraetseretourna.—Genevieve?Quelquechosenevapas?s’enquit-elled’unevoixpâteuse.—Non.Jesuisjustevenuetedireaurevoir.Taliesans’assitbrusquementdans le lit.Repoussant lescouvertures,elle fitminedese levermais
Genevievel’arrêta.—Non,restecouchée.—Jevoulaisallumerunechandelle.—Jem’encharge.Ellerajoutadesbûchesdanslacheminée.Quandlespremièresflammesjaillirent,elleyallumaune
bougiequ’ellerapportaprèsdulit.—Quesepasse-t-il,Genevieve?demandaTaliesan,visiblementinquiète.Nemedispasquetuveux
denouveaupartirseule.Ceseraitdela…Genevievesouritetposalamainsursonbras.—Tonamitiém’aétéd’un immenseréconfort,Taliesan.C’était laseule lumièredans les ténèbres
qu’étaitmavieici.Bowenm’emmèneauchâteauMontgomery.Jesuislibre.Taliesansepenchapourl’étreindreavecforce.Genevievesentitsajouemouilléecontresoncou.—Jesuistellementheureusepourtoi.—Jenepouvaispaspartirsansteremerciernitedireaurevoir.Tuvasmemanquer,Taliesan.Lajeunefilles’écarta,lesyeuxbrillantsdelarmes.—Toiaussi,tuvasmemanquer,Genevieve.
—J’auraispréférénepasdevoirtequitter.CarDieuseulsaitcequ’ilvaadvenirduclanMcHugh.Taliesanhaussalesépaules.—Le clan est responsable de son sort. Sesmembres doivent assumer les conséquences de leurs
actes.—QueDieusoitavectoi,Taliesan.Etqu’ilfassequenousnousrevoyonsunjour.Taliesanlaserradenouveaudanssesbras.—QueDieusoitavectoi,Genevieve.Sinoscheminsnedoiventplusjamaissecroiser,jegarderai
lesouvenirdetonamitiéetjelechérirai.Genevieveluiserralesmains.—Jedoisyalleràprésent.Nouspartonsàl’aubeetilyaencorebeaucoupàfaire.—Jeseraienbaspourtesaluerunedernièrefois.—J’enseraiheureuse.Aprèsavoirembrassésonamie,Genevievesedépêchadequitterlapièceavantquelatristessene
prenneledessus.Quandellepénétradanssachambre,Bowens’habillaitprèsdufeu.Ilse tournaverselleetellevitlesoulagementdanssonregard.
—Jenesavaispasoùtuétais,dit-il,bourru.J’étaisinquiet.Ellelerejoignitetl’étreignitavecpassion.Ilparutsurprisparlaspontanéitédesongeste,maislui
renditsonétreinte.—J’étaisalléedireaurevoiràTaliesan.C’estlaseulequivamemanquerici.—C’est une bonne fille, avec un cœur vaillant, déclaraBowen.Nous n’avons que peu de temps
avantledépart,enchaîna-t-il.Souhaites-tuemportercertaineschoses?—Justelecoffreprèsdulit,répondit-elleàvoixbasse.Ilcontientl’arcquemonpèrem’afabriqué
etlarobedemariagequemamèreacousuepourmoi.C’esttoutcequ’ilmerestedemesparents.Iannem’arienlaisséd’autre.
Illuicaressalajoue.—Prendscequetuveux.Meshommeschargeronttesaffairessurunchariot.—Merci,souffla-t-elle.Jeteseraireconnaissanteàjamaisdetoutcequetufaispourmoi,Bowen.S’emparantdesamain,ildéposaunbaiseraucreuxdesapaume.—Rienn’estplus importantque tonbonheur,dit-il simplement.Préparons-nousàprésent.Graeme
doitêtreimpatientderetrouverEveline,etjedoisfairemesadieuxàTeagueetàBrodie.
38
Nerveuse, Genevieve attendait près du cheval que Bowen lui avait personnellement choisi. Il setenaitnonloinetdiscutaitavecsesfrèresetBrodieArmstrong,maisellesavaitquedèsqu’ilsauraientterminé,Graeme,quisouhaitaitluiêtreprésenté,viendraitlavoir.
Cequisuffisaitàl’affoler.Elle avait voulu mettre sa cape et sa capuche, mais Bowen avait refusé qu’elle se cache ainsi,
affirmantqu’ellen’avaitaucuneraisond’avoirhonte.AlorsqueGraemeetBowensedirigeaientverselle,ellevit,nonsanssurprise,TeagueetBrodieles
imiter.Brodiefutlepremieràluifairesesadieux.Ilsecontentadeluiébourifferlescheveux.Ungestedegrandfrèrequil’étonna,etluiréchauffalecœur,parcequec’étaitunefaçondeluidirequ’elleavaitsaplaceparmieux.
—Soyezheureuse,chuchota-t-il.—Merci,répondit-elle,émue.Teague,poursapart,laserradanssesbrasavantdedéposerunbaisersursonfront.Elleluirenditsonétreinte.—Mercipourvotreaide,souffla-t-elle.—Derien,répondit-ilsurlemêmeton.Faitesunbonvoyage.Brodieet luis’éloignèrent,etelledemeuraseuleavecBowenetGraeme.Celui-cinesemblaitpas
aussisévèrequ’ellel’avaitimaginé.Ilavaitunregarddouxetpensifquiluiredonnaespoir.Onledisaitjuste,maisfarouchementprotecteurenversceuxqu’ilaimait.
Ettoutlemondesavaitqu’iladoraitsafemme.—Je suisheureuxde fairevotreconnaissance,Genevieve,dit-il. J’aibeaucoupentenduparlerde
vousetdesépreuvesquevousavezendurées.Jevousdonnemaparolequeriendetelnevousarriveracheznous.Tantquevousserezparminous,vousaurezdroitànotreprotectionetànotrerespect.
Elle dut se mordre la lèvre pour ne pas éclater en sanglots. Clignant les yeux, elle exécuta unerévérencedevantlui.
—Jevousensuisàjamaisreconnaissante,laird.GraemehochalatêteavantdesetournerversBowen.—Situesprêt,allons-y.—Noussommesprêts,réponditBowendutondeceluiquienavaitplusqu’assezdufiefMcHughet
deseshabitants.IlaidaGenevieveàgrimperenselle.Elleétaitàlafoisnerveuseetexcitée.Elleallaitvraimentquittercetendroitdemalheur!Elledutencoreattendrequetoutelatroupesoitàchevaletquel’ordredudépartretentisse.
Lajournées’annonçaitmagnifique.Unsymbole,peut-être.Iln’yavaitpasunnuage.Paslamoindrebrume.Des traînées roses et lavande coloraient le cielmatinal. Un jour parfait pour laisser le passéderrièreelle.
Seportantàsahauteur,Bowenluipritlamainetlaserradoucementenlagratifiantd’unsourirequilaréchauffadelatêteauxpieds.
Graeme, qui se tenait en tête, donna enfin le signal dudépart.Lagrille remonta engrinçant et lesguerriers du clanMontgomery commencèrent à quitter la cour. Alors qu’elle s’apprêtait à les imiter,Genevieve aperçutTaliesan qui courait dans sa direction en traînant la jambe. Elle trébucha, et avantmême qu’un cri ne s’échappe des lèvres deGenevieve, Brodie surgit à son côté pour l’empêcher detomber.Lasoulevantdanssesbras,illaportajusqu’àlagrillequeGenevievedevaitfranchir.
Les jouesenfeu,Taliesangardanéanmoins la têtehaute,etendépitdeses larmes,elle fit signeàGenevievequandellearrivaàsahauteur.
Celle-ciluienvoyaunbaiser.—Faisunbonvoyage,criaTaliesan.Soisheureuse,Genevieve.—Adieu,réponditGenevieveavantd’ajouteràl’adressedeBrodie:Prenezsoind’elle.IlinclinasolennellementlatêteetGenevievequittalefiefMcHughpourneplusyrevenir.Quandelleeutatteintlesommetdelapremièrecolline,elleneputrésisteràlatentationet,tirantsur
lesrênesdesamonture,elleregardaderrièreelle.Pourunendroitsipleindeténèbresetdetristesse,lechâteauluiparutremarquablementbanal.
—Neregardepasenarrière,luiconseillaBowen.Laissetoutceladerrièretoi.—Tuasraison,souffla-t-elle.Menton levé, elle éperonna son cheval, bien décidée à ne pas céder à l’immense tristesse qui la
rongeait.Elleignoraitcequel’avenirluiréservait,maiselleétaitlibéréedupassé.Dorénavant,sonfuturnedépendraitqued’elle-même.Bowenluiavaitrenducequiluiavaitétérefusépendantsilongtemps:lalibertédechoisir.
Elle luiglissauncoupd’œil,sedemandantquelrôle il joueraitdanssaviedésormais.Ilsemblaitteniràelle,maiselleignoraitsisesactesétaientdictésparlapitiéouparunsentimentplusprofond.Iln’avait guère parlé de ce qu’il éprouvait. Et n’avait pas non plus évoqué ses projets en ce qui laconcernait.
Autrefois, il lui avait promis une place au sein du clan Montgomery. Mais qu’est-ce que celasignifiait ? Allait-elle devenir sa maîtresse, comme elle le lui avait proposé ? Ou serait-elle traitéecomme une sorte de vague parente ? Une fois là-bas, la passion entre eux disparaîtrait-elle pour nedevenirqu’unlointainsouvenir?
Maisàquoibonéchafauderdeshypothèses?Siellecontinuaitàs’interrogerainsi,ellerisquaitdedevenirfolle.
Elle devait se concentrer sur le fait qu’on lui offrait une chance de recommencer à zéro. Ian étaitmort.Patrickétaitmort.Pluspersonnenepouvaitluifairedemal.Bowenavaitjuréqu’illaprotégeraitetc’étaitunhommed’honneur.
—Àquelledistancesetrouvevotrechâteau?demanda-t-elle.— Si nous ne traînons pas, à une demi-journée de cheval. Mais il est plus probable que nous
arriveronsenfind’après-midi.Jeneveuxpasquetut’épuisesetriennepresse.SinonpourGraeme,quiestimpatientdefilercherchersafemmechezlesArmstrong.
—Ildoitbeaucoupl’aimer,dit-elledoucement.Bowensourit.—Ohqueoui!Ilestfoud’elle.Evelinelemèneparleboutdunezmais,pourêtrejuste,ellel’aime
autantqu’ill’aime.—Etellen’entendpas?
Bowensecoualatête.—Non,elleestsourde.Maisellesait liresur les lèvres.Ellen’apasparlépendant trois longues
années,maismaintenant,plusçavaetplusellemanielesmotsavecfacilité.—C’est une femme étonnante, j’ai l’impression. Cela n’a rien de surprenant que Graeme l’aime
autant.—Vousavezbeaucoupencommun,elleettoi,observaBowen,pensif.Vousaveztoutesdeuxsurvécu
dansdescirconstancesdifficiles.Vousêtesfortesmalgrévotrefragilitéapparente.Saufqu’EvelineMontgomeryn’étaitjamaisdevenueuneputain.Onnel’avaitpasforcéeàécarterles
jambespourIanMcHugh.Etcela,Genevievenel’oublieraitjamais.Graemeretintsamontureetattenditqu’ilslerejoignent.— Le moment venu, je vous quitterai avec la moitié des hommes, annonça-t-il. Je veux passer
prendreEvelinechezlesArmstrong,nousvousretrouveronsdemaindanslamatinée.Bowenacquiesça.—Jedoisenvoyerunmessageauroipourleprévenirdecequ’ils’estpasséetdel’implicationdes
McGrievedans cette attaquecontrenous. Jen’ai toujourspas reçude réponse à lamissiveque je luiavaisadresséepourleprévenirquenousdemanderionsdescomptesauxMcHugh.
GraemesetournaversGenevieve.—Bowenm’a dit que c’était vous qui nous avez débarrassé dePatrickMcHugh.Que c’est votre
flèchequil’aexpédiéenenfer.Embarrassée,elles’agitasursaselle.—C’étaitsaflèche,confirmafièrementBowen.Etelleafaitbonusagedesonarcaucombat.—Jesuisimpressionnéetjevousremercie,fitGraeme.Nonseulementd’avoiréliminéPatrick,mais
aussid’avoirsauvémonfrère.Jedoisavouerquejelepréfèrevivantquemort.Genevievesourit.—J’étaisheureusedelefaire.Etmoiaussi,jelepréfèrevivant.—Vousallezvousplairedansnotreclan,Genevieve.Et j’ai comme l’impressionquenotre sœur,
Rorie, fera trèsvitedevous sonalliée.Vousn’aurezpas le choix, je le crains.Rorie est très têtue etn’acceptepasqu’onluidisenon.Ellevavousharcelerjusqu’àcequ’elleconnaissetoutevotrehistoire.
UneétrangetristesseassombritleregarddeBowenl’espaced’uneseconde.Puisilseressaisitetsemitàplaisanteràproposdesasœur.
Durant les heures qui suivirent, ils chevauchèrent dans un silence agréable entrecoupé de brèvesconversations.LorsqueGraemelesquitta,BowenetGenevievecontinuèrentendirectiondunordaveclerestedelatroupe.ÀchaquelieuequipassaitlesrapprochantdufiefdesMontgomery,ellesesentaitunpeuplusnerveuse.
Uncriretentitendébutd’après-midiquandilspénétrèrentsurlesterresdesMontgomery.Uneheureplustard,lechâteauapparut.Genevievesepenchasursaselle,contemplantlaforteresseauloin.
Elleétaitnichéesurlesrivesd’unerivièreentouréedecollinesverdoyantes.Untroupeaudemoutonscouvraitentièrementleflancdel’uned’ellestandisquedeschevauxenoccupaientuneautre.Departetd’autreduchâteaus’alignaientdescottagessolidesetbienentretenus.Ilsétaientencoreplusnombreuxàl’intérieurdel’enceinte,adossésàlamuraillequientouraitlebâtimentprincipal.
À l’évidence, les Montgomery veillaient sur le bien-être des membres de leur clan. Des enfantsjouaientauborddelarivièresousl’œilattentifdeleursmèresquilavaientlelinge.Dansl’enceinte,desguerrierss’entraînaienttandisqued’autresvaquaientàleursoccupations.Deschampscultivéss’étalaientàpertedevue.
Ceclanétaitricheetpuissant.Ilneredoutaitpersonneetprotégeaitlessiens.MalgréletortcauséàEveline,elleavaiteuraisond’inciter Ianàs’enprendreà lui.Puisque,commeelle l’avaitespéré, lesMontgomeryétaientvenuslaverl’affront.
Dieumerci, elle était libre, songea-t-elle en contemplant le fief où elle allait vivre désormais, etdevenirl’uned’entreeux,carGenevieveMcInnisétaitmortedepuislongtemps.
39
Quandilspénétrèrentdanslavastecour,leregarddeGenevievefutaussitôtattiréparunetrèsjeunefillequisetenaitsurleperronduchâteauencompagnied’unprêtre.ElleressemblaitdefaçonétonnanteàBowen.
Comme lui, elle avait de longs cheveux sombres et des yeux bleus. Petite et délicate, elle neparaissaitpasavoiratteint l’âgeadulte.Soncorpsétaitdépourvude rondeurs,et sa silhouetteélancéeajoutaitàl’élégancedesonallure.Sonvisageétaitsifinquesesyeuxparaissaienttropgrands.
—C’estmasœur,Rorie,murmuraBowenquiavaitsuiviladirectiondesonregard.Àsoncôté,lepèreDrummond,quitâched’apprendreàlireetàécrireàcepetitdémon.Celadit,elles’yestmiseavecbeaucoupdedétermination.
—Elledoitêtretrèsintelligente.Bowenricana.—Jenesaispassielleestintelligenteoujustetêtue.Unpeudesdeux,sansdoute.Dèsqu’ilimmobilisasamonture,Rorietraversalacourencourant,etlorsqu’ilmitpiedàterre,elle
sejetadanssesbras.Illuirenditsonétreinteetlafitvirevolter.—Contentdeterevoir,petitesœur,dit-ilavecuneaffectionsincère.—Tum’asmanqué,Bowen!Tuasétéabsentbientroplongtemps.IllareposaàterrepourveniraiderGenevieveàdescendredeselle.Luitenantlamain,ill’entraîna
versRoriequiladévoraitdesyeux.Genevieves’envoulutdenepasavoirremissacapuche.Ainsiexposéeauxregards,ellesesentait
nueetvulnérable.D’autantqueRorielascrutaitavecunecuriositénondissimulée.Elleauraitvouluquelaterres’ouvresoussespiedsetl’engloutisse.
—Quidoncas-turamenéavectoi,Bowen?demandaRorie,l’airtaquin.Elleneparaissaitnullementgênéeparsacicatriceetcontinuaitàlafixerintensément.Bowentenditlebrasetattirasasœurversluidefaçonàtenirlesdeuxjeunesfemmescontrelui.—Rorie, voici GenevieveMcInnis. Elle va demeurer ici avec nous. Genevieve, voici ma sœur,
Rorie.C’estladernièredelafamille.C’estaussiunepetitepeste,ilfaudradoncluipardonners’il luiarrivedesemontrerimpolie.
Rorielevalesyeuxauciel.— C’est un plaisir de vous rencontrer, Genevieve. Eveline sera heureuse qu’il y ait un nouveau
visageamical ici.Elleaencoreunpeudemalà trouversaplacedansleclan,mêmesicelavamieuxdepuisqu’elleaétéenlevéeetsecourue.Lapeuraledondefairetombercertainesbarrières.Detoutemanière,c’estuneaffairerégléeàprésent.
GenevieveétaitdéconcertéeparlafranchisedeRorie.Bowensouritetsecoualatête.
—Jet’avaisprévenue,murmura-t-il.Rorienemanquapasdenoterletutoiement.Selibérantdel’étreintedesonfrère,elleattrapalamain
deGenevieve.—Venez, jevaisvous fairevisiter. Iln’yaqu’unechambre libre,enchaîna-t-elle,deplusenplus
espiègle,iln’estdoncpasdifficilededevineroùvousallezloger.Nousallonssûrementbeaucoupnousvoir, car cette chambre est voisine de lamienne.Allons-y,mon frère s’occupera de fairemonter vosaffaires.
Genevieveadressaunrapidecoupd’œilàBowen,qui lui fit signequ’ellepouvaityaller.ElleselaissadoncentraînerversleperronoùlepèreDrummondn’avaittoujourspasbougé.
—Monpère,voilàGenevieveMcInnisquihabiteradésormaisavecnous,déclaraRorie.J’aibienpeur qu’il ne faille annuler notre leçonde cet après-midi. Je dois luimontrer sa chambre et l’aider às’installer.
—Heureuxdefairevotreconnaissance,Genevieve,ditleprêtreavecunsourirechaleureux.J’espèrequevousapprécierezvotreséjourchezlesMontgomery.Jeneconnaispasdemeilleurclan.
—Jesuisentraindem’enrendrecompte.—Venez,Genevieve,nousperdonsnotretemps,s’impatientaRorieenlatirantdanslechâteau.Ellelafitgrimperdirectementàl’étage.Elleluiindiquauneporteaumilieuducouloir.—Là,c’estmachambre.CelledeBowenestenface,etGraemeetEvelinesontauboutducouloir.
Teagueacellequiestaprèslavôtre.Sivousavezbesoindequoiquecesoit,frappezàmaporte.Jenemordspas,jevouslepromets.
Genevievesourit.Décidément,cettejeunefilleluiplaisait.—Merci,dit-elle.Jen’ymanqueraipas.Ellesallèrentjusqu’àlaportesuivante.Roriel’ouvritetfitungrandgeste.—Et voilà ! Il n’y a pas grand-chose pour lemomentmais on va y remédier.Elle est inoccupée
depuisunboutdetemps.Onl’utilisesurtoutpourlesinvitésd’honneursaufqu’onenatrèspeu.Sivousvoulez,jepeuxvousaideràladécoreretlarendremoinsaustère.Unefemmenes’ysentirapasàl’aisetellequ’elleest.Onpourraityajouterdesfleursetdesobjetsféminins.
—C’esttrèsgentilàvous,ditGenevieve.—Etsionsetutoyait?hasardaRorie.—Volontiers,réponditGenevieve,agréablementsurprise.Rories’assitouplutôtsejetasurlelit.—Alors,quelleesttonhistoire,Genevieve?Jesuisdévoréedecuriosité.Jenesaisriendetoi.Ils
nem’ontmêmepasenvoyéunelettre,etBowenn’ajamaisramenédefemmeici.Iln’enavaitpasbesoin,celadit.Elleslesuiventpartoutoùilva.
Genevieveouvritdegrandsyeux.—Ilatantdesuccèsquecela?Rorieéclataderire.— Tu l’as regardé ? Il n’y a pas de plus beau visage dans tous les Highlands.Même parmi les
femmes.Soitellesleveulent,soitellessontjalousesdelui.Ilnepeutpasfaireunpassanstombersurunedrôlessequiluifaitdel’œil.
Machinalement,Genevievecouvritsacicatricedesamain,sedemandantunefoisdepluspourquoiils’embêtaitavecelle.
Rorieparutchagrinée.—Pardonne-moi,Genevieve.Toutlemondesaitquejeparleàtortetàtravers,surtoutdechosesqui
nemeregardentpas.Jefaisledésespoirdemesfrères,maisilsm’aimenttroppourmepunir.Enfin,laplupartdutemps,ajouta-t-elletrèsvite.
Genevieveneputs’empêcherdesourire.Rorieétaitsidébordantedevieetsiinsouciantequ’ilétaiteneffetdifficiledeluienvouloir.
OnfrappaàlaporteetRoriebonditpourallerouvrir.—Ah,voilàtesaffaires!Bowenapparutavecdeuxhommesportantunemallequ’ilsdéposèrentaupieddulit.Bowenvoulutdirequelquechose,maisRorielechassaaussitôtdelapièce.—Pasmaintenant,Bowen.Genevieveetmoisommesentraindediscuter.Nousdescendronsdîner
quandnousauronsterminé.IlréprimaunsourireetjetaunregardimpuissantàGenevieve.—Tuvoiscequenousdevonssubir.Genevieve puisait plaisir et réconfort dans cette légèreté. Elle avait l’impression de retrouver sa
proprefamille.Mêmesiellen’avaitpasdefrèreetsœur,ilyavaitautourd’elled’innombrablescousinset parents qui se chamaillaient avec bonne humeur. Sans compter Sybil, sa meilleure amie depuisl’enfance.
Uninstant,lamélancolielarattrapa.IlavaitétédécidéqueSybillarejoindraitaprèssonmariageetquesonnouvelépouxluitrouveraitunmaridanssonclanafinquelesdeuxjeunesfemmesnesoientpasséparées.CelafaisaitdesmoisqueGenevieven’avaitpaspenséàelle.Volontairement,carc’étaittropdouloureux.
—Tuasl’airtriste,observaRoriedèsqu’elleeutrefermélaporte.Genevieveseforçaàsourire.—Jepensaisàmonclan.Bowenettoimerappelezmesparentsetmonamied’enfance,Sybil.Ilsme
manquent.Roriel’entraînaverslelitoùelless’assirent.—Dis-moi,Genevieve.CommentuneMcInniss’est-elleretrouvéechezlesMcHughetpourquoiton
clantecroit-ilmorte?Genevievesoupira.Apparemment,Rorieavaitétémiseaucourantdesasituation,oudumoinslalui
avait-onexpliquéesommairement.Ilfallaits’yattendre.Elleétaittrèscurieuse.Rienn’obligeaitGenevieveà luidirequoiquecesoit,mais ilyavaitquelquechosechezellequi
incitaitàseconfier.Elleétait,certes,jeune,maiselleétaitaussitrèsvived’espritetsemblaitavoirlecœursur lamain.Toutefois,cefut lapossibilitédese trouveruneconfidentequiemportasadécision.Ellevoulait…uneamie.
Etc’estainsiqu’elleluiracontatoutel’histoire,ycomprissonrôledansl’enlèvementd’Eveline,carellenevoulaitpasqueRoriel’apprenneplustardetsesentetrahie.Detoutefaçon,toutfiniraitparsesavoir.C’étaitinévitable.
Lajeunefillel’écoutabouchebée,etquandGenevievesetutenfin,Rorieluitenaitlesmainsdanslessiennesetlesserraitavecforce.
—C’estunehistoireterribleetquimefendlecœur!s’exclama-t-elle,leslarmesauxyeux.Jesuisheureusequetuaiestuécesbrutes.Ilsauraientméritéunemortlente.Onauraitdûlesétriperetjeterleurscarcassesauxcharognards.
Genevieves’esclaffa,maissonrires’achevadansunsanglot.Rorielapritdanssesbras.C’était bon. De s’être débarrassée de ce fardeau qui lui pesait, et que cette jeune fille qu’elle
connaissait à peine lui offre un tel réconfort. Les barrières qu’elle avait dressées pour se protégercommençaientàvacilleretellenepouvaitqueremercierlafamilleMontgomery.
—Jesuiscontentequetusois là,assuraRoriequandelle la libéraenfin.Tuserasheureuseparminous,Genevieve.
—J’espèresimplementqu’Evelineseraaussicompréhensivequetoi.
—Aucune femmesurcette terren’estplusgénéreuse.Tuvas l’aimeretelle t’aimera. Jenepensemêmepasqu’ellesoitcapabledehaïrquiquecesoit.Siellenedétestepasmonclanaprèstoutcequ’illuiafaitsubir,jelavoismalt’envouloiràtoi.
Genevievelaissaéchapperunsoupirdesoulagement.Peut-êtrequetoutsepasseraitbien,finalement.Peut-êtrequ’elleavaittrouvéun…foyer.Unhavredepaixaprèsl’enfer.
—Allons,déballons tesaffairesafinque tupuisses t’installerdans tanouvellechambreetdans tanouvellevie,décrétaRorieavecentrain.Ensuite,nousdescendronsdîner.
Etpendanttoutletempsqu’elless’affairèrentdanslapièce,pasunesecondeellenecessadeparler.Genevieveenavaitlatêtequitournait.Etcelaaussi,c’étaitunesensationmerveilleusementagréable.
40
Nevoulantpasêtrel’objetdetouslesregardsdèssonarrivée,Genevievegardasacapuchelorsdudîner.Ellenepourraitcertespascacher indéfinimentsabalafre,maiselleavaitbesoindes’habitueràsonnouvelenvironnement.
Roriel’avaitnonseulementaidéeàdéballersesaffaires,maiselleavaitaussiarrangélapièceafinde la rendre plus confortable. Le résultat ravissait d’autant plus Genevieve qu’elle lui rappelait sonanciennechambredanslechâteaudesonpère.Elleétaitconfortableetluxueuse,digned’uneinvitéedemarque.
Rorie avait changé le linge de lit et ajouté des fourrures sur le sol. Elle avait aussi disposé degrandesbougiesdisposéesunpeupartout,etfaitapporterdesfauteuils.Aucundétailn’avaitéténégligé.Genevieveavaitencoredumalàycroire.Ellesesentaitcommeuneprincesse,aprèsavoirpasséuneannéedanslapeaud’uneputaindebasétage.
QuandRorieavaitdécouvertqu’ellen’avaitquasimentpasdevêtements,elleavaitaussitôtpromisdedemanderauxfemmesduchâteaudeluicoudredenouvellesrobes.
Lagrandesallebourdonnaitd’activité,lerepasayantdéjàcommencé.RorieguidaGenevievejusqu’àl’estradeoùBowenlesattendait.Lesdeuxjeunesfemmesprirentplaceàsescôtés.
Dèsqu’ellefutassise,GenevievesentitlamaindeBowenseposersurlasiennesouslatableetlaserrer.
—Es-tubieninstallée?s’enquit-il.Roriet’a-t-elleaidée?—Toutestparfait,assuraGenevieve.EtRoriesedonnebeaucouptropdemal.Ellemetraitecomme
uneprincesse.Bowenadressaunregardreconnaissantàsasœur.—Elleabienraison.Jeveuxquetutesentesbienetquetusoisheureuse.Ilesttempsquequelqu’un
s’occupedetoicommetulemérites.Sesparoles,sontonnelaissaientaucundoutequantàleurintimité.Genevieverougit.—CelafaitbizarrequeGraeme,TeagueetEvelinenesoientpaslà,commentaRorie.J’espèreque
nousseronsbientôttousréunis.Ilestarrivébeaucouptropdechosescesdernierstemps.Jepréfèrequandc’estunpeumoinsremuant.
Elleavaitbeaus’êtreexpriméed’untonléger,ilyavaitunepointedemélancoliedanssavoix.Elleaimaitvisiblementbeaucoupsesprochesetleurabsenceluipesait.
—Graeme etEveline seront là demain, la rassuraBowen.Quant àTeague, il a prismaplace auchâteaudesMcHugh.
Lajeunefillesedécomposa.—Ilneresterapaslà-bastoutesavie,moncœur,murmuraBowen,puissetournantversGenevieve,
ilexpliqua:RorieesttrèsprochedeTeague,elleadumalàsupportersonabsence.
Genevievehochalatête,hésita,puis,leregardantdroitdanslesyeux:—Sais-tucequejepréfèreauchâteauMontgomerypourlemoment?Bowensourit.—Aucuneidée.—Lanourriture!JenepourraiplusavalerunrepaspréparéparunMcHugh.Iléclataderire.—Ilsetrouvequejesuisd’accordavectoi.Intéressée,Roriedemanda:—Lacuisineétaitvraimentsimauvaiselà-bas?—Ohoui!répondirentBowenetGenevieveenchœur.—Danscecas,c’estbizarrequevousnevoussoyezpasjetéssurvotreassiette,s’étonnaRorie.—J’essaiederesterpolie,avouaGenevieve.Etc’estdifficile.Lefrèreetlasœurrirentdeboncœur.Au cours du repas, Genevieve ne put s’empêcher de remarquer combien les membres du clan
Montgomeryétaientouvertsetamicaux.Rorieluiavaitapprisquecelan’avaitpastoujoursétélecas,etquelesfemmes,enparticulier,avaientmontrébeaucoupd’animositéàl’égardd’EvelinequandGraemel’avaitépousée.
Parcequ’elleavaitétéelle-mêmevictimedelavindictegénérale,Genevieveavaitaussitôtéprouvédelasympathiepourelle.Maisjusqu’àmaintenant,lesfemmes–etleshommes–semontraientcourtoisetchaleureuxavecelle.Elleignoraitsic’étaitdeleurfaitousiBowenyavaitveillé.
Ilsepenchaverselleetchuchota:—Aprèsledîner,nousironsfaireunepromenade.Jetemontrerailesenvironsduchâteau.Ilyavaitdanssavoixunelégèretension,etelledevinaqu’ilétaitcontrariéqu’ilsn’aientpaspassé
plusdetempsensembledepuisleurarrivée.Elleenrougitdeplaisiretluiréponditensouriant:—Celameplairaitbeaucoup.Cettefois,cefutellequitrouvasamainsouslatable.Ilentremêlasesdoigtsauxsiensetlesretintun
longmoment.Lerepasterminé,alorsqueRoriesetournaitversGenevieve,Bowenannonça:—JevaisemmenerGenevievefaireuntour.Jelaraccompagnerai,inutilequetul’attendes.Rorielesscrutatouràtour.Unmincesourireétiraseslèvresetunelueurmalicieuseapparutdansson
regard.— Je crois que je vais aller retrouver le père Drummond, puisque nous avons raté la leçon
d’aujourd’hui.Ilpourrapeut-êtremeconsacrerquelquesminutesavantdesecoucher.Bowenémitungrognement.—Laisse-leunpeutranquille,Rorie.Situcontinuesàleharceler,lepauvrehommevas’enfuiren
courantetenjurantdeneplusjamaisremettrelespiedssurlesterresdesMontgomery.Rorieluilançaunregardnoiravantdequitterlatable,lementonhaut.Dèsqu’ellefuthorsdeportéedevoix,Bowendemanda:—Alors,quepenses-tudemasœur?—Elleestdrôle.Etelleauncœurd’or.Ellemeplaîtbeaucoup.—C’estunepetitechipiequisemêledetout,répliqua-t-il,amusé.Maisilestvraiquenousl’aimons
beaucoupetquelavieneseraitpaslamêmesanselle.—N’est-cepastoujoursainsiaveclespetitessœurs?Ilselevaetluitenditlamain.—Tuesprêteàallerfairecettepromenade?—Oui.
Ils descendirent de l’estrade et Bowen la conduisit vers l’arrière du château, près des bainscommuns.
—Tupeuxlesutiliserou,situpréfèresunpeud’intimité,nouspouvonsfairemonterunbaquetetdel’eau dans ta chambre. Il y a aussi la rivière – Eveline y va souvent du reste, au grand désarroi deGraeme.C’estàtoidedécider.
LecœurdeGenevieveseserradevanttantdesollicitude.Ilsfranchirentlesmuraillespoursedirigerverslescollinesquidominaientlarivière.Celle-ciétait
pluslargeetplusprofondequecellechezlesMcHughetoffraitdenombreuxendroitsoùsebaignersanscraindred’êtresurpris.
Bowenlaconduisitdansunevasteprairieoùpaissaientmoutonsetchevaux.Danslesoleilcouchant,avec le rubandoréducoursd’eauencontrebas, lavueétaitmagnifique.Et l’aird’unepuretéabsolue.Genevieverespiraàpleinspoumonscommepours’emplirdelabeautédel’endroitetdelapaixqu’ilinspirait.
—Jecroisquejepourraisêtreheureuseici,dit-elleàmi-voix.Bowen détourna les yeux, incapable de croiser son regard. Elle inclina la tête, surprise par sa
réaction.Avait-elleditquelquechosedemal?Comptait-ill’envoyerdansuneabbayeaprèstout?—C’estmonvœulepluscher,Genevieve,assura-t-il.Etjeferaitoutcequ’ilfaudrapourcela.Elleluiserralamain.—Jenecroyaispaspossiblederencontrerquelqu’uncommetoi,BowenMontgomery.Laviem’a
apprisàredouterleshommesetànepascroireleursbellesparolesquisontsouventdesmensonges.Tuastoujoursétésincèreethonnêteavecmoi.
Ilpâlitetellelutdudésarroidanssonregard.Ellenecomprenaitpas;ilsecomportaitsibizarrementsoudain,semontraitsidistant,commesiquelquechosel’ennuyait.
—Bowen?Ilyaunproblème?Illuientouralesépaulesdubras.—Non.Toutcequicompteàmesyeux,c’estquetusoisheureuse,répéta-t-il.—Jet’enseraiàjamaisreconnaissante,murmura-t-elle,sincère.Maintenantquej’aiquittélechâteau
deMcHugh,jenepeuxmêmepasimagineryretourner.J’aitellementrêvéd’êtrelibéréedeIanetdesonclanqu’aujourd’huiencorej’aidumalàcroirecequ’ilm’arrive.
Ill’embrassatendrement.—Tun’yretournerasjamais,Genevieve.Tuasmaparole.Elleluicaressadoucementlevisage.—Tuesunhommebon,Bowen.Jen’oublieraijamaiscequetuasfaitpourmoi.Il ferma les paupières un longmoment, et quand il les rouvrit son regard était lointain etmorne.
Genevieveignoraitcequilepréoccupait,maiscelal’inquiétait,cariln’étaitpaslui-mêmecesoir.—Viens,dit-il.Descendonsjusqu’àlarivièreadmirerlecoucherdusoleil.C’estunbelendroitpour
contemplerlesétoiles.Ilferapeut-êtreunpeufroidmais,necrainsrien,jetetiendraichaud.Ellen’endoutaitpas.Lesourireauxlèvres,elleseblottitdavantagecontrelui.
41
Pourlapremièrefoisdepuisdesmois,Genevievedormitcommeunesouche.Dèsquesatêtetouchal’oreiller, elle sombra dans le sommeil. Elle ne bougea pas lorsque les premières lueurs de l’aubepénétrèrentdanslachambre,etn’entenditpasRoriefrapperàlaportepourl’inviteràprendresonpetitdéjeuner.
Etelledormaitencoreauxenvironsdemidiquandellesentitsonmatelasbougeretperçutdevaguesbruitsdevoix.
Ouvrantpéniblementlesyeux,elledécouvritRorieetEvelineMontgomeryassisessurleborddulit.Elletentadeseredresser.
—Quesepasse-t-il?Laprésenced’Evelinedanssachambreavaitdequoil’inquiéter.Cettedernièreétait-ellesifurieuse
delasavoiriciqu’elleétaitvenueenpersonnepourlachasser?Oupeut-êtrevoulait-ellesimplementluifairepartdesarancœurentêteàtête.
Maisnon,Evelineluisouriaitetlalueurquiéclairaitsonregardétaitbienveillante.QuantàRorie,elleriaitcarrément.
—C’estcequenoussommesvenuesvoir,répondit-elle.Ilestpresquemidiet tun’estoujourspaslevée.J’aifrappéàtaportecematinàl’heuredudéjeunerettun’aspasrépondu.
—Midi?s’écriaGenevieve,affolée.J’aidormijusqu’àmidi?—Vousétiezfatiguée,ditEvelined’unevoixdouce.Son élocution était curieuse, différente. Ses mots résonnaient de façon étrange, mais Genevieve
n’avaitaucunmalàlacomprendre.Elleluijetauncoupd’œilprudent,sedemandantcommentellelapercevait.—JesuisGenevieve,dit-elle.EtvousêtesEveline.Jevousaivue…Elles’interrompit,gênéed’évoquersonemprisonnement.—JevousaivuequandIanMcHughvousaenlevée,reprit-elle.Evelinesepenchaverselle.—J’aiuneimmensedetteenversvous,déclara-t-elleavecsolennité.Vousm’avezgrandementaidée
etjevousenremerciedufondducœur.Ianest–était–unêtremalfaisant.Samortétaitméritée.UnflotdeculpabilitédéferlasurGenevieve,quin’osaitplusregarderEvelineenface.—Vousnemedevezriendutout,dit-elle, lagorgenouée,enveillantàarticulercorrectementafin
qu’Eveline puisse lire sur ses lèvres. Je suis responsable de votre enlèvement. Ce n’est pas quelquechosequejepourraisoublieretjecomprendraisquevousnepuissiezjamaismepardonner.
Evelineluipritlamain.—Jesaiscequ’ilvousestarrivé,Genevieve.Graemem’atoutraconté.Moncœursaignepourvous.
Jen’imaginemêmepascequej’auraisfaitàvotreplace.Etjenevousreprocheabsolumentpasd’avoir
tentéderecouvrervotre liberté.C’étaitunplan ingénieux,et le faitestquevousvousêtesbattuepourmoi.Vousm’avezprotégéeenprenantdesrisquesinsensésetenacceptantlefardeaud’unehonteterrible.Comment pourrais-je vous en vouloir alors que vous en avez tant fait pour m’épargner ? Vous avezindiquéàmonmarioùétaitmacellule.Sansvous,ilauraitpunejamaismeretrouver.
LesyeuxdeGenevieves’emplirentdelarmes.—Allons,allons,nepleurezpas,ditEveline. Jesuisheureusequevoussoyez là.Vousne risquez
plus rienavecnous.EtRorieetmoi sommes raviesd’avoirunenouvellecompagne, surtoutquelqu’und’aussibraveetdéterminé.Pensezcommenousallonsnousamuserensemble.
—Puisqu’onenparle,c’estjustementpourçaquenoussommeslà,intervintRorieensetrémoussantsurplace,toutexcitée.
Genevievelaregardasanscomprendre.—Tum’asracontéquetuavaistuéquatresoldatsavectonarcettesflèches,etGraemel’arépétéà
Evelinecematin.C’estunexploit extraordinaire.Tuesde touteévidence trèshabile !Evelineetmoiaimerionsquetunousapprennesànousservird’unarc.Ceseraitdrôle!Onpeutcommenceraujourd’huisituveux.
Genevieve se réveilla complètement. Tout cela était tellement inattendu. Rorie et Eveline setrouvaientdanssachambre.Evelinesecomportaitcommesielleneluiavaitjamaiscauséaucuntort,etlesdeuxfemmesvoulaientmaintenantqu’elleleurenseigneletiràl’arc.
—Oui,ceseraitvraimentamusant,renchéritEveline,plusposéequesajeunebelle-sœur.Genevievehaussalesépaules.— Pourquoi pas ? dit-elle. C’est un talent utile, surtout pour une femme. Il est bon de savoir se
défendre,ainsiqueceuxquinoussontproches.Roriebombaletorse.—Jeserailameilleure,etensuite,jelanceraiundéfiàGraemeetàBowen.Quellehumiliationdese
fairebattreparunefille!Genevieves’esclaffa.Envérité,elleétaitpersuadéequeRorieavaitraison.Bienquetrèsjeune,elle
semblaitd’unedéterminationsansfailleetcapablederéussirdans toutcequ’elleentreprenait.Elleneseraitpassurprisequ’elleserévélâtmeilleurequesesfrèresavecunarcetdesflèches.
—Laissez-moi le tempsdem’habiller, aprèsquoi, nous chercheronsun endroit oùnous entraîner,déclaraGenevieve.
—Ont’attendenbas!s’exclamaRorieenbondissantsursespieds.Etdépêche-toi,onn’apastoutelajournée.
Genevievesourit.—Donne-moijusteuneminute.
—Maisqu’est-cequ’ellesfabriquent,aunomduciel?grommelaGraeme.CelafaisaitunmomentqueBowenetluicherchaientGenevieve,EvelineetRorie.Personnenesavait
oùellesétaientninelesavaitvuesdel’après-midi.Enarrivantausommetdelacollinequidominaitlarivière,ilslesaperçurentenfinauloin,s’exerçant
autiràl’arcsurunecibledefortune.— Tu veux vraiment qu’on aille les voir ? s’enquit Bowen, flegmatique. Rorie s’est entichée de
Genevieve.Elleaététrèsimpressionnéed’apprendrequ’elleaabattuquatrehommesaucombat.Depuis,ellenecessederacontercettehistoireàquiveutl’entendre.
—LadernièrechosedontEvelineabesoin,c’estd’apprendreàtireràl’arc,commentaGraeme.Tucroisquej’aienviederecevoirdesflèchesdanslesfessesquandjelametsencolère?Jetetienspour
responsable,Bowen.C’est ta femmequicorrompt lamienne.QuantàRorie,c’estunecauseperdueetnouslesavonsdepuislongtemps.
—Cen’estpasmafemme,répliquaBowen,laminegrave,soudain.Ils’enfautdebeaucoup.Graemesetournaverslui,l’airsincèrementdésolé.—Pardonne-moi.Jenevoulaispasaborderunsujetdouloureux.Jesaisqueturedoutesl’arrivéedes
McInnis.—Jen’aimeraijamaisaucunefemmecommej’aimeGenevieve,ditsimplementBowen.Etparceque
jel’aime,jedoisfairecequiestlemieuxpourelle.Ellen’estpasvraimentheureuse,mêmesielleestsoulagéed’avoirquittélechâteaudesMcHugh.Safamilleluimanqueettantqueleschosesneserontpasrégléesaveclessiens,ellesouffrira.Ilsepeutqu’ellemehaïssedelesavoirprévenus,maisj’aifaitcequ’ilfallaitfaire,jelesais.Jepeuxvivreavecsahainesijelasaisheureuse.
Graemeluiétreignitl’épaule.—Viens,allonsvoircommentlesfillessedébrouillent.Lesdeuxfrèresdescendirentlacolline.Lesfemmesétaientsiconcentréesqu’ellesnelesvirentpas
arriver,etBowenlevalesyeuxauciel,agacé:lapremièrerègleducombattant,c’étaitd’êtretoujoursenalerte.Qu’Evelinenelesaitpasentendus,c’étaitnormalbiensûr,maisRorieetGenevieveauraientdûêtredavantagesurleursgardes.Graemeetluiauraienttrèsbienpulessurprendreetleurenleverleursarmess’ilsl’avaientvoulu.
Ilsn’étaientplusqu’àquelquespasquandGraemeseraclalagorge.GenevieveetRoriepivotèrentd’unmêmemouvement, tandisqu’Evelinecontinuaàviser sacible.
Ellelâchasaflèchequiallaseplantertoutprèsducentre.Elleseretournaentrépignantsurplaceavecuntelenthousiasmequel’arcluiéchappadesmains.—J’airéussi!J’airéussi!C’est alors qu’elle découvritGraeme, qui affichait un sourire indulgent, et Bowen. Elle se calma
aussitôt,etregardasonmarid’unaircoupable.Genevieveramassasonarc.—Jevoisquevous êtes trèsoccupées, commentaGraeme.Etpuis-je savoirqui est l’ennemique
vouscriblezainsideflèches?Evelineseprécipitavers lui,sehissasur lapointedespiedspour luioffrirunbaiseravantde lui
tapoterlajoue,cequilelaissamuetdesaisissement.Bowenréprimauneenviederire.Evelinesavaityfaireavecsonmari.Unbaiser,quelquescaresses,
etilétaitcomplètementàsamerci.Genevieve,elle,leguettaitavecanxiétécommesiellecraignaituneréprimandedesapart.Sanssesoucierduregarddesautres,illuitenditlamain.Ilneluirestaitplusquequelquesjoursavec
elle,etaudiablelereste.Ilprendraitcequiluiétaitoffertetlesavourerait.Ceseraitunsouvenirqu’ilchérirait,etquiluitiendraitcompagniedanssesvieuxjours.
IlavaitlaisséGenevievesereposerlanuitdernière,lasachantfatiguéeparlevoyage,etanxieuseàl’idéederencontrercenouveauclandontelleignoraits’ill’accueilleraitàbrasouverts.Maiscesoir,ettouslesautresjusqu’àl’arrivéedesMcInnis,elledormiraitdanssesbras.
Elleglissa timidementsamaindans la sienne,guettantducoinde l’œil la réactiondesautres.Luis’en moquait. Il l’attira à lui et l’embrassa, le cœur gonflé d’émotion. Seigneur, il ne voulait pas laperdre!Sicelan’avaittenuqu’àlui,ill’auraitgardéepourluiseuletnel’auraitpartagéeavecpersonne.
Ildutfinalementserésoudreàmettreuntermeàleurbaiser.EtconstataqueGenevieveétaitrougecomme une pivoine. Quant à Rorie et à Eveline, l’une riait comme une idiote, l’autre souriait avectendresse.
—Genevievenousapprendàtireràl’arc!s’exclamasasœur.—Non?Vraiment?raillaGraeme.Etcommentvousensortez-vous?
Evelineluipressalamain.—J’arriveàtoucherlacible!C’estincroyable!—Moi aussi ! intervint Rorie. Je suismême plutôt douée, se vanta-t-elle. Je compte vous défier
bientôt,touslesdeux,etjevousbattrai!Bowenricana.—Çanem’étonneraitpas.Têtueetacharnéecommetul’es.—Cen’estpasun talent inutile, reconnutGraeme, soudainplus sérieux. Je te remerciede le leur
apprendre,Genevieve.JepréfèresavoirEvelinecapabledesedéfendrequandjenesuispaslà.Sicelapeutluisauverlavie,jeteseraiàjamaisreconnaissant.Jevaisdemanderqu’onleurfabriquedesarcsplusadaptésàleurtaille.
Roriegloussad’excitationtandisqu’Evelinebattaitdesmains.QuantàGenevieve,ellerayonnaitdebonheuretdefierté.Bowenl’enlaçaetlaserracontrelui.Lui-
mêmeéprouvaitunefiertésansbornes.Genevieveétaitunefemmeextraordinaire.Unesurvivante.Mêmesiellenerestaiticiquepeudetemps,RorieetEvelinetireraientprofitdecesmomentspassésavecelle.
Incapabledes’enempêcher,ill’embrassadenouveau.EvelineetRorieéchangèrentunsourire,maisillesignoraroyalement.C’estalorsqu’ilremarquaqueGenevieveneportaitpassacapuche,etqu’ellenes’efforçaitplusde
cachersacicatrice.Abandonnantseslèvres,ildéposaunbaisersursabalafre.Elleavaitgagnéenconfiance,etmêmesicen’étaitqu’enprésencedequelquespersonnestellesque
Rorie,Eveline,Graemeoului,iln’enéprouvaitpasmoinsunsentimentdetriomphe.Enfin,elleparvenaitàgarderlatêtehaute.Danssonregard,nesubsistaitpluslamoindretracedehonte.
—Etsivousnousmontriezcequevousavezappris?suggéraGraeme.—Ohoui!s’exclamaRorie.Etondevraitoffrirunerécompenseàcellequiviseralemieux.—Genevievenepeutpasparticiper,objectaEveline.Ceneseraitpasjuste.Jeproposequecesoit
entretoietmoi.—Etlarécompense?demandaRorie,lesyeuxbrillants.Evelineréfléchituneseconde.—Si jegagne, tudevrasnousfaire la lecturecesoiraprès ledîner.Unedeshistoiresquelepère
Drummondt’afaitétudier.Ceseraitunejoliefaçondeterminerlajournée.—Etsijegagne?— Si tu gagnes, j’écrirai à mon père pour qu’il nous fasse parvenir quelques manuscrits de sa
bibliothèquepersonnelle.Rorieouvritdegrandsyeux.—Oh,ilfautquejegagne,alors!—Ons’enseraitdouté,commentaGraeme,pince-sans-rire.Jeneconnaispersonnequiaimeautantla
compétition.Jesuispersuadéqu’enfaittuesungarçonetquenousnenousensommespasencorerenducompte.
RorieluitiralalangueavantdesetournerversGenevieve.—Tuchoisislacible,décréta-t-elle.Etc’esttoiquijugeras.Genevieveluiadressaunsourirerayonnant.Lesombresavaientenfindisparudesonregard.Leshommessetinrentàl’écarttandisquelesfemmessepréparaient.Comptetenudelabrièvetéde
leurentraînement,ellessemontrèrenttoutesdeuxd’uneprécisionimpressionnante.CefutRoriequigagna,cequinesurpritpassesfrères.Sadernièreflècheserapprochaducentrede
lacibledequelquescentimètresdeplusquecelled’Eveline.Aussitôt, elle leva lesbrasetpoussaunrugissementvictorieuxdigned’unguerrier.
—Écrisàtonpère,Eveline!—Dèsdemainmatin.Jesuissûrequ’iltrouveraquelquechosequit’intéressera.
Rorieapplaudit.—N’importequelmanuscrit,ceseradetoutefaçonmerveilleux!Puis,sejetantaucoudeGenevieve,ellel’étreignitavecforce.—Merci!s’écria-t-elle.Jenemesuisjamaisautantamusée.—Situcontinuesàt’entraîner,tudeviendrasunearchèred’élite,assuraGenevieveenluirendantson
étreinte.Peut-êtremêmequetesfrèrest’enverrontchercherlorsqu’ilyauradesbatailles.—Pasquestion,marmonnaGraeme.Cettegaminenousdonnedéjàbienassezdefilàretordredans
l’enceinteduchâteau.Les femmes éclatèrent de rire, puisEvelinepritGenevieve etRorie par le bras et les entraîna en
direction du château. Se retournant une dernière fois, elle adressa un sourire aux deux hommes etdemanda:
—Soyezgentilsderapporterl’arcetlesflèchesdeGenevieve.Jesuisaffaméeaprèstantd’exercice.Nousallonsfaireuncrochetparlescuisinespourvoirs’ilyaquelquechoseàmanger.
Lesyeuxrivéssurlestroisfemmesquis’éloignaient,Graemelaissaéchapperunlongsoupir.Puisilserésignaàallerdécrocherlesflèchesdelacible.
—Jecrainsquemavienesoittrèsmouvementéetantquecestrois-làserontensemble.Bowencontemplait les troisfemmesenquestionensongeantàcequiauraitpuêtre.Àlaviequ’il
auraitpuavoirauseindesonclan,aveclafemmequ’ilaimait.MaisGenevieveméritaitderetrouversafamille.Ilimaginaitsanspeinelasouffrancedesesparents
etnesesentaitpasledroitdeprolongerleurépreuve.
42
BowentenaitGenevieveblottiecontrelui.Ildéposaitdetempsàautreunbaisersursonfrontetluicaressaitdoucementlebrastoutensongeantauxquelquesjoursquivenaientdes’écouler.
Ilsavaientétéidylliques.Dutempsvoléautemps.Genevieveparaissaittellementheureuse.Danssonregardbrillaitunelumièrequ’iln’yavaitencorejamaisvue.Maisilsavaitqu’ilavaiteuraisond’avertirsafamille.
Hélas,chaque jourquipassait, etchaquenuit, les rapprochaientdecette séparationqu’il redoutaittant,etilavaitl’impressiondemouriràpetitfeu.
Elles’étiracontrelui,soupirad’aiseavantdereplongerdanslesommeil.L’urgence avec laquelle il lui faisait l’amour n’avait cessé de croître. Elle ne s’endormait qu’à
l’aube, et il restait éveillé, à la contempler, gravant dans sa mémoire d’infimes détails qui luipermettraientdesurvivrelorsqu’elleneseraitpluslà.
Ilsavaitqu’ilnesemarierait jamais. Iln’avaitaucundevoiràremplir,etonn’attendaitpasde luiqu’il donne un héritier à la lignée desMontgomery.À ses yeux, il n’existait pas d’autres femmes queGenevieve. Aucune ne serait capable de remplir le vide immense que laisserait dans son cœur cettefemmesicourageusequil’avaitfascinéaupremierregard.
Unpetitcoupretentitàlaporteetsonpoulss’emballa.Ils’écartadeGenevieveenveillantànepaslaréveilleretquittalelit.Àlaporte,ildécouvritGraemequiarboraitsatêtedesmauvaisjours.
—Nospatrouillesviennentdenousprévenir.LesMcInnisarrivent,bannièreauvent.Ilsavancentàalluresoutenue.Ilsserontlàd’iciuneheure.
LecœurdeBowenseserra.Ils’étaitdoutéqu’unefoisprévenus,lesMcInnisneperdraientpasuneseconde,maisilavaitespérébénéficierdequelquesjourssupplémentaires.Oumêmeseulementunenuit.
—JevaisprévenirGenevieve,qu’elleaitletempsdesepréparer,dit-ilcalmement.—Jesuisdésolé,Bowen,murmuraGraeme,compatissant.Jesaisquecen’estpasfacilepourtoi.—Non,maisilfallaitquecesoitfait.Sonfrèretournalestalonsetilrefermalaporte.Genevieveétaitréveilléeet,hisséesurlecoude,lescheveuxendésordre,elleleregardaapprocher.—Qu’ya-t-il?s’enquit-elle.Ilvoulutrépondre,maislesmotsdemeurèrentcoincésdanssagorge,menaçantdel’étouffer.Ils’assitsurleborddulit,luipritlesmains.—Jedoistedirequelquechose.Elleseredressa,l’airinquiet,etessayadeselibérer.Ilrefusadelalâcher.Aprèsavoirprisuneprofondeinspiration,ilsejetaàl’eau:—QuandnousavonsquittélechâteaudesMcHugh,j’aifaitprévenirtafamillequetuétaisvivanteet
quejet’emmenaisici.
Ellesepétrifia.Lapeinequ’illutdanssonregardluibrisalecœur.—Pourquoi ? murmura-t-elle d’une voix cassée. Pourquoi as-tu fait cela ? Tu savais que je ne
voulaispasqu’ilsapprennentcequim’étaitarrivé.As-tulamoindreidéedecequ’ilsvontéprouver?IlavalasasaliveetpressalesmainsdeGenevievecontresontorse.—Jesaistoutcela,articula-t-il.Maisjevoislatristessedanstonregardquandtuparlesd’eux.Etje
pensequetuneserasjamaisvraimentheureusetantquetun’auraspasaffrontécettepartiedetonhistoire.Tantquetunelesauraspasaffrontés.
—Etdonc, tu as pris la décision àmaplace, s’étrangla-t-elle. Jusqu’àprésent, onnem’a jamaislaissélechoix,ettun’asrientrouvédemieuxquedefairelamêmechose.
—Jel’aifaitparcequejet’aime,dit-il,prononçantenfinlesmotsqu’ilgardaitdepuissilongtempsen lui.Etque je teveux.Mais surtout,parceque jeveuxque tu soisheureuse. Jeveuxque tu soisdenouveau toi-même,et j’ai lesentimentque tune leseraspas tantque tun’auraspasretrouvé les tiens,ceuxquit’aimentpresqueautantquemoi.
LeslarmesjaillirentetruisselèrentsurlesjouesdeGenevieve,quisejetadanslesbrasdeBowenetmurmurad’unevoixhachée:
— J’ai tellement peur. Et s’ils me rejetaient ? Et s’ils me regardaient avec honte ? Je ne lesupporteraispas. Jepréféreraisqu’ilsne sachent jamaisque j’ai survécuplutôtqu’ils souffrentdemaprésenceetqu’ilsaienthontedemoi.
— Cela n’arrivera pas, assura Bowen, bouleversé par sa détresse. Je ne le permettrai pas,Genevieve,jetelejure.
Elle s’écarta lentement de lui, et il y avait une telle vulnérabilité dans son regard qu’il eut envied’allerverrouillerlaporteetdelagarderavecluijusqu’àlafindesesjours.Maisc’étaitimpossible,biensûr.Ildevaitlalaisserretrouverlessiens,renouerlefildesonhistoire.
—Quandarrivent-ils?demanda-t-elled’unetoutepetitevoix.—D’iciuneheure.Nospatrouillesnousontprévenusqu’ilsavançaientàmarcheforcée.Ilssontde
touteévidencepartisdèsqu’ilsontreçumonmessage.Genevieves’essuyalevisaged’unreversdemain.—Alorsilfautquejemedépêche.Jedoism’habilleretmecoifferet…Bowenlafittaired’unbaiser.—Net’affolepas,jet’envoieRorieetEveline.Ellest’aideront.Àregret,ill’abandonnaetsedirigeaverslaporte.—Bowen?Ileutàpeineletempsdeseretournerqu’ellesejetaitdanssesbras.Ellel’embrassaavecuneardeur
mêléededésespoir.C’étaitunadieu.Illaserracontreluiàl’étouffer.Puis, parce qu’il savait que s’il ne la quittait pas maintenant, il ne le pourrait plus jamais, il la
repoussadoucementetsortit.
43
EvelineetRorie s’affairaient autourdeGenevieve, cequin’empêchaitpasRoriedepester contreBowenqui,selonelle,s’étaitmêlédecequineleregardaitpasenprévenantlesMcInnis.
—C’est parce qu’il veut ce qu’il y a demieux pourGenevieve, expliquaEveline enmettant unedernièretoucheàlacoiffuredelajeunefemme.Etc’estcequetudevraisvouloir,toiaussi.
Roriegrimaça.—Maisellevamemanquer,sedéfendit-elle.C’étaitcommed’avoiruneautresœur,etunefillen’a
jamaisassezdesœurs.Genevievelaserradanssesbras.— Nous serons toujours sœurs, assura-t-elle. De cœur, au moins. Je ne t’oublierai pas, Rorie
Montgomery.Rorielagratifiad’unsourirelarmoyantavantdes’écarter.GenevieveétreignitalorsEveline.—Vousavezducœur,Eveline,etvousêtesd’unebienveillancesansnom.J’avaistrèspeurdevous
rencontrer après ce que j’ai fait. Je ne vous en aurais pas voulu si vous aviez exigé que je quitte lechâteau.Maisvousm’avezaccueillieparmivous etm’avez témoignéde labonté.Même sinousnoussommestrèspeuconnues,vousavezétéuneamie.Jevousenremercie.Jenevousoublieraipasnonplus.
—Seigneur,fitEvelined’unevoixétranglée,sivouscontinuez,nousallonsaccueillirvotrefamilleavec des larmes. Vous êtes un être rare, GenevieveMcInnis. Ne l’oubliez jamais. Ce que vous avezenduréenauraitbriséplusd’une,maisvousenêtessortieplusforte.
—Promets-moiquetureviendrasnousrendrevisite,intervintRorie.Jeseraiinquiètetantquejeneseraipassûrequetuesheureuse.Etsituasjamaisbesoindequoiquecesoit,fais-le-noussavoir.
Genevievehochalatêteetlesétreignitdenouveautouteslesdeuxavantdes’écarterpourlissersarobe.
—Dequoiai-jel’air?demanda-t-elle,anxieuse.Lapeur l’étreignait.Si elle percevait lamoindredéception, lamoindregênedans lesyeuxde ses
parents,ellenelesupporteraitpas,ellelesavait.Plutôtmourirqueleurfairehonte.—Tuesmagnifique,assuraEveline.Rorieallaàlafenêtre,puisseretournaetannonçad’unevoixcrispée:—L’heureestvenue,Genevieve.Tonclanarrive.C’estunevéritablearméequis’étendàpertede
vue.Genevieve la rejoignit et, pour lapremière foisdepuisun an, aperçut labannièrede sonpèrequi
flottaitauvent.Ilétaitvenulachercher.
À la tête d’un petit groupe de soldats,Bowen etGraeme quittèrent le château pour se porter à larencontredulairdMcInnis.Enlesvoyant,cedernierdonnaordreàlacolonnedes’arrêter.
Unelitière tiréepardeuxchevauxs’immobilisaàsoncôté,et lafemmequi l’occupaitseredressa,l’airinquiet.
BowenetGraemerejoignirentlelairdMcInnis.—Oùestmafille?demandacelui-cisanspréambule.Àenjugeràsaminefarouche,ilsemblaitprêtàtout.—Laird,ditGraemeavecrespect,jesuisGraemeMontgomery,lairdduclanMontgomery.—Jesaistrèsbienquivousêtes,répliquaMcInnisavecimpatience.Jeveuxsavoiroùestmafilleet
siellevabien.—Votrefilleseportebien,intervintBowen.Lelairdvrillalesyeuxsurlui.—Êtes-vousBowenMontgomery?—Oui.—C’estvousquim’avezenvoyécettemissive.Bowenacquiesça.—Votremessageétaitassezdétaillé,maisj’aimeraisensavoirdavantage.J’avouequej’aieudumal
àcroireàvotrehistoire.—Jepeuxvousassurerquetoutcequisetrouvedanscettelettreestvrai,déclaraBowencalmement.
IanMcHughaattaquél’escortedeGenevievealorsqu’elleallaitretrouversonfuturmarietamassacrétout lemonde sauf elle. Il l’a retenue prisonnière dans son château pendant un an jusqu’à ce que lesMontgomeryetlesArmstrongseliguentpourl’attaqueretletuent.
Lafemmeassisedanslalitièrelaissaéchapperuneexclamationétouffée.—Etvous?demandalelairdenfixantBowen.Quelrôlejouez-vousdanstoutceci?—J’aivuunefemmeatrocementmaltraitée,réponditBowen.Jel’airamenéeauchâteauMontgomery
oùjepouvaislaprotégeretjevousaienvoyécettemissivevousavertissantqu’elleétaitencoreenvie.—Lachlan,assezparlé,ditbrusquementlafemme.Jeveuxvoirmafille.Celafaitunanquejenel’ai
passerréedansmesbras,unanàvivreunenfer.Tupeuxsûrementremettrecettediscussionàplustard.Lachlansoupira.—Tuasraison.Moiaussi,jesuisimpatientdelavoir.Sivousn’yvoyezpasd’inconvénient,laird,
enchaîna-t-ilàl’adressedeGraeme,j’aimeraisretrouvermafille.Graemeinclinalatête.—Sivousvoulezbiennoussuivre,votreépouseetvous.LadyMcInnisquittalalitière.Lachlanluitenditlamain,etavecl’aided’undeseshommes,ellefut
hisséesurlechevaldesonmari.Uninstantplustard,lapetitetroupepénétraitdanslacourduchâteau.Cettefois,cefutBowenqui
aida ladyMcInnis à descendre de selle.Le lairdMcInnis en fit autant et soudain, il y eut commeunetensiondansl’air.
Levantlesyeux,BowendécouvritGenevievedeboutsurleseuildudonjon.Elleétaitmortellementpâleetsesyeuxparaissaientimmenses.Sacicatricesedétachait,rougesursa
peaublême,etsondésarroiétaitpoignant.—Maman?Papa?murmura-t-elle.LadyMcInnisetlelairdpivotèrentd’unmêmemouvement.LadyMcInnisdevintlividetandisque,à
lagrandesurprisedeBowen,lesyeuxdesonmaris’emplissaientdelarmes.—Genevieve!s’écrialadyMcInnis.Lesdeuxfemmess’élancèrentl’uneversl’autre,seretrouvèrentaubasdesmarchesets’étreignirent
follement.
Lelairdlesrejoignit,etlesentouradesesbras,lesserrantàlesétouffer.Leurbonheurétaitpalpable.Letableauqu’ilformaitétaitterriblementémouvant.
—C’estbien,cequetuasfait,Bowen,murmuraGraeme.Bowenprituneinspirationtremblanteavantderépliquer:—Alorspourquoiai-jel’impressionqu’onm’arrachelecœur?Graemeneréponditpas–iln’yavaitrienàrépondreàcela.Ilsecontentadeluipresserl’épauleen
ungestederéconfort.Entourée de ses parents, qui ne cessaient de l’embrasser et de l’étreindre, Genevieve avait
l’impressionquesoncœurallaitexploser.Ilspleuraienttouslestrois,mêmesisonpères’efforçait,sanstropdesuccès,deréprimerseslarmes.
Elles’accrochaitàsamère,s’imprégnaitdesachaleur.Elleavaitcrunejamaislarevoir,nejamaisrevoirsonsourire.
—Oh,monDieu,Genevieve,murmuraladyMcInnisd’unevoixenrouée,c’estmonâmequ’onvientdemerendre.
Sonpèrelasoulevasoudaindeterre,commequandelleétaitpetite,etcria:—Mafilleestderetour!À l’extérieur de l’enceinte, l’armée tout entière poussa un rugissement qui résonna à travers les
collines.Genevieveriaitetpleuraitenmêmetemps.EttandisqueladyMcInnisreprenaitsafilledanssesbras,LachlansetournaversBowenetGraeme.—Jevousseraiéternellementreconnaissantdem’avoirrendumafille,déclara-t-ild’untonbourru.
C’estunedettedontjenepourraijamaism’acquitter.—Rendez-laheureuse,ditsimplementBowen.C’estlaseuledettequ’ilvousfauthonorer.— Venez, dit Graeme. Après un tel voyage, vous devez être fatigués et affamés. Ce soir, nous
festoieronspourcélébrerleretourdeGenevievedanssonclan.LadyMcInniscaressalescheveuxdeGenevieveavantdefrôlertendrementsacicatrice.—C’est le plus beau jour demavie. Il restera à jamais gravédansmamémoire.Le jour où j’ai
retrouvémonuniqueenfant.Commeelle l’avait fait si souventpar lepassé,Genevievese laissaallercontre samère, inhalant
avecbonheursonodeursirassurante.—Jet’aime,maman,souffla-t-elle.—Moiaussi,jet’aime,machérie.
44
Genevievepressa lepas tandisque lesoleilmatinalbaignait lescollinesauxenvironsduchâteau.Elle n’avait pas dormi de la nuit. L’excitation était trop forte. Samère était restée dans sa chambre,refusantd’êtreséparéed’elleneserait-cequ’uninstant.Etaujourd’hui,ilsallaientregagnerleurchâteau.
Aucoursdufestin,Genevieven’avaitpaseul’occasiondeparlerseuleàseulavecBowen.Ellenepouvaitpaspartirsanslerevoirunedernièrefois.
Ellel’avaitcherchépartout,sanssuccès.Elleletrouvasurlabuttequidominaitlarivière.Soudainhésitante,elleralentitlepas.Ill’entenditapprocheretseretourna.Sonregardplongeadanslesien.Sansunmot,ellesejetadans
sesbras.—Jenevoulaispaspartirsanstedireadieu,souffla-t-elle.—Jecomptaisbienassisteràtondépart.Elleattendituneseconde,puis:— Je t’ai dit des choses terribles,Bowen. J’étais en colère et effrayée. Effrayée, surtout. J’avais
tellementpeurd’affrontermafamille.J’aiétéidiotedecroirequ’ilsmetourneraient ledos.Jeveuxteremercierd’avoirprévenumonpère.Jen’enaipaseulecourageetj’enaihonte.
Ilposaundoigtsurseslèvres.—Chut…Tun’asaucuneraisond’avoirhonte.Cequetuasenduréestinimaginable.C’estnormal
quetuaieseupeur.—Jenet’oublieraijamais,BowenMontgomery,articula-t-elle,etsavoixfaillitsebriser,sigrande
étaitsonémotion.Jenepensaispasqu’unhommetelquetoipuisseexister.Ilsouritetdéposaunbaisersursabouche.—Envérité,jamaisjen’auraisosérêverrencontrerunefilletellequetoi.Jeneveuxpastelaisser
partir,maisc’estmonégoïsmequiparle.Tafamilleaétéprivéedetoidelaplushorribledesmanières,t’enleveràelleseraitimpensable.
Audésespoir,ellesehissasur lapointedespiedspour l’embrasser.Elleétaitenproieàunchoiximpossible.Retrouversafamillequ’elleaimaitpar-dessustoutouresteravecl’hommequil’avaitsauvéedel’enfer.Unhommequiavaitvuau-delàdescicatricesquimarquaientsoncorpsetsonâme.
—Soisheureuse,Genevieve,murmura-t-ilcontreseslèvres.C’esttoutcequejedemande.Jevivraietmourraisatisfaitsijetesaisheureuse.
Ellesecramponnaàlui.Iln’yavaitrienàdire.Leurscœursétaientlourdsdecequinepouvaitêtre.Finalement,Bowenl’écartadoucementdeluietluicaressaunedernièrefoislevisage.—L’heureestvenue.Tesparentsvonttechercher.LavisiondeGenevievesebrouilla.
—Jet’aime,Bowen,articula-t-elle,dessanglotsdanslavoix.Jenevoulaispaspartirsansteledire.Jen’aimeraijamaisunautrehomme.Moncœurt’appartientpourtoujoursetjepenseraisanscesseàtoi,mêmedansmesrêves.
Illuiencadralevisagedesesmainsetl’embrassaavecpassion.—Jet’aime,Genevieve.Maviedurant,jen’aimeraiquetoi.Bowen regardait Rorie et Eveline faire bruyamment leurs adieux à Genevieve. Les trois femmes
pleuraientets’étreignaientcommesiellesseconnaissaientdepuistoujours.L’airsombreetinquiet,Graemesetenaitprèsdelui.Ilvoulaitluioffrirsonsoutien,c’étaitévident,
maisilnesavaitquedire.Et c’était aussi bien, car Bowen n’avait aucune envie de parler. Il salua le lairdMcInnis et son
épouse,aidamêmecelle-ciàs’installerdanslalitière.QuandGenevieve s’approchapour faire ses adieux, il demeura à l’écart, unpeu raide, la laissant
remercierGraeme.Puisilluitenditlamainpourqu’ellegrimpedanslalitière.Elles’enemparaetlevales yeux vers lui. Ils échangèrent un long regard. Puis elle chuchota un merci et un adieu avant des’installerprèsdesamère.
—Porte-toibien,ditBowen.—Toiaussi,souffla-t-elle.Ilreculad’unpas,puisd’unautre.S’ilnemettaitpastrèsvitedeladistanceentreeux,ilrisquaitde
l’arracherdecettelitièreetneplusjamaislalâcher.LelairdMcInnisdonnal’ordredudépartetlaprocessions’ébranla.Bowenrestaplantélàjusqu’àcequeledernierchevalaitdisparudanslelointain.Unepartiedelui
venaitdemourir.—Soisheureuse,monamour,murmura-t-il.Soisheureuse.
45
—C’estsibonquetusoisderetour,Genevieve!s’exclamaSybilenselaissanttombersurlelit.Genevievesourit.—Tunedisqueceladepuisdessemaines.—Jenelediraijamaisassez.Tum’astellementmanqué.LatristesseassombrituninstantsonregardetGenevieveluipressalamain.Ilyavaiteutellementdechangementsensonabsence.Sybils’étaitmariéeaveclelieutenantdulaird.Lechagrinavaitfaitsonœuvre,etsesparentssemblaientplusâgésquedanssonsouvenir.Desrides
étaientapparuessurleursvisagesbien-aimés.Pasunjournepassaitsansqu’ilss’inquiètentdesonconfort,desonbonheur,desavoirsidesrêves
désagréablesnelatourmentaientpas.Genevieveévitaitdeparlerdecequ’elleavaitenduréchezlesMcHugh,etsesparentsrespectaient
sonchoix.LeurracontertoutcequeIanluiavaitinfligéétaitinutileetneferaitqu’accroîtreleurchagrin.C’étaitdupassédésormaisetelleétaitbiendécidéeàlelaisserderrièreelle.Unepartiedesaviequ’ilvalaitmieuxoublier.
Laseulebonnechosequienétaitsortie,c’était…Bowen.Lanuit,ellerestaitéveillée,pensaitàlui,selanguissaitdelui.Etcelacontinuaitpendantlajournée.
Elle n’était plus elle-même. Elle était fatiguée et léthargique, mais s’efforçait de se montrer pleined’entrain,carellenevoulaitpasinquiétersesparents.
—Tuescontented’êtremariée?demanda-t-ellepourdétournerlaconversation.Commeprévu, levisagedeSybils’illumina.Elle rayonnait, littéralement,etGenevievenepouvait
s’empêcherdel’envier.—Jel’aimetellement,ditSybil.Ilestfortetc’estunhommed’honneur.Unvraiguerrier.Etilme
gâtehonteusement.Genevieves’esclaffa.—C’estunebonnechose,non?—Si,admitSybilensouriant.On frappa à la porte, et elle bondit pour aller ouvrir. Le père de Genevieve passa la tête dans
l’entrebâillement—Genevieve, jemedisaisquecela teplairaitpeut-êtredevenirchasseravecmoi.Tamère rêve
d’un ragoût de lièvre, et on a toujours formé une bonne équipe, toi etmoi. J’aimerais voir si tu saisencoreteservird’unarc.
Genevievesourit,touchéequ’ilchercheàpasserdutempsavecelle.—Celameplairait,acquiesça-t-elle.Laisse-moijusteletempsd’enfilerunetenueplusappropriée.Sonpère,ravi,luirenditsonsourire.
—Jeteprépareunchevaletjet’attendsdanslacour.—Ilsont tellementsouffert,murmuraSybilquand laporte fut refermée.Tonpèreest restéprostré
pendantdesmois,etilnesepassaitpasunjoursansquetamèrepleure.J’aicruquejenelesreverraisplus jamais sourire.Quand ilsont reçu la lettreannonçantque tuétaisenvie, celaaétéunevéritablerenaissance.Ilscraignaientquecenesoitunefaussenouvelle,oumêmeuneplaisanteriecruelle,maistonpèreadonnél’ordredepartirsur-le-champ,aubeaumilieudelanuit.
—Jelesaiaussibeaucouppleurés,murmuraGenevieve.J’aicrunejamaislesrevoir.Sybilluicaressaledos.—Tu es leur unique enfant et ils t’aiment plus que tout. Tout le clan s’est réjoui en apprenant la
nouvelle,cartoutlemondesouffraitdevoiràquelpointilsétaientbrisés.Genevieve se levapour aller chercher la vieille tunique et les hauts-de-chausses que sonpère lui
avaitdonnésautrefois. Ilpartaitduprincipequ’unefillenepouvaitpaschassercorrectementavecunerobe,etluiavaitdoncprocurédesvêtementsd’homme.
Ilsétaientusésetellelesadorait.Ellenelesavaitpasemportésavecelle,carellen’étaitpassûrequesonfuturmarilesapprécierait.Quantàsagarde-robe,qu’elleavaitperduepourl’essentiel,samèretravaillaitdéjàfiévreusementàlareconstituer,mettantuncontingentdefemmesdudomaineàlatâche.
Aprèsavoirenfilésa tuniqueet saculotte,elle remarquaqu’ellesétaientunpeugrandes.De touteévidence,elleavaitperdudupoids.
Ce n’était pas une surprise. Pendant son emprisonnement, elle n’avait pas étémieux traitée qu’unanimalàqui l’on jetaitdes restes, etn’avait jamaiseudroit àdes repas réguliers.Maisde sevoir siminceluirappelatousleschangementsquis’étaientopérésenelle.
Elletouchasacicatrice.Samèreavaitétéhorrifiéed’apprendrecommentetpourquoielleavaitétéainsidéfigurée.Quantàsonpère,pourtantdéjàprévenuparBowen, ilavaitblêmiderage.C’estàcemoment-làqu’elleavaitdécidédenepasleurraconterlesdétailssordidesdesacaptivité.
Elle récupérasonarcetses flèches,puisdescenditencompagniedeSybil.Elle retrouvasonpèredanslacouroùill’attendait,tenantlesrênesdedeuxmontures.
Ilsouritetl’aidaàmonterenselle.Peuaprès,ilsquittaientlechâteau.Genevieve respirait à pleins poumons, s’imprégnant de cet air si familier. Elle avait passé son
enfanceàcourirparmicescollines.Toutejeunedéjà,elleaccompagnaitsonpèreàlachasse.C’étaitluiquiluiavaitapprisàseservird’unarc,etellesavaitaussimanieruncouteau.
Ilslongeaientlesentierqu’ilsavaientempruntédesannéesdurant.Lepremierlièvrelapritparsurpriseet traversalechemind’unbondavantqu’elleait letempsde
s’emparerdesonarc.Sortantdesonapathie,ellesesaisitdecedernieretencochauneflèche toutenscrutantlesbuissons.
Ellen’eutpaslongtempsàattendre.Leurschevauxeffrayèrentunautrelièvrequidétaladevanteux.Unefractiondesecondeplustard,laflèchedeGenevieveleclouaitausol.
Sonpèresautadesellepourallerlerécupérer.—Bienjoué,mafille.Tun’asrienperdudetonadresse.Toutsourire,ellesortitunenouvelleflèchedesoncarquois.Quandlesoleilcommençaàsombreràl’horizon,unebonnedouzainedelièvrespendaientàlaselle
desonpère.Ilétaittempsderentrer.Dans la cour du château, un homme vint s’occuper de leurs montures tandis que Genevieve
accompagnait sonpère là oùondépouillait les animaux.Elle en avait l’habitude, pourtant, dès que lecouteaus’enfonçadanslafourrure,sonestomacserévoltaetlasueurluiperlaaufront.Prisedenausée,elledéglutitàplusieursreprises,s’efforçantdesemaîtriser.
Quandsonpèreretroussalapeaudulièvre,elleperditlabatailleet,secourbantendeux,renditsonrepas.L’odeurétaitplusqu’ellen’enpouvaitsupporter.Toutcesang…
Sonpèrel’entouradesonbrasetcriaà l’undeshommesprésentsdes’occuperdugibieravantdel’emmenerauprèsdesamère.
—Elizabeth,faisquelquechose,s’écria-t-il.Elleestmalade.—Du calme, Lachlan, je vais m’occuper d’elle. Retourne à tes lièvres et laisse-nous. C’est une
affairedefemme.—C’estmafille,grommela-t-il.J’aibienledroitdem’inquiétermêmesijenesuispasunefemme.LadyMcInnislecongédianéanmoinsd’ungeste,puisaidaGenevieveàregagnersachambre.—Repose-toi,mafille,etreprendstonsouffle,murmura-t-elleaprèsqu’ellel’eutmiseaulit.—Jesuisfatiguée,avouaGenevieved’unevoixfaible.Cesvomissementsl’avaientépuiséeetellevoulaitjustedormir.Samèreluicaressalefrontdesamainfraîche.—Jesais,monenfant.Repose-toi.Jerepassetevoirbientôt.—Jet’aime,maman,ditGenevieved’unevoixensommeillée.Samèresouritavantdedéposerunbaisersursonfront.—Etjet’aimeaussi,machérie.Dorsmaintenant.
46
—Commentva-t-elle?s’enquitLachlandèsqu’Elizabethentradansleurchambre.Ilsemblaitanxieuxettendu.Elleauraitaimépouvoirlerassurer,maisn’avaitd’autrechoixquede
luidirelavérité.—Elleattendunenfant,lâcha-t-elle.J’ensuiscertaine.Lachlanblêmitetserralespoings.Ilparaissaitprêtàcognerlesmurs.—Lesalaud!gronda-t-il.Jen’aijamaisautantsouhaitéqu’unhommesoitvivantpourpouvoirletuer
demespropresmains.QueIanMcHughbrûleenenferpourcequ’ilafaitànotrefille.—Qu’allons-nousfaire,Lachlan?demandaElizabeth,inquiète.Illuilançaunregardperplexe.—Faire?Iln’yariend’autreàfaire,Elizabeth,qued’aimernotrefilleetdeluioffrirtoutlesoutien
dontelleabesoin.Cen’estpassafautesielleattendcetenfant,etmêmesiçal’était, jamaisjeneluirefuseraismonaide.
—Ohnon!s’exclama-t-elle.Cen’estpascequejevoulaisdire.Maismoncœursaignepourelle.Justeaumomentoùellepouvait repartirdezéroetoublier lepassé,voilàqu’ellevadevoirvivresonexistenceentièreaveclerappelpermanentdecequeIanMcHughluiafaitsubir.
—Parle-lui, fitLachlan, bourru.C’est unequestiondont seuleunemèrepeut parler avec sa fille.Maisdis-luiquejel’aimeetqu’ilyauratoujoursuneplacepourelleici,avecnous.Etpoursonbébé.Qu’ellen’aillepass’imaginerquenousavonshonted’elle.Envérité,jesuisplusfierd’ellequej’auraispul’êtreden’importequelfils.
Elizabethposalamainsursonbras.—C’estmerveilleuxdedireunechosepareille.Jesuislaplusheureusedesfemmesdet’avoirpour
époux.Jenepourraisrêvermeilleurprotecteurpournotreenfant.Ettunem’asjamaisreprochédenepast’avoirdonnédefils.
Lachlanl’attiraàluietlacouvad’unregardempreintd’uneimmensetendresse.—Commentpourrais-jemeplaindre alors que tum’asdonnéune fille qui n’apasde rivaledans
toutel’Écosse?Quid’autreauraitsurvécucommeellel’afait,etfinalementréussiàsevengerdeceuxquil’avaientconduiteenenfer?Dieuquej’auraisaiméêtreprésentquandelleaabattuPatrickMcHugh.Çadevaitêtrequelquechose.
Elizabethappuyalajouecontresontorse.—Etpuis,reprit-il,c’estmoiquiaidelachancequetum’aieschoisipourmari.Ilsétaientnombreux
ceuxquivoulaienttamain,etpourtant,c’estmoiquetuaspréféré.Unsauvagedépourvudemanièreàquituaspermisdebâtirl’undespluspuissantsclansd’Écosse.Mêmeaprèstoutescesannées,leshommesrestentsaisisdevanttabeautéetbeaucoupdonneraientleurviepourpouvoirpartagertonlit.
Ellerelevalatête,unelueurespiègledansleregard.
—Voilàquiseraitdifficile!Ilyadéjàassezpeudeplacedanscelitavectoidedans.—Satanéefemme!Jet’aimeettulesais.Etjetueraiquiconqueoseratoucherl’ourletdetarobe.Elleluidonnaunbaiseravantdes’écarterensoupirant.—IlfaudraquejeparleàGenevieve.Ellenesaitpasencorequ’elleestenceinte.Lachlanaffichauneminegrave.—Nelalaissepaspenseruneseulesecondequecelachangenossentimentsàsonégard.Jen’aipas
demot pour dire la joie que j’éprouvede la savoir ici, là où est sa place. Jamais rien neme le feraregretter.
—Tuesunhommebon,LachlanMcInnis,murmuraElizabethavantde l’embrasserdenouveau.JeverraiGenevievedemainmatin,maispourl’heure,j’aimeraisquetum’emmènesaulit.
Unelueurpossessives’allumadanslesyeuxdeLachlantandisqu’ilresserraitsonétreinte.—Àvosordres,machère.Voussavezquejenepeuxrienvousrefuser.
Quand elle se réveilla le lendemain, la première chose que fitGenevieve fut de courir au pot dechambrevomircequ’ilrestaitdanssonestomac.Enproieàdesspasmesviolents,elledemeurapenchéeenavantdelonguesminutessansparveniràsemaîtriser.
Desmainsdoucesluicaressèrentledosavantd’écarterlescheveuxdesonvisage,lestenantsursanuquetandisquelesderniershoquetss’estompaient.
—Jemedoutaisquetuseraismaladecematin,ditsamèrequandGenevieveseredressaetregagnasonlitenchancelant.
Elizabethl’aidaàserallongeretlabordaavectendresse.—C’estsûrementquelquechosequej’aimangé,coassaGenevieve.Samèresourit.—Non,mafille,cen’estpasquelquechosequetuasmangé.Genevievefronçalessourcils.—Alors,qu’est-cequ’ilm’arrive?—Tuattendsunenfant.Genevieveenrestabouchebée.Samainseposaspontanémentsursonventretandisqu’ellefixaitsa
mèreavecincrédulité.Celle-cihochalatête.UnefollejoieexplosaenGenevieve.Elleavaitenviedepleurer,decriersonbonheuràlafacedu
monde.Maiselleseretint,préférantsavourercalmementlanouvelle.Seigneur,jamaisellen’auraitosérêverporterl’enfantdeBowen!
Samères’emparadesesmainsqu’ellepressacontreelle.—Tonpèreetmoi,nousvoulonsquetusachesquenoust’aimonsplusquetoutetquenousserons
toujours à tes côtés.Nous savonscombienc’estdifficilepour toideporter l’enfantde l’hommequi aabusédetoi,maisnoust’aideronsdenotremieuxetjamaisnousnetetourneronsledos,Genevieve.
Celle-cifixasamèred’unregardahuri,puis:—Mais,maman,cen’estpasl’enfantdeIanquejeporte.Cefutautourdesamèred’êtreabasourdie.—Tuveuxdire…Genevieve,nemedispasquec’estquelqu’unàquiil…Elles’interrompit,incapabled’acheversaphrase,maisdéjàGenevieveluiexpliquait:—C’estl’enfantdeBowen,maman.DeBowen,pasdeIan.LadyMcInnisouvritdesyeuxcommedessoucoupes.Puisellepinçaleslèvresetscrutasafilled’un
regardacéré.— Je savais qu’il y avait quelque chose entre vous. Je l’ai senti dès notre arrivée au château
Montgomery.Etquandnoussommespartis,ilsemblaitbouleversé.
—Ilm’aime,ditdoucementGenevieve.Ilm’asauvée.Ilm’alaisséepartir,carilpensaitquecelamerendraitheureuse.
Samèreladévisagealonguementavantdes’asseoirsurleborddulit.—Tumeparlesdecequ’il éprouveetdecequ’il a fait.Maisdis-moi,Genevieve, est-ceque tu
l’aimes?—Detoutmoncœur.Samèresoupira.—Tun’espasheureuseici,n’est-cepas?—Non,maman,cen’estpascela!Aucontraire,jemerendscomptemaintenantàquelpointj’avais
besoindevousretrouver,papaettoi,etdevivreavecvous.Bowenvousaprévenusmalgrémoi,ilétaitprêtàaffrontermacolère.Ill’afaitpourmoi,mêmesicelasignifiaitqu’ildevraitmelaisserpartir.Etilavaitraison.J’avaisbesoindevous–devousdeux–pourêtredenouveaumoi-même.
Samèreaffichaitàprésentuneexpressionperplexe.—Malgrétoi?répéta-t-elle.Jenecomprendspas.Genevievefermalesyeux,honteuse.—Jenevoulaispasquevoussachiezquej’étaisvivante.Elizabethpoussaunpetitcriblessé.—Mais pourquoi ? s’écria-t-elle. Te rends-tu compte du cauchemar que cela a été de te croire
morte?—C’étaitégoïstedemapart, je le reconnais. J’étaisaveugléepar lahonte. Jenevoulaispasque
vousappreniezceparquoij’étaispassée.Jevoulaisvousépargnercedéshonneur-là.—MonDieu,machérie!ditsamère,dessanglotsdanslavoix.Tuignoresdoncquejamais,quoi
que tu fasses,nousn’auronshontede toi?Nous t’aimons.Tues la lumièredenosvies–cellede tonpère,enparticulier.Lesoleilselèveetsecoucheavectoi.Quandtuesnée,j’aieupeurqu’ilnesoitencolèreparcequejeneluiavaispasdonnédefils.Maisilétaitsifoudetoiqu’ilétaitclairqu’ils’enmoquait.Etparlasuite,quandilestdevenuévidentquejenepourraisplusavoird’enfants,jemesuisdenouveauinquiétée.Etsais-tucequ’ilm’adit?
Genevievesecoualentementlatête.Samèresouritàtraversseslarmes.—Ilm’aditque je luiavaisdonné laplus forte, laplus intelligenteet laplusbelle fillede toute
l’Écosse.Alorspourquoiaurait-ilbesoind’unfils?Genevieveéclataensanglotsetsejetadanslesbrasdesamère.— Pardonne-moi, maman. J’avais tellement peur et tellement honte. Quand Ian me retenait
prisonnière,j’avaisl’impressiondeneplusêtreunêtrehumain.Cen’estquequandBowenestarrivéquej’airecommencéàvivre.Ilvousaécritparcequ’ilsavaitquejeneseraisjamaisheureusesansvous.Etilaacceptédemeperdreparcequ’iltenaitdavantageàmonbonheurqu’ausien.
—Ilsembleraitquej’aiunedetteimmenseenverscejeunehomme,ditsamère.Ilestheureuxqu’aumoinsl’und’entrevousaitfaitpreuved’unpeudebonsens!
—Maman!—Ehbien,c’estvrai.Jesuishorrifiéeàl’idéequetuauraispunejamaisrevenirici.— J’aurais fini par m’y résoudre, assura Genevieve. Il m’aurait fallu du temps, mais je serais
revenue.Vousmemanquieztellement,papaettoi.Samèrelaserradanssesbrasenluicaressantlescheveux.—Queveux-tu faire,Genevieve?Bowenméritede savoir,pour l’enfant.Nousnepouvons le lui
cacher.Genevieves’écarta.—Jen’enavaispasl’intention.Je…jel’aime,maman.Jel’aimetellement,ilmemanqueàchaque
instant.Ilfallaitquejerevienneàlamaison.Illefallait.Maisjeneseraijamaiscomplètementmoi-même
sanslui.Moncœurluiappartient.Elizabetheutalorscesouriresidoux,simaternel,quiavait ledond’apaiser toutes lescraintesde
Genevieve.—Ilsembleraitqu’unnouveauvoyagenousattende.Seulement,cettefois,c’esttoutenotrearméequi
t’escorteracheztonpromis.Iln’estpasquestiondeprendrelemoindrerisque.—Ets’ilneveutpasm’épouser?hasardaGenevieve.Samèrelevalesyeuxauciel.—Mafille,àvoirlafaçondontilteregardaitquandnoussommespartis,c’estunmiraclequ’ilne
t’aitpasarrachéede la litièrepour tehisser sur sonépaulecommeunvulgaire sacd’avoine. Jeparied’ailleursquecen’estpasl’enviequiluienamanqué!S’ilt’aimecommetuledis,ets’ilafaittoutcelaensachantparfaitementqu’ilallaitteperdre,alorsc’estunhommecommeilenexistepeu.Ilt’amèneradevantunprêtreavantmêmequetunet’enrendescompte.Non,leplusdifficilevaêtredeconvaincretonpèredetelaisserrepartiralorsquetun’eslàquedepuisunmois.
Samèredéposaunbaisersursonfront,etenchaîna:—Nousviendronstevoirtrèssouvent,etjeserailàpourlanaissancedel’enfant.Tonpèreaussi,
j’ensuiscertaine.LesMontgomeryvontdevoirs’habituerànotreprésence.Lecœurgonfléd’espoir– sa famille et sonamour réunis était un rêve inimaginable–,Genevieve
murmuracependant:—J’aipeurd’espérer.—Net’inquiètepas,machérie.Quandjem’attelleàunetâche,jeparvienstoujoursàmesfins.Si
j’étaistoi,jeprépareraismesbagagessansattendre.Jetepariequej’auraiconvaincutonpèreavantlafindelajournée.
47
—Bowen,lesMcInnisarrivent!Bowensefigea,etfaillitbienyperdrelebras,leguerrieraveclequelils’entraînaitayantdumalà
arrêtersonattaque.L’hommeblêmitetreculaenhâte,horrifiéàl’idéedecequ’ilavaitfaillifaire.MaisBowenneluiprêtaitpaslamoindreattention.
IlseretournaetdécouvritRorieàquelquespasdelà,lesyeuxbrillantsdejoie.—Netemoquepasdemoi,laprévint-il.—Jenememoquepas!Unmessagervientdel’annonceràGraeme.Ilvavenirteledirelui-même,
maisj’aicourupourêtrelapremière.Bowens’interditdeseréjouir.Aprèstout,c’étaitpeut-êtrejustelepèredeGenevievequivenaitleur
rendrevisite.Maispourquoi?Ilnepouvaitsepermettredepenserqu’ilallaitrevoirGenevieve,carsicen’étaitpaslecas,ladéceptionledétruirait.
Iln’étaitplusquel’ombredelui-mêmedepuissondépart.Lessemainesluiavaientparudesannées,et pour ne pas sombrer, il s’était jeté à corps perdu dans l’entraînement militaire. Au point que seshommes préféraient l’éviter. Aucun ne se portait volontaire pour se battre avec lui, et il faisait ledésespoirdesafamille.
Ilétaitcommeunanimalblesséquirecherchelasolitudepourléchersesplaies.Ilavaitremarquélesregards inquiets que lui glissaient Graeme et Rorie. Eveline était la seule à le considérer aveccompassion.
Il savait qu’il était difficile à vivre et d’une compagnie fort peu agréable,mais il ne pouvait pasfeindred’êtreheureux,quediable!
Rengainantsonépée, ilsaluasonadversaire,quis’enallasansdemandersonreste,puisse tournaverssasœur.
—Jet’écoute.Ungrandsourireauxlèvres,elleexpliqua:—Uncavaliervientjusted’arriverpournousannoncerquelesMcInnisdevraientêtrelàd’iciune
heure.Ilsarrivent,Bowen!—IlestpossiblequeGenevievenelesaccompagnepas,objecta-t-il,prudent.Rorieémitunricanementdigned’unvieuxsoudard.—Etpourquoiviendraient-ilsicisanselle?Bowenneréponditpas.Ilserefusaitàespérer.Sansunmot,ilgagnalatourdeguetdontilgravitles
marchesaupasdecharge.Alorsqu’ilscrutaitlacampagneenvironnante,Graemelerejoignit.—OndiraitqueRoriet’atrouvéavantmoi.—Ellem’aannoncél’arrivéedesMcInnis.Quesais-tud’autre?
Graemesecoualatête.—Riensinonqu’ilsapprochentetrequièrentnotrehospitalité.Bowen laissa échapper un soupir de frustration. Et si Genevieve n’était pas avec eux ? Alors
pourquoivenirdanscecas?Autantdequestionssansréponse.Ildemeuralàuneheuredurant,lesyeuxrivéssurl’horizon.Enfinunpremiercavalierapparut,portant
lescouleursdesMcInnis.Sonpoulss’affola,sarespirationsefiterratique.Ilsepenchapar-dessuslesremparts,scrutantchacunedessilhouettesquiapparaissaientausommetdelabutte.
Sesmainsétaientcrispéessurlapierredelamurailleetsesmâchoiresserréesàluifairemal.ToutsonêtreétaittenduversGenevieve.
— Il n’y a pasde litière, observaGraeme tandis que l’armée entièredesMcInnis déferlait sur lacolline.
LecœurdeBowenmanquaunbattement.Unchagrineffroyablel’envahit,accompagnéd’uneterriblefaiblesse. Il recula d’un pas, titubant, ses genoux le portant à peine. Accablé, il décida de battre enretraitedanssachambre.QueGraemes’occupedesmondanités.
Alorsqu’il sedétournait,uncavalier sedétachade la troupe,etéperonnasamonture ; c’estalorsqu’ilvitlalonguechevelurebrunequiflottaitcommeunpanache.
Lesoufflecoupé,ilagrippalereborddumurpournepastomber.Genevieve.Graemesouritetluiflanquauneclaquedansledos.—Qu’est-cequetuattends?Vaaccueillirtafemme.Bowenbondit, et dévala lesmarches àune telle allurequece futunmiracle s’il ne tombapas. Il
traversalacoursansralentiretfranchitlagrille.Genevievevenaitdanssadirectionaugalop.Elletirasurlesrênesdesamontureàquelquesmètres
de luietglissadeselle.Àpeinesespiedseurent-ils touché terrequ’elles’élançaencourantvers lui,arborantunsourirepluslumineuxquelesoleil.
Ilouvritlesbrasetelles’yjeta.Alorsillasouleva,etlafittournoyerdanslesairs,levisageenfouidanssachevelure,savourantsonodeur,lasensationdesesbrasautourdesoncou.
—Tum’astellementmanqué,souffla-t-il.—Toiaussi,Bowen,tum’asmanqué.Atrocement.Illareposasurlesoletpritsonvisageentresesmains,ladévorantdesyeux.—Sic’estunrêve,jeneveuxplusjamaismeréveiller,dit-ild’unevoixrauque.—Cen’estpasunrêve!Jesuislà.SanssesoucierdelaprésencedupèredeGenevieveetdescentainesdesoldatsquilesentouraientà
présent,ilcapturaseslèvresenunlongbaiserpassionné.Songoût,sonodeur,soncorpssouplecontrelesien…C’étaitplusqu’iln’enpouvaitsupporter.
—Mafoi,jesupposequecelarépondàunequestion,déclaraLachlanMcInnis,flegmatique.Àregret,BoweninterrompitleurbaiserettournalesyeuxverslelairdMcInnnis,toujoursenselle.Genevieve était toute rougissante, mais son expression était de pur bonheur. Bowen n’osait
s’interrogersurlesraisonsdesaprésence.—Jedoisteparler,Bowen,murmura-t-elleenglissantsamaindanslasienne.Enprivé.Ilacquiesçaavantdes’adresseraulairdMcInnis:— Je vous souhaite la bienvenue au châteauMontgomery. Si vous voulez entrer dans la cour, on
s’occuperadevoschevauxetdesrafraîchissementsvousserontoffertsdanslagrandesalle.Unelueuramuséepassadansleregarddulaird,puisilsecoualatête.—Nesoispastroplongue,petite,dit-ilàsafille.J’aibeaucoupdechosesàdireàcegarçon.—Net’inquiètepas,papa,répondit-elle.
Bowen attendit que la procession de cavaliers se remette en marche avant de se tourner versGenevievequ’ilétreignitdenouveauavecforce,avantdelasouleverdanssesbras.
—Tun’aspasbesoindemeporter,Bowen,letaquina-t-elle.—Commeiln’estpasquestionquejetelâcheavantunbonmoment,ilestinutiledediscuter.Ellesouritetselaissaallercontrelui,latêteappuyéesursonépaule.Ilcontourna l’enceinteduchâteaupoursedirigervers labuttequisurplombait la rivière, làoù ils
s’étaientfaitleursadieux.Quandilfutàbonnedistancedesmurailles,ilsedécidaenfinàlareposersurlesol,maislagardaserréecontrelui.
—Jen’arrivepasàcroirequetusoislà,articula-t-il,émerveillé.Maispourquoi?C’étaitunequestionqu’ilredoutaitdeposer,cariln’étaitpascertaindevouloirconnaîtrelaréponse.
Maisilcontinuaitd’espérer.Dieuduciel,oui,ilavaitencoredel’espoir.Ledévisageantavecgravité,ellerépondit:—Cequej’aiàtedire,Bowen,esttrèsimportant.—Quoiqueçapuisseêtre,celanechangerarienàmessentiments.Uneétincelles’allumadanslesyeuxdeGenevieve.—J’espèrebienquesi!Il inclina la têtedecôté, intrigué.Elle semblait si…différente. Joyeuseetcependant intimidée.Et
ellerayonnait.Oui,c’étaitlemot.Toutautourd’ellesemblaitprendredavantaged’éclat.Elleparaissaitheureuse.Etn’était-cepascequ’ilvoulaitpar-dessustout?
Elleluitouchalevisageetilneputs’empêcherdeposerlamainsurlasienne.—Jeportetonenfant,dit-elledoucement.Audébut,ilcrutavoirmalentendu.Puisileutpeurquecettenouvellenesoitpaslabienvenuepour
elle.Illascruta,etdécouvritdanssonregardunelumièrequ’iln’yavaitencorejamaisvue,etquelquechosequiressemblaitàunbonheurpaisible.
—Monenfant?murmura-t-il.Spontanément,illuitouchaleventre.Puisl’interrogeaduregard,pourêtresûr.—Oui,tonenfant.Unflotd’allégressel’inonda,aupointqu’ileneutlevertige.Ilavaitbeauchercher,ilnetrouvaitpas
lesmotsàmêmededirecequ’ilressentait.Illuiencadralevisagedesesmains.—Jeneveuxpasquetupartes,Genevieve,dit-ild’unevoixrauqued’émotion.—Jesais,souffla-t-elle.—Maisjeveuxaussiquetusoisheureuse.Jeneteforceraijamaisàfairequoiquecesoitcontreta
volonté.Situesheureuseavectafamille,jenet’enlèveraipasàelle.Jenet’imposeraiaucunchoix,àtoiquienasétésilongtempsprivée.
Lesyeuxbrillantsdelarmes,ellemurmura:— Je t’aime tellement, Bowen. Pourquoi crois-tu que je suis venue avecmon père et toute notre
armée ? Si tu veux bien demoi, je resterai.Mamèrem’a déjà prévenue qu’elle nous rendrait visitesouventetqu’elleseraitlàpourlanaissancedubébé.ElleaditaussiquelesMontgomeryallaientdevoirs’habitueràlaprésencedesMcInnis.
—Sijeveuxbiendetoi?répéta-t-il.Genevieve,iln’existepersonned’autreencemondeavecquijesouhaitepassermavie.Jesuisprêtàsupporterlesvisitesdudiableenpersonnesicelamepermetdet’avoiràmescôtéspourlerestantdemesjours.
—C’estdecelaquemonpèresouhaiteteparler,dit-ellegravement.—Jem’endoute.Ilveuts’assurerquesafilleserabientraitée,etjenepeuxleluireprocher.Jeferai
lamêmechoseaveclesfillesquetumedonneras.Elleretrouvasonsourire.
—Tuesdoncsisûrquejevaistedonnerdesfilles?Ill’embrassa,savourantlebonheurdelatenirdenouveaudanssesbras.—J’insiste.
48
IlluifutdifficiledelaisserGenevieveavecRorieetEveline,maisilduts’yrésoudrepourpartiràlarecherchedulairdMcInnis.
Iltrouvacelui-cidanslagrandesalle,dégustantunepintedebièreencompagniedeGraeme.Enlevoyantentrer,Lachlaneutunegrimaceamusée.—Jecommençaisàm’impatienter.Ondiraitquevousnepouvezplusquittermafille,jeunehomme.Boweninclinalatêteavecrespect.—Vousdésirezmeparler.—Ohqueoui!Lachlandésignalesiègequiluifaisaitface.—Asseyez-vous,mongarçon.Nousavonsbesoind’avoiruneconversationsérieuse.Bowens’installa.Ils’étaitpréparéàlivrerlecombatdesavie,etétaitprêtàtoutpoursemontrer
dignedeGenevieve.—Mafilleportevotreenfant,déclarad’embléeLachlan.Graemefaillits’étoufferavecsabière.Toussantviolemment,ilfixaBowenavecdesyeuxronds.Celui-ciacquiesça.—Genevievevientdemel’apprendre.—Et?Qu’avez-vousàendire?—Quec’estunenouvellemerveilleuse.Jenepourraisêtreplusheureux.McInnisledévisagea,lesyeuxétrécis.—Elleditquevousl’aimez.—Detoutmoncœur.Cetteréponseparutsatisfairelelaird.Ilsedétendit,maissansquitterBowendesyeux.—J’endéduisdoncquevousl’épouseriezvolontiers?—Dansl’heure.Maisc’estàelled’endécider.Iln’estpasquestiondeluiimposerquoiquecesoit.
Elledoitdésormaisavoirlechoix,ellequinel’apaseujusqu’àprésent.LachlanMcInnissemblaitimpressionné.—Vousmeplaisez,mongarçon. Jepensequevousserezunbonmaripourmafille,etdites-vous
bienquejen’accepteraispaslepremiervenu.—Jeveilleraisurellechaquejourdemavie,affirmaBowenaveccalme.Personnenel’aimeraplus
quemoi.—Àpartsesparents,vousvoulezdire,rectifiaLachlan,unbrinmoqueur.Maisjevouscrois,ajouta-
t-il.Etilestévidentqu’ellevousaime.Àprésent,ilyacertaineschoses–deschosesimportantes–dontnousdevonsdiscuter.
—Jevousécoute.
—Genevieveestmonuniqueenfantetmonhéritière.Quandelledeviendra laird,elleaurabesoind’unmarisolideàsescôtés.Pourrez-vousvoussatisfairedecela?
Plissantlesyeux,Bowenseredressasursachaise.—Sivousmedemandezsijechercheraisàsapersapositionouàprendrelesrênesàsaplace,la
réponseestnon.JeneveuxqueGenevieve.Ellemesuffit.Ellemesuffiratoujours.Lelairdhochadenouveaulatête.—Encoreunechose,mongarçon.Êtes-vousprêtàpasserleprintempsetl’étéauseindemonclan
pourformeretentraînermeshommesafinque,lorsqueGenevieveseralaird,elleaitunvraichefàsescôtéspourl’épauler?
Bowenlaissaéchapperunsoupir.Iln’avaitmêmepassongéàcettepossibilité.IlavaitacceptédedirigerlesMcHughaunomdesonfrère,etmêmesicelaavaitétéquetemporaire,ilenavaitétélechef.Maisiln’avaitjamaisenvisagéquoiquecesoitdepermanent.
CequeproposaitlelairdMcInnisn’étaitpasàprendreàlalégère.Celasignifiaitqu’ildevraitquittersonpropreclan.Sonfrère,àquiildevaitloyauté.
MaispourGenevieve?Pourl’avoircommefemme.Pourvivre,l’aimeretéleverleursenfants.Oui,ilferaitn’importequoi.
IlsetournaversGraeme.—Situmedemandescequej’enpense,jediraiquelechoixt’appartient,fitGraemeenréponseàsa
questionmuette.Maissachequejetesoutiendraiquoiquetudécides.Tunousmanquerasbeaucoup,maisc’estaussiunebelleopportunitéquit’estofferte,enplusd’êtreaveccellequetoncœurachoisie.Àtaplace,jen’hésiteraispasuneseconde.
—Genevieveresteraicijusqu’aprèslanaissancedel’enfant,enchaînaMcInnis.Maisauprintemps,quandlebébéetelleserontenétatdevoyager,j’aimeraisquevousveniezàlamaison.
—Enavez-vousparléàGenevieve?demandaBowen.Est-elled’accord?Lachlansemitàrire.—Vousnesongezvraimentqu’àsesintérêtsetàsonbonheur.Unpèrenepeutrêvermeilleurmari
poursafille.Oui,j’enaiparléàGenevieve.Etellepartagevotreétatd’esprit.Toutcequicomptepourelle,c’estquevoussoyezensemble.
Bowens’autorisaenfinàsedétendre.C’étaitpresquetropbeaupourêtrevrai.—Ehbien,ilsembleraitquenousayonsunmariageàpréparer,déclaralelairdMcInnis.Jevaisfaire
prévenirmafemme,quin’apaspunousaccompagnercarelleétaitsouffrantelematindenotredépart.Sicelavousconvient,jeresteraiicijusqu’àcequ’ellesoitenétatdenousrejoindre.Jeneveuxpasd’unecérémonieàlava-vite,commesij’avaishontedemafille.Ceseraunecélébrationmémorable.
Graemeacquiesça.—Jenepuisqu’êtred’accord.Evelineseraravied’organiseruntelévénement.Ceseravraimentun
grandmomentdejoie.Monfrèreabeaucoupsouffertdel’absencedeGenevieve.Moiaussi,jeveuxlevoirheureuxetcélébrersabonnefortune.
LelairdMcInniséclataderire.—Entrema fille qui étaitmalade à cause du bébé et sa volonté de revoirBowen au plus tôt, ce
n’étaitpassimplecheznousnonplus.—Malade?répétavivementBowen.Genevieveaétémalade?—Cen’étaitriendeplusquecequeviventlaplupartdesfemmesdanssonétat.Jemesouviensdela
miennequandelleportaitGenevieve:ilafalluqu’oninstalledespotsdechambredanstouteslespièces.Onnesavaitjamaisquandelleallaitvomir.Nevousinquiétezpas,Genevieveestforteetenbonnesanté,etmaintenantqu’elleestavecvous,ellenepourraallerquemieux.
Bowenprituneprofonde inspirationet regardadroitdans lesyeux l’hommequiallaitdevenir sonpèreparalliance.
—Jesaisquecen’estpasfacilepourvousdevousséparerdeGenevievealorsquevousvenezàpeinede laretrouver.Mais jevousprometsque jeferai toutcequiestenmonpouvoirpour larendreheureuseetquejeveilleraiàcequ’ellenemanquejamaisderien.
Lelairdeutunsourireunpeutriste.—Voussouvenez-vousdelaraisonpourlaquellevousavezacceptédelaperdre?Bowenfronçalessourcils.—Jevoulaislemeilleurpourelle.Jevoulaisqu’ellesoitheureuse.—Samèreetmoivoulonslamêmechose.Genevievem’assurequ’elleseraheureuseavecvous,je
neregrettedoncpasdelalaisserpartir.Jesaisqu’elleseraaiméeetchoyée.C’esttoutcequicompte.Lelairdlevasongobeletpourporteruntoast,puis:—Jevousairetenuloindemafilleassezlongtemps.Nousauronstoutletempsdeparleraucours
desjoursàvenir.Allezdonclaretrouver.
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GenevieveessayaitdeseconcentrersurcequedisaientEvelineetRorie,maisellenecessaitdejeterdescoupsd’œilalentour,guettantleretourdeBowen.Elleavaitétéséparéedeluisilongtemps,qu’ellenesouhaitaitplusqu’unechose:seloverdanssesbrasetnepaslesquitterpendantaumoinsunmois.
EvelineetRoriel’avaiententraînéejusqu’àl’endroitoùelleavaitfabriquéunecibledefortuneafinde luimontrer leursprogrèsau tirà l’arc.Elles’étaitmontréeconvenablement impressionnéepar leuradresseavantdesubirundélugederemerciementsdeleurpart.
Tout était si parfait qu’elle redoutait de se réveiller dans le château desMcHugh et de se rendrecomptequetoutcelan’avaitétéqu’unrêve.
—VoilàBowen,annonçaRorie.Genevievefitvolte-faceet,sansunmot,semitàcourirau-devantdelui.Pourladeuxièmefoisdela
journée,ellesejetadanssesbras.Ill’embrassaàperdrehaleine,puisl’ayantreposéesurlesol,illaconsidérad’unairmoqueur.—Ilvafalloirquetuarrêtesdetejeterainsiàmatête.Penseaubébé.Ellesourit.—Tuasparléàmonpère?—Oui.Elleattenditlasuite.Commeilcontinuaitàsetaire,elleluiflanquauneclaquesurlebrasavantdele
pincerpourfairebonnemesure.—Ehbien, raconte ! Jemeursd’enviede savoircequ’il t’adit.Tun’aspas ledroitdeme faire
attendreainsi!Ilrit, l’enlaçadenouveaupourdéposerunepluiedebaiserssursonnez,sesyeux,sonfrontetses
jouesavantdes’emparerdeseslèvres.—Jet’aime,murmura-t-ilquandil l’eutembrasséetoutsonsoûl.Jenemelasseraijamaisdetele
dire,alorsautanttefaireuneraison.—Jenemefatiguerai jamaisde te l’entendredire,alorsautant te faireuneraison, répliqua-t-elle,
mutine.Àprésentraconte-moi.Illuipritlamainetl’entraînaàsasuite,loindeRorieetd’Evelinequilesregardaientenriant.—Ilm’aditqu’ildésiraitquenousrésidionsauchâteauMcInnislamoitiédel’année.Elleledévisageaavecanxiété.—Celatedérange?Ils’immobilisa,setournaverselleetluipritlesmains.—Genevieve,jesuisprêtàallervivreenenfersixmoisparansic’estpourêtreavectoi.Unejoieimmensel’envahit.—Ehbien,j’espèrequesixmoischeznousneteparaîtrontpasunenfer,letaquina-t-elle.
—Tantquejeseraiavectoi,ceseraleparadis.—Oh,Bowen,ilfautquetucessesdediredeschosespareilles!Celamefaitpleureretjesuisdéjà
trèsémotiveàcausedubébé.Mamèreditquec’estnormal,mais ilyadesjoursoùj’ai l’impressiond’êtreuneréservedelarmesambulante!
Ilritetl’embrassasurlenez.—Lemariageauralieuicidèsquetamèreseraenétatdenousrejoindre.Nouspasseronsl’hiverau
châteauMontgomerypuis,unefoisquelebébéserané,auprintemps,nousretourneronscheztesparents.Genevievesemorditlalèvre,hésita,puis:—Celat’ennuie-t-ilquemonpèreveuillequejedeviennelelairddemonclanetqu’ilcomptesurtoi
pourm’aideràtenirmonrôle?—Es-tuentraindemedemandersicetteperspectivem’inquiète?—Ilyadeshommesquineleprendraientpastrèsbien,fit-elleremarquer.Rejetantlatêteenarrière,iléclataderire.—Petite,mêmesituétaislareined’Angleterre,celameseraitégal.Tantquetuesmafemme,jeme
moquedureste.Tuesforteetcourageuse,etjenepuisimaginermeilleurlaird.Situcrainsquejenemesentemenacédansmavirilité,tutetrompes.Jetelaisseraimeconduiredansnotrechambredetempsàautre,histoirequetumemontresquejetesersencoreàquelquechose.
Elles’esclaffaetl’étreignit,auborddeslarmes.Deslarmesdebonheur.—Jet’aime,BowenMontgomery,etjet’aimeraitoujours,mêmequandnousauronslescheveuxgris.
Chaque jour qui passe, je remercie Dieu que tu sois venum’arracher à cet enfer. Tum’as appris cequ’étaitl’amour,levrai,etgrâceàtoi,lemoindredemessouvenirsestbaignédelumière.
Illuicaressalescheveux.—Nousnousfabriqueronsdenouveauxsouvenirs,monamour.Chaquejour jusqu’à lafindenotre
vie.Etquandnousseronsvieux,nouspourronsraconterl’histoiredelafillequiatriomphéd’épreuvesinsurmontablespourdevenirlelairdleplusféroced’Écosse.