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OubliPartie 1

Retrouvez Obsidienne du point de vue de Daemon Black…

Du même auteur aux Éditions J’ai lu

JEU DE PATIENCE

JEU D’INNOCENCE

JEU D’INDULGENCE

JEU D’IMPRUDENCE

JEU D’ATTIRANCE

LUX

1 – Obsidienne2 – Onyx3 – Opale

4 – Origine5 – Opposition

OBSESSION

JENNIFER L. ARMENTROUT

LUX-1.5

OubliPartie 1

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Amélie Sarn

Titre original OBLIVION

A LUX NOVEL

Éditeur original Entangled Publishing, LLC.

© Jennifer L. Armentrout, 2015 Tous droits réservés

Pour la traduction française © Éditions J’ai lu, 2017

Ce livre est dédié à tous les fans de Daemon Black qui voulaient le garder encore un peu.

Régalez-vous.

Remerciements

Quand on m’a demandé d’écrire Oubli, j’ai tout de suite pensé que c’était une merveilleuse occasion d’offrir aux fans de Lux un peu plus de Daemon. Je n’avais pas l’intention d’écrire Onyx et Opale par la suite, mais c’est pourtant ce qui s’est produit. À présent, vous avez plus qu’un avant-goût de ce qui se passe dans la tête de Daemon. Vous réfléchissez carrément avec lui.

Il faut vraiment beaucoup de gens pour publier un livre. Un énorme merci aux personnes suivantes pour avoir rendu cette aventure possible  : Kevan Lyon, Liz Pelletier, Meredith Johnson, Rebecca Mancini, Stacy Abrams et l’équipe d’Entangled Publishing. Merci à K.P. Simmon et à mon assistante/meilleure amie, Stacey Morgan. Un merci tout particulier à Vilma Gonzalez pour m’avoir aidée tout au long de mon travail sur Oubli.

Rien de tout cela n’aurait été possible sans vous, mes lecteurs. Ce livre existe grâce à vous. Je ne pourrais jamais assez vous remercier.

Chapitre premier

Sous mon apparence réelle, je courais en silence entre les arbres, sur l’herbe épaisse et les pierres couvertes de mousse. J’étais si rapide qu’un œil humain ne pouvait dis-tinguer qu’une vague forme mouvante.

Venir d’une planète située à plus de treize  milliards d’années-lumière était parfois assez génial.

Je doublai sans peine une voiture électrique qui remontait la route vers chez moi.

Je ne comprenais toujours pas comment ces engins fonc-tionnaient. Et celui-là tirait derrière lui une remorque !

Enfin, bref.Je ralentis et repris ma forme humaine tout en restant

dans l’ombre des chênes. La voiture s’arrêta devant la mai-son vide qui se trouvait juste à côté de la mienne.

— Merde ! Des voisins !Une femme sortit du côté conducteur. Elle avait sans

doute la quarantaine. Elle se pencha pour s’adresser à quelqu’un assis à l’intérieur. Elle rit et lança :

— Allez, viens.Sans attendre, la femme referma la portière et gravit d’un

pas léger les marches du perron.Ce n’était pas normal. Cette maison était censée rester

vide. Toutes les maisons du lotissement étaient censées res-ter vides. Vides d’humains, en tout cas. Cette route était le portail d’entrée et de sortie de la colonie Luxen au pied des rochers de Seneca et il était inconcevable que cette maison ait pu être mise en vente sans que ces crétins en costume de la Défense ne soient au courant.

C’était tout simplement impossible.

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Des étincelles d’énergie pure parcoururent ma peau et le désir de reprendre ma forme originelle m’envahit. J’étais très agacé. Notre maison était le seul endroit où nous pou-vions être nous-mêmes sans craindre à chaque instant d’être démasqués. Les connards du département de la Défense le savaient pertinemment.

Je serrai les poings.Vaughn et Lane, mes deux baby-sitters personnels appoin-

tés par le gouvernement, avaient forcément été informés de cette invasion. Ils avaient dû oublier de me prévenir.

La portière côté passager de la Prius s’entrouvrit. Une silhouette s’extirpa du véhicule. Au départ, je ne distinguais pas ses traits, mais elle dépassa l’avant de la voiture.

— Merde !C’était une fille.Elle devait avoir à peu près mon âge, peut-être un an de

moins. Elle tourna lentement sur elle-même pour observer la forêt qui bordait les pelouses des deux maisons. On aurait dit qu’elle craignait qu’un puma enragé ne lui saute dessus.

Elle se dirigea vers le porche d’un pas hésitant, comme si elle n’était pas encore tout à fait sûre de vouloir entrer. La femme – sans doute sa mère, car elles avaient toutes deux la même chevelure sombre – avait laissé la porte ouverte. La fille s’arrêta sur le seuil.

Je m’avançai sans m’éloigner de la lisière de la forêt et  sans la quitter des yeux. Elle était de taille moyenne et d’allure extrêmement banale avec ses cheveux châtain foncé noués en un chignon désordonné sur la nuque, son visage rond et pâle, ses formes ni trop généreuses ni trop longi-lignes –  rien à voir avec ces filles maigrichonnes que je détestais  – et ses… Bon, tout compte fait, elle n’était pas si banale que ça. Je ne pus m’empêcher de bloquer sur ses jambes, entre autres…

Bon sang, elles étaient incroyables !Elle fit volte-face vers la forêt et croisa les bras juste

au-dessous de sa poitrine.Tiens, encore une partie de son corps qui ne passait pas

inaperçue.

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Elle scruta la ligne des arbres et son regard s’arrêta… juste là où je me tenais. Je desserrai les poings tout en restant parfaitement immobile. Elle me fixait.

Sauf qu’il était impossible qu’elle me voie. L’obscurité de la forêt me dissimulait parfaitement.

Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’elle ne décroise les bras et se retourne vers la maison. Elle y entra, laissant la porte ouverte derrière elle.

— Maman ?Au son de sa voix, je penchai la tête sur le côté. Elle

n’avait pas d’accent qui aurait pu m’indiquer d’où elle venait.En tout cas, elles n’étaient pas très prudentes, car ni l’une

ni l’autre ne pensa à refermer la porte. Cela dit, dans cette région, la plupart des humains se sentaient en sécurité. Après tout, la ville de Ketterman, située près de Petersburg, en Virginie-Occidentale, était hors des sentiers battus. La police passait plus de temps à rattraper les troupeaux de vaches qui s’échappaient ou à s’inviter aux fêtes de village qu’à traquer le crime.

Pourtant, les humains avaient la sale habitude de dispa-raître sans laisser de traces par ici.

Pas seulement les humains, d’ailleurs. Dawson…Quand je songeais à mon frère, la colère bouillonnait en

moi comme la lave d’un volcan prêt à entrer en éruption. Il n’était plus là. Il était mort. Par la faute d’une humaine. Et voilà qu’une autre humaine s’installait juste à côté de chez moi.

Nous devions prendre l’apparence des humains, nous fondre parmi eux et agir comme eux, mais lorsque l’un d’entre nous s’approchait trop près d’eux, cela se terminait toujours en tragédie, par une mort ou une disparition.

J’ignore combien de temps je restai là, à fixer la maison. La fille finit par réapparaître. Tiré de mes sombres pensées, je la vis marcher vers la remorque. Elle sortit une clé de sa poche et ouvrit le hayon.

Du moins, elle essaya.Pendant une éternité, elle se battit avec la serrure, puis

avec le levier d’ouverture. Elle était écarlate et pinçait les lèvres : on aurait dit qu’elle allait réduire le tout en miettes.

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Bon sang, il ne fallait quand même pas si longtemps pour ouvrir une remorque… Ça devenait un véritable marathon. J’étais presque tenté d’aller l’aider.

Enfin, après un temps infini, elle réussit et déploya la rampe. Elle disparut à l’intérieur et réapparut avec un car-ton. Je la regardai le porter dans la maison. Puis elle revint pour en chercher un autre. À son visage, on aurait juré qu’il était plus lourd qu’elle.

Même d’où j’étais, je voyais ses bras trembler. Je fermai les yeux, agacé par… je ne sais pas ! Tout m’agaçait. Elle était maintenant au pied des marches et je savais déjà qu’elle serait incapable de les gravir sans tomber et se rompre le cou.

Je haussai les sourcils.Voilà qui résoudrait une bonne partie de mes problèmes

de voisinage.Elle posa un pied sur la première marche et vacilla légè-

rement. Elle leva l’autre pied qui se cala sur la deuxième marche. Mon estomac gargouilla. J’avais faim, malgré les dix pancakes avalés à peine une heure plus tôt.

Elle était presque sur le palier. Elle ne s’en sortait pas si mal. Si elle tombait, elle ne se casserait sans doute qu’un bras. J’étais malgré moi assez impressionné par sa déter-mination. Alors qu’elle chancelait dangereusement, je mar-monnai une série de jurons particulièrement vulgaires et levai la main.

Tout en visant le carton, je puisai dans la Source. Je me concentrai et la soulageai d’une partie du poids dans ses bras. Elle s’immobilisa comme si elle avait remarqué le changement, puis elle entra dans la maison en secouant la tête.

Je baissai lentement la main, choqué par ce que je venais de faire. Certes, elle ne risquait pas de deviner ce qui s’était passé, mais bon sang, c’était complètement stupide de ma part.

Il y avait toujours un risque d’être découvert lorsqu’on utilisait la Source, même pour un acte aussi insignifiant.

La fille revint sur le perron, le rose aux joues, et repartit vers la remorque en s’essuyant les mains sur son short en

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jean. Une nouvelle fois, elle en sortit avec un carton de la mort dans les bras. Où était sa mère ?

La fille trébucha et en tombant le carton émit un son cristallin. Aïe, de la verrerie !

Il faut croire que je participais au concours du plus gros crétin de l’univers, car je restai là, affamé, à l’aider à porter ses cartons les uns après les autres sans qu’elle le sache.

Quand (elle) nous avons eu fini de transporter tout le contenu de la remorque dans la maison, j’étais épuisé, mort de faim et sûr et certain d’avoir suffisamment tapé dans la Source pour avoir gagné un aller simple pour un laboratoire d’expérimentation où des chercheurs humains passeraient des jours à me disséquer le cerveau. Je me suis traîné jusque chez moi et je suis rentré sans bruit. J’étais seul ce soir-là et trop fatigué pour préparer à manger. Je me suis contenté d’avaler un demi-litre de lait directement au carton avant de me laisser tomber sur le canapé.

Ma dernière pensée a été pour cette voisine encombrante et j’ai imaginé un plan génial pour ne jamais la revoir.

La nuit était tombée et d’épais nuages noirs bloquaient la lueur des étoiles et de la lune. J’étais invisible. Ce qui était probablement une bonne chose.

En effet, je me tenais devant la maison voisine et une fois de plus on aurait dit un cinglé dans un thriller. Mon plan génial pour ne jamais revoir la fille aux cartons ne risquait pas de fonctionner.

Ça devenait une sale habitude. J’avais essayé de me convaincre que cette surveillance était nécessaire. Je devais en savoir plus sur elle avant que Dee, ma sœur jumelle, ne la croise et ne décide de devenir sa meilleure amie. Dee était ma seule famille à présent et j’étais prêt à tout pour la protéger.

Je jetai un coup d’œil vers chez moi en poussant un soupir agacé. Est-ce que ce serait si terrible si, je ne sais pas, si je brûlais la maison des voisins ? Promis, je ne laisserais pas mourir les humains à l’intérieur. Ce ne serait pas si grave. Et du coup, plus de maison, plus de problème.

Ça me semblait assez simple.

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Je ne voulais pas de problèmes supplémentaires. Ni moi ni aucun d’entre nous.

Malgré l’heure tardive, une lumière était allumée dans l’une des chambres à l’étage. Je savais que c’était sa chambre parce que quelques minutes plus tôt, j’avais vu sa silhouette passer devant la fenêtre. Malheureusement, elle était habillée.

J’étais déçu et je ressemblais encore plus à un cinglé.Pas de doute, cette fille posait un problème, mais toutes

mes fonctions viriles étaient activées et parfois elles me faisaient oublier l’essentiel.

Avoir quelqu’un à côté de chez nous, une fille du même âge que nous, était tout simplement trop risqué. Elle n’était arrivée que deux jours plus tôt et il ne faudrait pas long-temps à Dee pour la repérer. Elle m’avait déjà demandé une ou deux fois si j’avais croisé les nouveaux voisins, si je savais à quoi ils ressemblaient. Je m’étais contenté de répondre avec un haussement d’épaules que c’étaient sans doute des retraités venus s’installer à la campagne, mais je savais que je ne pourrais pas contenir beaucoup plus longtemps la sociabilité naturelle de ma sœur.

En parlant du loup…— Daemon… murmura une voix depuis l’ombre de mon

porche. Qu’est-ce que tu fabriques ?J’hésite à réduire la maison des voisins en cendres la

prochaine fois qu’ils s’absenteront pour faire des courses, qu’est-ce que tu en penses ?

Non, il valait mieux que je garde ces considérations pour moi.

Je me retournai en soupirant et rejoignis Dee sur le perron. Les graviers crissaient sous mes chaussures. Ma sœur était appuyée contre la rambarde, les yeux fixés sur la maison d’à côté. Elle plissait le nez pendant qu’une brise soulevait ses longs cheveux noirs.

Je fis un gros effort pour marcher à une allure normale. Habituellement, je ne prenais pas cette peine. Quand j’étais chez moi, je me déplaçai à la vitesse de la lumière. Mais avec les nouveaux voisins, il était préférable de faire attention. Je devais reprendre l’habitude de me comporter comme un être humain.

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Je m’appuyai à la rambarde, face à ma sœur et dos à la maison des voisins, comme si elle n’existait pas.

— Je faisais juste ma ronde.Dee haussa un sourcil. Son regard émeraude –  nous

avions tous les deux les yeux de la même couleur  – était sceptique.

— Ah oui ? On ne dirait pas.Je croisai les bras sur ma poitrine.— Comment ça ?— On aurait plutôt dit que tu surveillais la fenêtre de la

maison d’à côté.— Tu crois ça ?Dee fronça les sourcils.— Alors, tu les as vus ?Dee avait passé les deux derniers jours chez les Thompson,

ce qui était une bonne chose, même si la savoir là-bas avec Adam, un extraterrestre de notre âge, ne me rendait pas super serein. Quoi qu’il en soit, elle n’avait pas encore rencontré nos nouveaux voisins. La connaissant, quand elle allait découvrir qu’il s’agissait d’une jeune fille humaine, elle réagirait comme si elle avait trouvé un chaton abandonné.

Mon silence la fit soupirer.— D’accord, il faut que je devine ?Je haussai les épaules.Elle s’appuya contre la rambarde, le cou tendu, les yeux

écarquillés, comme si elle pouvait voir à travers les murs. On possédait quelques pouvoirs plutôt sympas, mais pas la vision à rayon X.

— Ce ne sont pas des Luxens, s’exclama-t-elle soudain. Ce sont des humains !

Évidemment, elle l’aurait senti s’ils avaient été de la même espèce que nous.

— Oui, dis-je, ce sont des humains.Elle secoua la tête.— Comment c’est possible ? Ils savent qui nous sommes ?Je repensai à la fille qui se débattait avec ses cartons

deux jours plus tôt.— Je dirais que non.

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— C’est trop bizarre, pourquoi la Défense les laisserait s’installer ici ?

Mais elle ajouta immédiatement :— Peu importe. J’espère qu’ils sont gentils.Je fermai les paupières. Évidemment, Dee n’était pas

inquiète, même après ce qui était arrivé à Dawson. Tout ce qui comptait pour elle, c’était qu’ils soient gentils. Le danger que représentait pour nous la proximité de ces humains ne lui traversait même pas l’esprit. Ma sœur était du genre à adorer les licornes qui vomissent des arcs-en-ciel.

— Comment sont-ils ? demanda-t-elle, déjà tout excitée.— Je ne sais pas, mentis-je en rouvrant les yeux.Elle se détacha de la rambarde en pinçant les lèvres. Puis,

frappant dans ses mains, elle me dévisagea. Nous faisions presque la même taille et ses yeux verts pétillaient d’en-thousiasme.

— J’espère que c’est un garçon !Je serrai la mâchoire. Elle rit.— Oh ! Peut-être que c’est une fille de mon âge ! Ce serait

génial !Et merde !— Ça rattraperait notre été, surtout que tu sais comment

Ash se comporte en ce moment…— Non, je ne sais pas.Elle leva les yeux au ciel.— Ne fais pas l’innocent. Tu sais très bien pourquoi elle

est aussi câline qu’un grizzly. Elle espérait que vous passe-riez l’été ensemble à…

— … baiser ? l’interrompis-je pour la faire râler.— Ah ! Mais tu es dégoûtant ! Ce n’est pas du tout ce

que je voulais dire.Elle frissonna et je dissimulai à peine mon sourire en me

demandant si Ash lui avait raconté nos parties de jambes en l’air. Même si ce n’était pas arrivé depuis un moment. Ni même très souvent. Mais quand même.

— Non, elle se plaint que tu ne l’emmènes pas là où tu avais promis.

Je n’avais aucune idée de ce dont elle parlait.

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— En tout cas, reprit-elle, j’espère que les nouveaux voi-sins sont cool.

Comme un hamster sur sa roue, le cerveau de Dee ne cessait jamais de tourner.

— Je pourrais peut-être aller les v…— Ne termine pas cette phrase, Dee. Tu ne sais ni qui

ils sont ni pourquoi ils sont là. Tu gardes tes distances.Les mains sur les hanches, elle plissa les paupières.— Comment veux-tu qu’on en apprenne plus sur eux si

on garde nos distances ?— Je les surveillerai et je te dirai si tu peux leur parler.— Je n’ai aucune confiance en ton jugement concernant

les humains, Daemon.Elle me jeta un regard noir.— Et moi, je n’ai aucune confiance en ton jugement,

rétorquai-je. Pas plus que je n’avais confiance en celui de Dawson.

Dee recula d’un pas et prit une profonde inspiration. La colère disparut de son visage.

— D’accord, je comprends pourquoi…— Ne parlons pas de ça. Pas ce soir.Je me passai la main dans les cheveux. J’avais besoin

d’aller chez le coiffeur.— Il est tard et je dois encore faire une ronde avant

d’aller me coucher.— Encore une ? Tu crois que… qu’il y a des Arums dans

le coin ? murmura-t-elle.Je secouai la tête. Je ne voulais pas qu’elle s’inquiète, mais

en vérité, il y avait toujours des Arums pas loin. Ils étaient nos seuls prédateurs naturels et déjà nos ennemis à l’époque où notre planète existait encore. Comme nous, ils n’étaient pas terriens et sur de nombreux aspects, ils étaient nos exacts opposés, en termes d’apparence, mais aussi de pouvoirs. Contrairement à eux, nous n’étions pas des tueurs. Pour pui-ser dans la Source, ils se nourrissaient des Luxens dont ils prenaient la vie. Un peu comme des parasites sous stéroïdes.

Les Anciens nous racontaient souvent que lorsque l’uni-vers s’est formé, notre planète était faite de lumière pure. Les Arums, qui vivaient dans l’ombre, en sont devenus jaloux et

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c’est ainsi que la guerre entre nos peuples a débuté. Elle a pris la vie de nos parents et détruit l’endroit où nous vivions.

Les Arums nous ont suivis jusqu’ici, en utilisant des vais-seaux atmosphériques pour voyager sans se faire repérer.

À chaque pluie de météorites ou d’étoiles filantes, j’étais à cran. Les Arums profitaient souvent de ces phénomènes.

Les combats étaient rudes. On pouvait les éliminer en puisant directement dans la Source ou en utilisant une lame d’obsidienne. Cette pierre leur était fatale particulièrement après qu’ils s’étaient nourris, car elle fractionnait la lumière. Pour en trouver, ce n’était pas simple, mais j’essayais d’en avoir toujours une sur moi, généralement attachée à ma cheville. C’était aussi le cas pour Dee.

On ne savait jamais quand on allait en avoir besoin.— C’est juste histoire de rester vigilant, dis-je en essayant

de la rassurer.— Tu es toujours vigilant, répliqua-t-elle.Je lui adressai un sourire un peu crispé. Elle hésita avant

de se mettre sur la pointe des pieds pour m’embrasser sur la joue.

— Tu as beau être un emmerdeur et un tyran, je t’aime quand même. Ne l’oublie pas.

Je ris en l’enveloppant dans mes bras pour une brève étreinte.

— Tu as beau être une pipelette assommante, moi aussi je t’aime.

Dee recula en me frappant sur le bras.— Ne rentre pas trop tard, me lança-t-elle.J’acquiesçai et la regardai rentrer à toute vitesse dans la

maison. Dee ne faisait jamais rien lentement. Dans notre fratrie, elle avait toujours été la volontaire, l’énergique. Dawson était le décontracté, celui qui trouvait toujours tout cool. Et moi… je ne pus réprimer un sourire… moi, j’étais l’emmerdeur.

Nous avions tous les trois le même âge.Maintenant, il n’y avait plus que Dee et moi.Je restai un long moment à fixer la porte derrière laquelle

ma sœur avait disparu. Elle était la seule personne sur cette planète qui comptait pour moi. Je me retournai vers la

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maison voisine. Inutile de me voiler la face  : dès que Dee saurait qu’une fille de son âge vivait à côté, elle se mettrait à la suivre partout comme un petit chien. Et personne ne pou-vait résister à ma petite sœur. Dee était un rayon de soleil.

Nous vivions parmi les humains, mais pour tout un tas de raisons nous devions éviter de nous mêler à eux. Il était hors de question que je laisse Dee commettre la même erreur que Dawson. Je l’avais laissé tomber. Ce ne serait pas le cas avec Dee. Je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour la protéger. Tout.

Chapitre 2

Le front appuyé contre la vitre, je jurai à voix basse. J’étais encore en train de fixer cette foutue baraque. J’attendais. J’aurais pu faire des trucs beaucoup plus constructifs, comme me taper la tête contre le mur, ou écouter Dee me décrire en détail – dans les moindres détails, même – chaque musicien de ce groupe qu’elle adorait.

Me forçant à me détacher de la fenêtre, je bâillai en me frottant la joue. Cela faisait trois jours et je n’arrivais toujours pas à me faire à l’idée que des humains avaient emménagé dans la maison d’à côté. Ça pourrait être pire, décidai-je. Si cette nouvelle voisine avait été un voisin, j’aurais été obligé d’enfermer Dee à double tour dans sa chambre.

Elle aurait aussi pu avoir des allures de garçon manqué. Mais ce n’était pas le cas, loin de là. Elle était banale, c’est ce que je m’appliquais à me répéter, mais elle n’avait rien d’un mec.

J’allumai la télé d’un geste de la main et je commen-çai à zapper jusqu’à ce que je tombe sur une rediffusion du film Ghost Investigators. Je l’avais déjà vu, mais c’était toujours drôle de voir des humains se mettre à courir dans tous les sens parce qu’ils croyaient avoir aperçu une lueur paranormale. Je m’allongeai sur le canapé en essayant de ne pas penser à la fille banale aux jambes de folie et au cul de déesse.

Je ne l’avais vue que deux fois.Le jour où elle avait emménagé, quand je l’avais aidée

comme un crétin. Je méritais un bon gros coup de pied dans les testicules pour ça. Bien sûr, elle ne savait pas que je

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l’avais soulagée d’une grande partie du poids de ses cartons pour éviter qu’elle ne tombe dans l’escalier, mais j’aurais mieux fait de m’abstenir.

Je l’avais vue une seconde fois hier. Elle sortait une pile de livres de la voiture de sa mère. Elle avait un tel sourire qu’on aurait dit qu’elle tenait des lingots d’or dans ses bras. J’avais trouvé ça super mignon… Hein ?! Qu’est-ce que je raconte ? Ça n’avait rien de mignon du tout !

Bon sang, il faisait chaud dans la maison. Je retirai mon tee-shirt pour être plus à l’aise et je le jetai plus loin avant de me frotter le torse. Je passais mon temps torse nu depuis qu’elle était dans les parages.

D’ailleurs, je ne l’avais pas vue deux fois, mais trois en comptant hier soir, par la fenêtre.

Bordel ! Il fallait que je fasse quelque chose pour m’occuper. Un truc physique, pour éviter de gamberger.

Sans même m’en rendre compte, je m’étais levé et dirigé vers la fenêtre. Encore. Pourquoi ? Je ne voulais pas y penser.

J’écartai le rideau. Je n’avais jamais adressé la parole à cette fille et j’étais encore en train de me comporter comme un gros voyeur, à attendre… quoi ? De l’apercevoir ? Ou alors c’était une façon de mieux me préparer à l’inévitable rencontre.

Si Dee m’avait vu, elle se serait roulée par terre en hur-lant de rire.

Et si Ash m’avait vu, elle m’aurait arraché les yeux avant de propulser la nouvelle voisine dans l’espace. Ash et ses frères étaient arrivés de Lux à peu près en même temps que nous. Notre relation reposait plus sur la proximité que sur de véri-tables sentiments. Même si cela faisait des mois qu’on ne sortait plus ensemble avec Ash, je savais qu’elle pensait qu’on finirait par faire notre vie ensemble. Non pas parce qu’elle en avait réellement envie, mais parce que… c’est ce qu’on atten-dait de nous… alors, ça ne lui plairait certainement pas de me voir avec quelqu’un d’autre. Quoi qu’il en soit, j’avais beaucoup d’affection pour elle. Elle et ses frères avaient toujours été là.

Un mouvement attira mon attention. Le portail de la mai-son voisine se refermait.

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Merde.Elle descendait les marches d’un pas vif.Où pouvait-elle aller ? Il n’y avait rien à faire par ici et

elle ne connaissait personne. Aucune voiture n’était passée ces trois derniers jours, à part celle de sa mère, qui semblait se balader à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.

Elle s’arrêta devant sa voiture et s’essuya les mains sur son jean. Un léger sourire se dessina sur mes lèvres.

Et soudain, elle opéra un quart de tour. Je me raidis et serrai le rideau dans mon poing. Non, elle ne venait pas ici. Elle n’avait aucune raison de venir ici. Dee ne savait même pas qu’elle existait. Aucune raison…

Bon sang ! Elle venait ici !Je lâchai le rideau et m’éloignai de la fenêtre avant de

me tourner vers notre porte d’entrée. Je fermai les yeux et comptai les secondes en essayant de me rappeler les leçons importantes apprises aux dépens de Dawson. Les humains étaient des êtres dangereux. En les fréquentant, nous courions un risque et nous laissions inévitablement sur eux des traces de la Source. Et comme Dee tenait à tout prix à devenir amie avec tout ce qui respirait, cette fille en premier lieu était un danger. Je n’aurais aucun moyen de contrôler le temps qu’elles passeraient ensemble.

Et puis, il y avait aussi ce que j’éprouvais… Ça pourrait devenir un problème.

Je serrai de nouveau les poings.Ma sœur ne connaîtrait pas le même sort que Dawson.

Je ne supporterais pas de la perdre et c’était une humaine qui avait été la cause de la mort de mon frère. Elle avait mené un Arum droit sur lui. Ces accidents arrivaient par-fois. Ce n’était pas la faute des humains, mais le résultat était toujours le même. Je refusais de laisser qui que ce soit mettre Dee en danger. Inconsciemment ou non. J’attrapai la table basse et la jetai en travers de la pièce. Mais je me repris juste à temps et la rattrapai avant qu’elle ne s’écrase contre le mur. Après une profonde inspiration, je la reposai délicatement à sa place.

Un coup léger et hésitant retentit à la porte. Merde de merde.

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J’expirai lentement par la bouche. N’y va pas. Tout ce que j’avais à faire, c’était rester à ma place et ignorer la pré-sence de la fille à quelques mètres à peine. Je me retrouvai la main sur la poignée avant même d’avoir eu le temps de terminer de penser.

J’ouvris la porte. Une bouffée d’air tiède aux effluves dis-crets de pêche et de vanille me caressa le visage.

J’adorais les pêches. Sucrées et collantes.Je baissai les yeux. Elle était plus petite que je ne l’avais

cru en la regardant de loin. Elle m’arrivait tout juste au niveau de la poitrine. C’est peut-être pour ça qu’elle fixait mon torse. Ou alors, c’était parce que je n’avais pas eu la présence d’esprit de remettre mon tee-shirt.

Je savais qu’elle appréciait le spectacle. C’était le cas de toutes les filles. Ash m’avait dit une fois que c’était la com-binaison de mes cheveux noirs ondulés, de mes yeux verts, de ma mâchoire carrée et de ma bouche charnue qui me rendait si beau. Elle avait employé le terme sexy. J’étais un mec attirant, c’était comme ça.

Étant donné qu’elle était en train de me reluquer sans même prendre la peine de le faire discrètement, je me suis dit que je pouvais en faire autant. Pourquoi pas ? C’est elle qui était venue frapper à ma porte !

Ce n’était pas un canon. Des mèches ni blondes ni châtaines s’échappaient de son chignon ; elle était petite, à peine un petit mètre soixante-dix, pourtant ses jambes paraissaient interminables. Je luttais pour ne pas les fixer du regard.

Je finis par poser les yeux sur son tee-shirt. « Mon blog est mieux que ton vlog », proclamait l’inscription. Qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Les mots « blog » et « mieux » pointaient sacrément en avant…

Il me fallut lutter encore davantage pour détacher mes yeux de sa poitrine.

Elle avait un visage rond, un joli petit nez retroussé et la peau parfaitement lisse. J’étais prêt à parier un million de dollars que ses yeux étaient du marron le plus commun du monde.

C’était complètement fou, mais je sentais ses yeux remon-ter doucement de la taille de mon jean à mon visage, en

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passant par mes hanches, mon ventre et mon torse. Elle prit une brève inspiration qui masqua la mienne.

Ses yeux n’étaient pas marron, mais gris. Grands et ronds, vifs et clairs. Très beaux. Je fus bien obligé de le reconnaître.

Et ça m’agaçait. Toute cette histoire me prenait la tête, de toute façon. Pourquoi est-ce que je la matais ? Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Je fronçai les sourcils :

— Je peux t’aider ?Pas de réponse. Elle continuait de me fixer avec ce regard

qui semblait me supplier de l’embrasser. Une chaleur inop-portune me brûla le creux de l’estomac.

— Allô ? lâchai-je.Ma voix reflétait ma colère, mon agacement, mais aussi

mon désir. Les humains sont faibles, ils nous mettent en dan-ger. Dawson est mort à cause d’une humaine. Une humaine exactement comme celle-là. Voilà ce que je me répétais encore et encore.

Je posai une main sur l’encadrement de la porte et je me penchai en avant.

— Tu sais parler ?J’avais réussi à la tirer de sa contemplation. Ses joues

prirent une teinte rose vif et elle recula d’un pas. Bien. Qu’elle s’en aille. C’est exactement ce que je voulais. Qu’elle tourne les talons et parte en courant. Je me passai la main dans les cheveux avant de brièvement regarder par-dessus son épaule. Elle ne bougea pas d’un centimètre.

Il devenait urgent qu’elle dégage le plancher avant que je fasse un truc idiot. Comme lui sourire parce qu’elle rougis-sait. C’était sexy. Finalement, cette fille n’avait rien de banal.

— À trois, je referme. Un…Le rouge de ses joues s’est intensifié. Bon sang !— Je… je me demandais si tu savais où se trouvait le

supermarché le plus proche. Je m’appelle Katy.Katy. Elle s’appelait Katy. Pour moi, c’était un nom de

chaton. De chaton tout mignon. J’étais en train de délirer grave.

— Je viens d’emménager à côté.Elle fit un geste vers sa maison.— Je sais.

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Ça fait trois jours que je te surveille comme un tueur en série.

— Donc, j’espérais que quelqu’un connaîtrait le chemin le plus court jusqu’au supermarché et aussi un magasin où on vend des plantes.

— Des plantes ?Elle plissa légèrement les paupières pendant que je m’ef-

forçais de garder une expression neutre. Elle tripota le bord de son short.

— Oui, tu vois, il y a un parterre de fleurs juste devant chez moi…

Je haussai un sourcil.— OK.À présent, elle était clairement en colère. Même son cou

s’était empourpré. Je fus pris d’une envie de rire. Je savais que je me comportais comme un connard, mais je m’amu-sais comme un petit fou à la voir s’énerver. Elle retenta courageusement sa chance.

— Donc, il faut que j’aille acheter des plantes…— Pour tes plates-bandes. J’ai bien compris.J’appuyai ma hanche contre l’encadrement de la porte et

je croisai les bras. La situation était décidément de plus en plus amusante. Elle prit une profonde inspiration.

— J’aimerais trouver un magasin où je peux acheter à manger et des plantes.

Elle avait pris ce ton faussement patient que j’utilisais avec Dee vingt fois par jour. Elle était adorable.

— Tu as conscience que cette ville n’a qu’un feu rouge, pas vrai ?

Touché. L’étincelle dans ses yeux s’était transformée en incendie. J’avais de plus en plus de mal à ne pas sourire. Elle n’était plus simplement mignonne, désormais elle était bien plus que cela. Mon estomac se noua. Elle me fixa, incrédule.

— Tu sais, je demandais juste mon chemin. Mais je tombe sûrement à un mauvais moment.

Je songeai soudain à Dawson et l’envie de rire me passa. Fini de jouer. Je devais étouffer cette histoire dans l’œuf. Pour la sécurité de Dee.

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— Si c’est toi qui frappes à ma porte, ce ne sera jamais le bon moment, gamine.

— Gamine ? répéta-t-elle, les yeux écarquillés. Je ne suis pas une gamine, j’ai dix-sept ans.

— Ah oui ?Comme si je n’avais pas remarqué qu’elle était loin d’avoir

le corps d’une gamine ! Mais comme le soulignait régulière-ment Dee, je n’étais vraiment pas quelqu’un de très sociable.

— Tu as l’air d’en avoir douze. Non, peut-être treize. Ma sœur a une poupée qui te ressemble un peu. Avec de grands yeux vides.

Elle en resta bouche bée et je réalisai que j’étais peut-être allé un peu loin. Mais ce n’était pas plus mal. Si elle me détestait, elle ne s’approcherait pas de Dee. Ça marchait avec la plupart des filles. Oui, la grande majorité, même.

— Waouh. Excuse-moi de t’avoir dérangé. Je ne viendrai plus jamais frapper à ta porte, promis.

Elle tourna les talons, mais pas assez vite. J’eus le temps d’apercevoir que ses yeux gris étaient brillants de larmes. Tout en m’insultant mentalement, je ne pus m’empêcher de l’appeler.

— Hé !Elle s’immobilisa sur la dernière marche, mais ne se

retourna pas.— Quoi ?— Prends la route numéro 2 et tourne sur l’U.S.220 vers

le nord, pas le sud. Elle te mènera jusqu’à Petersburg. Le supermarché est au centre-ville. Tu ne peux pas le rater. Enfin si, tu en es peut-être capable. Je crois qu’il y a un magasin de bricolage juste à côté. Tu pourras sans doute y trouver des choses à mettre en terre.

— Merci, marmonna-t-elle avant d’ajouter à voix basse : crétin.

Sans blague, elle venait vraiment de me traiter de crétin ? Pas de connard, non, de crétin. En plus, elle était polie.

— Ce n’est pas très distingué, Kittycat.Cette fois, elle fit volte-face.— Ne m’appelle pas comme ça.J’avais touché un point sensible.

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— C’est mieux que de traiter quelqu’un de crétin, non ? C’était une visite intéressante. J’en garderai un bon souvenir.

Elle serra les poings comme si elle avait l’intention de me frapper. Peut-être que ça m’aurait plu. Il fallait vraiment que je me fasse soigner.

— Tu sais quoi ? Tu as raison. Je n’aurais jamais dû t’ap-peler comme ça. « Crétin », c’est encore trop gentil pour toi.

Elle sourit.— Tu es un connard.— Un connard ?Ah, quand même. Cette fille avait décidément tout pour

elle.— Comme c’est charmant !Elle me montra son majeur dressé. Je m’esclaffai.— Quelle politesse, Kitten ! Je suis sûr que tu as toute

une panoplie de surnoms et de gestes en réserve, mais ça ne m’intéresse pas.

J’étais bien certain qu’elle aurait pu m’abreuver de noms d’oiseaux pendant un moment et une partie de moi fut déçue quand elle s’éloigna à grands pas. J’attendis qu’elle ouvre sa portière et, comme j’étais vraiment un connard, je lui lançai :

— À plus, Kitten !Pendant une seconde, je crus qu’elle allait se jeter sur

moi et me rouer de coups. Je claquai la porte et mon rire s’éteignit dans un grognement. Derrière l’incompréhension et la colère que j’avais fait naître chez elle, j’avais vu de la tristesse. J’avais le cœur serré de lui avoir fait de la peine.

Ce qui était complètement idiot, étant donné que la veille, j’avais songé à mettre le feu à sa maison sans ressentir la moindre once de culpabilité. C’était avant que je lui parle. Avant de savoir que son regard était magnifique et qu’elle respirait l’intelligence.

Quand je me retournai, ma sœur était campée dans le salon devant la télé, les bras croisés. Ses yeux projetaient des éclairs. On aurait dit qu’elle mourait d’envie de me frapper dans les parties intimes. Je lui souris avant de me laisser tomber sur le canapé. J’eus l’impression d’être redevenu un gamin de douze ans.

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— Pousse-toi, je ne vois pas l’écran.— Pourquoi ? lâcha-t-elle.— C’est un super épisode. (Je savais pertinemment qu’elle

ne parlait pas de la série.) Le mec est possédé par une sorte d’ombre ou de…

— Je me fous de ce qui se passe dans ton fichu film, Daemon !

Elle tapa du pied si fort que la table basse trembla. Dee était une spécialiste dans ce domaine.

— Pourquoi t’es-tu comporté de cette façon ?Appuyé nonchalamment contre le dossier, je décidai de

jouer les imbéciles.— Je ne vois pas de quoi tu parles.Dee plissa les paupières. Ses pupilles jetaient mille feux.

On aurait dit des pierres précieuses.— Tu n’avais aucune raison de la traiter de cette façon.

Aucune. Elle est venue pour te demander un renseignement et tu t’es comporté comme le dernier des salauds.

Les yeux pleins de larmes de Katy m’apparurent. Je chassai cette image.

— Je me comporte toujours comme un salaud.— Oui, c’est vrai ! acquiesça Dee. Mais pas toujours à

ce point-là.— Qu’est-ce que tu as entendu ?— Tout !Dee frappa une nouvelle fois du pied. Ce fut au tour de

la télé de vaciller.— Je n’ai pas de poupée avec des yeux vides. Je n’ai pas

de poupée tout court, imbécile.Mes lèvres esquissèrent un sourire, mais il disparut rapi-

dement, car la vision des yeux gris de Katy refaisait surface.— C’est mieux comme ça, Dee. Tu le sais.— Non. Je ne le sais pas et toi non plus.— Dee…— En revanche, toi tu sais ce que je pense, m’interrom-

pit-elle. À savoir que c’est une jeune fille tout à fait normale qui est venue nous poser une question tout à fait normale. Et toi, tu as été horrible avec elle.

Je n’avais certainement pas besoin qu’elle me le rappelle.

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— Et tu l’as fait totalement gratuitement.Gratuitement ? Elle était folle, ou quoi ? À la vitesse de

l’éclair, je me levai du canapé pour me placer face à elle.— Dois-je te rappeler ce qui est arrivé à Dawson ?Dee ne flancha pas. Au lieu de ça, elle leva le menton.— Non, je n’ai pas oublié. Mes souvenirs sont même très

vifs, merci.— Dans ce cas, pourquoi avons-nous cette conversation

stupide ? Tu sais parfaitement pourquoi nous devons à tout prix éviter cette humaine.

— Ce n’est qu’une fille, rétorqua Dee en levant les bras au ciel. Juste une fille, Daemon, elle ne peut…

— Une fille qui vit juste à côté de nous. Juste là ! (Je pointai du doigt à travers la fenêtre pour bien me faire comprendre.) Et c’est beaucoup trop près. De nous et de la colonie. Tu sais ce qui arrivera si tu essaies de devenir son amie.

Dee recula en secouant la tête.— Tu ne la connais même pas et tu n’as pas de boule

de cristal, je te rappelle. Et qu’est-ce qui te fait croire que nous pourrions devenir amies ?

Je haussai les sourcils.— Je suis prêt à parier que dès que tu auras mis le

pied dehors, tu vas essayer de l’attirer dans tes filets. (Ma sœur pinça les lèvres.) Tu ne lui as encore jamais parlé, poursuivis-je, mais je suis sûr que tu te demandes déjà si on trouve des bracelets « meilleure copine pour la vie » sur Amazon.

— On trouve de tout sur Amazon, marmonna-t-elle.Je levai les yeux au ciel. J’en avais assez de cette conver-

sation. Assez aussi de la nouvelle voisine.— Ne t’approche pas d’elle, lâchai-je en retournant vers

le canapé.Quand je m’assis, Dee n’avait toujours pas bougé.— Je ne suis pas Dawson, fit-elle. Tu es au courant, j’espère.— Oui, je suis au courant. (Et pour faire bonne mesure,

j’ajoutai :) Tu es encore plus inconsciente que lui.Elle prit une brève inspiration et se raidit.— Ça, c’était un coup bas.

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Elle avait raison. Je me passai la main sur le visage. Un coup très bas, même. Dee soupira.

— Tu es vraiment un sale con, parfois.Je restai dans la même position.— Ce n’est pas un scoop, lâchai-je.Dee alla dans la cuisine et revint quelques secondes plus

tard, armée de son sac et de ses clés. Elle passa devant moi sans même me regarder.

— Où vas-tu ? lui demandai-je.— Faire des courses.— Oh, putain !Je me demandai si enfermer sa sœur dans un placard

constituait un délit aux yeux de la justice.— On n’a presque plus rien à manger, tu passes ton temps

à t’empiffrer !Sur ces mots, elle sortit en claquant la porte. Je me laissai

basculer la tête la première dans les coussins du canapé et j’émis un grognement sourd. J’étais ravi de constater que tout ce que j’avais pu répéter des milliers de fois à ma sœur était entré par une oreille et sorti par l’autre. Pourquoi est-ce que je me donnais tant de mal ? Dee n’en faisait toujours qu’à sa tête. Je fermai les yeux.

Immédiatement, je me repassai l’échange musclé que j’avais eu avec Katy. Oui, je m’étais vraiment comporté comme un salaud.

Mais je n’avais pas eu le choix. Elle pouvait me détester, j’espérais même que ce soit le cas, comme ça, elle ne vien-drait plus par ici. Je sentais que cette fille ne pouvait nous attirer que des ennuis. Des ennuis dans un bel emballage avec un joli nœud sur le dessus.

Le pire, c’est qu’elle était exactement le genre d’ennuis que j’adorais.

Je soutins son regard et soupirai. Son obstination m’aga-çait au plus haut point mais me plaisait presque autant. Pas de doute, j’étais tordu.

— Tu vas vraiment me compliquer la tâche…Sans me répondre, elle se dirigea vers la porte. Cette fois,

je n’essayai pas de la retenir.— Kat ?Elle se retourna.— Quoi ?Je souris et ses yeux gris étincelèrent.— Tu as conscience que j’adore les défis ?Elle émit un petit rire et me montra son majeur dressé

avant de repartir vers la porte.— Moi aussi, Daemon. Moi aussi, lâcha-t-elle par-dessus

son épaule.Je la regardai s’éloigner en me disant qu’elle était aussi

belle de face que de dos.Oui, j’aimais les défis. Et je ne perdais jamais.

EAN 9782290146842