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27 AVRIL 2001 N o 90 ISSN 0764-1656 L'AGRICULTURE, L'AGROALIMENTAIRE ET L'ALIMENTATION ENTRE LES MAINS DU GRAND CAPITAL EXPOSÉS DU CERCLE LÉON TROTSKY

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27 AVRIL 2001

No 90

ISSN 0764-1656

L'AGRICULTURE,L'AGROALIMENTAIREET L'ALIMENTATIONENTRE LES MAINS

DU GRAND CAPITAL

EXPOSÉSDU

CERCLELÉON

TROTSKY

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L’agriculture,l’agroalimentaireet l’alimentationentre les mains

du grand capital

Exposé du Cercle Léon Trotsky

du 27 avril 2001

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Jospin (entre Glavany et Hollande) paye de sa personne en mangeant du bœuf(préparé par des éleveurs de la FDSEA) pour rassurer les consommateurs.Congrès du PS, novembre 2000

Incinération de brebis atteintes par lafièvre aphteuse, en France, mars 2001.

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Depuis déjà un certain temps, l’agriculture dite «productiviste» ainsi quedes aliments issus de l’industrie agroalimentaire, sont sur la sellette. Et un cer-tain nombre de problèmes survenus ces dernières années sont venus grossir cedossier.

Il y a eu l’encéphalite spongiforme bovine, plus connue sous le nom demaladie de la vache folle. Depuis quelques mois, il y a l’épidémie de fièvreaphteuse, qui n’a jusqu’à présent que peu touché la France, mais devantlaquelle les autorités ont décidé de faire abattre et incinérer des milliers d’ani-maux, dont la plupart était parfaitement sains.

Bien sûr les animaux en question étaient dans leur immense majorité desti-nés à la boucherie, mais on comprend l’émotion soulevée par ces hécatombes.

Et puis il y a eu bien d’autres problèmes comme les alertes à la listériose,les poulets à la dioxine, le veau aux hormones, etc., etc.

Les consommateurs s’interrogent donc et se demandent ce qu’on peutmanger sans risque. On a connu des boycotts de certaines viandes, avec succèspour le veau gonflé aux hormones, il y a quelques années, et pour toute laviande bovine plus récemment. Ce dernier, spontané, a d’ailleurs poussé legouvernement qui s’y était refusé dans un premier temps, à décider l’interdic-tion complète des farines animales dans l’alimentation du bétail.

La critique de la «malbouffe» est à la mode. Tout un courant dans la pay-sannerie, et dans la population, incrimine «l’agriculture productiviste» jugéeresponsable des maux actuels, c’est-à-dire une alimentation de qualitémédiocre, dangereuse, et de peu de goût, entraînant une dégradation de l’envi-ronnement et coûtant cher à la société par le jeu des subventions versées auxagriculteurs.

La mode de l’agriculture «bio», bien que limitée, reflète la méfiance d’unepartie des consommateurs. Certains d’entre eux redoutent les OGM non décla-rés qui se dissimulent dans une foule d’aliments, ainsi que les sous-produitscachés de l’industrie de la viande susceptibles de transmettre la maladie de la

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«vache folle» à l’homme. Et même les desserts sont suspects car le futur cho-colat européen risque d’être en partie un «vrai-faux chocolat», sans même queles fabricants aient l’obligation de le déclarer sur les emballages.

Alors mange-t-on vraiment plus mal aujourd’hui qu’il y a quelques décen-nies ? Faut-il condamner l’agriculture «productiviste» ? Faut-il condamnerl’agroalimentaire ? Et qu’est devenue l’agriculture traditionnelleaujourd’hui ? Existe-t-elle encore, ou n’est-elle pas complètement tombéedans les mains du grand capital ?

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Il y a une cinquantaine d’années, quand on faisait ses courses le matin, onachetait son pain chez un boulanger qui avait pétrit sa pâte lui-même, et l’avaitcuite dans la nuit. On ne parlait pas de boulangerie (et encore moins de pâtis-serie) industrielle. On achetait du lait frais chez le crémier, en amenant sonbidon qu’on vous remplissait. On ne connaissait pas les laits longue conserva-tion, ou vitaminé. De la même manière on allait souvent, dans les famillespauvres, acheter son vin à la tireuse, en apportant des bouteilles vides qu’onvous remplissait.

Les animaux de la ferme étaient élevés en plein air, excepté l’hiver qu’ilspassaient généralement à l’étable, où ils étaient nourris avec des fourrages.Mais l’idée d’élever en batterie des cochons ou des poulets, aurait sans douteoutré autant que surpris les paysans de l’époque.

Les fruits et les légumes n’étaient pas traités, ou très peu. Personne ne sedemandait s’il allait absorber des pesticides avec sa salade, des hormones avecson beefsteack, des nitrates avec son eau de boisson.

Les fruits et légumes exotiques comme les kiwis, les mangues ou les avo-cats étaient inconnus. Les oranges et les bananes n’avaient commencé à serépandre que juste avant la guerre ; mais elles avaient disparu pendant laguerre et n'étaient réapparues après que progessivement. On ignorait totale-ment les surgelés. Dans les classes populaires le réfrigérateur était un luxeinconnu : il y avait tout juste un garde-manger dans un endroit frais del’appartement.

Le mot «agroalimentaire» n’est apparu dans la langue française que vers1960, il y a donc une quarantaine d’années. Il existait auparavant l’expression«industries alimentaires», mais elle n’était utilisée que pour les conserves parles professionnels.

Les origines

Cela ne veut évidemment pas dire que l’on ne mangeait que des produits àl’état naturel. La transformation artisanale des aliments est extrêmementancienne ; aussi vieille que l’agriculture elle-même, lorsque les hommes ont

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En Angleterre, au Moyen-Âge, des paysans font la moisson à la faucille, sous lasurveillance d'un intendant.

Plantation de canne à sucre et moulin à sucre à Saint-Domingue.

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appris à moudre le blé et d’autres céréales pour en faire de la farine, puis avecles farines des galettes, des bouillies, du pain, etc. Dès l’antiquité, les meules,et plus tard les moulins, constituent probablement la plus ancienne formed’activité qu’on pourrait qualifier d’agroalimentaire. Durant l’Antiquité onsavait aussi faire de l’huile avec les olives et du vin à partir du raisin, ce quidonnait lieu à un commerce important pour l’époque, au moyen d’amphoresqu'on a retrouvé par milliers.

Mais pendant longtemps l’agriculture est restée extrêmement peu perfor-mante, si on la compare aux rendements actuels. On estime qu’au Moyen-Âgeles rendements en céréales étaient de l’ordre de «3 pour 1» ou plus rarementde «4 pour 1» c’est-à-dire que lorsqu’on semait une mesure de blé, on enrécoltait à peine trois ou quatre. Les rendements de 2,5 quintaux à l’hectaren’étaient pas rares, même s’ils avoisinaient plus souvent de 4 à 5 quintaux.Quinze à vingt-cinq fois moins qu’aujourd’hui ! Les famines faisaient partiedes calamités qui revenaient régulièrement. La paysannerie avait d’autant plusde mal à se nourrir que l’aristocratie foncière lui extorquait tout ce qu’ellepouvait. Le surproduit agricole était si faible que la population urbaine ne pou-vait être que très limitée. La population rurale représentait 80 % à 90 % de lapopulation totale, et parfois davantage. Pendant longtemps l’augmentation dela production agricole s’est surtout faite par l’agrandissement des surfacescultivées, par des défrichages.

Il n’y avait cependant pas que des paysans dans les campagnes. Dès la findu Moyen-Âge on avait vu apparaître un artisanat et un commerce ruraux quiont pris de plus en plus d’importance. L’industrie n’existant pas encore, c’estcet artisanat diffus qui en tenait lieu.

Ce sont probablement les sucreries coloniales des Antilles et du Brésil, àpartir des XVIIe-XVIIIe siècles, qui ont été les premières manufactures agroa-limentaires – pas encore industrielles donc – qui reposaient sur l’exploitationde la main-d’œuvre fournie par l'esclavage. De ce côté-ci de l’océan, des raffi-neries de sucre furent installées dans des ports comme Nantes, ou Bordeaux.Vers la même époque la salaison des poissons, harengs et morues, s’étaitdéveloppée au point que l’on disait que le port d’Amsterdam s’était bâti surles caques (les tonneaux) de harengs.

Mais tout ceci ne faisait pas encore une industrie au sens propre. Pourqu’apparaisse l’industrie agroalimentaire, il a fallu la Révolution industrielle,laquelle a seulement commencé à la fin du XVIIIe siècle.

Il y avait cependant de rares régions plus évoluées. Ainsi en Flandres oùétaient apparues des villes de manufactures de filature et de tissage, puis plus

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tard aux Pays-Bas, l’agriculture parvint à obtenir des rendements plus élevés :sept quintaux à l’hectare environ.

Mais c’est en Angleterre que se sont produites les transformations les plusimportantes. Dès la fin du Moyen-Âge des propriétaires terriens aristocrates,mais qui commençaient à avoir des comportements de bourgeois, ont estiméqu’il était plus avantageux de vendre la laine de leurs moutons aux filatures ettissages flamands, situés de l’autre côté de la Manche, plutôt que de produiredes céréales. Ils se sont mis à «faire du mouton» pour les manufactures fla-mandes, puis pour les manufactures anglaises lorsque celles-ci sont apparues àleur tour.

Seulement il faut beaucoup moins de paysans à l’hectare pour garder desmoutons que pour cultiver la terre. Les nobles propriétaires terriens ont doncchassé leurs paysans en même temps qu’ils clôturaient leurs terres pour empê-cher que les moutons aillent se balader n’importe où. Ce fut le mouvement des«enclosures», qui toucha peut-être 30 % des terres cultivées de cette époque,et qui provoqua une indignation générale dans la population des campagnes.

La première révolution agricole en Angleterre

Au Moyen-Âge, on n’utilisait quasiment pas d’engrais. Non seulement pasd’engrais chimiques évidemment, mais très peu d’engrais organiques, c’est-à-dire de fumier, car il y avait peu de bétail. Dans les fermes on ne trouvait sou-vent que le minimum d’animaux de trait pour tirer les charrues et charrettes,quelques cochons (faciles à nourrir) et un peu de volaille. Pour le reste, le grosbétail était considéré par les hommes comme un concurrent nécessitant qu’onlui consacre une partie des terres susceptibles de fournir de la nourriture auxpaysans, lesquels étaient bien trop pauvres pour manger de la viande autre-ment qu’occasionnellement. Quant à la noblesse, en guise de viande, elleconsommait essentiellement le gibier que lui procurait la chasse, son passe-temps favori. Pendant longtemps, pour permettre aux terres épuisées par lesrécoltes de se reconstituer, on était obligé de les laisser en jachère, c’est-à-direau repos. Plus tard, la généralisation des techniques de rotation des cultures, àpartir du VIIIe siècle, ne permit de suppléer que pour une faible part à cetteabsence d’engrais.

Si bien qu'en Angleterre, dès le XVIe siècle, bien avant la Révolutionindustrielle, les conditions économiques et sociales permirent à certains mem-bres de l’aristocratie foncière, les premiers «gentlemen farmers», d’investir encombinant à la fois l’agriculture et l’élevage. On se mit à faire des cultures

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Une planche de l'Encyclopédie (seconde moitié du XVIIIe siècle) montrant les procédés lesplus modernes de l'époque pour travailler les terres labourées.

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fourragères, permettant de nourrir du bétail et ainsi d’augmenter la quantité duprécieux fumier, qui servait à engraisser les champs labourés. Le marquis deMirabeau devait constater plus tard : «L’argent est le plus indispensablefumier qu’on puisse répandre sur la terre». Et les rendements firent un bondpour atteindre jusqu’à 12-15 quintaux à l’hectare, c’est-à-dire deux à cinq foisplus qu’en France et dans le reste de l’Europe à la même époque. En mêmetemps la production animale se développait grâce à la sélection, aux soins desvétérinaires, et le poids moyen des bœufs de boucherie passa de 370 livres en1700, à 800 livres – plus du double – en 1800. Le bœuf anglais était àl’époque, sinon le meilleur, en tout cas le plus gros du monde !

Voilà sans doute le niveau le plus élevé que l’agriculture pouvait atteindreavant que n’apparaisse l’industrie. Car aujourd'hui, sur ces mêmes terres, onrécolte 75 à 85 quintaux à l’hectare, soit 6 à 7 fois plus. Il y avait encore duchemin à parcourir. Ainsi il y a eu une sorte de première révolution agricole,qui a précédé la révolution industrielle en Angleterre et qui a favorisé celle-cigrâce à un surplus de nourriture pour alimenter les villes lorsqu’elles se sontdéveloppées, et grâce à la main-d’œuvre représentée par les paysans chassésde leur terre qui ont bien été obligés de se transformer en prolétaires.

La révolution industrielle et les chemins de fer

La révolution industrielle a commencé en Angleterre à l’époque où laFrance était en pleine révolution contre l’Ancien Régime. Et puis elle s’estrépandue en Europe occidentale et aux États-Unis dans la première moitié duXIXe siècle. Pour le Japon ce ne fut que dans la seconde moitié du siècle.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’industrialisation, dans un pre-mier temps, n’a pas énormément bouleversé l’agriculture. Et cela pour uneraison bien simple : l’industrie à ses débuts était basée sur la machine àvapeur. Or dans l’agriculture, malgré quelques essais de tracteurs à vapeur, ouautres machines, cela s’est révélé peu commode et ça n’a pas vraiment mar-ché. On inventa bien pour les céréales des batteuses mues par une machine àvapeur qui allait de ferme en ferme. Mais, pour que l’agriculture se motorisevéritablement, il a fallu attendre le moteur à explosion, au début du XXe

siècle.Par contre ce qui a joué un rôle absolument déterminant, ce fut le dévelop-

pement des chemins de fer. Ils sont apparus dans les années 1830, se sontrépandus rapidement dans les années 1860-1870, et ont permis aux produitsagricoles d’accéder à des marchés bien plus larges.

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Ils ont aussi permis, indirectement, l’augmentation des rendements. EnFrance par exemple, avant les chemins de fer, on cultivait de tout partout, carles transports de province à province étaient difficiles. Ainsi, sur les terres del’Ouest, favorables aux herbages, on s’acharnait à cultiver des céréales etmême de la vigne. On a connu, sous l’Ancien régime, faute de moyens detransport adéquats, des famines dans certaines régions, alors que des provin-ces voisines avaient suffisamment de nourriture. Avec le chemin de fer lesrégions ont pu commencer à se spécialiser en faisant venir d’ailleurs les den-rées qu’elles ne produisaient pas. En France se sont constituées la zone céréa-lière du Bassin parisien, la zone d’élevage dans l’Ouest, et le vignoble duLanguedoc pour fournir en vin à bon marché les cités ouvrières du Nord. Cul-tiver le produit le mieux adapté à chaque région, rien que cela augmentait lesrendements.

D’autre part le chemin de fer a favorisé le dépeuplement des campagnes,ce qu’on a appelé plus tard «l’exode rural». Et ce ne furent pas les paysans quien furent les premières victimes. Ceux qui ont dû partir les premiers furentceux qui ne vivaient pas directement du travail de la terre, c’est-à-dire les arti-sans – surtout les fileurs et tisserands concurrencés par l’industrie textile –, lescolporteurs qui parcouraient les campagnes, etc. Ils sont allés vers les villesgrossir les rangs du prolétariat.

L’agriculture britannique au XIXe siècle

La Grande-Bretagne était donc, depuis la fin du XVIIIe siècle, la premièrepuissance industrielle, et elle l’est restée presque jusqu’à la fin du XIXe siècle,époque où elle a été dépassée par les États-Unis. Ainsi c’est en Grande-Bre-tagne que sont nées les premières conserves alimentaires dans des boites enfer étamé, dit «fer blanc». Pourtant le procédé avait été inventé d’abord enFrance, par Nicolas Appert qui, dès 1782, du temps de Louis XVI, avait misen bocal des petits-pois qu’il avait consommés dix-huit mois plus tard. Il avaitsurvécu sans problème à cette expérience et développé le procédé, mais fautede métallurgie adéquate, il avait fini par connaître l’échec, tandis que lesAnglais reprenaient l’invention de manière industrielle. A vrai dire, au début,les conserves étaient surtout utilisées dans la marine.

Les industriels britanniques, étant alors les plus performants du monde,souhaitaient l’ouverture des marchés étrangers, autrement dit le libre-échange. Mais la «gentry» qui possédait l’essentiel des terres et qui continuaità dominer le pays politiquement n’avait pas les mêmes intérêts : malgré ses

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progrès l’agriculture britannique n’était pas exportatrice. Le libre-échange luiétait non seulement inutile, mais dangereux. Elle tenta de s’y opposer afin demaintenir les denrées alimentaires à des prix élevés.

Une campagne pour le libre-échange des céréales – qui constituaient labase de l’alimentation des classes pauvres – fut déclenchée par un industriel,Richard Cobden. Elle eut un gros succès populaire en même temps que le sou-tien des capitalistes de l’industrie. L’industrie fut victorieuse et on aboutit aucours des années 1849-1852 à l’abaissement ou à la suppression des droits dedouane. Le prix du blé, et donc du pain, fut abaissé ce qui permit aux indus-triels de maintenir les salaires au plus bas. Et également de répondre, par uneréforme, à l’agitation ouvrière du mouvement chartiste qui durait depuis unedizaine d’années.

La position des céréaliculteurs britanniques, ne fut pas immédiatementmenacée durant une trentaine d’années. Mais, en dépit des coûts de transport,les blés d’outre-mer, des États-Unis, du Canada et d’Argentine, finirent pararriver bien moins chers en Grande-Bretagne. A ce moment-là, en dix ans, laculture du blé recula de près d’un tiers. Les intérêts du capitalisme industrielpassaient avant tout !

Pendant toutes ces années où l’on débattait du libre-échange, l’Irlande, quiétait entièrement sous domination britannique, connut, à la suite d’unemaladie de la pomme de terre, qui était alors l’aliment quasi exclusif des Irlan-dais, une famine comme on n’en avait plus vue depuis le Moyen-Âge. Il y eutpeut-être un million de morts de faim entre 1845 et 1848, et un autre milliond’Irlandais fut contraint d’émigrer. L’Irlande perdit rapidement le quart, etpuis enfin la moitié de sa population. Les dirigeants anglais se désintéressè-rent complètement du sort des Irlandais. Ainsi la dernière des grandes faminesde l’Europe occidentale se déroula dans le pays le plus riche, le plus industrielet aussi le plus agricole, sans qu’on cherche vraiment à y porter remède, pourla raison que les Irlandais ne constituaient pas, pour les classes dominantesbritanniques, un marché solvable.

L’agriculture en France jusqu’en 1945

En France, l’évolution de l’industrie, et par contrecoup du monde paysan,fut différente. Les industriels français, en retard sur leurs concurrents britanni-ques, souhaitaient plutôt le protectionnisme qui fut de règle, excepté vers lemilieu du XIXe siècle où il y eut un épisode de libre-échange d’une trentained’années. Puis on en revint au protectionnisme vers 1880.

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La paysannerie était dominée par des petits propriétaires dont les terresavaient été agrandies et quelquefois acquises au moment de la Révolution, à lasuite de la confiscation et de la vente à bas prix des biens de l’église, de la cou-ronne et d’une partie de la noblesse.

Les méthodes d’agriculture des paysans français avaient évolué très lente-ment pendant un siècle et demi. Les rendements stagnaient : en 1950, ilsseraient encore, pour le blé, les mêmes qu’en 1850, c’est-à-dire de 15-16 quin-taux à l’hectare. Par conséquent le gros de la population paysanne resta surplace : au début du XXe siècle, la moitié de la population active travaillait tou-jours dans l’agriculture. Et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il enresterait encore le tiers. L’agriculture parvenait difficilement à nourrir lapopulation. La France n’était pas exportatrice. Les industries alimentairesétaient très rares : quelques sucreries, huileries, biscuiteries, traitant le plussouvent des produits coloniaux. En 1860-65, il y avait très peu de grands mou-lins pour la farine, mais on comptait plus de 41 000 petits moulins dispersésdans le pays.

Et même l’industrie du sucre de betterave, dont l’extraction avait été miseau point sous Napoléon Ier, se développa lentement, à cause des mesures enfaveur des colons qui exploitaient le sucre de canne des Antilles et de laRéunion.

Signalons en passant la fondation en 1886, à Nantes, d’une petite entre-prise de biscuiterie dont on aura l’occasion de reparler : Lefèvre-Utile, autre-ment dit LU.

A la suite de la concurrence des céréales étrangères, vers les années 1880,il y eut un renforcement du protectionnisme agricole et industriel sous l’égidedu ministre de l’Agriculture Jules Méline. Le capitalisme français se replia surl’empire colonial qui constituait un marché protégé, puisque les pays concur-rents n’y avaient pas accès. Et les capitalistes, plutôt que d’investir dansl’industrie, choisirent la spéculation dans de «brillantes» affaires, comme lecanal de Panama ou les emprunts russes.

En France ce fut donc aussi le capital industriel qui orienta l’économie, ycompris l’économie agricole, dans le sens de ses intérêts, même si ce fut d’unefaçon diamétralement opposée à celle de la Grande-Bretagne.

La nombreuse paysannerie française, dont les éléments dominants étaientles petits propriétaires, fut d’abord révolutionnaire lors de la Révolution quilui avait donné la terre et enlevé les impôts féodaux puis, dans la foulée, bona-partiste sous Napoléon. Elle devint ensuite l’épine dorsale conservatrice detous les régimes qui suivirent, la monarchie d'après la restauration, le

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Maquette de le première moissonneuse McCormick.

1869 : jonction des branches est et ouest du premier chemin de fer transcontinentalaméricain.

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IIe empire de Napoléon III, la IIIe République. Sous le Régime de Vichy, entre1940 et 1945, elle fut chouchoutée par la propagande, qui proclamait que «laTerre, elle, ne ment pas», car elle était censée représenter les vraies valeurs durégime de Pétain, le Travail, la Famille et la Patrie.

Jusqu'au milieu du XXe siècle, l'agriculture française était toujours trèsretardataire. En 1938, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il n'y avaitque 38 000 tracteurs en France, environ cent fois moins qu'aux États-Unis !certes la France est plus petite mais pas dans la même proportion.

La révolution agricole au Middle WestC’est que les États-Unis constituaient le pays dont l’agriculture avait

connu le plus grand essor.Au début de son histoire ce pays était surtout composé de paysans : 95 %

de la population travaillait la terre. Au moment de l’indépendance, Phila-delphie, la ville principale, comptait 40 000 habitants et New York, 25 000.Même lorsque ce pays avait été colonie de l’Angleterre – avant l’indépen-dance donc – jamais les paysans n’avaient subi la grande propriété aristocra-tique comme en Europe. Ils ne payaient pas de loyer foncier et étaient donclibres d’aller tenter leur chance ailleurs, surtout si ailleurs la terre était plusriche et... gratuite.

Les terres de la façade atlantique au nord des États-Unis n’étaient pas trèsriches. Mais en allant vers l’Ouest, quand on franchissait les monts Appala-ches et qu’on descendait la vallée de l’Ohio vers les immenses plaines du Mis-sissippi, on trouvait des terres très fertiles... et vides. Pas vraiment vides, maisil n’y avait que les Indiens que les colons repoussèrent presque complètementet qui furent exterminés par la suite.

Dans ces grandes plaines la main-d’œuvre était rare. Les colons étaientavides de nouveaux procédés techniques. En 1834, Cyrus McCormick inventala moissonneuse mécanique, mais attention : tirée par des chevaux. C’est latraction des chevaux qui faisait fonctionner la machine.

Lorsque les chemins de fer arrivèrent dans les grandes plaines, dans larégion qu’on appelle aujourd’hui le Middle West, la révolution agricole com-mença vraiment. A partir de 1840, en vingt ans, la production de blé et de maïsfit plus que doubler. L’Ouest put directement exporter sa production, de céréa-les surtout, vers le Nord qui commençait à s’industrialiser. En échange leNord lui vendait les produits de son industrie. Il s’est donc créé une solidaritéfondamentale entre l’Ouest – le Middle West – et le Nord.

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Pendant ce temps, les États de la côte sud de l’Atlantique, ce qu’on appellele Sud, qui cultivaient jusque là plutôt du tabac, avec des esclaves, découvri-rent, grâce à une machine à égrener le coton, l’intérêt que représentait cetteplante qui trouvait dans cette région un climat idéal. Et, en soixante ans, le Suddevint la première région cotonnière du monde.

Le Sud exportait son coton vers la Grande-Bretagne qui avait alors la pre-mière industrie textile du monde. Il recevait en échange des produits indus-triels de qualité et de luxe que l’industrie américaine n’était pas encorecapable de lui fournir. Il se créa donc une solidarité économique entre le Sudet la Grande-Bretagne. Comme le Sud souhaitait le libre échange entre lesdeux parties, pour vendre tranquillement son coton, tandis que le Nord encours d’industrialisation voulait absolument protéger son industrie naissantepar une barrière douanière, un conflit entre le Sud et le Nord se créa, prit del’ampleur, surtout à l’occasion des votes sur les tarifs douaniers. En 1828 untarif douanier fut qualifié par le Sud de «tarif des abominations». Là-dessus segreffa la querelle à propos de l’esclavage : le Nord industriel voulait desouvriers salariés et pas des esclaves moins productifs dans les usines. Le Suddes plantations en tenait pour l’esclavage. Ce fut le prétexte du conflit maispas forcément la raison la plus importante. Pour finir le Sud demanda la sépa-ration, la sécession, ce qui entraîna la guerre du même nom où les États agri-coles de l’Ouest furent alliés au Nord. Le Sud fut vaincu en 1865.

Le Nord industriel prit alors l’ensemble du pays en main et l’industrialisa-tion se développa à l’échelle d’un pays grand comme un continent, et à unevitesse extraordinaire. Quatre ans après la fin de la guerre de Sécession un pre-mier chemin de fer transcontinental reliait l’océan Atlantique au Pacifique.Plusieurs autres furent construits en quelques années. Le Middle West com-mença à être sillonné de chemins de fer. Les paysans produisaient de moins enmoins pour se nourrir à la ferme, ils produisaient pour vendre. La spécialisa-tion des terres joua à plein, en fonction du climat et de la qualité des sols. Lesfermiers constituèrent des «ceintures», les «belts», car sur la carte, ces zonesdessinent vaguement des ceintures autours des Grands Lacs. La «Dairy Belt»ceinture laitière, près des Grands Lacs, puis, en s’éloignant, la «Corn Belt»,ceinture du maïs et de l’élevage des porcs, puis les «Wheat Belt», ceintures dublé. Et en s’éloignant vers l’Ouest, là où il fait trop sec pour les cultures, lazone des ranches pour l’élevage bovin. Et puis, au Sud, la «Cotton Belt» avecle coton. L’ensemble des terres cultivables de la vallée du Mississippi-Mis-souri-Ohio couvre environ cinq ou six fois la France. Cela devint très vite, etc’est toujours, et de loin, la première région agricole de la planète.

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Pour encourager la colonisation, le gouvernement fédéral décida de vendretrès bon marché, ou même de donner aux colons, ces terres qui n’apparte-naient à personne, sauf aux Indiens bien sûr. Avec la loi agraire de 1882, le«Homestead act», les colons reçurent des lots de 64 hectares pour un prixsymbolique. Pour favoriser la construction des chemins de fer, les compagniesferroviaires privées reçurent du gouvernement des bandes de terrains de partet d’autre des grandes voies ferrées de pénétration. Les compagnies ferroviai-res pouvaient revendre ces terres bien situées, ou les mettre elles-mêmes envaleur. Les compagnies se payèrent ainsi et, ensuite, elles imposèrent des prixtrès élevés pour les transports céréaliers, ou autres, aux fermiers qui n’avaientpas le choix.

Pendant ce temps l’émigration en provenance d’Europe accroissait énor-mément le marché américain qui devint, avant la fin du XIXe siècle, le premierdu monde. Il fallait toujours davantage de produits agricoles. L’agriculturequ’on appelle aujourd’hui productiviste est véritablement née à cette époque,dans le Middle West.

La mécanisation – mais pas encore la motorisation – fit des progrès fantas-tiques : la moisson, le fauchage, le battage, le labourage et l’ensemencementse faisaient à l’aide de machines. En 1880 les quatre cinquièmes du blé étaientmoissonnés mécaniquement. D’immenses silos à grains et de grands moulinsfurent construits. Des abattoirs gigantesques virent le jour, grâce à l’apparitiondu froid industriel vers 1870-80. Plusieurs villes-champignons se spécialisè-rent dans les industries liées soit à l’alimentation, soit à la fourniture de maté-riel agricole : Cincinnati, Kansas City, Saint Louis et surtout Chicago. Cettedernière ville est toujours aujourd’hui la première cité de l’alimentation mon-diale, siège de la première bourse des céréales, des principales compagnies,des abattoirs. Et aussi des usines de McCormick – McCormick Harvestercompany – les moissonneuses mécaniques.

Au passage, rappelons que c’est une grève devant l’usine McCormick deChicago qui fut à l’origine de la journée du 1er mai. Début mai 1886, lorsd’une grève, la police tira en effet sur les grévistes et fit six morts. Pour protes-ter, les travailleurs organisèrent une manifestation le lendemain. Une bombejetée dans les rangs de la police fit alors sept morts chez les policiers. On n’ajamais su d’où venait cette bombe, ce fut peut-être une provocation du patro-nat ou de la police. Mais six dirigeants ouvriers furent arrêtés, jugés, condam-nés à la pendaison, puis exécutés, sans qu’aucune preuve ait jamais pu êtreproduite contre eux. C’est en mémoire de cette grève, de ce combat des

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La misère des fermiers de l'Oklaoma en 1937.

Ce qui reste d'une terre cultivée après une tempête de poussière. Oklaoma, 1939.

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travailleurs et de cette exécution inique, que le 1er mai fut proclamé «Journéeinternationale des travailleurs».

Les «farmers» et les trusts

Mais il n’y avait pas que les ouvriers à être en conflit avec les grands capi-talistes : les paysans, ceux qu’on appelait les «farmers», également. Ils étaientlésés par les tarifs prohibitifs des chemins de fer. D’autre part, pour pouvoirs’équiper en machines, ils avaient besoin des banques. Comme garantie deleurs emprunts ils devaient généralement hypothéquer leurs terres. Ils espé-raient rendre l’argent grâce aux bonnes récoltes. Malheureusement pour euxles récoltes devinrent trop bonnes : il y eut surproduction et effondrement desprix. Ceux qui ne purent rendre l’argent eurent leurs biens saisis par les ban-ques et la plupart des autres vivaient dans l’angoisse de l’endettement. Cer-tains ne travaillaient plus que pour rembourser les banques. La période 1870-1900 fut très dure pour les agriculteurs. Les libres fermiers américains étaientdevenus, en une ou deux générations, les esclaves du grand capital financier.On vit d’ailleurs se créer, dans le Middle West un éphémère parti politique desfermiers, le Parti populiste, distinct des Républicains et des Démocrates.

La fin du XIXe siècle fut la période où se constituèrent les premiers trusts.Dans le pétrole, avec Rockefeller, dans les chemins de fer, dans l’acier, etc...Mais aussi en relation avec l’agriculture. Il y avait déjà McCormick dont nousavons parlé. Il y eut les trusts du tabac, du sucre, du whisky. Signalons l’appa-rition discrète de ce qui allait devenir plus tard un trust formidable : en 1887,un pharmacien d’Atlanta, en Géorgie, mit au point un sirop sucré et roboratifqu’il baptisa «Coca-Cola». Et dans l’élevage, après les «barons du bétail» del’Ouest, il y eu à Chicago le «roi de la conserve», Philip Armour.

En 1906, une enquête sur les abattoirs d’Armour à Chicago, publiée sous laforme d'un roman, intitulé la Jungle par le journaliste socialiste Upton Sin-clair, provoqua un scandale dans l’opinion. Sinclair y décrivait tout à la foisles épouvantables conditions de travail des ouvriers, et l’absence d’hygiènedes usines à viande. «Dans les saucisses – écrivait Sinclair – on mettait laviande traînée dans la poussière et la sciure, là où les ouvriers avaient sué etcraché des milliards de bacilles tuberculeux». C’est cet aspect, bien plus queles conditions de travail, qui entraîna un mouvement général de répulsion.Sinclair devait déclarer : «J’avais visé le cœur, et j’ai touché l’estomac de lanation». Le livre contribua à la naissance d’une législation qui se proposait, endépit de l’opposition des industriels qui se retranchaient derrière la liberté

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d’entreprendre, de rendre obligatoire la conformité entre la réalité des produitsalimentaires et ce qui figurait sur les étiquettes.

Les fermiers américains étaient devenus les simples maillons d’une chaîne.En amont il y avait les fournisseurs de machines, d’engrais, les banques, et enaval les grosses sociétés qui achetaient leurs grains ou leur bétail, ainsi que lescompagnies de chemin de fer. Eux-mêmes avaient perdu toute indépendance.L’agriculture américaine, tout au moins dans les régions les plus productives,était complètement tombée entre les mains du grand capital.

Cette évolution s’est accompagnée d’une augmentation fantastique de laproductivité et de la production, mais en même temps d’un certain nombre decatastrophes. Catastrophe sociale pour ceux des fermiers qui étaient ruinés. Etaussi des catastrophes pour l’environnement. Les superbes forêts américainesde l’Est et du centre du pays furent presque anéanties. Les millions de bisonsdes grandes plaines furent exterminés, ainsi d’ailleurs, plus tard, que les trou-peaux de chevaux sauvages, les «mustangs» des westerns, qui se portaientmieux au cinéma que dans la réalité.

L’exploitation de terres trop sèches entraîna la formation par temps degrand vent d’immenses nuages de poussière qui ravagèrent des milliers dekilomètres carrés de cultures et ruinèrent des régions entières, en particulierdans l’Oklahoma.

Pour pouvoir écouler des récoltes qui augmentaient toujours, les fermiersles vendaient à des trusts céréaliers lesquels visaient de plus en plus à les écou-ler sur le marché mondial, celui des États-Unis étant devenu insuffisant. C’estvers les années 1880 que les blés américains, mais aussi canadiens et argen-tins, commencèrent à concurrencer les blés des pays d’Europe. Ils arrivaientmoins chers au Havre que les blés français. C’est alors que l’Europe redevintprotectionniste, excepté l’Angleterre dont la production céréalière, incapablede résister à la concurrence, déclina.

À la fin du XIXe siècle, l’agriculture capitaliste américaine constituait leplus formidable appareil de production agricole jamais mis au point parl’homme : les États-Unis produisaient 1/5e du blé du monde, les 2/3 du maïs,plus de 50 % du coton, le tiers du tabac, sans compter la viande, le lait, etc. Età cela il fallait ajouter l’agriculture canadienne, spécialisée dans le blé, et quiapparaît dans tous ses aspects, techniques et capitalistes, comme une exten-sion de l’agriculture américaine.

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Moteur à explosion et explosionde l’impérialisme agroalimentaire

Dans la première décennie du XXe siècle, une nouvelle invention technolo-gique capitale a été faite : le tracteur avec moteur à essence puis, quelquesannées plus tard, le moteur diesel. En 1910 il y avait 1 000 tracteurs aux États-Unis. 30 ans plus tard il y en avait 3,5 millions. Les tracteurs étaient devenusl’instrument à tout faire des agriculteurs, capables de tirer des machines de plusen plus complexes et performantes. Parallèlement, d’autres machines, les énor-mes moissonneuses-batteuses en particulier, furent aussi motorisées. Ce fut lafin des animaux de trait dans les campagnes américaines. Pour l’Europe,excepté l’Angleterre, il fallut attendre encore près d’un demi-siècle.

Mais du même coup il fallut beaucoup moins de paysans et cela pour pro-duire toujours plus. Le nombre des paysans continua à diminuer. Et avec la crisede 1929, qui s’est prolongée durant dix ans, des dizaines de milliers de famillespaysannes, étranglées par les dettes, incapables de vendre à cause de la surpro-duction, complètement ruinées, mourant de faim, sillonnaient le pays à larecherche d’un travail problématique. Ce fut le temps des Raisins de la colère.John Steinbeck, dans son roman, décrit comment les terres abandonnées par lesplus pauvres, saisies par les banques, étaient revendues aux gros propriétaires.

Et les trusts de l’agroalimentaire, exactement comme ceux de l’industrie,après avoir pris complète possession du marché intérieur américain, regar-daient maintenant vers l’extérieur, et pas seulement pour y prendre des «partsde marché», comme on dit aujourd’hui, mais pour y accaparer les richesses.Les trusts de l’agroalimentaire des États-Unis commencèrent donc à mettre encoupe réglée l’Amérique latine.

Ce fut en particulier le cas de la compagnie United Fruits, fondée en 1899,l’année qui suivit la guerre hispano-américaine et l’occupation de Cuba et dePorto Rico par les troupes des États-Unis. La United Fruits créa des planta-tions, de bananes surtout, dans plusieurs pays d’Amérique centrale, le Guate-mala, le Honduras, le Costa Rica, principalement. Elle se fit attribuer desconcessions de 99 ans pour des plantations, des lignes de chemin de fer. Lacompagnie s’enrichit grâce à l’exploitation d’une main-d’œuvre locale

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Crise économique mondiale : au Brésil, le café est brûlé dans les foyers deslocomotives.

Plantation d'hévéas et récolte du latex en Indochine française.

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misérable, scandaleusement sous-payée. Elle acheta les gouvernementslocaux, se constitua des milices privées ou, tout simplement, ce furent lesarmées locales qui tinrent lieu de supplétifs du trust. L’expression de «Répu-blique bananière» vient de là. La United Fruits n’hésita pas à fomenter descoups d’État lorsque des régimes pas assez dociles à son goût parvenaient aupouvoir. Entre 1903 et 1932, l’armée américaine intervint vingt fois dans septdes pays de cette région du monde, pour imposer sa loi, pour contrôler lesélections, pour briser des grèves, etc. Ce fut encore le cas, beaucoup plus tard,en 1953, lorsque le président Jacobo Arbenz tenta une réforme agraire au Gua-temala : il fut renversé par une invasion militaire organisée par les USA, brasarmés de l’United Fruits.

Dans l’île de Cuba, les trusts du sucre s’emparèrent du pays : ils finirentpar posséder 25 % des terres, les meilleures, et contrôler 40 % de la produc-tion de sucre. A cette époque, et jusqu’à la prise du pouvoir par Fidel Castro,les États-Unis achetaient le sucre cubain au-dessus du cours mondial. Ils sub-ventionnaient ainsi leurs propres planteurs et industriels.

En 1930 la paysannerie américaine ne représentait plus que 21 % de la popu-lation totale. L’agriculture était donc devenue «moderne», tout à fait «producti-viste», complètement entre les mains des trusts, exceptées quelques régions desAppalaches ou du Sud où des «pauvres blancs», selon l’expression consacrée,végétaient en dehors des grands circuits de production et de commercialisation.

De la même manière, dans l’Ancien Monde, des trusts s’étaient constitués enEurope occidentale et au Japon. Ils prirent le contrôle d’immenses plantationsdans les pays coloniaux : plantes textiles, caoutchouc – comme Michelin enIndochine française –, arachides au Sénégal, thé en Inde, café, cacao, etc. Leplus souvent il s’agissait d’une économie de plantation imposée par la force à lapopulation locale, au détriment des cultures vivrières. Une partie des paysans deces pays coloniaux devinrent les esclaves des trusts à travers le travail forcéimposé par les autorités coloniales. Ensuite ces pays se sont trouvés enchaînés,même lorsqu’ils ont fini par accéder à l’indépendance politique, à l’économiede l’ancienne métropole qui a contribué à bloquer leur développement.

A partir des huiles végétales se constituèrent les «Margarines unies» auxPays-Bas, ainsi que le fabricant de savon «Lever Brothers Limited» en Grande-Bretagne. Les deux, les margarines et les savons, fusionnèrent en 1929 pourdonner Unilever, l’un des deux ou trois premiers mammouths multinationauxde l’agroalimentaire – et aussi des produits d’entretien – d’aujourd’hui.

Il faut signaler aussi, à la suite de l’invention du lait concentré, la création,en 1867, de Nestlé. Le lait des vaches suisses, allait servir à enrichir les

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banques helvétiques. Et Nestlé est devenu à notre époque le premier – ousecond – groupe mondial.

Au milieu du XXe siècle, et depuis quelques décennies déjà, tous les sec-teurs modernes de l’agriculture, dans le monde entier, que ce soit dans lesvieux pays d’Europe, aux États-Unis, au Japon ou dans les colonies, étaientd’une façon ou d’une autre entre les mains, ou sous le contrôle, du grand capi-tal, autrement dit de l’impérialisme, excepté bien sûr en Union Soviétique.

La situation en 1945 et le début dela modernisation de l’agriculture européenne

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture américainen’avait pas grand chose à voir avec l’agriculture européenne, et surtout fran-çaise, très retardataire.

Les États-Unis étaient en mesure de fournir des céréales et d’autres pro-duits, à un grand nombre de pays qui venaient d’être ravagés par la guerre, cequi leur permettait du même coup d’exercer sur eux un contrôle économiqueet politique.

Mais l’Europe, elle, était en déficit alimentaire. Et pas seulement du fait dela guerre, à cause de son retard tout simplement. Rappelons que les rende-ments moyens de blé par hectare, étaient en France, en 1950 – cinq ans aprèsla fin de la guerre – de 15 à 16 quintaux à l’hectare, comme en 1850 ! Et lerationnement alimentaire s’est prolongé encore jusqu’en janvier 1949, date àlaquelle on supprima les cartes d’alimentation.

A la fin de la guerre, en France, près du quart de la population active étaitpaysanne et, en 1945 le pays ne comptait que 57 000 tracteurs, c’est-à-dire queles labours et les transports agricoles se faisaient encore majoritairement pardes chevaux. Et jusqu'à lafin des années 1950, on vantait les performances etl’endurance des chevaux percherons, boulonnais ou bretons.

Les bourgeoisies et les États européens cherchèrent à reconstruire et àmoderniser leur économie. Pour la France il devenait difficile de renouer avecle vieux protectionnisme colonial : l’empire commençait à se libérer du colo-nialisme français. Le soulèvement algérien de Sétif, le début de la guerred’Indochine, l’insurrection de Madagascar, puis les troubles et insurrectionsen Tunisie et au Maroc, annonciateurs de la guerre d’Algérie, sonnaient le glasde l'empire colonial. L’impérialisme français a conservé jusqu’à aujourd’hui

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des relations économiques privilégiées avec ses anciennes colonies, mais plusexclusives comme autrefois.

Pour pallier les défaillances des capitalistes français, le gouvernement deDe Gaulle procéda à des nationalisations massives dans la productiond’énergie, un peu dans les industries vitales pour l’impérialisme commel’aéronautique, la finance, les transports, de façon à ce que l’État effectue ceque la bourgeoisie ne voulait pas ou n’était pas en mesure de faire. Une fois lagrande bourgeoisie largement remise en selle, c’est-à-dire à notre époque,l’État allait procéder à des reprivatisations, mais cela c’est une autre affaire.

L’État souhaitait également moderniser l’agriculture, surtout pour favori-ser les fabricants de matériel mais, dans ce secteur, il ne pouvait nationaliser.Il mit au point une politique agricole de modernisation afin d’augmenter lesrendements pour aboutir à l’autosuffisance. Cela passait par une véritablecampagne en faveur des tracteurs, des machines, des engrais, de l’enseigne-ment agricole. Un des gros problèmes était la trop petite taille des exploita-tions, problème qui ne s’était pas posé aux États-Unis où les superficies sontimmenses. C’est qu’un tracteur, ou toute autre machine, pour être amortis-sable, doit être utilisé sur une superficie suffisante.

Les propriétés étaient le plus souvent découpées en un grand nombre depetites parcelles. Une des premières tâches fut donc de procéder au remembre-ment, c’est-à-dire à l’échange des parcelles entre paysans, pour constituer desdomaines d’un seul tenant, ce qui n’allait pas sans dégâts pour les haies, lesfossés, les chemins.

Mais cela ne suffisait pas : la modernisation de l’agriculture impliquaitqu’un grand nombre de paysans devrait quitter la terre. Les gouvernements segardèrent bien d’annoncer au monde paysan l’ampleur de la catastrophe quiallait s’abattre sur eux. On leur expliquait alors que, bien sûr, tous ne pour-raient pas rester en activité, mais que les choses se passeraient en douceur, queles plus âgés allaient toucher des primes au départ et que les plus dynamiques,à condition de se moderniser, et donc d’investir dans du matériel, s’en sorti-raient. Les responsables ne dirent pas que la plupart de ceux qui commen-çaient à investir allaient eux-aussi, quelques années plus tard, faire faillite etdevoir quitter la terre.

En 1960 un important début de modernisation avait été accompli. On étaitpassé, en France toujours, de 310 moissonneuses-batteuses en 1945 à 28 000et de 57 000 tracteurs à 800 000. Les paysans représentaient encore environ20 % de la population active, le même pourcentage qu’aux États-Unis trenteans plus tôt.

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Dans les années 1960 : vendange en Champagne. Cheval attelé à la charette...

...village lorrain typique de ce temps : tas de fumier devant les maisons du village.

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À partir de 1960 : l’Europe, la PAC, lanouvelle revolution agricole

A partir des années 1960 s’est mise en place, progressivement, la Commu-nauté européenne et avec elle la politique agricole commune, la PAC.

Les divers pays d’Europe concernés avaient plus ou moins les mêmes pro-blèmes et, globalement, l’Europe était toujours déficitaire en produits alimen-taires, même si elle l’était moins qu’avant. Cela limitait l’expansion des trustsagroalimentaires.

Les autorités européennes décidèrent d’abord de rechercher un état d’auto-suffisance alimentaire, puis d’essayer de rendre l’Union exportatrice ens’engageant à fond dans la modernisation agricole et dans la politique qu’onqualifie aujourd’hui de «productiviste». La PAC a été l’un des instruments dece qui est apparu comme une nouvelle révolution agricole, tant les rythmes ontété rapides.

Depuis 40 ans, il s’est produit un bond fantastique de la productivité et dela production. Aujourd’hui l’Union européenne est devenue largement expor-tatrice. Et la France, principal pays agricole de l’Union est, à elle seule, lesecond pays exportateur de produits agricoles dans le monde, pas très loin desÉtats-Unis, en valeur. Ainsi, au fil des années, la PAC est devenue sur les mar-chés internationaux, une machine de guerre commerciale contre les États-Unis.

La modernisation de l’agriculture s’est faite d’une manière très volonta-riste, très encadrée. L’État a donc organisé, en premier lieu, le remembrementdes terres. Des millions d’hectares ont été regroupés. En 1962 l’État a créé lesSAFER, des sociétés d’aménagement rural, chargées d’acquérir des terresagricoles et de les rétrocéder à des agriculteurs : en trente-quatre ans, elles ontcédé un million et demi d’hectares pour des agrandissements. La même annéea été créée l’indemnité viagère de départ, pour donner un petit pécule deconsolation aux paysans âgés qui abandonnaient leur exploitation : cette IVDa favorisé la «libération» de 13 millions d’hectares. Aujourd’hui, depuis 1992,l’IVD a été remplacée par un système de préretraites qui a concerné près de 2millions d’hectares supplémentaires. Tout cela a permis d’agrandir les

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exploitations agricoles qui restaient dans la course ou d’abandonner les zonesjugées inintéressantes du point de vue agricole. Car une bonne partie des terrescultivées autrefois a été abandonnée, le matériel moderne «n’aimant pas» lesterrains irréguliers ou en trop fortes pentes. Et les montagnes mal desserviesen moyens de transports n’intéressent plus ceux qui produisent non plus pourvivre, mais pour vendre. Les terres qui ne permettent pas les gros rendementssont souvent abandonnées.

Pour favoriser les investissements massifs indispensables à la modernisa-tion, le Crédit Agricole (banque mutualiste à l'origine, devenue société ano-nyme) a largement accordé des prêts bonifiés. Les agriculteurs en ontbénéficié, mais la banque agricole en a profité largement : elle est devenue lapremière banque du pays. En outre, une multitude de conseillers agricoless’est abattue sur les campagnes afin d’expliquer aux paysans d’autrefois com-ment ils devaient maintenant devenir des «agriculteurs», comment ilsdevaient choisir telle ou telle production, telle ou telle race pour la viande oupour le lait, quel matériel agricole prendre, et comment s’en servir, quelsengrais utiliser, quels produits de traitement phytosanitaire, quel vétérinairepour les maladies, et quel centre comptable pour tenir à jour les comptes deces exploitations qui sont devenues des petites entreprises, parfois des moyen-nes ou même souvent des très grosses.

En plus de l’encadrement de la part des pouvoirs publics, il y a eu celui descoopératives qui se sont considérablement développées pour certains produits,comme le lait, le vin, les fruits, ainsi que celui des CUMA, coopératives d’uti-lisation du matériel agricole, qui ont facilité la grosse mécanisation.

La FNSEA, la JAC

Et puis il y eu également le rôle très important du syndicalisme agricole.Ce syndicalisme-là est très différent du syndicalisme ouvrier. Le syndicat qua-siment unique pendant des décennies, et toujours très majoritaire aujourd’hui– même s’il y a eu d’autres organisations, comme le MODEF ou la Confédé-ration paysanne – c’est la FNSEA, Fédération Nationale des Syndicatsd’Exploitants Agricoles. Ce n’est pas un syndicat de salariés, mais un syndicatpatronal, il n’y a d’ailleurs plus beaucoup de salariés dans l’agriculture. LaFNSEA est un syndicat d’exploitants, c’est-à-dire de petits et gros propriétai-res, de petits et gros fermiers.

La FNSEA, avec ses fédérations départementales, les FDSEA, est restéependant longtemps l’organisation quasiment obligatoire pour les agriculteurs.

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La FNSEA a cogéré avec l’État les destinées de l’agriculture, et est donccoresponsable de son évolution. Ce qui symbolise parfaitement cette attitudec’est que les ministres de l’Agriculture ont pour habitude d’assister aux con-grès de la FNSEA, et qu’un président de la FNSEA, François Guillaume, a ter-miné sa carrière comme ministre de l’Agriculture !

Ainsi les paysans n’ont pas été laissés à eux-mêmes. Au contraire ils ontété très encadrés, par les pouvoirs publics, les conseillers agricoles, les coopé-ratives, le Crédit agricole, les syndicats. Pas moyen d’y échapper, il fallaitmoderniser. Ceux qui étaient réticents étaient regardés comme des retardatai-res qui, de toute façon, allaient rapidement être condamnés à la faillite.

Et pour couronner le tout, dans les régions à tradition chrétienne, commeen Bretagne, la JAC (Jeunesse agricole chrétienne), a milité activement dansle même sens, bénissant ceux qui s’engageaient avec enthousiasme dans lacourse au productivisme.

L’exode des agriculteurs

Seulement ce que personne n’a clairement dit aux intéressés, ni les repré-sentants de l’État, ni les conseillers agricoles, ni les syndicats, ni la JAC, c’estque la très grosse majorité de ceux qu’on engageait ainsi à se moderniser feraitpartie des perdants et serait contrainte de quitter la terre, et pas seulement lesplus âgés dans les zones difficiles.

Le nombre des agriculteurs a dégringolé à un rythme jamais connu aupara-vant : il y avait plus de 5 millions d’agriculteurs en 1954, il y en a environ unmillion aujourd’hui. La population agricole représentait 20 % des actifs en1950 contre 4 % actuellement.

Alors il s’est produit une multitude d’explosions de colère paysannes, àl’occasion des innombrables crises de surproduction avec effondrement desprix, générées par une agriculture de plus en plus productive. Les agriculteursont manifesté d’innombrables fois, ils se sont affrontés aux forces de l’ordre,il y a eu des morts, y compris chez les CRS. Ils ont même pris d’assaut unesous-préfecture.

La FNSEA a joué double jeu. D’un côté elle poussait à la production etdonc aux départ des agriculteurs, de l’autre elle encadrait les manifestations,réclamait des aides supplémentaires en faveur des agriculteurs.

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Manifestation paysanne à Guéret en 1974.

En septembre 2000, des éleveurs de porcs occupent le siège du Crédit Agricole d'Arras.

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Ceux qui se sont enrichis

Si plusieurs millions de paysans ont dû quitter la terre, en y sacrifiant sou-vent le travail de plusieurs années et leurs économies, il y en a qui ont été lesbénéficiaires, et d’abord les agriculteurs et les éleveurs les plus riches, notam-ment grâce aux subventions que revendiquait la FNSEA. L’État français ainsique l’Union européenne, via la PAC, ont aidé les agriculteurs, le plus souventau prorata des superficies plantées ou du volume des productions, favorisantainsi les plus gros. En outre, à partir du moment où l’Europe a commencé àdevenir exportatrice, le système mis en place se caractérisait par l’absence dedroits de douane à l’intérieur de l’Union, et la création de droits à ses frontiè-res, pour protéger l’agriculture européenne des prix mondiaux généralementinférieurs. Les recettes alimentent une caisse, le FEOGA, Fonds européend’orientation et de garantie agricole, laquelle verse des subventions à l’expor-tation, baptisées «restitutions», c’est-à-dire qu’elle compense la différenceavec le cours mondial. Les plus gros agriculteurs ou éleveurs, sont donc sûrsd’avoir un prix garanti à l’exportation. C’est donc la course à l’exportation. Ace jeu le FEOGA est devenu déficitaire et ce sont donc les contribuables euro-péens qui ont financé les exportations des plus gros agriculteurs.

Le déficit est devenu tellement énorme qu’en 1992, l’Union européenne adécidé d’arrêter un peu les frais et de limiter la production. Ce fut la «réformede la PAC». On décida de geler des terres, c’est-à-dire de les mettre en jachère(mais de donner des compensations aux agriculteurs qui le faisaient, au béné-fice là aussi des plus gros, ceux qui avaient beaucoup de terre). Et on décida lalimitation de la production laitière, les «quotas laitiers».

C’est ce que les États-Unis avaient déjà fait, avant l’Europe. Là-bas, lasuperficie des jachères, variable selon les années, a atteint 280 000 000 d’hec-tares, presque la superficie agricole de la France. Il ne s’agit pas de nourrir lesaffamés, il s’agit de maintenir les prix, c’est-à-dire les profits.

Mais ceux qui se sont enrichis le plus, ce sont les patrons de l’agroalimen-taire. Cette industrie a connu un développement véritablement explosif depuisles années 1960. C’est que les années de plein emploi qui ont suivi la SecondeGuerre mondiale ont vu l’arrivée en masse des femmes dans les entreprises.C’était une nécessité pour le patronat. Et il en tirait un double bénéfice,puisque le fait que deux salaires entrent dans le budget d’un ménage compen-sait un peu le bas niveau de ces salaires.

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Dans les familles ouvrières, les mères restant au foyer devinrent plus rares,et ce nouveau mode de vie ne pouvait que profiter aux industriels mettant surle marché des aliments tout préparés.

Aujourd’hui, en France, 80 % des produits alimentaires sont transforméspar l’industrie et ce chiffre augmente constamment. Ainsi, en 1996-97, lavaleur totale des productions agricoles, en France, atteignait 310 milliards defrancs, mais les industries agroalimentaires faisaient 680 milliards de francsde chiffre d’affaires : plus du double. Et encore, cela ne tient pas compte dumatériel agricole, du commerce et du transport.

Comme aux USA avant lui, le paysan européen est devenu à son tour unmaillon dans une chaîne : en amont, il y a les entreprises qui fournissent lesengrais, les machines, les aliments pour le bétail, les produits de traitementdes plantes, les semences, les banques de prêts. En aval, les coopératives deproduction et de transformation, les industries agroalimentaires proprementdites, les exportateurs, les transporteurs, les centrales d’achat des supermar-chés. Tous sont puissants vis-à-vis de l’agriculteur qui est isolé, et qui connaîtle sort de n’importe quel petit ou moyen patron sous-traitant d’une grossefirme. Et qui est d’ailleurs souvent lié par contrat aux industries amont et avalet aux grandes surfaces.

Alors bien sûr les agriculteurs sont largement subventionnés, autant auxÉtats-Unis qu’en Europe d’ailleurs. C’est variable selon les années, selon lesprix. Il est arrivé que les subventions dépassent la moitié du revenu des agri-culteurs. C’est énorme. Il s’agit de subventions qui permettent de dédomma-ger un peu les plus pauvres contraints de quitter la terre, tout en arrosantgénéreusement les plus riches.

Mais ces subventions ont une autre fonction : le monde de l’agro-businessne pourrait exister – et faire des profits – s’il n’y avait pas l’agriculture. Lessubventions directes aux agriculteurs sont donc des subventions indirectes àtoute la branche.

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Diférents aspects de l'agriculture dite «productiviste».

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Les paysans dans le monde

Le nombre des agriculteurs dans les pays industrialisés est donc devenutrès faible : en France, 4 % de la population active. Mais, dans le monde, envi-ron deux milliards et demi d’hommes et de femmes vivent de la terre, soit45 % de la population mondiale. L’immense majorité des paysans vit – sur-vit – dans les pays pauvres. Dans certaines régions on ignore encore lacharrue. Mais dans la grande majorité des pays sous-développés les techni-ques modernes ont plus ou moins pénétré. En particulier dans les pays tropi-caux où de nouvelles variétés de céréales, beaucoup plus productives, quipermettent de faire deux récoltes par an au lieu d’une, ont été introduites.C’est ce qu’on appelle la «révolution verte», qui a permis à des pays commel’Inde de devenir autosuffisants en céréales. Enfin autosuffisants sur la based’une alimentation générale très faible et peu variée, et en laissant à l’abandondes millions de pauvres démunis de tout.

Le drame de ces pays c’est que leur développement industriel a été para-lysé par la colonisation, par la mainmise des puissances impérialistes, qui n’ajamais cessé, et qui a fait de leur économie une annexe de l’économie des paysriches. Ainsi les multinationales du textile ou de l’informatique se délocalisenten Asie du Sud-Est, par exemple, puisque la main-d’œuvre y est très bon mar-ché, mais ne se préoccupent pas du développement de l’industrie pour lesbesoins de la population locale. Alors l’agriculture, tout comme l’industrie,s’est développée (un peu), de façon cahotique et généralement inadaptée auxbesoins. Rappelons, pour mémoire, que la colonisation française en Algérie adéveloppé les vignes et la production de vin alors que les Musulmans n’enboivent pas.

L'immense retard du développement de l’industrie, que l’impérialismeempêche de rattraper, provoque une catastrophe sans précédent dans l’histoiredu monde : le dépeuplement des zones rurales ne trouve pas, comme cela s’estfait en Europe occidentale, de débouchés dans l’industrie. Des centaines demillions de paysans, à l’échelle de la planète, quittent la terre et viennents’entasser dans les bidonvilles qui ceinturent toutes les villes du Tiers Mondeoù on trouve les cités les plus misérables et bientôt les plus peuplées dumonde.

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Ce n’est pas parce que ces pays sont surpeuplés qu’ils connaissent lamisère : l’île de Madagascar, par exemple, plus grande que la France, n’estpas très peuplée, ni ravagée par des guerres comme le sont bien des paysd’Afrique, elle dispose de relativement bonnes conditions naturelles, et pour-tant elle fait partie des pays les plus pauvres du monde. En revanche la Suisseou les Pays-Bas ont des densités de population de très loin supérieures, desconditions naturelles pas très favorables, ce qui ne les empêche pas de fairepartie des pays les plus riches. Le problème n’est donc pas là.

Le problème c’est le développement industriel. Plus il est faible, plus lespaysans sont nombreux, et plus le pays est pauvre. Plus l’industrie est déve-loppée, moins il y a d’agriculteurs et plus il y a de richesses, à la fois agricoleset industrielles, car cela va ensemble. Ainsi aux États-Unis, le premier paysagricole du monde, la population active agricole est descendue à 3 % du total.Il n’y a plus que 8 millions d’agriculteurs, qui produisent bien davantage queles 600 millions d’agriculteurs de l’Inde, que l’on fasse le calcul en valeurmarchande ou en tonnage cumulé des céréales.

Aux États-Unis toujours, le mode rural traditionnel des «farmers» va peut-être disparaître : de grandes sociétés sont maintenant propriétaires d’immen-ses exploitations, surtout dans les cultures de fruits, de légumes et dans lavigne. Elles y font travailler des ouvriers agricoles, souvent immigrés mexi-cains, et évidemment peu payés. Mais même dans le Middle-West, celachange. On voit parfois des agriculteurs qui habitent dans la ville voisine, quiviennent tous les matins en voiture travailler et qui repartent le soir, tandis quela ferme est habitée par des gens qui ne sont pas cultivateurs mais qui viventlà. L’agriculture en arrive à devenir un travail comme l’industrie, l’agriculteurn’étant même plus lié à la terre.

Et c’est bien sûr le cas dans ce qu’on appelle les élevages hors sol. «Horssol», c’est tout dire. Ainsi il y a les élevages de bovins encore un peu liés ausol, ce qu’on appelle les «feed lots» aux USA. D’immenses enclos où le bétaildemeure et reste là à manger. En France, cet élevage confiné existe aussi.Quand les étables sont ouvertes, on appelle cela la «stabulation libre», c’est-à-dire que les vaches peuvent faire un petit tour dehors pour se dégourdir lessabots.

Mais le pire en la matière, c’est l’élevage dit en batterie pour les volailles etpour les porcs, où les animaux sont entassés, où ils ne peuvent pas bougerbeaucoup, voire pas du tout, où ils absorbent des aliments composés, et où leurrôle consiste à manger, croître le plus vite possible pour les poulets, pondredes œufs pour les poules, faire des petits pour les truies, tout ça dans un délai

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Un «feed lot» géant au Colorado :125 000 bovins à l'engraissement.

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calculé au plus juste, avant de passer à l’usine qui va les transformer en pou-lets prêts à cuire, en aliments pour chiens et chats pour les pondeuses épuisées,et en côtelettes ou en charcuterie.

La nourriture ne provient plus de la ferme. D’ailleurs il n’y a plus deferme : il y a des hangars à température bien réglée. On parle «d’ateliers por-cins» et c’est bien l’usine.

Alors il y a les nuisances. Les cochons, ça mange et ça rejette. Les excré-ments, solides et liquides, s’appellent le lisier. Autrefois, cela donnait dufumier et c’était utilisé pour les cultures. Aujourd’hui les cultures utilisentdéjà énormément d’engrais chimiques et le lisier vient en plus : il y en a desmilliers de tonnes qu’il faut bien mettre quelque part. Alors on l'épand dans leschamps, ce qui donne une odeur très caractéristique à certains cantons de Bre-tagne. Mais cela, en plus des engrais, pollue les nappes phréatiques et il n’y aquasiment plus d’eau propre en Bretagne, ce qui, soit dit en passant, est uneexcellente affaire pour les industriels de l’eau minérale et les trusts de ladépollution de l’eau du robinet, comme la Lyonnaise ou la Générale des Eaux.

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Elevage de poulets dans le Nord de la France : ni espace, ni lumière naturelle.

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Abattoir industriel de poulets, en Bretagne.

Dans un supermarché parisien. Que risque-t-on à croquer la pomme ?

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La qualité de la nourriture

Alors, peut-on dire que l’on mange plus mal qu’avant, comme on l’entendsouvent affirmer ? Peut-on dire que les risques alimentaires sont aujourd’huiplus grands que par le passé ?

La première condition, pour répondre correctement à ces questions, c’estde ne pas partir d’une vision idéalisée de ce qui se faisait hier, ou avant-hier.Le risque alimentaire a toujours existé. Pour nos ancêtres chasseurs-cueil-leurs, il consistait à bien connaître ce qui dans leur entourage naturel étaitconsommable, et ce qui était toxique, et bien souvent ils devaient se tromper.Et dès que l’agriculture et l’élevage ont commencé à se développer, il y a unedizaine de millénaires, cela s’est accompagné d’une augmentation de certainsrisques alimentaires.

Les caries dentaires, qui épargnaient nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, sil’on en juge par les fossiles retrouvés, sont devenues une affection courantelorsque les céréales ont commencé à représenter une part importante de laration énergétique. Et le goût, beaucoup plus récent, pour le sucre, n’a faitqu’aggraver ce problème.

Plus généralement, en cultivant une seule espèce de plante sur de vastesterrains, ou en élevant près de lui des troupeaux importants d’une mêmeespèce animale, l’homme a du même coup favorisé la multiplication de leursparasites, dont il est souvent devenu aussi la victime. La tuberculose humaineserait ainsi apparue avec l’élevage des bovins, et c’est le bacille de la tubercu-lose bovine qui aurait donné naissance, par mutation, à celui de la tuberculosehumaine.

En outre, en inventant au cours de son histoire des procédés de conserva-tion des aliments comme le séchage, le salage, le fumage, l’homme a pris desrisques qu’il maîtrisait mal, faute de connaissances, et il y a sûrement eu bienplus de victimes du botulisme à cause des salaisons familiales mal faites, decas de listériose à cause de fromages ou de charcuteries «maison», d’intoxica-tions alimentaires du fait de la cuisine familiale, que les produits industriels enont provoqué. Mais évidemment, on parlait d’autant moins des accidents de cetype qu’ils se situaient à l’échelle d’une famille et qu’on en ignorait bien sou-vent les causes.

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Dans les pays industrialisés, la qualité de la nourriture a plutôt progressé, àpreuve l’allongement de l’espérance de vie. On ne trouve plus de lait «nature»dans les villes, mais celui qu’on y vend est beaucoup plus sûr, bactériologi-quement, que le lait que l’on consommait il y a cinquante ans. Et on n’entendplus parler de ces aigrefins qui «mouillaient le lait» c’est-à-dire l’étendaientd’eau, d’une propreté parfois douteuse.

Le développement des moyens d’information joue d’ailleurs en faveur desconsommateurs. On voit bien lorsqu'une listériose est signalée quelque part,ou une trace de benzène dans une boisson gazeuse, que les chiffres de ventes’effondrent, et que le producteur doit rapatrier sa marchandise.

Dans les pays sous-développés, sauf pour les classes riches, cette évolutionn’est pas la même. La protection des consommateurs qui n’ont pas accès auxproduits importés des pays industrialisés, n’existe pas. La corruption estencore plus importante, les règles élémentaires de l’hygiène sont impossiblesà respecter, tant à cause du niveau culturel que du manque de moyenstechniques.

En ce qui concerne le goût, c’est un autre problème. D’abord c’est évidem-ment subjectif et variable selon les pays et les traditions alimentaires.

Les capitalistes de l’alimentation cherchent à uniformiser les produitsqu’ils vendent. Ce n’est pas nouveau. Déjà au XVIIIe siècle le marquis dePombal qui dirigeait les destinées d’un Portugal qui exportait presque tout sonPorto vers l’Angleterre, a imposé qu’il y ait un goût constant, pour éviter queles Anglais ne soient inquiets à chaque fois qu’ils déboucheraient une bou-teille. La qualité moyenne du vin de Porto y a peut-être gagné, mais les ama-teurs fortunés ont peut-être aussi plus de mal à trouver des vins excellents.

Car il ne faut pas oublier que tous ces gens qui déplorent aujourd’hui labaisse de qualité, sur le plan du goût, des produits alimentaires, ne raisonnentgénéralement qu’en fonction de ce que consommaient dans le passé les classespossédantes, et non les masses populaires.

Pendant très longtemps le prolétariat des villes s’est battu en réclamant «dupain». Et encore, le pain qu’il mangeait était de mauvaise qualité. Le tempsdes fins de mois difficiles où l’on «dansait devant le buffet» pour oublier qu’ilétait vide, ce n’est pas si ancien que cela. Et il n’est pas si reculé le temps oùdes familles ouvrières – et uniquement des villes – offraient en tout et pourtout une orange aux enfants pour Noël.

Et dans les campagnes, la base de l’alimentation était souvent de simplescéréales ou des légumes qui, aujourd’hui enrichis de tout un tas d’ingrédients,

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Illustration de la bonne chère.Mais pour la majorité de la population, ce plaisir de riche était rarement accessible.

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sont devenus des plats méconnaissables. Les paysans bretons mangeaient biendes galettes, mais pas avec tout ce qu’on y ajoute aujourd’hui dans les crêpe-ries. Les classes populaires mangeaient bien du pot-au-feu, de la paella enEspagne, de la choucroute en Europe centrale, et du couscous en Afrique duNord, mais c’était alors des plats de pauvres, avec pas grand-chose dedans, endehors des pommes de terre, des carottes, du riz, du chou ou de la semoule.

La viande que l’on trouve couramment en boucherie ne vaut pas le bœufcharolais d’autrefois ? Peut-être, mais quelle quantité de viande mangeait-on,au siècle dernier, dans les familles ouvrières ? La truite d’élevage ne vaut pasla truite de rivière ? Sans doute. Mais qui mangeait, en ville, de la truite derivière ?

Bien sûr, il y a eu les poulets ayant le goût de la farine de poisson qu’ilsavaient ingurgitée. Mais pour pouvoir écouler leurs produits les éleveurs ontété obligés de changer cela. Et c’est comme pour tout : il y a le haut de gammepour les favorisés de la fortune et le tout venant pour les autres. Mais c’est vraipour les habits, pour les voitures et pas seulement pour les aliments. Il y a lespoulets labellisés, et il y a ceux qui sont élevés en batterie et que l’on retrouvedans les cantines scolaires ou celles pompeusement baptisées restaurantsd’entreprise, dans les plats cuisinés à bas prix, ou que les producteurs expor-tent vers l’Afrique.

Mais d’un autre côté, avant la Deuxième Guerre et encore plusieurs annéesaprès, le poulet c’était uniquement le plat du dimanche. Aujourd’hui la plupartdes gens de ce pays pourraient en manger tous les jours.

Les fruits et les légumes frais poussent à coup d’engrais et sont surprotégéspar des pesticides. Débarrassés des parasites, beaucoup de ceux qu’on trouven’ont guère de goût. Malgré tout, chercheurs et agronomes essayent de mettreau point des variétés rencontrant plus la faveur des consommateurs, sans tou-jours y parvenir, il est vrai.

Le vin de table aussi s’est globalement amélioré depuis le temps de«l’Assommoir» de Zola. Et qui pleurerait sur la disparition des Kiravi,Gévéor, et autres «velours de l’estomac», comme disaient les publicités desannées 1960.

Il y a sans doute bien des choses à dire sur ce que nous fait absorberl’agroalimentaire capitaliste. Mais ceux qui font profession de dénoncer «lamerde», comme ils disent, que nous mangerions, le font généralement d’unpoint de vue élitiste qui n’est pas le nôtre.

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Cela dit, il n’y a pas que les problèmes des gastronomes à la recherche d’unhypothétique paradis perdu. Il y a dans la population des inquiétudes liées à uncertain nombre de problèmes qui ont défrayé la chronique, et des craintes plusou moins fondées.

Le problème des nitrates

Parmi les moins fondées, on peut citer le problème des nitrates dont lestaux sont en augmentation à cause de l’utilisation «généreuse» des engrais, etnotamment en Bretagne à cause des quantités énormes de lisier de porc.

D’après certaines études scientifiques, si l’on en croit l'article du profes-seur de nutrition Marian Apfelbaum publié dans le numéro spécial que lemensuel La Recherche a consacré en février dernier au «risque alimentaire»,le danger serait en fait inexistant. Les nitrates, que l’on trouve par ailleursnaturellement dans l’alimentation (il y en aurait 2 g par kilo dans la salade) nesont pas toxiques en eux-mêmes. S’ils ont été accusés, c’est parce que, danscertaines conditions (par exemple dans un biberon abandonné quelques heuresà la température ambiante, et où des bactéries peuvent pulluler), ils sont sus-ceptibles de se transformer en nitrites, toxiques pour les nourrissons (mais paspour les adultes).

Le danger est donc tout relatif et lié, en fait, au manque d’hygiène. Cepen-dant, pourquoi nous oblige-t-on à boire de l’eau contenant des nitrates, mêmes’ils ne sont pas toxiques.

De toute manière, les capitalistes de l’agroalimentaire ont été gagnants surtous les problèmes. Les fabricants d’eau du robinet, qui avaient dû en Bre-tagne verser des dommages et intérêts aux consommateurs ont réussi, à lasuite d’un récent jugement, à se faire indemniser par l’État. Et les vendeursd’eau en bouteille se sont vu offrir, avec ce problème des nitrates, mais aussidu goût affreux qu'a souvent l’eau du robinet, un marché élargi.

Le veau aux hormones et aux antibiotiques

Dans la catégorie des risques discutables, il y a aussi le problème du veauet du bœuf aux hormones. Les américains affirment qu’il ne présente aucunrisque. Les européens mettent cela en doute.

En fait, les hormones ont été utilisées en Europe comme en Amérique.C’est que la tentation est grande, car le fait d’administrer certaines hormones à

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Une fontainetraitée contre lesnitrates, àGuingamp, enBretagne.

Traitement des cultures.Les premiers intoxiqués sont lesagriculteurs eux-mêmes, dans lescabines pas très étanches de leurtracteurs.

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des animaux présente pour les marchands de viande un double avantage :d’une part grâce à leur action anabolisante, c’est-à-dire entraînant la produc-tion d’une quantité plus importante de muscle (c’est le même effet que celuirecherché par les athlètes qui se dopent aux hormones), d’autre part grâce à larétention d’eau qu’elles provoquent, et qui permet donc de vendre de la flotteau prix de l’escalope. Que l’escalope en question ait ensuite tendance à fondredans la poêle est une autre histoire, qui n’intéresse pas ceux dont la seule moti-vation est de faire le plus de fric possible.

En France, cette pratique a fait scandale et l’écroulement, il y a quelquesannées, du marché du veau a fait mettre cette pratique officiellement hors laloi. Aux États-Unis, elle n’émeut pas grand monde. C’est que les réactionsdivergent selon les cultures nationales. Ce sont les fromages pleins de moisis-sures et d’acariens dont la France est si fière qui paraissent impropres à laconsommation aux États-Unis.

Reste le problème essentiel, celui de savoir si les hormones données auxanimaux font courir des risques au consommateur. Il n’est pas très facile de seretrouver dans une discussion qui n’est souvent technique qu’en apparence, etoù les divers protectionnismes se dissimulent derrière des arguments scientifi-ques. Les producteurs américains prétendent que les consommateurs desÉtats-Unis ne s’en portent pas plus mal. Et les dirigeants agricoles européensont envisagé à plusieurs reprises de laisser entrer le bœuf américain. Mais cequi les inquiète, ce n’est pas seulement la concurrence du bœuf américain,c’est que les consommateurs qui regardent déjà avec suspicion la viandebovine, pourraient s’en détourner encore plus, pénalisant aussi, du mêmecoup, les Européens.

Mais après tout, puisqu’on peut très bien élever du bœuf sans hormones etqu’il n’y a pas pénurie en la matière, quel intérêt y a-t-il, pour le consomma-teur, à recourir à cette solution ?

Une autre manière d’obtenir plus de viande pour les éleveurs consiste àrecourir aux antibiotiques. On a remarqué que le fait de donner certains anti-biotiques aux animaux d’élevage (vivant, surtout quand il s’agit d’élevage enbatterie, dans des conditions de promiscuité et de stress qui favorisent lamaladie) améliorait leur croissance. Alors on fait donc absorber à nos vaillantsbovins, porcins, etc. des antibiotiques, sans qu’ils soient malades. Mais évi-demment, en faisant cela, on prend le risque de sélectionner des germes résis-tants aux antibiotiques en question, y compris des germes pathogènes pourl’espèce humaine. Aucune loi n’interdit pourtant cette pratique dans les éleva-ges, ni en Europe ni ailleurs, alors que des conditions d’élevage plus décentes,

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Aliments composés pour les bovins.

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tenant compte du bien-être des animaux, permettraient de réduire le recoursaux médicaments de toutes sortes.

La vache folle

Le problème de la maladie de la vache folle est lié lui aussi à la recherchedu moyen d’obtenir plus de viande, ou plus de lait, au moindre coût, non pasd’ailleurs dans l’intérêt du consommateur, qui n’a pas vu le prix du beefsteackdiminuer quand ces pratiques ont été introduites, mais dans celui del’agroalimentaire.

Dans la nature, les bovins broutent de l’herbe et s’en portent très bien.Mais les bovins herbivores ne grossissaient pas assez vite, ne donnaient pasassez de lait, aux yeux de l’agroalimentaire. On a donc vendu aux éleveurs desfarines carnées comme supplément alimentaire et, qui plus est, des farinesfabriquées à partir non seulement des déchets d’abattoirs ou de boucherie,mais de cadavres d’animaux morts de maladie. Tout cela se faisait depuis déjàun certain temps, sans avoir posé de problèmes particuliers, quand les fabri-cants se sont aperçus qu'avec d'autres techniques de fabrication ils obtenaientdes farines plus nutritives. Manque de chance, ces nouvelles techniques nedétruisaient pas aussi efficacement les prions, ces protéines anormales respon-sables de la dégénérescence cérébrale. C’est sans doute à partir de moutonsmorts de ce qu’on appelle la «tremblante», que les premières vaches maladesont été infectées. Et, comme de bien entendu, leurs cadavres ont servi à lafabrication de nouveaux lots de farines animales.

Jusque-là, les responsables pouvaient invoquer la fatalité, car à l’époquedes premiers cas on ne savait pas grand chose sur les maladies à prions. Maislà où il y eut vraiment scandale, c’est qu’une fois le lien établi entre les farinesanimales et la maladie de la vache folle, les fabricants de farines ont continuéallégrement à en fabriquer, et qu’il s’est écoulé plusieurs années entre l’appa-rition de la maladie en Grande-Bretagne en 1986, l’établissement du lien entremaladie et farines animales en 1988, et l’interdiction complète de l’utilisationde ces farines pour toutes les espèces il y a moins de six mois. C’est-à-dire quependant douze ans, ces farines sont restées présentes sur le marché, interditespour l’alimentation des bovins certes, mais présentes tout de même, avec tousles risques de fraude que cela comportait dans une société régie par le profitindividuel.

Nous avons d’ailleurs encore eu, dans les faits divers récents, un exemplede commercialisation frauduleuse de ces produits.

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Un éleveur protestecontre les farinesanimales, lors d'unemanifestation àMontauban ennovembre 2000.

Aliments completspour les poules.Tellement completsqu'ils contenaientprobablement de ladioxine.

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La politique du gouvernement dans cette crise de la vache folle a été biensignificative du rôle de l’État dans tout ce qui concerne l’agroalimentaire.Disons d’abord que s’il n’y avait pas l’État, s’il n’y avait que la libre entre-prise et les lois du marché, la situation serait bien pire, parce qu’au nom ducélèbre «les affaires sont les affaires», les capitalistes privés nous feraientvraiment manger n’importe quoi s’ils le pouvaient. L’État, lui, a en charge lagestion de la société capitaliste dans son ensemble, la défense des intérêtsgénéraux de la bourgeoisie, au besoin contre les intérêts particuliers. Et il estbien obligé d’intervenir quand la santé publique est trop menacée. Mais il lefait avec le souci de gêner le moins possible les capitalistes privés, et en subis-sant en plus les pressions des différents lobbies qui sévissent dans le domainede l’agroalimentaire, d’autant plus facilement que bonnes relations et corrup-tion aidant, il trouve des porte-parole dans le personnel politique de la bour-geoisie. D’où ces demi-mesures, ces douze années avant de prendre ladécision radicale qui s’imposait : l’interdiction complète des farines animales.D’où aussi le fait qu’au lieu d’arrêter leur fabrication, on les fabrique d’abordpour les détruire ensuite, afin de ne pas faire de peine aux capitalistes quitiraient leur richesse de cette activité. D’où enfin le fait que l’État n’ait jamaischerché à faire payer les responsables.

La fièvre aphteuse

Mais il n’y a pas que dans le cas de la maladie de la vache folle que l’État adéterminé sa politique en fonction des intérêts économiques de l’agroalimen-taire. L’épidémie de fièvre aphteuse, qui jusqu’à présent n’a fait que frôler laFrance, mais qui a fait des ravages en Grande-Bretagne, en est aussi un bonexemple.

C’est pour des raisons économiques, pour ne pas gêner les exportations,que la vaccination du bétail contre la fièvre aphteuse a été arrêtée en Europe.Et face au danger d’épidémie à grande échelle, l’État a préféré prendre desmesures d’élimination de tous les troupeaux suspects, plutôt que de reprendrecette vaccination. Cette fois-ci, pour le moment du moins, et au prix d’unénorme gâchis, cela s’est bien passé en ce sens que l’épidémie ne s’est pasétendue. Mais la maladie n’est évidemment pas éradiquée. Et les mêmes cau-ses produisant les mêmes effets, nous pouvons être certains que nous connaî-trons à l’avenir d’autres épidémies de cette maladie, peut-être aussiimportantes que celle que connaît encore la Grande-Bretagne. Mais c’est

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«Pas d'expériences génétiques avec notre nourriture». Certes, le capitalisme est dangereux,mais pas la recherche.

Tentative d'introduire l'arachide en France.

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l’agroalimentaire qui encaisse les bénéfices des exportations, et la collectivitéqui paie le prix des épidémies !

Les OGM

Les consommateurs ont toutes les raisons d’être méfiants vis-à-vis de cequ’on veut leur faire ingurgiter. Mais cette méfiance s’exprime parfois à tra-vers des prises de position irrationnelles, liées au mythe du «tout ce qui estnaturel est bon, tout ce qui ne l’est pas est dangereux», positions qui viennentbrouiller les vrais problèmes. C’est particulièrement le cas en ce qui concernela question des organismes génétiquement modifiés, les OGM. Tous les ani-maux et toutes les plantes ont leurs caractéristiques et leur identité détermi-nées par l’ensemble de leurs gènes dont beaucoup sont communs à tous lesêtres vivants.

En dehors de quelques esprits particulièrement rétrogrades, la grandemajorité des gens accepte très bien l’idée qu’on utilise le génie génétique poursoigner des maladies. La preuve en est le succès du Téléthon. Mais l’idéed’avoir dans son assiette des végétaux dont le patrimoine génétique a étémodifié par l’homme est beaucoup moins populaire. Cela va de ceux qui vou-draient à juste titre savoir ce qu’ils mangent, et réclament un étiquetage préciset complet des produits, à ceux qui sont opposés à toute recherche en cedomaine.

Pourtant, toutes les plantes que nous consommons sont des plantes modi-fiées par l’homme (par la sélection artificielle, les hybridations), qui n’ontplus que de lointains rapports avec celles dont elles sont issues. Et le fait derendre des plantes, en modifiant leurs gènes, capables de pousser sous d’autresclimats, ou de mieux résister aux insectes (et par là permettant d'utiliser moinsde pesticides), serait incontestablement un progrès !

Mais le bien être de l’humanité n’est évidemment pas la principale motiva-tion des sociétés qui s’efforcent de produire des organismes génétiquementmodifiés. Il s’agit d’abord pour eux, c’est la règle du capitalisme, de faire dufric. Et s’ils ont travaillé à la mise au point de semences stériles, ce n’est passeulement pour empêcher les OGM de se répandre dans la nature (ce qui seraitaprès tout une stratégie envisageable), mais pour prendre une assurance deplus sur le fait que le marché se renouvellerait automatiquement chaque annéedans le Tiers Monde, car dans les pays industrialisés au moins, il y a long-temps que les paysans ne sèment que des semences sélectionnées par desprofessionnels.

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Oh, qu'il est «bio» ! mais le «levain naturel» fait aussi lever les prix !

Des producteurs de lait de la FDSEA du Calvados protestent contre la chute des prix,devant une usine Danone, lequel Danone fait aussi chuter les emplois.

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Mais toute innovation comporte des risques, et demanderait donc à êtretestée avant d’être largement utilisée. Ce serait cela la prudence. Mais c’estcontraire à l’esprit des capitalistes, pour qui dès qu’il y a de l’argent à faire, ilfaut en profiter le plus vite possible.

Il n’est pas du tout sûr que toutes les vérifications aient été faites avantqu'on se mette à produire des millions de tonnes de maïs et de soja génétique-ment modifiés. Et il y avait d’autant moins urgence, qu’il y a surproduction etdes terres en jachère !

Seulement le marché a ses lois : il ne suffit pas d’avoir un produit à vendrepour faire des affaires, il faut des consommateurs pour l’acheter. Et les réti-cences des consommateurs devant les OGM sont pour le moment le frein leplus efficace à leur développement !

Le bioLa mode «bio» est une réaction à ces craintes concernant la sécurité ali-

mentaire. La mode, car pour le moment le «bio» représente 1 % de la consom-mation, même si, selon un sondage, 27 % des «ménages» seraient acheteursoccasionnels. Il s’agit de consommer des produits sans engrais, autres quenaturels, et sans pesticides. C’est plus sain ? Probablement, sous réserve bienentendu qu’il n’y ait pas d’arnaque. Mais le «bio» pose plusieurs problèmes.D’abord il est nettement plus cher que le «pas-bio». Et, de ce fait il écarte lamajorité des consommateurs des classes populaires. Ensuite, si on se mettaitvraiment à cultiver toutes les terres sans engrais artificiels, ni produits phyto-sanitaires, il est probable qu’on retomberait vite à des rendements très bas.Alors si le «bio» est possible, c’est à condition que la majorité ne l’utilise pas.C’est la méthode de sauvetage «Titanic» : il n’y en aura pas pour tout lemonde ! Or le problème c’est d’avoir une agriculture de qualité, pas seulementpour quelques privilégiés qui ont les moyens de se la payer, mais pourl’ensemble de la population.

Quant à ceux qui rêvent d’échapper grâce au «bio» à un monde où l’argentest roi, ils se trompent lourdement. Car pour les capitalistes, tout ce qui sevend est bon à vendre. Et le «bio» a déjà été récupéré par l’agroalimentaire. Ilfigure en bonne place dans les rayons de certaines grandes surfaces, commeCarrefour et Auchan. Et si le succès du «bio» se confirme auprès d’un certainpublic, il en sera de plus en plus ainsi.

Car en fait le problème essentiel auquel se trouve confrontée notre sociétén’est pas celui de la valeur de telle ou telle technique, c’est celui de

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l’organisation sociale elle-même, de savoir au service de qui est cette tech-nique, au service de qui fonctionne l’économie.

La fermeture de certaines usines LU (parmi les multiples plans sociaux quifont la une de l’actualité) montre clairement que l’agroalimentaire, commetoutes autres les branches de l’économie, n’est pas au service des producteurs.Elle n’est pas non plus au service des consommateurs. Elle ne sert que les inté-rêts de ses actionnaires.

Et tout l’enjeu de notre époque, c’est au contraire de construire une sociétéoù l’économie visera la satisfaction des besoins de l’humanité entière.

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Les employés de l'abattoir de volailles Tilly Sabco à Plouay, mnifestent contre la fermetureannoncée, avec 241 licenciements.

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LES BROCHURES DU CERCLE LÉON TROTSKY1 Le colonialisme, 1830-1914. 7/10/832 Les Palestiniens, histoire d’un peuple

qui a Israël pour adversaireet les Etats arabes comme ennemis. 25/11/83

3 Les Etats-Unis et l’Amérique latine. 13/01/844 Le Parti Communiste, de ses origines

communistes au parti de gouvernement. 3/02/845 L’Afrique du Sud, histoire d’une colonie ;

lutte de classe et oppression coloniale. 9/03/846 1929-1941 : de la crise

à la Seconde Guerre mondiale. 13/04/847 Yalta, de la peur de la révolution

au partage du monde. 28/09/848 Nicaragua : le mouvement sandiniste,

ses hommes, son histoire, sa politique. 26/10/849 La Chine, de Mao à la démaoïsation. 23/11/84

10 Cuba, Castro et le castrisme. 25/01/8511 Maghreb : les classes populaires,

la bourgeoisie nationale et l’impérialisme. 11/03/8512 De la Russie révolutionnaire

à l’URSS des bureaucrates 26/04/8513 Les syndicats dans les pays impérialistes :

de la lutte de classe à l’intégration dans l’Etat. 14/06/8514 Chili : de l’Unité Populaire à la

dictature militaire (1970-1973). 27/09/8515 Pologne 1980-81 : des grèves

de Gdansk à la dictature militaire. 25/10/8516 La crise de l’économie capitaliste mondiale. 29/11/8517 Les partis communistes des pays occidentaux. 25/04/8618 Les partis communistes

dans les pays sous-développés. 23/06/8619 1956 dans les Démocraties populaires. 26/09/8620 L’impérialisme français au Moyen-Orient. 24/10/8621 Le terrorisme, la guerilla

et la lutte armée des organisations nationalistes. 28/11/8622 La flambée de la Bourse

dans un système capitaliste en crise. 20/028723 Iran : de la dictature du chah à

celle de Khomeiny, la révolution escamotée. 30/04/8724 70e anniversaire de la Révolution d’octobre :

l’actualité de la révolution prolétarienne. 13/11/8725 Le krach boursier d’octobre 1987,

nouvelle étape de la crise mondiale du capital. 11/12/8726 Le désarmement dont

parlent les «grands» : un leurre. 15/01/8827 Cinquante ans après la fondation de la IVe Internationale,

quelles perspectives pour les militantsrévolutionnaires internationalistes ? 30/09/88

28 L’Union soviétique de Gorbatchev. 18/11/8829 L’Algérie, de la mise en place du régime

nationaliste à l’explosion ouvrière. 16/12/8830 Europe de l’Est, crise et montée des nationalismes. 27/01/8931 1789... la révolution ! 3/03/8932 L’Europe unie, une nécessité,

mais une impossibilité sous le capitalisme. 28/04/8933 Où va l’URSS de la pérestroïka ? 6/10/8934 L’URSS lâche ses satellites : la

RDA sur orbite de la RFA. 10/11/8935 Afrique du Sud : 15 années de lutte

du prolétariat contre l’apartheid. 12/12/8936 Le renversement de la dictature roumaine

et l’avenir de l’Europe de l’Est. 26/01/9037 L’impérialisme à la fin du XXe siècle :

le Japon peut-il remplacer les Etats-Unis ? 16/03/9038 Relations Est-Ouest : la fin des «blocs»,

rien à voir avec la fin du communisme. 27/04/9039 L’impérialisme français et

ses anciennes colonies d’Afrique noire. 29/06/9040 La crise du golfe, l’agression

impérialiste au Moyen-Orient. 5/10/9041 Crise ou relance, le capital le fait

durement payer au prolétariat de la planète. 9/11/9042 La Pologne après Jaruzelski. 14/12/9043 Les intégrismes religieux,

instruments de la réaction politique. 1/02/9144 La gauche et les guerres coloniales. 8/03/9145 Les avatars de l’hégémonie américaine depuis 1945. 12/04/91

46 La remontée des nationalismesen Europe centrale et balkanique. 14/06/91

47 URSS. Après le coup d’Etat manqué. 4/10/9148 La Yougoslavie déchirée par les nationalismes. 8/11/9149 Nationalisations et dénationalisations au service

de la bourgeoisie. 13/12/9150 L’Europe en 1992. 17/01/9251 Billancourt : reflet des luttes sociales

et de la politique patronale et gouvernementaledes cinquante dernières années. 22/05/92

52 Les puissances impérialistes et la situation dans l’ex-Yougosla-vie. 2/10/92

53 Les Etats-Unis à l’heure des électionsprésidentielles et de la crise. 6/11/92

54 Italie : une crise particulière ? 11/12/9255 De «l’affaire de Panama» aux «affaires» en cours :

les scandales politico-financiers,une longue tradition... 29/01/93

56 Exposé d’Arlette Laguillerau Cercle Léon Trotsky du 16 avril 1993 :au lendemain des élections législatives de mars 1993.

16/04/9357 Les Etats-Unis dans les années 30 :

crise, New Deal et luttes ouvrières. 25/06/9358 De la «Guerre des pierres» à un Etat palestinien ? 8/10/9359 Le peuple algérien face à la double

pression réactionnaire de l’armée et du FIS. 17/12/9360 L’Afrique noire ravagée par l’impérialisme. 4/02/9461 Haïti 1994. 18/03/9462 L’Union européenne : arène

rénovée de la guerre des trusts. 29/04/9463 De l’avant-guerre à l’après-Seconde Guerre mondiale.

La «Libération» et la continuité de l’Etat français. 7/10/9465 Rwanda, Burundi, Zaïre : les ravages

de cent ans de domination impérialiste. 16/12/9466 Où en est la cause des femmes ? 10/11/9567 Israël : comment le sionisme

a produit l’extrême droite. 2/02/9668 Espagne 1931-1937 : la politique de front populaire

contre la classe ouvrière 3/05/9669 Du Front unique aux différentes moutures

de l’Union de la Gauche,les relations du PCF et des socialistes. 29/03/96

70 Les Kurdes, victimes de la politique impérialiste...et de celle de leurs propres dirigeants. 8/11/96

71 Le communisme, l'écologie, et les écologistes 13/12/9672 La «mondialisation» de l'économie 14/03/9773 La protection sociale : des assurances

contre la révolte ouvrière 31/01/9774 Capitalisme et immigration 3/10/9775 Actualité du communisme

face à la mondialisation capitalisteExposé d’Arlette LAGUILLERpour le 80e anniversaire de la Révolution russe 7/11/97

76 Le peuple algérien face à la barbarieislamiste et à la dictature des militaires :les responsabilités de l'impérialisme français 12/12/97

77 Pouvoir central, pouvoirs régionaux et locaux...et contrôle populaire 30/01/98

78 En 1999, l’euro ?Face aux bourgeois qui unifient leurs monnaies, lesintérêts communs des travailleurs de toute l’Europe 24/04/98

79 Cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavagedans les colonies françaisesEsclavage et capitalisme 12/06/98

80 La crise économique et financière 13/11/9881 La Chine et l’économie de marché :

un grand bond en avant ou un grand pas en arrière ? 11/12/98N° spécial : Leur Europe est celle des financiers

il faut construire l'Europe des peuples 19/3/9984 Les partis commuistes aujourd'hui 5/11/9986 «Mondialisation», OMC, Seattle,

qu’y a-t-il de changé dans le capitalisme ?Les révolutionnaires et le réformisme de crise 25/2/2000

87 De l’URSS à la Russie de Poutine 12/5/ 200089 Démocratie, démocratie parlementaire,

démocratie communale 26/1/2001