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Du même auteur

Aux sources de l’orientalismeLa Bibliothèque orientale de Barthélemi d’Herbelot :

Maisonneuve et Larose, 1978

Les Origines intellectuelles de l’expédition d’ÉgypteL’orientalisme islamisant en France (1698-1798)

Isis, Istanbul-Paris, 1987

Kléber en ÉgypteKléber et Bonaparte

IFAO, Le Caire, 1988

L’Expédition d’Égypte(avec C.C. Gillispie, J.-C. Golvin, C. Traunecker)

Armand Colin, 1989

Le Royaume impossiblela France et la genèse du monde arabe

Armand Colin, 1990

Le Grand JeuOrient arabe et rivalités internationales

Armand Colin, 1991

Lawrence en ArabieGallimard-Découvertes, 1992

L’Orient arabeArabisme et islamisme de 1798 à 1945

Armand Colin, 1993

Kléber en ÉgypteKléber, commandant en chef

IFAO, Le Caire, 1995

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Henry Laurens

L’Expéditiond’Égypte

1798-1801

NOUVELLE ÉDITION

COMPLÉTÉE ET MISE À JOUR

PAR L’AUTEUR

Éditions du Seuil

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La présente édition est la version complétée et mise à jour du texte de Henry Laurens publié dans l’ouvrage de Henry Laurens

et Charles C. Gillispie, Jean-Claude Golvin, Claude Traunecker,avec des illustrations et des annexes,

par les éditions Armand Colin en 1989.

ISBN 978-2-75-784715-2(ISBN 2-200-37183-7, 1re publication)

© Éditons du Seuil, septembre 1997

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédéque ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçonsanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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Avant-propos

Malgré des travaux de grands historiens, comme ceux deGeorges Lefebvre et de Jacques Godechot, la période de laRévolution française qui commence avec le Directoire resteen général délaissée et méprisée. Pour nombre d’entre nousencore, la Révolution se termine par la chute de Robespierre,et ce qui se passe, entre 1794 et 1799, n’est qu’une longueagonie du régime républicain. Seule l’épopée napoléoniennenaissante est jugée digne d’intérêt et vers un homme, leconquérant, se tournent tous les regards. Les débats idéolo-giques et politiques, auxquels il participe activement, ne sontpris en considération qu’en fonction de sa carrière.

L’expédition d’Égypte (1798-1801) et les guerres de laseconde coalition font ainsi un étrange chassé-croisé. Durantla première année, Bonaparte en Égypte attire l’attention,ensuite le redressement de la position française en Europe,grâce à l’action du premier consul, conduit à négliger l’aven-ture égyptienne qui continue pendant deux ans.

Pourtant l’expédition, durant son déroulement même, apassionné l’Europe. La presse de l’époque en a multiplié lesrécits immédiats. Toute une iconographie est apparue. Lesannées suivantes, l’œuvre de Vivant Denon, puis la Descrip-tion de l’Égypte, en ont popularisé les images au point de créer une esthétique égyptianisante et orientalisante, quel’on retrouve dans tous les arts du début du XIXe siècle. Cetengouement a duré jusqu’à nos jours. Depuis 1815, tous lesans, paraissent des souvenirs ou des études sur l’expédition.L’image du conquérant, sur un fond de pyramides égyp-tiennes, symbolise bien cette rencontre entre les mystèresd’une Égypte éternelle et la carrière exceptionnelle d’unhéros.

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Que peut donc apporter un nouveau livre à cette si dense lit-térature ? serait-on tenté de se demander. Pourtant, à examinerles choses de près, on s’aperçoit que des lacunes considérablessubsistent. Le mythe napoléonien et la légende noire qui l’ac-compagne ont fait de certains épisodes des sujets de contro-verse. La période qui suit le départ de Bonaparte est restéenégligée, en particulier le temps du commandement de Kléber. L’impact durable de l’expédition dans l’œuvrescientifique a besoin d’être évaluée avec précision ; l’histoirede l’Orient islamique reste à étudier.

L’historiographie libérale de la seconde moitié du XIXe siècle,en Europe comme en Orient, a fait de l’expédition d’Égypte lepoint de départ de la modernité dans l’Orient arabe. Un mondefermé et stagnant aurait connu, dans la violence, une ouvertureforcée au monde moderne suscitant une renaissance culturelle etnationale, dont l’influence se fait encore sentir de nos jours. Uneversion à peine modifiée de cette idée se retrouve chez les isla-mistes contemporains : l’homogénéité et l’harmonie de la civi-lisation islamique égyptienne et moyen-orientale auraient étéirrémédiablement atteintes par l’agression culturelle qui aaccompagné et suivi cette expédition militaire ; version infir-mée, par certains historiens anglo-saxons, qui ont soutenu très tôt que cette affaire n’avait été qu’un épisode sans consé-quence durable dans l’histoire mouvementée de l’Égypte de lafin du XVIIIe siècle.

Pour les promoteurs de l’entreprise, l’Orient semblait aubord de la révolte, le monde ottoman en mouvement, à la veillede connaître de « grandes choses ». Cette vision a des raisonsd’être, tout comme la réalité des évolutions politiques etsociales dans les provinces arabes de l’Empire ottoman.

Les révolutionnaires français appartenaient au monde desLumières. Une approche économiste des problèmes ne pouvaitleur suffire. Certes l’idée de s’emparer de sources de matièrespremières et de s’assurer de nouveaux débouchés pour les pro-duits manufacturés de la métropole ne leur était pas inconnue.Mais, conséquents avec ce qu’ils avaient entrepris en Europe,ils pensaient en termes de transformation totale des sociétésislamiques. Ils l’ont affirmé constamment et ont tenté de le réa-liser.

Au-delà de l’aventure personnelle d’un Bonaparte et de

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l’épopée de la première armée française d’Orient, l’expéditiond’Égypte est bien la confrontation entre la Révolution fran-çaise sur la voie de l’expansion militaire, et l’Islam, fort de satradition millénaire, mais en plein renouvellement social etéconomique.

Pourquoi la Révolution française se termine-t-elle par uneexpédition coloniale ? Quelle est la réalité des sociétés arabesproche-orientales à la fin du XVIIIe siècle ? Quels ont été les rap-ports entre les Français et les Égyptiens durant cette périodemouvementée ? Quelle importance réelle a eu cet épisode pourle Moyen-Orient ? Seule, l’étude des structures et des événe-ments permet d’apporter des réponses à ces interro gations.Cela explique le choix, fait ici, d’une perspective strictementchronologique.

À bien des égards, ces trois années apparaissent comme laprophétie des décennies qui suivent. Chaque moment révèleson originalité et mérite d’être considéré en lui-même. C’estpourquoi, au risque de trop longues citations, on laissera leplus possible la parole aux acteurs eux-mêmes. Leur discours,si souvent repris après eux, a la force et la puissance du tempsdes origines.

Pour en conserver la saveur, on a maintenu dans la majoritédes cas une transcription des mots orientaux proche de celle dela fin du XVIIIe siècle. Il a fallu néanmoins, par souci de cohé-rence, les uniformiser, y compris dans la plupart des citations.Il est à espérer que les arabisants retrouveront sans problèmeles formes arabes originales. Par ailleurs, on a choisi une trans-cription scientifique simplifiée, utilisant l’italique, pour lestermes renvoyant aux institutions et aux fonctions de la sociétéproche-orientale afin d’en montrer l’irréductible originalitéface aux tentatives des conquérants.

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Remerciements

Ce travail n’aurait pu être mené à bien sans une certaine visionde l’histoire et de la société orientale acquise par une participa-tion de plus de dix ans aux activités du Centre d’histoire de l’Islamcontemporain de l’université de Paris-Sorbonne (Paris IV). Madette est particulièrement grande envers le professeur DominiqueChevallier qui en est le fondateur et l’animateur. M. GeorgesBohas, directeur de l’Institut français d’études arabes de Damas,m’a permis, dans le cadre d’une bourse d’études d’un an accordéepar son institut en 1981-1982, de consacrer une grande partie demon temps à la lecture minutieuse des chroniques de Jabarti, encompagnie du professeur Fakhouri, de l’université d’Alep. M. Jean-Louis Bacqué-Grammont, directeur de l’Institut français d’étudesanatoliennes d’Istanbul, m’a procuré toutes les facilités de travaildans son institut durant mes séjours successifs dans cette ville. J’aipu ainsi mieux appréhender les réalités ottomanes. Mme Posener,directrice de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire,m’a généreusement accueilli dans son institution durant mes diffé-rentes missions en Égypte et s’est particulièrement intéressée à mesétudes sur le général Kléber. Son aide a été essentielle pour lapublication des papiers personnels de ce grand personnage. LePère Martin du collège de la Sainte-Famille du Caire m’a donnétoutes les libertés de puiser dans la vaste bibliothèque dont il est legardien et discuter avec lui est toujours un enrichissement pour sonauditeur. MM. André Raymond et Gilbert Delanoue ont bien voulume recevoir à de très nombreuses reprises et m’enrichir de leurvaste érudition sur l’Égypte des XVIIIe et XIXe siècles. M. Jean Tulardm’a ouvert les portes de l’Institut Napoléon et M. Michel Vovellecelles de la bibliothèque Albert-Soboul.

Durant toutes ces années, j’ai profité de la grande gentillesse del’ensemble du personnel du service historique de l’armée de Terreau château de Vincennes. L’excellente atmosphère de travail de cetétablissement leur doit beaucoup.

M. Jacques Laurens, Mme Maha Baaklini Laurens et M. NicolasVatin ont bien voulu relire le manuscrit de cet ouvrage et ontapporté leur collaboration.

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Le Delta et la Basse-Égypte (cliché J.-C. Carmignini).

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Palestine et Syrie (cliché J.-C. Carmignini).

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L’expédition

Géopolitique des Lumières

L’Ancien Monde

La seconde moitié du XVIIIe siècle voit la géographie politiquemondiale, presque stable depuis les Grandes Découvertes, se transformer considérablement. Tout à coup, l’Amériquese ferme à l’expansion européenne : la guerre de Sept Anschasse les Français d’Amérique du Nord (1763), la guerred’Indépendance des États-Unis réduit la part de l’Angleterrequi doit prévoir pour ses dernières possessions une autono-mie de plus en plus importante. Les Antilles paraissentdevoir, dans un avenir proche, dépendre des États-Unis. Toutlaisse à penser que l’Amérique latine, possession des puis-sances ibériques, suivra une évolution semblable à celle del’Amérique du Nord. Le chapitre européen de l’histoire desAmériques se termine et, avec lui, le premier empire colonialdes puissances maritimes de l’Europe de l’Ouest. Avec laprise de conscience de l’affranchissement des Amériques, leterme « Occident » supplante celui d’« Europe » pour dési-gner le domaine géographique de la culture européenne1.

L’Ancien Monde a été à peine touché depuis le XVIe siècle.À la première expansion européenne dans ces contrées a suc-cédé, au siècle suivant, un repli. La Chine et le Japon se sontfermés, l’Empire ottoman et la Perse ne tolèrent que des rela-tions commerciales et diplomatiques. La véritable implan tationterritoriale européenne n’existe que dans les archipels desocéans Indien et Pacifique et dans certaines régions de l’Afrique.

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Une exception notable existe pourtant : les Indes. L’effon-drement de la puissance moghole permet la mise en placed’un équilibre local des puissances qui utilisent éventuelle-ment des mercenaires européens pour entraîner leurs armées.Dès lors, au XVIIIe siècle, Français et Anglais s’opposent déjàdans un « Grand Jeu » limité au subcontinent dont le but estle contrôle de son commerce. L’Angleterre l’a gagné durantla guerre de Sept Ans, devenant de ce fait une puissance terri-toriale, participant pleinement au jeu complexe de l’équilibrelocal. Un système politique nouveau double maintenant enAsie le fragile équilibre européen : la France peut revenir demanière offensive dans ces régions en coalisant autour d’elletoutes les puissances locales hostiles à l’Angleterre ; la Rus-sie de Catherine II commence à envisager une incursion versl’océan Indien en passant par l’Afghanistan, la route tradi-tionnelle des invasions terrestres du subcontinent indien.

Les Indes sont une tentation et l’Angleterre un modèle. La Perse, elle, n’est accessible que pour la Russie. Depuisl’époque de Pierre le Grand, profitant de l’effondrement del’Empire safavide, la Russie a commencé ses empiétements.Mais le pays n’est pas aussi affaibli qu’il le paraît. L’aventuretoute récente de Nadir Shah, dont les armées sont allées deBagdad à Delhi dans les années trente et quarante du siècle, estlà pour le rappeler. Avec l’avènement de la dynastie des Qad-jars, le pays semble se stabiliser après plus d’un demi-siècle detroubles qui ont passionné l’Europe.

L’Empire ottoman

Plus proche est l’Empire ottoman. Il regroupe sous son autorité tout l’Occident de l’Islam à l’exception du Maroc et, encore au XVIIe siècle, étend son influence au détriment de l’Europe chrétienne. Cette grande puissance est, depuis le XVIe siècle, intégrée au système politique européen. Desambassades européennes sont établies de façon permanentedans sa capitale. Occasionnellement, le gouvernement ottomanenvoie des mandataires dans les grands pays d’Europe. Unealliance traditionnelle existe avec la France.

Mais cet Empire présente des signes de déclin. Le phéno-

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mène est complexe. Le processus de décentralisation poli-tique, amorcé dès la fin du XVIe siècle, connaît alors son apo-gée. Sous la direction autoritaire de pachas gouverneurs deprovince, des quasi-États se sont formés dans les principalesrégions de l’Empire et le pouvoir central, la Sublime Porte, a bien du mal à se faire obéir. Mais tout reste à l’intérieur du système ottoman. Si des guerres peuvent opposer les gou-verneurs entre eux, il n’existe en fait de frontières que deslimites administratives, et tous ces hauts fonctionnaires impé-riaux sont parties prenantes du jeu politique. Faute de pou-voir réduire ces autonomies, comme elle le souhaite, la Portejoue sur les rivalités et gère seule ce qu’on peut appelerl’équilibre ottoman.

À cette décentralisation correspond un affaiblissement de la discipline intérieure. Soumis à de fortes pressions, quifont des unités militaires l’expression de la société civile isla-mique, le pouvoir central ne dispose plus d’un instrumentmilitaire aussi cohérent et discipliné qu’à l’époque des pre-miers siècles ottomans. Alors qu’en Europe, le maniementdes hommes culmine avec la discipline prussienne, l’arméeottomane paraît être de plus en plus désorganisée.

Surtout, l’Empire ne connaît pas, au XVIIIe siècle, une crois-sance de population équivalente à celle de l’Europe, qui commence à s’affranchir des principales causes de grandemortalité, amorçant ainsi sa révolution démographique. Dansl’espace ottoman, les épidémies de peste reviennent régu -lièrement, et la maladie y est endémique. L’importance dunomadisme et l’insécurité que font régner les Bédouins et lesTurcomans limitent le domaine agricole. L’accroissement dela fiscalité et un système de prélèvement inadapté, malgré les mesures prises par le pouvoir central pour le réformer,n’incitent pas les paysans à augmenter leur production, bienqu’une diversification des cultures se produise, en raison desdemandes croissantes du marché européen. Sur le plan démo-graphique, l’Empire ottoman en est encore à une phase d’his-toire immobile, de variation du nombre d’habitants entre desplanchers variables et un plafond qui ne pourra être dépasséqu’au XIXe siècle avec la réimposition d’un pouvoir centralfort. Sur une très longue durée (du XVIe au XVIIIe siècle), onpeut observer une certaine hausse du nombre des hommes,

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au moins dans les provinces asiatiques, mais ce n’est nulle-ment comparable avec les chiffres européens.

Ainsi l’Empire pèse démographiquement de moins enmoins par rapport à ces deux voisins ambitieux qui, sous la direction des despotes éclairés, renforcent la puissance del’État avec son expression militaire et gèrent ainsi, dans ladiscipline, l’accroissement considérable du nombre d’habi-tants. Dans la seconde moitié du siècle, l’équilibre entre l’Em-pire ottoman, l’Autriche et la Russie est nettement rompu.Deux guerres le montrent bien : celle de 1768-1774 où, àl’appel de la France, l’Empire ottoman se porte au secours dela Pologne contre la Russie de Catherine II ; les défaites sonttelles que l’avenir de l’Empire devient douteux. Celle de1787-1792, où l’Autriche se joint à la Russie, imaginant ainsipouvoir participer à un partage des Balkans identique à celuide la Pologne. La France prise dans la pré-Révolution, puisdans la Révolution elle-même, se désintéresse du jeu et lesOttomans aux abois doivent faire appel à ces nouveaux venusdans la région que sont la Prusse et l’Angleterre. La tensioncroissante provoquée par la Révolution et le second partagede la Pologne sauvent, provisoirement pour les contempo-rains, l’Empire ottoman de l’anéantissement que des obser-vateurs avertis prévoient.

La France et l’Orient

Alors que la Révolution commence, le sens commun européenestime que la « question d’Orient », c’est-à-dire l’avenir des ter-ritoires ottomans, est la question essentielle qui dominera la findu siècle. Ce qui se passe en France apparaît à beaucoupcomme un accident de parcours peu durable. Une stabilisationprovisoire de la Révolution et l’on reviendra nécessairementà l’Orient2.

La France de l’Ancien Régime est le grand partenaire del’Empire ottoman. Le magnifique réseau commercial desÉchelles du Levant, patiemment constitué par la Chambre ducommerce de Marseille et le secrétariat d’État à la Marinedepuis l’époque de Colbert, fait d’elle la puissance euro-péenne la mieux implantée dans le monde ottoman. Un per-

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médiation de Sidney Smith, 339 – Les instructions des négocia-teurs français, 341 – La chute d’El-Arich, 342 – La démoralisa-tion de l’armée, 344 – La décision d’évacuer l’Égypte, 345 – Laconvention, 348 – Les intentions de Kléber, 350.

Héliopolis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352La nouvelle du 18 Brumaire, 352 – Lord Elgin et les frèresSmith, 355 – L’embarras du gouvernement britannique, 357 –L’Inde ou l’Europe, 359 – L’application de la convention, 360 –La lettre de Lord Keith, 363 – La mission de John Keith, 364 –Les contacts avec Mourad Bey, 366 – Les négociations de la der-nière chance, 367 – Les confidences de Kléber, 369 – La batailled’Héliopolis, 371.

La reconquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373L’insurrection du Caire, 373 – Les ouvertures de Kléber, 375 –Le traité avec Mourad Bey, 376 – La radicalisation de l’insur-rection, 378 – L’assaut final, 379 – La contribution extraordi-naire, 381 – Le shaykh Al-Sadat, 383– La formation de troupeslocales, 384 – La réorganisation financière, 386 – L’ambiguïtéde l’attitude de Kléber, 387 – Les projets de Sidney Smith, 389– La rupture avec les Anglais, 390 – Les négociations avec lesOttomans, 391 – La mort de Desaix, 392 – L’assassinat de Klé-ber, 393.

8. MENOU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 395

Le choix colonial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 395La désignation de Menou, 395 – La signification de l’expédi-tion, 396 – La résignation de l’armée, 398 – Le projet colonial,399 – Les finances, 400 – Lascaris, 401 – Les autres projets deréforme, 403 – Les shaykh de village, 405 – Les autres mesuresfinancières, 406 – Menou et l’armée, 408 – L’été 1800, 409.

La politique égyptienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 410La justice, 410 – Le nouveau diwan, 412 – La suppression del’iltizam, 414 – Menou et les shaykh, 417 – Les contactsculturels, 419 – Les minoritaires, 420 – Mourad Bey, 421.

La fronde des généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424Les clientèles militaires, 424 – Désaccord politique et conflit depersonnes, 426 – L’affermissement de la position de Menou, 428– Daure, 429 – L’Institut, 430 – La démarche des divisionnaires,431 – La confirmation de Menou, 434 – La dernière manipula-tion de Sidney Smith, 435 – L’Europe et l’Égypte, 437 – Le pre-mier consul, 437 – La décision anglaise, 439.

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L’effondrement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 440L’expédition anglaise, 440 – Le débarquement anglais, 442 –Les premiers échecs français, 443 – La bataille de Canope, 445– La crise du commandement, 447 – La chute de Rosette, 448 –La disgrâce de Sidney Smith, 449 – L’accumulation des erreurs,450 – L’étrange timidité de Belliard, 452 – L’armée colonialeanglaise, 453 – La capitulation du Caire, 454 – Le projet d’indé-pendance de l’Égypte, 458 – Premiers conflits entre Ottomans etMamlouks, 460 – L’intransigeance de Menou, 460 – Les dissen-sions anglaises, 462– La capitulation d’Alexandrie, 463 – Leretour en France, 465.

CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 467

La Révolution française et l’Islam . . . . . . . . . . . . . . . 467Le bilan, 468 – L’expédition coloniale, 469 – La transmissiondes idéologies, 470.

NOTES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 475

ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 579

INDEX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 585

RÉALISATION : PAO ÉDITIONS DU SEUIL

IMPRESSION : MAURY-EUROLIVRES S.A. À MANCHECOURT

DÉPÔT LÉGAL : OCTOBRE 1997 - N° 30698 ( )