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Libre-échange et diversité culturelle : de l’antagonisme à la conciliation ? Dans le contexte de mondialisation de l’économie et de libéralisation des échanges, la préservation et la promotion de la diversité des expressions culturelles sont devenues des objectifs majeurs pour tout Etat soucieux de maîtriser sa politique culturelle. La culture, entendue ici dans le sens d’expressions culturelles prenant la forme de biens, services et activités culturels, est en effet de plus en plus affectée par les accords commerciaux internationaux. Ces accords n’envisagent les biens et services culturels que comme des objets de commerce, faisant ainsi abstraction du fait qu’ils sont aussi porteurs d’identité et de valeurs. La conviction que « les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle » et qu’ils « ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale » 1 est aujourd’hui très largement partagée. De nombreuses questions demeurent pourtant quant aux conséquences juridiques qui en découlent. S’il est légitime de considérer que certaines de ces questions doivent trouver réponse sur le plan local, régional ou national, d’autres exigent une réaction au niveau européen ou mondial. La multiplication d’instruments juridiques en faveur de la diversité culturelle, qu’ils soient de nature simplement proclamatrice ou juridiquement contraignante, témoigne de cette prise de conscience. A titre d’exemple, peuvent être citées la « clause culturelle transversale » de l’article 151 1 Préambule de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, du 20 octobre 2005, cons. 18.

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Libre-échange et diversité culturelle : de l’antagonisme à la conciliation ?

Dans le contexte de mondialisation de l’économie et de libéralisation des échanges, la

préservation et la promotion de la diversité des expressions culturelles sont devenues des objectifs

majeurs pour tout Etat soucieux de maîtriser sa politique culturelle. La culture, entendue ici dans le

sens d’expressions culturelles prenant la forme de biens, services et activités culturels, est en effet

de plus en plus affectée par les accords commerciaux internationaux. Ces accords n’envisagent les

biens et services culturels que comme des objets de commerce, faisant ainsi abstraction du fait

qu’ils sont aussi porteurs d’identité et de valeurs.

La conviction que « les activités, biens et services culturels ont une double nature,

économique et culturelle » et qu’ils « ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement

une valeur commerciale »1 est aujourd’hui très largement partagée. De nombreuses questions

demeurent pourtant quant aux conséquences juridiques qui en découlent. S’il est légitime de

considérer que certaines de ces questions doivent trouver réponse sur le plan local, régional ou

national, d’autres exigent une réaction au niveau européen ou mondial. La multiplication

d’instruments juridiques en faveur de la diversité culturelle, qu’ils soient de nature simplement

proclamatrice ou juridiquement contraignante, témoigne de cette prise de conscience. A titre

d’exemple, peuvent être citées la « clause culturelle transversale » de l’article 151 du traité

instituant la Communauté européenne, la « Déclaration sur la diversité culturelle » adoptée le 7

décembre 2000 par le Conseil des Ministres du Conseil de l’Europe et la toute récente « Convention

sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » approuvée le 20

octobre 2005 par la Conférence générale de l’UNESCO.

Dans le débat actuel, le maître mot de la « diversité culturelle » semble donc avoir

supplanté les notions précédemment mises en avant telles que « l’exception » ou « l’exemption

culturelle »2. Si le nouveau concept se présente comme l’expression positive d’un objectif général :

la mise en valeur et la protection des cultures du monde face au danger de l’uniformisation,

l’exception culturelle demeure un des moyens susceptible, selon ses partisans, d’atteindre cet

objectif. Qu’en est-il réellement ? La marchandisation rampante de la culture sous l’effet des règles

du marché et du libre-échange peut-elle encore être contenue ?3

1 Préambule de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, du 20 octobre 2005, cons. 18.2 Cf. Serge REGOURD, De l’exception à la diversité culturelle, Problèmes économique et sociaux n° 904, 2004.3 Pour le domaine de l’audiovisuel cf. Nathalie MALLET-POUJOL, Marchandisation et audiovisuel, in M. Vivant (dir.) Propriété intellectuelle et mondialisation, Dalloz, Paris 2004, p. 85 ss.

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L’idée de la diversité culturelle, que les Etats s’emploient désormais à promouvoir et à faire

respecter au titre de leur souveraineté culturelle, a été conçue comme un bouclier dans la lutte

contre certains effets du libre échange. Sa capacité opérationnelle reste encore à démontrer.

L’expérience acquise dans le cadre de l’intégration européenne est encourageante (I.). Sa

transposition dans le système commercial mondial se révèle cependant aléatoire tant que la

Communauté internationale peine à se mettre d’accord sur la marche à suivre (II.).

I. L’expérience de l’Union européenne

Le droit communautaire s’est initialement distingué par une certaine indifférence à l’égard du

secteur de la culture. Le traité de Rome ne contient que deux dispositions qui concernent, de

manière marginale, à la culture : l’une sous la forme d’une dérogation à la libre circulation des

marchandises4 et l’autre par référence au développement des pays et territoires d’outre-mer associés

à la Communauté5. La prise en compte des aspects culturels en tant que tels n’est intervenue

qu’avec le traité sur l’Union européenne.

Si ce dernier consacre indéniablement la dimension culturelle de la construction européenne6,

il ne faut pas se tromper sur la portée de cette nouvelle approche. Loin de toute velléité

« d’européanisation » de la culture, l’action de la Communauté consiste en effet en une contribution

« à l’épanouissement des cultures des Etats membres »7. Le véritable leitmotiv des dispositions des

traités relatives à la culture est le respect de la diversité des cultures nationales et régionales.

L’article 151 CE, qui constitue désormais la base de l’action communautaire, le rappelle avec

insistance qu’il s’agisse de l’action culturelle proprement dite ou d’actions entreprises au titre

d’autres compétences.

Tenant compte de la spécificité de l’Europe qui « réside précisément dans la rencontre des

diversités culturelles des Etats – voire des régions – qui la composent », le traité consacre une forte

complémentarité d’action entre la Communauté et ses Etats membres8. L’obligation de respecter

« l’identité nationale de ses Etats membres » (article 6 § 3 TUE) inclut certainement le respect « de

leur culture et de leurs traditions »9. Cette vision se trouve même explicitée par l’article 22 de la

Charte des droits fondamentaux qui dispose que « l'Union respecte la diversité culturelle, religieuse 4 L’article 36 CEE (devenu article 30 CE) autorise les Etats membres à prévoir des « interdictions ou restrictions (…) justifiées par des raisons (…) de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique » précisant toutefois, qu’elles « ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ».5 L’article 131 CEE (devenu l’article 182 CE) précise que l’association doit permettre de favoriser les intérêts des habitants de ces pays et territoires, « de manière à les conduire au développement économique, social et culturel qu'ils attendent ».6 Cp. Matthias NIEDOBITEK, Die kulturelle Dimension im Vertrag über die Europäische Union, EuR 1995, pp. 349-376.7 Article 3 (1) p) CE.8 Louis DUBOUIS et Claude BLUMANN, Droit matériel de l’Union européenne, 3° éd., Paris, Montchrestien 2004, p.182.

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et linguistique ». Conformément à sa devise, « unie dans la diversité », l’Union doit donc concevoir

la diversité des cultures nationales comme un élément structurel de son unité10. Le traité

constitutionnel du 29 octobre 2004 inscrit en conséquence le respect de « la richesse de sa diversité

culturelle et linguistique » parmi les objectifs de l’Union (article I-3).

Ainsi, la promotion de la culture dans les Etats membres et le respect de leur diversité

culturelle constituent désormais des finalités bien ancrées dans le droit de l’Union européenne. Elles

ont permis un certain infléchissement des « lois » du marché intérieur (A.) et constituent les lignes

directrices de l’action culturelle de la Communauté (B.).

A. La logique du marché intérieurLe sort réservé par le droit communautaire aux biens, services et activités culturels traduit la

volonté de les soumettre aux principes du Marché tout en leur accordant un traitement particulier à

condition que cela apparaisse justifié et que les atteintes aux règles du marché intérieur ne soient

pas disproportionnées. S’il n’y a donc pas de place pour une « exception culturelle » au sens strict,

un certain nombre de dérogations est admis. Nombre de règles du marché intérieur sont susceptibles

d’affecter la vie culturelle des Etats membres du moins lorsque celle-ci se comporte une dimension

économique11. Afin de souligner, dans le cadre restreint de cette contribution, les traits les plus

marquants de la dialectique du Marché et de la Culture, seuls les principes fondamentaux de la libre

circulation (1) et de la libre concurrence (2) seront abordés.

1) Les libertés de circulation

Se caractérisant comme un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation

des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée, le marché intérieur ne

réserve pas de régime spécifique aux biens, services ou activités culturels. Le droit communautaire

cherche néanmoins à opérer une conciliation entre l’intérêt public national visant à protéger le

secteur culturel et l’objectif communautaire de la libre circulation.

Certes, en estimant que par marchandises, « il faut entendre les produits appréciables en

argent et susceptibles, comme tels, d'être l’objet de transactions commerciales », la Cour de justice

n’a laissé aucun doute sur le fait que « les biens d’intérêt artistique ou historique sont soumis aux

règles du marché commun sous réserve des seules dérogations expressément prévues »12. Cela ne

signifie pas pour autant que le droit communautaire ignore la nature particulière de ces biens. Bien

au contraire, le traité et la jurisprudence autorisent des exceptions justifiées par des motifs culturels.

9 Cf. le préambule du traité sur l’Union qui se réfère au désir des Etats membres « d’approfondir la solidarité entre leurs peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leurs traditions ».10 En ce sens José Manuel Barroso, novembre 2004 Berlin (cité par Ján FIGEL, Kulturförderung der Europäischen Union, ERA-Forum, scripta iuris europaei, n° 1/2005, p. 10).11 Pour une présentation générale cf. Marie CORNU, Culture et Europe, JurisClasseur Europe, fasc. 2400.12 CJCE, 10 décembre 1968. Commission contre République italienne, aff. 7/68, Rec. 617.

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L’article 30 CE permet ainsi de faire exception à la règle fondamentale de la libre circulation

lorsque des restrictions peuvent être justifiées par des raisons de « protection des trésors nationaux

ayant une valeur artistique, historique ou archéologique». Ceci n’est possible qu’en l’hypothèse où

il ne s’agit pas de protéger les produits nationaux par le biais d’une discrimination arbitraire ou

d’une restriction déguisée. La portée de cette exception est en fait assez réduite. Loin de s’appliquer

à tous les biens culturels, elle ne vise que les seuls trésors nationaux de valeur artistique, historique

ou archéologique sans les définir davantage. Certains des critères permettant d’identifier ces trésors

nationaux se retrouvent cependant dans la réglementation communautaire visant à assurer la

protection des biens culturels de valeur13. S’agissant de surcroît d’une dérogation à une règle

fondamentale, la Cour de justice estime qu’elle est d’interprétation stricte et ne peut pas être

étendue « à des objectifs qui n’y sont pas expressément énumérés ». Les justifications invoquées par

la France dans l’affaire du prix fixe du livre à savoir « la protection de la création et de la diversité

culturelle » n’ont donc pas été retenues à ce titre14.

La Cour admet cependant que les Etats invoquent des objectifs culturels au titre des

« exigences impératives » ou « raisons impérieuses » d’intérêt général, afin de justifier des entraves

non-discriminatoires à la libre circulation des marchandises, des personnes et des services et à la

condition que leurs mesures soient propres à atteindre le but recherché et n’aillent pas au-delà du

nécessaire. Ainsi, dans l’arrêt Cinéthèque, relative à la loi française sur la communication

audiovisuelle de 1982, la Cour reçoit l’argument « que des objectifs d’ordre culturel peuvent

légitimer certaines entraves à la libre circulation des marchandises ». Le régime français qui vise à

réserver, pendant une période initiale limitée, la diffusion d’œuvres cinématographiques par priorité

à l’exploitation en salle afin d’encourager sans distinction d’origine la création de telles œuvres se

trouve ainsi justifié15. De la même manière, s’agissant de l’activité des guides touristiques en

France, la Cour constate « que l’intérêt général lié à la valorisation des richesses historiques et à la

meilleure diffusion possible des connaissances relatives au patrimoine artistique et culturel d’un

pays peut constituer une raison impérative justifiant une restriction à la libre prestation de

services »16. Cette « rule of reason » dégagée par la jurisprudence permet de concilier le principe

communautaire de la libre circulation et des objectifs culturels d’intérêt général permettant aux

Etats de préserver leur identité culturelle17.

13 Règlement (CEE) n° 3911/92 du Conseil, du 9 décembre 1992, relatif à l'exportation de biens culturels, JOCE L 395 du 31.12.1992 et Directive 93/7/CEE du Conseil, du 15 mars 1993, relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illégalement le territoire d'un État membre, JOCE L 74 du 27 mars 1993.14 CJCE, 10 janvier 1985, Leclerc c/ Sarl Au blé vert, aff. 229/83, Rec. 35.15 CJCE, 11 juillet 1985, Cinéthèque SA et autres c/ Fédération nationale des cinémas français, aff. 60 et 61/84. Rec. 2605.16 CJCE, 26 février 1991, Commission contre France, aff. C-154/89.  Rec. I-659 point 17.17 Cf. Georges KARYDIS, Le juge communautaire et la préservation de l’identité culturelle nationale, RTDE 1994, p. 551.

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Les acteurs culturels tels l’artiste peintre allemand désireux de louer un local professionnel à

la commune de Biarritz18, le restaurateur d’œuvres d’art espagnol souhaitant obtenir la

reconnaissance d’un diplôme britannique dans son Etat d’origine19 ou encore le guide touristique

voyageant avec un groupe de touristes en provenance d’un autre Etat membre20 bénéficient

pleinement des droits découlant de la liberté d’établissement, de la libre circulation des travailleurs

ou de la libre prestation des services. Il en découle aussi l’interdiction de toute discrimination

fondée sur la nationalité telle la mise en place d’avantages tarifaires d’accès aux musées réservés

aux seuls nationaux ou aux résidents sur le territoire des collectivités gérantes21.

Une étude relative à la mobilité des personnes et des productions dans le secteur culturel a

identifié un certain nombre d’obstacles qui rendent les déplacements professionnels à l’intérieur de

l’espace communautaire plus difficiles ou moins attractifs22. La disparité des régimes de protection

sociale de l’artiste salarié ou indépendant, l’incidence des règles fiscales et l’insuffisance de la

protection de la propriété intellectuelle engendrent en effet de nombreuses barrières à la libre

circulation des artistes23. En constitue un exemple la législation française qui soumet les prestations

de services d’une agence de placement d’artistes établie dans un autre Etat membre à l’octroi

préalable d’une licence et qui impose aux artistes une présomption de salariat alors même lorsqu’ils

sont reconnus comme prestataires de services dans leur Etat membre d’origine24.

2) La libre concurrence

La politique communautaire de concurrence appréhende de prime abord les comportements de

toutes les entreprises ainsi que toutes les aides accordées par les Etats. Les ententes, abus de

positions dominantes et opérations de concentration imputables aux entreprises du secteur culturel

sont donc soumis aux règles énoncées par le traité tout comme les aides étatiques à vocation

culturelle. A l’instar de ce qui se passe en matière de libre circulation, des exceptions ont cependant

été aménagées permettant à la Commission d’atténuer l’effet des interdictions lorsque des aspects

culturels sont avancés25.

En vertu de l’article 87 § 3 d), la Commission autorise les aides étatiques « destinées à

promouvoir la culture et la conservation du patrimoine » si elle estime qu’elles « n’altèrent pas les

18 CJCE, 18 juin 1985, Steinhauser, aff. 197/84, Rec. 1819.19 CJCE, 8 juillet 1999, Fernandez de Bobadilla, aff. C-234/97, Rec. I-4773.20 CJCE, 26 février 1991, Commission contre France, préc.21 CJCE, 16 janvier 2003, Commission c/ Italie, aff. C-388/01, Rec. I-721 e CJCE, 15 mars 1994, Commission c/ Espagne, aff. C-45/93, Rec. I-911.22 Etude menée pour le compte de la Commission européenne, par Olivier AUDEOUD, n° DG EAC/08/00, avril 2002, 33 p. (http://europa.eu.int/comm/culture/eac/sources_info/pdf-word/mobility_fr.pdf)23 Cf. Jean VINCENT, A quel prix les artistes circulent-ils au sein de l’Union européenne, ERA-Forum “Culture et Marché”, scripta iuris europaei, n° 1/2005, p. 11.24 Elle fait l’objet d’un recours en manquement ; Commission c/ France, aff. C-255/04, introduit le 14 juin 2004.25 Voir Laurence MAYER-ROBITAILLE, Le statut ambivalent au regard de la politique communautaire de concurrence des accords de nature culturelle et des aides d’Etat relatives à la culture, RTDE 2004, pp. 477-503.

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conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure contraire à

l’intérêt commun ». Disposant d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire en la matière, elle a

établi des modalités d’application plutôt favorables au secteur de la production cinématographique

et audiovisuelle26. Les mécanismes français d’aide à la création audiovisuelle innovante et de

soutien au cinéma et à l’audiovisuel ont ainsi été autorisés sur la base de cette « Communication

cinéma »27.

Dans une communication relative aux services publics de radiodiffusion, la Commission

indique que la notion de promotion de la culture doit être interprétée restrictivement. Les aides

d’Etat versées aux organismes publics de radiodiffusion peuvent néanmoins être examinées à l’aune

de l’exception de l’article 86 § 2 qui vise les services d’intérêt économique général28. Le protocole

sur le système de radiodiffusion publique annexé au traité d'Amsterdam confirme la volonté des

États membres de souligner le rôle du service public de radiodiffusion. Celui-ci est directement lié

aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société, ainsi qu'à la nécessité de

préserver le pluralisme dans les médias. Il appartient à chaque État membre de définir et d’organiser

ce service public dans les conditions qu'il juge les plus appropriées. Le traité ne préjuge pas de la

compétence des États membres à pourvoir au financement du service public de radiodiffusion, dans

la mesure où ce financement n'altère pas les conditions des échanges et de concurrence29.

Dans l’application des règles de concurrence aux aides étatiques, la Commission doit tenir

compte « des aspects culturels » afin notamment « de respecter et de promouvoir la diversité de ses

cultures » (article 151 § 4 CE). S’il est légitime de considérer « que cette exigence devient

obligatoire et systématique, tant pour les actes législatifs que pour les politiques communes »30, il

demeure qu’elle ajoute peu à la portée de l’exception énoncée par l’article 87 § 3 d), sauf à

considérer que les activités mentionnées au § 2 de l’article 151 relevent de son champ

d’application31.

Qu’il s’agisse des libertés de circulation ou de concurrence, la logique du marché intérieur

privilégie donc des dérogations ponctuelles désormais renforcées et inscrites dans une démarche

26 Communication de la Commission concernant certains aspects juridiques liés aux œuvres cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles, JOCE C 43 du 16 février 2002.27 Cf. la décision C(2005)3860 final du 9 novembre 2005 et la tout récente décision du 22 mars 2006 (communiqué de presse, référence IP/06/357).28 Cf. Communication concernant l’application aux services publics de radiodiffusion des règles relatives aux aides d’Etat, JOCE C 320 du 15 novembre 2001.29 A titre d’exemple cf. la décision de la Commission 2004/838 /CE du 10 décembre 2003 (aides françaises en faveur de France 2 et France 3), Europe, février 2005, comm. n° 52.30 Premier rapport sur la prise en compte des aspects culturels dans l’action de la Communauté, COM(1996)160 du 18 avril 1996.31 En ce sens Lorna WOODS, The application of competition rules to state aids for culture, ERA-Forum “Culture et Marché”, scripta iuris europaei, n° 1/2005, p. 41.

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plus systématique par l’article 151 § 4 CE. Cette clause culturelle transversale permet de généraliser

la voie de l’exception. Elle fonde également l’action culturelle de la Communauté.

B. L’action culturelle de la Communauté

A défaut d’une véritable « politique culturelle », il s’agit en réalité d’actions d’appui en faveur

de la culture dans les Etats membres. Cela ressort d’emblée de la rédaction de l’article 3 § 1 p) CE

au titre duquel l’action de la Communauté comporte simplement une « contribution à

l'épanouissement des cultures des États membres ». Par conséquent, cette politique s’exprime

davantage dans des actions que dans des réglementations. Basée sur l’article 151 CE, l’action

culturelle de la Communauté comporte une dimension intérieure (1) ainsi qu’une composante

internationale importante (2).

1) La dimension interne

Compte tenu du libellé de l’article 151 CE, l’action culturelle communautaire se veut

complémentaire par rapport à celle de ses Etats membres. La compétence de la Communauté se

limite en effet « à encourager la coopération entre États membres et, si nécessaire, à appuyer et

compléter leur action ». Soumise au principe général de subsidiarité de l’article 5 et obéissant aux

conditions spécifiques de l’article 151 § 2 CE, une action communautaire dans le domaine de la

culture doit ainsi franchir un double test de subsidiarité. L’exclusion de toute mesure

d’harmonisation et l’exigence d’unanimité au sein du Conseil qui adopte des actions

d’encouragement ou des recommandations témoignent de la réticence des Etats envers une véritable

compétence communautaire pour la culture32. Toute action, qu’elle s’inscrive dans le cadre de

l’article 151 ou qu’elle intervienne au titre d’autres dispositions du traité, doit en outre respecter la

diversité des cultures nationales.

En raison de ce « verrouillage », l’action culturelle de la Communauté demeure

essentiellement non normative, les rares actes contraignants reposent sur une base juridique à visée

non culturelle. L’interdiction d’harmonisation énoncée par l’article 151 § 5 n’implique cependant

aucune réduction de compétences normatives communautaires s’appuyant sur d’autres dispositions.

En 1997, la révision de la directive « Télévision sans frontières » de 1989 a ainsi été réalisée sur la

base des articles 47 et 55 CE33. Cette directive représente la pierre angulaire de la politique

audiovisuelle communautaire. Elle se fonde sur deux principes de base : la libre circulation des

programmes télévisés européens au sein du marché intérieur et l’obligation, pour les chaînes de

télévision, de réserver, chaque fois que cela est réalisable, plus de la moitié de leur temps d’antenne

32 Cf. notamment Bénédicte FLAMAND-LEVY, Les compétences culturelles de la Communauté européenne, PUAM 2004, 472 p.33 Voir notamment, Jörg UKROW, Kulturdienstleistungen : Fortsetzung des Fernsehens ohne Grenzen, ERA-Forum “Culture et Marché”, scripta iuris europaei, n° 1/2005, p. 18.

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à des œuvres européennes. Parallèlement, la directive vise à préserver certains objectifs importants

d’intérêt public tels que la diversité culturelle, la protection des mineurs contre les programmes à

caractère violent ou pornographique et le droit de réponse. En décembre 2005, la Commission a

publié une proposition de révision de la directive visant à moderniser les règles existantes et à

prendre en compte les développements technologiques et les changements intervenus dans la

structure du marché de l'audiovisuel depuis l'adoption de la directive en 1989.

Les actions communautaires proprement dites émanent, soit de programmes explicitement

culturels (Culture 2000, Média +), soit de programmes dont bénéficient les activités culturelles de

façon indirecte comme ceux contribuant au développement régional, les programmes éducatifs

(SOCRATES) ou ceux touchant à la formation professionnelle (LEONARDO). Les nouvelles

technologies de l’information (eEUROPE), les programmes de coopération avec des pays tiers,

l'environnement, le tourisme et la recherche peuvent également y contribuer.

Conformément à l’article 151 §4 CE, la culture a en effet acquis une dimension horizontale

interagissant avec les autres politiques et actions communautaires. L’obligation faite à la

Communauté de tenir compte « des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions du

présent traité, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures » a pour

effet que ces autres dispositions sont désormais susceptibles de fonder une action aux implications

culturelles. La Cour de justice a reconnu que l’existence d’aspects culturels d’une action

communautaire n’implique pas nécessairement le recours à l’article 151, « lorsque la culture ne

constitue pas une composante essentielle et indissociable de l’autre composante sur laquelle est

fondée l'action en question, mais ne lui est qu'accessoire ou secondaire »34.

La référence à la diversité culturelle de l’article 151 § 4 prend ainsi un sens négatif (respecter)

et un sens positif (promouvoir). La Communauté est non seulement tenue d’éviter toute ingérence

mais elle doit encore adopter des mesures appropriées afin d’encourager le développement culturel

ce qui peut exiger une action externe.

2) La dimension externe

La coopération internationale est un levier important de la politique culturelle qui permet à

l’Union de développer des relations notamment avec les pays membres de l’Espace économique

européen et les Etats candidats à l’adhésion. La Communauté a par ailleurs élaboré une politique de

développement ambitieuse qui comprend une composante culturelle avec certaines régions du

monde, en particulier la région Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) et la Méditerranée35. L‘article 151 34 CJCE, 23 février 1999, Parlement c/ Conseil, aff. 42/97, Rec. p. I-869, point 42.35 Voir l’article 27 sur le “Développement culturel” de l’Accord de Cotonou, et le Chapitre III sur le “Partenariat dans les affaires sociales, culturelles et humaines: développer les ressources humaines, promouvoir la compréhension entre les cultures et les échanges entre les sociétés civiles” de la Déclaration de Barcelone de 1995, établissant le nouveau Partenariat Euro-Méditerranéen.

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§ 3 incite en effet la Communauté et ses États membres à favoriser « la coopération avec les pays

tiers et les organisations internationales compétentes dans le domaine de la culture, et en particulier

avec le Conseil de l'Europe ». Dans la mesure où la promotion de la culture et la mise en œuvre

d’une politique active de coopération culturelle entrent également dans les compétences du Conseil

de l’Europe, une coopération s’est naturellement établie entre les deux organisations.

La Communauté est membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) aux côtés de

ses 25 Etats membres. Cela mène à des difficultés juridiques de répartition des compétences entre la

Communauté, qui détient la compétence exclusive de principe en matière de politique commerciale

commune, et ses Etats membres qui conservent une compétence partagée pour ce qui relève

notamment du commerce des services culturels et audiovisuels. Pour cette raison, l’article 133 § 6

aménage une dérogation à la procédure de conclusion des accords commerciaux « dans le domaine

du commerce des services culturels et audiovisuels ». Leur négociation requiert en effet une

décision communautaire et le commun accord des États membres. Par conséquent « les accords

ainsi négociés sont conclus conjointement par la Communauté et par les États membres ».

Dans le contexte du lancement des négociations commerciales multilatérales à l’OMC, le

Conseil a souligné l’importance de l’objectif de préservation de la diversité culturelle. Ses

conclusions du 26 octobre 1999 demeurent valides pour les négociations en cours. Ainsi, le mandat

conféré à la Commission dispose que « l'Union veillera, pendant les prochaines négociations de

l'OMC, à garantir, comme dans le cycle de l'Uruguay, la possibilité pour la Communauté et ses

Etats membres de préserver et de développer leur capacité à définir et mettre en œuvre leurs

politiques culturelles et audiovisuelles pour la préservation de leur diversité culturelle ».

La Communauté a en outre été fortement impliquée dans l’élaboration de l’instrument

international sur la diversité culturelle dans le cadre de l’UNESCO. En vertu du mandat que lui a

conféré le Conseil en novembre 200436, la Commission a négocié tout au long du processus aux

côtés des Etats membres dont la voix était portée par les présidences successives du Conseil. Il

s’agit là du modus operandi classique qui est mis en œuvre à chaque fois que les compétences en

jeu sont partagées. Des positions communes ont été intégralement coordonnées tout au long des

négociations. S’agissant de la ratification de la Convention par la Communauté, à qui la possibilité

de devenir partie contractante a été reconnue par le texte, la Commission vient d’adopter une

proposition de décision du Conseil37. En engageant le processus en vue de la mise en œuvre de la

Convention de l’UNESCO, la Communauté et les Etats membres lancent ainsi un signal clair de

leur engagement en faveur de la diversité culturelle, dans la suite logique de leur forte implication

36 Sur la base de la Recommandation de la Commission du 1er septembre 2004, SEC(2004) 1062 final.37 Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 21 décembre 2005, COM(2005) 678 final.

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dans les négociations, et de leur volonté de promouvoir ce principe au niveau international. Reste à

savoir si un instrument international sur la diversité culturelle peut jouer un rôle équivalent à celui

de l’article 151 CE dans le droit de l’Union européenne38. Compte tenu des différences de nature

entre l’intégration européenne et la coopération internationale, la transposabilité de l’expérience

communautaire est douteuse.

II. Les tribulations de la communauté internationale

Le 20 octobre 2005, la conférence générale de l’UNESCO a adopté à une très large majorité

de 148 voix contre 2 et 4 abstentions la « Convention sur la protection et la promotion de la

diversité des expressions culturelles ». Saluée par les uns un peu naïvement comme « un nouveau

droit supranational, qui permettra aux Etats de mettre en œuvre plus librement une politique d’aide

à la création »39 alors que des observateurs plus autorisés craignent « une victoire à la Pyrrhus »40, la

nouvelle convention a été conçue comme un « instrument juridique contraignant ». Elle doit

cependant démontrer sa capacité de faire contrepoids aux principes de libéralisation de l’OMC. Le

sort réservé par le droit international au commerce des biens et services culturels traduit en effet de

nombreuses hésitations. Après l’échec de leur tentative d’exclure le secteur culturel du champ

d’application des accords régissant le commerce international, les partisans de l’exception culturelle

ont privilégié le cadre multilatéral de l’UNESCO pour faire adopter un nouvel instrument en faveur

de la diversité culturelle. Afin de pouvoir apprécier les effets juridiques qui découlent de ce

chevauchement de textes, il convient de présenter brièvement les instruments en présence (A) avant

de s’interroger sur leur articulation (B).

A. Les instruments en présence

L’examen des instruments internationaux susceptibles de régir d’une manière ou d’une autre

le commerce des produits culturels permet d’identifier une grande multiplicité et une forte diversité

des dispositifs en présence. Prenant en compte la plupart des accords multilatéraux, régionaux et

bilatéraux existants, Ivan Bernier et Hélène Ruiz Fabri constatent que les instruments à vocation

principalement culturelle ont en commun d’être privés d’effet contraignant alors que ceux dont

l’objectif premier est d’ordre commercial se caractérisent par leur valeur obligatoire41. La

38 Cf. Anna HEROLD, EU external policy in the audiovisual field : from “cultural exception” to “cultural diversity”, ERA-Forum “Culture et Marché”, scripta iuris europaei, n° 1/2005, p. 101.39 Nicole VULSER, Diversité culturelle : un manifeste pour une autre mondialisation, Le Monde 21. 10. 2005.40 Cf. Serge REGOURD, Le projet de Convention UNESCO sur la diversité culturelle : Vers une victoire à la Pyrrhus…, Légipress n° 226, 2005 p. 115.41 Voir leur très stimulant rapport intitulé : « Evaluation de la faisabilité juridique d’un instrument international sur la diversité culturelle », Groupe de travail franco-québécois sur la diversité culturelle, Bibliothèque nationale du Québec, 2002, 60 p.

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comparaison des accords commerciaux conclus dans le cadre de l’OMC (1) et des instruments les

plus récents adoptés sous l’égide de l’UNESCO (2) montre que cette tendance n’a pas toujours été

renversée.

1) Les accords commerciaux conclus dans le cadre de l’OMC

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été fondée en 1995 et compte aujourd’hui

148 Etats membres. Elle exerce deux fonctions principales : d’une part, elle gère les accords

commerciaux conclus en son sein et supervise leur application, d’autre part, elle sert de forum aux

cycles de négociation sur la libéralisation progressive du commerce international. D’un point de vue

substantiel, le droit de l’OMC repose sur trois « piliers » : l’Accord général sur le commerce et les

tarifs douaniers (GATT), l’Accord général sur le commerce des services (GATS) et l’Accord sur les

aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPS).

Chacun des trois accords présente un intérêt pour la relation entre commerce et culture. Les

préoccupations de l’OMC à l’égard de la culture et des biens culturels ne datent en effet pas d’hier.

Les négociateurs du GATT de 1947 avaient déjà prévu, à l’article IV de cet accord, une sorte

d’exception culturelle avant la lettre, autorisant les Etats membres à instaurer des quotas pour la

diffusion de films nationaux. En outre l’article XX (f) reconnaît la possibilité pour les Etats

d’adopter ou de maintenir des mesures « imposées pour la protection de trésors nationaux ayant une

valeur artistique, historique ou archéologique ». En dehors de ces deux exceptions, les produits

culturels restent soumis aux règles strictes du GATT, lesquelles imposent notamment la règle du

traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée et l’interdiction des restrictions

quantitatives pour l’accès au marché. L’accord TRIPS établit, pour chacun des principaux secteurs

de la propriété intellectuelle qu’il vise, des normes minimales de protection que chaque Etat

membre s’engage à faire respecter. Les œuvres de l’esprit telles que la musique ou la littérature

peuvent ainsi être protégées contre la contrefaçon et la diffusion non autorisée.

En raison de l’importance économique du secteur audiovisuel, c’est le GATS qui a été le

principal lieu d’affrontement entre le commerce et la culture lors du cycle de l’Uruguay (1986-

1994)42. Certes, l’audiovisuel n’a pas été exclu du GATS et « la bataille de l’exception culturelle »

n’a donc pas été gagnée, mais l’Union européenne a réussi à ne prendre aucun engagement de

libéralisation dans ce domaine au titre des deux principes que sont le traitement national et l’accès

au marché. L’Union a également obtenu une sorte « d’exemption culturelle provisoire » sous forme

de dérogations à la clause de la nation la plus favorisée43. Les parties signataires de l’accord ont

42 A propos de l’exemple du cinéma cf. Christoph GERMANN, Diversité culturelle à l’OMC et L’UNESCO à l’exemple du cinéma, RIDE 2004, pp. 325-352.43 Cf. notamment Jean-Michel BAER, L’exception culturelle. Une règle en quête de contenus, En Temps Réel, Cahier 11, octobre 2003, p. 7 ss. et Emmanuel DERIEUX, Droit européen et international des médias, LGDJ, Paris 2003, p. 87 ss.

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cependant accepté d’entamer des séries de négociations successives en vue de la poursuite de

l’œuvre de libéralisation. C’est dans ce contexte de reprise des négociations depuis janvier 2000 que

s’est développée une initiative en faveur de la défense de la diversité culturelle au sein de

l’UNESCO.

2) Les instruments culturels adoptés sous l’égide de l’UNESCO

Le transfert terminologique de « l’exception » vers la « diversité culturelle » correspond ainsi

à une « tentative de transfert des questions culturelles de l’OMC vers l’UNESCO »44. Le premier

pas sera l’adoption de la « Déclaration universelle sur la diversité culturelle » du 2 novembre 2001.

Dépourvue de valeur contraignante, elle constitue la première formalisation générale et directe du

concept de diversité culturelle. Son adoption fut rapidement suivie de la décision de la Conférence

générale de l’UNESCO d’engager des travaux en vue de l’adoption d’une convention internationale

sur la diversité culturelle45. Le texte finalement adopté lors de la 33e Conférence générale de

l’UNESCO apparaît cependant très en deçà des effets escomptés d’un instrument voulu

« juridiquement contraignant ».

Au-delà d’une proclamation solennelle de la spécificité des biens culturels et d’une

réaffirmation de la souveraineté des Etats pour « adopter des mesures et des politiques pour

protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire » (article 2 §2), la

rédaction finalement adoptée de la convention se caractérise par l’absence d’une portée

juridiquement contraignante46. La plupart des engagements sont en effet des engagements de bonne

foi qui n’impliquent aucun résultat précis, mais constituent des obligations de comportement dont

l’efficacité ne pourra être évaluée qu’en fonction des efforts futurs des parties signataires. Le

premier test à cet égard sera le nombre des ratifications que la convention recueillera et la rapidité

de son entrée en vigueur. Elle devra rassembler au minimum 30 ratifications47. Seul un nombre bien

plus important de ratifications lui permettra cependant de remplir sa fonction de contrepoids aux

accords de l’OMC. La question centrale demeure celle de l’articulation entre la hard law de l’OMC

et la soft law de la nouvelle convention de l’UNESCO.

B. Les difficultés d’articulation

Il a été souligné qu’à l’heure de la « mondialisation du droit » et compte tenu de la pluralité

des processus juridiques d’intégration, se multiplient des relations verticales et horizontales entre

des ensembles normatifs qui, tout en perdant une grande partie de leur autonomie, ne convergent

44 En ce sens Serge REGOURD, Exception culturelle, JurisClasseur Communication, fasc.7100, par. 33.45 Ibid. par. 38 ss.46 Cp. Les commentaires critiques de Serge REGOURD, Le projet de Convention UNESCO sur la diversité culturelle : Vers une victoire à la Pyrrhus…, préc.47 Le premier Etat d’avoir procédé à la ratification est le Canada en date du 23 décembre 2005.

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pas pour autant vers un système juridique international cohérent. Ces relations, décrites comme

« ordonnancement » et « entrecroisement », « annoncent une mutation dans les représentations de

l’ordre juridique »48. D’autres soulignent que le modèle pyramidal du droit céderait ainsi

progressivement la place à un nouveau modèle plus complexe et plus « enchevêtré », celui du

réseau49. Les tentatives internationales de réglementation du commerce des biens et services

culturels semblent confirmer ces remarques. Des difficultés d’articulation de plusieurs ordres sont

perceptibles. Certaines résultent du parallélisme des approches multilatérales alors que d’autres sont

provoquées par le maintien de stratégies bilatérales censées atténuer les effets d’une réglementation

multilatérale. L’entrée en vigueur de la convention de l’UNESCO et son application future par les

parties signataires soulèveront immanquablement des questions qui relèvent de la théorie des

conflits de normes (1) et qui devront trouver réponses dans le cadre des procédures de règlement

des différends (2).

1) Les conflits de normes

Un conflit de normes au sens strict résulterait du fait qu’un Etat – lié à la fois par la

Convention de l’UNESCO et les Accords de l’OMC – est placé dans une situation où son

comportement serait interdit en vertu de l’un et imposé ou du moins autorisé par l’autre. A vrai dire

il n’est pas très probable qu’une telle situation se présente en raison du fait que la convention de

l’UNESCO n’énonce pas d’interdictions, ne contient que très peu d’obligations et se borne à

indiquer des directives générales en vue du maintien de la diversité culturelle. Tout au plus peut-on

déceler un conflit d’objectifs entre la convention UNESCO qui constate que les processus de

mondialisation représentent un défi pour la diversité culturelle et couvre des mesures des Etats

« pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire » (article 2 §

2) et le GATS qui, tout en « reconnaissant le droit des membres de réglementer la fourniture de

services sur leur territoire » (préambule al. 4), vise à terme la disparition des réglementations qui

affectent le commerce50.

Les règles générales de conflit prévues par le droit international des traités seront de peu de

secours en ce domaine. L’article 30 de la Convention de Vienne sur le droit des traités ne s’applique

en effet qu’aux traités successifs portant sur la même matière ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

L’article 20 de la Convention de l’UNESCO, intitulé « Relations avec les autres instruments :

soutien mutuel, complémentarité et non-subordination », énonce une règle spéciale de conflit dont

48 Voire à ce sujet les très stimulantes réflexions de Mireille DELMAS-MARTY, La grande complexité juridique du Monde, in Etudes en l’honneur de G. Timsit, Bruxelles, Bruylant 2004, pp. 89-105.49 En ce sens, Michel VAN DE KERCHOV et François OST, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002, 597 p.50 Cf. pour une analyse plus approfondie la consultation juridique élaborée pour le compte de la Commission allemande de l’UNESCO : Marjus KRAJEWSKI, Auswirkungen des GATS auf Instrumente des Kulturpolitik und Kulturförderung in Deutschland, février 2005. (http://www.unesco.de/c_arbeitsgebiete/kkv_gutachten.pdf)

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la portée semble cependant très réduite en raison des formulations finalement retenues. Tout en

prévoyant une « clause transversale relative à la diversité culturelle »51 dans son paragraphe

premier, qui prévoit que « les parties prennent en compte les dispositions de la présente

convention » lorsqu’elles interprètent, appliquent ou concluent d’autres traités, l’article 20 de la

Convention précise ensuite dans son second paragraphe que « rien dans la présente Convention ne

peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des Parties au titre d’autres traités

auxquels elles sont parties ». Il s’ensuit que la Convention de l’UNESCO ne pourra exercer au

mieux qu’un « effet indirect » sur le droit de l’OMC au moment notamment de l’interprétation de ce

dernier ans le cadre d’une procédure de règlement des différends52.

2) Le règlement des différends

La Convention de l’UNESCO instaure son propre mode de règlement des différends reposant

sur une commission de conciliation qui formule une proposition de résolution que les Parties

examinent de bonne foi. La procédure est obligatoire pour toutes les Parties sauf déclaration de leur

part lors de la ratification qu’elles ne veulent pas être liées par celle-ci. L’intérêt d’un tel

mécanisme, même s’il n’est pas contraignant, est d’amener les États à soumettre leurs différends en

matière culturelle à un mécanisme spécifiquement prévu par la Convention.

Certes, cela ne permettra pas d’évincer le mécanisme de règlement des différends de l’OMC

lors d’un litige comportant des aspects commerciaux. La « concurrence des mécanismes de

règlement des différends » pourra néanmoins aboutir à des situations inextricables et poussera, le

cas échéant, les organes impliqués à rechercher une conciliation53. Un tel phénomène a déjà pu être

observé dans les relations entre le droit de l’OMC et certaines conventions multilatérales de droit de

l’environnement54. Le mémorandum sur le règlement des différends de l’OMC prévoit dans son

article 3 § 2 que le droit de l’OMC doit être interprété « conformément aux règles coutumières

d’interprétation du droit international public ». En se référant aux règles d’interprétation du droit

international, les groupes spéciaux et l’Organe d’appel pourront ainsi être amenés à interpréter le

droit de l’OMC à la lumière de principes de droit international d’origine externe. Une certaine

marge de manœuvre subsiste donc pour la réception de principes tels que celui de la diversité

culturelle.

51 Cf. Serge REGOURD, préc. p. 120.52 Voir en ce sens Ivan BERNIER et Hélène RUIZ FABRI, Evaluation de la faisabilité juridique d’un instrument international sur la diversité culturelle, préc. p. 38 ss.53 Ibid., p. 33 ss.54 Cf. Hélène RUIZ FABRI, Le cadre de règlement des différends environnementaux : pouvoir d’attraction du système de règlement des différends de l’OMC et concurrence avec les mécanismes de règlement des accords multilatéraux environnementaux ?, in S. Maljean-Dubois (dir.), L’OMC et la protection de l’environnement : quelle intégration des exigences environnementales dans le système commercial multilatéral, Bruylant, 2003, pp. 345-377.

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De prime abord, il semble alors y avoir une grande similitude dans les stratégies de protection

de la diversité culturelle suivies dans le cadre de l’Union européenne et au sein de l’UNESCO. A

l’instar de l’article 151 du traité CE, la convention de l’UNESCO consacre en effet l’idée de la

diversité culturelle sous forme d’une clause transversale (article 20 § 1). Il est cependant douteux

que la Convention sur la diversité culturelle puisse jouer dans l’ordre économique international un

rôle similaire à celui de l’article 151 CE dans l’ordre juridique communautaire55. S’agissant, dans

l’ordre international, « d’instruments qui relèvent d’espaces normatifs distincts et qui ne sont pas

articulés entre eux »56, le changement ne pourra venir que d’une modification directe des accords de

l’OMC.

Jörg GERKRATH

55 Pour l’affirmative Anna HEROLD, préc. p. 103.56 Cf. Ivan BERNIER et Hélène RUIZ FABRI, ibid., p. 33.

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