L'Acteur Public n°9
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Transcript of L'Acteur Public n°9
Que peut le théâtre face aux crises dans lesquelles le monde se débat ?
Que pèse un poète face à une planète qui craque de partout ? Que vaut le
funambule qui avance téméraire (inconscient ?) sur le... (suite page 2)
Récits / racines (épisode 2) - ÉditoTous les spectacles du festival, une revue de presse concoctée par
Dijonscope sur l’état de la planète : rendez-vous au Parvis Saint-Jean
lundi 9 mai à 19 h (réservation indispensable 03 80 30 1212).
Soirée de présentation publique
02
RENCONTRES p3
THE WOOSTER GROUP’S VERSION OF TENNESSEE WILLIAM’S VIEUX CARRÉ(USA) p4
À QUOI RÊVENT LES CHEVAUX LA NUITPOUR ÊTRE SI PEUREUX LE JOUR ? (France) p5
LA MAISON DES CHIENS. ŒDIPE (Ukraine) p6
PRESQUE UNE PIECE, PRESQUEPIRANDELLO/UNE DANSE DE MORT (Ukraine) p7
LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS (France) p8
LE CONTE D’HIVER (France) p9
MES AMIS (France) p10
ATELIERS BRECHT (France) p10
LA QUERMESSE DE MÉNETREUX (France) p11
LE COMBAT DE TANCRÈDE ET CLORINDE& LE BAL DES INGRATES (Lituanie) p12
LA TRISTE DÉSINCARNATION D’ANGIELA JOLIE (France) p13
PLUS LOIN QUE LES ÉTOILES (Espagne) p14
FUNÉRAILLES D’HIVER (France) p15
GÊNES 01 (France) p16
JULES ET MARCEL (France) p17
TARTARIN RACONTÉ AUX PIEDS NICKELÉS(France) p18
LIFE : RESET / CHRONIQUE D’UNE VILLEÉPUISÉE (Belgique) p19
COULISSES p20
Que peut le théâtre face aux crises dans les-quelles le monde se débat ? Que pèse unpoète face à une planète qui craque de par-
tout ? Que vaut le funambule qui avance témé-raire (inconscient ?) sur le fil de son récit, cher-chant l’équilibre entre le rire et les larmes, entrele savant et le populaire… ? Ce deuxième épisode du cycle Récits / racinesentamé en 2010 vient nourrir ces questions, etégrène des éléments de réponse. Oui, noussommes là pour raconter des histoires, histoiresd’humains et de dieux, d’ici et d’ailleurs, deluttes et d’amours. Oui, nous sommes là poursans relâche explorer et faire (re)découvrir lesgrands textes, les mythologies, les auteurs. 0ui,nous sommes là pour inventer des formes nou-
velles et en même temps pour faire vivre et trans-mettre celles qui nous viennent du passé procheou lointain. Nous sommes là pour sillonner lesroutes de Bourgogne avec des spectacles dontnous sommes fiers, et pour accueillir à Dijon lesthéâtres du monde. Pour mélanger les genres,les gens, les générations ; pour organiser la ren-contre et assurer le passage de relais entre« vieilles » branches et « jeunes » pousses. Làpour rassembler, autour de ces récits et des arti-sans qui les fabriquent, la communauté àlaquelle elle s’adresse : nous, vous, le public(c’est pour cela que Jean Vilar disait du théâtrequ’il est un service public comme le gaz ou l’élec-tricité). Ça peut sembler dévalorisant d’assimilerun art à un service : l’art ne sert rien ni personne,
dira-t-on ; mais ça peut tout aussi bien semblerprésomptueux d’ériger au rang de servicepublic un simple divertissement. Pas si on y voitune modeste mais vitale entreprise de transfor-mation : « Congédier les fantasmes du verbe faitchair et du spectateur rendu actif, savoir que lesmots sont seulement des mots et les spectaclesseulement des spectacles peut nous aider àmieux comprendre comment les mots et lesimages, les histoires et les performances peuventchanger quelque chose au monde où nousvivons» écrit le philosophe Jacques Rancièredans le Spectateur émancipé.
François Chattot
SOMMAIRE
RÉCITS / RACINES (ÉPISODE 2) - ÉDITO
En 2007, François Chattot prenait la directiondu TDB avec un projet artistique, Ensemble, etl’ambition de faire du Parvis une maison de créa-tion ouverte à tous. Deux ans plus tard, à l’oc-casion de Théâtre en mai, il en confiait l’imageà Paul Cox. La garde-robe qu’il lui a dessinée luia redonné un look joyeux et identifiable entre
tous. Ne restait plus qu’a lui donner un visage.C’est avec joie que le TDB lève le voileaujourd’hui sur ce nouveau logo. Visage humain,théâtral bien sûr, abritant symboliquement Dijonet la Bourgogne dans un cercle qui rayonne bienau-delà.
Nouveau logo, nouveau visage pour le TDB
ENCART CENTRALLe Festival en poche pILe calendrier du Festival pIILes lieux du Festival pIIILes spectacles du Festival pIV
Édité par le Théâtre Dijon Bourgogne, Directeur de la publication François ChattotRédaction Sophie Bogillot, Caroline Châtelet, François Chattot,Paul Cox, Ivan Grinberg, Florent Guyot, Véronique Philibert,Jeanne-Marie PietropaoliRemerciements Jeanne Buszewski, Sophie Bogillot, Hélène Ringenbach,Stéphanie Toulin, Gérard Louis, le chocolatContributions écrites : Jérôme Nicolle (p20), Elizabeth LeCompte (p4),Eric Cordebœuf (p5), Jean-Pierre Thibaudat (p6 et 7), Loubna Qaffou(p8), Sabine Chaillas (p9), Sylvie Bouissou (p12), Marine de Missolz
(p13), Olivier Mouchiquel (p14), Marta Gil Polo (p14), Maëlle Poesy(p15), Julien Gosselin (p16), François Macé (p17), Bénédicte Namont(p18), Marie Vayssière (p18)Design graphique : Paul CoxContributions visuelles : Paul Cox (p1, 2, 10 et tutti quanti), FrançoisChattot (p3), Franck Beloncle (p4, 9, 15), Théâtre Dakh (p6 et 7),Moni Grégo (p8), Mario del Curto (p10), Darri/CNAR de Niort (p11),D. Matvejev (p12), Simon Le Moullec (p13), Jordi Boixareu (p14),Simon Gosselin (p16), Michèle Laurent (p17), Cici Olsson (p19)Réalisation tempsRéel Dijon, Impression le Bien Public, Dijon
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27/05 DIJON
vendredi 27 mai 10h –17h Conseil régional de Bourgogne, Dijon
TABLE RONDE 1Insertion professionnelle
et jeune création : pratiques et enjeux
TABLE RONDE 2La formation continue et le territoire :
de la région à l’Europe, comment travailler ensemble ?
Théâtre en mai poursuit un cycle
de trois ans, Récits / racines,
au cours duquel, en partenariat
avec le Jeune théâtre national (JTN), il
invite des « jeunes » pousses, équipes
artistiques fraichement constituées au
sortir des onze écoles supérieures d’art
dramatique françaises à présenter leur
travail devant un large public.
Leur présence soulève diverses ques-
tions, tant sur la formation et l’insertion
professionnelle des artistes, que sur la
formation continue dont chacun est
censé bénéficier. Comment entre-t-on
aujourd’hui sur le marché du travail
lorsqu’on débute en tant que comédien,
scénographe, metteur en scène ? Quels
systèmes d’aide à la production et à la
diffusion existe-t-il ? Quels sont les dis-
positifs pour la formation continue ?
Quelle est leur viabilité ?
Centre dramatique national et orga-
nisme de formation agréé, le TDB orga-
nise avec le JTN des rencontres profes-
sionnelles sur le sujet. Artistes, respon-
sables pédagogiques, politiques, parte-
naires institutionnels sont invités lors
de deux tables rondes à échanger sur le
thème « De l’insertion professionnelle à
la formation tout au long de la vie,
vieilles lunes ou utopies structurantes
pour le spectacle vivant ? »
Pour la deuxième année, le TDB accueille des « jeunes collectifs ». Après des
équipes nées au sortir du Conservatoire national de Paris, de l’ENSAD de Mont-
pellier et de l’ERAC de Cannes, Théâtre en mai reçoit cette année des collectifs
issus des écoles de Lille, Rennes et Strasbourg (ainsi que le Groupe 40 de cette
dernière). Ces troupes partagent le double point commun de présenter leur pre-
mière création et de réunir un effectif important. Des traits de caractère décisifs,
la directrice adjointe Mireille Brunet expliquant qu’il est « difficile de tourner un
spectacle avec beaucoup de monde sur scène, d’autant plus lorsqu’on débute. Il
nous semble nécessaire que le festival puisse jouer un rôle de soutien à ces
équipes. » Sans se limiter à cette catégorie ni à une définition trop restrictive, l’en-
jeu du festival étant bien de mêler générations et univers. Ainsi, « collectif » désigne
ici autant « des équipes travaillant sans aucune répartition des rôles définie, que
d’autres avec des fonctions bien assignées entre le metteur en scène, le scéno-
graphe, les comédiens, etc. ». Sur les quatre groupes français invités, deux sont
issus de l’École du Théâtre National de Strasbourg, un de l’École Professionnelle
Supérieure d’Art Dramatique (EPSAD) du Nord Pas-de-Calais, tandis que le qua-
trième – qui ne revendique pas le terme « collectif » – est emmené par une metteuse
en scène formée à l’école d’acteurs du Théâtre National de Bretagne. La preuve
que le mot renvoie bien à une diversité de pratiques et d’esthétiques...
NOUS ENTRERONS DANS LA CARRIÈRE…
Programme complet et liste des participants
à télécharger à partir du 2 mai sur www.tdb-cdn.com
ou sur www.jeune-theatre-national.com
Les visages du collectif © François Chattot
04
18-21/05 Tennessee Williams / Wooster Group USA
mercredi 18 à 20h jeudi 19 à 20h
vendredi 20 à 19h et samedi 21 à 14h30
Parvis Saint-Jean durée 2h
en anglais surtitré enfrançais
de Tennessee Williamsmise en scène Elizabeth LeCompteavec Ari Fliakos, Daniel Jackson,
Alan Boyd Kleiman, Daniel Pettrow,Kaneza Schaal, Andrew Schneider,
Scott Shepherd, Kate Valk lumière Jennifer Tipton, son Matt
Schloss, Omar Zubair, habilleur EnverChakartash, vidéo Andrew Schneider,directeur de production Bozkurt Karasu,
régie générale Teresa Hartmann,directeur technique, vidéo additionelle
Aron Deyo, chef électricien Kent Barrett,Tiffany Williams, assistant technique
Daniel Jackson, assistant son BobbyMcElver, consultant Casey Spooner,
cinématurge Dennis Dermody, manager
Edward McKeaney et Jamie Poskin,archiviste Clay Hapaz, projets avec les
médias Geoff Abbas, manager art et
éducation Kaneza Schaal, administrateur
Jason Gray Platt, consultant en stratégie
Joel Bassin, blog vidéo ZbigniewBzymek assisté de Jean Coleman,
productrice Cynthia Hedstromcoproduction Théâtre National de
Strasbourg, Les Spectaclesvivants-Centre Pompidou, Festival d’Automne à Paris
Vieux Carré est présenté grâceau concours de Samuel French, Inc.
pour l’University of the South,Sewanee, Tennessee
remerciement à Ellen Mills, Rob Reese,Raimonda Skeryte, Ben Williams,
Judson Williams
Avant d’être une pièce, Vieux
Carré est un quartier de La
Nouvelle-Orléans aux États-
Unis. C’est là que Tennessee Williams a
passé une partie de sa jeunesse dans les
années 1930. C’est là, aussi, que le célè-
bre auteur américain a connu un éveil
artistique et sexuel, découvrant son
homosexualité parallèlement à l’écriture
de ses premiers textes. Vieux Carré, la
pièce, nous plonge donc en partie dans
la mémoire de l’auteur devenu protago-
niste et narrateur. Dans celle-ci, un
jeune écrivain tente de faire carrière
dans le monde littéraire. Installé dans
une pension sordide, il découvre un uni-
vers étrange, peuplé de personnages
excessifs : un peintre gay atteint de
tuberculose, une femme de la société
new-yorkaise souffrant de sa solitude,
deux vieilles aristocrates déchues, ou
encore un photographe libertin. Il lui
faut rencontrer un vagabond pour parve-
nir à s’arracher à cette cour des Mira-
cles et laisser ce petit monde à son triste
sort...
La pièce est construite comme
une « pièce de mémoire ». Elle
est autobiographique, comme
toujours chez Tennessee Williams, mais
plus autobiographique à mon sens que
la plupart de ses autres pièces. Elle est
écrite à la première personne par un
personnage qui correspond à l’auteur et
qui raconte alternativement ses souve-
nirs et ce qui se passe dans la pièce. (...)
Quand je pense au contexte [d’écriture
de la pièce dans les années 1970, ndlr],
je vois de grands artistes, Andy Warhol,
John Cage, Burroughs… qui élargis-
saient formidablement les frontières de
l’art tout en assumant leurs identités
sexuelles, alors que Tennes see se tenait
presque à l’écart de ce monde. Quand il
est arrivé à New York, il s’est retrouvé
dans le vieux monde du théâtre avec un
T majuscule, celui du Broadway de la
fin des années 1940 et des années
1950. Quand ce nouveau monde gay
présent dans les arts plastiques, le
cinéma et le théâtre a émergé dans les
années 1960, il s’y est plongé sociale-
ment, tout en continuant à écrire selon
les formes anciennes. Il a eu une
dépression à la fin des années 1960 et,
lorsqu’il a recommencé à écrire, il me
semble qu’il n’a pas été capable de
réconcilier ce nouveau milieu artistique
et social avec ses muses du passé. Il
s’est mis à vivre une vie sur laquelle il
n’écrivait pas vraiment. Je me demande
souvent ce qui se serait passé si Ten-
nessee Williams n’avait pas connu cette
coupure en lui. Vieux Carré, qui semble
comme expurgé, évoque soudain son
homosexualité. Paradoxalement, cette
pièce plus proche de sa vie est très
terne, comparée aux excès de ses
autres pièces qui regorgent de drames,
de morts, de castrations... Il n’arrivait
probablement pas à exprimer ce qu’il
vivait. Et c’est ce qui m’intéresse, cette
contradiction en lui avec sa vie à
l’époque à New York.
Elizabeth LeCompte, extrait d’un
entretien réalisé et traduit par
Denise Luccioni, avril 2009
Wooster Group (1975, New York)C’est à la rue dans laquelle le Perfor-
mance Group dont il est issu travaillait
que le Wooster Group doit son nom.
Créé par Elizabeth LeCompte et Spal-
ding Gray, ce collectif construit un théâ-
tre expérimental et hybride, mêlant aux
corps des acteurs une forte présence
d’images, de vidéos et de sons. L’utili-
sation des nouvelles technologies
devient un moyen de déconstruction et
de recomposition des textes, qu’il
s’agisse d’œuvres contemporaines,
classiques ou improvisées.
Pièce de mémoire
Tennessee Williams (Columbus, Mississippi, 1911 – New York, 1983)1943 – entre comme scénaristeà Hollywood1945 – rencontre un premiersuccès théâtral lors de la créationà New York de sa pièce laMénagerie de verre1947 – écrit Un Tramway nomméDésir qui remporte un succèsimmédiat 1952 – Elia Kazan adapte aucinéma Un Tramway avec MarlonBrando 1979 – écrit Vieux Carré
La réalité de la fiction
« Je décris ce qu’on appelle des «petites gens». Mais qu’est-ceque cela veut dire «petites gens» ? Je pense parfois qu’il n’y aque de «petites gens». Je pense qu’il n’y a que de petitesconceptions de gens. Rien de ce qui vit ne peut être petit.Chacun ressent les choses intensément. »Tennessee Williams, Mémoires d’un vieux crocodile, 1978
OUVERTURETRANSATLANTIQUE Collectif mythique du théâtre d’avant-gardeaméricain, le Wooster Group inaugure Théâtreen mai avec une version toute personnelleet hybride de Vieux Carré, pièce de la maturitéde Tennessee Williams.
Ari Fliakos © Franck Beloncle
05
18-28/05 Cie des Gens / 1re en France Châtillon-sur-Seine
mercredi 18, jeudi 19, vendredi 20 (relâche les 21, 22, 23)
mardi 24, mercredi 25, jeudi 26 vendredi 27 et samedi 28 à 20h
Manège de Saussy(navette sur réservation)
durée 2h environ
par la Compagnie des Gensconception et mise en scène Jacques Senelet
avec Michel Auguste, Nolwenn Auguste, Emma Clément, Lucille Grandchamp,Elisabeth Hoornaert, Emeline Hussenet, Benoit Jayot, Sabine Lecoq,Aurélie Mathiot, Ludovic Mathiot, Gérard Odobert, Simon Pelissier,Patrick Pompon, Jacques Senelet, Jaroslav Shramek, Julien Thierry,
écuyère Émeline Hussenet, chevaux Avispado, Boléro, Domino, Jaïro, Ojaro, Pyrame,conception, construction décor toute l’équipe artistique de la Compagnie des Gens,
régie générale Christophe Boisson, conception lumière Félix Jobard,costumes Élisabeth Petetin, Élisabeth Hoornaert, Véronique Morel, castelet Lucille
Grandchamp, accessoiriste exotique Jean-Pierre Daniel, régie Élisabeth Petetin,hôtes et conseillers équestres Fabienne et Éric Cordebœuf
auteurs invités Antonin Artaud, Isaac Babel, Amir Gutfreund, Patrick Kermann,Isabelle Von Almen, Georges Feydeau, Xavier Durringer, Roland Fichet,
Guy de Maupassant, Jacques Seneletproduction La Compagnie des Gens, Théâtre Dijon Bourgogne – CDN
La première chose que précisent
Élisabeth Hoornaert et Jacques
Senelet lorsqu’on les rencontre
est qu’il ne s’agit pas d’un spectacle
équestre, la compagnie affirmant
« n’en avoir ni le désir, ni la compé-
tence. » Qu’on se le dise, donc, et si
À quoi rêvent les chevaux la nuit
pour être si peureux le jour est créé
dans le manège équestre de Saussy,
si la présence des chevaux et de
l’écuyère Émeline Hussenet amène
la réalisation de numéros, il s’agit
d’une création « à partir du » cheval.
Un point de fuite, une occasion pour la
Compagnie de se livrer à ce qu’elle fait
depuis ses débuts : raconter des his-
toires. Pour autant et comme le raconte
Jacques Senelet, À quoi rêvent les che-
vaux la nuit (...) renvoie « au titre
d’un paragraphe d’un précédent specta-
cle. Dans le Radeau Solexine monté
en 2007, un enfant prenait conscience
une nuit de la notion d’infini. De la
mort. J’avais sous-titré ce passage
À quoi rêvent les chevaux la nuit pour
être si peureux le jour, cette phrase
exprimant le sentiment qu’ont les
hommes d’être perdus, agressifs. » Une
première source, à laquelle s’ajoutent
les questionnements de Hoornaert
et Senelet : « étant tous deux cavaliers
amateurs, nous nous interrogeons natu-
rellement sur les chevaux. Ce sont de
véritables réservoirs à émotions et sans
aller jusqu’à parler d’intelligence,
ils sont très sensibles. Le cheval est
à la fois porteur de mythologies et véhi-
cule de guerre, de gloire, de sensualité,
d’innocence... »
Au-delà de ces désirs, la naissance du
spectacle est aussi le fruit de rencon-
tres, plus ou moins fortuites, mais
toutes décisives. Outre la découverte du
fameux manège situé à quelques enca-
blures de Dijon à Saussy (cf encadré),
outre la rencontre avec des écuyères,
les Gens sont cette saison les invités du
TDB et la création d’À quoi rêvent les
chevaux (…) fait partie des projets sou-
tenus par le Centre dramatique natio-
nal. L’occasion pour une institution et
une compagnie à la forte implantation
régionale de mutualiser compétences
et outils afin de, qui sait, pouvoir
“mêler les gens’’.
Pour ce qui est du fruit de cette aventure, les Gens nous promettent un sacré
tumulte : « Ce ne sera pas du théâtre pur, plutôt un voyage onirique dans des univers
différents, passant des auteurs contemporains aux classiques comme Georges Feydeau,
Guy de Maupassant, tout en s'invitant au cœur des mythologies urbaines d’aujourd’hui.
Tout cela placé sous le signe de Pégase, animal psychopompe, transporteur d’âmes. »
Bric-à-brac amoureux et insolent, À quoi rêvent les chevaux la nuit (…) s'affirme
« kaléidoscopique. Prenant à l'envers la mythologie équine, nous avons posé le cheval
où il ne se trouve pas d'habitude. Ce sont des éclats de rêves, dont les liens ne sont pas
forcément lisibles. “Tirez le cheval, c’est tout l’homme qui se détricote !”, cette maxime
de Jean-Louis Gouraud nous a souvent inspirés ! » Et comme dans tout rêve, il appar-
tient à chacun de retrouver le sens caché reliant les différents événements...
Caroline Châtelet
TOURNEZ MANÈGELaboratoire «équino-théâtral», À quoi rêventles chevaux la nuit pour être si peureux le jourprend à revers le cheval, à rebours le théâtreet refait le monde dans un manège. Une créationdes Gens, compagnie invitée du TDB pourla saison.
La Compagnie des Gens (Châtillon-sur-Seine, 1989)
Menant une double activité de développement culturel local et un travail decréation artistique, la Compagnie a une quinzaine de spectacles professionnels àson actif, qu’il s’agisse de mises en scène de textes classiques ou contemporains.Parallèlement à ces créations, la Compagnie des Gens travaille régulièrementavec des amateurs et présente chaque année à la belle saison un spectacleréunissant comédiens professionnels et amateurs. Dans le cadre de lacollaboration établie en 2010-2011 avec le Théâtre Dijon Bourgogne, lacompagnie a réalisé les Saisons animées et a mené le Club Théâtre, atelier aulong cours ouvert aux amateurs par le TDB.
… À la réalité
Le manège de SaussyLe manège a été construit aux alentours de 1870 et on ne lui connaîtpas d’équivalent ailleurs. Il appartenait à un soyeux de Lyon qui afait fortune en découvrant comment fixer la couleur noire sur la soie.Il s’est fait construire un relais de chasse à courre avec un petit châ-teau, des chenils et un manège pour les chevaux. Comme toutmanège, il est circulaire, mais son plan est unique et on ne sait passur quel modèle a travaillé l’architecte. Il fait trente mètres de dia-mètre, n’a pas de piliers. C’est comme un parapluie posé sur desmurs qui, eux, sont intégralement porteurs. La construction se seraitfaite avec l’utilisation d’un mât central, autour duquel a été bâti lacharpente en parapluie. On raconte que c’est l’architecte qui a«coupé» le mât – tous avaient peur que le toit s’effondre. Mais l’ar-chitecte était sûr de ses plans et ça a tenu. Et depuis, ça tient...
Eric Cordebœuf, responsable du centre équestre du manège deSaussy
Des origines...
La révérence de Jaïro © DR
vendredi 20 à 20h, samedi 21 à 17h30et dimanche 22 à 18h
Salle Jacques Fornier durée 2h50 avec entracte
La Maison des chiens texte et mise en scène KlimŒdipe d’après Sophocle, mise en scène Vlad Troïtskyiavec Natalka Bida, Vasyl’ Bilous, Tetyana Gawrylyuk,
Dmytro Iaroshenko, Roman Iasynovskyi, Ruslana, Khazipova,Vira Klimkovecka, Viktoriia Lytvynenko-Iasynovska, Solomiia Melnyk,
Volodymyr Minenko, Anna Nikityna, Igor Postolov,Tetyana Vasylenko, Kateryna Vyshneva, Zo
scénographie Vlad Troïtskyi, Dmytro Kostyumynskyimusique Vlad Troïtskyi, Roman Iasynovskyi, Solomiia Melnyk
production Théâtre Dakhtournée réalisée par le festival Passages à Metz
Fruit de la collaboration entre
Vlad Troïtskyi et Klim, ce spec-
tacle se décline dans un diabo-
lique dispositif où le public est d’abord
disposé au dessus des acteurs (la
Maison des chiens), puis en dessous
(Œdipe). C’est peu de dire que le regard
habituel du spectateur est chaviré par
cet univers scénique fait de fer et de fiel.
Auteur de la Maison des chiens, Klim
est à la fois poète, dramaturge, metteur
en scène et excellent pédagogue.
La Maison des chiens ne s’inspire pas
ouvertement du mythe d’Œdipe mais
dialogue avec lui, à travers un univers
clos : celui de la prison, des camps et de
la vie quotidienne des prisonniers. On
passe de l’oppression dont ils sont le
sujet à l’échappée que représente le lan-
gage. Présence obsédante, un homme
isolé dans une cage en appelle à la mère
patrie.
Le second épisode est signé par Vlad
Troïtskyi. Lui se nourrit d’Œdipe roi, la
pièce de Sophocle, sans pour autant
suivre à la lettre son déroulement. Au
début, un garçon demande à sa mère :
« Qu’est-ce que le destin ? Qui est
Œdipe ? » Le spectacle, où le chœur
joue un rôle central, va tenter de répon-
dre à cette triple interrogation.
Des chants ukrainiens s’invitent dans
l’aventure de cette tragédie grecque qui
nous apparaît sous un regard contem-
porain aussi inédit que surprenant.
Jean-Pierre Thibaudat
ŒDIPE DOUBLE LA MISEEmmenée par le metteur en scène Vlad Troïtskyi,les jeunes comédiens de l’École du Théâtre Dakhproposent deux spectacles, l’un dialoguant avecla figure d’Œdipe, tandis que l’autre part de LuigiPirandello pour narrer une histoire aux influencestrès ukrainiennes (page ci-contre). Mais mêmelorsqu’il s’attaque à un mythe tel que celuid’Œdipe, le roi de Thèbes qui se creva les yeuxaprès avoir découvert qu’il avait tué son pèreet couché avec sa mère, le Théâtre Dakh le faità sa façon. L’équipe propose donc un spectacleen deux épisodes, la Maison des chiens étantécrit et mis en scène par l’auteur ukrainien Klimet Œdipe reprenant dans une mise en scènede Vlad Troïtskyi des scènes d’après Œdiperoi de Sophocle.
06
Festival biennal installé à Metz, Passages se consacre au théâtre à l’Est de l’Eu-
rope. Cette définition vaste, autorisant tous les détours géographiques et artis-
tiques, Passages la met en œuvre dans un esprit de mutualisation. Ainsi, nombre
de spectacles programmés continuent leurs pérégrinations en France et passent
pour certains d’entre eux par Théâtre en mai. Après le Théâtre Libre de Minsk et
l’Opéra paysan du Hongrois Béla Pinter en 2009, deux équipes artistiques sont
accueillies durant le festival. Les Lituaniens emmenés par Gintaras Varnas
(cf page 12) et le Théâtre Dakh et son metteur en scène Vlad Troïtskyi débarqués
d’Ukraine.
De Passages à Théâtre en mai
20-22/05 Klim / Sophocle / Troïtskyi Ukraine
Vue plongeante sur la Maison des chiens © Théâtre Dakh
Sous le mythe d’Œdipe © Théâtre Dakh
mardi 24 à 19hmercredi 25 à 21h30
et jeudi 26 à 21h30Salle Jacques Fornier
durée 1hspectacle en ukrainien
surtitré en français
Des hommes en noir, un prêtre,
une femme au regard sombre,
deux ou trois jeunes filles, une
veillée mortuaire, un jour de fiançailles,
de la musique, des pas scandés et des
petits verres. Mariage, naissance et, qui
sait, peut-être mort ? Voilà ce que vous
risquez de croiser dans Presque une
pièce, presque Pirandello / une danse de
mort, spectacle du Théâtre Dakh. Mais
qu’on se rassure, pas besoin de con naître
l’œuvre de Pirandello pour découvrir ce
spectacle. Et si la référence à l’écrivain
prix Nobel de littérature en 1934 est
fondée, elle renvoie plus à des simili-
tudes d’univers qu’à une histoire précise.
En l’occurrence un monde rural, où
les communautés familiales et profes-
sionnelles jouent encore un rôle très
marqué. Comme si les atmosphères ita-
liennes des œuvres de Pirandello conser-
vaient toute leur cohérence transposées
dans un village d’Ukraine. Peut-être
parce que, où que l’on se trouve –
Ukraine, Sicile ou France –, l’écoulement
du temps semble différent lorsqu’on
quitte le mouvement citadin pour la lan-
gueur des journées dans des villages
isolés. Et devant le petit bout d’univers
construit, on éprouverait alors le senti-
ment que le monde dans son entier est
contenu là, juste à cet endroit.
THÉÂTRE PRÈS DU MONDE Partir de l’écrivain italien Luigi Pirandello et de sa courte pièce l’Hommeà la fleur dans la bouche pour tisser des liens entre les folklores ukrainienet sicilien. Parce que d’où que l’on parle, les affaires de mort et d’amourse disent avec la même force...
Journaliste et conseiller artistique du festival Passages, Jean-
Pierre Thibaudat réalise régulièrement les voyages de repé-
rage permettant de découvrir les artistes qui, plus tard, seront
accueillis à Passages et ailleurs. Il livre son regard sur le met-
teur en scène Vlad Troïtskyi : « Avec ses cheveux en bataille,
l’air de celui qui semble éternellement sorti d’une nuit d’agité, Vlad
Troïtskyi n’a rien du profil d’intellectuel à petites lunettes et bar-
biche de son quasi homonyme Léon Trotsky. Et pourtant c’est un
intellectuel qui a fait de brillantes études scientifiques. Mais c’est
plus encore un artiste, un rassembleur et enfin un sacré manager.
Bref, cet homme est un agitateur, un dangereux révolutionnaire
qui a, de fait, révolutionné le théâtre ukrainien. Sorti diplômé de
l’Ecole polytechnique de Kiev, Troïtskyi a converti son savoir scien-
tifique en se lançant dans des affaires, tout en allant étudier au
GITIS, la grande école de théâtre moscovite. Résultat : en 1994,
avec ses deniers, il fonde le théâtre Dakh (mot qui en ukrainien
veut dire toit). Un théâtre indépendant (privé) où il réunit une
troupe de jeunes acteurs qu’il forme auprès des meilleurs maîtres
russes et ukrainiens. C’est un modeste théâtre, moins grand qu’une
salle de classe, niché au bas d’un immeuble de Kiev. Un étroit cou-
loir tient lieu de caisse et l’hiver on vous fournit des chaussons en
film plastique bleu pour protéger le sol de la neige fondue qui s’est
accrochée à vos souliers. Un minuscule bar sert du vin chaud et
autres douceurs, la barmaid est aussi actrice, tout comme la cais-
sière et le préposé au vestiaire (lieu stratégique de tous les théâtres
dans les pays de l’Est où les hivers sont rudes et longs). C’est dans
ce mouchoir de poche que le théâtre ukrainien a commencé une
nouvelle époque. C’est là que Vlad invente ses spectacles et que la
troupe les joue à guichets fermés toute l’année. »
07
d’après Luigi Pirandellomise en scène de Vlad Troïtskyi
avec Natalka Bida, Vasyl’ Bilous, DariaBondareva, Tetyana Gawrylyuk, Dmytro
Iaroshenko, Roman Iasynovskyi,Ruslana Khazipova, Vira Klimkovecka,
Dmytro Kostyumynskyi, ViktoriiaLytvynenko-Iasynovska, Solomiia
Melnyk, Volodymyr Minenko, AnnaNikityna, Nataliia Perchishena, Igor
Postolov, Mariya Volkova,Vyshnya, Zo
lumière Mariya Volkovaproduction Théâtre Dakh
tournée réalisée par le festivalPassages à Metz
24-26/05 Pirandello / Troïtskyi Ukraine
Jour de fête © Théâtre Dakh
Vlad Troïtskyi et le Théâtre Dakh
08
Pourquoi régulièrement reprendre
ce texte ?
Yves Ferry : C’est comme un fil conduc-
teur pour moi. J’ai eu la chance de ren-
contrer ce texte, qui est fondamental
dans ma vie et qui fabrique, construit
ma qualité d’acteur. C’est comme un
repère, un dialogue que j’entretiens
avec, tout le temps.
Est-ce que votre vision du texte
évolue ?
Y.F. : C'est un travail que le temps fait
sur moi et sur le texte. Au fil des ans,
Moni et moi-même nous nous aperce-
vons qu'il ne vieillit pas, qu'il se colore
différemment en fonction de ce qui se
passe dans le monde. Certains thèmes
résonnent plus fort aujourd'hui qu'à la
création, d'autres moins. Ce texte est
d'une telle richesse, l'actualité lui
donne un pouvoir fascinant. Concernant
mon parcours d'acteur, une sorte d’al-
chimie se produit sur le plateau… Le
texte agit sur moi, sur nous, dans un
théâtre qui traverse des corps diffé-
rents, transformés. Ce que nous met-
tons en jeu n’est pas seulement nos
vies, mais le théâtre lui-même, dans
notre désir de parole.
Moni Grégo dit qu’une énigme circule
dans chaque texte de Koltès. Qu’en
pensez-vous ?
Y.F. : Des énigmes, il y en a plein... Il
n’y a pas un seul mot qui ne soit pas
autobiographique chez Koltès. Mais il le
fait avec un masque et parle sans arrêt
du monde, d’un état de violence, de
force, de la distribution du désir. Il par-
vient à évoquer d’autres choses que lui-
même, mais il n’y a pas une seule
phrase qui ne soit pas un secret.
Lorsque je travaille sur ces textes, j’es-
saie d’approcher ces secrets... Ce sont
des choses que je ne percevais pas ini-
tialement, le temps leur donne une réso-
nance, un éclaircissement. En fait, un
texte est joué pour être éclairci, s’ouvrir
à des sens nouveaux. Jouer consiste
à dénouer l’énigme, trouver du sens là
où il n’y en a pas, en mettre un autre
là où il en avait un... Essayer d’avancer
dans ce qu’on ne connaît pas et qui va
apparaître peu à peu. Je crois que
c’est cela le travail d’un acteur, d’un
metteur en scène, du théâtre...
propos recueillis par C. C.
suite de l’entretien
sur www.tdb-cdn.com
20-21/05 Koltès / Ferry Sète
vendredi 20 à 22h et samedi 21 à 15h30atheneum durée 1h15
de Bernard-Marie Koltèsmise en scène Moni Grégo assistée de Claude Gaignaire
avec Yves Ferrymusique Jean-Marie Sénia et la voix de Lady Élise Roos, espace Camille Rochwerg,
lumière Jean-Baptiste Herry et Farid Aberbour, dramaturgie Jean-Marie Pérez, régie
Jean Ferry, costume Lolette, graphisme et communication Lalu création, administration
et relations publiques Madeleine Comparoten coréalisation avec le Théâtre de l’Espace Hérault - Paris, le Théâtre du Colibri -
Avignon, le Théâtre Pierre Tabard - Montpellier. La Compagnie Théâtrale de la Mer est conventionnée par le ministère de la
Culture DRAC Languedoc-Roussillon, avec l’aide de la régionLanguedoc-Roussillon, du Conseil général de l’Hérault
RETIENS LA NUITMonologue d’une seule phrase, cri de désiret de révolte d’un homme, la Nuit juste avantles forêts constitue aujourd’hui un texte majeurdu répertoire contemporain. Un «classique»,interprété par Yves Ferry, comédien pourqui Bernard-Marie Koltès a écrit la pièce.
Bernard-Marie Koltès (Metz, 1948 – Paris, 1989)
Désigné comme l’un des dramaturges majeurs de sa génération,Bernard-Marie Koltès ne publie que six textes de son vivant, auxquelss’ajoute son adaptation du Conte d’hiver. C’est sa rencontre en 1979avec le metteur en scène Patrice Chéreau qui le révèle au grand public.Écrite en 1977, la Nuit juste avant les forêts marque une coupure netteavec les écrits antérieurs, en annonçant l’œuvre à venir de Koltès.
Lorsqu’en 1977 Bernard-Marie Koltès dirige le jeuneYves Ferry pour interpréter la
Nuit juste avant les forêts, tous
deux n’imaginent certainement pas
le succès à venir du texte. Pas plus
eux que Moni Grégo, à qui Koltès
demande de prendre la suite à la mise
en scène. Aujourd’hui, il y a long-
temps que Koltès est mort des suites
du sida. Longtemps que ses pièces
sont jouées et traduites dans le
monde entier. Pour autant, Yves Ferry
et Moni Grégo n’ont pas oublié la
force de ce monologue et continuent,
accompagnés du musicien Jean-Marie
Sénia – autre compagnon de route
de Koltès – à le porter. Rencontre
avec Yves Ferry.
La Nuit juste avant les forêts nous transporte dans l’universd’un étranger qui habite en France. On voit toutes ses difficultésd’adaptation, son envie de compréhension par les gens qui l’entoure,la frénésie qui autour de lui le conduit à sa propre frénésie et quis’exprime dans son langage, dans ses répétitions, qui nous montrele cercle vicieux qu’est sa vie. Orphelin de son pays et délaissé parson pays d’adoption, il est rongé par la solitude qui le dévore à petitfeu et par son monde composé de loubards qui cognent, de rues oùl’on cherche des personnes, d’usines où les travailleurs ne pensentqu’à bouffer, de chambres pour passer la nuit et de prostitués. Koltès a réussi, de manière admirable, à faire de ce monologuede la poésie dépourvue de littérature, en empruntant à l’étrangerson vocabulaire désabusé.
Par Loubna Qaffou, élève en première littéraire à la Cité scolairede Montchapet et Lycéenne reporter lors de Théâtre en Mai 2010
Carrefour de création et de transmis-
sion, la Compagnie de la Mer réunit,
entre autres, l’auteur, comédienne et
metteur en scène Moni Grégo et le
comédien et metteur en scène Yves
Ferry. Depuis leur première collabora-
tion sur la mise en scène de la Nuit juste
avant les forêts, tous deux ont suivi leur
itinéraire personnel, se retrouvant régu-
lièrement pour porter la voix des
auteurs classiques ou contemporains.
Compagnie de la Mer
Yves Ferry © Moni Grégo
10
20-22/05 Bove / Guillaumat / Hourdin Cluny
vendredi 20 à 18h30samedi 21 à 14h30 et
dimanche 22 à 16h Péniche Cancale
durée 1h15
d’après Emmanuel Boveavec Gérard Guillaumat
chef de troupe Jean-Louis Hourdin
Jean-Louis Hourdin retrouve Gérard
Guillaumat, complice de longue date
et comédien ayant joué avec des met-
teurs en scène prestigieux comme Roger
Planchon. Traversés par le même désir de
transmission, les deux hommes construi-
sent depuis plusieurs années un compa-
gnonnage minutieux. Ils se retrouvent
ainsi autour de formes intimes, dans les-
quelles Guillaumat seul en scène porte la
voix de poètes. À l’occasion du festival,
c’est le premier roman d’Emmanuel Bove
(1898-1945) Mes Amis qu’ils choisissent.
Dans ce récit à la première personne paru
en 1924, les échecs intimes et difficultés
d’un homme en proie à la solitude et à la
misère sociale sont relatés dans une écri-
ture précise et économe. Jean-Louis
Hourdin raconte : « la première fois que
nous l’avons lu, Gérard Guillaumat et moi
avons ri. Tout est tellement sombre, nous
nous disions “ce n’est pas vrai, ce n’est
pas possible !’’. C’est très intéressant
cette noirceur, car à travers elle Bove
aborde des choses au cœur de la misère
humaine, dans des phrases concises, ato-
niques, rassemblées. Tout passe dans
les espaces, les silences. Le texte creuse
les gouffres de la solitude, à tel point
qu’on désire pouvoir consoler chacun
des personnages. Pouvoir leur dire que
ce n’est pas si grave, alors que si, nous
sommes inconsolables. Le théâtre pour-
rait apparaître alors comme la tentative
de nous consoler, nous tous qui sommes
inconsolables... »
Compagnons des poètes
20-21/05 Hourdin / TNS Groupe 40Strasbourg
Deuxième projet emmené par
Jean-Louis Hourdin et dédié à
Bertolt Brecht, les Ateliers
Brecht nous prouvent, s’il était besoin,
que le dramaturge, metteur en scène, cri-
tique dramatique et poète allemand du
XXe siècle n’a pas fini de donner du grain
à moudre à notre monde contemporain...
Lors de ces Ateliers, les élèves de la pro-
motion 40 de l’École du Théâtre National
de Strasbourg – soit en fin de première
année –, proposeront une soirée autour
de Jean la Chance et une deuxième inti-
tulée Cabaret de la pensée. Comme l’ex-
plique Jean-Louis Hourdin, il s’agit de
« construire deux veillées autour de la
pensée de Brecht. Brecht est un grand
poète allemand, pas uniquement théâtral,
puisqu’il existe neuf volumes de ses
poèmes, de ses histoires, de ses chan-
sons. Donc il y a d’une part le désir de
prendre tout ce qui n’est pas théâtral
chez Brecht pour en faire un spectacle,
ainsi que de proposer quelque chose
autour de Jean la chance. Je trouve cette
pièce magnifique, complètement enlumi-
née et marquée par la littérature alle-
mande. Brecht n’a que vingt, vingt-et-un
ans lorsqu’il l’écrit, soit l’âge des élèves
du TNS, et travailler ce texte fascinant
avec eux m’intéresse. » Un projet en plu-
sieurs temps et étapes, les répétitions
débutant à Strasbourg, avant de se pro-
longer quelques jours à Pernand Verge-
lesses. Au cœur de ce village bourgui-
gnon se trouve une maison ayant
appartenu à Jacques Copeau, grande
figure de l’histoire de la décentralisation
théâtrale. Pour Jean-Louis Hourdin,
« amener les élèves dans la maison
Copeau ne relève pas de la nostalgie,
c’est les ouvrir à une page de l’histoire du
théâtre français du vingtième siècle, dont
Copeau fait partie et est l’un des initia-
teurs. » On saisit donc, encore une fois,
l’importance que Jean-Louis Hourdin
accorde à la transmission : « en tant
qu’ancien élève du TNS, j’ai toujours
gardé des contacts avec cette école.
Le TNS a été une chose formidable pour
moi et c’est là, vraiment, que je suis né
à vingt ans. Depuis, je suis régulièrement
intervenu en tant que professeur par l’in-
termédiaire des directeurs successifs qui
m’ont sollicité et il m’est important de
maintenir ce lien. »
C.C.
Sur l’établi du théâtre
dirigé par Jean-Louis Hourdin avec les élèves du groupe 40 (1re année) de l’École supérieure d’art dramatique
du Théâtre National de Strasbourg : Léon Bonnaffé, Laurène Brun,You Jin Choi, Kyra Crasnianschy, Jules Garreau, Thaïs Lamothe,
Thomas Mardell, Céline Martin Sisteron, Sarah Pasquier,Romain Pierre, Bertrand Poncet, Alexandre Ruby, Eva Zink
élève dramaturge Olivia Barron, élève metteur en scène Vilma Pitrinaite-Geny,élèves régisseurs Thomas Laigle, Fanny Perreau
vendredi 20 à 21h et samedi 21 à 17hBourse du Travail
durée 1h30
LES CLÉS DE LA TRANSMISSIONÀ sa façon et sans préméditation aucune, le chefde troupe Jean-Louis Hourdin fait la jonctionentre jeunes pousses et vieilles branches. Quandle théâtre est affaire d’échanges...
À lui seul, Jean-Louis Hourdin croise les axes développés par Théâtre en
mai, que ce soit celui de la transmission avec l’attention portée aux jeunes
équipes, ou celui de la rencontre des générations, jeunes pousses en dia-
logue avec vieilles branches. Pas la peine pour autant de s’étendre sur le
sujet, car Hourdin n’aime rien moins que d’être mis en avant au détriment
des poètes qu’il défend. C’est d’ailleurs, certainement, l’une des raisons qui
pousse l’homme à revendiquer la fonction de chef de troupe plutôt que celle
de metteur en scène. Car là où le deuxième titre renvoie parfois dans
le théâtre contemporain à une figure de démiurge tout puissant, « chef
de troupe » souligne la nécessité pour Hourdin du travail en collectif, de
l’échange. Regard sur les trois propositions accueillies, qui au-delà de leur
modestie revendiquée, sont nourries de générosité, d’intérêt porté aux
poètes et d’humanisme combattif.
Gérard Guillaumat © Mario del Curto
III
THE WOOSTER GROUP’SVERSION OF TENNESSEEWILLIAMS’ VIEUX CARRÉWilliams / The Wooster Group / USA
mer 18 et jeu 19 à 20h,
ven 20 à 19h
et sam 21 à 14h30
Parvis Saint-Jean (2h)
Le mythique Wooster Group dans une
pièce peu connue et autobiographique
de T. Williams, récit violent du
passage à l’âge adulte d’un jeune
homme s’éveillant à l’homosexualité.
À QUOI RÊVENTLES CHEVAUX LA NUITPOUR ÊTRE SI PEUREUXLE JOUR ? Création
Compagnie des Gens / Senelet
du mer 18 au ven 20 et
du mar 24 au sam 28 à 20h
Manège de Saussy (env. 2h)
Aventures peuplées de cauchemars
réjouissants, de rituels cruels ou dro-
latiques. Création de la Cie des Gens
dans l’improbable nef des fous du
manège équestre de Saussy.
(Navette sur réservation)
MES AMISBove / Guillaumat / Hourdin
ven 20 à 18h30, sam 21
à 14h30 et dim 22 à 16h
Péniche Cancale (1h15)
Comédien amoureux de la langue,
inlassable explorateur de textes, Guil-
laumat fait résonner la voix effroya-
blement humaine de l’homme en
quête d’Amis... Petit précis de soli-
tude.
LE CONTE D’HIVERShakespeare / Koltès / Ringeade /
École du TNS
ven 20 à 19h, sam 21 à 17h30
et dim 22 à 14h30
Théâtre Mansart (2h35)
Shakespeare Connection raconté à
travers le prisme des codes de la
mafia. Un conflit d’honneur qui se
transformerait en tragédie, si ce
n’était l’art d’inventer des histoires …
ATELIERS BRECHTven 20 à 21h et sam 21 à 17hBourse du travail (1h30)Le Groupe 40 de l’École du TNS etJ.-L. Hourdin s’emparent de textes deBrecht pour deux soirées, l’une autourde Jean la Chance, et l’autre sousforme d’un « Cabaret de la pensée. »
LA NUIT JUSTE AVANTLES FORÊTSKoltès / Ferry / Grego
ven 20 à 22h et sam 21 à 15h30atheneum (1h15)Un inconnu aborde un inconnu, un soirde pluie. Il parle, tisse avec ses motsun filet qui ne s’interrompt jamais,comme pour le retenir. Il parle de lui,d’amour, du monde, de tout, chaquemot prononcé semblant être une vic-toire sur le temps qui se dérobe...
LA MAISON DES CHIENS.ŒDIPEKlim / Sophocle / Troïskyi / Ukraine
vend 20 à 20h, sam 21 à 17h30et dim 22 à 18hSalle Jacques Fornier (2h50 av.entracte)Autour d’Œdipe roi, un spectacle endeux parties qui use d’un diaboliquedispositif où le public est d’abordplacé au dessus des acteurs puis endessous, au son de chants ukrainiens.
LA QUERMESSEDE MÉNETREUXO.P.U.S. / Rome
sam 21 à 21h30 et dim 22à 21h30 Jardin du musée archéologique(env. 2h30)Mythologies françaises : une vraie-fausse kermesse avec stands, tom-bola, lancers de frigos, feux d’artificeet échantillons pittoresques du genrehumain. Le public pourra jouer, regar-der, chanter, parier, danser, trinquer,grignoter ou glandouiller...
LE COMBAT DETANCRÈDE ET CLORINDE& LE BAL DES INGRATESMonteverdi / Varnas / Lituanie
mar 24 à 20h30, mer 25 à 19h et jeu 26 à 19hParvis Saint-Jean (1h25 av. entracte)
Marionnettes géantes, chanteurs etmusiciens baroques enchantent deuxœuvres de Monteverdi qui annoncentla naissance de l’opéra. Un spectaclepour tous, plein d’humour, de fureuret de musique !
PRESQUE UNE PIÈCE,PRESQUE PIRANDELLO/UNE DANSE DE MORTPirandello / Troïskyi / Ukraine
mar 24 à 19h, mer 25 à 21h30et jeu 26 à 21h30 Salle Jacques Fornier (1h)Inspiré de L’homme à la fleur dans labouche, le spectacle jette des pontsentre les folklores sicilien et ukrai-nien : une veillée mortuaire, une fêtede fiançailles, de la musique, despetits verres,...
LA TRISTEDÉSINCARNATIOND’ANGIE LA JOLIEde Missolz / École du TNB
mar 24 à 19h, mer 25 à 19h et jeu 26 à 19hatheneum (1h40)Tragédie festive pour temps‘‘people’’ : impossible d’y échapper !Angelina Jolie est partout. Voici laBelle inaccessible héroïne involon-taire d’un théâtre osé, absurde, jouis-sif et générationnel…
PLUS LOIN QUE LES ÉTOILES1re en France
Gil Polo / Espagne
mer 25 à 21h30 et jeu 26à 21h30 Théâtre des Feuillants (1h15)La rencontre explosive d’Œdipe et deMichael Jackson. Se mêlant au bon-heur de la musique, une réflexion surl’enfance, sur le monstrueux et uneplongée dans le rêve américain.
GÊNES 01Paravidino / Si vous pouviez lécher
mon cœur / EPSAD-Lille
ven 27 à 21h, sam 28 à 17h et dim 29 à 15h atheneum (1h25)En 2001, pendant le sommet du G8,Carlo Giuliani est abattu par un poli-cier. Tous deux ont à peine vingt ans.
FUNÉRAILLES D’HIVER
Levin / Poésy / École du TNS
vend 27 à 19h, sam 28 à 14h30
et dim 29 à 17h
Théâtre Mansart (1h40)
Deux familles sont réunies pour célé-
brer un mariage quand l’irruption
d’un cousin porteur de mauvaises
nouvelles fait exploser la cohésion du
groupe. Une comédie grinçante et fan-
tastique.
LIFE : RESET /CHRONIQUED’UNE VILLE ÉPUISÉE
1re en France
Murgia / Belgique
sam 28 à 22h et dim 29
à 19h30
Parvis Saint-Jean (55 min)
Une jeune femme rentre chez elle
après une journée de travail, seule.
Au rythme d’une stricte routine, ses
liens avec le monde passent par Inter-
net où elle se construit silencieuse-
ment une existence virtuelle.
JULES ET MARCEL
Tré-Hardy / Bernard / Caubère /
Galabru
sam 28 à 20h
Théâtre des Feuillants (1h15)
Une amitié entre deux monstres du
cinéma, Pagnol et Raimu, incarnée
par deux sacrés acteurs, Galabru, qui
a tout joué, du gendarme au boulan-
ger, et Caubère, enfant du Soleil,
auteur et metteur en scène.
TARTARIN RACONTÉAUX PIEDS NICKELÉS
Daudet / Vayssière
sam 28 à 17h30 et dim 29
à 21h
Salle Jacques Fornier (1h25)
Tartarin, les Pieds Nickelés, de terri-
bles chasses au fauve dans un Orient
colonial qui ressemble bigrement à
l’Algérie coloniale… Sous la forme
d’une série d’aventures bouffonnes,
des questions d’une brûlante actualité.
IV
11
21-22/05 oPuS Niort
samedi 21 et dimanche 22 à 21h30
Jardin du MuséeArchéologique
durée 2h30
avec Bertrand Boulanger, Boa Passajou, Bruno Gastaoou Mathieu Laville, Chantal Joblon, Gérard Court,Georges Matichard, Sébastien Coutant, FrédériqueMoreau de Bellaing, Julien Pillet, Mathieu Texier,Patrick Girot, Pascal Rome, Ronan Letourneur,Yves Jannel ou Etienne Grebot, Vanessa Karton,Agnès Pelletier ou Sandrine Bourreauavec le soutien de l’Abattoir, CNAR deChalon-sur-Saône et du CNAR de Niort (79)remerciements à Carabosse et aux 26000, au festival« Entre cours et jardins » de Barbirey-sur-Ouche,au festival Cratère Surface (scène nationale d’Alès)et au festival au village de Brioux-sur-BoutonneOpus est une compagnie de spectacle vivantconventionnée par la DRAC Poitou-Charenteset soutenue par la Région Poitou-CharentesOpus est une compagnie associée au théâtred’Angoulême
La Quermesse de Ménetreux, c’est d’abord une
sublime fête de village. Bricolée par la compa-
gnie oPuS et allumée par l’équipe de Cara-
bosse – collectif dont les installations jouent avec le
feu, l’air et la ferraille –, cette foire avec ses stands,
ses jeux très spéciaux, ses figures hautes en couleur
et son atmosphère unique arrive tout droit de Méne-
treux-le-Pitois. Non pas Ménétreux avec deux « é »,
mais Ménetreux avec un « é » et un « e ». Une différence
de taille, puisque si Ménétreux-le-Pitois est situé entre
Les Laumes, Montbard et Éringes, l’emplacement géo-
graphique de Ménetreux est, lui, un peu plus flou. Pour
autant et au vu des références très locales employées
par ses habitants, le village se trouverait en Côte-d’Or,
au cœur de la Bourgogne. C’est donc de ce lieu impro-
bable que nous vient pour deux jours – deux seulement,
autant dire qu’il n’y aura pas de séances de rattrapage
pour les retardataires – la fameuse Quermesse. Avec
un « Q » et non pas avec un « k » comme kermesse. Un
« é » devenu « e », un « k » transformé en « q » : on saisit
à ces deux détails grammaticaux que plutôt que d’imiter
le réel, la compagnie oPuS le réinvestit. Et que pour ce
faire elle se l’approprie, le pousse dans ses propres
retranchements pour, au final, inventer un monde en soi.
Proposée dans le cadre du jumelage avec Dijon, la
Quermesse est animée par le Comité des Fêtes de
Ménetreux. C’est son président qui accueille le public
sur le site, l’encourageant à flâner, à passer d’un stand
à l’autre pour y découvrir les nombreux jeux d’adresse,
de lancer, de pari, de force. Mais attention, n’allez pas
vous méprendre sur l’affaire : à la Quermesse de Méne-
treux, nous ne sommes pas au théâtre. Il ne s’agit donc
pas d’un spectacle à la durée chronométrée où le spec-
tateur aurait toujours quelque chose à voir et où les
gags et bons mots se succéderaient immanquablement
d’une représentation à l’autre. Le cadre existe, certes,
mais il est ici défini par le déroulé des différents
stands, chacun étant animé par son inventeur. Et
tandis que les plus aventureux tenteront leur chance
à l’un des jeux, d’autres préféreront tester la piquette
à la buvette. Dans ce dispositif propice à la découverte,
le public glisse lentement du statut de spectateur à
celui de participant. Oubliant la totale absurdité du défi
d’adresse auquel il se livre pour se concentrer sur le
vif plaisir éprouvé. Et c’est dans cette atmosphère au
burlesque très sérieux que petit à petit les dialogues
se nouent, les challenges se lancent, tout le monde se
prenant au jeu de cette Quermesse fabuleuse.
Car plus qu’une fête foraine lambda, autre que du théâ-
tre, cette Quermesse de Ménetreux porte en elle quelque
chose... Autre chose... Comme une sorte de rapport à
la réalité différent, renouvelé. Pour autant, l’équipe
d’oPuS part bien du réel. La preuve en est ce Comité
des fêtes, dont les membres semblent être une défor-
mation du comédien qui les incarnent, comme si
chacun avait construit son personnage en forçant ses
manies et petits traits caractéristiques. Cet effet de
« plausible » permet de relier l’ensemble et aussi folles
soient les attractions, aussi typés soient leurs anima-
teurs, « on y croit ». Difficile alors de ne pas se laisser
prendre au jeu de cette Quermesse, pour découvrir
l’univers et la personnalité se cachant derrière chaque
stand minutieusement construit.
Caroline Petit-Chateau
Réenchanter le réel
Un « e », un « k » et tout bascule...FÊTE FORAINE RÊVÉESouvent, lorsqu’ils viennentau théâtre les gens repartentdès la représentation terminée,pressés qu’ils sont par demultiples raisons. Pas de çaà la Quermesse de Ménetreux,fête foraine rêvée que chacunest invité à parcourir à sonpropre rythme...
Créée par Pascal Rome en 2000, oPuS est unecompagnie de théâtre avec des gens qui ne font pasque du théâtre. Ils sont raconteurs de sornettes,machinistes à balivernes, couleuvriers chevronnés,bricoleurs de quart de poils, astiqueurs de mémoiresvives ou ravaudeuses de bonnets de langues… On lesappelle les « phabricants ». Des phabricants quichatouillent la vie sous les bras. Des phabricants quiglanent de drôles d’engeances et qui lestransforment en drôles d’histoires. Des phabricantsqui jouent à déshabiller le réel pour lui tricoter deschandails en vrai-faux. oPuS, c’est une compagnie dephabricants qui phabriquent du théâtre pas pareil… !
La Compagnie oPuS plus ou moins par elle-même
Gérard Court © Darri/CNAR de Niort
Inauguration de la quermesse © Darri/CNAR de Niort
24-26/05 Monteverdi / Varnas Lituanie
de Claudio Monteverdimise en scène Gintaras Varnas
avec les solistes Edita Bagdonaitésoprano Clorinde, l’Ingrate, Gintaré
Skeryté soprano Vénus, LukaszDulewicz soprano l’Amour, Mindaugas
Zimkus ténor Narrateur, MindaugasJankauskas ténor Tancrède, Nerijus
Masevicius basse Pluton, le chœur Brevis Marcin Sochan violon,
Malgorzata Feldgebel violon, RobertBliškevicius alto, Justyna RekšcRaubo
violoncelle, Darius Stabinskas viole de
gambe, Vytautas Dovydauskis clavecin,Andreas Nachtsheim et
Stanislaw Gojny théorbe,et les acteurs Sigita Mikalauskaité,
Lijana Muštašvili, Elvyra Piškinaité,Joné Dambrauskaité,
Elzé Gudaviciuté, Vainius Sodeika,Emilia Laténaité-Bieliauskiené,
Dovydas Stoncius, Eglé Spokaité, Dainius Zeinalovas
direction musicale Darius Stabinskas,concepteur des éclairages Gintautas
Urba, décors Julia Skuratovaproduction Banchetto musicale (Lituanie)
tournée réalisée par le festival Passagesà Metz, avec l’aide du groupe des 20
théâtres en Ile-de-France et du Théâtredu Nord, avec le soutien de l’ONDA
(Office National de Diffusion Artistique)
Représenté pour la première
fois en 1624, Le Combat de
Tancrède et Clorinde s’inspire
d’un poème épique de l’auteur italien de
la seconde moitié du XVIe siècle Le
Tasse. Le chrétien Tancrède tombe
amoureux de la jeune musulmane Clo-
rinde. La guerre arrive et Tancrède se
bat contre un mystérieux adversaire,
qu’il blesse à mort, avant de découvrir
qu’il s’agit de Clorinde...
Écrit en 1608, Le Bal des ingrates vante
les mérites de l’amour dans une œuvre
mettant en scène Dieux et dévotes.
Dans une atmosphère à l’ironie
comique, les Dieux se moquent de ces
ingrates ayant refusé de céder aux
charmes de l’amour.
«Gintaras fait ce que l’on pourrait appe-
ler du théâtre d’opéra, il insiste d’ail-
leurs sur ce point en donnant comme
sous-titre à l’ensemble formé par les
deux œuvres de Monteverdi “deux
petites pièces pour une scène de théâ-
tre’’. » Comme l’explique le critique et
conseiller artistique du festival Pas-
sages Jean-Pierre Thibaudat, le metteur
en scène lituanien Gintaras Varnas
croise les genres pour mieux mêler les
œuvres : mettant en scène le Combat de
Tancrède et Clorinde et le Bal des
ingrates de Claudio Monteverdi, il le fait
en réunissant sur scène un orchestre de
chambre baroque, des chanteurs et une
équipe de comédiens-marionnettistes.
Concernant la manipulation, Gintaras
Varnas précise avoir eu recours à
diverses techniques, « à bâtons, à mul-
tiples pièces pour créer la figure de l’ar-
mure, des masques, et des masques à
taille humaine », l’intérêt des marion-
nettes étant qu’elles permettent « de
tout exprimer, davantage encore
qu’avec les humains ».
Quand l’opérase met en scène
Madrigal Pièce de musique polyphoniqued’inspiration profane dérivée deschansons de troubadours, le madrigala été largement travaillé par lecompositeur Claudio Monteverdi(1567-1643), ce dernier expérimentantdes formes dramatiques nouvelles,proches de petits opéras.
Du tragique au comique
MARIONNETTES BAROQUESDeux madrigaux, un castelet, des marionnettesaux tailles disproportionnées, des chanteurs,un orchestre baroque... Un équipage atypiquepour une mise en scène non moins étonnantedu Combat de Tancrède et Clorinde et du Baldes ingrates de Monteverdi.
La Lituanie vient nous dépeindre en clair-obscur dans un décor évo-cateur du théâtre antique l’esthétique baroque italienne, dont Mon-teverdi fut le grand compositeur novateur dans l’art de représenterles affects.Le choix de marionnettes plus hautes que l’homme, aux visages cari-caturaux mais si expressifs, renforce la théâtralité et nous entraînevers la commedia dell’arte, les tarentelles napolitaines, voire les pro-cessions siciliennes. Pour le Combat de Tancrède et Clorinde, quatrepersonnes manipulent chaque armure, créant ainsi un effet visueld’une grande force poétique, puisqu’au moment du choc dans l’af-frontement des deux combattants, les membres se disloquent, s’en-trelacent, se confondent, pour donner naissance dans une grandeconfusion à un seul corps informe, comme une sorte de puzzle endésordre. Cette intense agitation visuelle et musicale nous trans-porte, à l’instar de tous les mythes et légendes, dans l’épaisseur denotre âme, entre guerre et amour, bien et mal, ombre et lumière...Dans le Bal des ingrates - qui tient de la fable moralisatrice -, l’idéedu sort implacable est renforcée par la présence devinée des instru-mentistes derrière les marionnettes. Ces ombres, telles des doubles,paraissent détenir ces liens invisibles qui donnent momentanémentvie aux âmes des ingrates. Les masques presque grotesques de cesmégères inapprivoisées expriment leur caractère acariâtre, commeleur triste résignation. Alors, leurs mimiques affligées nous emplis-sent de compassion pour ces belles dames qui ne voulurent pointaimer ni être aimées. Dans un décor identique aux deux pièces, lespersonnages Testo puis Pluton demeurent ce même démiurge placéau dessus d’une même citadelle, qui occupe toute la scène. Cettefigure divine à la belle voix grave et profonde est bien le maître denos destins, ce «fil» conducteur, qui tire les ficelles des spectateurs-marionnettes que nous sommes. Elle nous exhorte à accepter sansrestriction l’amour, dans la franche loyauté et la pleine lumière !
Sylvie Bouissou, gérante de la Boutique Harmonia Mundi à Dijon
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Le Bal des ingrates © D. Matvejev
Le Bal des ingrates © D. Matvejev
mardi 24 à 20h30mercredi 25 à 19h
et jeudi 26 à 19hParvis Saint-Jean
durée 1h25 avec entracte
en italien surtitré enfrançais
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24-26/05 Missolz Rennes
mardi 24 à 19hmercredi 25 à 19h
et jeudi 26 à 19hatheneum durée 1h40
mise en scène Marine de Missolzassistée de Vanille Fiaux
avec Benjamin Barou-Crossman,Christelle Burger, Yoan Charles, Julie
Duchaussoy, Manuel Garcie Killian,Julien Polet, Anne-Sophie Sterck
lumière Patricia Deschaumes,musique et vidéo Jonathan Seilman,
costumes Laure Fonvieilleproduction Le Trident-Scène nationale
de Cherbourg-Octeville,le Théâtre National de Bretagne
production déléguée Le Trident Scènenationale de Cherbourg-Octeville
création Le Trident, Scène nationalede Cherbourg-Octeville
N é en 2008 lors d’une carteblanche aux élèves del’École du Théâtre National
de Bretagne, la Triste désincarna-tion d’Angie la Jolie est repris deuxans plus tard. L’occasion pourl’équipe emmenée par la metteur enscène Marine de Missolz de prolon-ger et approfondir le travail, trans-formant une proposition d’atelier enspectacle. Comme Marine de Mis-solz l’explique, la Triste désincarna-tion d’Angie la Jolie « est le titred’une tragédie. Parce qu’on diraitqu’avoir une vie médiatique d’unetelle ampleur, ça finit par dépossé-
der de soi. La Triste désincarnationd’Angie la Jolie est donc une tragé-die. Certes ! Qui fait son miel d’arti-cles people, de paroles de fans,d’Angelina Jolie herself, de choré-graphies de Lara Croft et de raparborigène, oui ! Mais aussi d’ex-traits de la pièce Vous qui habitez letemps de Valère Novarina où l’au-teur interroge l’homme sur ce quifait la consistance d’un corps, de laparole, d’un esprit ! Cette Angie estsurtout l’héroïne involontaire d’unthéâtre osé, différent, absurde etjouissif. »
Parce que c’est la star la plusmédiatisée aujourd’hui. C’est unebonne raison pour qu’on en parle…Parce qu’un matin dans mes toi-lettes, je suis tombée sur un articledu magazine Closer qui stipulait qued’après des témoins et des proches,elle avait une relation avec songarde du corps, et que ça m’a fasci-née, allez savoir pourquoi...Parce que l’école de théâtre danslaquelle j’étais nous offrait la possi-bilité de monter un projet de mise enscène, et que l’idée de travailler untexte existant ne diffusait pas en moid’imaginaires faramineux, à mongrand dam, sans doute parce que lestextes de théâtre que j’aime m’appa-raissent trop bien écrits pour que jepuisse y ajouter quelque chose.
M.d.M.
J’ai dit aux huit acteurs : allez vous documenter sur Angelina Jolie et voyezce que vous pouvez en faire. Au bout de très grandes discussions, chacuna développé un certain nombre d’actes isolés sur le plateau, et ce à partirde matières diverses : articles de magazines people, interviews de l’actrice,paroles de fans volées sur Internet, improvisations travaillées, textesécrits pour l’occasion. Nous avons en parallèle entrepris un travail choré-graphique à partir d’un examen minutieux de la gestuelle du personnagevirtuel Lara Croft du jeu vidéo Tomb Rider, dont Angelina Jolie est la repré-sentante au cinéma. Nous avons par ailleurs petit à petit incorporé certainstextes de Vous qui habitez le temps, pièce que j’ai à cœur depuis très long-temps et que j’avais envie de rapprocher de cette histoire-là. Nous avonsveillé à ce qu’ils n’apparaissent pas comme des contrepoints discursifs,mais plus comme des conséquences naturelles découlant du reste de lamatière utilisée, mêlée à elle. L’élaboration des propositions de plateaudes acteurs s’est donc faite sur des compromis de rêves, d’envies, de ques-tionnements, de projections que nous avions les uns par rapport auxautres. Je voulais faire apparaître la personnalité de mes camarades, etbâtir mon spectacle sur le conflit de leurs positionnements très marquéset divers.
PourquoiAngelina Jolie ?
PRODUIT DE THÉÂTREAngelina Jolie est un phénomène. Une star,capable d’être sensibilisée aux crises humanitaireslors d’un tournage d’un blockbuster hollywoodiencomme de vendre à prix d’or les photos de sesenfants pour mieux maîtriser son image... Un purproduit de l’industrie et des médias, exploréavec curiosité et insolence par Marine de Missolzet son équipe.
Marine de Missolz (Paris, 1983)
2001-2003 – étudie en classe préparatoire littéraire à Saint-Ouen 2003-2005 – obtient une double maîtrise de lettres modernes et de philosophieà Nantes, tout en suivant les cours du conservatoire d’art dramatique de Nantes2006-2009 – formation à l’école d’acteurs du Théâtre National de Bretagneà Rennes, dirigée par Stanislas Nordey2009 – joue dans 399 secondes de Fabrice Melquiot mis en scène par StanislasNordey2010 – met en scène la Triste désincarnation d’Angie la Jolie
2011 – joue dans L’Indestructible Madame Richard Wagner écrit et mis en scènepar Christophe Fiat
Angelina Jolie Voight (Los Angeles, 1975)
1993 – joue dans son premier film, Glass Shadow
2001 – interprète Lara Croft au cinéma dans l’adaptation du jeu vidéo Tomb Raider
2001 – est nommée « ambassadrice de bonne volonté » pour le Haut-Commissariat aux Réfugiés, à Genève 2005 – débute une relation avec l’acteur américain Brad Pitt2008 – donne naissance à des jumeaux. A six enfants, dont trois adoptés
Mode d’emploi, par Marinede Missolz
Julie Duchaussoy et Manuel Garcie Killian © Simon Le Moullec
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27-29/05 Levin / Drôle de Bizarre Strasbourg
vendredi 27 à 19h, samedi 28 à 14h30 et dimanche 29 à 17h
Théâtre Mansartdurée 1h40
texte Hanokh Levin (Éditions Théâtrales)texte français Laurence Sendrowicz
création de la Compagnie Drôlede Bizarre
mise en scène et adaptation Maëlle Poésyavec Jonas Marmy, David Casada,Valentine Alaqui, Nathalie Bourg,
Frédéric Baron, Samuel Favart-Mikchascénographie Alban Ho Van,
costumes Raffaëlle Bloch, lumière TatianaElkine, création sonore Samuel
Favart-Mikcha, régie plateau, régie
générale Florent Jacob, conception
réalisation marionnettes Loïc Nébreda,conception musicale Samuel Favart
Mikcha et Jonas Marmyavec la participation du Jeune Théâtre
National et le soutien du Conseilmunicipal de Strasbourg
et du Théâtre National de StrasbourgLe texte de la pièce est publié aux
Éditions Théâtrales dans le volumeThéâtre choisi IV, comédies grinçantes
Deux familles se réunissent
pour célébrer le mariage de
leurs enfants. Durant la nuit
qui précède cette union, le cousin
Latshek Bobitshek tente de les réveiller
pour leur annoncer la mort de sa mère.
Mais cette nouvelle compromettrait la
cérémonie et la famille Bobitshek a trop
investi dans ce mariage pour l’ajourner.
Père, mère, futurs époux et beaux-par-
ents se lancent alors dans une fuite
éperdue, prêts à tout pour éviter d’ap-
prendre la nouvelle. D’une situation ini-
tiale réaliste, Funérailles d’hiver glisse
lentement vers le fan tastique, révélant
dans une farce au vitriol l’égoïsme
d’une société petite-bourgeoise dominée
par les intérêts personnels.
Le désir de monter Funérailles d’hiver est né de la rencontre avec un auteur,
Hanokh Levin, dont la vision acerbe du monde et de son pays, Israël, sert à mer-
veille une critique pleine d’humour et d’ironie de nos sociétés contemporaines. Cette
pièce porte en elle une multitude de thèmes qui me touchent et que je souhaite
interroger sur le plateau : la question de l’identité, la confrontation entre les généra-
tions, la force du groupe, l’exclusion, le matérialisme comme but existentiel, la cru-
auté humaine, la quête du sens de l’existence… Dans Funérailles d’hiver, un homme
court après sa vie pour enterrer la Mort. Deux familles courent pour fuir cette mort
et réaliser leur rêve : marier leurs enfants, construire un avenir. Une course effrénée,
vaine mais essentielle qui donne l’illusion d’accéder à l’immortalité en réalisant ses
rêves. Latshek Bobitshek se retrouve seul face à la disparition de sa mère, face à
l’impossibilité de construire un avenir s’il n’enterre pas le passé. La pièce pose la
question de la place que nous donnons à notre héritage dans la construction de notre
personnalité, du visage que l’on se doit d’offrir pour être accepté par la collectivité,
des différents masques que nous essayons pour nous trouver nous-mêmes.
A travers le prisme de cette famille, Levin dresse le portrait d’une société individual-
iste et matérialiste, en proie à un repli sur soi, dans le but de sauvegarder un semblant
de bonheur, tout en explorant la confrontation entre les générations, entre Orient et
Occident, entre matériel et spirituel. Ces différentes formes d’oppositions donnent
lieu à un questionnement sur l’identité des personnages. Comment se construit-on
en tant qu’individu ? Comment se positionne-t-on face à notre héritage, notre futur ?
Quelle place a-t-on dans le monde ? Quel est le sens de notre passage sur Terre ?
Maëlle Poésy
Affaires de désirsHanokh Levin
(1943, Tel Aviv – 1999, Israël)
Figure majeure pour sa liberté d’expression et la richesse de son écriturescénique, Hanokh Levin est l’auteur d’une cinquantaine de pièces. Cabaretssatiriques, comédies et tragédies constituent l’essentiel de son œuvre,déclenchant régulièrement des épisodes de censure et de controverses pour leurdénonciation en règle de la politique et des travers de la société israélienne.Au sujet de son écriture, sa traductrice en France, Laurence Sendrowicz, expliquequ’il commence à partir de 1980 à explorer de nouvelles formes, puisant « dansles grands mythes », puis façonnant son propre théâtre épique. Ainsi apparaîtle « drame moderne » de Levin, « au service duquel il met son langage théâtralsi particulier, mélange de provocation, de poésie, de quotidien, d’humour et deformidable générosité. »
Du réel au fantastique
LE MARIAGE OU LA VIEIssue du Théâtre national de Strasbourg, la compagnie Drôle de Bizarremet en scène Funérailles d’hiver d’Hanokh Levin. Dans cette farceburlesque, les vivants refusent d’affronter la mort et enclenchent par leurfuite une dissolution du réel dans le fantastique. Une pièce grinçante,terriblement « drôle » et « bizarre »...
La scénographie a été pensée comme
« une boîte à jouer », pleine de surprises
et de possibles. Elle rappelle à la fois le
castelet de marionnettes et le théâtre de
tréteaux. C’est un lieu unique où les
murs et le sol se confondent, l’espace se
renouvelle constamment en fonction
des variations du jeu des acteurs, du
son et de la lumière. Ce dispositif fait
sans cesse appel à la force de l’imagi-
naire des comédiens et des spectateurs.
Il révèle à la fois l’humour féroce et
l’importante charge poétique de la
pièce, l’une des plus sensibles du réper-
toire d’Hanokh Levin.
M.P.
Convoquer l’imaginaire
Drôle de BizarreC’est en 2009 à l’occasion de la miseen scène de Funérailles d’hiver que naîtla Compagnie Drôle de Bizarre. Cettejeune équipe constituée de comédiens,scénographes, costumiers, technicienset autres artistes issus du Groupe 38de l’école du TNS a une activité encoretoute récente, intimement liée à laformation de ses membres. Si l’histoire de Drôle de Bizarre est,comme le raconte Maëlle Poésy, « entrain de se faire et de s’inventer », sonnom renvoie lui à une véritable « enviede théâtre étrange, hybride, à lacroisée des arts vivants (cirque,danse, théâtre, musique). Un théâtrequi échapperait aux étiquettes et auxdéfinitions. »
Course poursuite © Franck Beloncle
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Emmené par le metteur en scène Julien Gosselin, le collectif est composé d’élèves
formés à l’École Professionnelle Supérieure d’Art Dramatique (EPSAD) du Nord
Pas-de-Calais. Comme Julien Gosselin le raconte, son nom provient « de Shoah de
Claude Lanzmann, film dans lequel un homme dit à Lanzmann : “Monsieur, si vous
pouviez lécher mon cœur, vous mourriez empoisonné.’’ Stuart Seide, le directeur
de l’école de Lille, la répétait souvent en disant que ça pourrait être du Shakes-
peare. Il y a dans ce nom à la fois l’origine commune, notre intérêt pour la chose
documentaire, et une forme de sensualité grave et désuète. » Intimement liée au
désir de monter Gênes 01, la naissance du collectif trouve également sa source
dans la « nécessité partagée de travailler ensemble, encore, après trois ans d’école.
Il s’est vite trouvé que ces deux désirs n’en faisaient plus qu’un : au fond, il m’était
impensable de monter cette pièce sans eux. »
20-22/05 Paravidino / Si vous pouviez lécher mon cœur Lille
vendredi 27 à 21h, samedi 28 à 17h et dimanche 29 à 15h
atheneumdurée 1h25
texte Fausto Paravidinoun projet du collectif Si vous pouviez lécher mon cœur
mise en scène Julien Gosselinavec Guillaume Bachelé, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Alexandre Lecroc
Victoria Quesnel, Tiphaine Raffierproduction anima motrix
avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication(dispositif compagnonnage)
Ce spectacle a également reçu le soutien du Théâtre du Nord
Monter Gênes 01, presque dix
ans après les faits, c’est
choisir de se placer dans un
interstice, jonction mobile et fragile entre
ce qui semble déjà être devenu de l’His-
toire et ce qui reste de l’ordre du présent.
Entre une forme de «concrétude», d’ana-
lyse mais aussi d’abstraction liée à l’His-
toire, et ce texte à vif, né de la brûlante
proximité entre faits et acte d’écriture.
Au centre : la représentation.
Dix ans après les faits, les mots sont les
mêmes, la rage est la même, mais l’His-
toire est passée. Quel temps nous sépare
de cette histoire ?
Dans Gênes 01, on parle. On pose des
questions. On s’adresse à tous. Urgem-
ment. Ce qui, au fond, n’est pas nouveau.
Il semblerait même que ce soit à l’origine
du théâtre. En choisissant ce texte, nous
voulons faire le choix de la parole. Celui
de l’énergie, mais nous pourrions appeler
cela fougue ou
urgence, peu importe.
Préférer à la sur-inter-
prétation rageuse, une parole forte de
l’acteur vers le public. Tenter de s’appro-
cher au maximum du dire. Toucher du
mieux que nous le pourrons le présent
des mots de Paravidino, leur résonance
de maintenant. En travaillant ensemble,
nous voulons que ce moment de théâtre
soit une fête. Une fête où l’on se dira
sûrement que le monde va mal. Une fête
durant laquelle on parlera d’un jeune
homme qui s’est fait buter en pleine rue,
à Gênes, en 2001, pendant que les huit
chefs d’État des plus grandes puissances
mondiales posaient pour la photo. Mais
ce ne sera pas une fête triste.
J.G.
A Gênes, en 2001, pendant le sommet du G8, Carlo Giuliani est abattu en pleine rue. Son assassin est un policier en service.Tous deux ont à peine plus de vingt ans.C’était il y a presque dix ans.J’avais alors quatorze ans. J’étais collégien.Un copain m’avait proposé d’aller manifester à Gênes.Ni lui ni moi n’y sommes finalement allés, nos parentsrespectifs ayant évidemment trouvé l’idée sinonincongrue, du moins dangereuse.Je ne me souviens pas avoir réentendu parler du G8de Gênes pendant quelques années.Pas non plus de Carlo Giuliani.Étonnante lecture du texte de Paravidino que futla mienne il y a trois ans.2001, pour un jeune homme de vingt-deux ans, ce n’était pas hier.Loin de là.Julien Gosselin, metteur en scène
Choix de théâtre
LA VIOLENCE DU RÉELFausto Paravidino est un cas à part dans le paysage théâtral :jeune auteur et metteur en scène italien, il figure parmiles rares de sa génération à bénéficier d’un si large intérêt.Adoubé par l’institution – il était à l’affiche de laComédie-Française début 2011 –, il est également misen scène par de jeunes équipes. Ainsi du collectif Si vouspouviez lécher mon cœur qui offre avec Gênes 01 un théâtrefondé sur l’urgence à raconter.
Fausto Paravidino (1976, Gênes)
Acteur sur les planches et à l’écran, metteur en scène, traducteur de Shakespeare
et de Harold Pinter, scénariste et auteur à ce jour d’une dizaine de textes, Fausto
Paravidino fait partie de la nouvelle génération de dramaturges européens. Formé
aux cours d’art dramatique du Teatro Stabile de Gênes en tant qu’acteur, il fonde
rapidement sa propre compagnie. Dès ses premières créations, sa précocité et sa
maîtrise surprennent, chaque pièce étant souvent l’occasion d’expérimenter une
nouvelle forme dramatique : huis clos dans Deux frères, polar dans Nature morte
dans un fossé ou encore théâtre documentaire et choral dans Gênes 01, un texte
écrit sur une commande du Royal Court Theatre de Londres.
Collectif Si vous pouviez lécher mon cœur (2009, Lille)
Victoria Quesnel, Guillaume Bachelé, Antoine Ferron et Alexandre Lecroc © Simon Gosselin
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28/05 Pagnol / Raimu / Bernard / Caubère / Galabru Marseille
samedi 28 à 20h Théâtre des Feuillants
durée 1h15
Pascal Legros Productions présented’après la correspondance de Jules
Raimu et de Marcel Pagnol adaptation Pierre Tré-Hardy
mise en espace Jean-Pierre Bernardavec Michel Galabru, Philippe Caubère
et Jean-Pierre Bernard
Jules et Marcel, ce sont Jules Raimu
et Marcel Pagnol, donc. Deux
hommes de caractère, dont les noms
sont gravés dans l’histoire du cinéma et
du théâtre français. Découvert par
Sacha Guitry et pionnier du cinéma par-
lant, Jules Raimu (1883-1946) est aussi
l’acteur fétiche de Pagnol endossant,
entre autres, les rôles de César dans la
trilogie marseillaise et celui du boulan-
ger dans La Femme du boulanger.
Quand à Marcel Pagnol (1895-1974),
l’écrivain, dramaturge et cinéaste fran-
çais abandonne en 1927 l’enseignement
pour se consacrer à l’écriture. Devenu
célèbre en 1929 avec Marius, il se lance
dans le cinéma parlant. Il fonde à Mar-
seille en 1934 sa propre société de pro-
duction et ses studios de cinéma et fait
jouer Raimu, Fernandel, Pierre Fresnay
ou Louis Jouvet.
C’est leur correspondance que Jules et
Marcel propose de découvrir. De 1929 à
la mort de Raimu, Jules et Marcel échan-
gent menaces, déclarations d’amitiés ou
encore reproches éternels. Mais accom-
pagnés par le narrateur Jean-Pierre Ber-
nard, c’est aussi l’histoire d’une passion
commune pour le cinéma et le théâtre
que nous racontent Jules, Marcel, et der-
rière eux, Michel et Philippe...
Marcel Pagnol qu’interprète Philippe Cau-
bère était un auteur talentueux et très
célèbre. Un grand auteur classique qui,
j’en suis certain, sera encore joué dans
quatre-cents, trois-cents ans. Issu d’une
famille d’instituteurs marseillais, Pagnol
était lui-même professeur d’anglais. Il
s’est mis à écrire des pièces et c’est à
partir de sa trilogie marseillaise consti-
tuée de Marius, Fanny, et César que le
succès est venu. Homme simple, intelli-
gent et accommodant, Pagnol a souvent
affaire à un Raimu un peu capricieux,
cabot, égocentrique. Il gère son extrava-
gance et tente de le raisonner, d’autant
qu’il l’apprécie et connaît sa valeur. Car
Raimu était un très grand comédien, un
monstre sacré comme il n’en existe plus...
Pagnol selonGalabru
DÉTOURS D’ACTEURSMichel Galabru et Philippe Caubère valent à euxseuls le détour. Alors lorsque les deux comédiensse retrouvent sur une scène pour interpréter JulesRaimu et Marcel Pagnol, le rendez-vous devientmémorable...
Philippe Caubère (Marseille, 1950)
1968-1971 – débute au Théâtre d’Essai d’Aix-en-Provence1971-76 – comédien au Théâtre du Soleil, joue dans 1789, 1793 et l’Âge d’or1977 – joue Molière dans le film d’Ariane Mnouchkine1981 – crée au festival d’Avignon la Danse du diable, prologue à sa sagale Roman d’un acteur1993 – joue l’intégrale du Roman d’un acteur au festival d’Avignon,soit onze spectacles de trois heures chacun2005 – écrit et interprète l’Homme qui danse, nouveau cycle comprenanthuit spectacles de trois heures
En homme attaché à la notion de terroir et de territoire, je me suis régalé à la lecture de cette « conversa-tion » réelle et virtuelle entre deux monstres sacrés du cinéma français. Deux monstres sacrés, deux sacréespersonnalités, des « sudistes » comme ils se baptisent eux-mêmes, forts en gueule, fiers, exprimant leursconvictions et leur amitié sur un registre tonitruant pour l’un, merveilleusement sarcastique pour l’autre !Cela me rappelle d’ailleurs mon expérience professionnelle au Crédit Agricole du Midi dans les années2000. Et curieusement, les relations de travail et d’amitié entre Raimu et Pagnol me semblent trèsmodernes ! J’aime l’idée qu’on ne réussit qu’ensemble, que les relations professionnelles se transformentsouvent en amitiés vraies et qu’à travers des échanges parfois musclés, on progresse, on innove, on réussit.Là aussi on se forge l’amitié au gré des mobilités professionnelles. C’est assez rassurant de réaliser quedans le monde de l’art on ne fait pas que rêver. Non, au cinéma, au théâtre, c’est comme dans n’importequelle entreprise : on travaille, beaucoup, on s’engueule, on bataille pour le succès, on se soutient, on seperd, on se retrouve. Comme dans n’importe quelle entreprise… Dans la banque aussi, on rêve, on tra-vaille, on s’engueule, on s’apprécie, on négocie… Et on aime le spectacle. J’ai hâte de découvrir MichelGalabru (encore un monstre sacré tonitruant !) dans le rôle de Raimu. J’ai hâte de voir Jules et Marcel…Je souhaite beaucoup de succès à cette nouvelle édition du Festival Théâtre en mai !
François Macé, Directeur Général du Crédit Agricole de Champagne-Bourgogne
Michel Galabru(Safi, Maroc, 1922)
1950 – obtient le 1er prix duConservatoire national supérieur d’artdramatique de Paris1950-1957 – est pensionnaireà la Comédie-Française1964 – joue Ribouldingue dans le filmles Pieds Nickelés réalisé par Jean-Claude Chambon1964-1972 – joue dans les six filmscomposant la saga du Gendarmeà Saint-Tropez, qui le révèlent augrand public1986, 1998 et 2010 – joue au théâtredans la Femme du boulanger de MarcelPagnol2008 – Molière du meilleur comédienpour les Chaussettes-Opus 124
Philippe Caubère interprète Pagnol © Michèle Laurent
Michel Galabru interprète Raimu © Michèle Laurent
28-29/05 Daudet / Forton / Vayssière Marseille
samedi 28 à 17h30 et dimanche 29 à 21hSalle Jacques Fornier
durée 1h25
d’après Alphonse Daudetmise en scène et scénographie Marie Vayssière
avec Dominique Collignon-Maurin, Patrick Condé, Pit Goedert, Miloud Khétib adaptation Marie Vayssière et Philippe Gorge, collaborateur artistique du metteur en
scène Philippe Gorge, lumière Laurent Coulais et Marc Vilarem, montage de la
production Julie Nancy-Ayache, délégation de production Elyane Buissoncoproduction Compagnie du Singulier, Théâtre des Bernardines
avec le soutien de la Direction des Affaires culturelles de la régionProvence-Alpes-Côte d’Azur, de la Direction des Affaires culturelles de la Ville deMarseille, du Conseil général des Bouches-du-Rhône et le Centre départemental
de créations en résidence CG13 et du ministère de la Cultureet de la Communication – DRAC-PACA
ce spectacle bénéficie de l’aide de l’ADAMI et de l’ONDA
MYTHES POPULAIRESTartarin, Ribouldingue, Croquignol et Filochard :ce sont ces populaires anti-héros inventés parAlphonse Daudet pour le premier et Louis Fortonpour les seconds que réunit Marie Vayssière,dans une mise en scène imaginant leur possiblerencontre.
L’association est étrange et pour le
moins inattendue. Toutefois, on peut se
risquer à quelques rapprochements.
Tout d’abord dans l’esprit. Des deux
bords, l’humour féroce, la moquerie sont
absolus. Les histoires, celle de Tartarin
comme celles des Pieds Nickelés, tout à
fait immorales, n’épargnent personne,
pas même les malades et les pauvres. Le
non-conformisme est la règle d’or chez
les Pieds Nickelés. Chacun de leurs
agissements est une apologie de l’ar-
naque et de la bonne vie aux frais des
dupes, et par excellence, la figure du
dupe, c’est Tartarin. Tartarin et les
Pieds Nickelés sont le fruit d’une époque
où anarchistes et escrocs affichaient
avec un parfait cynisme le mode de vie
qu’ils avaient choisi. Leurs aventures
sont autant de forces réactives et vives,
un concentré d’énergies en action où
toutes les grandes questions, même
sous la forme de la bouffonnerie et de la
provocation, entrent en jeu.
Mais ne nous y trompons pas. L’Algérie
(et la France) reste le thème essentiel
de l’œuvre de Daudet... Car c’est bien la
vision d’une Algérie coloniale, sa
cruelle réalité, occultée par le mythe
d’un Orient de pacotille à laquelle l’au-
teur nous confronte. Impensable de
cacher la posture ambiguë de Daudet
qui mêle un élan vrai d’humanité devant
un spectacle misérable et le regret sous-
jacent des fastes d’un empire colonial
en déclin. Quant aux Pieds Nickelés,
même drôle, même caricatural, leur
appétit carnassier à vouloir posséder
encore et toujours plus de biftons, singe
à s’y méprendre ceux qui aujourd’hui
sont toujours prompts à digérer pour
eux seuls et sans scrupules le meilleur
des biens et des services de la planète...
Marie Vayssière
Alphonse Daudet (1840, Nîmes – 1897, Paris)
Anti-social, antisémite et anti-dreyfusard mort des suites de lasyphilis, l’écrivain et auteur dramatiqueAlphonse Daudet laisse des écritsmêlant réalisme et merveilleux. Desfameuses Lettres de mon Moulin au récitautobiographique du Petit Chose enpassant par ses romans de mœurs,Daudet construit une œuvre danslaquelle le réel est repris, enrichi parl’imaginaire. Ainsi de son Tartarin,personnage vantard et lâche, mais dontla capacité à poursuivre des chimèresest bien humaine. Un récit écrit en1872, qui trouve sa source dans unvoyage à Alger effectué par Daudet encompagnie de son cousin HenriReynaud en 1861.
Jusqu’au début des années 1990, Marie Vayssière travaille en tant quecomédienne – avec des metteurs en scène tels que Roger Blin, Jacques Nichet,Daniel Jeanneteau ou encore Tadeusz Kantor –, avant de s’ouvrir à la mise enscène. Comme l’explique Suzanne Joubert, auteur associé au Théâtre desBernardines à Marseille, elle développe « une démarche où le singulier (nom dontelle baptise sa compagnie), émerge du rapport très artisanal qu’elle entretient aumétier. Du cousu-main si l’on peut dire. Sa recherche va piocher à travers d’autrespratiques comme le clown, la marionnette, la foire... tout ce qui permet, en bref,de déplacer le trait, de le forcer, même à certains moments, pour atteindre à unesorte de déséquilibre scénique ambiant », permettant, alors, de « parler de toutavec légèreté. Évoquer le meilleur comme le pire, le génial et le pas reluisant. »
Marie Vayssière
Les Pieds Nickelés / Tartarin de Tarascon
Louis Forton (1879, Sées – 1934,
Saint-Germain-en-Laye)
Dessinateur et scénariste, LouisForton est un pionnier de la bandedessinée moderne. Ce bon vivant,parieur invétéré, ancien garçond’écurie ainsi que, paraît-il, écuyer, alaissé dans l’histoire du neuvième artdes personnages inoubliables, dont lacarrière s’est prolongée bien au-delà dela vie de leur créateur. Outre BibiFricotin, jeune titi parisien dégourdi etmalicieux, Forton est le père deCroquignol, Ribouldingue et Filochard,alias les Pieds Nickelés. Apparus en1908 dans l’Épatant, ces sympathiquesescrocs et poivrots représentent,surtout, les premiers anarchistes de lab.d., en lutte contre toutes les figuresde l’autorité.
«Marie Vayssière fait réapparaître dans son théâtre de foire trans-
formé en salle de classe les figures comiques populaires, Tartarin
et les Pieds Nickelés, que des générations de gamins ont lus à
l’école ou à la récréation. Pendant que l’un tente héroïquement d’aller au bout de
la fable de Daudet, le trio d’anarchistes, professionnels de la glandouille, trois
clowns sans âge, maquillés comme des camions volés, lui font les poches, bâfrent
sans limite, s’emploient à torpiller la fiction du chasseur de lion écrite à l’époque
de la colonisation algérienne et de l’escroquerie généralisée. C’est là un théâtre
dont le burlesque naît de l’effroi, un théâtre qui vient de l’enfance, sacrilège. »
Bénédicte Namont, Théâtre Garonne à Toulouse
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Patrick Condé, Miloud Khétib et Dominique Collignon-Maurin © DR
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Pourquoi ce nom Life : reset /
Chronique d’une ville épuisée ?
F.M. : L’idée de ce spectacle m’est
venue très simplement, lors d’un voyage
en train. Passant devant ces séries de
fenêtres allumées sur les façades des
immeubles, j’imaginais qu’en dépit de
leur proximité, derrière chacune d’elles
se trouvait, peut-être, une solitude.
Puis, la thématique d’Internet et la
façon dont cet outil génère de nouvelles
façons d’être seul sont apparues. Pour
« Life » : vie, « reset » : annuler, l’asso-
ciation de ces deux mots évoque la pos-
sibilité de recommencer sa vie, tout en
renvoyant au langage informatique.
Life : reset porte la question du double,
de l’avatar et s’inspire en partie de
Second Life. Ce jeu dans lequel les per-
sonnages mangent, dorment, travaillent,
mais ce de façon totalement virtuelle,
résonne avec le quotidien de cette
femme.
La ville renverrait pour vous
à la solitude ?
F.M. : J’ai cette idée que nous sommes
peut-être dans une perte de rapport au
corps. Chronique d’une ville épuisée
m’évoque l’image d’une ville cyberné-
tique prête à craquer, symbole d’une
société dominée par le travail et la
consommation effrénée. En cela, le per-
sonnage féminin est une métaphore de
cette ville : elle est sur-connectée, plon-
gée dans un rythme de travail débridé
et elle court à sa perte. J’ai l’envie,
plutôt que de raconter l’histoire d’une
personne seule, de regarder le monde à
travers une seule personne, de parler
d’une somme d’individus.
Vous dites qu’il s’agit d’un «spectacle
sur la fin des libertés». Pourquoi?
F.M. : C’est un spectacle sur la fin des
corps. Les rapports aux corps, à nous-
mêmes et au travail, ont profondément
évolué. Sans vouloir spécifiquement trai-
ter d’Internet, je veux évoquer plus lar-
gement la question de la fin de la vie
privée. C’est paradoxal, car quoiqu’étant
sans cesse sous le regard de caméras
nous sommes de plus en plus seuls...
Donc cette question de la fin des libertés
est présente à différents niveaux dans le
spectacle, que ce soit dans l’intimité ou
collectivement...
En quoi cette thématique de
la solitude est-elle importante
pour vous ?
F.M. : Je suis touché par les troubles de
la personnalité, les addictions et ces
pathologies sont pour moi représentatives
d’un malaise social. Là je souhaite que
cette femme soit une métaphore du sys-
tème, mais sans énoncer de thèse, que
cela demeure très subjectif. Faire un spec-
tacle où le spectateur puisse se raccro-
cher à sa propre histoire, sa propre soli-
tude, qu’il se voit vivre à travers une
personne dont on ne ne perçoit aucun sen-
timent m’intéresse particulièrement.
Ce spectacle est sans paroles.
Cela relève-t-il d’une forme de défi ?
F.M. : Je suis beaucoup plus à l’aise
sans texte préalablement écrit, ne le
considérant pas comme le matériau dra-
maturgique principal. Produire un spec-
tacle utilisant le son, l’image, la vidéo et
les énergies des comédiens me permet
d’aller vers des sujets qui me touchent
et que je n’ai initialement pas intellec-
tualisés. Cela m’aide à aller vers ce que
je désire, en me renvoyant sans cesse à
la question de ce que je veux véritable-
ment exprimer.
propos recueillis par C. C.
28-29/05 Murgia / 1re en France Belgique
samedi 28 à 22h et dimanche 29 à 19h30Parvis Saint-Jean
durée 55mn
texte et mise en scène Fabrice Murgia / Artara, avec Olivia Carrèreassistanat Christelle Alexandre et Catherine Hance, environnement vidéo Arié Van
Egmond, cameraman Xavier Lucy, régie vidéo Giacinto Caponio,création lumière Fabrice Murgia, régie lumière Ludovic Desclin,
scénographie Vincent Lemaire, décoration Anne Goldschmidt, Marc-Philippe Guériget Anne Humblet, musique et régie son Yannick Franck, régisseur général Romain
Gueudré, construction décor les Ateliers du Théâtre National,création costumes des avatars Sabrina Harri, chant Albane Carrère,
figuration Christelle Alexandre et Romain Gueudrécoproduction Théâtre National - Bruxelles, Theater Antigone - Courtrai,
Festival de Liège, Maison de la Culture de Tournai, CECNCe texte a bénéficié du soutien du Comité Mixte CWB, Chartreuse de
Villeneuve-lez-Avignon, Promotion des Lettres du MCF
Fable sans paroles – mais avec
texte –, Life : reset / Chronique
d’une ville épuisée du jeune
acteur et metteur en scène belge
Fabrice Murgia raconte « l’histoire
d’une jeune femme que l’on voit évoluer
chez elle, se réveiller, se laver, manger,
partir au travail, se distraire, mais tou-
jours seule, bien qu’elle « socialise » sur
Internet. C’est une solitude qui n’en est
pas une, car elle évite le face-à-face
avec elle-même par un recours systéma-
tique à la communication virtuelle, une
solitude sans vie privée, sans liberté, où
le corps est nié, où la présence à soi-
même est gommée au profit d’une fan-
tomatique et fragile présence virtuelle ».
Chronique de la vie d’un « être piégé,
enfermé au creux d’un système » et qui,
un jour, ne peut continuer à fonctionner
ainsi...
Histoire virtuelle
LES LIMITES DE LA VIRTUALITÉUn appartement. Une femme. Avec pour seuleprésence du monde extérieur un ordinateurconnecté à Second Life, elle réalise les menusgestes du quotidien, ceux qu’à force de répéteron oublie avoir exécuté. Mais jusqu’où lesnouveaux médias nous relient-ils véritablementau monde ?
Fabrice Murgia(1983, Verviers, Belgique)
2006 : diplômé du Conservatoireroyal de Liègedepuis 2007 : est comédiendans la série belge Melting Pot Caféde Jean-Marc Vervoort2007 : fonde le collectif Artara avecJeanne Dandoy et Vincent Hennebicq2009 : met en scène Le Chagrindes Ogres (Prix Télérama et Prixdu Public au Festival Impatience -Théâtre de l’Odéon en 2010)depuis 2010 : est artiste associéau Théâtre National de Bruxelles
Après le Chagrin des ogres,
précédent spectacle abordant les
doutes et espoirs liés à l’adolescence,
c’est à la question de la dissolution
de la liberté dans le virtuel que
s’attaque Life : reset. Création au
langage particulier, ce théâtre mul -
timédia entremêle textes, images
fortes et musiques saturées.
Rencontre avec Fabrice Murgia.
Olivia Carrère © Cici Olsson
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D’un festival, nous voyons la face visible : spec-
tacles, concerts et autres rencontres. Mais on
sait au final peu de choses de l’ensemble que
constitue cette constellation, la « programmation ».
Pour autant, ce travail ne se fait pas à la légère et on
ne programme pas comme on enfile des perles. Pour-
quoi ? Pour reprendre les mots de Mireille Brunet,
« programmer s’inscrit dans le cadre d’un projet. » Et
répond donc autant à des impératifs financiers,
humains, qu’à la mise en œuvre de convictions artis-
tiques et politiques. Ainsi, côtoyer une programmation
établie en cohérence avec un projet artistique est à
court et long terme nettement plus stimulant pour le
spectateur, par les débats et la curiosité qu’elle susci-
tent. Sans remettre en cause l’intérêt de chaque spec-
tacle indépendamment du lieu où il joue, une program-
mation noue un dialogue avec des pièces, des auteurs,
des artistes dans la durée. Comme si le théâtre, art
éphémère, se trouvait en permanence prolongé, enrichi
par les œuvres à venir...
Pour Théâtre en Mai, Mireille Brunet explique que le
travail prolonge celui mené « durant la saison, qui est
lié au projet de direction de François Chattot intitulé «
Ensemble ». Il se fonde sur le désir de travailler avec
des personnes différentes, de mêler le théâtre et les
arts populaires – comme le cirque, les farces, le cabaret
–, en permettant à des artistes qui n’ont pas forcément
les moyens de production de pouvoir présenter leur tra-
vail. S’y ajoutent la venue de grands maîtres de théâtre
comme Bernard Sobel, Jean-Pierre Vincent ; des parte-
nariats avec des structures culturelles ; l’accompagne-
ment de compagnies régionales, l’ensemble de ces mis-
sions devant respecter le cahier des charges du CDN. »
Nourri de ces axes, Théâtre en Mai creuse son propre
sillon et « possède une ligne précise, articulée autour
du croisement jeunes pousses/vieilles branches. Tout
en s’autorisant des écarts vers d’autres ramifications,
avec la venue d’artistes comme Marie Vayssière ou
Yves Ferry. » Lorsqu’on l’interroge sur l’origine de cette
thématique, Mireille Brunet se souvient que « l’idée est
apparue progressivement : lorsque François est arrivé
en 2007, la question s’est posée de conserver le festi-
val. Après avoir vu l’engouement de la maison pour ce
temps fort, l’attente à l’extérieur quant à savoir ce qu’il
allait devenir, nous avons décidé de le garder. Puis,
nous nous sommes dit qu’il était important de travailler
sur la passation, la transmission, tenter de susciter des
rencontres. Le festival est vraiment un moment à part,
c’est un temps privilégié pour les équipes, les specta-
teurs, les échanges avec les compagnies sont plus forts
à ce moment-là ». L’aspect ‘’exceptionnel’’ du festival
incitant à la curiosité, le TDB en profite pour inviter
jeunes collectifs et artistes étrangers, l’idée étant « de
ne pas ‘’prendre’’ obligatoirement ce que prennent les
autres programmateurs mais de faire des propositions,
qu’ensuite le public pourra à son tour découvrir... » S’il
importe à Théâtre en Mai de préserver son identité, des
partenariats avec d’autres structures existent, dus
autant à des affinités artistiques qu’à un souci de
mutualisation. C’est le cas avec le cousin Passages,
festival installé à Metz et par le biais de qui le TDB
« accueille les équipes ukrainienne et lituanienne ».
Action située à la jonction de plusieurs contraintes et
de multiples désirs, ‘’programmer’’ relèverait alors de
l’art du funambule et de sa capacité à réunir « des spec-
tacles qui n’ont pas forcément à voir les uns avec les
autres, qui proposent des univers différents », mais
peuvent se répondre ou se contredire. Un savant
mélange de cohérence et de désordre, Mireille Brunet
rappelant bien que « tout se construit au fur et à
mesure, rien n’est jamais institué » et citant en exem-
ple la venue de « Life/reset de Fabrice Murgia. Le
thème de ce spectacle résonne fortement avec Concert
à la Carte qui a été mis en scène cette saison par
Vanessa Larré. Mais ces deux spectacles n’ayant pas
grand chose à voir esthétiquement, il est très intéres-
sant de les programmer tous deux... »
caroline chapelet
PROJETS D’ÉQUILIBRISTES
Comment s’élabore la programmationde Théâtre en Mai ?Retour sur la construction de cette constellation
avec Mireille Brunet, directrice adjointe et
programmatrice du Théâtre Dijon Bourgogne.
D’jazz dans la VillePartenaire de Théâtre en mai, l’associa-tion Média music dédie avec la Villede Dijon une soirée au jazz. Le 20 mai,D’jazz dans la ville réunit toutes lesformes de ce genre musical en centreville en début de soirée, avant unconcert place de la Libération à 21h30 + d’infos : Média music, 03 80 59 10 32
Les rendez-vous du conservatoireLe mercredi 22 juin à 20h, le TDBaccueille salle Jacques Fornier la resti-tution des travaux réalisés par les étu-diants de la classe de théâtre d’EwaLewinson. Entrée libre, + d’infos : Conservatoireà rayonnement régional de Dijon,03 80 48 83 50
HERTZ aux premières loges !!!!!
Comme Théâtre en mai, HERTZ a depuis longtemps faitle choix de l’ouverture sur le monde. Acteur majeur,devenu leader, de la location de voitures dans le monde,sa présence dans les aéroports et les gares faciliteéchanges et déplacements. L’idée d’un partenariat avecThéâtre en mai s’est donc naturellement imposée tantles philosophies du festival et de Hertz se rejoignent surcertains points : favoriser les échanges, être un lienentre l’ici et l’ailleurs, permettre de découvrir denouveaux horizons, etc. En s’associant au TDB, Hertzretrouve ses valeurs et développe une nouvelle image,celle d’une entreprise au service des loisirs. Souhaitonsbon vent à cette grande première !!!! Merci au TDB !!!
Jérôme Nicolle - Hertz Dijon
Scènes occupations / 21-25 juin / Parvis Saint-JeanLe festival Scènes occupations propose ciné-concerts et afters musicaux.21/06 - 20h et 21h30 Charlot Policeman de Chaplin, orchestre de T. Weber 22/06 - 20h30 Nosferatu de F. W. Murnau, rock underground tchèque par DG 30723/06 - 20h30 le Cabinet du Docteur Caligari de R. Wiene, musique P. Poisse,J. Vuillaume et A. Descharrières24/06 - 20h30 courts métrages avec le Philarmonique de la roquette25/06 - 20h30 Buffet froid de B. Blier, avec O. Mellanogratuit le 21 et de 4€ à 9€ du 22 au 25/06
+ d’infos : Scènes Occupations, [email protected]
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