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L’économie numérique : enjeux pour la statistique publique Synthèse du Colloque du 7 mars 2018 Le Cnis a réuni récemment utilisateurs et producteurs de la statistique publique afin d’examiner la façon dont les évolutions de l’économie liées à la transformation numérique sont prises en compte dans les outils statistiques. Trois sessions ont rythmé la journée. La première a porté sur la mesure de la croissance dans une économie qui se numérise, avec, en particulier, une discussion autour du périmètre du PIB face à cette nouvelle donne économique. La deuxième session a été consacrée aux statistiques des entreprises : comment mesurer aujourd’hui l’économie d’Internet et des plates-formes dans les statistiques ? quelles conséquences à terme sur la façon d’appréhender les activités économiques ? La troisième et dernière session a abordé l’impact du numérique sur les statistiques du marché du travail, avec l’avènement de formes d’emploi questionnant le cadre d’analyse traditionnel et la transformation des métiers et des compétences. Ce numéro de Chroniques présente une synthèse de cette journée. Le 7 mars 2018, le Cnis (Conseil national de l’in- formation statistique) réunissait utilisateurs et producteurs de la statistique publique (Insee, services statistiques ministériels notamment) au ministère de l’Économie et des Finances à Paris pour débattre des questions que l’économie numérique soulève en matière de statistique publique. L’économie connaît depuis plusieurs années une profonde transformation sous l’effet de la généralisation des technologies de l’informa- tion, plus globalement de la numérisation à l’œuvre dans de nombreux secteurs d’activité. Cette numérisation de l’économie fait appa- raître de nouveaux produits et services, de nouveaux modèles économiques, de nouveaux acteurs et modifie les chaînes de valeur. Elle amène à s’interroger sur les dispositifs d’obser- vation et d’analyse de la statistique publique : l’appareil statistique prend-il en compte ces évolutions liées au numérique ? les décrit-il correctement ? Les questions concernant toute la chaîne de production statistique (cadre d’analyse, métho- des, dispositifs d’observation) et tous les secteurs économiques et sociaux, la journée ne prétendait pas à l’exhaustivité. Plus modestement, le souhait était de faire un état des lieux de la manière dont les statistiques économiques (comptabilité nationale, statistiques d’entrepri- ses, marché du travail) tiennent compte aujourd’hui de la numérisation de l’économie, en Chroniques n° 15 Juilllet 2018 Directeur de la publication : Françoise Maurel Rédactrice en chef : Isabelle Anxionnaz Maquette : Brigitte Rols Publication diffusée gratuitement, ne peut être vendue ISBN 978-2-11-139679-1 01

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L’économie numérique : enjeuxpour la statistique publiqueSynthèse du Colloque du 7 mars 2018

Le Cnis a réuni récemment utilisateurs et producteurs de la statistiquepublique afin d’examiner la façon dont les évolutions de l’économie liées àla transformation numérique sont prises en compte dans les outilsstatistiques. Trois sessions ont rythmé la journée. La première a porté sur lamesure de la croissance dans une économie qui se numérise, avec, enparticulier, une discussion autour du périmètre du PIB face à cette nouvelledonne économique. La deuxième session a été consacrée aux statistiquesdes entreprises : comment mesurer aujourd’hui l’économie d’Internet etdes plates-formes dans les statistiques ? quelles conséquences à terme surla façon d’appréhender les activités économiques ? La troisième et dernièresession a abordé l’impact du numérique sur les statistiques du marché dutravail, avec l’avènement de formes d’emploi questionnant le cadred’analyse traditionnel et la transformation des métiers et des compétences.Ce numéro de Chroniques présente une synthèse de cette journée.

Le 7 mars 2018, le Cnis (Conseil national de l’in-formation statistique) réunissait utilisateurs etproducteurs de la statistique publique (Insee,services statistiques ministériels notamment) auministère de l’Économie et des Finances à Parispour débattre des questions que l’économienumérique soulève en matière de statistiquepublique.

L’économie connaît depuis plusieurs annéesune profonde transformation sous l’effet de lagénéralisation des technologies de l’informa-tion, plus globalement de la numérisation àl’œuvre dans de nombreux secteurs d’activité.Cette numérisation de l’économie fait appa-raître de nouveaux produits et services, denouveaux modèles économiques, de nouveaux

acteurs et modifie les chaînes de valeur. Elleamène à s’interroger sur les dispositifs d’obser-vation et d’analyse de la statistique publique :l’appareil statistique prend-il en compte cesévolutions liées au numérique ? les décrit-ilcorrectement ?

Les questions concernant toute la chaîne deproduction statistique (cadre d’analyse, métho-des, dispositifs d’observation) et tous les secteurséconomiques et sociaux, la journée ne prétendaitpas à l’exhaustivité. Plus modestement, lesouhait était de faire un état des lieux de lamanière dont les statistiques économiques(comptabilité nationale, statistiques d’entrepri-ses, marché du travail) tiennent compteaujourd’hui de la numérisation de l’économie, en

Chroniques n° 15Juilllet 2018Directeur de la publication : Françoise MaurelRédactrice en chef : Isabelle AnxionnazMaquette : Brigitte RolsPublication diffusée gratuitement,ne peut être vendueISBN 978-2-11-139679-1

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présentant aussi des expérimentations encours et à venir, et de confronter cet existantaux attentes des utilisateurs.

Ce numéro de Chroniques revient sur plusieursexemples de questionnements conceptuels etméthodologiques.

Le questionnement du cadre d’analysede l’économie

La mesure de la croissance dans une économiequi se numérise

La croissance du PIB (produit intérieur brut) aatteint sur la période récente des minimashistoriques. Ce ralentissement du PIB s’inscritdans la durée : il s’est amorcé il y a plusieursdécennies. Le principal facteur de ce ralentis-sement est celui de la productivité du travail, eten particulier de sa composante inexpliquée :la productivité totale des facteurs (TFP)(figure 1). Malgré l’adoption croissante desnouvelles technologies numériques dans toutel’économie, les statistiques officielles consta-tent une baisse de la productivité : commentexpliquer ce résultat paradoxal ?

Il existe une littérature économique abondantesur ce ralentissement de la productivité et de lacroissance. Les interprétations proposées sont

diverses, ainsi que les perspectives tracées surle futur. Mais une question se pose au préa-lable : celle de la mesure même de lacroissance, de son mismeasurement(« mesure inexacte »). Si un consensus existesur la difficulté à mesurer l’impact du numé-rique sur l’économie, les réponses divergent :est-ce précisément un problème de mesure ouest-ce lié à la nature même de cette numérisa-tion de l’économie ?

La croissance portée par le développement dunumérique échapperait assez largement auxinstruments de mesure habituels, car, plusgénéralement, l’augmentation de la producti-vité liée au progrès technologique est difficile àmettre en évidence par les méthodes statisti-ques usuelles. Une première réponse a étéapportée à cette hypothèse par les études del’OCDE : le ralentissement de la productivité nepeut être expliqué par le mismeasurement.

En effet, dans la plupart des pays, la moindrecroissance du PIB liée à cette erreur de mesurepotentielle n’est que de 0,2 %. Même si desaméliorations des mesures et de nouvellesapproches peuvent être nécessaires (travailindépendant occasionnel, transactions interna-tionales liées à des actifs intellectuels,classification cohérente de l’économie numé-rique), le cadre conceptuel est robuste et

l’impact ne devrait pas être significatif pour lesestimations aux prix courants. En outre, leproblème peut être une partie de la solution :les intermédiaires numériques sont de plus enplus sollicités pour divulguer leur chiffre d’affai-res et les mégadonnées (ou donnéesmassives) permettent de nouvelles méthodesde mesure des prix et d’ajustement de laqualité.

Au-delà de cette évaluation du mismeasure-ment, à quel degré l’économie numériqueremet-elle en cause la pertinence des messa-ges délivrés par la comptabilité nationale, aucœur du calcul de la croissance ? Il s’agitmoins d’interroger la pertinence du cadreconceptuel du PIB que celle de son usage. Eneffet, plusieurs problèmes sont à l’œuvre du faitque le champ du numérique se déploie àcheval sur la frontière de production danslaquelle s’insère le PIB.

Le premier problème concerne l’emprise dunumérique, son poids et son impact. Il fauttrouver la meilleure façon de faire apparaîtrele phénomène de numérisation dans le PIB,même si on peut se demander si tenter demesurer un phénomène aussi général estpertinent.

Le deuxième problème porte sur le traitementde tout ce que le numérique génère au-dehorsdu périmètre retenu par la comptabilité natio-nale, en particulier les services gratuits outarifés à des prix qui ne reflètent pas du tout leservice rendu. Il s’agit de toutes les nouvellesformes de services d’intermédiation et deproduction collaboratives générés par lesplates-formes et l’internet en général.

Un troisième problème est celui, classique, dupassage des valeurs aux volumes. Mesurer lacroissance en volume est l’objectif final de lacomptabilité nationale, or le numérique compli-querait ce passage : la diversificationcroissante des produits et leur renouvellementrapide rendraient de moins en moins adaptéesles techniques de partage volume-prix.

Le quatrième problème n’est pas uniquementlié à la numérisation, mais cette dernière luidonne une ampleur inédite. Avec la productionà distance par des acteurs qui collaborent àtravers des réseaux informatiques, il devient de

Cnis - Chroniques n° 15 - Juillet 2018

Figure 1 - Les évolutions de la productivité du travail dans les pays développésTaux de croissance annuel moyen de la productivité horaire du travail

Source : Bergeaud, Cette ans Lecat (2016) (site longtermproductivity.com).

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plus en plus difficile d’identifier le lieu deproduction. Une illustration concrète de cedernier problème est apportée par la crois-sance de 25 % du PIB irlandais en 2015, quis’est révélée directement liée à des transfertsde droits de propriété intellectuelle au planinternational. Cette question de la localisationde la valeur ajoutée est certainement une desplus problématiques.

Sachant que le PIB est un indicateur aux multi-ples usages, on peut examiner l’ampleur deces problèmes selon le type d’utilisation qui enest fait. Pour l’usage de diagnostic et de régula-tion conjoncturelle, mais aussi l’usage decadrage des finances publiques, le développe-ment du numérique n’aurait que desconséquences mineures. En effet, l’absencede prise en compte du gratuit est plutôt perti-nente pour un indicateur qui se centre sur laproduction et les échanges monétaires. Demême, le partage volume-prix n’affecte pas lesratios dette et déficit/PIB qui sont directementcalculés en valeur et une éventuelle sous-esti-mation de la croissance du fait d’unesurestimation de l’inflation peut être déjouéegrâce à d’autres indicateurs de tensionsconnus avant le PIB.

En fait, ce serait pour l’usage de mesure duniveau de vie que la question de la justesse duPIB face au numérique se poserait : celui-ci nepermettrait plus de bien mesurer l’évolution dubien-être de la population. Si le PIB ne peut êtreidentifié à un indicateur de bien-être, il importe demaintenir une adhérence entre les notions debien-être et de niveau de vie (apprécié par unecomptabilité nationale en volume). La questionessentielle est alors celle de l’intégration desdeux problématiques du « hors frontières » et dupartage volume-prix : comment l’appréhender etl’intégrer en lui donnant une valeur monétaire, etjusqu’où aller dans cette intégration, tout enprenant en compte, en contrepartie, les facteursextérieurs au champ de la comptabilité nationalequi pénalisent le niveau de vie ?

L’approche de l’économie collaborative parla statistique européenne

L’économie collaborative (ou économie dupartage) a capté une attention croissante cesdernières années. Selon l’enquête européenne

sur l’utilisation des technologies de l’informa-tion et de la communication (TIC) dedécembre 2017, en moyenne, sur les 28 paysde l’Union européenne, 14 % de la population autilisé un site web pour trouver un héberge-ment, avec des réponses variant de 4 à 34 %selon les pays, et l’utilisation de services detransport par Internet au cours desdouze derniers mois suit la même tendance.Eurostat (l’institut statistique de l’Union euro-péenne) et des membres du système européende statistique (ESS) travaillent à définir cephénomène et à améliorer la mesure de l’éco-nomie collaborative dans les statistiquesofficielles.

Du point de vue statistique, l’économie collabo-rative soulève différents enjeux : définition duchamp (lien avec la comptabilité nationale,unités statistiques interrogées, entreprises ouménages), outils de collecte de données, péri-mètre des transactions (consommateurs,microentreprises, échanges transfrontaliers).La question du champ est primordiale. Parexemple, si les services de taxis traditionnelss’organisent pour créer une application ou unsite web, en quoi sont-ils différents d’Uber ?Laquestion devient encore plus délicate s’agis-sant du travail. En quoi la situation despersonnes s’inscrivant sur Amazon Mechani-cal Turk pour faire des « petits boulots »est-elle différente du recours à un intérimairepour quelques jours ?

Naturellement, la question des nomenclaturesse pose : si on veut identifier facilement l’éco-nomie collaborative, il faut disposer denomenclatures pour différencier les donnéescollectées sur les entreprises. Or la classifica-tion Nace (nomenclature des activitéséconomiques dans la Communauté euro-péenne) apparaît insuffisante pour identifier lesplates-formes. Pour l’instant, il existe uneclasse relative au commerce qui opère unedistinction entre le commerce physique et lecommerce en ligne ; mais cette distinction nepeut être appliquée à toutes les autres classes.Eurostat a proposé de créer un nouveau typede nomenclature dépendant de la façon decommander un produit. Les principales carac-téristiques de cette classification tiennent à laprésence physique ou sur Internet, la capacitéde commander à tout moment, la résolutiondes différends contractuels.

Pour recueillir des données sur l’économiecollaborative, s’il existe des enquêtes condui-tes sur les producteurs ou les consommateurs,telles l’enquête TIC, les plates-formeselles-mêmes constituent l’une des meilleuressources de données. Ainsi, en 2017, l’Insee ainterrogé les sites rassemblant des héberge-ments touristiques proposés par desparticuliers afin de compléter les statistiquessur le tourisme et d’avoir une meilleure appré-ciation de la conjoncture. La Commissioneuropéenne a publié en 2016 une communica-tion visant à développer les enquêtes dédiéessur les plates-formes.

Cette démarche permet de ne pas faire peserune charge supplémentaire sur les petitesentreprises et les consommateurs. Elle seheurte cependant à quelques difficultés : l’iden-tification des plates-formes, car la notion mêmede plate-forme n’est pas clairement établiedans les registres du commerce ; la confiden-tialité des données (la plate-forme doit recevoirl’assurance que les statisticiens ne feront pasun mauvais usage des données qu’ils recueil-leront) ; la fiabilité de ces nouvelles sources.Un réseau d’experts a été constitué pouressayer d’identifier les grands problèmes etleur trouver des solutions. Car, pour l’instant, laplupart des pays ne disposent pas d’un registrelistant les plates-formes collaboratives.

Les nouvelles formes d’emploiet leur mesure

L’économie numérique amène à modifier lecadre d’analyse du marché du travail. Même sila plupart des métiers du numérique peuventêtre exercés en recourant à des formes exis-tantes d’emploi, standard ou non, de nouvellessituations d’emploi sont apparues, dont l’ap-préhension et l’observation posent des défis àla statistique publique.

Un groupe de travail du Cnis en a renducompte dans un rapport sur « la diversité desformes d’emploi et leur mesure », publié en2016. L’économie collaborative et lesplates-formes se caractérisent le plus souventpar des formes d’intermédiation inédites quiremettent en question la distinction habituelleentre salarié et indépendant, avec l’émergencedu salarié non dépendant (dirigeant salarié par

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exemple) et de l’indépendant « économique-ment dépendant ». Diverses configurationsapparaissent : les situations de récurrence,de multi-employeurs, de multi-activité, lecrowdworking ou le coworking, les emploiscourts et ultra-courts, jusqu’au travailleurmulticarte (figure 2). Nous pouvons parfoisnous demander si la plate-forme constitueune interface ou un quasi-employeur. Quid,dans ce contexte, de l’emploi salarié tradi-tionnel ? Les plates-formes agissentgénéralement entre des entreprises et desclients ou des utilisateurs, mais il peut exis-ter aussi des clients au sein même desentreprises. Avec le numérique, nous deve-nons tous clients les uns des autres et lerapport de subordination traditionnelévolue : les travailleurs sont souventamenés à être en permanence mis enconcurrence les uns avec les autres, lasubordination peut alors devenir allégeanceavec l’effacement des différences entre l’in-térieur et l’extérieur de l’entreprise.

Ces évolutions du champ de l’emploi interro-gent par suite la pertinence des outils etdispositifs de mesure statistique. Une enquêtenouvelle (module complémentaire à l’enquêteEmploi 2017 sur la dépendance économiquedes indépendants) a permis un premier chif-frage du nombre des emplois d’indépendants

recourant aux plates-formes numériques. Envi-ron 100 000 indépendants déclarent commeprincipal mode d’entrée en contact avec laclientèle le recours à une plate-forme ou à uneentreprise tierce. Pour 100 000 autres, il s’agitde l’un des modes. Les utilisateurs exclusifsd’une plate-forme ou d’un intermédiaire exer-cent plus souvent des professions qui, dans lereste de la population, relèvent de professionssalariées, ils sont aussi plus diplômés, plussouvent autoentrepreneurs. Ils travaillent unpeu moins d’heures par semaine, affichent uneancienneté moins importante et sont plussouvent immigrés ou enfants d’immigrés.

Toutefois, ces chiffres sont à prendre avecprudence, car ils sont obtenus à partir d’unéchantillon limité à 3 700 indépendants et l’en-quête ne porte que sur l’emploi principal, lieude la dépendance économique. Selon la défini-tion d’Eurostat, un dépendant ne doit pas êtreemployeur et doit avoir un client unique quireprésente plus de 75 % de son chiffre d’affai-res et qui décide des horaires. 2 % desindépendants sont économiquement dépen-dants au sens d’Eurostat. Avec les définitionsque nous pouvons construire à partir des ques-tions qui ont été rajoutées en France,notamment la peur de perdre la relation enamont ou avec un client, et en reprenant lesmêmes critères que ceux d’Eurostat, l’Insee

aboutit à 12 %des indépendants qui seraientéconomiquement dépendants. En associant lecritère de non-employeur et le recours exclusifà un intermédiaire, la proportion descend à 3 %et elle atteint 21 % si l’on ajoute à toutes cescatégories les indépendants qui emploient dessalariés.

Au-delà de l’enquête Emploi qui n’est sansdoute pas le meilleur support pour mesurer lenombre d’emplois lié aux plates-formes numé-riques en raison de la faible populationtouchée, il existe d’autres sources utiles,notamment les données bancaires, lesdonnées des plates-formes elles-mêmes, lesstatistiques d’entreprises, les enquêtes secto-rielles (transport, hébergement touristique),plus prometteuses à terme.

L’utilisation des sources de donnéesliées au numérique : questionnementsméthodologiques

La mesure de l’économie de l’internet aux Pays-Bas

Les Pays-Bas font partie des pays où laconnectivité et l’usage d’Internet sont forte-ment développés. La demande pour mieuxcomprendre cet usage et ses conséquencesest croissante, alors que les statistiques tradi-tionnelles ont du mal à capter les aspectsspécifiques de l’économie de l’internet. L’insti-tut national de statistiques (CBS) a mené uneétude pour mesurer l’impact du numérique surl’économie hollandaise. Pour ce faire, unpartenariat a été constitué avec Dataprovider,un organisme collectant des données sur lessites web, avec une approche novatrice reliantles sites web des entreprises au répertoirestatistique.

Les enjeux de cette démarche étaient d’établirune définition pragmatique de l’économienumérique, de déterminer sa taille, d’appré-hender les possibilités offertes par lesnouvelles méthodes de mesure et d’identifierles différences entre ces données et les statisti-ques existantes. Dans un premier temps, unedéfinition de l’économie numérique à partir dessites Internet a été établie sur la base d’unenomenclature simple reposant sur l’existenceet l’utilisation d’un tel site par les entreprises.Ensuite, la collecte des données s’est

Cnis - Chroniques n° 15 - Juillet 2018

Bilatéralpur

Bilatéral Tiersnon payeur

Relationambiguë

Trilatéral avectiers en ser-

vice

Trilatéralpur

Salarié X

stage rémunéré,PE avecmandataire,apprentis

sous-traitanceen régie

GE, associa-tions intermé-diaires

intérim, OSP

Salarié non dépendantdirigeantsalarié ?

portage salarialCAE

Indépendantdépendant

franchisé, gérantmandataire,coworking

plate-forme

Indépendant X plate-forme

Figure 2 - Les plates-formes : quelle originalité parmi les formes d’emploi avec un tiers ?

PE : particulier employeur.GE : groupement d’employeurs.CAE : coopérative d’activité et d’emploi.OSP : organismes de services à la personne.Source : La diversité des formes d’emploi, Cnis, Rapport n ° 142, juillet 2016.

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effectuée en appariant ces sites au numéro deregistre du commerce de chaque entreprise. Labase de données comporte ainsi 2,5 millionsde sites web, couvrant environ 90 % des entre-prises présentes en ligne.

L’étude a permis de dresser plusieurs cons-tats : les deux tiers des entreprises nepossèdent pas de site web ; sur les500 000 entreprises en possédant un, 30 000sont des boutiques en ligne employant très peude salariés. Un grand nombre d’entre ellesappartiennent au secteur du business to busi-ness. 20 000 entreprises sont classées commedes boutiques en ligne dans la Nace, mais ellesn’apparaissent pas dans le registre ducommerce. À l’inverse, certaines entreprisessont enregistrées comme des boutiques enligne dans les registres, mais nos recherchesne les identifient pas comme telles.

Ainsi, les résultats des travaux ne recoupentpas forcément les données préexistantes.Ces recherches ont aussi permis de constaterque l’économie numérique s’est fortementdéveloppée au nord des Pays-Bas dans larégion de Groningen, qui avait connu desproblèmes importants, et que ce développe-ment s’est traduit par des effets bénéfiquespour l’économie locale. Parmi les étapessuivantes, deux sont importantes : passerd’une approche instantanée à une approcheen évolution et permettre des comparaisonsinternationales.

Les données massives au servicede la connaissance des compétenceset des métiers

Le débat sur les risques de destruction d’em-plois par l’automatisation est intense depuisquelques années. Selon différentes études, enFrance, entre 9 % et 42 % des emplois seraientautomatisables d’ici vingt ans. La divergencedes estimations est révélatrice de l’incertitudesur la manière dont le numérique va transfor-mer les métiers. Le consensus actuel pour lespays de l’OCDE est plutôt proche des 10 %.Ces études reposent le plus souvent sur l’ap-préciation du caractère automatisable ou nond’un ensemble de professions à partir de leurscaractéristiques. Deux principales limites ontété pointées à ces études : elles ne tiennent

pas compte des nouveaux emplois créés defaçon directe ou indirecte par l’automatisation ;il suffit qu’une partie des tâches ne le soit paspour que l’ensemble de la profession ne courepas le risque d’être automatisée.

Une autre approche a alors consisté à partirdes avantages comparatifs des travailleurs surles machines sur la base des enquêtes Condi-tions de travail. En effet, ces enquêtes

mesurent toutes les dimensions du travailtelles que l’interaction sociale, l’adaptabilité,la flexibilité et la capacité à résoudre desproblèmes, dans un environnement de plus enplus exigeant. Il en résulte en France que 15 %des salariés occuperaient des emplois poten-tiellement automatisables.

Ces approches ont rapidement interrogé laquestion des compétences : pour mieux appré-hender les effets du numérique sur les emplois,il est nécessaire de déterminer plus finementles tâches et les compétences pour chaquemétier. Or cette notion de compétence(concept englobant, multidimensionnel et sedéfinissant par rapport au contexte de produc-tion) est loin d’être évidente. Elle esttraditionnellement approximée par le niveaud’éducation, mais, d’une part, un même niveaud’éducation recouvre des niveaux de compé-tences qui peuvent être très différents et,d’autre part, des compétences peuvent êtreacquises en dehors de l’école.

Des enquêtes innovantes sont actuellementmenées aux États-Unis et en Australie qui sefondent sur une nouvelle approche, plusadaptée à la connaissance de ces transforma-tions des métiers liées à la numérisation del’économie. Ces deux pays ont lancé desenquêtes auprès des employeurs pour recueil-lir leurs attentes en matière de compétences.Les enquêtes reposent sur des méthodesassez qualitatives, sans questionnaire, elles

mesurent les compétences requises et non lescompétences effectives des salariés et lestensions sur le marché du travail. L’enquêteaustralienne recourt notamment aux offresd’emploi publiées dans la presse nationale etlocale et sur les sites en ligne en utilisant laméthode du scraping. Des expérimentationssont en cours en France avec l’utilisation deces mêmes données non structurées, unegrande difficulté étant liée à la représentativitéstatistique de ces informations.

L’Union européenne s’est aussi intéressée àcette question des compétences et a entaméun travail structurant reposant sur une utilisa-tion centrale des données massives. En effet,ces données peuvent enrichir les informationstraditionnelles, elles permettent d’adopter uneapproche transversale pour pouvoir identifierles tendances à plus long terme et, grâce àelles, il est possible d’identifier les compéten-ces individuelles avec une plus grandegranularité et d’en tirer certaines conclusions.

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Les données massives offrent par ailleurs lapossibilité d’identifier de nouvelles compéten-ces et d’enrichir ainsi les bases de données.Cette méthode a cependant certaines limites :tous les emplois ne passent pas par un siteweb ; les offres d’emploi ne décrivent pastoutes les compétences ; le même poste peutapparaître sur plusieurs sites avec des descrip-tions différentes ; ces données permettent dedégager des tendances, non de prédire l’ave-nir. Il est donc indispensable d’utiliser encomplément d’autres études.

C’est ainsi qu’un vaste projet a été lancé àl’échelle européenne, analysant les postes àpourvoir publiés en ligne concernant différentsmétiers. Il se fonde sur une nomenclaturepermettant de tenir compte de la diversité deslangues, donc des dénominations et desdescriptions : la nomenclature Esco (Euro-pean Skills, Competences, Qualifications andOccupations). Visant au départ l’appariementdes emplois et l’échange de données sur desemplois pour les candidats et les conseillersd’orientation, cette classification peut néan-moins s’appliquer à une analyse des donnéesmassives concernant les offres d’emploi. Ellecomporte trois parties : les professions, lescompétences et les qualifications. Elle décritprès de 3 000 professions en lien avec lanomenclature internationale et 13 500 compé-tences avec une terminologie en 27 langues etles synonymes utilisés dans ces différenteslangues. D’ici 2021, les États membres établi-ront également des liens avec leursnomenclatures nationales. Cet avantage d’êtremultilingue permet de lancer une analyse desdonnées massives dans l’ensemble de l’Unioneuropéenne avec des données comparables.La classification Esco est libre d’utilisation pourles acteurs privés et publics.

Limites et perspectives actuelles

La prolifération des données ouvre un nouveauchamp d’exploitation important pour la statis-tique publique, consacré en France par unemodification de la loi de 1951. La loi pour uneRépublique numérique a ainsi autorisé l’accèsaux données structurées d’entreprises pourproduire des statistiques publiques dans uncadre juridique sécurisé et sécurisant pour les

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Encadré – Le programme du Colloque du 7 mars 2018

Ouverture du colloque

Patrice Duran – Président du Cnis

Conférence plénière

Transformation numérique et échanges économiquesAnne Perrot – Associée, Cabinet MAPP

Session 1 : Mesure de la croissance dans une économie qui se numérise- Croissance sur longue période : sommes nous condamnés à la stagnation ?

Gilbert Cette – Banque de France, Adjoint au directeur généraldes études et des relations internationales

- Production et/ou bien-être : que veut-on mesurer exactement ?Didier Blanchet – Insee, Directeur des études et des synthèses économiques

- Le débat sur le mismeasurement de la croissance : éclairages internationauxNadim Ahmad – OCDE, Chef de la division des statistiques du commerceet de la compétitivité

Table ronde animée par Olivier Passet (Xerfi), avec les trois intervenants,Marie Leclair (Insee) et Maya Bacache (Telecom Paris Tech), échanges avec la salle

Session 2 : Les statistiques d’entreprises et les marchés à l’ère du numérique

- La mesure de l’économie des plates-formes par les statisticiens européensCarsten Olsson – Eurostat, Chef de l’unité Statistiques sur l’innovationet la société de l’information

- Économie numérique : des défis pour la statistique d’entreprisesChristel Colin – Insee, Directrice des statistiques d’entreprises

- La mesure de l’économie de l’internet aux Pays-BasBarteld Braaksma – CBS (Pays-Bas), manager de l’innovation

Table ronde animée par Lionel Janin (France Stratégie), avec les trois intervenants, MichelVolle (Institut de l’iconomie) et François Marical (RelevanC), échanges avec la salle

Session 3 : Impact du numérique sur les statistiques du marché du travail (emploi,métiers, compétences)

Introduction à la sessionPhilippe Askenazy – CNRS-ENS-CMH

- Nouvelles formes d’emploi liées au numérique et mesure de l’emploiBernard Gazier – Université Paris 1 et Damien Babet – Insee

- La transformation des métiers et des compétencesSelma Mahfouz – Dares, Directrice

- La nomenclature Esco : une approche des compétences par les données massivesMartin Le Vrang – Commission européenne, DG Emploi, unité Compétenceset qualifications

Table ronde animée par Philippe Askenazy, avec les quatre intervenants et PaulineGivord (Insee), échanges avec la salle

Clôture

Jean-Luc Tavernier – Insee, Directeur général

Le compte rendu détaillé ainsi que l’ensemble des présentations sont disponibles sur le sitedu Cnis à l’adresse suivante : https://www.cnis.fr/instances/colloque/

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deux parties : pour la statistique publique, qui abesoin d’une alimentation pérenne et stablepour construire des statistiques, pour les entre-prises qui ont besoin d’un partenaire deconfiance auquel confier des données qui ontune valeur stratégique indéniable vis-à-vis dumarché, de leurs concurrents et des autoritésde régulation. Une expérimentation a débutéavec l’utilisation des données de caisse pour lecalcul de l’indice des prix à la consommation,une réflexion est en cours sur celle desdonnées de téléphonie mobile ou de donnéesbancaires. Ce champ révolutionnera trèscertainement en partie la statistique publiquesur le long terme.

Les données libres d’accès sur l’internetposent davantage de problèmes. Si leuravènement introduit deux ruptures majeuresen termes de volumétrie (massive) et d’accès(quasi immédiat), elles ne sont pas sansdéfaut : formats complexes et très variables,certaine instabilité et insécurité, nécessitéparfois d’investissements techniques coûteux,pas de garantie de leur représentativité ou deleur pouvoir prédictif. Des premières analysesmontrent par exemple que l’apport de cesdonnées massives est aujourd’hui davantagetangible pour le suivi des prix que pour le suiviconjoncturel de l’activité ou du chômage. Lastatistique publique se doit de maintenir une

position médiane face à cette nouvelle donneengendrée par la transformation numérique :être ouverte à l’innovation afin d’appréhendertoujours mieux la réalité et les changementsen cours, être garante de la qualité méthodo-logique et de l’intérêt général. Ce vaste sujetdes enjeux des nouvelles sources dedonnées sera le thème de la journée orga-nisée par le Cnis le 2 juillet 2018 dans lecadre de la définition de son prochain moyenterme 2019-2023.

Stéphane Tagnani, Cnis

Cnis - Chroniques n° 15 - Juillet 201807

Page 8: L’économie numérique: enjeux pour la statistique …...L’économie numérique: enjeux pour la statistique publique Synthèse du Colloque du 7 mars 2018 Le Cnis a réuni récemment

Secrétariat général du Cnis : Timbre H030 - 88, avenue Verdier, CS 70058, 92541 MONTROUGE CedexTél. : 01 87 69 57 02 - [email protected] - www.cnis.fr

Les trois grandes missions du Conseil national de l’informatique statistique (Cnis)

Une mission de concertation issue de la loi : la loi du 7 juin 1951 dresse le cadre du système statistique public français et assoit la légitimité dudispositif statistique sur son acceptation par la société civile.

– Le Cnis présente les données statistiques existantes et leur fabrication.– Le Cnis écoute les attentes des utilisateurs et met en lumière les sujets émergents.– Le Cnis s’assure de l’intérêt général et de l’utilité des opérations statistiques présentées dans les programmes de travail.

Un lieu d’échanges

Lieu de discussion sur les sujets d’information publique qui font débat, le Cnis contribue au bon fonctionnement de la démocratie.

Des débats publicsLes débats des commissions, les avis du conseil et les réflexions des groupes de travail et des colloques sont publics.

Un cadre institutionnel garantissant la qualité de la statistique publique– Le conseil national de l’information statistique assure en amont la concertation entre producteurs et utilisateurs.– Le service statistique public conçoit, produit et diffuse la statistique publique.– L’autorité de la statistique publique veille notamment au respect des principes d’indépendance professionnelle, d’impartialité et de qualité.

Avec vous, faisons progresser le débat

Pourquoi participer aux travaux du Cnis ?Que vous soyez une entreprise, un chercheur, un citoyen, un acteur public, un syndicat ou une association :vous cherchez les indicateurs disponibles sur un thème,vous voulez mieux connaître votre secteur pour agir,vous pouvez apporter votre contribution au débat.

Votre participation aux travaux est déterminanteElle permet d’augmenter la pertinence et la qualité des statistiques publiques.Les travaux du Cnis ont contribué entre autres à mieux connaître le halo du chômage et à définir des indicateurs socio-départementaux pour faci-liter le pilotage des politiques locales.

Un site Internet www.cnis.fr– Pour vous informer et suivre l’activité– Pour vous inscrire aux événements– Pour vous abonner à la lettre d’actualités

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