La Zone de Boxe vol 30

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Le seul magazine au Québec dédié uniquement à la boxe Octobre 2010 Numéro 30 - La suite du 7 e round - Denis Langlois : L’arbitre du combat Hilton-Ouellet I - Nos 30 souhaits pour notre 30 e parution

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En vedette Jean-François Bergeron, Alain Bonnamie, Denis Langlois, François Duguay, 5th street gym, le 7e round - An 2 et les blessures à la tête

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Magazine La Zone de Boxe 6ième année – numéro 30

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Le seul magazine au Québec dédié uniquement à la boxe

Octobre 2010Numéro 30

- La suite du 7e round- Denis Langlois : L’arbitre du combat Hilton-Ouellet I - Nos 30 souhaits pour notre 30e parution

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Magazine La Zone de Boxe

2755 Clermont Mascouche (Québec) J7K 1C1

[email protected] Éditeur François Picanza Rédacteur en chef Pascal Roussel

Collaborateurs Michel Allen Jean-Luc Autret François Couture Samuel D. Drolet François Duguay Benoit Dussault Pascal Lapointe Vincen Morin Correcteur/Réviseur Pascal Lapointe François Couture Véronique Lacroix Monteur Martin Laporte Le magazine la Zone de boxe fut fondé en 2004 à Mascouche par François Picanza. Ce magazine est maintenant offert gratuitement sur le web.

La Zone de Boxe magazine

6e année, numéro 30 Octobre 2010

03 – L’Éditorial 3 – Le mot du médium format géant 0 6 – Nos 30 souhaits

9 – J-F Bergeron, la sagesse d’un retraité 15 – Entrevue avec Alain Bonnamie 21 – La guerre des crânes 24 – Entrevue Denis Langlois 29 – Le 7e round – An 2 35 – La boxe et moi : François Duguay 37 – Réouverture du 5th Street Gym à Miami

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Le mot du médium format géant

Contenu de ce numéro : 30e parution du magazine, 9 000 lecteurs et un défi Quand le premier numéro du magazine est sorti en septembre 2004, personne n’aurait été assez fou pour prédire qu’on publierait un jour son 30e numéro. Les débuts de l’aventure ressemblaient plus à un « trip » de gars qui voulaient s’amuser et publier un magazine. Ce projet avait toutes les allures d’une histoire qui ne durerait qu’un temps et s’essoufflerait d’elle-même après quelques numéros. Soyez certains qu’en 2010, nous nous amusons encore! Les collaborateurs ont passé (j’ai moi-même commencé à collaborer au magazine au numéro 11) et aujourd’hui, le magazine est rendu à 9 000 lecteurs! Nous sommes nous-

mêmes les premiers surpris, mais quelle fierté nous en retirons. Notre prochain défi, atteindre 10 000 lecteurs. J’aime bien les chiffres ronds! Vous pouvez nous aider en partageant ce magazine avec vos amis qui aiment la boxe. Pour souligner ce numéro, nous nous offrons le plaisir de faire 30 souhaits pour l’avenir de la boxe professionnelle québécoise. Car si le magazine est bien en vie, c’est que la boxe québécoise l’est aussi. Après le 7e round, le 8e? Je ne sais pas pour vous, mais moi j’ai adoré la télésérie Le 7e round qui avait été diffusée sur les ondes de la SRC. Le coffret de la première saison est disponible en magasin. Et si je vous disais que nous avons une exclusivité? La deuxième saison n’a malheureusement jamais eu lieu, mais vous pouvez savoir ce qui s’y serait passé. Si les aventures de Karl Tozzi et Samuel Tremblay vous intéressent, allez lire ce texte de l’auteure Michelle Allen. D’ailleurs, je remercie Michelle Allen haut et fort de nous avoir offert ce document inédit résumant ce qu’elle entrevoyait pour la seconde saison. Jaloux et probablement vous aussi Vous connaissez l’adage qui dit « être au bon endroit au bon moment »? Notre collaborateur Benoit Dussault était à Miami pour le camp d’entraînement de Lucian Bute et il a pu ainsi vivre une expérience dont il se rappellera encore dans mille ans. Son passage là-bas coïncidait avec la réouverture du célèbre 5th Street Gym de la légende vivante Angelo Dundee. Benoît a pu assister à ces cérémonies et y côtoyer entre autres le « Greatest » Muhammad Ali, le plus célèbre élève du maître Dundee. Savourez ce texte et soyez jaloux, comme moi, de ne pas l’avoir écrit. Ressuscitons Bonnamie En mai 2006, alors que le magazine était encore en format papier et que, avouons-le, nous avions encore très peu de lecteurs, notre collaborateur Pascal Lapointe publiait un petit bijou d’entrevue avec le boxeur Alain Bonnamie pour souligner sa carrière. Maintenant que le lectorat du magazine a multiplié exponentiellement, je croyais qu’il était justifié de ressortir cette entrevue et d’en faire une mise à jour. Allez lire ce splendide portrait de carrière. 3 700 mots à dévorer. (Jamais je n’ai laissé un aussi long texte être publié sans le raccourcir, mais le texte est trop bon, je suis incapable d’en couper un seul mot!) La démence pugilistique Lors de notre dernière parution, nous vous avons offert un texte sur les commotions cérébrales. Aujourd’hui, vous pouvez lire la deuxième partie de ce sujet grâce au savoir de notre collaborateur Samuel D. Drolet. Bergeron et sa carrière Jean-François Bergeron a récemment annoncé sa retraite. Ce sympathique gaillard a rencontré notre collaborateur Jean-Luc Autret pour dresser un portrait de sa carrière. Une belle rencontre qui couvre sa carrière de A à Z. La boxe et Duguay Notre chronique régulière La boxe et moi revient en offrant cette fois-ci ses pages à l’entraîneur François Duguay. Duguay, qui entraîne à la fois chez les professionnels (Pier-Olivier Côté et Éric Martel-Bahoéli) et chez les amateurs, nous explique sa relation d’amour avec la boxe.

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L’homme qui avait disparu Nous l’avons cherché loin, mais l’avons retrouvé. Vous rappelez-vous de cet arbitre qui avait arrêté dans la controverse le premier duel entre Stéphane Ouellet et Dave Hilton en 1998? Peu de temps après ce combat, Denis Langlois se retirait, malgré le fait qu’il était encore un jeune arbitre. Notre collaborateur régulier, François Couture, l’a rencontré pour revenir, entre autres, sur ce combat dont l’issue fait encore parler 12 ans plus tard. À sa façon, ce combat a modifié le portrait de la boxe québécoise. Et Denis Langlois en fût l’acteur principal, bien involontairement…

Les commentaires du médium Bute ne peut pas gagner ce duel pour le moment J’écris ces lignes le 7 octobre, une semaine avant le duel Bute-Brinkley. Dans les dernières semaines, une « guéguerre » de fans se déroule dans les forums de discussion, et sûrement dans les bars aussi. Présentement, il est vrai de dire que Jean Pascal fait mal paraître Lucian Bute. Pendant que Pascal affronte des Dawson et des Hopkins à venir, Lucian revient d’un combat trop facile contre Edison Miranda et se prépare à affronter Jesse Brinkley. Peu importe que Brinkley soit une défense obligatoire, l’amateur du dimanche s’en fout et ne peut s’empêcher de faire des comparaisons. À ce jeu, en affrontant Brinkley, Bute ne peut pas gagner. Si, au moment de lire ces lignes, Lucian l’a emporté trop facilement, les critiques à propos de l’adversité continueront, et s’il a eu de la difficulté à vaincre Brinkley, les doutes planeront. La comparaison entre le choix des adversaires de Pascal et de Bute est devenue une source de discorde chez les fans. J’ai décidé par contre ne pas trop embarquer dans cette polémique. Je comprends les chemins empruntés par les deux clans et j’ai la patience de les voir s’affronter un jour pour déterminer qui est le vrai king de Montréal. Je dis par contre une chose : si le tournoi du Super Six survit à ses nombreuses embûches et s’éternise, que Bute monte chez les 175 livres, ça presse. Plus de temps (et d’argent) à perdre en restant chez les super-moyens. De toute façon, tout porte à croire que les gros noms du tournoi vont aussi monter de catégorie, une fois ce casse-tête terminé. Une chose est certaine, Interbox devra trouver un adversaire éclatant pour le prochain combat de Bute en mars s’ils veulent atténuer les comparaisons désagréables. Gary Shaw et la régie Jean-Luc Legendre de RDS et Vincent Morin du journal 24 heures ont tous les deux publiés un reportage sur les agissements du promoteur Gary Shaw lors de ses deux dernières visites au Québec. Les deux fois, le promoteur américain en visite avec ses boxeurs s’est permis de dénigrer les juges et les arbitres québécois en mettant en doute leurs compétences et, par le fait même, celle de la Régie des alcools, des courses et des jeux, l’organisme provincial qui supervise les sports de combat. Il est même allé jusqu’à engueuler l’arbitre Michael Griffin et le juge Jack Woodburn lors du duel Pascal-Dawson. Les mots bastard et motherfucker ont même été entendus. Vincent Morin, journaliste du 24 heures, rapportait : « … qu’un membre influent du noble art aux États-Unis et au Québec avait même envoyé une lettre à la R.A.C.J., leur implorant d’agir contre les agissements du promoteur avant de voir la réputation du Québec et de la boxe professionnelle se faire salir. Il a également expliqué : « …qu’aucune commission athlétique aux États-Unis ne tolérerait une situation similaire sans infliger une amende ou une suspension. » Si vous cherchez à savoir de qui il est question, l’auteur de cette lettre est Don Majeski.

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Ce serait peine perdue de donner des leçons de savoir-vivre à Gary Shaw. Aussi bien apprendre à un boxeur à envoyer des messages textes avec des gants de boxe dans les mains. Par contre, ce que je déplore ici, c’est la mollesse de la régie qui se laisse insulter de la sorte. Le directeur Michel Hamelin a expliqué à Jean-Luc Legendre de RDS que « puisque Monsieur Shaw ne détient aucun permis à la Régie des alcools, aucune sanction ne peut lui être infligée. » Sérieux? Alors bienvenue à tous les visiteurs étrangers (promoteurs, gérants, etc.), vous pouvez vous attaquer à notre commission athlétique, car elle ne peut que sévir contre Interbox et GYM. Bravo Jean Nous ne pouvons pas passer sous silence la performance de Jean Pascal lors de son dernier combat contre Chad Dawson. Le clan Pascal est arrivé avec un plan de match que personne n’avait vu venir, ni les médias qui se prononçaient sur l’issue du combat (La Zone s’est trompé comme la majorité des autres), ni le clan Dawson. Nous trouvons aussi que plusieurs médias américains ont aussi manqué de bonne foi en expliquant la défaite de Dawson par une mauvaise performance de sa part. Trop peu de médias étrangers ont donné crédit au plan de match de Pascal qui a mal fait paraître Chad Dawson et son équipe de coin. Ils n’ont jamais réussi à s’adapter lors du duel. D’ailleurs, celui qui paraît le plus mal dans toute cette histoire est l’entraîneur de Dawson, Eddie Mustafa Muhammad, dont les consignes dans le coin entre les rounds n’ont jamais aidé Dawson à se sortir du bourbier dans lequel Pascal l’avait enfoncé. Jean saura-t-il surprendre à nouveau l’équipe de Dawson lors de la revanche, si elle a lieu?

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Didier Bence saura-t-il se démarquer sur la scène internationale? (photo FQBO)

Nos 30 souhaits pour la trentième parution du magazine Trente numéros du magazine de la Zone de boxe, ça se souligne. Alors nous nous offrons le plaisir de faire 30 souhaits pour la boxe professionnelle québécoise. Cette idée est largement inspirée par le texte du chroniqueur américain Dan Rafael, qui a publié le 25 août dernier ses 40 vœux pour souligner ses 40 ans. Par l’équipe du magazine Cher tout-puissant qui veille sur la boxe professionnelle québécoise, nous souhaitons…

1- Qu'Interbox puisse recruter de nouveaux prospects pour l'après-Bute. 2- Que la vieille garde d'officiels et juges québécois laisse une chance à une nouvelle vague plus jeune, pour s'assurer d'avoir de bons officiels à long terme. Ainsi, il y aura moins d’incidents qui font mal paraître Montréal sur la scène mondiale (doit-on vous rappeler l’événement du round le plus long et celui où le juge Woodburn se trompe de côté sur la feuille de pointage?) 3- Qu'un poids lourd québécois se démarque sur la scène internationale. Didier Bence sera-t-il l’élu lorsqu’il deviendra pro? 4- Que les conflits qui nuisent à la boxe amateur se règlent bientôt car à long terme, cela risque de nuire aussi au développement des boxeurs professionnels québécois. 5- Que David Lemieux devienne la vedette majeure qu'il semble en voie de devenir. 6- Qu'une émission hebdomadaire de boxe du genre In This Corner sur TSN soit diffusée sur un réseau francophone. 7- Que le rythme des visites du réseau HBO au Québec se maintienne encore longtemps. 8- Que la nouvelle série « Rapides et Dangereux » permette à GYM et Evenko de jeter les bases d’un calendrier régulier à plus long terme au Centre Bell. 9- Que l'appui du public québécois envers Jean Pascal soit à la hauteur de ses exploits. Et que ses blessures aux épaules soient choses du passé. 10- Que les rumeurs de combats internationaux tel que Froch vs Abraham à Montréal se concrétisent et que le Québec devienne un lieu de plus en plus attirant pour la boxe internationale.

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La reconnaissance internationale pour Marc Ramsay et son équipe.

(photo François Couture)

La fin du purgatoire de Marlon Wright. (photo Vincent Ethier)

11- Que Marc Ramsay et son équipe obtiennent une reconnaissance au-delà de nos frontières. 12 – Que Souleymane M’Baye ne soit pas le champion des gens malhonnêtes et qu’il respecte le contrat qu’il a signé. Il doit un combat revanche à Antonin Décarie. 13- Que la montée du prix des billets de boxe au Québec soit stoppée pour le grand public. 14- Que Marlon Wright soit de retour sur une série de boxe importante et que la désinformation quant à son travail lors du premier combat entre Lucian Bute et Librado Andrade soit enfin terminée. 15- Que se réalisent plus régulièrement des affrontements locaux intéressants, comme par exemple la création du tournoi du genre « Super Six » avec des boxeurs d’ici. 16 - Que les galas UGC continuent de prospérer au profit de la noble cause d'Ali et Les Princes de la Rue et du nombre grandissant de boxeurs locaux qui n'ont pas d'autres ouvertures.

17- Qu’une page couverture du Ring Magazine toute québécoise avec Jean Pascal, Lucian Bute (et pourquoi pas David Lemieux?) en vedette!

18- Quer Teddy Atlas soit dans l'obligation de changer de formulation et de ravaler ses paroles au sujet de David Lemieux! 19- Que l’on reçoive moins souvent la visite d'insolents personnages comme Gary Shaw et que la Régie ne se laisse plus insulter ainsi sans réagir. Ou que Gary Shaw apprenne le français. 20- Que Bernard Hopkins ne fasse pas trop d'anti-boxe contre Jean Pascal. 21- Que des boxeurs comme Pier-Olivier Côté, Kevin Bizier, Francy Ntetu et Mikael Zewski aient la chance d'agir comme tête d'affiche d'un gala présenté dans leur région. Et que le gala soit rentable pour le promoteur! 22 – Que Bute décide de monter à 175 livres pour affronter Pascal avant que la IBF nous impose un affrontement Bute-Mendy. 23- Que des boxeurs ne soient plus ralentis en raison du manque de disponibilité de leur entraîneur (Benoit Gaudet et Kevin Bizier, entre autres). 24 - Que la série noire des boxeurs d'ici allant se battre à l'extérieur se termine. Qu’il y ait plus de lumière sur des vols manifestes comme celui qu’a subi Jo Jo Dan face à Selcuk Aydin en Turquie, et qu’il y ait moins de trucs bizarres comme le pouce dans l’œil de Troy Ross en Allemagne. 25- Que les rumeurs d’un combat Cloud-Diaconu ne soient pas qu’une belle suggestion de Kerry Davis de HBO.

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Des combats de Zewski au Québec (photo Stéphane Lalonde)

26- Que la défaite de Renan St-Juste contre Marcus Upshaw ne l'empêche pas d'obtenir une dernière occasion d'envergure avant la retraite. 27- Que la saga de nos Colombiens Rivas et Alvarez avec Immigration Canada finisse un jour par se régler. Il aurait été plus simple de les faire entrer illégalement pour régler les choses ensuite! 28- Que GYM et Interbox se souviennent que lors du duel Pascal-Diaconu, ils nous avaient dit qu’il y aurait d’autres duels GYM-Interbox. Nous attendons toujours. 29- Que Sébastien Demers puisse retrouver Brian Vera sur un ring. Question de justice, tout simplement. 30- Qu’advienne la disparition des titres « trompeurs » comme ceux qui étaient à l'enjeu lors des derniers combats de Jo Jo Dan et d'Antonin Décarie - et la réalisation plus régulière de véritables couronnements - comme lors de l'affrontement opposant Jean Pascal et Chad Dawson.

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Jean-François Bergeron, la sagesse d’un retraité Par Jean-Luc Autret À la mi-septembre, Jean-François Bergeron, le poids lourd d’Interbox, a annoncé qu’il a choisi d’accrocher ses gants de boxeur professionnel. J’ai récemment eu le plaisir de passer une soirée avec lui dans le but de faire une rétrospective complète de sa carrière.

Bergeron contre Robert Hawkins, le 15 juin 2007 au Centre Bell, pour une défense victorieuse de son titre NABA des poids lourds

Une carrière amateur fructueuse Jean-François a grandi en étant toujours en contact avec la boxe. Avant qu’il ne vienne au monde, son père Marcel et son oncle Réjean ont fait de la boxe pendant de nombreuses années. Son père a bien performé au niveau amateur et son oncle a même tenté sa chance chez les pros en 1962. À l’âge de 13 ans, il accompagne son père au gymnase pendant environ deux mois et il aime l’expérience. Par contre, son père décide de ne pas reprendre l’entraînement à la session suivante. Pendant plusieurs années, Jean-François est intéressé par la boxe, mais aucun gymnase à proximité n’est accessible pour lui. En 1990, son père décide de s’entraîner à Sainte-Adèle dans un gymnase dirigé par Michel Brière. Jean-François, alors âgé de 17 ans, le suit de nouveau. Il démontre d’excellentes aptitudes et après six mois et quatre combats amateurs, le jeune boxeur de St-Jérôme choisit de venir s’entraîner à Montréal sous la supervision d’un homme nommé Yvon Michel.

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« Avant le début des compétitions (J.O.), je considérais que revenir

sans une médaille serait un échec »

Jean-Francois Bergeron, boxeur poids lourds blessé plus souvent qu’à son tour (photo Stephane Lalonde)

Rapidement, son talent et sa détermination lui font gravir les échelons tant au niveau canadien qu’international. Jean-François remporte les championnats canadiens juniors en 1991 et il obtient le titre canadien chez les seniors à quatre reprises, en 93, 95, 96 et 97. Au cours de ces années, il a le privilège de représenter le Canada à de nombreuses compétitions. Avec le recul, Jean-François est à même de constater à quel point la vie de champion canadien amateur est agréable. Les voyages à travers la planète, un salaire garanti et l’absence de la pression de la victoire à tout prix lui ont laissé de très beaux souvenirs. Tout jeune, Jean-François rêve de participer aux Jeux olympiques. Un jour, Yvon Michel, son entraîneur et celui de l’équipe nationale, lui affirme qu’il a le talent pour participer aux prochains jeux. Ces paroles déclenchent en Jean-François de grands espoirs et celui-ci augmente grandement son intensité à l’entraînement. Jean-François considère aujourd’hui que les qualifications olympiques pour les jeux d’Atlanta en 1996 ont été un fait d’armes important dans sa carrière amateur. Le défi était d’importance puisqu’il devait obligatoirement remporter la médaille d’or. Il relève le défi avec brio et devient un espoir de médaille pour le Canada. À son premier combat, il affronte Attila Levin, un suédois à qui il a passé le K.O. quelques mois plus tôt. Mais contrairement à son combat précédent, Levin se présente sur le ring avec 25-30 livres de plus. Donc, Jean-François affronte un gars solide physiquement qui est capable de le pousser au lieu d’un boxeur agile qui se déplace beaucoup. Bergeron est sonné par une puissante droite après seulement trente secondes au premier round. Il chute au plancher une vingtaine de secondes plus tard et l’arbitre met un terme au combat après seulement 59 secondes.

Quatorze ans plus tard, Jean-François explique cette rapide défaite sans détour : « Plus on approchait des J.O., plus je me suis mis une pression importante. Avant le début des compétitions, je considérais que revenir sans une médaille serait un échec. Ce fût très dur à accepter, je me suis beaucoup remis en question et j’ai changé mon style par la suite. » Amer de sa contre-performance, il désire prouver sa valeur aux championnats du monde de l’année suivante à Budapest en Hongrie. Avec ce nouveau but en vue, il fait un retour remarqué en remportant les championnats du Commonwealth de 1996, puis les jeux de la Francophonie de 1997 à Madagascar.

Quelques mois plus tard, Bergeron s’incline en quart de finale par un verdict de 7-3 face au futur médaillé d’or de ces championnats du monde en Hongrie.

À la fin de sa carrière amateur, Jean-François détient une fiche de 60 victoires et de 25 défaites. Il a remporté plusieurs tournois d’importance, entre autres en Afrique du Sud, en Finlande et au Danemark. Il a aussi livré un combat contre Wladimir Klitschko. Les blessures qui ralentissent tout Recruté par Interbox, Jean-François travaille maintenant sous la supervision de Stéphane Larouche. Yvon Michel, qui a été son entraîneur pendant les huit dernières années, doit se consacrer à ses tâches de directeur général.

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« En septembre 2001, Jean-François est invité à participer à un combat dans le cadre de la série Heavyweight Explosion»

Son premier combat professionnel a lieu à Montréal le 3 avril 1998. Jean-François affronte un Américain de l’Ohio, Donald Harris. Il l’emporte par arrêt de l’arbitre au deuxième round. Il remonte sur le ring à deux autres reprises dans les 32 jours suivants. Chaque fois le scénario est semblable. Ce début de carrière est subitement interrompu par une péritonite qui le forcera au repos quelque temps. Il s’agira de sa première blessure sérieuse et elle sera suivie de plusieurs autres. Par exemple, l’année suivante, Jean-François est opéré à deux reprises pour des fragments d’os dans son coude. Ces blessures, jumelées aux difficultés d’organiser des combats poids lourds au Québec, créent de nombreuses frustrations. Ses épreuves forgent son caractère et sa détermination. Malgré ces difficultés en début de carrière, Jean-François garde confiance et il est bien récompensé dès 2001. L’aventure Heavyweight Explosion En septembre 2001, alors qu’il détient une fiche de neuf victoires et aucune défaite, Jean-François est invité à participer à un combat dans le cadre de la série Heavyweight Explosion aux États-Unis. Cette opportunité sera un tremplin pour sa carrière. Organisée par un promoteur d’expérience, Cedric Kuschner, cette série vise à faire connaître des boxeurs poids lourds. Chaque programme est composé uniquement de boxeurs évoluant dans la catégorie reine. Son premier combat au sud de la frontière à lieu au Caesar’s Palace à Las Vegas; il affronte un boxeur ayant la même fiche que lui. Selon Jean-François, Kuschner souhaite l’utiliser pour pousser la carrière de son adversaire, l’Américain Willie Palms. Stéphane Larouche ne peut accompagner le poids lourd puisqu’il s’occupe aussi de Léonard Dorin qui se bat le même soir en Californie contre Emmanuel Augustus. C’est Pierre Bouchard qui prend la relève et qui devient ainsi son entraîneur-chef, et ce, jusqu’à son dernier combat en octobre 2008. Dans les trois premières minutes, Jean-François est solidement ébranlé et il perd clairement le premier des six rounds de ce combat. À la surprise de plusieurs, il est en mesure de revenir fort et de remporter quatre des cinq autres rounds. Cette expérience est importante pour Jean-François. Tout d’abord, ce gain lui permet de participer à trois autres galas de cette série dans l’année et demi suivante. Ainsi, il obtient une belle visibilité aux États-Unis et ça lui permet d’affronter des boxeurs de qualité qui coûte souvent beaucoup plus cher à faire venir au Québec. Un peu avant son combat de mars 2003, une hernie discale dans le cou vient affecter sa carrière pour un an. À son retour à la compétition, la série Heavyweight Explosion a pris fin, Éric Lucas a perdu en décembre face à Danny Green et Interbox est en pleine déroute. Un tournant dans sa carrière Comme tous les autres boxeurs faisant partie d’Interbox, Jean-François se remet en question en 2004. En plus de choisir de rester avec Lucas, il réfléchit à son avenir. Alors âgé de 31 ans, Bergeron souhaite assurer son avenir à long terme. Après qu’un pompier, s’entraînant au même gymnase, lui parle de son travail, Jean-François décide de s’inscrire à l’école nationale des pompiers. Ce changement de carrière vise à lui permettre de s’assurer une belle qualité de vie à sa retraite et à lui offrir la possibilité de continuer à boxer. Cette formation d’un an, débutée à l’automne 2004, est assez exigeante pour lui. Son horaire quotidien se partage entre son jogging matinal, ses cours de jour, un passage au gymnase en fin d’après-midi et une période d’étude en soirée. Pour s’ouvrir plus de portes, il choisit de compléter un DEC après son cours à l’école des pompiers. Ainsi, il pourra offrir ses services aux villes de Montréal et de Laval. Jean-François obtient un poste à temps partiel en juin 2006 à la ville de Saint-Jérôme. En février 2008, il devient pompier à temps plein à la ville de Laval.

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« Face à Valuev, Jean-François

touche une bourse de 175 000 $ »

À travers les années, plusieurs amateurs reprochent à Jean-François de saboter son talent. De son côté, il considère que cette réorientation professionnelle a été l’une des meilleures décisions de sa vie. « Je sais que bien des gens ne comprenaient pas ma décision à l’époque. Faut pas se faire de cachette : la vie de boxeur, c’est énormément de sacrifices pour souvent quelques combats par année, des blessures graves et pas nécessairement beaucoup de revenus. Je ne voulais pas devenir à 35-40 ans un faire-valoir qui mange des tonnes de coups et qui ramasse de petites bourses. » Pannell et Valuev, des adversaires marquants Un combat d’importance dans la carrière de Jean-François est celui du 24 mars 2006 face à l’Américain Steve Pannell. Rappelons-nous qu’un an plutôt, ce boxeur domicilié à Nashville à cassé Patrice L’Heureux en deux minutes 31 secondes. Le Granit avait remporté le titre de champion canadien à son combat précédant celui avec Pannell. Pour bien des observateurs, Bergeron acceptait un défi d’importance. Pour Jean-François, qui a vaincu Patrice L’Heureux à six reprises chez les amateurs, la victoire se devait d’être éclatante pour faire taire les gens qui considéraient que lui et le Granit de Grand-Mère étaient du même niveau. Lors des deux premiers rounds, Pannell visite le plancher après avoir reçu de puissants coups de la part du boxeur de St-Jérôme. Au troisième round, Pannell abandonne trente secondes avant la fin; il est complètement exténué et incapable de poursuivre l’affrontement. La démonstration est sans équivoque. Le 29 septembre 2007, Jean-François affronte le géant Russe Nikolai Valuev. Cet affrontement est évidemment le plus important combat livré par Bergeron. À ce moment-là, Valuev vient de subir sa première défaite en carrière face à Ruslan Chagaev et il a du même coup perdu son titre mondial de la WBA. Dans les trois années précédentes, Stéphane Larouche a refusé plusieurs offres de Wilfried Sauerland pour un affrontement entre eux. Le promoteur allemand a dû continuellement augmenter le montant de la bourse pour le québécois après chaque refus. Ce soir-là, Jean-François, maintenant âgé de 34 ans, touche une bourse de 175 000 $. C’est plus que toutes ses autres bourses ensemble. Ce combat de douze rounds pour Jean-François est un peu son championnat du monde. À cette époque, le boxeur de St-Jérôme doit ajuster son horaire d’entraînement à celui de pompier à temps partiel. Il prend cinq semaines pour se préparer à temps plein pour cet affrontement. Stratégiquement parlant, Jean-François et Pierre choisissent de donner des angles et de se déplacer constamment devant le mastodonte russe. Lui concédant 90 livres, Bergeron explique à quel point c’était difficile de s’approcher de Valuev : « Lorsque j’étais proche de lui, il pouvait me serrer fort, un peu comme un adulte peut le faire avec un enfant!!! Malgré ça, j’ai été capable de l’ébranler, mais il me repoussait fortement et j’étais incapable de le retoucher après. Je suis vraiment fier de ce que j’ai accompli. » Certains lui ont reproché sa stratégie, mais il est clair pour Jean-François que s’il avait essayé de d’échanger coup pour coup avec ce mastodonte, il n’aurait probablement pas fini le combat, comme ce fut le cas pour huit des dix adversaires précédents qui ont perdu contre Valuev. Finalement, Bergeron perd le combat par décision unanime (118-111, 118-111, 117-111), mais il savoure agréablement les huées à l’endroit de Valuev et les applaudissements en sa faveur. Pour lui, le combat a été plus serré que ne le révèlent les cartes des juges. Il en garde des souvenirs impérissables et a été particulièrement surpris par la pression d’être impliqué dans un combat d’une telle envergure. « À la suite de ce combat, j’ai encore plus de respect pour Éric Lucas qui a su vivre avec la pression d’être la vedette d’un programme à de nombreuses reprises. Ça prend une grande force mentale pour être en mesure de bien gérer cette pression. » Les combats que l’on ne verra jamais L’une des grandes frustrations, tant pour les boxeurs que pour les amateurs, provient souvent des combats qui ne se réalisent pas. Jean-François s’est aujourd’hui détaché de ces combats irréalisés. Bien sûr, au niveau local, on ne peut faire abstraction des possibles combats entre Bergeron et les poids lourds du Groupe Yvon Michel : Patrice L’Heureux et David Cadieux. Jean-François ne se cache pas pour dire qu’il aurait aimé les affronter. « C’est passé très proche que Patrice et moi nous nous affrontions en 2009. Après de longues négociations, nos promoteurs respectifs n’ont pu s’entendre. Quant à un affrontement avec David, nous avons négocié avant sa défaite face

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« Avec le recul, Jean-François reconnaît qu’il aurait dû accrocher ses gants après son combat

face à Valuev»

24 octobre 2008, dernier combat contre Dominick Guinn (photo Stephane Lalonde)

à Jose Blocus en mai 2007 et nous aurions pu nous affronter en décembre dernier lors du gala Pascal-Diaconu II. Malheureusement, tous ces combats sont tombés à l’eau. » Au niveau canadien, Jean-François affirme qu’Yvon Michel, avant la scission entre lui et Interbox, a tenté avec acharnement de mettre sur pied un combat de championnat canadien pour Bergeron. « J’aurais aimé affronter Trevor Berbick et Donovan Ruddock, mais tous deux n’ont pas défendu leur titre canadien acquis en 2000 et 2001. Par la suite, Yvon n’a pu trouver un adversaire pour un combat pour le titre vacant. Lorsque Patrice est devenu champion canadien, ça m’a fait quelque chose. J’aurai beaucoup aimé être le champion de mon pays. » Au niveau international, Jean-François a passé bien proche d’affronter Joe Mesi en 2003 et en 2006. Plusieurs autres combats n’ont pu avoir lieu. Trop souvent, ils n’ont pu se finaliser à cause des demandes financières du camp adverse. La retraite, une décision murement réfléchie Après sa défaite face à Valuev, Jean-François n’est pas prêt à prendre sa retraite. Il croit qu’il aura d’autres opportunités internationales, mais sa belle prestation lui ouvre bien peu de portes. Avec le recul, Jean-François reconnaît qu’il aurait dû accrocher ses gants à ce moment-là. Par contre, une nouvelle opportunité se présente à lui en octobre 2008 et comme Jean-François souhaite toujours boxer, il accepte. Lorsqu’il se prépare pour son combat face à Dominick Guinn, il n’est pas complètement concentré sur son entraînement. Il travaille maintenant à temps plein comme pompier à la ville de Laval et se trouve incapable de se motiver adéquatement pour faire tous les sacrifices pour être à son maximum. Ce soir-là, Guinn, un ancien grand espoir américain qui a remporté les gants dorés américains en 1997 et en 1999, surclasse Jean-François sur tous les plans. Il lui passe le

K.O. en moins de deux rounds. Pour Bergeron, il s’agit de sa première et unique chute au plancher chez les pros. « J’ai été ébranlé dès le premier coup de Guinn, ce gars-là frappe vraiment fort. Je n’étais vraiment pas prêt pour ce combat. Bien après le combat, je me suis rendu compte que je n’avais plus la motivation pour faire tous les sacrifices nécessaires pour être le boxeur que j’étais auparavant. » Après des mois de réflexion, Jean-François met une croix sur sa carrière de boxeur le soir de la St-Jean-Baptiste. Il a attendu trois mois pour l’annoncer publiquement parce qu’il voulait être certain que cette décision était la bonne. « À la fin juillet, Stéphane Larouche m’informe qu’il vient de recevoir une offre pour que j’affronte en septembre Neven Pajkic, l’actuel champion canadien. Bien que le titre soit très significatif pour moi, je n’ai pas hésité une seule seconde et j’ai décliné l’invitation. Cela a été la confirmation pour moi que j’étais passé à autre chose

et que j’avais pris la bonne décision. »

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De retraité à entraîneur-chef Alors que Jean-François vit bien avec sa décision prise deux mois plus tôt, un événement imprévu survient. À la fin août, Pierre Bouchard, Benoît Gaudet et lui-même jouent une partie de golf et entre deux trous, ils discutent des difficultés d’entraînement de Benoît. Jean-François se propose pour aider à temps partiel Benoît qui se retrouve un peu orphelin puisque Stéphane Larouche consacre énormément de temps à la locomotive d’Interbox, Lucian Bute. Après quelques semaines, Pierre propose à Jean-François de prendre en charge Benoît. C’est ainsi que Bergeron devient entraîneur-chef. Le nouvel homme de coin souhaite que Benoît revienne rapidement dans les classements mondiaux. Pour son premier combat comme entraîneur-chef, Jean-François est un excellent conseiller pour Benoît puisque son adversaire est un gaucher. Il veut maximiser les forces de son poulain, soit sa vitesse, sa mobilité et son agilité. Serein et rempli de la sagesse d’un jeune retraité, c’est dans un tout nouveau rôle que Jean-François montera sur le ring le 15 octobre prochain.

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De Verdun à Sydney : La carrière d’Alain Bonnamie Par Pascal Lapointe

Alain Bonnamie aujourd’hui 45 ans et entrepreneur. (photo courtoisie Alain Bonnamie)

Le 9 octobre 2004, Martin Berthiaume, dans une performance déchaînée, a poussé Alain Bonnamie vers la retraite. Pour le boxeur montréalais, cette sortie en catimini résume bien une carrière dont la richesse est rarement appréciée à sa juste mesure. En raison du manque de notoriété grand public d’Alain Bonnamie, aucun retour sur sa carrière n’a jamais été fait dans les médias. C’est cette mission que s’est donnée le magazine La Zone de Boxe, après que Bonnamie lui eut gracieusement accordé un long entretien. En cédant le plus souvent possible la parole à Bonnamie lui-même, nous nous concentrerons sur trois éléments qui ont défini sa carrière : le calibre exceptionnel des rivaux qu’il a affrontés à ses débuts en boxe professionnelle; la période 1993-1995, pendant laquelle l’ampleur des défis qu’il a dû relever est remarquable; le combat « mordant » qu’il a livré en Angleterre en 1999 pour mettre un point d’exclamation à sa carrière.

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«Dès que j’ai signé le contrat (combat face à

Hilton), il [Spitzer] l’a pris et m’a dit “ Tu viens de

faire une gaffe. Tu vas en manger toute une. ” »

Alain Bonnamie contre Dave Hilton jr. (photo Herby Whyne)

Dès les années 1980, Alain Bonnamie était un adepte chevronné des sports de combat. Sa grande maîtrise du karaté l’a mené vers une carrière de kickboxeur professionnel qui, de 1981 à 1988, lui a permis de faire quelque 26 combats et d’accumuler des victoires sur des champions américains et européens.

L’histoire de son passage à la boxe professionnelle sort véritablement de l’ordinaire. Reportons-nous en 1988. Davey Hilton est la coqueluche des amateurs de pugilat montréalais. Son talent en fait rêver plusieurs. En janvier, il remporte une victoire à l’arraché contre le New-yorkais Hector Rosario. Des promoteurs montréalais décident donc d’organiser une revanche à Montréal au profit du Téléthon des Étoiles, organisme de bienfaisance qui travaille pour la recherche sur les maladies infantiles. Ce choix aura une incidence incommensurable sur l’avenir d’Alain Bonnamie. Une carrière entamée sur les chapeaux de roue Quelque deux semaines avant la date prévue, Davey Hilton se désiste, invoquant une blessure à l’épaule. Ne pouvant annuler la soirée compte tenu des sommes déjà investies pour soutenir la bonne cause, les promoteurs se lancent à la recherche d’un boxeur qui pourrait remplacer au pied levé leur tête d’affiche. Leurs efforts sont vains : avec une si courte préparation, personne ne veut affronter celui qui a donné une frousse à l’aîné des Hilton. Leurs démarches mènent les promoteurs dans plusieurs gymnases, où ils rencontrent divers intervenants du monde de la boxe. Dans l’une de ces salles, Bonnamie est occupé à faire du sparring – à l’anglaise seulement – pour en tirer des améliorations qu’il pourra intégrer à son kickboxing. « Mes jambes allaient bien », précise-t-il. Les hommes d’affaires le remarquent immédiatement. « Je n’ai jamais pensé à devenir boxeur professionnel, je ne l’ai jamais voulu, poursuit-il. Mais, moi qui étais quatrième au monde et qui n’avais jamais gagné plus de 2800 $ pour un combat, ils m’ont offert 10 000 $, plus un montant de 2000 $ que j’allais remettre à l’organisme de bienfaisance. Je suis même allé porter le chèque à un téléthon. » Fort de son expérience en kickboxing – il avait fait quelques fois 12 rounds –, Bonnamie accepte un affrontement en dix reprises même s’il n’a jamais livré de combat de boxe anglaise de sa vie, mais les autorités compétentes interviennent et imposent un maximum de huit rounds. À la surprise générale, Bonnamie étonne et l’emporte par K.-O. technique au septième round. Puisque Hilton évoluait alors généralement aux États-Unis, Bonnamie a comblé, un peu par défaut, le manque de tête d’affiche en boxe au Québec. Malgré son inexpérience, il ne faisait que des finales. Par conséquent, le niveau des adversaires qu’on lui proposait n’avait aucune commune mesure avec celle d’un boxeur débutant normal. Il a battu le dur

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«Bonnamie administre un véritable électrochoc … en défaisant Hilton par

décision partagée »

Bonnamie, le guerrier errant. (photo Herby whyne)

Denis Sigouin à ses troisième et cinquième combats. Entre ces deux bagarres éprouvantes, il a surclassé l’habile Marlon Wright, détenteur à l’époque d’une fiche parfaite en neuf combats. Ces défis allaient vite paraître insignifiants. Le nouveau venu avait, en cinq combats seulement, tout balayé sur la scène locale. Ou presque. Il restait un obstacle, qui était de taille. Même si l’un des protagonistes comptait cinq fois plus de combats que l’autre, l’idée d’un combat entre Davey Hilton et Bonnamie a rapidement pris

toute la place. Les négociations, par contre, ont été longues, car Henri Spitzer agissait maintenant à titre de promoteur au lieu de Roger Martel, qui avait organisé la plupart des combats de Bonnamie. Spitzer, qui est associé au clan Hilton, est décrit par Bonnamie comme un négociateur féroce : « [Durant les négociations,] chacun tirait la couverture de son bord. Puis, il a fait une grosse gaffe. Premièrement, c’était un manque de professionnalisme. Deuxièmement, il a fait exactement le contraire de ce qu’il lui fallait faire. Dès que j’ai signé le contrat, il [Spitzer] l’a pris et m’a dit “ Tu viens de faire une gaffe. Tu vas en manger toute une. ” Il m’a donné beaucoup de volonté. Il m’a aidé et il s’est nui. Jamais il n’aurait pensé que je pouvais gagner. Les gens ne gageaient pas sur le gagnant du combat, mais sur le round auquel j’allais tomber. » Issu des compétitions d’arts martiaux, Bonnamie était habitué à un milieu où le respect de l’adversaire est une valeur primordiale. Ses entraîneurs l’avaient averti que Hilton ne respecterait peut-être pas ce principe. « On m’avait dit : “ Il va donner un show, il va baisser sa garde, il va faire des grimaces. Toi, n’oublie pas ta discipline et ta respiration. Si tu fais des niaiseries, tu n’as pas le talent pour [compenser]. Ignore-le et reste concentré. ” Ces conseils n’ont pas été durs pour moi à appliquer puisque c’est dans ma personnalité. Il a passé sa soirée à me tirer la langue et à laisser tomber sa garde. Moi, je prenais mon temps, j’essayais de placer des coups. Je pense que le fait de ne pas réussir à me déranger l’a déconcentré. Comme il ne livrait pas vraiment la marchandise lorsqu’il faisait le clown, les gens ont tranquillement commencé à m'appuyer. Le combat restait égal. Il paraissait mieux; il était plus vite. Moi, je le frappais dans les côtes. « Petit à petit, mon niveau de confiance augmentait. Je le touchais de plus en plus souvent. Puis, quand je l’ai envoyé à terre, j’ai vécu l’un des plus beaux moments de ma carrière. Oui, il y avait la satisfaction d’envoyer Dave Hilton au plancher, mais il y avait aussi la réaction de la foule et de mon entraîneur, le regretté Jacques Chevrier. » Au terme des dix rounds, Bonnamie administre un véritable électrochoc au monde de la boxe montréalaise en défaisant Hilton par décision partagée. Dès son onzième combat, Bonnamie a boxé pour le titre NABF des super-mi-moyens contre l’Américain Wayne Powell. Pendant sa préparation, les divergences d’opinion qu’il avait avec son entraîneur, Jacques Chevrier, se sont creusées. Alors qu’il était s’apprêtait à rencontrer un gaucher, Bonnamie s’étonnait de voir que son entraînement ne changeait pas. Il gardait les mêmes partenaires de sparring, des droitiers comme Hughes Daigneault. Chevrier appliquait toujours la même méthode, mettant de côté la finesse, les jabs et les déplacements. Bonnamie devait travailler constamment en force en misant sur les crochets au corps. Il aurait voulu tenter de corriger ses lacunes et développer d’autres outils, mais son entraîneur s’y opposait. Bonnamie hésite encore à parler de cet épisode. Le respect qu’il voue à celui qu’il appelle encore « Monsieur Chevrier » est évident. Bonnamie s’est finalement incliné par K.-O. technique au douzième round après s’être forgé une large avance. Mais la défaite a été pour lui un élément déclencheur. L’Américain Jesse Reid a accepté de l’entraîner, séduit par son potentiel et son acharnement, faute de réelle maîtrise technique. Dès lors, le Montréalais a commencé à passer une grande partie de son temps à s’entraîner aux États-Unis, tantôt au Texas, tantôt en Californie. Il affirme avoir beaucoup appris en livrant de durs combats simulés contre des pugilistes de haut niveau tels que Frank et Thomas Tate.

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«Début novembre 1993, Bonnamie traverse

l’Atlantique. Il est bien loin de s’imaginer qu’il s’apprête

à vivre l’épisode le plus négatif de sa carrière.»

Le guerrier errant Le 21 juillet 1994, Bonnamie s’est rendu au Connecticut pour croiser les gants avec Bronco McKart, détenteur à l’époque d’une fiche de 18-1. La fierté se lisant sur son visage, Bonnamie raconte : « McKart a souvent affirmé, notamment sur son site Web, que j’ai été son adversaire le plus “ tough ”. Après le combat, il m’a même dit qu’il ne me donnerait jamais de revanche. Je fonçais dessus comme un train. Il avait dix fois plus de technique que moi et un bon jab, qui m’avait ouvert. Sérieusement, on voyait mon globe oculaire au travers de la coupure. Dans un film, un scénario semblable aurait paru exagéré. L’arbitre est venu me voir après le troisième round, si je me rappelle bien, pour me dire que ses patrons de la commission athlétique voulaient qu’il arrête le combat, mais qu’il ne pouvait pas parce que j’avais trop souvent le dessus sur mon adversaire. Il m’a donné un dernier round. Connaissant la situation, je partais en fou. Bing! Bang! Il [McKart] est tough. Il n’est pas tombé. Il a continué de répliquer. « Comme j’avais encore mieux paru [qu’en début de combat], l’arbitre est venu me voir pour me dire : “ Je suis en train de perdre mon travail, mais je vais te donner un autre round. Par contre, je ne peux pas continuer de te faire des faveurs comme ça, on voit ton œil par la coupure. » Le manège s’est poursuivi pendant quelques autres rounds. Mais Bronco était précis. Il avait de longs bras et frappait fort. Chaque fois qu’il réussissait un coup, le sang giclait. Le combat a finalement

été arrêté à la septième reprise. Revenons quelques mois en arrière. Début novembre 1993, Bonnamie traverse l’Atlantique. Il est bien loin de s’imaginer qu’il s’apprête à vivre l’épisode le plus négatif de sa carrière. Il ne prend d’ailleurs pas de détour pour décrire sa mésaventure. « La pire arnaque de toute ma carrière », déclare-t-il en guise de préambule. Promoteurs en France, les frères Acariès ont communiqué avec lui pour lui offrir une collaboration outre-Atlantique. Selon Bonnamie, ils l’ont bercé de belles paroles, lui affirmant qu’ils se serviraient du fait qu’il s’exprime en français et

qu’il est bien classé pour lui donner des combats importants en France et en faire une vedette. Peu après son arrivée en Europe pour son combat, Bonnamie constate que les belles promesses mettent du temps à se concrétiser. Personne ne le prend en charge et il apprend que son entraîneur, qui devait venir le rejoindre de Los Angeles, n’est toujours pas arrivé. Il ne se présentera d’ailleurs jamais. Selon Bonnamie : « Ce n’est pas parce qu’il ne voulait pas venir. C’est une magouille. Une autre chose : mon adversaire était musclé, musclé. Il n’était pas dans ma catégorie [de poids]. Il devait faire 175 livres, minimum. Je te jure, il n’est jamais monté sur la balance pour la pesée officielle. Un moment donné, il est à côté de la balance et j’entends un des frères Acariès annoncer un poids de 153 livres et quelque chose, puis indiquer à Benle (Patrice Mbeh Benle, l’adversaire en question) de retourner s’asseoir. Il n’est jamais monté sur la balance! Je me suis manifesté, mais on m’a dit de ne pas m’en faire, que les promoteurs voulaient vraiment travailler avec moi et que j’allais l’arrêter facilement, tellement il était lent. » La soirée du combat, on vient le voir au vestiaire pour lui dire qu’il boxera à 22 h 20, juste avant la finale, un championnat mondial des lourds-légers WBA. À sa grande surprise, à 20 h, on lui affecte un homme de coin qu’il ne connaît pas et on lui annonce qu’il montera dans le ring à 20 h 15. Déboussolé, sans son entraîneur, à froid et mal préparé mentalement, il livre néanmoins une guerre dont il est sûr de sortir vainqueur, mais les juges rendent un verdict en faveur de son adversaire. Pour couronner le tout, pendant le banquet d’après-combat que donnent les frères Acariès, Bonnamie doit casser la croûte avec le personnel, dans les cuisines. Profitant de l’occasion pour réfléchir à ce qui vient de lui arriver, il replace rapidement les morceaux du casse-tête et s’aperçoit de l’efficacité avec laquelle il s’est fait rouler. Il adresse aujourd’hui aux frères Acariès ce compliment sarcastique : « Vous devez être les meilleurs promoteurs de boxe du monde, parce que vous m’avez bien eu. Bravo. » Avec son combat contre McKart, Bonnamie est entré de plain-pied dans la période « guerrier errant » de sa carrière. On ne lui offrait que des combats difficiles. Il a dû accepter des combats un peu partout, toujours dans des endroits qui favorisaient son adversaire. En outre, ses rivaux étaient toujours plus rapides, plus précis et meilleurs techniciens que lui. Raul Marquez a rapidement succédé à McKart. L’ancien participant aux Jeux olympiques était étiqueté « futur champion du monde », ce qu’il allait devenir deux ans plus tard. Après avoir absorbé énormément de coups en première moitié de combat, Bonnamie est revenu en force pendant les cinq derniers engagements, profitant de la fatigue croissante de son

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«Ouellet et Waters : je regrette de ne pas avoir

repoussé ces deux combats. Je n’étais pas en état de me

battre du tout »

«J’ai fait une carrière de 56 combats sur 22 ans, y

compris le kickboxing. En tout, j’ai gagné 160 000 $ »

vis-à-vis pour imposer une boxe tout en attaque. Nombreux sont ceux, y compris les commentateurs du réseau américain USA Network, qui croient que Bonnamie aurait mérité un match nul. D’une seule voix, les juges ont plutôt opté pour Marquez, qui, s’il a peut-être profité de la « prime de la cour arrière », doit surtout sa victoire à sa nette domination en

début d’affrontement. Puis, à son combat suivant, quand Bonnamie est revenu chez lui, c’était pour rebâtir sa fiche tout en renouant avec le public de la Belle Province? Pas du tout. C’était plutôt pour combattre Stéphane Ouellet à Jonquière, la ville natale de ce dernier. Il aurait difficilement pu se trouver en territoire plus hostile. Mais en fin compte, la géographie n’a eu que peu d’incidence sur l’issue du combat, puisque Bonnamie a subi un dur K.-O., le seul de sa carrière.

Quand le téléphone a sonné de nouveau, il l’a mené aux antipodes. À Sydney l’attendait une autre vedette locale, l’Australien Troy Waters. « Le combat contre Troy Waters a été [longue pause] une belle expérience, commence-t-il alors que tout son langage non verbal exprime le contraire. Je suis allé me battre à l’autre bout du monde contre un héros local. Mais j’ai fait une erreur : j’ai accepté de faire ce combat deux mois et demi après la naissance de mon garçon. Ma copine a eu des complications à l’accouchement. Alors, je devais aller m’entraîner en Californie avec Jesse Reid tandis qu’elle avait besoin d’aide. Moi, mon père est alcoolique. Il n’était pas là pour ma mère quand j’étais jeune. Tout cela me trottait dans la tête pendant que je m’entraînais. Je me disais que je devrais plutôt être à la maison pour m’occuper de mon gars, que je ne voulais pas faire ce que mon père avait fait avec moi. Cela m’obsédait. Mon entraîneur me demandait me concentrer; il me rappelait que le gars frappe fort. « Ouellet et Waters : je regrette de ne pas avoir repoussé ces deux combats. Je n’étais pas en état de me battre du tout. Pour Ouellet, mon frère venait de se suicider. Je ne cherche pas d’excuse. Je voulais honorer mes contrats, mais j’ai pris de très mauvaises décisions. […] À quatre-vingts ans, je vais m’en souvenir encore. » « En parlant de mauvaises décisions », répond Bonnamie quand le sujet de ses deuxième et troisième combats contre Davey Hilton est soulevé. Rappelons qu’à la suite du retour du mauvais garçon de la boxe montréalaise, le public demandait un choc entre ce dernier et Stéphane Ouellet. Mais il avait été établi que Hilton devait d’abord battre Bonnamie. « Le deuxième combat, au centre Claude-Robillard, poursuit Bonnamie, je pensais bien l’avoir gagné, mais ils ont donné une nulle. Dave a fini le combat en force, et il frappe extrêmement fort. Au dernier round, il m’a cassé l’os de la joue, qui a été enfoncé vers l’arrière. Le médecin devait utiliser un genre de crochet pour tirer et le remettre en place. J’ai failli lui dire d’arrêter. À la fin, je lui ai dit : “ Tu m’as fait plus mal que le gars qui m’a blessé. ” » « Le combat nul avait eu lieu en décembre. J’avais Régis Lévesque qui m’appelait. Je te jure, il m’a appelé le matin du jour de l’An. Il voulait absolument que je signe le contrat. Je lui ai dit que je venais d’avoir un bébé, que j’avais un os brisé dans la face et que je voulais qu’il me laisse tranquille quelques semaines. Il a tellement insisté que j’ai signé pour février. Une autre mauvaise décision. Mon os s’est rebrisé dès que j’ai reçu un coup. À partir de ce moment, mon plan de match n’était plus de gagner, mais de survivre. Je voulais aller jusqu’à la fin. J’ai réussi et j’étais content de cette victoire personnelle. » Tous ces combats difficiles, le jeu en valait-il la chandelle, notamment sur le plan financier? « Je ne regrette rien, assure-t-il. Financièrement, je regrette tout [rires]. J’ai fait une carrière de 56 combats sur 22 ans, y compris le kickboxing. En tout, j’ai gagné 160 000 $. Par exemple, j’ai fait 4000 $ US pour le combat contre McKart. En moyenne, cela revient à moins de 8000 $ par année, brut, avant même de donner son pourcentage à mon entraîneur. Si c’était à refaire, je referais les mêmes combats [sauf celui en France, avoue-t-il], mais la préparation, l’apprentissage et le choix d’entraîneur seraient différents. Je travaillerais davantage ma défensive et ma vitesse, au lieu de me fier seulement à mon acharnement pendant mes quinze premières années. »

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Bonnamie au studio Breathe (photo collaboration Alain Bonnamie)

Le dernier coup d’éclat Par la suite, Bonnamie a enfin eu l’occasion de rebâtir sa fiche. Il a continué de faire des finales, mais lors de galas d’ampleur réduite. Il a donc pu enregistrer quatre victoires consécutives. Sa récompense : un autre combat dans la cour arrière d’un favori local. Adrian Dodson le défiait pour le titre du Commonwealth des poids moyens. Ce combat a marqué les annales de la boxe québécoise en raison de la façon dont il s’est terminé. Au douzième round, Dodson avait plusieurs points d’avance mais il était totalement débordé par Bonnamie qui tentait le tout pour le tout. Saisi de panique, le Britannique était prêt à tout pour s’en sortir, si bien qu’il a mordu son adversaire à l’abdomen, provoquant instantanément sa propre disqualification. « C’était la première fois que je voyais ça, se rappelle Bonnamie. Il aurait pu mettre un genou à terre. J’ai déjà vu des boxeurs simplement tourner le dos à leur adversaire. Mais je ne m’attendais sûrement pas à ce que le gars me saute dessus et me morde. » Après avoir insufflé une nouvelle vie à sa carrière, Bonnamie a été frappé par la malchance, un détachement de la rétine l’ayant forcé à mettre sa carrière en veilleuse pendant presque trois ans. Il a effectué en 2002 un retour aux résultats mitigés, qui lui a néanmoins donné l’occasion de venger une défaite subie en 1995 aux mains d’Alex Hilton. Bien entendu, Bonnamie aurait aimé être pris en charge dès ses débuts, comme une future vedette. Il tire néanmoins beaucoup de fierté d’avoir lutté férocement pour tout ce qu’il a gagné. « Je me suis tout le temps battu contre des [durs] dans leur patelin, la foule contre moi. Quelque part, j’en suis fier. Les jambons et les deux de pique, je ne connais pas ça. Je suis d’ailleurs un peu contre ça. C’est sûr que les jeunes ne doivent pas brûler les étapes comme moi j’ai fait. Il faut leur donner des adversaires de leur niveau. Pas le niveau au-dessus, pas le niveau en dessous. »

**************************** Septembre 2010. C’est Alain Bonnamie le professeur que je rencontre au studio Breathe, dans le quartier Pointe-Saint-Charles à Montréal, où il enseigne la boxe, le kickboxing et le karaté. À 45 ans, il est manifestement encore dans une condition physique exemplaire. Il est un peu fatigué, mais ce n'est pas seulement à cause de tous les cours qu’il a dirigés pendant la journée : sa femme a donné naissance à son troisième enfant il y a moins d’une semaine. En fait, ce n’est pas seulement Bonnamie le professeur, mais aussi Bonnamie l’entrepreneur que j’ai devant moi. En effet, le studio Breathe est le centre d'entraînement multifonctionnel que l'ex-boxeur exploite depuis quatre ans avec son épouse, titulaire d’une maîtrise en gestion des affaires, qui veille au volet administratif de l’entreprise. « Nous ne voulions pas ouvrir seulement un gymnase de boxe, mais un centre d’entraînement avec un large bassin de clients, explique Bonnamie. C’est un gros projet. Notre établissement occupe 10 000 pieds carrés. Je dis souvent à la blague que nous avons vendu nos âmes peut-être pas au diable, mais à la cousine du diable, la banque. Nous allons acquitter nos dettes dans 20 ans. Mais ça va bien. Comme pour bien des entreprises, les 18 premiers mois ont été plus difficiles, cependant après quatre ans, nous avons atteint notre rythme de croisière.

« Nous avons de tout : de la boxe, des massages, des pilates, du kickboxing,

du karaté, du yoga, etc. Nous attirons une clientèle diversifiée, de deux à plus de 80 ans. » Ceux qui gravitent autour du monde de la boxe savent que ce ne sont pas nécessairement tous les boxeurs qui trouvent leur voie après avoir abandonné la compétition. Il en résulte d’ailleurs souvent des retours plus ou moins souhaitables. C’est pourquoi il est plutôt réjouissant de voir Bonnamie aussi comblé, parlant avec fierté de son studio, mais aussi de sa femme et de ses enfants, notamment son aîné – celui-là même qu’il a dû laisser à la maison pendant qu’il s’entraînait pour son combat en Australie contre Waters – qui est aujourd’hui âgé de 15 ans. Il ne reste qu’à lui souhaiter de continuer de vivre comme un passionné encore longtemps… et peut-être de finir de rembourser la banque avant 2030!

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Muhammad Ali, « the Greatest » souffrait de la maladie de Parkinson.

(photo Wikipedia)

La guerre des crânes Par Samuel D.-Drolet

(photo : www.photographyblog.com)

Alors qu’un des meilleurs neurologues au monde était en train d’évaluer les résultats de Muhammad Ali afin de déterminer ce qui le faisait souffrir, Ali proposa son propre diagnostic. « Vous savez, je suis monté dans l’arène pendant une trentaine d’années et bien que j’aie donné des coups, j’en ai reçu plusieurs! Il se peut que le problème soit directement relié à cette accumulation de coups… »

C’était en 1984 et Muhammad Ali était à la retraite depuis 3 ans. Il commençait à souffrir de tremblements, de fatigue chronique, de manque de synchronisme et il avait de plus en plus de difficulté à articuler lorsqu’il parlait. La maladie commençait à s’emparer d’une légende vivante. Le diagnostic du Dr Stanley Fahn révélait en fait que celui que l’on surnomme « The Greatest » était atteint de la maladie de Parkinson . La maladie d’Ali était-elle due aux nombreux coups reçus ou était-elle simplement génétique? Plus de 25 ans plus tard, nous ne connaissons toujours pas la réponse précise à cette question. Mais une chose est certaine : les nombreux coups portés à la tête d’un pugiliste ne sont pas sans porter de dommages. En fait, on peut dire que les dommages cérébraux d’un boxeur sont l’équivalent des poumons noirs des fumeurs. La Dre Tracy McIntosh, directrice de Penn’s Head Injury Center, reconnaît que même si une personne ayant subi un traumatisme à la tête semble bien se porter à court terme, il est possible de ne réaliser l’impact réel de ce choc que quelques années plus tard. « Les effets de ces traumatismes ne sont pas toujours apparents sur le coup et nous en commençons seulement à comprendre les effets secondaires à long terme ».

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Le terme de démence pugilistique est apparu dans le jargon médical en 1928, alors qu’un pathologiste, le Dr Harricon Martland, décrivait ce syndrome dans le Journal of the American Medical Association. À cette époque, il estimait que 50 % des boxeurs professionnels en fin de carrière souffraient de ce syndrome. Nombreux sont les boxeurs qui souffriront de démence pugilistique au terme de leur carrière et c’est d’ailleurs le cas de certains emblèmes de la boxe professionnelle, dont le célèbre Joe Louis. Aujourd’hui, les experts utilisent plusieurs termes pour décrire cette maladie : traumatisme cérébral chronique, encéphalopathie traumatique chronique, encéphalopathie du boxeur et le syndrome du « punch drunk ». La démence pugilistique est en fait un trouble comportemental résultant de multiples lésions au lobe frontal. Les symptômes les plus courants sont le manque de concentration, l’irritabilité, la paranoïa et une agressivité accrue. Les boxeurs étant le plus à risque de développer ce syndrome sont ceux ayant connu une longue carrière (multiples traumas à la tête) ou encore ceux ayant subi de sévères déconfitures (nombre élevé de défaites par K.-O. ou encore K.-O. brutaux). Le Dr Joseph Friedman compare le cerveau à du Jell-O situé dans un bol (la boîte crânienne). Lorsqu’un boxeur reçoit un coup, une onde traverse le Jell-O puis se heurte au bol avant de revenir à l’endroit où l’impact a été ressenti. Cette onde de choc crée des micro-déchirures à l’intérieur du cerveau et brise certaines cellules et filaments nerveux. Certaines de ces cellules et de ces filaments nerveux se reconstruiront, mais d’autres seront détruits à jamais, causant ainsi des dommages irréversibles. Il se peut aussi que les coups répétés à la tête causent de petites hémorragies internes à l’intérieur même du cerveau. Celles-ci se transformeront éventuellement en lésions ou encore en cicatrices. Lorsqu’un coup est porté à la tête, la boîte crânienne se déplace plus rapidement que le cerveau, ce qui fait que ce dernier vient se heurter contre les parois de la boîte crânienne, causant ainsi d’autres bris au niveau cérébral. Tous ces bris accumulés mènent éventuellement à une atrophie du cerveau, provoquant dans la grande majorité des cas la démence pugilistique, l’Alzheimer ou le Parkinson.

Photos : La location des dommages cérébraux est déterminante quant aux types de symptômes s’y rattachant. L’Alzheimer provient de lésions aux lobes temporaux, alors que le Parkinson est quant à lui relié aux lésions portées au diencéphale. La démence pugilistique serait reliée à des traumatismes perçus par le lobe frontal. Bien que la dégradation de la santé cérébrale commence lors de la pratique du sport, en recevant des coups à la tête, elle ne s’arrête pas pour autant lorsqu’on cesse l’activité. Les cellules mal alimentées (en raison des cellules préalablement détruites par les coups reçus au cerveau) se désagrégeront plus rapidement que la normale, causant ainsi une détérioration de la santé mentale. Les 3 grandes catégories de dommages cérébraux Moteur : Des troubles d’élocution seront, pour certains boxeurs, les premiers signes démontrant des dommages au cerveau. Ensuite viendront le manque de coordination des membres, une motricité réduite, une voix affaiblie, un manque de souplesse, des pertes d’équilibre et des tremblements. Le célèbre entraîneur Freddy Roach, qui autrefois était boxeur, éprouve aujourd’hui certains de ces symptômes. Celui qui a sous sa férule Manny Pacquiao et Amir Khan, pour ne nommer qu’eux, souffre aujourd’hui du Parkinson. Cette maladie

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Freddy Roach lorsqu’il était boxeur (photo boxrec.com)

Le lutteur professionnel Chris Benoit. (photo Wikipedia)

pourrait découler des coups qu’il a reçus alors qu’il était boxeur. Les tremblements incontrôlables qu’il éprouve lui causent bien des soucis dans la vie de tous les jours. Fait cocasse, lors d’une entrevue accordée au réseau HBO, Roach avouait que le seul moment où ses tremblements cessent d’exister (ou qu’ils sont grandement réduits) est lorsqu’il est en action avec ses poulains lors des entranements de boxe. Cognitif: Pendant des examens neurologiques, les boxeurs affectés affichent des résultats bien en-dessous de la moyenne en ce qui à trait à la concentration, à la mémoire et à la vitesse de réflexion. Plus la maladie avance, plus les signes de démence sont nombreux et plus ils sont amplifiés par de l’amnésie, un déficit d’attention, un ralentissement de la pensée, ainsi qu’une détérioration du jugement, du raisonnement et des capacités à planifier et à réaliser des tâches simples. On peut penser ici à l’ex-vedette de boxe olympique Shawn O’Sullivan. Celui qui a remporté une médaille d’argent aux Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, a depuis quelques années une qualité de vie qui ne cesse de se détériorer. Lors d’une entrevue accordée à l’émission 16:9 TV, il avouait avoir plusieurs problèmes moteurs et cognitifs. Il se doit désormais de prendre des notes afin de se remémorer les choses. « Si je n’écris pas, j’oublie», avoue-t-il. Plusieurs personnes croient qu’il est alcoolique en raison de son allocution ralentie et de ses troubles de mémoire, mais c’est simplement la dure réalité des gens souffrant de la démence pugilistique. Celui qui était autrefois une vedette sombre tranquillement dans l’oubli et ce, malgré la prolifique carrière amateur qu’il a connue. Comportemental: Les dommages causés au cerveau peuvent aussi entraîner des troubles comportementaux. Il va sans rappeler la triste histoire du lutteur

Chris Benoit. Les multiples commotions cérébrales qu’il a reçues lors de sa carrière sont en partie responsables du fait qu’il aurait commis un double meurtre suivi d’un suicide. Chris Nowinski a suggéré que tous les chocs reçus au cerveau de Chris Benoit pendant des années aurait endommagé sa matière grise et c’est éventuellement ce qui l’aurait mené à poser ces gestes. Des tests sur le cerveau de Benoit ont été réalisés par Julian Bailes, le chef de l'équipe de neurologie de la West Virginia University : les résultats montraient que son cerveau était « si sévèrement endommagé qu'il ressemblait au cerveau d'une personne de 85 ans atteinte d'Alzheimer ». Il semblerait que le cerveau de Benoit aurait atteint une forme avancée de démence, similaire aux cerveaux de quatre anciens joueurs de la NFL qui ont également souffert de multiples commotions cérébrales. Ils sont par la suite devenus dépressifs et se seraient montrés violents envers eux-mêmes ou contre d'autres personnes. Les recherches menées par Bailes et ses collègues ont démontré que les commotions répétées sont la cause principale de cet état de démence et qu’elles engendrent de graves problèmes comportementaux. Bien que la boxe soit, à mes yeux, un des plus beaux sports existants, il n’endemeure pas moins que les individus pratiquant cette discipline mettent leur santé, voire leur vie en danger à chaque fois qu’il la pratique. Les techniques d’entraînement sont souvent archaïques, ce qui fait en sorte que même lorsqu’ils s’entraînent, les athlètes mettent en danger leur santé physique et mentale. Certains spécialistes se penchent présentement sur le dossier afin d’améliorer les méthodes d’entraînement dans le but de minimiser les séquelles à long terme. Bien que la réglementation du sport ait évolué au fil des ans, il est important pour les dirigeants du monde de la boxe d’être proactifs dans l’actualisation de la réglementation, afin d’assurer une pratique saine du noble art.

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«C’était la seule décision à prendre» par François Couture

Nous sommes le 27 novembre 1998. Quinze mille personnes se sont déplacées au Centre Molson de Montréal pour le tant attendu combat entre Stéphane Ouellet et Davey Hilton. Dans la dernière minute du douzième round d’une rude bataille, menant aux points jusque-là, Ouellet se fait matraquer de coups, recule dans un coin et, toujours en difficulté, passe sa tête entre les câbles. C’est à ce moment que le troisième homme dans le ring, Denis Langlois, décide de stopper le combat, dans une décision qui, dans l’esprit de certains, reste controversée encore aujourd’hui. Mais pas pour le principal intéressé. Le magazine de La Zone de boxe est allé rencontrer chez lui, à Longueuil, l’arbitre et policier à la retraite Denis Langlois, afin d’avoir sa perspective sur cette soirée marquante de l’histoire de la boxe québécoise.

Denis Langlois, ancien arbitre et policier aujourd’hui

à la retraite. (photo François Couture) La Zone de Boxe : Monsieur Langlois, tout d’abord j’aimerais que vous nous parliez brièvement de ce qui vous a amené à vous intéresser à la boxe. Denis Langlois : Je m’intéresse depuis toujours aux sports de combat en général. Je suis ceinture noir en karaté kempo depuis 1968, je suis ceinture noire cinquième dan en taekwondo. En 1975, j’ai été élu athlète de l’année par la

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Confédération des Sports du Québec. J’ai fait de la boxe aussi. Jusqu’à ma retraite, j’étais en charge de la formation de l’escouade tactique, à cause de mon bagage en arts martiaux. En ce qui a trait à l’arbitrage, j’ai arbitré en kickboxing pour la Commission athlétique de Montréal pendant plusieurs années. J’ai officié de nombreux combats de championnat du monde, dont quelques-uns mettant en vedette Jean-Yves Thériault. Au moment où la Commission athlétique est devenue la Régie de la sécurité dans les sports, j’ai commencé à arbitrer en boxe. C’est aussi moi qui ai arbitré le premier combat extrême en sol québécois présenté par la Régie, vers la fin des années 80. Il faut se rappeler qu’à cette époque, il n’y avait que trois à quatre cartes de boxe par année. C’est pourquoi j’arbitrais aussi en kickboxing, ça m’occupait davantage.

Denis Langlois arrêtant le premier combat Ouellet-Hilton, le 28 mai 1999

Le fameux combat Ouellet-Hilton ZB: Après une vingtaine de combats, on vous demande d’être l’arbitre pour l’affrontement entre Stéphane Ouellet et Davey Hilton. DL: En fait, je le savais depuis l’annonce du combat que c’est moi qui serais choisi. Guy Jutras avait déjà pris sa retraite et je faisais pas mal toutes les finales dans ce temps-là. Il faut dire aussi que mes deux combats avant celui-ci mettaient aux prises Davey (contre Eddy Hall) et Stéphane (contre Joe Stevenson), donc j’étais bien placé pour le faire. De mon point de vue, ce combat a été très, très dur. Il y a des combats et des batailles; ça, c’était une bataille, entre un gars qui avait beaucoup de rapidité et un autre ayant beaucoup de technique et de force. ZB: Qui était le meilleur boxeur des deux, à votre avis? DL: Je pense que Dave avait plus de technique que Stéphane. Mais ce soir-là, Stéphane était à son top, il avait des mains extrêmement rapides. Il n’avait aucune défensive, aucun jeu de pieds, mais il pitchait. Je connaissais bien les boxeurs et selon moi, Dave n’était pas à son maximum ce soir-là. Dans un trois minutes, il pouvait exploser pendant dix secondes; après 45 secondes d’activité, il ralentissait. Mais comme il savait boxer, comme il évaluait bien ses distances, il pouvait tout de même contrôler le combat. Dave sait comment travailler son adversaire, casser des attaques… Tu as l’impression qu’il est en action, mais il récupère. Stéphane lui, pouvait attaquer pendant trois minutes. C’est très certainement le match le plus dur que Stéphane a eu de toute sa carrière. Il gagnait le match aux points mais il se faisait battre. On doutait de sa mâchoire, mais il a encaissé des coups très solides. Dave, s’il avait été plus en forme, aurait eu un meilleur

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«Dave, si tu lui donnes un espoir de te vaincre, il va trouver de l’énergie»

« je ne pouvais pas lui donner un compte

[en parlant de Ouellet] car il s’était de lui-même placé

la tête hors des câbles »

équilibre et l’aurait frappé encore plus solidement. On se rendait compte qu’Hilton ne pouvait tenir le rythme et c’est ce qui a fait que Stéphane a pu gagner ses rounds. D’un autre côté, si Stéphane avait été capable de se déplacer, s’il avait eu un jeu de pieds, il aurait pu se sauver avec la victoire au dernier round… Je me souviens d’un commentaire d’Yvon Michel, qui répondait aux critiques concernant la défensive de son poulain : «La meilleure défensive, c’est l’offensive». En boxe, ce n’est pas vrai : la meilleure défensive, c’est une bonne défensive. ZB: Une chose remarquable pendant ce combat, c’est le nombre de fois que Ouellet a perdu son protecteur buccal. DL: En effet. Et une partie de la controverse quant à ma décision d’arrêter le combat vient des commentaires d’Yvon Michel sur le fait que Stéphane avait perdu son protecteur buccal dans les derniers instants du combat. J’aimerais m’expliquer là-dessus. Primo, dans la réglementation, tu peux pénaliser un boxeur qui perd souvent son protecteur buccal, mais c’est à la discrétion de l’arbitre. Moi, j’avais remarqué que Stéphane ne le crachait pas, donc qu’il n’y avait pas matière à pénalité. ZB: Je vous arrête, car une image du combat vient de me revenir en tête : Dave Hilton qui ne frappe pas Ouellet alors qu’il se penche pour reprendre son protecteur buccal sur le canevas! DL: Et tu sais pourquoi? C’est lui-même qui me l’a dit : il avait peur de le frapper! Quand Stéphane s’est penché pour ramasser son protecteur, ça n’avait pas de sens! Dave aurait pu le frapper! Mais il avait peur de se faire disqualifier, même s’il n’y avait pas matière à disqualification parce que Stéphane n’avait pas à aller toucher à son protecteur. Revenons à la fin du combat. Moi, j’ai vécu trois générations de réglementation quant au protecteur buccal : premier temps, après la perte du protecteur, on arrête le combat, on lave, on remet en place et on reprend le combat; deuxième temps, après la perte du protecteur, on continue le combat quand même; le troisième temps, qui a cours maintenant, fait appel à la discrétion de l’arbitre. Si un boxeur est en attaque et que son opposant perd son protecteur buccal, l’arbitre laisse aller l’action pour ne pas pénaliser l’attaquant, pour ne pas lui enlever sa possibilité d’attaquer. Tu stoppes le combat quand tu juges que l’action est terminée. Il faut comprendre ça! Ce n’est pas ce qui a été véhiculé après le combat dans les médias. J’ajouterai que Stéphane saignait beaucoup pendant le combat. Entre tous les rounds, tous les rounds, je vérifiais s’il pouvait poursuivre. Avant que la cloche sonne pour annoncer le début du round, je vérifiais une seconde fois. Son coin a fait du bon travail en ce sens-là. Mais on voyait qu’il dépérissait petit à petit. Et je pense que c’est en partie ce qui explique qu’il perdait si souvent son protecteur buccal.

ZB: Parlons maintenant du douzième round. Dans mon souvenir, si Ouellet avait mis un genou par terre plutôt que de se sortir la tête hors des câbles, il aurait gagné le combat. Il se serait fait donner un compte et il aurait probablement pu éviter les coups de Hilton jusqu’à la fin du round. DL: Il ne fait pas mettre toute la faute sur Ouellet. Il a boxé du

mieux qu’il a pu. On devrait aussi parler de son équipe de coin. Il faut qu’il y ait une symbiose entre le coin et le boxeur, comme une ligne directe entre eux. Le meilleur coin que j’ai vu de ma vie, c’est celui de Jean-Yves Thériault : les gars ne parlaient pas souvent, mais quand ils le faisaient, Thériault réagissait immédiatement dans le ring. Ce n’était pas le cas avec Stéphane et son coin, ce soir-là. Le match était gagné. Ses hommes de coin auraient dû lui dire de se sauver de Dave. Mais ça, Stéphane, il ne l’a pas, il a fait ce qu’il sait faire : lancer ses mains rapides. Et elles sont très rapides, je le sais: j’ai mis les gants deux fois avec lui après ce combat (NDLR : une fois avant son combat contre Omar Sheika et la deuxième fois lorsqu’il se préparait à affronter Joachim Alcine). Donc, Stéphane perd du sang, beaucoup, et je vois que de round en round, il dépérit. Dave n’a pas plus de jus qu’en début de combat, mais c’est un guerrier… avec une mentalité de guerrier. Dave, si tu lui donnes un espoir de te vaincre, il va trouver de l’énergie. Je ne sais pas d’où elle lui est provenue, cette énergie, au douzième round, mais tout à coup, ça se met à sortir de partout, il est terriblement explosif.

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«j’ai été un peu déçu que la Régie ne m’appuie pas dans les journaux pour dire que

j’avais appliqué ses règlements à la lettre »

Ici, je dois parler du règlement du takedown dans les câbles, que j’avais déjà appliqué par le passé. C’est quelque chose qui n’est écrit nulle part, comme une règle que se sont donné les arbitres : si un boxeur est frappé solidement et que sans les câbles, il serait tombé par terre, l’arbitre peut, je dis bien peut, s’il le juge, donner un compte de huit au boxeur et ce, même s’il ne tombe pas par terre. Dans le cas de Ouellet, il reçoit les coups de Dave, il se réfugie dans le coin et se passe la tête entre les deux câbles – ce qui est interdit, car il refuse le match. J’aurais pu le punir pour ça, car il l’a fait volontairement; je veux dire, ce n’est pas à la suite d’un coup qu’il s’est retrouvé dans cette position. Mais Dave l’a tout de suite gelé complètement avec une bonne frappe. Et c’est pour cette raison seule que j’ai arrêté le combat : parce que Stéphane n’était plus en mesure de se défendre. Et, je le répète, je ne pouvais pas lui donner un compte car il s’était de lui-même placé la tête hors des câbles. Sur le ring, je ne sais pas combien de temps il reste mais ce n’est pas important, puisque mon premier boulot, comme troisième homme dans le ring, c’est de protéger le boxeur. Après le combat, j’ai su qu’il restait 20 secondes. Pour quelqu’un qui n’a jamais mis les gants, ça peut paraître court; mais quand tu es assommé, sur le bord d’une commotion cérébrale, ta vie est en danger. ZB: Et vous avez vu dans ses yeux qu’il était gelé, comme vous dites? DL: J’en ai eu la certitude dans le ring et quand j’ai vu la photo dans le Journal de Montréal le lendemain, c’était clair également : il était même congelé. Dans les secondes restantes, Dave aurait fait très mal à Stéphane, je me devais d’arrêter ce match.

ZB: Après le combat, vous avez essuyé des critiques pour cette décision. DL: Surtout de la part d’Yvon Michel. Mais je le comprends : c’est son boxeur, il paye pour la promotion du combat, il est analyste à la télévision, il contrôle à l’époque tous les journalistes… Stéphane, c’était notre futur champion du monde, il fallait qu’il sauve la face! Alors il m’a attaqué sur le fait que Stéphane avait perdu son protecteur buccal et sur le fait que j’aurais dû lui donner un compte. Il lui fallait un coupable. Pendant la retransmission du match, les analystes n’ont pas

critiqué ma décision, pas plus que la Régie d’ailleurs. Cela dit, je le répète, si je m’étais appelé Yvon Michel, j’aurais fait la même chose que lui. Là où je ne suis pas d’accord, cependant, c’est dans le fait qu’il a rapidement organisé un deuxième combat contre Dave, le gars qui venait de sacrer une volée à son poulain. C’est contre tous les principes! Il a plus agi en promoteur qu’en gérant cette fois-là. ZB: Donc, après toutes ces années, vous avez encore l’impression d’avoir donné la meilleure décision dans le ring? DL: Ce n’était pas la meilleure, c’était la seule. ZB: Vous n’avez que très peu arbitré en boxe par la suite, moins de cinq combats en plusieurs mois. Avez-vous été affecté par cette décision? DL: Premièrement, sais-tu combien j’ai été payé pour arbitrer le combat Ouellet-Hilton? Cent vingt-cinq dollars. Imposable. Tu comprendras alors que je le faisais surtout pour le trip que ça me donnait. Je dois dire aussi que j’ai été un peu déçu que la Régie ne m’appuie pas dans les journaux pour dire que j’avais appliqué ses règlements à la lettre. J’ai trouvé ça cheap. Bref, le jeu n’en valait plus la chandelle. Je ne tirais aucune gloire de mon métier d’arbitre, j’avais eu une belle carrière d’athlète, j’ai été champion canadien en taekwondo, je n’avais rien à prouver sur un ring. Je le faisais parce que j’aimais ça, point. Et il faut dire aussi que le dernier combat que j’ai arbitré m’avait laissé un goût amer. C’était une bataille entre deux poids lourds; le médecin, avant de commencer, m’avait dit de faire attention, vu que les boxeurs n’étaient pas en forme. J’avais cette directive en tête lorsque j’ai arrêté le combat, alors qu’un boxeur se faisait malmener sans néanmoins tomber. Les gens ne comprenaient pas cette décision, parce qu’ils ne savaient pas ce que je savais. Ça chialait pas mal dans les gradins. C’est là que j’ai décidé de laisser tomber. ZB: Êtes-vous demeuré attaché à la boxe après avoir pris votre retraite? DL: Bien sûr! Je m’entraîne encore cinq jours par semaine au gym Champion (NDLR : Denis Langlois a 60 ans).

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Denis Langlois, aujourd’hui âgé de 60 ans, s’entraîne encore cinq jours

par semaine au gymnase Champion. (photo François Couture)

L’arbitrage d’aujourd’hui ZB: J’aimerais avoir votre perspective d’arbitre sur la fin du combat entre Librado Andrade et Lucian Bute, notamment sur le travail de l’officiel Marlon Wright. DL: C’est encore une question d’application de règlement. J’en ai arbitré des combats et lors des comptes, c’est rare que les boxeurs adverses sont profondément dans le coin où on les assigne. Alors tu tolères un peu. Mais il n’y a rien d’écrit sur cette tolérance dans les règlements! Ce qui est marqué, c’est que le gars doit être dans le coin du ring et quand il n’y est pas, tu arrêtes de compter. That’s it. Tu reprends ton compte dès le moment où l’adversaire est à la bonne place. C’est ce qui est écrit dans les règlements. Moi, je me suis demandé pourquoi les journalistes n’avaient pas expliqué ça à leurs lecteurs, au lendemain du combat. Les règlements de la boxe sont simples : dans ce cas-ci, Andrade n’était pas dans son coin et Wright a cessé de compter. Personne ne peut chialer contre ça. Wright aurait-il pu donner un compte à Bute lorsque celui-ci s’est retrouvé dans les câbles sans tomber, quelques secondes avant sa chute au plancher? Peut-être, Mais c’est une décision de l’arbitre. Guy Jutras me l’a déjà dit : dans un aréna, l’arbitre est la personne la mieux placée pour voir l’action et l’état d’un boxeur. Ta perspective est complètement différente. Wright l’a jugé ainsi et il était dans son droit d’arbitre de le faire. A-t-il fait une erreur? Non. ZB: Que doit posséder un bon arbitre, selon vous, à part évidemment la maîtrise des règlements? DL: C’est drôle à dire, mais ça prend de la personnalité. Tu dois être le boss des règlements et de la sécurité. Il faut que les boxeurs te respectent. Ce n’est pas toi qui dois donner un spectacle, mais tu dois être très présent, toujours allumé. Je vois souvent des combats dans lesquels les arbitres sont très mal positionnés, par rapport à la vision qu’ils doivent avoir de l’action. C’est absolument inacceptable pour moi. ZB: En terminant, Monsieur Langlois, êtes-vous satisfait de l’état actuel de l’arbitrage en boxe? DL: En fait, je trouve qu’il y a en ce moment un gros problème en ce qui concerne l’arbitrage. L’application actuelle des règlements avantage les techniciens et les bagarreurs, de même que les boxeurs qui privilégient le corps-à-corps sont pénalisés. Ma suggestion? Dans les premiers rounds, on ne devrait jamais séparer les boxeurs. Ça peut sembler ridicule comme affirmation, mais depuis quelques années, les boxeurs lancent leurs coups et accrochent immédiatement après, car ils savent que l’arbitre va intervenir pour les décrocher. Auparavant, on laissait les boxeurs boxer. Tu sais, les boxeurs vont se bagarrer un peu et continuer à se battre si tu ne fais rien, ils ne resteront pas accrochés pendant trois minutes! Si tu les laisses aller, le technicien va travailler au corps, donner des uppercuts, travailler son gars, etc. Ça donnerait de plus beaux échanges et le combat serait très différent et sûrement plus captivant. Quand tu sais boxer, tu peux te décrocher tout seul. Si le gars accroche trop, tu lui enlèves un point, c’est dans le règlement. Avec les poids lourds, c’est rendu presque systématique : un coup, on accroche; un coup, on accroche… On réduit les dépenses d’énergie au maximum. Ça tue la boxe!

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Michelle Allen, auteure de la série (Photo Patrick Sanfaçon)

NDLR : Vous avez aimé la première saison de la télésérie Le 7e Round? Saviez-vous que le canevas de la seconde était écrit, mais malheureusement, elle n'a jamais été tournée. Trop curieux de savoir ce qui se serait passé, nous avons demandé à l’auteure Michelle Allen de nous raconter ce qui allait arriver à Karl Tozzi, Samuel Tremblay et les autres! Voici donc, le résumé de ce qui aurait été la seconde saison du 7e Round. Sachez que le coffret de la première (et unique saison) du 7e round est disponible sur les tablettes. Quelle belle idée-cadeau pour Noël, n’est-ce pas ?

Le 7e Round - An 2 Par Michelle Allen

L’an 1 se terminait sur Karl qui vient de remporter un titre de champion du monde. L’an 2 commence trois mois plus tard, immédiatement après que Karl a remporté son premier combat pour une défense de titre à Vegas. Il revient à Montréal avec une victoire éclatante en poche et une bourse d’un million. Il a prouvé à tous que sa victoire contre Janvier n’était pas un hasard ou un accident. Il est persuadé qu’il va se maintenir au sommet et que l’argent va continuer de couler à flots. La seule chose qu’il ne veut pas faire dans la vie, c’est devenir comme son père: mener une existence étriquée dans un gym de seconde zone. Inspiré par des trajectoires comme celle de La Hoya et de Roy Jones, il décide de prendre sa carrière en main. La première chose qu’il fait c’est de s’engager un gérant... Qui lui conseille de s’engager un avocat… qui lui conseille de s’engager un conseiller financier… Karl engage et paye, persuadé qu’un monde meilleur s’ouvre à lui. Il est bien résolu à profiter de la vie et à en faire profiter les gens qu’il aime. Il se fait construire une maison à la mesure de ses rêves et de ceux de Nancy. Il est d’autant plus fier qu’il a enfin remplacé Sigouin dans le cœur des Québécois. On lui a pardonné ses incartades : Tozzi le tueur, Tozzi le violeur, font maintenant partie du passé. Il parraine des tournois de golf, des campagnes de levée de fonds, des soirées bénéfices Son emploi du temps est chargé, on se l’arrache et il adore jouer le jeu. Sans s’en rendre compte, Karl perd contact avec l’âme de la boxe: vouloir se dépasser, progresser, rester

au sommet. C’est au moment où il croit avoir plus de contrôle sur sa vie qu’il en a le moins. Autour de lui, tout le monde sonne l’alarme de manière différente. Nick, qui se plaint de ne pas le voir assez au gym. Stéphanie, qui s’irrite de toujours devoir passer par l’un ou l’autre de ses conseillers. Samuel, qui a du mal à rejoindre son ami. Mais celle qui en souffre le plus, c’est Nancy. Que Karl soit un champion la laisse indifférente, ce qu’elle veut, c’est avoir à ses côtés un homme qui l’aime et qui est capable de le lui dire. Et un beau jour, elle trouve davantage de chaleur auprès de l’entrepreneur responsable de la construction de leur nouvelle maison qu’auprès de Karl. Pour Karl, c’est une véritable douche froide. Qu’il ait trompé Nancy à quelques reprises, c’est une chose. Qu’elle le trompe en retour, c’est inadmissible. Nancy ne s’abîme pas en regrets et en culpabilité. Le couple continue cahin-caha, jusqu’à ce que la séparation soit inévitable. Karl se réfugie dans ses activités mondaines et ses rêves de carrière, mais sa blessure est profonde. Aussi longtemps qu’il pouvait compter sur Nancy, il chérissait sa liberté. Le jour où il se retrouve seul, il n’en mène pas large. Perdre un contact

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Stéphanie démarre sa propre entreprise, JAB Inc. (photo site web SRC)

quotidien avec sa fille et renoncer à son projet de famille le bouleversent. Il se promène comme une âme en peine dans sa grande maison vide et essaie de s’étourdir… Jusqu’à ce qu’une fille vienne le challenger sur le ring au cours d’une démonstration publique. Nellie veut à tout prix échanger quelques coups avec lui. Karl affiche un petit sourire condescendant jusqu’à ce que Nellie lui envoie une droite qui compte. Karl est saisi: la fille est drôlement solide! Après la démonstration, elle lui remet une cassette de ses combats, en lui demandant de la présenter à Stéphanie. Persuadé qu’elle a besoin de lui, Karl la prend sous son aile. Auprès d’elle, il commence à oublier Nancy. Au moins, Nellie ne lui reproche pas les heures passées au gym et son régime maigre! Karl s’attache, sans réaliser qu’il n’est qu’une étape dans le plan de carrière de Nellie. Il la présente à Stéphanie qui montre peu d’intérêt. Il demande à Nick de s’occuper d’elle, ce que Nick fait à reculons d’autant plus qu’il voit clair dans le jeu de Nellie. Nick tente de mettre Karl en garde, mais Karl ne veut rien entendre. Karl finit par tomber amoureux. Mais Nellie est ambitieuse et libre comme le vent. Elle aime bien Karl, mais seule la boxe compte vraiment. Sans que Karl ne s’en rende compte, cette fille va devenir son mauvais génie.

***

Stéphanie commence à faire son deuil de Daniel. Elle a appris beaucoup de son séjour chez Proboxe et elle n’a aucune envie de répéter les mêmes erreurs. Oui, elle est prête à démarrer sa propre entreprise, JAB Inc., mais en évitant les excès mégalomaniaques de Proboxe. Elle va fonctionner à petite échelle. Pas de gym somptueux, pas de bureaux ultramodernes, pas d’uniforme à ses boxeurs pour donner l’illusion d’une grande famille. Elle mise sur le talent plutôt que sur les infrastructures. Avec Karl, elle peut envisager de gros combats, avec de grosses bourses. Mais pas question de mettre tous ses œufs dans le même panier. Elle va aussi investir sur le local. Organiser des cartes dans des petites salles, un peu partout dans la province, créer des vedettes qui jouissent d’un appui dans leur région. Elle voit tout ce qu’elle peut tirer d’un boxeur comme Samuel, par exemple. Elle n’en fera jamais un champion du monde, mais il vient de la région de Trois-Rivières. Pourquoi ne pas miser sur l’engouement de ses supporteurs? Stéphanie n’a pas de mal à trouver quelqu’un qui partage sa vision, Benoît Vandal, propriétaire d’une soixantaine de bars dans la province. Benoît est dans la jeune quarantaine, sympathique et franc. Il ne connaît pas grand-chose à la boxe, mais c’est un homme d’affaires avisé et il voit les avantages d’un partenariat avec Stéphanie. Il investit dans l’organisation de ses événements. Les combats sont diffusés en direct et en circuit fermé dans ses bars. Dès l’épisode 3, Stéphanie organise une carte locale dans laquelle va boxer Samuel. C’est également la première apparition publique de Nellie qui fait un tabac et surprend le public. Les relations de Stéphanie avec Proboxe sont chargées d’une sourde rancune. Depuis la défaite de Joël Janvier contre Karl (fin de l’an 1), Proboxe, dont Christian est resté le DG, fait pression pour que Karl accorde un combat revanche à Joël. Même si ce combat revanche pourrait être une extraordinaire affaire financière, Stéphanie résiste: elle ne pardonne pas à Antoine et à Christian la manière dont ils l’ont traitée et dont ils ont traité Daniel! Mais Kennedy, qui est toujours dans l’environnement de Stéphanie, insiste tant et si bien que Stéphanie finit par céder. La perspective d’une salle bondée, des profits de vente à la télé payante, finissent par avoir raison de ses réserves. Elle se dit que Janvier est un boxeur fatigué, en fin de carrière dont Karl ne devrait faire qu’une bouchée.

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Karl Tozzi et son père Nick (photo site web SRC)

C’est là que Stéphanie commet sa plus grande erreur: au lieu d’écouter son intuition, elle consent, persuadée que Kennedy ne peut ni se tromper, ni la tromper. Car entre Kennedy et Stéphanie, les liens se sont resserrés. Ils sont devenus amants. Mais Kennedy reste un prince charmant attentif, certes, mais aussi insaisissable qu’un courant d’air. Benoît a beau la courtiser d’une manière plus terre-à-terre, Stéphanie semble lui préférer l’absence relative de Kennedy. Elle finit par accorder à Proboxe un combat revanche, passant par-dessus les résistances de Karl – qui souhaiterait quelque chose de plus international – et la méfiance de Nick, qui s’inquiète des piètres performances de Karl au gym. Le combat revanche Janvier-Tozzi a lieu vers le 6e épisode et se solde par la victoire éclatante de Janvier. Karl rend tout le monde responsable de sa défaite. Ce qu’il refuse de voir, c’est que son rapport à la boxe à changé. Depuis qu’il est devenu champion, il a cessé de progresser. Karl est dévasté. C’est sa première défaite à vie! Back to square one! Pour JAB aussi, la défaite est lourde de conséquences. Karl n’est plus qu’un aspirant parmi d’autres et Stéphanie va devoir ramer fort pour lui trouver une autre chance d’avoir accès à un titre. Stéphanie aussi doit faire son examen de conscience. A-t-elle trop fait confiance à Kennedy? Aurait-elle dû écouter Nick davantage? Pour Stéphanie, la désillusion est cruelle.

*** Nick Tozzi est resté dans l’environnement étroit de Stéphanie. Il travaille dans un gym de quartier, continue à entraîner des boxeurs auxquels il croit: Karl évidemment, Samuel et quelques autres. Stéphanie lui propose de jouer un rôle plus

important de directeur technique ou de dépisteur, mais Nick est trop grognon, trop fidèle à ses vieilles habitudes pour élargir ses responsabilités. Par contre, il est une mine de renseignements, d’expérience et de bon sens inépuisable dont Stéphanie tire habilement et affectueusement parti. Il devient son bras droit et son principal conseiller. C’est Nick le premier qui sonne l’alarme au sujet du faible degré de préparation de Karl. C’est lui aussi qui tente de mettre Karl en garde contre Nellie. Quand Karl perd contre Janvier, il a la preuve que Nick avait raison: Nellie se désintéresse de lui pour se tourner vers la star montante de Proboxe, Raphaël.

C’est Nick qui aurait dû être dans le

coin de Karl au moment de son combat contre Janvier. Malheureusement, quelques jours avant, il a un accident de voiture et il se retrouve à l’hôpital, avec de multiples fractures et les poumons perforés. À quelques heures d’avis, Stéphanie demande à Samuel d’être dans le coin de Karl. Car Samuel a continué de développer ses compétences d’entraîneur. Il a un réel plaisir à s’occuper des jeunes et à les coacher. Samuel accepte de se retrouver dans le coin de Karl, pour un combat d’envergure, avec toute la pression qu’on imagine. La défaite de Karl est une immense déception pour lui. Quand Nick sort de l’hôpital, Karl a perdu et Nick s’en sent amèrement responsable. Nick traverse une période de profond découragement. Il ne sort plus de chez lui, ne se présente plus au gym. C’est Nellie qui vient le chercher. Elle a encore besoin de lui et de ses conseils. Ironiquement, c’est elle qui lui redonne le goût de vivre et qui redonne un sens à son travail d’entraîneur. Des liens se tissent entre eux. Elle devient la fille qu’il n’a pas eue. Au point où Karl devient jaloux de Nellie et met, à son tour, son père en garde contre elle!

***

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Samuel Tremblay, lorsqu’il a affronté le français Didier Gilbert dans la première saison,

joué par Jean Pascal (photo site web SRC)

À la fin de l’an 1, Samuel se fait arrêter pour le meurtre de Malcolm, meurtre qu’il n’a pas commis. Karine paye sa caution pour qu’il puisse sortir de prison en attendant son procès. On a attribué à Samuel un avocat d’office. Malheureusement quand celui-ci propose à Samuel de plaider un homicide involontaire et de faire une entente avec les autorités pour écourter sa peine, Samuel proteste à hauts cris! Il est INNOCENT, pourquoi plaiderait-il coupable? Karine lui offre de demander à son ancien amoureux, un criminaliste, – celui de sa peine d’amour de l’an 1 – de prendre en charge la défense de Samuel. Samuel, fier, refuse. Pas question d’accepter la charité de l’ex de Karine! Jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il ne s’en tirera jamais autrement. Pour Samuel, c’est une descente aux enfers. Samuel continue de s’entraîner dur en attendant son procès. Au moins, maigre consolation, Stéphanie, qui l’a mis sous contrat, le fait boxer. Dans le gym, Nick lui demande souvent de lui donner un coup de main avec les plus jeunes. Cette activité d’entraîneur lui fait du bien. Le plus grand nuage dans son ciel, c’est cette accusation de meurtre qui plane sur lui. Il ne cesse de se poser la question: QUI a tué Malcolm? La réponse tant désirée arrive comme un coup de poignard quand Marion vient lui avouer que c’est elle. Elle s’est rendue sur les lieux où Samuel l’avait tabassé et elle a tiré sur lui avec l’arme que Jeff avait en sa possession. Jeff était présent. Marion, qui porte cette faute comme un poids terrible sur sa conscience, ne peut plus supporter que son frère soit accusé à sa place. Elle veut aller voir les autorités et se dénoncer. Pour Samuel, c’est inadmissible. Il préfère mille fois prendre le crime sur lui, subir son procès, quitte à faire de la prison, que de laisser sa sœur subir les conséquences de son geste. Les choses se compliquent quand Samuel comprend qu’il n’est pas le seul à être au courant de la vérité: Jeff, en panique, a laissé échapper son secret devant Blanchette qui attend son heure. Le jour où Blanchette apprend que Samuel va se retrouver dans le coin de Karl pour son combat revanche contre Janvier, Blanchette sait que le temps est venu. Savoir que Marion a tué Malcolm et pouvoir la dénoncer est un merveilleux levier pour essayer d’impliquer Samuel dans une histoire pas du tout honnête. Comment Samuel va-t-il réagir?

*** Du côté de Proboxe. Christian a réussi à regagner la confiance d’Antoine qui a décidé de maintenir son investissement dans la compagnie. Il mise beaucoup sur un combat revanche Tozzi-Janvier et use de tout son pouvoir de persuasion auprès de Kennedy. La victoire de Janvier est une immense satisfaction pour lui, mais Janvier prend sa retraite, au sommet de la gloire. Christian est toujours à la recherche DU boxeur qu’il va pouvoir transformer en champion. Le jour où Raphaël débarque dans le gym pour rejoindre son cousin qui s’y entraîne, il sait qu’il a trouvé celui qu’il cherchait. Raphaël n’est pas encore un boxeur mais un bagarreur. Il a tout à apprendre, mais il est affamé. Il a besoin de devenir champion, il a besoin de se sortir de sa condition, il a besoin de devenir quelqu’un. C’est avec cette énergie-là qu’il se bat (le choix de Raphaël devra être fait en fonction des acteurs disponibles capables de boxer!)

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Janvier prend sa retraite, au sommet de la gloire. (photo site web SRC)

Raphaël n’a jamais mis les gants de sa vie, mais il est indomptable, passionné, intense. Christian va travailler très fort pour le sortir de son milieu et l’aider. Il va devoir jouer au père, au mentor, au grand frère, au guide. Christian est toujours en lien avec Ève. Il cherche toujours à la convaincre de racheter une partie des parts d’Antoine. Quand il découvre Raphaël, il a hâte de le lui présenter comme le nouveau Louis Sigouin! Dès qu’Ève le voit, elle sait qu’effectivement ce gars-là est un jeune lion. Il a tout ce que Louis avait. Il risque de devenir le prochain Louis, pas juste sur le ring mais dans son cœur. Car Ève est essentiellement une femme de boxeur. Elle tombe amoureuse de Raphaël, même s’il a une bonne dizaine d’années de moins qu’elle. Vers le 6e épisode, Raphaël devient champion canadien. Il se retrouve là où Karl était au début de l’an 1. Tout le monde s’entend pour dire que c’est une étoile montante. Son rêve n’est pas seulement de gagner une ceinture, mais de faire l’histoire. Dès qu’il le peut, Raphaël met Karl au défi. Systématiquement, il le provoque par médias et journalistes interposés. Son ambition, son désir de se tailler sa place sont immenses. Et contrairement à Karl, il n’a pas de mal à se lever de bonne heure pour aller s’entraîner. Christian sait qu’il a entre les mains un pur-sang. Mais le lien étroit qu’Ève entretient avec Raphaël finit par le déranger. Quand il comprend qu’Ève est vraiment amoureuse de Raphaël, il devient de moins en moins capable de l’entraîner. Tout ce qu’il veut c’est qu’il se fasse casser la gueule! Même Antoine le remarque. C’est à ce moment que Christian décide d’aller chercher Samuel. Sa réputation comme entraîneur commence à se faire. Samuel est tenté. Aller travailler pour Proboxe? Pourquoi pas? Pour lui, c’est la possibilité de voler de ses propres ailes, d’avoir un véritable boulot payé, de cesser d’être dans l’ombre de Nick et d’être le souffre-douleur de Karl. La pression médiatique pour que Karl et Raphaël se rencontrent sur un ring devient de plus en plus forte. Mais pas question pour Stéphanie de refaire l’erreur qu’elle a faite avec Janvier-Tozzi! Elle continue de négocier sur la scène internationale d’éventuels adversaires pour Karl et cherche à le remettre dans le circuit. Elle finit même par lui négocier un combat éliminatoire ! La rivalité entre les deux boxeurs ne cesse d’augmenter. Elle est professionnelle et idéologique jusqu’à ce que Nellie vienne mettre le feu aux poudres. Depuis sa défaite contre Janvier, elle s’est progressivement désintéressée de Karl. Le jour où elle s’affiche avec Raphaël, Karl pète un plomb. Malgré toutes ses bonnes résolutions, son sang ne fait qu’un tour. C’est un émotif et il vient mettre Raphaël au défi dans le gym de Proboxe. Raphaël prend son défi au sérieux. En l’espace de quelques heures, les cellulaires et les messages textes ont fait leur travail et le gymnase de Proboxe se remplit. Tout le monde veut assister au combat clandestin des deux jeunes loups.

***

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Le combat clandestin qui oppose Karl et Raphaël va se dérouler selon les anciennes règles de la boxe. Il va durer jusqu’à ce qu’un seul des deux gars reste debout. Dans l’atmosphère surchauffée du gym plein à craquer, en pleine nuit, à quelques semaines de leurs combats officiels habilement négociés par leurs promoteurs, les deux gars vont s’affronter. Pour zéro sou, seulement l’honneur. Nous serons au cœur de ce rituel primitif et empreint de noblesse : the last man standing… Et au 7e round, Stéphanie, qui a eu vent de l’affaire, fait irruption dans le gym et constate avec stupéfaction ce que son poulain est en train de faire. (Note: L’an 2 pourrait se terminer avant la fin du combat. Pour en connaître l’issue, il faudrait acheter le coffret de la saison 2!)

Le coffret DVD de la première saison. (photo Pixcom)

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Duguay (à gauche) avec son boxeur professionnel poids lourd, Éric Martel-Bahoéli

et Jean Zewski. (photo Stéphane Lalonde)

La boxe et moi est une chronique où nous demandons à une personnalité du milieu de nous expliquer comment est née son histoire d’amour avec la boxe. Pour ce numéro-ci, nous avons pensez offrir la plume à François Duguay, entraîneur en boxe olympique et professionnelle.

La boxe et moi Par François Duguay

Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé la boxe. Le boxeur qui m'a le plus marqué est Muhammad Ali. Comme je le trouvais gracieux, arrogant et spectaculaire! J'étais fasciné par cet athlète et par la boxe en général. Le plus beau cadeau de Noël que j'ai reçu de mon père Marcel et de ma mère Gisèle fut une paire de gants de boxe rouge comme Ali! Enfin, une paire pour moi et une paire pour mon frère Jean… il fallait bien que j'aie un adversaire! J'en ai mangé des volées, mais mon frère de quatre ans mon aîné faisait seulement cela pour endurcir son petit frère, c'était légitime. En 1976, aux Jeux olympiques de Montréal, la boxe était au programme. J’ai découvert Sugar Ray Leonard… Finalement, il n’y avait pas juste Ali! Avec mes deux paires de gants de boxe, je pouvais maintenant organiser mes propres Jeux olympiques. J'étais à la fois boxeur, matchmaker, juge et arbitre. Mes boxeurs étaient mes cousins Denis et Claude Nadeau, Michel Desjardins, mes amis Sylvain Renaud et les jumeaux François et Francis Beauregard. Que de beaux souvenirs!!! Les débuts comme boxeur et entraîneur Mes débuts en boxe olympique se sont déroulés à Drummondville, en 1980, avec mes amis Martin Coté, Donald Cadran, Alain Houle et Éric Grenier, sous la gouverne de Denis Chapdelaine. À Montréal, j’ai poursuivi avec Monsieur Sylvain Gagnon. À cette époque, il y avait un jeune qui faisait ses débuts au même club que moi, le club Georges Vernot. Son nom : Éric Lucas… Ce jeune allait plusieurs années plus tard me faire vivre mes plus beaux moments dans le monde de la boxe. Je faisais partie de son équipe d’entraîneurs lors de ses grands moments. Étant un boxeur plutôt moyen, ma carrière de boxeur a pris fin en 1987. Mais la boxe était toujours là, présente dans ma vie.

Lorsqu'on m'offrit le poste d'entraîneur-chef à Drummondville, en 1992, j'ai sauté sur l'occasion. Je compris qu’on pouvait aussi vivre sa passion en étant entraîneur. Mais habiter à Drummondville, travailler à Montréal et accueillir un premier enfant tout en étant entraîneur, c'était trop exigeant. J'ai du céder mon poste au club de boxe. Un privilégié Nous sommes en 1999, au Centre Claude-Robillard à Montréal. Je dois me remettre en forme! La boxe, toujours la boxe! Il y a là un monsieur qui s’appelle Abe Pervin. Je l’avais connu dans les années 80, il était entraîneur de mon ami Derek Kulibaba. J'étais impressionné par cet homme. J'ai demandé à mon pote Stéphan Larouche s’il n'avait pas besoin d'aide

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au gymnase; il m'a suggéré de demander à Abe Pervin. Et c’était reparti! Que du bonheur! Me voilà avec les grands de la boxe : Yvon Michel, Stéphan Larouche, Abe Pervin, Bernard Barré et Éric Lucas. J’ai beaucoup appris avec Stephan Larouche, sur la préparation des athlètes, sur les camps d'entraînement, sur les championnats du monde. J'ai aussi progressé en tant qu'entraîneur en côtoyant des gars comme Marc Ramsay, Pierre Bouchard, Marc Seyer, Mike Moffa et Jean Zewski, pour ne nommer que ceux-là. Je suis comme une éponge, j'apprends à chaque jour! J'ai eu la chance et j'ai encore la chance d'être entraîneur de l'équipe nationale en boxe olympique. J'observe les entraîneurs des autres pays et j'apprends encore. Je suis un privilégié du monde de la boxe. Aujourd'hui, j'ai mon propre club de boxe à Québec, le Club de boxe Empire, et j'en suis très fier. Si vous passez par Québec, venez donc faire un petit tour. Merci encore, Muhammad Ali, de la part d’un p'tit cul de Villeray à Montréal qui se nomme François Duguay.

François Duguay (à droite) fier de son boxeur Pier Olivier Côté qui vient de remporter

le titre canadien contre Jason Hayward. (photo Stéphane Lalonde)

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Réouverture du légendaire 5th Street Gym d’Angelo Dundee

Par Benoit Dussault

Notre collaborateur Benoit Dussault, savourant un cigare avec Bert Sugar! (photo Benoit Dussault)

Entre 1950 et 1992, Angelo Dundee a formé plus de quinze champions du monde dans son célèbre gymnase de Miami Beach. Le vieil édifice a été fermé en 1992 et démoli l’année suivante. Dix-huit ans plus tard, Tom Tsatas, Dino Spencer et Matt Baiamonte ont fait le pari de faire revivre cette vénérable institution avec la bénédiction d’Angelo Dundee et de son fils Jimmy. Le 23 septembre dernier avait lieu en grande pompe la réouverture officielle. Plusieurs personnalités du monde de la boxe tenaient à être présentes pour souligner cet évènement. Parmi eux, Le Plus Grand de tous les temps, Muhammad Ali. Angelo Dundee, le docteur Freddie Pacheco, Emanuel Stewart et Bert Sugar, ainsi que nombreux boxeurs actifs et retraités, étaient aussi présents.

Quand la chance vous sourit

Le 23 septembre, le jour de l’inauguration de la deuxième génération du 5th Street Gym, j’avais la chance de me trouver en Floride pour couvrir le camp d’entraînement de Lucian Bute et d’Adrian Diaconu en vue de leur combat du 15 octobre

Le soir précédant l’inauguration, l’entraîneur d’Interbox, Stephan Larouche, m’invite à me joindre à son équipe qui est invitée aux cérémonies. Déjà que de passer deux jours en compagnie de Lucian Bute et d’Adrian Diaconu représentait un très grand moment pour le reporter amateur de boxe que je suis; rencontrer Ali, Le Plus Grand de tous les temps, et son entraîneur Angelo Dundee était tout aussi extraordinaire qu’inattendu.

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La journée de l’inauguration, le relationniste d’Interbox m’informe en début d’après-midi que le clan Bute n’y assistera finalement pas puisque les boxeurs ont beaucoup travaillé et qu’ils ont besoin d’une bonne nuit de sommeil avant les douze rounds de sparring prévues le vendredi matin. Je suis tout aussi impressionné par leur sérieux à l’entraînement que déçu de passer à côté d’une si belle opportunité. Je décide tout de même de me rendre sur place et de tenter ma chance. Je me présente au coin de la 5e rue et de Washington vers 17h, soit deux heures d’avance, question de repérer les lieux et de souper dans un bon petit restaurant.

À mon grand étonnement, un important attroupement s’est déjà formé devant les portes du gymnase, y compris trois camions de reportages télévisés sont présents. En posant quelques questions autour de moi, je réalise que les médias accrédités sont autorisés à entrer dès maintenant pour une pré-visite et une rencontre avec Angelo Dundee. Bien entendu, mon nom n’apparaît pas sur la liste des médias accrédités et encore moins sur celle des invités d’honneur. Qu’à cela ne tienne, je suis tout à fait disposé à me faire passer pour Stephan Larouche ou Adrian Diaconu! J’appelle le relationniste d’Interbox pour m’assurer des noms qui devraient apparaître sur la liste des invités. Comble de malheur, Stephan Larouche, en garçon bien élevé qu’il est, a déjà appelé les responsables de la soirée pour s’excuser de ne pas pouvoir y aller. Leurs noms ont donc probablement été rayés de la liste!

Je décide de jouer la carte de la franchise et explique ma situation à celui qui semble être le principal responsable. Après de longues minutes de discussion et de nombreux va-et-vient, il me remet enfin une accréditation en me disant « This is your lucky day! » et me laisse entrer dans le nouveau temple de la boxe.

Les invités

Assis au bord du ring au fond du gymnase, Angelo Dundee est entouré d’une dizaine de journalistes. Malgré ses 89 ans, il déborde encore d’énergie et a la tête toujours pleine de projets : «C’est merveilleux ce qui arrive, mais vous savez, il ne faut pas être nostalgique. Il faut vivre le moment présent. Nous devons former de bons boxeurs maintenant pour les Américains, des poids lourds pour faire beaucoup de bruit. Je veux faire partie de ça! »

Petit à petit, les invités arrivent et se dirigent immédiatement vers Dundee pour le serrer dans leurs bras : Emanuel Stewart, Bert Sugar, Shannon Briggs, George Chuvalo, Pinklon Thomas, Yuriorkis Gamboa, Fres Oquendo, David Estrada et plusieurs autres que je ne saurais nommer.

Le légendaire Angelo Dundee , aujourd’hui âgé de 89 ans. (photo Benoit Dussault)

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Lorsqu’on demande à Dundee où est Ali? Il répond simplement : «Il m’a dit qu’il viendrait, alors il viendra.» Vers 21 h 30, le maître de cérémonie informe les invités de l’arrivée imminente d’Ali, et les avertit formellement : pas de photos, pas de caméra, pas de cellulaire. Les invités se mettent alors spontanément à scander « ALI Bomaye! ALI Bomaye! ALI Bomaye! » Ali apparait enfin par une porte de service au fond du gymnase, avance d’un pas chancelant et agite faiblement la main. Il s’assoit immédiatement à côté de Dundee sans enlever ses lunettes fumées noires. Il restera environ une heure, portant un regard absent sur un livre surdimensionné intitulé GOAT1 (Greatest Of All Time) pendant que sa belle-fille tourne les pages pour lui. Tous les invités éprouvent un certain malaise devant ce héros si affaibli, si diminué. Pourtant, tous savent qu’Ali, même malade et grandement amoindri, est un géant parmi les géants.

Un peu d’histoire

C'est en 1950 que le plus célèbre gymnase de boxe a ouvert ses portes au coin de la 5e rue et de Washington dans le quartier South Beach à Miami Beach.

Au début des années 50, l’arrivée de la télévision vide les salles de boxe. Les amateurs préfèrent regarder gratuitement les combats au petit écran, même le Madison Square Garden de New York n’arrive plus à attirer les foules. Les boxeurs sont uniquement payés avec les recettes au guichet. La vie est de plus en difficile pour les boxeurs et les entraîneurs. C’est dans ce climat que le jeune Angelo Dundee décide de laisser le célèbre Stillman Gym de New York pour rejoindre son frère Chris, promoteur et gérant de l’Auditorium de Miami Beach. Chris Dundee est déjà clairement reconnu comme l’homme de main de la famille Palermo et est très près du mafieux Frankie Carbo. Il organise des galas de boxe et de lutte tous les jeudis soirs à l’auditorium de Miami Beach. Il recrute la plupart de ses boxeurs dans l’île voisine de Cuba et les ramène à Miami pour que son frère Angelo les entraîne.

Une citation du grand Ali à propos de Dundee. (photo Benoit Dussault)

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Angelo, fatigué de faire la navette entre Miami et Miami Beach, demande à son frère Chris d’ouvrir un gymnase de boxe à Miami Beach. C’est ainsi que Chris et Angelo fondent, au coin de la 5e rue et de Washington, le 5th Street Gym. La salle, située au-dessus d’une pharmacie, est dans un état pitoyable : les murs sont troués, les termites mangent le plancher à une vitesse hallucinante et les tuyaux de fortune qui servent de douches bloquent presque à tout coup et dégouttent inévitablement sur les clients de la pharmacie.

Angelo Dundee entraîne du matin au soir les boxeurs que lui confie son frère et s’occupe de remettre le gymnase dans un état acceptable. Il couvre les trous dans les murs avec des affiches de combats prestigieux et remplace les bouts de plancher mangés par les termites au fur et à mesure.

Jusqu’au début des années 60, la ville de Miami Beach a un règlement qui interdit aux Noirs de circuler entre le coucher et le lever du soleil. Les boxeurs noirs doivent donc retourner à Miami tous les jours avant la tombée de la nuit. « … [J]e me rappelle encore les temps pas tellement lointains où j’ai commencé à m’entraîner à Miami. Alors, aucun hôtel du Beach n’acceptait de clients noirs, qu’ils s’appellent Cassius Clay ou Sarah Vaughn, pas plus que les innombrables voyageurs noirs qui devaient se rabattre sur l’hôtel George Washington Carver à Miami même. Je ne pouvais aller à Miami Beach que pour m’entraîner et au début même le drugstore au sous-sol de la salle de la 5e Rue refusait de laisser les Noirs manger au comptoir2. » – Muhammad Ali

Malgré son état lamentable, le gymnase se forge une réputation enviable. Surnommé « Oz », le 5th Street devient une véritable université de la boxe. Plusieurs boxeurs de New York viennent y rejoindre Dundee. Parmi eux, Carmen Basilio qui deviendra le premier des quinze champions du monde que formera Angelo Dundee. Suivront Willie Pastrano, Kid Gavilan, Jimmy Ellis, Ezzard Charles, Rocky Marciano, Willie Pep, Carlos Ortiz, Adilson Rodriguez, José Nàpoles, Ralph Dupas, Sugar Ramos, Michael Nunn, Pinklon Thomas, Slobodan Kacar et Muhammed Ali. Sans compter tous ceux qui s’y sont entraînés sporadiquement comme Rocky Marciano, Joe Louis, Sonny Liston, George Foreman, Floyd Patterson pour ne nommer que des lourds.

C’est en décembre 1960, quelques jours avant son deuxième combat professionnel que Cassius Clay s’installe en Floride pour travailler avec Angelo Dundee, délaissant Archie Moore, son premier entraîneur chez les pros avec qui il ne s’entend plus. Leur association durera jusqu’à la retraite d’Ali en 1975.

Entre 1960 et 1975, période de bouleversements profonds en Occident, le gymnase de Miami Beach devient rapidement un symbole presque mythique de ce changement. Non seulement tous les touristes s’y arrêtent pour voir Ali « la grande gueule », mais les politiciens et les vedettes de l’heure qui débarquent à Miami Beach se font aussi un devoir de passer au gymnase l’instant d’une photo : Les Beatles, Malcolm X, Joe Namath, Jackie Gleason, Sean Connery, Frank Sinatra et tutti quanti. Qu’importe leur nom ou leur statut, les ordres d’Angelo Dundee sont clairs : chacun doit débourser 50 cents simplement pour s’approcher de l’enceinte légendaire.

Le nouveau 5th Street Gym

L’édifice qui abrite le gymnase de 1950 à 1992 est complètement rasé en 1993. Un édifice à bureaux de six étages est bâti quelques années plus tard. C’est en voyant une affiche « local à louer » il y a un an que Tom Tsatas a eu l’idée de recréer le «OZ ». L’entrée du gymnase se fait maintenant par la rue Washington. Une plaque commémorative rappelle l’endroit où se trouvait l’entrée originale.

Le gymnase d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui qu’ont connu Ali et les frères Dundee, même si tout le décor est fait en fonction de nous ramener aux belles années du gymnase. On se croirait presque dans un musée à la gloire d’Ali. Les murs sont placardés de photos des champions, mais surtout d’Ali. De célèbres citations d’Ali et de Dundee sont peintes sur les murs, des artefacts de boxe des années 60 sont disposés un peu partout. Des douches modernes ont remplacé les boyaux de jardin, un plancher de bois franc ceint le superbe ring de 15 pieds sur 15 pieds recouvert d’un canevas bleu marine.

Les nouveaux propriétaires ont l’intention de recréer l’ambiance d’antan et veulent y former de futurs champions. Ils espèrent attirer les plus grands boxeurs et, signe des temps, les meilleurs athlètes en arts martiaux mixtes.

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Questionné à savoir s’il déménagerait le prochain camp d’entraînement de Lucian Bute de Miami à Miami Beach, Stephan Larouche s’est contenté de sourire du sourire de l’enfant à qui rêve à Walt Disney.

1. GOAT : A tribute to Muhammad Ali, Collector’s edition. Taschen editors. 792 p. 4 500 $ 2 Le plus grand. Muhammad Ali et Richard Durham. Gallimard. Page 340

Références :

- Tales from the 5th Street Gym. Ali, the Dundees, and Miami's Golden Age of Boxing. Doctor Freddie Pacheco. University Press of Florida

- My view from the corner. A life in boxing. Angelo Dundee et Bert Randolph Sugar. McGraw Hil. 2008 - Le plus grand. Muhammad Ali et Richard Durham. Gallimard

Une photo vaut mille mots… (photo Benoit Dussault)

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