La ville sans urbanistes ? Urbanisme tactique en Amérique du Nord. Mémoire de stage (master2)

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LA VILLE SANS URBANISTES ? Urbanisme Tactique En Amérique du Nord : Une Etude De Cas Artiviste à Toronto Rémi Crombez Mémoire de fin d’études Année 2013-2014 MASTER de Sciences et Technologies, Mention Aménagement, Urbanisme et Développement des Territoires Spécialité : Ville et Projet Parcours : Projet Urbain Sous la direction de Maryvonne Prévot www.stepsinitiative.com

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Ce mémoire s’intéresse aux nouveaux activismes urbains qui sont apparus avec l’urbanisme tactique dans les villes d’Amérique du Nord. Les habitants interviennent directement sur leur environnement avec des aménagements légers, temporaires et flexibles. Ces interventions tactiques remettent en question la capacité de la planification urbaine traditionnelle à répondre aux attentes des habitants. Il se dessine alors une mutation du rôle de l’urbaniste vers une nouvelle forme de médiation urbaine qui n’invite plus seulement les citadins à donner leur avis mais à s’investir dans la conception et la réalisation d’un projet commun. Si les perspectives semblent enthousiasmantes, l’urbanisme tactique s’inscrit néanmoins dans un contexte de crise des ressources financières et d’économie urbaine néo-libérale. Son rôle moteur dans la gentrification des quartiers est d’or et déjà perceptible.

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LA VILLE SANS URBANISTES ?

Urbanisme Tactique En Amérique du Nord :

Une Etude De Cas Artiviste à Toronto

Rémi Crombez Mémoire de fin d’études

Année 2013-2014

MASTER de Sciences et Technologies, Mention Aménagement, Urbanisme et Développement des Territoires Spécialité : Ville et Projet Parcours : Projet Urbain

Sous la direction de Maryvonne Prévot

www.stepsinitiative.com

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SOMMAIRE REMERCIEMENTS ............................................................................................................................ 4  INTRODUCTION ............................................................................................................................... 5 PARTIE 1 Un activisme urbain ............................................................................................. 8  

1.1 : Qu’est-ce que l’urbanisme tactique ? ............................................................. 10  1.1.1 : Une jeunesse urbanophile et connectée dans une ville en crise économique ................ 10  1.1.2 : …qui remet en cause la planification classique du développement urbain ................. 11  1.1.3 : Un activisme urbain dépolitisé ................................................................ 12  1.1.4 : Des interventions de court-terme… ......................................................... 13  1.1.5 : …avec un impact de long terme .............................................................. 14  1.1.6 : Une flexibilité d’intervention et un impact sur la vie quotidienne ........................... 16  1.1.7 : Une approche bottom-up pour un empowerment citoyen ..................................... 18  

1.2 : Des penseurs Européens aux activistes Nord-Américains, approche théorique de l’urbanisme tactique ................................................................................................... 21  

1.2.1 : Henri Lefebvre, la théorie marxiste de l’espace vécu ......................................... 21  1.2.2 : Les situationnistes et la réinvention du quotidien ........................................... 22  1.2.3 : Michel de Certeau et Jurgen Habermas : transformer le réel par la tactique ............... 23  1.2.4 : Kevin Lynch, Jane Jacobs et William Whyte : l’humain d’abord .............................. 24  1.2.5 : Le placemaking et le Congress for New Urbanism ............................................ 25  

1.3 : L’ARTivisme de STEPS initiative : une forme de tactique urbaine ? ............................. 26  1.3.1 : L’art comme outil de la ville conviviale ........................................................ 26  1.3.2 : Un art contextuel qui propose une critique dans l’espace public ............................ 27  1.3.3 : De l’art urbain à l’ARTivisme : vers une médiation urbaine artistique ....................... 28

PARTIE 2 Quel rôle dans la planification urbaine ? .................................................... 32  

2.1 : Quelle articulation planification / urbanisme tactique ? .......................................... 34  2.1.1 : Du laboratoire expérimental… ............................................................... 34  2.1.2 : … à la pérennisation ......................................................................... 35  2.1.3 : Un vecteur d’intensité urbaine ................................................................ 36  2.1.3 : Vers une consultation citoyenne collaborative ? ............................................. 37  2.1.4 : Le soutien de la population locale et le renforcement de la cohésion sociale ............... 38  2.1.5 : Un outil d’éducation urbaine .................................................................. 38  

2.2 : L’adaptation des procédures administratives : vers un lean urbanism ? ........................ 39  2.2.1 : Le management du risque ..................................................................... 39  2.2.2 : La difficulté de faire émerger des initiatives face à des règlements pesants ............... 39  2.2.3 : Qu’est ce que le lean urbanism project ? .................................................... 40  2.2.4 : Favoriser des projets spontanés par la flexibilité ............................................ 41  

2.3 : Vers la professionnalisation des activistes ? ..................................................... 42  

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2.3.1 : Une coopération entre activistes et institutions ............................................. 42  2.3.2 : Une remise en cause du métier d’urbaniste ? ............................................... 43  2.3.3 : Une professionnalisation des activistes ? ................................................... 44  2.3.4 : L’enjeu de l’évaluation des impacts sociaux ................................................. 45  2.3.4 : Un rééquilibrage des rôles .................................................................... 46  2.3.5 : Les urbanistes de la ville open-source et collaborative ? ................................... 46

PARTIE 3 Un regard critique .............................................................................................. 48  

3.1 : L’urbanisme tactique au service d’une économie néo libérale .................................... 50  3.1.1 : L’aveu de l’impuissance des pouvoirs publics ................................................. 50  3.1.3 : Quand la stratégie s’empare de la tactique ................................................... 50  3.1.2 : La tactique au service de la ville créative et du néo libéralisme ............................. 51  

3.2 : L’urbanisme tactique, un hobbie de hipster ? .................................................... 52  3.2.1 : Un profil d’activiste homogène ................................................................ 52  3.2.2 : La tactique : un outil au service de la de gentrification ? .................................. 53  3.2.3 : Vers un darwinisme urbain ? ................................................................. 54  3.2.5 : La tactique urbaine n’est pas une solution miracle .......................................... 54

CONCLUSION ................................................................................................................................ 56  BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 58  

   

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REMERCIEMENTS Je remercie en premier lieu mes parents qui m’ont soutenu tout au long de cette aventure canadienne. Merci à camarades de promotion, pour leur soutien et leur amitié à longue distance. Merci à Maryvonne Prévot pour ses encouragements. Merci à Mojan Jianfar pour m’avoir guidé durant le stage Merci à toute l’équipe de STEPS initiative pour m’avoir fait partagé leurs projets et leurs ambitions durant ces quelques mois.    

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INTRODUCTION

Qu’est-ce qu’être urbaniste ? C’est l’une des interrogations fondamentales pour tout étudiant en urbanisme. L’urbaniste est-il le grand chef en capacité de projeter sur plan le devenir de la ville ? Est-il le rigoureux spécialiste de la rédaction, de l’analyse et de la compréhension des règlements et des législations d’aménagement ? Est-il l’animateur de proximité capable d’attirer l’attention des habitants sur un projet de développement? Ou encore, est-il le fin négociateur capable de concilier les intérêts aussi divergeant que contradictoires des différents acteurs concernés par les projets ? Qui sommes nous, les urbanistes ? Si ce mémoire n’a pas pour ambition de répondre à cette question, il prétend néanmoins nourrir la réflexion en proposant un point de vue sur une méthode très particulière de faire la ville : l’urbanisme tactique. La complexité de la question urbaine, du fait de la multiplication des enjeux et des intérêts en présence, a fait émerger un système de lois, de règlements, de procédures, de codes chargés, sous le sceau de l’exigence démocratique, de veiller au maintien de l’intérêt général. L’urbaniste-planificateur est alors, du fait de sa formation et de ses connaissances, le seul en mesure de déchiffrer et de manipuler ces différents outils pour mener à terme des projets de développement urbain. La complexité est à ce point évidente que seul un professionnel semble en mesure de l’appréhender. Ainsi l’apparition d’une profession chargée de traduire la structure complexe des projets auprès des habitants lors de réunions publiques pourrait être interprétée comme le signal d’un fossé durablement creusé entre les usagers de la ville et ses concepteurs. Pour remédier à cela, l’urbanisme tactique a pour ambition de réveiller l’urbaniste qui sommeille en chaque citadin. Et si chaque citoyen avait le pouvoir et la capacité d’agir matériellement sur son environnement pour rendre celui-ci plus agréable à vivre et donc par conséquent plus attractif ? A quoi sert-il d’attendre que les autorités répondent à des aspirations quand celles-ci peuvent être satisfaites rapidement, efficacement et joyeusement ? C’est sans doute la question que s’est posée Mark Lakeman lorsque, en 1996, il décide de mobiliser les habitants de son quartier résidentiel de Portland (USA) pour repeindre tout en fantaisies et en couleurs une intersection routière, installer des jeux pour enfants et du mobilier urbain à proximité. L’aspiration à une vie sociale de quartier stimulante, jusqu’alors obstruée par la domination de la voiture et l’absence d’espace public digne de ce nom, s’est traduite par une participation enthousiaste des résidents à ce qui pourrait ressembler à une conquête festive et créative d’espace public. Quelques pinceaux et pots de peintures partagés, des bancs, des chaises installés sur la chaussée, un petit stand thé artisanal… En quelques heures, Mark Lakeman et ses voisins transformèrent spontanément un espace de circulation routière en un lieu d’échanges, de partage et de fête, au vu et au su des autorités de la ville.

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Figure 1 : Intersection Repair à Portland Source : daily.sightline.org

Ainsi, l’urbanisme tactique s’attache à démontrer que chaque citadin possède la capacité d’agir directement sur son environnement, non pas en son nom propre, mais au nom d’intérêts partagés avec d’autres membres de sa communauté. A première vue, cette perspective remet en cause le rôle central des institutions publiques dans la régulation et la maîtrise de l’espace public, missions généralement confiées à un urbaniste. Or la conquête de l’intersection par Mark Lakeman et ses voisins a amené les autorités de la ville de Portland à soutenir ce type d’intervention à travers un décret municipal autorisant officiellement les habitants à développer librement de nouveaux espaces publics sur certaines intersections routières. Une initiative citoyenne est donc devenue une composante d’une politique municipale d’animation, de gestion et de création d’espace public. L’apparent antagonisme entre la planification des urbanistes et l’intervention des citoyens pourrait-il se transformer en coopération ? Est-ce là le début d’une évolution des pratiques de la planification urbaine ? « Improving the livablitity of our towns and cities… » tel est l’objectif de l’urbanisme tactique tel que formulé par l’un de ses « pères fondateurs », l’urbaniste américain Mike Lydon. L’absence de traduction officielle pour le néologisme anglophone livability, dont la définition la plus proche pourrait être celle de cadre de vie, est un indice du contexte urbain Nord-Américain dans lequel l’urbanisme tactique est apparu et s’est répandu au cours de ces dernières années. Mike Lydon est le leader d’un groupe de co-

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auteurs ayant rédigé le manuel de l’urbanisme tactique intitulé Tactical Urbanism : Short-Term Action, Long-Term Change et paru en 2010 et 2011 sous la forme d’une première version et d’une seconde mise à jour. C’est à ce jour la référence reconnue en terme de littérature professionnelle concernant l’urbanisme tactique. Par ailleurs, le succès de l’urbanisme tactique sur le territoire Nord-Américain s’illustre par sa présence thématique au sein du pavillon officiel des Etats-Unis lors de la biennale d’Architecture de Venise en 2012 ainsi que par la nomination du terme comme étant la tendance urbanistique –planning trend- de l’année 2011 par le magazine américain d’urbanisme online Planetizen1. Enfin, l’exposition à venir au Musée d’Art Moderne de New-York intitulée « Uneven Growth : Tactical Urbanism for Expanding Megacities » (novembre 2014) indique l’actualité de la pratique et les enthousiasmes qu’elle soulève. Quelles sont les conséquences d’une telle évolution des pratiques dans la fabrique de la ville Nord-Américaine ? Comment redéfinir le rôle de l’urbaniste face à la montée des activismes citoyens ? La lecture d’ouvrages de références et de réflexions académiques, l’analyse d’articles et de témoignages forment une première étape de recherche de pistes de réponses à ces questions. En outre, une expérience de stage au sein d’une organisation revendiquant et pratiquant une certaine forme d’urbanisme tactique apporte à cette réflexion une dimension pratique. Ce questionnement débutera par une définition à la fois empirique de l’urbanisme tactique (à travers des exemples et la pratique du stage) mais également théorique afin d’en comprendre l’héritage intellectuel et philosophique. L’articulation de la spontanéité des interventions urbaines avec la rigidité de la planification et des politiques publiques sera discutée dans un second temps. En dernier lieu, les limites et questionnements induits par les évolutions constatées précédemment seront soulevés.

1 Nettler Johnathan, Top planning trends 2010-2011, Planetizen, 27 février 2012 2 « The spirit of entrepreneurship combined with the aspiration of civic renewal »

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PARTIE 1 Un activisme urbain

           

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L’urbanisme tactique est avant toute un projet citoyen qui remet l’espace public au cœur de la

vie de la cité. Il prend place dans un contexte particulier marqué par les crises économiques, une lente transformation des modes de vies, des bouleversements technologiques et une critique du fonctionnement des institutions urbaines. C’est un projet d’accupuncture urbaine qui vise à réparer ponctuellement les défaillances de la ville identifiées par les habitants. Cette méthode n’est pas nouvelle, elle est issue de l’héritage philosophique de penseurs de l’urbain qui, depuis les années 1960 ont remis en cause la rigidité, la brutalité et l’efficacité de politiques de planification urbaine conçues par les experts. La dimension ludique de la tactique urbaine est quand elle le fruit d’un lien direct avec la pratique artistique dans l’espace public.    

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1 . 1 : Qu ’est-ce que l ’u rban isme tact ique ?

1.1.1 : Une jeunesse urbanophile et connectée dans une ville en crise économique

Le manuel de l’urbanisme tactique de Mike Lydon expose trois principales raisons contextuelles à l’émergence de l’urbanisme tactique dans les villes d’Amérique du Nord. Il s’agit en premier lieu d’un contexte de récession post-crise de 2008 qui a freiné la croissance économique Nord-Américaine. Les subventions et financements de projets urbains ont décliné, se sont raréfiés et sont devenus plus ardus à obtenir. De même, les budgets resserrés de citadins subissant les effets de cette crise ont remis en question un mode de vie culturellement fondé sur les déplacements automobiles et l’acquisition d’une maison individuelle sur une parcelle isolée. L’image éternelle de la suburb Nord-Américaine et de l’étalement urbain sans limite est alors questionnée par une frange de la population majoritairement composée de jeunes créatifs réinvestissant des downtown longtemps désertés et d’autres quartiers laissés en désuétude. Il s’agit de la génération des millenials, ces jeunes nés entre les années 1980 et 2000, également connus sous le nom de génération Y. Cette nouvelle génération d’urbains est désireuse d’un mode de vie où l’accessibilité piétonne est au cœur des préoccupations et où la densité favorise les contacts et les échanges. Face à la difficulté de compter sur les institutions et les acteurs classiques de l’aménagement urbain, ces citadins choisissent de prendre en main le devenir de leur espace de vie en y intervenant hors des circuits traditionnels de la planification. La créativité qui les caractérise s’exprime alors à travers des actions ponctuelles et localisées sur leur environnement urbain. Cette capacité à agir est par ailleurs valorisée par leur appropriation des nouveaux outils numériques de communication. Cette place prépondérante du numérique et des médias sociaux encourage le partage de nouvelles idées, la mise en place de projets collaboratifs et l’échange de tactiques. Cette évolution technologique instaure un état d’esprit propice à la prise d’initiative, à un renouveau de l’engagement civique et un regain d’intérêt pour la vie publique2 (Lydon, 2011). Couplée à la culture en expansion du Do It Yourself3, la technologie a favorisé la popularisation des interventions d’urbanisme tactique. A l’origine du mouvement Park(ing) Day, les membres du collectif REBAR basé à San Francisco ont pour objectif de créer des projets aisément compréhensibles, partageables et adaptables par des communautés de citadins à travers le monde (Benner, 2013). Reflet des préoccupations de la génération des millenials, ces militants agissent contre la domination de l’automobile qui ruinent l’urbanité et font obstacle aux échanges et à la vie sociale dans la ville. En 2005, ils transforment le temps d’un journée une places de parking de San Francisco en un espace public piéton. Puis l’idée se propage et se partage à travers les réseaux sociaux. En 2008, 500 installations ont été recensées à travers le monde. Ainsi REBAR a largement contribué à l’émergence de l’idée selon laquelle, face à des villes en difficulté, les habitants demandeurs d’une

2 « The spirit of entrepreneurship combined with the aspiration of civic renewal »

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qualité de vie urbaine pouvaient agir sans attendre l’intervention des acteurs traditionnels de l’aménagement, tout en partageant simultanément leur créativité à travers les outils numériques.

Figure 2 : Park(ing) Day à San Francisco par REBAR Source : rebargroup.org

1.1.2 : …qui remet en cause la planification classique du développement urbain

La principale critique formulée par l’urbanisme tactique est celle d’un système de planification et de développement urbain déconnecté des intérêts des citoyens. En effet, la planification urbaine propose une vision à grande échelle, celle d’une région, d’une ville ou d’un quartier. Or cette méthode omet les problématiques posées au niveau du bâtiment ou de la rue. La crise économique a renforcé cette lacune des politiques de planification, la raréfaction des ressources financières ayant contribué à la négligence de nombreux espaces urbains. Ainsi, c’est à une déconnexion des échelles entre les projets des professionnels de l’urbanisme et les intérêts des citoyens que tente de remédier l’urbanisme tactique. Mike Lydon évoque un décalage entre des projets urbains de grande envergure et le système de pensée des habitants construit à partir des préoccupations de la vie quotidienne. Ce décalage a pour résultat de nombreux comportements NIMBYistes4 de la part d’habitants qui, dépassés par l’ampleur des projets

4 NIMBY : Not In My Backyard

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qu’on leur propose, freinent des propositions dont ils peinent à voir le bénéfice qu’ils pourraient en tirer5 (Lydon, 2011). Ce sont par ailleurs des projets dont les impacts économiques et/ou sociaux sur le long terme sont difficilement prévisibles de façon fiable. Le temps long requis pour par le processus de la planification est d’ailleurs souvent à la source d’un décalage entre les promesses originelles et la réalité du site qui aura évolué en même temps que le chantier. Le baron Haussmann admis d’ailleurs lui-même que ses plans pour Paris devinrent inadaptés avant-même leur achèvement (Bishop, 2012). C’est également à la tentation du contrôle maximal et exclusif du développement urbain par les autorités et les institutions que s’oppose l’urbanisme tactique, qui prône une approche plus ouverte et inclusive envers les aspirations des citoyens. Pour cela, les interventions sont immédiatement appropriables par les usagers qui peuvent alors en percevoir les impacts positifs. La perte de confiance envers la capacité des organisations publiques et privées à répondre aux attentes des citoyens conduit donc à une remise en cause de leur rôle par les interventions spontanées des avocats et des activistes de l’urbanisme tactique.

1.1.3 : Un activisme urbain dépolitisé

Cette remise en cause d’un mode de planifier et de développer la ville conduit ces jeunes individus issus de la génération des millenials à intervenir sur leur environnement. L’expertise des professionnels de la ville est mise de côté pour valoriser la créativité et l’engagement citoyen des habitants. L’urbanisme tactique est une forme d’activisme urbain qui est définit comme étant « une action collective et concertée, parfois illégale, qui vise à transformer l’espace urbain local tout en participant souvent à des débats globaux » (Douay, 2012). L’activisme urbain se différencie des activistes et militantismes politiques qui prônent une remise en cause ou une confrontation afin de transformer, voire renverser un ordre établi. Il ne s’agit pas ici d’une lutte contre un système, celui d’une planification urbaine défaillante. Ce n’est pas une question politique qui est soulevée par l’urbanisme tactique. Il ne cherche pas la confrontation, et s’il est inoffensif vis-à-vis des institutions il prétend néanmoins impacter positivement l’environnement. L’urbanisme tactique ne se pose pas en opposant de la planification urbaine et de l’urbanisme de projet. Il s’insère dans un espace laissé vide par les failles de ce système qui néglige l’échelle de la vie quotidienne. A une vision politique de l’activisme urbain s’oppose ici une vision souriante de cet activisme (Mathieu, 2009). Cela se manifeste par la forme souvent joyeuse, ludique et festive de ces interventions, leur mise en scène par la valorisation de la créativité et leur accompagnement par une dimension artistique. Le vecteur de l’art urbain utilisé par STEPS initiative à Toronto est symptomatique de cette vision apolitique. L’expression artistique est utilisée par l’organisation comme un outil consensuel de rassemblement des jeunes individus d’origines

5 « residents are asked to react to proposals that are often conceived for interests disconnected from their own, and at a scale for which they have little control »

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et d’opinions diverses autour d’une même cause, celle de la réclamation d’espaces publics créatifs et citoyens.

1.1.4 : Des interventions de court-terme…

L’urbanisme tactique est un mouvement qui prône l’intervention urbaine, c’est-à-dire une action rapide, réalisable sur le court-terme. L’objectif de l’intervention est de produire des effets immédiats. L’impact positif de la réalisation du projet doit être perceptible immédiatement. Dans son manuel, Mike Lydon préconise le réalisme comme ligne de conduite (Lydon, 2011). L’urbanisme tactique s’attaque à des problèmes concrets qui peuvent être résolus rapidement. Par exemple, le chair bombing, littéralement « assaut de sièges », consiste à combler un manque de mobilier urbain par l’installation spontanée de chaises et de bancs sur l’espace public. Le problème identifié ici est celui d’un déficit de convivialité urbaine et de sociabilité et la cause revendiquée par les instigateurs de l’intervention est celle de l’absence de mobilier urbain support de la vie sociale de quartier. Il s’agit donc d’une problématique simple à laquelle il est possible de répondre par une action rapide. Lorsque les chaises sont installées sur le trottoir ou sur la place publique, leur occupation par les passants et les habitants est le signe de l’impact positif de l’intervention. Le guerrilla gardening, qui consiste à cultiver un jardin de façon illégale dans une propriété publique ou privée laissée en friche, répond au déséquilibre identifié entre la demande d’espaces verts en ville face à l’inexploitation de propriétés ou de sites abandonnés. L’appropriation illicite du lieu par les intervenants (souvent durant la nuit) est une action rapide durant laquelle sont amenés sur le site les premiers matériaux et les premières plantations. Ensuite, la floraison des cultures couplée à l’occupation humaine du site par les cultivateurs entraîne un changement de perception de l’espace qui devient de facto un espace vert approprié par la communauté locale. A Toronto, STEPS initiative a identifié un déficit d’art public urbain dans certains quartiers de la ville. Les interventions proposées par l’organisation servent alors à apporter une solution rapide à ce problème en invitant des artistes à proposer des œuvres dans les espaces publics concernés. Le projet PATCH (Public Art Through Construction Hoarding) porté par l’organisation, plus particulièrement, souligne la multiplication des chantiers de développement immobilier dans la ville et donc la prolifération des palissades de chantier qui ont un impact négatif sur le paysage urbain. La réponse apportée est alors celle de proposer des interventions artistiques en se servant de ces palissades comme support mural.

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Figure 3 : intervention PATCH it up ! – Août 2014 - Toronto

Source : thepatchproject.com

1.1.5 : …avec un impact de long terme

La satisfaction d’un besoin ou d’un usage sur le court-terme s’inscrit dans une vision plus large. Par une intervention construite sur le court-terme, l’urbanisme tactique a pour objectif d’amorcer un changement sur le temps long6 (Lydon, 2011). Ce changement de long-terme peut revêtir différentes formes. Au Texas, l’expérience de Build a Better Block menée à Dallas en 2010 propose un scénario express de revitalisation d’un block d’habitations le temps d’un week-end. La première expérience menée Jason Roberts, un ingénieur informatique, s’est basé sur le constat de rues transformées en autoroutes en raison de l’instauration d’un sens unique, cela ayant fait fuir les piétons et les habitants et donc appauvri le quartier en termes d’activités et de vie sociale. Jason Roberts mobilise alors ses amis et ses voisins durant un week-end pendant lequel chacun est invité à participer à une opération éclair de transformation urbaine. Installation de terrasses sur les trottoirs, peinture d’une piste cyclable sur la route, ouverture de cafés et de commerces éphémères… L’idée est ici de mettre en valeur le potentiel inexploité d’un quartier. Mais un week-end d’intervention peut-il changer durablement la vie d’un quartier ? Un rapport du Department of Urban Studies & Planning du Massachusetts Institute of Technology reste mesuré sur les impacts à long-terme de ce type d’intervention. Néanmoins, les auteurs soulignent que ce type de projet permet de mobiliser et d’engager la population locale, de potentiels commerçants ainsi que les représentants des institutions, autour de l’idée d’une redynamisation

6 « A deliberate phased approach to instigating change »

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(Silderberg, 2013). L’urbanisme tactique agit ici comme un initiateur de dynamique locale pour l’attractivité urbaine. La mobilisation des habitants et des curieux permettent d’enclencher un cercle vertueux grâce une image dynamique d’une population locale répondant présent à l’appel de l’installation de différents cafés et commerces temporaires; avec, au delà de l’événement, l’objectif d’un développement commercial pérenne. La tactique de court-terme, proposer rapidement une activité pour animer un espace, se marie à un projet de long terme. Il s’agit ici d’attirer l’attention sur l’intensité de la vie urbaine d’un quartier et donc son attractivité. La tactique permet d’éviter le cercle vicieux qui consiste à voir les surfaces commerciales fermer les unes après les autres en raison d’une désaffection croissante des usagers pour des espaces de moins en moins vivant.

Figure 4 : opération Build a Better Block à Dallas à 2010

Source : www.gooackcliff.org L’aspect pratique et concret des interventions d’urbanisme tactique peut aussi permettre de faire émerger des réflexions et des débats sur la place publique. Ainsi STEPS initiative focalise son travail sur les quartiers en difficulté en proposant aux habitants, par des interventions artistiques, de renouer avec une identité et une fierté locale perdue en raison de la réputation et de la dégradation de leur environnement. Regent Park est un quartier de grands ensembles et de logements sociaux situé à l’Est du downtown de Toronto. Les difficultés sociales s’y étant accumulées, une vaste opération de revitalisation urbaine est en train de remodeler le visage de cette communauté. Pour participer au renouveau local, STEPS initiative a organisé une intervention artistique sur la palissade d’un chantier. L’artiste local Troy Mclure a proposé une fresque portant le message « conquérir l’adversité par la diversité », mettant en avant la richesse multiculturelle du quartier comme outil de renouveau de l’identité et de la fierté

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locales. Le court-terme, celui de la réalisation d’une fresque murale durant une après-midi, s’articule avec un projet social pérenne, celui de revaloriser l’image dégradée d’un quartier en difficulté.

Figure 5 : opération PATCH it up ! – juin 2014 - Toronto

Source : thepatchproject.com

1.1.6 : Une flexibilité d’intervention et un impact sur la vie quotidienne L’urbanisme tactique est avant tout caractérisé par une échelle d’intervention locale. Il s’agit de

proposer une alternative à un urbanisme des grands projets urbains dont les impacts dépassent la dimension quotidienne. L’urbanisme tactique se place du point de vue de l’habitant ou de l’usager de l’espace public, c’est-à-dire à l’échelle la plus fine, celle du bâtiment, de la rue, voir du block –que l’on pourrait rapporter au voisinage européen. Alors que la planification urbaine implique une vision globale, une cohérence pensée à minima à l’échelle du quartier, l’urbanisme tactique propose un recentrage sur l’habitant, son expérience du quotidien, son vécu de l’espace public, son ressenti de la vie de tous les jours. L’habitant est l’acteur central, et souvent l’instigateur, des interventions d’urbanisme tactique. Pour s’adapter aux besoins et aux aspirations de la vie quotidienne, la planification n’est pas adaptée en raison de sa rigidité de procédé qui provoque un éloignement au fil de l’eau des intentions et des motivations originelles du projet (Taylor 1998). L’urbanisme tactique répond à cette faille avec une approche basée sur la flexibilité. Il s’agit de projets de dimensions réduites, donc rapides à mettre en œuvre et par conséquent aisément modifiables et transformables au cours même de leur réalisation. Leur dimension réduite implique également un faible coût (on peut parler à leur sujet de projets low cost) qui

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s’inscrit dans un contexte de difficultés budgétaires (Benner, 2012). Ce faible coût diminue les risques d’échec et de faillite inhérents au projet ce qui participe de leur flexibilité de mise en œuvre. En 2012, Matt Tomasulo, un habitant de Raleigh (Caroline du Nord, USA), fait le constat d’un potentiel piéton inexploité dans le downtown de sa ville accaparé par la voiture et les infrastructures routières. Intrigué par la faible présence de piétons, il comprend très vite le rôle des barrières psychologiques créées par l’habitude des déplacements en voiture. Pour répondre à ce constat, Matt Tomasulo imagine alors un moyen simple et peu onéreux de dépasser ces barrières virtuelles et de démontrer qu’il est possible de se déplacer dans la ville en marchant : des panneaux d’indication. Une nuit de janvier 2012, accompagné d’amis, il place 27 panneaux indiquant aux piétons les directions vers les principaux repères de la ville ainsi qu’une estimation de temps de marche nécessaire. Appelée Walk Raleigh, cette intervention rapide, flexible et efficace, a permis de mettre sur table la problématique de la place du piéton dans cette ville à partir de l’expérience de l’un de ses habitants.

Figure 6 : panneaux signalétiques du projet Walk Raleigh

Source : raleighpublicrecord.org

Installer des tables et des chaises, sur le modèle du pop up cafe, sur une partie de l’asphalte de Time Square à New-York (USA), fermé à la circulation à l’occasion du programme Greenlight for Midtown7, a permis Tim Hopkins8 de mesurer, par le succès de son opération, l’enthousiasme des touristes et des

8 Tim Hopkins est le Président de Times Square Alliance, une organisation non-lucrative fondée en 1992 et chargée de promouvoir le site, soutenir les activités, organiser des évènements, assurer la sécurité du lieu.

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usagers pour une piétonisation partielle du site. Ces chaises et ces tables évoquent le plaisir de la flânerie en terrasse, un usage nouveau pour un site qui fut longtemps entièrement dominé par la circulation automobile. Cette réappropriation du piéton par l’entremise d’un matériel de base, des chaises et des tables, a permis de remettre l’humain au centre du fonctionnement du site. Ainsi, l’impact de court-terme, le faible coût et la rapidité de mise en place ainsi que l’impact positif du projet impliquent la mise en valeur d’un usage à échelle humaine, car c’est l’usage que l’on fait d’un espace qui constitue l’impact le plus facilement perceptible et mesurable.

Figure 7 : pop-up café sur Time Square à New York source : www.pps.org

1.1.7 : Une approche bottom-up pour un empowerment citoyen

L’un des fondamentaux de l’urbanisme tactique tel qu’énoncé dans le manuel est sa capacité à établir des relations sociales durables entre les habitants d’un quartier, c’est-à-dire la construction d’un capital social collectif (Lydon, 2011). L’objectif est de créer ou renforcer une cohésion communautaire, une identification à un groupe d’intérêts communs, celui du voisinage. L’importance de cette

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caractéristique dans la définition de l’urbanisme tactique renvoie à son caractère collectif d’engagement citoyen. Il ne s’agit plus de subir un projet mais d’y contribuer activement, voir d’en être à l’origine. On retrouve là le processus d’empowerment, qui n’est pas une tentative d’accéder au pouvoir mais en un processus de renforcement des capacités d’action et d’émancipation d’un groupe d’individus (Bacqué, 2010). Par ailleurs, l’empowerment se réfère aux capacités individuelles d'épanouissement, de prise de contrôle de sa propre vie, qui s’articule autour de l’idée de self help (s’aider soi-même) et de self esteem (s’estimer soi-même). Elle s’envisage tout autant dans une dimension collective, avec le pouvoir d'un groupe, en particulier celui des have not (ceux qui n'ont pas), les groupes dominés. Pour cela, l’urbanisme tactique revendique une approche bottom-up qui permet d’identifier à la base les problématiques rencontrées par l’expérience et le vécu de la population. L’engagement des habitants dans la résolution de problèmes qu’ils ont eux-mêmes identifié permet de mettre en œuvre une méthode d’aménagement plus sensible à l’amélioration de l’espace vécu que ne l’est la planification urbaine traditionnelle 9 (Benner, 2013). Les activistes de l’urbanisme tactique ont un rôle de mobilisateur, ils doivent devenir les leaders pour mobiliser les membres d’une communauté et leur démontrer qu’ils ont la capacité d’agir pour la transformation de leur environnement. Ces interventions sont également l’occasion d’établir ou de rétablir des relations avec les institutions, les autorités administratives et les acteurs privés (entreprises, promoteurs…). Cette démarche s’inscrit également dans le processus d’empowerment citoyen avec ici la mise en valeur de la capacité d’un groupement d’intérêts à se faire entendre et écouté auprès des autorités dans un objectif de transformation sociale (Bacqué, 2010). Dans tous les projets qui ont servi d’exemple précédemment, le succès, ou du moins la reconnaissance de l’intervention tactique ont permis d’établir a posteriori des relations de travail avec les acteurs publics ou privés. Ainsi la première expérience de guerrilla gardenning à New-York en 1973 par le Green Guerrilla Group a été prolongée par une coopération avec le département chargé des parcs de la municipalité new-yorkaise. L’intervention de chair bombing réalisée par le groupe DoTank dans le quartier de Williamsburg à Brooklyn (New-York) a résulté en une terrasse permanente au Blue Bottle Coffee. Le projet de terrasse urbaine mené par Tim Tompkins de Times Square Alliance s’est retrouvé inclus dans un programme municipal intitulé Pavement to Plazas et consistant en la transformation progressive d’intersections routières en places urbaines à partir de projets pilotes d’interventions tactiques telle que celle menée sur Time Square. Les élus locaux de la ville de Dallas ont été invités lors de l’événement de Build a Better Block pour constater l’enthousiasme des habitants envers un quartier plus favorable aux piétons et aux activités commerciales. Durant l’été 2013, STEPS initiative a réalisé la plus grande fresque murale du monde sur un immeuble d’habitat social dans le quartier en difficulté de St James Town à Toronto. Si un artiste, Sean Martindale, était chargé de superviser la réalisation de l’œuvre, l’idée moteur du projet était d’engager les jeunes habitants du quartier dans une réflexion sur l’identité de leur communauté. De ce brainstorming collectif a émergé l’idée picturale de l’envol d’un oiseau. Reprenant l’idée d’un phenix

9 « Through the lens of the community problems are identified and innovative solutions are enacted like a citizen-led charrette. Enabling the community to physically participate in the improvement of a neighborhood creates a much more effective and engaging method of participatory planning. »

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renaissant de ses cendres, il s’agissait de donner en grandes dimensions l’image d’une communauté souhaitant changer l’image stigmatisée de leur quartier. L’engagement des jeunes citoyens autour du projet a permis à l’intervention de capter un regard neuf sur la communauté, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de celle-ci. Un résident s’est d’ailleurs étonné de n’avoir jamais vu autant de monde s’arrêter sur le site que depuis l’intervention10. De plus, le projet a permis d’attirer le regard des autorités sur la destinée du quartier, jusqu’à la plus haute sphère des insitutions puisque le maire et un conseiller municipal saluèrent publiquement l’engagement des résidents autour de l’intervention11.« Local officials were very supportive. « Congratulations to everyone involved in this exciting projec that will add vibrancy to the Wellesley community » says Mayor Rob Ford. « Beautification of our public spaces is an essential component of building and maintaining healthy communities » said Councillor Pam McConnell, STEPS, 2013).

Figure 8 : World’s tallest mural – St James Town - Toronto

Source : muralform.com

10 «street resident George McIntyre says « I have never seen so many people stop by and look a tour building », site internet de STEPS initiative, 2013 11 «Local officials were very supportive. « Congratulations to everyone involved in this exciting projec that will add vibrancy to the Wellesley community » says Mayor Rob Ford. « Beautification of our public spaces is an essential component of building and maintaining healthy communities» said Councillor Pam McConnell. Site internet de STEPS initiaitve, 2013.

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1 .2 : Des penseurs Européens aux act i v is tes Nord-Amér ica ins , approche théor ique de l ’u rban isme tact ique

1.2.1 : Henri Lefebvre, la théorie marxiste de l’espace vécu La volonté de réappropriation de l’espace public par les citoyens qu’exprime l’urbanisme tactique

prend racine dans les idées du sociologue français Henri Lefebvre qui proclame dans Le Droit à la Ville (1968) la nécessité pour les citoyens de pratiquer leur environnement urbain, d’y construire leurs expériences personnelles en toute liberté, c’est-à-dire en dehors des structures hégémoniques de production de la ville industrielle. En effet pour Henri Lefebvre, « l’urbanisme des administrateurs véhiculé au secteur public (..) se croit scientifique et (…) tend à mépriser le facteur humain ». De la même manière concernant les acteurs privés, ceux-ci promeuvent un « urbanisme des promoteurs qui conçoit et réalise pour le marché, avec objectif lucratif, et sans le dissimuler » (Lefebvre, 1968). C’est une critique radicale de l’urbanisme fonctionnaliste incarné par les idées de l’architecte Le Corbusier et mis en œuvre à grande échelle dans un contexte d’urgence à la suite de la seconde guerre mondiale. C’est par ailleurs une remise en cause d’une façon d’habiter la ville avec une vie quotidienne organisée autour de l’hypermarché, de la voiture, de la technologie domestique qui isolent l’individu de sa communauté et contribuent à le maintenir dans un état de passivité, sans expérience ni surprise (Simay 2008). Selon l’analyse marxiste du sociologue, cette forme urbaine est le produit d’une stratégie élaborée par les forces dominantes qui sont animées par une idéologie qui étouffe le désir de citoyenneté en faveur d’une production urbaine de masse et d’un consumérisme capitaliste. Pour lui, cette forme de production de l’urbain empêche toute innovation d’émerger et condamne les revendications citoyennes au silence. Dans La Production de l’Espace (1974), Henri Lefebvre développe son propos en se concentrant sur la notion d’espace. Il distingue trois représentations de l’espace qui correspondent chacune à un type de production de l’espace. Ainsi l’espace de la ville industrielle qu’il condamne est présenté comme un espace de l’ordre où règnent des rapports de productions établis et régis par des codes et des règlements. C’est l’espace conçu, celui des urbanistes et des planificateurs, celui des ingénieurs et des scientifiques. A celui-ci se confronte l’espace perçu qui est l’observation d’une interaction entre la société et l’espace qu’on lui soumet. Enfin l’espace vécu est celui des images et des symboles liés à la vie sociale mais aussi à l’art dans la ville. C’est l’espace des habitants, des usagers et des artistes. C’est « l’espace dominé et subi que l’imagination tente de s’approprier et de modifier » (Lefebvre, 1974). Dans les deux derniers chapitres de son ouvrage, Henri Lefebvre propose l’émergence d’un espace capable de transformer la société par la « possession et la gestion collective de l’espace par l’intervention perpétuelle des intéressés avec leurs multiples intérêts, divers et même contradictoires. » (Lefebvre, 1974). Il s’agit de l’espace différentiel. Celui-ci se caractériserait par une diversité d’usages et une capacité à se transformer lui-même pour soutenir les besoins de la communauté locale. L’espace public

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ne serait alors plus le résultat d’une stratégie ou d’un plan mais le produit de la société qu’il accueille, dans ses synergies comme dans la confrontation des intérêts contradictoires qui la traversent. Il serait vécu et façonné par la société et serait ouvert « aux devenirs les plus inattendus et en même temps intérieurement contradictoires de par sa multiplicité même » (Martin, 2006). Cet espace différentiel devient un espace de participation dont la mise en place et la conception passent par un processus de revendication, de participation et d’engagement. Cette méthode de co-création de l’espace prime sur le résultat final qui évolue en permanence selon les besoins des habitants. C’est ici l’idée reprise par le paysagiste Delbaere dans sa Fabrique de l’Espace Public lorsqu’il affirme que « la dimension sociale de l’espace public émergent tient donc désormais moins à sa capacité à organiser une coprésence des hommes dans l’espace que dans le fait qu’il résulte d’une coproduction » (Delbaere, 2010). On retrouve cette conception de l’espace public au cœur des préoccupations de l’urbanisme tactique qui, comme nous l’avons vu, place l’usage et les préoccupations de la vie quotidienne au cœur de son projet. De plus les interventions revendiquent une origine citoyenne et, bien que dépolitisant la critique marxiste d’Henri Lefebvre, apportent une critique sous-jacente de la défaillance de la planification à répondre à des attentes et des aspirations à l’échelle de l’individu. En résumé, l’urbanisme tactique s’inspire des propositions du sociologue français en invitant les citadins à reprendre le pouvoir et à agir selon leurs propres motivations sur la transformation de leur environnement.

1.2.2 : Les situationnistes et la réinvention du quotidien

La remise en cause de la production industrielle de la ville mise en valeur par l’œuvre d’Henri Lefebvre se retrouve également dans les revendications révolutionnaires de l’Internationale Situationniste. L’objectif partagé par les membres de collectif artistique d’avant-garde né en 1957 est la réappropriation du réel par des individus libérés par les promesses du développement technologique de l’appareil industriel. La psycho-géographie proposée par les situationnistes pour redécouvrir la ville fait écho à l’espace vécu d’Henri Lefebvre. Par la pratique de dérives urbaines inspirées des flâneries poétiques Baudelairiennes, la psycho-géographie consiste en la conception de cartes dessinées à partir d’un « laisser-aller aux sollicitations du terrains et des rencontres qui y correspondent » (Internationale Situationniste n°2). On retrouve ici le bottom-up de l’urbanisme tactique qui résout des problèmes identifiés à travers le vécu des habitants. Par ailleurs il s’agit d’analyser par la psycho-géographie les différentes ambiances et situations urbaines afin de déceler « la structure cachée de l’espace urbain » (Simay, 2008), de la même manière que l’urbanisme tactique révèle les potentiels inexploités de la ville contemporaine. Sur le plan de l’urbanisme, l’idée principale des situationnistes est de faire vivre aux habitants l’expérience des différentes situations de la ville afin d’entraîner ce spectateur urbain « à l’activité en provoquant ses capacités de bouleverser sa propre vie » (Internationale Situationniste n°1), ce qui rappelle l’objectif d’empowerment promut par l’urbanisme

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tactique. Ces situations urbaines sont des « moments de vie, à la fois singuliers et collectifs, à la création d’ambiances ou de jeux, d’évènements, tous transitoires » (Internationale Situationniste n°1). Les termes employés ici sont largement repris dans les interventions tactiques qui possèdent souvent une dimension transitoire (l’installation spontanée de mobilier urbain sur l’espace public met en valeur une lacune d’aménagement qui devra être comblée). Elles sont souvent conçus autour du jeu, revêtent un aspect ludique et populaire ; l’organisation d’évènements festifs servent à les mettre en valeur et la dimension artistique ou créative qui souvent les accompagne en font des composantes de nouvelles ambiances urbaines. Réinventer le quotidien est le désir que les situationnistes partageaient (philosophiquement mais également à travers de nombreux échanges), notamment la volonté de “faire renaître le désir au coeur de la ville, d’y introduire des vertiges et des troubles insoupçonnés, d’y inventer des formes de vie inédites et de lui offrir l’évènementialité dont elle est aujourd’hui dépourvue” (Internationale Situationniste n°2). La réinvention du quotidien urbain par les interventions de l’urbanisme tactique puisent donc leur héritage dans les propositions de renouvellement du vécu urbain des situationnistes. Par ailleurs il est à noter que les situationnistes replacaient les relations sociales au cœur du projet urbain par la créations de situations amusantes engageant les citoyens dans une interaction avec la ville mais aussi entre eux (Conklin, 2012). Si l’urbanisme tactique ne reprend à son compte pas la critique de relations humaines dénaturées par l’argent et la consommation, il valorise néanmoins l’importance des interactions sociales comme facteur

1.2.3 : Michel de Certeau et Jurgen Habermas : transformer le réel par la tactique En cherchant à réinventer le quotidien urbain par la tactique, l’urbanisme tactique s’approprie la

réflexion du philosophe Michel de Certeau. Dans L’invention du Quotidien (1980), l’auteur démontre la capacité de l’individu à faire preuve de créativité dans la pratique banale et quotidienne de la ville. C’est de l’expérience du piéton que naît l’infinité des possibilités de transformation et de détournement de l’espace. La tactique possède la capacité de transformer des évènements, des défauts, des critiques, en opportunités. Il définit cette notion de tactique comme étant une action autonome et mobile sur un terrain régit par une autorité supérieure (de Certeau, 1980). Pour illustrer cette vision, le géographe Olivier Mould propose la métaphore du virus informatique qui s’infiltre lentement et discrètement dans un disque dur pour l’atteindre et le transformer de l’intérieur. La tactique est donc une forme de virus qui intègre l’environnement urbain pour le transformer positivement, le déconstruire pour le reconstruire; contrairement au virus informatique ou biologique qui souvent n’a pour finalité que la destruction (Mould, 2014). Michel de Certeau oppose la tactique à la stratégie, laquelle naît d’une relation de pouvoir dominée par un point de vue extérieur qui propose un plan de contrôle de l’espace. C’est sur le même principe que l’urbanisme tactique se pose en alternative à la planification urbaine jugée trop éloignée des préoccupations quotidiennes. De plus cette notion tactique implique la flexibilité caractéristique des

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interventions qui permet de se concentrer sur le processus de création collective et le réalisme dans l’évolution du projet plutôt que sur l’immobilité d’une production finale idéalisée (Benner, 2013). Par ailleurs, le sociologue et philosophe allemand Jurgen Habermas propose dans son ouvrage la théorie de la « rationalité communicative » qui propose, à la suite de l’espace vécu d’Henri Lefebvre, une approche globale dans le recueil d’informations sur l’espace. Il s’agit non plus de contenter d’approches techniques et stratégiques mais aussi de points de vue pratiques et des interprétations des usagers de l’espace et des institutions publiques (Herbermas, 1986). Et de la même façon que Michel de Certeau oppose la tactique à la stratégie, Jurgen Habermas oppose la rationalité communicative à la rationalité instrumentale qui est un outil de collecte quantitative d’informations dans une approche plus technocratique et top-down. L’état de l’art littéraire réalisé par Sophia Michelle Benner dans son Professional Report à l’Université du Texas donne un point de vue global sur la synthèse de ces réflexions théoriques. Elle explique ainsi que les réflexions complémentaires d’Henri Lefebvre, Michel de Certeau et Jurgen Habermas permettent de faire passer la pratique de l’urbanisme d’une pensée systématique ou top-down à un apprentissage social et empirique, une approche bottom-up de la conception de l’espace urbain. Dans la continuité se réflexion se dessine une remise en cause du rôle de l’urbaniste qui, de stratège et décideur, devient en quelques sortes un négociateur chargé d’établir des consensus à partir de la réalité sociale de l’espace (Benner, 2013).

1.2.4 : Kevin Lynch, Jane Jacobs et William Whyte : l’humain d’abord Au même moment, une nouvelle pensée de l’urbain, emmenée principalement par Kevin Lynch,

Jane Jacobs et William Whyte, émerge en Amérique du Nord. Leur critique se dirige vers une méthode de planification urbaine qui, dans un contexte d’industrialisation rapide, d’étalement et de renouvellement urbain à grands coups de projets démesurés, néglige l’humain. Leurs propositions font émerger une nouvelle façon d’appréhender l’espace en remettant au centre du débat les habitants et les communautés au détriment des principes d’efficacité, d’ordre et d’esthétique qui guident habituellement les politiques d’aménagement urbain. De ce fait, le rôle des experts de la ville est lui aussi remis en cause en faveur d’un pouvoir d’action réapproprié par les citoyens12 (Silberberg, 2013). L’image de la ville, l’ouvrage de Kevin Lynch paru en 1960, présente une recherche empirique sur la perception humaine de l’environnement urbain. En distinguant plusieurs variables qui façonnent le paysage et servent de repère à la conception que se font les citadins de leur ville, il propose une vision de la ville non plus fondée sur des principes de fonctionnalité et d’usage mais sur l’idée que c’est le regard humain qui façonne l’environnement et donc doit servir de guide à l’aménagement. Formée à la ville à travers ses observations quotidiennes et la conduite d’une lutte contre un projet d’autoroute détruisant le cœur de son quartier

12 «Something was lost along the way ; communities were rendered powerless in the shadows of experts to shape their physical surroundings »

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new-yorkais de résidence, Greenwich village, Jane Jacobs questionne les politiques publiques qui ont pour objectif de créer de l’ordre dans l’environnement urbain. Dans son best-seller Survie et déclin des grandes villes américaines (1961), la journaliste met en valeur l’importance de l’espace public dans la construction d’une confiance entre les citadins et d’un état d’esprit général tourné vers le civisme, le bien vivre ensemble et la cohésion sociale13 (Jacobs, 1961). Elle explique également la théorie des yeux de la rue, selon laquelle la sécurité est assurée lorsque le plus grand nombre possible de passants et d’habitants tourne son regard vers l’espace public. En cela, Jane Jacobs renie la nécessité d’un ordre urbain infrastructurel et esthétique au profit d’une intensité de la vie sociale urbaine, et même si celle-ci doit émerger d’un apparent chaos urbain. Pour l’auteur, la diversité des usages, des fonctions, des modes de vie est le socle d’une vie sociale harmonieuse en ville. De la même manière qu’on pu le faire Henri Lefebvre, Michel de Certeau ou Jurgen Habermas, elle remet en cause le rôle des experts de la ville. Dans la continuité de Jane Jacobs, Sherry Arnstein (1969) souligne dans son travail l’enjeu de redonner aux citoyens un plus grand niveau de contrôle sur la prise de décision dans l’aménagement. Enfin, l’œuvre de Jane Jacobs peut être lue comme une ode à la ville laboratoire que promeut l’urbanisme tactique, un espace d’essais, d’expériences et de droit à l’échec contre des politiques d’aménagement et une architecture trop figés (Bishop, 2012). William Whyte quand à lui a innové dans la façon d’analyser l’espace public. C’est en effet le premier photographe à avoir utilisé la technique du time lapse pour enregistrer les mouvements, les mobilités et les interactions dans l’espace public. Cette analyse empirique lui a permis de déterminer différents types de fonctionnement de la vie sociale. Dans son livre The Social Life of Small Urban Spaces (1980), William Whyte propose à l’issu de son travail un catalogue de critères de design qui font d’un espace public un espace vivant et social, permettant ainsi de lier le fonctionnement de la vie urbaine à l’aménagement de l’espace. Son analyse humano-centrée du design urbain a ainsi conduit l’un de ses étudiants, Fred Kent, a fonder Project for Public Spaces en 1975, une organisation pionnière dans la promotion et la mise en œuvre du placemaking.

1.2.5 : Le placemaking et le Congress for New Urbanism

L’agence new-yorkaise Project for Public Spaces explique le concept de placemaking en s’inspirant des réflexions de Jacobs et Whyte. Il s’agit de penser l’aménagement des villes non plus en fonction de la voiture et de l’hypermarché mais autour de la vie sociale urbaine. Le placemaking met donc l’espace public au cœur de ses propositions. L’organisation à but non lucratif Project for Public Spaces, fondée en 1975, compte aujourd’hui à son actif l’accompagnement de projets dans plus de 30000 quartiers à travers l’ensemble des Etats-Unis et dans 43 pays. L’objectif de l’organisation est de mettre à

13 « The trust of a city street is formed over time from many little public sidewalk contacts. It grows out of people stoppbing by the bar for a beer, geeting advice from the grocer and giving advice to the newsstand man…(…) It is a feeling for the public identity of people, a web of public respect and trust »

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disposition un panel d’outils, de références, de conseils et de méthodes pour parvenir à créer des espaces public apte à stimuler la vie sociale et citoyenne. Dans la lignée des auteurs précédemment cités, le placemaking a pour vocation de redonner le pouvoir d’agir aux citadins en les aidant à transformer leurs espaces publics14. La valeur primordiale des projets de placemaking est de renforcer les liens entre les individus et les espaces qu’ils partagent. A ce titre, l’action de STEPS initiative s’inscrit dans la perspective du placemaking car se présentant en tant qu’organisation utilisant l’art pour connecter les humains aux espaces publics15. Ce retour de l’espace public au cœur des préoccupations est par ailleurs d’un des fondamentaux du Congrès pour un Nouvel Urbaniste (Congress for New Urbanism, CNU). qui réunit les professionnels de la ville, principalement Nord-Américains, et promeut une ville organisée autour du piéton, de la vie locale, et rompt avec le modèle de la suburb. Il est d’ailleurs à noter que l’urbanisme tactique est débattu au cours de conférences lors des congrès du CNU.

1 .3 : L ’ART iv isme de STEPS in i t ia t i ve : une fo rme de tact ique urba ine ?

1.3.1 : L’art comme outil de la ville conviviale

Les interventions d’urbanisme tactique, du fait de leur dimension ludique et créative, font appel à la création artistique. L’utilisation de l’art permet de créer les conditions d’une convivialité urbaine. Cette convivialité urbaine inspire des espaces partagés où la démarche créative n’est pas limitée aux seuls artistes mais peut être appropriée par chacun pour activer le domaine public et créer les conditions d’une régénération urbaine heureuse. L’art permet également de marquer les lieux de l’empreinte de l’histoire et de l’identité des habitants, de façon à renforcer la cohésion sociale de la communauté locale. L’expression artistique sert à relier les usagers de l’espace urbain et les décideurs ou managers de ces espaces que sont les autorités en apportant une personnalisation créative d’espaces urbains aménagés de façon formelle (Courage, 2013). Enfin, le regard critique qu’engage l’expression artistique sur l’environnement dans lequel elle s’inscrit encourage la citoyenneté active promue par l’urbanisme tactique. C’est dans cet objectif de création d’espaces conviviaux et accueillants, sources d’une identité locale retrouvée et d’un vivre ensemble renforcé que s’inscrit le travail de STEPS initiative dans les communautés fragiles dans lesquelles les interventions artistiques sont proposées.

14 « Placemaking is how people are more collectively and intentionally shaping our world, and our future on this planet », site internet de Project for Public Spaces, 2014 15 « a non-profit organization that uses art to connect people to public spaces » site internet de STEPS initiative, 2014

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1.3.2 : Un art contextuel qui propose une critique dans l’espace public Pour le géographe français Nicolas Bautès, deux formes d’intervention artistique en milieu urbain

se distinguent. La première forme est celle d’un art que l’on pourrait qualifier d’officiel dont le but principal est de mettre en valeur par une approche esthétique un paysage, un monument, un site. La seconde forme est un art qui propose une vision critique de l’environnement dans lequel il s’inscrit avec une dimension de résistance ou de remise en cause de l’ordre établi autour de lui. C’est l’Art contextuel du critique Paul Ardenne qu’il définit comme étant un la mise en rapport directe de l’œuvre et du réel, sans intermédiaire, l'œuvre s'y configurant en fonction de son espace d'émergence et des conditions spécifiques le qualifiant » (Ardenne, 2011). L’artiste sort de son atelier, il a la volonté de créer une expérience artistique qui engage les lieux qu’il investit. Il se détache du conformise et du conservatisme présent dans des musées dont il critique l’élitisme. Il utilise sa fonction et sa vision d’artiste pour, à travers une intervention, proposer une “mise en rapport directe de l’oeuvre avec le réel” pour amener le spectateur, le citoyen, l’habitant, à se poser des questions. Cette émancipation progressive de l’artiste connaît une étape particulièrement marquante dans les années 1960 en Europe avec les interventions in situ de l’artiste Daniel Buren pour lequel ce type d’Art urbain est “le seul qui puisse permettre de contourner, et de s’adapter à la fois et intelligemment aux contraintes inhérentes à chaque lieu (…), il peut dialoguer directement avec le passé, la mémoire, l'histoire du lieu (…), il ouvre le champ d’une possible transformation, du lieu justement » (Ardenne, 2011). D’abord contestaire, la pratique artisique dans l’espace public va évoluer, au cours des décennies 1980 et 1990 vers des interventions de plus en plus institutionnalisées, le succès de l’Art dans la ville étant alors capté peu à peu par des institutions qu’il dénigrait au départ. Utilisée comme source de reconstruction de lien social dans des villes qui subissent les aléas d’une désindustrialisation progressive, l’Art urbain perd alors petit à petit de sa dimension transgressive et politique car les artistes sont de plus en plus financés, soutenus et donc contraints par les commandes des institutions publiques et des organisations privées.

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1.3.3 : De l’art urbain à l’ARTivisme : vers une médiation urbaine artistique

Figure 9 : 28mm. Women are heroes. JR. Rio de Janeiro

source : www.lazinc.com

Dans son analyse de l’oeuvre “28mm. Women are heroes” de l’artiste JR dans les favelas de Rio

de Janeiro, Nicolas Bautès (2010) montre que l’artivisme se distingue de l’activisme par sa dimension de médiation sociale. C’est un “art d'intervention et art engagé de caractère activiste (happenings en espace public, "manœuvres"), art investissant le paysage ou l'espace urbain (land art, street art, performance…), esthétiques dites participatives ou actives dans le champ de l'économie, de la mode et des médias.” Ainsi lors de son travail dans la favela Morro Da Providência à Rio de Janeiro (Brésil), l’artiste JR a voulu attirer l’attention sur la condition des femmes et des enfants dans les favelas, marquée par la violence et la marginalité, en exposant leurs corps et leurs visages sur de grandes fresques peintes avec la collaboration des habitants sur les murs des habitations précaires installées sur la colline, donnant ainsi une perspective sur l’œuvre à l’ensemble de la ville. Alors qu’au départ l’Art urbain propose une contestation politique, l’artivisme utilise l’art comme pour la prise de conscience d’un problème. L’art n’est pas utilisé comme une arme de confrontation directe ou d’opposition frontale. L’intervention artiviste se distingue également de l’art urbain des artistes par la dimension participative et interactive, l’engagement citoyen qu’elle implique, ainsi que par la recherche d’une médiatisation et d’une valorisation économique et sociale. Les spectateurs ne doivent plus être des observateurs passifs mais devient actif par leur appropriation mentale et physique de l’œuvre proposée par l’artiste. De plus, alors que l’art urbain institutionnalisé et commandé sert à promouvoir des espaces urbains centraux (les centres-villes notamment), l’artivisme propose une stratégie de réappropriation du commun, c’est-à-dire des espaces marginalisés ou périphériques (Revel et Negri, 2008). C’est l’état d’esprit qui guide aux

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interventions proposées par STEPS initiative puisque l’artiste se met au service des aspirations et des inspirations des citoyens pour créer son œuvre, à la construction de laquelle ces mêmes citoyens sont invités à participer. Il en va ainsi pour le projet de la plus grande fresque murale du monde de Saint James Town qui a été conçue à partir des idées des jeunes du quartier puis réalisées par eux sous la direction, les conseils et l’appui de l’artiste Sean Martindale. De même, lors des évènements « PATCH it up ! » organisés pour faire la promotion du projet PATCH lors des nombreux festivals de quartier qui rythment la vie de Toronto, les habitants et les passants sont invités à se joindre au travail de l’artiste. L’œuvre finale, qui sera cédée au quartier à la fin de l’événement, est ainsi marquée de l’empreinte des habitants et de leur histoire. La fresque réalisée sert ensuite à valoriser l’image du quartier et parfois aider à mettre en valeur une surface commerciale vide afin d’en faire la promotion auprès de potentiels acheteurs comme ce fut le cas en juillet 2014 dans le quartier de Riverside.

Figure 10 : opération PATCH it up ! – Juillet 2014 - Toronto

Source : thepatchproject.org

1.3.4 : Le street art, révélateur des tensions et des synergies dans l’espace public

STEPS initiative utilise le street art, notamment à travers son projet PATCH, pour revaloriser des

espaces urbains délaissés, notamment les chantiers. Le street art est une pratique artistique évoluée du graffiti. Le désir de prendre possession de lieux à travers des signes, des symboles humains, est une manière de communiquer ancestrale, en témoignent les fresques qui ornent les espaces archéologiques préservées de la préhistoire. La production d’œuvres murales qui identifient et culturalisent un espace ont toujours eu pour vocation première de distinguer les espaces habités par l’homme des espaces

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sauvages (Wendl, 2011). C’est pour cette raison qu’émerge dans les années 1970, notamment à New-York et Philadelphie, une culture du graffiti qui s’ancre dans un contexte de crise pétrolière, de guerre du Vietnam et de remise en cause du modèle économique Américain. Les graffitis permettent en premier lieu à des populations marginalisées par le contexte économique de marquer leur présence dans la ville, avec au sein d’une compétition la volonté de marquer de sa présence le plus grand nombre de lieux possibles. Avec la multiplication du graffiti, celui-ci évolue vers la forme du tag en ajoutant à ce qui n’était au départ qu’une forme d’écriture sauvage sur les murs un souci du design et de la forme de plus en plus important (Conklin, 2012). Cependant le message reste le même, il ne possède aucune dimension politique ou revendicatrice mais exprime simplement la volonté de populations en fragilité de rappeler leur présence dans la société. Parallèlement à l’expansion de la pratique du graffiti va apparaître la forme dérivée du street art. Cette forme d’intervention urbaine est nouvelle réponse des artistes et des activistes à l’annihilation de la créativité les projets urbains brutaux et surdimensionnés qui refaçonne alors les downtown des centres urbains en déplaçant les résidents les moins fortunés au profit des plus riches et privatisant de plus en plus d’espaces publics. Le street art s’approprie directement les codes de la culture mainstream, en mettant en avant l’artistique et l’esthétique, en se distinguant de l’activité criminelle souvent associée au graffiti et au tag, lui permettant ainsi de s’adresser au plus grand nombre. Le street art permet de distinguer la consommation de l’espace public par deux types de consommateurs différents que sont les habitants et les artistes (Visconti, 2010). On peut également différencier le public space qui est anonyme du public place qui lui est approprié et identifié comme tel. Le street art est alors vu comme une forme de place marking qui invite les habitants à porter un regard critique sur l’anonymat des spaces et contribuent à les réclamer en tant que place. On distingue par ailleurs deux types d’approche de l’espace public, l’une individualiste, qui correspond à la volonté d’appropriation personnelle de l’espace selon les lois du marché et de la propriété; la seconde collective dans laquelle les consommateurs de l’espace ont conscience de sa dimension partagée et citoyenne (Visconti, 2010). A partir de là se dessine une typologie qui combine tour à tour les approches individuelles et collectives des citoyens d’un côté, des artistes de l’autre que nous résumons dans le tableau suivant.                          

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1 . Appropr iat ion pr i vée de l ’espace

pub l ic Citoyen: approche

individualiste Artistes: approche

individualiste

contestation hypocrite et affirmation d’une identité individuelle (l’artiste conteste mais se sert de cette contestation comme support de son travail, exemple d’Obey qui transforme son oeuvre en logo), exploitation par le marché (répondre à des appels d’offres officiels, exemple du Tate Modern à Londres), préservation de la propriété privée (refus par les citoyens de voir

leur mur être dégradé par du street art)

2 . Rés istance à l ’a l inéat ion de l ’espace pub l ic Citoyens: approche

collective Artistes : approche

individualiste

Subjectivité dans le rapport au street art, préférence pour les artistes locaux qui interviennent localement, qui promeuvent un empowerment local, et non pas des artistes qui

viennent simplement “signer” de façon individualiste un mur sans implication locale.

3 . Pour une démocrat ie de rue

Citoyens: approche individualiste

Artistes: approche collective

Contrairement aux citoyens, les artistes ne considèrent pas les murs comme une propriété privée. Volonté artistique de réanchanter l’espace urbain par l’art (réveiller les citoyens et les

reconnecter à leur environnement, leur proposer un regard critique sur leur environnement)

4 . E f for t pour un espace du commun,

du partage Citoyens: approche

collective Artistes: approche

collective

Même état d’esprit que pour le 3. mais participation, intégration des citoyens volontaires au processus.

Figure 11 : Typologie de consommation de l’espace public à travers le street art  

 Emerge alors l’idée que les artistes puissent agir comme des curators dans la ville, c’est-à-dire des travailleurs culturels indépendants qui sont capables d’éviter les contraintes architecturales, bureaucratiques, legislatives, économiques pour créer une relation d’appartenance et d’appropriation entre les gens et leur environnement (Visconti 2010). C’est dans cette logique que le travail artiviste de STEPS initiative s’inscrit.    

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PARTIE 2 Quel rôle dans la

planification urbaine ?        

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Dans une démarche de provocation, la première opération de Build a Better Block a été organisée dans l’objectif consciemment mis en valeur d’enfreindre le plus de règlements d’urbanisme possibles16. Poussant la provocation encore plus loin, les activistes invitèrent les élus locaux et les autorités durant le week-end de l’événement afin que ceux-ci puissent constater l’enthousiasme de la population locale pour revitaliser leur quartier. Le but de cette opération était de souligner l’inadéquation des nombreuses régulations, codes et autres zonages de planification urbaine avec de petites actions ponctuelles de transformation urbaine destinés à redonner vie à un quartier. Jason Roberts explique la difficulté de proposer de petites activités d’animation (pop up store, cafés temporaires, terrasses, food truck, interventions artistiques…). Les autorisations sont difficiles à obtenir en raison du très grand nombre de règles à respecter et leur coût est généralement prohibitif. Et le respect du zonage urbain rend impossible l’émergence d’activités si la zone n’y est pas destinée. Dès lors, la question qui se pose est celle de l’articulation entre la planification urbaine, démarche rigide et rigoureuse mais nécessaire pour assurer le développement d’un territoire, et les interventions d’urbanisme tactique qui réclament une souplesse et une flexibilité propice à l’éclosion de multitudes de propositions. Cette question est d’ailleurs soulignée par Mike Lydon dans son manuel17. De plus, comme le souligne Laura Pfeifer dans son guide de l’Urbanisme Tactique à l’usage des urbanistes, le rôle des professionnels de l’urbanisme dans ce processus d’appropriation d’une méthode informelle demeure incertain (Pfeifer, 2013). Et si le bénéfice des interventions d’urbanisme tactique est avéré, quel est alors le rôle des urbanistes, partagés entre le rôle crucial de la planification urbaine et les atouts à mettre en avant par de petites actions spontanées qui dépassent le cadre réglementaire ?

17 « Tactical urbanism is more effective when used in conjunction with long-term planning efforts that marry the urgency of now with the wisdom of patient capital »  

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2. 1 : Que l le a r t icu la t ion p lan i f icat ion / u rban isme tact ique ?

2.1.1 : Du laboratoire expérimental…

Par leur échelle d’intervention, les interventions d’urbanisme tactique sont des prototypes pour l’aménagement urbain. Il s’agit du cadre idéal pour l’expérimentation et pour l’essai. Pour Mike Lydon, ce type de projet-prototype fonctionne en itération, c’est-à-dire que les échecs et les erreurs commises peuvent être corrigées, le projet peut être modifié et ajusté assez facilement grâce à la flexibilité qui caractérise l’urbanisme tactique (Benner, 2013). Cette flexibilité est due à l’échelle réduite des projets ainsi que leur faible coût qui induisent une minimisation du risque financier encouru. En effet la dimension expérimentale et innovatrice des interventions leur donne droit à l’échec, ce que soutiennent la plupart des urbanistes et des techniciens impliqués ce type de projet18 (Pfeifer, 2013). L’articulation entre l’urbanisme tactique et la planification urbaine se situe donc au niveau de ce rapport entre le prototype de petite taille et le grand projet de planification. C’est ainsi que le collectif REBAR définie à sa façon l’urbanisme tactique qui, par des révisions modestes ou temporaires de l’espace urbain, permet de faire émerger des transformations structurelles de l’environnement19 (Bishop, 2012). Il est à noter que la planification urbaine et l’urbanisme tactique partagent le même objectif, celui de donner à la communauté humaine qu’ils servent les moyens de son développement. Alors que la planification joue sa partition dans la gestion des problématiques à large échelle (étalement urbain, mobilité, transports, gestion et protection des espaces naturels…), l’urbanisme tactique semble être adapté à résoudre des problèmes à l’échelle de l’espace public. Alors qu’au premier abord, l’urbanisme tactique semble s’être construit en réaction, voire en opposition, à un système de planification jugé trop rigide et inefficace, la complémentarité des deux approches pourrait se situer dans cette dimension expérimentale qui fait de l’urbanisme tactique un espace d’innovations et de recherche pour l’environnement urbain. Dans le cas de l’intervention de Build a Better Block à Dallas en 2010, le succès de l’événement a conduit le conseil municipal à réviser des règlements afin de répondre aux envies et aux attentes constatées durant l’intervention. Les critères restrictifs pour les terrasses furent revus à la baisse, les vendeurs de rue furent autorisés et les permis de construire rendus plus faciles à obtenir pour de petites installations d’aménagement paysager. Le mouvement play street, qui propose de fermer régulièrement durant une journée l’accès automobile pour laisser la place à la déambulation et aux jeux dans une rue est un autre exemple de cette approche incrémentale qui fait passer une expérimentation-test à une démarche pérenne. Ainsi dans le quartier de Jackson Heights à New-York, une expérimentation de ce type fut menée durant les dimanches des mois de printemps, d’été et d’automne en 2008 et 2009. Face au succès de

18 « Planners noted their department was supportive of taking measured risks and understood that failure was part of creating new and innovative programming » 19 « the use of modest or temporary revisions to urban space to seed structural environmental change »

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l’opération, la ville décida de restreindre l’accès automobile à la rue de façon permanente durant les mois de juillet et août de l’année suivante, puis en ajoutant le mois de septembre en 2011.

Figure 12 : opération Play Street dans le quartier de Jackson Heights à New-York

Source : walksteps.org

2.1.2 : … à la pérennisation

Le potentiel des opérations d’urbanisme tactique dans le cadre de projets de planification urbaine réside donc en premier lieu dans leur dimension expérimentale. Les urbanistes et planificateurs peuvent se saisir de ces interventions temporaires en les incluant à l’intérieur de processus de planification à plus large échelle afin d’en mesurer concrètement les impacts. L’idée est ici d’intégrer les interventions tactiques en tant que partie intégrante de politiques d’aménagement urbain globales. Cette intégration peut s’effectuer à la suite du succès d’une opération, comme ce fut le cas à Raleigh. En effet, suite son retrait par les autorités, la réintroduction de la signalétique urbaine proposée par les activistes du projet Walk Raleigh a été proposée par le City Council. Il s’agissait d’inscrire cette volonté d’inciter à la marche dans le plan piéton de la ville, plus précisément dans le chapitre 5 de celui-ci consacré aux programmes et initiatives de promotion du réseau piéton de la marche à pieds (Benner, 2013). De plus, l’initiative de Walk Raleigh fut intégrée aux objectifs de développement à long terme contenus dans le programme Raleigh 2030 qui réclame une élévation des parts du vélo et de la marche dans les modes de déplacements. Pour certains urbanistes, l’avantage d’intégrer des interventions tactiques en amont de la conception de leurs projets de planification est d’en faire des bancs d’essais destinés à mesurer les impacts de propositions qui pourraient être contenues dans le projet final. C’est l’idée de projets pilotes servant d’échantillon de test pour les porteurs du projet et par la même occasion de vitrine auprès des

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habitants. A New York, le succès de l’expérience de pop up cafe menée à Times Square a incité la ville à multiplier l’intervention à travers des quartiers moins prisés des touristes, au bénéfice de la population locale. Il s’agit du NY Plaza Program, une politique municipale de création de nouvelles place publiques mise en œuvre par une organisation non lucrative créée ad hoc. Les communautés locales sont invitées à proposer leur vision à travers des ateliers desquels résultent une proposition d’aménagement léger, sur le modèle d’une intervention tactique. Lorsque le succès est au rendez-vous, c’est-à-dire que les habitants se sont appropriés l’aménagement et en expriment leur satisfaction, un aménagement plus travaillé, avec une intervention des services municipaux, transforme l’aménagement temporaire en une place publique permanente inscrite dans le long terme. A Toronto, le mouvement des pop up store qui s’installent de façon temporaire dans des surfaces commerciales vacantes a été analysé par l’étudiant Rudra Sarkar qui a démontré leur capacité à stabiliser un turnover commercial important ainsi que mobiliser les acteurs locaux autour du rôle qu’ils peuvent jouer pour fixer l’activité commerciale dans leur quartier (Sarkar, 2004). De plus, ces interventions tactiques sont utiles car elles donnent du temps de réflexion aux urbanistes pour penser et construire un projet de long terme efficace par rapport aux caractéristiques locales constatées durant le temps de l’expérience (clientèle, flux, temporalité…). Les interventions tactiques ont donc servi de phase de test, de rampes de lancement pour des projets d’aménagement urbain à plus long terme ou pour la réflexion sur une stratégie de revitalisation commerciale et sociale d’un quartier.

2.1.3 : Un vecteur d’intensité urbaine

L’un des avantages de l’urbanisme tactique sur la planification urbaine est qu’il ne met pas seulement en mouvement le bâti mais aussi les hommes. En mobilisant les citoyens, en les amenant à investir leurs rues, en créant du mouvement dans l’espace public, il contribue à construire ce que les urbanistes Nord-Américains appellent l’urban vibrancy, que l’on pourrait traduire par l’intensité urbaine. Il s’agit d’une qualité permettant d’attirer les populations, les activités dans des espaces, leur donnant de la valeur et augmentant les opportunités de développement et de prospérité économique de cet espace20 (ArtPlace, 2011). L’intensité urbaine permet en outre de renforcer la fierté locale par l’attraction extérieure qu’elle exerce. Elle existe de fait lorsque la population est capable d’investir les lieux pour accomplir le plus large panel possible dactivités. Or l’aménagement urbain traditionnel émanant des sphères décisionnelles place le projet physique avant la liberté de mouvement des populations21 (Mean & Tims,2005). Or l’investissement humain est indispensable pour créer cette intensité urbaine. Les

20 « attracting of people, activities and value to a place and increasing the desire and the economic opportunity to thrive in a place » 21 “A new town square could be carefully, beautifully designed, but there was no guarantee that people would come and use it. People have a wide variety of motivations, needs and resources that shape their personal capacity and desire to use…space. Indeed, public space is co-produced through the active involvement of the user”

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interventions tactiques constituent alors le meilleur moyen de combiner les préoccupations d’aménagement physique et fonctionnel de l’espace avec la mobilisation de la population dès l’amont du projet, sans attendre de voir si celle-ci s’approprie les espaces nouvellement aménagés une fois que la livraison de ces derniers ait été effectuée. En 2013, une autre intervention de Build a Better Block à Norfolk (USA) a conduit aux mêmes constat : un urbaniste employé de la ville déclarait que le projet avait éveillé les autorités autant que les habitants au potentiel de développement du site en question. Suite à l’événement, les food truck furent autorisés, des surfaces commerciales vendues et de petits commerces testés durant le week-end de l’événement pérennisés22. Il s’agit ici d’une opération de revitalisation endogène puisque impulsée à partir des initiatives de la population locale. Ces petites améliorations ponctuelles forment le catalysateur d’un changement positif à plus long terme en faisant la démonstration du potentiel d’attractivité des lieux. Impulsée ou du moins soutenue par des politiques de planification urbaine, ces tactiques peuvent donc servir l’objectif social et économique de l’attractivité urbaine.

2.1.3 : Vers une consultation citoyenne collaborative ?

L’urbanisme tactique peut également être appréhendé comme un outil de renouvellement des méthodes de consultation citoyenne. Andrew Howard, l’un des co-fondateurs de Build a Better Block, fait ainsi le constat des failles des méthode de consultations actuelles qui ne proposent pas aux habitants qu’un rôle passif ou limité. Or l’urbanisme tactique permet justement une approche collaborative incluant la participation active des habitants à la mise en place du projet. Ainsi, bon nombre d’urbanistes veulent faire de l’urbanisme tactique une plateforme opérationnelle permettant une collaboration entre les citoyens et les autorités porteuses du projet, la qualifiant de « consultation en temps réel23 (Benner, 2013). L’expérience de l’espace remplace ici l’observation rapide et souvent superficielle de projections 3D couchées sur papier ou la lecture rapide de dossiers de présentation (Pfeifer, 2013). Ce type de projet temporaire permet de contrebalancer le temps long -et donc difficilement perceptible- des projets urbains. La mise en scène d’une expérience permet de souligner la transformation active d’un espace, de changer le point de vue des habitants sur celui-ci en invitant à l’imagination présente d’un futur plus ou moins lointain (Killing Architects, 2012). L’expérience et le vécu d’une installation permettent de déclencher une discussion sur la conformité des objectifs du projet proposé avec les besoins et les valeurs de la communauté locale. Certains urbanistes font d’ailleurs le constat de la diminution du sentiment d’appréhension face au changement manifesté par les opposants aux projets car ils ont la possibilité d’expérimenter de façon sensitive les impacts positifs promis par le projet (Benner, 2013).

23 « The physical nature of the intervention could provide a platform for citizens to work directly with officials - acting as a form of community consultation in real-time »  

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2.1.4 : Le soutien de la population locale et le renforcement de la cohésion sociale

Cette méthode de consultation qui fait appel à l’expérimentation a pour avantage de favoriser le soutien des habitants. Cela peut d’ailleurs devenir un critère à la mise en place de l’expérimentation. Par exemple, dans le cas d’Intersection Repair à Portland, l’organisation des interventions, c’est-à-dire l’obtention du permis officiel pour les réaliser en toute légalité, repose sur l’obtention d’un soutien total de la population concernée. Cela se traduit par une demande précise de la part des autorités locales : l’approbation, à travers la collecte de signatures, de 100% des résidents qui vivent directement autour de l’intersection, et 80% des résidents qui vivent dans un rayon de 120 mètres autour de cette intersection (Pfeiffer, 2013). De la même manière, le NY Plaza Program cherche à solidariser les citoyens à l’aménagement de nouvelles places publiques. En effet ces interventions doivent être réclamées par des citoyens demandeurs qui doivent alors, pour bénéficier du programme, démontrer un large soutien de la part des autres habitants, des commerçants et du conseil communautaire local. Si l’intervention est accordée, le Department of Transportation travaille alors étroitement avec la population locale pour produire une installation issue d’un consensus. L’idée est de faire corps avec la communauté des habitants pour proposer des projets en adéquation avec leurs attentes et leurs valeurs. La construction d’un tel consensus autour d’un projet de petite échelle permet d’éviter les conflits d’intérêts locaux et les réactions de type NIMBY en solidarisant la population autour d’un projet d’avenir commun. En 2013, Lakeman, le fondateur de City Repair à Portland, exposa à Cleveland l’expérience d’Intersection Repair menée dans sa ville. Contrairement aux quartiers résidentiels de Portland, Cleveland est une ville marquée par une ségrégation raciale importante et une population précaire très largement représentée. Plus positivement, elle bénéficie d’une vie sociale très développée dans les différentes communautés de la ville. Inspiré par l’expérience de Lakeman, le directeur du département d’urbanisme de la municipalité pris la tête d’un projet similaire dans l’un des quartiers défavorisés de la ville. Pour lui, le processus de création collective d’une fresque murale permet d’engager les habitants et renforcer un sentiment d’appartenance commun indispensable au vivre ensemble, à la paix sociale24 (Silderberg, 2013). Redonner du souffle à l’identité partagée d’une communauté permet de faire changer le regard extérieur qui lui est adressé et par conséquent favoriser son développement harmonieux.

2.1.5 : Un outil d’éducation urbaine

24 “The activities associated with designing a mural, painting it, and holding parties obviously engage the neighborhood and create a stronger sense of attachment between neighbors.This sense of community is what any neighborhood needs to be a great place to live.”

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A travers ces formes renouvelées de consultation citoyenne, l’urbanisme tactique peut également appuyer une éducation populaire à l’environnement urbain (Killing Architects, 2012). Ces interventions, par leur dimension interactive et ludique, peuvent permettre de populariser des réunions de consultation qui sont souvent négligées par les citoyens, permettant au projet global de s’enrichir de contributions d’un panel plus élargi de citoyens. Par ailleurs, ces interventions peuvent aider à renouveler un regard parfois désabusé des habitants sur leur environnement. De façon plus générale, l’urbanisme tactique est un outil d’éveil et de pédagogie de la planification urbaine, pouvant faciliter la compréhension des mécanismes qui donnent corps à l’environnement quotidien. La dimension participative de ces interventions peut quant à elle permettre de libérer l’imagination locale et ouvrir le quotidien urbain à l’innovation, au design, encourageant chaque citoyen à proposer des idées, assumer des convictions et tester des expériences. On retrouve ici la notion d’empowerment qui, au-delà d’être un outil d’émancipation citoyenne, permet une participation plus active des individus à la vie de la cité et donc aux projets de planification qui décident de son devenir.

2 .2 : L ’adaptat ion des procédures admin is t rat i ves : ve rs un lean urban ism ?

2.2.1 : Le management du risque

L’un des enjeux est la question de la responsabilité autour des opérations d’urbanisme tactique. La question de la responsabilités faces à d’éventuels problèmes de sécurité se pose. Si quelqu’un vient à être blessé, est-ce la ville, en tant que propriétaire de l’espace public, qui doit se charger du respect des conditions de sécurité ? Qu’en est-il du rôle des organisateurs ou des activistes ? Si l’intervention se déroule au sein d’une propriété privée à l’image des pop-up stores, quel est le rôle du propriétaire du bâtiment ? La plupart du temps, cette problématique est partagée par l’ensemble des acteurs en présence, permettant une responsabilisation collective de l’environnement urbain. Par exemple, les autorités peuvent être responsables des risques d’accidents humains ou matériels, le propriétaire s’assure de la protection de son bien immobilier tandis que les organisateurs de l’intervention sont chargés d’acquérir une assurance professionnelle pour le bon déroulement de l’activité proposée (Pfeifer, 2013).

2.2.2 : La difficulté de faire émerger des initiatives face à des règlements pesants

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L’un des obstacles qui rend l’urbanisme tactique si particulier au sein des différentes méthodes de développement urbain est un décalage en terme de temporalité. En effet, les processus de planification urbaine classiques sont basés sur des développements de long terme alors que l’urbanisme tactique est caractérisé par sa dimension temporaire et court-termiste. Il en résulte un décalage entre les besoins des activistes de l’urbanisme tactique et des démarches administratives non adaptées. Le subterfuge employé alors par l’urbanisme tactique est le contournement informel de ces règles et procédures. Les régulations font qu’aujourd’hui il est difficile de faire émerger des initiatives car les normes et autorisations réclamées sont devenues trop nombreuses25. La prolifération des régulation est intervenue à la suite d’une première phase de revitalisation des villes américaines (fin des années 1990) durant lesquelles une population souvent créative, composée d’artistes, d’entrepreneurs, a réinvestit des downtown et des quartiers délaissés pour y faire fleurir leur créativité. Cette forme de renaissance urbaine a attiré les investisseurs immobiliers privés. Cela a contraint les gouvernements locaux à réguler le développement de ces espaces urbains à travers la mise en place de codes de zonage et de règlements ; mais également par la prolifération de partenariats publics-privés tournés vers des projets de grande envergure, à large impact et aux budgets conséquents, au détriment des petits projets de mise en valeur de l’espace urbain. Ainsi en l’espace d’une vingtaine d’année, la prolifération bureaucratique a anesthésié la capacité de populations à revitaliser l’espace urbain par ses projets et ses actions. Or aujourd’hui, la génération des millenials est en de nouveau en demande pour pouvoir agir sur son environnement26.

2.2.3 : Qu’est ce que le lean urbanism project ?

Dotés d’un site internet présentant leur démarche au slogan évocateur (« Making small possible ») Le lean urbanism représente une nouvelle étape dans les stratégies proposées par le Congress for New Urbanism (CNU) pour concrétiser sa vision d’une ville à échelle humaine. C’est également une manière de professionnaliser l’urbanisme tactique en fournissant une méthode de travail auprès des acteurs plus officiels de l’aménagement urbain que sont les promoteurs, les constructeurs, les aménageurs ou encore les entrepreneurs soucieux d’avoir un impact positif sur leur environnement. Il s’agit de proposer des méthodes de réalisation de projets d’amélioration de petite échelle, rapides, efficaces et peu couteux tout en respectant la loi et donc en évitant le risque d’être poursuivi ou sanctionné pour infraction. C’est un projet administré par le Center for Applied Transect Studies et

25 This is too difficult in most places because of regulations, bureaucracy that makes it impossible to bake a cookie for sale without a certified kitchen, an accessible bathroom and constant inspections http://www.knightfoundation.org/ 26 Bureaucracies have exterminated the slack that once allowed bohemians to inhabit a place organically. We elders haven’t noticed because most of us grew up amid the rising tide of regulation. Young people, however, are bewildered and repelled. Ibid.  

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financé par la Knight Foundation27. L’instigateur de ce projet est Andres Duany, un développeur immobilier et l’un des co-fondateurs du CNU. C’est son expérience professionnelle en tant que développeur immobilier dans le privé qui lui a fait constaté la nécessité de s’entourer d’une armée d’avocats et de spécialistes de la législation pour mener à bien des projets dans le système complexe de la ville contemporaine28.

2.2.4 : Favoriser des projets spontanés par la flexibilité

Concrètement, l’urbaniste propose de mettre à disposition des contrats construits pour le lean urbanism project destinés à instaurer un système de répartition des responsabilités entre toutes les composantes concernées par un projet de pop up store ou de petit commerce spontanés. L’idée est d’alléger les responsabilités des institutions (notamment en termes de sécurité) et de les reporter explicitement sur les porteurs de projet afin de diminuer la frilosité des autorités a autorisé ce type d’activités à petit échelle. Cette mise à diposition d’outils permet aux porteurs de projets d’éviter la contrainte financière de l’embauche d’avocats ou de juristes, allégeant ainsi une charge qui est un obstacle à l’éclosion de multiples initiatives bénéfiques à l’environnement urbain. En résumé, le lean urbanism a pour objectif de revitaliser les villes en offrant des moyents aux citoyens de s’impliquer dans la construction et l’amélioration de leur environnement quotidien 29 . A Buffalo (Etat de New York), durant les consultations citoyennes pour la mise en place d’un green code promouvant le développement urbain durable, l’idée d’intégrer des usages temporaires dans le zonage et les règlements urbanistiques de la ville fut adoptée, ainsi que celle de développement des permis pour faciliter la mise en place de ces nouveaux usages. Cette intégration des attentes d’une population désireuse de participer activement, par ses propres initiatives, au renouveau d’une ville durement marquée par la désindustrialisation, montre les possibilités offertes par le lean urbanism project. Plutôt que d’engager un processus isolé pour chaque initiative qui sera proposée, les autorités locales prennent les devants et imaginent l’intégration d’activités et d’interventions dans une planification urbaine adaptée à leur mise en œuvre.

28 “You can’t do anything without hiring a professional or a specialist in the regulations and the laws,” http://nextcity.org/daily/entry/project-for-lean-urbanism-congress-for-the-new-urbanism-andres-duany 29 Between the poles of Tactical Urbanism and New Urbanism, writes Andrés Duany, Lean Urbanism “focuses on revitalizing cities by finding ways for people to participate in community-building—specifically, by enabling everyday people to get things done.” Nextcity.org

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2.3 : Vers la p ro fess ionna l isat ion des act i v is tes ?

2.3.1 : Une coopération entre activistes et institutions

Les porosités et complémentarités constatées entre l’urbanisme tactique et la planification urbaine posent la question du rôle des activistes : si les méthodes de planification tendent à s’inspirer des méthodes des activistes, quel est le rôle de ces derniers ? Sont-ils condamnés à disparaître ou à inventer toujours de nouvelles formes d’intervention ? En filigrane, un constat apparaît, celui d’une tendance à la professionnalisation des activistes. Les opérations d’urbanisme tactique perturbent la vie quotidienne et l’ordre quotidien de l’espace public dans lequel elles se déroulent, c’est l’un des raisons même de leur existence. Dans la perspective d’une articulation de l’urbanisme tactique avec la planification urbaine, l’origine informelle et illégale de ces interventions peut être transformée en une forme de coopération au bénéfice des activistes (éventuelles plaintes, incompréhensions ou poursuites administratives), comme des citoyens (sécurité, confiance) et des institutions (image dynamique, association de l’institution aux impacts bénéfiques de l’intervention). Cette coopération peut concerner l’obtention facilitée d’autorisations administratives nécessaires à la tenue d’un événement ou la mise en place d’une installation temporaire, ou encore la location gracieuse de propriétés appartenant à l’institution concernée. Cette forme de coopération nécessite la construction de relations de confiances durables entre les activistes chargés de la mise en place de l’intervention et les services de l’institution. L’enjeu réside par ailleurs dans la coordination entre les différents services de cette institution qui peuvent être sollicités, ainsi dans son rapport sur cette problématique, l’agence néérlandaise Killing Architects recommande la coopération d’un contact au sein de l’institution chargé de faciliter les démarches en ayant une fonction de relais des activistes auprès des différents services et administrations (Killing Architects, 2012). Dans le cas du projet signalétique de Walk Raleigh, c’est à l’issu d’un rapport de force qu’une entente entre l’activiste et les autorités institutionnelle s’est établie. En effet, après que les panneaux furent enlevés par les services municipaux, Tom Tomasulo et ses amis ont proposé une pétition sur internet nommée Restore Walk Raleigh demandant la remise en place des panneaux subtilisés. Accréditée par une attention médiatique internationale sur ce projet innovant (articles sur les chaînes TV nationales –BBC- et dans la presse –Huffington Post, Atlantic Cities-), la pétition récolta 1255 signatures en trois jours. Suite à cela, le service urbanisme de la ville proposa au City Council un programme dans le cadre duquel serait remise en place la signalétique urbaine proposée par Walk Raleigh (Benner, 2013). Le succès de l’urbanisme tactique auprès des autorités et des institutions a été constaté lors de l’une des premières interventions de l’organisation City Repair à Portland. En effet comme nous l’avons vu, si la première opération de réappropriation d’une intersection urbaine a subi la désaprobation de l’administration municipale (notamment du City Bureau of Transportation), une rencontre avec le maire a permis aux activistes de démontrer le succès de leur opération et d’obtenir le soutien actif des autorités. Cependant, ce soutien ne s’est pas manifesté ni par une prise en charge des interventions ni

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par un soutien financier et matériel quelconque. Il a été proposé aux activistes de City Repair de structurer leur intervention sous la forme d’un événement officiel, c’est-à-dire ayant reçu les autorisations administratives nécessaires et ayant une dimension de communication et de marketing plus évoluée. C’est ainsi que l’événement annuel Village Building Convergence est né. Par ailleurs, c’est également tout un encadrement légal et réglementaire qui a été proposé aux activistes de City Repair. Ainsi la livraison gratuite de permis permettant aux opérations de se dérouler en toute légalité est rendue soumise à l’application de différents critères parmis lesquels : -­‐ respect de localisation sécurisée (intersection à faible trafic routier et sans ligne de transport en

commun) -­‐ 80% des résidents dans un rayon déterminé autour de l’intersection soutenant le projet à travers

la signature d’une liste de soutien -­‐ approbation des propositions des habitants par des ingénieurs de la ville lors de réunions de

quartiers Le montage, la mise en place ainsi que le financement du projet demeurent quand à eux de la responsabilité des habitants et des porteurs de projets. Nous pouvons constater ici le glissement d’une intervention urbaine spontanée vers une opération d’évènementiel urbain encadrée et presque labellisée.

2.3.2 : Une remise en cause du métier d’urbaniste ?

La normalisation progressive de l’urbanisme tactique comme une méthode de faire la ville questionne sur l’approche que doivent adopter les urbanistes. En effet, l’innovation principale apportée par l’urbanisme tactique est la mobilisation et la participation citoyenne qu’il exige. Non pas participation en tant que réponse ou jugement d’un projet présenté, mais en tant que force à la source même de la conception du projet, en amont de sa mise en place et de la prise de décision. C’est une approche centrée sur le développement des communautés d’habitant, connue sous le terme de community planning ou community development en Amérique du Nord. Cette approche prend racine dans les décennies 1960 et 1970 dans un contexte grandissant de mouvements populaires notamment liés à la réclamation de droits civils pour les minorités noires. A l’image de l’urbanisme tactique, ces mouvements ont pris racine dans la mobilisation des citoyens et le rejet de politiques top down décidées par des experts. Concernant la ville, la révolte se tourne vers des projets de renouvellement urbain qui se concentrent sur la transformation physique des quartiers dégradés sans prendre en compte l’enjeu du maintien de la vie sociale et communautaire interne, voir souvent avec un déplacement forcé des populations précaires vers d’autres territoires relégués. La méconnaissance du territoire par les experts qui semblent défendre une science urbanistique rigoureuse et précise se heurte à la réalité locale. Ainsi à cette époque le quartier du West-End de Boston était considéré par les urbanistes locaux comme un bidonville qu’il fallait éradiquer pour le bien être de la ville, et proposèrent donc un gigantesque projet de renouvellement

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urbain. Or les habitants de ce quartier déshérité percevaient cet environnement comme une communauté solidaire, marquée par son ouverture culturelle et la richesse de sa vie sociale (« a thriving multi-ethnic community », Kennedy, 2012). Ces mouvements provoquent une remise en cause de la supposée neutralité des politiques publiques au nom de l’intérêt général. Cela donne naissance à l’advocacy planning, pour lequel l’urbanisme n’est plus considéré comme une science neutre et sans enjeu politique mais comme un combat entre des groupes d’acteurs aux intérêts différents (Kennedy, 1996). Si le terme n’est plus employé aujourd’hui, l’advocacy planning a laissé en héritage le principe de la participation citoyenne dans les projets d’urbanisme, bien que ce concept soit bien souvent dévoyé au profit d’une consultation superficielle sans réel pouvoir de modification ou de proposition. Si l’évolution est notable, l’héritage de l’advocacy planning et sa transmission au sein du community planning ne renverse pas la tendance d’un pouvoir décisionnaire conservé par les experts et les professionnels. Le savoir faire de la ville reste entre les mains des urbanistes. On reste ici concentré sur la recherche d’une production physique, d’un projet bâti transposé dans la réalité, plutôt que sur le processus de mobilisation et d’empowerment des citoyens. Les urbanistes s’attèlent à comprendre ce qui correspond aux attentes des habitants alors qu’ils pourraient proposer aux habitants leur aide dans la concrétisation de leurs aspirations. C’est ici que l’urbanisme tactique prend toute sa dimension puisque sa démarche de bottom-up semble, à première vue, laisser de côté les professionnels de l’aménagement urbain au profit de la créativité et du sens de la débrouille des habitants et des activistes.

2.3.3 : Une professionnalisation des activistes ?

Dès lors que la nécessité d’engager les citoyens à participer activement au façonnage de leur environnement apparaît, comment organiser cette mobilisation ? Si les interventions spontanées émanant d’initiatives ponctuelles demeurent, l’expansion des techniques de la tactique urbaine à travers la ville nécessite une certaine forme de structuration et d’organisation. Par exemple, dans le cas du mouvement des pop-up store à Toronto, l’étudiant Rudra Sarkar a démontré dans son étude la nécessité de voir apparaître une structure de médiation urbaine, occupant le rôle d’intermédiaire entre des propriétaires désireux de valoriser leur bien à vendre et des artistes ou des entrepreneurs en recherche d’un local pour tester ou lancer leur activité à moindre frais. L’enjeu réside également dans le fait de normaliser la pratique à travers une organisation capable de standardiser des principes de fonctionnement (contrat type, recrutement d’occupants temporaires, conditions de location du bien immobilier…). Il s’agit de donner des gages de sécurité pour rassurer des propriétaires qui peuvent être au premier abord rebutés par l’amateurisme de la pratique de ce type d’intervention (Sarkar, 2004). Le texan Jason Roberts, fondateur de Build a Better Block et ses coéquipiers sont représentatifs de cette tendance. Leur intervention à Dallas a provoqué un certain intérêt médiatique qui les a ensuite conduit à superviser le même type d’intervention dans d’autres villes des Etats-Unis. Profitant de leur succès, ils

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exercent aujourd’hui en tant que consultants en design urbain proposant leurs services aux institutions intéressées et défendant la cause de l’urbanisme tactique auprès des professionnels. Les activistes de STEPS initiatives sont également salariés de leur organisation, notamment grâce à l’apport financier de fondations locales dédiées au développement de l’art urbain.

2.3.4 : L’enjeu de l’évaluation des impacts sociaux

Dans l’optique de valoriser son travail et les impacts de ses différentes interventions, STEPS initiative s’approprie progressivement une méthode d’évaluation appelée Social Return on Investment (SROI). L’objectif de cette méthode est de permettre aux organisations de mesurer leur impact social et de transformer celui-ci en valeur monétaire. Par exemple, une association qui aide les sans-abris à retrouver un logement va pouvoir démontrer que pour chaque unité monétaire investie dans ses activités, le bénéfice s’élève à une certaine somme d’argent en termes de réduction des dépenses de santé ou d’aide humanitaire. Le principal avantage de transformer un impact social en valeur monétaire est d’avoir la capacité ensuite de mettre en compétition l’organisation avec d’autres demandeurs d’investissement et de financement à l’activité plus directement lucrative. La réalisation d’une évaluation type SROI permet à l’organisation de prendre la mesure de la valeur économique créée par ses interventions. Elle lui apporte également une aide dans son propre management, puisque permettant d’identifier les impacts négatifs ou les actions. Et bien entendu, l’enjeu majeur réside dans la capacité de l’organisation à valoriser son activité auprès de potentiels investisseurs et financeurs. Les activistes de City Repair ont assuré une évaluation au long cours de leurs interventions depuis 15 ans qu’elles existent. Des recherches sur la santé publique ont ainsi démontré les effets bénéfiques sur la population des transformations d’intersections routières en places publiques d’expression artistique. De plus, à la suite des interventions, de petites entreprises telles que de populaires restaurants biologiques ont pris pied autour de ses intersections (Silderber, 2013). Il y a deux types d’évaluation SROI. L’évaluation rétrospective est basée sur des enquêtes mesurant les impacts d’actions déjà mises en place. L’évaluation prospective permet de prévoir la valeur de l’impact social prévu par une action. Les deux types d’évaluations soutiennent les recherches de financement, la première pour un financement global des activités quotidiennes de l’organisation, la seconde pour obtenir des investissements ponctuels destinés à financer une action particulière. STEPS a mis en place un programme d’enquêtes qualitatives et quantitatives rétrospectives. Des questionnaires ont été élaborés à destination de chaque acteur de ces interventions : membres de l’équipe, financeurs, sponsors, partenaires institutionnels, participants, habitants, artistes partenaires, élus locaux. Ce projet n’en étant qu’à ses débuts, un accent a été mis sur la collecte de données concernant les habitants des communautés locales ciblées. Il s’agit de recueillir leur point de vue sur l’intervention artistique : a-t-elle changé leur perception de l’espace public ? Sont-ils fiers d’avoir participé à sa réalisation ? Cela va-t-il les inciter à mener d’autres actions en faveur du

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développement de leur quartier ? Pensent-ils que l’art puisse permettre de changer le regard général sur des communautés en difficulté ?

2.3.4 : Un rééquilibrage des rôles

Par l’émergence de l’urbanisme tactique et son articulation progressive avec la planification urbaine, on assiste à un rééquilibrage des rôles entre les urbanistes et les communautés d’habitants. Jusqu’alors plutôt négligé ou confiné à l’écoute passive lors de réunions de consultations, le « sens commun » des habitants, c’est-à-dire ce qu’ils voient, ressentent et comprennent au quotidien, semble revenir au centre de l’attention. La balance se trouve peut-être justement à ce niveau là. L’urbaniste pourrait apporter ses connaissance pour venir compléter la vision de l’habitant et aider celui-ci à formuler ses convictions de façon convaincante et argumentée. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit dans le quartier Roxbury de Boston à la fin des années 1980. La communauté locale, à dominante ethnique afro-américaine, partageait l’idée commune que, du fait de leur condition, les banquiers refusaient sciemment de les aider à accéder à des prêts bancaires. Se regroupant, les habitants réclamèrent une étude pour démontrer ce qui n’était qu’un constat de la vie quotidienne sans argumentaire et sans preuves. Les différentes études urbaines réalisées alors sur le quartier permirent aux habitants d’obtenir un arsenal d’argument qui leur permis de se faire entendre auprès des autorités. Cette volonté de concilier le développement physique de projets urbains avec le développement personnel et humain des populations est déjà une préoccupation du community planning. Cependant les urbanistes de terrain attachés à ce principe peinent à se faire entendre des sphères décisionnelles et institutionnelles, et rencontrent donc des blocages à mettre en œuvre ce principe (Kennedy, 2012). L’une des principales sources de blocage est la culture de l’évaluation propre aux porteurs de projets urbains. Cette évaluation repose sur un bénéfice souvent chiffré, quantifié. Or il est difficile de transformer en données quantitatives le développement d’une communauté humain ou l’empowerment des citoyens. Les urbanistes et les autorités se retrouvent devant le défi de ne plus seulement fédérer les intérêts divergeants des différents acteurs impliqués qui sont souvent eux-mêmes habitués aux processus et possèdent la culture de la ville nécessaire à la compréhension des enjeux. Il s’agit, avec l’émergence des tactiques, de ne plus seulement jouer le rôle de régulateur mais d’activateur de commuanutés (Blummer, 2006). La dynamique du pouvoir municipal s’en trouve changée, les citoyens ayant dans cette perspective la place pour jouer un rôle actif dans le développement urbain, au même titre que les acteurs traditionnels de la planification.

2.3.5 : Les urbanistes de la ville open-source et collaborative ?

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Avec l’urbanisme tactique, les habitants ont le pouvoir de s’impliquer dans l’évolution de leurs villes. Le processus de revitalisation urbaine semble se transformer progressivement, passant d’une opération exogène, décidée, conçue et mise en place puis l’extérieur, à une opération endogène dans laquelle les habitants jouent un rôle primordial. L’expansion de la tactique urbaine rend la ville plus open source que jamais (Sassen 2011). Le qualificatif emprunté à l’informatique s’applique bel et bien à l’environnement urbain. Les logiciels open source permettent aux utilisateurs de contribuer à l’amélioration du produit par un accès libre et ouvert à son système de fonctionnement, qu’ils sont libres de modifier, augmenter ou corriger. De la même manière, l’urbanisme tactique ouvre le système urbain aux citoyens, invitant ces derniers à y agir pour le transformer. On peut également parler de ville collaborative en ce sens que l’espace urbain se trouve façonné non plus par un système d’acteurs limité mais par toutes les bonnes volontés et les initiatives. Pour expliquer ce phénomène en des termes propres à la ville, Chiara Camponeschi propose le concept de Place-Based Creative Problem Solving que l’on pourrait traduire par un processus créatif et localisé de résolution des problèmes. Il s’agit de la mobilisation de l’imagination, de l’inventivité des citoyens, des experts et des activistes dans un effort commun pour aménager des villes plus innovantes, intégrantes et interactives30 (Camponeschi, 2010). L’urbanisme tactique n’est donc plus ici une affaire de citoyens révoltés ou d’activistes militants mais de l’ensemble des forces en présente à tous les niveaux. Il ne s’agit pas non plus de transformer chaque habitant en expert de la ville, les urbanistes possédant un champ de connaissance acquis au cours de longues années d’études. Il s’agit d’un effort de mobilisation collective nécessite une réorientation des missions de l’urbaniste. La tactique urbaine impose une manière de travailler après des citoyens plus souple, de façon plus sensible, analytique, moins directive, tout en les mobilisant autour de défis collectifs à résoudre.    

30 “the leveraging of the imagination, and inventiveness of citizens, experts, and activists in collaborative efforts that make cities more inclusive, innovative and interactive”

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PARTIE 3 Un regard critique

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S’il est, nous l’avons vu, envisageable d’articuler efficacement des interventions d’urbanisme tactique avec des stratégies de planification urbaine à plus large échelle, il est important d’observer cette mutation avec un regard critique. L’économie néo-libérale organise une compétition entre les villes du monde entier. Pour sortir leur épingle du jeu, ces villes rivalisent de stratégies pour attirer vers elles les populations les plus solvables mais également les plus créatives afin d’assurer leur rang sur la scène territoriale. Or si les urbanistes et planificateurs semblent peu à peu prendre conscience des potentialités de l’urbanisme tactique, celui-ci est alors incorporé progressivement à ces stratégies de développement urbain néo-libéral. Quelles en sont les conséquences ? Le projet émancipateur de l’urbanisme tactique résiste-t-il à la tentation gentrificatrice et sélective de cette économie urbaine, qui abandonne à leur sort les territoires les plus fragiles et déconnectés des réseaux de la mondialisation ?

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3. 1 : L ’u rban isme tact ique au serv ice d ’une économie néo l ibéra le

3.1.1 : L’aveu de l’impuissance des pouvoirs publics

La première critique qui émerge d’un regard critique sur l’urbanisme tactique est qu’il permet d’enraciner l’impuissance des institutions publiques à répondre aux défis de l’aménagement urbain. Rappelons en effet que l’un des principes fondateurs de l’urbanisme tactique est de court-circuiter la lenteur administrative des procédures d’aménagement pour répondre à des besoins immédiats d’ampleur très localisée. Lorsque des opérations de la sorte rencontrent le succès auprès des habitants du quartier voir au-delà, c’est l’incapacité des pouvoirs publics à répondre aux attentes des citoyens qui est cruellement mise en lumière. Comment réagir face au succès d’une opération de guerilla gardening, si ce n’est admettre et accepter l’impuissance des institutions locales à proposer un jardin de proximité profitable pour tous sur un site qui n’était jadis qu’une friche désaffectée et désertée ? C’est peut-être là l’un des effets secondaires du processus d’empowerment citoyen que nous avons décrit en amont. Lorsque les habitants prennent conscience de leur capacité d’agir en groupe et de l’efficacité de leur mobilisation, il est probable que cela entraîne un sentiment de désaveu de la puissance publique, voir une forme de renoncement envers des formes d’organisations censées soutenir et travailler pour l’intérêt général.

3.1.3 : Quand la stratégie s’empare de la tactique

Dans sa critique de l’urbanisme tactique, le géographe Olivier Mould (Royal University of London) analyse la dérive sémantique du mouvement pour en expliquer sa progression vers un urbanisme de la ville néo-libérale. Au départ, la tactique telle que définie par Michel de Certeau dominait l’urbanisme. En effet, c’est la dimension transgressive de la tactique qui lui procure sa force d’action et son identité. Sa flexibilité, son autonomie et sa capacité de mouvement la distinguent de la stratégie urbaine, outil de pouvoir et de conception scientifique de l’espace. Or la multiplication des interventions tactiques soutenue, appropriées voir conçues par les institutions, les administrations et les organisations de pouvoir fait de la tactique un nouvel outil de mise en place de stratégies de développement urbain. L’urbanisme tactique est utilisé comme une marque, une franchise qui permet de donner aux politiques d’aménagement des gages d’authenticité et de qualité. L’engagement citoyen et l’empowerment de la population est dilué dans une recherche de valorisation économique de projets par l’exploitation d’une méthode à la mode. Avec l’urbanisme tactique, la ville se donne en spectacle, se met en scène de façon ludique et artistique. D’ailleurs, bon nombre d’interventions tactiques courronnées de succès sont à l’origine de la création de festivals dédiés (on pense au festival Village Building Convergence mis en place à la suite du succès des Intersection Repair à Portland) ou sont incorporés à ceux déjà existants. De la

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même façon, STEPS utilise les festivals de quartier de la ville de Toronto comme outil de promotion de son projet PATCH avec des live painting incorporés aux programmations. C’est d’ailleurs là l’une des critiques établies envers le mouvement du street art qui, cherchant à se démarquer du tag ou du graffiti en proposant une approche positive plutôt que contestataire, sont de plus en plus accaparés par le marketing urbain et la culture mainstream comme un label au service de la promotion des villes (Conklin, 2012). Ainsi, comme l’explique Olivier Mould, “La duplication régulière de paysages urbains et de politiques d’aménagement que l’urbanisme tactique entraîne avec lui répond tout à fait aux attente de la ville industrielle telle que définie par Henri Lefebvre, à l’image de la flexibilité et de la moblité promue par le capitalisme néolibéral.”. Ainsi l’urbanisme tactique, incorporé dans les stratégies urbaines s’intègre dans la production de la ville créative néo-libérale.

Figure 13 : opération PATCH it up dans le cadre du festival Cultura Fest – Juillet 2014 – Toronto

Source : thepatchproject.org

3.1.2 : La tactique au service de la ville créative et du néo libéralisme

Le paradigme de la ville créative est perçu comme une représentation théorique d’une économie urbaine néo-libérale La principale critique formulée à l’encontre de cette ville créative est qu’elle justifie l’incursion de fonds financiers privés au cœur même de la ville, notamment à travers la multiplication des partenariats publics-privés pour le financement des projets urbains. Malgré le faible coût de ces interventions, l’urbanisme tactique nécessite tout de même un certain financement. En conséquence, le sponsoring est l’une des principales sources de revenus pour les organisations activistes. Dès lors, la

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question de la privatisation de l’espace public se pose, notamment en raison des contreparties marketing requises par ces partenaires. L’urbanisme tactique est donc, par son intégration progressive dans des stratégies urbaines, co-opté par l’économie urbaine néo libréale. En devant petit à petit stratégie, la tactique devient de fait un urbanisme au sens d’Henri Lefebvre, c’est-à-dire un mode de production de de la ville qui échappe à tout contrôle individuel puisque résultat d’une stratégie globale (Mould, 2014).

3 .2 : L ’u rban isme tact ique , un hobb ie de h ipster ?

3.2.1 : Un profil d’activiste homogène

Les résultats de l’enquête qualitative menée par Gordon Douglas sur les activistes de l’urbanisme tactique (que l’auteur choisit de nommer « Do It Yourself Urbanists ») sont sans appel. Ainsi comme il l’évoque lui même, la vaste majorité des individus interviewés au cours de son enquête font partie de la classe créative31. La classe créative a été définie par le géographe Richard Florida et correspond aux populations exerçant des professions élaborant de nouvelles idées, de nouvelles technologies et de nouveaux contenus créatifs (Florida 2002). En font partie les métiers artistiques, de design et d’architecture, les métiers des médias et du journalisme ou encore l’ingénierie technologique. Pour le développement des villes, l’implantation de cette catégorie de population constitue un facteur d’attractivité majeur. Les activistes, souvent jeunes, autour de la trentaine selon Douglas, s’installent dans des quartiers possédant les caractéristiques recherchées pour un mode de vie qualifié par l’auteur de « néo-bohème », notamment un potentiel de vie communautaire et d’espace public à exploiter. En outre, ils partagent le sentiment de posséder la capacité de régler les problèmes dans les espaces publics qu’ils pratiquent. C’est leur capital culturel, souvent acquis lors d’études universitaires ou au sein d’un environnement social supérieur, qui est activé et leur donne la confiance nécessaire pour mettre en œuvre ce type d’intervention. Et si les capacités manquent aux uns ou aux autres, leur proximité de voisinage entraîne une relation de complémentarité qui permet de complet les lacunes dans la mise en œuvre des interventions d’urbanisme tactique. Enfin, les motivations des activistes urbains interviewés sont souvent fondées sur la volonté de régler un problème localisé dans leur environnement immédiat et ayant un impact négatif sur leur vie quotidienne. Les activistes de l’urbanisme tactique ne sont donc pas des militants radicaux cherchant à renverser un ordre urbain pré-établi tels que peuvent l’être les squatteurs, certains artistes de street art ou encore des manifestants et militants. Il s’agit, assez simplement, d’une partie de la population ayant les capacités (le capital social et culturel) de mettre en œuvre un changement pratique dans leurs vies quotidiennes personnelles. S’il le qualificatif d’opportunistes est négatif, il est néanmoins possible de qualifier les actions de ces activistes

31 « the vast majority of the individuals I interviewed qualify as members of the so-called « creative class ».

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d’exploitation non-militante d’opportunités ayant un impact bénéfique direct et concret sur leur environnement immédiat. Ce constat se retrouve dans nos exemples. Par exemple, le fondateur de City Repair à Portland, Mark Lakeman est, avant d’être un activiste, un designer urbain. Et c’est son expérience professionnelle au sein de grands groupes d’architectures et d’urbanisme qui l’a amené à se questionner sur leurs méthodes et sur leur faible prise en compte des aspirations citoyennes. Comme tout membre de la classe créative qui se respecte, Mark Lakeman a voyagé et ses périgrinations ont nourri un imaginaire peuplé d’espaces publics intensémment animés 32 . En tant que consultant en ingénierie informatique, Jason Roberts, le fondateur texan de Build a Better Block fait lui aussi partie d’une catégorie socio-professionnelle supérieure composante de la classe créative. Ce sont ses lectures qui l’ont amené à se questionner sur la qualité de son environnement urbain. La découverte de différents espaces urbains ont fait naître chez lui l’envie d’amener au pas de sa porte la même qualité de vie urbaine, et l’intensité de la vie sociale qui va de pair33. De même, chez STEPS initiative, le profil des salariés de l’organisation est construit autour des champs d’étude de l’urbanisme, de l’engagement communautaire, du design urbain. L’équipe semble s’être construite avec l’agrandissement progressif d’un réseau de jeunes diplomés partageant les mêmes centres d’intérêts et la fibre activiste.

3.2.2 : La tactique : un outil au service de la de gentrification ?

Comme le montre l’enquête qualitative de Douglas Gordon, l’explication première de l’apparition d’une intervention d’urbanisme tactique sur un site plutôt qu’un autre est celle de la proximité du lieu d’habitation ou de travail du ou des leaders de l’intervention. Or, comme évoqué précédemment, les enquêtes menées jusqu’à présent ont montré que les activistes urbains s’emparant du concept de l’urbanisme tactique émanaient en large majorité d’une population créative. Ainsi l’urbanisme tactique se retrouve cantonné à des poches d’habitations déjà ou en cours de gentrification et qui risquent donc d’attirer l’attention des institutions toujours plus enthousiastes à l’idée d’attirer des créatifs, moteurs de l’économie urbaine dans le contexte de compétition des villes. Un cercle vicieux semble donc s’enclencher valorisant toujours plus des quartiers où les populations les plus solides se sont installées tandis que sont laissés de côté les quartiers en difficultés dont le déficit d’espace public, d’appropriation urbaine et de citoyenneté sont des enjeux cruciaux. Ce fait est reconnu par Mike Lydon lui même qui dans son manuel affirme que l’urbanisme tactique pourrait se produire théoriquement partout mais qu’il semble pour l’instant se concentrer dans des espaces urbains plutôt denses au potentiel de

32 « I studied design, and for a while I was working on these big corporate design projects. They were very typical (…) They weren’t inspiring or creative; they didn’t let people come together; they didn’t encourage people to do the work that would make them happy and make their communities better (…) While I was traveling, I saw, over and over, that people's gathering places occur where their pathways come together and intersect. » www.yesmagazine.org/happiness/building-the-world-we-want-interview-with-mark-lakeman 33 « I wondered how many of these things I could put into this block and try to recreate this great place »  

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développement d’espace public (en terme d’infrastructure –« walkability »- et de capacités humaines) déjà présent34 (Lydon, 2011). Les suburbs notamment se trouvent ainsi délaissées, alors que la super puissance de l’automobile y a anéanti toute possibilité d’émergence d’espace public (« unwalkable suburbs ») et donc d’une vie de quartier et d’une communauté d’habitants.

3.2.3 : Vers un darwinisme urbain ?

Les aspects néagtifs précédemment développés semblent favoriser une forme de darwinisme urbain (Sarkar, 2004). Ce concept, emprunté à la théorie de la sélection naturelle du célèbre naturaliste, formule l’idée que les communautés déjà résilientes, c’est-à-dire étant composées d’une population en capacité (culturelle, sociale et financière) de se prendre en main, sont les seules bénéficiaires des bienfaits de la tactique urbaine. Les communautés les plus fragiles doivent elles se résigner à demander de l’aide par une intervention extérieure provenant des autorités, des institutions et des acteurs traditionnels de l’urbanisme. En effet, rappelons que l’urbanisme tactique mobilise les ressources internes à une communauté pour favoriser des actions adaptées à leur contexte car proposées par la population locale. Dès lors, que deviennent les quartiers en difficulté ? Comment l’urbanisme tactique peut-il y éclore ? Il est cependant envisageable que la professionnalisation progressive des organisations activistes puisse jouer un rôle dans le renversement de cette tendance. C’est précisemment ce qui constitue l’un des principales raison d’être de STEPS initiative qui propose ses interventions en priorité auprès des communautés les plus fragiles de Toronto.

3.2.5 : La tactique urbaine n’est pas une solution miracle

Si l’urbanisme tactique, même impulsé par une organisation extérieure à la communauté, peut enclencher un cercle vertueux, il serait illusoire de penser que de petites interventions puissent détruire les externalités négatives qui provoquent la relégation d’un quartier. En effet certains facteurs restent hors de contrôle de toute volonté d’influence de la population. Les questions d’accessibilité par les transports en commun, les coupures ubraines provoquées par de lourdes infrastructures, les régles en vigueur et zonages fonctionnels, sont essentielles dans l’explication de l’isolation d’un territoire et sa perte de valeur. Hors si les effets de ces facteurs peuvent en effet être atténués par des interventions, leur contrôle et leur devenir reste dans la main des politiques de planification traditionnelles. Si le quartier en question se trouve à côté d’une industrie polluante, d’un aéroport bruyant, d’une autoroute saturée, l’urbanisme tactique n’est d’aucune aide probante dans la résolution de ces problématiques. De 34 « It seems that human-scale places, where social capital and creativity are most easily catalyzed are a pre-requisite for tactical urbanism »

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même l’amélioration de difficultés sociales, telles qu’un fort taux de criminalité, de précarité ou d’importants problèmes de santé publique, nécessitent pour leur résolution une vision globale qui ne peut être apportée que par des politiques publiques mises en œuvre par les sphères décisionnelles traditionnelles et les sources de pouvoirs institutionnels. Stratégie et tactique urbaine ne s’opposent donc pas mais peuvent se compléter pour enrayer le déclin d’un territoire.

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CONCLUSION

Le titre de ce mémoire est déliberément provocateur. La ville sans urbanistes est une utopie libertaire difficilement conciliable avec la nécessité d’un développement urbain et social harmonieux. La planification urbaine demeurre incontournable pour définir la vision globale qui détermine le devenir d’un territoire sur le long terme. Elle est également indispensable pour penser la forme physique dans la ville et assurer une cohabitation la plus harmonieuse possible entre l’ensemble de ses fonctions, de ses mobilités, de ses infrastructures et de son bâti. Néanmoins, l’urbanisme tactique tel qu’il émerge dans les villes d’Amérique du Nord dessine les contours d’une nouvelle façon de pratiquer l’urbanisme. Non pas qu’il remette en cause le rôle des professionnels, dont le savoir et l’expertise restent indispensable. L’urbanisme tactique propose un nouveau pacte urbain pour la conception d’un environnement quotidien plus adapté aux aspirations toujours plus exigeantes des citadins.

La tactique urbaine est un mode d’intervention qui se définit en négatif de la planification.

Lorsque la planification échoue dans sa tentative de créer des espaces publics adaptés à la vie sociale et l’identité locale d’un quartier, l’urbanisme tactique propose une approche rétroactive. Celle-ci vient corriger les erreurs, combler les failles d’un urbanisme qui n’a pas su se fondre dans les réalités du territoire. Pour cela il mobilise les énergies locales autour d’un projet commun, non pas de production d’un aménagement physique urbain de plus, mais d’une envie partagée par les habitants d’investir l’espace public d’un seul corps. Ce n’est pas le résultat final qui compte mais bien le bouillonnement de créativité et de citoyenneté qu’il créé. L’urbanisme tactique veut s’adresse aux citadins et leur dit qu’ils ont le pouvoir et la capacité d’investir leur environnement pour y réaliser leurs aspirations et inspirations.

A Toronto, STEPS initiative revendique une tactique urbaine ARTiviste, c’est-à-dire qu’elle mène des actions artistiques dans un souci d’empowerment citoyen à travers l’appropriation par les communautés les plus fragiles de leurs espaces publics. Sa structuration et son organisation sont une illustration de l’évolution de l’activisme urbain vers des modes de fonctionnement de plus en plus professionnels. Si son mode de subvention reste cantonné à l’aide de fondations philantropiques, la nécessité de recourir à des fonds privés est néanmoins la preuve de l’insertion de l’urbanisme tactique dans une économie urbaine néo-libérale. Dans un contexte de raréfaction des ressources publiques et la perspective d’une privatisation croissante de l’espace urbain, il s’agit de s’interroger sur le rôle de l’urbanisme tactique dans ce processus.

 

   

 

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1 Intersection Repair à Portland p.9

Figure 2 Park(ing) Day à San Francisco par REBAR p.14

Figure 4 Opération Build a Better Block à Dallas à 2010 p.17

Figure 3 Intervention PATCH it up ! – Août 2014 – Toronto p.19

Figure 5 Opération PATCH it up ! – juin 2014 – Toronto p.20

Figure 6 Panneaux signalétiques du projet Walk Raleigh p.21

Figure 7 Pop-up café sur Time Square à New York p.22

Figure 8 World’s tallest mural – St James Town – Toronto p.25

Figure 9 28mm. Women are heroes. JR. Rio de Janeiro p.33

Figure 10 Opération PATCH it up ! – Juillet 2014 – Toronto p.35

Figure 11 Typologie de consommation de l’espace public à travers le street art P.37

Figure 12 Opération Play Street dans le quartier de Jackson Heights à New-York p.41

Figure 13 Opération PATCH it up -festival Cultura Fest- Juillet 2014 – Toronto p.59

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Résumé Ce mémoire s’intéresse aux nouveaux activismes urbains qui sont apparus avec l’urbanisme tactique dans les villes d’Amérique du Nord. Les habitants interviennent directement sur leur environnement avec des aménagements légers, temporaires et flexibles. Ces interventions tactiques remettent en question la capacité de la planification urbaine traditionnelle à répondre aux attentes des habitants. Il se dessine alors une mutation du rôle de l’urbaniste vers une nouvelle forme de médiation urbaine qui n’invite plus seulement les citadins à donner leur avis mais à s’investir dans la conception et la réalisation d’un projet commun. Si les perspectives semblent enthousiasmantes, l’urbanisme tactique s’inscrit néanmoins dans un contexte de crise des ressources financières et d’économie urbaine néo-libérale. Son rôle moteur dans la gentrification des quartiers est d’or et déjà perceptible.

Summary

This research paper focus on the urban activism seen in North American cities with the rise of tactical urbanism. Citizens choose to get involved in the shaping of their environment with flexible, light and temporary interventions. Theses tactical intervention can be understood as a critisim of the classic planning process, which seems to fail in satisfaying city-dwellers expectations for their every day lives. A change in the place and the missions of urbanists appears with tactical urbanism. Their task is not only to listen to citizen anymore, but to get them physically involved in a shared urban design process. It is also important to remind that tactical urbanism take place in a economic crisis context, with less and less public fundings within a neo liberarian urban economy. Thus, the role of tactical urbanism in the gentrification phenomenon is already a reality.

Mots-clés

Urbanisme tactique, activisme, ARTivisme, Amérique du Nord, Toronto

Key words

Tactical urbanism, activsm, ARTivism, North America, Toronto