La vie d’Ambroise Paré (27) Voyage de Flandres en …chacune des cités visitées, Paré est...

2
odeur putride. Les draps sont gri- sâtres du fait du liquide s’écoulant de la blessure. Le corps est décharné jus- qu’à l’os, le visage – autrefois si beau – est blafard. Les joues sont creusées et deux yeux foncés s’enfoncent pro- fondément dans les orbites. Un délire fébrile frappe le marquis qui, de temps à autre, perd conscience. Sa langue est toute sèche et il demande sans cesse de l’eau. Dormir est devenu impossible depuis déjà longtemps. La voix est lourde comme si le râle de la mort sortait déjà de sa gorge. Bouillon Après ce premier examen, qui indique plutôt une infection chro- nique généralisée, Paré inspecte le fémur. Il est «fort enflé, apostumé et ulcéré». Sous un ulcère croûteux de la grandeur de la paume de la main, suinte du pus de couleur jaunâtre. A l’aide d’une sonde en argent, Paré explore quelques fistules et en retire du pus et des fragments d’os mort. «Voyant et considérant tous ces grands accidents, véritablement, j’eus un très grand regret d’être allé vers lui, parce qu’il me semblait avoir peu d’apparence qu’il pût réchapper de la mort.» Mais Paré est suffisamment psychologue que pour ne pas transmettre son déses- poir au malheureux. Avec un visage tiré, il annonce au moribond qu’il sera sur pied dans les deux mois qui viennent, pour autant qu’il suive scrupuleusement le traitement imposé. Après ces mots apaisants, les yeux assombris du marquis s’illu- minent d’une petite lueur. Paré se retire ensuite dans le jar- din du château afin de méditer sur le traitement préconisé. Car, honnê- tement, il ne sait pas par où com- mencer. Jusqu’au moment où il hume une odeur agréable de bouillon pro- venant de la cuisine. Constamment affamé, il est attiré par les lieux et y découvre deux cuisiniers autour d’une grande daubière. De la marmite, ceux-ci sortent progressivement une moitié de mouton, un quart de veau, trois gros morceaux de bœuf et de nombreuses tranches de lard. «Alors, je dis en moi-même que ce bouillon de marmite était succulent et de bonne nourriture». Et avec ce précieux liquide fait de graisse et de viande, Paré s’en va rejoindre la marquis à qui il fait boire un gros bol de soupe. Draps de lit Quand il entrevoit un possible trai- tement, Paré décide de réunir une assemblée. Point par point, il expose son schéma thérapeutique devant les six médecins présents, le duc d’Aerschot et quelques membres de la noblesse. Mais d’abord il se demande comment on a pu en arri- ver là. Pourquoi les médecins n’ont- ils pas drainé le pus? Pourquoi n’avoir pas éliminé les fragments d’os morts? Pourquoi la literie n’a-t-elle pas été changée depuis des mois? Un peu hésitant, l’un des médecins, Antoine Maucler, répond: «On n’ose même pas toucher à la couverture tant le mar- quis ressent de douleur.» Paré ful- mine. Des soignants trop mous sont toujours à l’origine de plaies pesti- lentielles. «Pour le guérir, il faudra toucher bien autre chose que la cou- verture du lit.» Au cours d’un monologue qui dure une demi-heure (et qui occupera plusieurs pages dans son Apologie), Paré expose clairement les mesures à prendre, depuis les médicaments jusqu’aux coussins pour éviter les escarres. Dans le feu de son argu- mentation, il glisse quelques mots latins et cite également quelques phrases issues des œuvres d’Hippocrate et Aristote.«Lequel mien discours, écrit le fier Paré, fut bien approuvé des médecins et chirur- giensParé invite ensuite l’assemblée au chevet du marquis. A l’aide d’un scal- pel bien tranchant, il entaille la croûte en trois endroits. Au grand étonne- ment des médecins, le marquis ne bronche pas. Probablement par res- pect envers l’autorité de Paré, peut- être aussi parce que l’intéressé voit poindre enfin une lueur d’espoir. Tandis que du pus verdâtre et des morceaux d’os émergent de la plaie, Paré fait préparer un nouveau lit couvert de draps propres et changer le linge du marquis. Il demande éga- lement que l’on chauffe quelques briques et qu’on les enveloppe de tissu imprégné d’herbes aromatiques, ceci afin de réchauffer la couche et d’em- baumer l’atmosphère. Après avoir enveloppé le fémur de pansements imbibés d’oxycrate, un serviteur trans- porte le marquis vers son nouveau lit. Confortablement installé dans des draps bien chauds et imprégnés d’une odeur de printemps, le mar- quis dort, pour la première fois en deux mois, quatre heures d’affilée. Calories Après la literie, vient la question de la nourriture. «Les bons aliments succulents» recommandés par notre barbier-chirurgien sont deux œufs cuits lentement, du pain de paysan trempé dans du bouillon de veau et de la viande légèrement rôtie. Comme dessert, des raisins de Damas confits dans le vin et le sucre. Le personnel de cuisine prend volontiers acte de S ept mois auparavant, le jeune Charles Philippe de Croÿ se blesse au cours du siège de Montcontour. Une arquebuse a fait éclater un morceau de son fémur, juste au-dessus de l’articulation du genou. Malgré tous les soins prodi- gués par les chirurgiens, la blessure suppure et la jambe gonfle. Pour comble de malheur, surviennent toutes sortes de complications. Son frère, le duc d’Aerschot, en veut aux médecins et décide de faire jouer son réseau de relations dans le beau monde. Il demande au roi de France Charles IX la permission de solliciter le chirurgien de la Cour, Ambroise Paré. Vu l’absence de combat engagé à ce moment, le roi accepte d’envoyer son médecin personnel auprès du frère moribond, le marquis d’Havré. Paré est d’ailleurs flatté que l’on connaisse son nom jusqu’au Hainaut (probablement appelé Flandres à l’époque), sans compter qu’il aime voyager. C’est ainsi qu’il se met en route, avec deux compagnons, à la fin décembre 1569 pour le château d’Havré. Six médecins l’y attendent dans la chambre du marquis envahie d’une la demande, avide de pouvoir ainsi contribuer à la guérison de leur maître bien aimé. Les jours suivants, Paré draine à nouveau la plaie et rince le trou produit par l’abcès avec de l’«egyptiac». Il ignore la manière dont agit le produit, mais, en tant que médecin militaire, il a pu en consta- ter les effets bénéfiques. Aujourd’hui, nous savons qu’il s’agit d’une sorte d’antiseptique. Après deux jours, la fièvre commence à tomber et le marquis retrouve son appétit. Le len- demain, il prend son petit-déjeuner en compagnie de Paré qui vérifie si on lui a bien donné les aliments prescrits. Le marquis en profite pour se faire raconter les nombreuses expériences vécues par l’un des chi- rurgiens les plus bourlingueur de son temps. Le repas de midi est éga- lement consommé en sa compa- gnie. Paré n’a de cesse de contrôler le régime alimentaire de son hôte , surtout soucieux de son contenu calorique. Le soir tombé, il se laisse volontiers tenter par une partie d’échec, d’autant plus que celle-ci sera arrosée de quelques bons vieux vins. Maintenant que l’état physique du marquis s’améliore petit à petit, Paré pense qu’il est temps de son- ger à son bien-être mental. Les anti- dépresseurs ne figuraient pas dans la pharmacopée de l’époque, mais c’est vers tout autre chose que Paré s’oriente, la poésie. Sous l’écorce rugueuse d’un médecin de l’armée, on ne s’attend généralement pas à rencontrer une âme poétique. Et pourtant Paré a pas mal usé de la rime dans ses écrits. Un soir, il se met d’ailleurs à lire quelques-unes de ses œuvres, inspirées par les poètes italiens et par Ronsard. Le marquis est conquis. Un autre soir, Paré invite Le dernier voyage que Paré décrit dans son Apologie est celui qu’il entreprend en Flandres. Dans un château, non loin de Mons, un jeune descendant de la noble famille de Croÿ lutte contre la mort dans de pitoyables circonstances. La vie d’Ambroise Paré (27) Voyage de Flandres en 1569 24 GESTION Le Journal du médecin I 2076 IÓ Mardi 20 avril 2010 Beaumont. Château d'Havré. Le duc d'Aerschot. Couvent des Frères Mineurs de Malines

Transcript of La vie d’Ambroise Paré (27) Voyage de Flandres en …chacune des cités visitées, Paré est...

Page 1: La vie d’Ambroise Paré (27) Voyage de Flandres en …chacune des cités visitées, Paré est reçu comme un citoyen d’honneur par les notables et les membres de la noblesse. Ils

odeur putride. Les draps sont gri-sâtres du fait du liquide s’écoulant dela blessure. Le corps est décharné jus-qu’à l’os, le visage – autrefois si beau– est blafard. Les joues sont creuséeset deux yeux foncés s’enfoncent pro-fondément dans les orbites. Un délirefébrile frappe le marquis qui, detemps à autre, perd conscience. Salangue est toute sèche et il demandesans cesse de l’eau. Dormir est devenuimpossible depuis déjà longtemps.La voix est lourde comme si le râlede la mort sortait déjà de sa gorge.

BouillonAprès ce premier examen, qui

indique plutôt une infection chro-nique généralisée, Paré inspecte lefémur. Il est «fort enflé, apostumé etulcéré». Sous un ulcère croûteux dela grandeur de la paume de la main,suinte du pus de couleur jaunâtre. Al’aide d’une sonde en argent, Paréexplore quelques fistules et en retiredu pus et des fragments d’os mort.«Voyant et considérant tous cesgrands accidents, véritablement,j’eus un très grand regret d’être allévers lui, parce qu’il me semblaitavoir peu d’apparence qu’il pûtréchapper de la mort.» Mais Paréest suffisamment psychologue quepour ne pas transmettre son déses-poir au malheureux. Avec un visagetiré, il annonce au moribond qu’ilsera sur pied dans les deux mois quiviennent, pour autant qu’il suivescrupuleusement le traitementimposé. Après ces mots apaisants, lesyeux assombris du marquis s’illu-minent d’une petite lueur.

Paré se retire ensuite dans le jar-din du château afin de méditer surle traitement préconisé. Car, honnê-tement, il ne sait pas par où com-mencer. Jusqu’au moment où il humeune odeur agréable de bouillon pro-venant de la cuisine. Constammentaffamé, il est attiré par les lieux ety découvre deux cuisiniers autourd’une grande daubière. De la marmite,ceux-ci sortent progressivement unemoitié de mouton, un quart de veau,trois gros morceaux de bœuf et denombreuses tranches de lard. «Alors,je dis en moi-même que ce bouillonde marmite était succulent et debonne nourriture». Et avec ce précieuxliquide fait de graisse et de viande,

Paré s’en va rejoindre la marquis àqui il fait boire un gros bol de soupe.

Draps de litQuand il entrevoit un possible trai-

tement, Paré décide de réunir uneassemblée. Point par point, il exposeson schéma thérapeutique devant lessix médecins présents, le ducd’Aerschot et quelques membres dela noblesse. Mais d’abord il sedemande comment on a pu en arri-ver là. Pourquoi les médecins n’ont-ils pas drainé le pus? Pourquoi n’avoirpas éliminé les fragments d’os morts?Pourquoi la literie n’a-t-elle pas étéchangée depuis des mois? Un peuhésitant, l’un des médecins, AntoineMaucler, répond: «On n’ose même pastoucher à la couverture tant le mar-quis ressent de douleur.» Paré ful-mine. Des soignants trop mous sonttoujours à l’origine de plaies pesti-lentielles. «Pour le guérir, il faudratoucher bien autre chose que la cou-verture du lit.»

Au cours d’un monologue qui dureune demi-heure (et qui occuperaplusieurs pages dans son Apologie),Paré expose clairement les mesuresà prendre, depuis les médicamentsjusqu’aux coussins pour éviter lesescarres. Dans le feu de son argu-mentation, il glisse quelques motslatins et cite également quelquesphrases issues des œuvresd’Hippocrate et Aristote.«Lequel miendiscours, écrit le fier Paré, fut bienapprouvé des médecins et chirur-giens.»

Paré invite ensuite l’assemblée auchevet du marquis. A l’aide d’un scal-pel bien tranchant, il entaille la croûteen trois endroits. Au grand étonne-

ment des médecins, le marquis nebronche pas. Probablement par res-pect envers l’autorité de Paré, peut-être aussi parce que l’intéressé voitpoindre enfin une lueur d’espoir.Tandis que du pus verdâtre et desmorceaux d’os émergent de la plaie,Paré fait préparer un nouveau lit

couvert de draps propres et changerle linge du marquis. Il demande éga-lement que l’on chauffe quelquesbriques et qu’on les enveloppe de tissuimprégné d’herbes aromatiques, ceciafin de réchauffer la couche et d’em-baumer l’atmosphère. Après avoirenveloppé le fémur de pansementsimbibés d’oxycrate, un serviteur trans-porte le marquis vers son nouveaulit. Confortablement installé dansdes draps bien chauds et imprégnésd’une odeur de printemps, le mar-quis dort, pour la première fois endeux mois, quatre heures d’affilée.

CaloriesAprès la literie, vient la question

de la nourriture. «Les bons alimentssucculents» recommandés par notrebarbier-chirurgien sont deux œufscuits lentement, du pain de paysantrempé dans du bouillon de veau etde la viande légèrement rôtie. Commedessert, des raisins de Damas confitsdans le vin et le sucre. Le personnelde cuisine prend volontiers acte de

S ept mois auparavant, le jeuneCharles Philippe de Croÿ seblesse au cours du siège de

Montcontour. Une arquebuse a faitéclater un morceau de son fémur,juste au-dessus de l’articulation dugenou. Malgré tous les soins prodi-gués par les chirurgiens, la blessure

suppure et la jambe gonfle. Pourcomble de malheur, surviennenttoutes sortes de complications. Sonfrère, le duc d’Aerschot, en veut auxmédecins et décide de faire jouer sonréseau de relations dans le beaumonde. Il demande au roi de France

Charles IX la permission de solliciterle chirurgien de la Cour, AmbroiseParé. Vu l’absence de combat engagéà ce moment, le roi accepte d’envoyerson médecin personnel auprès dufrère moribond, le marquis d’Havré.Paré est d’ailleurs flatté que l’onconnaisse son nom jusqu’au Hainaut(probablement appelé Flandres àl’époque), sans compter qu’il aimevoyager. C’est ainsi qu’il se met enroute, avec deux compagnons, à lafin décembre 1569 pour le châteaud’Havré.

Six médecins l’y attendent dans lachambre du marquis envahie d’une

la demande, avide de pouvoir ainsicontribuer à la guérison de leurmaître bien aimé. Les jours suivants,Paré draine à nouveau la plaie et rincele trou produit par l’abcès avec del’«egyptiac». Il ignore la manièredont agit le produit, mais, en tant quemédecin militaire, il a pu en consta-

ter les effets bénéfiques. Aujourd’hui,nous savons qu’il s’agit d’une sorted’antiseptique. Après deux jours, lafièvre commence à tomber et lemarquis retrouve son appétit. Le len-demain, il prend son petit-déjeuneren compagnie de Paré qui vérifie sion lui a bien donné les alimentsprescrits. Le marquis en profite pourse faire raconter les nombreusesexpériences vécues par l’un des chi-rurgiens les plus bourlingueur deson temps. Le repas de midi est éga-lement consommé en sa compa-gnie. Paré n’a de cesse de contrôlerle régime alimentaire de son hôte ,surtout soucieux de son contenucalorique. Le soir tombé, il se laissevolontiers tenter par une partied’échec, d’autant plus que celle-ci seraarrosée de quelques bons vieux vins.

Maintenant que l’état physiquedu marquis s’améliore petit à petit,Paré pense qu’il est temps de son-ger à son bien-être mental. Les anti-dépresseurs ne figuraient pas dansla pharmacopée de l’époque, maisc’est vers tout autre chose que Parés’oriente, la poésie. Sous l’écorcerugueuse d’un médecin de l’armée,on ne s’attend généralement pas àrencontrer une âme poétique. Etpourtant Paré a pas mal usé de la rimedans ses écrits. Un soir, il se metd’ailleurs à lire quelques-unes deses œuvres, inspirées par les poètesitaliens et par Ronsard. Le marquisest conquis. Un autre soir, Paré invite

Le dernier voyage que Paré décrit dans son Apologie est celui qu’il entreprenden Flandres. Dans un château, non loin de Mons, un jeune descendant de lanoble famille de Croÿ lutte contre la mort dans de pitoyables circonstances.

La vie d’Ambroise Paré (27)

Voyage de Flandres en 1569

-s

p-o-

24 GESTION Le Journal du médecin I 2076 IÓ Mardi 20 avril 2010

Beaumont.

Château d'Havré.

Le duc d'Aerschot.

Couvent des Frères Mineurs de Malines

Page 2: La vie d’Ambroise Paré (27) Voyage de Flandres en …chacune des cités visitées, Paré est reçu comme un citoyen d’honneur par les notables et les membres de la noblesse. Ils

chacune des cités visitées, Paré estreçu comme un citoyen d’honneur parles notables et les membres de lanoblesse. Ils se bousculent pour invi-ter chez eux le chirurgien de la courdu roi de France, mais Paré ne peutque les décevoir. Il ne dispose pas debeaucoup de temps et préfère visi-ter la ville et rencontrer quelquescollègues chirurgiens.

De retour au château d’Havré, Paréconfie aux médecins les dernières ins-tructions concernant les soins et lerégime alimentaire. Puis arrive le

dernier jour avant le départ. Le mar-quis est particulièrement attristé. Ilne doit pas seulement dire adieu àun chirurgien qui lui a fait retrouverun corps sain, mais aussi à unehomme qui est devenu un véritableami. Dans son Apologie, Paré resterelativement discret sur cette sépa-ration. Il mentionne seulement quele jeune marquis l’a honoré d’«un pré-sent honnête et de grande valeur».Et qu’un valet de chambre et deuxpages l’ont ramené en carrosse àParis, devant sa maison.

EpilogueAvec le récit de cette extraordinaire

guérison du jeune marquis CharlesPhilippe de Croÿ, Paré clôt son Apologie.Rappelez-vous, l’Apologie et Traictécontenant les Voyages faits en diversLieux n’a pas été écrit dans le style d’unmémoire. L’œuvre a été conçue commeun moyen de pure défense contre lesprofesseurs de salons parisiens quicritiquaient son approche de la chirurgie.Avec son récit minutieux de la ving-taine de batailles auxquelles il a par-ticipé et le Voyage de Flandres, Paré

a voulu montrer qu’il ne tirait pas sesconnaissances de vieux ouvrages,mais qu’ils les avaient bel et bienexpérimentées sur le terrain: de lamédecine par les preuves ou evi-dence-based, avant la lettre! Sans cepassage par l’expérience , il n’auraitjamais pu apporter ses deux grandescontributions à la chirurgie: les soinsdes blessures par balle par applicationd’un baume et la ligature des vaisseauxen cas d’amputation.

Johan Van Robays

Le Journal du médecin I 2076 IÓ Mardi 20 avril 2010 25 GESTION

un petit orchestre composé de vielles,luths et tambourins. Enfin, à uneautre occasion, c’est un farceur quifait rire toute l’assemblée. C’est ainsiqu’en un rien de temps, le jeunemarquis et le vieux Paré nouent unesolide amitié.

Bière et vinAprès un mois, le marquis se déplace

en chaise roulante dans son jardin.Maintenant qu’il arbore une meilleuremine, il invite tous les habitants duvillage à venir boire une pinte debière aux portes du château. A la vuedu marquis qui, de mourant qu’il étaitapparaît au mieux de sa forme, cha-cun se fait verser une deuxième pinte.Tout le monde se soûle la gueule,danse et chante. Bon gré, mal gré, Parése laisse prendre par l’atmosphèrejoyeuse même s’il ne raffole pas tropde cette bière flamande.

Entre-temps, la rumeur de la gué-rison incroyable parvient jusqu’à la villede Mons. De manière unanime, lesnotables et édiles de la cité décidentd’offrir un banquet en l’honneur du chi-rurgien de la Cour du roi de France.Le jour suivant, Paré est emmené encarrosse et conduit en grande pompejusqu’à l’hôtel de ville de Mons. Lebourgmestre fait l’éloge de ce fan-tastique médecin parisien qu’il remer-cie d’avoir sauvé un marquis tantaimé des griffes de la mort. Paré estensuite invité à s’asseoir à la tabled’honneur en compagnie des notableset de leurs femmes. Charmé par tantde beauté féminine, Paré est aussiplein d’éloges pour le plantureuxrepas et le bon vin qui l’accompagne.

Après six semaines, le marquisest à nouveau sur ses deux jambes,même s’il a encore besoin debéquilles. Lorsque son frère plus âgé,le duc de Aerschot, apprend la bonnenouvelle, il invite le patient et sonmédecin dans son château deBeaumont. L’accueil est grandioseet encore plus grandiose la fête éta-lée sur trois jours qui suit leur arri-vée: repas raffinés, belle musique,danses et théâtre. A chaque ban-quet, Paré jouit d’une place d’hon-neur et les convives lèvent un toastà la santé du marquis et au succèsde son bienfaiteur. Dans l’ivresse dela fête, ils tentent bien de saouler cedernier, sans y parvenir. «Je ne buvaisque comme j’avais accoutumé». Lafête terminée, la duchesse lui offreun anneau fait de diamants d’unevaleur de 50 écus.

Des adieux déchirantsDe retour au château d’Havré,

l’état du marquis évolue tellementbien que Paré peut déléguer lessoins à des médecins de l’endroit.Après deux mois d’éloignement deson foyer, il aspire à retrouver safemme. Mais la relation avec sonpatient est devenue entre-temps siintense que le marquis ne veut plusse défaire de son ami, ou du moinsdifficilement. Afin d’adoucir le départ,Paré demande quelques jours decongé pour se rendre dans l’une oul’autre ville de Flandres. A contrecœur, le marquis lui accorde cette per-mission et lui propose même unvalet de chambre et deux pagespour l’accompagner dans les villes deMalines, Bruxelles et Anvers. Dans