La varofo de P enfant après Ça · 2012. 3. 26. · binaire du psychisme humain et de la justice :...

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La varofo de P enfant après Ça ^«' ^/ ^ mystification cC'Outreau Marie-Christine Cryson-Dejehansart * L'intitulé de cette table ronde étant « La parole de l'enfant après la mystification d'Outreau », il est indispensable de le clarifier dès à présent en tant que premier intervenant. C'est en connaissance de cause que je m'autorise à en parler, puisque j'ai été le témoin direct - avec tous les autres professionnels de l'affaire - de l'installation brutale de cette mystification, lors du procès d'assises de Saint Omer en Mai-Juin 2004. Nous n'avons pas imaginé un numéro consacrant les 20 ans d'«Enfance Majuscule» sans parler des enfants d'Outreau : il y a un avant et un après Outreau, et l'actualité nous rejoint puis qu'une Table Ronde fut organisée à l'institut de Criminologie de l'Université de Paris-Assas-Panthéon le 24 Février 2011. L'intervention intégrale de Mme Gryson- Dejehansart et des autres participants sera publiée dans la Revue de Criminologie de l'Université de Paris- Assas-Panthéon. D e quelle mystification parle t- on exactement ? De la falsifi- cation de la réalité d'Outreau qui est une conséquence de l'omerta sur la vérité judiciaire des en- fants reconnus victimes. Personne ne sait - en dehors des initiés - que les 15 enfants concernés ont été reconnus victimes de viols et/ou agressions sexuelles, proxénétisme et corruption de mineurs - dont 12 définitivement au procès en appel à Paris - car cette vérité judiciaire n'ajamais été relayée par les médias. A l'origine de cette mys- tification, l'on retrouve une manipu- lation par omission - puis par omerta - qui procède d'une dynamique de tromperie de l'opinion, de manière plus ou moins volontaire ou incons- ciente, mais dont le dénominateur commun peut s'analyser en termes d'intérêts opportunistes ou de régu- lation sociétale. Et c'est à cause de cette mystification que nous sommes repartis 15 ans en ar- rière dans le domaine de la prise en compte de la parole de l'enfant victime d'agressions sexuelles. La vérité judiciaire des enfants a été progressivement remplacée par la vé- rité médiatique que j'ai appelé la story- telling d'Outreau. La bonne histoire au bon moment à savoir : « Grâce à Ou- treau, on a appris que les enfants « caren- ces » inventent des agressions sexuelles. » On neutralise les références à notre bons sens commun qui estime qu'un petit enfant ne peut pas imaginer des pratiques sexuelles entre adulte et en- fant telles que la sodomie ou la fellation, en ajoutant le qualificatif de « carence ». Ce sont des enfants différents des nôtres puisqu'ils sont carences, et donc pro- bablement dégénérés, et donc capables de tout. Et aujour d' aujourd'hui, alors que la commémoration des 10 années des ar- restations des accusés se répand sur toutes les télévisions et dans les jour- naux, la question qui se pose de ma- nière légitime est la suivante : de quelle façon cette rétrospective nous est-elle présentée par les médias télévisés, qui n'ont pas intégré la vérité judiciaire des enfante ? Le constat est immédiat : elle nous est présentée de la manière la plus réductrice, la plus régressive et la plus caricaturale possible. La justice ne « tri- angule » plus la relation binaire entre le coupable et la victime puisque c'est la justice qui est coupable. Régression de civilisation s'il en est ! Lajustice « télé-réalité » nous pré- sente, d'un côté, les victimes : à savoir les acquittés : au moment des procès, mais aussi lors de leur audition devant la commission parlementaire. On nous présente, aussitôt après, leur vie d'au- jourd'hui, la manière dont ils se sont re- mis ou pas de leur implication, dénon- cée comme odieuse, dans ce qui est toujours présenté comme un prodi- gieux fiascojudiciaire. En face d'eux, il nous est donné à voir l'exhibition infamante d'un juge - op- portunément jeune - devant la com- mission ^d'enquête parlementaire, pré- senté comme un trophée des temps les plus archaïques. Sa souffrance évidente est donnée à voir en symétrie punitive face à celle des acquittés. Elle se doit d'être interprétée comme une mortifi- cation, preuve de culpabilité. Paradoxalement, ce qui est invrai- semblable, c'est que cette image du re- présentant de notre justice continue de le condamner à l'opprobre publique, alors que celle du violeur d'enfants * Psychologue clinicienne, expert judiciaire, et auteure de « Outreau la vérité abusée » chez Hugo et Cie.

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La varofo de P enfant après Ça^«' ^/ ^

mystification cC'OutreauMarie-Christine Cryson-Dejehansart *

L'intitulé de cette table ronde étant « La parole de l'enfant après la mystification d'Outreau », il estindispensable de le clarifier dès à présent en tant que premier intervenant.

C'est en connaissance de cause que je m'autorise à en parler, puisque j'ai été le témoin direct - avec tous lesautres professionnels de l'affaire - de l'installation brutale de cette mystification,

lors du procès d'assises de Saint Omer en Mai-Juin 2004.

Nous n'avons pas imaginé un numéroconsacrant les 20 ans d'«EnfanceMajuscule» sans parler des enfantsd'Outreau : il y a un avant et un aprèsOutreau, et l'actualité nous rejoint puisqu'une Table Ronde fut organisée àl'institut de Criminologie de l'Université deParis-Assas-Panthéon le 24 Février 2011.L'intervention intégrale de Mme Gryson-Dejehansart et des autres participantssera publiée dans la Revue deCriminologie de l'Université de Paris-Assas-Panthéon.

D e quelle mystification parle t-on exactement ? De la falsifi-cation de la réalité d'Outreauqui est une conséquence de

l'omerta sur la vérité judiciaire des en-fants reconnus victimes. Personne nesait - en dehors des initiés - que les 15enfants concernés ont été reconnusvictimes de viols et/ou agressionssexuelles, proxénétisme et corruptionde mineurs - dont 12 définitivementau procès en appel à Paris - car cettevérité judiciaire n'ajamais été relayéepar les médias. A l'origine de cette mys-tification, l'on retrouve une manipu-lation par omission - puis par omerta -qui procède d'une dynamique detromperie de l'opinion, de manièreplus ou moins volontaire ou incons-ciente, mais dont le dénominateurcommun peut s'analyser en termesd'intérêts opportunistes ou de régu-lation sociétale.

Et c'est à cause de cette mystificationque nous sommes repartis 15 ans en ar-rière dans le domaine de la prise en

compte de la parole de l'enfant victimed'agressions sexuelles.

La vérité judiciaire des enfants a étéprogressivement remplacée par la vé-rité médiatique que j'ai appelé la story-telling d'Outreau. La bonne histoire aubon moment à savoir : « Grâce à Ou-treau, on a appris que les enfants « caren-ces » inventent des agressions sexuelles. »

On neutralise les références à notrebons sens commun qui estime qu'unpetit enfant ne peut pas imaginer despratiques sexuelles entre adulte et en-fant telles que la sodomie ou la fellation,en ajoutant le qualificatif de « carence ».Ce sont des enfants différents des nôtrespuisqu'ils sont carences, et donc pro-bablement dégénérés, et donc capablesde tout.

Et au jour d' aujourd'hui, alors que lacommémoration des 10 années des ar-restations des accusés se répand surtoutes les télévisions et dans les jour-naux, la question qui se pose de ma-

nière légitime est la suivante : de quellefaçon cette rétrospective nous est-elleprésentée par les médias télévisés, quin'ont pas intégré la vérité judiciaire desenfante ? Le constat est immédiat : ellenous est présentée de la manière la plusréductrice, la plus régressive et la pluscaricaturale possible. La justice ne « tri-angule » plus la relation binaire entrele coupable et la victime puisque c'estla justice qui est coupable. Régressionde civilisation s'il en est !

Lajustice « télé-réalité » nous pré-sente, d'un côté, les victimes : à savoirles acquittés : au moment des procès,mais aussi lors de leur audition devantla commission parlementaire. On nousprésente, aussitôt après, leur vie d'au-jourd'hui, la manière dont ils se sont re-mis ou pas de leur implication, dénon-cée comme odieuse, dans ce qui esttoujours présenté comme un prodi-gieux fiascojudiciaire.

En face d'eux, il nous est donné à voirl'exhibition infamante d'un juge - op-portunément jeune - devant la com-mission ̂ d'enquête parlementaire, pré-senté comme un trophée des temps lesplus archaïques. Sa souffrance évidenteest donnée à voir en symétrie punitiveface à celle des acquittés. Elle se doitd'être interprétée comme une mortifi-cation, preuve de culpabilité.

Paradoxalement, ce qui est invrai-semblable, c'est que cette image du re-présentant de notre justice continue dele condamner à l'opprobre publique,alors que celle du violeur d'enfants

* Psychologue clinicienne, expert judiciaire, et

auteure de « Outreau la vérité abusée » chez Hugo

et Cie.

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condamné à 20 ans de réclusion crimi-nelle est totalement préservée.

Il est donc devenu plus mauvais sujetque ce violeur d'enfant tout comme lesexperts l'ont été durant les procès et ce,grâce à la réactivation permanente desimages qui correspondent à la structurebinaire du psychisme humain et de lajustice : le face à face victime/coupable.

Un autre constat s'impose : lajusticeest définitivement sous contrôle de latélé-réalité dans ce type d'affaire. En ef-fet, quel magistrat osera courir le risquede cette mise au pilori, juste pour avoirentendu et pris en compte la paroled'enfants dénonçant des viols ?

Des enfants, il n' est plus jamais ques-tion, ce qui est normal, puisque tout l'es-pace victimaire est occupé par les ac-quittés dans l'esprit des citoyenstéléspectateurs, il n'y a donc plus au-cune place pour les enfants, victimesreconnues judiciairement.

Il s'avère que lors des divers repor-tages, le mot enfant n'est même plusprononcé ... on parle de procès de lapédophilie, associé de suite au termed'erreur judiciaire.

Les enfants à l'origine de l'interven-tion de lajustice ont totalement disparude la scène médiatique mais lorsque, derares fois, ils réapparaissent, 10 ans doncaprès le début de l'affaire d'Outreau,ils ne sont que deux petits êtres dange-reux, voire diaboliques, qui ont accuséà tort et à travers sous l'emprise d'unemère mythomane ! Précisons icique les premières révélations onteu lieu un an après le placementdes enfants de la première familleincriminée, le couple Delay-Ba-daoui, qui était par ailleurs déjàincarcéré quand d'autres enfantsont effectué leurs propres révéla-tions.

La vérité médiatique qui ren-voie à la storytelling d'Outreau, ne coïn-cide donc pas avec la vérité judiciaire,mais c' est bien cette vérité médiatiquequi est devenue la vérité officielle. C'estcette mystification, cette authentiquefalsification de la réalité qui a emportéavec elle un grand nombre d'acquis enternie de victimologie infantile et doncde protection de l'enfant, mais aussi enterme d'évolution de civilisation.

J'en ai été le témoin indigné, en tantque citoyenne - le concept est à lamode.... et comme l'indignation est mo-teur d'action, j'ai tenté d'agir efficace-ment en tant que psychologue clini-cienne, en apportant une analyse dupourquoi et du comment de cette mys-tification.

Comment en est-on arrivé là ?

Tout a commencé au procès de SaintOrner ...je vais donc évoquer très briè-vement les moments-clé qui ont contri-bué à la mise en place de cette storytel-ling et corrélativement, de l'omerta surla vérité judiciaire des enfants.

Le procès de Saint Orner fut le pre-mier procès télé-réalité de l'histoire delajustice française ; c'était la stratégiede la défense, qui assurait la commu-nication avec les médias. Le procès s'estdavantage passé sur le trottoir que dansl'enceinte du tribunal. Depuis, afind'éviter cette anomalie d'Outreau, unmagistrat est systématiquement désignépour assurer la communication du pro-cès auprès des médias.

Dans un tel procès, la parole de l'en-fant ne peut trouver sa place puisqu'ilest interdit d'image pour des raisons deminorité. Sa souffrance ne pouvait doncs'incarner à l'écran et il était perdantd'avance, car elle ne peut exister si ellen'est pas représentable à l'écran. Leprocès était d'emblée médiatiquementinéquitable.

Les deux avocats des enfants d'Ou-treau, mandatés par le Conseil Généraldu Pas de Calais - relayés par trois ouquatre avocats d'associations de défensedes enfants se montraient à peine, to-talement tétanisés, selon le procureurErick Maurel"1, face aux 19 avocats dela défense. Les enfants d'Outreaun'avaient pas de parents - et pour cause -

pour pleurer leur désespoir devant lescaméras et tous les professionnels sus-ceptibles d' évoquer leurs traumatismesétaient interdits de parole, par obliga-tion de réserve.

Et malheur à ceux qui venaient à l'ou-blier, cette anecdote illustre bien l'in-égalité de la communication : le pro-fesseur Jean Luc Viaux, expert endualité de 4 enfants Delay, un soird'exaspération, peu avant notre dépo-sition, a écrit un billet d'humeur au jour-nal Le Monde. Il voulait candidementen appeler à la raison et à plus de luci-dité ; il s'est vu aussitôt poursuivi par ladéfense pour atteinte à l'équité du pro-cès et une plainte a été déposée contrelui auprès de la Cour Européenne desdroits de l'homme. Les avocats des ac-cusés ont en outre demandé sa radia-tion de la liste des Experts près la Courde Cassation.

Certes il y a eu quand même un pro-cès dans 1' enceinte des assises, mais lesenfants dans la salle d'audience étaientencore plus mal lotis, puisqu' ils étaientinstallés faute de moyens et de place,dans le box des accusés !

Quant aux 17 accusés, ils étaient ins-tallés avec leur 19 avocats et la centainede journalistes qui n'en n'ontjamais faitétat, dans la salle, là où se trouve habi-tuellement le public. Ils étaient specta-teurs de leurs procès. L'inversion desculpabilités était inscrite d'emblée danscette configuration que l'ont peut qua-

lifier étymologiquement de per-verse (de pervetere, inverser, ren-verser) .

Or la liturgie judiciaire ne peut sedérouler que dans un cadre rituel.Ce qui stabilise les repères ba-siques du psychisme humain par

L les contraires binaires et qui enl'occurrence sont, répétons-le, enadéquation avec ceux de lajustice

- le permis/ l'interdit, le bien/ le mal,le coupable/la victime - ont été mis àmal par cette configuration que l'onpeut qualifier de contusionnante selonla nomenclature de l'hypnose. Il s'avèreque cette réalité objective n'a pas été

(1) Audition du procureur Maurd à la

Commission d'Enquête de l'Inspection Générale

des Services Judiciaires.

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décryptéepar les journalistes quin' en ontjamais parlé.Tous les repères hyp-notiques étaient pré-sents: confusion de lastructuration quistabilise le réel, as-sociée à une at-mosphèreétouffante,une salle bondée, électriquement pas-sionnelle, théâtre d'une bronca et d'unefoire d'empoigne incessante. Et domi-nant tout cela, un autoritaire et toni-truant maître dujeu - l'avocat de la défense le plus connu- en mouvement permanent, dirigeantles débats d'une voix dont l'indignationcolérique focalisait totalement l'atten-tion sur son regard et ses jeux demanche. Il a été surnommé la terreurdes assises, mais aussi l'ogre des assises,et le succès de la technique est impa-rable, puisqu'il est le champion deFrance des acquittements.

Seul son discours était audible et at-tendu car, pour les jurés médiatiques -les journalistes de la salle d'audience -celui qui dépose à la barre ne peut cap-ter l'attention de l'auditoire car il est dedos. Il est intéressant de remarquer icique les anglo-saxons, en vertu de leurpragmatisme habituel, ont depuis long-temps contourné cette difficulté en ins-tallant les témoins et les experts à côtédu magistrat qui préside le procès etface à la salle d'audience.

Les avocats de la défense étaient bienles seuls audibles, puisque seules leursquestions caricaturales et les réponsesréinterprétées de manière tout aussi ca-ricaturales, seront reproduites par lesjournalistes...

Les enfants à la barre

Dans un tel contexte déstabilisation,les enfants traumatisés, questionnés sansrépit par les 19 avocats des accusés, ontperdu pied, leur pensée s1 est morceléenon seulement parce qu'ils étaient ter-rorisés mais parce que les enfants nepeuvent mobiliser leur mémoirecomme le ferait un adulte. Or les réfé-rences qui en ont été données par les

journalistes ont été puisées uniquementdans le registre de la psychologie adulte.

Les traducteurs de leur parole quesont les psychologues-experts ne sontarrivés qu' après leur passage. Le dia-gnostic de folie avait déjà été posé parl'Avocat Général, acquis au doute ins-tillé par la défense. L'invraisemblanceapparente de leur récit a verrouillétoute empathie pour ces enfants deve-nus de dangereux petits monstres. Lemensonge des enfants a été prouvé parles avocats de la défense parce que cespetites victimes confondaient lieux etdates, mais aussi la couleur de la tapis-serie de la chambre de l'un des accuséspar exemple...

On a tout oublié de la réalité psy-chologique des enfants et surtout de laréalité victimologique des enfants trau-matisés ayant à déposer dans des lieuxeffrayants, à deux pas de ceux qu'ilsavaient dénoncés comme leurs agres-seurs ...et il leur a fallu subir l'interro-gatoire et le défilé de 19 avocats ! Cesconditions invraisemblables quant aurecueil de la parole des enfants est à op-poser au professionnalisme de tousceux qui, en amont (policiers, magis-trats, experts avaient travaillé avec res-pect et expérience.

Unjournaliste du Mondea osé écrireque la parole des enfants n' a pas résistéau débat contradictoire ! Comme si l'en-fant traumatisé était à armes égales avecun adulte maître de la rhétorique quile harcèle dans un endroit qui l'im-pressionne plus que tout121.

Les prétendues invraisemblances dede leur récit concernant les utilisationsd'objets incongrus en étaient une dé-monstration définitive. Or nous savonsque des adultes qui reconnaissaient lesfaits citaient les mêmes objets.

C'est surtout le terme de cohérencequi a été le plus souvent utilisé par lesjournalistes ; le terme d'incohérence aqualifié le récit des enfants, en référenceuniquement au récit des adultes. Orpour estimer la cohérence du récit, il

faut pour le psychologue tenir compted'au moins neuf données :

-1 - l'âge- 2 - le niveau de développement in-

tellectuel et affectif- 3 - l'anamnèse des traumatismes mé-

dicaux et psychologiques entérieurs- 4 - le milieu socio-culturel- 5 - le contexte de la déclaration,

lieux sécurisants ou non- 6 - la distance des faits et la notion

de répétitions- 7 - l'influence par des questions sug-

gestibles compte tenu de la tendance àl'acquiescement

- 8 - la comparaison avec ce que l'onsait des récits d'enfants rapportant unévénement qu'ils ont vécu ou dont ilsont été témoins, ou qu'on leur a ra-conté

- 9 - la mise en perspective par rap-port aux spécificités des récits d'enfantsvictimes d'agressions sexuelles étudiéepar la victimologie infantile.

Et dans cette affaire, une dixièmedonnée qui est la cohérence par rap-port aux récits des adultes qui recon-naissaient les faits au début de l'ins-truction et celui des autres enfantsconcernés.

Et enfin, pour que ces dix donnéessoient validées, il faut aussi prendre encompte le contexte dans lequel s'ef-fectue la déclaration de l'enfant. Auxassises, dans les conditions que l'onconnaît, il n'était pas possible de por-ter un jugement de validation de la pa-role de l'enfant.

Revirement de Myriam Badaoui etinjonctions d'identification

C'est le harcèlement durant 7 heuresà la barre de certains enfants Delay quia conduit leur mère à intervenir, à dé-cider de « tout prendre sur son dos » (sic)et à innocenter les 13 coaccusés et celadurant quelques jours ... mais l'effet aété catastrophique car, plutôt que delaisser le tribunal comprendre les mo-tivations de ce revirement provisoire, latélé-réalité est intervenue pour montreraux français la souffrance des visagesdes innocents décrétés comme tels. Elle

(2) Voirie récit que fait ChérifDelay dans son ou-

vrage «Je suis debout », co-écrit avec Serge Garde

et paru en mai 2011 aux éditions du Cherche-

Midi.

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était réelle puisqu'ils subissaient l'in-carcération et le bannissement social.

Ces images ont eu un effet sur les té-léspectateurs qui a été de l'ordre de l'ef-fraction au plus profond du psychismede chacun, d'autant qu'il y avait injonc-tion d'identification et message à peinesub-liminal que l'on décode en cestermes : «si personne n'intervient, cela peutvous arriver à tous ». Cette effraction acréé une sidération qui anesthésie tousles processus rationnels.

Bertholt Brecht qui dénonçait déjàle danger de l'identification au théâtreet la catharsis qu'elle entraîne qui ren-voie à la perte de liberté, auraitfacilement compris les effets dévasta-teurs de l'identification à de « vraiesgens ». De plus, lorsque ces « vraiesgens » appartiennent à toutes lescouches sociales, chacun d'entre nouspeut être concerné de manière spéci-fique.

Lors du procès de Saint Orner, nousavons eu droit à une magistrale dé-monstration de l'impact de la dictaturedes émotions par l'image identificatoire« télé-réalité » . L'image n'est plus le5e pouvoir - selon Noël Manière'3' - enl'occurrence, elle a gagné la premièreplace, car elle a dévoyé profondémentnotre justice et avec elle tous les repèresde notre civilisation..

Ces images ont été de véritablesPIEGES à CONVICTION.

En effet la notion de souffrance estforcément associée à celle de victime,et la souffrance doit s'incarner parl'image pour exister dans notre sociétédu XXI ' siècle. Celle des enfants étaitvirtuelle, fantomatique, donc inexis-tante. Les enfants d'Outreau n' étaientpas identifiables, pas comparables auxnôtres, venant de ces milieux dégéné-rée, ils étaient forcément différents.L'empathie habituelle à leur égard étaitdonc définitivement verrouillée par l'ab-sence d'image de la souffrance des en-fants.

Le procès est donc devenu avec cesimages-là, définitivement médiatique-ment inéquitable.

L'innocence médiatique a été dé-crétées à partir des larmes télévisées desaccusés et non pas à partir de l'effon-

drement des charges qui devait suivreinévitablement.

Le phénomène hypnotique a été ob-tenu par la répétition d'images trau-matiques inoculées périodiquement,ce qui maintient l'anesthésie de la rai-son, du moins ce fût l'effet produit, s'iln'était volontairement recherché au dé-part. L'opportunisme et le panurgismemédiatiques ont fait le reste.

Les experts sont arrivéstrop tard

Et lorsque les experts sont arrivés auxassises de Sain-Omer, afin d'expliquercomment, grâce à nos techniques lon-guement rodées et affinées, nous avionsvalidé la parole et le traumatisme desenfants, les jeux étaient faits. Les enfantsmentaient, Os étaient fous elles expertsne l'avaient pas vu !

Et il fallaitjuste pour la défense, trou-ver les raisons de notre inaptitude et encas de résistance, nous déstabiliser partous les moyens.

Le premier moyen de déstabilisationa été la culpabilisation : nous étions lesmonstres qui avions tué un innocent etfait souffrir autant ces pauvres gens in-carcérés à tort.

L'on connaît depuis l'affaire Laetitia,l'impact majeur que provoque une telleculpabilisation. Tous les magistrats deFrance ont manifesté en signe de de so-lidarité avec leurs collègues accusésd'être responsables du viol et dumeurtre d'une jeune adolescente dontle corps a été mutilé.

Les autres moyens utilisés ont asso-cié, contre-vérités, mots piégés, et at-taques adhominem suivies d'injures.Ces stratégies dites de rupture ne pou-vant être acceptées, la seule réponseétait le refus de continuer à déposer,d'autant que je n'étais plus audible. Pré-cisons que je n' ai pas été récuséecontrairement à ce que la presse a pré-tendu.

Le Président des assises en vertu deson pouvoir discrétionnaire a mandatécinq autres experts qui ont ré-examinétous les enfants et confirmé mes conclu-sions.

L'orientation du procès orchestré parla défense par médias interposés, nepouvait intégrer une information qui

brutalement aurait rectifié l'arrivéed'une lame de fond qui effondre l'ac-cusation par la prétendue faillite des ex-pertises. C'est l'omerta sur leurs conclu-sions qui a permis qu'elle continued'avancer.

Les expertises psychologiques sontparticulièrement importantes dans cetype d'affaire où les preuves n' existentpas. Il s'agit donc pour la défense de lesneutraliser coûte que coûte. Les ex-pertises sont des examens dont la mé-thodologie est très spécialisée et très co-difiée. Les repères sont les acquis de lapsychologie de la victimologie mais aussiles acquis de l'expérience personnelle;les méthodes sont l'entretien et l'ob-servation et aussi les tests psycholo-giques, psychométriques et projectifs.

L'expertise comporte trois parties :- 1 - L'examen classique de la per-

sonnalité qui prend en compte le ni-veau de développement cognitif et af-fectif en fonction de l'âge, de labiographie médicale voire traumatiqueantérieure, le milieu socio-culturel.

- 2 - L'examen de la déclaration de laplainte avec l'analyse du récit au niveaudu contenant (le comportement) et lecontenu. On s'intéresse aussi aucontexte de la révélation qui obéit à uncertain nombre de configurations clas-siques. A titre d'exemple l'on peut citerle contexte de la révélation spontanéelors de la toilette, comme ayant un ca-ractère de haute fiabilité.

- 3 - L'examen des conséquences trau-matiques éventuelles est éclairé par lesdonnées de comportement pendantl'examen mais aussi à l'extérieur, àl'école et à la maison (troubles éventuelsdu comportement, débordement ou in-hibition excessifs, troubles du sommeil,des conduites alimentaires, réactivitéauto ou hétéro-agressives, sexualisationdu comportement, conduites d'intru-sion ou d'effraction, envahissement parles faits, anxiété ou angoisse phobiqueet/ou obsessionnelle etc...)

Les test projectifs apportent des in-dices de validation du traumatisme quicomplètent l'ensemble des données. Atitre d'illustration, les enfants victimes

(3)« La tyrannie de l'émotion ». Editions Jean-

Claude Gawesewitch. 2008

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de viols perdent les limites entre leurcorps et le monde extérieur. Ainsi unenfant d'Outreau a pu me dire à uneplanche du Rorschach où l'on voit unechauve souris : « c'est une chauve sourisqui va rentrer dans le derrière de mm»...Unautre a vu de manière envahissantedans chaque planche une seule etmême image , celle des araignées quivont le piquer et « rien d'autre ». C'estle côté envahissement qui esttraumatique tout comme le vécu de pi-qûre et d' intrusion analogique duthème araignée. Mais cela ne vaut quepour un critère sur les 40.

C'est lors de la résurgence des scènestraumatiques que 1' enfant donne cetype de réponse. En dehors de ces mo-ments spécifiques, on peut constaterqu'il a un rapport à la réalité normal, iln' est pas psychotique. Quand il est prisen charge dans un milieu structurantet sécurisant, au bout d' un certaintemps, il met en place une adaptationqui est de surface, une adaptation desurvie psychique.

Les enfants d' Outreau présentaientune souffrance majeure et, à distancedes faits, elle s'est réactivée très rapide-ment et spontanément lors de l'examenpsychologique dès que la sécurité s'ins-tallait. C'est également lorsque les en-fants ont été sécurisés dans les famillesd'accueil que les révélations ont eu lieu.

Expertises sans sujet et sans objetMais il faut également signaler un fait

d'importance : l'intervention d'un psy-chiatre «commis d' office» par la Dé-fense et qui est venu semer le doute nonpas chez les vrais jurés mais chez les ju-rés médiatiques au sujet des fausses al-légations d'agressions sexuelles. Un ex-pert (4), isolé dans ses vues, disait qu'ilétait possible que les enfants carencesinventent des agressions sexuelles.

Bien qu'il n'ait pas examiné les en-fants, son discours a eu plus de poidsdans l'affaire d'Outreau que celui dessept experts qui avaient, eux, examinéles enfants.

Ce psychiatre, Expert près la cour deCassation, est devenu le détenteur dela vérité officielle sur le vécu des en-fants d'Outreau alors qu'il ne les a ja-mais rencontrés. Le problème déonto-logique n'est pourtant jamais soulevéalors que l'expertise est réalisée sans

sujet (l'expertisé), et sans objet (l'ex-pression de sa parole dans un cadre pro-fessionnel).

Reportons-nous au 2juillet 2004. Leprocès de Saint Orner vient de se ter-miner, le verdict tombe : dix condam-nations dont deux très lourdes, de20 et 15 ans de réclusion criminelle, etsept acquittements, les jurés ont donnédroit aux victimes, les quinze enfantsont tous été reconnus victimes de viols,agressions sexuelles, corruption de mi-neurs et proxénétisme.

A la lecture du verdict, nous avons étésoulagés, juste une soirée, juste le tempsde reprendre notre souffle après le lyn-chage général, grâce ou à cause du dis-crédit orchestré par la défense qui n' apas été compris comme une stratégiemais comme une vérité révélée. Notresoulagement n'a pas duré car brutale-ment la tempête soulevée par les mé-dias durant le procès s'est transforméeen ouragan puis en tsunami. Le dé-chaînement contre les professionnelsconsidérés responsables de ce qui étaitdéjà appelé un fiasco a tout emporté, laraison, le bon sens et la vérité judiciairedes enfants.

Leur représentant légal ayant refuséde communiquer, la presse ne l'a pasrelayé.

Nous avions beau contacter les mé-dias pour dire que les sept experts nes'étaient pas trompés, la centaine deprofessionnels avaient eu raison deprendre en compte la parole des en-fants, puisque les jurés avaient donnécrédit à leur parole et reconnu les souf-frances et les sévices épouvantablesqu'ils avaient endurés durant des an-nées...en vain. La vérité judiciaire a ététronquée et l'emballement médiatiques'est focalisé sur la recherche des cou-pables de substitution que sont devenustous les professionnels de l'affaire.

Rien n' y a fait nous étions tous deve-nus des coupables de substitution quiavions fait obstacle à l'ensemble des ac-quittements. Le brouillage des messagesa été renforcé par le discours dominantsur la tâche à finir en appel, à savoir, ac-quitter tous les condamnés.

Remettre en cause un procès d'assisesest totalement tabou et pourtant c'est àce niveau que tout a dysfontionné. Mais

on peut remettre en cause la dictaturedes images, des émotions par l'image.

La dictature des émotions est moinsgrave car elle laisse place à l'imaginaireet un certain nombre d' élaborationsmentales. Ce n'est pas le cas avec lesimages traumatiques. Il n'y a aucun trai-tement intellectuel possible, il y a sidé-ration de l'intellect.

Entre les procès, les centaines d'émis-sions et la commission Viout.

Cette commission était chargée d'ana-lyser les dysfonctionnements et elle astigmatisé le problème du recueil de laparole de l'enfant alors que tous les en-fants avaient été reconnus victimes ! Parailleurs, ce ne sont pas les profession-nels d'Outreau qui ont participé à cettecommission mais le Docteur Ben Sous-san.

La falsification de la réalité devenaitainsi la version officielle .

Entre les deux procès, toute la classepolitique, tous les médias se sont soli-darisés autour des acquittés. La ques-tion du bon fonctionnement démo-cratique assuré par la présence ducontradictoire se pose ici de manière si-gnificative car l'unilatéralisme des pré-sentations n'a interrogé ni les politiquesni les intellectuels de notre pays. Per-sonne ne s'est étonné de ne voir aucuneprésentation de la version de l'accusa-tion et des victimes.

Lajournaliste Florence Aubenas, de-venue une icône nationale, une fois li-bérée, a repris l'instruction de l'affaireet décidé du verdict final qu' elle a pu-blié dans son ouvrage «La Méprise» tan-dis qu'un condamné en première ins-tance, sortait son ouvrage « Mon erreurjudiciaire» avant d' être rejugé en ap-pel.

Le procès en appel à ParisLes professionnels qui y ont assisté

ont expliqué qu' à St Orner, le procèsavait encore un sens... à Paris, le verdictdu procès était médiatiquement renduavant qu'il ne démarre. De manière ex-ceptionnelle, il n' y a pas eu de plaidoi-ries de la défense qui devenaient inutilesaprès l'intervention du Procureur Gé-néral Yves Bot, qui a présenté des

(4) Le Docteur Paul Ben Soussan, Psychiatre

Expert près la Cour de Cassation

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excuses aux accusés, à dessein, justeavant lejournal télévisé.

Comme l'a expliqué Chérif Delay àses avocats lorsqu'il a déposé plainte en2008 contre Yves Bot, tout était inversé,les victimes étaient devenues les cou-pables et vise versa.

Les enfants Delay ont été dépossédésde leur parole car elle a été considéréecomme étant celle d' enfants demythomane15'.

Au procès en appel à Paris, il y a eutrois «rétractations» non fiables psy-chologiquement. Les enfants ont étéentendus très tardivement dans la soi-rée, ils étaient tétanisés, ils avaient peurde subir ce qu'ils avaient vécu à SaintOrner, ils n'étaient plus très sûrs, érreintspar ce sentiment d'irréalité qui marquela dissociation des victimes, ils voulaientavant tout que leur supplice s'arrête ! Détait facile alors de s'infiltrer dans labrèche du doute à propos de leurspropres déclarations, or ce doute-là faitpartie des indices de validité de la dé-claration de l'échelle SVA qui est la plusconnue en victimologie. C'est pour cetteraison que l'interrogatoire d'enfants àla barre des assises par les avocats quimettent en doute ce qu'ils disent est unerégression majeure par rapport aux ac-quis de la victimologie infantile(6>.

La commission parlementaire, unmorceau d'anthologie : les députés in-tronisent les avocats de la défensecomme spécialistes de la parole des en-fants.

Extrait du rapport de la Commissionparlementaire N° 3125 « Au nom dupeuple français, juger après Outreau »p. 75.

« Les questions que les avocats de ladéfense ont posées aux enfants ont ré-vélé la fragilité de leurs propos. Cer-tains conseils des parties civiles se sontcertes indignés de la vigueur avec la-quelle les enfants avaient été interro-gés. On peut cependant constater queseul un interrogatoire contradictoiredans un contexte où la parole de l'en-fant ne recevait pas une validation sys-tématique de 1' adulte, a permis de ré-véler la fragilité des révélations desmineurs ».

Toutes les techniques mises en place

par la recherche en victimologie depuis20 ans - avec dès 1983, les acquis deSummit qui constate que l'enfant se ré-tracte s'il constate que 1' on doute de sarévélation, par effet d'intimidation etde suggestibilité - tous ces acquis ont étébalayés par ces conclusions conster-nantes.

La commission parlementaire n' aja-mais remis en cause les procès, malgréles explications des intervenants, ellen'a pas pris en compte la vérité des en-fants ; dès lors, toutes les prémisses del'analyse des anomalies judiciairesétaient falsifiées, alors que c'est à ce ni-veau que se situait les dysfonctionne-ments.

De manière paradoxale, elle a fonc-tionné uniquement à charge à l'endroitdes professionnels, alors que c'est cequ'elle leur reprochait. Le juge d'ins-truction a été désigné comme boucémissaire et exposé à l'humiliation et àla vindicte publique devant les camérasde télévision d' un grand nombre depays en plus de la France. La Justice quitriangule de manière civilisée la rela-tion entre le coupable et la victime a faitintrusion dans ce couple binaire, lajus-tice était devenue ici le coupable. Laconfusion est alors totale et elle dé-structure les repères de civilisation.

Le grand public a adhéré à la véritémédiatique du fait de la présenced'images télé-réalité. Elles ont provo-qué l'hypnose traumatique et la pertede tous les repères de bon sens sur laréalité psychologique d'un enfant quine peut inventer des fellations et des so-domies. Elles ont provoqué égalementla disparition du champ de compétencejudiciaire le travail des experts psycho-logues qui était incontournable jusqu'àOutreau, dans les problématiquesd'agressions sexuelles sur mineurs.

La commission d'enquête de L'Ins-pection Générale des Services Judi-

II n'y a eu aucune publicité, or elle aréhabilité le travail des professionnelset d'une certaine manière la parole del'enfant. En effet, elle précise que lesocle de vérité était important puisqueles enfants décrivaient les mêmes scènesque les 4 adultes avant leurs rétracta-

tions, adultes avec lesquels ils n'avaientplus aucun contact.

Mais l'emballement hypnotique étaitlancé et les coupables médiatiques de-vaient rester les coupables de substitu-tion. Comme l'omerta sur la vérité ju-diciaire des enfants était définitivementinstallée, le grand public adhérait tota-lement à cette punition collective via lelynchage médiatique.

La comparution de 1' ex-juge d'ins-truction Fabrice Burgaud devant leCSM

La commission disciplinaire duConseil Supérieur de la Magistraturequi a étudié le dossier d'instruction n'acondamné 1e ex-juge, qu' à une répri-mande, sanction minimum puisque sesituant sur le premier échelon d'uneéchelle qui en comporte 9. Devenue in-terdite et Tabou, la vérité judiciaire desenfants y a été ignorée, elle aurait pour-tant allégé la rancoeur du grand publicà l'égard dujuge. Mais de fait, elle sem-blait inconciliable avec les acquitte-ments alors que les acquittés étaient sa-cralisés par toute la classe politique,toutes tendances confondues.

Les tentatives d'explication qui ontcontribué à faire disparaître totalementcette vérité judiciaire au bénéfice de lastorytelling.

Elles partent donc des prémisses

(5) «Je suis debout » . Chérif Delay. Editions du

Cherche Midi. 12 Mai 2011.

(6) Grille élaborée sur les critères relatifs à la re-

cherche de Steller, Raskin et Yuittle (traduction

H. Van Gijseghem 1992).

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fausses, la storytelling qui s'énonceainsi : « les enfants d' Outreau, comme ilssont carences, ont été capable d ' inventer desviols et agressions sexuelles. » Comme ils'agit d'une thèse inédite, des modéli-sations ont été recherchées dans l'His-toire en général, à défaut d'en trouverdans la littérature victimologique,lorsque l'intervention d'enfants oud'adolescent a donné à la société unedirection particulièrement tragique.

- Marie-Antoinette accusée d'inceste, parson fils, l'Enfant du Temple.

Louis XVII isolé, retiré à sa famille etmaltraité aurait alors spontanément ac-cusé sa mère, ce qui est une contre-vé-rité puisque l'on sait qu'il a été contraintà le faire par le sieur Hébert -journa-liste manipulateur d'opinion, devenuProcureur sous la révolution - pourdéshonorer et dénaturer le statut ma-ternel de la reine Marie-Antoinette.Mais selon certains « psys » appartenantau comité de soutien des accusés-ac-quittés, tout comme Louis XVII, isolés,maltraités, victimes de la rafle des ser-vices sociaux, les enfants d'Outreau ontfini par dire ce qu'on attendait d'eux, àsavoir que leurs parents les avaientagressés sexuellement.

- Les nouvelles sorcières de Salem. « leçonsd'Outreau », l'explication la plus élaborée.

Un livre parmi les plus doctes -il y ena eu une dizaine - a tenté de donner uneexplication plausible avec une modéli-sation historique qui rassemble toutesles supputations sociologiques : il s'agitdes « Nouvelles sorcières de Salem » parDenis Salas'7', magistrat et historien.

Denis Salas explique que cinq fillettesque l'on a cru possédées par le démonauraient alors, par pure malice, accuséà tort des dizaines de personnes qui ontété brûlées sur le bûcher.

Les enfants d'Outreau perçu commediaboliques, le diagnostique en symé-trie est posé puisque les personnes ac-quittées sont comparées à ceux qu'ona pris pour des sorciers et des sorcièresà Salem.

A Outreau, l'obsession pédophiliqueaurait donné aux pédophiles le statutde sorciers, ce qui signifie que l'on voitdes sorciers partout, parce quon est ob-sédé par cette problématique.

Il s'avère qu'aucune ne tient : pasd'obsession pédophilique, comme leprouvent les chiffres données en 2001<8).1 % des informations donne lieu à un

signalement, et lorsqu' il y a signale-ment, seulement 30 % donnent lieu àtraitement judiciaire qui aboutit sur unesanction mais aussi sur une relaxe voireun acquittement.

Or les fillettes n'étaient pas possédéespar le démon, elles souffraient d'un malréel aussi appelé « mal des ardents »,elles étaient victimes de l'ergo de seigle,un champignon hallucinogène. Enproie à des hallucinations, elles ont dé-veloppé de manière limitée dans letemps, une véritable pathologie déli-rante. Les procès en sorcellerie couvrentles régions où l'ergot de seigle a pu sedévelopper.

Les enfants diabolisés d'Outreau ontdonc été assimilés à ces adolescentesprétendument possédées par le démon,ainsi leur parole a été, non seulementconsidérée nulle et non avenue, maisaussi reconnue définitivement commedangereuse pour la société.

ConclusionComme on a pu le constater dans ce

passage en revue chronologique et syn-thétique du déroulement médiaticoju-dicaire de l'affaire d'Outreau, cette mys-tification sociétale a été permise par ladépossession des professionnels de lapsychologie et de la victimologie in-fantile de leur travail d'Expert. Socratedisait que le technicien est écouté entant qu' expert dans tous les domaines,sauf celui de la politique que tout unchacun s'approprie.

C'est vrai, pour la psychologie ce rai-sonnement est justifié quand on a af-faire à des d'enfants qui évoluent dansune situation normale. Ce n' est plus lecas lorsque l'on a affaire - non pas à desenfants carences spécifiquement, maisà des enfants polytraumatisés commele sont les enfants victimes supposés deviols et d'agressions sexuelles.

Je fais appel au bon sens, qui a dis-paru dans tout le traitement de cette af-faire : est-ce qu'il viendrait à l'idée dequi que ce soit de faire poser le dia-gnostic médical d'un enfant accidentégravement, non par un médecin ur-

gentiste, mais par un psychiatre qui nel'a pas examiné, un journaliste, un avo-cat, un procureur, un député, un abbéet un historien ? Non bien sûr, à Ou-treau, oui.

Dans cette société de l'image qui in-carne la vérité, les enfants victimes deviols et d'agressions sexuelles sont as-surément perdants. Les enfants d' Ou-treau devraient avoir droit à un nouveauprocès - l'on peut rêver - un procès mé-diatiquement équitable, une fois deve-nus majeurs.

Les leçons à tirer des procès d'Ou-treau ne sont pas celles qui ont été don-nées, elles sont bien plus basiques : ilfaut laisser tout simplement les expertspsychologues missionnés par la justiceexpertiser les victimes et peut être en-registrer leurs expertises, tout commeles interrogatoire chez les OPJ et chezle magistrat instructeur.

L'objectif est bien d'éviter à l'enfantde venir au procès mais aussi de per-mettre aux jurés de visualiser la mé-thodologie très codifiée du travail d' ex-pert. La vidéo aurait pu, au procèsd'Outreau, donner à voir à tous la ré-activation du traumatisme, et mieuxcomprendre les explications sur cetteréactivation qui donne des éléments trèssignificatifs au récit.

Il y a plus de 40 critères de validationde 1' examen psychologique et victimo-logique quand on prend en compte lescaractéristiques de la déclaration et lesconséquences traumatiques repérablesdans la clinique du comportement etobjectivables dans les tests.

La conséquence en est l'installationde la storytelling et du référentiel Ou-treau sur le mensonge des enfants ca-rences en matière d'agressionssexuelles. De ce fait, on ne croit plus lesenfants, les révélations d'enfants ne sontplus traitées de manière objective et lapeur d'un nouvel Outreau a démulti-plié le classement sans suite de telles ré-vélations. Je suis destinataire de nom-breux constats de cet ordre, suite à lapublication de mon livre « Outreau lavérité abusée ».

(7) « Les nouvelles sorcières de Salem »de Denis

Salas et Antoine Garagon. Seuil. Octobre 2006. >

(8) Cf« Outreau la Vérité abusée » introduction.

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Vient de paraître :

Je suis DeboutEcrit par Chérif Delay en collaboration avec Serge Garde

Le Cherche Midi - 15 euros

Cour d'Assises de Paris, novembre2005. Un enfant de 15 ans, ChérifDelay, debout à la barre destémoins, subit les foudres desavocats de la défense. Traité dementeur, complètement tétanisé, ilne pourra plus que chuchoter : « Jene sais pas, je ne sais plus », et leprocès bascule.Dans toute la France, on parle dufiasco d'Outreau. Pour toute laFrance, ce « fiasco », c'est le dramed'adultes accusés par des enfantsmenteurs, avant d'être acquittés.Invités par les plus hautes instancesde l'état et sur tous les plateaux detélévisions, les acquittés ont raconté leur calvaire et rencontrél'empathie du public : ce qui leur était arrivé pouvait arriver àn'importe qui.Quant aux enfants, ils étaient oubliés, escamotés.Humilié, traumatisé, Chérif Delay est devenu SDF le jour de ses18 ans. Sa souffrance et sa colère en ont fait un danger pourl'ordre public. Il passe par la case prison, puis part pour l'Afriqueoù il va se reconstruire.Chérif Delay a été traîté de mythomane. S'il souffre aujourd'hui,c'est de s'être tu : «J'aurais pu sauver mes frères et les autresenfants si j'avais parlé plus tôt, mais j'étais menacé de mort. J'aiété lâche... »Avec Serge Garde, il ne refait pas le procès et ne conteste pas lachose jugée. II révèle une seconde vérité judiciaire occultée : douzeenfants, dont Chérif, ont été officiellement reconnus victimes deviolences sexuelles et de viols.Devenu adulte, Chérif a maintenant le droit de parler et detémoigner. Un document bouleversant, sans complaisance, quiplace le lecteur devant deux vérités judiciaires difficilementconciliables : celle des acquittés et celle, inédite à ce jour, d'un desenfants victimes, l'aîné.

L'aides éBantsd'Outreau sortdu sile

Le livre a permis pour le moins de fé-dérer de nouveau les professionnels au-tour des véritables acquis de la victi-mologie infantile, afin qu'ils ne soientplus parasités par Outreau. Ce livre peutdonc être considéré comme une pre-mière étape de la restauration de laconfiance des professionnels en leursconnaissances et en leur travail.

Ce colloque sur « La parole de

l'enfant après la mystification d'Ou-treau» est la seconde étape qui officia-lise la réflexion sur Outreau à partir deprémisses justes ; il est fondateur de laréhabilitation de ceux qui ont pris encompte la parole de l'enfant victimed'agressions sexuelles, et de ceux quil'ont validée.

Le livre et ce colloque préparent leterrain pour que la parole de l'enfantd' Outreau ne soit pas balayée d'un

revers de main dejournaliste dépen-dant de la version officielle. Le pro-blème de société est criant car il est im-possible de faire entendre une versionautre que celle de la storytelling,comme l'a expliqué un chroniqueurju-diciaire ; s'il le faisait, il se mettrait à dostoute la classe politique et tous sesconfrères...

Le livre « Outreau la vérité abusée »a pourtant éveillé l'intérêt de journa-listes versés dans les questions de pé-docriminalité. Serge Garde, auteur denombreuses recherches et publicationsdans ce domaine a recueilli la parole de1' aîné des enfants d'Outreau, Chérif(Kevin Delay) que j'appelle Pierre dansmon ouvrage. Il avait déjà fait parler delui - si peu - en appelant de nouveau àson secours 1' ex-juge Fabrice Burgaudet en déposant plainte contre le Pro-cureur de Paris qui avait fait des excusesaux accusés avant le délibéré des jurés.

Tout cela en vain, Chérif n' avait pasréussi à soulever la chape de plomb quirecouvre la parole des enfants d'Ou-treau. Le 12 mai 2011, les Editions duCherche Midi publient le livre co-écritavec Serge Garde, ouvrage intitulé «Jesuis debout». Un documentaire diffu-sera son interview mais aussi les analysesdes professionnels de 1' affaire.

Chérif est aiguillonné par le senti-ment de culpabilité. Il se sent para-doxalement responsable de la souf-france des tous les enfants d'Outreaucar il estime que s'il avait dénoncé desuite les viols, les autres enfants auraientpu être épargnés. Cette motivation ad-mirable de générosité donne de 1' au-thenticité et une puissance extraordi-naire à sa^ démarche et à sontémoignage.

Tout ceux qui ont permis de près oude loin et l'ancien Ministre de l'Inté-rieur devenu avocat d' enfants, PierreJoxe, en fait partie, sont désormais dé-signés comme « Révisionnistes », ce quimarque unen o u v e l l eétape dans ledéveloppementsociétal lié à une nouvelle lec-ture de l'affaire d'Outreau. J'espère avoir pu y apporter unéclairage et une contributionutiles et professionnels. •

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