LA TRAVERSÉE DU PETIT POUCET

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LATRAVERSÉEDUPETITPOUCET

Dumêmeauteur

ROMANSLeCharmenoir,Gallimard,1983LesNocesbarbares,Gallimard,1985,prixGoncourtLaFemmesousl’horizon,Julliard,1988LeMaîtredeschimères,Julliard,1990Prendsgardeauloup,Julliard,1992Disparuedanslanuit,Grasset,1994NoirAnimal,Bartillat,1995LaForced’aimer,Grasset,1996HappyBirthdaySarah,Grasset,1998Mineure,Blanche,1999Osmose,Laffont,2000Borisaprèsl’amour,Fayard,2002Vertcruel,Bartillat,2003Moiettoi,Fayard,2004LesAffamés,Fayard,2004Mapremièrefemme,Fayard,2005LaDégustation,Fayard,2005L’Amante,Fayard,2006L’amourestfou,Fayard,2006Leplusheureuxdeshommes,Fayard,2007LaPuissancedescorps,Fayard,2009AdieuBugaledBreizh,Lerocher,2009LePianodemamère,L’Archipel,2009LesOubliésduVent,LeRocher,2010Cadavresexquis,PlayBac,2011

DOCUMENTSBélaBartók,biographie,Mazarine,1981;éditionrevueetcorrigée,Stock,1993LePoissonquirenifle,livrepourenfants,Nathan,1994LePingouinmégalomane,livrepourenfants,Nathan,1994

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analyséedanstoutessesvariantes.MaisGracqromancier,c’estcomme Echenoz romancier. Il n’y a pas de roman, il y apromesse de roman jusqu’au mot Fin qui d’ailleurs ne figurepas.Ilyautrechose,unphraséirrésistible,unrythmesiberceurquel’onestenvoûté.Etjen’oubliepasqu’Enlisantenécrivantfait de Gracq l’un des plus grands critiques littéraires de sonépoque,àl’instardeSartreouNabokov.

M:Nabokov?J:Immensevisionnairedeslittératuresdepartout,immense

commentateur des écrivains phares. D’une mauvaise foicrapuleuse,maisgénial.

M:IlestsévèreaveclesFrançais.J : Sa nostalgie russe l’aveugle. En même temps, il est

bluffant. Dès qu’un roman français contemporain m’intéresse,j’ai l’impression qu’il aurait pu être écrit par un étranger quiaurait tout compris de la musicalité traîtresse du français. LaPérégrinationdeFernâoMendesPinto,parFrançoisThibault,oncroiraitdumeilleurDinoBuzzati.

M:C’estsiimportantqueça,leroman,surlaTerre?J : C’est l’amour du prochain. Le livre et le vivre sont

inséparablesenOccident,unefratriequasijumelle.Àeuxdeux,ils détiennent la clé d’une existence accomplie sous la bonneétoile.

M:Aufait,pourquoit’adresseràmoipourcedialogue?J :Soit ilya identité entrenous, soit tuesundiabolique

imitateur.Danslesdeuxcastufaisl’affaire.M:Etsic’étaittoi,lediaboliqueimitateur?…Passons.Ilm’intrigue,tonPetitPoucet.J : Les miettes balisent un chemin de vérité, comme les

livres. Je suis dans la peau d’un Petit Poucet voyageur quiramasseuntrésordemiettesinspiréespourlespartageravecsessemblables.

M:Unmotdeteschroniques.J:Longuetraversée!Ellesontlanaïvetédelajeunesse,la

fougue, les emballements du jeune pigiste qui veut épater sonmondeet fairebriller lesyeuxdes filles, auNouvelObs,maistoutes sont nées d’un amour fou pour la littérature et d’unereconnaissance à la vie à la mort envers les auteurs, cesprophètesenfantinsquinousdonnentleursang.

Idiome d’une humanité qui serait humaine comme sil’humainétait ledivin, le françaisneconvientqu’auxesprits.Le plus fort c’est qu’on puisse en lui, par lui, discuter,s’engueuler,vendre,acheter,s’assassiner.

Aucontrairedecequi,semble-t-il,sepasseailleurs,notrelanguen’émanepasdelapeuplade.Ellenefixepasunsystèmeonomatopeur de cris et d’appels à propos de la lune, de laguerre et de la brandade. Elle pleut verticalement par laverrière des grands locaux officiels superposés, théâtres,parlements,prétoires,salons.PourparlercommelemarquisdeLantenac,ellesedirigeduhautverslebas.Autrementdit,c’estla littérature, y compris la religion, la politique et la justice,quienseigne,fécondeetsystématiselarhétoriquecommune.

Lesbat’d’Afetlesmatelots,voireleslivresdeSan-Antonioou Jean Genet, parviennent à métamorphoser la flûteacadémique en saucisse de sang et de silex. Des gosiersantillais, maliens, strasbourgeois ou pyrénéens s’en serventpour l’aligner, vaille que vaille, sur les dialectes jaillis toutcrusdelagrottedespremiershommes.Desvocablesexcellentscomme, “cosmos”, “azédarac”, “tam-tam”, “tonus”,“vespa”, dépourvus d’emuet, la truffent de syllabes rudes etbienfrappées.Avanttout,malgrétout,elleestécrite.Ecriteaupointqu’elleenestcuite.

JacquesAudiberti–Dimanchem’attend(Gallimard)

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MattichezlesHidalgos

Fieffémenteurdoubléd’unauthentiqueaventurierportugaisdu XVIe siècle, Pinto est aussi le conteur étincelant dontl’écrivainFrançoisThibauxreprendaujourd’hui la traditionenl’enjolivantàsontour.FernaoMendesPinton’estdoncpasunhérosfictifmaisunvéritablegaléjeurbattantdésormaispavillonlittéraire.

Ilestàl’origineunesclave,un«valetMatti»révoltéparlasuperbedeshidalgos.Ilveuts’enmettrepleinlespochesettenirluiaussilehautdupavé.Coûtequecoûte.ChezPinto,lafibresocialiste est atrophiée, la fin justifie les moyens, et pourdevenir«MaîtrePuntila»l’efficacitéprévautsurlamorale.

C’est l’époqueoù, dans le sillaged’Henri leNavigateur etVasco de Gama, le Portugal s’emploie à la domination dumonde. Enrôlés sur les caraques, mercenaires et vagabondspartent vers l’océan Indien conquérir le girofle et le poivre.Pintolessuit.Dèslors,l’ancienvaletn’enfiniraplusd’écumerlesmers,dejouerauVikingdansledétroitd’Ormuzoulegolfedu Tonkin et, ripailleur professionnel, de violer temples etjouvencelles.

Destinée tapageuse, elle en met plein la vue ! MaisL’ItinérairedeFernaoMendesPintoestàlafoistémoignageetfaux témoignage et s’évertue entre chronique et légende.François Thibaux définit son très beau livre comme un romanhistorique où la divagation s’est complue à déguiserl’événement. Et si l’histoire est le personnage essentiel de cefabuleux itinéraire, elle est également l’irréfutable alibi d’un

tissudemensonges.Surletard,FernaoMendesPintorencontreraFrançoisJassu

deAzpelcuéta,SeigneurdeXavier,admisdepuisaumartyrologeet connu sous le nom de saint François Xavier. Bandit cousud’or et de honte, Pinto se laissera peu à peu tenter par lerepentir.«LeSaint»l’initieraauxdouceursdurenoncement,etlafinduromanvoitPintorenouantaveclamisèreetpartageantsesbiens.FrançoisThibauxtireunpartimoraldelaconversiondu mécréant et semble insinuer que, chez les Portugais, lemysticismefinittoujoursparl’emporter.

LeNouvelObservateurn°838,1erdécembre1980.L’ItinérairedeFernaoMendesPinto,parFrançoisThibaux,Robert

Laffont.

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Plusonestdefous…

Quiavolé?RemoErdosainendétournantlesdeniersdelaCompagnie sucrière ? La Compagnie sucrière en sous-payantson encaisseur ? Le gouvernement argentin, souteneur éhontédesCompagniessucrières,detouteslescompagniesproclamantson autorité?L’Amérique appuyant le gouvernement argentin àpleins dollars ? La société dans son gigantisme international,celle des richards, des politiques, des aigrefins légaux ?Celledes chasseurs de prime acharnés à rançonner ceux qui n’ontrien:rienquelafolieetlalibertédevolerunbonheurqu’onleurdénie?

D’emblée, la tensiondu romanest à sonplushaut régime.Erdosain volait: il s’est fait dénoncer par un « ami » quiconvoitait sa femme en catimini. Mais Erdosain volait poursubstituerlebienaumalendédommageantsonépouseéreintéeparlescorvées,ladècheetl’ennui.Erdosainvolaitparamour,ilvolaithonnêtement.Voilàl’excellentmotifquisemblaitdictersatendanceaupéculat.En fait, ilnedonnaitpasun souàElsa ;pasunsouàlafamilleEspiladontilsefaisaitfortdefinancerlesprojetsscientifiques.Ilbuvaitensolosesmalheureuxpesoset « se finissait » dans un bordel où l’entraînait l’espoir derencontrerplusmisérablequelui.

L’homme a trop souffert, il a perdu la raison. Il ricane, ilgrimpeauxarbres, iloublie le temps.Sonespritvagabondeauhasardd’unmirageintérieuroù,mercibeaucoup,toutvapourlemieux : l’or coule à flots, ses ambitions d’inventeur sontcomblées, il dispose enfin du matériel nécessaire à latransmutation par galvanoplastie de vraies roses en fleurs de

cuivre.Erdosainest fou,mais àBuenosAires, en1928,« la folie

estlachosedumondelamieuxpartagée»–commelapauvretéquiluisertdedéclic.AussibienleromansocialdeRobertoArltest-iléprouvantpourlesnerfs,toussespersonnagesayant«ungrain».MadameErdosainestfolle.Elleatropattendu«laviedoréesurtranche»,elleplaqueàl’improvisteunmariquineseconnaîtpluspourunmilitairequ’elleneconnaîtpas.Ergueta,lepharmacienposeur,lepilierdecasinoraflantsoi-disantmontsetmerveilles,estfou.Ilfautl’enfermerlejouroùsecroyantmaîtreduhasard,lehasardserebiffeetplusrien,plusunradis,levoilàtondu comme unœuf, hypothéqué jusqu’aux yeux.Haffner, leRuffianmélancolique,estfou.Sesbrebissontdesputains,ilseprendpourunpasteur,jurantsesgrandsdieuxqu’endestinantlafemme au trottoir on ne fait qu’exaucer sa vocation la moinsdiscutée:lavénalité…D’oùvientalorsquecethommedebiensoitconstammentsujetaudésespoir?

Mais le plus fou, le fou dangereux, c’est l’Astrologue. Ilprétend rallier les folies éparpillées, les unifier autour d’unprojet démentiel : enrayer le mécanisme des échangesinternationaux,paralyserladiplomatie,l’économieplanétaireenfomentant des révolutions, instituer un gouvernement mondialfinancé par des bordels au service de l’État – et finalements’emparerdel’avenir:«Lafuturesociétéseracomposéededeuxcastesentre lesquelles ilyauraunedifférence intellectuelledetrentesiècles.Lamajoritévivradans l’ignorance laplus totale,entouréedemiraclesapocryphes,etlaminoritéseradépositaireabsoluedelascienceetdupouvoir…»

Cette histoire de fous trouve alors sa dimension policièreconnaît des rebondissements dont il faut laisser le privilège àl’auteur. Roberto Arlt, né à Buenos Aires en 1900, mort en1942,essayatouslesmétiers,touslesgagne-painavantdevouer

saplumeaumartyresocialargentin,condamnant la répression,l’oligarchie, la grande industrie, la paranoïa collective. Par ledétour du symbole et d’un certain flou calculé, Arlt sembleinsinuerque lecrimeest ledernier recoursde labêtehumaineassoiffée de pureté. Ce roman, un chefd’œuvre mal fagoté,brouillon, est rédigé d’abord dans un espagnol nébuleux.Qu’importe le flacon ! L’ivresse est là grâce au talent destraducteurs–IsabelleetAntoineBerman–,quiontsurestaurercetteélégiepoignanteoùplusonestdefousplusontremble.

LeNouvelObservateurn°899,30janvier1982.LesSeptFous,parRobertoArlt,traduitparIsabelleetAntoineBerman,

Belfond.

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une sacréedosede talentpourépaterun lecteur rienqu’en luidécrivantdesbourgeoisenvacances–fussent-ilsanglais!MaisJean-Philippe Arrou-Vignod se meut dans l’anodin avec lavélocité du poisson-chat. C’est un romancier, un écrivain, unportraitiste vitrioleur à la Saint-Simon, et pour faire bonnemesureunlyrique,onledécouvreàlafinquandilfusionneavecsonpersonnage,faisantduRideausurlanuitcommeunplidelamémoiretiréesurlanostalgie.

LeNouvelObservateurn°1037,21septembre1984.LeRideausurlanuit,parJean-PhilippeArrou-Vignod.

BigJim

«L’undesesbrasétaittorduetcassé,unelargemeurtrissurebleuemarbraitsapoitrine,unhématomelevaitcommeunsoleilpourpre sur une pommette écrasée et les testicules étaientdémesurément enflés. »D’entréede jeu,Harrisonnousmet ensituationcommedespersonnages.Onvoit,on touche,onsent.Onachauds’ilfaitsoleil,onapeurs’ildécritlaviolence.Sesromans sont des westerns contemporains où la vengeance avaleurdemystique,oùlaconquêtedel’Ouestn’estplusqu’uneerrance immobile au fond de soi – mais l’on n’en sort pastoujours vivant. Les héros sont tous des lonesome cow-boyséprisderêveetdemélancolie,defemmesetd’amour,tousplusou moins braconniers, chasseurs de bécasses ou de grospoissons, et généralement ce sont des cadavres humains qu’ontrouveauboutdeshameçons.PourmieuxconnaîtreHarrison,ilsuffitd’écouterSergeLentz,sontraducteur,s’expliquersurlui:« Je l’ai rencontré pour la première fois dans leWisconsin. Iltravaillait dans une station-service pour bouffer. L’un de sesyeux dit merde à l’autre. Il se fait toujours photographier deprofil ou avec unœil fermé.C’est une véritable bête, il a desmusclesjusquedanslescheveux.Iladesgosses.Safemmeestmarrane.On a l’impression qu’elle pourrait luimarcher sur latête…»Depuis, JackNicholsonest passépar là.Et si grandeestsonadmirationpourl’auteurdesLégendesd’automnequ’illuiaoffertuneannéesabbatique…

LeNouvelObservateurn°1081,26juillet1985.JimHarrison.Légendesd’automne,10/18.Sorcier,Laffont.Nord-

Michigan,Laffont.

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voyageurs qui situent la série des grands lacs à l’ouest desMontagnes de la Lune ? Sans méconnaître les périls del’Histoire, laguerre larvéedespotentats locaux, cespetits roispasteursquifournissentenesclavesetchairfraîchelesnégriersarabes installés sur la côte depuis le VIIIe siècle, Burton,accompagné du capitaine John H. Speke, prend la tête d’unevéritable armée dans la touffeur équatoriale: « À l’entrée desvillages, en guise de bienvenue: des perches ornées de crâneshumains.Danslasavane:lelion,lechacaletlahyène.Danslesmaraisputrides : les serpents, les sangsues, les insectes.Aprèsles ulcères et la fièvre : le délire avec la conviction d’uneidentité double, les nuits sans sommeil et les hallucinations. »Deuxcentsjoursdesouffranceetdepiétinement,etlacaravaneatteintlebordorientaldulacTanganyika,làmêmeoù,quelquesannées plus tard, Stanley retrouvant Livingstone s’écrierait:« Docteur Livingstone, Ipresume ? » Burton entreprend demesurersatrouvailleetdelapositionnersurlacarte.Aprèsdessemainesdenavigationlelongd’unrivageinfestédecrocodilesetd’insectes,ilserendàl’évidence:cesgrandeseaux,hélas,nesontpaslaprovidencenourricièreduNil.

Est-celadéceptionquiterrasseBurton?Levoilàclouésurson litplusieursmoisd’affiléecependantqueSpeke,poussantplusaunord,découvrelelacNyanza,lamatriceduNil,mettantfin par son intuition miraculeuse à deux mille ans d’énigmessacrées.Brouilleàmortentrelesdeuxhommes.BurtonnecroitpasSpekeouplutôtse refuseà lavérité.«LessourcesduNilétaient probablement nées dans sa tête, dans son imaginationcommesesMontagnesdelaLuneavaientsurgidesoncrayon.»Cinq ans plus tard, retour d’Afrique – et pour Burton d’unevirée chez lesMormons –, le débat qui doit les opposer à laSociété royaledegéographie,devantunpublicgagnéd’avance

auxthèsesdeSpeke,estannulé.Pourquoi?Lesdeuxrivauxnedemandent qu’à s’étriper. Le lendemain, Speke se tue à lachasse. Accident, suicide, on ne saura jamais. Pour l’opinion,Burtonaportémalheuràsonamiqu’iljalousait.

Adieulabrousseetlescrocodiles,Burtonsemarie,serangeun tantsoitpeudans la fonctiondiplomatique,souliersvernis,col blanc, calendrier bien réglé.Consul auBrésil, nostalgiqued’unOrientde légende, ilpoursuitmécaniquement ses travauxd’anthropologie, notant par milliers des observations quepolarisentlescuriositésd’ordresexuel.DepassageaucapVertil est fascinéparun jeunehermaphrodite :«Lepénisestbienforméetmesureapproximativementunpouceunquartde longpourundiamètreenproportion.Iln’yapastracedetesticulesnià la vue ni au toucher. » Il est nommé tour à tour à Santos, àDamas,àTrieste,diplomateacariâtre,écrivainmanipulateurauxprises avec une traduction sans fard desMille et Une Nuits,majoréed’uneétudehorsdepropossurlesmœursorientales,lestechniques amoureuses et les stimulants vénériens. Plus quejamaisBurtonchercheàprovoquersescompatriotes,àsecouerleurpharisaïsme,àsemerdupoilàgrattersouslesjuponstropamidonnés de SaGracieuseMajesté. Rançon du camouflet: lacritiquesedéchaîna,vouantl’ouvrageauxégouts.

Que laisse Burton à sa mort ? Des récits de voyageshaletants, des poèmes, des carnets, des journaux de bord.Unemémoire d’une richesse inouïe mais entachée du soupçond’avoirétépeut-êtreunAnglaispeuconvaincu.Nesetarguait-ilpasd’unancêtrefrançais,unbâtarddeLouisXIV?Burton:unfrogàsangbleu!Bâtardquiplusest!Damned!

LeNouvelObservateurn°1397,15août1991.Burton,ombreetlumièredel’Orient,parJean-FrançoisGournay,

DescléedeBrouwer.VoyagesàLaMecqueetchezlesMormons,parR.F.Burton,Pygmalion.

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Smilla,jet’aime

ChezMelvilleetConradilyalamer,chezMallarmél’azur,chezKoboAbélesable,chezBalzaclapensée,selonluileplusdangereuxdesfluides,oùchaquehommeapprendàfaireuntroudans la solitude. Chez Peter Høeg, l’écrivain danois, la neigehantelemonde,blancheursibylline,milliardsdefloconsétoilés,firmament tombéduciel, tribunaldesilenceoù, jugeetpartie,l’individunepeutqueformulerdesaveuximpossiblesailleurs,grumeaudansl’universqui l’absorbera.Laneige?Çafond,çameurt, c’est couleur de zéro. C’est ici le fin mot d’un romanfabuleux,tenduverslatoisond’oraupaysdesglacesdérivantes,et ce finmot ne demande qu’à s’effacer à son tour. Les bonstueursne laissent jamaisd’empreintes.Ah!s’ilsconnaissaientSmilla.

C’est en Groenlandaise immigrée qu’elle habiteCopenhague.Sonmeilleuramivientdemourir,Esajas,septans.Elle a quarante ans. Simystérieux sont les rapports des corpshumainsentreeux,naturellementamenés,surtoutdanslespaysfroids,àsedonnerduchaud,dunu.«Lanuit,aufonddesonsommeil, il roulait jusqu’àmoi pour se blottir.Uneminusculeérectionluimontaitaucontactdemapeau,indécisecommeunguignolquisalue.»Ellel’aimaitcommeelleaimelaneige,pur,intact,fragile.Lepauvre,ilesttombéd’untoit.C’estdangereux,les enfants. Pour eux-mêmes.L’enfant n’a pas d’autre ennemi.Requiempouruninnocent.

MaisSmillaestunpeugitane,unpeuvoyante.Ellenepeutregarder le cercueil enneigé du gamin sans que les signes semettentàfourmiller,sansquelepassédévoilesesmalices.Que

faitsuruntoitunpetitgarçonmaladivementsujetauvertige?Ils’apprêteàmourir,assassiné.Leromancommenceetvabientôts’élargirauxdimensionsd’uneépoquedéjantéequinesaitplusoùplanquer sesogives, sesbactéries, sesgènesmanipulés, sesdéchetscontaminés,sesnarcomilliards,sesgénocides,commentsegoinfrerd’orenbernantlesaffamés,etparquelboutprendrel’an2000sansqu’il tourneà la findumonde.Esajasestmortpour que ne s’écroule pas la Baliverna, pour que le plus topsecretdesbrise-glace,leKronos,puisseconvoyeràbonportensoute stérilisée, oxygénée, moins une cargaison vraie qu’unmensongeàpeinemoinsnavrantqu’unchampignonatomique.

Au fait, Smilla ? Un sacré loustic. Une mère chasseur denarvals en son temps, un père anesthésiste et bourré aux as.Groenlandaise, elle brandit cette appartenance aussi volatilequ’untoponymeshakespearien.LesGroenlandaisexistent,maisleGroenland?Laglaceest-elleunsol?Uneutopie?Quellesracinesaccrocheràlabanquise?Àl’ultimaThulé?onlacroitd’abordgentillette avec sonEuclide et sonRussel, un tantinetbas-bleu, fille à papa,BobMorane et vamp,de la soie sur lesfesses et du vison par-dessus. Une bonne fille animée desmeilleures attentions, attendrie par la neige comme unegourmandeenvued’unemeringueàlachantilly.Etvoilàqu’ellenoussidèreavecuneélégiesurlesnombresàluisauteraucou.« Connais-tu l’expressionmathématique de la nostalgie ? Lesnombres négatifs. La conceptualisation d’un manque. Laconscience continue d’évoluer et de s’affiner, et l’enfantdécouvre les intervalles. Entre les pierres, entre les brins demousse, entre les nombres. Saistu à quoi cela mène ? Auxfractions. En additionnant les nombres entiers et les fractions,onobtientlesnombresrationnels.Laconsciencenes’arrêtepasen sibonchemin […].C’est commeunvastepaysagedéployédevantsoidont l’horizons’éloigneaufuretàmesurequel’on

cherche à s’en rapprocher.C’est leGroenland, c’estma raisond’être.»

Nous voilà prévenus. Pour complément d’image, autants’adresserà lapolicequicherche toutbonnementà lavirerduDanemark. « Smilla Jaspersen. Née le 16 juin 1956…Étudessupérieures à l’Institut de géographie de l’université deCopenhague. Morphologie glacière, études statistiques etmathématiques fondamentales… Voyage dans l’Ouest duGroenlandetàThulé.Tousvosprofesseursdisentengrosquesil’onveutsavoirquelquechosesurlaglace,ons’adresseraavecprofit à Smilla Jaspersen… » Certes, mais sous l’endroitl’envers : « Il y a aussi les activités politiques. Arrestationsrépétées lorsdu siègeduministèrede l’Environnementpar lesJeunesses groenlandaises. Y a-t-il une seule institution dontvous n’ayez pas été renvoyée, mademoiselle Jaspersen ? –Autantquejesache,jesuistoujoursinscriteàl’étatcivil.»Uneagitatricedechoc,unesœurdelacôte,douéed’unsensinnédel’orientation,capabledemarquerlesoursblancs,d’endormirleschiensméchantsau foiedemoruegarnide rohypnol.Enoutreelle est facile à nourrir, avec une préférence avouée pour lagraissedebaleinerose,légèrementécumante,mangéeàmêmeleplat.Ellen’apeurderien,surtoutpasdudanger,surtoutdepuislamortd’Esajas.

Elle enquête au bluff. Elle interroge les flics, lemédecin-légiste,lamèred’Esajas,unepochetroneauveuvagecommeonest sans travail, elle arrache à l’ancienne comptable de laCompagnie danoise de cryolithe, où feu le père d’Esajas étaitemployé,desaveuxsur lespratiquesdouteusesde l’entreprise.C’est au cours d’une descente nocturne au siège de lacompagniequ’ellemet lamain surdesarchivesconfidentiellesserapportantàdesexpéditionspolairesoùplusieurspersonnesonttrouvélamortdansdesconditionsinexpliquées.Surce,elle

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docteurSavigny, l’undes futurs rescapés. Il nenous fait grâced’aucun détail. Il nousmontre l’océan dans toute son horreurquand il se fait perdition,quand leshommesen sont réduits às’entredévorerpourluiéchapper.

A.BARICCO. –Hormis l’idée du radeau, tout a commencépar la phrase première et leitmotiv du docteur Savigny, phraseque j’ai trouvée enmepromenant : «Lapremière chose, c’estmonnom.»,phraseàlaquelleilseraccrocheauborddelafolie.C’est comme dans une page de musique où la clé, « la notebleue », disait Chopin – sol, ut, etc. –, harmonise les diverséléments thématiques.AveccettephrasedeSavigny, lepassageduradeaunepouvaitplussedérober.J’avaislaclé.

N.O–Etvousavezécritleromandanslafoulée.A. BARICCO. – Pas du tout. Le moment n’était pas venu.

Durant plusieurs semaines j’ai marmonné cette phrase quim’obsédait:«Lapremièrechose,c’estmonnom.»Parelle, jesavaisquelasuiteviendraittôtoutard.Elleétaittoutenmoi,àlavirguleprès,commeun trésorenfouiqui remonteraitde lui-mêmeàlasurface.Cequiafinipararriver.

N.O–Pourenreveniràl’intriguegénéraled’Océanmer.A.BARICCO.–Généralesil’onveut.L’intriguevariedel’un

àl’autre.Chacundespersonnagesvitlasienneenaparté.Ilyaparfois des rencontres. Ils ont tous en commun la pensionAlmayer. C’est un passage au sens physique et temporel, ilsl’empruntentàleursrisquesetpérils.

N.O–Cettepension,vousl’avezimaginée?A.BARICCO.–Ouietnon.Jel’aitrouvéeplusieursfoissur

mon chemin, et chaque fois je m’étais perdu. Un jour enBretagne,àlapointeduRaz,pargrisailleetgrandvent.C’étaitdésert,saufunepetitemaisonblanchesurlafalaise.Unevieillefemme louait des chambres et servait du café au lait. Je croissavoir qu’on a fermé ou détruit son auberge depuis. Un autre

jour,auPortugal.Mêmeimpressiondesolitudeetd’égarementauborddelamer.Etsoudainlemiracleduvivreetducouvertdansunemaison isolée.J’yaidormi.Toute lanuit, lebruitdel’océan m’a tenu dans un demi-sommeil où des rêvess’enchevêtraient. J’étais le premier personnage d’Océan mer,celuiparquilelivreseferaitunjour.

N.O–L’inconnudelaseptièmechambre.A.BARICCO. – Les choses sont-elles jamais si simples en

littérature?L’hommedelaseptièmechambre,celuiquinesortjamais,semontreeneffetquandlelivreestfini,pourunpublicd’enfants qui reçoit de sesmains le secret de lamer: unmot.Quel mot ? On ne sait pas encore. Un jour, ce mot dira toutensemble la mer, la mort et la vie. Il supplantera toutes lessyllabes antérieures à lui. Les enfants le croient, ils repartentrassasiés,lapensionn’aplusqu’às’envolerauciel,etl’histoirecontinue en silence, jusqu’à la prochaine fois. J’ai longtempshésité à l’ouvrir, cette septième chambre. Elle était tellementsymbolique, et plus encore avec son numéro sept. Encoreaujourd’huij’aidesdoutes.

N.O–Pourquoi?A. BARICCO. – La facilité. La porte est fermée, l’auteur

l’ouvre avec son passe-partout quand il l’a décidé. Même unsorcier n’a pas les pleins pouvoirs sur une histoire. Se lesappropriant,ilamoindritsonmystère.

N.O –On ne peut pas dire que vous péchiez par facilité.Vousêtesitalien,maisl’Italien’apparaîtpasdansvoslivres.

A. BARICCO. – Je suis tenté par un exotisme à la foisuniverseletbonenfant.Jem’éloignedoncdemonvillageetdeshabitudesque l’onm’yprête.Jem’appuiesurunloinpas troplointain.De là je rebondis leplus loinpossible.DansSoie, jem’installais dans les Cévennes, et le personnage se rendait auJapon négocier des cocons de vers à soie. J’aime montrer la

solidariténaturelledugrandioseetduminuscule.Del’instantetdel’éternel.Donneràvoirdeslieuxquin’existaientpasavantleroman,quin’existentplusaprèslui.

N.O–Etsil’onvoulaitqualifiercettemanièrebienàvous?A.BARICCO.–Ahcettemaniebienfrançaisedesétiquettes!

Essayons.Réalisteoupas,unromancommenceparcoupercourtà la réalité extérieure. Il hait le réalisme documentaire. Ilengendre une réalité fictive, une vraisemblance à lamesure denosrêvesetdenosexcentricités.

N.O–Ilyachezvousunsystèmederéférencesdéguisées.Lesnomspropres,onal’impressiondelesavoirtousentendusquelquepart.LapensionAlmayersembleévidemmentêtreuneallusionàConrad.

A. BARICCO. – En effet. Comme Bartleboom l’est auBartleby de Melville. Et Plasson, le peintre, au Plassonmusiciendel’orchestreduCapitole,commeAbbeg,lecapitaine,auSchumanndesvariations.

N.O–Leromana-t-ilencoreunrôledansnotresociétéquileprétendhorsjeu?

A.BARICCO.–Plusl’hommeavancedansl’histoire,plusilabesoind’histoires.Plusiltrouve,élucide,progresse,plusilluifaut se ressourcer dans lemystère. Le roman est un perpétuelélogedumystère.C’esttoutlesensdel’artdepuislescavernes.

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Monpère,cehéros…

Le Nain Jaune, avant de rien savoir, dit non. Non à laconnerie,auxthéoriesbienhuilées,àl’évidence,àl’ennui.Non,ilnefautpas«quejeunessesepasse»,lajeunessen’étantpasun mauvais canular à expédier sans trop de casse mais unentraînementquotidienàlafolie.

Car la vie du Nain Jaune est un stupéfiant hommage àl’extravagance.Iln’enratepasune.Au«Beau-RivagePalace»,il ébouillante à moitié Coco Chanel dans sa baignoire : « Lepeton droit de Coco se mit à cuire instantanément comme unœufàlacoque.»;àsafemme,iloffreunmanteaudefourrure–pur blaireau vierge peigné – ne pesant pasmoins de quarantekilos ; à son fils Pascal, il fait suivre un traitement médicalrévolutionnaire inspiré par EDF : une injection d’électricitédanslefondement,àraisond’unedéchargede50000voltstousles jours avant le déjeuner. Le soir où Zouzou lui interdit saporte, il massacre un Boudin, puis, sous les yeux d’uneassistanceeffarée,rejointZouzoufaçonFantomasenescaladantlafaçadeetlechèvrefeuille.

Enfant chéri du hasard, il semble toujours de mèche avecl’événement. Il ne peut pas descendre à l’hôtel sans qu’on luiattribuelachambrehabituellementréservéeaugénéraldeGaulleet,combleduprodige,sansdécouvrirunmicrodissimulédanslachassed’eau.

LeNain Jaune est aumieux avec deGaulle et connaît parcœur le monde entier des stars : Daniel-Rops, Giraudoux,HélèneMorand, « immense du haut de sa petite taille », PaulMorand, dont il confiera les tribulations intestinales à un

médecin fou ; Bertrand de Jouvenel et Raymond Abellio, sestémoinsdansuneempoignadeentresonemployeuretlui.

Personnalité intermédiaire entre le Christ et le généralDourakine,leNainJauneestunbaroudeur.Maisunbaroudeursouffreteux, cacochyme, avec ordonnance et tintouinpharmaceutique;unbaroudeurvexéparsasantédefer«touterongéederouille»etn’enprenantsonpartiqu’aumilieud’unarsenaldebouillottes…Celadit, condamnéàhuit joursde litpar un médecin désirant l’obliger, il file en Angleterreaccompagné de son inséparable Pascal. Motif du voyage :désobéir et relancer une petite amie dont il faisait les beauxjoursquaranteansplustôt.

Roméo du troisième âge, il se présente avec son fils audomicile de l’Anglaise : « J’aperçus d’abord le volumineuxderrière d’un vieux jardinier qui flottait dans une vieillesalopette:“MissSarahGreenwood,ifyouplease.”Lejardinierse redressa: “Jean Jardin, mon vieux Jean.” C’était elle, ellemarchaitversnousaumilieudesdétritus,elleessuyaitsesmainssales sur sa chemise à carreaux qui abritait deux souvenirs deseins…»

Àchantercepèreinsensé,ilestprobablequePascalJardinaitenchantélesfaits.Maisnenousytromponspas,LaBêteàBonDieuestungrandlivreoùlavérités’estmiseenfraispournouséblouir.Le talentdunarrateur est celuid’unécrivainquiexcelle à piéger, en quelques mots évidents, les véritésessentielles:«Lachancecommetouslesluxesetcommetouslescréditssepaietôtoutardtrèscher.»OucetadmirableaveudédiéauNainJaune:«L’amourquejeluiporteestcomparableà celui qu’on éprouve pour certaines femmes. On a beau lesétreindreàlafolie,ellesrestenttoujoursbellescommelafemmed’unautre…»

LeNouvelObservateurn°815,21juin1980.LaBêteàBonDieu,parPascalJardin,Flammarion.

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NervousBreakdownLaBêteestlecorollaireévident.Clairdanssonexposé, le récit resteobscurdanssondessein. JulesVernel’eûtsous-titréVoyageaucentred’unœil:celuid’unepanthèrenoireoùsontpréditsetcondenséstouslesâgesdel’espèce,touslesélanssansvoixduméprisàl’égarddeshommes.

Ce livre est celui d’un écrivain qui renouvelle aujourd’huil’exploitd’émerveillersousl’impulsiondesmotslesplusbanals– ceux que chérissaient Lagerloff, Supervielle, Selander,CalvinoetTardieu:bref,lesgrandsconteurs!

LeNouvelObservateurn°869,29juin1981.Contesetlégendesdemavieprivée,parMarieLaforêt,Stock.

DanslagueuleduDuce

Artificier diabolique,PierreBourgeade évoque aujourd’huicet explosif délicieux qu’on dénomme « érotisme », avecl’imaginationpourdétonateur.

« Je », ici, n’a vraiment pas l’air d’un autre… Les faits,assurément, sont bien les cartes à jouer d’une partie truquéequ’unhommeessaie,pardésœuvrementmoral,d’engagercontrele vieillard qu’il sent naître en lui. Cinquante-cinq ans, il estfatigué d’Adriana, qui l’aime et qu’il n’aime plus: après avoirincarnélabeauté,samaîtresse«incarneseulementcetinstantdela vie où l’amour n’est plus qu’un souvenir… ». Pour lechasseur finissant,Christina, fille d’Adriana, est unplus douxgibier.Maistrahit-onvraimentsonamanteenconvoitantlachairdesachair?

Àcepetit jeudel’amouretducalcul, laguerreapporteunpuissant concours. L’Italie, en 1943, est une plaie à vif; unpandémoniumoùleDuceaperdubedaineetsuperbe.Amorçantunvirageastucieux,lesChemisesnoiress’efforcentdeménagerlachèvrefascisteetlechoupartisan.Lamortfaitrage.Commesi de rien n’était, le pauvre mammifère humain reste farcid’instinctsquelamoraleembraseàvouloirrégenter.Pasunmot,pasundésir,pasunclind’œiluntantsoitpeulibredevantlesfureurs de l’Histoire. Et Christina ne peut dégustersensuellement son gelato trois boules au café Volpi, ni lenarrateurenprofiterpourladéniaiserd’undoigtexpertsouslatable, que Mussolini, Hitler et les hideux ténors du naufrageeuropéen ne soient bizarrement impliqués dans ces travauxd’érotisme privé. Car la guerre est un lugubre aphrodisiaque,

assez puissant pour exhorter les sens aux plus scabreuxmanèges.

Onl’adeviné,lenarrateurvafileravecChristinalemauvaiscotond’unamoursansamour.Pourelle, il s’agitdevivre fort,on dirait aujourd’hui « s’éclater », tandis qu’il en est temps;pourlui,denarguerlamortparundernieramourquiluirendsajeunesse.

Le roman s’achève insensiblement; l’eau du lac d’Orta serefermeendouceursurlacohuedesévénementsqueBourgeadefaitaffleurerjusqu’ànous.«Sanschercheràexpliquerlesactes,àenravalerouàenexalterleseffets»,justepournousmontrerparunbeaulivred’histoireetd’amourqu’iln’yajamaisgrand-chosedenouveausouslesoleil:qu’ons’entre-tuecavalièrementcependantquedesmessieursd’uncertainâgeontunpenchantpourlestrèsjeunesfilles…

LeNouvelObservateurn°888,14novembre1981.LeLacd’Orta,parPierreBourgeade,Belfond.

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déboussolée(çasecomprend!),onn’estalorsqu’àlamoitiédulivre et l’autremoitié se passe en regrets éternels, désolationstardives,initiatismefumeux:ai-jebienfaitd’aimerunsalaud?Était-ce un vrai salaud ?Un vrai homosexuel ?Qu’est-ce quel’amour?Dommage,carAnneMichelsaitàl’évidenceaccordersituationset«climats».

Avec Emma Bovary est dans votre jardin, de MarietteCondroyer, la littératureestvibration, rémanenceetcauchemar.EmmaBovary, comme chacun sait, pousse dans les jardins, levôtre en général. De même qu’un jeune homme inexistant(Calvino l’adéjàmontré)peut fortbien s’amuser àdésunirunvrai couple… en s’incarnant un jour de façon diabolique.Impossible?L’auteurrelèveledéfi.Celuid’éludertoutbonsensauprofitd’unefablemi-chairmi-chimèreoùl’enversdumiroirse mélange à l’endroit; où des personnages éminemmentlittéraires, et donc sans existence biologique, ont tendance àdéserter leur état non civil pour croiser le destin des vivants.Entrefaitdiversetféerie,c’estunva-et-vientd’effetsoptiques,d’illusionspirandelliennesavecdescentauresetdesgriffonsquis’appellententoutesimplicitéLordJim,CharlotteRittenmeyerouMrs. Dalloway. Un roman très noir qui est aussi le romand’amourdel’imagination.

LeNouvelObservateurn°1040,12octobre1984.LesChevauxpendusauxarbres,parArmandLerco,Grasset.Exerciced’amour,parAnneMichel,Calmann-Lévy.EmmaBovaryestdansvotrejardin,parMarietteCondroyer,Calmann-

Lévy.

Amourssybillines

La rentrée littéraire des « parrains » – B.H.L. ou Poirot-Delpech – dessert les auteurs moins chéris des médias, doncmoins en vue, quand bien même leurs ouvrages méritent ledétour. Dan Franck n’est pas un bleu, tant s’en faut. Il signeaujourd’hui son troisième roman. Qu’il ait mis deux ans à lebouclern’estpasétrangeràsaréussite,lesgestationsprécipitéessetraduisantengénéralpardesbébéscacochymesetdesromansallègrement superflus. La Dame du soir offre ces qualitésromanesques aujourd’hui raréfiées par lesmodes : dumystère,du romantisme, unebelle histoire au dénouement tragique– ilfaut bien consommer les destins.Qui n’a pas rêvé, de passagedans un bourg perdu, d’une passion avec un être à demilégendaire,s’incarnantjustepournosbeauxyeux,sansdérangernosamoursparallèles?Lenarrateuresticitropperverspoursecontenterd’unepareille liaison, ladamedusoir tropmourantepouravoirletempsmatérieldes’yprêter.Lui,quadragénaireencrise,sereposeauCarla-Bayle,unvillageàladériveenpleinecampagne;elle,olympienne,magicienneetsœurdelaSibylle,vitdansunmanoirencontre-haut,dontellenedescendquepourincarnerlabeautédudiableetravirsesamantsd’unsoiràleursengagements conjugaux. Dans une auto noire évoquant unegondole funéraire, la dame est pilotée par un chauffeur ayantvraimentlephysiquedel’emploi:celuid’unpasseurd’Acherondiplômé. On s’en doute, le narrateur va désirer la dame, etl’obtenir,aprèsunecroisièreenlimousineaupaysdel’agonie.

LeNouvelObservateurn°1049,14décembre1984.LaDamedusoir,parDanFranck,MercuredeFrance.

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LeNouvelObservateurn°1494,24juin1993.Dickens,parPeterAckroyd,Stock.

Unevie,moded’emploi

Aborder l’ouvrage de Michèle Gazier – dont le titrecharmeur pivote à la manière du culbuto toujours dans sonassiette–,c’estprendrepartàcettealchimie:laparolearrachantsalégendeautempsperdu,celuid’uneviequineprévoitjamaisderedoublerdansuneécriture,etdes’ycristalliserproverbeetroman.Qu’enpenseleculbuto,qu’enpenselavie?

L’héroïne s’appelleZita.Une jeunessedequatre-vingt-cinqans,decellesqu’ondemandeencoreenmariageàl’heureoùledernier sablier toucheà sa fin.EllehabiteAlès, leSud.Petiteville :comméragesassurés. Ilssedéchaînent le jouroùZitasefait prendre la main dans le sac chez l’épicier, barbotant desfruits.Lahonte,Zitas’enfiche.Delaconscienceellesaitquoipenser– la sienne,celledesautreset celled’unmarchandquipapouilleendoucelesfillettesécarlates:àchacunsespéchés.

Lamémoirevautbienuneorangevolée.Lesracontars,plusou moins épistolaires, font renaître l’histoire de Zita, femmesanshistoirevenued’Espagneàlamortdesonpère,en1919.

Autrefois elle avait une histoire. Gamine elle n’étaitqu’histoires et coups du sort. La guerre ? Elle en a vécuplusieurs, de tous les côtés, l’Espagne, laFrance, soi-même etles autres, devenue sur le tard cette femme sereine et secrète,atrocement lucide quant aux choses de la vie. Elle prend laplumeet,sansjustifiercequin’apasàl’êtredevantletribunaldespipelettes,ellesesouvientparécritd’uneépoqueoùchaqueinstantfuturlamenaçait.Lestémoignagessesuccèdent.Marie-France,labelle-sœurunbrinjalouse;Maria,l’enfantduhasard;lechauffeurdubusdeSanColomaquiserappelleunesignora

Zita, belle à mourir et cependant fiancée d’un bossu: « Deuxfoisparsemaineellepassaitlafrontière.Elleapportaitdutabac,desvivres,descouverturesauxrépublicains.Onracontequ’ellea même passé une nuit entière à répondre aux questions despoliciersquiavaientsaisisurelledegrossessommesd’argent.»MmeKhan aussi, l’ancienne ouvrière à l’usine de confection,s’en souvient: « Je n’ai jamais rencontré une femme plusextraordinaire. » Et pour cause : durant l’Occupation, Zitacachaitsesdeuxenfants,MyriametDavid,qu’ellefaisaitpasserpoursesneveux.

Ces divers témoignages ne font pas surgir la véritécanoniquedeZitamaisleportraitcontrastéd’unefemmefidèleàdesgestesanciens,lesplussûrsgarantsdesvaleursmoralesetde la dignité, même égarés en douce au milieu des fruits. Lavérité gît ailleurs. Le sage oriental sait bien que, simple etparfaite,ellenedemandepasàêtreformulée.

Cen’estpasgrand-chose,unevie,quandonnes’ensouvientplus. Mais quand les voix du passé remontent et se mêlent,tissant l’utopie d’une époque en poussière, le théâtre se faitvertigeetletempsbasculedanslesmots,làoùlafrontièreentrel’éternel et l’instant ne dépend que du fil de la plume.Car letalentdeMichèleGazier,outrelabeautéd’unromancontésansl’ombre d’un artifice, c’est de faire éprouver la forceautocréativedusouvenirsurl’événementqu’il transmet.Pasdechronologie trop bien huilée, pas de calendrier à feuilleter. Lamémoire ignore de tels arrangements et la concordance destempsn’estqu’unleurreàl’usagedesécoliersnaïfs.Simplicité,maîtrise,euphorie,nostalgiesontlesmaîtresmotsdecepremierroman.

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Notre-Damedusleeping-car

« Dieu ne pouvant me donner ce qui me rendrait la viepossible s’en tire en me tuant. » Et, joignant la preuve à laparole,MarieBashkirtseffmeurtquelquesjoursplustard.

«Moussia » est d’origine russe.Elle a dix ans quand ellearrive enFrance, en 1869. Fille de gros propriétaires fonciers,elle est élevée dans le coton d’une excellente éducationbourgeoiseavecprécepteurs,aumônier,régatesettiraupigeon.Mais ses jours sont comptés, l’avenir n’est pas son affaire et,terrifiéeàl’idéedelamort,Marievas’adonneraudestinsur-le-champ.Aprèsavoirtaquinéladanse,elleentreprenddesétudesdepeintureetsefixepourbutlagloire.Àdouzeans,«voulantrestersur la terreparquelquemoyenquecesoit»,ellemetenchantier le journal sans fin qu’elle bâtira jusqu’à samort: dixmille feuillets consignant les illusions d’une adolescenteenragéed’absolu.

Marie voit d’abord la vie comme une pâtisserie dont lesfriandises ont pour noms « luxe, calme et volupté ». À cetteillusionmielleuse et beurrée l’enfant conformerad’instinct sesélans religieux. Dans son paradis où s’ébattaient les angelots,Dieunepouvaitqu’êtreunpapa-gâteauconfitenémotiondevantlamarmaillehumaine.Ilapprouvaitlemysticismebourgeoisquipermetdecroireenluisansrenoncerauxprivilègesdurang–etparexempleàChocolat,lenègrenainauservicedeMarie.

Minée par la tuberculose et la folie des grandeurs, MarieBashkirtseff aspire au génie. « Qui suis-je ? Rien ! Quivoudrais-jeêtre?Tout!»Telestsonsloganthéâtraldontelleasubtilisé la forme à Sieyès. Fidèle à sa définition, Marie ne

souffrepaslesbâtonsdanslesroues.Luirefuse-t-onunmanoirafind’installerdécemmentsacapricieuseautonomie,elleprendlamoucheetriposteparunsaunamoinsnorvégienqu’infernal.Unsoird’hiver, aprèsunbainbrûlant,Mariepart sepromenernue,scandalisantl’opinion.Lamortneluiferapascrédit.Le31octobre 1884, non sans avoir soigneusement rédigé sontestament,s’éteignaitcellequipréféraitseschimèresàlavieetse vantait de « rêver plus grand que nature ». Elle n’avait pasvingt-cinq ans et prétendait vivre « aussi longtemps quen’importequelconcierge».

Le féminisme naissant passionnera Marie Bashkirtseff. Àvingtans,elleexcelleàlyncherlamisogyniedansLaCitoyenne,unegazetteandrophageoùlagentmasculineestl’éternelplatdujour. Mais souvent femme varie. Et, retournant sa vesteinopinément, l’imprévisible Marie passe un beau jour àl’ennemi.Motifdurevirement:ellecaresseàprésentl’ambitiond’ungrandmariageavecunhomme«supérieuràelleentout»,unseigneur«auxpiedsdequipassersaviecouchéecommeunchienfidèleetobéissant».

OnabeaucoupfabulésurlesamoursdeMarieBashkirtseff,amours malheureuses, amours imaginaires, invariablementsujettes à la « cristallisation ». Elle aime Gambetta pour samagnifique élocution. Elle s’éprend du député Paul deCassagnac, un cœur d’artichaut. Elle s’amourache deMaupassant qu’elle n’a jamais vu. Revenu de toutes lespassions, délabré par la folie, l’auteur du Horla se prêteraquelquetempsàl’idylleépistolaireoùMarieveutl’entraîneretpuisill’éconduitbrutalement–méprisantcetamourdictéparlapeur de « mourir absolument pure de cœur, d’esprit et decorps».

Le journal de Marie Bashkirtseff ne s’est pas défraîchi.Délire et désespoir colonisés par des mots qui s’efforcent à

l’humour,ilconvoietoujours«lagrandeillusion»dontMarie,dans sa course à l’idéal, nimbait les chosesde lavie. Il exalte« l’absolue, la stricte vérité » d’une enfant que Barrès avaitsurnommée « la Notre-Dame du sleeping-car ». À le lireaujourd’hui,oncroitvisiterquelquepalaisdéserthantépar lessignesd’unretourimminent.

LeNouvelObservateurn°858,18avril1981.JournaldeMarieBashkirstseffMazrine.

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Rezvani excelle à faire entrevoir les clairs-très-obscurs decertainsépisodesàcalifourchonsurdeuxépoques.Iltordlecoudespréjugésconcernantlamortdulyrismeetdesonlabadensleroman.Ilseveutl’huissierdeslieuxetdesâmes,etlelecteurluiemboîtevolontierslepas.

LeNouvelObservateurn°975,14octobre1983.LaLoihumaine,parReznavi,Seuil

Shakespearesicilien

Enceinted’undieuquinel’épousejamais,l’Humanitéveutsauver sa peau–nepasnaître envain, nepasmourir envain.D’unecrédulité fatidique,elleajoute foiauxMensongesde lanuit.

Qui est Gesualdo Bufalino, l’auteur du roman ? Unflamboyant sceptique affamé de certitudes, un Sicilientraducteur de Baudelaire et de Victor Hugo, lecteur de proie,mystiquedésabusé, l’undeceshumanistesamoureuxdupéchéparcequelafauteestl’essencemêmedeladivinité,lamonnaiedu rachat. S’ensuivent deux passions jumelles : « la rageheureuse d’être vivant » et la Littérature, le grand Livre desfables à travers les âges, inépuisable carnaval d’impostures etd’espoir, où chacun selon son génie peut faire tinter sesclochettes. Bufalino se laisse dominer tantôt par la foi, tantôtpar l’intuition tragique du néant. Le Semeur de peste, sonpremier livre, est un hymne à l’incertitude, une apologie dumirageexistentiel,où,tousensemble,nousgigotonsenespérantGodot. Bonheurs oubliés, guerres oubliées, agitations vaines,faux-semblants, frénésie parolière et délire des sens – tout estsolitudeetputréfaction,toutsedésunitdanslamortquenulàcejour ne s’estmêlé d’ébruiter. La réalité ne serait qu’une bulleirisée par laConnaissance; seuls sont durables lesmots où seconcentreparfoisleseléparsdugénie.

LesMensongesde lanuit sont d’une encremoins sombre.Le roman s’apparente à la fantaisie métaphysique, au dramepolicier par la rigueur du scénario, au cinéma par l’exactitudeoptique des tableaux, au théâtre par la supercherie du décor,

parfoismême à lamesse.On trouve ici toutes les illusions ducarton-pâte, la pénombre violacée d’un opéra de quat’sous;l’opulenceinstrumentaled’unVerditouràtourdiableetmartyr,adorateur du vide oumécréant ; la diluvienne inspiration d’unAristophane ou d’un Shakespeare essayant de meubler parl’incantation le silence des dieux. Comme toujours chezBufalino, l’au-delà sans visage, impossible à figurer, hante lespersonnages:«Auparavantlamortfaisaitàleursyeuxfiguredebrèvepéripétiepouracteurs,étantentenduqu’unefoisterminéesles ovations et les salutations, chacun retrouverait sa placederrière les décors et redeviendrait soi-même. Tandis qu’ilsdécouvrent maintenant, de but en blanc, qu’ils ne seront plusjamaiseuxmêmes,qu’ilsneserontplusrien,etilspalpentdansleurespritl’épaisseurd’obscuritéqui,peuàpeu,avance…Maisquedis-jeobscurité?L’obscuritéestunecécitéoùl’onpeutdesesdoigtsaveuglesserrerd’autresdoigtstoutaussiaveugles,etnéanmoinscheminercôteàcôte,solidairesdanslesouveniretleregret de la lumière…Alors que lamort n’est ni obscurité nilumière,maisseulementmémoireabolie,césure,absencetotale,incinération sans déchets, où tout ce qui a été, non seulementn’estetneseraplus,maisestcommes’iln’avaitjamaisété…»

Le roman se déroule en Italie, vers la Renaissance, unRisorgimentoplusoumoins stylisé,dansune îlepénitentiaire.Quatrecondamnésàmortpassentleurderniersoir.ConsalvodeRitis, le gouverneur de la prison, leur propose unmarché : latrahison contre la liberté… Qui se cache derrière « le pèreéternel », leur chef, ce calotin sanguinaire assez fou pours’identifier àDieu ?Que l’und’entre eux, à l’insudes autres,glisse le vrai nomdans la boîte en bois placée sur la table, etleurgrâceestacquise :« Iln’estpasquestiondechoisirentremortouinfamie,soutientlegouverneuravecdesmotsempruntésà Joseph de Maistre, mais entre deux sortes d’infamie, l’une

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Etherdefamille

La vie, grossomodo, c’est toujours pareil. La guerre et lapaix, les riches et les pauvres, les croyants et les non, lesenfants, lesparents, l’hospice.Vingt-quatreheuresplus tard laplanète a fait le tour, et rien n’a changé. Des vivants et desmorts, un peu plus un peu moins. Laura n’est donc pas uneexception.Filleunique,parentsdivorcés–mèreindigneetpèredanslanature–,onconnaîtlachanson.

Laura laconnaît,maisellea lespleen.LecielduNordestbas, la bicoque immense, le temps passe, oui, temps perdu.Àdouzeans,lasolitudeestsonlot,soncorps,unezoneérogèneàlamercidupremierhasard.Elledécouvreunflacond’étherdansla salle de bains ? Aïe ! L’oncle Xavier revient toujoursd’Amérique?D’iciqu’ilviolesanièce!Ellecherchedesmotspoursignifierqu’elleestlà,qu’ellesenoie?L’étherluisouffledesvérités que le porte-plumen’écrit pas ; en classe elle renddescopiesvierges,elleinspirelaméfiance.Àlamaisonsamèreluiveutdumal.«Sijet’avaispas,tum’entends…sij’étaispascoincéeavectatêtedecaboche…hein,tuluiressembles…etàsa mère, par-dessus le marché… et qu’est-ce que tu vas teplaindreàXavier…qu’est-cequet’asàmedébiner…avoue-letoncinéma.…»

Sans famille encore et toujours, ah ! les romanciers. Ouimais quand le style y est, la littérature accourt. « Les chantsdésespérés sont…», etc.BénédictePuppinck, l’auteur, a cettecorde vocale à part – le murmure inspiré –, secret du violond’automneetdessanglotslongs.Dèslespremiersmotsd’Étheron s’attache à Laura, ce double non pareil, cette enfant qui

chercheàgrandirendépitdessiens.Onlajetteunsoiràlarue:un chien lamord; on lui offre un amour de chemisier rose augrand magasin : à la dernière seconde on l’accuse de l’avoirvolé;onl’éveilleàl’amour,puisonlarembarreenpublic,onnelaconnaîtplus.Onluiditqu’elleestbelle,onluiditqu’elleestmoche,ellecomptepourdubeurre,etsouffrirluivacommeungant. Laura n’en veut pas moins être aimée, chaque jour pluspaumée, plus accro d’une évasion qui ressemble à la mort:l’éther.«Leréverbères’allumait,dessinantsoncônedelumièreoùscintillaient lesgouttesdepluie, le filetd’eaugeléebrillaitdanslecaniveau,lesMauresfermaientleursportails,baissaientleurspersiennes,lalumièreorangéefiltraitàtraverslesrideauxdelachambredeLisa,lesnéonséclairaientlespavés,ouvrantlebal des ombres prisonnières, indissociable de son geste pourinhaler de longues bouffées d’éther en retenant le pluslongtempspossiblelesvapeursaufonddespoumons…»

Laviolenceesthorslesmurs,elleestguerre,effraction,maisparfois elle vit sous le toit familial, indécelable pour autrui,charmeuseàl’occasion.Jouraprèsjourunemèrenourritsafilleet la détruit incognito. N’est-ce pas elle qui remplit le flacond’éther?QuisevengesurLaurad’undestinloupé?Ceterribleromannousdit:prudenceaveclesenfants.Nelassonspas leurenvied’exister.Neleschassonspas.

NouvelObservateurHebdo,27novembre1997.Ether,parBénédictepuppinck,seuil.

Lareinedesculs-de-jatte

SiMarieDarrieussecqarenducélèbreunefemme-truie,ilsepourraitbienqu’àsontourVanessaZocchettidonnesachanceàCasimira,l’irrésistibleteigneestropiée,créaturedémoniaqueoudivine,auchoix.Nympho,midinette,bas-bleu,faiseused’angesauxailesrognées,ellen’enestpasmoinslacheftainehystériquedequelquessurhommesàsonimage:sanspiedsni jambes.Onse déplace en bande et planche à roulettes ; à la force desmoignonsondécouvreunpaysagebucoliqueoùlessaisonsvontleur train-train : « L’automne posa son aile rouquine sur lacampagne.»Pasletempsdeflâner.N’est-onpasleschirurgiensélus de la sublime Casimira, descendus sur terre arranger leportraitdesfiers-à-brasetdesfiers-à-jambes,etporterlesnéo-rampants au pouvoir ? La nouvelle Sparte. Une race devainqueurs. Les maîtres nabots du monde. Hé oui ! c’estloufoque,etbizarrementfamilier.C’esttragiqueetl’onrit.C’estjoyeux,convivial,etlecœurseserre.

Le Christ s’est arrêté à Eboli, tout aussi modestementCasimirachoisitlevillagedeCholacommethéâtred’opérations.C’estlafêteàneu-neu,lajambeenl’airdesmajorettesappelleunboncoupdesciederrièrelesbuissons.Lapresseducoins’enmêle et l’envoyé spécial débarque avec son calepin : «Ce quititilla sesnarines le fit frémir. Il baignait dans leparfumde lamort.»Sitôtfraisémouludubillard,ils’amourachedeCasimiradontilentreprendl’hagiographie.Lamadonedubistouriséduitaussi les purs, les faiblards, les époux désenchantés, lestombeurs repentis – les estropiés du cœur –, et quand ils neviennent pas en toute allégeance : guet-apens, bacchanale. En

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Le Jardin de ciment est un roman qu’on serait tenté derangeràmi-parcoursentreLaMétamorphoseetL’Attrape-cœur.Il raconte une histoire vraie qui n’est probablement jamaisarrivée,mais sedérouleunpeu tous les joursdans lanuit desfamilles.

Auteur anglais né en 1948, Ian Mac Ewan a plusieursrecueilsdenouvellesàsonactifetunfilm.LeJardindeciment,sonpremierroman,clôtuneséried’essaissurl’universenfantin.Bienquetraméd’élansautobiographiques,ils’agitd’unouvrageen réaction contre l’autobiographie systématique et déguisée :« Surtout pas un témoignage personnel !… », proteste MacEwan.D’autrepart,conscientdel’inévitablecommerceentrelaréminiscenceetlafable,ilneniepasqueleportraitimpitoyabledeTomsoitlesien:«Pâle,avecdesoreillesunpeudécollées,ilarborait un sourire idiot et des cheveux noirs avec une frangedrue qui poussait tout de travers sur le front. » L’action duroman se déroulant chez les zonards, le ciment joue unpersonnage essentiel : il est la végétationmorte des faubourgsindustriels où Mac Ewan a grandi ; le chiendent blafard descités-dortoirs qu’on désherbe à coups de pilon dans lesbanlieuesdésolées.Voltairen’avaitpasprévuça–qu’unjourilfaudraitcultiversonjardinaumarteau-piqueur.

LeNouvelObservateurn°822,9août1980.LeJardindeciment,parIanMacEwan,Seuil.

Lesgrandschevaux

Cen’estpasunroman,c’estuneengueulade:unwesternaupaysdesiconoclastes.

CharlesLeQuintrec,écrivainbretonrebelleauprosélytismenasillard des binious, à tous les hochets d’un celtismefolklorisé, n’oublie pas ses devoirs d’incantation envers lelangage. Sulfureux et cramoisi, son livre est beau comme uncyclone.

C’est un savon que Le Quintrec passe aujourd’hui à sescontemporains–vialui-même.Touràtourémollientetcorrosif,PalmoliveetAjaxammoniaqué,ildissoutletartredespréjugésenvigueur.Toutlemondeenprendpoursongrade.Etd’abord,en apéritif, les roitelets pontifiants du parisianismehyperintellectuel – cent pour centmatière grise – préposés aurenouvellementdessnobismes:«Pourqu’unlivreaitdusuccès,vocifèreLeQuintrec,ilestrecommandédel’écrireaubagneouenprison.»Faut-ilvoiricilaconfessiond’unremords?Celuiden’avoirpasprispensionàlaSanté?

Le Quintrec pointe son collimateur sur les poètes actuels,une racaillenociveetprétentieuse.Des fantochesoccupésàsereluquer dans les miroirs déformants d’une postérité dont lesverdicts sont pour lemoins inattendus. «BernardPivot ne lesinvitejamaisà“Apostrophes”…ilsfontjusqu’àladérisiondanslelaborieuxmotàmot.»Lapoésien’estplussœurdel’ivresseetlesmotsrestentmuets.Ilsonttropfaitletapind’inspirationssiccatives,frelatéesparl’ironie.Surlevidepapiermallarméenlablancheur se la coule douce et ne contient plus l’assaut desMusesenchaleur.

Bien sûr, on peut accuser Le Quintrec d’œuvrer à plaisirdans dramatisation prophétique. C’est mal le connaître. Cerâleur n’est pas un mauvais coucheur, et s’il enfourche sesgrands chevaux, c’est pourune équipéegrandiose à travers lesidéesetlesmots.

Desmatinsdanslesroncesestunlivrenécessaireetbrutal;uncridédiéàl’absurditédumonde,enpleineexpansiondepuisque le progrès, sous des avatars enjôleurs, nous emmène àl’abattoir.Unessai sur ladestinéequi fait corps avecunDieufantomatique.ÀmoinsqueDieunesoitl’alibidunéant.

LeNouvelObservateurn°825,30août1980.Desmatinsdanslesronces,parCharlesLeQuintrec,AlbinMichel.

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Lacuisineduchef

L’Albanien’estpasunpaysseulmaisunpays«séparé» ;drapé dans un stalinisme érémitique et réfractaire à touteévolution des idées sous l’influence américaine, soviétique,yougoslave ou chinoise. Mythe incarné d’un communisme«maison», premier secrétaireduParti,EnverHoxhaveille augrain du schisme éventuel qui reviendrait à suspecter lalégitimitédesidéauxvisés.

La liberté d’expression est nationalisée, étatisée, préposéeau service des enjeux nationaux. C’est en leur nom qu’IsmaïlKadaré, romancier-député albanais, ne s’est pas présenté à« Apostrophes » en avril 1981, l’Américain William Styron,d’obédienceimpérialiste,étantluiaussiinvité.Quecetteannéel’auteurduGrandHiversesoitoffertleluxed’unnouveaufauxbondn’aurait,selonl’ambassadealbanaise,aucunesignificationpolitique : Ismaïl Kadaré serait tout bonnement retenu par leplénumdelaLiguedesécrivainsetdesartistesd’Albanie.

Ses deux derniers romans, Kadaré les a traités enprofessionnel du regard, menant son lecteur par les yeux,préférant les images aux idées, la voyance à l’explication. Pasl’ombre d’un argument,mais une féerie proverbiale exaltant laconstanteinvasionduréelparlamagie.

Moelleux,douilletcommeunfilm,LePontauxtroisarchesest une histoire vraie ressuscitant l’âge d’or des superstitionsmédiévalesau fin fondd’unebourgadealbanaiseoù lamenaceottomane a pris force de tradition. Un observateur: le moineGjon; il raconte, ilépie.Unepopulationcraintiveenproieauxfantasmes colportés par marchands et rhapsodes. Deux clans

rivaux:pontonniersetbateliers.Lespremiersontentreprissurun cours d’eau plus oumoins hanté la construction d’unpontquelessecondssabotentlanuit,mettantleursdéprédationssurle compte des mauvais génies fluviaux. Nul ne doute plusbientôtquelesfaiseursdepont,cesenvoyésdeSatan,sesoientmis les divinités aquatiques à dos. Et quand bien même,objectentlesaccusés,nesuffit-ilpasd’amadouercesdamesparquelquesacrificehumain,commedanslalégendedel’emmuréevive?DesortequelepiliercentraldupontdevientpeuaprèslatombeàcielouvertdeMurrashZenebish,enquilespontonniersontreconnuleursaboteur…

Mais, panachant habilement science et croyance en uncourtbouillon romanesque aromatisé par le fatum, Kadaré nemoralise à aucun prix ni ne joue les serruriers crochetantl’insolubleenuntournemain.Cecommunisterationalisemoinsqu’il n’épaissit les mystères au mépris d’un dénouementclassique.

Avrilbriséestdelamêmeencreépique.C’est,enpleinXXesiècle, le roman d’un certain fatalisme rural codé par le droitcoutumier,lekanun,proclamantlaprimautédesloisdusangsurle librechoix.Leplateaude laMortporteunnomprédestiné.Tuer n’y est pas un meurtre mais un devoir sacré imposant àquiconque de venger le déshonneur par la mort, l’hospitalitébafouéeparlamort,lamortparlamort–sansquejamaisnesoitsoldée la vendetta. Comme toujours chez Kadaré, unobservateur : Bessian Vorpsi, chroniqueur salonnard, dont lalunedemielsur leplateaudelaMortvaconnaîtreuneéclipsefatale.

Lyrisme frugal, adjectifs courants, le style se réduit à laportion congrue. Pour éclairer la magie funèbre des mythesalbanais,Kadaréfuitlaphraseouvragée,leloopinggrammatical,

les afféteries, tout à ses intentions sous-entendues: montrerqu’enAlbaniefantasme,épopée,surnaturelcontaminentlesfaitsaveclavélocitéd’unvirus.

LeNouvelObservateurn°913,8mai1982.LePontauxtroisarches.Avrilbrisé,parIsmaïlKadaré,traduitde

l’albanaisparJusufVrioni,Fayard.

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tuantsonmari.Jeanneest-ellecoupable?Misaupieddumur,telslaprésidenteetlesjurésconvoquésauprocès,lelecteursesurprend àmurmurer: non.La seule à refuser sagrâce aunommêmedel’amour,c’estJeanne.Etletitreduromanprendalorssonélan.

Attends-moicontientunavertissementnarquoisetprécieux.D’unefemmeamoureuse,onpeuts’attendreàtout.Tenez-vous-lepourdit,messieurslesbeauxparleurs,sivolontiersoublieuxd’une vérité simple en sommeil sous les trémolos : la femmeaimeàlavieàlamort…compris?

LeNouvelObservateurn°1494,24juin1993.Attends-moi,parFrançoiseXenakis,Grasset.

Dècheetpoussière

Le Chaco, c’est la plaine au Paraguay, le néant. Latranschaco,c’est lapisteàtraverslenéant, lavoiemauditequiramèneauParaguayleschercheursdetoisonsd’or,tousplusoumoins en cavale et déjà damnés, tous en délicatesse avec uneancienne vie : Japonais, Allemands, Américains, Français,venant s’établir avec leurs troupeaux au bord de la piste,employantunecliquedemuchachos,copinantetsejalousantàquimieuxmieux.Ilsontplaquécivilisation,fusées,bagnolesettélés,ilsontcrudébarquerleurssouvenirs?Ilscontinuentd’enrêveraugréduposteàgalèneoudelaUltimaHora,lagazettelocale.Quant aukilomètre51, c’est l’estanciadesEtchegarraysur la transchaco,c’estune familleulcérée, rongéepar ledésird’en finir, c’est la voix blessée d’Ida, la mère, vieille toupie,vieille mémoire au bout du rouleau, confession d’un destinloupéquiseveutgravé,seveuttracémalgrélapoussière.

Tout peut arriver au kilomètre 51, quand on s’appelleEtchegarray,toutarriveàl’unissonduplusmortelennui,lafoliecomme la vengeance. Un jour Ida retrouve, suspendue par lespoignets à la corde à linge, la guenon Marcelina, l’animalfétichede l’estancia.«Sa têtepenchesur sonépaule,de sortequ’elle semble regarder son ventre ouvert. Les intestins ontcouléjusqueparterre.»Àl’évidenceonchercheàl’effrayer,onlamenace,mais qui ? Sonmari, l’hommedes illusions à vau-l’eau,n’estplusqu’uneombresilencieuse,etsonfilsunebruteavinée,lancinéeparlebesoinpressantdessoudards:undernierverre,unedernièrefemme.Boireuncoup,letirer.Àcettequêtemorbide il sacrifie l’amour de sa mère, l’avenir du clan,

parcourant la plaine à cheval, hidalgo des bordels et desnymphomanes.

Dieusaitqu’elleycroyaitàlabonneaventure,Ida,onzeansplus tôt, quand arrivésd’Europe ils ont acheté leurs premièresvachesetdeleursmainsdressélabaraqueauborddelapiste.

Aujourd’huic’estdècheetpoussière.Ilsessaientenvaindefourguer les bêtes qu’ils n’arrivent même pas à nourrir. « LesaustèresanabaptistesdeChacoélèventdesspécimensopulentsqui s’arrachent dans les ferias. Auprès d’eux nos bêtes fontpitié,œilcafardeux,côtessaillantes.»Idanevautguèremieux.Solitaire,ellenesongeplusqu’àchasserhorsd’elle-mêmecettevoixquifaitd’elleunesorcièreetlafolledelaplaine.Lanuit,ellebranchelaradioteluncapitaineendétresse,ellehurleàlamort. « Mission Santa Rosa, Doqueron, Fuerte Olimpo, AltoParaguay, Puesto Tabacare, Estancia Cadena Cue, DuevaAnsoncion, CampoGrande, Alto Parana,mes voyages dans lanuitde laplaineàborddemaradioardente.»Àl’appelde laplaine,unsoir,Ida,mutilée,rejetéepar tous,finiraparneplusrésister.

Bienminceaujourd’huipeutsemblerà l’écrivain lachanced’ajouterdusolideàlamontagneélevéeparlesgéantsfrançais,russes, irlandais, américains, des cent ou deux cents dernièresannées.Pareillechancenevient-ellepasdesourireauromancierMarc Trillard ? Dans Eldorado 51, il ne prétend caser nithéorie,nimessage,nitremblementlyriqueinouï.Maisdonnantàvoir le simple cheminementd’uneâme, lanôtre incarnéeparIda,ilfaitressentirlalongueurdutemps,lavanitédesvanités,etcommentlesoisemeurt,etcommentl’éternelhumaindériveàtravers toutes les peaux, sous tous les ciels. L’homme ? unecréatureauxyeuxbandés,vouéequandmêmeàdonnerunsensàla comédie. À suivre la transchaco jusqu’au bout, paradis ounéant.

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Une légion d’anges a pris rang dans la lignée des romansessentiels. Outre son élan personnel, Millecam semble avoirbénéficié d’une inspiration que d’autres auteurs lui ontdéléguée.Sciascian’estpasloin,nonplusqueDonosoetGarciaMarquez dont l’intonation cuivrée, martelée, après avoir étégauchie par Tolstoï et Andric, va s’enraciner dans la voix desprophètes.

Sousdesdehorsmoinsabrupts,Aupaysdemesracinesestunecélébrationdusouveniralgérien.Encontrechamp,c’estunplaidoyer féministe où l’hommage au terroir s’accroît d’unhommage à « la race des femmes » en voie d’émancipationdéfinitive, et déniant d’ores et déjà la suprématie du pénis :«Manquerdepénis, c’est une idéed’homme,pasune idéedefemme : qu’en ferions-nous ? » Voilà un avis pour le moinspénétrant !Enquittant l’Algérie,MarieCardinalavaitétébienavisée de laisser « la clé sur la porte ». Elle est revenue desannées plus tard. « Nécessité d’y retourner », écritellesimplement, de revenir à ces lieux dont les noms tintaientcommedesangélus:Timimoun,Sétif,MostaganemetBlida.

Aupaysdemesracines–unbeautitrequifraterniseavecLeCahierd’unretouraupaysnatalouLePèlerinageauxsources–estlaconfidenceamoureused’unefemmeàuneautre,épouseet génitrice : l’Algérie,Marie Cardinal est « fille d’Algérie »commelapoésieselonlesGrecsétait«filledemémoire».Ceclimatfilialexpliquerait laprogressiondurécitquevientcloreunchapitreécritparBénédicteRonfard,filledel’auteur,etquisaluesamèrecommeunpaysnatal.

De Michel Rachline, Courrier d’Algérie est d’une autreétoffe. Le titre annonce la couleur. Sous forme de lettres auxsiens, ce sont les illusions perdues, rapiécées, reperdues d’un« Algérie française », un appelé qui se croyait de taille àévangéliser les « bougnoules » en 1955. Vision d’Epinal:

l’AlgérieétaitunejeunefilleaupairquelaFranceavaitfiniparadopter, lui donnant gîte et couvert, sans compter un nomprestigieux et tous les privilèges attenants – alors pas dechantageàl’émancipation!Puisc’estl’escalade,etlaguerrevaéclater pour de bon. Sans grosse Bertha ni front bien défini,mais lamortn’étaitpasbégueuleet faisaitsesrazziasdans lesdeux camps. Rachline avait connu la nausée sous un ciel deparadis:lessortiesdenuit,lagégèneetlesviolscollectifs…

Rachline avait changé d’avis et renoncé à l’Algérie. LaFrance était un pays-phare et non pas un pays-mirador oulaminoirdecolonies.Assezdepotscassés,retirons-noussurlapointedespieds.

LeNouvelObservateurn°833,27octobre1980.Unelégiond’anges,parJean-PierreMillecam,Gallimard.Aupaysdemesracines,parMarieCardinal,Grasset.Courrierd’Algérie,parMichelRachline,LuneauAscotÉditeurs.

Autresrivages

Né en 1924 à Santiago-du-Chili, José Donoso est partivivre en Espagne en 1967. Il est retourné au Chili il y aquelquesmois.

LENOUVELOBSERVATEUR.–Vousvenezdepublierunouvrage érotique, La Mystérieuse Disparition de la jeunemarquisedeLoria1.Est-ceunlivresérieux?

JOSÉDONOSO.–Sérieuxcommedoitl’êtreunjeuoùrienn’estgratuit.Pasmêmel’humour,quipermetdemasqueroudetempérer la gravité de choses apparemment futiles comme ceromansurlasexualitémouvementéed’unejeunefemme.

N.O.–S’agit-ild’unprojetrécent?J.DONOSO.– Iln’yapaseuvéritablementprojet.L’idée

du livre m’est venue soudainement un après-midi que j’avaissurpris ma fille de treize ans s’excitant et flirtant avec le filsd’un ami au lieu de faire la sieste. Le livre a surgi en moiaussitôt,presqued’uneseulepièce,et l’écrirenem’ademandéaucuneffort.

N.O.–Pourquoi?J.DONOSO.–Parcequ’engénéraljesuislent.Ilmefaut,

avantd’écrire,unelaborieuseincubationdesensationsetd’idée.Jemetsenchantierunequantitédebrouillonssurlesquelsjemelivreàtouteunechirurgiedecollagesetd’ablations.Iln’existepas moins de vingt-cinq versions différentes de mon romanL’ObscèneOiseaudelanuit.

N.O.–Est-cel’érotismequivousastimulé?

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Portraitd’HubertenNordman

On achève bien les chevaux, on rencontre parfois destsiganesheureux,onadesdoigtsdanslatêteetdorénavantdesarbres : une pleine forêt reliant la parole à ses racines, à sonhistoire,àsonfutur,àl’hommeensonlapsincarné.

YvesNordmanestunséducteurlong-courrier,unerrantquepoursuit « le châtiment d’avoir voulu changer de place ».Originaire du Nord, comme les illuminés d’autrefois quidérivaientversleSud,ilvoyageàtraverslespays,àtraverslesfemmes, à travers les autres, utilisant son destin comme unwagon-lit.Saquêteestuneerranceauxlimitesdelaperdition.Ilveut«conquérirlefabuleuxmétal»del’absolu,celuidontlesfilonssontàcielouvertpar-delàtousleshorizonsquibornentlavue de l’esprit. Toujours sur le départ ou sur le retour, entredeuxvins,deuxavions,deuxpassions,cethommedel’ailleursn’estpasplussituégéographiquementqu’ilnel’estdanssonforintérieur ou dans celui des égéries qu’il dévasteinconsciemment. Nordman est un cavalier seul, un ermiteinvolontaire,etqu’ilaitpourrelais laScandinavie, l’AmériqueoulaChine,quesadestinationsoitunevilleouunefemme, ilfaitbandeàpartcontresongré.

« Dis-moi qui tu hantes… », Nordman veut hanterl’impossible et l’impossible a pour nom Mathilde, Gayle,Wanda,Laure, l’impossible estd’oser croire à l’incarnationdel’idéal.Or,pendantdesannées,l’érotismeserachezNordmanlepluscourtchemindelavéritéàlui-même.

Pareille boulimie kilométrique et métaphysique a pourressort la peur du déclin révélée très tôt chez cet affamé

clairvoyant. «Levéritable, l’angoissantmystèren’est pasdansl’au-delàdelamort…C’estl’instantd’avant,c’estletempsdelachute.QuandYvesentendaitdire:ilestmortsanssouffrir,ilavait envie de crier : qu’en savez-vous ?… » Voilà qui estgénéreusement exprimé ! L’on respire ici l’effluveautobiographique, et l’auteur, Hubert Nyssen, transparaît sousNordmanpour affirmerque lamort est toujours consciemmentvécue et que nul n’a jamais coupé à ce que Montherlantnommait«lescorvéesdel’agonie».

Hubert Nyssen, éditeur, poète, écrivain, homme-orchestreémerveilléparlaphilharmoniedesmotsincarnantlemeilleurde« l’hommerie», c’est aussi l’artde substituer à l’idée sèche, àl’argumenttropabstraitlastimulationvisuelle;jevois,doncjesuis : la métaphore de préférence au raisonnement, le lyrismeflamboyant de préférence au cartésianisme en trois points :«Affoléparletempsdéjàpasséàboireetàlancerdesmotsdetrois langues comme des boules vers d’invisibles quilles, il seleva…»Dansleromand’HubertNyssen,l’œilécoute,l’œilestcomme au concert, plongé dans un véritable panoramasymphonique : « La mort d’Adrienne était depuis trois joursrévolue,elledérivaitaulargeversleseauxdelamémoireoùellechoisirait son ancrage. » Et l’on pourrait piquer dans chaquepage un médaillon d’un tel acabit, de ceux qui vont droit ausouvenir via l’émotion. Nyssen écrit comme il respire, et lebouquet d’arbres qu’il nous donne à humer ne fanera pas desitôt.

LeNouvelObservateurn°945,18décembre1982.Desarbresdanslatête,HubertNyssen,Grasset.

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bonheur » de retrouver les descendants des tribus d’IsraëlsignaléesparMarcoPolodansLeLivredesmerveilles.

Aux autres, les catholiques, l’Amiral a bien sûr laissé desconsignes : la civilisation, messieurs ! Évangélisez-moi cesIndiens que nos canons font trembler, le droit du feu prime etceluidusoletceluidusang.RetourdeCathayjevouscouvriraid’honneurs…Maislesmarinsdébarquésnepensentqu’aubonplaisir du permissionnaire, goguette et tournée des bars, etfemmes àgogo.Quant àBuscano, le bergerdesnombresd’or,l’esprit méthodique et discipliné, il est comme dessillé par lenaufrageetmétamorphosé.LoindevouloircoloniserlesIndiens,ils’indianiseetfondeunefamilleaprèsunmariageenrègleaveclabellePiripa.Loindeleurenseignersaculture,ildésapprendpeuàpeusesvaleursetselaisseimprégnerparl’espritdesîles.Les Espagnols se fâchent ? Dans l’explosion d’une énormepépite d’or, trafiquée par ses soins, il met un terme à leurbarbarie,devenantl’homme-soleil,l’Indiensuprême,sonœuvreaunoirestconsommé.Àl’élanbâtisseuret«conquistador»ilsubstitue l’impulsion magicienne et littéraire, il met à profitl’espace libre entre les mots, plus vaste que la mer séparantl’Espagne et la Chine, pour exprimer son horreur des lois ausensjuridique,cesmarrainesdeladouleuretdel’injustice.

Récit d’aventures, élégie philosophique, journal de bordmichairmi-légende,L’Horizonrompumetencauselesprogrès,les identités figées, les aveuglements du snobisme et du pis-aller,ledéclindesferveurs.Quiconnaîtaujourd’huilenomdesétoiles ? Qui les regarde avec modestie ? Elles nous invitentchaque soir à congédier sans regret le sentiment de notreéminence. Les plus chanceux, peut-être les plus clairvoyants,sontharponnésparlagrâce.PourBuscano,surnatureletcharnelnefontqu’un.«Iln’yadedivinqueleressortquidanschaqueêtrevivantl’arracheàlamatière.»

Maisaujustequelleestsaquête?Mystèreetlueur.Ilabeaufaire et s’indigéniser, ce ne sont pas les mots de la tribu quiparlent en lui. Il tient sa plume (de perroquet) avec l’aisanced’ungrand écrivain.Le savantneveut pas s’effacerqu’il n’aitfixé la position d’Hispaniola sur ses tables. « Il existe parl’ouest entre l’espace séparant le Cathay et l’Espagne, deuxocéans et un continent inconnu entre les deux. » Il reprend lamer, et son destin d’Espagnol défroqué se poursuit chez lesAztèquesetlesMexicains.ÀCampecheilbatlegrandprêtredusoleil aux échecs. Aux échecs ? Pas tout à fait. Aux étoilesutilisées comme les pions vivants d’une partie d’échecs. « Ilavaitd’abordplacéAlphaduGrandChienouSirius,l’étoilelaplusbrillanteduCiel, j’avaisrépliquéparAlphaduCarèneouCanopus.»

Mais Buscano n’est pas qu’un roman dans l’Histoire etcelle-cifinitpardébarquerenpersonne,souslestraitsduféroceHernan Cortés. Le siècle surgit, l’eau des clepsydres file ànouveau.Quereste-t-ilauhérosvieillissant?Laparole.Ildoute.Il croit.Ambiguïtédesmotsplus secretsetplusétoilésencoreque les nuits. Les horizons se mêlent et se brisent. Buscanopressent une origine, un chas par où se sont jadis faufilés lesmillénaires.Sondernierbonheurtemporel,unmomentdignedumeilleurDumas,laretrouvailleavecEstrellita,safille,maîtressedeCortés.«J’auraisvouluêtreunroimageauxbraschargésdejoyauxetdeprésentsbrillantsmaisjen’étaisqu’unvieilIndienbalbutiant.»Etc’estenluiquel’horizonserompt,commelefilde toutevie sous lesétoiles.Son livreest lâché,bouteille à lamer;ilvogueracinqsièclesafindeclamercetteévidenceintactesous les bernicles : méfiance à l’égard des lois et des justescauses.

LeNouvelObservateurn°1404,30octobre1991.LHorizonrompu,parAndréBarilari,Julliard.

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Symphoniepourunefindesiècle

Symphonie Grabuge commence, la lumière s’éteint,l’hommeorchestresaluesonpublic.Ilparlesansmicro:«Mercidevos regardsétonnés.ToutParis réunipourdéchiquetermonlivre.Quellebellesoirée!Émeutieràmesheures,j’aicomposécettesymphonieenutgrabuge,pourainsidiremajeur.»Etl’onoseradireaprèsduromanfrançaisqu’iln’apasd’imagination.SouslaplumedeJeanVautrin,elledébouleaugalop.

On en prend plein les mirettes. Des tonnes de semence,comme dirait l’autre, et de mots jamais entendus. Certes, ilsn’arriventpas tousdudictionnairenide lapochedeRabelais,de la sarbacane de Robert Desnos ni du chapeau claque deRaymondQueneau.Beaucoup sont desmots-gueux, desmots-corniauds,desmotsclandestins,maistousvolentà larescoussedequelquechosequi,sanseux,neseraitpasdit.

« Monstatruc commença par bahuler comme il en avaitl’habitude.Toquéde la touffe aux talons il entreprit degiguerune danse d’aveugle qui a perdu son bâton. Le cerveau maltimbré, il élucubrait des borborygmes. S’entre-taillait lesmâchoiresàlabeugle.Àl’égosille.Completsiphon,ilcriaitauvinaigre,déparlaitabhocetabhuc,et s’érailla sibienqu’à lafindusoukileneutlehuc.»

N’en déplaise aux pisse-froid, le français ne convient pasqu’à l’éther des beaux esprits, à la pesée des concepts. Il saitêtrerugueux,terreux,graveleux,subversifetroturier.Ilaimelestyle noble et le tour vache, il hésite entre la fripouille etl’aristo.Aufait,quelautresemeurdegrabugeaécrit:«Qu’est-ce que tu nous bonis là? Le tapissier n’aura pas à tirer sa

crampe. Bouliner sa limace et faucher ses empaffes pourmaquillerunetortouse,calerdesboulinsauxlourdes,braserdesfaffes, maquiller les caroubes, faucher les durs, balancer satortousedehors, seplanquer, secamoufler, fautêtremariol.Levieux n’aura pas pu. Il ne sait pas goupiner. » Non pas JeanVautrin,mais leVictorHugodesMisérables.Deux larrons enfoire. Ils sont plusieurs, heureusement, conscients de lanécessité, chaque jour, d’inventer les mots ou les sonoritésgénératricesdemotsetdegourmandiselangagière.

Sansgourmandise:pasdestyleetpasd’œuvrelittéraire,etmoins encore de roman. À l’heure où la tendance est àpleurnicher sur la défaillante francophonie, surl’appauvrissementd’unidiomeinfiltréparl’anglais,rudoyéparl’usager,fragiliséparlecynismeambiantquijouedubestof etdumustàtire-larigot,JeanVautrinnousditgrabuge,etremetlagomme en faveur du gaulois. Les chapitres sont fragmentés etrubriqués en pubs, actua-tilts, fictions, intime conviction,l’objectif et le subjectif captant la réalité dans son affluxtorrentiel. Du jamais vu. Ce musicien joue la partition surordinateur et stylo. Le Mac et la plume. Il s’immerge sousl’écorce des mots, fragments allégoriques de la matière, ilcherchel’initial,lesoufflepremierduCréateur–Jupiter,Allah,Jéhovah.Etc’estainsiquesongrabugeestgrand.

Au-delàdujeusymphoniquedesmots, ilmetenscèneunehistoireinterprétéepardeuxsolistesparfoisjumeaux.LebarondeMonstatruc,hobereaugascon,marionnetteinspirée,paiesonélectricitéparRIB,parleenfrançaisd’unautreâgeetveutbientémoignerde la décadencegénéralequ’il raconte à l’oreille deBrancouillu,moine roseetpaillardcommeonpeutenvoir surl’étiquette des fromages bon marché. Mi-chair mi-poisson, ilstraversentl’ouvrageendevisantsousl’œilémuduQuichotte,deRobin des Bois, de Frère Jean des Entomeurs, leurs pairs en

littérature.Ilsn’ontpasd’âge.Ilsdéplorent lahaussedesprix,le«tégévé»profanateurdesites,l’ozonemité,lescodes-barres,lecannibalismed’uneépoqueprosternéedevantledieuArgent.Lesecondsoliste,auteurdelaSymphonies’ilditvrai,proclameun je qui n’est sûrement pas un autre. Son épouse s’appelleVictoire. Ilsontunfils,hélaset tantmieux.Le tonchange.Lemotsefaitconfidence,l’écritureclassiqueetlegrabugeintime.Ilfaitmallàoùladouleurd’autruidevraitêtreinsupportableaureste du monde. Il mine l’esprit d’un enfant. « Ben pourBenjamin. Benny l’autiste. Le Prince dormant. Notre oiseau.Notreéterneloisillon.Celuienversqui,depuisvingtetunans,nousdevonscontinuer àprodiguerdeharassants efforts.Celuiqui, àdesaltitudes, survole lanuitde tumultueuxocéans.Quirampe sous terre et se cache très loin en des galeries nonconformes.Celuiquin’osepasrencontrer le regarddesautres.Nirecevoirnidonner.Quienfermeparfoisaufonddesesyeuxgrisdeslueursdeviolence,desénergiesconsternantestempéréespardesexercicesdepitié.Quiademaigrespossessions.Quin’ajamaisditmerci.»Benensespremierstempsn’étaitqu’aveniretpromessedel’aube.IlmarchaitàpetitspasversleBonDieu.Il semblait trouver sa voix, son horizon. « Bientôt le babiln’arrivait plus àmûrir.L’oiseaupetit àpetit se cachait dans lahaie.»

On l’a compris. Cette symphonie grandiose a parfois desaccentsdevalseauxadieux.Elleestleprixdeladouleurd’unhomme, son propre grabuge enrayé dans l’œuvre accomplie.L’huîtreinventeuneperleautourdecequilablesse.Autourdesa blessure intime, JeanVautrin sécrète un romanmillénaristeoù,souscouvertdegaudriolespicaresques,decoupsdegueule,demisesenpièces,ilsuppliel’êtrehumaindeseressaisiretderenoueraveclafécondeillusiond’unelibertéresponsable.L’an2000?Nousysommes.Lemeilleurdesmondes?Ilnouscerne

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BoxeaveclamortDickenssansméloUnevie,moded’emploiLasagessedubalayeurFaut-ilbrûlerZina?

Tempêtes

Levieilhommeetl’enfanceL’empêcheurde«révolutionner»enrondNotre-Damedusleeping-carLesdivertissementsd’AnthonyBurgessSousl’œildesTartaresRageaucœurLachasseauzébuAunomdelaloiShakespearesicilienLejongleurd’imprévusL’artdelafugueTristessedutontontringleurEtherdefamilleLareinedesculs-de-jatteBoudardsauvédeseauxtroubles

Perdition

D’amouretdemortDeuxathlètescompletsCœursenbatailleLesgrandschevaux«Onlescollectionnaitcommedesscalps…»Lesvoyagesformentlesmartyrs

LedémondemidiLafiancéedespiratesUnFührersikitsch!LacuisineduchefUnespionenenferDucôtédechezCioranL’héritageduventLesmauxpourledireLajusticièreDècheetpoussièreDel’inconvénientd’aimerCioran

Grandlarge

Unchef-d’œuvrebarbareL’AlgériedanslerétroviseurAutresrivagesL’Aztèqueauxpiedsd’argilePoissond’avrilHauturierLevieuxfouetlamerPortraitd’HubertenNordmanMillénumUnjeud’enferL’écumedesregretsLenaufragedurêveurLesrévolutionsdel’homme-soleilLemagnatetlamerLesassoiffésd’azurLeplancherdesmarinsLesrichesheuresdeMédéeSymphoniepourunefindesiècle

Stevenson,lebaroudeurdel’inconscientTrillard,lepresqueGoncourtParisestunefemmeL’adieuauxlarmesD’unbleul’autre

CompositionetmiseenpagesréaliséesparCompo66–Perpignan

267/2013

ÉditionsduRocher28,rueduComte-Félix-Gastaldi

98000Monacowww.editionsdurocher.fr

ImpriméenFranceDépôtlégal:avril2013

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