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Résumé La nappe alpine de Santa-Lucia se singularise par un socle antécrétacé comprenant des granodiorites et une asso- ciation de granulites, de roches basiques stratifiées et de lherzolites, l’ensemble étant recouvert en discordance par des sédiments du Crétacé. Les diverses unités du socle sont affectées par une même foliation fortement pentée de direction N-S à NNW-SSE. Dans les kinzigites, les conditions initiales du métamorphisme sont estimées à environ 900 °C et 10 kbar. La déformation cisaillante principale a eu lieu lors de la décompression des granu- lites à température décroissante. Dans les roches mafiques stratifiées, la foliation de haute température acquise lors de l’écou- lement des magmas dans des plans verti- caux, résulte surtout d’une déformation à l’état solide commune avec celle des gra- nulites. Dans les lherzolites, la déforma- tion cisaillante à 900<T<1000 T °C et à 9 <P< 12 kbar traduit le fluage du man- teau lithosphérique dans des plans verti- caux. Dans toutes les unités, les linéations acquises en conditions tardi-magmatiques sont subparallèles et plongent fortement vers le sud, avec des critères cinématiques indiquant une composante cisaillante sénestre. La géométrie subverticale, le parallélisme des structures et la cinéma- tique commune de cette interface croû- te/manteau traduisent la mise en place diapirique de lames de manteau lithosphé- rique profond dans la croûte chaude verti- calisée. Celle-ci subissait une réduction d’épaisseur considérable antérieurement au Crétacé. Ces nouvelles données pétro- structurales et cinématiques permettent de reconstituer un ancien rift qui s’ouvrait en transtension sénestre dans une croûte continentale peu épaisse en voie d’amin- cissement. Les intrusions de gabbros ultimes non déformés et les dykes de dolé- rite à bordure figée recoupant la foliation de haute température montrent que des liquides basaltiques étaient encore extraits du manteau sur le même site lorsque les racines de ce rift étaient proches de la sur- face. La position haute et frontale de ce socle allochtone dans l’édifice de nappes, l’âge permien des gabbros et l’évolution postpermienne suggèrent une comparai- son avec la zone d’Ivrée (Alpes occiden- tales). Cependant, la vergence nord-est des structures alpines dans la nappe et son substratum éocène suggère son enracine- ment vers le sud-ouest. Le socle de Santa Lucia-di-Mercurio représenterait donc un minuscule fragment de croûte appartenant aux racines d’un rift permo-mésozoïque avorté ayant affecté la bordure sud-ouest du paléocontinent ouest-européen. Abridged English version The crystalline basement of the Santa-Lucia-di-Mercurio nappe is excep- tional due to the occurrence, in addition to granodiorite, of kinzigite, layered dior- ite, gabbronorite, ferrogabbro and lherzo- lite (Libourel, 1985). The nappe overlies Eocene flysch of the lower Caporalino- Pédani unit with incipient slaty cleavage and low-grade Alpine metamorphism. A steep NNW-SSE-trending high-tem- perature foliation is recorded in all the basement units. The kinzigite, with a high- temperature mylonitic fabric, displays a primary mineral assemblage of pyrope- rich garnet, sillimanite, K feldspar, biotite, rutile and Zn-rich (9% ZnO) spinel, for which peak TP metamorphic conditions are calculated at around 900 °C and 10 kbar. Pervasive shearing took place under decreasing pressure and tempera- ture, as evidenced by the cordierite-pla- gioclase-biotite mineral assemblages. The layered mafic rocks display a high- 21 GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 2000 La transition croûte/manteau dans la nappe de Santa-Lucia- di-Mercurio (Corse alpine) : les racines d’un rift permien* Mantle/crust transition in the Santa-Lucia-di-Mercurio nappe (Alpine Corsica): the roots of a Permian rift Géologie de la France, n° 1, 2000, pp. 21-34, 17 fig., 1 tabl. Mots-clés : Granodiorite, Granulite, Intrusion stratoïde, Composition mafique, Lherzolite, Linéation, Cisaillement, Rifting, Permien, Corse. Key words: Granodiorite, Granulite, Layered intrusion, Mafic composition, Lherzolite, Lineation, Shear, Rifting, Permian, Corsica. Renaud CABY (1) Céline JACOB (1) * Manuscrit reçu le 18 janvier 1999, accepté le 29 mars 2000. (1) Laboratoire de Tectonophysique, CNRS, Université de Montpellier 2, 34095 Montpellier Cedex 05, France.

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Résumé

La nappe alpine de Santa-Lucia sesingularise par un socle antécrétacécomprenant des granodiorites et une asso-ciation de granulites, de roches basiquesstratifiées et de lherzolites, l’ensembleétant recouvert en discordance par dessédiments du Crétacé. Les diverses unitésdu socle sont affectées par une mêmefoliation fortement pentée de direction N-Sà NNW-SSE. Dans les kinzigites, lesconditions initiales du métamorphismesont estimées à environ 900 °C et 10 kbar.La déformation cisaillante principale a eulieu lors de la décompression des granu-lites à température décroissante. Dans lesroches mafiques stratifiées, la foliation dehaute température acquise lors de l’écou-lement des magmas dans des plans verti-caux, résulte surtout d’une déformation àl’état solide commune avec celle des gra-nulites. Dans les lherzolites, la déforma-tion cisaillante à 900<T<1000 T °C et à9 <P< 12 kbar traduit le fluage du man-teau lithosphérique dans des plans verti-caux. Dans toutes les unités, les linéationsacquises en conditions tardi-magmatiquessont subparallèles et plongent fortementvers le sud, avec des critères cinématiquesindiquant une composante cisaillante

sénestre. La géométrie subverticale, leparallélisme des structures et la cinéma-tique commune de cette interface croû-te/manteau traduisent la mise en placediapirique de lames de manteau lithosphé-rique profond dans la croûte chaude verti-calisée. Celle-ci subissait une réductiond’épaisseur considérable antérieurementau Crétacé. Ces nouvelles données pétro-structurales et cinématiques permettent dereconstituer un ancien rift qui s’ouvrait entranstension sénestre dans une croûtecontinentale peu épaisse en voie d’amin-cissement. Les intrusions de gabbrosultimes non déformés et les dykes de dolé-rite à bordure figée recoupant la foliationde haute température montrent que desliquides basaltiques étaient encore extraitsdu manteau sur le même site lorsque lesracines de ce rift étaient proches de la sur-face. La position haute et frontale de cesocle allochtone dans l’édifice de nappes,l’âge permien des gabbros et l’évolutionpostpermienne suggèrent une comparai-son avec la zone d’Ivrée (Alpes occiden-tales). Cependant, la vergence nord-estdes structures alpines dans la nappe et sonsubstratum éocène suggère son enracine-ment vers le sud-ouest. Le socle de SantaLucia-di-Mercurio représenterait donc un

minuscule fragment de croûte appartenantaux racines d’un rift permo-mésozoïqueavorté ayant affecté la bordure sud-ouestdu paléocontinent ouest-européen.

Abridged English version

The crystalline basement of theSanta-Lucia-di-Mercurio nappe is excep-tional due to the occurrence, in additionto granodiorite, of kinzigite, layered dior-ite, gabbronorite, ferrogabbro and lherzo-lite (Libourel, 1985). The nappe overliesEocene flysch of the lower Caporalino-Pédani unit with incipient slaty cleavageand low-grade Alpine metamorphism.

A steep NNW-SSE-trending high-tem-perature foliation is recorded in all thebasement units. The kinzigite, with a high-temperature mylonitic fabric, displays aprimary mineral assemblage of pyrope-rich garnet, sillimanite, K feldspar, biotite,rutile and Zn-rich (9% ZnO) spinel, forwhich peak TP metamorphic conditionsare calculated at around 900 °C and10 kbar. Pervasive shearing took placeunder decreasing pressure and tempera-ture, as evidenced by the cordierite-pla-gioclase-biotite mineral assemblages.The layered mafic rocks display a high-

21GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 2000

La transition croûte/manteaudans la nappe de Santa-Lucia-di-Mercurio (Corse alpine) :les racines d’un rift permien*

Mantle/crust transition in the Santa-Lucia-di-Mercurio nappe (Alpine Corsica):the roots of a Permian rift

Géologie de la France, n° 1, 2000, pp. 21-34, 17 fig., 1 tabl.

Mots-clés : Granodiorite, Granulite, Intrusion stratoïde, Composition mafique, Lherzolite, Linéation, Cisaillement, Rifting, Permien, Corse.

Key words: Granodiorite, Granulite, Layered intrusion, Mafic composition, Lherzolite, Lineation, Shear, Rifting, Permian, Corsica.

Renaud CABY (1)

Céline JACOB (1)

* Manuscrit reçu le 18 janvier 1999, accepté le 29 mars 2000.(1) Laboratoire de Tectonophysique, CNRS, Université de Montpellier 2, 34095 Montpellier Cedex 05, France.

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temperature foliation inherited frommagmatic flow within the subverticalplanes and reflecting solid-state shearingconcomittant with that of the enclosedgranulite. The foliation in the lherzoliterelates to mantle flow along verticalplanes during the ascent of deep mantleat the transition between spinel and pla-gioclase facies. The mineral and stretch-ing lineations in all the units are roughlyparallel and plunge steeply south. Shear-direction indicators, such as winged por-phyroclasts and sigmoidal features,indicate a constant sinistral shearing.This tectono-magmatic event occurredduring the Permian, according to U-Pbzircon dating at 286 and 281 Ma(Paquette et al., 1996). Stocks of unde-formed gabbro, and dolerite dykes cut-ting the high-temperature foliation of themafic rocks, indicate that these mantle-derived magmas were emplaced at shal-low depths after cooling and uplift of themagmatic country rocks. The subverticalgeometry of the rock units around themantle/crust boundary suggests majorthinning and tilting of the whole conti-nental crust before deposition of theTomboni conglomerate that containslarge clasts of proximal origin, and otherdeep-sea Cretaceous sediments.

These characteristics allow us toreconstruct the western side of a narrowRed Sea-type rift, which may have openedin a transtensional setting as a conse-quence of the diapiric emplacement ofslices of spinel lherzolite that may repre-sent deep lithospheric mantle. This settingcompares well with the Zabargad islandmodel (Boudier et al., 1988) and with con-tinental rifts in general (Nicolas et al.,1995). Rifting here did not lead tooceanization, which only occurred in theadjacent Liguro-Piemont oceanic domain.This situation is thus inconsistent with thelow-angle listric fault geometry linked withunroofing of the cold lithospheric mantleand leading to ocean spreading, as report-ed from the Galicia margin (Boillot et al.,1995) and also reconstructed for thePermian-Jurassic period in part of theCentral Alps (Froitzheim and Rubatto,1998).

The high and frontal position of theSanta-Lucia-di-Mercurio nappe in AlpineCorsica, the Permian age of the gabbro,the presence of granulites and the post-Permian evolution of this basement slice

suggest a comparison with the Ivrea zonein the Western Alps. However, prelimi-nary structural data on the Alpine kine-matics of the nappe and its Eocenesubstratum indicate early northeastwardtectonic transport. These results suggestthat the Santa-Lucia-di-Mercurio base-ment rocks represent a very small crustalfragment from the roots of an abortedPermian-Mesozoic rift that may haveopened at the southeastern margin of thewestern European paleocontintent.

IntroductionLa juxtaposition de granulites et de

lherzolites est connue en quelques pointsde la chaîne alpine. Dans l’arc bético-rifain, cette transition croûte/manteauaffleurant dans plusieurs massifs résultedu remplacement du manteau lithosphé-rique par des péridotites d’origine asthé-nosphérique mises en place en base decroûte dans un contexte syn-orogéniques’achevant au Miocène (Saddiqi et al.,1988 ; Van der Wal et Vissers, 1993).Dans l’arc alpin, la transition croûte/man-teau de la zone sud-alpine connue à l’af-fleurement dans la zone d’Ivrée sesingularise par l’importance des rochesde composition gabbro-noritique étroite-ment associées sur le terrain à des corpsde lherzolites (Zingg et al., 1990 ;Voshage et al., 1990 ; Schmid, 1993 ; Pin,1990 ; Shervais et Mukasa, 1991). Unautre exemple d’association kinzigites/lherzolites des Alpes centrales, étroite-ment imbriqué avec les ophiolites méso-zoïques, a été récemment interprétécomme traduisant la mise à nu du man-teau sous-continental et de la croûtecontinentale profonde au Jurassiquesupérieur (Müntener et Hermann, 1996),en accord avec le modèle proposé pour lamarge de Galice par Boillot et al. (1995).Ces exemples de paléo-Moho mis à nudès le Mésozoïque témoignent dans lachaîne alpine d’une lithosphère hercy-nienne particulière qui, contrairement aureste de l’Europe, demeurait très chaudeet subissait un amincissement considé-rable pendant près de 100 Ma entre lePermien et la période de rifting au Lias-Jurassique. En Corse, l’association étroi-te de kinzigites, de gabbros et delherzolites a été également décrite dans lanappe de Santa Lucia-di-Mercurio parLibourel (1985, 1988 a et b), qui a pré-

cisément comparé cette association à lazone d’Ivrée.

Le but de cette note est de décrire lescaractéristiques pétrostructurales desdiverses roches de ce socle allochtone etde retracer la cinématique des déforma-tions anté-alpines enregistrées au voisina-ge de la transition croûte/manteau, en vuede préciser le contexte géodynamique decette association si particulière de laCorse alpine et de rediscuter l’origine dela nappe de Santa-Lucia.

Cadre géologiqueet structural de la nappe

de Santa-LuciaLa nappe de Santa-Lucia occupe une

position externe par rapport à la Corsealpine (fig. 1). Cette nappe de faibleépaisseur comporte un socle cristallincomposé surtout de granodiorites, mais ilcomprend aussi des roches basiques stra-tifiées et des lherzolites. Sa couverturepeu ou pas décollée comprend desconglomérats et des flyschs d’âge crétacémoyen à supérieur, dont la distribution defaciès implique leur dépôt dans un systè-me de blocs basculés (Durand-Delga,1984). A l’ouest, la nappe surmontel’unité « pré-piémontaise » de Corte etles parties les plus externes du domaineocéanique liguro-piémontais. Au sud et àl’est, la nappe est directement en contactavec les formations océaniques à facièsschiste bleu du domaine liguro-piémon-tais interne. La cartographie détaillée dece secteur (feuille Corte) ainsi que les tra-vaux en cours de J.C. Lahondère mon-trent que vers le nord, cette nappe reposeen fait partout sur le flysch éocène appar-tenant à la couverture non décollée del’Unité de Caporalino-Pédani, autre unitéallochtone à matériel mésozoïque fossi-lifère et considérée elle-aussi commed’origine prépiémontaise par Durand-Delga (1984). L’unité de Caporalino-Pédani dépourvue de métamorphisme, està son tour surmontée au nord et à l’est parles péridotites mantellaires et les gabbrosocéaniques non métamorphiques del’Unité du Pinetto, qui représentent leprolongement sud des ophiolites anchi-métamorphiques de la nappe de Balagne :il s’agit de la nappe la plus haute et cellequi occupe la position la plus externedans l’édifice de la Corse alpine. Ces

LA TRANSITION CROÛTE/MANTEAU DANS LA NAPPE DE SANTA-LUCIA-DI-MERCURIO (CORSE ALPINE)

GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 200022

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nappes à matériel continental (Santa-Lucia et Caporalino-Pédani) et océanique(Pinetto-Balagne) sont donc accumuléesdans une synforme en position relative-ment externe, à l’avant des schistes bleus

à jadéite-carpholite pour lesquels lesconditions du métamorphisme sont del’ordre de P = 11 kbar et T = 350-400 °C(Fournier et al., 1991). Le massif cristal-lin du Tenda, situé immédiatement au

nord de cet édifice, constitue une antifor-me dans laquelle les conditions du méta-morphisme alpin n’ont pas excédé la basedu faciès des schistes bleus (Lahondèreet al., 1999).

LA TRANSITION CROÛTE/MANTEAU DANS LA NAPPE DE SANTA-LUCIA-DI-MERCURIO (CORSE ALPINE)

23GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 2000

SW NE

TRALONCA

Sta LUCIA

CASTELLARE

0 1000 m

TL

PZ

MM

20 km

Flysch éocène

Flysch de TraloncaConglomérat de Tomboni

Parautochtoneindifférencié

Granodiorite (a)Migmatites (b)

DioritesGabbrosk : kinzigites

Méla-gabbrosLherzolite

Contacttectoniquemajeur

ab

k

Fig. 1.- Carte géologique simplifiée de la région de Corte (A) et coupe schématique montrant la superposition des différentes unités (B). MM : Mte Murato ; PZ : Punta au Zubio ; TL : Terra Limba.

Fig. 1.- Geologic sketch map of the Corte area (A) and geological cross section showing the different units of the nappe (B).

B

A

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Caractéristiquespétrostructurales du socle

de Santa-LuciaLes granodiorites constituent l’es-

sentiel des formations cristallines de lanappe. Une foliation magmatique peumarquée par la disposition planaire de labiotite et l’applatissement des quartzbleutés apparaît à l’approche des rochesmafiques. Cette structure planaire subpa-rallèle au litage igné est recoupée par desfilons de diorite à grain fin, puis par desaplo-pegmatites à muscovite.

Le complexe mafique rubané enposition subverticale, comporte d’ouesten est des diorites, des gabbros et gabbro-norites, des hornblendites et mélagabbroset des lherzolites. Les lentilles de para-gneiss granulitiques sont intercalées ausein des diverses variétés de gabbros.Bien visible à petite échelle, le rubanementdes roches mafiques est plus ou moinsconfondu avec une foliation protomyloni-tique à ultramylonitique. Il correspond àun litage igné d’épaisseur centimétrique àdécimétrique, bien visible par l’alternancede lits plus sombres avec des borduresfréquement très tranchées et de bandesleucocrates (fig. 2, 3, 4). Les bandes leu-cocrates quartzo-plagioclasiques, par-semées de quelques grenats, peuvents’interpréter comme des pegmatites cal-ciques mylonitisées. Les diorites à structureporphyroclastique dérivent de protolithesrubanés mafiques à grain moyen et sontrecoupées par des bandes oeillées quart-zo-plagioclasiques représentant d’an-ciennes pegmatitiques calciques (fig. 2).Quelques apophyses de gabbros équantsà gros grain recoupent la foliation mylo-nitique des gabbros. Dans le flanc sud-estde la Punta au Zibio, ce sont des boufféesde gabbro grossier différencié (fig. 6)renfermant quelques ségrégations enri-chies en quartz et feldspath potassique.A capo a l’Olive, s’observent aussi desbouffées plurimétriques de leucogabbro(fig. 7). Des dykes subverticaux de dolé-rite à bordures fines ont été aussiobservés au sud de Castellare-di-Mercurio, recoupant la foliation myloni-tique des gabbros et des granulites.Indemne de déformation, la dolérite ren-ferme des phénocristaux de clinopyroxènefrais et d’amphibole brune dans unemésostase microcristalline à plagioclasepeu altéré. Les données isotopiques obte-nues par Pin (1989) sur ce complexe

mafique ont mis en évidence la grandevariabilité des εNd, impliquant qu’iln’existe pas de liaison évidente entre sesdifférents termes et qu’une contaminationpar la croûte continentale est parfoisimportante. En alternative à un complexehomogène affecté par des processus dedifférenciation, cet auteur a proposécomme pour la zone d’Ivrée un modèlede sills anastomosés incorporant deslames de métasédiments granulitiques enbase de croûte.

Microstructures des rochesmafiques

Les roches mafiques présentent tou-jours une foliation porphyroclastique àmylonitique plus ou moins parallèle aurubanement magmatique qui est subverti-cal et d’orientation NW-SE dans la bandede Santa-Lucia et N-S dans la bande deCastellare (fig. 1). Dans quelques cas, cesdeux surfaces sont bien distinctes, ce quimontre à l’évidence que la structure pla-naire et les microstructures observéesrésultent d’une déformation plastiqueintense acquise à haute température.Cette déformation est aussi responsabledu caractère lenticulaire du litage et detrès rares plis (fig. 8). Cette foliationmylonitique est définie par la dispositionlinéo-planaire des lentilles de plagio-clases polycristallins, dont certainesformes évoquent les anciens phénocris-taux originels. La majorité des dioritesquartziques rubanées dérivent de proto-lithes à grain grossier avec des litagescontenant jusqu’à 40 % d’amphibole vertbrunâtre. Les clastes d’amphibole (0,3-1 cm) et de plagioclase (fig. 9) sont dis-persés dans une mosaïque constituée denéograins d’amphibole brune, de plagio-clase secondaire et de magnétite. Leslitages enrichis en clinopyroxène etamphibole présentent une microstructureen mosaïque qualifiée de « structured’adcumulat » par Libourel (1985).Cependant, les formes des cristauxobservées dans les sections X/Z montrentqu’il s’agit essentiellement de clastes deforme oeillée à aciculaire. Les clinopy-roxènes présentent des bordures den-telées qui donnent naissance, parrecristallisation dynamique, à un assem-blage de clinopyroxène secondaire àgrain plus fin (fig. 10). Dans les gabbro-norites, les clastes d’orthopyroxène pré-sentent un habitus fortement allongé et

une forme dissymétrique, avec des clivagesfaiblement obliques au plan de foliation.Les termes les plus déformés montrent leremplacement de l’orthopyroxène par desamphiboles de haute température. Libourel(1985 ; 1988a) a estimé à environ 7 kbar laprofondeur de cristallisation des magmasgabbro-noritiques à une température d’en-viron 800-900 °C. Comme l’essentiel desmicrostructures résulte d’une déformationtardi-magmatique à température compriseentre 800 et 700 °C (Libourel, 1988a),nous considérons que les litages sub-ver-ticaux et la déformation plastique à hautetempérature traduisent l’écoulement desmagmas à l’état hypersolide dans desplans subverticaux. Les structures fran-chement mylonitiques à ultramyloni-tiques de la plupart des diorites, à rubansmonocristallins de quartz et à mincesrubans de clinopyroxène frais, impliquentaussi une déformation à très haute tempé-rature. Cependant, on observe, en plus, lasuperposition de fines zones d’ultramylo-nites sub-parallèles à la foliation de hautetempérature, au sein desquelles les quartzen rubans sont eux-mêmes boudinés etrecristallisés en fine mosaïque, leurciment cryptocristallin étant riche en épi-dote et chlorite. Ces microstructures debasse température, dont l’âge antécrétacéest probable, sont recoupées dans le détailpar des veinules de cataclasite à prehnite,minéral alpin caractéristique de cettenappe. De telles ultramylonites témoi-gneraient de la continuation de la défor-mation en climat schiste vert ayantaccompagné l’exhumation du socle avantle Crétacé.

Les paragneiss granulitiques consti-tuent des lentilles de quelques dizaines demètres d’épaisseur parallèles au rubane-ment des divers types de gabbros(fig. 11). Les kinzigites souvent graphi-teuses et sulfureuses renferment quelqueslits à gros grain contenant jusqu’à 50 %de grenats isodiamétriques de taille cen-timétrique, qui sont les moins déformés.La présence de bandes plagioclasiques(≥ 40 % vol) parsemées de grenats témoi-gnent d’un taux élevé de fusion précoceen climat granulitique (fig. 11). Les litsrestitiques à grain plus fin, d’épaisseurallant du centimètre au décimètre sontconstitués d’une matrice pauvre en quartzavec l’assemblage biotite-plagioclase-excordiérite et parsemées de clastes de gre-nat relictuel. Libourel (1985) a décritdans les kinzigites communes le rempla-

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GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 200024

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25GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 2000

Fig. 2.- Diorite mylonitique à bandes plagioclasiques (section proche de XZ).

Fig. 2.- Mylonitic diorite displaying plagioclase bands.

Fig. 3.- Métagabbro mylonitique. Notez le litage discontinu et les yeuxmonocristallins de plagioclase calcique (section proche de XZ).Fig. 3.- Mylonitic metagabbro. Note the discontinuous layering and themonocrystalline augen clasts of calcic plagioclase.

Fig. 4.- Gabbros mylonitiques à bandes mafiques (section proche de XZ).

Fig. 4.- Mylonitic gabbro displaying mafic bands.

Fig. 5.- Lherzolite mylonitique à bandes de webstérite.

Fig. 5.- Mylonitic lherzolite with websterite bands.

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GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 200026

Fig. 6.- Gabbro équant à poches pegmatitiques et veines leucocrates.

Fig. 6.- Isotropic gabbro with pegmatitic pockets and leucocratic veins.

Fig. 7.- Injection de leucogabbro non déformé en poches et veinules anastomosées recoupant les gabbros mylonitiques (hauteur de l’affleurement environ 5 m).

Fig. 7.- Pockets and veinlets of undeformed leucocratic gabbro cutting mylonitic gabbro (outcrop is about 5 m high).

Fig. 8.- Litage plissé dans une norite mylonitique à bandes mafiques. Notez lafoliation de plan axial du pli (section proche de XZ).

Fig. 8.- Folded layering in mylonitic noritic gabbro. The high-temperaturefoliation is axial planar to the fold (nearly XZ section).

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27GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 2000

Fig. 10.- Porphyroclaste de clinopyroxène recristallisé à ses extrémités en cpx 2.

Fig. 10.- Clinopyroxene porphyroclast recrystallized to cpx 2 subgrains at its margins.

Fig. 11.- Passage brutal entre kinzigite (à droite) et granulite basique àleucosomes (gauche).

Fig. 11.- Sharp transition between kinzigite (right) and mafic granulite withleucosomes (left).

Fig. 9.- Diorite quartzique mylonitique à claste d’amphibole (Am) brune.

Fig. 9.- Mylonitic quartz diorite with brown amphibole (Am) clasts.

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GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 200028

Fig. 13.- Granulite felsique à quartz en rubans, Notez la forte dissymétrie deforme des nombreux microclastes de plagioclase et d’apatite.

Fig. 13.- Felsic granulite with banded quartz including numerous sigmoidalplagioclase and apatite microclasts.

Fig. 14.- Microstructure mylonitique d'un leucosome syn-granulitique àgrenat. Notez la forme sigmoïde des clastes de plagioclase (pl) et de grenat(gr) inclus dans les quartz en rubans.Fig. 14.- Mylonitic microstructure of a syn-granulite garnetiferousleucosome. Note the sigmoidal shape of plagioclase (pl) and garnet (gr)clasts included in the banded quartz.

Fig. 15.- Claste d'orthopyroxène dans une granulite basique.

Fig. 15.- Orthopyroxene clast from a mafic granulite.

Fig. 12. - Inclusions de sillimanite prismatique (sill), Fe-Zn spinelle (spi) etrutile (ru) vers la bordure d’un grenat de kinzigite.

Fig. 12.- Inclusions of prismatic sillimanite (sill), Fe-Zn spinel (spi) andrutile (ru) near the margin of a kinzigite garnet.

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cement progressif de l’association minéra-le primaire à feldspath potassique-grenat-rutile (T = 800 °C, P = 7 ± 1 kbar) auprofit d’une association secondaire à cor-diérite-biotite (T = 750 -800 °C, P = 4,5 -6 kbar).

La sillimanite prismatique, minéraljusqu’ici non décrit, a été observée eninclusions plurimillimétriques dans lesgrenats d’une kinzigite à gros grain (ech.CO 310 B, fig. 12). Ce silicate d’aluminevoisine avec des inclusions de biotite pri-maire (XMg = 0,65, TiO2 = 6,5 %), derutile, de magnétite, d’ilménite, de spinelleet de quartz. Les inclusions de spinelleferro-zincifère (9 % ZnO) de forme sub-sphérique (50 - 100 mm) ne sont pas encontact avec la sillimanite ni avec les gout-telettes de quartz. Lorsqu’elle est blindéedans le grenat, la sillimanite est dépourvuede bordures réactionnelles, alors que lors-qu’elle est présente à sa bordure, elle estcorrodée par la cordiérite. Les grenats nonzonés (alm55prp40gro4) (tabl. 1) sont cor-rodés par la cordiérite et par la matrice àplagioclase et biotite. Les plagioclases sontnuageux et remplacés par des minérauxcryptocristallins de basse température et lefeldspath potassique est très séricitisé. Legéothermomètre grenat-biotite (en inclu-sions) appliqué sur plusieurs paires fournitdes températures de l’ordre de 900 °C pourune pression de 8 kbar (Ferry and Spear,1978). Le géobaromètre ilménite-quartz-silicate d’alumine-almandin-rutile (Bohlenet al., 1983) permet d’estimer plus précisé-ment pour cet assemblage minéral unepression maximale de l’ordre de 10 kbar(activité de l’almandin = 0,15).

Dans les roches plus ferro-magné-siennes, apparaît l’association à orthopy-roxène-plagioclase-quartz-biotite, avecparfois du grenat.

Les granulites basiques présentent unassemblage à plagioclase-orthopyroxène-ilménite, avec des leucosomes à orthopy-roxène. L’assemblage orthopyroxène-grenat apparaît aussi dans des lits quart-zeux assurant le passage progressif auxkinzigites. Pour Libourel (1988a), cesroches témoigneraient d’un refroidisse-ment isobare du magma mafique aucontact des métasédiments granulitiques.

Microstructures des granulites

Toutes les granulites possèdent unestructure mylonitique plus ou moins déve-lopée, marquée notamment par les quartzen rubans et l’aspect fusiforme de nom-breux minéraux. Dans les granulites fel-siques et les mobilisats leucocrates, lesquartz en rubans fréquemment de 1 à plu-sieurs centimètres de long sont souventmonocristallins et présentent des cloisonsperpendiculaires à la foliation. Ils renfer-ment couramment des clastes sigmoïdes deplagioclase (fig. 13) et plus rarement degrenat (fig. 14), témoignant du comporte-ment ductile de ce minéral. Les bandesgrises à grain fin < 100 microns souventdépourvues de quartz présentent unemicrostructure peu orientée avec près de50 % de biotite, en association symplecti-tique avec plagioclase, cordiérite altérée etpetits grenats. Ces roches à grain fin sontdonc interprétées comme d’anciens litspélitiques ferro-magnésiens restitiques àancienne structure mylonitique, au seindesquelles les réactions rétrogrades accom-pagnées de réhydratation et de recuit sta-tique ont été les plus avancées. Danscertaines granulites basiques, l’orthopy-roxène constitue des clastes monocristal-lins très allongés pouvant dépasser 1 cm delong, avec développement syncinématique

de biotite rouge dans les ombres de pres-sion (fig. 15). La torsion des plans de cli-vage et la recristallisation partielle en sousgrains à leurs extrémités effilées indiquentun comportement ductile à haute tempéra-ture, évoluant en un comportement cassantavec formation de bandes de pliage et defractures soudées par du quartz.

Les lherzolitesLa lentille de Leccia Silichelle d’en-

viron 50 m d’épaisseur représente le seulaffleurement ayant en partie échappé à laserpentinisation (Libourel, 1985). Il s’agitde lherzolites à spinelle avec environ 10 %de bandes de webstérites de 0,3 à 10 cmd’épaisseur (fig. 5). Le rubanement estsubvertical et parallèle à celui des gab-bros adjacents et les microstructures sontle plus souvent franchement mylonitiques(fig. 16). La foliation mylonitique formeun angle de quelques degrés seulementavec le rubanement, et l’intersection de cesdeux surfaces coïncide avec une linéationd’allongement minéral plongeant forte-ment vers le sud-est. L’étirement des por-phyroclastes de clinopyroxènes, de tailleparfois centimétrique, est extrème, avecrecristallisation dynamique en rubansd’épaisseur au plus millimétrique, dontla longueur peut dépasser 10 centimètres.

Fig. 16.- Claste aciculaire d'orthopy-roxène (opx) boudiné dans une lher-zolite mylonitique. Le spinelle (spi)est auréolé de plagioclase (pl) altéré.Fig. 16.- Acicular orthopyroxene(opx) clast in a mylonitic lherzolite.The spinel (spi) grain is surroundedby altered plagioclase (pl).

LA TRANSITION CROÛTE/MANTEAU DANS LA NAPPE DE SANTA-LUCIA-DI-MERCURIO (CORSE ALPINE)

29GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 2000

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Ces rubans sont constitués de néoblastessubéquants de quelques dizaines demicrons. Les spinelles primaires consti-tuent aussi des porphyroclastes allongés,parfois auréolés d’un peu de plagioclase.Dans les webstérites, les porphyroclastesaciculaires d’orthopyroxène nagent ausein d’un assemblage microcristallinblastique à deux pyroxènes, olivine ser-pentinisée et plagioclase, avec spinellevert et amphibole interstitiels.

Les compositions des phases minéralessuggèrent pour ces lherzolites un faible

taux de fusion partielle, avec une histoireprécoce à T ≥ 1 200 °C et 12 < P <16 kbar(Libourel, 1985 ; 1988a). Cet auteur aconclu d’après les teneurs en alumine desclinopyroxènes des températures d’équili-bration comprises entre 1 100 et 1 200 °C,suivies par un refroidissement à environ900 à 1 000 °C à des pressions comprisesentre 9 et 12 kbar. Les dernières recristal-lisations, en particulier d’amphiboles, etl’empreinte mylonitique finale accompa-gnant une remontée rapide des péridotitesse situeraient pour cet auteur entre 700 et750 °C et à une pression de 4 à 6 kbars.Notons cependant que l’habitus allongé duspinelle et la faible abondance de plagio-clase suggèrent que l’essentiel de la folia-tion mylonitique a été acquis dans le facièsà spinelle, c’est-à-dire à P≥12 kbar. Eneffet, les gabbros lités situés au contactest de cette lentille ne montrent qu’unestructure protomylonitique bien modeste,comparée à celle des lherzolites.

Géométrie, structureset cinématique anté-alpines

Seule la bande de Terra Limba a étéétudiée en détail, car elle est restée à l’écartdes déformations alpines et sa paléo-surfacetopographique anté-crétacée est connue.Le rabattement à l’horizontale de la surfa-ce d’érosion, marquée par la transgressiondu conglomérat de Tomboni change peula géométrie subverticale du rubanementigné et des foliations pentées en moyennede 80° vers le nord-est. Les trajectoires dela foliation légèrement sinueuse sontcomprises entre N 120 et N 60. Les len-tilles de lherzolites et les termes les plusmafiques du complexe, situés au nord-est, représenteraient la base du complexe.Vers l’est, d’étroites synformes de cal-caires crétacés schistosés empèchent dereconstituer la structure anté-alpine del’ensemble. La bande de Castellare, dedirection N-S, présente aussi la mêmegéométrie et polarité, mais dans beau-coup de secteurs, la foliation est repriseductilement à l’Alpin et redéformée pardes plis ouverts.

Dans la bande de Terra Limba, plu-sieurs dizaines de linéations ont étémesurées sur le terrain. Les linéations dehaute température des lherzolites, leslinéations marquées par les amphiboles etles pyroxènes dans les roches mafiques etcelles des paragneiss granulitiques mar-quées par les figures d’étirement des pla-

gioclases et les rubans de quartz sont sub-parallèles et plongent fortement versle sud-est entre 45 et 70°. Observées dansdes sections X/Z, les formes franchementdissymétriques des clastes sigmoïdes (fig.9, 13, 14), leur obliquité par rapport auxplans de foliation et leurs ombres de pres-sion dissymétriques indiquent constam-ment la même dissymétrie sénestre. Lagranodiotrite située à l’ouest des dioritesde Terra Limba présente elle aussi la mêmestructure plano-linéaire acquise à l’état vis-queux, et la foliation devient graduelle-ment moins pentée en allant vers l’ouest.

En conclusion, la géométrie actuelle-ment subverticale des métagabbros et cellede l’interface croûte/manteau est une struc-ture fossilisée depuis le Crétacé. La grandecohérence des figures de cisaillement àcomposante sénestre observées dans toutesles roches du socle implique que l’en-semble de ce fragment de croûte inférieureet moyenne ainsi que les lames de lherzo-lites étaient soumis au même régimecisaillant sénestre dans des plans subverti-caux de direction NW-SE à N-S.

Relations avec la couverturemésozoïque et aperçu sur les déformations et le métamorphisme

d’âge alpinLe conglomérat de Tomboni repose

en discordance angulaire et avec un pen-dage moyen de 25° vers le nord-est, sur lafoliation fortement pentée des gabbros etdes granulites. Ce conglomérat renfermeen abondance des galets et des blocs trèsanguleux, parfois de taille métrique,empruntés au substratum immédiat(Amaudric du Chaffaut, 1980). A l’ouestde la barre de Castellare, les termes de basede la couverture mésozoïque, considéréscomme plus jeunes que le conglomératpar Durand-Delga (1984) débutent pardes calcaires détritiques ductilementdéformés, avec une schistosité de fluxpentée de 35° vers l’ouest. Cette formationcalcaire est conservée sous forme d’étroitesbandes synclinales ductilement déforméeset pincées au sein des roches mafiques. Cesbandes s’ouvrent vers le haut en donnantdes synclinaux d’axe N-S déversés à l’est.Sous la discordance basculée, l’anciennefoliation de haute température des rochesmafiques rubanées a été plus ou moinsréactivée ductilement à l’Alpin. Ces roches

LA TRANSITION CROÛTE/MANTEAU DANS LA NAPPE DE SANTA-LUCIA-DI-MERCURIO (CORSE ALPINE)

GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 200030

Bi Gr Spi Sil

SiO2 35,81 38,93 0,28 37,30

TiO2 6,69 0,00 0,03 0,01

Al2O3 15,87 22,60 60,03 63,50

Cr203 0,00 0,34 0,05

Fe2O3 1,360 2,19 0,69

MgO 14,47 10,30 9,61 0,00

FeO 12,79 25,54 18,89

MnO 0,00 0,65 0,06 0,00

ZnO 9,15 0,00

CaO 0,00 1,560 0,01

Na2 0,19 0,00 0,00

K2O 9,83 0,00 0,00

H2O

Total 95,55 100,90 100,59 101,30

Si 2,653 2,951 0,008 0,992

Ti 0,373 0,00 0,001 0,001

Al 1,386 2,02 1,931 1,997

Fe3+ 0,078 0,045 0,012

Mg 1,598 1,164 0,391 0,000

Fe2+ 0,792 1,619 0,431

Mn2+ 0,00 0,042 0,001 0,000

Zn 0,184 0,000

Ca 0,00 0,127 0,00 0,01

Na 0,028 0,00 0,00 0,000

K 0,929 0,00 0,00 0,000

OH 2,00

Σ Cat, 9,759 8,00 3,00 3,002

Tabl. 1.- Analyse à la microsonde électronique dequelques minéraux de la kinzigite à sillimanite(echantillon CO 310B).

Table 1.- Microprobe analysis of some mineralsfrom the sillimanite kinzigite (sample CO 310B).

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prennent alors sur plusieurs dizaines demètres d’épaisseur le faciès de mylonitesschisteuses vertes à chlorite, albite et épi-dote, au sein desquelles les clastes de hautetempérature ne sont plus identifiables. Ilexiste ainsi une accordance entre la folia-tion mylonitique à faciès schiste vert desmétagabbros et la schistosité de flux affec-tant les calcaires du Crétacé. A l’approchedes synclinaux crétacés de dimensionpluri-hectométrique, une déformation fra-gile affecte au contraire les gabbros quiprennent alors le faciès de brèches vertesparcourues de veinules à quartz, calcite etépidote. Il peut s’agir d’une bréchificationen partie antécrétacée, reprise lors desdéformations alpines. Dans l’ensemble desformations de couverture et en particulierdans le flysch crétacé surmontant leconglomérat de Tomboni, la schistosité pri-maire peu pentée recoupe avec un anglefaible les plans de stratification, de raresplis couchés étant aussi présents. Cetteschistosité est reprise par des plis ouvertssubméridiens à plans axiaux subhorizon-taux qui traduisent essentiellement un rac-courcissement vertical. Ces plis tardifspeuvent avoir une amplitude hectomé-trique et ils affectent en même temps lecontact entre la nappe de Santa-Lucia et labordure du domaine des schistes lustrés àfaciès schiste bleu.

Métamorphisme alpin

Au cœur de la bande de Terra Limbia,les déformations et le métamorphisme semanifestent principalement dans lesroches basiques et les granulites par ledéveloppement de veinules tapissées deminéraux alpins. Parmi les minéraux ren-contrés, notons la présence ubiquiste deprehnite, de mica blanc microcristallin,d’épidotes, de pumpellyite et de chlorites.L’association lawsonite + quartz + micablanc (Amaudric du Chaffaut et Saliot,1979 ; Amaudric du Chaffaut, 1980) sedéveloppe préférentiellement dans lessites de plagioclase moyennement cal-cique des bandes felsiques leucocrates.Cette paragenèse semble prédater celle àprehnite et pumpellyite, essentiellementobservée dans des fentes. Dans les rochesdu socle redéformées ductilement àl’Alpin, comme au voisinage de la cou-verture mésozoïque au sud du MonteMurato, on observe un remplacementcomplet des minéraux de haute tempéra-ture par mica blanc, chlorite, albite, cli-nozoïsite et calcite, minéraux qui ont

cristallisé en conditions syncinématiquesdans la schistosité alpine principale. Desamphiboles bleues sporadiques ont aussiété observées dans le conglomératde Tomboni et dans des métagabbros(Amaudric du Chaffaut et Saliot, 1979).Ces observations ponctuelles semblentbien indiquer que les conditions initialesde la base du faciès des schistes bleus debasse température (P = 4-6 kbar, T ≤ 350 -400 °C) ont été suivies par celles d’unfaciès schiste vert à pumpellyite, commecela a été décrit dans d’autres unités(Lahondère, 1996).

Données préliminairessur la cinématique alpine

Les étroites pincées synclinales méso-zoïques ductilement déformées présententune schistosité de flux inclinée vers l’ouestportant une linéation d’allongement dedirection N 30 à N 60. L’observation desmicrostructures dans les sections X/Zindique clairement une déformationcisaillante à vergence nord-est. Ces bandessoulignent donc des failles inverses duc-tiles alpines qui peuvent résulter de l’in-version d’anciennes failles normalescrétacées. Cette fabrique est plissée passi-vement par les plis ouverts à plans axiauxsubhorizontaux qui replissent en mêmetemps le contact basal de la nappe. Cesstructures tardives traduisent un raccour-cissement vertical important associé àl’amincissement de la pile des nappes.

Au nord-est de Santa-Lucia, les grèsschisteux éocènes du substratum immédiatde la nappe de Santa-Lucia (Ruisseaud’Alia), possèdent aussi une fine schisto-sité de flux faiblement inclinée au sud-ouest, plan axial de plis dissymétriquesd’axe NW-SE déversés au nord-est. Ils’agit de la déformation principale n’ayantpas oblitéré les granoclasements des turbi-dites, ici en série normale, et que nous lionsau premier déplacement de la nappe surson substratum. Une linéation d’allonge-ment de direction N 35 à N 45 peut y êtreobservée, soulignant ici encore le déplace-ment de la nappe vers le nord-est. Il sem-blerait donc, d’après ces quelques mesurespréliminaires, que la cinématique alpined’âge post-éocène traduit un déplacementprécoce de la nappe de Santa-Lucia versle nord-est.

Discussion et conclusions

Considérationspaléogéodynamiques

Toutes les formations du socle de lanappe de Santa-Lucia montrent la mêmegéométrie subverticale et les linéationsd’allongement plongeant fortement ausud-est y traduisent la même cinématiquecisaillante sénestre. Dans les kinzigitesoriginellement équilibrées dans les condi-tions d’un métamorphisme granulitique demoyenne à haute pression (T = env.900 °C, P env. 10 kbar), l’importantedécompression accompagnée d’un refroi-dissement modéré (P = 4,5 - 6 kbar, T =800 - 750 °C, Libourel, 1985 ; 1988a)indique que la croûte était en voie d’amin-cissement. Ces nouvelles conditions sontcelles qui règnaient lors de la mise en placedes magmas gabbroïques et dioritiques.Nous suggérons que le rubanement subver-tical très marqué de ces roches mafiquestraduit l’écoulement originel des magmasdans des plans subverticaux, tout commedans les granodiorites adjacentes.Cependant, l’essentiel de la déformationcisaillante a été acquis en conditionstardi-magmatiques à l’état solide à T ≥750 - 700 °C. L’âge U-Pb sur zircon à286 ± 10 Ma des paragneiss granulitiquesde Santa-Lucia, et celui des diorites a281 ± 1 Ma (Paquette et al., 1996 ; en pré-paration) permet d’attribuer au Permiences évènements tectono-métamorphique etmagmatique. Le contexte géotectonique àcette époque est donc une longue périoded’extension lithosphérique intervenantplus de 30 Ma après l’orogénèse hercy-nienne. La géométrie des corps de lherzo-lites à spinelle et leur déformationcisaillante à une température compriseentre 1 000 et 900 °C à 9 < P < 12 kbarest interprétée comme traduisant le fluagevertical du manteau lithosphérique pro-fond autour de la transition des faciès àspinelle et à plagioclase, lors de sa miseen place depuis plus de 50 km de profon-deur dans un système transtensif sénestre.Nous considérons donc ces évènementscomme relatifs à un stade de rift permienfossilisé depuis le Crétacé et non commesynchrones du stade d’épaississementcrustal hercynien (Libourel, 1985 ; 1988a).L’épisode magmatique semble grossière-ment contemporain de certains autres com-plexes basiques à calco-alcalins corses(Rossi et al., 1992).

LA TRANSITION CROÛTE/MANTEAU DANS LA NAPPE DE SANTA-LUCIA-DI-MERCURIO (CORSE ALPINE)

31GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 2000

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Dans la zone sud-alpine, la mêmeassociation pétrogénétique accompagnaitexactement à la même époque la cristalli-sation de complexes gabbro-noritiques etla mise en place de coins de manteau ausein des granulites de la zone d’Ivrée(Pin, 1989, 1990 ; Zingg et al., 1990 ;Schmid, 1996 ; Shervais et Mukasa,1991). Le métamorphisme granulitique yest daté par la méthode U-Pb sur mona-zites (intercept supérieur) à 293 Ma(Vavra and Schalteiger, 1999), mais l’ac-tivité thermique semble avoir perduréjusqu’à 210 Ma comme le suggèrent lesintercepts inférieurs des monazites et lesâges 40Ar/39Ar à 215-210 Ma des minérauxde haute température des zones de cisaille-ment (Brodie et al., 1989). A Santa-Lucia,l’identification de poches de gabbro

équant et de filons de dolérite recoupantla foliation mylonitique de haute tempé-rature des gabbros et des kinzigitessuggère aussi une permanence de l’acti-vité magmatique de souche mantellique àl’aplomb de ce rift en conditions plussuperficielles. Comme dans la zoned’Ivrée, les granulites, gabbros et pérido-tites de Santa-Lucia n’ont été recouvertespar des sédiments marins qu’au cours duCrétacé, consécutivement à leur mise àl’affleurement (Jurassique ?). Les rejeux àbasse température observés au sein de cer-taines mylonites anté-alpines verticalesportant l’empreinte de la même cinéma-tique décrochante sénestre traduirait lestade final de l’exhumation antécrétacée dela croûte profonde, alors que les conglomé-rats et les brèches du Tomboni, accumulés

au pied d’importants escarpements, illus-trent la profonde érosion concomitante.

La très petite dimension du complexede Santa-Lucia et la géométrie subvertica-le de l’interface croûte/manteau suggèrentdonc un rift très étroit du type Mer rougequi s’ouvrait en transtension. Cette situa-tion est similaire au modèle classique pro-posé pour le massif de lherzolites à spinellede Balmuccia dans la zone d’Ivrée, quimontre aussi une co-structuration des péri-dotites et des roches encaissantes (Boudieret al., 1983 ; Shervais et Mukasa, 1991).Cependant, Quick et al. (1995), concluentà la mise en place tectonique précoce dumassif de Balmuccia au sein des kinzigites.De plus, le gradient de pression mis en évi-dence autour de ce massif par Demarchi etal. (1998) impliquerait, pour ces auteurs,que la cristallisation du complexe mafiquelité s’est opérée en position horizontale, laverticalisation de cette portion de croûteétant tardive. Au contraire, pour Boudieret al. (1983), la verticalisation résulteraitde la mise en place diapirique des pérido-tites. A la différence de la zone d’Ivrée, lecaractère mylonitique à ultramylonitiquede presque toutes les roches mafiques litéeset des lherzolites de Santa-Lucia montrequ’elles ont enregistré une déformationextrème à T ≥ 700 °C. Cette déformationcisaillante serait responsable de la réduc-tion d’épaisseur considérable de la croûteinférieure et à sa verticalisation dans unsystème décrochant transtensif sénestre.

Le modèle de mise en place que nousproposons pour les péridotites de Santa-Lucia (fig. 17) diffère du modèle de failleslistriques peu inclinées soulignant la transi-tion océan-continent au Jurassique, commecela est maintenant bien documenté dansles Alpes centrales (Müntener et Hermann,1996 ; Manatschal et Nievergelt, 1997 ;Froitzheim et Rubatto, 1998) et dans lamarge de Galice (Boillot et al., 1995).Dans ce dernier exemple, Fuegenschuh etal. (1998) ont montré que les granulitesétaient déjà refroidies à T < 250 °C depuisle Permien et qu’elles ne représententdonc pas la croûte inférieure chaude pré-rift au Crétacé. Les modèles de failles lis-triques antithétiques faiblement inclinéestraduiraient une extension dans unelithosphère froide, directement liée à laformation des marges passives dépourvuesde magmatisme et préludant à l’expansionocéanique, tandis que le rift reconstitué àSanta-Lucia s’accompagne d’un magma-

LA TRANSITION CROÛTE/MANTEAU DANS LA NAPPE DE SANTA-LUCIA-DI-MERCURIO (CORSE ALPINE)

GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 200032

Granulites

Gabbros &Diorites

Anatexites

0

40 km

0

40 km

A

B

Fig. 17.- Modèle possible de mise en place du complexe de Santa-Lucia. A: stade hypothétique avecfailles antithétiques. B: stade avec failles synthétiques engendrées par le diapirisme final des lames delherzolites.

Fig. 17.- Possible model of emplacement of the Santa-Lucia complex. A: early stage with assumedantithetic faults; B: late stage with synthetic faults imposed by late diapirism of lherzolite slices.

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tisme gabbro-dioritique en base de croûteet il n’a pas abouti à l’océanisation.

En conclusion, le modèle d’une intru-sion diapirique de coin d’asthénosphère enrégime transtensif proposé pour la génèsedu rift de Zabargad (Nicolas et Boudier,1987) et pour les rifts continentaux engénéral (Nicolas et al., 1994), peut êtreappliqué au paléorift reconstitué à Santa-Lucia (fig. 17). Les conditions maximalesdu métamorphisme granulitique enregis-trées dans les grenats des kinzigites deSanta-Lucia (T env. 900 °C, P env. 8 kbar)sont similaires à celles fournies par les gra-nulites de Zabargad (800-850 °C, 10 kbar,Boudier et al., 1988) prélevées à proximitéimmédiate des péridotites et dont la recris-tallisation syn-rift remonte à 22 Ma (Boschet Bruguier, 1998). Le chimisme typique-ment calco-alcalin de la plupart des rochesmafiques de Santa-Lucia traduirait un pro-fonde contamination du magma gab-broïque primaire par la croûte continentale(Pin, 1989). Ces magmas se seraientinjectés verticalement lors de ce stade derifting daté à environ 281 Ma (Paquette etal., 1996 ; travaux en cours), en lits plus oumoins concordants avec les granulites.Homogène, la déformation cisaillante pourl’essentiel figée à environ 700 °C traduitla surrection en régime transtensif sénestrede la croûte profonde, induite par le dia-pirisme final des lames de lherzolites quireprésentent l’émergence d’un diapir. Lapolarité de cette croûte amincie (base àl’est) suggère donc plutôt un système de

failles normales synthétiques (fig. 17B)comme il en existe en Afar (Black et al.,1972). De telles failles peuvent être surim-posées à un premier stade avec failles anti-thétiques classiques (fig. 17A). Cesconsidérations suggèrent qu’il s’agissait dela bordure ouest du paléo-rift envisagé,confortant l’origine « prépiémontaise »proposée par Durand-Delga (1984) pourcette nappe sur des bases paléogéogra-phiques. A l’instar du domaine océaniqueliguro-piémontais qui allait s’ouvrir plus àl’est, la remontée et la mise à l’affleure-ment de ces pans de croûte profonde verti-calisée et de lames de manteau auraienteu lieu au Jurassique, suivies par sonenfouissement sous les formations duCrétacé moyen (conglomérat du Tomboni,flysch de Tralonca) qui traduisent le com-blement rapide d’un système de blocsbasculés. Des données géochronolo-giques pourraient aisément conforter cescénario. On peut envisager, à l’image dela terminaison nord-ouest de la Merrouge, que le paléorift reconstitué ait pureprésenter une branche avortée d’un riftpermo-mésozoïque se terminant vers lenord et qui ailleurs, a abouti à l’ouverturedu domaine océanique liguro-piémontaisau Jurassique.

Origine de la nappe de Santa-Lucia

La présence en Corse alpine d’uneunité de socle granulitique en positionhaute et frontale dans l’édifice de nappessuggère une comparaison avec les unités

austro-alpines des Alpes occidentales. Enparticulier, les caractéristiques pétrolo-giques du socle de Santa-Lucia, l’âge per-mien des magmas mafiques déformés àhaute température et l’évolution post-per-mienne sont très similaires à la zoned’Ivrée (Schmid, 1993). Cependant, larestitution de la polarité antécrétacée dela croûte suggère qu’il s’agit de la bordureouest du paléo-rift reconstitué. La ver-gence nord-est des structures alpinesidentifiées dans la nappe et son substra-tum inclinent à rechercher son enracine-ment vers le sud-ouest. Il est vrai que l’onpeut évidemment imaginer qu’il n’en estrien et que l’ensemble des unités fron-tales peu métamorphiques aurait pud’abord être transporté précocement versl’ouest, toujours à très faible profondeur,en échappant ainsi aux déformations duc-tiles et au métamorphisme alpin commeles unités austro-alpines supérieures desAlpes centrales. Cependant le développe-ment de lawsonite et d’amphibole bleueprécoces dans cette nappe (P ≥ 5 kbar,T < 400 °C), minéraux qui traduisent unenfouissement d’au moins 12 à 15 kmsous un gradient thermique perturbé dutype de ceux des subductions, montre quel’évolution alpine de cette nappe est enfait plus complexe.

Remerciements

Ce travail a été réalisé dans le cadre duprogramme de la carte géologique de laFrance avec le soutien financier du BRGM.

LA TRANSITION CROÛTE/MANTEAU DANS LA NAPPE DE SANTA-LUCIA-DI-MERCURIO (CORSE ALPINE)

33GÉOLOGIE DE LA FRANCE, N° 1, 2000

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