La Souffrance et la grâce. Etty Hillesum Joseph Boyden, · le grand Munisai Shinmen, qui ne...

16
La souffrance et la grâce Rarement document sociétal – en l’occurrence le récit d’une exécution capitale au Texas – aura été plus proche du témoignage spirituel: c’est que les deux auteurs, Danièle et René Sirven, sont animés d’une foi travaillée à l’aune de leurs lectures, notamment celle des livres de leur amie Marie Balmary qui préface leur témoignage, La Souffrance et la grâce. P. 10 Albin Michel Numéro 41 – printemps 2014 LIRE PAGE 16 Zeev Sternhell, historien des fascismes P. 7 Décryptage de l’islamophobie P. 11 Non, Dolto n’était pas laxiste ! P. 14 La voix d’Etty Hillesum, cette jeune femme juive qui avait opposé une résistance spirituelle d’une grande intensité à l’horreur nazie, résonne dans un magnifique dialogue rêvé par Karima Berger: l’auteur, musulmane, donne vie à la petite Marocaine dont la photographie était accrochée dans la chambre d’Etty, pour nous offrir une méditation somptueuse, par-delà les cultures, par-delà la mort. Un hymne aux Attentives du monde. J oseph Boyden est devenu l’un des écri- vains canadiens les plus importants, dans son propre pays comme sur la scène litté- raire internationale. Même s’il vit depuis vingt ans à La Nouvelle-Orléans, où il enseigne la littérature, il n’a jamais oublié qu’il est né il y a quarante-six ans dans la banlieue de Toronto, où il a grandi avec ses dix frères et sœurs, et où il a fait ses études chez les jésuites. Dès son premier livre, Là-haut vers le nord, un recueil de nouvelles publié au début des années 2000, il plaçait son œuvre sous le signe de la rencontre, du métissage, de ses origines familiales – son ascendance, à la fois amérindienne, écossaise et irlandaise, est très emblématique de l’histoire de son pays. Son premier roman, Le Chemin des âmes, rela- tant l’odyssée tragique de deux jeunes Indiens enrôlés dans l’armée canadienne et pris dans la folie de la Première Guerre mondiale, lui a valu plusieurs récom- penses littéraires et a marqué des dizaines de milliers de lecteurs à travers le monde. Avec Les Saisons de la solitude, une fresque familiale qui se déroule dans les espaces sauvages du nord de l’Ontario, il obtient le prix Giller, le Goncourt canadien. Joseph Boyden dit qu’il lui a fallu tout ce temps, et ces premiers livres qui furent pour lui une maturation, pour enfin pouvoir s’atteler au projet de roman qu’il s’était senti depuis longtemps appelé à écrire. Ce grand- œuvre, c’est Dans le grand cercle du monde qui paraît en France ce printemps. Il marque pour lui un retour aux origines : les siennes, comme celles de son pays. Un livre puissant et déchirant, riche en scènes d’action et en moments d’émotion, enraciné dans la beauté naturelle d’un continent, et d’une incroyable modernité. Joseph Boyden, l’écrivain canadien du métissage SUITE PAGE 2 Etty Hillesum © Norman Wong

Transcript of La Souffrance et la grâce. Etty Hillesum Joseph Boyden, · le grand Munisai Shinmen, qui ne...

La souffranceet la grâce Rarement document sociétal – en l’occurrence le récit d’une

exécution capitale au Texas – aura été plus proche du témoignage

spirituel : c’est que les deux auteurs, Danièle et René Sirven, sont

animés d’une foi travaillée à l’aune de leurs lectures, notamment

celle des livres de leur amie Marie Balmary qui préface leur

témoignage, La Souffrance et la grâce. P. 10

Alb

in M

iche

l

Numéro 41 – printemps 2014

LIRE PAGE 16

Zeev Sternhell,historien des fascismes P. 7

Décryptagede l’islamophobie P. 11

Non, Dolton’était pas laxiste ! P. 14

La voix d’Etty Hillesum,cette jeune femme juivequi avait opposéune résistance spirituelled’une grande intensitéà l’horreur nazie, résonnedans un magnifiquedialogue rêvé par KarimaBerger : l’auteur,musulmane, donne vieà la petite Marocainedont la photographieétait accrochée dansla chambre d’Etty, pournous offrir une méditationsomptueuse, par-delàles cultures, par-delàla mort. Un hymneaux Attentives du monde.

Joseph Boyden est devenu l’un des écri-

vains canadiens les plus importants, dans

son propre pays comme sur la scène litté-

raire internationale. Même s’il vit depuis

vingt ans à La Nouvelle-Orléans, où il

enseigne la littérature, il n’a jamais oublié qu’il est né il

y a quarante-six ans dans la banlieue de Toronto, où il

a grandi avec ses dix frères et sœurs, et où il a fait ses

études chez les jésuites. Dès son premier livre, Là-hautvers le nord, un recueil de nouvelles publié au début

des années 2000, il plaçait son œuvre sous le signe de

la rencontre, du métissage, de ses origines familiales

– son ascendance, à la fois amérindienne, écossaise

et irlandaise, est très emblématique de l’histoire de son

pays. Son premier roman, Le Chemin des âmes, rela-

tant l’odyssée tragique de deux jeunes Indiens enrôlés

dans l’armée canadienne et pris dans la folie de la

Première Guerre mondiale, lui a valu plusieurs récom-

penses littéraires et a marqué des dizaines de milliers

de lecteurs à travers le monde. Avec Les Saisons dela solitude, une fresque familiale qui se déroule dans

les espaces sauvages du nord de l’Ontario, il obtient le

prix Giller, le Goncourt canadien.

Joseph Boyden dit qu’il lui a fallu tout ce temps, et ces

premiers livres qui furent pour lui une maturation, pour

enfin pouvoir s’atteler au projet de roman qu’il s’était

senti depuis longtemps appelé à écrire. Ce grand-

œuvre, c’est Dans le grand cercle du monde qui

paraît en France ce printemps. Il marque pour lui un

retour aux origines : les siennes, comme celles de son

pays. Un livre puissant et déchirant, riche en scènes

d’action et en moments d’émotion, enraciné dans la

beauté naturelle d’un continent, et d’une incroyable

modernité.

Joseph Boyden,l’écrivain canadien du métissage

SUITE PAGE 2

Etty Hillesum

© N

orm

an W

ong

2 L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

Éditeurs des ouvrages cités dans ce numéro:Stéphane Barsacq, François Bouvier, PaulineColonna d’Istria, Claire Delannoy, Francis Geffard,Maëlle Guillaud, Anne-Sophie Jouanneau,Anne Michel, Hélène Monsacré, Jean Mouttapa,Vaïju Naravane, Mathilde Nobécourt, Marc deSmedt, Emmanuelle Touati.

SAINTE-MARIE-AU-PAYS-DES-HURONS :cette mission, fondée par les jésuitesfrançais en 1639 et abandonnée dix ansplus tard, est un lieu cher à JosephBoyden, situé près de Midland, enOntario. À une époque, la missionabritait un cinquième de la populationtotale de la Nouvelle-France, jusqu’aumoment où les Iroquois menèrent uneoffensive décisive, massacrant descentaines de Hurons, contraignant lessurvivants à l’exil et torturant à mort deuxjésuites, Jean de Brébeuf et GabrielLalemant, reconnus plus tard saints etmartyrs par l’Église. Dans le grand cer-cle du monde fait revivre cette époqueà travers les voix de trois person-

nages: un chef de guerre huron toujourshanté par la mort de sa femme et de sesenfants tombés sous les coups desIroquois ; une jeune Iroquoise faite pri-sonnière au cours d’une expédition et

qu’il adopte comme sa propre fille ; etenfin un jeune jésuite français venuapporter la «  vraie foi  » aux« Sauvages », et dont le destin basculequand il se retrouve captif des Hurons.Leurs voix nous entraînent dans unmonde où se côtoient la guerre et l’es-poir, la méfiance et la concorde, la des-truction et la vie, la haine et l’amour, laviolence et la beauté.

L’HUMANITÉ DE CES PERSONNAGES esttelle qu’elle nous fait ressentir et par-tager leurs émotions et leurs dilemmes,comme si c’était un peu les nôtres. Ilsont complexes comme nous lesommes tous, et leurs visions dumonde sont souvent contradictoires.

À preuve l’incompréhension radicale deChristophe, le jeune jésuite, vis-à-vis dela spiritualité des Indiens.Comment réconcilier l’irréconciliable?Comment rendre compte du cou-rage de ce jésuite, de la haute spiri-tualité des Hurons, et en même tempsdu choc de la conquête, de la des-truction des cultures amérindiennes?Tel était le but que s’était donnéJoseph Boyden en tant qu’écrivain, entant que Canadien et en tant qu’êtrehumain. Ce but, il l’a atteint, Dans legrand cercle du monde en est la bril-lante démonstration. n

SUITE DE LA PAGE UNE

4 n Manil Suri n Stéphanie Janicot

5 n Dans l’Iran de Khomeinyn Calixthe Beyala

6 n Le texte sacré le plusconvoité du monde

n Y a-t-il un Messiedans la Bible ?

n Défendre l’humainaprès Auschwitz

7 n Aux premiers tempsde la violence chrétienne

n Zeev Sternhell8 n Trois questions

à Christiane Rancé9 n Regards croisés

sur l’espérancen La presse en parle…

10 n Marie Balmary a lu…11 n Les derviches tourneurs

n Un étrange Évangilemusulman

n Décryptagede l’islamophobie

12 n Jacques Salomé13 n Redécouvrir un classique

Bertrand Vergely14 n Autisme : le désastre

de la surenchèren Non, Dolto

n’était pas laxiste !15 n Un livre, un éditeur

par Claire Delannoy16 n Karima Berger

Sommaire

Il est des événements religieux qui acquiè-rent d’emblée une dimension universelle,au point de pouvoir concerner, et mêmetroubler, des consciences non religieuses.Ainsi en fut-il du grand rassemblement

interreligieux d’Assise en 1986, ou de la visite deJean-Paul II au Mur occidental de Jérusalem. Cequi s’est passé à Rome il y a un an relève de cesfaits remarquables, où l’on sent que sont en jeunon seulement l’histoire d’une communauté par-ticulière (celle des catholiques, en l’occurrence)mais aussi le mouvement de l’humanité toutentière. Un pape se retire, un autre est élu, enquoi ce fait regarderait-il les protestants, ortho-doxes, juifs, musulmans, bouddhistes… et afortiori les non-croyants ? En quoi, surtout, pour-rait-il les émouvoir ? Et pourtant, dès queFrançois est apparu au balcon de la basiliqueSaint-Pierre le 13 mars 2013, beaucoup de non-chrétiens ont senti qu’il se passait là quelquechose de neuf. De neuf pour l’Église, certaine-ment, mais de neuf aussi pour le monde, qui aun besoin essentiel de bonté véritable. Or, cethomme incarnait cette bienveillance universellede façon évidente, souriant, souhaitant le bonsoirà tous, demandant avec humilité que l’on priepour lui, et plaçant au cœur de sa mission, en

reprenant le prénom du poverello Françoisd’Assise, l’attention à tous les pauvres. Contrel’avis de ses conseillers, il refusait de porter lamozette rouge et les mules du pape, de troquerson anneau d’évêque pour l’anneau d’or dupêcheur, d’habiter dans les riches appartementspontificaux… Au-delà même des symboles, au-delà de ses intentions de réforme en profondeurde l’appareil ecclésial, il y a dans la geste deFrançois depuis un an une dimension spirituelle :celle d’un amour plus fort que la peur, et d’unepriorité absolue donnée aux plus faibles –comme l’a montré son premier déplacement depape, à Lampedusa.Cette geste quasi révolutionnaire, ChristianeRancé nous la raconte avec autant de talent quede finesse (voir page 8). Journaliste et familièrede l’Argentine, elle a eu accès à des proches età des sources inédites sur l’histoire singulière decet homme ; romancière et essayiste, elle a sumettre en scène et analyser ses combats suc-cessifs ; chrétienne, elle nous offre une péné-trante approche de sa spiritualité. Une spiritualitéqui pourrait redonner une actualité universelleaux paroles évangéliques. n

Jean Mouttapa

Éditorial

Dans le grand cercle du mondeJoseph Boyden608 pages, 23,90 €n Du même auteur :Le Chemin des âmes400 pages, 22,80 €

n Joseph Boyden sera présent au colloque du 31 mars à l’université de Caen, en partenariat avec la librairie Brouillonde culture (0231501276), puis le 4 avril à la librairie Millepages de Vincennes (0143288430).

3L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

Le Maître bonsaïAntoine Buéno180 pages, 15 €

Le SamouraïDavid Kirk416 pages, 21,50 €

n À lire également :Traité desCinq RouesMusashi Miyamoto194 pages, 6,90 €

L a réponse jaillira de la rencontred’une jeune femme opiniâtre.S’accrochant à lui comme l’ar-

bre au rocher, elle vient bousculer laroutine solitaire du Maître bonsaï. Cen’est pas vraiment un coup de foudre,mais plutôt une reconnaissancemutuelle. Perturbé, le Maître bonsaïentreprend de transmette son artexigeant à cette étrange compagne :« Créer un bonsaï, c’est contraindreun arbre à ne pas grandir et le main-tenir en vie dans cet état. Parce que

dans cet état il est une œuvre d’art. »Mais l’apprentie résiste, elle trouve quela nature est belle comme elle est, etque les hommes la martyrisent déjàbien assez.

DE SON CÔTÉ, LEMAÎTRE BONSAÏ retrouvedes bribes de souvenirs au contact dela jeune femme. Il comprend peu à peupourquoi il ne supporte les arbres qu’enminiature, et pourquoi il ne fait que sur-vivre depuis si longtemps. La jeunefemme glisse comme un bonsaï mal

entretenu, et le Maître bonsaï remontedans le temps. Une mécanique irréver-sible s’est enclenchée, qui s’achèveradans une épiphanie saisissante, où lespièces de la symbolique savamment dis-tillée tout au long du roman s’assemblentdans un tableau puissant. Écrivaind’une imagination inouïe, chroniqueur,fondateur du prix du Style, chargé demission au Sénat, essayiste, AntoineBuéno enseigne également l’utopie àSciences Po. Le Maître bonsaï est soncinquième roman. n

Métamorphose d’un Maître solitaireROMAN

Dans la tranquillité de sa boutique, le Maître bonsaï d’Antoine Buéno consacre son existence à cet art délicat,

fait de contrainte et d’équilibre, qui consiste à créer un paysage en pot. Mais pourquoi semble-t-il

si étranger au monde, et comme en dehors du cours naturel du temps ?

À 13 ans, Bennosuke remporteson premier duel contre unsamouraï accompli. Son père,

le grand Munisai Shinmen, qui nesemblait guère se soucier de sa pro-géniture depuis la mort tragique de sonépouse, voit alors en Bennosuke unhéritier digne de porter son nom. Il luitransmet son savoir et prépare sonesprit à l’impassibilité qui distingue lesgrands samouraïs.

ÉLÈVE DOUÉ, BENNOSUKE s’attire lesfoudres de l’héritier du clan Nataka, unseigneur tout-puissant déterminé à le tuer.Mais il devra aussi combattre ses pro-pres démons: l’ombre du mystérieuxpassé de sa famille, les secrets qui secachent derrière la disparition de sa mère,et, surtout, les doutes qui le gagnent peuà peu. La condition de samouraï estcertes prestigieuse, mais l’issue en estsouvent la mort par seppuku, un suicidefinement codifié auquel le moindre écartest considéré comme dégradant. Au fil

des aventures que lui réserve le destin,Bennosuke s’interroge sur le bien-fondé des traditions auxquelles il doit seplier. Est-il juste de vénérer la mort aupoint de la préférer au déshonneur?Ponctué de combats épiques et derebondissements haletants, le roman de

David Kirk nous entraîne dans unvoyage chevaleresque où la poésie etle raffinement voisinent avec la ven-geance et la violence la plus froide. Maisles incertitudes de son héros font aussidu Samouraï le récit d’un cheminementspirituel passionnant. n

Le samouraï philosopheROMAN

Inspiré par la figure emblématique de Musashi Miyamoto, samouraï de légende et auteur du célèbre Traité des Cinq Roues,

Le Samouraï dévoile un Japon féodal plein de beauté et de fureur. Professeur d’anglais résidant au Japon, David Kirk nous

embarque sur les pas d’un jeune guerrier idéaliste, aux prises avec un destin capricieux et avec les revirements de sa conscience.

© A

yako

Sat

o

4 L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

Cela fait 18 jours que Sarita aperdu toute trace de son mari,Kunal, disparu quand les pre-

miers attentats ont éclaté à Bombay.Depuis, les choses n’ont fait qu’em-pirer, au point que la mégalopolegrouillante est devenue un Far Westdangereux – les affrontements entrehindous et musulmans se multiplientdans la ville, et les Pakistanais mena-cent d’utiliser la bombe nucléaire.

OR KUNAL S’EST VOLATILISÉ sans don-ner de nouvelles, et Sarita part à sarecherche, bientôt accompagnée deJaz, un musulman qu’elle sauve de lalapidation et qui lui propose sonescorte. À moins que leur rencontren’ait rien de fortuit, et que Jaz nerecherche lui aussi Kunal pour des rai-

sons qui détruiraient le fragile bonheurque Sarita a patiemment construitavec son étrange mari, si mystérieux etsi peu pressé de consommer leurunion ? Absolument inclassable,Bollywood apocalypse navigue entreles genres et les registres : on ne saitjamais très bien si la guerre civile reli-gieuse qui déchire Bombay est un cau-chemar ou une farce, ou s’il faut rire ous’émerveiller du désir fou qui anime lestrois personnages, chacun en quêted’un bonheur improbable. C’est tout letalent de Manil Suri que de mêler inti-mement la tendresse et l’ironie.Instillant la sensualité la plus poétiquedans un thriller politico-religieux, lerythme et la profondeur dans unecomédie romantique, il signe un romand’une beauté époustouflante. n

Bombay par temps de fin du mondeTHRILLER

lier, jeune prophète encore méconnudans l’Empire, a été crucifié. Puissous les règnes de Néron, Titus,Hadrien, elle assiste aux terribles per-sécutions des premiers chrétiens et àla destruction de Jérusalem. revenueà Alexandrie, elle y devient copistedans la Grande Bibliothèque. Dessiècles plus tard, on la retrouvera àGrenade, Cordoue et Bagdad où ellese trouvera à l’origine des Mille et UneNuits. Elle participera enfin aux croi-

sades et voyagera jusqu’en Chine…Cette héroïne, immortelle malgré elle,cherche toujours et en vain à donnersa seconde dose d’élixir d’immortalitéà un humain qui la mériterait et l’ac-compagnerait dans sa traversée dessiècles. Stéphanie Janicot, avec lamême imagination créative que dansle premier volume, nous fait vivrecette biographie paradoxale avec la fer-veur d’une éternelle chercheuse enquête de sagesse. n

La Mémoiredu monde IIStéphanie Janicot576 pages, 25 €

D evenue la fille adoptive deCicéron, Sophia veille, après lamort de Cléopâtre, sur le des-

tin de Ptolémée Philadelphe, fils de lareine égyptienne et de Marc-Antoine.Elle n’en oublie pas pour autant sespropres filles de Judée… dont une cer-taine Myriam qui accouchera de celuiqui deviendra Jésus. Plus tard, à sonretour de Bretagne, où se sont établiscertains membres de sa lignée, elleapprendra que ce descendant singu-

Biographie d’une immortelle, suiteROMAN

À la fin du premier volume de La Mémoire du monde, à l’automne dernier, on avait quitté

l’héroïne de Stéphanie Janicot, Sophia-Merit, l’immortelle née sous la xvIIIe dynastie égyptienne,

au moment où elle s’occupait à Alexandrie de l’éducation des jeunes Ptolémées dont Cléopâtre,

fillette dure et orgueilleuse. On la retrouve dans ce deuxième volume à Rome.

Mondialement connu pour La Mort de Vishnou (2002), traduit dans 27 pays, et pour son best-

seller Mother India publié chez Albin Michel en 2009, Manil Suri revient avec un roman

bouillonnant d’aventure, d’humour et d’érotisme à fleur de peau. Alors que Bombay est sous la

menace d’une attaque nucléaire, un trio amoureux aussi insolite qu’attachant s’engage dans une

dangereuse course-poursuite…

© D

avid

Igna

szew

ski –

Kob

oy

Bollywood apocalypseManil Suri480 pages, 23 €n Du même auteur :Mother India512 pages, 22,30 €

5L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

Sahar Delijani est née dans une prison iranienne. Elle a passé son enfance en Californie

où ses parents ont immigré, et elle vit aujourd’hui en Italie. Dans ce premier roman

éblouissant et pudiquement inspiré par l’histoire de sa famille, elle raconte les destins

silencieux de trois générations de résistants dans l’Iran postrévolutionnaire de Khomeiny.

Le Christ selon l’AfriqueCalixthe Beyala272 pages, 19,50 €

Neda naît dans la prison d’Evinen 1983: ses parents, Azar etIsmael, ont été faits prison-

niers par les Gardiens de la révolu-tion, et sa mère accouche seule,après un interrogatoire, sans mêmepouvoir l’annoncer à son mari. L’unedes codétenues d’Azar était elleaussi enceinte au moment de sonarrestation, qui s'est passée devantson fils Omid, alors âgé de trois ans.Heureusement pour celui-ci, il gran-dit, comme tant d’autres orphelinsde cette génération sacrifiée, dansla maison tenue par Maman Zinat etpar Khaleh Leila : derrière les mursprotecteurs de leur foyer, ces deuxfemmes au cœur immense recueil-lirent une ribambelle d’enfants privésde leurs parents par la terriblerépression que mène alors le gou-vernement iranien contre ses« ennemis » de l’intérieur.

CE SONT EUX, LES ENFANTS DU JACA-RANDA : Neda, Omid, Sara, Forugh,Sheida, Dante, que ses parentsnommèrent ainsi en hommage àl’auteur de la Divine comédie ; cer-tains de ces enfants se marierontensuite en Iran, veillant à leur toursur Maman Zinat et sur Khaleh Leila,tandis que d’autres partiront en Italieou en Allemagne. Mais le souvenirdes combats menés par leursparents et par tous ceux qui sontrestés au pays les suivront où qu’ilsaillent. Sheida apprendra au boutde vingt ans que son père a étésauvagement assassiné lors despurges menées dans la prisond’Evin. Installée à Turin, Neda com-prendra que l’homme qu’elle aime,reza, est vraisemblablement le filsde l’un des tortionnaires de sa mère.

Les secrets lui ont volé son enfance,mais n’est-il pas temps pour Nedade se tourner vers l’avenir?

BALAYANT TRENTE ANS d’une histoiremarquée par la tyrannie et l’injus-tice, Sahar Delijani nous offre lepoint de vue subjectif et sensibled’une petite famille, de sang ou par-fois simplement de cœur et d’in-fortune, resserrée par la peur,l’emprisonnement, les assassinats,la guerre contre l’Irak. Dans unelangue poétique et empreinte d’unenostalgie tout orientale qui rappelleles plus belles pages du Prix Nobelturc Orhan Pamuk, elle signe unhommage plein d’humanité auxenfants du jacaranda et à traverseux, à tous les résistants iraniensmarqués au fer rouge par cestristes années, et qui n’en ont pasmoins continué de vivre, d’aimer etde donner la vie. « Un jour je t’em-

mènerai voir le jacaranda », décidefinalement Neda en serrant la mainde reza. En cours de traductiondans 21 pays, ce témoignage his-torique bouleversant marque l’en-trée en littérature d’une granderomancière. n

La fière mélancoliedu JacarandaROMAN

ÀDouala comme ailleurs, auxxIe siècle, les jeunes rêvent d’unfutur qui n’est pas forcément celui

qui les attend, et écoutent attentivementtoux ceux qui leur offrent une vision plusalléchante de l’avenir, en particulier lesprophètes qui brandissent la Bible et lesdiscours anti-Blancs. La jeune Boréaleles connaît tous, elle les croise chaquejour en allant travailler chez uneFrançaise qui est venue chercher enAfrique ce que les Camerounais rêventde trouver en Europe. Mais à vingt ansBoréale a des problèmes plus concrets,obéir à sa mère qui voudrait qu’elle porteun enfant pour sa tante, rompre avecson amoureux qui a suivi la fac mais vitdans la rue. Style énergique à l’appui,mêlant néologismes savoureux etmétaphores colorées, Calixthe Beyalanous dépeint la rue de Doualaaujourd’hui, celle du village planétaire oùdésir de consommer, course au profit,corruption riment avec désenchante-ment et fatalisme. Mais aussi celled’une Afrique déboussolée et néan-moins croyante, qui adore autant chan-ter les psaumes que Bob Marley, et dontl’incroyable vitalité épouse toutes lesespérances. n

Apocalypsejoyeuseà Douala

ROMAN

© A

lison

Ros

a

n Calixthe Beyala sera présenteau salon du livre de Limogesdu 4 au 6 avril.

Les Jacarandasde TéhéranSahar Delijani336 pages, 19,50 €

6 L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

C omment continuer à vivreaprès la Shoah? C’est la leçonde résilience que nous livre

Jean-raphaël Hirsch dans ce récitaussi poignant que truculent, mêlantsouvenirs d’enfance et témoignageshistoriques. Agent de liaison dès l’âgede neuf ans, en 1942, J.-r. Hirsch aéchappé à la déportation, contraire-ment à ses parents : sa mère a étéassassinée à Auschwitz et son pèreest revenu marqué à vie par cet enfer.

MÉDECIN RADIOLOGUE, originaire deroumanie, Sigismond Hirsch fut ungrand résistant, particulièrement actifdans les réseaux des organisationsjuives du Sud-Ouest de la France, àMoissac notamment, au sein des-quelles il a pu sauver quatre centsjeunes Juifs. Dénoncé et déporté àAuschwitz, il fut contraint de travailleravec Josef Mengele, dont l’évoca-tion est ici saisissante. À son retourde déportation, il prit une part consi-dérable dans l’instauration d’un sys-

tème social de soins médicaux quioffrit au plus grand nombre unemédecine conventionnée de qualité. Ce récit de vie, qui évoque avectalent les traumatismes conjoints dusurvivant et de l’enfant caché, estaussi une leçon d’espoir : survivre etconstruire après Auschwitz. n

Défendre l’humainaprès AuschwitzRÉCIT

J alousement gardé dans lasynagogue d’Alep depuis lexIVe siècle, le codex que les juifs

ont surnommé leur « Couronne » estconsidéré comme la copie la plusparfaite de la Torah connue à ce jour.En 1947, les Nations unies adoptentun plan de partage de la Palestine endeux États et des émeutes éclatentdans les pays arabes : la synagogueest vandalisée et incendiée, et lemanuscrit, partiellement brûlé et épar-pillé, commence un voyage clandes-tin jusqu’à son exfiltration, en 1957,par le gouvernement israélien aidédes services secrets du Mossad.

COMMENT LE CODEX est-il passé desmains des juifs d’Alep, qui ontensuite intenté un procès à l’Étatisraélien, à celles du président BenZvi, dont Matti Friedman détaille lesmanœuvres entreprises bien avantson élection pour s’approprier lemanuscrit ? Et pourquoi près de 200pages parmi les plus saintes man-quent-elles sur un total de 500,quand ont-elles disparu et qui les avolées ? La destruction d’un livreaussi précieux pourrait-elle être uncoup monté de l’intérieur? Montranttoute la valeur aussi bien symboliqueque scientifique de ce documentirremplaçable, Matti Friedman nousembarque dans une fascinanteenquête policière, où il lui faut en per-manence contourner les portes fer-mées, traquer les rares documentsofficiels et les quelques témoinsencore vivants. Doté d’un vrai talentd’écrivain, il dévoile l’histoire secrèteet souvent rocambolesque du texte

sacré le plus convoité du monde,«  victime des instincts qu’il devaittempérer, dévoré par les créaturesqu’il devait sauver ». n

judaïsme à laquelle on doit notammentdes ouvrages de référence sur FlaviusJosèphe et Philon d’Alexandrie, fait lepoint sur cette question délicate.Son Histoire du Messie se lit commeun roman, aussi s’en voudrait-ond’en trop dévoiler l’intrigue.Disons simplement qu’elle montrecomment l’idée messianique s’estdéveloppée lentement, au gré del’expérience historique, tout au longdes livres bibliques et apocryphes, dela Torah aux Prophètes, puis desLivres des Maccabées aux Écrits

intertestamentaires pour débouchersur l’Évangile. Encore l’histoire nes’arrête-t-elle pas là : tout comme lesÉvangiles canoniques ne sontqu’une étape dans l’élaboration dela christologie de l’Église naissante,la doctrine juive du Messie, quis’élabore en parallèle et en regardbien plutôt qu’en amont, connaît unelongue maturation depuis le Midrashet le Talmud jusqu’à Maïmonide etbien au-delà. C’est cette formidableaventure qui nous est là restituéeavec maîtrise. n

Qui a volé la plusvieille bible du monde?

ENQUÊTE

Le Messie, tout le mondeconnaît. Pour les chrétiens,Jésus est le Messie annoncé par

les Écritures et qui accomplit ces der-nières; et si les juifs, eux, l’attendentencore, au motif que l’état déplorabledu monde est bien le signe que leroyaume de Dieu n’est pas encoreadvenu, pour autant ils s’accordentavec l’Église pour dire que la foimessianique est un élément essen-tiel de la doctrine biblique. Mais est-ce vraiment le cas? MireilleHadas-Lebel, grande historienne du

Y a-t-il un Messie dans la Bible ?HISTOIRE

Réveille-toi papa,c’est fini !Jean-raphaël HirschPréface de Boris Cyrulnik672 pages, environ 24 €

Le Codex d’AlepL’étrange destind’un manuscrit sacréMatti Friedman352 pages, 22,90 €

Le codex d’Alep est la plus ancienne version connue

de la Bible hébraïque, texte fondateur de la culture

occidentale, dont une partie est manquante depuis

des décennies. Grand reporter spécialisé en religion

et en archéologie auprès du Times of Israel, Matti Friedman

lève le voile sur l’un des plus grands mystères de l’histoire

des recherches bibliques.

Depuis les années noires de la clandestinité et de l’horreur

d’Auschwitz, ce récit largement illustré relate les itinéraires

entrecroisés d’un père et d’un fils résistants, tous deux

médecins, animés par la défense de la même cause :

celle du progrès humain et du triomphe de la vie

7L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

Chrétiens persécuteursDestructions, exclusionset violences religieusesau IVe siècleSous la directionde Marie-Françoise BaslezEnviron 400 pages, environ 24 €n À lire aussi : La Malédiction d’AzazelYoussef Ziedan448 pages, 24 €

Une histoire du MessieMireille Hadas-Lebel 304 pages, 19,50 €

N é en 1935, Zeev Sternhellappartient à cette générationd’historiens du xxe siècle qui a

éprouvé dans sa chair les horreurs dela Seconde Guerre mondiale. Ainsi rap-pelle-t-il volontiers que sa ville natale,Przemyšl, dans la Galicie polonaise, futaux premières loges de l’« opérationBarbarossa » de juin 1941. Enfant res-capé de la Shoah – sa mère et sasœur furent, elles, assassinées –, il sesouvient de la liquidation du ghetto,d’où il réussit à s’enfuir avec l’un de sesoncles. Il passe la fin de la guerre sousune fausse identité, celle d’un petitPolonais catholique. En novem-bre 1946, grâce à la Croix-rouge, ilrejoint une autre partie de sa famille àAvignon où il fera ses études secon-daires avant de décider, à seize ans,de partir vivre en Israël. Militant de lagauche et de la paix, il a participécomme officier de Tsahal à la plupartdes guerres de l’État juif.

Le grand historiendes fascismesENTRETIENS

C et angle de vue impliqueimpartialité scientifique, étudeminutieuse des sources, et

réévaluation des événements dans lecadre de leur contexte – un contexteoù la liberté de conscience moderneet la non-violence étaient des notionsinconnues. Il n’est pas question ici deporter des jugements de valeur, d’ac-cabler telle religion ou au contraired’excuser tels comportements, cequi n’est pas le rôle des historiens. Ils’agit plutôt d’interroger les textes(dans quelle mesure les écrits apolo-gétiques des Pères comme Tertullienrelèvent-ils déjà de la violence?), d’enmesurer la portée (les menaces ont-elles réellement été mises à exécu-tion ?), de mettre à contributionl’archéologie, toujours avec une pru-dence méthodologique. Il est certainqu’à partir du règne de Constantin etde son « édit de tolérance », les chré-

tiens se sont petit à petit emparés deslieux de pouvoir sociologiques puispolitiques et religieux, et en ont fait unusage empreint de violence. Cette bru-talité s’est exercée simultanément àl’encontre de trois cibles (que d’ailleursle roman de Youssef Ziedan décrit trèsbien) : les juifs, les polythéistes et leschrétiens minoritaires, hérétiques ouschismatiques.

RÉUNISSANT LES MEILLEURS SPÉCIA-LISTES, et porté par une historienneréputée, ce livre apporte une contri-bution importante à la question de lapersécution dans l’Antiquité tardive ;il ouvre aussi une vraie réflexion sur laquestion de la tolérance religieuse aucœur de bien des conflits et débatscontemporains. n

Aux premierstemps de la violencechrétienne

HISTOIRE

Histoire et LumièresChanger le mondepar la raisonZeev SternhellEntretiens avec Nicolas WeillEnviron 300 pages, environ 21,50 €

Le superbe roman de Youssef Ziedan, La Malediction

d’Azazel, publié en janvier, mettait en scène la violence

verbale, politique et physique des chrétiens devenus maîtres

d’Alexandrie dans la première moitié du ve siècle. Hasard

du calendrier éditorial, un livre collectif d’historiens aborde

la même question, mais sous l’angle savant.

Peu connu du grand public, mais internationalement reconnu

pour ses travaux sur l’histoire du nationalisme français

et du fascisme, Zeev Sternhell rencontre Nicolas Weill

dans un long dialogue au cours duquel il retrace

son parcours. Son caractère tranchant et ses réflexions

percutantes n’ont jamais cessé d’interroger les racines

philosophiques et historiques des forces antidémocratiques.

n Zeev Sternhell et Nicolas Weilseront présents au Musée d'Art etd'Histoire du judaïsme le 10 avril à19h30 (www.mahj.org).

HOMME D’ARCHIVES ET DE LECTURES,Zeev Sternhell se veut résolument unhistorien des idées. La thèse forte, etcontroversée, de sa réflexion histo-rique – les origines intellectuelles dufascisme, qui fut certes un phéno-mène européen, doivent pourtantêtre situées dans l’Hexagone – lui avalu de nombreuses polémiquesdans le milieu des historiens français.Croire à la force motrice des idées(bonnes ou mauvaises), n’est-ce pasredonner tout son sens à ce que l’onappelle non seulement l’engage-ment, mais également la responsa-bilité des intellectuels ? Que ce soitpar ses prises de position sur leconflit israélo-arabe, sur l’État juif,sur le néo-conservatisme américainou sur le marxisme, Zeev Sternhell nese soucie jamais des modes, etconserve une attention aiguisée àl’actualité la plus brûlante. Il étaittemps de revenir sur sa vie et sonœuvre si singulières. n

DR

8 L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

Christiane RancéChristiane Rancé signe François, un pape parmi leshommes, une biographie attendue du pape à l’occasiondu premier anniversaire de son pontificat.

Pourquoi avez-vous écrit cette biographiedu pape François?J’étais à Buenos Aires le 13 mars 2013 lorsque JorgeMario Bergoglio a été élu. Je passe au moins un moispar an en Argentine depuis vingt ans. J’y ai effectuéde nombreux reportages. J’ai connu Jorge MarioBergolio au travers de l’immense travail qu’il a faitdans cette capitale lors du krach financier qui a plongéle pays dans le chaos en 2001. J’ai pu découvrir sonengagement, jusqu’aux bidonvilles, et l’incroyablevague de vocations que son exemple a suscitée.Par ailleurs, je suis aussi très attachée à la villed’Assise en Italie, et à la figure de saint François.Enfin, le portrait du pape me semblait paracheverla série de figures spirituelles auxquelles je me suisdéjà consacrée. Après Jésus, j’ai fait le portraitd’une figure héroïque avec Simone Weil, d’une figureartistique avec Léon Tolstoï. Le pape Françoisest à mes yeux la figure de sainteté qui manquaità la trilogie telle que l’a imaginée Bergson.

Qu’est-ce que votre livre apporte de plusà ce qu’on connaît déjà?Un portrait de l’homme. Je suis partie d’un constat :à chacune de ses décisions ou de ses déclarations,depuis qu’il a été élu, les hypothèses les pluscontradictoires ont été posées. Il était ultra-progressiste, puis d’un seul coup, conservateur.Ingénu, puis rusé. Bavard ou taiseux. Or, il suffitde comprendre qui est Jorge Mario Bergoglio, quelleest sa vision profonde du monde tout d’abord, puiscelle de l’Église ensuite, pour effacer toute ambiguïté.Il ne sert à rien d’examiner à la loupe chacunedes actions ou des déclarations du pape, si cet élémentessentiel, l’homme, est absent des outils d’analyse.Ce que mon livre apporte, c’est la réponse

aux questions récurrentes que les médias, le public oules fidèles se posent, parce que le pape François y adéjà répondu par toute son existence en Argentine.Enfin, j’ai voulu montrer aussi commentle père Bergoglio y a répondu : en incarnant l’Évangile.

Qu’en est-il des zones d’ombre que son électioncomme souverain pontife a révélées, ainsises positions pendant la dictature? Y répondez-vousou nous donnez-vous à lire une hagiographie?Comme le disait Talleyrand : « Plus forte quela calomnie, la vérité. » Il fallait tout dire, sans rienomettre. Cela dit, il y avait une autre question quise posait sur cette affaire de prétendue complicité avecla junte militaire : pourquoi vouloir salir Jorge MarioBergoglio ? Qui était à l’origine de cette campagne ?Dans quel intérêt? C’est ce que je révèle. L’enquêteque j’ai menée dans l’histoire de sa vie, et dansl’histoire de l’Argentine, m’a également permis desaisir un élément essentiel du magistère de François :sa capacité à réformer la curie d’une part, et ainsirenouer une histoire d’amour et de foi entre l’Égliseet les fidèles ; son habilité à faire de nouveau entendrela voix de l’Église dans le concert des Nations d’autrepart, et l’intérêt que nous aurons à lui tendre l’oreille.Pourquoi ? Parce que l’Argentine, qui est un pays trèsriche, a affronté une décennie avant elles ce quel’Europe et la curie affrontent aujourd’hui : l’extrêmeviolence d’une crise financière, l’extrême pauvreté,la question d’une identité et des valeurs qui la fondent,enfin, pour la curie, la corruption, le délitementdes valeurs, et la défiance des fidèles pour sesdirigeants. À toutes ces crises, l’Évangile à la main,le pape François a déjà trouvé des solutions. n

Trois questions à n n n

© F

ranç

ois

Lolli

chon

Panikkarl’universel

SPIRITUALITÉ

L’Expérience de Dieuraimon Panikkar224 pages, 6,90 €n Du même auteur :Entre Dieu et le cosmos288 pages, 8,50 €

D isparu presque centenaire en2010, raimon Panikkar (dont leprénom catalan et le patronyme

indien reflétaient bien ses deuxsources généalogiques et spirituelles)fut certainement l’un des plus grandsthéologiens chrétiens de la deuxièmemoitié du xxe siècle. Catholique, ill’était (et même prêtre), mais en rap-pelant toujours le catholicus id estsecundum totum de saint Augustin :sa foi se voulait ordonnée « selon letout », c’est-à-dire voie d’accès au toutde l’homme et du monde. Il necherche donc pas, dans cet essai, àdéfinir ce «  Quelqu’un  » ou ce« Quelque chose » doté de tel ou telattribut, qui pourrait correspondre aumot Dieu.

MAIS IL NOUS EN PARLE AVANT TOUT

comme d’une expérience qui n’est lemonopole d’aucun système religieux,d’aucune Église, d’aucune culture.Faire l’expérience de Dieu, c’est accé-der à une dimension de la réalité quitranscende ce que captent et l’intel-ligence et les sens. Cette approche duréel ultime n’est pas une question decroyance, mais une dilatation de la viequi devient plus pleine et plus libre. n

François, un papeparmi les hommesChristiane rancé288 pages, 19 €

9L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

n Dans son dernier livre, Cinq méditations sur la mortautrement dit sur la vie, François Cheng montre tout soncaractère, tant ses ouvrages lui ressemblent : mélanged’humilité non feinte et d’érudition généreuse.

Mohammed Aissaoui, Le Figaro

n Un livre d’une incroyable profondeur, sans pour autant quel’auteur ait la prétention de faire le tour d’un sujet qui épuiseassez vite les ambitions de la connaissance humaine.

Bruno Frappat, La Croix

n L’humble poète se change en interlocuteur de Dieu.Il va jusqu’à se demander avec audace si nous n’avons pasété créés à cette fin… Ses Cinq méditations sur la mortchantent le triomphe de la vie.

Jean d’Ormesson, Le Figaro

n À 84 ans, François Cheng convie chacun à cette conversiondu regard. Auteur d’une œuvre poétique majeure, penseurnourri de la Chine comme de l’Europe, il puise les élémentsde cette série de méditations dans son expérience personnellecomme dans ses lectures.

roger-Pol Droit, Le Monde

n Poète, pétri de tradition taoïste, formé à la philosophieoccidentale, François Cheng offre cinq merveilleusesméditations, chuchotées à l’oreille de ceux qui souhaitentne pas se contenter d’une morne existence.

François Busnel, L’Express

n Son dernier essai Cinq méditations sur la mort autrementdit sur la vie, texte tout en légèreté d’écriture et profondeurde pensée, nous propose d’inverser notre regard sur la mort…Soyons donc prodigues de notre existence : au bout du compte,c’est la vie qui l’emporte, toujours.

Christilla Pellé Douël, Psychologies

n François Cheng nous parle au-delà de ses mots.Sa voix rauque, rythmée, nous transmet un souffle ancien,immortel et absolument personnel, qui s’inspire de l’aventurede la passion et de l’amour.

Silvia Baron Supervielle, L’Humanité

n Un livre à la fois très singulier et très beau… Philosophieet poésie, spiritualité et religion, Chine et Europe s’y rencontrentet s’y fondent en un tout unique. Avec ces cinq méditations,François Cheng livre par touches successives sa vision

de l’existence, faite à la foisde tradition et de hardiesse,où seul « le grand vent,indique le poème final, fixe enfinton chemin ».

roger-Pol Droit, Le Point

C inq femmes, cinq regards, celui del’écrivain, du philosophe, du méde-cin, de la théologienne et de l’éco-

nomiste. Cinq regards pour mieuxcomprendre, au-delà de la douleur, le sensde l’épreuve et scruter, au-delà des hori-zons incertains, l’espérance qui advient.Ces cinq éloges disent ainsi la traverséede l’épreuve – celle de la rupture, du tra-gique, des larmes, de la solitude et dumanque.

FAIRE UN ÉLOGE DE L’ÉPREUVE alors que rienne semble davantage manquer de sens?Faire un éloge de ce qui terrasse? De cequi effraie et paralyse? Oui, il fallait biences éloges, réunis, pour retrouver du sens;il fallait bien la forme de l’éloge, a prioriparadoxale, pour combattre la peurqu’engendre toute épreuve. Il fallait biences éloges pour apercevoir la force quel’épreuve donne lorsqu’elle est traversée,et la faiblesse qu’elle induit lorsqu’elle estredoutée. Il fallait bien briser le miroir denotre goût moderne pour la sécurité et lebonheur individuels et en révéler l’artifice :« La tentation du repli et du confinementdans le cocon du même n’a de cesse dese répéter », écrit Sylvie Germain, alorsqu’il faudrait oser « partir au large de soi ».

LES TEXTES QUI COMPOSENT CET OUVRAGE

sont une magnifique lutte contre la peur dela peur. Dans une fuite effrénée pour éviterles épreuves, nous oublions à la foisqu’elles sont au cœur même de l’existenceet qu’au cœur même de cette existence,se trouve ce « désir radical de vivre », dit laphilosophe Nathalie Sarthou-Lajus, cetteforce qui nous permet de ne pas êtreanéantis par l’épreuve, mais de la traverser. Ni la blessure, ni la douleur, ni les larmesne sont la fin ultime, elles sont aucontraire le lieu d’un renversementinsoupçonnable : de la peur à l’espé-rance, du repli au mouvement. «  Leslarmes portent l’impossible jusque dansla joie », dit Anne Lécu, en notant qu’aucœur de l’épisode de la Passion, il y a leslarmes de Jésus. De même la solitude,lorsqu’elle n’est pas une simple désola-tion, est le lieu « d’un dépassement de

l’incomplétude foncière de l’humain  »,souligne Véronique Margron.

CES CINQ FEMMES, réunies par robertScholtus, pour prononcer dans la cathé-drale de Metz les conférences deCarême*, ont osé puiser une force dansles paradoxes que soulèvent lesÉvangiles, elles font place au manque,non pour le sacraliser, mais pour le regar-der en face. C’est alors qu’il permetd’accueillir le radicalement nouveau,relève l’économiste Elena Lasida, qui lerelie à une réflexion sur la crise, qu’ellesoit collective ou individuelle : c’est « unvide qui emmène ailleurs, au-delà de sesapparences », « un miracle de la vie quitraverse la mort, un miracle que nousvivons chaque fois que nos absencesdeviennent le lieu d’une nouvelle pré-sence  ». Il fallait bien ces cinq élogespour accueillir cette présence qui serévèle dans l’inespéré. n

Cinq raisonsd’espérerESSAIS

Cinq éloges de l’épreuveSylvie Germain, Elena Lasida,Anne Lécu, Véronique Margron,Nathalie Sarthou-Lajus162 pages, 15 €

La presse en parle n n n

Cinq méditationssur la mort autrementdit sur la vieFrançois Cheng180 pages, 15 €

* Cathédrale de Metz,le dimanche à 15 heures• 9 mars : Nathalie Sarthou-Lajus,Éloge du tragique

• 16 mars : Véronique Margron,Éloge de la solitude

• 23 mars : Sylvie Germain,Éloge de la rupture

• 30 mars : Anne Lécu,Éloge des larmes

• 6 avril : Elena Lasida,Éloge du manque

10 L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

C’est d’abord le récit d’unefemme et d’un homme quise trouveront « par hasard »

visiter et accompagner pendant dixans un condamné à mort au Texas,jusqu’à son exécution. Hasard : desamis soutiennent deux condamnésà mort américains. Danièle et Renéadhèrent à l’association à laquelleces amis appartiennent, pensantqu’ils pourront juste écrire auxcondamnés de temps en temps.Puis un de leurs enfants déménagepour quelques années aux États-Unis, à une heure et demie de laprison de Rickey Lynn Lewis.Ils décident alors d’aller le visiter… J’ai été sensible dèsle début à leur attitude : nireportage, ni militance, ni expertise,ni charité. Des convictions fortessur les systèmes déshumanisants,aucun jugement sur les personnes.Que cherchaient-ils ? À êtreprésents à autrui là où la justiceoutrepasse les lois de l’homme.Le lecteur de ce récit est convoquéde la même façon à lire avecson intelligence sensible, sonexpérience du bon et du mauvais,son désir de trouver plus de vie.Un jour, ils apprennent que, tout

recours épuisé, Rickey Lynn Lewisdoit être exécuté au printemps.En février 2013, Danièle voit surl’ordinateur le nom de Rickeydans la liste des exécutions avecla date : 9 avril. C’est alors que jesuis appelée pour les accompagneren pensée et en courrier, jusqu’àla mise à mort…J’ai le sentiment d’une cordéevers le sommet le plus mystérieuxde nos vies. Pour cette ascension,les deux visiteurs et le condamnéont besoin de retourner au campde base, trouver de la nourriturepour le cœur, des outils pour lapensée. Dans ce camp, des livres,des auteurs proches : MauriceBellet, Annick de Souzenelle, moi…Des paroles d’autres aussi : unNelson Mandela, un Jean de laCroix… sont avec nous. Ce quenous cherchons tous : cerner laviolence, en sortir, trouver dessources de sens partout où ellespeuvent être enfouies : écrituresbibliques hébraïques, évangéliques,relues à la lettre, mises en relationavec les expériences de vie. Dansce que nous avons pu trouver lesuns et les autres, Danièle et Renépuisent, et ils donnent à Rickey qui

à son tour s’approprie – rend propreà lui – ce qui lui est ainsi transmis.L’usage que tous trois font, dansune telle circonstance, de nosrecherches m’impressionne et metouche infiniment. Ils confirmentnos avancées en inventant les leurs.Ils s’appuient sur nos travaux entrouvant des chemins nouveaux…Ce livre nous conduit du lieu le plusétroit – la cage de verre où uncondamné à mort est placé lorsdes visites – vers l’infini. Il nous faitpasser de la suppression totalede liberté, même celle de vivre,à une souveraineté que nul ne peutravir à celui qui y accède. Passerdu meurtre perpétré par hainelégale – acte d’un système sansauteur – à ce que la relationhumaine peut accomplir de plusfort : la naissance d’en haut.À travers tout.

Extraits de la préfacede Marie Balmary.

Marie Balmary a lu n n n

A près nous avoir fait découvrir del’intérieur la vie spirituelle ortho-doxe au Mont-Athos dans La

Presqu’île interdite, Alain Durel nousinvite à poursuivre son épopée enterres hellènes avec L’Archipel dessaints. Épopée à vrai dire autant mari-time que terrestre, puisqu’il parcourtpour nous Corfou, Mytilène, Samos,Patmos, Tinos, Égine, Santorin, Eubée,Andros: éparpillées ou en chapelet, cesîles aux noms enchanteurs qui parsè-ment les mers Ionienne et Égée furentet sont encore le lieu d’une expé-rience religieuse et mystique intense.

LE DESTIN DU CHRISTIANISME EN GRÈCEmêle la grâce de l’intemporel et le tra-gique de l’histoire ainsi que le montreà merveille cette galerie de portraits tousuniques, irréductibles à un « modèle desainteté  ». De fait, si ces «  saints  »modernes et contemporains sontexemplaires, ils sont tous hors-normes,inimitables – surtout le dernier, un « fol-en-christ » irrévérencieux qui n’a pas sonpareil pour réveiller les consciences.L’Archipel des saints est une superbeintroduction à la Grèce et à son esprit,d’hier et d’aujourd’hui. n

Saintetéet foliesous le soleilde Grèce

ORTHODOXIE

L’Archipel des saintsAlain Durel234 pages, 16 €n Du même auteur : La Presqu’île interdite256 pages, 7,70 €

La Souffrance et la grâceRécit d’une exécution

de Danièle et René Sirven

La Souffranceet la grâceRécit d’une exécutionDanièle et rené Sirven176 pages, 15 €

John

Fol

ey/A

genc

e O

pal

e

11L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

V oici un petit livre qui aurait pus’intituler « Manuel de ré-infor-mation ». Point par point, en

s’attachant avant tout aux faits, ildéconstruit en effet la désinformationqui court partout en Occident concer-nant l’islam et les musulmans.L’auteur n’est ni militant antiraciste, nihomme politique… ni musulman.John r. Bowen est anthropologue àla Washington University of SaintLouis, auteur de plusieurs livres sur l’is-lam, dont L’Islam à la française(Steinkis, 2011). Spécialiste reconnude la réception et de l’acclimatationde l’islam en Europe et aux États-Unis,il a notamment enseigné à l’IEP deParis et à la London School ofEconomics.

SON COURT ESSAI, étayé par de nom-breux exemples tirés de l’actualité laplus récente, accessible à tous, s’at-tache à démonter nombre de lieuxcommuns de la rhétorique antimu-sulmane dont se nourrissent les dis-cours de certains politiques etintellectuels. Parmi leurs leitmotive,

trois sont lancinants : le constat deséchecs de la diversité culturelle ; laprésentation de l’immigration musul-mane comme une menace pourl’Occident et ses valeurs ; la dénon-ciation d’une prétendue substitutioninsidieuse et progressive de la cha-ria aux législations nationales. Endéconstruisant ces charges approxi-matives, Bowen espère contribuer aurecul de l’ignorance sur laquelle pros-pèrent cette rhétorique et le rejet desmusulmans qu’elle alimente. n

Décryptagede l’islamophobieESSAI

L e soufisme fascine l’Occident etce, depuis des siècles. Il estcette face bienveillante, spiri-

tuelle et universaliste d’un islam parailleurs toujours considéré avecméfiance; plus encore, pour nombred’Européens déçus de la dogmatiquechrétienne et des pesanteurs ecclé-siales, il a représenté et continue dereprésenter une voie d’accès mystiqueau divin qui ne s’embarrasserait ni d’ir-rationnel (la base islamique constituantun monothéisme « pur ») ni de com-promissions temporelles. Il y a certai-nement du vrai dans cette figure, maiselle est largement façonnée par l’ima-ginaire occidental qui s’est construit àpartir des textes des grands auteurssoufis plutôt qu’au contact de la réa-lité des confréries, c’est-à-dire desmusulmans qui vivent le soufisme auquotidien depuis des générations.

C’EST ENTRE AUTRES À COMBLER CETTE

LACUNE que vise le livre d’AlbertoFabio Ambrosio, La Confrérie de ladanse sacrée. Plutôt que de prendreisolément l’enseignement de rûmî,le célèbre auteur du Mesnevi, il mon-tre comment il a donné naissance àune confrérie, la Mevleviyye – lescélèbres « derviches tourneurs » avecleurs rituels, leurs traditions et leurinscription dans l’histoire de l’islam,ottoman et turc en particulier. De ladanse au zikr en passant par la sym-bolique des habits et à l’architecture

des tekke (les «  couvents  » de laconfrérie), sans oublier ni l’enseigne-ment du fondateur ni les tribulationsdu mouvement à l’époque d’Atatürket de la lutte contre le pouvoir socio-politique des confréries, l’auteur, émi-nent spécialiste, nous livre unesynthèse admirable et accessible. n

cées et commentées, constituent unvéritable «  évangile musulman  »qui éclaire d’un jour nouveau leJésus de l’islam, son enseigne-ment et sa spiritualité. Ce n’est pasun hasard si ce titre, aujourd’huiréédité en poche, avait il y a plus dedix ans été choisi comme volumeinaugural de la collection « L’Islamdes Lumières ».

TOUS CEUX QU’INTÉRESSE LE DIA-LOGUE DES CULTURES seront pas-sionnés par cette brillante analysed’un phénomène unique dans l’his-toire des religions : la figure cen-trale d’une tradition, assimilée et

réinterprétée par une autre, en estdevenue un objet de foi fonda-mental, d’une étonnante féconditéspirituelle. n

La ronde envoûtantedes derviches tourneurs

SOUFISME

O n sait la place éminente quetient le personnage de Jésusdans le Coran. Mais le

contenu même de la traditionmusulmane concernant le « fils deMarie  » avait été peu étudié. Unmusulman nommé Jésus, de l’his-torien d’origine palestinienne TarifKhalidi, vient avec brio comblercette lacune, puisqu’il constitue laplus importante collection jamaisréalisée de paroles attribuées àJésus et de récits de ses faits etgestes, issus de la littérature clas-sique de l’islam. L’auteur a réalisé làun travail unique : ces quelque troiscents citations, dûment référen-

Un étrangeÉvangile musulmanISLAM

L’Islam, un ennemi idéalJohn r. Bowen144 pages, 12 €

Un musulmannommé JésusTarif Khalidi272 pages, 7,70 €

La Confrériede la danse sacréeLes derviches tourneursAlberto Fabio Ambrosio240 pages, 7,70 €

À voir sur France 2n Le 6 avril à 11h30 sur France 2sera diffusé le film « Corps exécuté »de Marie Viloin, dans le cadre del’émission « Le Jour du Seigneur ».Ce documentaire (dernier de la série« Corps et âmes » diffusé àl’occasion de Carême), qui retrace leparcours de Danièle et René Sirvenavec Rickey Lynn Lewis (cf. pageprédédente), sera ensuite accessiblesur www.lejourduseigneur.com etdisponible fin avril en DVD.

12 L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

Contes des petitsriens et de tousles possiblesJacques Salomé368 pages, 22,50 €

Si le chant des baleiness’éteignaitMenaces sur lesmammifères marinsJean-Pierre Sylvestre336 pages, environ 22 €

E t d’abord, que connaissons-nousde leur diversité? Baleines,cachalots, dauphins, marsouins,

mais aussi lamantins, phoques, loutresde mer, tous ont adopté des modes devie comparables, aujourd’hui fragiliséspar la chasse, la surpêche, la pollution,comme par certains déséquilibres envi-ronnementaux dont l’homme n’estpas toujours le seul coupable. Des idéesfausses circulent également : lesfameux bébés phoques chers auxmédias appartiennent-ils à une espècemenacée de disparition? Certainementpas. Tandis que les dauphins fluviauxse raréfient et disparaissent progressi-vement dans l’indifférence générale…

JEAN-PIERRE SYLVESTRE, spécialistedes mammifères marins, reconnuinternationalement et aventurier dela science naturaliste, nous fait par-tager dans cet ouvrage ses passionsvécues sur le terrain, tout en élargis-sant notre vision et nos savoirs surces familles animales à la réalité sou-vent méconnue au-delà d’images

stéréotypées. Dans un style alerte,vivace, évitant un langage tropsavant, il nous entraîne à sa suitedans les océans et les grands fleuvesdu monde entier, et nous invite à uneimmersion passionnante dans ununivers si totalement attachant. n

Quelles menacessur les mammifères marins?NATURE

I ndissociables de son travail psy-chologique, Jacques Salomé aécrit plusieurs recueils de contes

qui furent de grands succès dont :Contes à guérir et à grandir, Contesà aimer et à s’aimer… Comme le ditHenri Gougaud, «  Les contes neparlent pas du monde de l’enfance,mais de l’enfance du monde ».

LES CONTES REMPLISSENT UNE FONC-TION SYMBOLIQUE IMPORTANTE, essen-tielle pour nous permettre de nousréconcilier non seulement avec notrepassé mais aussi avec notre vieactuelle. Un conte peut permettre dese découvrir, peut-être aussi de s’ac-cepter. Un conte peut révéler un non-dit, un secret indicible qui taraudel’aimé ou l’aimée. Un conte peutnous entraîner dans quelques-uns

des méandres de nos origines, don-ner l’occasion à une blessure ouvertede notre enfance de se cicatriser etdonc de ne plus polluer une relationconjugale ou familiale conflictuelle… Dans ce livre, Jacques Salomé pro-pose aux enfants, et aux ex-enfantsque nous sommes tous, des contesqui nous relient à l’immensité d’unsavoir universel dont chacun d’entrenous est partie prenante, même sinous ne le savons pas toujours. Cescontes ont le pouvoir de nous éclairersur quelques-uns des mystères de lacondition humaine et nous donnentainsi accès à une compréhensionplus nuancée et plus authentique denotre histoire personnelle pour nousaider à grandir de l’intérieur et donc àmieux vivre. n

Redécouvrir l’enfantqui est en nous

CONTES

Agenda n n n

n Le spectacle Quatre petitsbouts de pain, adapté du livre deMagda Hollander-Lafon, et créépar Actant-scène (mise en scèneLaure-Marie Lafont) sera donnéen avant-première en présence del’auteur les vendredi 21 mars 2014 à20 heures et dimanche 23 mars à15 heures à l’Espace QuartierLatin, 37 rue de Tournefort, Paris5e. renseignements etréservations: 06 70 635 635,[email protected].

n Lytta Basset présentera sondernier livre Oser la bienveillancele 25 mars à la libraire Kléber deStrasbourg (0388320388), le31 mars à la librairie La Boîte àlivres de Tours (0247050567)le 2 avril à la librairie La Procurede Paris (0145482025) etle 8 avril à la librairie UOPCde Bruxelle (0032(2) 648 96 89)

n Cyrille Javary présenterason dernier livre La Souplessedu dragon. Les fondamentauxde la culture chinoise le 3 avrilà la librairie Mollat de Bordeaux(05 56564040)

n Olivier Raurich présenterason livre La Voie dubouddhisme au fil des jours le29 avril au Centre universitaireméditerranéen de Nice(04 97134610)

Tout le monde en a entendu parler : les mammifères marins

sont en danger. Mais savons-nous vraiment quelles sont

les menaces qui pèsent sur la survie de ces animaux,

souvent imposants, qui ont élu domicile au fond des eaux

ou y trouvent leurs ressources exclusives ?

On ne présente plus Jacques Salomé, auteur d’une œuvre

prolifique entamée il y a plus de trente ans avec

Je t’appelle tendresse, et qui a aidé des millions de lecteurs

à se réconcilier avec eux-mêmes et leur entourage à travers

la communication – on pense notamment à Heureux

qui communique (1993) ou encore à Papa, maman,

écoutez-moi vraiment ! (1989).

13L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

La Libelluleet le philosopheAlain Cugno192 pages, 6,90 €

Deviens qui tu esQuand les sages grecsnous aident à vivreBertrand Vergely352 pages, 19 €n Du même auteur :Retour à l’émerveillement336 pages, 18,80 €La Foi ou la nostalgiede l'admirable160 pages, 6,90 €

L e philosophe Alain Cugno nour-rit depuis toujours une passioninsolite pour les libellules, qu’il

observe, à chaque saison, desheures durant. Sous ses yeux, elles sedonnent sans réserve à une vie explo-sive, brillante, aérienne. Elles viennent,s’en vont ailleurs. Elles sont le déta-chement même. Elles ne tiennent àrien, sinon à s’en aller. Leur liberténous fascine. Loin des bruits du monde, l’auteurnous invite à suivre le vol fragile deslibellules et, chemin faisant, à philo-sopher – sur Dieu, la beauté, letemps… Et aussi sur nous-mêmes.Ainsi qu’il l’écrit notamment :

Les animaux sont des êtresénigmatiques parce qu’ilssont entièrement présents, là

où ils sont. Fondamentalement affir-matifs, ils avancent leurs formes etleurs couleurs comme des évidencesirréfutables. Ils n’ont pas été fabriquésde main d’homme – ils sont là, ilssont ce qu’ils sont et pourtant com-pliqués, organisés. Aussi compliquéset organisés que des phrases, et l’im-pression est renforcée par la régularitéqui, généralement, préside à leursformes et à leurs couleurs ; commes’ils étaient les exemplaires de l’édi-

tion ne varietur d’un même livre quenul ne pourrait lire ailleurs qu’en sessignes : telle tache à tel endroit pré-sente sur tous les individus de telleespèce. Comme s’ils cherchaientà dire quelque chose qui n’apas même besoin d’êtretraduit.

Lumineux et sensible, illustré des pro-pres dessins de l’auteur, ce livre estune méditation sur le bonheur. Saprofondeur nous habite longtempsaprès l’avoir refermé. n

Berceau de notre civilisation, lecœur de la Grèce antique conti-nue de battre dans notre

monde moderne. Ses héritages sontvisibles dans notre architecture, dansnotre langue, mais ils se retrouvent bienplus profondément dans les idéaux quinous animent, explique BertrandVergely. Dans des domaines aussiessentiels que notre manière d’ap-préhender la Nature, le sens de la viejuste ou la part de tragique que portetoute existence humaine, noussommes à la recherche d’un équilibreentre nos aspirations à l’absolu etl’écoute d’un réel qui nous dépasse.Or les Grecs appelaient philosophie larecherche d’un tel équilibre. Montrantque des éléments de notre modernitéaussi hétéroclites que le Planétariumde la Villette, les égouts de Paris, le per-sonnage de Coluche ou même leCrazy Horse trouvent des correspon-dances troublantes dans l’Antiquité,Bertrand Vergely parcourt en unetrentaine de chapitres rythmés l’en-semble des grandes interrogationsexistentielles, des plus classiques – lanature, l’âme et le corps, le beau, lebien ou le bonheur – aux pluscontemporaines – l’amour, le scandale,la démesure ou le relativisme. Auteurd’une vingtaine d’ouvrages, dont La

Foi ou la nostalgie de l’admirable etRetour à l’émerveillement, tous deuxpubliés chez Albin Michel, BertrandVergely signe ici un manuel de philo-sophie ludique et réjouissant, quimontre que malgré notre individualismeapparent, nous sommes toujours enquête de cet inépuisable mystère queles Grecs nommaient sagesse. n

Redécouvrir un classique d’Albin Michel

Les Indiens des Plaines de Paul H. Carlson

Du 8 avril au 20 juillet, le musée du QuaiBranly accueille l’une des plus importantesexpositions jamais consacrées en Franceà la culture des Indiens des Plaines.L’occasion de (re)découvrir, par-delàles clichés et images d’Épinal, l’une descultures les plus dynamiques de l’Amériqueindienne, qui n’a eu de cesse d’évolueret de s’adapter aux circonstances.C’est notamment possible grâce au livrede Paul H. Carlson, un historien américainqui a longtemps enseigné dans uneuniversité du Texas et qui a consacré

de nombreuses années à étudierces cultures et à aller à la rencontredes différentes tribus, à travers tout l’Ouestaméricain. On comprend, en lisant son livreà la fois vivant et érudit, pourquoices peuples –Sioux, Cheyennes, Crows,Comanches, Pieds-Noirs… – ont autantimpressionné ceux qui les ont rencontrés,trappeurs, voyageurs, écrivains, artistesou militaires. Ils incarnaient à la perfectionce sentiment de liberté, cette communionavec la Nature et les éléments, le mondeanimal et végétal, qui était au cœur de leur

spiritualité et de leurs cérémonies.C’est un monde fascinant à la découverteduquel nous entraîne l’auteur : il y est toutautant question d’organisation sociale,politique, économique, militaireou religieuse que de culture matérielle.De la préhistoire à nos jours, où les tribusdes Plaines redonnent vie à leurs traditionssur les réserves, l’historien américainretrace les grands moments d’une aventurehumaine, où le choc des cultures,notamment au moment de la Conquêtede l’Ouest, tient une large part.

La Grèce nous habiteART DE VIVRE Métaphysique

des odonadoptèresPHILOSOPHIE

320 pages,22,30 €

14 L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

Dolto, L’art d’êtreparentsL’éducation,la parole, les limitesÉlisabeth Brami etPatrick Delaroche224 pages, 17 €

Autisme : comment rendreles parents fous !Catherine VanierEn collaboration avecBernadette Costa-Prades192 pages, 15 €

Catherine Vanier, psychanalyste,docteur en psychologie,constate chaque semaine dans

son cabinet l’immense désarroi danslequel ce diagnostic extensif plonge lesparents, en englobant aussi bien lesenfants atteints de la forme la plusgrave d’autisme que ceux qui ont sim-plement des problèmes relationnels :dès lors, les parents inquiets ne retien-nent que l’hypothèse la plus drama-tique et se mettent à poser un regarddifférent sur leur enfant.

AUSSI GRAVE : LA QUERELLE DES

APPROCHES. Faut-il consulter un psy-chanalyste, un cognitiviste, un com-portementaliste ? Chaque courantdéfend sa chapelle, au mépris de lasouffrance des familles. Car de nom-breux spécialistes, toutes tendancesconfondues, les renvoient à leur res-ponsabilité, avec toute la culpabilitéqui l’accompagne : « Si vous privilé-giez telle démarche, ne comptez plussur nous pour suivre votre enfant ! »déclarent-ils en substance. Lesparents deviennent littéralement«  fous  » d’angoisse, victimes d’unedouble peine : avoir un enfant qui

souffre, et être désignés coupables sison état se dégrade !

EN CROISANT ANALYSE ET TÉMOIGNAGES

de parents effondrés recueillis parBernadette Costa-Prades, CatherineVanier dénonce une véritable maltrai-tance, tant des enfants que desparents. Avec ce livre salutaire ellelance un véritable cri d’alarme. n

Autisme : le désastrede la surenchère

QUESTIONS DE SOCIÉTÉ

Avec le DSM Iv (le dernier Manuel diagnostique et statistique

des troubles mentaux, publié par la Société américaine

de psychiatrie) l’autisme est passé de 1 cas pour 10000 dans

les années cinquante, à 1 cas pour 100! Non, il ne s’agit pas

d’une épidémie mais d’un diagnostic scandaleusement extensif.

R eprenant ici ses textes les plusconcrets tirés de ses inter-ventions dans les médias,

Élisabeth Brami, psychologue-clini-cienne, et Patrick Delaroche, pédo -psychiatre et psychanalyste, ontvoulu dans ce livre salutaire situerFrançoise Dolto dans la lignée desgrands penseurs de l’éducation. Ilsmontrent combien elle insista sur leretour au bon sens, au respectmutuel, à la confiance et à l’appren-tissage précoce des limites, en abor-dant les problèmes du quotidien.Contrairement aux idées reçues, il n’ya chez elle ni laxisme, ni laisser-aller,ni culpabilisation des parents, maisdes règles de vie fondatrices quis’opposent au dressage à l’ancienne.Elle restitue constamment les placesrespectives (et respectueuses) desgénérations et de chacun : l’enfant nedoit pas être au centre de la famille,mais à la périphérie du couple. Elledéfend le cadre, la frustration biendosée, l’apprentissage des limites.Pour elle, humaniser le petit d’homme– une personne à part entière en deve-nir qui a besoin d’être éduquée – c’estle nourrir au «  lait du langage  » :écouter son désir, sa souffrance, lui

signifier la loi et la frustration avec auto-rité mais sans autoritarisme. Elle quin’a jamais prôné l’enfant-roi serait lapremière à s’élever contre le pouvoirdonné aux enfants aujourd’hui. réentendre la voix de FrançoiseDolto donne au lecteur l’occasion derepenser son rôle, de reprendre saplace, et de le faire en confiance. n

Non, Dolton’était pas laxiste !PSYCHOLOGIE

Françoise Dolto défendait la Cause des enfants et celle

des adolescents, mais la cause des parents lui importait

particulièrement. En « médecin d’éducation »,

c’est aux adultes qu’elle s’adressa souvent, désireuse

de leur transmettre l’art d’« éduquer avec des mots ».

À ne pas manquer n n n

n Après Cinq méditations sur la beauté déjà à leur catalogue, les éditionsAudiolib feront paraître au mois d’avril Cinq méditations sur la mort autrementdit sur la vie de François Cheng lu par l’auteur.

n À paraître prochainement au format de poche parmi les livres d’Albin Michelqui avaient été recensés dans ce journal :• La Vallée des masques, de Tarun Tejpal (Le Livre de Poche – avril)

• Sur les pas de Geronimo, de Corine Sombrun (Pocket – avril)• Quatre petits bouts de pain, de Magda Hollander-Lafon (Le Livre de Poche – mai)• Métagénéalogie, d’Alexandro Jodorowsky (Pocket – mai)• La Splendeur de la vie, de Michael Kumpfmuller (J’ai lu – mai)• Les Enfants des Justes, de Christian Signol (Pocket – mai)• Les Pissenlits, de Yasunari Kawabata (Le Livre de Poche – juin)

15L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

B rigitte Grésy n’aime pas la langue de bois des discours simplificateurs, pas plus celle de ladomination masculine que celle de l’indifférenciation des sexes. Membre du Haut Conseil à l’égalitéet secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, elle a été chargée de

nombreux rapports, que ce soit sur la place des femmes dans les médias, l’égalité professionnelle, lesfilles et les garçons à l’école, les hommes au travail… C’est dire si le regard qu’elle porte sur les rapportshommes femmes est ancré à la fois dans le réel et la réflexion hors des stéréotypes qu’il impose.

À CEUX QUI SONT DÉSARÇONNÉS PAR CE QU’ON NOMME LA THÉORIE DES GENRES – terme qui signifie simple-ment qu’on naît fille ou garçon mais que l’environnement, la famille, l’éducation imposent aux enfants uncomportement qui n’a rien à voir avec la biologie –, à tous ceux qui pensent bien penser en invoquant lesvaleurs masculines et féminines que tout être humain se doit de développer harmonieusement, BrigitteGrésy oppose avec douceur et détermination ses connaissances de terrain et ses convictions. Tout cequi nous a formatés à considérer les filles plus douées pour les lettres, l’intuition et l’expression des sen-timents et les garçons pour les maths, la maîtrise de soi et l’intelligence rationnelle, à opposer l’empathiedes unes à la rigueur des autres, est certes le produit d’un conditionnement millénaire où les femmes étaienten position de dominées, mais on ne peut s’affranchir de représentations aussi fortes en juste les dénon-çant. Il faut avant tout les identifier, prendre conscience de tous les paradoxes qui nous habitent, de toutesles injonctions qui nous terrassent. Apprendre à lut-ter contre la culpabilité, l’autoflagellation, à revendiquerprofessionnellement des compétences qui n’ont rienà voir avec le féminin ou le masculin, n’empêche pasles femmes d’aimer les jeux de séduction. Apprendreà exprimer ses émotions plutôt qu’à les refouler, àaccepter que les femmes soient des partenaires oudes supérieures au travail, à s’occuper des enfants nefait pas perdre aux hommes leur intégrité.Politique des petits pas et analyse critique imparable,c’est la tâche délicate, en ces temps de confusion etde panique identitaire, que s’est donnée BrigitteGrésy. Elle l’avait déjà amorcée dans son Petit traitédu sexisme ordinaire, en nous amenant à concevoirce temps nouveau des relations d’égalité et non decomplémentarité, qu’il faut autant savoir négocieravec soi-même qu’avec autrui. n

Un livre, un éditeur

Vous avez dit « genre »?

par Claire Delannoy

A u début des années 1980, lemot « bipolaire » était rare. Onparlait plutôt de maniaco-

dépression, un terme qui avait une his-toire riche en psychiatrie. C’est dansles années 1990, au moment où sontarrivés à expiration les brevets sur lesantidépresseurs qui se vendaient lemieux, que la bipolarité s’est propagée,pour devenir la priorité des stratégiesmarketing de l’industrie pharmaceu-tique. Le diagnostic de la bipolarités’est alors considérablement élargi, etcelui de la maniaco-dépression s’esttrouvé d’autant plus embrouillé.Aujourd’hui, parce qu’on ne s’intéressepas assez aux symptômes spécifiques –pourquoi, par exemple, un puissantbesoin de communication ou une ten-dance à dépenser beaucoup d’argentapparaissent-ils en phase maniaque? –,les « bipolaires » sont ainsi très souventsoumis, exclusivement, à un lourd régimede médicaments.Dans ce livre incisif, le psychanalysteanglais Darian Leader sonne l’alarme.Si l’on renonce à faire l’effort d’undiagnostic rigoureux, en pensantcontrôler une maladie, on continueraà passer à côté d’une souffranceextrême. Il est temps de comprendrele monde des bipolaires. n

La nouvellemaladiedes années2010

SANTÉ

Bipolaire, vraiment?Darian Leader192 pages, 15 €

© M

arc

Mel

ki

La Vie en rosePour en découdreavec les stéréotypesBrigitte Grésy256 pages, environ 16 €n Du même auteur :Petit traité du sexismeordinaire256 pages, 15,20 €

K arima Berger aime traverser les frontières :aux appartenances rigides, elle préfère lescirculations fécondes comme l’avait montré

son précédent essai, Éclats d’islam. Dans ce nou-veau livre, l’écrivain orchestre une autre traversée :celle d’un dialogue rêvé entre Etty Hillesum et unejeune Marocaine à laquelle elle donne vie dansces pages. Une dialogue par-delà les âges, la mortet les cultures.

LORSQU’ELLE ÉTAIT ENCORE À AMSTERDAM, la jeunefemme juive avait accroché au mur la photographied’une petite Marocaine, au « regard grave et som-bre » qui fixait le matin gris tandis qu’elle écrivait àson bureau. « Un regard animal et serein à la fois »,écrivait-elle le 12 décembre 1941. Elle était unephotographie découpée dans un magazine, elledevient dans ces pages une voix qui déplace, l’amieorientale, la bouleversante : «  Etty Hillesum, je teparle par-dessus les âges, par-dessus la mort. Tu esassise au bord de ton être, attentive à la lumière etaux sons qui montent de la rue, attentive aux mou-vements intérieurs, à ma présence étrangère ; danstes rêveries, tes yeux sont grands ouverts, sur moi,ta petite Marocaine. » La jeune Marocaine témoigne:«  Immobile dans mon cadre de photographie, jevoyage avec toi, mon être en formation apprend,écoute les conversations, je te vois vivre, je suis sidé-rée. » Car Etty est sidérante : attentive, elle chercheà s’expliquer avec le monde, en elle-même, au lieude fuir la barbarie qui menace de l’engloutir.Certaines voix ne s’éteignent pas. Celle d’Etty

16 L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014

Vous venez de découvrir L’Homme en Question n n n

… et vous souhaitez le recevoir chez vous, merci de nous retourner ce coupon (seulement si vous n’êtes pas déjà abonné)Je souhaite recevoir L’Homme en Question o par courrier o par mail

Prénom: ...................................................................... Nom: .................................................................................................................................................

Adresse : .....................................................................................................................................................................................................................................

Code postal : ............................................................. Ville : ..................................................................................................................................................

Pays : ............................................................................ Mail : ..................................................................................................................................................

Nom de la librairie où vous avez trouvé ce journal : .........................................................................................................................................

ALBIN MICHEL, 22 rue Huyghens, 75014 Paris – Tél. : 0142791000 – Fax : 0143272158 – www.albin-michel.frRédaction : Jean Mouttapa, Julien Darmon, Chloé Salvan et les éditeurs – Coordination : Gil Rousseaux – Maquette : Caractère B.

Hillesum résonne dans cet ouvrage jusque dans leParis des années 2010, lorsqu’une autre femmemarocaine ouvre un de ses livres dans une librai-rie et se trouve à jamais bouleversée : ce que lit lajeune musulmane lui est adressé, elle s’en sent res-ponsable à jamais, elle aussi dira le monde et sespérils, et incarnera ce vœu d’Etty Hillesum :« J’aimerais tant survivre pour transmettre à cettenouvelle époque toute l’humanité que j’ai préser-vée en moi […] c’est le seul moyen de préparer les

temps nouveaux : les préparer déjà en nous. » Cetravail intérieur, qui est le bouleversement même,voilà sans doute à quoi ces pages convient. n

Une vie bouleversanteDIALOGUE

Certaines voix traversent tout :

les frontières, les âges, la mort ; leur

message transcende les appartenances

et ne se laisse ranger dans aucune

catégorie. Au contraire, elles

n’en finissent pas de déranger,

de tout bouleverser. C’est le cas

d’Etty Hillesum et de son combat

spirituel dans l’enfer nazi, connu grâce

au Journal qu’elle tenait avant sa mort

à Auschwitz en 1943, et paru

des décennies plus tard sous le titre

Une vie bouleversée. L’écrivain

Karima Berger redonne aujourd’hui voix

à ce témoignage dans un dialogue

aussi inattendu qu’intense. Les AttentivesUn dialogue avecEtty HillesumKarima Berger210 pages, 15 €

n Karima Berger interviendra autour du thème« Un islam au féminin singulier »le samedi 5 avril à 14 heures au Collègedes Bernardins 20 rue de Poissy, Paris 5e.Renseignements : www.collegedesbernardins.fr

© F

rédér

ic P

olet

ti