AMI DE DIEU Père Jacques PHILIPPE Etty Hillesum · AMI DE DIEU Père Jacques PHILIPPE Etty...

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AMI DE DIEU Père Jacques PHILIPPE Etty Hillesum Maintenir la flamme Une jeune Juive d'Amsterdam fut déportée à Auchwitz et y disparut. En 1981 furent publiés dans leur langue originale (le néerlandais) de larges extraits de son journal tenu entre mars 1942 et juin 1943. C'est ainsi que furent révélés le nom et l'itinéraire spirituel de Etty (Esther) Hillesum, femme hors du commun. L a renommée et l'influence d'Etty Hillesum n'ont cessé de croître, tant le cheminement intérieur dont témoignent son journal et ses lettres est bouleversant et signifi- catif pour les hommes et les femmes d'aujourd'hui. Très proche de nous par sa sensibilité, ses aspirations, sa liberté, ses errances aussi, Etty a vécu un par- cours spirituel qui, en moins de trois années, l'a conduite à une maturité et une liberté intérieure étonnantes, à un amour de Dieu et un don de soi remarquables. Une vie dispersée Etty est l'aînée des trois enfants. Son père, Louis Hillesum, érudit, est directeur de collège ; sa mère, Riva Bernstein, Juive immigrée de Russie, a un tempérament fan- tasque et dominateur. La famille ne mange pas kasher et n'observe pas le shabbat. Etty ne connaît pas grand-chose de la tradition d'Israël. À l'époque elle commence son journal, Etty réside à Amsterdam elle est venue faire des études de droit et de lettres. C'est une jeune femme vive, intelligente, chaleureuse et spontanée, pleine d'humour, éprise d'absolu, mais qui a hérité du caractère excessif de sa mère. Son tempérament pas- sionné et sa soif d'absolu l'ont amenée à se jeter dans de nom- breuses liaisons qui la laisseront malheureuse et déchirée. Elle s'installe en 1937 chez Han Wegerif, veuf retraité et son fils Han avec qui elle aura une liaison qui durera cinq ans. Une rencontre providentielle En février 1941, Etty fait une ren- contre décisive, celle de Julius Spier, Juif berlinois émigré en Hollande. Il a 54 ans, Etty 27. Ancien directeur de banque, il s'est consacré à la psychologie. Dans les premiers temps, la rela- tion d'Etty et de Julius Spier ne fut pas sans ambiguïté, mais peu à peu elle évoluera vers une belle ami- tié. À partir de cette rencontre, Etty commence à se transformer profondément. Très soucieuse de vérité, elle entreprend avec coura- ge de travailler très fort sur elle- même et met de l'ordre dans sa vie. Elle commence le 8 mars à rédiger son journal. Au contact de Spier, Etty découvre la Parole de Dieu, saint Augustin, l'Imitation, Tolstoï, Dostoïevski, le poète Rainer Maria Rilke. La fille qui ne savait pas s'age- nouiller se retrouve de plus en plus régulièrement dans cette humble posture, aussi bien dans sa salle de bains que dans le fouillis de sa chambre ! Elle entre peu à peu dans un dia- logue libre et spontané, très intime et personnel avec Dieu dont elle perçoit la présence au plus pro- fond d'elle-même : II y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits il y a Dieu, Parfois je par- viens à l'atteindre. Mais plus sou- vent des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour. Ce qui exige une écoute intérieure permanente : Etre à l'écoute de soi-même. Se laisser et Lamtèree - Mars 2004 - n° 226 - 5

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AMI DE DIEUPère Jacques PHILIPPE

Etty HillesumMaintenir la flammeUne jeune Juive d'Amsterdam fut déportée à Auchwitz et y disparut. En 1981furent publiés dans leur langue originale (le néerlandais) de larges extraits deson journal tenu entre mars 1942 et juin 1943. C'est ainsi que furent révélésle nom et l'itinéraire spirituel de Etty (Esther) Hillesum, femme hors ducommun.

L a renommée et l'influenced'Etty Hillesum n'ontcessé de croître, tant lecheminement intérieur

dont témoignent son journal et seslettres est bouleversant et signifi-catif pour les hommes et lesfemmes d'aujourd'hui. Trèsproche de nous par sa sensibilité,ses aspirations, sa liberté, seserrances aussi, Etty a vécu un par-cours spirituel qui, en moins detrois années, l'a conduite à unematurité et une liberté intérieureétonnantes, à un amour de Dieu etun don de soi remarquables.

Une vie disperséeEtty est l'aînée des trois enfants.Son père, Louis Hillesum, érudit,est directeur de collège ; sa mère,Riva Bernstein, Juive immigrée deRussie, a un tempérament fan-tasque et dominateur. La famillene mange pas kasher et n'observepas le shabbat. Etty ne connaît pasgrand-chose de la traditiond'Israël.À l'époque où elle commence sonjournal, Etty réside à Amsterdam

où elle est venue faire des étudesde droit et de lettres. C'est unejeune femme vive, intelligente,chaleureuse et spontanée, pleined'humour, éprise d'absolu, maisqui a hérité du caractère excessifde sa mère. Son tempérament pas-sionné et sa soif d'absolu l'ontamenée à se jeter dans de nom-breuses liaisons qui la laisserontmalheureuse et déchirée. Elles'installe en 1937 chez HanWegerif, veuf retraité et son filsHan avec qui elle aura une liaisonqui durera cinq ans.

Une rencontreprovidentielle

En février 1941, Etty fait une ren-contre décisive, celle de JuliusSpier, Juif berlinois émigré enHollande. Il a 54 ans, Etty 27.Ancien directeur de banque, ils'est consacré à la psychologie.Dans les premiers temps, la rela-tion d'Etty et de Julius Spier ne futpas sans ambiguïté, mais peu à peuelle évoluera vers une belle ami-tié. À partir de cette rencontre,Etty commence à se transformer

profondément. Très soucieuse devérité, elle entreprend avec coura-ge de travailler très fort sur elle-même et met de l'ordre dans savie. Elle commence le 8 mars àrédiger son journal.Au contact de Spier, Etty découvrela Parole de Dieu, saint Augustin,l'Imitation, Tolstoï, Dostoïevski,le poète Rainer Maria Rilke. Lafille qui ne savait pas s'age-nouiller se retrouve de plus enplus régulièrement dans cettehumble posture, aussi bien dans sasalle de bains que dans le fouillisde sa chambre !Elle entre peu à peu dans un dia-logue libre et spontané, très intimeet personnel avec Dieu dont elleperçoit la présence au plus pro-fond d'elle-même : II y a en moiun puits très profond. Et dans cepuits il y a Dieu, Parfois je par-viens à l'atteindre. Mais plus sou-vent des pierres et des gravatsobstruent ce puits, et Dieu estenseveli. Alors il faut le remettreau jour. Ce qui exige une écouteintérieure permanente : Etre àl'écoute de soi-même. Se laisser

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Regarder la mort en face, c'est élargir la vie. Etty

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BK1 AMI DE DIEUJffrrll Père Jacques PHILIPPE

El

guider, non plus par les incitationsdu monde extérieur, mais par uneurgence intérieure.

Souffrir, mais nonsuccomber

Plus le monde autour d'elle s'obs-curcit et devient lourd, plus saliberté extérieure est étouffée, pluselle trouve en elle-même un espa-ce de paix, de liberté, un amour dela vie, de Dieu, de toute créature.Cet amour de la vie qui se déploieen Etty n'est pas du romantismenaïf ou une fuite de la réalité. Il estconsentement à tout ce que la vieoffre, sans exception : les joiescomme les peines, le bonheurcomme la souffrance. Etty réalisede manière très aiguë que le vraiproblème de la vie humaine n'estpas tant la souffrance en elle-même que la peur qu'elle inspire,l'incapacité à l'accueillir et à l'as-sumer. Les pires souffrances de

l'homme, ce sont celles qu'ilredoute. Elle s'efforce d'acceptercomme bon tout ce que la vieconcrète lui propose instant aprèsinstant. De tes mains, mon Dieu,j'accepte tout, comme cela vient.J'ai appris qu'en supportanttoutes les épreuves, on peut lestourner en bien... Toujours, dèsque je me montrais prête à lesaffronter, les épreuves se sontchangées en beauté.

Vivre comme les lys deschamps

Etty a été très frappée par l'ensei-gnement de Jésus sur l'abandon àla Providence. Le désir de vivre« comme les lys des champs »devient un leitmotiv de sa vie inté-rieure. Les soucis quotidiens sefont souvent bien lourds en cetteépoque troublée. Cet après-midi. .. comme les soucis voulaientm'assaillir de nouveau et ne sem-

Chante les loiianges de cette vierçë rriatih erï longeant a bicyclette le Stadionfede/je m'enchantais du vasteHorizon que l'ondécouvre-aux .lisières de la.ville, et je. respirais l'air frais qu'onîie nous apas encore rationne. Partout des pancartes interdisaient aux juifs;les petits chemins menant dans, là nature. Mais au-dessus de ce bout de routequi hous reste ouvert, ;le Ciel s'étale tout entier. Oh ne peut rien nous faire,vraiment "rien: Oh peut nous rendre la vie assez dure, hous dépouillerdècer-tains bîens.i matériels, nous enlever, une certaine liberté de mouvement toutextérieure, mais c'est nous-mêmes qui nous dépouillons de. :nos meilleures:forces:par une attitude psychologique désastreuse, Eh nous sentantpersécu-

,tés,•humilies,; opprimés: En éprouvant:de;ia haine;; En crânant pour cachernotre peur, Oria;bïen le droitd'être triste et abattu, de temps en temps/ par:ce qu'on nous fait .subir : c'est, humain et compréhensible. Et .pourtant, lavraie ; spoliation-x'est nous-mêmes qui nous l'infligeons. Je trouve la: vie sibelle et je me sens libre. En moi, des deux se déploient aussi vastes que le fir-mament. Je crois en pieu et je crois en l'homme, j'ose le dire sans faussehonte... Je suis une femme heureuse et je chante les louanges de cette vie,oui vous avez bien lu, en l'an de grâce 1942, la énième année de la guerre."

blaient pas devoir prendre fin, jeme suis dit tout à coup : Toi quiprétends croire en Dieu, sois unpeu logique, abandonne-toi à savolonté et aie confiance. Tu n'aspas le droit de t'inquiéter du len-demain. L'inquiétude pour l'ave-nir nous ronge et nous empêched'être disponible à la grâce et à labeauté contenues dans chaque ins-tant de vie. Car, quand on projetted'avance son inquiétude sur toutessortes de choses à venir, onempêche celles-ci de se dévelop-per organiquement. J'ai en moiune immense confiance... celle decontinuer à accepter la vie et à latrouver bonne, même dans lespires moments.

Un amour universelEn janvier 1942 est décrétée la« solution finale » : l'extermina-tion des juifs d'Europe. Le proces-sus se met en place en Hollande àpartir de juillet 1942.Etty accepte une place d'employéeau « Conseil juif » pour consoleret encourager ses compatriotes endésarroi. Cette situation privilé-giée lui répugne, mais elle restecapable de préserver sa liberté, sapaix, sa relation à Dieu, son amourde la vie. Les menaces extérieuress'aggravent sans cesse et la ter-reur s'accroît de jour en jour... Jeme retire dans la prière commedans la cellule d'un couvent, etj'en ressors plus concentrée, plusforte, plus ramassée.Son amour se fait plus libre, plusuniversel. Le souci pour lesproches ne doit jamais devenir unempêchement à ouvrir son cœurau prochain. Je sais qu'on doit sedéfaire même de l'inquiétude

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Wç,

QF&L Quand je me tiens dans un coin du camp, les pieds plantés dans ta terre, les yeuxlevés vers ton ciel, j'ai parfois le visage inondé de larmes... et c 'est ma prière. Etty

qu'on éprouve pour les êtresaimés... toute la force, toutl'amour, toute la confiance enDieu que l'on possède... on doitles tenir en réserve pour tous ceuxque l'on croise sur son chemin etqui en ont besoin.Elle sent qu'elle doit peu à peu sedétacher de tout, que rien ne devral'empêcher de suivre librement ledestin qui sera le sien. Chaquejour je dis adieu. Elle accueille laperspective de la mort :L'éventualité de la mort est inté-grée à ma vie ; regarder la morten face et l'accepter comme partieintégrante de la vie, c'est élargirla vie...

WesterborkLes Juifs hollandais arrêtés par lesnazis séjournaient dans le camp detransit de Westerbork, au nord-estdes Pays-Bas, avant d'êtreenvoyés le plus souvent àAuschwitz. Le Conseil juif tenaitdans le camp une antenne, sorte de« service social ». Etty demanded'y être détachée, pensant qu'elle

y serait plus utile qu'àAmsterdam. Elle y arrive en août1942, ayant la liberté de sortir ducamp. Elle y sera enfermée défini-tivement en juillet 1943.Au cours de son deuxième retour àAmsterdam, en septembre 1942,elle assiste à l'agonie de JuliusSpier. Elle accueille ce deuilimmense pour elle avec un calmedéconcertant. Elle est prête à che-miner seule désormais et elle rendgrâce pour le don qu'a été cet ami....Maintenant, toi le médiateur, tut'es retiré et mon chemin mènedésormais directement à Dieu...Et je servirai moi-même de média-trice pour tous ceux que je pourraiatteindre.

Le refus de la haineFace à la terrifiante et cruelleinjustice qui s'abat sur les Juifs dela part des nazis, Etty sera parfoistentée de réagir comme beaucoupde ses contemporains par le déses-poir, la révolte ou la haine. Or, ellecomprend que la haine est un poisonterrible pour le cœur de celui qui

« La force/ l'amour/la confiance en Dieuque l'on possède/on doit les teniren réserve pour ceuxque l'on rencontre. »

Etty

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« Je vais t'aider/mon Dieu/

à te mettre au jourdans [es cœurs

martyrisésdes autres. »

Etty

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De vastes clairières de paix"Septembre1942 : Encore une fois je note pourmon propre usage : Matthieu 6,34 ; "Ne vousinquiétez pas du lendemain, car le lendemain aura:soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine". Ilfaut les éliminer quotidiennement comme despuces, les mille petits soucis, que-nous inspirentïes"jours à venir et qui rongent nos meilleures forcescréatrices. On prend mentalement toute une série:de mesures pour les jours suivants, et'rien, maisrien du tout n'arrive comme prévu. À chaque joursuffit sa peine.: If faut faire ce que l'on a à faire, etpour le reste, se. garder:de;se laisser contaminer par:les mille petites angoisses qui sont autant: demotions de. défiance vis-à-vis de Dieu.:;feut finira :'Bien par s'arranger^.. Notre unique obligation rnora-

. !e; c'est.de défricher en nous-mêmes de vastes clai-rières dé paix et' dé les ^étefidre dé' proche enproche, jusqu'à; ce /que cette paix irradie vers-lés/

: autres. Et'plus i j y a de paix dans les êtres, plus il y^'ên aura;aussi:dans ce rnonde en:ébullition; v^ ;

I I faut choisir : penser a soi-même sans :se soucierdes autres, ou prendre distance d'avec ses souhaitspersonnels et se livrer; Et pour rnoi, ce don dé soin'est pas une résignation; un abandon à la mort. Ils'agit de soutenir l'espérance, là où je le peux et oùDieu m'a placée. (PL267)."

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AMI DE DIEUPère Jacques PHILIPPE

l'éprouve : Au camp, j'ai senti detout mon être que le moindreatome de haine ajouté à ce mondele rend plus inhospitalier encore.Face au mal, Etty réagit par unsurcroît d'amour et reconnaît queles racines du mal sont en chacunde nous. C'est là d'abord qu'il fautle combattre.

La saloperie des autres est aussien nous. Et je ne vois pas d'autresolution, vraiment aucune autresolution que de rentrer en soi-même et d'extirper de son âmetoute cette pourriture. Commentarrêter la spirale du mal ? Àchaque nouvelle exaction, àchaque nouvelle cruauté, nousdevons opposer un petit supplé-ment d'amour et de bonté àconquérir sur nous-mêmes.Attitude exigeante, mais seull'amour inconditionnel de touthomme peut mettre une borne aumal.

Être un baumeÀ Westerbork, Etty se sent investied'une mission : être le cœur pen-sant de la baraque. Amour lucideet réfléchi, qui étend sa compas-sion sur tous ceux qu'elle y côtoie,présence de paix et de réconfort.Par les aides matérielles qu'ellepeut fournir, les courriers dont elleest l'intermédiaire, les paroles deréconfort : « Ce n'est pas sigrave ! », la seule présence quandles mots sont impuissants. Elle sedépense sans compter auprès desmamans, des enfants seuls, despersonnes âgées, de tous ceux àqui elle peut procurer un peu deréconfort. Sa vie de prière aussis'approfondit. Ma vie s'est muéeen un dialogue ininterrompu avecToi, mon Dieu, un long dialogue.Quand je me tiens dans un coin du

camp, les pieds plantés dans taterre, les yeux levés vers ton ciel,j'ai parfois le visage inondé delarmes... et c'est ma prière.

Aider DieuOn trouve cette expression inhabi-tuelle "aider Dieu" particulière-ment dans les moments où elle estcruellement interpellée par toute lasouffrance qui défile devant elle.Je vais t'aider, mon Dieu, à temettre au jour dans les cœurs mar-tyrisés des autres... Tu ne peux pasnous aider, mais que c 'est à nousde t'aider et de défendre jusqu 'aubout la demeure qui t'abrite ennous.

Etty ne doute pas du secours deDieu, mais dans ce temps particu-lier où Dieu semble s'être retiré,où il reste silencieux etcomme impuissantdevant le déferlementdu mal, elle estime quece n'est pas l'heure delui réclamer descomptes, ni une intervention exté-rieure. La question à se poser n 'estpas tant : Qu'est-ce que Dieu vafaire de nous ? mais plutôt :Qu'allons-nous faire de lui ?Lais serons-nous s'éteindre laflamme de la bonté et de l'espé-rance sous les flots du mal, ouchercherons-nous à la maintenirvivante coûte que coûte ?

Le dernier voyageLa politique nazie continue à sedurcir. Etty résiste au conseil deses amis qui lui suggèrent de s'en-fuir, de se cacher : elle veut assu-mer pour son compte le destin deson peuple. Autre raison : sesparents et son frère Misha sont euxaussi internés à Westerbork.Il fut décidé le 6 septembre que

toute la famille Hillesum seraitdéportée. Le commandant ducamp inclut Etty dans cette mesu-re. Ainsi les quatre membres de lafamille internés à Westerborkfurent embarqués dans le convoidu 7 septembre, en partance pourAuschwitz. Ils sont montés dans letrain très calmes et courageux, enchantant. Etty prend le temps degriffonner deux cartes qu'elle jettesur la voie. L'une d'elles estconservée. Elle commence par cesmots : Christine, j'ouvre la Bibleau hasard et trouve ceci : « LeSeigneur est ma chambrehaute... ».

Toute la famille fut anéantie. Ettyserait morte le 30 novembre 1943.On ne sait rien des quelquessemaines passées à Auschwitz.

« Je vais t'aider, mon Dieu, à temettre au jour dans les cœur!martyrisés des autres... »

Mais nul doute qu'Etty n'ait eu lagrâce d'être fidèle à la ligne defond de sa vie : Je suis prête àtout accepter, tout lieu de la terreoù il plaira à Dieu de m'envoyer,prête aussi à témoigner à traverstoutes les situations et jusqu 'à lamort, de la, beauté et du sens decette vie.

Ce camp de Westerbork verra pas-ser de juillet 1942 à septembre 1944environ cent mille Juifs néerlandais(dont Edith Stein et Anne Franck).

Hetty Hillesum : Une vie bouleversée (Journalet Lettre de Westerbor) Ed.du Seuil, coll.Points.Paul Lebeau : Etty Hillesum, un itinéraire spiri-tuel : Amsterdam 1941-Auschwitz 1943, EditionsAlbin Michel, coll. Spiritualités vivantes.Sylvie Germain : Etty Hillesum EditionsPygmalion - Gérard Watelet, coll. Cheminsd'éternité.

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