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1 Actes INRETS n°73 La signalétique dans le réseau des déplacements routiers : histoire et fonction Brigitte Cambon de Lavalette INRETS-LPC Tel : 01 47 40 73 67 E.mail : [email protected] Résumé La signalisation qui régule l'ensemble des déplacements terrestres a commencé à prendre sa forme actuelle avec l'apparition de l'automobile. L'ensemble des 300 panneaux homologués se répartit, selon leur codage, en cinq catégories exprimant chacune des prescriptions différentes : des interdits, des obligations, la notification de danger à éviter, des informations particulières, le repérage spatial... Au-delà de la diversité des usages de chacune, l'objectif de cette présentation est de chercher à comprendre la fonction qui peu à peu au cours du temps a été assumée par cette forme d'information dans le réseau des transports terrestres. Le point de vue exposé s'appuie sur une analyse des événements qui ont jalonné la création de la signalisation routière. 1. Introduction La signalisation routière représente un corpus assez considérable de maintenant 300 panneaux homologués internationalement, et de bien d'autres encore, tout aussi utiles à nos déplacements. Ils se répartissent, selon leur codage, en cinq catégories exprimant chacune des prescriptions différentes : des interdits, des obligations, la notification de danger à éviter, des informations particulières, le repérage spatial. Il suffit d'imaginer l'état actuel de notre réseau routier si "les routes ne parlaient pas", comme le dit joliment A. Teissier-Ensminger, pour saisir l'importance que la signalisation a, à tout moment, dans l'organisation de nos déplacements : comment rejoindre l'autoroute la plus proche ? trouver la station de bus la plus proche ? Peut-on imaginer la circulation en ville sans la régulation des feux lumineux qui fluidifient le débit du trafic ?... Au-delà du rôle attribué à un panneau particulier, la fonction de la signalisation dans le système routier, est, selon J. Nouvier, d'assurer "une meilleure sécurité et une exploitation rationnelle de la voirie". Le processus selon lequel cette fonction se réalise ne semble pas avoir été réellement abordé. Il existe un accord tacite sur cette croyance qui ne peut être d'ailleurs erronée ; mais de ce fait on ne cherche pas à expliciter davantage les liens entre la signalétique, la forme qui lui est donnée, et son effet sur la circulation. Or, une meilleure connaissance du processus ne serait pas sans intérêt, par exemple : connaître les représentations de la sécurité, leur exhaustivité, l'adéquation entre ce que l'on attend de la signalétique et sa praticabilité chez l'usager, etc... toutes ces questions méritent certainement d'être approfondies dans une optique d'amélioration du système des déplacements, par la recherche des activités mentales impliquées dans ces processus. Se

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Actes INRETS n°73

La signalétique dans le réseau des déplacements routiers :

histoire et fonction

Brigitte Cambon de Lavalette INRETS-LPC

Tel : 01 47 40 73 67

E.mail : [email protected]

Résumé

La signalisation qui régule l'ensemble des déplacements terrestres a commencé à prendre sa forme actuelle avec l'apparition de l'automobile. L'ensemble des 300 panneaux homologués se répartit, selon leur codage, en cinq catégories exprimant chacune des prescriptions différentes : des interdits, des obligations, la notification de danger à éviter, des informations particulières, le repérage spatial... Au-delà de la diversité des usages de chacune, l'objectif de cette présentation est de chercher à comprendre la fonction qui peu à peu au cours du temps a été assumée par cette forme d'information dans le réseau des transports terrestres. Le point de vue exposé s'appuie sur une analyse des événements qui ont jalonné la création de la signalisation routière.

1. Introduction

La signalisation routière représente un corpus assez considérable de maintenant 300 panneaux homologués internationalement, et de bien d'autres encore, tout aussi utiles à nos déplacements. Ils se répartissent, selon leur codage, en cinq catégories exprimant chacune des prescriptions différentes : des interdits, des obligations, la notification de danger à éviter, des informations particulières, le repérage spatial.

Il suffit d'imaginer l'état actuel de notre réseau routier si "les routes ne parlaient pas", comme le dit joliment A. Teissier-Ensminger, pour saisir l'importance que la signalisation a, à tout moment, dans l'organisation de nos déplacements : comment rejoindre l'autoroute la plus proche ? trouver la station de bus la plus proche ? Peut-on imaginer la circulation en ville sans la régulation des feux lumineux qui fluidifient le débit du trafic ?... Au-delà du rôle attribué à un panneau particulier, la fonction de la signalisation dans le système routier, est, selon J. Nouvier, d'assurer "une meilleure sécurité et une exploitation rationnelle de la voirie". Le processus selon lequel cette fonction se réalise ne semble pas avoir été réellement abordé. Il existe un accord tacite sur cette croyance qui ne peut être d'ailleurs erronée ; mais de ce fait on ne cherche pas à expliciter davantage les liens entre la signalétique, la forme qui lui est donnée, et son effet sur la circulation. Or, une meilleure connaissance du processus ne serait pas sans intérêt, par exemple : connaître les représentations de la sécurité, leur exhaustivité, l'adéquation entre ce que l'on attend de la signalétique et sa praticabilité chez l'usager, etc... toutes ces questions méritent certainement d'être approfondies dans une optique d'amélioration du système des déplacements, par la recherche des activités mentales impliquées dans ces processus. Se

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poser la question du lien entre l'objectif assigné à la signalisation et la réalisation de cet objectif par la signalisation, implique d'avoir défini au préalable la fonction de la signalisation routière. L'objectif de cette présentation est alors de chercher à la définir, afin d'établir le cadre préparatoire à l'analyse de son usage dans le système routier, ce que l'on envisage de faire ultérieurement.

Etant donné l'ampleur du domaine, plus de 300 signaux dont la production s'est échelonnée durant tout le siècle qui vient de s'écouler, étant donné aussi l'aspect empirique, intuitif du processus diachronique, l'approche qui, à l'évidence m'est apparue s'imposer, dans un premier temps du moins, est l'approche historique. �L'intérêt de l'approche historique est de pouvoir mettre en évidence les rôles successifs qui ont été attribué à la signalisation, au fur et à mesure des années, la nature des problèmes qu'elle était sensée traiter, la façon avec laquelle on y a répondu, et qui forcement perdurent en s'enrichissant de nos jours. Plus précisément comme nous allons le voir, il vaudrait d'ailleurs mieux parler d'une sorte de "phylogenèse" de la signalisation (si le terme ne paraissait pas trop prétentieux car il ne s'agit finalement que d'un simple dispositif !) étant donné l'arborescence des propositions successives qui se sont concrétisées en un très large éventail des panneaux, au cours du temps, pour élaborer de ce qui constitue maintenant la signalisation routière. Pour cela, j'ai cherché, dans l'analyse des événements qui ont eu pour conséquence la production des signaux, à comprendre l'émergence de la signalétique dans le système routier à partir de l'origine des besoins, des raisons de cette production. Je me suis centrée sur les débuts de l'histoire de la signalisation routière, époque au cours de laquelle la fonction qui lui a été assignée s'est élaborée. Depuis, cette fonction s'est largement diversifiée, sans faire disparaître cette fonction première.

L'histoire des événements au cours desquels la signalisation routière a évolué jusqu'à sa forme actuelle est une histoire particulièrement riche. J. Nouvier mentionne à juste titre "des luttes d'influence, des démarches pas toujours rationnelles, des essais inachevés" qui ont jalonné cette histoire dans un contexte parfois même passionnel. Comme nous allons le voir, elle est fortement liée à l'essor de l'automobile, qui, dès son apparition a été elle aussi un objet de passion, comme cela a bien souvent été souligné (Beaudrillard, Pervanchon). Pour cette présentation, de façon à comprendre comment la signalétique routière a pris sa forme actuelle, nous allons chercher à comprendre, à partir des événements qui ont marqué son apparition, à quels besoins elle était sensée répondre. Même si actuellement sa fonction s'est un peu élargie, il est indéniable que les débuts de son histoire ont profondément orienté le rôle qui lui a été dévolu dans la circulation.

Dans la littérature, plusieurs auteurs se sont penchés sur ce sujet et exposent, à partir de points de vue différents, la progression de la signalisation au cours du temps. La synthèse qui va être présentée maintenant a été réalisée à partir de ces différentes approches. Le travail de M. Duhamel, puis de Duhamel et Nouvier constituent un guide encyclopédique de la signalisation routière en France. Il s'agit d'un ouvrage à caractère technique très documenté dans lequel les auteurs se sont attachés à décrire l'évolution de la production picturale des panneaux. A. Teissier-Ensminger présente le point de vue juridique sur la signalisation. Lepetit, et Reverdy abordant chacun le sujet de la construction du réseau routier, apporte un certain nombre de détails intéressants sur la signalisation. L'ouvrage de Krampen sur l'évolution de la sémiologie des panneaux routiers jusqu'en 1946 a présenté

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pour notre approche une richesse indéniable. Krampen s'est intéressé à l'évolution de la forme que la signalisation prend au cours du temps pour devenir une signalétique, l'objet de sa recherche est l'évolution de la sémiotisation des messages, leurs passages de la forme verbale à la forme iconique. Son travail permet de situer la création progressive des formes sémiotiques en relation avec les événements historiques qui semblent les avoir engendrés. Il s'appuie sur une recherche apparemment très documentée des événements qui l'ont jalonné, sur laquelle il devenait aisé de s'appuyer pour tenter d'analyser la finalité de cette signalétique.

Dans sa forme iconique actuelle, nous allons voir que la signalétique est une création récente dans le réseau routier où elle est implantée : elle a commencé à apparaître il y a un siècle à peu près. Même si on en voit les prémisses avant l'apparition de l'automobile, c'est avec cette dernière qu'elle a réellement commencé à assumer un rôle essentiel dans l'acheminement des transports terrestres. Du point de vue de sa fonction dans le réseau, son histoire peut être découpée en quatre époques successives :

- une longue période de préhistoire, au cours de laquelle les éléments préparatoires à sa conception se mettent en place,

- la signalétique moderne qui émerge assez rapidement dès l'apparition de l'automobile,

- l'extension de la production signalétique à partir des problèmes liés à la circulation urbaine,

- à l'époque actuelle : la prise en compte des besoins des usagers.

A chacune de ces différentes époques, nous allons chercher à comprendre à quels besoins les créations de la signalétique ont répondu.

2. Les différentes époques au cours desquelles la signalétique s'est élaborée

2.1. La préhistoire : les éléments précurseurs.

Si le recours à l'iconicité est récent, l'usage de la signalisation viaire est très ancien, on ne peut dater une époque à partir de laquelle elle serait apparue puisque l'on rapporte que les babyloniens eux-mêmes l'auraient utilisée. Le balisage de l'espace est en fait un acte "naturel", que l'on retrouve chez les animaux et dans les tribus primitives qui utilisent des signes inscrits dans la nature pour se repérer, poursuivre une proie... La légende du "Petit Poucet" est là pour nous le rappeler : dans un environnement inconnu, nous avons tous besoin de repères.

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Figure 1. Un passage piéton à Pompéi

Les traces les plus anciennes d'une forme de signalisation routière qui soient parvenues jusqu'à nous sont celles laissées par les romains. Nous avons tous en mémoire les voies romaines, ce réseau des axes routiers parcourant l'ensemble de l'empire autour de la Méditerranée. Les routes étaient jalonnées de bornes, les milliaires, ancêtres des bornes kilométriques, et à l'origine du mille marin. D'après Reverdy, elles permettaient tout à la fois de déterminer la longueur d'une route, la distance entre les villes, et d'orienter les voyageurs. Jules César avait codifié des règles de circulation qui étaient déjà en usage en 123 avant J.C. : sens uniques, passages piétons, ou encore réglementation du stationnement... Il n'est pas fait état d'un mode de représentation symbolique des interdits. Il semble que la régulation du trafic ait davantage été assurée directement par le biais de dispositifs aménagés sur la voirie. La figure 1 représente l'un de ces dispositifs, ici destiné à faciliter la traversée des piétons. Les blocs de pierre espacés, placés en travers de la chaussée, permettaient à la fois de traverser à pieds secs durant les intempéries, tout en contraignant les conducteurs de chars à ralentir considérablement leur allure pour guider le passage des roues entre les blocs de pierre, ce qui assurait en même temps une meilleure sécurité des traversées des piétons. Même si les romains avaient l'usage de la signalétique (Cave canem), ils ne passaient pas forcement par un mode de communication symbolique pour réguler la circulation, préférant les dispositifs imposant aux usagers le comportement attendu.

Les bornes romaines ont continué à jalonner les routes en France pendant et au delà du Moyen-Age. Pendant cette même période, rien de particulièrement notable au sujet de la signalisation des routes n'est mentionné. Le principal obstacle aux déplacements étant alors le brigandage fréquent sur les routes, les voyages se faisaient sous la conduite de guides qui connaissaient l'itinéraire et qui empruntaient le plus souvent les voies fluviales. Cependant, il faut noter une particularité de cette époque : le balisage des chemins de Saint Jacques de Compostelle à l'usage des pèlerins, et qui est toujours en vigueur de nos jours. On voit alors apparaître une forme de signalétique spécifique : la coquille de Saint Jacques pour indiquer

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aux pèlerins le cheminement à suivre ou l'emplacement des gîtes sur le parcours. Mais cette création est restée isolée.

Avec Sully et Richelieu un renouveau économique a commencé à se manifester en France. Il devenait indispensable d'assurer une bonne circulation des postes. Pour la bonne vision des cochers des malles postes, des panneaux réglementaires de 2 m,20 de haut, ont été aménagés sur leur parcours indiquant la distance kilométrique des villes et les durées de parcours. Ces renseignements avaient une double utilité : le repérage spatial et aussi le calcul du salaire des postiers, établi en temps de parcours. On peut noter que ce mode de signalisation érigée avec une intention économique, celle de favoriser la circulation des biens et des personnes, manifestait déjà des préoccupations de nature ergonomique : faciliter la tâche des postiers.

Ces panneaux étaient toujours en fonction au début de l'ère automobile. Il devenait nécessaired'en modifier la forme, trop élevée pour la lisibilité des automobilistes C'est cependant avant l'apparition de l'automobile que l'on note les premiers indices d'une évolution radicale dans la conception de la signalisation routière.

Tout d'abord, un événement est intervenu qui probablement en a facilité la conception : la création d'un code de signalisation maritime en 1817 par un anglais, le capitaine Marryat. L'usage de ce code s'est d'ailleurs étendu quelque années plus tard à la circulation des chemins de fer. Comme Krampen le note, les signaux émis étaient proches de notre gestuelle : lever un bras pour signifier l'arrêt, l'index pour désigner, la croix pour figurer un carrefour.

L'histoire de ce qui est considéré par tous comme étant le premier panneau routier s'inscrit encore dans la préhistoire de la signalétique : il s'agit d'un acte apparemment spontané, ne participant pas encore à la conception d'un système global de circulation. Il est antérieur à l'apparition de l'automobile. Sa forme figurait les mâchoires de frein à sabot des attelages. C'est la première forme iconique, et non verbale, d'une signalisation routière que l'on connaisse, représentant le geste à accomplir pour éviter la perte de contrôle du véhicule avant de s'engager dans une descente. Il était peint sur les rochers bordant les routes de montagne en Suisse et en Autriche, régions touristiques dont la langue n'était pas forcément connue de tous les voyageurs. Cette découverte prémonitoire, une "trouvaille" en quelque sorte, est attribuée aux autorités municipales des villages à qui incombaient probablement le secours aux voyageurs accidentés. Outre le désir de se faire comprendre au delà d'un langage verbal, il est intéressant de noter la forme du message, incitant le geste à accomplir. Les cochers pouvaient en comprendre l'intention par le contexte, à l'amorce d'une pente, il signifiait par là la particularité de la pente : plus dangereuse que les autres. La représentation de l'objet à cet endroit n'a aucune signification en elle-même, il n'y a aucune raison de peindre un frein sur le bord de la route, ce qui ne peut qu'étonner les cochers, et les amener à adopter une conduite particulière. La signalétique moderne a été édifiée par la suite à partir d'un raisonnement similaire.

Comment interpréter ce qui a été en quelque sorte, une production signalétique spontanée ? Il est probable qu'elle s'adressait davantage aux voyageurs qu'aux populations locales qui connaissaient la topographie des lieux avoisinants. L'intention du message, éviter les

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accidents aux voyageurs, avait un caractère que l'on pourrait dire "humanitaire" : on cherchait leur bien-être et l'évitement des perturbations locales.

En conclusion, on voit apparaître au cours de cette période certains éléments qui, de façon disparate, selon différents aspects préfigurent le devenir de la signalétique dans le système actuel. Dès la Rome antique, le désir de réguler la circulation se manifeste. En ville, les dispositifs utilisés à cette fin ne font pas appel à des représentations signalétiques. Le bornage des voies sur les routes de l'empire, comme repère pour les voyageurs, est une entreprise qui a perduré près de 10 siècles pour être ensuite repris et amélioré au 17 ième siècle, à un moment d'expansion économique. A cette époque en France, le système routier apparaît comme un élément lié à la santé économique du pays. On cherche alors à en améliorer le fonctionnement, notamment en facilitant la tâche des postiers : un panneau est innové, indiquant la direction des villes et le temps de parcours. Enfin, le code des signaux maritimes crée au 19 ième siècle préfigure les possibilités de la signalétique en matière de signaux. La création du premier panneau de forme iconique dans les régions montagneuses des Alpes, semble être un acte spontané, exprimant un désir peut-être à caractère humanitaire, venant des populations locales résidantes dans les régions de montagne, de chercher à limiter les accidents des voyageurs en montagne.

2.2. Les origines de la signalétique moderne.

A partir du milieu du 19 ième siècle, la création des nouveaux modes de déplacement, la bicyclette puis l'automobile, va entraîner des problèmes de réorganisation de l'espace public pour lesquels la signalisation sera très largement mise à contribution. C'est alors que l'on va voir apparaître la signalétique moderne.

Les circonstances à l'origine de ces événements surgissent d'abord à l'occasion de l'essor pris par la bicyclette. A ces débuts, la bicyclette est utilisée surtout par une élite avide d'exploits et d'aventures qui organise des manifestations sportives et s'érige en groupements de défense. A cette époque, elle ne fait pas l'unanimité dans la population : étant l'apanage de l'élite, les populations urbaines y voient une forme de nuisance, et cherchent à en limiter la viabilité. Les autorités, soucieuses de leur popularité, adoptent leur point de vue, et décrètent l'interdiction d'accès à certaines zones, quitte à créer des espaces réservé aux cyclistes ailleurs : la première piste cyclable a été ouverte de l'Etoile à la Porte Maillot à Paris. Le balisage des espaces interdits aux cyclistes fait apparaître évidement une forêt de nouveaux panneaux dont la composition est encore verbale.

Contre l'acrimonie des populations, les cyclistes défendent leurs intérêts, souvent par voie de presse, créant de nombreux magazines d'information afin tout à la fois de populariser et de faciliter l'usage de la bicyclette. Ils éditent aussi des cartes routières (Reverdy, A. Teissier-Ensmiger), pour lesquelles ils créent un code pour signaler la nature des obstacles, relatifs à l'état des routes, à leur déclivité (ce qui constitue un obstacle pour les cyclistes), sur les itinéraires nationaux et internationaux.

C'est dans ce contexte que, en 1880 en Italie, apparaît la première forme de signalétique moderne : à l'instigation des clubs de cyclistes, un ensemble de signaux est édité, avertissant du danger que le tracé de la route peut présenter pour cyclistes (cf. figure). La

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symbolique utilise la flèche pour figurer la trajectoire du cycliste. Leur contenu est destiné à faciliter la tâche des usagers sur la particularité de la dangerosité de la route : virages brusques, déclivités... Ils sont présentés dans un congrès international de la Ligue des Associations de Touristes à Londres au tournant du siècle, puis à celui de Paris l'année suivante. Il semble qu'ils aient été installés en Italie en 1905.

Un peu comme le premier panneau apparu dans les montagnes suisses était une émanation spontanée des populations locales, cette première production de panneaux picturaux émerge de l'action des clubs et associations. Mais le processus diffère un peu dans la mesure où (1) il s'agit d'un processus d'envergure nationale ; et (2), il résulte de l'action de pouvoirs antagonistes d'intérêts divergeants : les cyclistes contre les populations locales, arbitrés par les pouvoirs politiques.

Les grandes lignes de ce processus étant décrites, il est maintenant difficile de faire la part de ce qui s'est réellement passé durant ces années 1890-1905, autour de l'apparition de l'automobile. Celle-ci semble avoir été accompagnée exactement du même processus de séduction par une élite avide de sensations, et de rejet (encore plus véhément évidement) de la part des populations urbaines qui voyaient là, outre le danger entraîné par la circulation de l'engin dans les villes, leurs effets nauséabonds, polluants et nocifs pour la santé des populations (sage prémonition !). L'hostilité à l'égard de ces nouveaux modes de déplacement se note à la fois par les manifestations allant parfois jusqu'à des actes de vandalisme mais aussi dans l'édification de réglementations restrictives à leur circulation, avec interdiction d'accès de certaines zones, limitations de vitesse... Par ailleurs, elle suscitait aussi une grande curiosité puisqu'au premier salon de l'automobile, en 1898, on avait enregistré 100 000 entrées, ce qui laisse aussi supposer l'ambivalence de ces réactions. Une anecdote rapportée par Reverdy donne une image amusante de réaction entraînée par cet envahissant engin : en 1903, une commission avait été réunie afin de réfléchir sur les conditions de circulation de la voiture en ville. Ses membres avaient envisagé, entre autres choses, de supprimer le Klaxon, "la corne conférant à l'automobile un privilège plus insupportable que les privilèges féodaux abolis en 1789" !!

Les panneaux de réglementation sont aménagés dans un désordre inextricable. Leurs formes varient d'une ville à l'autre, la fin d'une zone à vitesse limitée n'est pas indiquée, les panneaux, surchargés d'inscriptions, de publicité, sont difficiles à lire... La tâche des malheureux conducteurs relève du cauchemar ! Tous, les automobilistes comme les pouvoirs publics, souhaitent qu'une réglementation uniformise les divers types de signaux afin d'en faciliter tant la lecture que l'incidence sur les usages.

Mais l'action des associations, actives et efficaces, va permettre de faire évoluer les événements à leur avantage. Tout d'abord, elles organisent de grandes courses, demeurées d'ailleurs célèbres, Paris-Rouen en 1903, Paris-Bordeaux l'année suivante. C'est à l'occasion de ces courses semble-t-il que le réseau routier qu'elles empruntent sera aménagé avec les premiers panneaux iconiques destinés à indiquer à la fois la présence d'obstacles sur le parcours et l'itinéraire à suivre. C'est ainsi que le réseau routier sur lequel se déroulait ces courses a commencé à être équipé d'une signalisation. L'intention visait tout autant l'organisation de l'itinéraire que la tâche de conduite et la sécurité de la trajectoire. Les pouvoirs publics ont semblé amorcer un changement de point de vue, peut être par le fait

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que l'argument de danger, contre lequel les populations s'étaient mobilisées, se trouvait atténué par la présence de la signalisation.

A ce moment-là, l'alliance avec d'autres groupements d'intérêt économique apporte aux associations un soutien puissant et actif auprès des pouvoirs publics. Les fabriquants de pneumatiques, comme Michelin en France, Dunlop en Angleterre et l'industrie du tourisme, les célèbres Tourings Clubs, trouvaient forcement un intérêt lucratif à l'essor de ces nouveaux engins. Leur soutien contribue elle aussi à amorcer un revirement dans l'attitude des pouvoirs publics.

A partir de là, les pouvoirs publics commencent à prendre ouvertement partie dans le conflit entre les divers groupements. Ils commencent à s'associer au mouvement crée par les défenseurs de l'automobile dans l'idée de coordonner les différents messages destinés aux conducteurs selon un code. La signalétique routière commence à prendre forme. Le passage de la forme verbale à l'iconicité commence à s'imposer par la nécessité de créer un mode de communication extralinguistique, compris par tous quelque soit leur langue, et celle de diffuser des messages qui puissent être lus rapidement, étant donnés la vitesse de déplacement de plus en plus élevée de ces engins.

En conclusion, l'origine de la signalétique moderne semble résulter d'événements contradictoires survenus au début du siècle. Une première tendance cherchait à limiter l'expansion des nouveaux engins, le vélo puis l'automobile, mais avec une signalétique disparate et peu appropriée. Mais l'enthousiasme des adeptes de ces modes a eu plusieurs effets sur la suite des événements : l'alliance avec de puissants groupes d'intérêt économiques a fait évoluer l'opinion publique. A l'occasion de ces courses, et pour en faciliter le bon déroulement, le réseau a commencé à être équipé par des panneaux qui, à l'inverse de ce qui s'était fait jusque là, n'étaient pas destinés à limiter l'usage de l'automobile, mais bien entendu à faciliter la tâche des conducteurs. C'est ainsi que le réseau routier, puisque ces courses s'y déroulaient, a commencé à être équipé.

Les circonstances dans lesquelles les premiers signaux approuvés internationalement sont apparus semblent résulter encore des actions de groupement d'intérêt liés à l'automobile. Il s'agissait des Automobile-Clubs qui se regroupaient en organisations internationales à cette époque pour promouvoir l'usage de l'automobile, et des Touring-Clubs regroupant les institutions chargées de promouvoir le tourisme à l'échelle internationale. L'objectif était de promouvoir, et donc de faciliter, l'usage de l'automobile d'une façon homogène d'un pays à l'autre pour faciliter le tourisme et le passage des frontières. A cette époque, l'intérêt porté à la signalisation est un aspect de cette politique : on cherche aussi à réglementer d'autres aspects de l'usage de la voiture (permis de conduire, âge d'accès à la conduite, fiabilité des engins...).

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Fig.2 Les panneaux de la convention internationale de Genève de 1909

(Source : Duhamel, Un demi siècle de signalisation routière, AMC Eds)

Comme on peut le voir sur la figure 2, le contenu de ces quatre premiers panneaux est conçu de façon à avertir le conducteur d'un événement auquel il va être confronté et qui risque de le mettre en péril. On sait par exemple qu'il y avait à cette époque beaucoup de collisions de voitures avec les trains aux passages à niveaux. Avertir les conducteurs du fait que la route sur laquelle il circule va couper une voie ferrée était supposé le préparer au fait qu'il allait être en présence d'un danger. Les autres dangers qui semblent encore devoir être signalés à cette époque sont en relation avec la configuration de la chaussée : un cassis, la présence d'un virage, un carrefour avec un autre axe de circulation. Les informations données au conducteur anticipent les obstacles probablement les plus fréquents sur les routes de l'époque et qui risquent de rendre difficile la poursuite de la trajectoire. Ces obstacles, il pouvait les percevoir de visu, mais étant donné la vitesse de la voiture même à cette époque, leur perception intervenait trop tardivement pour que le conducteur puisse ajuster sa conduite à son passage.

Les notions de vitesse et de possibilité de circuler au delà des frontières semblent assez déterminantes dans la conception de la signalisation routière. Il était nécessaire de délivrer des messages qui puissent être lus rapidement, donc les plus synthétiques possibles, et des messages qui puissent être lus par les étrangers, donc dans un langage compris de tous.

Au sujet du contenu des messages de ces premiers panneaux, il est intéressant de noter qu'ils sont chargés d'informer les conducteurs de la présence de ce que l'on se représente comme étant un danger pour la conduite ; que le danger représenté est lié à la nature d'une chaussée non préparée à la circulation de ces engins. Par exemple, ils n'évoquent pas les dangers que la voiture pourraient générer sur les autres usagers de la circulation. La représentation que l'on a du conducteur est celle d'un individu isolé au volant de son engin, et il doit faire face à un certain nombre de périls provenant de la configuration de chaussées qui n'ont pas été construites pour lui ; la signalétique l'averti du fait qu'il va se trouver confronté à une situation qui rendra la réalisation de la tâche en cours plus difficile et dont l'issue n'est pas garantie. Elle agit alors pour compenser une carence dans les zones où son usage pourrait être hasardeux. Par là même, elle induit l'idée d'autonomie que la voiture confère aux déplacements, justifiant ainsi sa capacité à être une "auto-mobile".

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La guerre de 14-18 a bien entendu marqué un tournant dans l'évolution de la signalétique routière, jusqu'à 1926 environ, avec des effets divers cependant.

Dans un premier temps, afin de rendre plus difficile la progression des armées adverses, la signalétique routière en place a été en grande partie détruite. Pour quelques années, elle a disparue, et les messages verbaux ont repris de l'importance. Il y a donc eu un éclatement des messages d'un pays à l'autre, avec prédominance de l'expression verbale. Ce qui a eu pour effet, à partir des années vingt, de rendre les panneaux routiers peu à peu inutilisables en raison de la surcharge des messages auxquels venaient s'adjoindre des éléments publicitaires de leurs donateurs ("Roulez avec Dunlop" !). Un mouvement inverse a alors commencé à se manifester préconisant le retour vers l'iconicité. Des concours auxquels le public était associé ont été crées, de façon à promouvoir à nouveau des formes iconiques aux nouveaux panneaux, ce qui a finalement généré un regain d'intérêt pour la signalétique routière.

L'utilité dont avait fait preuve la voiture durant la guerre (les taxis de la Marne par exemple) a eu des effets directement bénéfiques sur son usage. Il était en effet impérieux en temps de guerre d'en faciliter la circulation ainsi que celle des chars d'assaut. Le réseau routier en France par exemple a alors été renforcé : construction en France de 900 kilomètres de routes, probablement plus adaptées à la voiture et aux tanks, et surtout, création d'une catégorisation des routes (nationales, départementales...) pour faciliter le repérage des usagers dans le réseau routier. Ces informations figuraient, et figurent toujours, sur les panneaux directionnels et les bornes routières.

La première guerre mondiale a eu des effets marqués sur l'évolution de la signalétique routière. En la détruisant dans un premier temps, elle a permis de réaffirmer sa nécessité dans le système routier. En outre, elle a consolidé ce système autour du rôle émergeant pris par la voiture dans les transports terrestres, à l'encontre du rail par exemple, en développant le réseau routier, et justifiant l'apport de l'automobile aux déplacements.

2.3. La signalisation de régulation.

A partir de 1926, en raison probablement de l'essor pris par la circulation urbaine des voiture, de nouvelles réglementations s'imposent qui vont limiter ou contrôler les zones d'accès. Il ne s'agit plus seulement de faciliter la circulation en avertissant de la présence d'un danger, mais d'organiser les relations entre les usagers. De nouveaux panneaux, mais aussi de nouvelles injonctions apparaissent comme celle de la limitation de vitesse, l'interdiction d'accès pour une ou plusieurs catégories de véhicules (le "sens interdit" fait son apparition) ou encore les ordres d'obligation ou de stationnement. C'est alors que la signalétique franchit une étape très importante de son évolution. En 1929, une codification de la forme des panneaux est proposée : triangulaire pour signaler un danger, circulaire pour indiquer un mode de régulation (sens interdit), rectangulaire enfin pour les indiquer les directions. Le panneau devient le porteur de plusieurs messages successifs : la nature d'une injonction que l'on perçoit en même temps que sa spécification.

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Fig. 3 Les panneaux de prescription absolue en 1931

(Source : Duhamel, Un demi siècle de signalisation routière, AMC Eds)

La sémantique des panneaux fait donc son apparition. Krampen établit une relation entre cette étape considérable de la signalétique routière et les idées d'Otto Neurath qui étaient largement répandues à la même époque. Tout d'abord en relation avec Carnap, il est à l'origine, entre autres, de la "méthode de représentation pictographique des statistiques", et a oeuvré pour l'édification d'un langage pictographique international. Il préconisait la conception de pictogrammes tels qu'ils soient lisibles "en trois coups d'oeil". Neurath a lui-même proposé aussi la représentation de quelques signaux routiers.

Krampen évalue cette étape comme le premier pas franchi vers la sémiotisation d'un système global des signaux routiers. Pour des raisons de compréhension internationales, l'iconicité des messages s'affirme complètement, à l'encontre des formes conventionnelles. Il faut noter que la schématisation des pictogrammes implique l'élimination des détails jugés superflus ; il n'en demeure pas moins vrai que, toujours selon Krampen, "un véritable langage international" émerge alors de ce projet.

A partir de ce moment, le nombre des panneaux commence à s'accroître :

• les signaux de danger, triangulaires, au nombre de sept en 1931, puis 15 en 1939, indiquent également la présence d'un danger non spécifié, et l'intersection avec une route prioritaire. La présence de piétons, ou la proximité d'écoles y figurent à partir de 1939 : ils représentent donc un danger pour les automobilistes !

• 11 panneaux sont destinés à la régulation de la circulation indiquant les interdictions d'accès relatives à une catégorie de véhicules, ou à la charge des véhicules,

• une obligation de direction,

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• différentes formes de signes d'indication : une ville, un hôpital...

Comme on le constate, les catégories d'injonctions ne se différentient pas parfaitement. Parmi les signaux de danger, figurent par exemple des signaux attribuant une priorité de passage aux véhicules provenant de l'une des voie d'accès à une intersection, ce qui pourrait être interprété plutôt comme une injonction de régulation que de danger. La sémantique n'est pas parfaite, laissant la place à la discussion, ce qui semble avoir échappé à la Commission.

La guerre de 1939 produisit des effets analogues à ceux de la guerre de 14. Mais dès 1949, une nouvelle Conventions internationale entérinait la création de nouveaux signaux.

Le tableau suivant donne un aperçu de l'arborescence avec laquelle l'évolution des panneaux routiers a progressé pendant toutes ces années.

Dates Catégories d'injonctions Nombre de panneaux

1909 Signal. un danger 4

1926 Signal. un danger 6

1928 Régulation 12

1931 Signal. danger 8

1931 Régulation 12

1931 Information, marquage urbain, directions

6

1931 Total : 28 panneaux

1939 Signal. danger 15

1939 Régulation 16

1939 Information, marquage urbain, direction 9

1939 Total : 40 panneaux

1949 Signal. danger 24

1949 Régulation 16

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1949 Information, marquage urbain, directions

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1949 Total : 55 panneaux

Tableau 1. Evolution du nombre et des catégories d'affectation des panneaux

2.4.Conclusion : émergence de la signalétique routière pendant la première moitié du 20 ième siècle.

L'apparition des nouveaux modes de déplacement, la bicyclette puis l'automobile, semble avoir eu un rôle incitatif décisif sur la création de la signalétique iconique. Alors que l'on en trouve des indices prémonitoires tout au long de notre histoire, il semble que la circulation de ces nouveaux engins ait été l'impulsion nécessaire à la création de cette forme de langage. Sa particularité réside autant dans l'articulation de chaque signal dans un langage (Meunier, JG., 1999) que dans la forme donnée aux figures conçues de façon à faciliter la compréhension de l'usager ; elle se différencie par exemple du code maritime dont les figures abstraites sont conventionnelles et n'évoquent en rien leur message contenu.

Cependant, c'est à partir du moment où les gouvernements se sont impliqués directement dans l'organisation de la signalisation routière que sa place a pris de l'importance. A ce niveau, on peut parler de choix de société.

Finalement, il est probable que la signalisation routière ait été l'outil qui a permis à l'automobile de prendre l'importance qu'elle occupe dans les déplacement terrestres comparativement aux autres modes de déplacement.

3. Fonctions de la signalisation dans le système des transports terrestres.

3.1. L'état du réseau routier au début de l'automobile Quand les automobiles ont commencé à circuler, l'état du réseau routier différait peu de la description qu'en donne Lepetit pour la période 1740-1840. La qualité de revêtement des routes était très inégalement répartie, entre les routes pavées, empierrées, en terre, à l'entretien ou à réparer, selon la terminologie en vigueur à l'époque aux Ponts et Chaussées. L'essor des déplacements ferroviaires avait provoqué une désaffection du réseau routier qui était de moins en moins bien entretenu. Le réseau était initialement adapté aux déplacements tractés, mais les automobiles, à cette époque déjà, se déplaçaient à une vitesse supérieure à celle du cheval. La forme des voies, l'angularité des virages, entre autres

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choses, réclamaient probablement une anticipation bien supérieure de la part du conducteur. Bref, le réseau était mal adapté à la circulation de ces nouveaux engins. Les autorités hésitaient probablement à leur donner le feu vert pour une libre circulation dans des conditions de sécurité aussi précaires. 3.2. L'automobile : attraction et danger. Mais, comme le souligne M. Pervenchon, l'automobile est un objet qui rassemble à lui tout seul toutes les vertus désirables en matière de déplacement, tout en procurant à son conducteur un sentiment de protection. Baudrillard analyse lui aussi finement ce sentiment mettant en évidence les qualités de puissance, d'ubiquité, dont il pare le conducteur. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles ces nouveaux engins ont commencé par susciter l'intérêt et la curiosité des populations. La séduction opérée devait inciter à oblitérer, en le scotomisant, le péril qu'ils représentaient pour les conducteurs et pour les populations urbaines. Initialement, on avait donc d'un côté un réseau peu préparé à la circulation de ces engins, et donc dangereux, et de l'autre un fort désir de se les approprier, de voir leur usage se répandre. Comme on l'a constaté précédemment, c'est au moment où les associations de défense de la voiture ont proposé d'aménager le réseau par les signaux que les pouvoirs publics ont commencé à céder devant cette mouvance. 3.3. La signalisation : une solution au danger ? A l'époque, la proposition faite par les associations d'automobilistes d'implanter une signalisation spéciale afin d'avertir les usagers de la localisation et de la nature d'un danger semble donc avoir été l'élément déterminant de leur agrément. Ce projet représentait le moyen d'adapter l'engin à la dangerosité d'un réseau routier qui n'avait pas été conçu pour lui. Du fait que les dangerosités du réseau pouvant être signalées aux conducteurs, on peut supposer que la signalisation soit alors devenue le support par lequel on rendait le réseau apte à la circulation des voitures. Même si à l’époque elle était très réduite (quatre panneaux), la signalisation était le lien entre un réseau défectueux, et un réseau tel que l'on se le représentait comme conforme à la sécurité. C'était un peu le garant, ou bien la caution, qu'il était nécessaire de payer pour pouvoir circuler sans accident. D'une certaine façon, on peut considérer que l'apparition de la signalisation du danger soit justement l'un des éléments qui a permis de rassurer les autorités puis la population permettent d'oublier le danger, puisqu'elle est là pour nous le souligner en rouge tout au long des cheminements parcourus. La question de savoir dans quelle mesure la signalisation remplit effectivement ce rôle reste ouverte. Il reste à s'interroger sur la croyance dans la signalisation comme outil de sécurité. Quoiqu'il arrive, la voiture semble devoir être toujours un engin dangereux. Sauf dans un système environnemental complètement déterministe, dans lequel les déplacements et les trajectoires sont dans tous les cas possibles anticipés, prévus. Les déplacements ferroviaires sont un exemple de cette qualité de l'environnement, mais concernent les déplacements limités aux zones équipées. Les autoroutes représentent un système routier beaucoup mieux

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adapté à l'usage de la voiture que le reste du réseau routier. Et de fait la signalisation autoroutière est bien souvent réduite aux informations directionnelles. Il faut d'ailleurs noter que les autoroutes sont apparues rapidement après les débuts de l'automobile, un peu comme si d'emblée, on avait compris que ce nouvel engin devait prendre sa place dans un système routier spécialement conçu pour lui : la première autoroute a été inaugurée en 1927 en Italie. Mais l'ensemble des routes ne pouvait être transformé, et l'on a choisi de l'aménager tout d'abord en signalant les dangers divers qui les jalonnaient. Puis les routes se sont transformées : le goudronnage a permis une meilleure adhérence sur le sol. Les tracés ont été remodelés, le réseau s'est différentié... Mais alors que le réseau s'amendait, les performences de la voiture se développaient, les capacités de vitesse montaient de plus en plus... ce qui fait que l'engin est toujours en avance sur les capacités du réseau... et que la signalétique routière est toujours nécessaire pour adapter le véhicule au réseau, et réguler les relations entre les usagers. La signalisation aurait donc pour mission de réguler l'adéquation capacités du réseau-capacités de l'engin. Ce point de vue est bien éloigné de celui de l'automobiliste qui ressent bien souvent le message de nombreux panneaux comme une perturbation qui lui serait infligée. Pour nous en revanche, il ouvre un champ de recherche intéressant sur les formes de représentation du danger, leur exhaustivité, ce qui soulève deux catégories de questions : - La première concerne la conception des risques que la qualité du réseau peut générer dans la conduite de l'engin. - La seconde concerne les formes iconiques des messages et leurs capacités à véhiculer l'information nécessaire à la tâche du conducteur.

4. Conclusion Jusqu'à la fin des années 20, la signalisation semble avoir eu pour mission essentiellement de faciliter l'adaptation de l'automobile à un réseau peu préparé à la recevoir, et qui rendait parfois périlleuse la maîtrise de l'engin. Le phénomène accidentel, immanent à la conduite des automobiles dans le système routier risquait de nuire à son expansion, en comparaison avec le rail qui aurait pu prendre plus d'importance à cette époque. La première époque de la signalisation visait donc une meilleure régulation de la sécurité. La seconde, comme on l'a constaté, s'attaquait à un autre problème : la saturation des voies urbaines qui elle aussi agissait comme un effet pervers du système et risquait de nuire à l'expansion de l'auto. Le parc automobile commençant à grossir, entraînait la congestion des voies urbaines, et en conséquence, le ralentissement du débit. L'auto s'avérait être un mode peu adapté à la circulation en ville si l'on n'y mettait pas un peu d'ordre. La concurrence avec les transports en commun, en fonction depuis toujours, n'aurait pas été en sa faveur sans l'instauration d'un signalisation spécialement créée pour chercher à mieux répartir le flux des voitures, leur stationnement, sans oublier que les autre usagers, cyclistes, piétons, devaient conserver une certaine autonomie.

Si l'on considère le système des transports terrestres dans son ensemble, c'est à dire comme un réseau composite de modes diversifiés, la signalisation commence à apparaître dans les années trente comme l'outil favorisant l'émergence de l'un de ces modes, la voiture. La

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signalisation ne concerne pas le système dans son ensemble, mais la prééminence de l'un d'entre eux. Son objectif est d'éliminer ce que l'on se représente comme étant les dysfonctionnements et les effets pervers qu'elle entraîne. Elle semble s'être structurée, depuis le début du siècle, sur la nécessité de faciliter la conduite automobile, d'être une aide au conducteur ; puis, à partir des années trente, elle permet d'aménager le système de façon à améliorer la rentabilité de l'automobile, en ville principalement. Elle doit être envisagée du point de vue de sa relation directe au mode motorisé, comme une assistance à son fonctionnement. Elle a exclu rapidement les autres modes : les piétons sont considérés comme un péril pour le conducteur, au même titre qu'un cassis dans la chaussée ou un virage brusque. Les cyclistes, pourtant à l'origine de la création de la signalisation, ont un statut analogue. En conclusion, il apparaît que les notions tant de facilitation de la conduite automobile que d'amélioration de sa sécurité semblent prééminentes dans la conception de la signalisation.

Se pose maintenant à nous une double question : celle de la pertinence du choix des messages comme aide à la conduite, et celle de l'adéquation entre le contenu des messages diffusés sur les panneaux et l'objectif qui leur est assigné. Sans doute serait-il intéressant de s'interroger maintenant sur la signalétique comme aide à la conduite, sur la façon avec laquelle cette aide est conceptualisée, donc sur la logique de la sémantique du message iconique. Cette présentation a accordé une place importante aux débuts de la signalisation routière. Depuis, cette fonction a évolué, avec la signalisation dite de confort notamment, qui anticipe des besoins des conducteurs au cours des déplacements. La signalisation traditionnelle n'en demeure pas moins toujours nécessaire : il est d'ailleurs surprenant de constater que les premiers panneaux mis dans la circulation en 1909 sont toujours en fonction de nos jours.

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Références bibliographiques Baudrillard, J. (1968)Le système des objets, Gallimard Duhamel, M. (1994)Un demi-siècle de signalisation routière. Naissance et évolution du panneau de signalisation routière en France 1894-1946. Presses de l' Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. Duhamel-Herz, M. et Nouvier, J. (1998) La signalisation routière en France de 1994 à nos jours. AMC Editions. Krampen, M. (1983) Icons on the road. Semiotica 43. p. 1-203 Lepetit, B. (1984) Chemins de terre et voies d'eau. Ed de EHESS. Meunier, J. G. (1998) Categorical structure of iconic languages. Theory and psychology, 8,6. Pervanchon, M. (1999) Du monde de la voiture au monde social, L'Harmattan Reverdy, G. (1995) L'histoire des routes de France, QSJ PUF Reverdy, G. (1997), L'histoire des routes de France du moyen âge à la révolution, Presses de l'école nationale des Ponts et Chaussées Teissier-Ensminger, Anne (1998)Autos, panneaux, signaux : du droit en un clin d'oeil. L'Harmattan.