La sculpture en Champagne - La Chancellerie des ...

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REVUE

ARCHÉOLOGIQUEPUBLIÉE SOUS LA DIRECTION

DE MM.

ALEX. BERTRAND ET G. PERROT

MEMBRES 0E L'INSTItUT

PAUL LIil'RIEIJR

1k 8CW1PTURE EN ChAMPAGNE

PARIS

£RNEST JJEROUX, ÉDITEUR28, RUE BONAPARTE (Vie)

1901Tou, droit, réservé,

Document

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1.

L'Administration et te Bureau de la REVUE ARCHÉOLOGIQUE sont à la LliRAimKERNEST LEROUX, 28, rue Bonaparte, Paris.

CONDITIONS DE L'ABONNEMENTLa Revue Archo1og4ue parait par fascicules mensuels de 64 à 80 pages grand

in-8, qui forment & la fin de l'année deux volumes ornés de 24 planches et de nom-breuses gravures intercalées dans le texte.

PRIX:Pour Paris. lin an ........... 30 k.Pour les départements. Un an.. 32 Iv.Un numéro mensuel .......... .3 fr. 1 Pour l'Etranget. Un an ...... . 33 fr.

On s'abonne également chez tous les libraires des Départements et de l'Etranger.

IV. B. - Tout -ce qui est relatif à la rédaction doit être adressé à M. AlexandreBBRTIUND, de l'Institut, au Musée de Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise), ou àM. G. PERBOT, de l'institut, rue d'Ulm, 45, à Paris.

Les livrez dont on désire qu'il soit rendu compte devront être déposés au bureaude la Revue 28, rue Bonaparte, à Paris, ou au Musée de Saint-Germain-en-Laye.

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[1904, 1, p. 407-416]

VARIÉTÉS

La sculpture en Champagne

Le livre de MM. Koechlin et Marquet de Vasselot, dont nous indiquons ennote le titre nettement défini et limité, est une des plus utiles en même tempsque des plus sérieuses contributions apportées depuis plusieurs années â l'his-toire de notre vieille sculpture française. Comment l'idée leur en est venue etcomment ils l'ont mise en oeuvre, suivant quelle méthode et quel plan, aprèsquels tâtonnements préparatoires ils s'en expliquent à nous, avec une franchisepleine de bonhomie, dès la solide et substantielle introduction qui ouvre le vo-lume (p. 1-19). Ce n'est pas ici, comme il arrive souvent, hors-d'oeuvre ni sur-charge. C'est l'essence même du livre qui se dégage dans un résumé prélimi-naire et une sorte de carte à vol d'oiseau, où l'on peut compter les étapes duchemin à parcourir, entrevoir les difficultés de la route et en pressentir aussiles joies.

La Champagne - on l'a souvent dit, mais on ne le dira jamais assez - estun pays extrêmement riche en oeuvres de tout genre, parmi lesquelles la sculp-ture tient une large place. Frappés, lors d'une première excursion faite au ha-sard dans ces contrées, par l'abondance des monuments conservés, non seule-ment dans les villes, mais encore dans les campagnes, où s'étaient relativementpeu aventurés jusqu'alors les érudits locaux ou qu'ils n'avaient que superficiel-lement explorées, les deux jeunes archéologues se laissèrent tenter par la pers-pective de faire ample moisson d'inédit; et, pendant plusieurs années, de saison ensaison, ils se mirent en chasse, faisant dans toute la région de fructueuses bat-tues, la traversant dans tous les sens, la fouillant méthodiquement jusqu'en sesplus humbles communes et ses plus misérables villages, munis de l'indispensableappareil photographique pour fixer les souvenirs et ne laissant pour ainsi direpasser aucune oeuvre de quelque valeur sans en garder l'image. Ce consciencieuxlabeur eut sa récompense, s'il eut aussi ses déboires.

Un moment vint où, devant l'accumulation des matériaux réunis, découragéspar la difficulté de se reconnaître dans cette légion d'oeuvres pour la plupart

4. Raymoud Roechin et Jean-J. Marquet de Vasselot, La sculpture à Troyes etdans ta Champagne méridionale au aci:iême siècle. Étude sur la transition de l'artgothique à l'italianisme. - Paris, A. Colin, 5900, iu-4 0 , 421 pages et 116 figureshors texte eu phototypie.

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kEVUË ARCI1IOLOG1QUÈ

anonymes, sans point do repère fixe, date ou nom de sculpteur nettement établi,permettant d'y introduire en toute certitude un classement, d'en suivre la lo-gique et la chronologie, les deux travailleurs eurent presque envie d'abandon-ner l'entreprise et de laisser à ras d'oeuvre, sur le chantier, la tâche commencée.Ce qui fera, en effet, toujours le supplice des historiens d'art, la douloureuseantinomie, d'une part entre les documents d'archives, comptes ou autres - ilsont été pour la Champagne largement explorés - qui nous livrent des noms d'ar-tistes et des listes d'oeuvres devenues pour nous lettre morte, et, d'autre part,les monuments mêmes dont on ne sait comment percer le mystérieux anonymat,règne ici en souveraine maîtresse. Aux raisons générales habituelles en pareilcas, MM. Koechlin et Marquet de Vasselot en ajoutent d'autres, plus particu-lièrement spéciales àTro yes au moins, sinon aux campagnes voisines : k savoirle va-et-vient de beaucoup de sculptures, retirées à la Révolution de leur placeoriginelle, pour être placées comme en dépôt à In cathédrale d'abord, puis àNotre-llame-aux-Nonnains et à Saint-Loup, et attribuées dans la suite à telleéglise de Troyes ou des environs, sans qu'ait pu souvenue maintenir cela vade soi - au cours de ces déménagements successifs, le souvenir de lu prove-nance primitive. Ce que Lenoir faisait alors en grand à Paris, le sauvetage mé-thodique des oeuvres d'art, parait avoir été tenté, quoique dans de moindresproportions, à Troyes même; et certaines églises troyennes, comme Saint-Ni-colas ou Saint-Urbain par exemple, qui ont largement puisé dans le fond com-mun ainsi réuni, ont postérieurement bénéficié, de ce fait, d'une abondance derichesses sculpturales, hétérogènes d'ailleurs plutôt qu'appropriées toujours aulieu et à la place, qui leur ont plus ou moins donné l'aspect et l'apparence d'unmusée. On comprend facilement tout ce qu'il en peut résulter de confusion etde chances d'erreur, dans les cas - rares sans doute - où une mention decompte pourrait, l'objet étant encore en place, apporter sur tel ou tel point unpeu de lumière. La légende locale, qui avait conservé seulement mémoire de cer-tains sculpteurs comme Jacques Juliot, Dominique Florentin ou François Gentil,et qui leur attribuait indistinctement ce quo des époques ou dos mains très di-verses ont produit d'excellent, n'était pas non plus pour simplifier les choses,puisqu'avant même de songer à reconstruire quoi que ce soit, il fallait démolirde prétendues fondations sans critique et sans base, et éliminer le plus souvent,d'oeuvres aussi étrangement bariolées, encore plus qu'on n'en pouvait maintenirou ajouter.

Mais, à. la réflexion, et tout compte fait des difficultés, les deux travailleursestimèrent sagement qu'en histoire de l'art, après tout, les monuments sérieuse-ment interrogés sont c les véritables documents », qu'ils portent en eux-mêmesleur histoire et leur justification d'existence, et qu'à les sonder et scruter à fondon aboutit souvent à des probabilités aussi précieuses et aussi sûres en leurgenre que peut l'être le texte le plus catégorique. Ce fut donc à l'étude attentiveet serrée des oeuvres qu'avant tout ils s'attachèrent, mêlant pour cela à doseségales le meilleur des méthodes allemandes, qui leur étaient à tous deux fa-milières, et aussi - il faut bic,, le reconnaître - tout ce qu'il y eut d'excellentdans les doctrines chères au regretté Louis Courajod, dont ni l'un ni l'autre ne

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reniera la forte influence directrice ca

r leur livre est au plus haut point impré-

gné de son esprit.De parti pris, bute une période de la sculpture champenoise, celle des dé-

buts entre le xii' siècle et les limites extrêmes du xv 0, n été laissée dans l'ombre

ou, du moins, indiquée seulement à. grands traits dans l'introduction. C'est alorsplus ou moins un dérivé du grand courant de l'lle-de-France, français d'abord,puis franco-flamand, avec des nuances tout au plus, souvent assez difficiles àfixer. Nous n'examinerons point ici la question de savoir s'il eût été possibleaux auteurs de trouver plus et mieux sur ce point. Puisqu'en un sujet déjà sichargé un sacrifice était nécessaire, mieux vaut s'y résigner de bonne grl.ee.C'est avec les dernières années du xv' siècle et surtout les premières du xvi',quand, par suite de certaines circonstances politiques, les guerres anglaises oubourguignonnes heureusement terminées, sous Charles VIII et Louis XII, re-naît pour la Champagne une ère de prospérité féconde et s'y développe une flo-raison d'art d'autant plus active, qu'ils ont abordé résolument l'histoire de lasculpture locale. Outre que les monuments deviennent alors d'une abondanceinouïe, ils prennent aussi plus d'importance pour qui aime à trouver dans uneoeuvre d'art l'accent d'une race et d'un pays, à en sentir et goûter les provin-cialismes de terroir. L'école champenoise telle que nous la connaissons, avecses qualités et ses défauts, ne date guère que de cette époque; et il était inté-ressant d'en fixer les caractères, en même temps que d'en suivre l'évolution.Car on est à un tournant singulièrement dangereux de l'histoire; et bien desidées sont dans l'air, qui en peu d'années, par inifitrations successives, lui fe-ront revêtir tour à tour divers aspects, avant de la transformer radicalement.L'Italie est là menaçante, gagnant tous les jours du terrain, et, après une pé-riode de fusion et d'accord qui eut son charme, toute prête à imposer, sous pré-texte de grand style, des formules d'enseignement sans OEme et sans vie. Com-ment s'est opéré le passage d'un point à un autre, quels en furent les arrêts, lesétapes, et comment le vieux fond national, aux traditions gothiques plus oumoins ancrées et persistantes, dut, après des résistances vaines, céder finale-ment le pas à l'envahisseur tel est le problème, attachant par lui-même etplacé au coeur même du sujet, que les deux collaborateurs se sont, en somme,efforcés de résoudre. Leurs préférences ne sont pas douteuses; et, à l'opposéde M. Dimier qui, dans une thèse récente de Sorbonne, se montrait si ardentchampion du classicisme, ils sont nettement pour le vaincu. On retrouverait icicomme un souvenir des éloquentes colères de leur maître Courajod, dès qu'ils'agissait (le défendre l'art français en sa pureté native contre la fatalité inéluc-table (les événements et des transformations historiques. Il nous reste à indiquersommairement les points essentiels du travail, en signalant ce qui peut être àcritiquer ou à louer dans le détail.

Trois grandes divisions y ont été établies, correspondant à la succession desépoques et à l'ordre même des faits la période gothique, la transition et l'ita-

lianisme. Ce n'est pas que de l'une à l'autre, de la première à la seconde sur-tout, plus d'un échange ne soit possible. Tel artiste ou telle oeuvre citéedans une des parties peut très bien avoir appartenu, en réalité, à la précédente

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ou à la suivante (les auteurs eux-mêmes en conviennent) car il y eut des ate-liers avancés, comme il yen eut de retardataires, et nous n'avons malheureu-sement pas de pierre de touche pour les reconnaître sûrement. Nous ne garan-tissons pas, non plus, que des sculptures souvent différentes d'esprit, et classéespour cela dans des sections distinctes, ne soient pas, au fond, l'oeuvre du mêmehomme ou du même atelier évoluant et se transformant avec l'âge. Mais -sauf inévitables erreurs de ce genre — c'est déjà un commencement de lumièreet un grand pas vers la vérité qu'un groupement méthodique des oeuvres d'aprèsle style, surtout quand on se trouve en présence (comme c'est ici le cas) deproductions à peine détachées le plus souvent de l'art industriel, suivant l'ha-bitude du moyen âge, et reflétant plutôt le goût général d'une époque que lesvisées personnelles d'un artiste inventeur.• En tête de chacune des sections est une partie en quelque sorte documen-

taire, où estd'abord mis en oeuvre excellemment, en un récit pittoresque et vivant,tout ce qu'il est possible de tirer des comptes et textes publiés, pour reconsti-tuer le milieu, la vie des imagiers, leurs rapports entre eux ou avec leurs con-frères, maçons, huchiers, tombiers, orfèvres, peintres, verriers, unis par lesliens étroits des corporations, et dresser la liste malheureusement longue desoeuvres perdues, en même temps qu'entrer parfois dans la voie des restitutionshypothétiques. Tout ce début de la première partie, qui est particulièrementdéveloppé et soigné, est un modèle en son genre, et évoque bien, avec unesorte de sympathie affectueuse, les humbles conditions dans lesquelles travail-laient alors les ouvriers, besognant de leur mieux, en toute simplicité de coeur,aux oeuvres commandées. Que savons-nous même de ceux qui purent être desmaltresetchefs d'ateliers réputés en leur temps, les Jean Gailde, les Nicolas1-laslin, les Jacques Bachot? Bien ou presque rien. Le lien est bien fragile, quitait attribuer par les auteurs de ce livre, au premier, certains détails décoratifsencore subsistants du jubé de la Madeleine, dont il dirigea l'exécution de 1508à 1517; au second, quelques autres détails du même jubé, auquel on sait qu'ilcollabora, permettant d'entrevoir en perspective lointaine - et sous toutesréserves, d'ailleurs - comme pouvant être également de sa main, soit lesretables de l'église de Lirey (aujourd'hui au South-Kensington) ou de celle deCrésautigues, soit même la célèbre et remarquable Visitation de l'église Saint-Jean.

MM. Koechlin et Marquet de Vasselot sont sur un terrain beaucoup plussolide - c'est même une des parties les plus neuves et les plus originales deleur livre - quand, autour d'une autre célèbre figure de Troyes, la SainteMai-the de l'église de la Madeleine, ils ont réussi à. grouper, par des comparai-sons attentives, tout un ensemble d'oeuvres sorties visiblement du même atelierou de la même main. L'atelier de la Sainte Marthe - comme ils le nomment trèsjustement d'après son principal morceau, à l'imitation des méthodes usitées enAllemagne polir classer provisoirement les anonymes - est un des plus graves,des plus sérieux et des plus nobles de Troyes à l'aurore du xvi t siècle. Il fautdire aussi qu'il est plutôt tourné vers le passé, et que d'ensemble, par l'alluregénérale et le style, c'est une école du xv' siècle attardée, résumant dans toute

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sa force éloquente l'idéal gothique près de mourir. Les caractères particuliersde ce groupe sont ici très finement notés, depuis l'ampleur du sentiment et dufaire, la structure spéciale des visages ou des mains, l'arrangement des vête-ments, jusqu'à de menus détails habituels, comme la manche serrée au poignetou les deux petites mèches séparées sur le front. Une oeuvre admirable et jus-qu'ici peu connue, la Pitié de Bayel, est à placer tout à fait en tête du groupe,près de la Sainte Marthe, comme pouvant indiquer les tendances mêmes dumaître qui fonda l'atelier. Viennent ensuite, pour en marquer l'évolution laMise au tombeau de Chaource (1515), celle déjàplus maniérée de Villeneuve-l'Archevêque (1528),le retable de Rumilly-les-Vaudes (1533), deuxpetits groupes dedonateurs encore pleins de gra-vité à Saint-Nicolas de Troyes; peut-être un Saint I

Bonaventure dans la même église, une statuette deSainte Marthe dans la collection Manzi, et, commeextrême fin d'influence au moins, avec complica-tion de minauderie à la mode, la jolie Sainte dela collection L. Goldschmidt exposée au Petit- -Palais

Nous ne saurions nous embarquer dans ledétail infini et même - avouons-le - un peumonotone (trop de médiocrités s'y mêlant) desVierges, Pitiés, Christs, saints ou saintes, qui,en dehors de cet atelier, prouveraient la longuesurvie en Champagne des traditions gothiques.Contentons-nous de noter, comme une formuleexcellente des tendances le plus habituellementrégnantes, et qui caractérise bien l'art chant pe-nois à. cette période de son histoire (' art bour-geois, fait pour des bourgeois ». Qu'on soit enFig. t.'—. Viergeprésence de types encore simples (comme la Vierge(Hôtel-Dieu de Troyes).de l'Hôtel-Dieu de Troyes, celles de Brienne-la-Vieille ou de Saint-Rémy-sous-Barbuise qui en sont les soeurs jumelles, cellede Saint-Urbain de Troyes) ou déjà plus compliqués, plus avancés d'époque etchargés d'ornements ( Visitation de l'église Saint-Jean, par exemple), c'est tou-jours au fond, avec plus ou moins de délicatesse ou de lourdeur, la même car-rure solide, le même amour des détails familiers, les mômes visages pleins aufront découvert, aux cheveux haut plantés, aux petits yeux bridés, à la bouche

4. lI ne faudrait pas, d'ailleurs, exagérer l'importance de ces derniers détails,nu moins, qui peuvent se rencontrer eu d'autres groupes, et même hors de Cham-pagne. Pour la manche serrée au poignet, par exemple, la Vierge d'Ecoueu, auMusée du Louvre n' 144 du Catalogue), offrirait quelque analogie.

2. Il peut très bien se faire, toutefois, que cette dernière oeuvre n'appartiennepas au groupe même. Les auteurs, par prudence, l'en ont écartée, tout en cons-'talant les ressemblances qui semblent l'y rattacher.

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fine, avenante ou moqueuse, dont on retrouverait plus d'un spécimen encorevivant aujourd'hui dans la région.

De la première période ou plutôt de la première manière à la seconde - carsouvent elles se juxtaposèrent - du gothique à la transition, le passage futinsensible. C'est un pli qui se complique, se chiffonne, se tortille inutilementou s'amollit; une attitude qui se contourne, un geste qui se maniérise, uneexpression qui touche à la sentimentalité fade; et de proche en proche, sous pré-texte d'élégance, une sorte de prétention générale, une grâce affectée, superfi-cielle et convenue de théâtre remplaçant la profondeur simple d'autrefois. Lesdivers symptômes du mal, de la modo nouvelle qui s'annonce et qui eut à Troyesgrand succès, qui a même encore pour nous son heure de charme avant lesexagérations et les outrances finales, sont analysés et suivis par toute une

Fig. 2. - Maitre de la Sainte Marthe.Pitié (Église de BayaI).

série d'exemples probants. Il est certain que des Vierges précédemment citées àcelles de Vendcauvre ou de Villemaur; bien que relativement encore sages, il ya déjà un grand pas franchi.

Où nous ne serions pas complètement d'accord avec les auteurs, c'est dans lesgroupements, qu'ils ont tentés pour cette époque comme pour la précédente. Lecern d'atelier de Saint-Lgcr peut être à la rigueur adopté pour un de cesgroupes, dont la Vierge du Breuil-sous-Orbais au Musée de Cluny pourraitêtre le prototype et la source originelle, mais qui ne prend vraiment tout soncaractère et ses particularités spéciales - tendance à l'équilibre symétrique deslignes, notamment, jusque dans te plus menu détail des chevelures, des vête-ments, des rubans de ceinture sinueux et pendants - qu'en des oeuvres posté-rieures comme la Vierge de Saint-Léger ou comme celles de Saint-André.-lez-Troyes, de Saint-Ayoul de Provins ou de la collection SomMe, types intrigants,

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les trois premières au moins fragments possibles de retables de l'Assomption au-jourd'hui perdus. Mais pourquoi s'être arrêtés en si bon chemin, et signaler toutà fait incidemment (p. 244) ou reproduire (fig. .83) comme oeuvre à part dessculptures qui, par la nuance du maniérisme autant que parla qualité du marbre- un marbre un peu savonneux qui touche à l'albâtre - sortent visiblement dumême atelier? Les deux Anges musiciens de Saint-Ayoul de Provins exposés auPetit-Palais, par exemple, ou la si charmante Apparition du Christ â la Viergede Vallant-saint-Georges. Nous connaissons, dans la collection de la marquiseArconati-Visconti, une très agréable statuette de-- -sainte, qui aurait chance aussi d'en dépendre, etune enquête attentive aurait facilement fait décou-vrir d'autres pièces. La sagacité habituelle des deuxchercheurs nous parait, sur ce point, un peu endéfaut.

Dans la reconstitution de l'atelier des Juliot, quiest un des ateliers les plus importants de Troyesdans la première moitié du xvi' siècle - connu pardes documents, mais qui, malheureusement, nes'appliquent presque jamais à des oeuvres existantes- n'ont-ils pas été trop loin, en revanche, et ne sesont-ils pas laissés entrainer à des rapprochementsillusoires, quelque soin et quelque conscience qu'ilsy aient mis? Si du retable, d'ailleurs si mutilé, deLarrivour, au Musée de Troyes (1539) - le seul quisoit authentiqué par un texte—on passe facilementà ceux de Saint-Nizier (même musée) ou de Saint-André-lez-Troyes (141)', et, par analogies sueces-Fig. 3.sives, à des oeuvres de même famille, tels que lesMaître de Saint-Léger.deux bas-reliefs de Saint-Nicolas de Troyes qui ontViergefiguré au Petit-Palais, le fragment de Saint-Parres- (Saint-Léger -lez-Troyes).les-Tertres (Saint Christophe et Saint Georges),

même le Trelpassement de la Vierge de la collection Gréau, nous avouons n'être

t. relevons au passage une singulière' erreur (les auteurs, qui leur a fait impar-faitement comprendre et définir un des sujets traités dans ces retables, àSaint-Nizier et Saint-André, nu moins, de toute évidence. Ce qu'ils nomment va-

5roment k l'italienne Sainte Conversation est le motif bleu connu de la Parentéta Vierge, Inspiré 'le la légende des trois Maries, en sa formule la plus habi-

tuelle chez les peuples du nord. D'innombrables tableaux on retables sculptés,en Allemagne ou en Flandre, l'ont ainsi figuré. Parfois les saintes femmes(sainte Anne et ses trois filles) sont sentes avec leurs enfants (voir la miniaturede Fouquet). Mais, le plus souvent, elles sont groupées comme ici sainte Anne,la Vierge et sou Fils au centre, nu peu surélevés; Marie Cléophas et Marie Sa-lomé sur les côtés, avec leurs enfants; et les quatre maris derrière. Ce sont léspersonnages qui ont été pris pour de simples spectateurs contemplant une réunionde saintes autour de la Vierge et de sa mère. Il est à peine besoin de rappeler—entre beaucoup d'autres - comme typiques sucre sujet, les peintures pusoumoins célébres de Quentin Metsys, Jan van Coninxlo, Victor et Henri Duawege,Martin Schaffner, aux Musées de Bruxelles où d'Anvers et à la cathédrale d'lJlm.

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Pas du tout convaincu par l'attribution au même atelier, tût-ce en sa période laplus extrême, d'après des ressemblances plus extérieures que réelles, de sculp-tures aussi différentes d'esprit, aussi décadentes et exaspérées de style, que lestrop célèbres bas-reliefs de l'autel de la Communion à l'église Saint-Jean(Cône, Lavement des pieds et Repentir de Jades) ou le curieux groupe de sta-uettes allégoriques, compliquées et tendues, surchargées d'accessoires et d'or-

nements, dont le Musée de Cluny, les collec-tions Schiif et Koechlin contiennent des spé-cimens. Mais qui sait, au fond, où est la

-.vérité'?rILa dernière période de la sculpture cham-

penoise, celle que les auteurs de ce livre ont

4appelée l'italianisme, est sous la domina-lion presque absolue d'un homme, qui lui n

-- I surtout donné son caractère et l'a entraînée- â sa suite dans dos voies brusquement mo-

difiées. Après un certain nombre d'exodes,

•qui s'étaient produits vers Fontainebleau,dans la jeunesse troyenne, en des familles

,. de sculpteurs comme celles des Juliot, des

ji Haslin, des Bachot, etc., un des collabora.

leurs de Primatice, Italien réputé, à l'adresseexpéditive et facile, tout imprégné des doc-trines régnantes en ce milieu de cour et du

-style michel-angelesque à la mode dans sonpays, Dominique Florentin vient en Cham-

_________________________pagne même, de 1540 à 1544, attiré par descommandes et aussi par desliens d'amitié un

Fig. 4. - La Forcepeu protectrice, contractés sans doute à Fon-(Collection R. Kœchlin).tainebleau, avec telle ou telle famille d'artistes

troyens, ety réside fréquemment à Troyes, où,dans toutes les circonstances importantes (entrées de souverains ou autres), ileut bientôt la haute main. Ce que furent pour l'art local son enseignement et son

Un anonyme colonais du xvi0 siècle n même tiré son nom de ce thème, k Maîtrede la Sainte-Parenté (Meister de,- heitqen Sippe), d'après un de ses tableaux du-Musée de Cologne. En Champagne mêuie, 111M. K. et M. de V. auraient pu trouverune indication utile sur ce point, ne fût-ce que par une verrière reproduite dansFichot(Statistique monumentale de l'Aube, t. I, p. £14).

4. 11 va sans dire que sur toute cette période l'Italie plane. Mais il ne faudraitvas oublier,pourtant, ce que des influences moins directes et moins pures d'ita-lianisme déjt transformé, venues de Flandre ou même desconfins del Alleniagne,par relations de commerce ou de voisinage, purent avoir d'action. Des oeuvres,comme les dernières que nous venons de citer, suffiraient e elles seules pourl'indiquer. MM. Koechlin et Marquetde Vasselot, très jaloux de l'autonomie cham-penoise, ont consacré tout un chapitre à nier ces influences, pour l'époque pré-cédente comme pour celte-ci. Sans pouvoir entrer dans une discussion en règleavec eux, nous nous permettons de protester, au moins, coutre l'absolutisme deleur opinion dans l'un et l'autre cas.

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exemple, et par quelle rapide évolution aux traditions nationales encore vivacessuccéda un idéal d'académie avec tous ses défauts, sa boursouflure, ses for-mules molles et vides, sa draperie impersonnelle et généralisée, de nombreusesoeuvres sont là pour le prouver.

Tout n'est pas à ,mépriser, d'ailleurs, dans l'oeuvre de Dominique lui-même,qui est ici serrée de près. Certaines parties de vastes entreprises comme leJubé de Saint-Étienne ou le Tombeau de Claude de Guise à Joinville, qui durentparaître géniales en leur temps, et dont nous n'avons plus aujourd'hui que lesdébris dispersés, ne manquent ni de charme nide grandeur. Notons, par exemple, dans l'un et-l'autre monument, les figures de la Charité. Onpeut supposer ce qu'en toute leur fraicheur denouveauté - les inégalités, les à-peu-près su

-perficiels, les fautes de goût disparaissant dansl'impression d'ensemble - de tels monumentspurent produire d'émotion en Champagne parleur aspect inattendu et hardi, bouleversantl'imagination des sculpteurs restés plus oumoins enfermés, même au premier contact de laiRenaissance, dans l'idéal gothique à peine adouciet transformé. Ils se lancèrent d'autant plus ar-demment, avec le zèle aveugle de néophytes, .Idans le sens qui leur était révélé tout à coup Icomme celui du grand art. La part que putavoir, personnellement, au mouvement le légen-daire François Gentil, lieutenant et second deIl --Dominique en plus d'une occasion, est assezdifficile à établir, faute d'oeuvres authentiques Domiuique Florentin.appuyant les comptes et textes conserves surLa charitélui, de façon à permettre de définir sa manière et (Saint-Pantnléon, â Troyes).la nuance particulière de son style. Il eût étébien peu différent de Dominique lui-même, sil'on en jugeait, au moins, par le David et l'isole du portail méridional deSaint-Nicolas, dont l'attribution à sa main repose sans doute sur de bonsarguments, mais sans offrir de base assez solide en aucun sens pour ungroupement d'oeuvres sûr. C'est donc surtout d'ensemble qu'il faut con-sidérer l'art de ce temps; et il est certain que, si quelques restes clair-semés des anciennes tendances s'y peuvent encore çà. et là sentir, soit dans lepittoresque (Saint Crepin et saint Crépinien à Saint-Panlaléon), soit dans lagrandeur simple (Gisant de Saint-Urbain), trop souvent c'est l'ampleur super-ficielle, l'enflure et l'emphase qui dominent, la virtuosité déclamatoire ou lagrâce doucereuse dans lin moule connu d'avance (Sainte de Mussy, Christ deSaint-Nicolas, Saint Joseph et Sainte Anne à Bar-sur-Seine). Pour ne pasécraser avec les auteurs de ce livre sous un mépris trop complet ces dégénéres-cences et transformations de la mode, il faut songer qu'après tout - outre

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qu'elles étaient fatalement déterminées par l'évolution même des murs et desesprits - on y pourrait trouver comme l'acheminement d'une première étapevers la pompe majestueuse du siècle de Louis XIV et un des germes de l'art du

Troyen Girardon. Peut-être l'ont-ils trop- -oublié, dans leur enthousiaste amour et leur- ' regret pour le gothique définitivement con-

damné à mourir.

De cette enquête consciencieusement me-- née et conduite, sauf erreurs ou exagéra_

Lions de détail', résulte, en somme, uneconnaissance plus approfondie de ce que futla sculpture en Champagne durant un sièclede son histoire. On ne peut que souhaiter,pour d'autres régions de France et d'autres

-' époques aussi, des travaux analogues, baséségalement sur de nombreux voyages et de

- solides comparaisons photographiques, per-______• mettant d'apprécier mieux l'incroyable ri-

chesse de certaines de nos provinces et- . d'en pénétrer plus complètement le carac-

tère. Nous savons un travail de ce genre enpréparation sur la Touraine, dont on peutd'avance beaucoup se promettre. C'est une

Fi" voie ouverte à beaucoup déjeunes érudits,

Sainte Anne et la Viergequi nous donneraient ainsi, fragmentairement

(Bar-anr-Seiue),au moins et en travailleurs isolés, quelques-uns des éléments de cet inventaire métho-dique des monuments d'art de nos provinces,

dont la publication sérieusement réglementée serait aussi désirable, si cen'est plus, chez nous: qu'en Allemagne, où, d'entente commune, elle s'estorganisée pour ainsi dire militairement.-

t. Qu'en un travail, d'ailleurs très sérieusement établi quant à la partie déru-dilion, de hihliograpbie, de références, accompagné de notes courantes nota-brou", et de tables bien drcsées, se soient glissées également çà et là quelquesfautes Matérielles, nous ne sa,,rions en rairc aux auteurs un grand crime. Il estfâcheux que sur un ou deux points leur attention ait été comme entraînée et sur-Pr ise. Une ICducation de la Vierge, de La Bénissons-Dieu, en Forez, citée, parM. A ndre Miehel dons un article sur les statues de Chantelle (Mémoires et Monu-ments MOI, t. VI, 5899), est étrangement devenue ainsi d'Apremont en Berry(p. 424. note). Une Vierge de Saint-Marcel d'Urfé, dite aussi de la Chira, a étédédoublée, comme s'il s'agissait de deux Vierges distinctes (p. 446). Signalons-leur aussi une ou deux erreurs de renvoi aux planches, entraînées sans doutepar des modifications dans la révision des épreuves: la Sainte Catherine deSain'Aiidré_lez_Troyes citée (p. 425) fig. la an lie,, de 19; la Rencontre û te porteDorde e de l'atelier do Domiuique, â SaiutPantaléon (p. 273), fig. 93 au lieu de 94.

ANGERS,flip. ORIENTALE A. DUBliN ET C"

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