la religieuse

et les familles

Collection " La religieuse dans la pastorale d'aujourd'hui "

Les religieuses ont leur place nettement marquée dans une pastorale « concertée ». Cette participation à l'œuvre de l'évangélisation leur est précisée par des documents officiels.

La célèbre déclaration de l'Épiscopat français d'avril 1960 demande que l'Église tout entière soit en état de mission ; elle réclame une « una- nimité et une unité pastorales pour que nulle force apostolique ne soit perdue » ; elle invite, en particulier, les religieuses à entrer à fond dans ce grand courant missionnaire, au prix, s'il le faut, de « révisions auda- cieuses de pensée et d'action ».

Le cardinal Cicognani, secrétaire d'État du pape Jean XXIII, dans une lettre d'octobre 1961, demandait : « Pourquoi la religieuse ne serait-elle pas écoutée dans les conseils où s'organise la pastorale... et associée aux décisions apostoliques du clergé ? »

Les Mouvements d'Action Catholique, la Mission ouvrière, les respon- sables de l'enseignement religieux, etc., ont compris l'intérêt qu'il y a à faire place aux religieuses dans leur action.

Loin de se sentir écrasés par ces appels, les religieuses y répondent avec enthousiasme. Mais elles savent que cette situation nouvelle entraîne pour elles de lourdes responsabilités. C'est pour les aider à y faire face que les Éditions Fleurus lancent la présente collection.

Les ouvrages de cette collection (qui abordera tour à tour les pro- blèmes apostoliques auxquels les religieuses actives se trouvent affrontées) ne sont pas réservés aux seules « Éducatrices paroissiales », mais à toutes les religieuses actives, lesquelles — même à travers un ministère spécifique de soignantes ou d'enseignantes — ont à se relier à cette pastorale missionnaire « concertée », dont nos évêques disent qu'elle se définit par son unanimité. Ils rendront également service aux prêtres que leur ministère met en contact avec ces religieuses.

1. LA RELIGIEUSE, SIGNE DE DIEU DANS LE MONDE. Méditations pour une action véritable, par S. Exc. Mgr. Gabriel Marie Garonne.

2. LA RELIGIEUSE, ÉDUCATRICE DU SENS MISSIONNAIRE, par Jean Pilhan, f.c.

3. VIE RELIGIEUSE ET RÉALITÉS NATURELLES, par J.-G. Ranquet, o.p. 4. LA RELIGIEUSE ET LES FAMILLES. 7 congrès national de l'Union

des Religieuses Éducatrices Paroissiales. Paris, 1963.

LA RELIGIEUSE DANS LA PASTORALE D'AUJOURD'HUI

4 Septième congrès national de l'Union des Religieuses Educatrices Paroissiales 1963

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Devant le renouveau de la pastorale familiale : position de la religieuse éducatrice paroissiale.

ÉDITIONS FLEURUS, 31-33, rue de Fleurus, PARIS 6-

© Éditions Fleurus, 1965

1

INTRODUCTION

Lettre de S. Em. le Cardinal A.-G. Cicognani

Secrétaire d'État de Sa Sainteté le Pape Paul VI à M. l'abbé Gaston Courtois, aumônier général de l'U.R.E.P.

SEGRETERIA DI STATO DI SUA SANTITA

N. 7615 Du Vatican, le 31 octobre 1963.

Monsieur l'Aumônier Général,

L'Union des religieuses éducatrices paroissiales, qui regrou- pent en France plus de 40 000 religieuses, va tenir prochai- nement à Paris son Congrès bi-annuel. Le Saint-Père, qui a suivi, avec un constant intérêt et une vive sympathie l'activité bienfaisante de l'U.R.E.P. depuis sa fondation, vous félicite d'aborder cette année dans ces assises l'examen d'un problème aussi important que délicat dans la vie paroissiale d'aujour- d'hui : la religieuse et les familles. Quelle est, plus précisément, « devant le renouveau de la pastorale familiale, la position de la religieuse éducatrice paroissiale ? » Telle est la question à laquelle vous allez vous efforcer de répondre, en vous mettant en face de ces « cellules premières et naturelles de la société » (cf. Pacem in terris) que vous voulez pénétrer de l'Évangile du Christ.

Dans un monde en pleine évolution, où les structures les plus traditionnelles sont remises en question, il importe qu'une connaissance suffisante des problèmes familiaux et une infor- mation sûre des menaces qui pèsent sur tant de foyers, vous mettent mieux à même d'aider les familles à devenir de plus en plus ces cellules vivantes d'une communauté chrétienne

rayonnante que devrait être chaque paroisse. Que d'occasions de rencontres une religieuse zélée et apostolique saura faire naître pour amener les parents chrétiens à mieux connaître et à vivre plus intensément leur belle vocation de coopérateurs de Dieu dans son plan d'amour sur le monde! Et qui ne voit tout ce qu'une religieuse entièrement donnée à Dieu et totalement disponible aux foyers de sa paroisse peut et doit apporter à ces familles, où s'exerce son influence quotidienne ? L'exemple de sa consécration au Seigneur, dans les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, n'est-il pas déjà par lui-même, quand il est simplement et joyeusement vécu dans une communauté religieuse accueillante, un puissant appel à la vie chrétienne, où la religion n'apparaît plus comme un cadre pesant d'obli- gations extérieures, mais devient le ferment qui permet au foyer de se hausser à son vrai niveau spirituel, et de témoigner autour de lui de la force suave et rayonnante de l'Évangile ?

Ainsi donc, c'est dans sa fidélité même à ses vœux et dans la générosité avec laquelle elle vivra sa vie consacrée, que la religieuse trouvera la source féconde de son apostolat spécifique auprès des familles. Et c'est dans une collaboration fraternelle entre foyers chrétiens et âmes consacrées qu'une formation profondément religieuse pourra être donnée aux jeunes d'au- jourd'hui, adultes de demain, dont les foyers seront l'avenir de la paroisse. Ainsi se créera cette vivante communauté de baptisés dans laquelle chacun participe, selon les devoirs de son état et avec la grâce qui lui est propre, à l'édification du corps du Christ, et au rayonnement missionnaire de l'Église.

Telles sont, à l'heure du Concile œcuménique, les perspec- tives dans lesquelles — Sa Sainteté Se plaît à le penser — les religieuses éducatrices paroissiales sauront poursuivre et déve- lopper leur action apostolique, en étroite union avec les familles, leur apportant, avec l'aide indispensable de la prière, la force contagieuse de leur exemple et le concours de leur dévouement désintéressé. Dans ces sentiments, le Saint-Père leur accorde de grand cœur, en gage de l'abondance des divines grâces sur leur apostolat de choix, une large Bénédiction Apostolique.

Heureux de vous transmettre ces paternels encouragements, je forme les meilleurs voeux pour l'heureux succès de vos travaux et vous assure, Monsieur l'Aumônier Général, de mes sentiments bien dévoués en N. S.

A. G. Card. CICOGNANI.

Accueil des congressistes par la Révérende Mère Marie-Gérard, présidente nationale de l'U.R.E.P.

L'Union se réunit aujourd'hui, en assemblée générale, pour la septième fois. Le chiffre sept est, dans l'Écriture, un chiffre privilégié.

Pour l'Union des Religieuses Éducatrices Paroissiales, il marque une étape. Les fondatrices de 1947 ont demandé le renouvellement des responsables. C'est à elles d'abord qu'ira notre pensée. Toute de fidélité à cet esprit d'union, elle sera l'expression la meilleure de notre reconnaissance à chacune pour le travail des années précédentes. Plusieurs seront des nôtres, maintenant les liens avec le passé.

Le labeur continue : recherche attentive à partir de la vie quotidienne en vue d'y répondre, en vérité, dans l'Église du Concile.

Afin que l'accueil porté sur le programme ne soit pas un vain mot, l'équipe du Bureau et du Comité National veut s'efforcer d'être disponible à toutes et à chacune. Oserai-je reprendre, pour accueillir en leur nom toutes les congressistes, l'expression de S. S. Paul VI aux Pères du Concile :

« Soyez les bienvenues », très chères Sœurs dans le Christ ! Le Seigneur, en maintes circonstances de l'Évangile, marque

des temps forts. Les fêtes de Pâques, Pentecôte, de la Dédicace des Tabernacles sont pour lui une sorte de lieu liturgique où il agit pour révéler son Père.

Le Concile, dans son étude sur l'Église, a parlé de Famille et il avait commencé par le schéma sur la liturgie. Il m'a

semblé qu'il serait bon d'ouvrir ce congrès un peu comme on célèbre une Liturgie. Et c'est au dimanche de la Sainte-Famille, célébrée par l'Église dans le temps de l'Épiphanie, que j'ai cru bon d'aller retrouver les textes.

Le chant d'Introït, tiré des Proverbes, dessine bien le climat familial :

« Le Père du Juste exulte de joie. « Que ton père se réjouisse à ton sujet « et que celle qui t'a enfanté soit dans l'allégresse ». L'allégresse de la mère, l'exultation du père, soulignées par

un souhait, qui est répétition de joie, mettent en relief ce tableau de fond qui est, à la fois,

prose et poésie, mélodie et symphonie, tendresse et exigence, droits et devoirs,

et dont le Congrès va étudier toutes les harmoniques. Le père, la mère, l'enfant, dont les échanges se traduisent

par la joie, l'allégresse, la jubilation... Ne trouvons-nous pas ici l'expression de l'amour humain traduisant l'Amour infini de la Famille trinitaire, et nous faisant percevoir que ce don divin, même à l'état humain pur, est la question éternelle, reprise par tant de penseurs et de romanciers, et qui désoriente souvent nos jeunes d'aujourd'hui ? Dieu seul peut la résoudre.

Dieu n'a qu'une ligne de création. Et quand l'homme se révolte contre lui, tenté par la femme qui lui fut donnée comme une aide semblable à lui, c'est par l'Incarnation que Dieu le sauve. Ce don précieux de la vie humaine, il va le prendre pour son Fils au sein de Marie. Le juste Joseph y sera le gardien du foyer, pleinement homme près de la Vierge et en totale maîtrise humaine.

La vie familiale de l'humble maison de Nazareth suit la ligne mystérieuse de Bethléem. La lecture du Cantique des Cantiques proposée par la liturgie à la fête de la Visitation, le chant du Magnificat faisant écho aux paroles de l'ange à l'Annonciation, le Gloria in excelsis Deo de la Nativité résument pour nous ces choses que Marie recueillait pour les méditer en son cœur.

Saisissons-nous alors comme il est naturel que Marie et Joseph respectent la loi de purification, choisissent l'offrande des pauvres gens dans la présentation au Temple, et entendent les paroles prophétiques concernant ce petit Enfant, « Lumière qui éclairera les autres nations et gloire d'Israël » ?

Le mystère de l'adolescence a été choisi par l'Église pour proclamer la Parole de Dieu en la fête de la Sainte-Famille : mystère humain de l'obéissance à Dieu. Les parents partent en famille avec Jésus, en pèlerinage à Jérusalem, pour la fête de Pâques. Les aspects de la foule en fête sont assez précisés avec ceux de la caravane et de la route. Tout cela nous est familier autant que l'inquiétude des responsables devant l'absence de l'enfant et la réaction spontanée des parents éducateurs. Nous est-il aussi facile de creuser la réponse au « pourquoi » si naturel des parents : « Ne saviez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père ? »

Si la vie quotidienne nous met parfois dans une obscurité telle que la foi seule puisse nous soutenir, nous nous souvenons d'avoir vécu expérimentalement ce moment douloureux où nous avons choisi les exigences paradoxales de la vie religieuse pour accueillir le plan de Dieu et épanouir jusqu'au bout notre vocation baptismale de filles de Dieu.

Toutes ces valeurs de Création, d'Incarnation, de Rédemp- tion vont être sous-jacentes à notre congrès, pour nous aider à percevoir la vocation unique de chaque personne conquérant sa liberté et se libérant dans l'amour véritable, qui, est don à l'autre.

Nous ouvrirons donc ce congrès en essayant d'entrer dans l'esprit de l'Apôtre dont notre pape actuel a voulu porter le nom. Afin de nous y situer dans la vérité, nous lirons ensemble le passage du chapitre 3 de l'Épitre aux Colossiens qui rappelle magnifiquement le souvenir et les enseignements de S. S. Jean XXIII.

Monsieur le chanoine Garail qui a soutenu notre prépa- ration du congrès depuis plus d'un an, veut bien en être le lecteur, comme il se doit en fonction liturgique, fût-elle seulement une évocation.

Colossiens, chap. III.

« Frères,

comme des élus de Dieu, saints et bien aimés, revêtez des sentiments de miséricorde, de bonté, d'humilité, de mansuétude, de longanimité.

Par-dessus tout, revêtez la charité. Et que la paix du Christ règne en vos cœurs, cette paix à laquelle vous avez été appelés pour ne former qu'un seul corps.

Montrez-vous reconnaissants. Que la parole du Christ habite en vous, en toute sa richesse. Instruisez-vous et reprenez-vous mutuellement en toute sagesse.

Chantez à Dieu dans vos cœurs votre recon- naissance par des psaumes, des hymnes, des cantiques inspirés par l'Esprit. Et quoi que vous puissiez dire ou faire, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus-Christ, en rendant grâces pour lui à dieu le Père. »

Et puisque c'est dans un mode liturgique que nous commen- çons ce travail, nous nous efforcerons de chanter au cours de ces journées. Nous demanderons à Monsieur l' abbé Pihan, notre aumônier-conseil, de prendre la fonction ministérielle qui est la sienne, en réunissant toutes nos intentions dans la Collecte de la fête que nous voulons vivre et à laquelle nous répondrons par un amen unanime.

Ces intentions sont celles de nos diocèses, de nos congré- gations, des évêques et du pape réunis en Concile. Afin que l'Esprit-Saint les motive profondément, nous rendant dociles à son œuvre, nous essaierons de proclamer cet amen vibrant tous ensemble.

« Seigneur Jésus-Christ, soumis à Marie et à Joseph, vous avez sanctifié la vie de famille par des vertus incomparables. Faites qu'avec leur secours, nous prenions modèle sur votre Sainte Famille pour être admis à partager éternellement son intimité.

Vous qui vivez et régnez pour l'éternité. Amen ! »

Salut au Congrès du Révérend Père Joulia,

de la S. Congrégation des Religieux.

Mes révérendes mères, mes sœurs,

Avez-vous essayé quelquefois de vous poser la question : « Un congrès de religieuses pour traiter des questions de la famille eût-il été possible il y a vingt ans ? »

C'est une évolution au point de vue pastoral ; et quelle heureuse évolution ! Qui ne voit, comme l'a souligné la lettre du cardinal

Cicognani, qui ne voit les relations étroites entre la famille chrétienne, cellule vivante de l'Église, et la vie religieuse ? Qui ne voit l'influence réciproque de l'une sur l'autre ? Peut-on dire qu'il n'y aurait pas de chrétienté sans vie religieuse ? Mais il n'y aurait pas plus de chrétienté sans familles chrétiennes. Donc c'est un problème extrêmement important et essentiel à l'heure actuelle que le congrès aborde. Le Peuple de Dieu dans son ensemble, en marche, à la recherche de la sainteté, c'est le chapitre IV du schéma du Concile. Le Peuple de Dieu à la recherche de la sainteté, chacun suivant ses charismes et sa vocation propre, dans une étroite union, une étroite collaboration, une étroite dépendance, c'est là le thème de votre congrès.

Il est donc très actuel ; il est donc essentiel ; il ne me reste plus qu'à dire :

« Essayons de faire du bon travail ! »

2 LA SITUATION

« QU'EST-CE QU'UNE FAMILLE, AUJOURD'HUI? »

* La conférence d'ouverture, donnée par M. Henry THERY, a été complétée par deux interventions, de Mlle Colette TAISNE sur la famille ouvrière et de M. A. BOUGEARD sur la famille rurale.

* Des témoignages ont été donnés par des représentants de foyers de milieu ouvrier (M. et Mme CARTAYRADE), rural (M. et Mme NAMON), indépendant (Mme BALDET) sur « les réponses de foyers chrétiens aux problèmes qui se posent dans la vie des familles d'aujourd'hui».

QU'EST-CE QU'UNE FAMILLE AUJOURD'HUI ?

par M. HENRI THÉRY, de l'Union nationale des

Secrétariats sociaux.

La famille Lambert qui vit aujourd'hui dans un H.L.M. de banlieue ressemble assez peu à la grande famille Lambert qui habitait un village de la vieille France, il y a quelques siècles ou même quelques décennies.

Vous n'êtes pas rassemblées ici, mes chères Sœurs, pour entendre de tels truismes, et c'est pourtant par cette constatation banale que j'ouvre cet exposé. Nous n'avons que trop tendance, en effet, à considérer que la famille est une réalité tellement première, tellement « naturelle » et tellement « essentielle », que nous la situons presque en dehors du temps et de l'histoire. Si bien qu'après avoir volontiers reconnu que la famille Lambert ne ressemblait guère à celle de ses ancêtres, nous continuons à parler de la Famille avec un grand F, comme d'une abstraction. Et lorsque nous en avons fait une abstraction, nous ne sommes plus très loin, tant nous la voulons immuable, de l'emprisonner dans des idées et des principes tellement rigides que la vie ne parvient plus à y pénétrer. Dès lors, comble du paradoxe, cette Famille que nous voulions intemporelle et pure comme une essence, risque fort d'être une réalité sans vie, c'est-à-dire une « chose ». D'un idéalisme désincarné à un positivisme quasi matérialiste, il n'y a qu'un pas que l'on franchit sans s'en rendre compte. Ce pas, les catholiques le font encore trop souvent pour que, dès le départ de cet entretien, nous ne soyons pas sur nos gardes.

C'est donc la famille d'aujourd'hui, plus exactement les familles d'aujourd'hui que nous voulons découvrir. Parler en effet de la famille au singulier, c'est déjà tomber dans le piège de l'abstraction et de la chosification, que je dénonçais à l'instant. Ce piège d'ailleurs, je ne l'éviterai pas complètement ; l'obli- gation de rassembler en une heure ce que l'on peut dire sur les familles contemporaines m'y entraîne obligatoirement.

Essayons néanmoins de garder le sens du temps et du mouvement, sinon celui de la diversité, pour découvrir ces familles, et pour cela, demandons-nous ce qui change, ce qui a changé, dans la vie familiale, tout en tâchant de percevoir l'être qui s'exprime au travers de ces changements.

Je vous propose deux approches, deux manières de saisir la vie familiale :

- La première consiste à observer les fonctions que remplissent les familles, en les regardant en quelque sorte de l'extérieur ;

- La seconde consiste à rendre notre regard plus intérieur et à tenter de saisir la vie familiale à travers les images que s'en font nos contem- porains.

Ces deux approches constitueront les deux parties prin- cipales de cet exposé, qui se terminera par un essai de réponse à la question de fond contenue dans le titre.

LES FONCTIONS REMPLIES PAR LES FAMILLES D'AUJOURD'HUI.

Au cours des siècles derniers, l'unité familiale a plus ou moins correspondu :

- sur le plan économique, à une unité d'habita- tion, de production et de consommation ;

- sur le plan social, voire sur le plan politique, à une unité d'autorité, celle du chef de famille.

Le progrès technique, le passage d'une civilisation de type

agraire et artisanal à une civilisation dominée par les grands ensembles urbains et industriels, ont profondément bouleversé la composition, les fonctions et les structures internes du groupe familial.

Les données de l'équilibre familial étaient relativement simples lorsque la famille Lambert et l'exploitation Lambert, la production Lambert et la consommation Lambert coïncidaient d'une manière étroite. Elles sont devenues infiniment plus complexes au fur et à mesure que la vie sociale a connu une différenciation plus grande. D'autres groupes, des collectivités d'une autre nature, interviennent désormais dans l'accomplis- sement de fonctions que la famille était jadis seule à prendre en charge.

Voyons comment, dans cet ensemble plus différencié, la famille combine son action propre avec celle des autres groupes et des institutions.

Et pour cela considérons quatre grandes caté- gories de fonctions :

• les fonctions physiques et biologiques ; • les fonctions économiques ; • les fonctions sociales et culturelles ; • les fonctions de formation psychologique et spi-

rituelle.

FONCTIONS PHYSIQUES ET BIOLOGIQUES.

• Fonctions de procréation.

Ici, peu de changement apparent. C'est essentiellement par la famille que continuent à s'exercer les fonctions de procréation dont l'influence sur les structures sociales est bien connu. Mais les familles, dans l'accomplissement de ces fonctions, sont à leur tour fortement influencées par les transformations techniques, les conditions de vie, les progrès sanitaires, les guerres, les crises, les courants idéologiques, en un mot par des phénomènes dont la société est le siège.

Ces interactions ont été mises en valeur par les différentes sciences humaines.

La démographie et les sciences économiques montrent le rôle moteur de l'évolution démographique à l'égard de l'économie, et même de la vie sociale et politique d'une collectivité. Le comporte- tement des époux face à la procréation a donc une influence capi- tale sur le devenir de la société.

Mais en retour, les psychologues et sociologues insistent sur l'influence des attitudes collectives, des idéologies et des systèmes de valeurs sur les comportements des familles à l'égard de la fécondité.

Autrement dit, si la famille agit très fortement sur la société par la procréation, la société à propos de ce même acte agit sur la famille.

Ici, un problème central sur lequel nous reviendrons : celui du lien qui existe, selon les sociétés et les cultures, entre pro- création et amour. P.-H. Chombart de Lauwe observe que « la conception du couple comme unité sociale et spirituelle tend de plus en plus à distinguer, malgré les liens profonds, la fonction de procréation et l'amour. »

• Fonctions de protection matérielle.

Nous entendons par là les fonctions de protection physique, de sécurité matérielle, de soins, etc.

Ces fonctions sont de plus en plus remplies par d'autres institutions et par d'autres groupes : institutions sanitaires, organismes d'entraide, de solidarité, etc. On peut néanmoins observer que, tout en faisant appel à ces institutions, la famille conserve dans le choix et le mode d'utilisation de leurs services un certain nombre de responsabilités et de droits. Plus qu'au transfert global de ses responsabilités et de ses fonctions, nous assistons, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, à une nouvelle répartition entre ce qui incombe en propre à la famille et ce qui incombe aux autres groupes et aux autres institutions. Les institutions sanitaires, par exemple, tout en remplissant des fonctions qui étaient jadis remplies par la famille, n'ont pas enlevé tout objet à l'intervention de cette dernière. Pendant que l'organisation hospitalière se perfectionne, le soutien affectif du malade par son milieu familial et parfois son maintien dans le cadre privilégié que constitue son domicile, prennent souvent une valeur nouvelle. D'où le souci d'assurer une meilleure complémentarité entre l'intervention de la famille et celle des institutions de soins.

On observera également que la famille garde un rôle essentiel pour assurer les fonctions d'habitation, même si les pouvoirs publics et différents organismes publics ou privés sont appelés à intervenir eux aussi dans ce domaine.

La famille est par conséquent loin d'être dépossédée de toutes ses fonctions de protection matérielle. Disons qu'elle n'agit plus toute seule mais qu'elle conjugue son action avec celle d'autres groupes ou d'autres institutions.

FONCTIONS ÉCONOMIQUES.

Nous distinguerons les fonctions de production, de consom- mation et d'épargne.

• Fonctions de production de biens et de services. a) Production de biens et de services destinés à une consom-

mation ultérieure.

Les unités de production tendent à être de moins en moins des unités familiales, tout au moins en milieu urbain et principale- ment pour les activités industrielles. Il resterait à élucider la notion d'entreprise ou d'exploitation « familiale » et à analyser la part que la famille en tant que telle — même dans le secteur agricole — tend à prendre dans les exploitations ainsi nommées. Nous y reviendrons dans quelques instants.

b) Production de services destinés à une consommation extérieure.

Nous entendons par services destinés à une consommation extérieure, les services que M. ou Mme Lambert, ou encore les petits Lambert rendent à leur propre famille : confection des repas, agencement du logis par diverses formes de bricolages, soins, édu- cation, etc.

Même si les ménages font appel, pour un nombre croissant de biens et de services, aux marchés extérieurs, la famille garde une fonction très importante de production de services destinés à ses propres membres. On peut même observer dans le domaine des soins, de l'éducation, de la culture, des loisirs, de l'agencement du ou des logis (habitation secondaire, etc.), que le développement de cette production interne est lié au développement de la consomma- tion de produits extérieurs. Il n'est, pour s'en rendre compte, que

de se référer à la publicité de certains grands magasins et à l'extraordinaire développement des rayons où l'on vend toutes sortes d'outils ou d'appareils pour permettre aux gens de s'occuper chez eux : « Devenez bricoleurs, devenez jardiniers » et, sous-entendu, «achetez ici ce qu'il vous faut pour le devenir ». Ce phénomène est lui-même en relation directe avec l'élévation des niveaux de vie.

Par contre, lorsque le niveau de vie reste bas, c'est la pro- duction des services traditionnels d'entretien et de ménage qui constitue la plus lourde charge de la mère et, dans une certaine mesure, du père de famille (cf. milieux populaires).

• Fonctions de consommation.

C'est la fonction pour laquelle les économistes marquent un intérêt croissant. Le rôle moteur de la consommation à l'égard de l'économie, et par là même le rôle moteur des choix effectués en ce domaine par les familles, est de plus en plus reconnu. De plus, la consommation est désormais perçue comme un fait familial, plus exactement comme une consommation de ménage. C'est le ménage en tant que groupe qui est considéré comme le dépositaire du fonds commun constitué par les ressources des différents membres de la famille. C'est le ménage qui ordonne la dépense, c'est le ménage qui répartit les consom- mations individuelles et la consommation collective. Autrement dit, lorsque madame Lambert fait son marché, elle est un agent économique fort important, et son comportement est loin d'être indifférent au Ministre des Finances et de l'Economie nationale. Sa plus ou moins grande dépendance à l'égard de son épicière ou de son boucher, par exemple, peut avoir des conséquences incalculables sur les prix. Par ailleurs, Madame Lambert n'achète pas la même quantité, ni peut-être les mêmes qualités, de denrées selon que sa famille se compose de trois ou de huit personnes ; ses achats varient avec le nombre de personnes qui vivent au foyer, tout en restant pourtant fort différents de ceux de trois ou huit célibataires. Si la consommation d'une famille varie avec le nombre de personnes qui la composent, elle est autre chose qu'une addition de consommations individuelles. Telle est sans doute la raison pour laquelle il est si difficile de traduire en consommations individuelles la consommation d'une famille. Les systèmes de coefficients qui s'y sont appliqués n'y ont que très partiellement réussi. Nous trouvons là une des

manifestations élémentaires de l'irréductibilité de la famille à une somme ou à une juxtaposition d'individus.

Par ailleurs l'observation de la consommation des familles révèle l'accroissement du poste jadis qualifié de « divers » et aujourd'hui largement subdivisé (santé, transports, loisirs, etc.). Ceci signifie que, dans ces différents secteurs, la famille fait de plus en plus appel aux marchés et aux services extérieurs et qu'elle se suffit de moins en moins à elle-même.

Ainsi, à travers les fonctions qu'elle assume dans le domaine de la consommation, la famille se révèle-t-elle comme une unité :

- irréductible à l'addition et à la juxtaposition de ses membres ;

- néanmoins, indissociable de ces derniers et de leurs consommations individuelles ;

- au service de chacun, tout en s'efforçant de réa- liser un équilibre qui lui est propre ;

- remplissant des fonctions de plus en plus distinctes de celles des autres groupes, ce qui renforce à la fois son indépendance et son originalité.

Autrement dit, la famille en tant qu'unité de consommation est insérée dans un réseau de plus en plus dense d'interactions et d'interdépendances, et son rôle actif doit être tout aussi reconnu que les conditionnements qu'elle subit.

• Fonctions d'épargne. Dans la mesure où la consommation des familles apparaît

comme un fait irréductible à des consommations individuelles, il ne peut qu'en être de même pour l'épargne. L'épargne des familles est loin de constituer l'ensemble de l'épargne nationale. Néanmoins, les ménages se placent parmi les principaux arbitres du choix entre la consommation et l'épargne. Et, à ce titre, ils remplissent une fonction très importante qui conditionne les structures et les activités de l'ensemble de l'économie.

FONCTIONS SOCIALES ET CULTURELLES.

• Fonctions de socialisation.

C'est au sein de la famille que l'enfant a toujours fait et continue à faire son apprentissage de la vie sociale. Jadis, c'était

au sein d'une famille plus étendue, mais aussi plus fermée. Aujourd'hui, cette socialisation s'opère à l'intérieur de la famille conjugale, mais aussi à travers elle, c'est-à-dire à travers les relations et les contacts humains qu'elle tend à établir d'une manière de plus en plus libre. Le développement de cette socia- bilité plus libre et plus diversifiée renforce le rôle médiateur de la famille. De l'accomplissement correct de cette formation médiatrice, dépend pour une bonne part l'insertion de l'enfant dans la vie sociale, en même temps que la réalisation progressive de sa maturité et l'accomplissement de sa personnalité. De lui dépend aussi, mais pour une moindre part, la socialisation de l'adulte.

• Fonctions d'éducation et d'instruction. La famille d'aujourd'hui partage ces fonctions avec un

nombre croissant d'institutions et de groupes (école, mouvements éducatifs, groupes ou institutions de loisirs). De ce fait, son rôle peut paraître moins important. Néanmoins, on ne peut mesurer cette importance au temps passé auprès de l'enfant ou encore moins au degré de monopolisation de son éducation. Le rôle propre et irremplaçable de la mère et du père auprès de l'enfant est d'autant plus mis en valeur que ce dernier est appelé à participer plus tôt à une vie sociale plus large et plus ouverte.

• Fonctions d'identification sociale. C'est une fonction dont l'utilité pratique ne doit pas masquer

l'importance psychologique. Sans y consacrer de longs déve- loppements, nous observons seulement que c'est par la famille que la personne reçoit un nom, une paternité, une identité. C'est donc par la famille qu'elle est identifiée par les autres et par elle-même.

• Fonctions de transmission. Cette fonction a subi de profondes transformations. Nous

signalons seulement que c'est par la famille que s'opère la transmission, d'une génération à une autre, du patrimoine et du nom. Mais nous insisterons plus encore sur le rôle de la famille dans la transmission de la culture et d'un certain sens des valeurs.

• Fonctions civiques et politiques. Les interactions que nous n'avons cessé de souligner

rendent la famille et ses membres à la fois plus dépendants et plus participants à l'égard de la société politique. Cette parti- cipation de fait peut fort bien ne pas être perçue ni assumée ; elle n'en existe pas moins. Les « Lambert » sont de plus en plus dépendants, dans la manière d'organiser leurs loisirs, leurs vacances ou leur consommation quotidienne, de la politique des loisirs, de la politique d'équipement ou de la politique économique du gouvernement. Mais celui-ci, réciproquement, est de plus en plus dépendant, pour la réussite de ses politiques, des choix et des décisions des innombrables familles Lambert qui composent le peuple français.

Depuis fort longtemps déjà, l'importance du rôle politique de la famille a été perçue par les souverains et, d'une manière plus générale par les détenteurs du pouvoir. La famille dirigée par son chef a souvent été un instrument du gouvernement.

Mais, plus profondément, on peut observer les corrélations qui existent entre les aspirations et les idées qui affleurent au niveau de la société politique et celles qui apparaissent au sein de la vie familiale, par exemple : suivant l'idée que se font les hommes de l'autorité paternelle et de sa place dans la hiérarchie des valeurs, ils ont une conception plus ou moins paternaliste, voire plus ou moins monarchique, de l'organisation sociale. De même on observe que les processus de démocratisation n'ont pas seulement agi au sein des sociétés politiques ; la vie familiale elle-même et les rapports entre époux, comme les rapports parents-enfants, sont pro- fondément marqués par le développement des aspirations et des modèles de type démocratique. La famille apparaît finalement comme la source ultime de toute vie politique, tout en étant mar- quée par les évolutions et les transformations de la société politique.

FONCTIONS DE FORMATION PSYCHOLOGIQUE ET SPIRITUELLE.

Psychologues et éducateurs ont largement mis en valeur le rôle primordial de la famille pour la formation et le dévelop- pement harmonieux de la personnalité de l'enfant. Bien que différent et se situant à un autre niveau et à un autre stade du développement de la personnalité, ce rôle apparaît comme très

« Dans un monde en pleine évolution, où les struc- tures les plus traditionnelles sont remises en question, il importe qu'une connaissance suffisante des pro- blèmes familiaux et une information sûre des menaces qui pèsent sur tant de foyers mettent les religieuses mieux à même d'aider les familles à deve- nir de plus en plus ces cellules vivantes d'une com- munauté chrétienne rayonnante que devrait être chaque paroisse.

Que d'occasions de rencontres une religieuse zélée et apostolique saura faire naître pour amener les parents chrétiens à mieux connaître et à vivre plus intensément leur belle vocation de coopérateurs de Dieu dans son plan d'amour sur le monde ! Et qui ne voit tout ce qu'une religieuse entièrement donnée à Dieu et totalement disponible aux foyers de sa paroisse peut et doit apporter à ces familles, où s'exerce son influence quotidienne ? L'exemple de sa consécration au Seigneur n'est-il pas déjà lui- même, quand il est simplement et joyeusement vécu dans une communauté religieuse accueillante, un puissant appel à la vie chrétienne, où la religion n'apparaît plus comme un cadre pesant d'obligations extérieures, mais devient le ferment qui permet au foyer de se hausser à son vrai niveau spirituel et de témoigner autour de lui de la force suave et rayon- nante de l'Evangile ? » (extrait du message pontifical au 7 congrès de l'Union des Religieuses Educatrices Paroissiales).

Au cours de ces journées du 7 congrès de l'U.R.E.P. le représentant de la S. Congrégation des Religieux se demandait : « Un congrès de religieuses pour traiter des questions de la famille eût-il été possible il y a seulement vingt ans ? Quelle heureuse évolu- tion au point de vue pastoral ! »

Cet ouvrage étudie la famille au triple point de vue sociologique, doctrinal et pastoral. Il comprend des exposés doctrinaux, des témoignages de familles ouvrières, rurales ou du milieu indépendant ; enfin il relate les expériences pastorales des religieuses qui ont des contacts institutionnels.

L'ouvrage montre à l'évidence que la religieuse éducatrice n'est pas seulement « celle qui s'occupe des enfants et des jeunes », mais qu'elle a aussi pour tâche de dialoguer avec le monde des adultes.

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