La raison et les affects dans la pensee politique du dernier Spinoza

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8/17/2019 La raison et les affects dans la pensee politique du dernier Spinoza http://slidepdf.com/reader/full/la-raison-et-les-affects-dans-la-pensee-politique-du-dernier-spinoza 1/36 Simona Ferlini LA RAISON ET LES AFFECTS DANS LA PENSEE POLITIQUE DU DERNIER SPINOZA 1. Le rôle de la raison. Dans son dernier ouvrage, le Traité Politique, Spinoza attribue à la raison le rôle de condition nécessaire pour l'existence de n'importe quelle communauté politique. n e!et, une communauté politique existe, pour Spinoza, à c"aque #ois que des "ommes s'accordent et rassemblent leurs puissances individuelles pour pouvoir agir ensemble$ %si duo simul conveniant, et vires &ungant, plus simul possunt, et consequenter plus &uris in naturam simul "abent, quam uterque solus, et quo plures necessitudines sic &unxerint suas, eo omnes simul plus &uris "abebunt% 1 , mais cet accord et cette union ont, comme condition nécessaire, celle de poursuivre rationnellement l'intért commun. (our agir ensemble, la multitude d'"ommes qui constitue l'tat )ou n'importe quelle autre communauté* a besoin d'tre conduite %una veluti mente )...*. +t "aec animorum unio concipi nulla ratione posset, nisi ivitas id ipsum maxime intendat, quod sana ratio omnibus "ominibus utile esse docet% - . a puissance commune se rapproc"e plus de sa plus "aute puissance lorsque les décisions qui concernent son exercice sont plus rationnelles, car dans ce cas les puissances de tous peuvent s'unir au plus "aut degré. 1   /(,00,1. 2 /(,000,2.

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Simona Ferlini

LA RAISON ET LES AFFECTS

DANS LA PENSEE POLITIQUE DU DERNIER SPINOZA

1. Le rôle de la raison.

Dans son dernier ouvrage, le Traité Politique, Spinoza attribue

à la raison le rôle de condition nécessaire pour l'existence de

n'importe quelle communauté politique. n e!et, une

communauté politique existe, pour Spinoza, à c"aque #ois que

des "ommes s'accordent et rassemblent leurs puissances

individuelles pour pouvoir agir ensemble$ %si duo simul

conveniant, et vires &ungant, plus simul possunt, et

consequenter plus &uris in naturam simul "abent, quam

uterque solus, et quo plures necessitudines sic &unxerint suas,

eo omnes simul plus &uris "abebunt%1, mais cet accord et cette

union ont, comme condition nécessaire, celle de poursuivre

rationnellement l'intért commun. (our agir ensemble, la

multitude d'"ommes qui constitue l'tat )ou n'importe quelle

autre communauté* a besoin d'tre conduite %una veluti

mente )...*. +t "aec animorum unio concipi nulla ratione

posset, nisi ivitas id ipsum maxime intendat, quod sana ratio

omnibus "ominibus utile esse docet%-. a puissance

commune se rapproc"e plus de sa plus "aute puissance

lorsque les décisions qui concernent son exercice sont plus

rationnelles, car dans ce cas les puissances de tous peuvent

s'unir au plus "aut degré.

1   /(,00,1.

2  /(,000,2.

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Ferlini Raison et afects 2

a t3c"e de la t"éorie politique est alors celle d'établir

quelles sont les conditions nécessaires pour que la multitude

puisse atteindre ce degré maximum de co"ésion et de

puissance. n revanc"e, toute décision irrationnelle,

provoquant l'indignation d'une partie de la multitude, diminue

cette mme puissance, étant donné que les puissances

individuelles qui la constituent s'opposent l'une l'autre avec

plus ou moins de #orce, au lieu de s'accorder et s'unir entre

elles$ %quia 4us ivitatis communi multitudinis potentia

de5nitur, certum est, potentiam ivitatis, et 4us, eatenus

minui, quatenus ipsa causas praebet, ut plures in unum

conspirent%6. 7ne absolue rationalité dans la conduite des

a!aires communes engendrerait alors une absolue puissance

de la multitude, tandis que tout manque de rationalité

diminuerait cette puissance. a #orme meilleure de

gouvernement est donc celle qui réussit à atteindre cette

rationalité et cette puissance absolues )ou, du moins, celle qui

s'en s'approc"e le plus*$ l' imperium absolutum 4.

Du seul #ait que Spinoza dé5nit le pouvoir politique par la

puissance commune des cito8ens, il peut alors établir une

étroite connexion entre le pouvoir politique et le consensus.

+u #ur et à mesure qu'il accomplit des actes irrationnels, le

souverain perd de son pouvoir, parce que ces actes

engendrent l'indignation de ses su&ets. n revanc"e, la

rec"erc"e rationnelle du bien commun est la condition

essentielle du consensus, donc le #ondement des lois

3  /(,000,9.

4  :oire /(,:,-; :000,2, et passim.

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Ferlini Raison et afects 3

naturelles, %seu regulis, sine quibus ivitas non esset

ivitas%. S'il agit de #a<on irrationnelle, le souverain %pc"e%

envers ces lois, et sa peine est l'a!aiblissement, et, à

l'extrme limite, la ruine, de son pouvoir. De ce point de vue,

la raison #ait valoir ses droits sous la menace que représente

indignation populaire$ elle appara=t donc comme une limite du

pouvoir.

ependant, le mod>le que Spinoza propose n'a rien à voir

avec celui de la distinction entre tat et société civile, o?

cette derni>re contrôle le premier à travers l'opinion publique.

e mod>le n'est pas seulement postérieur à la mort du

p"ilosop"e, mais aussi tr>s loin des #ondements de sa t"éorie

politique. @ien sAr, dans son anal8se du pouvoir, il existe la

possibilité d'une distinction entre ceux qui tiennent l' imperium

)les %summae potestates%* et la multitude. Bais la meilleure

#orme de gouvernement est le %omnino absolutum

imperium%C, à savoir celle o? cette distinction est abolie, car le

seul #ait dexclure une partie des cito8ens du pouvoir

engendre une opposition, à l'intérieur de la multitude, entre

ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui en sont exclus. ette

opposition diminue la puissance commune, et, lorsque elle est

présente, limperium ne peut pas tre absolu2.

5  /(,0:,E.

6  /(,0,1.

7  /(,:000, E.

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Ferlini Raison et afects 4

+u contraire, on l'a dé&à vu, l'ob&ecti# de Spinoza est

précisément d'établir les conditions pour que la multitude soit

la plus proc"e possible de son plus "aut degré d'union et de

puissance. 0l ne s'agit donc pas pour Spinoza de se résigner à

l'inévitable irrationalité du pouvoir, #ace à laquelle la seule

c"ose à #aire est de 5xer les limites et les bornes de celuiGci et

de le soumettre à certaines #ormes de contrôle. ette solution

n'est mme pas valable dans l'organisation de l'imperium

monarc"ique$ la menace de l'indignation populaire ne rend

pas le roi plus rationnel, mais au contraire le #ait penc"er vers

la t8rannie. De son côté, si la multitude n'est poussée que par

l'indignation à abattre un t8ran, elle ne pourra ensuite que

retomber dans la mme t8rannie$ pour rester libre, elle a

besoin de se donner une organisation alternative du pouvoirH.

a raison se présente comme limite du pouvoir politique

seulement s'il est mal agencé$ alors, sa conduite peut tre

irrationnelle et les puissances individuelles peuvent entrer en

conIit. Bais la science politique doit avoir comme ob&ecti# le

plus grand developpement possible de la puissance

commune, et par conséquent un développement parall>le de

la rationalité commune.

8  /(,:000, 1E.

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Ferlini Raison et afects 5

-. Afectus, quibus conictamur...!

0l reste à comprendre de quelle #a<on cette t3c"e peut

tre accomplie, car dans la ité spinoziste, il n'8 a aucun su&et

auquel la t3c"e de conduire une politique rationnelle puisse

tre con5ée. a nature, qui %una, et communis omnium est%1J

,#ait en sorte que tous les "ommes vivent sous la domination

des a!ects. ertes, il n'est pas impossible que des "ommes

parviennent à contrôler les a!ects sous la conduite de la

raison, et soient donc libres. Bais la libertas animi que

Spinoza identi5e avec la raison est une vertu trop rare et trop

diKcile à saisir, et %qui sibi persuadent posse multitudinem,

vel qui publicis negotiis distra"untur, induci, ut ex solo rationis

praescripto vivant, saeculum poLtarum aureum, seu #abulam,

somnient%11.

n e!et, c"acun est enclin par nature à poursuivre son

propre intért, et à &uger d'apr>s celuiGci du bien et du mal.

"acun, en outre, croit que ce &ugement coMncide avec la

raison et lui attribue donc une valeur universelle. De mme,

c"acun est enclin à croire que ceux qui lui sont plus

semblables sont meilleurs et plus rationnels que les autres.'est pourquoi con5er le pouvoir aux %meilleurs% ne peut que

conduire à l'"égémonie d'un groupe, dont l'intért rationnel ne

sera que celui de se perpétuer 1-.

9  /(,incipit.

10  /(,:00,-2.

11  /(,0,.

12  :oire /(,:000,1E

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Ferlini Raison et afects "

e serait donc une #olie que de con5er la conduite des

a!aires communes à la rationalité ou à la lo8auté de

quelqu'un. a libertas animi est une vertu privée16, et ni le

salut ni la ruine de l'tat ne peuvent dépendre du #ait que

l'individu vit sous la domination des a!ects ou sous la

conduite de la raison, mme dans le cas o? cet individu en est

le roi.

a conduite des a!aires communes ne peut donc tre

con5ée à la bonne #oi de quelqu'un. +u contraire, aKrme

Spinoza, il #aut organiser les activités publiques de telle #a<on

que %qui easdem administrant, sive ratione ducantur, sive

a!ectu, induci nequeant, ut male 5di sint, seu prave agant%1E.

n e!et, étant donné que les a!ects des "ommes sont partout

presque les mmes, si dans une ité r>gne la discorde cela

signi5e que sa politique a été mal organisée$ %talis ivitas non

satis concordiae providerit, nec &ura satis prudenter instituerit,

et consequenter neque 4us ivitatis absolutum obtinuerit%1.

6 L#or$anisation du pou%oir.

a rationalité politique rel>ve donc de l'organisation de la ité,

plutôt que de la qualité de ses cito8ens. (uisque le point de

départ de toute t"éorie politique est la constatation selon

laquelle tous les "ommes sont soumis aux a!ects, on pourrait

alors s'attendre à ce que Spinoza explique comment cette

organisation est capable de produire une rationalité commune

13  /(,0,C.

14  0vi.

15  /(,:,1.

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Ferlini Raison et afects &

à partir des a!ects individuels. /oute#ois, que ce soit à cause

de l'inac">vement de l'oeuvre, ou bien pour d'autres raisons,

on ne trouve quun aper<u sur ce t">me dans le Traité

Politique. +vant d'anal8ser cet aper<u il nous #aut exposer le

plus bri>vement possible les #ormes d'organisation politique

proposées par Spinoza.

orsque Spinoza traite des structures de la ité, il

s'intéresse presque exclusivement au probl>me de la

distribution du pouvoir. 0l suit d'abord la distinction classique

des #ormes de gouvernement, qui remonte à Nérodote$

pouvoir politique )imperium* con5é à une seule personne,

monarc"ie; con5é à quelques personnes c"oisies, aristocratie;

con5é à la multitude enti>re, ou, plus précisément, à une

assemblée composée de la multitude enti>re, démocratie1C.

ette distinction acquiert cependant une signi5cation nouvelle

c"ez Spinoza, car il ne se soucie pas d'établir quelle est la

#orme de gouvernement la meilleure. 0l s'intéresse plutôt à

construire les structures institutionnelles les plus con#ormes à

la distribution du pouvoir qui caractérise c"acune. De ce point

de vue, l'élément le plus important pour Spinoza est la

proportion entre les #orces de ceux qui ont le pouvoir et les

#orces de leurs su&ets. Si cette proportion est telle que les

summae potestates sont à mme d'exercer le pouvoir sans

aucune limitation de 'acto, dans ce cas limperium est absolu.

Si cette proportion n'est pas telle, la constitution de la ité

doit se con#ormer aux limites e!ectives des #orces du

souverain. /oute l'organisation de l'imperium monarc(icum se

16  /(,00,12.

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Ferlini Raison et afects )

base sur le principe selon lequel la proportion entre la

puissance d'un seul individu et celle de la multitude enti>re

est si dé#avorable qu'un prince ne peut %imperium absolutum

uti%12 sans de né#astes conséquences pour tous. +u contraire,

l'organisation de l'imperium aristocraticum rel>ve du #ait que

si l'assemblée qui le conduit est assez nombreuse, elle peut

avoir un pouvoir presque absolu.

a supériorité du gouvernement aristocratique vient du

#ait quil sagit dun gouvernement collégial. 0l 8 a, selon

Spinoza, une tr>s grande di!érence %inter imperium, quod in

unum, et inter id, quod in satis magnum oncilium

trans#ertur%1H. 7ne assemblée n'a pas besoin de conseillers,

elle ne meurt &amais et ne subit pas les variations liées à la

santé, à l'"umeur, etc., auxquelles un individu est tou&ours

soumis. 'est pourquoi le pouvoir de l'assemblée

aristocratique est presque absolu, a8ant comme seule limite

le #ait que %multitudo imperantibus #ormidolosa est, quae

propterea aliquam sibi libertatem obtinet, quam, si non

expressa lege, tacite tamen sibi vindicat, obtinetque%19. e

dernier est probablement le seul élément de distinction entre

le pouvoir aristocratique et le %omnino absolutum imperium%-J

con5é à une assemblée dont la multitude enti>re #ait partie.

a di!érence entre les #ormes de gouvernement peut alors se

résumer dans cette alternative$ pouvoir con5é à une

assemblée assez nombreuse, et pouvoir con5é à un seul )ou

17  /(,:00,1E.

18   /(,:000,6.

19  /(,:000,E.

20  /(,0,1.

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Ferlini Raison et afects !

bien à une assemblée qui n'est pas assez nombreuse*;

pouvoir absolu )ou presque*, et pouvoir qui n'est pas absolu.

'est en décrivant la di!érence entre ces deux pouvoirs

que Spinoza évoque le t">me du rapport entre rationalité et

a!ects. e pouvoir de l'assemblée aristocratique est meilleur

que le pouvoir monarc"ique, étant plus proc"e du pouvoir

absolu %absque pacis, et libertatis detrimento%-1. n e!et, ce

pouvoir ne menace pas la paix et la liberté, car %concilii adeo

magni voluntas non tam a libidine, quam a ratione

determinari potest; quippe "omines ex malo a!ectu diverse

tra"untur, nec una veluti mente duci possunt nisi quatenus

"onesta appetunt, vel saltem quae speciem "onesti "abent%--.

7ne organisation de la ité capable den produire la conduite

rationnelle est, en premier lieu, celle o? les décisions sont

prises en commun par une ou plusieurs assemblées assez

nombreuses, car l'accord entre un grand nombre d'"ommes

ne peut se réaliser que sur ce qui est rationnel.

Oous avons donc une premi>re réponse aux questions

que nous nous étions posées. Si la raison politique n'a pas

besoin de su&ets rationnels, c'est parce quelle est une raison

commune issue de la con#rontation entre des opinions

individuelles di!érentes. ellesGci peuvent tout aussi bien tre

dictées par des intérts particuliers et des points de vue

sub&ecti#s$ poursuivre son intért de la #a<on qu'il &uge la

meilleure est pour Spinoza le droit naturel de c"acun, qui ne

cesse nullement d'tre valable dans l'état civil-6. Bais les

21  /(,:000,2.

22  /(,:000,C.

23  p J.

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Ferlini Raison et afects *+

opinions et les intérts particuliers ne peuvent trouver de

point de rencontre que dans l'intért commun et dans la

raison. Si le consensus de la multitude a pour condition que

les décisions des %summae potestates% soient rationnelles,

c'est donc parce que, en soi, l'accord d'un grand nombre

d'"ommes coMncide avec ce qui est rationnel.

 

E. Raison et afects dans le /raité (olitique.

ntre raison et consensus s'établit alors une sorte

d'équivalence$ l'accord qui #ait en sorte que les individus

soient conduits una %eluti mente, est en mme temps la

condition et la conséquence de la rationalité; ou, ce qui

revient au mme, l'union qui engendre la puissance de la

multitude produit en mme temps la rationalité politique, tout

comme celleGci produit l'union. e plus "aut niveau d'union et

de puissance coMncide alors avec le plus "aut niveau de

rationalité, tout comme, on l'a dé&à vu, le maximum de

rationalité engendre le maximum de puissance.

ependant, nous ne pouvons pas nous considérer

satis#aits de cette solution, parce que Spinoza se borne à

aKrmer que l'accord coMncide avec la raison, sans expliquer

pourquoi ni dans quelles conditions cette coMncidence peut se

véri5er. e qui est particuli>rement peu clair est le rôle des

a!ects dans la production de cette raison. stGelle la

conséquence d'un dépassement des a!ects individuelsP t

dans ce cas, d'o? vient la raison qui les dépasseP Qu bien les

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Ferlini Raison et afects **

a!ects mmes engendrentGils une raison communeP t dans

ce cas, comment les a!ects des "ommes qui ne sont pas

conduits par la raison peuventGils la produire par le seul #ait de

s'accorderP (uisque nous avons vu que la raison n'est

prérogative d'aucun su&et dans la ité, car nous devons

accepter le principe que tous ses membres vivent sous la

conduite des a!ects, on peut aisément conclure que la raison

ne peut avoir d'autre source que les a!ects mmes. /oute#ois,

Spinoza n'explique pas de quelle #a<on le passage des a!ects

à la raison commune peut se produire, ni quel est le rôle de

l'accord dans ce passage.

e qui ressort des textes est que, si les "ommes ont une

nécessité absolue d'unir leurs #orces et de s'accorder, ce n'est

pas la raison qui leur apprend cette nécessité$ %quia "omines,

uti diximus, magis a!ectu, quam ratione ducuntur, sequitur

multitudinis non ex rationis ductu, sed ex communi aliquo

a!ectu naturaliter convenire, et una veluti mente duci velle%-E.

'union et l'accord ne peuvent donc tre produits que par les

a!ects. /oute#ois, rien dans les aKrmations de Spinoza ne

garantit que cet accord est rationnel.

Spinoza semble mme se contredire à ce propos. n

poursuivant le passage que nous venons de citer, nous

trouvons quelques exemples des a!ects qui poussent les

"ommes à s'accorder naturellement$ l'espoir, la crainte, et le

désir commun de %aliquod damnum ulciscendi%-. Qr, mme

sil n'est pas évident que le metus soit un %a!ect mauvais%, il

24  /(,:0,1.

25  bidem.

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Ferlini Raison et afects *2

est diKcile de douter que le %desiderium aliquod damnum

ulciscendi% ne soit un a!ect de "aine$ "aine envers ceux qui

nous ont nui, et en mme temps indignation, c'est à dire

%odium erga illum, qui alteri male #ecit%-C. Bais nous avons vu

que la seule garantie pour que les assemblées produisent des

décisions rationnelles est précisément le #ait que les "ommes

%ex malo a!ectu diverse tra"untur%. n outre, dans le c"apitre

sur les #ondements de l'tat Spinoza indique &ustement dans

les a!ects de "aine la cause de la naturelle inimitié des

"ommes$ %quatenus "omines ira, invidia, aut aliquo odii

a!ectu conIictantur, eatenus diverse tra"untur, et invicem

contrarii sunt, et propterea eo plus timendi, quo plus possunt,

magisque callidi, et astuti sunt, quam reliqua animalia; et quia

"omines ut plurimum )...* "is a!ectibus natura sunt obnoxii,

sunt ergo "omines ex natura "ostes%-2. oin d'tre une cause

d'union entre les "ommes, les a!ects de ce genre sont au

contraire la raison principale des conIits, celle qui #ait des

"ommes les ennemis les plus redoutables les uns pour les

autres.

Bais si les "ommes ne peuvent pas s'accorder sous la

pression de la crainte ou de la "aine, les aKrmations de

Spinoza au su&et du %naturaliter convenire% demandent un

éclaircissement. S'ils le peuvent, la distinction entre les

causes du conIit et les causes de l'accord et de la rationalité

devient incompré"ensible$ doitGon conclure que la raison

coMncide avec n'importe quel a!ect, pourvu qu'il soit un a!ect

26  ,000,6-,S.

27  /(,00,1E.

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Ferlini Raison et afects *3

communP t s'il n'en est pas ainsi, quelle est la di!érence

entre les accords produits par les a!ects de "aine et les

autresP (ourquoi, et de quelle #a<on, les accords qui naissent

des a!ects de "aine peuventGils tre vaincus par les autresP

es probl>mes mettent en question des aspects tr>s

importants de la t"éorie politique spinoziste, à partir de celui

du rôle mme de la raison. 'exigence absolue d'une conduite

rationnelle de l'tat, on l'a vu, dérive du #ait que toute

conduite irrationnelle engendre l'indignation des su&ets, donc

un a!aiblissement du pouvoir, tandis que le consensus

requiert des c"oix rationnels de la part du souverain. Bais ces

t">ses ne peuvent tre soutenues que si l'on croit que le

consensus est rationnel en soi, et elles perdent leur validité si

lon ne peut pas croire que le %animorum unio% aie, comme

condition nécessaire, la raison. De plus, la t">se qui lie le droit

de résistance de 'acto à la conduite irrationnelle du souverain

requiert les mmes prémisses, tout comme la t">se de la

persistance du droit naturel individuel dans l'état civil perd sa

co"érence si on ne peut pas démontrer que les droits et les

opinions individuelles sont capables de s'accorder dans la

poursuite du bien commun. 'identité entre l'accord et la

raison est donc un postulat de la politique spinoziste, sur

lequel se #ondent le droit de résistance #ace à une politique

irrationnelle, l'aKrmation de la valeur rationnelle du

consensus et l'aKrmation conséquente selon laquelle

contraindre les opinions individuelles est inutile et nuisible,

car le consensus ne requiert qu'une politique rationnelle, et le

libre &eu des opinions ne peut quaugmenter cette rationalité.

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Ferlini Raison et afects *4

De ce postulat, il nous #aut comprendre les raisons.

ependant, les éléments pour le comprendre ne se trouvent

pas dans le Traité Politique. (our les rec"erc"er, nous devons

recourir à la t"éorie des a!ects que Spinoza développa dans

l'oeuvre qui préc>de immédiatement ce traité$ l'-t(ique .

. La raison et les afects dans l t"ique.

n ce qui concerne les #ondements positi#s et rationnels

de la sociabilité "umaine, la proposition 1H de la 0:>me partie

de l-t(ique et sa scolie marquent un c"angement radical de

perspective, une nouvelle #a<on d'entendre le rapport de

l'individu avec les c"oses extérieures, et par conséquent avec

les autres "ommes. n e!et, &usqu'à cette proposition

l'appartenance à l'ordo communis naturae  para=t

exclusivement une borne à la puissance "umaine, à savoir

l'ensemble des limites extérieures qui empc"ent son essence

de s'exprimer librement. es idées et les actions adéquates

s'opposent aux passions &ustementent par le #ait que nous ne

sommes causes de ces derni>res quen partie, tandis que les

idées et les actions adéquates s'expliquent par notre seule

nature. 7ne idée inadéquate est quelque c"ose que notre

mens per<oit partiellement-H, et une passion est un a!ect dont

nous sommes cause inadéquate ou partielle-9. 'est pourquoi

nous sommes passi#s en tant que %Oaturae sumus pars, quae

28  ,00,11S.

29  ,000, dé/nitions.

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Ferlini Raison et afects *5

per se absque aliis non potest concipi%6J, et pour la mme

raison notre puissance est tou&ours limitée et surpassée par

celle des causes extérieures61. n e!et, nous ne pouvons pas

éc"apper à cette condition %"inc sequitur, "ominem

necessario passionibus esse semper obnoxium,

communemque Oaturae ordinem sequi%6-. a 0:>m> partie de

l'-t(ique, %de servitute "umana%, est dédiée à ces limitations,

ou plutôt aux conditions auxquelles l'"omme est tou&ours

#orcément soumis en tant que partie de la nature.

es conditions, toute#ois, doivent tre le point de départ

pour édi5er une ét"ique, à savoir pour rec"erc"er les mo8ens

dont l'"omme dispose pour éc"apper à l'état d'impuissance

dans lequel les passions le contraignent. ependant, %a!ectus

nec coLrceri, nec tolli potest, nisi per a!ectum contrarium, et

#ortiorem a!ectu coLrcendo%66, cest pourquoi ces mo8ens ne

peuvent se trouver que dans les a!ects mmes. Donc, si la

raison peut modérer et contrôler les a!ects, cest seulement

parce que la raison, en tant que connaissance vraie du bien et

du mal, coMncide avec des a!ects plus puissants que ceux

auxquels elle s'oppose$ %vera boni, et mali cognitio, quatenus

vera, nullum a!ectum coLrcere potest, sed tantum, quatenus

ut a!ectus consideratur%6E. +pr>s avoir démontré les #orces et

les limites de la raison en tant que %cognitio vera boni et

mali%, ou plutôt les causes de son impuissance, Spinoza

30  ,0:,-.

31  ,0:,6.

32  ,0:,E et .

33  ,0:,2.

34  0:,1E.

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Ferlini Raison et afects *"

commence donc à déterminer quels sont les a!ects dont la

raison dispose pour surmonter les passions.

a proposition 0:,1H est le point de départ de cette

rec"erc"e, et de cette proposition commence aussi à se

dégager une nouvelle perspective sur le rapport avec les

c"oses extérieures. e lien avec les c"oses extérieures peut

accro=tre la puissance individuelle, au lieu d'en tre la borne,

car ma puissance et celle de la c"ose extérieure peuvent

s'unir et se ren#orcer l'une l'autre$ %upiditas, quae ex aetitia

oritur, caeteris paribus, #ortior est upiditate, quae ex /ristitia

oritur%, car sa #orce %potentia "umana, simul et potentia

causae externae )de5niri debet*%6. Si donc la raison peut

surmonter les passions, c'est parce que les a!ects qui

correspondent à la raison sont tou&ours des a!ects de &oie,

tandis que la tristesse est en tout cas un a!ect passi# 6C. Bais

les a!ects de &oie, à leur tour, sont plus puissants que les

passions tristes seulement parce quils correspondent à

l'union de la puissance individuelle avec celle des c"oses

extérieures.

e #ondement positi# et rationnel de la sociabilité

"umaine se trouve dans la possibilité de cette union de

puissances$ les puissances des "ommes peuvent se &oindre, et

cette union, en les accroissant, s'accompagne naturellement à

des a!ects de &oie et donc d'amour. tre une partie de la

nature, aKrme Spinoza dans la scolie de la proposition 1H,

n'est pas seulement un #acteur d'impuissance, car au

35  ,0:,1H et dém.

36  ,000,9.

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Ferlini Raison et afects *&

contraire nous avons besoin des c"oses extérieures, et %sane

noster intellectus imper#ectior esset, si Bens sola esset, nec

quicquam praeter se ipsam intelligeret%. Bais parmi les

c"oses extérieures, celles qui sont meilleures pour nous sont

celles qui %cum nostra natura prorsus conveniunt%,

s'accordent le plus à notre nature$ %si enim duo ex. gr.

e&usdem prorsus naturae individua invicem &unguntur,

individuum componunt singulo duplo potentius. Nomini igitur

ni"il "omine utilius; ni"il, inquam, "omines praestantius ad

suum esse conservandum, optare possunt, quam quod omnes

in omnibus ita conveniant, ut omnium Bentes et orpora

unam quasi Bentem, unumque orpus componant, et omnes

simul, quantum possunt, suum esse conservare conentur,

omnesque simul omnium commune utile sibi quaerant%. Qn

trouve dans cette longue citation plusieurs t">mes que

para=tront dans le Traité Politique$ l'union des puissances

individuelles qui est l'origine de la ité, la %veluti unica mens%

qui doit conduire la multitude, et la rec"erc"e de l'utilité

commune. Bais ici, en décrivant les conditions qui rendent

possible l'union des puissances individuelles, Spinoza se sert

d'une notion qu'il ne développe pas dans le Traité Politique, et

qui cependant dans l'-t(ique para=t essentielle pour dé5nir les

conditions de la sociabilité "umaine$ la notion de %convenire%.

ette notion réunit en soi des aspects di!érents$ l'action

de s'accorder, l'union, le #ait d'tre du mme avis ou d'avoir

quelque c"ose en commun et la similitude. (lus précisément,

le con%enire est cette union des puissances qui a son

#ondement dans la similitude des natures$ lorsque deux

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Ferlini Raison et afects *)

natures sont semblables, leurs puissances respectives se

composent et s'accroissent l'une l'autre, à un tel point que, si

elles sont tout à #ait semblables )si elles sont %e&usdem

prorsus natura%*, l'union peut tre totale. e #ondement de la

sociabilité "umaine se trouve dans cette notion$ si rien n'est

plus utile à l'"omme que l'"omme, c'est parce que les natures

des individus "umains %prorsus conveniunt%, sont semblables

au plus "aut degré, et pour cette raison peuvent s'unir et

accro=tre au plus "aut degré les #orces de c"acun.

es c"oses qui nous sont utiles sont celles qui, en une

certaine mesure, peuvent unir leur puissance à la nôtre parce

quelles ont quelque c"ose en commun avec nous$ %quatenus

res aliqua cum nostra natura convenit, eatenus necessario

bona est%62. Bais quel est le sens de lunion de deux

puissances, et pourquoi la similitude estGelle la condition de

cette unionP Spinoza l'explique dans la démonstration de la

proposition que nous venons de citer, en renvo8ant à la

t"éorie du conatus$ les c"oses singuli>res sont des

expressions déterminées de la puissance divine, et leurs

conséquences tendent à leur propre conservation6H. n

d'autres termes, de la nature d'une c"ose découlent des

conséquences qui sont utiles à cette c"ose elleGmme. 'est

pourquoi dans le cas o? la nature de la c"ose extérieure

%convient% avec la nôtre, c'estGàGdire dans le cas o? cette

nature a quelque c"ose en commun avec nous69, de nos

propriétés communes découlent des conséquences qui, sont

37  ,000,61.

38  ,000,C,dém.

39  Ronvenire équivaut à avoir en commun$ voire , 0:,6J et 0:,61,dém.

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Ferlini Raison et afects *!

utiles à lune et à lautre. tre semblable, ou con%enire,

signi5e alors avoir des propriétés communes, et par

conséquent des e!ets qui vont dans la mme direction.

orsque ces conditions se véri5ent, deux puissances

s'unissent pour en #ormer une seule. Dans la mesure o?

quelque c"ose %convient% avec notre nature, donc, ses e!ets

vont dans le mme sens que les e!ets de la nôtre, la

secondent et l'accroissent; c'est pourquoi %res nulla per id,

quod cum nostra natura commune "abet, potest esse mala;

sed quatenus nobis mala est, eatenus est nobis contraria%EJ$

deux c"oses sont contraires si leurs e!orts vont dans des

directions pour ainsi dire opposées, à savoir lorsquelles

peuvent se détruire l'une l'autre. Dans ce cas, les c"oses ne

peuvent pas %inter se convenire%, ni tre en mme temps

dans le mme su&etE1.

C. Le convenire et l#imitation des afects.

a &oie et l'amour sont tou&ours les a!ects qui accompagnent

le con%enire, car l'union des puissances marque le passage

dans une per#ection et une puissance ma&eures, et ce passage

a pour cause une c"ose extérieure. Donc, si quelquun qui

nous est semblable s'unit à nos actions, il les ren#orce, s'il

partage nos a!ects, il accro=t la puissance avec laquelle nous

les éprouvons.

40  ,0:,6J.

41  ,000, et dém..

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Ferlini Raison et afects 2+

De ce point de vue, cependant, le con%enire ne semble

pas tre di!érent de l'imitation a!ective que Spinoza décrit

dans la 000>me partie de l'-t(ique. Bais de l'imitation a!ective

Spinoza a aussi décrit toute l'ambivalence. 0maginer que nos

semblables partagent avec nous un amour ou une "aine nous

ren#orce dans nos a!ectsE-, et cest pour cette raison que

c"acun s'e!orce a5n que les autres aiment ce qu'il aime et

"aMssent ce qu'il "aitE6. Bais cet e!ort n'est pas à l'origine de

la concorde entre les "ommes. +u contraire, ses

conséquences sont la violence et l'ambition$ %atque adeo

videmus unumquemque ex natura appetere, ut reliqui ex

ipsius ingenio vivant, quod dum omnes pariter appetunt,

pariter sibi impedimento, et dum omnes ab omnibus laudari,

seu amari volunt, odio invicem sunt%EE. 'amour pour nos

semblables, dans ce cas, n'est qu'une #orme de pouvoir$

l'e!ort que c"acun accomplit pour que les autres ne soient

plus sui 0uris, mais vivent e1 ipsius in$enio. 'est pourquoi

l'imitation a!ective est tou&ours ambivalente$ si elle est à la

racine de la miséricorde, elle est en mme temps la source de

l'envie et de l'ambition de pouvoirE.

 /oute#ois, le con%enire  est quelque c"ose de plus que

l'imitation a!ective. +lors que celleGci explique les #ondements

passionnels, ambivalents et Iuctuants, de la sociabilité

"umaine, la t3c"e de la notion de con%enire est d'en expliquer

les #ondements rationnels et positi#s. De mme, comme lon a

42  ,000,61.

43  ,000,61,.

44  ,000,61,S.

45  ,000,6-,S.

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Ferlini Raison et afects 2*

vu, en général la t3c"e de la 0:>me partie est de dégager ce

que les idées inadéquates de l'imagination ont de positi#, et

par conséquent ce que les a!ects passi#s et Iuctuants qui lui

correspondent ont eux aussi de positi#. e con%enire  est ce

que l'imitation a!ective a de positi#$ si nous éprouvons des

a!ects semblables à ceux des autres "ommes, c'est parce

que leurs natures %prorsus conveniunt% avec la nôtre.

oin d'tre une passion, le con%enire  des natures

"umaines est mme contrecarré par les passions$ %quatenus

"omines passionibus sunt obnoxii, non possunt eatenus dici,

quod natura conveniant%EC. n e!et, la condition pour que des

natures semblables s'accordent est que leur explication ne

soit pas détournée par des causes externes. Bais les a!ects

qui sont des passions ne sont pas des expressions pures de

l'essence individuelle; au contraire, ils représentent pour

l'individu une condition d'impuissance. Dans cette condition,

le con%enire est impossible$ %quae natura convenire dicuntur,

potentia convenire intelliguntur )...*, non autem impotentia,

seu negatione, et consequenter )...*, neque etiam passione%E2.

orsque l'expression des natures individuelles est détournée

par les a!ects, les "ommes di!>rent et s'opposent mme les

uns aux autresEH. Oous avons vu dans le Traité Politique que si

les "ommes sont naturellement ennemis, c'est parce que

cette soumission à des a!ects qui sont passions est la

condition commune à tousE9.

46  ,0:,6-.

47  ,0:,6-,dém.

48  ,0:,66 et 6E.

49  /(,00,1E.

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Ferlini Raison et afects 22

+u contraire, ce n'est que lorsque les "ommes vivent

sous la conduite de la raison que leur nature s'explique

librement, c'est à dire que leurs a!ects sont des actions$

%mentis actionis ex solis ideis adaequatis oriuntur; passiones

autem a solis inadaequatis pendent%J. Seulement dans ce cas

de la nature de l'individu sensuivent des conséquences dont il

est cause adéquate, ou enti>re1, et ces conséquences, &ugées

utiles par la raison, sont bonnes, en général, pour tous les

"ommes-. e #ondement de la sociabilité "umaine est donc

bien la similitude de nature des "ommes. Bais cette similitude

n'a de valeur que lorsque les "ommes agissent vraiment par

les seules lois de leur nature, à savoir sous la conduite de la

raison$ %quatenus "omines ex ductu rationis vivunt, eatenus

tantum natura semper necessario conveniunt%6. a raison, ou

le partage des connaissances vraies, est donc la condition

nécessaire pour que les natures semblables des "ommes

puissent s'accorder. Tien n'est plus utile à l'"omme que

l'"omme qui %it sous la conduite de la raison54. 'accord le

plus grand coMncide, en e!et, avec le partage du souverain

bien, qui est la connaissance et l'amour de Dieu. ette

connaissance marque le degré maximum d'expression de

l'essence "umaine, à tel point que %"omo nec esse, nec

concipi posset, si potestatem non "aberet gaudendi "oc

summo bono%.

50  ,000,6.

51  ,000,dé' .1.

52  ,0:,6, dém.

53  ,0:,6.

54  ,0:,6,1.

55  ,0:,6C,S.

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Ferlini Raison et afects 23

0l semble donc que la raison ne peut pas tre la

conséquence de l'accord, mais seulement sa condition. es

"ommes ne peuvent s'accorder que lorsquils vivent sous la

conduite de la raison, et par conséquent leurs puissances

s'expliquent librement. Si cependant cette solution peut tre

valable du point de vue de la morale individuelle, nous avons

dé&à vu que dun point de vue politique il est tout à #ait

impossible de l'appliquer. n e!et, de ce point de vue, la

raison est bien la condition pour que les "ommes agissent

comme s'ils étaient conduits par une seule mens, mais,on la

vu, elle ne peut en aucun cas dériver des su&ets qui

constituent la ité. Si une raison est possible, elle ne peut tre

quune raison commune, issue de l'accord entre les di!érents

su&ets, qui vivent tous également sous le pouvoir des a!ects.

0l #aut donc se poser à nouveau la question$ de quelle #a<on,

et à quelles conditions, l'accord des a!ects individuels peutGil

produire une raison communeP

2. Puissance et raison.

e passage de la raison au con%enire trouve son #ondement

dans l'équivalence entre libre explication de la nature

individuelle et raison que Spinoza a établi au début de la

000>me partie de l'-t(ique. Si l'"omme qui vit sous la conduite

de la raison agit par les lois de sa propre nature, c'est parce

que avoir des idées adéquates équivaut à tre cause

adéquate de ses actions. 'est donc à cette équivalence, ou

pour mieux dire au s8st>me d'équivalences dont elle #ait

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Ferlini Raison et afects 24

partie, que nous devons nous rapporter pour comprendre si le

passage inverse est également possible, à savoir si le

con%enire est capable d'engendrer une rationalité commune.

a premi>re de ces équivalences est celle qui identi5e

d'un côté ltre cause adéquate, ltre acti# et lavoir des

a!ects acti#s, et de l'autre côté ltre cause inadéquate, ltre

passi#, et ltre soumis à des a!ects qui sont des passions.

Oous sommes acti#s, dit Spinoza, si nous sommes causes

adéquates, c'est à dire lorsque %ex nostra natura aliquid in

nobis, aut extra nos sequitur, quod per eandem solam potest

clare, et distincte intelligi%. +u contraire, si nous sommes

causes inadéquates de nos actions, a!ections ou perceptions,

à savoir lorsque %in nos aliquid 5t, vel ex nostra natura aliquid

sequitur, cu&us nos non, nisi partialis, sumus causa%C, nous

sommes passi#s. De mme, nos a!ects sont des actions si

nous en sommes les causes adéquates, dans le cas contraire,

ils sont des passions2. De ce premier groupe d'équivalences

suit l'identi5cation entre idées adéquates et actions de la

mens, et entre idées inadéquates et passions de l'3me$ les

idées adéquates sont des idées dont notre mens  est cause

adéquate, et vice versa les idées inadéquates des idées dont

notre mens  est cause inadéquate et partielleH.

Bais si les "ommes s'accordent et unissent leurs

puissances d'agir, c"acun doit tre considéré une cause

partielle des e!ets qu'ils produisent ensemble. De mme, la

 &oie qui correspond à cette union dérive d'une cause

56  ,000,dé' .-.

57  ,000,dé' .6.

58  ,000,1 et dém.

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Ferlini Raison et afects 2"

lors une dimension collective$ nous sommes cause adéquate

de nos idées lorsqu'elles naissent d'une propriété qui est

commune à nous et à la c"ose extérieure, nous sommes acti#s

lorsque nous sommes cause ensemble à quelque c"ose qui a

en commun avec nous la propriété par laquelle nous agissons.

'union avec nos semblables, alors, nous est utile surtout

parce quelle ren#orce notre raison, c'estGàGdire parce quelle

accro=t le nombre de nos idées adéquates$ %Bens eo aptior est

ad plura adaequate percipiendum, quo e&us orpus plura

"abet cum aliis corporibus communia%C1. n mme temps,

cette union accro=t aussi le nombre de nos actions dont nous

sommes les causes adéquates, et elle accro=t par conséquent

notre puissance. a &oie qui na=t du con%enire est alors en

mme temps l'a!ect qui accompagne les actions communes

des "ommes, lorsquils agissent suivant les lois de leur propre

nature, et l'a!ect qui accompagne la #ormation des idées

adéquates. Si donc les idées adéquates ont le dessus sur les

inadéquates gr3ce à leur #orce intrins>queC-, elles

correspondent aussi à l'union entre les puissances des

di!érents individus, et, par conséquent, elles sont encore

ren#orcées par la &oie active qui les accompagne.

ertes, il ne #aut pas oublier que tous les "ommes sont

soumis aux passions, et pour cette raison la &oie qui na=t de

leurs union est tou&ours ambivalente et Iuctuante, allant dans

la direction de l'imitation des a!ects plutôt que dans celle du

con%enire. /oute#ois, si les "ommes sont tou&ours soumis aux

61  ,00,69,S.

62  ,00,E6,S.

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Ferlini Raison et afects 2&

passions, ils ne sont cependant &amais tout à #ait passi#s. 0ls

ne pourraient mme pas exister, si leur nature n'était pas en

quelque mesure capable de s'exprimer. Bais lorsquils

agissent suivant les lois de leur propre nature, les "ommes

peuvent aussi s'accorder, et cet accord, à son tour, accro=t le

nombre de leurs idées adéquates et la #orce dont ils disposent

pour agir selon les lois de leurs nature et pour rec"erc"er ce

qui leur est utile. a &oie qui na=t du con%enire  peut alors

engendrer une spirale positive capable d'accro=tre tou&ours

plus à la #ois la rationalité et la puissance de ceux qui 8

participent.

H. onclusions.

e passage de l'accord à la raison est donc plus diKcile et

beaucoup moins sAr que celui de la raison à l'accord, mais ce

passage est possible, et d'autant plus important parce quil

est la condition mme pour que les "ommes deviennent

raisonnables. n e!et, la raison ne peut tre une condition de

départ ni pour l'individu ni pour la ité. a ité, nous l'avons

vu, ne peut se baser sur l'"8pot">se que ses cito8ens )ou

certains dentre eux* soient raisonnables. Bais les individus

aussi ont besoin de la raison commune pour développer leur

propre rationalité. orsque Spinoza dit que les "ommes ont

besoin de s'unir, parce que leur puissance, lorsqu'ils sont

isolés, est dérisoire, l'union dont il parle n'est pas seulement

une union de #orces pour agir sur la nature, mais aussi, et

surtout, une union qui permet aux "ommes de penser

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Ferlini Raison et afects 2)

ensemble. (ersonne ne na=t libre, et personne ne na=t

raisonnable, mais le long c"emin du devenir adéquat de nos

idées et de nos actions ne pourrait tre accompli si l'individu

était isolé, %si Bens sola esset, nec quicquam praeter se

ipsam intelligeret%C6. (our #ormer des idées adéquates, nous

avons besoin de #aire l'expérience de nos semblables et de

communiquer avec eux, et plus les individus qui partagent

cette communication sont nombreux et puissants, plus ils ont

de #orces pour agir et penser selon les seules lois de leur

commune nature$ %quae eKciunt, ut "omines concorditer

vivant, simul eKciunt, ut ex ductu rationis vivant%CE. (ouvoir

penser avec leurs semblables est donc la c"ose la meilleure

que les "ommes puissent sou"aiter. 'est pourquoi %"omo, qui

ratione ducitur, magis in civitate, ubi ex communi decreto

vivit, quam in solitudine, ubi sibi soli obtemperat, liber est%C.

ependant, le seul #ait que les "ommes partagent une

opinion ne garantit pas que cette opinion soit rationnelle.

O'importe quel a!ect, pourvu qu'il soit commun, est capable

de produire une quelque #orme d'accord, soit à travers

l'imitation a!ective, soit parce que des natures semblables,

poussées par des causes extérieures semblables, ont des

conséquences semblables. De ce genre, par exemple, est

l'accord de la multitude esclave dans la crainte et dans

l'admiration du t8ran, et cet accord ne produit pas la raison,

mais la superstition. De mme, si la ma&orité des membres

d'une assemblée est soumise à un mme a!ect passi#, son

63  ,0:,1H,S.

64  ,0:,EJ,dém.

65  ,0:,26.

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Ferlini Raison et afects 2!

accord sera l'expression de cette passion. Tien ne garantit

donc que c"aque opinion sur laquelle beaucoup d'"ommes

s'accordent soit une idée adéquate, ni que toute décision

d'une assemblée soit une décision rationnelle.

 /oute#ois, aKrmer que les opinions de la ma&orité ou les

décisions d'une assemblée sont #orcément rationnelles n'est

probablement pas dans les intentions de l'auteur, car cette

aKrmation équivaudrait à nier toute valeur à la diversité des

opinions. Si nous &etons un regard en arri>re, sur le c"apitre

du Traité T(éolo$ico Politique, nous vo8ons que, au

contraire, Spinoza n'a &amais eu besoin de soutenir cette

t">se. Dans l'état civil, aKrmeGtGil dans cette oeuvre, les

individus ne renoncent qu'à agir exclusivement selon leur

propre décret. eux qui ne partagent pas les opinions des

summae potestates, ou bien, dans une assemblée, les

opinions de la ma&orité, ne sont nullement tenus de c"anger

d'avis, ni de cesser d'exprimer leur opinion contraire. n e!et,

les décisions communes doivent tou&ours rester ouvertes$

%quia omnes "omines non possunt aeque eadem sentire, pacti

sunt, ut id vim decreti "aberet, quod plurima "aberet

su!ragia, retinendo interim aut"oritatem eadem, ubi meliora

viderint, abrogandi%CC.

Bais si l'accord sur une opinion n'est pas, à lui seul, une

garantie absolue de sa rationalité, cette opinion reste

toute#ois la plus rationnelle possible dans les conditions

données. a raison, nous l'avons vu, peut surmonter les

passions seulement dans la mesure o? elle correspond à un

66  //(, )Spinoza, pera, vol.000,.p.-E, -G-9*.

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Ferlini Raison et afects 3+

a!ect plus #ort. Bais la #orce de cet a!ect lui vient du #ait qu'il

est le résultat de l'union entre la puissance de la c"ose

extérieure et la nôtre, et par conséquent il est un a!ect de

 &oie. 'est pour la mme raison que les opinions rationnelles,

issues des a!ects acti#s, surmontent celles qui sont

engendrées par des a!ects passi#s$ tout comme les "ommes

conduits par la raison sont plus puissants que ceux qui sont

soumis aux passions, de mme les opinions qui naissent des

a!ects acti#s engendrent un accord plus puissant et une union

plus #orte que les a!ects passi#s, expressions de

l'impuissance.

'opinion issue de l'accord est donc tou&ours, du moins en

partie, rationnelle. Bais en mme temps cet accord est

capable d'engendrer un accroissement progressi# de cette

rationalité. Uuelles que soient leurs superstitions, les "ommes

poursuivent tou&ours ce qui leur est utile, et, lorsqu'ils

parviennent à s'accorder, ils poursuivent en e!et, au moins en

partie, l'utilité commune. 'union de leurs #orces leur permet

alors de contrecarrer de plus en plus les causes de leur

impuissance et de leur #aiblesse. 'est pourquoi l'e!et de cet

accord est d'accro=tre la #orce dont les "ommes disposent

pour agir selon les seules lois de leurs natures, c'estGàGdire

pour vivre sous la conduite de la raisonC2. Si les "ommes ne

produisent un accord rationnel que lorsquils agissent selon

les seules lois de leurs nature, et par conséquent l'accord

n'est pas en soi une garantie de rationalité, laccord toute#ois,

en provoquant l'union et l'accroissement des puissances

67  ,0:,6, -.

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Ferlini Raison et afects 3*

individuelles, engendre la raison. +u #ur et à mesure que,

gr3ce à la poursuite rationnelle de l'intért commun, la

puissance commune d'un ensemble d'"ommes augmente, le

nombre de leurs a!ects acti#s s'accro=t, et par conséquent le

nombre des éléments sur lesquels ils s'accordent, à savoir

leur capacité de #ormer des idées adéquates augemente

aussi. accord est alors à lorigine de la raison surtout parce

les idées adéquates naissent de la condivision des a!ects

acti#s, et les a!ects acti#s, à leur tour, sont déterminés par la

#orce dont nous disposons pour agir selon les lois de notre

propre nature. n dautres termes, laccord est à lorigine de

la raison parce que la puissance mme en est à lorigine. a

raison commune et la puissance de la multitude apparaissent

alors comme des éléments interdépendents$ nous avons vu

au début que la raison est la condition nécessaire pour que les

individus saccordent et que les puissances individuelles

sunissentCH, nous vo8ons maintenaint que la croissance des

#orces individuelles, )déterminée soit par lunion avec les

#orces des autres soit par laugmentation de la puissance

commune* est à son tour condition nécessaire pour que, en

saccordant, les individus produisent une raison commune.

e que Spinoza propose est donc un mod>le d8namique

de la raison politique. Si lon ne peut attribuer la t3c"e de

conduire une politique rationnelle à aucun su&et à lintérieur

de ltat, et si la raison politique ne peut tre quune raison

commune, cette raison ne se donne pas une #ois pour toutes

68  :oire V1.

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Ferlini Raison et afects 32

et à &amais, mais dépend des conditions communes de vie.

7ne politique rationnelle améliore ces conditions, et par

conséquent rend la communauté plus puissante. 7ne

augmentation de la puissance commune accro=t la rationnalité

commune. (uissance et raison engendrent ensemble une

spirale positive qui les ren#orce réciproquement. Bais cette

spirale ne &ouit daucune garantie$ une politique irrationnelle

ou un mauvais agencement de ltat peuvent a!aiblir

progressivement la puissance commune, et amorcer une

spirale négative dimpuissance et de superstition. De mme,

nimporte quelle cause extérieure à ltat peut #rapper la

puissance commune et engendrer des a!ects de crainte et

dimpuissance, donc a!aiblir la raison commune et la #aire

penc"er vers la superstition. "istoire na pas une seule

direction, mais consiste plutôt doscillations continues entre

une spirale qui va dans le sens de laccroissement réciproque

de la raison et de la puissance commune, et une spirale o?

impuissance et superstition se ren#orcent lune lautre. + une

extrémité de la spirale se trouve la libera multitudo, qui a le

culte de la vie, à lautre la multitudo esclave, qui Rmortem

tantummodo vitare studetC9. a t3c"e de laction politique est

celle de garantir, dans la mesure du possible, les conditions

pour que sinstaure la spirale positive de la raison et de la

puissance communes.

69  /(,:,C.

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Ferlini Raison et afects 33

Liste des abré%iations

Lettres $ p.

Traité Théologico Politique $ //(

Ethique $

partie...$ nombres romains.

proposition...$ nombres arabes.

corollaire$

scolie$ S

démonstration$ dém.

dé5nition$ dé' .

Traité Politique $ /(

iblio$rap(ie

6ource des citations$

Spinoza, pera, ed..Web"ardt, Neidelberg, arl Xinters7niversitYtsbuc""andlung, 19-E.

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l#ontolo$ie de 6pino7a  in$ 6pino7a, issues and

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