La Question Du Changement Social

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Facteurs et acteurs du changement social. Quelques courants de la sociologie, la question du changement social. I. Quelques définitions. • Définition du changement social : touche les pratiques et mentalités de façon durable et générale. • Deux tendances se dessinent, d’une part les évolutionnistes considèrent le change- ment social en terme de progrès, de devenir, et ils recherchent des phases, en identifiant le facteur déterminant. D’une autre part, l’approche fonctionnaliste privilégie les causes exogènes ou endogènes, l’effet de novation et de diffusion. Étant donné que le changement s’appuie sur quelque chose de neuf, les fonctionnalistes recherchent de grands principes de loi. Toutes les sociétés s’inscrivent dans une démarche commune qui évolue par phases basées sur l’opposition tradition/modernité. • Contre cela, la théorie de l’action : ce sont les actions cumulées des différents acteurs sociaux qui à un moment donné aboutissent à un changement. • Le terme de changement social à deux niveaux : le macro ou le microsociologique. • Le changement est à la fois processus et aboutissement du processus. Ce changement doit atteindre les structures profondes. Mais qui dit changement ne dit pas évolution : le changement social est une série de transfor- mations observables et vérifiables sur le moyen terme, localisables géographiquement et socialement. Ce changement affecte les représentations, les mœurs, et touche donc à la culture générale. L’évolution est l’ensemble de transformations diffuses sur très long terme. • Pour G. ROCHE, le changement social est “toutes transformations observables et vérifiables dans le temps qui affectent d’une manière qui n’est pas provisoire la structure ou le fonctionnement d’une collectivité et qui en modifie le cours de son histoire.” («Introduction à la sociologie générale»). • Ce qu'est le changement social : – Tout d'abord, le changement social est nécessairement un phénomène collectif, c'est-à-dire qu'il doit impliquer une collectivité ou un secteur appréciable d'une collectivité; il doit affecter les conditions ou les modes de vie, ou encore l'univers mental de plus que quelques individus seulement. – En second lieu, un changement social doit être un changement de structure, c'est-à-dire qu'on doit pouvoir observer une modification de l'organisation sociale dans sa totalité ou dans certaines de ses composantes. Il est essentiel, en effet pour parler de changement social, qu'on puisse indiquer le éléments structuraux ou culturels de l'organisation sociale qu ont connu des modifications et qu'on puisse décrire ces modifications avec une suffisante précision. Ainsi, une grève peu avoir pour résultat un rajustement des salaires en fonction du niveau de vie ou de quelque autre point de comparaison; il s'agit alors d'un changement d'équilibre qui ne peut être considéré comme un changement de structu- re. Mais si on peu décrire, certaines transfor- mations que la grève a entraînées et si on peut même en prédire l'impact sur d'autres entreprises similaires, on peut alors affimer qu'il y a eu changement social. Soc. 201a Page 1

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Facteurs et acteurs du changement social.Quelques courants de la sociologie,la question du changement social.

I. Quelques définitions.

• Définition du changement social :touche les pratiques et mentalités de façondurable et générale.

• Deux tendances se dessinent, d’une partles évolutionnistes considèrent le change-ment social en terme de progrès, de devenir,et ils recherchent des phases, en identifiant lefacteur déterminant. D’une autre part, l’approche fonctionnalisteprivilégie les causes exogènes ou endogènes,l ’ e ffet de novation et de diffusion. Étantd o n n é que le changement s’appuie surquelque chose de neuf, les fonctionnalistesre c h e rchent de grands principes de loi.Toutes les sociétés s’inscrivent dans unedémarche commune qui évolue par phasesbasées sur l’opposition tradition/modernité.

• Contre cela, la théorie de l’action : cesont les actions cumulées des diff é re n t sacteurs sociaux qui à un moment donnéaboutissent à un changement.

• Le terme de changement social à deuxniveaux : le macro ou le microsociologique.

• Le changement est à la fois processus etaboutissement du processus. Ce changementdoit atteindre les structures profondes. Maisqui dit changement ne dit pas évolution : lechangement social est une série de transfor-mations observables et vérifiables sur lemoyen terme, localisables géographiquementet socialement. Ce changement affecte lesreprésentations, les mœurs, et touche donc àla culture générale. L’évolution est l’ensemblede transformations diffuses sur très longterme.

• Pour G. ROCHE, le changement socialest “toutes transformations observables etvérifiables dans le temps qui affectent d’unemanière qui n’est pas provisoire la structureou le fonctionnement d’une collectivité et quien modifie le cours de son histoire . ”(«Introduction à la sociologie générale»).

• Ce qu'est le changement social :– Tout d'abord, le changement social estn é c e s s a i rement un phénomène collectif,c ' e s t - à - d i re qu'il doit impliquer une collectivitéou un secteur appréciable d'une collectivité;il doit affecter les conditions ou les modes devie, ou encore l'univers mental de plus quequelques individus seulement. – En second lieu, un changement social doitêtre un changement de structure, c'est-à-direqu'on doit pouvoir observer une modificationde l'organisation sociale dans sa totalité oudans certaines de ses composantes. Il estessentiel, en effet pour parler de changementsocial, qu'on puisse indiquer le élémentsstructuraux ou culturels de l'org a n i s a t i o nsociale qu ont connu des modifications etqu'on puisse décrire ces modifications avecune suffisante précision. Ainsi, une grève peuavoir pour résultat un rajustement des salaire sen fonction du niveau de vie ou de quelquea u t re point de comparaison; il s'agit alors d'unchangement d'équilibre qui ne peut êtreconsidéré comme un changement de structu-re. Mais si on peu décrire, certaines transfor-mations que la grève a entraînées et si onpeut même en prédire l'impact sur d'autre se n t reprises similaires, on peut alors aff i m e rqu'il y a eu changement social.

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– En troisième lieu, un changement de struc-ture suppose qu'on puisse l'identifier dans letemps. On doit pouvoir, en d'autre termes,décrire l'ensemble des transformations ouleur succession entre deux ou plusieurspoints dans le temps (entre les points Tl,T2,... Tn). En effet, on ne peut apprécier etmesurer le changement social que par rap-port à un point de reférence dans le passé.C'est à partir de ce point de référence qu'onpeut dire qu'il y a eu changement, ce qui achangé et dans quelle mesure il y a eu chan-gement.– Quatrièmement, pour être vraiment unchangement de structure, tout changementsocial doit faire preuve d'une certaine per-manence, c'est-à-dire que les transformationsobservées ne doivent pas être seulementsuperficielles ou éphémères. Elles doivent aumoins permettre de croire qu'elles durerontplus qu'une mode passagène.– Enfin, on peut probablement résumer lesquatre caractères précédents en disant que lechangement social affecte le cours de l’his-roire d'une société. En d'autres termes, l'his-toine d'une société aurait été différente si unchangement social ne s'était pas produit. Enpratique, il est évidemment bien difficile deréussir à faire cette preuve. L'histoire hypo-thétique est un instrument de travail extre-mement délicat à manipuler.• Six questions majeures : les distinctions quiprécèdent ont permis de déblayer assez deterrain pour que nous puissions maintenantdire de quelle façon la sociologie contempo-raine aborde le problème du changementsocial. On pourrait résumer en disant que lesociologue se pose devant le changement sixquestions majeures.

– Il se demande d'abord qu'est-ce qui chan-ge? Il est important de repérer les secteurs oùs'opère le changement, de se demander, parexemple, si c'est dans les éléments structurelsou dans la culture et, à l'intérieur de la cultu-re, si c'est dans les modèles, les valeurs oules idéologies. On est trop souvent porté àvouloir passer rapidement à l'explication duchang ment lui-même, sans l'avoir suffisam-ment bien circonscrit et situé dans l'ensembled'une société donnée.– Le sociologue se demande ensuite com-ment s'opère le changement? quel cours suit-il? est-il continu, régulier? ou est-il plutôt spo-radique, brisé, discontinu? rencontre-t-il uneforte résistance? où se situe cette résistance?quelle forme prend-elle?– En troisième lieu, le rythrne du changementest important à noter. S'agit-il d'une évolutionlente, progressive, ou de transformations bru-tales, de changements rapides?– Une fois les faits connus, on peut ensuitepasser à leur interprétation. Ici se place l'ana-lyse des facteurs qu'on cherche à identifierpour expliquer le changement, ainsi que desconditions favorables et défavorables auchangement.– On se demande également quels sont lesagents actifs qui amènent le changement, quile symbolisent, qui en sont les animateurs oules promoteurs, et quels sont aussi les agentsde l'opposition ou de la résistanœ au chan-gement.– Enfin, toute œtte analyse amène le socio-logue à se demander s’il peut prévoir le coursfutur des événements, les différentes voiesque la société est susceptible d’empunterdans un avenir donné, immédiat ou pluslointain.

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II. Les agent du changement social.

• Les individus : les agents sont des groupes d’acteurs qui représentent le moteur du change-ment social. Ces agents sont motivés par des enjeux, des valeurs, des idéologies, des intérêts. Toutcela détermine la qualité, l’intensité et la permanence des changements sociaux.

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a. Le concept d’acteur social.

Selon la sociologie de l’interactionnisme,tout phénomène peut-être appréhendécomme le résultat d’actions, de croyances, etde comportements individuels. L’acteur n’estpas toujours contraint aux normes et règles.L’individu est donc doué d’intentionnalité,l i b re et rationnel. Pour atteindre ses fins,l ’ a c t eur met donc en place des stratégies.Face au contrôle social et à ses contraintes,un zone d’incertitude existe, marge perm e t t a n tà l’acteur de construire sa vie. Cette capacitéde l’acteur est limitée par l’organisation desressources disponibles, des contraintes, etc.Cette zone d’incertitude est fonction dela place que l’individu occupe au sein dela société et de l’individu lui-même. Cette capacité dépend aussi des potentialitésdu contexte des moyens de communications,des réseaux de solidarité, du respect desrèglements en vigueur.Tout acteur possède une marge de pouvoirqui repose sur l’existence des stratégiespersonnelles, créant ainsi de l ’ i m p r é v i s i b l e.Le pouvoir de l’acteur dépend des fonc-tions proportionnels de la zone d’incertitudequ’il contrôle. Les règles visent à maîtriser ses impre v i s i b i l i t é s .

b. Les élites.

Les élites désignent les membres supé-rieurs d’une société (W. PA R E T O). C ’ e s t - à - d i re ceux qui représentent desqualités re m a rquables dans un domainep a r t i c u l i e r. Il s’agit d’un groupe d’individusqui ont un pouvoir et un prestige, doncune influence sur les choix de société. Lanotion d’élite est empreinte d’autorité etde pouvoir. Ainsi les élites participentaux changements soit par les décisionsqu’ils prennent, soit par les idées qu’ilse n t retiennent. Ces élites vont péser dansl’ensemble du procesus de décision d’unes o c i é t é .

c. Les mouvements sociaux.

“C’est une association de personnes

o rganisées de façon structurée autour d’ob-jectifs communs à caractères re v e n d i c a t i f s . ”( F. CHASEL). Ces mouvements poursuiventdes objectifs de renversement de l’ordre social,ou bien le sens d’un refus du c h a n g e m e n t .Cela pour modifier les règles, les institutions.Ces mouvements traduisent l’existence deconflits sociaux et n’ont pas de limite dansle temps et dans l’espace.

Il est ainsi difficile d’appréhender cesmouvements sociaux. A. TOURAINE proposeque trois principes soient respectés pourd é c r i re un mouvement social : principed’identité; d’opposition; de totalité. C’est-à-dire : – la reconnaissance d’une spécificité marquépar le type de mouvement, les participants etles enjeux, les mouvements doivent s’affir-mer et défendre ces intérêts et droits; – l’existence d’un adversaire définit un mou-vement social qui se construit de façonconflictuelle, grâce à des intérêts divergeants; – le mouvement s’inscrit dans un contextequi se veut universalisant, “au nom” derègles, des mœurs.Ce processus de mouvement social vise àatteindre un nouvel ordre social. Ces chan-gements s’impulsent par le biais de moyennon institutionnels; le mouvement social créede l’imprévisible.

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a. Le facteur démographique.

• Densité démograph;que et division du travail :C'est assurément Durkheim qui a poussé leplus avant l'analyse du facteur démogra-phique dans le changement social. Le pro-grès de la division du travail a entraîné unetransformation radicale des sociétés; c'est parsuite d'une division du travail de plus en plusraffinée que s'est opéré le passage de lasociété traditionnelle, fondée sur la solidaritémécanique, à la société industrielle, à basede solidarité organique. Mais ce progrès de ladivision du travail, se demande ensuiteDurkheim, à quelles causes l'attribuer?La réponse à cette question lui paraît résiderdans les caractères démographiques dessociétés. Lorsque, dans une société, la popu-lation est peu nombreuse et est dispersée surun vaste territoire, elle peut survivre sansrecourir à une division complexe du travail;les familles et les groupes de familles, répar-tis sur le territoire, ne se nuisent pas écono-miquement et peuvent compter sur lesmêmes re s s o u rces (agriculture, chasse,pêche) en utilisant les mêmes techniques.Lorsque la population s'accroît et en mêmetemps devient plus dense, la survivance dug roupe n'est possible qu'à la condition d'opérer une division des tâches, de développer la spé-cialisation et la complémentarité des fonctions.De cette observation, Durkheim tire la pro p o s i-tion générale suivante : «La division du travailvarie en raison directe du volume et de la den-sité des sociétés, et si elle pro g resse d'unem a n i è re continue au cours du développementsocial, c'est que les sociéeés deviennent régu-l i è rement plus denses et très généralement plusvolumineuses».

• Densité démographique et densité morale : Durkheim pousse plus loin encore l'analysedes conséquences de l'accroissement démo-

graphique. La densité démographique n'estpas la cause que de la division du travail; saportée est bien plus étendue encore. En eff e t ,la densité démographique provoque ce queDurkheim a appelé la densité morale. Leshommes étant plus rapprochés, leurs rapportsse multiplient, se diversifient, s'intensifient- ilen résulte une «stimulation générale», uneplus grande créativité, et donc une élévationdu niveau de civilisation de cette société. Ce qui amène Durkheim à conclure: «Endéterminant la cause principale des progrèsde la division du travail, nous avons détermi-né du même coup le facteur essentiel de cequ'on appelle la civilisation».En définitive, nous retrouvons dans ce textede Durkheim, comme facteur principal decivilisation, l’interaction sociale, c'est-à-direl'influence réciproque des personnes dans lesrelations humaines. La densité morale, moteur du développementdes sociétés et source de civilisation, est enréalité le produit d'une multiplicité d'interac-tions, d'une intensifi cation de l'influenceréciproque des personnes.

• «Loi de la gravitation du monde social» deDurkheim : il en arrive donc à établir unedouble relation causale. La pre m i è re veut quela croissance de la densité démographiquee n g e n d re en même temps le progrès de la divi-sion du travail et celui de la densité morale. Ensecond lieu, la division du travail et la densitémorale sont à leur tour les facteurs principauxdu progrès de la «civilisation», c'est-à-dire dudéveloppement économique, social et culture l .Cette double relation causale apparaît àDurkheim si fondamentale dans l'explicationde l'histoire sociale qu'il l'appelle la «Loi de lagravitation du monde social».Mais, après avoir analysé un certain nombre decas analogues, Henri Janne en vient à laconclusion qu'ils démontrent que «la cro i s s a n œet la décroissance démographiques

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III. Les facteurs du changement social.

• Les facteurs explicatifs : Durand et Weil distinguent dans Sociologie contemporaine (1989, p.279) facteur démographique, progrès technique, valeurs culturelles, idéologies.

• Mais, des circonstances et facteurs, ont peut en denombrés six grands groupes en jeu.Il s’agit de la démographie, du progrès technique, du développement économique, desvaleurs cult u relles et idéologiques, de l’innovation, des conflits sociaux.

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peuvent être suivies de périodes favorables etdéfavorables sur le plan économique. C'est qued'autres facteurs interfèrent». En d'autrest e rmes, la relation causale établie par Durkheimest trop simple. Au facteur démographique dela densité, il faut encore ajouter d'autres fac-teurs ou d'autres conditions.

• Interdépendance des facteurs démogra-phique, économique et culturel :Pour sa part, Henri Janne souligne le r81e dedeux autres facteurs ou conditions dont il fauttenir compte, pour apprécier l'influence du fac-teur démographique: «Les re s s o u rces poten-tielles du milieu et les capacités d'améliorationstechniques doivent perm e t t re de répondre suf-fisamment aux besoins résultant de l'accro i s s e-ment de population. Quand ce n'est pas le cas,il n'y a pas de progrès technique, mais régre s-sion. L'accroissement démographique ne seraitdonc un facteur favorable au développementéconomique et social qu'en conjugaison avec,d'une part, un facteur économique: la présencede certaines re s s o u rces potentielles et, d'autre

part, avec un facteur culturel: la capacité dedévelopper les techniques nécessaires. A la thèse moniste que proposait Durkheim sesubstitue la thèse d'une pluralité de facteurs.

R I E S M A N, dans la Foule solitaire (1962),m o n t re comment la motification du rapporte n t re taux de natalité et taux de mortalitéoriente l'évolution des mentalités dès l'instant,par exemple, où la croissance démographiqueest forte, les individus ont un caractère “intro -d é t e rminé”, c'est-à-dire façonné par leursaînés et orienté vers des buts.

Ester BOSERUP dans Évolution agraire etp ression démographique (1970), faitdépendre l'innovation technique de la pres-

sion du peuplement : si une populationpasse d'un système de jachère longue à unsystème de jachère courte, c'est parce qu'elleest plus nombreuse sur un même espace.Mais avec MALTHUS, on pourrait tout aussibien faire valoir que l'amélioration de la pro-ductivité agricole explique la cro i s s a n c edémographique. Il faut, dès lors se refuser àpenser le changement à travers un facteurprivilégié.

B A L A N D I E R est un sociologue desmutations en Afrique. Pour lui, le facteurdémographique intervient mais pas seul, ilest combiné à d’autres facteurs dans lechangement social. Il évoque le conceptde changement cumulé, fruit d’une combi-naison dynamique.Cependant, Balandier ajoute qu'au facteurdémographique, il faut aussi joindre desaspects économiques: «Les caractéristiquesdémographiques et les caractéristiqueséconomiques des groupements sont étro i-tement liées; elles contribuent ensemble àcréer (ou à ne pas créer) une conjoncturefavorable aux initiatives de réorg a n i s a t i o nsociale et culturelle».

B ref, pour Balandier, comme pour HenriJanne, les trois facteurs démographique(volume et densité de la population), éco-nomique (potentiel de l'économie locale)et culturel (capacité d'adaptation à des réa-lités économiques, par des normes etvaleurs appropriées de la culture) sonté t roitement associés, et leur liaison pour-rait même composer la base d'une grille declassification dynamique des pays en voiede développement. Assurément, Durkheim a-t-il vu juste lors-qu'il a mis en relief l'importance dyna-mique de l'accroissement de la population.Mais ce facteur n'explique pas à lui seul ledéveloppement économique et social.Trop d'exemples démontrent que, face àune augmentation de population, bien dessociétés ont eu recours à d'autres solutionsqu'à la division du travail et du pro g r è stechnique: conquête de nouveaux espaces,émigration d'une partie de la population,passivité mystique soulignée par H. Janne,ou tout simplement limitation de la

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population par diff é rents moyens:mariages tardifs comme en Irlande, infanti-cide, virginité religieuse des femmes, sacri-fices humains, guerres, etc. La densité démographique entraîne doncla dencité morale décrite par Durkheim etle développement économique et social,dans la mesure où elle se conjugue avecd ' a u t res facteurs ou avec certaines condi-tions d'ordre économique, culturel, peut-ê t re aussi politique et psychique.

b. Le facteur technique.

Nombres d’innovations ont entrainées desavancées sociale. Il s’agit du facteur le pluspertinent. Divers auteurs ont utilisé l'état dela technologie comme critère pour construireune classification des sociétés historique. Laplus connue de ces classifications est sansdoute celle de Lewis Mumford. Celui-ci s'estd'ailleurs inspiré d'un economiste anglais dudébut du siècle, Patrick Geddes, qui démon-tra que la révolution industrielle modernes'était développée suivant deux phases nette-ment distinctes: la phase qu'il appelait paléo-technique, celle de la révolution du charbonet du fer au XVIIIe siècle, et la phase néo-technique, celle de l’électricité à la fin duXIXe siècle. R e p renant l'idée et la terminologie deGeddes, Mumford a élaboré et approfondi ladistinction entre les deux phases technolo-giques; il a montré davantage les implicationsde civilisation qui en résultaient; il a enfinajouté une troisième phase, antérieure et pré-paratoire aux deux autres, qu'il a appelée laphase éotechnique.Plus récemment, Henri Janne a, à son tour,repris et amplifié le schème de Mumford, enajoutant encore deux phases antérieures auxtrois autres déjà distinguées par Mumford etGeddes, et en développant les aspects éco-nomiques, sociaux, politiques et idéolo-giques caractéristiques de chacune. C'estcette formulation d'Henri Janne que nousallons suivre ici, en la ramenant à ses lignesmaîtresses. – L'ère lithotechnique est caractérisée par unoutillage archaïque. L'économie est doncnécessairement locale, l'échange est limité, la

productivité, très faible: c'est une économiede subsistance. Les structures sociales domi-nantes sont la famille et le clan; l'organisationpolitique est plus ou moins développée et estaux mains des «anciens». La pensée est à forteprédominance magique. Dans cette sociétérestreinte, la contrainte sociale est forte et ilen résulte une grande homogénéité commu-nautaire. Bref, c'est la société traditionnelle,de type archaïque, dont l'environnement estle «milieu naturel» à l'état le plus pur.– Dans l'ère anthropotechnique, les princi-pales innovations techniques sont, d'unepart, l'emploi des métaux pour l'outillage et,d'autre part, le recours à l'esclavage sur unevaste échelle. L'esclave est à la fois maind'œuvre principale et objet faisant partie del'outillage. Ce double développement tech-nologique (emploi des métaux et esclavage)a d'importantes répercussions: il permet unea g r i c u l t u re beaucoup plus productive; lecommerce s'active et s'étend, avec la haussede la productivité agricole et l'améliorationdes moyens de transport résultant de l'appa-rition du char et du navire; les villes naissentle long des cours d'eau et sur le littoral desmers. L'administration politique s'organise etmême prolifère, fondant les Cités-Etats etfinalement les premiers grands empires.La pensée rationnelle fait son apparition, sur-tout sous la forme philosophique, mais lamentalité du peuple demeure fortementmagico-religieuse. L'ensemble de la sociétéest encore à prédominance rurale, mais lemilieu urbain joue un rôle politique et éco-nomique croissant. – L'ère éotechnique a débuté en Occident auXe siède et s'est poursuivie jusqu'à la fin duXVIIIe siècle: c'est durant cette phase ques'est lentement préparée la révolution indus-trielle. Elle fut marquée par trois développe-ments technologiques: l'utilisation techniquede l'eau et du vent; l'emploi d'animaux quiremplacent l'esclave; l'invention de l'impri-merie et de l'horloge, appelées toutes deux àexercer une grande influence sur la vie socia-le. L'économie demeure à prépondéranceagraire, mais le grand capitalisme commercialapparaît et se développe, étendant toujoursplus loin les frontières de ses marchés et l'ex-ploration du monde connu. Dans les

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villes, le progrès de l'industrie artisanaleamène la formation des corporations et despremières unions ouvrières et l'apparitiondes premières formes d'un prolétariat urbain.Le régime politique est du type féodal,appuyé sur un pouvoir monarchique absolu.Sur le plan des connaissances, le règne de lathéologie a succedé à celui de la philosophie;mais on assiste aussi aux premiers progrès dela connaissance scientifique et à l'apparitiondu nouvel esprit qui en résultera. Durantpresque toute cette période, la mentalitédemeure cependant profondément religieu-se; le pouvoir ecclésiastique est puissant etactif; le mou vement monastique joue un rôleimportant, tant au point de vue économiqueque culturel. - L'ère paléotechnique est celle de la révolu-tion industrielle, s’étendant de la fin duXVIIIe siècle au début du XXe.Techniquement, elle se caractérise par l'asso-ciation charbon-fer. La nouvelle source éner-gétique liée au charbon et la vapeur, quirévolutionne les moyens de transport (navireà vapeur et locomotive) et fait naître lamachine industrielle. Le capitalisme industrielet concurrentiel remplace le capitalisme com-mercial, ce dernier ayant d'ailleurs pavé lavoie au premier. On assiste à la concentrationdes travailleurs et d’une masse prolétariséedans les centres urbains; le syndilalismeprend forme et engage une lutte de dasses.La structure économique est de plus en plusmarquée par la prédominance du secteursecondaire de production. Quant au pouvoirpolitique, il passe des mains de l'anciennearistocratie à celles de la bourgeoisie, à lafaveur de la démocratie parlementaire. Laconnaissance scientifique prend son élan,surtout en chimie et en mécanique. Lesgrandes idéologies sociales apparaissent et serépandent: libéralisme, socialisme, commu-nisme, catholicisme social. - L'ère néorechnique, c'est celle dans laquelleon est entré depuis le début du XXe siècle.De nouvelles sources énergétiques sontapparues: électricité, pétrole, gaz, atome,entrâinant une prolifération, une diversifica-tion et une automatisation de la machine. Lachimie a révolutionné les matériaux de base,par la création de nouveaux produits de syn-

thèse. Le capitalisme industriel engendre lecapitalisme financier. L'intervention de l'Etatprend le pas sur le laisser faire du libéralis-me; le syndicalisme déborde la classe ouvriè-re, gagne le secteur tertiaire, qui croît trèsrapidement, et tend à devenir un syndicalis-me de masse. Deux types de structure poli-tique dominent: la démocratie occidentale «mixte», libérale et interventionniste, du type»Welfare State», et la démocratie populaire àparti unique, de caractère totalitaire. Un cli-mat « socialisant» et de participation serépand dans les structures politiques, écono-miques et sociales. Une certaine atténuationdes idéologies se fait sentir; la société de pro-duction se transforme en société de consom-mation.

• Définition du facteur technique :Le principal intérêt de cette classification estqu'elle repose sur le critère de l'état de latechnologie, pour départager les grandesétapes de l'histoire humaine et pour fonderune certaine typologie des sociétés. Mais làencore, on aura sans doute noté que cettetypologie et la manière dont les types sontdécrits rappellent la typologie de Marx, dontMumford et Janne se sont d'ailleurs inspirés.Le facteur technologique invoqué par cesderniers n'est pas sans rappeler certaines for-mules de Marx, telles que: «Le moulin à brasvous donnera la société avec le suzerain, lemoulin à vapeur, la société avec le capitalis-me industriel» (Misère de la philosophie). Enoutre, la manière dont Mumford et Janne par-lent du facteur technique ressemble fort à ceque Marx entendait par les rapports de pro-duction. Mumford écrit d'ailleurs: «C'est lagrande contribution de Marx, en tant qu'éco-nomiste sociologue, d'avoir vu et en partiedémontré que chague période d'invention etde production avait sa valeur spécifique dansla civilisation, ou, cornme il aurait dit, sa mission historique».Ce rapprochement entre technologie et rap-ports de production permet de mieux com-prendre ce qu'il faut entendre par ce qu'onappelle le facteur technique. Parler du facteurtechnique dans l'histoire, c'est en réalitérecourir à une formule simplifiée pour dési-gner tout à la fois l’invention et/ou

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l’utilisation d'outils, de machines, d’énergicset de matériaux, les conditions de travail quien résultent, ainsi que les rapports degroupes de production qui en découlent. Ilne faut donc pas entendre l'expression «fac-teur technique» dans un sens restreint et limi-té, mais d'une manière plus globale, commel’ensemble des modes de production.

MUNDFORD : pour lui, les fondementsmatériels et les formes culturelles sont pro-fondément modifiés par le développementdu machinisme. Les civilisations ne sont pasautonomes; elles évoluent en s’appuyant surleurs culture déjà existante.Mundford distingue trois phases dans l’évo-lution des sociétés : – éo-technique (10e agrico-artisanat)– paleo-technique (10-milieu20e macine-outil,production d’énergie, monde ouvrier, rende-ment)– néo-technique (technologie complexe,communication se matérialisant , machineautomatique)A chaque phases un certain type d’ouvrier,de production né et l’espace le temps rétré-cie. Ces différentes phases peuvent coexistédans une même société.

FRIEDMAN considèrait ce facteur commeun facteur de changement social. Il le traduitcomme le passage d’un milieu naturel (oùl’homme réagit à des interactions naturelleset où l’artisanat domine) à un milieu tech-nique. Friedman analyse ce changementsocial par des révolutions industrielles : typethermique (force animale); type électrique;type atomique.Révolutions qui ont des incidences sur l’en-semble de la société : “quantité de leur effetqui se transforme en qualité nouvelle”.

TOFFLER A. : l’individu se disloque,l’ordre social s’effondre, “les systèmes devaleurs craquent, s’écroulent tandis que leschaloupes de sauvetage que sont les familles,les religions, s’entrechoquent sur une merdémontée”. C’est le résultat des changementssociaux. Toffler raisonne en terme de vague;la technicité est prise pour analyser le chan-gement social. Trois périodes se présentent : – agricole;– industrielle;

– informatique et géni-génétique. Ces vagues paralysent les systèmes poli-

tiques, ébranle les bases de l’économie,explose les rapports de causes et de valeurs.

La troisième vague intervient à cinqniveaux : - environnement du social; -infra-sphère; -sphère du pouvoir; -des valeurs; -et de la sphère écologique.

Toffler constate que la dernière a eu deseffets négatifs, et il perçoit une quatrièmevague qui vise à la désmassification desmédia, la repersonnalisation des biens et ser-vices, à la revendication des identités.

Avec MARX, la technologie est considéréecomme une variable déterminante. LewisMUMFORD lie le développement historiqueà celui des techniques. Sous la forme de l'in-novation, il permet à TOURAINE et Reynaudde soutenir que l'introduction de nouvellesmachines (laminoirs) modifie non seulementl'organisation du travail (diminution du roledes contremaîtres, augmentation de celui desbureaux d'études) mais aussi le mode de viedes salariés. Il ne faut cependant pas croireque l'enchainement causal soit touiourssimple à identifier. Cette dernière propositionpeut être explicitée de diverses manières.

Dans “Le Changcmcnt social” (1983, p.86), MENDRAS et FORSÉ font observer quel'introduction du maïs hybride en Béarn acomplètement bouleversé le système d'ex-ploitation et la société villageoise. Le maïsnouveau nécessite d'acheter de l'engrais,donc de se procurer de l'argent, de sortir ducycle de l'autoconsommation et de devenirdépendant d'un marché. Dans ce cas, il y achangement exogène (ce sont les services duministère de l'Agriculture qui en sont à l'ori-gine) et une cause d'apparence anodine pro-voque une série de transformations irréver-sibles. Pour Boudon, on ne peut pas pourautant en déduire l'existence de lois condi-tionnelles (du type : si A est présent, alors ona B) sinon la Révolution Verte, dans les agri-cultures des pays en développement, auraittoujours dû se traduire par une augmentationde la productivité agricole.

Une même cause n'a pas toujours

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les mêmes effets, c'est cette leçon de l’empi-risme que relient BOUDON dans “La Placedu désordre” (1984) en insistant sur l'idéeque la combinaison des facteurs de change-ment n'est pas unique. Programmée à l'initia-tive du gouvernement indien tout au débutdes années quarante, l'irrigation dans deuxbourgades comparables (Wangala et Dalena)a eu des conséquences très difrérentes. Dansle premier cas, l'irrigation, facteur exogène, apermis le passage d'une économie de subsis-tance à une économie monétaire, les filssont devenus plus indépendants par rapportaux pères, mais le système des castes s'estrenforcé. Tous les éléments de la structure nese sont pas modifiés à l'identique. Dans lesecond, les hiérarchies (en particulier, lesliens de subordination ou de clientélismeentre paysans et intouchables ont changé). Iln'y a donc pas de lois structurelles. L'impactdu progrès technique n'est pas négligeable,mais le degré de causalité qu'il porte est sou-vent fonction du système auquel il s'ap-plique. Cela peut être dit de tous les facteurs.

c. Le facteur économique.

La thèse marxiste est fondée sur le déve-loppement des forces productives. Le modede la vie matérielle va conditionner la viesociale, politique, sociale et intellectuelle. Lechangement de ce mode de pro d u c t i o ninflue sur l’ensemble des éléments précé-dents qui à leur tour influent ensemble pourun changement social. En acquérant de nou-velles forces productives, les hommes chan-gent leur force de production, et modifientainsi leur manière de gagner leur vie et chan-gent finalement leurs rapports sociaux.

d. Le conflit comme variable explicative.

Karl MARX : pour lui le changement socialest issu de la lutte pou la propriété desmoyens de production. Les rapports sociauxsont conflictuels (avantagés/désavantagés).Ce conflit est moteur de l’histoire. Le chan-gement social est le résultat des consé-quences cummulés des divers actions conflic-tuels engager par divers clases sociales.

L'intention de Dahrendorf est de construi-re un modèle théorique dont le but estdouble : expliquer la formation des groupesde conflit et rendre compte de l'action parlaquelle ils entraînent des changements destructure (au sens où Parsons entend ceterme) dans le système social. C'est là, selonlui, le double but que poursuit toute théoriedes classes sociales et, d'une manière plusgénérale, toute sociologie des conflits.

A cette fin, Dahrendorf entreprend unelongue analyse critique de la pensée de Marxet de ceux qui se sont inspirés de Marx oul'ont critiqué, notamment Schumpeter,Renner, Geiger, Burnham, Lipset, Bendix etParsons. • Selon Dahrendorf, on trouve dans l'œuvrede Marx quatre contributions fondamentalesà la sociologie des conflits. – Tout d'abord, Marx a mis en lumière la per-manence des conflits dans toute société.– En second lieu, Marx a compris que lesconflits sociaux étant des conflits d'intérêtsopposent nécessairement deux groupes, etdeux groupes seulement. Car, dans la socié-té, tout conflit d'intérêts se ramène en défini-tive à une opposition entre ceux qui ont inté-rêt à ce que se maintienne et se perpétue unesituation dont ils bénéficient, et ceux qui ontintérêt, ou croient avoir intérêt, à ce que lasituation change. – Troisièmement, Marx a parfaitement com-pris que le conflit est le principal moteur del'histoire. Le conflit amène forcément deschangements, à plus ou moins brève échéan-ce. C'est dans et par l'opposition entre desgroupes d'intérêts divergents que les struc-tu}es sociales se transforment. Marx n'a passu bien analyser de quelle facon le conflitengendre le changement. Mais il a au moinsposé le principe de l'explication du change-ment par le conflit. – Enfin, par son analyse du changement parle conflit de classes, Marx a ouvert la voie àla recherche des facteurs structuraux duchangement social. On peut en effet distin-guer deux classes principales de facteurs dechangement : les forces exogènes, qui inter-viennent de l'extérieur du système social;c'est le cas, par exemple, des influences dumilieu physique, du climat; c'est

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aussi le cas des phénomènes de diffusion destechniques et des connaissances qu'ont étu-diés des anthropologues. Les forces endo-gènes de changement sont engendrées par lesystème social lui-même; elles naissent deson propre fonctionnement et dans sa struc-ture même. C'est une caractéristique du sys-tème social que son fonctionnement crée lesforces qui la transforment. Marx l'avait bien compris; c'est ce qui fait l'in-térêt de son analyse de la lutte des classes,laquelle résulte, selon Marx, des contradic-tions structurales de la société, plus particu-lièrement de la société capitaliste.

• Trois erreurs de Marx :– Tout d'abord, Marx a ramené tous lesconflits sociaux, du moins les conflits sociauxhistoriquement importanrs, à des conflits declasses. C'est là, selon Dahrendorf, une sim-plifi cation abusive. La clasæ n'est qu'un desgroupes d'intérêt qui opposent entre eux lesmembres d'une société. La lutte des classesn'est qu'un des conflits d'intérêts qui divisentla société. Tous les autres conflits qui agitentla société ne se ramènent pas nécessairementà la lutte des classes.- En second lieu, Marx a cru que le conflit declasse aboutit inéluctablement a la révolu-tion. Celle-ci lui apparaissait la seule issue àla lutte des classes. En réalité, on peut empi-riquement démontrer que la lutte des classespeut connaître d'autres issues que la révolu-tion. La révolution est donc, dans l'analysemarxiste, le seul moment vraiment dyna-mique de l'histoire. Mais cette interprétationde l'histoire, valable dans certains cas parti-culiers, laisse de côté toutes les autres formesd'évolution sans revolution.- Enfin, la troisième critique que Dahrendorfadresse à Marx, c'est d'avoir situé l’originedes classes sociales et des conflits de classesdans la propriété des moyens de production.Cette erreur est à l'origine du prophétismeutopique de Marx, qui a cru à l'avènementd'une société sans classe à la suite de la dis-parition du principe de la propriété.

• La contribution de Dahrendorf : l'analysedu changement social amené par les conflitsest importante pour la sociologie contempo-

raine. Elle est importante par les élémentspositifs qu'elle apporte à la sociologie dyna-mique ou diachronique; mais on peut ajouterque les faiblesses mêmes qu'elle comportesont aussi riches d'enseignement. Voyonsd'abord les aspects positifs de la contributionde Dahrendorf :Dahrendorf a plus que quiconque contribuéà construire une sociologie des conflits surdes fondations théoriques sérieuses. L'autorité analysée par Dahrendorf est un fac-teur d'intégration sociale en m8me tempsqu'elle est un facteur de conflit.

Mc CLELLAND met l’accent sur les idées, lesvaleurs, les croyances. Il introduit le besoin deréussite, moteur du changement social car lesindividus changent pour mieux réussir (mobilitésociale). Ce besoin de réussir est mu par l’espritd ’ e n t reprise; c’est l’effet cumulé de ces besoinsqui conduit la société à passer d’un stade dedéveloppement socio-économique à un autre .

PARSONS : l’intervention de l’améliorationadaptative; tentative d’évolution comparée dessociétés. À la base de ce développement, lep rocessus de diff é renciation touche l’universdes normes et des valeurs. Ce processus passepar l’amélioration adaptative. Cette capacitéadaptative veut des capacité innovantes quiexigent des capacités intégrantes.Pour le changement social, quatre conditions(sous-système primaire) doivent être réunies : main-tien des valeurs; intégration; système politique; éco-nomie. Parsons distingue les société par des stades: primitif; interm é d i a i re; moderne. Il fait intervenir lelangage pour passer d’un stade à l’autre .

Max WEBER c h e rche à montrer commentune certaine manière de cro i re conditionne unecertaine manière d’agir (sociologie causale).Weber met en relation un facteur culturel et una u t re structurel. Mais le facteur culturel n’estqu’un facteur parmi d’autres; des valeurs, enl’occurance des valeurs religieuses et morales,peuvent être des facteurs de changement socialet économique. Le facteur culturel (les valeurs,dans la thèse de Weber), pas plus que le fac-teur structurel, ne peut être considère commeayant une action exclusive; il agit

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conjointement et en liaison avec d’autres fac-teurs. Par contre l’état économique peut avoirune influence sur la religion. De plus toute re l i-gion est marquée par une certaine catégories o c i a l e .

Alain TOURAINE : pour cet auteur, l’idéologieest une certaine façon de se représenter les r a p-ports sociaux. Cette représentation sert à l’actioncollective et correspond à des intérêts spécifiques.L’idéologie est aussi un facteur de re n f o rcement dela cohésion d’un groupe. Les conflits qu’enjendre n tles diverses idéologies amènent l’une à dominer etentraîne un changement. Le changement socialest produit par la force des confrontations quip roduit du neuf. Le changement est le résultatdes transactions qui accompagne lesidéologies; c’est un c o m p ro m i s .

Les théoriciens du développement réser-vent une grande place aux mœurs et auxcoutumes, soit dans la résistance au change-ment, soit dans les transformations des socié-tés traditionnelles. Dans la sociologie de laconnaissance, le même paradigme, est àl'œuvre: BACHELARD mesure le poids de lamentalité newtonienne dans la genèse d'unephysique relativiste; de la même manière,Kuhn ou Hirschman insistent sur le fait qu'uncadre de référence, avant d'être infirmé parl'expérience, donne lieu à de multiples justi-fications. Mais c'est dans l’”Éthique protes-tants ct l’esprit du capitalisme que MaxWEBER a clairement formulé l’importancedes valeurs culturelles.

La Réforme protestante, mise en place àpartir de 1517, permet la reconnaissance duprêt à intérêt et la légitimité de l'enrichisse-ment qui devient ainsi “une preuve de l'élec-tion de Dieu ". Le capitalisme, dont MaxWeber construit le type-idéal, autour du faitqu'il regroupe des entreprises qui recher-chent le profit maximum en org a n i s a n trationnellement le travail et la production, ytrouve une possibilité de développement. Làaussi il faut nuancer le fait que le change-ment soit introduit de façon exogène.

Dans l'Histoire ambiguë (Paris, PUF, 1988,p. 110), B. Rosier et P. Dockès montrent quecette relation n'est possible que dans lecontexte culturel qui se met en place avec la

pensée scolastique. Avec celle ci, “l'intérêtdevient licite quand il y a, pour le prêteur, unrisque ou un manque à gagner”. Les valeurssont un élément du changement, mais leurdegré de causalité ne se comprend que dansun champ de possibles.

f. Le poids des idéologies.

• Commencons par rappeler la définitionde l'idéologie: c'est un système d'idées et dejugements, explicite et généralement organisé, qui sert à décrire, expliquer, interpréterou justifier la situation d'un groupe ou d'unecollectivité et qui, s'inspirant largement devaleurs, propose une orientation précise àl’action historique de ce groupe ou de cettecollectivité.

L'idéologie apparaît donc, dans la culture,comme un ensemble particulièrement cohé-rent et organisé de perceptions et de repré-sentations; c'est en ce sens qu'on peut enparler comme d'un «sys tème», ainsi que l'atrès bien montré le sociologue québécoisLéon Dion.

De plus, ce système de pensée a pour butd'expliquer une situation sociale et de pro-poser des orientations à l'action historique. Ace titre, l'idéologie est, pour le sociologue, unphénomène stratégique, lui permettant decomprendre de l'intérieur une réalité socialeet son histoire. L'idéologie se situe en effet auniveau de la société et de l’histoire vécues.Par sa nature même, l’idéologie est un ins-trument d’action historique.

Les idéologies sont à la fois “descrip-tives” et “prescriptives”. A partir d'unesituation, elles donnent à certains gro u p e sl'occasion d'engager une action de trans-f o rmation. Les courants théoriques diver-gent sur ce point. Selon Lénine etA l t h u s s e r, Ies idéologies sont des arm e sdans la lutte des classe. Geertz, de soncôté, insiste sur le fait que ce type dereprésentation est un “acte symbolique”destiné à déclencher un processus demobilisation.

Pour Touraine, dans Production de lasociété (l973, p. 173), l'idéologie oppose lescatégories sociales : elle instaure entre ellesun dialogue conflictuel dans lequel

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“l'acteur de classe, identifiant les orientationsde la société à ses valeurs et à ses intérêts,combat l'adversaire, qui devient l'ennemi desvaleurs, le principe du mal”. Faut-il pourautant faire des idéologies la cause initiale duchangement? En fait, de telles “visions dum o n d e ” ( Weltans chauungen) doivent êtrereplacées dans leur cadre institutionnel etconjoncturel (Boudon, 1984, p. 114). C'estainsi que, dans Ies années trente, le particommuniste américain parvint à faire adhérerau marxisme certaines franges de l'intelli-gentsia, en montrant que les principes qu'ildéfendait étaient compatibles avec ceux duNew Deal. A la fin des hostilités, change-ment de perspective: l'adoption de positionsplus dogmatiques (rapprochement avecMoscou) entraîne une perte de crédi bilité etun effondrement des effectifs. Les choix par-tisans sont donc fonction d'une situation etnon d'une modification en profondeur de lasociété. Une même structure peut conduire,selon les circonstances, à des actions symbo-lique différentes.

• Classification des idéologies :Mais pour expliquer pleinement l'action desidéologies, et aussi pour mieux comprendredans quel contexte elles développent plutôtune conscience claire qu'une consciencefausse, il faut recourir à une typologie desidéologies. Nous avons parlé jusqu'ici del'idéologie comme d'un phénomène relative-ment simple. En réalité, c'est un phénomènetrès complexe, par suite des diff é re n t e sformes concrètes qu'il peut revêtir.Il est possible de classifier les idéologiesd'après au moins quatre critères: – le groupe auquel l'idéologie s'adresse; – le rapport entre l'idéologie et le pouvoir; – les moyens d'action qu'elle propose; – son contenu.

L'idéologie est donc tout autre chosequ'une réalité simple. Une analyse un peucomplète du phénomène devrait pouvoirtenir compte de toutes ces distinctions qu'im-pose la réalité concrète.

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