La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 ·...

19
Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 ISSN 0210-7570 (imprès), ISSN 2014-850X (en línia) La première dānastuti de la R ̥ gvedasaṁhitā : lecture de RS 6.27 et du commentaire de Sāyaa Éric Pirart Université de Liège [email protected] Réception : 09/06/2015 Résumé Lʼanalyse approfondie révèle que lʼhymne historique R ̥ gvedasaṁhitā 6.27 dut subir des trans- formations suite à une réutilisation et que de nouveaux noms propres y vinrent remplacer les originaux. Mots-clés : R ̥ gvedasaṁhitā 6.27 ; histoire de la littérature sanscrite ; dialectologie védique. Resum. La primera dānastuti de la R ̥ gvedasaṁhitā: lectura de RS 6.27 i del comentari de Sāyaa De lʼanàlisi detallada es desprèn que l’himne històric R ̥ gvedasaṁhitā 6.27 va patir unes trans- formacions a conseqüència dʼuna reutilització i que uns nous noms propis varen reemplaçar els originals. Paraules clau: R ̥ gvedasaṁhitā 6.27; història de la literatura sànscrita; dialectologia vèdica. Parmi les hymnes védiques, quelques uns sont accompagnés dʼune dānastuti faisant lʼéloge des dons quʼun roi historique fit à un prêtre-poète pour le remercier : le poète, grâce à ses compétences et au sacrifice offert, put rendre les dieux favorables et assurer ainsi la victoire du roi sur les ennemis. Ce type de poèmes se rencontre surtout dans le huitième maala 1 de la R ̥ gvedasaṁhitā (RS), mais il en existe un dans le sixième, RS 6.27, dû au poète Bharadvāja. La lecture attentive révèle que 1. Sur les dānastuti du huitième maala de la R ̥ gvedasaṁhitā, voir PIRART, É. (2012). « Los per- sas eran indios ». Dans AGUD, A. & alii (eds.) Séptimo centenario de los estudios orientales en Salamanca. Ediciones Universidad de Salamanca, Salamanca, p. 641-658 (650-655). Sommaire 1. Texte de lʼhymne et commentaire de Sāyaa 2. Traduction 3. Analyse

Transcript of La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 ·...

Page 1: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

Faventia 34-36, 2012-2014 59-77

ISSN 0210-7570 (imprès), ISSN 2014-850X (en línia)

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā : lecture de RS 6.27 et du commentaire de Sāyana

Éric PirartUniversité de Liège [email protected]

Réception : 09/06/2015

Résumé

Lʼanalyse approfondie révèle que lʼhymne historique Rgvedasaṁhitā 6.27 dut subir des trans-formations suite à une réutilisation et que de nouveaux noms propres y vinrent remplacer les originaux.

Mots-clés : Rgvedasaṁhitā 6.27 ; histoire de la littérature sanscrite ; dialectologie védique.

Resum. La primera dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: lectura de RS 6.27 i del comentari de Sāyana

De lʼanàlisi detallada es desprèn que l’himne històric Rgvedasaṁhitā 6.27 va patir unes trans-formacions a conseqüència dʼuna reutilització i que uns nous noms propis varen reemplaçar els originals.

Paraules clau: Rgvedasaṁhitā 6.27; història de la literatura sànscrita; dialectologia vèdica.

Parmi les hymnes védiques, quelques uns sont accompagnés dʼune dānastuti faisant lʼéloge des dons quʼun roi historique fit à un prêtre-poète pour le remercier : le poète, grâce à ses compétences et au sacrifice offert, put rendre les dieux favorables et assurer ainsi la victoire du roi sur les ennemis. Ce type de poèmes se rencontre surtout dans le huitième mandala1 de la Rgvedasaṁhitā (RS), mais il en existe un dans le sixième, RS 6.27, dû au poète Bharadvāja. La lecture attentive révèle que

1. Sur les dānastuti du huitième mandala de la Rgvedasaṁhitā, voir Pirart, é. (2012). « Los per-sas eran indios ». Dans agud, a. & alii (eds.) Séptimo centenario de los estudios orientales en Salamanca. Ediciones Universidad de Salamanca, Salamanca, p. 641-658 (650-655).

Sommaire

1. Texte de lʼhymne et commentaire de Sāyana

2. Traduction3. Analyse

Page 2: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

60 Faventia 34-36, 2012-2014 Éric Pirart

le texte fut réutilisé pour glorifier un autre roi à lʼoccasion dʼune autre victoire, ce qui constitue un pan de lʼhistoire de cet hymne historique.

Le sixième mandala, qui est celui du poète Bharadvāja et de sa famille, contient une autre dānastuti : dans lʼhymne composite RS 6.47, dont elle constitue les strophes 22-25. La composition de RS 6.47 est attribuée à Garga, lʼun des nom-breux fils de Bharadvāja. Selon la Sarvānukramanī2, la table des matières tradition-nelle de la Rgvedasaṁhitā, et en accord avec le Śāṅkhāyanaśrautasūtra3 16.11.11, il sʼagirait de la dānastuti du roi Prastoka Sārñjaya, mais cette information douteuse provient de la tradition que recueille la Brhaddevatā4. En effet, la tradition sʼétait efforcée de mettre un nom sur les auteurs des poèmes5 et avait ensuite échafaudé des légendes pour leur donner un cadre ou les justifier. La Brhaddevatā 5.124-141 ainsi avait-elle associé les deux dānastuti de RS 6.27 et 6.47 sur base de la présence du nom de Srñjaya dans le premier de ces deux poèmes et de son dérivé sārñjayá- dans le second. De surcroît, RS 6.47.24c nommerait lʼauteur de RS 6.75, Pāyu, autre fils de Bharadvāja. La Brhaddevatā arrange les choses de façon artificielle en associant Abhyāvartin Cāyamāna, le roi honoré dans la dānastuti de RS 6.27, et Prastoka Sārñjaya, le roi honoré dans la dānastuti de RS 6.47. Vaincus par les Vāraśikha, tous deux se seraient rendus auprès de Bharadvāja. Ce dernier, acceptant de les aider, aurait chargé son fils Pāyu de leur fournir des armes grâce à ses pou-voirs magiques, ce que RS 6.75 refléterait, et de les rendre à nouveau victorieux. Cependant, la mention du nom du roi Prastoka dans le vers RS 6.47.22a est fort incertaine, le mot prastoká, dont le padapātha fait certes un nominatif singulier (| praʼstokáh |), devant bien plutôt désigner lʼéloge adressé à Indra et être analysé comme un locatif (˟| praʼstoké |) « lors de lʼéloge »6 : prastoká ín nú rādhasas ta indra V … adāt « cʼest maintenant que, lors de ton éloge pour le succès remporté, ô Indra, il mʼa fait don de … ».

Nous devons aborder le poème RS 6.27 en restant avertis de ces manipulations secondaires et en refusant les identifications rapides de personnages dont A. Ludwig sʼétait fait le champion7.

2. macdonell, a.a. (1886). Kâtyâyanaʼs Sarvânukramanî of the Rigveda. With extracts from Shadgurusishyaʼs Commentary entitled Vedârthadîpikâ. Edited with critical notes and appendices. Clarendon, Oxford.

3. Hillebrandt, a. (1888). The Śāṅkhāyana Śrauta Sūtra  together with  the commentary of Varadattasuta Ānartīya. Vol. I. Text of the Sūtra, critical notes, indices. Bibliotheca Indica 99, Calcutta ; caland, W. (1953). Śāṅkhāyana-Śrautasūtra. Being a major yājñika text of the Rgveda. Édité avec une introduction par Lokesh Chandra, Nagpur.

4. macdonell, a.a. (1904). The Brhaddevatā attributed to Śaunaka. A summary of the deities and myths of the Rig-Veda. Critically edited in the original Sanskrit with an Introduction and seven Appendices, and translated into English with critical and illustrative notes, I-II. Harvard University, Cambridge (Mass.) ; toKunaga, m. (1997). The Brhaddevatā. Text Reconstructed from the Manuscripts of the Shorter Recension with Introduction, Explanatory Notes, and Indices. Rinsen, Kyoto-Tokyo.

5. Voir regnaud, m.P. (1905). « Recherches sur le point de départ des noms des rišis védiques ». Journal Asiatique 10-5, I 77-104.

6. Dérivé de práSTU « faire lʼéloge » comme ślóka- « strophe » de ŚRU « écouter ».7. Dans le 3e volume de ludWig, a. (1876-1888). Der Rigveda oder die heiligen Hymnen der 

Brâhmana. Tempsky, Prag, intitulé Die Mantralitteratur und das alte Indien als Einleitung 

Page 3: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: Faventia 34-36, 2012-2014 61

1. Texte de lʼhymne et commentaire de Sāyana

|| kim8 asya mada ity astarcaṁ caturthaṁ sūktam bharadvājasyārsam | anukrān-taṁ ca kim asyāntyā cāyamānasyābhyāvartino dānastutir iti | bharadvāja rsih | tristup chandah | antyāyās tu dānastutirūpatvād yā tenocyata iti nyāyena dānam eva devatā | viniyogo laiṅgikah ||

kím asya máde kím uv asya pītāv V índrah kím asya sakhiyé cakāra |ránā vā yé nisádi kíṁ té asya V purā vividre kím u nūtanāsah || 1 ||kím | asya | máde | kím | ūm íti | asya | pītáu | índrah | kím | asya | sakhyé |

cakāra |ránāh | vā | yé | ni’sádi | kím | té | asya | purā | vividre | kím | ūm íti | nūtanāsah

|| 1 ||bharadvāja rsih phalavilambanāsahisnuh sann anayendram āksipati | asya

somasya made satīndrah kiṁ cakāra krtavān | kim u kiṁ cāsya somasya pītau pāne sati kiṁ cakāra | asya somasya sakhye sakhitve kiṁ cakāra | pānāt pūrvam indrah somena saha vasatīty arthah | asya somasya nisadi grhe ranā vā ye stotāraś ca santi te stotārah purā pūrvaṁ he indra te tvattah kiṁ vividre kiṁ lebhire | nūtanāso nūtanā idānīṁtanā stotāraś ca kim u lebhire ||

sád asya máde sád uv asya pītāv V índrah sád asya sakhiyé cakāra |ránā vā yé nisádi sát té asya V purā vividre sád u nūtanāsah || 2 ||sát | asya | máde | sát | ūm íti | asya | pītáu | índrah | sát | asya | sakhyé | cakāra |ránāh | vā | yé | ni’sádi | sát | té | asya | purā | vividre | sát | ūm íti | nūtanāsah

|| 2 ||evamāksipta indras tasmā rsaya īpsitaṁ dhanaṁ pradadau | tadanantaram rsir 

indrasakāśāt sampūrnakāmah san purā yāny upālambhapratipādakāni vākyāny uvācedānīṁ tāni nirākaroti | indro asya somasya made sac chubhaṁ karma cakāra | asya somasya pītau pāne sac chubhaṁ karma cakāra | asya sakhye sac chubhaṁ karma cakāra | ye ranā vā stotāraś ca te nisadi grhe | yajñagrha ity arthah | purā pūrvaṁ he indra te tvattah sac chubhaṁ karma vividre lebhire | nūtanāsa idānīṁ-tanā stotārah sad u śubham eva karma lebhire ||

nahí nú te mahimánah samasya V ná maghavan maghavattvásya vidmá |ná rādhasorādhaso nūtanasya Véndra nákir dadrśa indriyáṁ te || 3 ||nahí | nú | te | mahimánah | samasya | ná | magha’van | maghavat’tvásya | vidmá |ná | rādhasah’rādhasah | nūtanasya | índra | nákih | dadrśe | indriyám | te || 3 ||he maghavan dhanavann indra te tvadīyasya samasya samastasya mahima-

no mahimno mahimānaṁ nahi vidma vayaṁ na jānīmah | nuśabdah pūranah |

zur Uebersetzung des Rigveda, p. 158, l’auteur nʼhésite pas à identifier Prastoka Sārñjaya (Śāṅkhāyanaśrautasūtra 16.11.11 ; Rgvedsaṁhitā 6.47.22a) avec Divodāsa Atithigva (Rgvedsaṁhitā 6.47.22c) et Aśva(t)tha (6.47.24c).

8. Le saṁhitāpātha et le padapātha de la Rgvedasaṁhitā ainsi que le texte du commentaire de Sāyana sont accessibles principalement dans les éditions suivantes : müller, F.M. (1890-1892). Rig-Veda-Samhitâ. The sacred hymnes of the Brâhmans together with the commentary of Sâyanâkârya, I-IV. London ; SontAkke, n.S.‒kAShikAr, C.G. (1933-1951). Rgveda-Saṁhitā with the Commentary of Sāyanācārya, I-V. Vaidika Saṁśodhana Mandala, Poona. ||| Dans le commentaire de Sāyana, jʼai laissé les mots des strophes en caractères romains et, dans les strophes, recouru au signe V pour la séparation des vers. Les voyelles restituées pour la métrique figurent en exposant.

Page 4: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

62 Faventia 34-36, 2012-2014 Éric Pirart

tathā maghavattvasya tvadīyasya dhanikatvasya ca vayaṁ na jānīmah | nūtanasya stutyasya rādhasorādhasas tvadīyaṁ sarvaṁ dhanaṁ ca na jānīmah | sarvatra dvitīyārthe sasthī | he indra te tvadīyam indriyaṁ sāmarthyaṁ nakir dadrśe kenāpi na drśyate ||

etát tyát ta indriyám aceti V yénāvadhīr varáśikhasya śésah |vájrasya yát te níhatasya śúsmāt V svanāc cid indra paramó dadāra || 4 ||etát | tyát | ta | indriyám | aceti | yéna | ávadhīr | vará’śikhasya | śésah |vájrasya | yát | te | ní’hatasya | śúsmāt | svanāt | cit | indra | paramáh | dadāra

|| 4 ||he indra yena vīryena varaśikhasya | varaśikho nāma kaś cid asurah | tasya

śesah śesāṁsi putrān | śesa ity apatyanāmaitat | avadhīr ahiṁsīs te tvadīyam etat tyat tad idam indriyaṁ vīryam acety asmābhir ajñāyi | he indra yad yasmāc chusmād balān nihatasya preritasya tvadīya<sya> vajrasya svanāc cid dhvaner eva paramo varaśikhasya putrānām madhye balādyādhikyenotkrstah kaś cit putro dadārādīryata ||

vádhīd índro varáśikhasya śéso V’abhiyāvartíne cāyamānāya śíksan |vrcīvato yád dhariyūpīyāyāṁ V hán pūrve árdhe bhiyásāparo dárt || 5 ||vádhīt | índrah | vará’śikhasya | śésah | abhi’āvartíne | cāyamānāya | śíksan |vrcīvatah | yát | hari’yūpīyāyām | hán | pūrve | árdhe | bhiyásā | áparo | dárt

|| 5 ||pūrvoktam evārtham anayā vivrnoti | ayam indraś cāyamānāya cayamānasya 

rājñah putrāyābhyāvartina etannāmakāya rājñe śiksann īpsitāni vasūni prayacchan varaśikhasyāsurasya śesah putrān vadhīd avadhīd ahiṁsīt | varaśikhasya putrān katham avadhīd ity ucyate | yad yadāyam indro hariyūpīyāyām | hariyūpīyā nāma kā cin nadī kā cin nagarī vā | tasyām pūrve ardhe prāgbhāge sthitān vrcīvatah | vrcīvān nāma varaśikhasya kulotpannah pūrvah | tadgotrajān varaśikhasya putrān hann avadhīt tadāparo ’parabhāge sthito varaśikhasya śresthah putro bhiyasā bhītyā dard dīrno ’bhūt ||

triṁśácchataṁ varmína indra sākáṁ V yaviyāvatyām puruhūta śravasyā |vrcīvantah śárave pátyamānāh V pātrā bhindānā niyarthāny āyan || 6 ||triṁśát’śatam | varmínah | indra | sākám | yavyā’vatyām | puru’hūta | śravasyā |vrcīvantah | śárave | pátyamānāh | pātrā | bhindānāh | ni’arthāni | āyan || 6 ||idānīmuktam evārthaṁ vivrnoti | he puruhūta bahubhir āhūtendra śravasyā

śravasyayā | śravo ’nnaṁ yaśo vā | tadvāñchayā | yuddhe tvāṁ jitvānnam prāp-nuyāma yaśo vā prāpnuyāmeti kāmayamānāh śarave hiṁsāyai | tvāṁ hiṁsitum ity arthah | patyamānā ’bhipatanto ’bhigacchantah pātrā pātrāni yajñasādhanā-ni bhindānā bhindanto varminah kavacabhrtas triṁśacchataṁ triṁśadadhikaśa-tasaṁkhyākā vrcīvanto varaśikhasya putrāh sākaṁ yugapad eva yavyāvatyām pūrvoktāyāṁ hariyūpīyāyāṁ nyarthāny arthaśūnyāny āyann agacchan | vināśam prāpur ity arthah ||

yásya gāvāv arusā sūyavasyū V antár ū sú cárato rérihānā |sá srñjayāya turváśam párādād V vrcīvato daivavātāya śíksan || 7 ||yásya | gāvāv | arusā | sūyavasyū íti su’yavasyū | antáh | ūm íti | sú | cáratah |

rérihānā |sáh | srñjayāya | turváśam | párā | adāt | vrcīvatah | daiva’vātāya | śíksan || 7 ||

Page 5: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: Faventia 34-36, 2012-2014 63

arusārusau rocamānau suyavasyū śobhanatrnānīcchantau rerihānā lelihānau punahpunar ghāsam āsvādayantau | yad vā | gativiśesaṁ kurvantau | yasyendrasya sambandhinau gāvāv aśvāv antar dyāvāprthivyor madhye ’ntarikse carato gaccha-tah | u sv itīmau pūranau | sa indrah srñjayāyaitannāmakāya rājñe turvaśaṁ rājā-nam parādāt pradadau | kiṁ kurvan | vrcīvato vāraśikhān daivavātāya devavāta-vaṁśotpannāyābhyāvartine rājñe śiksan vaśīkurvan | tesāṁ dhanāni prayacchann iti vā ||

dvayām agne rathíno viṁśatíṁ gā V vadhūmato maghávā máhyaṁ samrāt |abhiyāvartī cāyamānó dadāti V dūnāśeyáṁ dáksinā pārthavānām || 8 ||dvayān | agne | rathínah | viṁśatím | gāh | vadhū’matah | maghá’vā | máhyam 

| sam’rāt |abhi’āvartī | cāyamānáh | dadāti | duh’náśā | iyám | dáksinā | pārthavānām || 8 ||adhunā bharadvājah svasmā abhyāvartinā dattaṁ dhanajātam agnaye pra-

kathayati | he agne maghavā dhanavān prabhūtadāno vā samrād rājasūyayājī cāyamānaś cayamānasya putro ’bhyāvarty etadāhvayo rājā rathino rathasahitān vadhūmata strīyuktān dvayān mithunabhūtān viṁśatiṁ viṁśatisaṁkhyākān gāh paśūn mahyaṁ dadāti prāyacchat | pārthavānām prthor vaṁśajasyābhyāvartino rājñah sambandhinī | pūjārtham bahuvacanam | iyaṁ daksinā durnaśā9 kenāpi nāśayitum aśakyā bhavati || ||

2. Traduction

0.(Dans10 la troisième récitation [anuvāka-] du sixième cercle [mandala-]11 de

la Collection du Savoir des Strophes), le quatrième hymne a pour incipit kim asya made, compte huit strophes et a pour auteur le rsi Bharadvāja. Et, dans l’Index [anukramanī-], (cet hymne) est renseigné comme suit : De l’hymne qui com-mence avec les mots kim asya, la louange des dons [dānastuti-] du roi Cāyamāna Abhyāvartin constitue la partie finale. Le poète auteur de cet hymne est Bharadvāja ; le type strophique en est la tristubh (= 4 × 11). (Tout ceci est assez habituel,) mais, (pour ce qui est de) la divinité (concernée,) en raison du caractère de louange des dons (que présente la strophe) finale (de l’hymne), c’est, selon la logique, celle qui est dite par ce (caractère, à savoir) le Don même. L’emploi (qui est fait de cet hymne) est évident (= se déduit des indices [liṅga-] qu’en offre le contenu).

1.« Qu’est-ce que (le dieu) Indra accomplit depuis toujours, lorsque l’enivre et

l’abreuve le (Soma) ? Qu’accomplit-il lorsque le (Soma) lui apporte son concours ?

9. sic sans mūrdhanya.10. Il nʼexiste aucune traduction du commentaire de Sāyana. La traduction de référence pour les stro-

phes de la Rgvedasaṁhitā est geldner, K.F. (1951). Der Rig-Veda. Aus dem Sanskrit ins Deutsche übersetzt und mit einem laufenden Kommentar versehen, I-III. Harvard Oriental Series, Cambridge (Mass.).

11. Sur les différents types de divisions de la Rgvedasaṁhitā, voir gonda, j. (1975). Vedic Literature. Harrassowitz, Wiesbaden, p. 9.

Page 6: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

64 Faventia 34-36, 2012-2014 Éric Pirart

De tels plaisirs à venir par exemple s’asseoir (sur la litière), que lui apportèrent-ils autrefois ? Et ceux de nos jours ? ».

Le poète Bharadvāja, ne pouvant supporter les caprices de la fortune, avec cette strophe, pointe Indra du doigt : Qu’est-ce qu’Indra a (bien pu) faire dans l’ivresse de Soma ? (Rien sans doute !) En outre, qu’est-ce qu’il a bien pu faire à l’instant de boire le Soma ? Qu’est-ce qu’il a bien pu faire dans la collaboration avec Soma ? (Avec cette dernière interrogation,) il faut comprendre qu’Indra, avant de le boire, avait vécu avec Soma. Et, dans la maison de Soma, les laudateurs, avant que (tu ne le boives), ô Indra, qu’est-ce qu’ils ont bien pu recevoir de toi ? Et qu’est-ce qu’ils ont bien pu recevoir maintenant de (toi) ?

2.« La noble réalité, voilà ce que depuis toujours accomplit Indra lorsque l’enivre

et l’abreuve le (Soma). Pour une (œuvre) toute réelle, le (Soma) lui prête son concours. Une (œuvre) toute réelle, c’est ce que de tels plaisirs à venir par exemple s’asseoir (sur la litière) lui permirent autrefois comme de nos jours ».

Piqué au vif, Indra (s’empressa) d’offrir à ce poète la richesse désirée (afin de prouver de quoi il était capable). Aussitôt après la (première strophe), (nous en trouvons une par laquelle) le poète, qui avait vu ses souhaits comblés grâce à Indra, rectifia sur-le-champ les propos qu’il avait tenus antérieurement et dans lesquels il (lui) avait fait des reproches : Indra, dans l’ivresse de Soma, a fait belle œuvre. Lors de la boisson du Soma, il a fait belle œuvre. Dans l’association avec Soma (= quand il a vécu avec lui), il a fait belle œuvre. Et les laudateurs, présents dans la maison —Comprenons : la maison du sacrifice—, ô Indra, avant (que tu ne boives le Soma), ont reçu belle œuvre de toi et les laudateurs maintenant aussi ont reçu belle œuvre de toi.

3.« Car, en rien, ni de ce que doit être ta (grandeur), toi qui as une grande pensée,

ni de ta qualité de bénéficiaire du sacrifice, toi qui en tires bénéfice, nous ne pou-vons avoir idée, ni de chacun de tes succès actuels. Personne, ô Indra, n’a jamais été vu (qui ait) ta valeur ».

Toi qui es riche, ô Indra, nous ne connaissons pas ta grandeur totale —Le mot nu est explétif—. De même, nous ne connaissons pas non plus l’ampleur de ta richesse. Et toute ta richesse digne de louange nous ne connaissons pas —Dans toutes ces propositions, le génitif est mis pour l’accusatif—. Ô Indra, ta valeur, personne ne peut la voir.

4.« Pareille valeur tienne, nous en avons un aperçu lorsque le très haut (ciel) se

lézarde au bruit que fait le foudre que tu rabats avec fougue, (foudre) grâce auquel, ô Indra, tu viens de frapper l’engeance de Varaśikha ».

Ô Indra, la force avec laquelle les rejetons —Comme il ressort de la liste des synonymes du mot « descendant » dans laquelle figure le mot śesah, il faut entendre « fils »— (la force avec laquelle) les fils de Varaśikha —Il y a un démon qui s’ap-

Page 7: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: Faventia 34-36, 2012-2014 65

pelle Varaśikha— (la force avec laquelle) tu as tué (les fils de Varaśikha), ce haut fait de toi a été connu de nous. Ô Indra, la force grâce à laquelle ton foudre a été poussé, c’est le grondement avec lequel, parmi les fils de Varaśikha, un fils qui excellait par la prépondérance notamment de la force a été mis en pièces.

5.« Indra a frappé la progéniture de Varaśikha pour la mettre au pouvoir d’Ab-

hyāvartin Cāyamāna lorsqu’il a battu (ces) adorateurs de la Louve, au bord de la (rivière) Hariyūpīyā, la première moitié (de la journée), et que la terreur qu’il leur inspirait achevait de les disperser dans la ˟seconde ».

Avec celle-ci, le poète donne davantage de détails concernant (les événements) évoqués (dans la strophe) précédente : Indra, tout en offrant les biens désirés au roi nommé Abhyārvartin fils du roi Cayamāna, a frappé, a tué les fils du démon Varaśikha. Les circonstances dans lesquelles il a frappé les fils de Varaśikha sont précisées : lorsqu’Indra dans Hariyūpīyā —Il y a une rivière nommée Hariyūpīyā à moins que ce ne soit le nom d’une ville. Vrcīvant est le nom d’un aïeul né dans le clan de Varaśikha— (Lorsqu’Indra) y a frappé les fils ayant ce nom de famille qui se trouvaient dans la partie antérieure (de cette rivière ou dans la partie supérieure de cette ville), alors le meilleur des fils de Varaśikha, qui se trouvait dans l’autre partie (de la rivière ou de la ville), par la peur fut terrassé.

6.« Trente centaines de (guerriers) en armure (qui sont) adorateurs de la Louve,

ô Indra, d’un seul coup, au bord de la (rivière) Yavyāvatī, toi que beaucoup (d’adorateurs) invoquent, grâce à l’éloquence (par laquelle nous nous sommes distingués de nos ennemis en t’adressant le sacrifice), à la merci du dard et (cou-pables de l’accident ou du crime consistant) à briser les coupes, s’en allèrent au désastre ».

Le (poète) à présent fait état de la situation actuelle : Ô Indra, toi que beaucoup de gens appellent par désir de gloire —La gloire, c’est ici la nourriture ou l’éclat—, par désir de cela, c’est-à-dire : formulant dans le combat le souhait dʼobtenir, en te gagnant à eux, la nourriture ou l’éclat. Pour tuer —Comprenons : pour te tuer—, eux, te tombant dessus, allant à ta rencontre, comme ils avaient brisé les coupes de la cérémonie sacrificielle, porteurs de cuirasses, les Vrcīvant fils de Varaśikha, au nombre de cent trente, simultanément, dans la Yavyāvatī, c’est-à-dire : dans la Hariyūpīyā dont il a été question plus haut, connurent un grand désarroi —Comprenons : connurent la destruction—.

7.« Lui de qui deux bœufs rosâtres, amoureux d’une bonne pâture, circulent en

broutant, il a livré le Turvaśa au Srñjaya, mettant les adorateurs de la Louve au pouvoir du Daivavāta ».

Deux charmants, recherchant de bonnes herbes, léchant bien, c’est-à-dire : se délectant encore et encore du fourrage —Autre possibilité : effectuant une variété de trajets—, Indra en possession de qui deux bœufs (charmants), c’est-à-dire : deux

Page 8: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

66 Faventia 34-36, 2012-2014 Éric Pirart

chevaux circulent dans l’espace situé entre ciel et terre —Les deux particules u et su sont explétives—, Indra livra le roi Turvaśa au roi du nom de Srñjaya. En faisant quoi ? En soumettant les Vrcīvant ou Vāraśikha à la volonté du roi Abhyāvartin de la dynastie fondée par Devavāta —Autre interprétation possible : en (lui) livrant leurs richesses—.

8.« Ô Agni, vingt paires de bœufs attelés à des chars dans chacun desquels une

jeune fille nubile est amenée, voilà ce que, bénéficiaire du sacrifice, le souverain Abhyāvartin Cāyamāna me donne à moi. Difficiles à atteindre sont les honoraires que voici dont les Pārthava voulurent s’acquitter ! ».

Maintenant, Bharadvāja, devant son propre feu, fait état de toutes sortes de biens qui lui furent donnés par Abhyāvartin : Ô Agni, riche ou généreux, le sou-verain, c’est-à-dire celui pour qui on a célébré le Rājasūya, fils de Cayamāna, le roi nommé Abhyāvartin m’offrit des bestiaux au nombre de vingt paires, pourvus de chars et accompagnés de femmes. Relatifs au roi Abhyāvartin qui est né dans la lignée de Prthu —pārthavānām est un pluriel de politesse—, les honoraires que voici ne peuvent être oubliés de personne.

3. Analyse

Le sūkta RS 6.27 contient la première dānastuti que l’on rencontre dans le Véda. Une dānastuti, c’est l’éloge que le prêtre-poète fait des largesses qu’un roi a eues à l’instant de s’acquitter des honoraires dûs aux prêtres qui ont célébré à sa demande un sacrifice en l’honneur de la divinité. C’est donc l’éloge du don.

Le plan de cet hymne, en accord avec Sāyana, est le suivant :

— un premier ensemble de trois strophes (trca-) constitue l’hymne proprement dit : un hymne à Indra ;

— un second trca évoque la victoire que le roi Abhyāvartin remporta sur son ennemi Varaśikha ;

— l’hymne finit avec un ensemble de deux strophes (dvyrca-) constituant la dānas-tuti.

Sans doute les trois premières strophes reflètent-elles ou évoquent-elles l’hymne que le poète adressa à Indra lors de la cérémonie sacrificielle organisée en l’honneur de ce dieu à la demande du roi qui espérait ainsi bénéficier de l’aide divine dans le combat qu’il comptait mener contre les ennemis. L’évocation de la victoire dans les trois strophes suivantes doit être là comme preuve de l’efficacité du chantre et comme justification des plantureux honoraires (daksinā-) qui lui furent versés et dont l’éloge fait la conclusion de cette pièce. L. Renou12 accorde à cet hymne l’étiquette d’hymne historique.

12. renou, l. (1947-1949). « Le védisme ». Dans renou, L.‒FiLLiozAt, J. LʼInde classique. Manuel des études indiennes. Tome I. Payot, Paris, p. 270-380 (274, § 523).

Page 9: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: Faventia 34-36, 2012-2014 67

Nous allons voir comment Sāyana, un brahmane dravidien qui vécut à la court des rois de Vijayanagara au XIVe siècle et devint le plus fameux des commenta-teurs du Véda13, put s’en tirer, comment il put résoudre les difficultés grammati-cales et comment il put rendre compte des données historiques.

Sāyana nous offre tout d’abord une introduction. Selon ses habitudes, il situe l’hymne dans la collection, en donne l’ampleur et nomme son auteur. Il cite ensuite la Sarvānukramanī, cette sorte de table des matières de la Rgvedasaṁhitā dont la composition est attribuée à un certain Kātyāyana14. Celle-ci fait allusion à la dānastuti. Cette citation a surtout pour but de nous expliquer que, dans l’hymne, ce qui tient lieu de divinité ciblée n’est autre que le « don » lui-même (dāna-) si l’on s’en tient à la logique.

3.1. La première strophe

Dans la première phrase interrogative de la première strophe, Sāyana commence par expliciter le pronom enclitique asya mis pour somasya, ce qui lui permet d’em-ployer asya comme adjectif et, dès lors, comme mot tonique en tête de phrase. L’adjonction du participe sati au locatif made permet à Sāyana d’en souligner tout à la fois le sens d’abstrait et la fonction libre ou valeur absolue : l’ivresse de ce Soma étant, étant donné l’ivresse de ce Soma. Les mots indrah kim ne nécessitant aucune explication, Sāyana passe à l’indicatif parfait cakāra et le rend par le parfait périphrastique nominal krtavān, qui est le tour usuel en sanscrit tardif. Sāyana opère donc mot à mot, mais sans oublier que le poète pointe Indra du doigt : « Qu’est-ce qu’Indra a (bien pu) faire dans l’ivresse de Soma ? (Rien sans doute !) ».

Pour la deuxième question, Sāyana procède de même, mais commet une erreur à dire que kim u, qui est en réalité la façon védique de coordonner un interrogatif15, signifie « en outre » (kiṁ ca) au lieu de « Et qu’est-ce que ? ». Ceci va l’obliger à restituer kiṁ cakāra au terme de la phrase. Il traduit pītau par pāne sati : « En outre, qu’est-ce qu’il a bien pu faire à l’instant de boire le Soma ? ».

Dans le deuxième vers, le vieux sakhiyé se distingue du datif de sákhi- non seu-lement par lʼaccentuation, mais aussi par la métrique. Sāyana le traduit par le récent sakhitve, mais, ensuite, pour la cohérence du sens général de la strophe, ouvre une parenthèse en ity arthah « tel est le sens ; voilà ce qui est à comprendre » : pānāt pūrvam indrah somena saha vasatīty arthah | « (Avec cette dernière interrogation,) il faut comprendre qu’Indra, avant de le boire (pānāt pūrvam), vit avec Soma (= a vécu avec lui, somena saha vasati) ». Cette conjecture que Sāyana vient de formuler lui permet de rendre compte de la présence du pronom asya dans la question qui suit, mais il faut bien voir que c’est en commettant l’erreur de considérer que tous les pronoms asya de la strophe renvoient nécessairement à Soma quand, en réalité, cette fois-ci, c’est à Indra.

13. Voir gonda, Vedic Literature, p. 41.14. Voir note 2.15. Klein, j.s. (1978). The Particle u in the Rigveda. A Synchronic and Diachronic Study. Vandenhoeck

& Ruprecht, Göttingen, p. 95 et 139.

Page 10: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

68 Faventia 34-36, 2012-2014 Éric Pirart

Sāyana traduit « dans le fait de s’asseoir » (nisadi) par « dans la maison » (grhe) ; « notamment les plaisirs qui » (ranā vā ye) par « et les laudateurs qui s’y trouvent, ces laudateurs-là » (ye stotāraś ca santi te stotārah). Lʼorigine de cette étrange traduction de rana- par stotr- nʼest pas connue. Il est parfois bien difficile de remonter à la source des informations que Sāyana nous livre d’autant plus que nous ne pouvons jamais savoir si l’information en question est ou non le fruit de ses propres réflexions ou si elle est reprise à la tradition, laquelle peut être plus ou moins vénérable.

Ensuite, Sāyana traduit purā « jadis, autrefois » certes assez correctement par pūrvam « auparavant », mais sur la lancée de sa remarque visant à assurer la cohé-rence générale de la strophe : « avant de le boire » (pānāt pūrvam). Bien sûr, il est impossible d’avaler la valeur ablative que, sans sourciller, il accorde à té en le rendant scandaleusement par tvattah « de toi » alors que la forme, qui est accen-tuée, relève non du pronom de la 2e personne du singulier, mais du démonstratif corrélatif tá-. Comme on voit, Sāyana peut montrer beaucoup dʼaplomb : « Et, dans la maison de Soma, les laudateurs présents, avant que (tu ne le boives), ô Indra, qu’est-ce qu’ils ont bien pu recevoir de toi (tvattah … kiṁ lebhire) ? ».

Après avoir donné l’équivalent sanscrit nūtanāh du nominatif masculin pluriel védique long en ºāsah, nūtanāsah, présent dans le dernier vers de la strophe, Sāyana en offre une traduction nuancée qui convienne à sa compréhension générale de la strophe : idānīṁtanāh est tiré de idānīm « à cet instant-ci, maintenant », c’est-à-dire : « les laudateurs présents après que tu as bu le Soma », mais il aurait quand même pu être un peu plus clair.

3.2. La deuxième strophe

La réponse aux questions de la première strophe remplit la deuxième qui est bâtie exactement sur le même patron16 : là où figurait kím, nous trouvons à présent sát « ce qui est vraiment ». Sāyana, avant dʼen donner une traduction mot à mot, intro-duit la deuxième strophe en disant que le dieu Indra, visé de la sorte ou piqué au vif par les questions, s’empressa d’offrir au poète la richesse désirée afin de prouver de quoi il était capable. Le savant de Vijayanagara émet alors lʼhypothèse que, le poète, ayant vu ses souhaits comblés grâce à Indra, au terme de la première strophe, rectifia sur-le-champ les propos qu’il avait tenus antérieurement et dans lesquels il avait fait des reproches au dieu.

3.3. La troisième strophe

Sāyana, ce coup-ci, ne donne aucune introduction et commence d’emblée son mot à mot. D’entrée de jeu, il précise que cette 3e strophe est adressée elle aussi à Indra : « Toi qui es riche, ô Indra (he … dhanavann indra), nous ne connaissons pas ta grandeur totale (tvadīyasya … samastasya mahimano mahimno mahimānam …

16. Voir gonda, j. (1989). The Indra Hymns of the Rgveda. Brill, Leiden-New York-København-Köln, p. 23 et 178.

Page 11: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: Faventia 34-36, 2012-2014 69

vayaṁ na jānīmah) ». Il n’a donc pas tenu compte, ici non plus, de l’accentuation : alors que le génitif de l’adjectif-pronom emphatique samasya est atone, cʼest, selon lui, l’absolutif de samAS « rassembler, composer, rendre complet » puisqu’il le rend par l’adjectif verbal en -ta- correspondant, samasta- « total ».

Dans mahimánah, malgré l’accentuation, se cache le vocatif de *mahimánas- « qui possède une grande pensée » par haplologie de mots : il faut restituer le géni-tif du mot « grandeur ». Cette haplologie est formulaire ou traditionnelle : elle se retrouve dans le vers RS 10.54.3a ká u nú te mahimánah samasya. Bien évidem-ment, de ce mahimánah, Sāyana fait pieusement le génitif de mahimán-, dont la forme classique est mahimnah. Comme c’est un génitif partitif dans la rection du verbe « connaître, savoir quelque chose de », Sāyana, en donnant finalement l’accu-satif mahimānam, le fait voir de façon judicieuse. Il en vient alors à la particule nu pour irriter les philologues que nous sommes en affirmant sans ambages que ce ne serait jamais que du remplissage metri causa. Lire ˟nahī avec allongement métrique dʼaprès RS 1.167.9a, 4.18.5c, 8.3.13c. Le conglomérat particulaire nahí nú résulte de la combinaison de la négation emphatique nanú « non du tout » avec hí « car ».

Ensuite, Sāyana se montre opportuniste quand il fait de l’adjectif nūtana- non ce qu’il en avait fait à strophe précédente, un adjectif signifiant « contemporain », mais le dérivé de la racine NU « se faire entendre, donner son assentiment, affir-mer » puisqu’il le rend par l’adjectif verbal en -tya- d’obligation ou de possibilité, stutya- « dont il faut faire l’éloge, dont on peut faire l’éloge, louable ». Ce passage brusque du génitif à l’accusatif dans la traduction mot à mot qu’il nous donne du texte amène Sāyana à faire une remarque : « Dans toutes ces propositions (sarva-tra), le génitif est mis pour l’accusatif (dvitīyārthe sasthī) ».

Le valeureux Sāyana est forcément la victime des ravages grammaticaux que d’antiques diascévastes imposèrent aux strophes védiques. Dans le dernier vers de cette 3e strophe, cette diascévase avait maquillé l’instrumental de limitation *indriyā en indriyám17. Sāyana ne pouvait y voir quʼun nominatif-accusatif. Sur cette lancée, le pronom indéfini enclitique du dialecte archaïque ºkih, malgré le parallélisme de RS 6.25.5c, devait être interprété sans trop de scrupule comme un instrumental complément d’agent kenāpi du verbe dadrśe auquel le sens passif était alors clairement accordé (he indra … tvadīyam … sāmarthyam … kenāpi na drśyate « Ô Indra, ta valeur, personne ne peut la voir »).

3.4. La quatrième strophe

Début du trca historique. Lʼablatif śúsmāt est le fruit de la modernisation dʼun instrumental *śúsmā comme le suggère RS 9.70.5c. Le parfait dadāra présente la

17. Une retouche diascévastique assez similaire figure à la strophe 6 : *|  triṁśát  |  śatā  |* > | triṁśátʼśatam |. Nous trouvons un bel exemple de cet emploi de lʼinstrumental de limitation dans Mahābhārata 2.58.24, que cite meenaKsHi, K. (1983). Epic Syntax. Lachhmandas, New Delhi, p. 64 : balena tulyo yasya pumān na vidyate V gadābhrtām agrya ihārimardanah | anarhatā rāja-putrena tena V dīvyāmy aham bhīmasenena rājan « Lui avec la force duquel un mâle semblable ne peut être trouvé (et qui) est ici-bas le meilleur des porteurs de massue, le tourment des impies, ce prince Bhīmasena, qui ne le mérite pas, quant à moi, cʼest lui que je mets en jeu, ô roi ».

Page 12: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

70 Faventia 34-36, 2012-2014 Éric Pirart

fracture du ciel comme une caractéristique du foudre tandis que lʼaoriste ávadhīh lʼactualise.

Sāyana n’a pas compris la structure complexe de cette strophe. Elle est construite sur la corrélation etát … yát, avec une subordonnée relative secondaire donnée en anticipation et introduite par le pronom relatif yéna dont lʼantécédent est vájrasya : « Pareille valeur tienne (tyát ta indriyám), nous en avons un aperçu (etát … aceti) lorsque le très haut (ciel) se lézarde (yát … paramó dadāra) au bruit que fait le foudre (vájrasya … svanāc cit) que tu rabats avec fougue (te níhatasya śúsmāt), (foudre) grâce auquel, ô Indra, tu viens de frapper l’engeance de Varaśikha (yénāvadhīr varáśikhasya śésah) ». En effet, Sāyana coupe la strophe en deux phrases, ab et cd. Dans la première, il ouvre une incise pour expliquer que, comme il ressort de la liste des synonymes du mot « descendant » dans laquelle figure le mot śesah (śesa ity apatyanāmaitat), il faut entendre « fils » (śesāṁsi putrān) : « la force avec laquelle (yena vīryena) les fils de Varaśikha (varaśikhasya … tasya … putrān) », mais, avant de poursuivre la phrase, Sāyana, avec une nouvelle incise, définit le personnage : « Il y a un démon qui s’appelle Varaśikha ».

Ce Varaśikha18, inconnu par ailleurs, pourrait bien être un personnage histo-rique dans la mesure où rien dans son nom de « doté dʼune excellente touffe de cheveux » ne fait de lui un personnage connoté négativement.

Pour bien marquer qu’il dégage une seconde phrase, Sāyana répète he indra « Ô Indra ». Ensuite, il n’hésite pas à comprendre yát comme un ablatif et à l’ac-corder avec śusmāt, mais, dans cette analyse, le génitif vajrasya … nihatasya reste en l’air, comme s’il en faisait un nominatif : « la force grâce à laquelle ton foudre a été poussé (preritasya tvadīya<sya> vajrasya), c’est le grondement avec lequel (svanāc cid est traduit par dhvaner eva), parmi les fils de Varaśikha, un fils qui excellait par la prépondérance notamment de la force a été mis en pièces ». Car il comprend que paramáh désigne, parmi les fils de Varaśikha, un fils qui excellait par la prépondérance notamment de la force. Sāyana donne à dadāra le sens intran-sitif, passif : adīryata « a été mis en pièces », ce qui est licite : le Bhāgavatapurāna 3.26.56a atteste bibheda avec ce sens intransitif19 : nirbibheda virājas tvak « La peau de Virâdj sʼouvrit »20.

Pour K. F. Geldner21, il faudrait, sur base de la strophe suivante, sous-entendre árdhah derrière paramáh : « Jetzt hat sich deine Indrakraft sehen lassen, mit der du die Nachkommenschaft des Varaśikha erschlagen hast, als vor der Wucht der niedergeschlagenen Keule, vor ihrem bloßen Sausen das entfernteste (Treffen) zerstob, o Indra », mais le mot árdha- « la moitié » sʼaccommode mal dʼun terme de sens superlatif. Je préfère donc y reconnaître une désignation du ciel sur base de RS 9.79.4ab diví te nābhā paramó yá ādadé V prthivyās te ruruhuh sānavi ksípah

18. Voir MACDoneLL, A.A.‒keith, A.B. (1912). Vedic Index of Names and Subjects, I-II. Murray, London, II, p. 245.

19. Voir renou, l. (1996). Grammaire  sanscrite. 3e édition revue, corrigée et augmentée. Maisonneuve, Paris, p. 459.

20. Traduction burnouF, e. (1840-1898). Le Bhâgavata Purâna ou histoire poétique de Krichna, I-V. Paris, I, p. 292.

21. geldner, Der Rig-Veda, II, p. 126.

Page 13: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: Faventia 34-36, 2012-2014 71

« Au ciel est ton (nombril) suprême qui a été relié à (notre) nombril(, ô soma) ; sur le dos de la terre ont poussé tes rameaux »22.

3.5. La cinquième strophe

Le dernier vers de la cinquième strophe fait difficulté : il faudrait corriger le nomi-natif áparah en ˟ápare locatif.

Sāyana, qui n’avait pas annoncé que nous abordions la partie historique avec la strophe précédente, se limite maintenant à dire que « c’est le but susdit que le poète expose (pūrvoktam evārtham … vivrnoti) avec cette strophe-ci (anayā) », voulant dire par là que cette strophe va dans le même sens que la précédente ou qu’elle revient sur les mêmes événements tout en nous apportant des précisions. L’exégète médiéval s’attelle ensuite sans tarder au mot à mot de la strophe. Avant de gloser vadhīt par ahiṁsīt, il restitue l’augment dont l’emploi, en védique, n’est pas obligatoire : avadhīt. Il fait ainsi preuve, comme précédemment, d’une certaine sensibilité dialectale : la langue des hymnes est le chāndasa « la langue de la poésie védique », tandis que la sienne, la bhāsā « la langue courante ».

Pour introduire la seconde moitié de la strophe, Sāyana souligne que les cir-constances dans lesquelles Indra a frappé les fils de Varaśikha sont précisées (ity ucyate). Il aborde le locatif hariyūpīyāyām en ouvrant une parenthèse qu’il refer-mera avec le pronom locatif tasyām : « Il y a une rivière nommée Hariyūpīyā à moins que ce ne soit le nom d’une ville. À cet endroit (tasyām) ». Nous ne sommes pas aussi démunis que Sāyana devant pareille donnée géographique et savons aujourd’hui, grâce à H. Brunnhofer23, que Hariyūpīyā est non une ville24, mais une rivière, celle qui de nos jours porte le même nom : l’actuelle Iryāb, Haliāb, Haryūb ou Ariōb, un affluent de la Krumu ou actuelle Kurram25. La scène se passe donc en Sattagydie, c’est-à-dire dans ces régions montagneuses de la frontière afghano-pa-kistanaise, dans le Nord-Est du Bélouchistan et l’extrême Sud de la pakistanaise North West Frontier Province, régions qui séparent les bassins de l’Indus et de l’Étymandre ou Helmand.

Dans la suite de son commentaire, Sāyana ouvrira une autre parenthèse pour expliquer le nom de ces adorateurs des démons, les Vrcīvant : comme Vrcīvant est un aïeul né dans le clan de Varaśikha, les fils de ce dernier, dit-il, portent le nom de Vrcīvant comme nom de famille (tadgotrajān varaśikhasya putrān).

En reprenant le cours normal de la phrase, nous apprenons que, « lorsqu’Indra y a frappé (yadā … indrah … tasyām … avadhīt) les fils Vrcīvant qui se trouvaient

22. Traduction renou, l. (1955-1969). Études védiques et pāninéennes, I-XVII. De Boccard, Paris, IX, p. 27.

23. Voir Hillebrandt, a. (1891-1899-1902). Vedische Mythologie, I-III. W. Koebner ; M. & H. Marcus, Breslau, III, p. 268 n. 1 ; cf. MACDoneLL‒keith, Vedic Index of Names and Subjects, II, p. 499 ; geldner, Der Rig-Veda, II, p. 126 n. 1.

24. Pour ludWig, Der Rigveda, III, p. 158, cette ville se situerait sur la rivière Yavyāvatī (voir MACDoneLL‒keith, Vedic Index, II, p. 499).

25. Voir sPiegel, F. (1871). Erânische Alterthumskunde. Ertse Band. Geographie, Ethnographie und alteste Geschichte. W. Engelmann, Leipzig, p. 13.

Page 14: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

72 Faventia 34-36, 2012-2014 Éric Pirart

dans la partie antérieure (de cette rivière ou dans la partie supérieure de cette ville) (prāgbhāge sthitān vrcīvatah putrān), alors (tadā) le meilleur des fils de Varaśikha (varaśikhasya śresthah putrah), qui se trouvait dans l’autre partie (de la rivière ou de la ville) (aparabhāge sthitah), par la peur fut terrassé (bhītyā … dīrno ’bhūt) ». Si Sāyana donne donc le sens passif à dart, c’est parce qu’il cherche à rendre compte du nominatif hypallagique áparah. Quant à moi, je n’ai pu éviter l’écueil qu’en décrétant une correction du texte : ˟ápare, ce qui n’est jamais fort licite. Ce Dravidien de Vijayanagara, dans l’ignorance où il se trouvait concernant le toponyme, en serait arrivé à patauger dans l’interprétation à donner des mots pūrve árdhe et áparah, mais reconnaissons que nous ne sommes guère plus fiables que lui : indication locale ou temporelle ? Je lʼignore dʼautant plus que le vers RS 10.27.7b dans lequel se retrouve la combinaison du tandem pūrva- + ápara- avec une forme anit de DR « fendre » est, malheureusement, dʼune interprétation tout aussi malaisée. De surcroît, la forme dart dʼaoriste radical26 qui referme la strophe et se trouve donc en position de finale absolue arbore une orthographe étymolo-gique, ce qui est tout à fait exceptionnel : nous attendions ˟dah < *dar-t.

Sāyana n’a aucune idée de l’étymologie des noms propres que la strophe contient. Il n’a pas pu reconnaître que vrcīvant- était en réalité une façon de taxer les ennemis d’impies. Les taxer d’impies autorisait leur assassinat : l’ennemi est ici présenté comme un adorateur, non des dieux comme l’est le devāvant, mais de la diablesse Vrcī « la Louve », vieille forme attendue de vrkī-, le féminin de vrka- « le loup »27. Les Vrcīvant28 sont nommés aussi dans le Pañcaviṁśabrāhmana29 21.12.2 en tant quʼadversaires des Jahnu. Ceux-ci remportèrent sur eux la victoire grâce aux connaissances rituelles de Viśvāmitra.

3.6. La sixième strophe

Je comprends « Trente centaines de (guerriers) en armure » (triṁśácchataṁ var-mínah), en admettant quʼil faille lire *triṁśá chatā* (padapātha *| triṁśát | śatā |*). La diascévase a gommé le vieux neutre pluriel en ºā. Nous devons refuser lʼidée de Sāyana que triṁśácchatam serait une façon védique de dire « 130 ».

Sāyana relie clairement cette strophe aux deux précédentes : « Le (poète) expose à présent le propos actuel (idānīmuktam evārthaṁ vivrnoti) ». Pour son mot à mot, l’exégète médiéval, comme nous lʼavons vu dans plusieurs strophes antérieures, s’empresse de préciser à qui est adressée la strophe : « Ô Indra, toi que beaucoup de gens appellent (he … bahubhir āhūtendra) par désir de gloire (śravasyayā) », mais il est illicite de faire de śravasyā le complément de +hūta non seulement parce que ce dernier est un second terme de composé qui, comme tel, a perdu de son autonomie, mais aussi parce que puruhūta est un vocatif. Cependant l’exégète

26. narten, j. (1964). Die sigmatischen Aoriste im Veda. Harrasowitz, Wiesbaden, p. 145.27. Voir mayrHoFer, m. (1992-2001). Etymologisches Wörterbuch des Altindoarischen, I-III. Winter,

Heidelberg, II, p. 572.28. Voir MACDoneLL‒keith, Vedic Index, II, p. 319.29. caland, W. (1931). Pañcavimśa-Brāhmana. The Brahmana of Twenty Five Chapters. Calcutta.

Page 15: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: Faventia 34-36, 2012-2014 73

dravidien a correctement reconnu que śravasyā était haplologique pour śravasyayā. Ceci établi, il s’attache, au moyen d’une parenthèse, à gloser ce dont śravasyā- est le dérivé secondaire, c’est-à-dire śrávas-, mais montre quelque hésitation sur le sens à lui donner : « La gloire, c’est ici la nourriture ou l’éclat (śravo ’nnam yaśo vā). Par désir de cela (tadvāñchayā), c’est-à-dire : formulant dans le combat le souhait dʼobtenir, en te gagnant à eux, la nourriture ou le souhait dʼobtenir l’éclat (yuddhe tvāṁ jitvānnam prāpnuyāma yaśo vā prāpnuyāmeti kāmayamānāh) ».

Le datif, dans le syntagme śárave pátyamānāh « à la merci du dard »30, marque une destination inéluctable. Sāyana glose śarave « pour le dard » par hiṁsāyai « pour le meurtre ». Parenthèse explicative est ouverte : tvāṁ hiṁsitum ity arthah « Comprenons : pour te tuer ».

Dans le syntagme pātrā bhindānāh, il est malaisé de décider entre les deux interprétations possibles de pātrā, lʼinstrumental singulier de pātr- « le buveur » ou lʼaccusatif pluriel de pātra- « la coupe » : devons-nous comprendre quʼils sʼen allèrent au désastre du fait que le buveur Indra les brisait ou du fait quʼeux-mêmes brisaient les coupes sacrificielles31 ? Cette seconde alternative, qui a ma préférence, est aussi celle que Sāyana a retenue : « Eux, te tombant dessus, allant à ta rencontre, comme ils avaient brisé les coupes qui sont dʼusage dans la cérémonie sacrificielle (pātrāni yajñasādhanāni … bhindantah), porteurs de cuirasses, les Vrcīvant fils de Varaśikha, au nombre de cent trente, simultanément (yugapad eva), dans la Yavyāvatī (yavyāvatyām), c’est-à-dire : dans la Hariyūpīyā dont il a été question antérieurement (pūrvoktāyāṁ hariyūpīyāyām), connurent un grand désarroi ».

Selon A. Hillebrandt32, la rivière Yavyāvatī « qui alimente des canaux d’irriga-tion » serait à reconnaître dans l’actuelle Zhob, un affluent de la Gomatī (actuelle Gumal). La Yavyāvatī est mentionnée aussi par le Pañcaviṁśabrāhmana 25.7.2 : ses rives auraient été le théâtre d’une session sacrificielle lors de laquelle le rsi Gaurivīti Śāktya33 se serait distingué comme chantre (prastotr). Et il est sans doute remarquable que, dans le Śatapathabrāhmana34 M 12.8.3.7, Gaurivīti ait eu des contacts avec un certain Rsabha Yājñatura roi des Śvikna et que, dans le Śatapathabrāhmana M 2.4.4.3, un roi des Śvikna35 soit mis en relation avec un certain Suplan Sahadeva Sārñjaya36, c’est-à-dire avec un descendant de Srñjaya, le roi que mentionne la septième strophe à moins que le Srñjaya qu’elle mentionne ne soit jamais lui aussi qu’un descendant d’un plus ancien Srñjaya. Cependant, lʼano-malie métrique nous invite à penser que la strophe fit lʼobjet dʼune modification historique et que la mention de la rivière Yaviyāvatī est secondaire.

30. Attesté aussi par le vers RS 10.27.6b.31. Il nʼy a aucune nécessité de penser à une comparaison implicite comme le voulait geldner, Der 

Rig-Veda, II, p. 126.32. Hillebrandt, Vedische Mythologie, III, p. 268 n. 1 ; cf. MACDoneLL‒keith, Vedic Index, II, p.

188.33. Voir MACDoneLL‒keith, Vedic Index, I, p. 242.34. Weber, a. (1855). The Çatapatha-Brâhmana in the Mâdhyandina-Çâkhâ with extracts from the 

commentaries of Sâyana, Harisvâmin and Dvivedaganga, Berlin-London ; eggeling, j. (1882-1900). The Śatapatha-Brāhmana. According to the text of the Mādhyandina school, I-V. Oxford.

35. MACDoneLL‒keith, Vedic Index, II, p. 408 et 410.36. MACDoneLL‒keith, Vedic Index, II, p. 456.

Page 16: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

74 Faventia 34-36, 2012-2014 Éric Pirart

3.7. La septième strophe

Les septième et huitième strophes qui clôturent l’hymne constituent la dānastuti proprement dite. Les deux bœufs dont il est question, consacrés à Indra, ont été parqués, soit pour être offerts en sacrifice, soit pour faire un cadeau aux officiants.

Sāyana, qui comprend plus ou moins incorrectement la strophe, ne nous éclaire guère au sujet des personnages : voici que le roi s’appelle non plus Abhyāvartin Cāyamāna, mais Srñjaya Daivavāta37, et que son ennemi reçoit le nom de Turvaśa38.

Dans son commentaire de cette septième strophe, l’exégète médiéval com-mence par expliciter ou traduire les épithètes des deux bœufs : avant de traduire arusā, il lui donne sa terminaison classique : arusau. Il fera de même pour d’autres mots. Comme ce mot lui échappe un peu, il recourt à un mot qui lui ressemble : rocamānau dérive de la racine RUC :: rocate « briller, être lumineux, plaire » qui rappelle la racine RUṢ :: rusyati « être irrité » qu’il croit reconnaître dans arusa- qu’il analyse donc comme un dérivé négatif signifiant « qui ne s’irrite pas » ou « qui n’est pas irritant », donc « plaisant, charmant ». En réalité, arusa- vient sans doute de árus- « coup, blessure » et doit signifier très exactement « couleur plaie, couleur blessure », donc « rosâtre ». Par « rosâtre », nous devons comprendre quʼils ont la couleur des victimes écorchées et possèdent donc la force magique du sacrifice. La prairie elle aussi pourrait y faire allusion si cʼest une façon poétique de désigner le barhís ou coussin dʼherbes sacrées sur lequel le dépeceur dispose les morceaux de viande et où les dieux sont censés venir sʼasseoir et banqueter. Remarquons encore que Sāyana utilise le padapātha plutôt que le saṁhitāpātha : suyavasyū, avec suppression de l’allongement métrique de la voyelle du préfixe su+.

Avant de gloser rerihānā, Sāyana le modernise en lelihānau : « léchant bien, c’est-à-dire : se délectant encore et encore du fourrage (punahpunar ghāsam āsvā-dayantau) ». Il envisage ensuite une autre possibilité dʼinterprétation (yad vā) : « effectuant une variété de trajets (gativiśesaṁ kurvantau) », mais je ne sais au juste si ceci signifie que les deux bœufs font des allées et venues sur la prairie.

Après avoir commenté les diverses épithètes de gāvau, Sāyana revient en arrière, pour expliciter le pronom relatif qui ouvre la strophe : « Indra en posses-sion de qui deux bœufs, c’est-à-dire : deux chevaux (yasyendrasya sambandhinau gāvāv aśvāu) ». Voilà qui est inacceptable : comment peut-il affirmer que les deux gāvau sont des chevaux ? Le poids de la tradition est immense : comme ce sont, à ses yeux, les deux animaux attelés au char d’Indra et que tout le monde sait que le char de ce grand dieu védique est tiré par deux chevaux, il faut que gāvau « bovins » soit une façon poétique de désigner les deux chevaux en question. La rigueur scientifique est ici bafouée au nom du dogme, le char du roi des dieux ne pouvant être tiré que par des chevaux : « Indra de qui les deux chevaux cir-culent dans l’espace situé entre ciel et terre ». Nous ne pouvons guère accepter non plus lʼaffirmation que « les deux particules u et su sont explétives (u sv itī-mau pūranau) », mais il est vrai quʼaucune interprétation sémantique sûre de ce

37. MACDoneLL‒keith, Vedic Index, II, p. 469-471.38. MACDoneLL‒keith, Vedic Index, I, p. 315-317.

Page 17: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: Faventia 34-36, 2012-2014 75

conglomérat particulaire ū sú nʼa été offerte39. Remarquons ici les suppressions de l’allongement métrique et du sandhi sévère.

Avec le corrélatif sa de yasya, Sāyana répète pieusement son explicitation que cʼest Indra : « Indra (sa indrah) livra le roi Turvaśa au roi du nom de Srñjaya ». Sāyana ne fait plus aucune différence entre imparfait, aoriste et parfait : il tra-duit l’aoriste, passé actuel ou récent, parā+adāt par le parfait pradadau « il livra Turvaśa à Srñjaya ».

Pour introduire la suite, Sāyana recourt à la cheville « en faisant quoi ? (kiṁ kur-van) ». Dans son exposé, il est ensuite confronté à la question difficile de l’identité du roi : Abhyāvartin Cāyamāna40 précédemment, Srñjaya Daivavāta ici. Sāyana admet l’équivalence41, mais la critique historique, bien évidemment, n’est pas son point fort. Quant à l’ennemi, le voici recevoir le nom de Turvaśa, l’éponyme d’une ethnie détestée comme l’étaient celle des Touraniens en Iran ou celle des Taures chez les Scythes. Dire de quelqu’un qu’il est un Turvaśa, c’est le ranger dans un groupe humain renommé pour son impiété. Le Turvaśa est un homme à abattre.

Bien évidemment, nous sommes complètement démunis pour ce qui est de lʼidentification du roi et de son époque. Son nom dʼabhyāvartín- semble signifier « qui revient chaque fois (victorieux) », mais lʼadjectif patronymique qui lʼaccom-pagne, cāyamāná-, a été interprété de deux façons : pour Th. Gubler42, le père de ce roi se nommait *cāyamāna-43 « qui craint les dieux, respectueux » ou « respec-table », mais, pour Sāyana, son nom était plutôt *cáyamāna-. Cette dernière forme peut sʼinterpréter à partir de CI « châtier » dont a existé un bhvādi44, auquel cas nous pourrions proposer « le justicier » pour sa traduction, mais « le récoltant » nʼest pas exclu même si le thème cáya- de CI « accumuler, ramasser, récolter » nʼest attesté que tardivement45.

La seule autre attestation du nom de Srñjaya Daivavātá, à la strophe RS 4.15.4, ne peut guère nous aider, mais elle confirme son antiquité face à celle du nom dʼAb-hiyāvartín Cāyamāná. En effet, ce dernier, au vu de la maladresse métrique, doit appartenir à une strate chronologique ultérieure ou secondaire. Lʼinterprétation du nom de Devávāta « aimé des dieux » dont dérive lʼadjectif patronymique Daivavātá ne fait aucune difficulté ; par contre, celle de Srñjaya, pour faire appel à lʼornithony-mie, est nettement plus délicate46. Brunnhofer identifiait les Srñjaya aux Drangiens dont Hérodote conserve le nom sous la forme Σαράγγαι, mais ceci me paraît bien invérifiable47.

39. Voir Klein, The Particle u in the Rigveda, 126 n. 2 et 127 n. 4.40. MACDoneLL‒keith, Vedic Index, I, p. 29.41. Voir Hillebrandt, Vedische Mythologie, I, p. 105 ; MACDoneLL‒keith, Vedic Index, I, p. 522.42. gubler, tH. (1903). Die Patronymica im Alt-Indischen. Huth, Göttingen, p. 42.43. Participe présent de CĀY :: cāyate.44. RS 2.27.4 (voir renou, Études védiques et pāninéennes, V, p. 103 ; VII, p. 89 ; Gotō, t. (1987). Die 

„I. Präsensklasse“ im Vedischen. Untersuchung der vollstufigen thematischen Wurzelpräsentia. Österreichische Akademie der Wissenschaften, Wien, p. 132-133).

45. Voir gandHi, dH.n. (61914). Dhâturûpakośa. Compiled for the Use of Sanskrit Students. Ratnagiri, p. 482.

46. Voir mayrHoFer, Etymologisches Wörterbuch des Altindoarischen, II, p. 743.47. Voir MACDoneLL‒keith, Vedic Index, II, p. 470.

Page 18: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

76 Faventia 34-36, 2012-2014 Éric Pirart

3.8. La huitième strophe

La dernière strophe nomme à nouveau Abhyāvartin Cāyamāna, mais voici que les gens d’Abhyāvartin reçoivent le nom de Pārthava. Selon H. Brunnhofer48 ou A. Hillebrandt49, il serait ici question des Parthes, mais H. Zimmer50 a raison de faire confiance à Sāyana. En effet, dire d’un roi qu’il est un Pārthava, un descendant de Prthu, cela signifie, comme le dit Sāyana, qu’il a été consacré roi par la célébration du Rājasūya51, rituel de la consécration royale, tout comme l’a été un certain Prthu. Les Brāhmana nous parlent en effet de ce Prthu : il est le paradigme du roi consacré. Autrement dit : pārthava- signifie « roi légitime, grand roi, suzerain ». Les Parthes n’ont rien à faire ici : leur nom vieux-perse le confirme qui montre une brève dans la syllabe initiale : p-ra-θ-va-. Quant au pluriel de politesse, je ne suis guère enclin à l’avaler : les Pārthava ne sont-ils pas ceux chez qui le roi a dûment reçu la consé-cration sur le modèle de celle que reçut le roi Prthu, ceux qui composent la nation qui, dans un groupe de nations, détient la suprématie.

Avec S. Jamison52, remarquons que, contre J. Gonda53, vadhūmatah fait allusion non aux femelles des bestiaux, mais bien à des filles nubiles.

Revenons au flottement du nom du roi. Pour bien apprécier la situation, je crois qu’il suffit de déceler que les anomalies métriques ―des hypercatalexes― coïn-cident avec les mentions d’Abhiyāvartin Cāyamāna et de la Yaviyāvatī. Remarquons encore la forme récente et métriquement inadéquate du suffixe -īya- que nous trou-vons dans le nom de la Hariyūpīyā « la (rivière) appartenant à celui qui a un poteau dʼor » et le fait que les termes du bahuvrīhi varáśikha- faisant le nom de lʼadversaire appartiennent plutôt au dialecte classique quʼau védique. Ni vara+ employé au sens de « excellent » comme premier terme de composé ni śikhā- ne sont attestés ailleurs dans la Rgvedasaṁhitā. Les mots abhyāvartín-, cāyamāná-, hariyūpīyā- et varáśikha- ne sont pas védiques. Lʼhymne a donc fait l’objet d’une réutilisation : ces noms propres doivent en avoir substitué d’autres. Trois strates ainsi sont-elles à distinguer, une strate mythique et deux strates historiques :

Signe des personnages + −Références mythiques Pārthava Turvaśa

VrcīvantPersonnages historiques originaux Srñjaya Daivavāta

Personnages historiques secondaires Abhyāvartin Cāyamāna Varaśikha

48. Voir ludWig, Der Rigveda, III, 196-197 ; MACDoneLL‒keith, Vedic Index, I, p. 522.49. Voir geldner, Der Rig-Veda, II 127 n. ad 8d.50. zimmer, H. (1879). Altindisches Leben. Die Cultur der vedischen Arier nach den Saṁhitā dar-

gestellt, Weidmannsche Buchhandlung, Berlin, p. 133-134 ; MACDoneLL‒keith, Vedic Index, I, p. 521-522.

51. Sur cette cérémonie, Heesterman, j.c. (1957). The ancient Indian royal consecration : the rājasūya described according to the Yajus texts and annoted [sic], Mouton & Co., ʼs-Gravenhage.

52. jamison, s. (1996). Sacrificed Wife / Sacrificerʼs Wife. Women, Ritual, and Hospitality in Ancient India. Oxford University, New York-Oxford, p. 216 et 297 n. 20.

53. gonda, The Indra Hymns of the Rgveda, p. 66.

Page 19: La première dānastuti de la R̥gvedasaṁhitā lecture de RS 6.27 et … · 2017-09-13 · Faventia 34-36, 2012-2014 59-77 SSN 0210-7570 (imprès), SSN 2014-850 (en lnia) La première

La première dānastuti de la Rgvedasaṁhitā: Faventia 34-36, 2012-2014 77

Le poète, dans lʼhymne proprement dit, sʼadresse à Indra, mais, pour la dānas-tuti, se tourne vers Agni. Cette différence est à justifier comme suit : lʼhymne rappelle la victoire du roi et que cʼest logiquement le dieu des rois qui la lui avait assurée ; pour sa part, le poète-prêtre, au lieu de se tourner vers le dieu des rois, tout naturellement, interpelle Agni, le dieu sacerdotal, puisque cʼest le rite qui est vu comme lʼoutil du succès sacerdotal et que cʼest grâce à ce rite que la volonté du dieu des rois a pu être inclinée en faveur du roi Srñjaya ou Abhyāvartin.