La place du conseil fiscal dans la réalisation d'un deal immobilier

5
1 La place du conseil fiscal dans la réalisation d’un deal immobilier. Guillaume ALLEGRE, Corporate Tax intern, Arsène TAXAND. Le marché des fusionsacquisitions connaît un regain de croissance depuis maintenant plusieurs mois. Selon une étude publiée par la banque d’investissement américaine Morgan Stanley, le volume des transactions M&A a triplé en France (+210% en 9 mois), entre 2013 et 2014. Les synergies que peuvent réaliser les entreprises en se rapprochant entre elles via les processus de croissance externe sont, en principe, le signe d’une économie qui se reconstruit. Si les fusionsacquisitions à proprement parler, représentent une large partie du marché des restructurations, il ne faut point négliger les autres opérations qui participent, elles aussi, au redressement économique mondial (cf. Fiat qui annonçait dernièrement, préparer le spinoff de sa marque de luxe, Ferrari). Propulsés par le secteur des télécoms (tentative de rachat par Iliad de TMobile US, rachat de SFR par Numéricable), les deals de ces derniers mois ont principalement intéressé l’industrie de l’hightech. Lex experts notent cependant que le marché immobilier n’est pas en reste, puisqu’il est, lui aussi, théâtre de ce regain récent d’activité. Ainsi en témoigne la cession du « 32 Blanche », immeuble de bureaux situé dans le 9 ème arrondissement parisien à proximité de l’Opéra, réalisée entre deux géants mondiaux spécialisés dans la gestion d’actifs, The Carlyle Group et OMERS. L’investissement immobilier, lorsqu’il est bien pensé, permet de se constituer une classe d’actifs privilégiée par certains fonds de private equity. Bien qu’il puisse être réalisé « en direct », les investisseurs aguerris préfèrent, dans la majorité des cas, passer par un véhicule type OPCI, dont les titres portant indirectement la valeur du patrimoine immobilier acquis, sont reclassés à l’actif au poste immobilisations incorporelles. Bien noble dont la valorisation peut parfois atteindre des sommets, l’immeuble lorsqu’il s’apprête à être vendu nécessite une attention toute particulière. Il apparaît dès lors opportun de s’intéresser aux spécificités qu’engendre un deal portant sur une société cible dont l’actif est majoritairement composé d’immeubles ou de droits immobiliers. Audelà du rôle général de conseil que joue l’avocat fiscaliste dans une telle opération, quels sont les points d’attention sur lesquels celuici doit alerter son client qui se porte acquéreur ? Comme dans tout deal, l’acquisition d’une société dont le patrimoine est principalement, voire intégralement composé d’immeubles, a lieu entre un acheteur, et un vendeur. Tout en veillant à ne conseiller, de près mais surtout de loin, qu’une seule des deux parties, et ce pour éviter tout conflit d’intérêt, l’avocat en charge du dossier, la plupart du temps associé du cabinet qu’il représente, nomme son équipe qui l’accompagnera tout au long de l’opération. Généralement composée d’un senior manager, deux ou trois collaborateurs et un stagiaire, l’équipe se répartit le travail lors d’un rapide tour de table au cours duquel, le senior manager décrit les grands lignes du deal. La première étape peut alors commencer. Grâce aux identifiants et mots de passe communiqués aux conseils par le vendeur, l’équipe entre en « data room », ce drôle de nom qui désigne un gigantesque serveur internet sur lequel sont stockées des données strictement confidentielles quant à la cible acquise. L’avocat y trouve en général tout ce dont il a besoin pour engager son expertise (statuts, contrats, documents comptables et fiscaux, plan locaux d’urbanisme, mouvements de titres etc.). Chaque document, même non directement lié à la fiscalité, a son

description

Real Estate

Transcript of La place du conseil fiscal dans la réalisation d'un deal immobilier

Page 1: La place du conseil fiscal dans la réalisation d'un deal immobilier

  1  

La   place   du   conseil   fiscal   dans   la  réalisation  d’un  deal  immobilier.      Guillaume  ALLEGRE,  Corporate  Tax  intern,  Arsène  TAXAND.      Le   marché   des   fusions-­‐acquisitions   connaît   un   regain   de  croissance   depuis   maintenant   plusieurs   mois.   Selon   une  étude   publiée   par   la   banque   d’investissement   américaine  Morgan  Stanley,  le  volume  des  transactions  M&A  a  triplé  en  France   (+210%   en   9   mois),   entre   2013   et   2014.   Les   synergies   que   peuvent   réaliser   les  entreprises   en   se   rapprochant   entre   elles   via   les   processus   de   croissance   externe   sont,   en  principe,   le   signe   d’une   économie   qui   se   reconstruit.   Si   les   fusions-­‐acquisitions   à   proprement  parler,  représentent  une  large  partie  du  marché  des  restructurations,  il  ne  faut  point  négliger  les  autres  opérations  qui  participent,  elles  aussi,  au  redressement  économique  mondial  (cf.  Fiat  qui  annonçait  dernièrement,  préparer  le  spin-­‐off  de  sa  marque  de  luxe,  Ferrari).      Propulsés  par   le   secteur  des   télécoms   (tentative  de   rachat  par   Iliad  de  T-­‐Mobile  US,   rachat  de  SFR  par  Numéricable),  les  deals  de  ces  derniers  mois  ont  principalement  intéressé  l’industrie  de  l’high-­‐tech.  Lex  experts  notent  cependant  que  le  marché  immobilier  n’est  pas  en  reste,  puisqu’il  est,   lui   aussi,   théâtre   de   ce   regain   récent   d’activité.   Ainsi   en   témoigne   la   cession   du   «  32  Blanche  »,   immeuble   de   bureaux   situé   dans   le   9ème   arrondissement   parisien   à   proximité   de  l’Opéra,   réalisée   entre   deux   géants   mondiaux   spécialisés   dans   la   gestion   d’actifs,   The   Carlyle  Group  et  OMERS.      L’investissement  immobilier,  lorsqu’il  est  bien  pensé,  permet  de  se  constituer  une  classe  d’actifs  privilégiée   par   certains   fonds   de   private   equity.   Bien   qu’il   puisse   être   réalisé   «  en   direct  »,   les  investisseurs  aguerris  préfèrent,  dans  la  majorité  des  cas,  passer  par  un  véhicule  type  OPCI,  dont  les   titres   portant   indirectement   la   valeur   du   patrimoine   immobilier   acquis,   sont   reclassés   à  l’actif   au   poste   immobilisations   incorporelles.   Bien   noble   dont   la   valorisation   peut   parfois  atteindre  des  sommets,  l’immeuble  lorsqu’il  s’apprête  à  être  vendu  nécessite  une  attention  toute  particulière.   Il   apparaît   dès   lors  opportun  de   s’intéresser   aux   spécificités  qu’engendre  un  deal  portant  sur  une  société  cible  dont  l’actif  est  majoritairement  composé  d’immeubles  ou  de  droits  immobiliers.      Au-­‐delà  du  rôle  général  de  conseil  que  joue  l’avocat  fiscaliste  dans  une  telle  opération,  quels  sont  les  points  d’attention  sur  lesquels  celui-­‐ci  doit  alerter  son  client  qui  se  porte  acquéreur  ?      Comme  dans   tout  deal,   l’acquisition  d’une  société  dont   le  patrimoine  est  principalement,  voire  intégralement  composé  d’immeubles,  a  lieu  entre  un  acheteur,  et  un  vendeur.  Tout  en  veillant  à  ne  conseiller,  de  près  mais  surtout  de  loin,  qu’une  seule  des  deux  parties,  et  ce  pour  éviter  tout  conflit   d’intérêt,   l’avocat   en   charge   du   dossier,   la   plupart   du   temps   associé   du   cabinet   qu’il  représente,   nomme   son   équipe   qui   l’accompagnera   tout   au   long   de   l’opération.   Généralement  composée  d’un  senior  manager,  deux  ou  trois  collaborateurs  et  un  stagiaire,  l’équipe  se  répartit  le   travail   lors   d’un   rapide   tour   de   table   au   cours   duquel,   le   senior  manager   décrit   les   grands  lignes  du  deal.    La  première  étape  peut  alors  commencer.  Grâce  aux  identifiants  et  mots  de  passe  communiqués  aux   conseils   par   le   vendeur,   l’équipe   entre   en   «  data   room  »,   ce   drôle   de   nom   qui   désigne   un  gigantesque   serveur   internet   sur   lequel   sont   stockées  des  données   strictement   confidentielles  quant  à  la  cible  acquise.  L’avocat  y  trouve  en  général  tout  ce  dont  il  a  besoin  pour  engager  son  expertise   (statuts,   contrats,   documents   comptables   et   fiscaux,   plan   locaux   d’urbanisme,  mouvements   de   titres   etc.).   Chaque   document,  même   non   directement   lié   à   la   fiscalité,   a   son  

Page 2: La place du conseil fiscal dans la réalisation d'un deal immobilier

  2  

importance.  Ainsi  les  statuts,  document  juridique  établi  à  la  constitution  de  la  société,  nous  font  prendre  connaissance  de  l’actionnariat  initial  et  de  la  structure  du  capital  social.  Un  extrait  K-­‐bis  à  jour,  délivré  par  le  greffe  généralement  peu  de  temps  avant  l’ouverture  de  la  data  room,  nous  permet   de   retracer   les   augmentations   ou   réductions   de   capital   intervenues   depuis   la  constitution.   Les   procès-­‐verbaux   d’assemblée   générale   sont   là   pour   étayer   les   modifications  statutaires  et  exposent,  parfois,   les  motifs  pour   lesquels   telle  décision  affectant   le  capital  a  été  prise.  Les  baux  commerciaux  quant  à  eux,  permettent  d’en  savoir  plus  sur  l’assujettissement  à  la  TVA   des   loyers   tirés   de   la   location   des   immeubles,   et   sur   l’application   ou   non   du   régime   de  franchise.  Enfin,  les  contrats  de  financement  intragroupe,  pour  ne  citer  que  quelques  exemples,  revêtent   une   importance   fondamentale,   même   en   immobilier,   puisqu’ils   sont   au   carrefour   de  plusieurs  problématiques  fiscales  (hybrides,  abus  de  droit,  levier).    Lorsque  l’analyse  que  commence  à  réaliser  le  conseil  nécessite  l’obtention  d’un  document  qui  ne  figure  pas  dans  la  data  room,  il  peut  «  poser  une  question  ».  Le  serveur  est  en  effet  souvent  doté  d’une   interface   grâce   à   laquelle   les   avocats  mandatés  par   l’acheteur  peuvent   requérir  de   ceux  mandatés  par   le  vendeur,   la  transmission  d’informations  complémentaires  portant  sur   la  cible.  Ainsi,   lorsque   la   comptabilité   présentée   sous   forme   de   balance   générale   ne   nous   permet   de  reconstituer   un   flux,   il   est   nécessaire   pour   affiner   l’analyse,   d’exiger   du   vendeur   la  communication  de   la  balance  détaillée,   grâce   à   laquelle   en  principe,   les  mouvements  de   fonds  sont  plus  facilement  identifiables.        Tous  les  documents  qui  intéressent  directement  ou  non  les  aspects  fiscaux  du  deal  doivent  être  imprimés  et  classés.  En  matière   immobilière  plus  particulièrement,   il   sera  utile  d’imprimer   les  actes  notariés  d’acquisition  des   immeubles.  L’acte  authentique  contient   l’identité  du  précédent  vendeur  (était-­‐ce  un  tiers  ou  une  société  liée  ?),  les  conditions  de  la  vente  (est-­‐ce  une  vente  pure  et  simple,  ou  une  promesse  de  vente  avec  faculté  de  substitution  ?),  le  prix,  la  répartition  entre  les   parties   des   impôts   locaux   exigibles   sur   les   immeubles   l’année   de   la   vente   etc.   Cette   phase  d’impression   et   de   classement   n’est   pas   la   plus   intéressante,   loin   s’en   faut.   D’autant   qu’en  pratique,  elle  doit  être  réalisée  dans  un  temps  record,  et  ce  pour  éviter  de  facturer  au  client  un  nombre   d’heures   trop   important   pour   de   la   simple   «  paperasse  ».   Les   personnes   atteintes   du  syndrome   de   «  phobie   administrative  »   n’ont   qu’à   bien   se   tenir,   car   le   volume   des   classeurs  obtenu  à  l’issue  de  ce  long  travail  fastidieux  est  souvent  important.      La  phase  suivante  est  quant  à  elle,  beaucoup  plus  attrayante.  Après  avoir  constitué  les  classeurs  en   version   papier,   puis   enregistré   les   documents   de   la   data   room   sur   le   réseau   du   cabinet,  l’équipe  en  charge  du  dossier  peut  procéder  à  ce  que   l’on  appelle   les  due  diligences.  Les  «  due  dil  »    ou  «  DD  »  comme  on  les  appelle  en  pratique,  sont  des  vérifications  approfondies.  Il  s’agit  au  cours  de  cette  étape,  de   lever   toute  ambiguïté  potentielle  sur   la  cible  acquise.  Les  due  dil   sont  effectuées  pour  chaque  pan  du  droit  qu’intéresse  l’opération;  juridique,  concurrence,  finance.      Pour   mieux   appréhender   en   quoi   consiste   cette   phase   pour   l’avocat   fiscaliste,   il   suffit   de  l’illustrer  par  un  exemple  pratique.      Soit   la  situation  suivante  ;  un   fonds  d’investissement  coréen  ayant  pour  cible  un  OPCI   français  (organisme   de   placement   collectif   en   immobilier),   à   l’actif   duquel   se   trouvent   les   titres   de   2  holdings   françaises,   elles-­‐mêmes   détentrices   de   titres   dans   divers   SCI   à   l’actif   desquelles   se  trouvent   les   immeubles.   L’OPCI,   généralement   valorisé   par   l’équipe   Real   Estate   d’une   banque  d’affaires,  est,  à  la  date  du  projet  d’acquisition,  détenu  par  une  société  luxembourgeoise.      Un  schéma  de  la  structure  est  présenté  ci-­‐dessous.          

Page 3: La place du conseil fiscal dans la réalisation d'un deal immobilier

  3  

   L’OPCI  est  une   structure  unique,   instituée  en  France  depuis  peu,  qui   s’apparente,  dans   l’esprit  seulement,  à  un  OPCVM  et  dont  l’actif  est  composé  à  plus  de  60%  par  des  immeubles.      Ce  véhicule  d’investissement  au  régime  d’imposition  très  spécifique,  doit  être  agréé  par  l’AMF.  Il  ne   supporte   pas   l’IS   mais   est   soumis   à   des   obligations   de   distributions   auprès   de   son/ses  actionnaire(s).  L’OPCI  prend  la  forme  juridique,  soit  d’une  SAS  immédiatement  transformée  en  SPPICAV,   soit  d’un  FPI   (fonds  de  placement   immobilier)  dont   le   fonctionnement  est  délégué  à  une   société   de   gestion.   Jusque   là,   peu   de   différences   dira-­‐t-­‐on   avec   l’OPCVM   qui   lui,   prend   la  forme,   soit   d’une   SICAV,   soit   d’un   FCP,   la   première   étant   dotée   de   la   personnalité   morale,   le  second  non  mais  fonctionnant  également  grâce  à  une  société  de  gestion.      Bien  qu’exonéré  d’IS,  l’OPCI  peut  bénéficier  de  la  couverture  juridique  de  certaines  conventions  internationales,  notamment  celle  conclue  entre  la  France  et  le  Luxembourg.      L’OPCI   n’est   pas   un   véhicule   spéculatif.   Son   objet   social   est   nécessairement   la   détention   à  moyen/long  terme  d’immeubles,  et  l’AMF  se  réserve  le  droit  de  lui  retirer  son  agrément  lorsqu’il  achète  et  revend  plusieurs  actifs  immobiliers  sur  le  court  terme  (la  perte  de  l’agrément  signifiant  retour  au  régime  de  taxation  des  sociétés  ordinaires,  le  véhicule  perd  son  exonération  d’IS  et  les  conséquences  pour  les  actionnaires  sont  potentiellement  désastreuses).      Sur   le   plan   des   formalités,   l’accession   au   régime   d’OPCI   nécessite   d’exercer   une   option   et   de  payer   ce   que   l’on   appelle   une   «  exit   tax  »   de   19%   assise   sur   les   plus-­‐values   latentes   portant  notamment  sur  les  immeubles  inscrits  à  l’actif  de  la  société  au  jour  de  l’exercice  de  son  option.  Il  faut  également,   rédiger  un  prospectus  AMF,   lequel  mentionne  notamment   les   ratios  de   leviers  (LTV  ratio)  négociés  et  obtenus  auprès  de  l’autorité.    Lors   d’une   due   dil   portant   sur   une   structure   si   particulière,   plusieurs   points   doivent  automatiquement  attirer   l’attention  du   conseil   fiscal   côté  acheteur.  L’OPCI  a-­‐t-­‐il  bien   supporté  l’exit   tax   s’il   en   était   redevable  ?   A-­‐t-­‐il   respecté   ses   obligations   de   distributions  envers   ses  actionnaires  ?  N’a-­‐t-­‐il  pas  pratiqué  l’achat  revente  de  manière  trop  abusive  de  manière  à  aboutir  

Holding

99%

Sub Holding I

Sub Holding II

99%

SCI A

SCI B

SCI C

SCI D

SCI Z SCI E

SCI F

SCI G

SCI H

99% 99%

Page 4: La place du conseil fiscal dans la réalisation d'un deal immobilier

  4  

à   une   remise   en   cause   de   l’agrément  AMF   ?   A-­‐t-­‐il,   ou   les   SCI   ont-­‐elles   bien   réglé   les   droits  d’enregistrement   liés   à   l’acquisition   des   immeubles   et   si   oui   à   quel   taux  ?   A-­‐t-­‐on   demandé  l’application  de  régimes  de  faveur  et  si  oui,  les  conditions  ont  elles  bien  été  respectées  ?    L’investissement  ayant  dans  notre  exemple  eu   lieu  depuis   le  Luxembourg,  une  attention   toute  particulière  doit  également  être  portée  aux  questions  de  fiscalité  internationale  ;  à  ce  titre,  il  est  souvent  nécessaire  de  remonter   la  chaîne  des  sociétés  à   l’actif  desquelles  se  trouvent   les  titres  de  l’OPCI  cédé.      Le  registre  des  sociétés   luxembourgeois,  ainsi  qu’un  rapide  coup  de  fil  à  un  contact   local,  nous  permettent  d’en  savoir  rapidement  davantage  sur   la  structure.  Parfois,  ces  recherches  peuvent  déboucher   sur   des   «  mauvaises   surprises  »   pour   l’acheteur.   Il   peut   en   être   ainsi,   lorsque   le  conseil  s’aperçoit  que  la  holding  luxembourgeoise  est  elle-­‐même  détenue  par  une  autre  holding  luxembourgeoise,  laquelle  connaît  sur  son  capital  des  mouvements  étranges  (détention  à  100%  par   une   SGP,   nouvelle   forme   des   anciennes   H29   censurées   par   la   Commission   en   2010,   elle-­‐même   détenue   par   un   associé   personne   physique   né   et   résident   à   Monaco,   puis   cession  intervenue  avec  une  holding  située  dans  les  îles  Cayman  etc.).  Le  caractère  plus  que  suspect  d’un  tel  montage  étant  établi,  il  s’agit  là  parfois  d’une  cause  de  deal  breaker  (l’acheteur  ne  souhaitant  pas  prendre  le  risque  de  subir,  pour  les  années  à  venir,  une  rectification).  Parfois  au  contraire,  ces  découvertes,  si  elles  ne  font  pas  courir  de  risque  trop  élevé  pour   l’acheteur,  permettent  de  réduire   le   prix   d’acquisition.   Dans   ces   situations   embarrassantes,   le   conseil   se   doit   justement  d’évaluer  le  niveau  de  risque  global  qu’encourt  l’acheteur.  Ainsi,  il  doit  lui  expliquer  qu’un  risque  d’abus  de  droit  est,  certes,  potentiellement  très  couteux,  mais  que  seul  l’acheteur  en  supportera  les  frais,  la  solidarité  étant  exclue,  contrairement  à  un  risque  DMTO,  pour  lequel  l’article  1705  5°  du  CGI  prévoit  expressément  la  solidarité  entre  les  parties.      Quant   au   financement,   on   s’interroge   évidemment   aux   questions   classiques  (pourcentage   de  dette  intragroupe  et  de  dette  bancaire,  comparaison  de  l’effet  de  levier  réel  avec  le  pourcentage  autorisé  par  l’AMF  lors  de  la  délivrance  de  l’agrément  ;  on  écarte  toutefois  les  vérifications  que  nécessiterait  le  dispositif  de  la  sous-­‐capitalisation,  ce  régime  n’étant  pas  applicable  à  l’OPCI).      Il   faut   aussi,   et   surtout,   s’attacher   au  montant  du   capital   social   de   l’OPCI   inscrit   dans   la   liasse  fiscale.  En  effet,  le  véhicule  obéissant  à  des  règles  comptables  différentes  de  celles  édictées  par  le  PCG,   le   montant   du   capital   social   qui   apparaît   dans   la   liasse   n’est   pas   égal   au   montant   des  apports  libérés  par  les  actionnaires.  Les  comptes  de  régularisation  font  que,  souvent,  le  capital  a  un   niveau   beaucoup   plus   élevé   que   celui   effectivement   appelé   et   libéré.   Aussi,   la   réalisation  d’une  acquisition  portant  sur  un  OPCI  obéit  à  des  règles  bien  particulières  (rachat  de  titres  par  l’OPCI   donnant   ensuite   lieu   à   une   réduction   de   capital,   laquelle   engendre   la   constatation   d’un  revenu   distribué   au   sens   de   l’article   112   du   CGI).   L’avocat   doit   évidemment   tirer   toutes   les  conséquences  de  la  constatation  d’un  revenu  distribué  au  niveau  de  l’OPCI.  L’actionnaire  étant,  dans   notre   cas,   établi   au   Luxembourg,   une   lecture   de   la   clause   dividendes   insérée   dans   la  convention  nous  permet  de  savoir  si   le  revenu  distribué  est  assimilé  ou  non  à  une  distribution  régulière.      En  rapprochant  la  lecture  de  la  convention  à  l’analyse  faite  par  l’administration  dans  le  BOFIP,  le  conseil  s’apercevra  que,   la  clause  dividendes  n’intégrant  pas   la  notion  de  revenus  distribués,   il  faut   alors   s’en   référer   à   la   clause   balai,   laquelle   impose   tout   revenu   innomé   dans   l’Etat   du  bénéficiaire,  soit  dans  notre  cas,  au  Luxembourg.  Curieuse  découverte,  que  de  constater  qu’une  distribution   irrégulière   ne   connaît   aucun   frottement   fiscal,   alors   qu’un   flux   de   dividendes   en  direction  du  Luxembourg  sera  soumis  à  retenue  à  la  source  au  taux  minimal  de  5%…      Après  s’être  posé   les  bonnes  questions  quant  aux  risques  que  soulève   l’opération,   l’avocat  doit  alors   y   répondre,   souvent   au   moyen   de   tableaux   Excel   qui   reprennent   l’intégralité   des  informations   épluchées   au   cours   des   analyses.   Ainsi,   il   est   opportun   de   retracer   l’évolution  historique  du  capital  et   les  différents  mouvements  de  titres   intervenus  (apport,  cession).   Il  est  

Page 5: La place du conseil fiscal dans la réalisation d'un deal immobilier

  5  

aussi   nécessaire   de   reprendre   l’intégralité   des   renseignements   que   nous   procurent   les   liasses  fiscales   (DAS2,   IFU,  déclarations  2072  et  2072  C  pour   les   résultats  de  SCI).  Evidemment,   il   est  indispensable   de   comprendre   et   de   reprendre   l’information   comptable   et   financière  communiquée   par   la   firme   Big   en   charge   de   la   cible   (balance,   P&L   et   surtout   bilan,   dont  l’établissement  d’une  forme  simplifiée  et  d’une  version  consolidée  est  souhaitable,  afin  de  mieux  cerner  les  opérations  de  haut  et  bas  de  bilan  qui  ont  été  réalisées  sur  la  cible).      Concernant   la   TVA,   la   due   dil   immobilière   nécessite   une   étude   soignée,   particulièrement   eu  égard   au   régime  de   l’article   257   bis   du   CGI   sur   la   transmission   d’une   universalité   de   biens.   Il  faudra  également  s’assurer  d’avoir  l’intégralité  des  lettres  d’option  pour  les  loyers  soumis  à  TVA,  avec  les  accusés  de  réception  adéquats.      L’étude   de   l’ensemble   de   ces   documents   permet   de   construire   ensuite   quelques   slides  PowerPoint  pour  présenter  au  client,   très  rapidement  dans  un  premier  temps,   les  risques  qu’il  s’apprête  à  supporter  dans  le  cadre  de  son  acquisition.  C’est  ce  que  l’on  appelle  dans  le  jargon,  le  «  red   flag   memo  ».   Il   s’agit   d’une   synthèse   en   une   dizaine   de   slides   maximum,   que   présente  oralement   l’associé   au   client   lors   du   «  red   flag  meeting  »,   premier   grand   rendez-­‐vous   avec   le  client  depuis  l’ouverture  du  dossier.    La  phase  due  dil  terminée,  l’équipe  immo  a  une  vision  plus  globale  de  l’opération  qui  se  profile.  Il  faut  alors  passer  au  structuring.  Structurer  le  deal,  c’est  définir  le  véhicule  d’acquisition  dont  va  se  servir   l’acquéreur  pour  accrocher   la  cible.  L’imagination  et   l’ingénierie  sont  poussées  à   leur  paroxysme  lors  de  cette  phase  très  enrichissante.  Va-­‐t-­‐on  conseiller  la  constitution  d’un  groupe  d’intégration  fiscale  ?  Cette  dernière  peut  effectivement  s’avérer  avantageuse,  notamment  grâce  à  la  possibilité  qu’elle  offre  de  faire  circuler  sans  frottement  fiscal  les  dividendes,  mais  elle  peut  aussi   s’avérer   piégeuse   lors   des   déneutralisations   de   sortie.   Va-­‐t-­‐on,   si   l’intégration   n’est   pas  possible   (en   raison  par  exemple  d’un  pourcentage  de  détention   inférieur  à   la  barre  des  95%),  conseiller  de  monter  un  schéma   type  debt  push  down  ?  «  Pousser   la  dette  en  bas  »,   comme  se  traduit   littéralement   l’expression,   peut   être   gage   d’économies   pour   l’acquéreur.   En   effet,   le  déplacement  de  la  dette  d’acquisition  au  niveau  des  SCI  directement  détentrices  des  immeubles  permet  avant  tout  de  rassurer   la  banque.  Celle-­‐ci  dispose  alors  d’un  prêt  directement  adossé  à  l’actif   immobilier,   avec   possibilité   de   le   saisir   et   de   le   vendre   plus   rapidement   que   des   titres  d’OPCI…  Or,  si  la  banque  est  davantage  satisfaite  quant  à  ses  garanties,  le  taux  d’intérêt  n’en  sera  que  moins  élevé,  donc  le  cout  d’acquisition  plus  faible  pour  l’investisseur.  En  outre,  un  schéma  debt   push   down   est   facile   à   réaliser,   du   moins   après   une   lecture   éclaircie   des   documents  comptables,  et  après  avoir  validé  les  capacités  distributives  des  sociétés  du  groupe.  Il  suffit  alors  de   faire   emprunter   les   sociétés   «  du   bas  »   (les   SCI),   qui   redistribueront   immédiatement   le  montant   emprunté   à   leurs   actionnaires   directs,   lesquels   redistribueront   à   leur   tour   à   leur  actionnaire,  etc.,  pour  en  arriver  à  annuler  l’emprunt  contracté  «  en  haut  »  pour  l’acquisition  de  l’OPCI.      Le  structuring  étant  terminé,  le  closing  se  rapproche.  Parfois,  l’acquéreur  souhaite  assister  avec  ses   conseils   à   une   dernière   réunion,   ou   à   tout   le   moins,   se   faire   adresser   un   document   plus  complet  que   le  précédent,   le  «   full  memo  »,  relatant   l’ensemble  des   informations  produites  par  les  avocats.      Et   les   honoraires   la   dedans  ?   Il   est   impossible   d’en   donner   un  montant   fixe.   Cela   dépend   des  enjeux   financiers,  du  nombre  d’avocats  mobilisés,  du   taux  horaire   etc.  Cet   aspect   financier   est  provisoirement  réglé  dans  la  propale  adressée  au  client  avant  le  début  de  la  mission.  Le  budget  mentionné  dans  la  propale  peut  varier,  à  la  hausse  comme  à  la  baisse,  lorsque  à  la  fin  du  deal,  les  parties  au  contrat  de  mission  s’entendent  en  ce  sens.  Quoi  qu’il  en  soit,  la  participation  de  A  à  Z  à  un   deal,   qu’il   soit   immobilier   ou   non,   est   très   formatrice   pour   tout   avocat   débutant   en   ce  domaine.   Cependant   il   ne   faut   pas   se   mentir,   la   charge   de   travail   est   conséquente,   amenant  certains  membres  de  l’équipe  en  charge  du  dossier  à  bloquer  leurs  soirées  et  week-­‐end.