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LA PLACE DE LA RELIGION À L’ÉCOLE PUBLIQUE JOSÉ WOEHRLING PROFESSEUR FACULTÉ DE DROIT UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL Étude préparée pour le compte du Comité sur les affaires religieuses Ministère de l’Éducation Québec Automne 2002

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LA PLACE DE LA RELIGION

À L’ÉCOLE PUBLIQUE

JOSÉ WOEHRLING

PROFESSEUR

FACULTÉ DE DROIT

UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Étude préparée pour le compte

du Comité sur les affaires religieuses

Ministère de l’Éducation

Québec

Automne 2002

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Remarque

Cette étude peut être obtenue sur demande à l’adresse suivante :

Comité sur les affaires religieuses

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport

1035, rue De La Chevrotière, 16e étage

Québec (Québec) G1R 5A5

Téléphone : 418 643-7070

Télécopieur : 418 644-7142

Courriel : [email protected]

On peut également la trouver en format PDF à l’adresse suivante :

www.meq.gouv.qc.ca/affairesreligieuses

Reproduction autorisée à condition de mentionner la source.

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction ....................................................................................................................................... 3

Première partie

Les principes généraux de droit québécois, canadien et international

relatifs à la liberté de religion et à l’interdiction de la discrimination fondée sur

la religion, particulièrement dans le domaine scolaire ........................................................................ 4

I. Les chartes canadienne et québécoise ......................................................................................... 5

A. Le parallélisme entre la liberté de religion et l’interdiction

de la discrimination religieuse .............................................................................................. 5

B. Le droit à l’égalité et l’interdiction de la discrimination

religieuse; le droit à l’accommodement raisonnable ............................................................. 7

C. La liberté de conscience et de religion ................................................................................ 22

II. Les règles du droit international public relatives à la liberté de conscience

et de religion et à l’interdiction de la discrimination religieuse ................................................ 32

A. Les instruments onusiens .................................................................................................... 33

B. Les instruments en vigueur dans le cadre de l’Organisation

des États américains ............................................................................................................ 45

C. La Convention européenne des droits de l’homme ............................................................. 46

Deuxième partie

Les problèmes soulevés par les manifestations ou conduites religieuses

à l’école publique (droit canadien et comparé) ................................................................................ 51

I. Les prières et les célébrations, cérémonies ou autres activités

religieuses ou à connotation religieuse ..................................................................................... 55

A. Les prières et les célébrations, cérémonies ou autres activités religieuses

ou à connotation religieuse dont l’initiative est prise par les autorités scolaires................. 55

B. Les prières et les célébrations, cérémonies ou autres activités religieuses

ou à connotation religieuse dont l’initiative est prise par les élèves ................................... 58

II. L’affichage ou l’installation de symboles religieux par

les autorités scolaires ................................................................................................................ 60

III. Le port de signes religieux distinctifs ....................................................................................... 61

A. Le port de signes religieux distinctifs par les élèves ........................................................... 61

B. Le port de signes religieux distinctifs par les enseignants .................................................. 69

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IV. Les aménagements du calendrier scolaire ................................................................................. 70

A. Les aménagements réclamés pour les élèves ...................................................................... 70

B. Les aménagements réclamés pour les enseignants .............................................................. 72

V. La diffusion d’informations religieuses à l’école publique....................................................... 73

A. La diffusion d’informations ou de documents religieux

par les élèves ....................................................................................................................... 73

B. La diffusion d’informations ou de documents religieux

par des personnes ou entités extérieures à l’école ............................................................... 77

C. La diffusion d’informations ou de documents religieux

par les autorités scolaires et par les enseignants ................................................................. 79

Synthèse ............................................................................................................................................ 81

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3

Introduction

L’étude qui suit est destinée à examiner les normes juridiques canadiennes, québécoises

et internationales qui régissent la place de la religion dans les écoles publiques. Dans une

première partie, nous présenterons les principes généraux relatifs à la portée de la liberté de

religion et de l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion, particulièrement dans

le domaine scolaire. Dans une deuxième partie, nous examinerons comment ces principes

s’appliquent à un certain nombre de problèmes susceptibles d’être soulevés par les

manifestations ou conduites religieuses attribuables aux autorités scolaires, aux enseignants

et aux élèves. Lorsque cela nous apparaîtra pertinent, nous tiendrons également compte des

solutions qui ont été adoptées en droit comparé dans un certain nombre d’autres pays,

principalement la France et les États-Unis.

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Première partie : Les principes généraux de droit québécois, canadien et international relatifs

à la liberté de religion et à l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion,

particulièrement dans le domaine scolaire1

Les instruments dont il faut tenir compte sont, sur le plan du droit interne, la Charte

canadienne des droits et libertés2 et la Charte des droits et libertés de la personne3 du Québec

et, sur le plan du droit international, les conventions, déclarations et autres instruments qui

lient juridiquement le Canada ou qui, même s’ils ne le lient pas, sont néanmoins pris en

considération par les tribunaux canadiens et québécois.

Les dispositions des instruments nationaux et internationaux qui imposent un cadre aux

manifestations du phénomène religieux dans les écoles publiques sont principalement, mais

pas exclusivement, celles qui protègent la liberté de conscience et de religion et le droit à

l’égalité sans discrimination fondée sur la religion (la liberté d’expression, celles de réunion

et d’association jouent également un certain rôle). En outre, certains de ces instruments

garantissent, de façon plus précise, le droit des parents d’assurer l’éducation de leurs enfants

conformément à leurs convictions philosophiques et religieuses.

Nous analyserons pour commencer la liberté de conscience et de religion et

l’interdiction de la discrimination religieuse sous l’empire des chartes canadienne et

québécoise. La Charte canadienne, qui fait partie de la Constitution du Canada, pour autant

que la législature du Québec ne choisit pas d’y déroger comme le lui permet l’article 33 de la

Charte canadienne, prime toutes les lois québécoises, y compris la Charte québécoise. En

fait, pour ce qui est de la liberté de conscience et de religion, les dispositions de la Charte

canadienne (article 2a)) et de la Charte québécoise (article 3) ne présentent pas de

différences significatives, si bien qu’il y aura lieu de considérer qu’elles doivent recevoir la

même interprétation4. De même, les dispositions des deux chartes qui portent sur le droit à

l’égalité interdisent l’une et l’autre, de façon expresse et dans des termes comparables, la

discrimination fondée sur la religion5.

Nous examinerons ensuite les dispositions pertinentes des instruments internationaux.

Selon les principes du droit canadien qui régissent les rapports entre le droit interne et le

droit international, les conventions internationales ne sont pas directement invocables devant

les tribunaux canadiens et le droit coutumier ne l’est que dans la mesure où il ne contredit 1 Pour cette partie, nous avons utilisé, tout en les actualisant, certains développements d’une étude antérieure : José

WOEHRLING, Étude sur le rapport entre les droits fondamentaux de la personne et les droits des parents en

matière d’éducation religieuse, présentée au Groupe de travail sur la place de la religion à l’école constitué par la

ministre de l’Éducation du gouvernement du Québec, publiée comme étude no 6 en annexe au rapport du Groupe,

Québec, gouvernement du Québec, ministère de l’Éducation, 1999.

2 La Charte canadienne des droits et libertés (ci-après nommée « Charte canadienne ») est contenue dans la partie I

(articles 1 à 34) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, R.-U.,

c. 11; L.R.C. (1985), app. II, n° 44.

3 L.Q. 1975, c. 6; L.R.Q., c. C-12 (ci-après nommée « Charte québécoise »).

4 L’article 2a) de la Charte canadienne reconnaît « à chacun » la « liberté de conscience et de religion » et

l’article 3 de la Charte québécoise énonce que « [t]oute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la

liberté de conscience, la liberté de religion [...] ».

5 Charte canadienne des droits et libertés, art. 15; Charte des droits et libertés de la personne, art. 10.

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pas le droit interne. Par conséquent, dans tous les cas où il y a contradiction entre le droit

international, conventionnel ou coutumier, et le droit interne canadien, c’est ce dernier qui

prime devant les tribunaux canadiens et québécois. Cependant, si le droit international ne

peut être invoqué pour contester la validité d’une législation ou d’une réglementation

canadienne ou québécoise devant les tribunaux internes, ces derniers s’inspirent souvent des

instruments internationaux sur les droits de la personne, peu importe qu’ils lient

formellement le Canada ou non, pour interpréter les chartes canadienne et québécoise. En

outre, le droit international est revêtu d’une légitimité politique et d’un prestige moral

considérables. Le fait d’établir la non-conformité d’une norme juridique interne avec le droit

international permet d’exercer sur les décideurs politiques une pression considérable pour les

amener à la modifier.

I. – Les chartes canadienne et québécoise

A. - Le parallélisme entre la liberté de religion et l’interdiction de la discrimination

religieuse

La liberté de conscience et de religion, d’une part, et la protection contre la

discrimination fondée sur la religion ou les convictions, d’autre part, constituent deux droits

qui peuvent être invoqués de façon largement interchangeable. En effet, les normes ou

politiques qui restreignent la liberté de religion affectent pratiquement toujours certaines

catégories de personnes, de convictions ou de croyances plus que les autres, si bien qu’elles

peuvent également être considérées comme discriminatoires6. Inversement, les normes qui

entraînent de la discrimination au détriment de certaines personnes en raison de leur religion

peuvent souvent être considérées comme restreignant leur liberté de religion, dans la mesure

où elles ont pour effet de les décourager de rester fidèles à celle-ci (l’inégalité de traitement

entraîne une « pression à la conformité » qui peut équivaloir, si elle est assez sérieuse, à une

forme de coercition). En outre, comme nous le verrons plus loin, les tribunaux ont reconnu

qu’une obligation d’accommodement en matière religieuse pouvait naître autant en vertu de

l’article 2a) que de l’article 15 de la Charte canadienne. Dans les faits, les requérants

invoquent presque toujours les deux droits en parallèle7.

6 Cela est également vrai pour les cas de discrimination indirecte, car, en matière religieuse, celle-ci résulte

souvent du fait que l’autorité publique sanctionne, pour des raisons laïques, des règles qui coïncident avec

certaines pratiques des religions traditionnelles (par exemple, les jours fériés civils correspondent encore

aujourd’hui, pour des raisons historiques, aux fêtes religieuses chrétiennes).

7 Par contre, les tribunaux, dans les cas où ils concluent à la non-conformité d’une norme ou d’une politique avec

la Charte pour des raisons religieuses, se contentent généralement de s’appuyer sur une des deux dispositions

(conformément au principe selon lequel ils ne doivent pas se prononcer au-delà de ce qui est nécessaire pour

trancher le litige qui leur est soumis). Le plus souvent, ils s’appuient sur l’article 2a) plutôt que sur l’article 15.

Dans le même sens, voir : William F. FOSTER et William J. SMITH, « Religion and Education in Canada:

Part II – An Alternative Framework for the Debate », (2000-2001) 11 Education and Law Journal 1, à la p. 34 :

« [...] equality rights serve to complement the right to freedom of religion; in fact, the two rights are often

intertwined – a double helix, with positive and negative strands. Together, they provide, equally to all, the

positive right to manifest one’s belief (or non-belief) and to be accommodated in so doing, and the negative right

to abstain from conformity with the belief of others and not to have burdens imposed because of one’s religion.

To date, most of the case law dealing with religion in schools has been litigated under freedom or religion

provisions rather than the equality provisions. »

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On peut aller plus loin et affirmer que la liberté de religion inclut, de façon implicite,

une certaine exigence d’égalité en matière religieuse. C’est en tout cas le point de vue très

clairement adopté par la Cour suprême dans ses deux premières décisions sur la liberté de

religion, les arrêts Big M Drug Mart8 et Edwards Books9. Il importe de souligner que ces

décisions ont été rendues à un moment où l’article 15 de la Charte canadienne, portant sur le

droit à l’égalité, n’était pas encore en vigueur10. Dans l’affaire Big M Drug Mart, le juge

Dickson considère qu’une atteinte à la liberté de religion peut résulter soit d’une coercition

étatique11 qui oblige quelqu’un à se conformer à une prescription religieuse ou qui l’en

empêche, soit d’une inégalité de traitement d’une religion par rapport aux autres12.

Depuis l’entrée en vigueur de l’article 15 de la Charte canadienne, une tendance s’est

dégagée dans les décisions des tribunaux. Elle consiste à mettre davantage l’accent sur

l’élément de la coercition dans le cadre de la liberté de conscience et de religion, au

détriment de celui de l’égalité, réservant ce dernier pour l’application de l’article 1513. Par

ailleurs, jusqu’à présent, la grande majorité des décisions sur la place de la religion à l’école

ont été rendues sous l’angle de l’article 2a) de la Charte canadienne plutôt que sous celui de

l’article 15, même lorsque les requérants invoquaient l’une et l’autre de ces deux

dispositions.

8 R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.

9 R. c. Edwards Books, [1986] 2 R.C.S. 713.

10 Cette disposition n’est devenue applicable qu’avec trois ans de retard sur les autres dispositions de la Charte

canadienne, c’est-à-dire le 17 avril 1985. D’une certaine façon, l’invocation du principe d’égalité, tant que

l’article 15 n’était pas entré en vigueur, pouvait également se justifier par le recours à l’article 27, qui contient le

principe du multiculturalisme. En effet, ce concept connote une certaine égalité entre les cultures (la culture

incluant bien sûr la religion). C’est ce qu’a reconnu le juge Dickson dans l’affaire Big M Drug Mart, précitée,

aux p. 337 et 338 : « Je suis d’accord avec l’argument de l’intimée qui porte que reconnaître au Parlement le

droit d’imposer l’observance universelle du jour de repos préféré par une religion ne concorde guère avec

l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. Cela est donc

contraire aux dispositions expresses de l’art. 27 [...]. »

11 Ibid., 337 : « La liberté au sens large comporte l’absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester

ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour

préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui, nul ne

peut être forcé d’agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience. »

12 Ibid., 336 : « Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de

coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l’égalité quant à la jouissance des

libertés fondamentales et j’affirme cela sans m’appuyer sur l’art. 15 de la Charte » [nous soulignons]; 337 : « En

retenant les prescriptions de la foi chrétienne, la Loi crée un climat hostile aux Canadiens non chrétiens et paraît

en outre discriminatoire à leur égard. [...] Or, protéger une religion sans accorder la même protection aux autres

religions a pour effet de créer une inégalité destructrice de la liberté de religion dans la société. »

13 Cette tendance est bien illustrée dans les motifs donnés par la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Adler c.

Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609, à la p. 658, où elle semble proposer que les mesures qui ont pour effet d’exercer

une coercition religieuse soient examinées sous l’article 2a) et que celles qui entraînent un traitement inégal

fondé sur la religion le soient sous l’article 15.

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B. - Le droit à l’égalité et l’interdiction de la discrimination religieuse; le droit à

l’accommodement raisonnable

L’article 10 de la Charte québécoise et l’article 15 de la Charte canadienne garantissent

le droit à l’égalité et interdisent la discrimination, notamment celle fondée sur la religion.

Dans les deux cas, la religion est expressément mentionnée comme motif illicite de

discrimination. Cette prohibition vise autant la discrimination indirecte, ou discrimination

« par suite d’un effet préjudiciable », que la discrimination directe. Alors que la

discrimination directe est celle qui repose ouvertement sur un motif prohibé de distinction,

comme la religion, la discrimination indirecte découle d’une règle « neutre » qui s’applique

de la même façon à tous, mais qui produit néanmoins un effet discriminatoire sur un seul

groupe de personnes en ce qu’elle leur impose des obligations ou des conditions restrictives

non imposées aux autres membres de la société.

Après avoir rappelé les éléments constitutifs de la discrimination sous la Charte

canadienne et la Charte québécoise (autrement dit, les conditions qui doivent être remplies

pour établir l’existence d’une discrimination au sens des chartes), nous examinerons la

portée et les limites de l’obligation d’accommodement raisonnable qui découle du droit à

l’égalité.

1. - Les éléments constitutifs de la discrimination directe ou indirecte

Bien que l’un et l’autre proclament le droit à l’égalité et interdisent la discrimination, les

articles 15(1) de la Charte canadienne14 et 10 de la Charte québécoise15 n’ont pas la même

économie générale ni, par conséquent, la même portée. Alors que l’article 10 de la Charte

québécoise ne prohibe que les quatorze critères de distinction qu’il énumère de façon

limitative (treize si l’on compte « l’origine ethnique ou nationale » comme un seul motif), la

liste de motifs illicites de l’article 15(1) est « ouverte », car elle est précédée du mot

« notamment ». Selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, l’article 15(1) doit être

interprété comme prohibant les motifs de distinction énumérés ainsi que les motifs

« analogues » (par exemple, la citoyenneté ou l’orientation sexuelle). Cette première

différence n’est cependant guère significative dans le cadre de la présente étude puisque, dans

les deux dispositions, la religion est expressément mentionnée comme motif illicite de

discrimination.

14 « 15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même

protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des

discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les

déficiences mentales ou physiques. »

15 « 10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la

personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse,

l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions

politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen

pour pallier ce handicap.

« Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de

compromettre ce droit. »

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Une deuxième différence entre les deux dispositions est plus importante. L’article 10 de

la Charte québécoise, contrairement à l’article 15 de la Charte canadienne, ne garantit pas le

droit à l’égalité en tant que tel, c’est-à-dire indépendamment des autres droits et libertés. Une

discrimination, pour être illicite, doit pouvoir être rattachée à l’exercice d’un droit ou d’une

liberté garantis ailleurs qu’à l’article 10, en l’occurrence les libertés et droits fondamentaux

du chapitre I, les droits politiques du chapitre II, les droits judiciaires du chapitre III ou les

droits économiques et sociaux du chapitre IV. Cependant, lorsque le deuxième alinéa de

l’article 10 dit qu’il y a discrimination quand une distinction fondée sur un des motifs

prohibés a pour effet de compromettre « ce droit », il ne peut s’agir d’autre chose que du droit

à l’égalité. En renvoyant au droit à l’égalité dans l’exercice des autres droits et libertés, cet

alinéa n’exige pas qu’une distinction ait pour effet de violer un autre droit ou une autre

liberté, mais bien qu’elle compromette ou détruise le droit à l’égalité lui-même, en relation

avec l’exercice d’un autre droit ou d’une autre liberté. Par conséquent, le deuxième alinéa de

l’article 10 exige seulement que la distinction incriminée se produise dans le champ

d’exercice d’un autre droit ou d’une autre liberté.

Cependant, si l’article 10 ne garantit pas un droit à l’égalité indépendant des autres droits

et libertés, cela ne signifie pas qu’il est dépourvu de contenu autonome. Ainsi, par exemple, si

le législateur enfreint un des droits économiques et sociaux contenus au chapitre IV

(articles 39 à 48) de la Charte québécoise, les victimes ne pourront pas invoquer celle-ci, car

les droits économiques et sociaux ne font l’objet d’aucune primauté sur la législation

ordinaire, dans la mesure où l’article 52 (la clause de primauté) ne s’applique qu’aux articles

1 à 38. Par conséquent, les droits économiques et sociaux ne sont pas habituellement

sanctionnables par les tribunaux à l’encontre du législateur. D’ailleurs, bon nombre d’entre

eux ne sont expressément garantis que « dans la mesure prévue par la loi ». Cependant, si la

violation d’un droit économique ou social est discriminatoire et si la distinction est fondée sur

l’un des motifs prohibés à l’article 10, celui-ci pourra être invoqué avec succès. Parmi les

droits économiques et sociaux figurent le droit à l’instruction publique gratuite (article 40), le

droit des parents d’exiger que, dans les établissements d’enseignement publics, leurs enfants

reçoivent un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions (article 41) et leur

droit de choisir pour leurs enfants des établissements d’enseignement privés (article 42).

Toute discrimination se produisant dans le champ d’exercice de l’un de ces trois droits pourra

donc être attaquée sur la base de l’article 10 de la Charte québécoise.

Compte tenu des différences qui viennent d’être mentionnées entre l’article 10 de la

Charte québécoise et l’article 15(1) de la Charte canadienne, quatre éléments constitutifs

doivent être réunis pour qu’il y ait discrimination, les trois premiers communs aux deux

chartes, le quatrième différent pour chacune d’elles.

Le premier élément constitutif de la discrimination, au sens des deux chartes, consiste en

une distinction, exclusion ou préférence directement et visiblement inscrite dans une norme,

une règle, une politique ou une pratique (discrimination directe) ou découlant des effets

concrets d’une norme, d’une règle, d’une politique ou d’une pratique apparemment neutre et

qui vise dans les mêmes termes tous ceux auxquels elle s’applique (discrimination indirecte).

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Le deuxième élément constitutif est le lien que doit présenter la distinction de traitement

avec un motif illicite. La personne qui se plaint de discrimination doit établir qu’il existe un

lien de cause à effet entre le motif de distinction illicite et la distinction de traitement dont

elle se considère comme victime. Il n’est cependant pas nécessaire que ce motif ait été la

seule cause de la différence de traitement; il suffit qu’il y ait véritablement contribué. Dans le

cas de la Charte québécoise, la distinction de traitement doit impérativement être fondée sur

un des motifs mentionnés dans l’article 10. Dans le cas de la Charte canadienne, il doit s’agir

d’un des motifs mentionnés ou d’un motif « analogue ». Encore une fois, la religion est

expressément mentionnée dans les dispositions antidiscriminatoires des deux chartes.

Le troisième élément constitutif est le préjudice matériel ou moral sérieux que la

distinction de traitement doit causer à un individu ou à un groupe d’individus, alors qu’il n’est

pas imposé à d’autres.

Enfin, dans le cadre de la Charte québécoise, la distinction de traitement incriminée doit

être effectuée lors de certaines activités (mentionnées aux articles 10.1 à 19) ou encore à

l’occasion de l’exercice des autres droits ou libertés garantis par la Charte. Cet élément,

propre à la Charte québécoise, n’intervient pas pour la Charte canadienne.

Par ailleurs, dans le cadre de la Charte canadienne, un quatrième élément constitutif doit

être ajouté. Il consiste en une atteinte à la dignité humaine essentielle du requérant, l’atteinte

étant prouvée par le fait que la norme attaquée repose sur des préjugés ou des stéréotypes à

l’égard du groupe ou de la catégorie dont le requérant fait partie16. En règle générale, une

mesure porte atteinte à la dignité humaine lorsqu’elle « perpétue ou favorise l’opinion que

l’individu concerné est moins capable, ou moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant

qu’être humain ou que membre de la société canadienne17 ». Pour évaluer l’existence de ce

quatrième élément de la discrimination, le tribunal doit tenir compte de l’ensemble des

contextes social, politique et juridique dans lesquels l’allégation de discrimination est

formulée. De plus, comme la garantie d’égalité est un concept relatif, il importe que le test

soit appliqué dans une perspective « subjective-objective ». Ainsi, le juge ne doit pas évaluer

16 La nécessité de prouver ce quatrième élément, quelque peu nébuleux, a été rappelée dans l’affaire Law c. Canada

(ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au par. 39 : « […] le tribunal appelé à décider

s’il y a eu discrimination au sens du par. 15(1) devrait se poser les trois grandes questions suivantes.

Premièrement, la loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en

raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation

défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de

traitement réelle entre celui-ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques

personnelles? Si tel est le cas, il y a différence de traitement aux fins du par. 15(1). Deuxièmement, le demandeur

a-t-il subi un traitement différent en raison d’un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

Et, troisièmement, la différence de traitement était-elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l’objet

du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage

historique? Les deuxième et troisième questions servent à déterminer si la différence de traitement constitue de la

discrimination réelle au sens du par. 15(1). » Pour une analyse critique de l’exigence d’une atteinte à la dignité

humaine afin de pouvoir engager la protection de l’article 15 de la Charte canadienne, voir : Daniel PROULX,

« Les droits à l’égalité revus et corrigés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law : un pas en avant ou un

pas en arrière? », (2001) 61 Revue du Barreau 185.

17 Law, précité, par. 51.

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la situation en fonction de sa perspective personnelle ni en fonction du critère traditionnel de

la « personne raisonnable », mais bien en fonction « de la perspective d’une personne qui se

trouve dans une situation semblable à celle du demandeur et qui prend en considération de

façon rationnelle les divers facteurs contextuels servant à déterminer si la loi contestée porte

atteinte à la dignité humaine18 ».

2. - L’obligation d’accommodement fondé sur le droit à l’égalité

Le premier fondement juridique de l’obligation d’accommodement raisonnable est le

principe d’égalité et l’obligation s’applique habituellement dans les cas de discrimination

indirecte. Elle n’a pas à être prévue expressément par le législateur, car elle fait partie

intégrante du concept même d’égalité. C’est ce qu’illustre la première décision, l’affaire

O’Malley19, dans laquelle la Cour suprême a reconnu l’existence de l’obligation

d’accommodement, la faisant découler du Code des droits de la personne de l’Ontario20, qui,

à l’époque, ne la prévoyait pas expressément.

Dans une décision postérieure, l’affaire Bergevin21, la Cour suprême a clairement

réaffirmé que l’obligation d’accommodement raisonnable découle du principe d’égalité,

prévu en l’espèce à l’article 10 de la Charte québécoise, selon lequel il y a discrimination

« lorsqu’une [...] distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de

compromettre ce droit ».

L’obligation d’accommodement raisonnable apparaît le plus souvent dans des cas de

discrimination indirecte ou discrimination « par suite d’un effet préjudiciable ». Une norme

directement discriminatoire sera invalidée ou annulée, à moins qu’elle puisse être considérée

comme raisonnable (ou, en matière de relations de travail, qu’il s’agisse d’une « exigence

professionnelle justifiée »). Par contre, une norme ou une politique indirectement

discriminatoire sera le plus souvent considérée comme raisonnable et justifiée, si bien qu’il

n’y aura pas de raisons de l’annuler. Le corollaire de l’interdiction de la discrimination

indirecte consiste plutôt en une « obligation d’accommodement » (ou d’adaptation), c’est-à-

dire un devoir pour celui qui est à l’origine de la discrimination de prendre tous les moyens

raisonnables pour soustraire les victimes de la discrimination indirecte aux effets de celle-ci,

en adaptant ses règles ou ses normes à leur situation particulière. Autrement dit, l’obligation

d’accommodement oblige dans certains cas l’État ou les personnes ou entreprises privées à

18 Law, précité, par. 61.

19 Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears-Limited et autres, [1985] 2 R.C.S. 536.

Dans cette affaire, la Cour a jugé que la plaignante, Mme

O’Malley, dont la religion prescrivait l’observance

stricte du sabbat à partir du coucher du soleil le vendredi jusqu’au coucher du soleil le samedi, était victime de

discrimination indirecte fondée sur la religion du fait que son employeur insistait pour la faire travailler le

vendredi soir et le samedi et que ce dernier ne s’était pas acquitté de son obligation, soit de lui offrir un

accommodement raisonnable en modifiant ses horaires de travail, soit de démontrer qu’un tel arrangement

entraînerait pour lui une contrainte excessive.

20 L.R.O. 1980, c. 340. Depuis cette époque, le Code ontarien a été modifié à quelques reprises. En vertu de

modifications qui lui ont été apportées en 1986, il prévoit désormais l’obligation d’accommodement raisonnable

de façon expresse; voir Code des droits de la personne, L.R.O 1990, c. H-19, art. 11 et 24.

21 Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525.

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11

modifier des normes, des pratiques ou des politiques légitimes et justifiées, qui s’appliquent

sans distinction à tous, pour tenir compte des besoins particuliers de certaines minorités,

notamment les minorités religieuses.

La Cour suprême a mis fin en 1999 à une controverse doctrinale et jurisprudentielle qui

durait depuis une quinzaine d’années pour ce qui est de savoir s’il pouvait également y avoir

obligation d’accommodement raisonnable dans certains cas de discrimination directe. Par

exemple, lorsqu’une politique d’emploi est ouvertement fondée sur un motif prohibé de

distinction (par exemple, la retraite obligatoire à un certain âge), mais que l’employeur

réussit à démontrer qu’il s’agit, aux termes de la loi, d’une « exigence professionnelle

justifiée » (bona fide occupational requirement), celui-ci se trouve-t-il dès lors dégagé de

toute obligation ou doit-il néanmoins s’efforcer d’accommoder les employés touchés par la

politique en cause? La Cour a finalement retenu la deuxième solution, mettant ainsi fin, pour

ce qui est de l’existence de l’obligation d’accommodement, à la distinction entre

discrimination directe et discrimination indirecte22. Cette controverse avait de toute façon

peu d’intérêt pour le sujet qui nous intéresse, car, dans l’immense majorité des situations où

il y a discrimination fondée sur la religion, celle-ci est indirecte et provient du fait que des

règles neutres, applicables à tous, entraînent des effets défavorables pour certaines personnes

à cause de leur religion. La discrimination directe fondée sur la religion est aujourd’hui très

rare, car elle heurterait de front les valeurs affirmées dans les chartes canadienne et

québécoise23. 22 Colombie-Britannique (Public Service Employees Relations Commission) c. BCGEU, [1999] 3 R.C.S. 3, 32;

Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights),

[1999] 3 R.C.S. 868, 880. Pour justifier une norme directement discriminatoire, en vertu d’une loi concernant les

droits de la personne, le défendeur doit prouver, entre autres, « que la norme est raisonnablement nécessaire à la

réalisation de son but ou objectif en ce sens que le défendeur ne peut pas composer avec les personnes qui ont les

mêmes caractéristiques que le demandeur sans que cela lui impose une contrainte excessive ».

23 Il en subsiste pourtant certains cas qui sont d’ailleurs expressément autorisés par les lois sur les droits de la

personne. Ainsi, celles-ci prévoient que la religion peut constituer une exigence professionnelle justifiée, par

exemple pour l’engagement des enseignants par une école religieuse privée. Dans un tel cas, si la condition liée à

la religion est considérée comme véritablement relative à l’accomplissement des fonctions, la discrimination sera

permise. De même, la plupart de ces lois autorisent les distinctions justifiées par le caractère charitable,

philantropique, religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif. Ces deux exceptions à

l’interdiction de la discrimination figurent à l’article 20 de la Charte québécoise, précitée : « Une distinction,

exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou justifiée par le caractère

charitable, philantropique, religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif ou qui est vouée

exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique est réputée non discriminatoire. » Dans l’arrêt Brossard (Ville)

c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, la Cour suprême a jugé qu’il fallait

interpréter le premier volet de l’article 20 (l’exception relative aux aptitudes ou qualités exigées de bonne foi

pour un emploi) de façon restrictive, puisqu’il supprime des droits qui autrement recevraient une interprétation

libérale. Par contre, la seconde exception (relative aux institutions sans but lucratif), tout en imposant des limites

aux droits de certains individus, confère des droits à certains groupes. En effet, elle est destinée à promouvoir le

droit de s’associer. Par conséquent, l’interprétation restrictive n’est pas indiquée dans ce cas. Dans cette affaire,

le juge Beetz s’exprime comme suit : « [...] l’art. 20 protège le droit de s’associer librement pour exprimer des

opinions particulières ou pour exercer des activités particulières. [...] Il est donc logique que les seuls à bénéficier

de la protection accordée par l’art. 20 soient les groupes pour qui le simple fait de s’associer entraîne une

discrimination fondée sur l’un des motifs énumérés à l’art. 10. » Selon Ghislain Otis et Christian Brunelle,

« [f]orce est de constater que l’école publique commune ne correspond pas à cette définition des institutions sans

but lucratif auxquelles la protection de l’article 20 est destinée ». Ils ajoutent : « Même l’école ayant un statut

confessionnel catholique ou protestant ne pourrait, à notre avis, prétendre que la seule raison d’être de son projet

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L’accommodement raisonnable devant être consenti aux victimes de la discrimination

indirecte peut prendre plusieurs formes, l’objectif étant de faire disparaître les inconvénients

que la règle en cause entraîne pour ces personnes. L’accommodement peut consister à

dispenser purement et simplement les intéressés de l’application de la règle contestée. Par

exemple, le règlement d’une école prohibant la possession d’armes par les élèves ou

interdisant le port de tout vêtement distinctif a un effet discriminatoire sur ceux qui sont

obligés par la religion d’avoir sur eux en permanence un poignard rituel (kirpan) ou de porter

le hidjab. À moins qu’on ne puisse démontrer qu’il s’agit d’une contrainte excessive,

l’accommodement consiste à prévoir un régime d’exception permettant aux sikhs de garder

leur poignard à l’école et aux musulmanes de porter le hidjab24. De même, la condition qui

exige des employés – des enseignants par exemple – qu’ils soient présents au travail certains

jours qui constituent pour eux des fêtes religieuses produit un effet discriminatoire à leur

égard. Afin de respecter l’obligation d’accommodement, les employeurs seront tenus de leur

permettre de prendre un jour de congé payé pour célébrer les fêtes en cause25.

L’accommodement peut aussi consister à mettre à la disposition des intéressés des

installations ou des avantages particuliers. Par exemple, la pratique de servir le même menu,

avec de la viande de porc, dans une prison, dans un hôpital ou dans la cafétéria d’une école

s’applique sans distinction, mais produit un effet discriminatoire sur les personnes de

religion juive ou musulmane. L’accommodement consistera à leur offrir des repas différents.

L’accommodement peut être imposé par un tribunal, mais il peut également être négocié

à l’amiable et volontairement consenti. Ainsi, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a

décidé de permettre aux sikhs de servir dans ses rangs en les dispensant de l’obligation de

porter le chapeau de feutre traditionnel et en les autorisant à porter plutôt leur turban (et

autres symboles religieux comme la barbe et le kirpan)26. De même, dans un avis du Conseil

éducatif est la recherche du bien-être des élèves de confession catholique ou protestante. » Pour ces auteurs,

seules les écoles privées devraient pouvoir se réclamer du deuxième volet de l’article 20; voir : Ghislain OTIS et

Christian BRUNELLE, « La Charte des droits et libertés de la personne et la tenue vestimentaire à l’école

publique », (1995) 36 Les Cahiers de Droit 599, 636-8. La jurisprudence sur l’application de cette disposition

aux écoles publiques est contradictoire. Voir, par exemple : Association A.D.G.Q. c. Commission des écoles

catholiques de Montréal, (1980) C.S. 93 (l’article 20 s’applique à une commission scolaire confessionnelle);

Corporation du Collège Notre-Dame du Sacré-Cœur c. Commission des droits de la personne du Québec, [1994]

R.J.Q. 1324 (C.S.) (la deuxième partie de l’article 20 ne s’applique qu’aux institutions privées, et ce, même

lorsqu’elles sont subventionnées par l’État).

24 À notre connaissance, le port du foulard islamique n’a pas encore donné lieu à une décision judiciaire ou

quasi judiciaire. Par contre, la Commission des droits de la personne du Québec a émis un document dans lequel

elle exprime l’opinion que l’application aux jeunes musulmanes qui désirent porter le foulard d’une règle

scolaire interdisant le port de vêtements susceptibles de marginaliser les élèves constituerait de la discrimination

indirecte : Le port du foulard islamique dans les écoles publiques. Aspects juridiques, par Me Pierre Bosset,

conseiller juridique, Direction de la recherche, Commission des droits de la personne du Québec, document

adopté à la 388e séance de la Commission, tenue le 21 décembre 1994, par sa résolution COM-388-6.1.3. Le

même texte a été publié de nouveau dans un document intitulé Le pluralisme religieux au Québec : un défi

d’éthique sociale, Commission des droits de la personne du Québec, document adopté à la 389e séance de la

Commission, tenue le 3 février 1995, par sa résolution COM-389-4.1, p. 43-51.

25 Voir, par exemple, les affaires Bergevin, précitée, et Simpsons Sears, précitée.

26 Dans Grant c. Canada (Procureur général), [1995] 1 C.F. 158, la Cour fédérale (Section de 1re

instance) a jugé

que les mesures prises par le commissaire de la GRC pour que les membres de celle-ci soient autorisés à porter

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des communautés culturelles et de l’immigration du Québec27, on donne l’exemple d’une

municipalité qui a décidé de réserver l’usage de la piscine municipale aux groupes

musulmans pendant une durée de trois heures par semaine, pendant laquelle les autres

usagers en sont exclus, afin de permettre à ces groupes de se baigner entre personnes du

même sexe uniquement. Les groupes en cause considéraient que leur religion les empêchait

de fréquenter une piscine ouverte en même temps aux personnes des deux sexes. En

août 1996, le Congrès juif du Canada est parvenu à une entente avec l’Office de la langue

française pour que les produits casher vendus à l’occasion de la Pâque juive soient dispensés

de l’obligation d’être étiquetés en français28.

Enfin, l’accommodement peut être recommandé par une commission des droits de la

personne, comme l’illustrent deux documents de la Commission des droits de la personne du

Québec recommandant l’accommodement, l’un pour le régime alimentaire des détenus de foi

hébraïque29, l’autre pour le port du hidjab30.

La très grande majorité des décisions jurisprudentielles qui portent sur l’obligation

d’accommodement raisonnable concernent des règles ou politiques adoptées par des

personnes ou des organismes privés ou publics (comme les écoles publiques) relativement

aux relations d’emploi, à la fourniture de biens ou de services, au logement ou encore à

l’accès à des lieux publics. Mais la question de l’accommodement ou de l’adaptation peut

également se soulever dans le domaine législatif et réglementaire, lorsqu’une loi ou un

règlement, tout en étant raisonnable et d’application neutre, entraîne une discrimination

indirecte fondée sur un motif illicite. Une première option consiste à invalider purement et

simplement le texte en cause. L’inconvénient est que la norme sera annulée à l’égard de tous,

alors que, par hypothèse, elle est raisonnable et justifiée et n’entraîne d’effets discriminatoires

qu’à l’égard d’un petit nombre de personnes. Une autre solution consiste alors en une

reformulation judiciaire de la norme contestée pour éliminer ses effets discriminatoires et

rétablir sa conformité avec les chartes. Cette « reformulation judiciaire », qui consiste à

adapter la norme aux exigences de la pratique religieuse de certaines personnes, peut prendre

différentes formes, qui sont bien connues en droit constitutionnel canadien, l’avantage étant

que la validité de la norme pourra être maintenue une fois celle-ci corrigée. Sur le plan des

principes constitutionnels, ces techniques sont cependant difficiles à concilier avec le principe

de la séparation des pouvoirs puisqu’elles amènent les tribunaux à exercer un véritable rôle de

« co-législateur ». Pour atténuer ce problème, les juges doivent faire preuve de retenue

judiciaire : le texte contesté, une fois reformulé par la Cour, doit demeurer suffisamment

des symboles religieux, tel le turban sikh, ne portent pas atteinte aux articles 2a), 7 et 15 de la Charte canadienne.

Appel rejeté par la Cour fédérale d’appel le 31 mai 1995 (A-368-94, juge Linden).

27 La gestion des conflits de normes par les organisations dans le contexte pluraliste de la société québécoise.

Principes de fond et de procédure pour guider la recherche d’accommodements raisonnables, avis présenté à la

ministre des Communautés culturelles et de l’Immigration, Conseil des communautés culturelles et de

l’immigration, juillet 1993, p. 63.

28 Charte de la langue française, L.R.Q., c. C-11, art. 51.

29 Le régime alimentaire des détenus de foi hébraïque : obligations des autorités carcérales, par Me Pierre Bosset,

conseiller juridique, Direction de la recherche, Commission des droits de la personne du Québec, document

adopté à la 358e séance de la Commission, tenue le 31 mai 1991, par sa résolution COM-358-8.1.2.

30 Le port du foulard islamique dans les écoles publiques. Aspects juridiques, précité.

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semblable au texte original pour qu’on puisse penser que le législateur l’aurait quand même

adopté. Si cette condition ne peut être remplie et que la reformulation judiciaire de la norme

indirectement discriminatoire n’est donc pas possible, celle-ci devra alors être invalidée.

3. - Les limites de l’obligation d’accommodement

Dans le cas des normes adoptées par des organismes privés ou publics relativement aux

relations d’emploi ou à la fourniture de biens ou de services, les limites de l’obligation

d’accommodement sont constituées par le caractère excessif de la contrainte, des

inconvénients ou des coûts qui seraient entraînés par l’accommodement recherché (la preuve

de ce caractère excessif étant à la charge de celui qui cherche à se soustraire à l’obligation

d’accommodement). Lorsque l’obligation s’impose au législateur ou à l’autorité

réglementaire, ses limites découleront de l’application des clauses limitatives des deux

chartes, soit l’article 1 de la Charte canadienne et l’article 9.1 de la Charte québécoise.

a) La défense de contrainte excessive

Selon la Cour suprême du Canada, en simplifiant quelque peu pour se défendre avec

succès contre une plainte de discrimination directe ou indirecte, un employeur ou un

fournisseur de biens ou de services (comme un hôpital, une école ou une commission

scolaire) doit démontrer, d’une part, que la condition d’emploi ou de fourniture de service

indirectement discriminatoire a un lien rationnel avec l’emploi ou le service en cause et,

d’autre part, qu’il s’est efforcé d’accommoder les employés ou les usagers victimes dans la

mesure où cela n’entraînerait pas de contrainte excessive pour lui31.

Si l’on peut démontrer que la norme qui entraîne une discrimination directe ou indirecte

à cause d’un motif illicite n’est pas raisonnablement liée à l’exercice des fonctions – en

matière de relations de travail – ou à la fourniture du bien ou du service, la sanction ne sera

pas l’accommodement raisonnable, mais plutôt l’invalidation de la norme en cause. Par

exemple, dans l’affaire Singh c. Royal Canadian Legion32, M. Singh, qui est sikh et dont la

femme travaille à la Légion, est informé des règlements de celle-ci qui interdisent d’avoir la

tête couverte dans ses locaux. En conséquence, il doit annuler sa participation à la fête de

Noël organisée par les collègues de sa femme. Il saisit la Commission des droits de la

personne d’une plainte de discrimination fondée sur la religion. Après avoir décidé qu’il y

31 Nous simplifions, pour les besoins de la cause, le critère unifié que la Cour suprême a dégagé dans les arrêts

Colombie-Britannique (Public Service Employees Relations Commission) c. BCGEU et Colombie-Britannique

(Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), précités.

Alors que son article 20 prévoit une défense d’exigences professionnelles justifiées en matière de relations

d’emploi (supra), la Charte québécoise ne contient aucune défense expresse de « motif justifiable » pouvant être

invoquée en matière de discrimination dans le domaine de la fourniture de biens et de services, contrairement à

d’autres instruments de protection des droits et libertés similaires. Il ne faudrait cependant pas conclure

qu’aucune défense n’est possible, du moins en cas de discrimination indirecte. En effet, le fondement juridique

de l’obligation d’accommodement raisonnable se trouve à l’article 10 de la Charte québécoise. Cette obligation

contient forcément sa propre limite, en quelque sorte intrinsèque, qui est précisément le caractère excessif de la

contrainte imposée par l’accommodement.

32 Singh c. Royal Canadian Legion, Jasper Place (Alta.), Branch No. 255, (1990) 11 C.H.R.R. D/357 (Bd. Inq.

Alta.).

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avait violation des droits du plaignant, la fête de Noël correspondant à un service offert au

public, le tribunal en arrive à la conclusion que les règlements de la Légion exigeant d’avoir

la tête découverte dans ses locaux ne sont pas raisonnables ni justifiés. Il ordonne donc

notamment à la Légion de modifier ses règlements en conséquence. D’autres exemples de

normes indirectement discriminatoires susceptibles d’être considérées comme

non rationnelles sont également imaginables. La politique d’une commission ou d’un

établissement scolaire consistant à interdire aux élèves le port de tout signe distinctif,

notamment mais pas exclusivement les signes et symboles religieux, pourrait s’avérer

vulnérable à l’application du critère de rationalité. Il n’est pas évident qu’une telle prohibition

soit raisonnablement liée au bon fonctionnement de l’enseignement public. Le fait que

certains établissements permettent le port de tels signes distinctifs, sans qu’apparemment leur

bonne marche ne soit mise en péril, pourrait servir à démontrer qu’une politique prohibitive

n’est pas nécessaire et repose sur des impressions non vérifiées et des généralisations

abusives plutôt que sur des faits réels33. Par contre, il sera beaucoup plus facile de démontrer

que la prohibition du port d’armes par les élèves, dans les établissements scolaires, constitue

une exigence raisonnablement liée au bon fonctionnement de l’enseignement public. Dans ce

cas, la politique pourra être maintenue, quitte à ce qu’il y ait accommodement raisonnable

pour ceux dont la religion exige qu’ils portent toujours un poignard rituel34.

Si la règle qui entraîne une discrimination indirecte est raisonnablement liée aux

nécessités de l’emploi ou aux impératifs de bonne gestion du service, elle pourra être

maintenue. L’obligation qui s’impose alors au fournisseur de biens ou de services ou à

l’employeur consiste à s’efforcer de s’entendre avec les personnes pénalisées par la règle afin

de trouver un arrangement tenant compte de leurs besoins légitimes. Selon la jurisprudence,

l’obligation d’accommodement et, par conséquent, le fardeau de la preuve reposent

initialement sur l’employeur ou sur le fournisseur de biens ou de services. C’est ce dernier qui

connaît le mieux son entreprise ou son service et sait donc ce qu’il est possible de faire pour

accommoder les victimes de discrimination. Par ailleurs, l’obligation de négocier de bonne

foi est réciproque dans la mesure où elle s’impose non seulement aux employeurs et aux

fournisseurs de biens ou de services, mais également aux demandeurs d’accommodement.

Ces derniers doivent coopérer et accepter tout arrangement raisonnable proposé, même s’il

n’est pas parfait.

Le caractère excessif de la contrainte constitue l’élément central de la défense en matière

d’accommodement raisonnable. Le titulaire de l’obligation doit, s’il veut l’écarter, démontrer 33 Dans son ouvrage La discrimination dans l’emploi : les moyens de défense, Cowansville, Éditions Yvon Blais,

1993, p. 73, le professeur Daniel Proulx mentionne une décision inédite (Singh c. Security and Investigations

Services, B.I. Ont.) qu’il résume de la façon suivante : « [...] la politique de la compagnie de gardiens de sécurité

exigeant le port de tous les éléments de l’uniforme, y compris la casquette, et le rasage de la barbe au détriment

des membres de la religion sikh, fut jugée non rationnelle par le Pr Cumming parce qu’elle reposait non pas sur

des faits objectifs, mais sur le préjugé que pour imposer le respect et la crainte aux citoyens, un gardien de

sécurité ou un policier doit s’abstenir de porter la barbe et doit endosser l’uniforme classique et connu pour ce

genre d’emploi, sans aucune possibilité de la moindre modification. » De la même façon, ne pourrait-on pas dire

que l’interdiction de tout signe distinctif religieux à l’école n’est pas rationnelle parce qu’elle ne repose pas sur

des faits objectifs, mais sur le préjugé que, pour former de bons citoyens et apprendre aux enfants le respect

mutuel, il faut supprimer les signes d’appartenance religieuse plutôt que de les laisser s’exprimer?

34 Voir, par exemple : Pandori c. Peel Bd. of Education, (1990) 12 C.H.R.R. D/364 (Bd. Inq. Ont.).

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que l’accommodement recherché lui causerait une contrainte excessive. Au Canada, la

jurisprudence considère qu’un employeur – ou un fournisseur de biens ou de services – ne

peut pas faire valoir la contrainte excessive à moins d’être en mesure de démontrer qu’il

devra prendre des mesures comportant des difficultés importantes ou nécessitant des frais

importants, soit un fardeau nettement excessif sur le plan économique ou administratif. Cela

signifie notamment que le caractère excessif de la contrainte devra être déterminé non pas en

termes absolus, mais en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment la

taille et les ressources de l’entreprise ou du fournisseur de services ainsi que l’importance des

enjeux en cause pour le demandeur. En outre, d’après la jurisprudence et la doctrine, celui qui

veut écarter une obligation d’accommodement en invoquant la contrainte excessive doit

démontrer les coûts et les autres conséquences indésirables de l’accommodement sur la base

de preuves factuelles et non à partir de simples hypothèses ou de spéculations théoriques.

Examinons à présent les facteurs de contrainte excessive susceptibles d’être invoqués. Il

s’agit principalement des coûts entraînés par l’accommodement recherché, de l’entrave à

l’exploitation de l’entreprise ou du service et, enfin, des droits d’autrui.

Dans le cas des entreprises ou des services publics, comme les écoles publiques et les

commissions scolaires, qui ne sont pas soumis à l’impératif de la rentabilité et dont le

financement repose – directement ou indirectement – sur les fonds publics, l’argument du

coût semble reçu avec moins de sympathie par les tribunaux que dans le cas d’une entreprise

privée, dont le fonctionnement obéit à la logique du profit. En effet, il est relativement facile

pour les tribunaux, dans le cas d’un organisme financé par le gouvernement, d’en arriver à la

conclusion que la dépense supplémentaire exigée par l’accommodement ne constitue qu’une

fraction minime du budget total de l’organisme concerné, voire du budget de l’État. En outre,

une telle attitude se justifie aisément par l’argument que les coûts supplémentaires seront

répartis sur la grande masse des contribuables et n’entraîneront, pour chacun d’eux, qu’une

dépense minime et, de toute façon, invisible. Cette tendance à considérer les dépenses

publiques comme extensibles rend évidemment beaucoup plus difficile la défense de

contrainte excessive fondée sur les coûts de l’accommodement réclamé.

On doit se demander si les demandeurs d’accommodement ne devraient pas assumer en

tout ou en partie les coûts supplémentaires occasionnés par les arrangements particuliers

qu’ils réclament. On constate que les organismes spécialisés dans la mise en œuvre des droits

de la personne ne rejettent pas complètement cette idée, mais qu’ils ont tendance à se montrer

assez peu exigeants à l’égard du demandeur d’accommodement et à considérer que, dans la

mesure du raisonnable, le surcoût devrait être réparti entre l’ensemble des contribuables ou

des usagers du service public en cause.

En matière de relations d’emploi, le deuxième grand facteur de contrainte excessive est

l’entrave à l’exploitation sûre et économique de l’entreprise. Dans le domaine des biens ou

des services, on parlera plutôt d’entrave au fonctionnement efficace du service. La règle qui

entraîne l’effet discriminatoire doit être nécessaire au fonctionnement efficace du service. Il

s’agit donc de déterminer si la règle peut être réaménagée pour éviter la discrimination, tout

en permettant l’exploitation de l’entreprise ou le fonctionnement du service de façon efficace

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et économique. Ainsi, par exemple, dans l’affaire Islamic Schools Federation of Ontario35, la

cour souligne que l’accommodement réclamé par les requérants, des parents musulmans, et

qui consisterait à faire de certains jours fériés musulmans des jours de congés scolaires aurait

pour effet, dans la mesure où il faudrait étendre cette même solution aux jours religieux des

autres confessions représentées dans les écoles, de créer des difficultés logistiques

insurmontables pour les écoles et la commission scolaire dans la confection du calendrier

scolaire. En effet, compte tenu de tous les jours fériés religieux à considérer (juifs,

musulmans, orthodoxes, etc.), il ne resterait pas assez de jours scolaires pour atteindre le

minimum prévu par la loi et considéré comme nécessaire pour des raisons pédagogiques. La

cour a par ailleurs souligné que les musulmans bénéficiaient déjà de certains

accommodements dans la mesure où la loi ontarienne prévoyait le droit à des absences

motivées pour les jours de fêtes religieuses et où les écoles prenaient soin de ne pas organiser

d’examens ou d’événements importants durant ces journées. Sans doute cet accommodement,

parce qu’il amenait les élèves musulmans à devoir s’absenter certains jours d’école, était-il

moins avantageux pour ces derniers qu’une fermeture pure et simple de l’école, mais cette

dernière solution aurait entraîné des complications excessives pour l’administration scolaire.

En matière de relations d’emploi, le troisième grand facteur de contrainte excessive

concerne les effets de l’accommodement recherché sur les droits des autres employés. Dans le

domaine de la fourniture de biens ou de services ou de l’accès aux lieux publics, on parlera

plutôt des effets de cet accommodement sur les droits des autres usagers de l’entreprise ou du

service, ou encore sur les droits de la population en général. Par exemple, dans l’affaire

Islamic Schools Federation of Ontario, mentionnée au paragraphe précédent, la cour s’est

également fondée, pour rejeter l’accommodement réclamé par les requérants, sur l’argument

que l’adoption de celui-ci aurait pour effet de priver les athées et les agnostiques du droit à un

calendrier scolaire dans lequel les jours de congé correspondent aux jours de repos

généralement observés dans l’ensemble de la société. Leur droit de bénéficier d’un calendrier

scolaire « raisonnable et pratique » serait sacrifié aux intérêts religieux des requérants36.

Un droit fondamental avec lequel les demandes d’accommodement fondées sur la

religion risquent d’entrer souvent en conflit est celui de l’égalité des femmes37. En effet, de

nombreuses religions contiennent des principes concernant, par exemple, la vie familiale, le

régime successoral, le statut des personnes ou le code vestimentaire qui sont incompatibles

avec l’égalité des sexes, dans la mesure où ils confinent la femme à un statut subordonné.

35 Islamic Schools Federation of Ontario c. Ottawa Board of Education, (1997) 145 D.L.R. (4th) 659 (Cour

divisionnaire de l’Ontario).

36 Islamic Schools Federation of Ontario c. Ottawa Board of Education, précité, par. 89.

37 La jurisprudence américaine offre des exemples intéressants dans le domaine scolaire. Dans Bollenbach v.

Monroe-Woodbury Cent. School Dist., 659 F. Supp. 1450 (S.D. N.Y. 1987), on a jugé que la décision de la

commission scolaire d’exclure les femmes comme chauffeurs d’autobus pour les circuits desservant les écoliers

masculins juifs hassidiques était contraire au Premier Amendement ainsi qu’au Civil Rights Act de 1964 (la

décision avait été prise pour accommoder l’exigence de séparation stricte des deux sexes faisant partie des règles

hassidiques). Dans Parents’ Association of P.S. 16 v. Quinones, 803 F. 2d 1235 (2d Circ. 1986), un projet de la

municipalité de mettre à la disposition des écolières juives hassidiques des locaux physiquement distincts, à

l’intérieur d’une école publique, et un corps professoral uniquement féminin a aussi été jugé contraire au Premier

Amendement.

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18

Lorsqu’une collectivité religieuse exige des adaptations à la législation civile ou aux

politiques d’organismes privés ou publics pour faire respecter ces pratiques et représentations

discriminatoires, l’accommodement recherché entrera en conflit avec le droit à l’égalité des

femmes. La solution à ce conflit de droits dépendra de différents facteurs dont l’importance

accordée à la pratique religieuse en cause, la gravité de la violation du droit à l’égalité et des

autres droits éventuellement atteints, l’existence d’un consentement éclairé de la part des

personnes dont les droits sont mis en cause et, enfin, l’effet de la solution adoptée sur la

société dans son ensemble. Ainsi, il est concevable que des femmes acceptent en toute liberté

de se soumettre au port du voile islamique et en retirent des avantages personnels importants

de nature psychologique et spirituelle. Il est par ailleurs fort possible qu’un grand nombre de

femmes appartenant aux collectivités religieuses en cause n’accepteront une telle pratique que

sous la pression – directe ou diffuse – de leur famille et de leur environnement social.

Cependant, l’interdiction du hidjab risque d’entraîner une crispation chez les parents

musulmans. Il est somme toute préférable que les jeunes musulmanes fréquentent l’école

publique en portant le voile plutôt que de fréquenter une école religieuse privée (la tolérance

du hidjab laisse donc la porte ouverte aux chances d’intégration qu’offre leur présence dans

l’école publique). En suscitant chez une collectivité minoritaire la crainte de perdre son

identité, on augmente les risques de la voir succomber à la tentation du fondamentalisme et de

l’intégrisme pour se défendre contre ce qu’elle percevra alors comme une pression

assimilationniste. Il vaut sans doute mieux accepter les pratiques traditionnelles, du moins

celles qui ne sont pas dangereuses pour l’intégrité physique et psychologique des personnes,

en espérant qu’elles permettront aux membres des minorités, tout en conservant le soutien de

leur milieu d’origine, d’amorcer leur intégration dans le milieu plus large de la société

d’accueil.

L’équilibrage, ou pondération, de toutes ces considérations, dans la mesure où il est

extrêmement difficile à réaliser, entraînera inévitablement des résultats imparfaits qui

provoqueront l’insatisfaction de certaines, voire de toutes, les parties concernées. En outre,

une telle pondération peut difficilement être réalisée dans l’abstrait; elle devra plutôt tenir

compte de toutes les variables des situations factuelles dans lesquelles le problème surgira.

Si les mesures d’accommodement accordées à certaines personnes ne doivent pas avoir

d’effet discriminatoire déraisonnable sur d’autres, le simple fait de prévoir un traitement

particulier pour les demandeurs d’accommodement ne constitue pas de la « discrimination à

rebours », si cette mesure est nécessaire pour éviter que ceux-ci ne soient pénalisés du fait de

leur appartenance à un groupe minoritaire. C’est ce qu’illustre le jugement de la Cour

suprême dans l’affaire Bergevin38. Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec, à la

majorité, avait considéré que le fait d’accorder à des enseignants juifs un congé payé d’une

journée pour leur permettre d’assister à la fête religieuse du Yom Kippour serait « de nature

à créer une discrimination à rebours » en obligeant les enseignants non visés par

l’accommodement à travailler un jour de plus. À la Cour suprême, ce point de vue a été

énergiquement rejeté. Le juge Cory a souligné que la convention collective prévoyait qu’un

enseignant pouvait s’absenter jusqu’à trois jours par an sans perte de traitement si cette

38 Précitée.

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absence était justifiée par un motif « valable »39. Qui plus est, il a relevé que, par le passé,

les absences rémunérées incluaient la célébration du Yom Kippour (ce qui, au demeurant,

démontrait que le remplacement et la rémunération des enseignants juifs absents ce jour-là

ne constituaient pas un fardeau déraisonnable pour l’employeur)40.

Comme le montrent les exemples mentionnés ci-dessus, le concept d’accommodement

raisonnable et les critères dégagés pour sa mise en œuvre, bien qu’ils puissent être exposés et

généralisés sur un plan théorique, font l’objet d’une application « casuistique » qui dépend

très étroitement des faits propres à chaque affaire. Par conséquent, les résultats dans un cas

particulier sont très difficilement prévisibles si l’on ne connaît pas tous les faits de façon

détaillée. Même s’ils sont connus, le pronostic reste ardu, car il est presque impossible de

prévoir l’importance que l’autorité décisionnelle attachera à chacun des faits pertinents. Cela

signifie également que, même s’il est possible de donner aux autorités scolaires sur le terrain

des balises relativement détaillées sur la façon de répondre aux demandes

d’accommodement, il est par contre impossible de leur fournir des solutions ou des

« recettes » facilement applicables. Les autorités concernées devront toujours appliquer ces

principes en tenant compte des circonstances particulières du milieu considéré et, à cette

occasion, prendre des décisions qui seront souvent délicates41.

b) L’application des clauses limitatives des deux chartes

Lorsque l’obligation d’accommodement s’impose au législateur ou à l’autorité

réglementaire, ses limites découlent de l’application des clauses limitatives des deux chartes,

soit l’article 1 de la Charte canadienne42 et l’article 9.1 de la Charte québécoise43.

i) L’article 1 de la Charte canadienne

La première condition posée par l’article premier de la Charte canadienne est que la

restriction doit être prescrite par une « règle de droit ». Selon la Cour suprême, cette

condition est remplie si la restriction est prévue expressément par une loi ou un règlement,

39 Ibid., 546-550 (j. Cory).

40 Ibid., 550 (j. Cory).

41 À ce sujet, voir : Marie McANDREW, Immigration et diversité à l’école. Le débat québécois dans une

perspective comparative, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2001, p. 139 : « Toutefois, pour le

personnel scolaire, ce qui semble poser problème, c’est le fait que le MEQ privilégie une approche cas par cas,

où leur expertise, leur professionnalisme et leur capacité d’analyse critique de chaque enjeu sont mis à l’épreuve.

Les intervenants se plaignent fréquemment que, déjà sollicités par de nombreux défis administratifs et

pédagogiques, ils ne sont pas suffisamment soutenus par des orientations claires [en italiques dans le texte]. C’est

une plainte qui, il faut bien le dire, paraît souvent relever de la nostalgie de recettes simples dans le domaine. »

42 L'article 1 de la Charte canadienne énonce :

« La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être

restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se

démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. »

43 L'article 9.1 de la Charte québécoise énonce :

« Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et

du bien-être général des citoyens du Québec. La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager

l’exercice. »

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ou si elle découle nécessairement des termes d’une loi ou d’un règlement, ou de ses

conditions d’application. La restriction peut aussi résulter de l’application d’une règle de

common law.

Ensuite, pour repousser l’obligation d’accommodement, il faut démontrer que

l’application intégrale de la norme, sans les exceptions réclamées par le demandeur, est

nécessaire pour atteindre un objectif législatif légitime et important. Plus précisément, sous

l’empire de l’article 1 de la Charte canadienne, en appliquant le test de l’arrêt Oakes44, il

faudra démontrer successivement que l’application entière de la norme constitue un moyen

rationnel d’atteindre l’objectif législatif; qu’il n’existe pas de moyens d’y parvenir qui soient

moins attentatoires aux droits en cause (critère de l’atteinte minimale); enfin, qu’il y a

proportionnalité entre les effets bénéfiques de la mesure et ses effets restrictifs45. En fait, le

critère de l’atteinte minimale, qui est au cœur du test de l’article 1, correspond en grande

partie, pour ce qui est des concepts, à la défense de contrainte excessive qui permet de

s’opposer à l’obligation d’accommodement raisonnable dans le cadre des lois sur les droits

de la personne. C’est ce qui ressort très clairement du jugement de la Cour suprême dans

l’affaire Edwards Books46, où l’application du critère de l’atteinte minimale amène la Cour à

se demander si le législateur ontarien, en interdisant l’ouverture des magasins le dimanche et

en prévoyant certaines exceptions pour ceux qui ferment déjà le samedi, a suffisamment fait

d’efforts pour accommoder les commerçants qui, pour des raisons religieuses, doivent

respecter un jour de repos autre que le dimanche47.

ii) L’article 9.1 de la Charte québécoise

Dans le cas de la Charte québécoise, si l’accommodement raisonnable est réclamé en

vertu de la liberté de religion garantie à l’article 3, on appliquera la clause limitative

contenue à l’article 9.1. La Cour suprême a jugé, dans l’arrêt Ford48, qu’elle doit être mise

en œuvre selon les mêmes critères que l’article 1 de la Charte canadienne49. Les choses

seront cependant plus compliquées si l’accommodement raisonnable est réclamé en vertu de

l’article 10 de la Charte québécoise, qui interdit la discrimination, notamment celle fondée

sur la religion, dans un certain nombre de domaines d’activités ainsi que dans l’exercice des

44 R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

45 Pour une analyse de ce test et de son évolution subséquente, en particulier dans l’arrêt Edwards Books, précité,

note 8, voir : José WOEHRLING, « L’article 1 de la Charte canadienne et la problématique des restrictions aux

droits et libertés : l’état de la jurisprudence de la Cour suprême », dans Droits de la personne : l’émergence de

droits nouveaux – Aspects canadiens et européens (Actes des Journées strasbourgeoises de l’Institut canadien

d’études juridiques supérieures, 1992) Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1993.

46 Edwards Books, précité.

47 Ibid., 772 suiv. (j. en chef Dickson). Dans l’affaire Eldridge c. Colombie-Britannique (P.G.), [1997] 3 R.C.S.

624, aux p. 681-682, le Juge La Forest, pour la Cour, a souligné que, dans les cas où l’article 15(1) de la Charte

canadienne (supra note 1) s’applique, il était préférable d’examiner la défense de contrainte excessive dans le

cadre de l’analyse fondée sur l’article premier. Il a ajouté que, « [d]ans ce contexte, le principe des

accommodements raisonnables équivaut généralement au concept des “limites raisonnables” ».

48 Ford c. P.G. Québec, [1988] 2 R.C.S. 712.

49 Ibid., 770-771 (la Cour).

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autres droits et libertés contenus dans la Charte. En effet, l’article 9.1 ne vise que les

dispositions qui le précèdent et ne s’applique pas à l’article 1050.

Dans la mesure où la Charte québécoise interdit la discrimination découlant de certains

agissements de personnes privées ou d’organismes étatiques, les seules exceptions à cette

prohibition sont celles expressément prévues aux articles 14, 18, 19 et 20. Le problème est

plus complexe en ce qui concerne l’application de l’article 10 à l’activité normative du

législateur. D’une part, comme il vient d’être mentionné, l’article 9.1 ne vise pas l’article 10;

d’autre part, celui-ci ne contient qu’une seule disposition limitative susceptible d’être

invoquée par le législateur, qui concerne l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge

« sauf dans la mesure prévue par la loi ». Il faut dès lors se demander si l’article 10 place le

législateur sous le coup d’une interdiction absolue d’adopter des distinctions fondées sur l’un

des treize autres critères prohibés, autrement dit si une loi contenant ou entraînant une telle

distinction n’est en aucun cas susceptible de justification.

La doctrine est divisée sur cette question délicate et les réponses apportées jusqu’à

présent par la Cour suprême ne sont pas libres de toute ambiguïté. En fait, le problème se

pose différemment selon que l’article 10 est appliqué en conjonction avec un droit soumis à

une disposition limitative spécifique51 ou à l’article 9.1, ou avec un droit qui n’est soumis à

aucune disposition limitative.

Depuis l’arrêt Devine52, la situation semble relativement claire pour ce qui est de

l’application de l’article 10 en conjonction avec les articles 1 à 9 de la Charte québécoise,

auxquels s’applique l’article 9.1, ou avec un des articles qui contiennent une clause

limitative spécifique. En effet, étant donné que ces articles sont soumis à une disposition

limitative, les droits et libertés qu’ils garantissent peuvent être restreints par le législateur de

façon raisonnable et, par conséquent, le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et

l’exercice de ces droits est lui-même susceptible d’être relativisé de façon indirecte. En

d’autres termes, selon la Cour suprême, l’article 10 garantit le droit à l’égalité dans la

reconnaissance et l’exercice des droits et libertés prévus aux articles 1 à 9, notamment la

liberté de religion garantie à l’article 3, en tenant compte des limites raisonnables que peut

leur apporter le législateur.

50 Ibid., 781 (la Cour).

51 Mise à part la disposition limitative de l’article 9.1, les droits ou libertés garantis dans une douzaine d’articles de

la Charte québécoise, précitée, sont assortis de limites particulières. Ces dispositions limitatives spécifiques se

rangent en deux catégories, selon qu’elles confèrent au législateur une autorité discrétionnaire pour restreindre

les droits et libertés ou qu’elles énoncent un standard limitatif demandant à être appliqué par les tribunaux. Dans

la première catégorie, on peut, par exemple, ranger l’article 6, qui garantit le droit à la jouissance paisible et à la

libre disposition des biens, « sauf dans la mesure prévue par la loi », ou l’article 9, en vertu duquel une

« disposition expresse de la loi » peut autoriser les personnes tenues au secret professionnel à divulguer les

renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession. Dans la deuxième

catégorie, on trouve notamment l’article 2, qui dispose que tout être humain dont la vie est en péril a droit au

secours. Toute personne doit porter secours à celui dont la vie est en péril, « à moins d’un risque pour elle ou

pour les tiers ou d’un autre motif raisonnable ». De même, l’article 24.1 prévoit que nul ne peut faire l’objet de

saisies, de perquisitions ou de fouilles « abusives ». Dans ces deux cas, par conséquent, le caractère raisonnable

de la restriction au droit ou à la liberté en cause devra être apprécié par les tribunaux.

52 Devine c. P.G. Québec, [1988] 2 R.C.S. 790.

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Pour ce qui est des cas de combinaison de l’article 10 avec les autres dispositions de la

Charte québécoise qui ne contiennent aucune clause limitative spécifique et qui ne sont pas

davantage soumises à la disposition limitative de l’article 9.1, la question est plus complexe.

Toutefois, elle nous intéresse moins ici puisque, comme nous venons de le constater, la

combinaison du droit à l’égalité avec la liberté de religion relève de la catégorie précédente.

Soulignons simplement que la jurisprudence de la Cour suprême53 – bien qu’elle ne soit pas

tout à fait claire sur la question –, approuvée par la doctrine majoritaire, semble indiquer que,

lorsque l’article 10 est invoqué contre des actes de puissance publique (par opposition aux

actes de nature privée), dont au premier chef les lois et les règlements, les tribunaux doivent

appliquer « un critère général de raisonnabilité, selon lequel il faut se demander si la

distinction, exclusion ou préférence est arbitraire54 ». En pratique, il faudrait donc, dans ces

cas, appliquer une disposition limitative « non écrite », inspirée de celle contenue dans

l’article 9.1 de la Charte québécoise.

C. - La liberté de conscience et de religion

Comme nous l’avons déjà souligné, les dispositions de la Charte canadienne et de la

Charte québécoise relatives à la liberté de conscience et de religion ne présentent pas de

différences significatives. La jurisprudence et la doctrine portent principalement sur

l’article 2a) de la Charte canadienne. Les enseignements susceptibles d’en être tirés peuvent

néanmoins être appliqués à l’article 3 de la Charte québécoise.

1. - Les éléments constitutifs de la liberté de religion : le droit au libre exercice et

l’obligation de neutralité de l’État en matière religieuse (ou principe de « laïcité »)

La liberté de conscience et de religion est garantie dans les chartes canadienne et

québécoise de façon lapidaire, sans énonciation de ses éléments constitutifs. Dans l’affaire

Big M Drug Mart55, où la Cour suprême avait pour la première fois l’occasion d’interpréter

l’article 2a) de la Charte canadienne, la compagnie requérante contestait la validité de la Loi

sur le dimanche56 (fédérale), qui imposait la fermeture des magasins le dimanche pour des

raisons d’observance religieuse. Parlant au nom de la Cour, le juge Dickson s’est

manifestement inspiré de la formulation de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits

civils et politiques57 pour définir de la façon suivante les composantes de la liberté de

conscience et de religion (l’importance de ce passage justifie une longue citation) : 53 Forget c. P.G. Québec, [1988] 2 R.C.S. 90, 102-104 (j. Lamer).

54 Henri BRUN et Guy TREMBLAY, Droit constitutionnel, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1990,

p. 958-959. Pour les auteurs, ce critère général de raisonnabilité peut être tiré de l’interprétation du deuxième

alinéa de l’article 10 de la Charte québécoise, précitée, qui énonce : « Il y a discrimination lorsqu’une telle

distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. » Voir également la

3e édition du même ouvrage (1997), à la p. 1079.

55 Précité.

56 S.R.C. 1970, c. L-13.

57 (1976) 999 R.T.N.U. 187; entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976; reproduit dans William A.

SCHABAS et Daniel TURP, Droit international, canadien et québécois des droits et libertés : notes et

documents, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1994, p. 13 et suiv.

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Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l’on veut en

matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte

d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en

pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie

beaucoup plus que cela.

La liberté peut se caractériser essentiellement par l’absence de coercition ou de contrainte. Si une

personne est astreinte par l’État ou par la volonté d’autrui à une conduite que, sans cela, elle n’aurait pas

choisi d’adopter, cette personne n’agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu’elle est vraiment

libre. L’un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la

coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par

exemple, sous forme d’ordres directs d’agir ou de s’abstenir d’agir sous peine de sanction, mais

également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités

d’action d’autrui. La liberté au sens large comporte l’absence de coercition et de contrainte et le droit de

manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont

nécessaires pour préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits

fondamentaux d’autrui, nul ne peut être forcé d’agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.

Une majorité religieuse, ou l’État à sa demande, ne peut, pour des motifs religieux, imposer sa propre

conception de ce qui est bon et vrai aux citoyens qui ne partagent pas le même point de vue. La Charte

protège les minorités religieuses contre la menace de « tyrannie de la majorité ».

Dans la mesure où elle astreint l’ensemble de la population à un idéal sectaire chrétien, la Loi sur le

dimanche exerce une forme de coercition contraire à l’esprit de la Charte et à la dignité de tous les non-

chrétiens. En retenant les prescriptions de la foi chrétienne, la Loi crée un climat hostile aux Canadiens

non chrétiens et paraît en outre discriminatoire à leur égard. Elle fait appel à des valeurs religieuses

enracinées dans la moralité chrétienne et les transforme, grâce au pouvoir de l’État, en droit positif

applicable aux croyants comme aux incroyants. Le contenu théologique de la Loi est un rappel subtil et

constant aux minorités religieuses canadiennes des différences qui les séparent de la culture religieuse

dominante.

Pour des motifs religieux, on interdit aux non-chrétiens d’exercer des activités par ailleurs légales,

morales et normales. L’État exige de tous qu’ils se souviennent du jour du Seigneur des chrétiens et qu’ils

le sanctifient. Or, protéger une religion sans accorder la même protection aux autres religions a pour effet

de créer une inégalité destructrice de la liberté de religion dans la société58.

Cette définition reconnaît deux composantes à la liberté de religion. En premier lieu,

nous constatons une liberté positive et négative d’exercice de la religion (ou « libre

exercice ») : le contenu positif correspond à la liberté d’avoir des croyances religieuses, de les

professer ouvertement et de les manifester par leur mise en pratique, par le culte et par leur

enseignement et leur propagation; le contenu négatif correspond au droit de ne pas être forcé,

directement ou indirectement, d’embrasser une conception religieuse ou d’agir contrairement

à ses croyances ou à sa conscience59.

58 Big M Drug Mart, précité, 336 et 337 (juge Dickson).

59 Quelques pages plus loin, le juge Dickson ajoutera : « La même protection s’applique, pour les mêmes motifs,

aux expressions et manifestations d’incroyance et au refus d’observer les pratiques religieuses » : Ibid., 347.

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En second lieu, la liberté de religion impose une obligation de neutralité (ou de

« laïcité ») à l’État en matière religieuse, c’est-à-dire l’empêche de privilégier ou de

défavoriser une religion par rapport aux autres. C’est manifestement ce que veut dire le juge

Dickson lorsqu’il affirme que « protéger une religion sans accorder la même protection aux

autres religions a pour effet de créer une inégalité destructrice de la liberté de religion dans la

société ». On a déjà souligné qu’au moment de l’arrêt Big M Drug Mart60, l’article 15 de la

Charte canadienne garantissant le droit à l’égalité sans discrimination fondée sur la religion

n’était pas encore en vigueur, si bien que l’inégalité naissant de l’absence de neutralité de

l’État dans cette affaire devait être considérée comme incompatible avec la liberté de religion

elle-même plutôt qu’avec le droit à l’égalité. Sans doute faut-il considérer, bien que le point

n’ait pas été directement abordé dans la décision, que la même neutralité s’impose à l’État

entre, d’une part, les convictions religieuses et, d’autre part, l’athéisme et l’agnosticisme, car

l’article 2a) protège au même titre la liberté de religion et la liberté de conscience. C’est en

tout cas la conclusion à laquelle sont arrivés les tribunaux américains sur le fondement du

Premier Amendement de la Constitution des États-Unis, lequel, contrairement à l’article 2a)

de la Charte canadienne, ne garantit pourtant expressément que la liberté de religion.

Les deux composantes de la liberté de religion mentionnées par le juge Dickson en sont

pour ainsi dire les éléments constitutifs naturels, en ce qu’elles découlent logiquement et

inévitablement de l’objet de cette liberté. Pour le libre exercice, cela est si évident qu’aucune

démonstration n’est nécessaire. Pour ce qui est de l’exigence de neutralité de l’État, sa

nécessité provient de ce qu’une intervention étatique volontaire en faveur d’une religion crée

une pression incompatible sur la liberté de religion de ceux dont la religion n’est pas

favorisée. On comprend donc que l’obligation de neutralité découle d’une certaine manière

du droit au libre exercice, puisque le fait pour l’État d’endosser une religion particulière a

pour effet de limiter le contenu négatif de la liberté d’exercice de ceux qui n’en sont pas les

fidèles. Le caractère inhérent de ces deux composantes est également attesté par le fait qu’on

les retrouve dans les systèmes juridiques et constitutionnels d’autres démocraties libérales,

avec, pour ce qui est du principe de neutralité, une formulation variable et un contenu qui

présente certains éléments constants, mais qui varie pour le reste d’un pays à l’autre en

fonction de l’expérience historique de chacun et de la situation concrète des diverses religions

qu’on y trouve. Ainsi, aux États-Unis, le Premier Amendement de la Constitution énonce la

liberté de religion sous la double forme d’une clause de libre exercice (free exercise clause) et

d’une clause de non-établissement (establishment clause), cette dernière jouant, avec

certaines différences, le rôle que joue au Canada le principe de neutralité énoncé par le juge

Dickson61. De même, en France, la liberté de religion contient le principe de laïcité, qui

constitue la forme française du principe de neutralité, et celui de la liberté des cultes, qui

correspond au libre exercice de la religion.

Dans l’affaire Big M Drug Mart62, le procureur général du Canada, dans le but de

défendre la validité de la Loi sur le dimanche, soulignait le fait qu’à la différence du Premier

60 Précité.

61 « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercice

thereof [...] ».

62 Précité.

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Amendement américain, l’article 2a) de la Charte canadienne ne contient pas de « clause de

non-établissement » expresse et prétendait qu’il fallait en conclure que la protection de la

liberté de religion, au Canada, ne vise que le libre exercice. Le juge Dickson lui répondit de la

façon suivante :

Selon moi, la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte ne dépend nullement de la

présence ou de l’absence dans la Constitution canadienne d’un « principe de non-établissement d’une

religion » qui ne peut qu’obscurcir davantage un domaine déjà compliqué du droit. Quant à l’acceptabilité

d’une loi ou d’une mesure gouvernementale qui pourrait être qualifiée de contribution de l’État en faveur

de la religion ou des activités religieuses, cette question devra être tranchée en fonction de chaque cas

particulier63.

Comme nous pouvons le constater, le juge Dickson évite de répondre directement à

l’argument. Il se contente d’affirmer que le principe de neutralité, dans la mesure où il est

reconnu, ne saurait être considéré comme absolu, pas plus d’ailleurs que n’importe quel autre

principe en matière de droits de la personne. Et de fait, ce relativisme est encore plus accentué

dans le cadre de la Constitution canadienne, en raison notamment de l’article 93 de la Loi

constitutionnelle de 186764, qui consacre certains droits confessionnels aux catholiques et aux

protestants en matière d’éducation65. Le principe de neutralité est donc probablement moins

rigoureux au Canada qu’aux États-Unis ou en France, mais la Cour suprême l’a néanmoins

consacré dans l’arrêt Big M Drug Mart66 en jugeant inconstitutionnelle la Loi sur le

dimanche parce qu’elle avait une visée religieuse et non laïque67. Il est vrai que la portée de

63 Big M Drug Mart, précité, 341 (juge Dickson).

64 Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Vict., R.-U., c. 3; L.R.C. (1985), App. II, n° 5.

65 Par contre, le membre de phrase du préambule de la Charte canadienne « Attendu que le Canada est fondé sur

des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu » n’a, jusqu’à présent, pas été considéré par les tribunaux

comme ayant véritablement de l’importance pour définir la nature des rapports entre l’État et les religions. Tout

au plus relève-t-on un obiter dictum peu convaincant dans une décision de la Cour fédérale voulant que la

mention de Dieu dans le préambule empêcherait, par exemple, le Canada de se proclamer un État officiellement

athée : O’Sullivan c. ministre du Revenu national, [1992] 1 C.F. 522, 536 (j. Muldoon). En doctrine, il existe un

consensus pour ce qui est de considérer que cette partie du préambule n’a qu’une valeur symbolique et qu’il n’en

découle pas d’effets juridiques réels. En tout cas, elle ne peut avoir pour effet de neutraliser ou de restreindre la

liberté de religion et de conscience garantie à l’article 2a) de la Charte.

66 Précité.

67 Dans le même sens, voir : Henri BRUN et Guy TREMBLAY, Droit constitutionnel, 3e édition, Cowansville,

Éditions Yvon Blais, 1997, p. 1009-1011. Ces auteurs parlent, à propos de l’obligation de neutralité de l’État en

matière religieuse, de principe de « la séparation de l’Église et de l’État ». Un autre auteur, le professeur Black,

souligne que, même s’il fallait conclure qu’aucune obligation de neutralité en matière religieuse ne découle de

l’article 2a) de la Charte, une telle obligation s’imposerait par ailleurs en vertu de l’article 15, qui prohibe les

distinctions discriminatoires fondées sur la religion; voir : William W. BLACK, « Religion and the Right of

Equality », dans A. F. BAYEFSKY et M. EBERTS (dir.), Equality Rights and the Canadian Charter of Rights

and Freedoms, Toronto, Carswell, 1985, p. 131, à la p. 170. Dans le même ordre d’idées, l’obligation de

neutralité de l’État en matière religieuse découle également, outre les articles 2a) et 15 de la Charte, de

l’article 27, qui porte sur le multiculturalisme. En effet, dans la mesure où la religion fait partie de la culture, le

respect du multiculturalisme est incompatible avec le fait de favoriser certaines religions par rapport à d’autres.

C’est ce qu’a reconnu le juge Dickson dans l’affaire Big M Drug Mart, précitée, aux p. 337 et 338 : « Je suis

d’accord avec l’argument de l’intimée qui porte que reconnaître au Parlement le droit d’imposer l’observance

universelle du jour de repos préféré par une religion ne concorde guère avec l’objectif de promouvoir le maintien

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26

cette décision est limitée puisqu’elle signifie essentiellement que l’État ne peut contraindre à

la pratique d’un culte par des mesures pénales68. Cependant, deux décisions postérieures de

la Cour d’appel de l’Ontario montrent que l’obligation de neutralité a également une

signification plus large, en particulier dans le domaine scolaire.

Dans l’affaire Zylberberg69, cette cour a jugé inconstitutionnel, car incompatible avec

l’article 2a) de la Charte canadienne, un règlement scolaire prévoyant la récitation de prières

chrétiennes à l’école publique non confessionnelle, et ce, malgré la possibilité pour les

parents qui le désiraient d’obtenir une exemption pour leurs enfants. La Cour a considéré que

le règlement exerçait une forme de pression indirecte sur les parents et les élèves en les

poussant à se conformer au comportement religieux majoritaire, ce qui, en pratique, les ferait

hésiter à réclamer le bénéfice de l’exemption.

Dans l’affaire Canadian Civil Liberties Association70, la Cour d’appel de l’Ontario a

jugé contraire à l’article 2a) de la Charte canadienne un règlement adopté en vertu de la loi

scolaire de l’Ontario et voulant que les élèves reçoivent un enseignement religieux dans les

écoles publiques, à moins que les parents ne demandent une exemption. La Cour a considéré

que les dispositions concernant l’exemption n’étaient pas de nature à sauver le règlement,

étant donné que la pression du conformisme pourrait dissuader certains parents de s’en

prévaloir par peur d’un stigmate social. La Cour a souligné la différence qu’il y avait entre,

d’une part, une éducation religieuse, qui vise un endoctrinement dans une religion donnée et

qui viole la liberté de religion, et, d’autre part, l’enseignement pluraliste des religions, qui est

constitutionnellement possible à l’école publique71.

Renvoyant à ces deux décisions de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Sopinka de la

Cour suprême du Canada affirmait dans l’affaire Adler72 que « [c]e caractère laïque [des

écoles publiques] est lui-même prescrit par l’al. 2a) de la Charte, comme l’ont statué

plusieurs tribunaux au Canada73 ». Autrement dit, la Charte impose que les écoles publiques

soient laïques (secular en anglais).

et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. Cela est donc contraire aux dispositions expresses

de l’art. 27 [...]. »

68 Ibid., 347 (juge Dickson).

69 Zylberberg c. Sudbury Board of Education, (1988) 65 O.R. (2d) 641 (Ont. C.A.), suivi dans Russow c. P.G. C.-

B., (1989) 35 B.C.L.R. (2d) 29 (C.S. C.-B.) et dans Manitoba Association for Rights and Liberties c. Manitoba,

(1992) 94 D.L.R. (4th) 678 (B.R. Man.).

70 Canadian Civil Liberties Association c. Ontario (Minister of Education), (1990) 71 O.R. (2d) 341; 65 D.L.R.

(4th) 1 (C.A. Ont.).

71 Pour d’autres décisions faisant appel au principe de neutralité de l’État en matière religieuse (parfois sous le nom

de principe de « laïcité »), voir notamment : Reed c. Canada, [1989] 3 C.F. 259 (Cour fédérale); confirmé en

appel le 7 mai 1990; autorisation de pourvoi devant la CSC refusée [1990] 2 R.C.S. x; O’Sullivan c. M.R.N.,

[1992] 1 C.F. 522 (Cour fédérale); Roach c. Canada (ministre d’État Multiculturalisme et Citoyenneté), (1992) 2

C.F. 173 (Cour fédérale); Ouaknine c. Elbilia, (1981) C.S. 32.

72 Précitée, 705 (j. Sopinka).

73 Il faut souligner que ces deux décisions ontariennes ne s’appliquent évidemment ni aux écoles privées ni aux

écoles publiques confessionnelles dont l’existence est protégée, dans les provinces où cette disposition s’applique

encore, par l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 (ou une de ses dispositions jumelles).

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27

Cette jurisprudence montre que, pour imposer à l’État une obligation de neutralité en

matière religieuse, les tribunaux peuvent soit se fonder sur un principe de neutralité ou de

laïcité reconnu en tant que tel, soit, lorsque, comme dans les chartes canadienne et

québécoise, un tel principe ne figure pas dans le texte constitutionnel, invoquer le droit au

libre exercice de la religion sous sa forme négative74. Dans le premier cas, toute forme

d’appui significatif de l’État à une religion pourrait être considérée comme interdite. Par

conséquent, l’obligation de neutralité fondée sur une norme constitutionnelle spécifique

tendra à être rigoureuse, comme le démontrent les exemples américain et français. Au

contraire, dans le deuxième cas, si l’on fait découler l’obligation de neutralité du droit au libre

exercice de la religion, il sera nécessaire de démontrer, pour contester un appui quelconque

apporté par l’État à une religion, qu’il a pour effet de créer une pression sociale ou

psychologique qui limite de façon significative la liberté d’exercice négative de ceux qui

n’adhèrent pas à cette religion. Or, toutes les formes d’appui étatique à une religion n’ont pas

cet effet, puisque certaines au contraire favorisent l’exercice de la liberté religieuse des uns

sans limiter celle des autres. Ainsi, par exemple, les tribunaux canadiens ont jugé que les

prières et l’enseignement confessionnel organisés par les autorités scolaires dans les écoles

publiques restreignaient de façon non justifiable la liberté de religion, même si une possibilité

de dispense était prévue, car le fait de devoir demander celle-ci risquait d’entraîner une

stigmatisation par les pairs et, par conséquent, une coercition indirecte sur les élèves et leurs

parents. Ici, par conséquent, l’obligation de laïcité entraîne la nécessité de mettre fin à cette

forme de manifestation religieuse, dans la mesure où celle-ci est le résultat d’une initiative

des autorités scolaires elles-mêmes. Par contre, les tribunaux canadiens ont également jugé

que la liberté de religion imposait une obligation d’accommodement, dans les écoles

publiques, en matière de congés scolaires et de port de signes religieux par exemple. Ici, par

conséquent, le principe de neutralité, ou laïcité, ne s’oppose pas à des manifestations

religieuses à l’école, dans la mesure où celles-ci résultent de l’initiative des élèves eux-

mêmes et constituent une forme d’exercice de leur liberté religieuse75. Autrement dit, la

74 Même aux États-Unis, où le Premier Amendement contient une clause expresse de non-établissement, que les

tribunaux invoquent pour fonder l’obligation de neutralité de l’État en matière religieuse, certains auteurs

considèrent qu’ils pourraient également faire découler cette même obligation de la clause de libre exercice (voir

Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, 5th Student Edition, Scarborough, Carswell, 1997, p. 810). De

façon plus générale, la doctrine et la jurisprudence américaine admettent qu’il existe certains chevauchements

entre la clause de libre exercice et la clause de non-établissement, certaines conséquences juridiques pouvant être

considérées comme découlant à la fois de l’une et de l’autre.

75 La différence entre le caractère strict du principe de « non-établissement » qui existe aux États-Unis et le

caractère plus relatif de l’obligation de neutralité religieuse qui découle de la liberté de conscience et de religion

au Canada est illustrée de la façon suivante par le professeur Hogg. Aux États-Unis, la clause de non-

établissement est considérée comme interdisant toute aide financière directe de l’État aux écoles

confessionnelles. Au Canada, les écoles confessionnelles protégées par l’article 93 de la Loi constitutionnelle de

1867 ont, au contraire, un droit constitutionnel au financement public. Quant aux écoles confessionnelles non

visées par cette disposition, le principe de neutralité religieuse découlant de la liberté de conscience et de religion

n’interdirait pas à l’État de les aider financièrement, à condition qu’il le fasse sans privilégier ni défavoriser

aucune religion par rapport aux autres. Selon ce point de vue, le principe strict de non-établissement, tel qu’il

s’applique aux États-Unis, prohiberait toute aide étatique à la religion, même dispensée de façon égalitaire, alors

que le principe de neutralité (ou laïcité) découlant du libre exercice ne prohiberait que les formes d’aide à une ou

plusieurs religions qui seraient discriminatoires ou entraîneraient une contrainte directe ou indirecte sur ceux qui

n’y adhèrent pas; voir : P. W. HOGG, précité, p. 810-811; voir aussi Robert A. SEDLER, « The Constitutional

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neutralité religieuse s’impose à l’État et aux autorités publiques, mais elle ne s’impose pas

aux individus.

En fait, comme le montre le droit comparé, différentes formes de neutralité de l’État en

matière de religion – ou de laïcité – sont imaginables, depuis une neutralité stricte et hostile

consistant à s’abstenir de toute forme d’assistance à l’égard de toutes les religions jusqu’à une

neutralité « bienveillante » qui amène l’État à favoriser l’exercice des diverses religions sur

un pied d’égalité. La neutralité, dans son sens le plus fondamental, subsiste tant que l’État se

comporte de la même façon à l’égard de toutes les religions et qu’il n’en privilégie ou n’en

défavorise aucune par rapport aux autres, de même qu’il ne privilégie ou ne défavorise pas les

convictions religieuses par rapport aux convictions athées ou agnostiques, ou vice-versa.

La mise en pratique d’une neutralité ou laïcité rigide et négative, interprétée comme

exigeant l’exclusion de la religion de la sphère publique (notamment des écoles publiques)

entrerait évidemment en conflit avec l’idée qu’il faut adapter les normes ou les politiques

publiques aux exigences d’une religion, car cela revient à favoriser l’exercice de celle-ci76.

Par contre, un concept de laïcité ouverte et tolérante, laissant s’exprimer les convictions

religieuses sous réserve qu’elles ne nuissent pas à autrui, est parfaitement compatible avec

l’idée d’accommodement. Or, comme nous le verrons plus loin, même en France et aux États-

Unis, où le concept de neutralité religieuse de l’État est inscrit expressément dans la

Constitution et où son interprétation tend traditionnellement à être négative plutôt que

positive, on ne considère pas que la neutralité s’oppose à certains accommodements ou

adaptations adoptés pour favoriser la pratique religieuse, notamment à l’école publique. La

même position devrait s’imposer avec encore plus de force au Canada à cause du caractère

non explicite du principe de neutralité, de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de

l’histoire des rapports entre l’État et les Églises77. Quant au Québec, la présence dans la

Protection of Freedom of Religion, Expression and Association in Canada and the United States: A Comparative

Analysis », (1988) 20 Case Western J. of Int. L., 577, 584 : « In any event, because of the absence of a non-

establishment component in section 2a), the government is not required to be neutral toward religion.

Governmental practices that favor religion over non-religion or that favor one religion over another religion, are

not as such violative of section 2a). It is only where the governmental action has the action of imposing

“coercive burdens on the exercice of religious beliefs” that it may be found violative of section 2a) » (mais, faut-

il ajouter, la préférence accordée à certaines religions, même si elle n’entraîne aucune contrainte, serait contraire

à l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion, du moins quand il y a un désavantage pour les

adhérents des religions autres que celles favorisées). Dans Big M Drug Mart, précité, aux p. 340 et 341, le juge

Dickson laisse expressément ouverte la question de savoir si la Charte canadienne permet à l’État de soutenir

financièrement des institutions religieuses autres que celles visées par l’article 93 de la Loi constitutionnelle de

1867. La question n’a pas davantage été tranchée dans Adler c. Ontario, précité, où la Cour suprême a par contre

décidé que la Charte canadienne n’obligeait pas l’État à fournir un tel soutien financier.

76 D’un point de vue tactique et rhétorique, un tel raisonnement serait tentant pour qui voudrait s’opposer à

certaines formes d’accommodement, par exemple au port des signes religieux dans certains espaces publics

comme les écoles publiques. En effet, le refus de telles pratiques pourrait alors se faire au nom de la liberté de

religion elle-même, comprise comme exigeant la neutralité de l’État en matière religieuse, plutôt qu’en invoquant

des considérations moins « sympathiques » comme les nécessités de la discipline scolaire ou du maintien de

l’ordre public.

77 Les professeurs Brun et Tremblay, précité, p. 1010, Hogg, précité, p. 811, Black, loc. cit., 165 et Irwin COTLER,

« Freedom of Conscience and Religion », dans G. A. BEAUDOIN et E. RATUSHNY (dir.), The Canadian

Charter of Rights and Freedoms, 2e éd., Toronto, Carswell, 1989, p. 165, p. 166, à la p. 201, insistent tous pour

dire que le principe de neutralité, dans la mesure où il est reconnu au Canada, doit être considéré comme moins

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Charte québécoise d’un article 41 qui prévoit que « [l]es parents ou les personnes qui en

tiennent lieu ont le droit d’exiger que, dans les établissements d’enseignement publics, leurs

enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions » et le fait

que l’on ait conservé jusqu’à aujourd’hui à l’école publique québécoise une forme

d’enseignement confessionnel catholique et protestant, même après la déconfessionnalisation

des commissions scolaires et des écoles, empêchent manifestement de prétendre qu’il

existerait un principe de laïcité rigoureux au point d’empêcher les accommodements destinés

à favoriser la pratique religieuse dans les écoles publiques. De fait, comme nous le verrons

maintenant, la jurisprudence des tribunaux canadiens a reconnu qu’une obligation

d’accommodement en matière religieuse découle de la liberté de religion (tout comme elle

découle également du droit à l’égalité et de l’interdiction de la discrimination fondée sur la

religion).

2. - L’obligation d’accommodement comme élément constitutif du droit au libre exercice

Dans les arrêts Big M Drug Mart78 et Edwards Books79, la Cour suprême a reconnu que,

lorsqu’une loi qui poursuit un objectif séculier valide entraîne néanmoins des effets restrictifs

sur la liberté de religion de certaines personnes, celles-ci ont le droit d’obtenir des

accommodements à condition que ces accommodements soient compatibles avec l’intérêt

public. L’accommodement sera refusé si le gouvernement réussit à démontrer qu’il est

nécessaire que la règle de droit en cause s’applique sans exception ou, comme dans l’affaire

Edwards Books80, sans exception supplémentaire à celles déjà prévues par le législateur.

Dans cette affaire, en Ontario, on contestait la validité de la Loi sur les jours fériés dans

le commerce de détail81, qui prohibait l’ouverture des commerces le dimanche. Les

exemptions prévues dans la Loi visaient uniquement les commerces de petite taille fermant le

samedi. Saisie de la même question avant la Cour suprême, la Cour d’appel de l’Ontario, dans

l’arrêt R. c. Videoflicks Ltd.82, était arrivée à la conclusion que la Loi restreignait la liberté de

religion des propriétaires de commerce de foi juive, qui ne pouvaient se prévaloir des

exceptions prévues dans la Loi et qui, pour se conformer sincèrement aux préceptes de leur

religion, n’ouvraient pas leur commerce le samedi. La Cour avait donc jugé que la Loi était

rigoureux que le principe de non-établissement aux États-Unis. Voir également Paul HORWITZ, « The Sources

and Limits of Freedom of Religion in a Liberal Democracy: Section 2(a) and Beyond », (1996) 54 University of

Toronto Faculty of Law Review 1, 60-61 : « [...] aid to religion should be constrained by only two considerations.

It must not create an “element of religious compulsion” on the part of any believers or non-believers in a given

faith. Also, while government aid may properly create the impression that the state is supportive of religion as it

is of other mediating institutions, it should not create the impression that it has singled out a particular faith, or

religiosity over non-religiosity, for endorsement. Endorsement, even if it does not compel behaviour on the part

of the minority, defeats the pluralism and multiculturalism that are a central part of religion’s value to society »

(notes infrapaginales omises).

78 Précité.

79 Précité.

80 Ibid.

81 L.R.O. 1980, c. 453.

82 R. c. Videoflicks Ltd., (1985) 14 D.L.R. (4th) 10 (C.A. Ont.).

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inopérante en ce qui les concernait, ce qui revenait à accorder à ces personnes une exemption

constitutionnelle à la Loi dans la mesure où celle-ci violait leur liberté de religion.

Cette décision de la Cour d’appel de l’Ontario a été renversée par la Cour suprême dans

l’arrêt Edwards Books83. À la majorité, la juge Wilson dissidente sur ce point, la Cour a jugé

la Loi valide sans ajouter d’exemptions à celles prévues par le législateur. La Cour commença

par reconnaître que l’objectif séculier de la Loi – procurer un jour de repos hebdomadaire

commun à tous les travailleurs – était valide. Cependant, par ses effets, la Loi restreignait la

liberté de religion de ceux qui observaient le sabbat en leur imposant un fardeau financier

supplémentaire puisqu’ils devaient fermer leur commerce un jour de plus que ceux qui

observaient le dimanche comme jour religieux. Ensuite, tout en reconnaissant que le

législateur ontarien était tenu d’accommoder, dans la mesure du possible, ceux dont la

religion les obligeait à fermer un autre jour que le dimanche, le juge en chef Dickson et les

juges Chouinard et Le Dain estimèrent que les exemptions déjà prévues dans la Loi

constituaient un accommodement suffisant et que l’addition d’exemptions supplémentaires

mettrait en danger l’efficacité des mesures législatives en cause (le juge La Forest

considérant, quant à lui, que la Loi serait valide même si elle ne contenait aucune exemption).

Au contraire, la Cour d’appel et la juge Wilson ont jugé que le législateur n’était pas allé

assez loin dans la voie de l’accommodement et qu’il aurait dû accorder l’exemption à tous les

commerçants qui ferment le samedi pour des raisons religieuses, quelle que soit la taille de

leur commerce. Notons que, par la suite, le législateur ontarien a, de sa propre initiative,

modifié la Loi pour pour étendre l’exemption sabbatique à tous les commerces, quelle que

soit leur taille, fermant un autre jour que le dimanche pour des raisons religieuses84.

Dans l’affaire Adler85, la juge L’Heureux-Dubé a conclu, dans une opinion dissidente il

est vrai, en s’appuyant notamment sur les motifs du juge Dickson dans l’arrêt Edwards

Books86, qu’un droit à l’accommodement en matière religieuse découlait autant de

l’article 2a) de la Charte canadienne que de l’article 1587.

En outre, la plupart des auteurs s’accordent à analyser l’arrêt Edwards Books88 comme

établissant que l’article 2a) de la Charte canadienne entraîne une obligation

d’accommodement raisonnable à la charge de l’État en faveur des personnes dont la liberté de

religion est restreinte par les effets d’une loi dont l’objectif est séculier et valide. Ainsi, le

professeur Hogg s’exprime comme suit :

The [...] Sunday-closing cases [...] establish that there is a constitutional obligation under s. 2a) to

accommodate those persons whose religion calls for observance of a sabbath other than Sunday. [...]

However, there are many other practices that have a religious compulsion for a minority religion, such as

83 Précité.

84 La loi ainsi modifiée fut à nouveau contestée, mais déclarée valide par la Cour d’appel de l’Ontario dans Peel

(Regional Municipality)c. Great Atlantic & Pacific Co. of Canada Ltd., (1991) 2 O.R. (3d) 65 (C.A. Ont.).

85 Précité.

86 Précité.

87 Précité, 658-659 (j. L’Heureux-Dubé).

88 Précité.

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(to take examples from pre-Charter cases), refusing to salute the flag or sing the national anthem,

distributing proselytizing tracts, chanting a mantra, or holding land communally. Such practices could,

and therefore should, be tolerated by the majority. Where there is no compelling governmental interest to

the contrary, s. 2a) of the Charter would require the law to accommodate minority religions by according

exemptions for their practices89.

Les professeurs Brun et Tremblay appellent « objection de conscience » le droit de

réclamer un accommodement ou une adaptation pour des raisons religieuses. Ils analysent

cette notion de la façon suivante :

L’objection de conscience fait penser a priori à la possibilité de se soustraire au service militaire. Elle est

toutefois bien plus que cela. Elle est en fait l’angle sous lequel la liberté de religion a aujourd’hui le plus

de portée.

L’objection de conscience est la possibilité de se soustraire à la loi ou à une règle de régie interne pour des

raisons de religion [...]. Le droit constitutionnel canadien reconnaît qu’une règle neutre puisse

effectivement ne pas s’appliquer à une ou quelques personnes parce qu’elle engendre des effets négatifs

sur la religion ou conscience de ces personnes [à l’appui, les auteurs mentionnent notamment les affaires

Big M Drug Mart et Edwards Books]. Cette institution, que les décisions de la Cour suprême appellent

« exemption constitutionnelle », porte aussi le nom d’objection de conscience90.

3. - L’application de la clause limitative de la Charte canadienne en matière de liberté de

conscience et de religion

Comme il a été rappelé précédemment, pour justifier une restriction aux droits et libertés

en invoquant l’article premier de la Charte canadienne, il faut démontrer qu’elle est

nécessaire pour atteindre un objectif légitime et important. Une fois qu’il est reconnu que

l’objectif est suffisamment important, on doit encore prouver que les moyens choisis pour le

réaliser sont raisonnables. Dans l’examen de ce critère de proportionnalité, les effets de la loi

devront être considérés. Par contre, si l’objectif de la loi est inconstitutionnel, le critère des

effets ne pourra pas être invoqué pour la sauver. Il sera donc inutile d’examiner les moyens

utilisés par le législateur.

Dans l’arrêt Big M Drug Mart91, la Cour suprême a jugé qu’une loi dont l’objet est de

promouvoir ou d’interdire une croyance ou une pratique religieuse restreint la liberté de

religion (ou le droit à l’égalité sans distinction de religion) d’une façon qui ne saurait jamais

être justifiée, car elle entre directement en conflit avec l’objet même de la liberté de religion.

Il n’est donc pas nécessaire d’examiner, dans un tel cas, la nature ou la dimension des effets

de la loi sur la liberté de religion. Par contre, lorsqu’une loi poursuit des objectifs séculiers,

89 P. W. HOGG, précité, p. 806 (notes infrapaginales omises).

90 Henri BRUN et Guy TREMBLAY, précité, p. 1011. Pour une présentation plus développée de la même notion,

voir également : Henri BRUN, « Un aspect crucial mais délicat des libertés de conscience et de religion des

articles 2 et 3 des Chartes canadienne et québécoise : l’objection de conscience », (1987) 28 Cahiers de droit

185. Voir également : Pierre PATENAUDE, « L’objection éthique et de conscience : impact de la Charte

canadienne des droits et libertés », (1983) 13 Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 315.

91 Précité.

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comme promouvoir les valeurs éducatives et morales, mais que par ses effets elle restreint la

liberté de religion de certaines personnes, la mesure en cause est alors susceptible de

justification sous l’article premier92.

Il y a cependant une exception à cette règle. Les dispositions législatives qui prévoient

un accommodement pour des raisons religieuses, comme une exception à l’obligation de

fermeture des magasins le dimanche pour les commerçants qui ferment un autre jour de la

semaine pour des raisons religieuses, ou encore la possibilité d’une absence motivée par des

raisons religieuses pour les élèves des écoles publiques ont manifestement pour objet de

faciliter la pratique religieuse mais ne sont évidemment pas inconstitutionnelles. Au contraire,

comme nous l’avons vu, de tels accommodements législatifs peuvent être considérés comme

constitutionnellement requis lorsqu’ils sont jugés nécessaires pour éliminer ou atténuer les

effets d’une discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou d’une atteinte à la

liberté de religion.

II. - Les règles du droit international public relatives à la liberté de conscience et de religion

et à l’interdiction de la discrimination religieuse

La liberté de pensée, de conscience et de religion et l’interdiction de la discrimination

pour des raisons religieuses sont garanties dans de nombreux textes internationaux, universels

ou régionaux. Les instruments internationaux comprennent à la fois des conventions, qui

créent des obligations juridiques pour les États parties, et des déclarations, qui, sans être

obligatoires, servent à interpréter les conventions qu’elles explicitent ou énoncent des valeurs

auxquelles les États ne sauraient déroger sans encourir un blâme moral et politique.

Nous examinerons d’abord les principaux instruments adoptés dans le cadre de

l’Organisation des Nations Unies et de ses institutions spécialisées, dont la plupart

s’appliquent au Canada. Nous verrons ensuite les instruments du cadre régional américain,

dont le Canada fait partie, et du cadre européen, auquel le Canada n’appartient pas mais qui

mérite néanmoins notre attention, car il comprend notamment la Convention européenne des

droits de l’homme93, qui est souvent citée par les tribunaux canadiens même si elle ne

s’applique pas au Canada. De fait, il existe une très grande convergence entre les dispositions

des instruments onusiens et américains et celles de la Convention européenne en matière de

liberté de religion, ainsi que dans les décisions des organes de mise en œuvre de ces divers

instruments.

92 Ibid., 333-334 (juge Dickson) : « Si l’objet reconnu de la Loi sur le dimanche, savoir rendre obligatoire

l’observance du sabbat, porte atteinte à la liberté de religion, il n’est pas nécessaire alors d’examiner les

répercussions réelles de la fermeture le dimanche sur la liberté de religion. Même si ces effets étaient jugés

inoffensifs [...], cela ne pourrait permettre de sauver une loi dont on a conclu que l’objet viole les garanties de la

Charte. [...] si, de par ses répercussions, une loi qui a un objet valable porte atteinte à des droits et libertés, il

serait encore possible à un plaideur de tirer argument de ses effets pour la faire déclarer inapplicable, voire même

invalide ». Voir également Edwards Books, précité, 752 (juge en chef Dickson).

93 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mieux connue comme la

Convention européenne des droits de l’homme, S.T.E. no 5 (entrée en vigueur le 3 septembre 1953).

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A. - Les instruments onusiens

1. - La Déclaration universelle des droits de l’homme

L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme94 du 10 décembre 1948,

qui a servi de source d’inspiration à tous les instruments postérieurs relatifs à la protection

des droits et libertés, énonce que :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de

changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule

ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement

des rites95.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques96 et le Pacte international

relatif aux droits économiques, sociaux et culturels97, ratifiés par le Canada en 1976 et

auxquels le Québec a également donné, cette même année, en tant que province canadienne,

son consentement, viennent poursuivre et compléter l’œuvre de la Déclaration universelle des

droits de l’homme98 et confèrent un caractère obligatoire aux droits et libertés qu’ils

énoncent.

2. - Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

L’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques institue le Comité

des droits de l’homme. En vertu de l’article 40 du Pacte, les États parties doivent soumettre

tous les cinq ans à cet organe des rapports dans lesquels doivent figurer les mesures qu’ils ont

adoptées pour donner effet, dans leur droit interne, aux droits et libertés reconnus dans le

94 A.G. Rés. 217 A (III), Doc. N.U. A/810 (1948). Concernant la portée juridique de la Déclaration, SCHABAS et

TURP, précité, s’expriment comme suit, à la p. 7 : « En tant que résolution de l’Assemblée générale, elle ne

constitue pas techniquement une source de normes qui lient des États mais plutôt, comme dit son préambule,

“l’idéal commun à atteindre”. Toutefois, certains prétendent que la Déclaration est une codification de normes

coutumières. L’intention des rédacteurs de la Déclaration était de compléter celle-ci par l’adoption de véritables

traités relatifs aux droits et libertés, ce qui s’est réalisé par l’adoption du Pacte international relatif aux droits

civils et politiques et ses deux protocoles facultatifs, ainsi que le Pacte international relatif aux droits

économiques, sociaux et culturels. »

95 La disposition limitative de la Déclaration est présente à son article 29 : « 1. L’individu a des devoirs envers la

communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible. 2. Dans l’exercice

de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi

exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire

aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique. 3. Ces

droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations

Unies. » L’article 30 énonce que les droits et libertés garantis par la Déclaration ne doivent pas être utilisés de

façon abusive : « Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour

un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte

visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés. »

96 (1976) 999 R.T.N.U. 187; entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.

97 (1976) 993 R.T.N.U. 13; entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.

98 Précitée.

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34

Pacte. Les rapports périodiques sont examinés par le Comité, ce qui donne à ce dernier

l’occasion de souligner l’existence de lois ou de pratiques qui ne sont pas conformes aux

dispositions du Pacte. L’article 41 prévoit un deuxième mécanisme de mise en œuvre, celui

des communications inter-étatiques, qui ne peut être utilisé qu’à l’encontre des États parties

ayant fait une déclaration d’acceptation de cette procédure (ce qui est le cas du Canada).

Cependant, ce mécanisme n’a jamais été mis en œuvre à ce jour. Enfin, le Protocole facultatif

au Pacte international relatif aux droits civils et politiques99 prévoit un droit de

communication individuelle devant le Comité pour les particuliers qui relèvent de la

juridiction d’un État partie et qui se prétendent victimes d’une violation du Pacte. À ce jour,

plus de 60 communications ont été reçues par le Comité concernant le Canada et le Québec.

Les décisions finales du Comité sont qualifiées de « constatations » (views). Elles n’ont pas

de caractère formellement obligatoire, mais revêtent une autorité persuasive qui vient du fait

qu’elles émanent d’un comité composé de dix-huit experts indépendants élus par la réunion

des États parties au Pacte. Afin de faire pression sur les États, le Comité assure, depuis

quelques années, un suivi rigoureux de ses constatations, rappelant aux États l’importance de

rectifier les violations qui ont été constatées.

Les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques concernant la

liberté de religion, l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion et la protection des

minorités religieuses sont respectivement prévues aux articles 2(1), 18, 26 et 27.

L’article 2(1) du Pacte énonce :

2.1. Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant

sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction

aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute

autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

L’article 18 du Pacte énonce les composantes de la liberté de religion ainsi que les

limites pouvant être apportées à celle-ci de façon licite :

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté

d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa

religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et

l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.

2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une

conviction de son choix.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions

prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique,

ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.

99 (1976) 999 R.T.N.U. 306; entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.

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35

4. Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des

tuteurs légaux, de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs

propres convictions100.

L’article 26 du Pacte interdit la discrimination, notamment celle fondée sur la religion,

dans les termes suivants :

Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la

loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection

égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de

religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de

naissance ou de toute autre situation.

L’article 27 du Pacte prévoit la protection des minorités, notamment religieuses :

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant

à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur

groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur

propre langue [nous soulignons].

L’article 18 du Pacte, lu en combinaison avec l’article 26, a fait l’objet d’une déclaration

adoptée le 25 novembre 1981 par l’Assemblée générale des Nations Unies, la Déclaration sur

l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou

la conviction101. Cette déclaration n’a aucun caractère juridiquement contraignant mais peut

servir de fil conducteur pour interpréter les obligations découlant pour les États parties de

l’article 18 et des articles 2(1) et 26 du Pacte. Par rapport au texte qu’elle vient expliciter, elle

se caractérise par sa précision et la rigueur des exigences qu’elle pose vis-à-vis des États. En

outre, à défaut de créer des normes juridiques, elles a une portée politique et une autorité

morale peu contestables102.

L’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques a également fait

l’objet d’une « observation générale » adoptée, en vertu de l’article 40(4) du Pacte, par le

Comité des droits de l’homme des Nations Unies, observation qui compile les commentaires,

les recommandations et les constatations du Comité relativement à cette disposition103.

100 La Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt R. c. Videoflicks Ltd., précité, a souligné la pertinence de l’article 18

du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, précité, pour interpréter l’article 2a) de la Charte

canadienne. De même, dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, aux p. 336 et 337, le juge Dickson s’est inspiré

de l’article 18 pour définir la portée de la liberté de religion garantie par l’article 2a) de la Charte canadienne.

101 Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la

conviction, résolution 36/55 adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies le

25 novembre 1981.

102 Jean MORANGE, « La proclamation de la liberté religieuse dans les textes internationaux », dans Joël-Benoît

D’ONORIO (dir.), La liberté religieuse dans le monde, Aix-en-Provence, Éditions universitaires, 1991, p. 319,

aux p. 324 et 325.

103 Observation générale nº 22 (48) (art. 18), Doc. C.C.P.R./C/21/Rev. 1/add.4, 20 juillet 1993.

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a) La Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de

discrimination fondées sur la religion ou la conviction

En décembre 1962, l’Assemblée générale des Nations Unies avait prévu la préparation

d’un projet de convention sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance religieuse ainsi

que d’un projet de déclaration. Malgré l’achèvement du projet de convention, l’Assemblée

générale n’adopta que le préambule et l’article 1. Par contre, le 25 novembre 1981, elle a

proclamé à l’unanimité la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et

de discrimination fondées sur la religion ou la conviction104. Étant donné que le projet de

convention n’a pas abouti, la déclaration est donc à ce jour le seul instrument international

consacré exclusivement à la liberté de religion.

La Déclaration ne définit pas les concepts de « religion » ou de « conviction ». Tout au

plus le préambule affirme-t-il que « la religion ou la conviction constitue pour celui qui la

professe un des éléments fondamentaux de sa conception de la vie ». Cependant, les travaux

préparatoires révèlent l’existence d’un consensus selon lequel ces deux expressions

embrassent toutes les croyances, théistes, non théistes et athéistes (notamment le

monothéisme, le polythéisme, l’animisme, l’athéisme, l’agnocistisme et la libre pensée)105.

L’article 1 de la Déclaration répète, avec quelques variations terminologiques,

l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est à souligner que,

tout comme ce dernier, il ne permet, dans son paragraphe 3, aucune restriction au droit

d’avoir une religion ou une conviction; seules les limitations au droit de manifester sa religion

ou sa conviction sont possibles, dans la mesure où elles sont « nécessaires à la protection de

la sécurité publique, de l’ordre public, de la santé ou de la morale ou des libertés et droits

fondamentaux d’autrui ». L’adjectif « fondamentaux » qui vient qualifier les mots « libertés »

et « droits » pourrait être interprété comme indiquant une volonté de restreindre la portée de

la disposition limitative : seule la protection des droits « fondamentaux » d’autrui, par

opposition à ceux qui ne le sont pas, permettrait de justifier des restrictions à la liberté de

manifester sa religion. Cependant, les auteurs qui se sont penchés sur la question sont d’avis

que l’ajout de cet adjectif n’entraîne pas véritablement de conséquences, dans la mesure où il

n’existe aucune hiérarchie des droits et libertés qui permettrait de considérer certains comme

104 Précitée.

105 Donna J. SULLIVAN, « Advancing the Freedom of Religion or Belief Through the UN Declaration on the

Elimination of Religious Intolerance and Discrimination », (1988) 82 American Journal of International Law

487-520, 491. Voir également : Natan LERNER, « Toward a Draft Declaration Against Religious Intolerance

and Discrimination », (1981) 11 Israel Yearbook on Human Rights 82; Ibid., « The Final Text of the U.N.

Declaration Against Intolerance and Discrimination Based on Religion or Belief », (1982) 12 Israel Yearbook

on Human Rights 185; Elizabeth ODIO BENITO, Élimination de toutes les formes d’intolérance et de

discrimination fondées sur la religion ou la conviction, Nations Unies, New York, 1989, numéro de vente

F.89.XIV.3. Selon Mme

Benito, la Déclaration imposerait aux États, sinon des obligations de résultat, du moins

des obligations de comportement qui trouveraient leur source dans l’article 1(3) de la Charte des Nations Unies,

lequel énonce que le but général de l’organisation est de « réaliser la coopération internationale [...] en

développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous »

(p. 62).

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37

plus fondamentaux que d’autres106. D’ailleurs, dans les instruments internationaux, les deux

expressions « droits et libertés fondamentaux », d’une part, et « droits et libertés », de l’autre,

sont utilisées de façon interchangeable. Par conséquent, la liberté de manifester sa religion

peut être limitée, selon l’article 18 du Pacte et l’article 1(3) de la Déclaration, si cela s’avère

nécessaire pour protéger les droits ou libertés d’autrui quels qu’ils soient.

L’article 2 de la Déclaration vient préciser l’interdiction de la discrimination fondée sur

des motifs religieux contenue dans l’article 26 du Pacte :

1. Nul ne peut faire l’objet de discrimination de la part d’un État, d’une institution, d’un groupe ou d’un

individu quelconque en raison de sa religion ou de sa conviction.

2. Aux fins de la présente Déclaration, on entend par les termes « intolérance et discrimination fondées

sur la religion ou la conviction » toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondées sur la

religion ou la conviction et ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de limiter la reconnaissance, la

jouissance ou l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur une base d’égalité.

Comme nous pouvons le constater, cette disposition vise tant la discrimination indirecte

(par suite d’un effet préjudiciable) que la discrimination directe. En outre, le paragraphe 1

indique clairement que l’interdiction de la discrimination s’étend non seulement aux actes de

l’État (state action), mais aussi à ceux d’institutions privées ainsi qu’aux relations entre

personnes privées. Par contre, seuls les États sont tenus par l’obligation, découlant de

l’article 4, de prendre « des mesures efficaces pour prévenir et éliminer toute discrimination

fondée sur la religion ou la conviction ». Le deuxième paragraphe de l’article 4 ajoute :

2. Tous les États s’efforceront d’adopter des mesures législatives ou de rapporter celles qui sont en

vigueur, selon le cas, à l’effet d’interdire toute discrimination de ce genre, et de prendre toutes mesures

appropriées pour combattre l’intolérance fondée sur la religion ou la conviction en la matière.

L’article 5 de la Déclaration précise les droits des parents en ce qui concerne l’éducation

de leurs enfants, de même que les droits de ces derniers :

1. Les parents ou, le cas échéant, les tuteurs légaux de l’enfant ont le droit d’organiser la vie au sein de la

famille conformément à leur religion ou leur conviction et en tenant compte de l’éducation morale

conformément à laquelle ils estiment que l’enfant doit être élevé.

2. Tout enfant jouit du droit d’accéder, en matière de religion ou de conviction, à une éducation conforme

aux vœux de ses parents ou, selon le cas, de ses tuteurs légaux, et ne peut être contraint de recevoir un

enseignement relatif à une religion ou une conviction contre les vœux des ses parents ou de ses tuteurs

légaux, l’intérêt de l’enfant étant le principe directeur.

3. L’enfant doit être protégé contre toute forme de discrimination fondée sur la religion ou la conviction.

Il doit être élevé dans un esprit de compréhension, de tolérance, d’amitié entre les peuples, de paix et de

fraternité universelle, de respect de la liberté de religion ou de conviction d’autrui et dans la pleine

conscience que son énergie et ses talents doivent être consacrés au service de ses semblables.

106 D. J. SULLIVAN, loc. cit., p. 497 et 498; T. MERON, « On a Hierarchy of International Human Rights »,

(1986) 80 American Journal of International Law 1.

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38

4. Dans le cas d’un enfant qui n’est sous la tutelle ni de ses parents ni de tuteurs légaux, les vœux

exprimés par ceux-ci, ou toute autre preuve recueillie sur leurs vœux en matière de religion ou de

conviction, seront dûment pris en considération, l’intérêt de l’enfant étant le principe directeur.

5. Les pratiques d’une religion ou d’une conviction dans lesquelles un enfant est élevé ne doivent porter

préjudice ni à sa santé physique ou mentale ni à son développement complet, compte tenu du

paragraphe 3 de l’article premier de la présente Déclaration [la clause limitative].

Enfin, l’article 6 de la Déclaration énumère, de façon non limitative, certaines

composantes de la liberté de religion :

Conformément à l’article premier de la présente Déclaration et sous réserve des dispositions du

paragraphe 3 dudit article, le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction

implique, entre autres, les libertés suivantes :

a) La liberté de pratiquer un culte et de tenir des réunions se rapportant à une religion ou à une conviction

et d’établir et d’entretenir des lieux à cette fin;

b) La liberté de fonder et d’entretenir des institutions charitables ou humanitaires appropriées;

c) La liberté de confectionner, d’acquérir et d’utiliser, en quantité adéquate, les objets et le matériel requis

par les rites ou les usages d’une religion ou d’une conviction;

d) La liberté d’écrire, d’imprimer et de diffuser des publications sur ces sujets;

e) La liberté d’enseigner une religion ou une conviction dans les lieux convenant à cette fin;

f) La liberté de solliciter et de recevoir des contributions volontaires, financières et autres, de particuliers

et d’institutions;

g) La liberté de former, de nommer, d’élire ou de désigner par succession les dirigeants appropriés,

conformément aux besoins et aux normes de toute religion ou conviction;

h) La liberté d’observer les jours de repos et de célébrer les fêtes et cérémonies conformément aux

préceptes de sa religion ou de sa conviction;

i) La liberté d’établir et de maintenir des communications avec des individus et des communautés en

matière de religion ou de conviction aux niveaux national et international ».

b) L’Observation générale no 22 (48) (article 18) du Comité des droits de l’homme

des Nations Unies

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a rendu un certain nombre

d’observations générales « qui sont en fait des principes directeurs de signification et

d’interprétation à donner à des articles spécifiques dans le Pacte107 ». Les « observations » ne

sont pas rigoureusement contraignantes, mais le Comité souhaite qu’elles aient une force

persuasive et que les États en tiennent compte. Il arrive que les tribunaux canadiens et

québécois les citent dans leurs jugements, ce qui a précisément été le cas pour l’Observation

générale no 22, qui porte sur la liberté de religion108.

107 William A. SCHABAS, Précis du droit international des droits de la personne, Cowansville, Éditions Yvon

Blais, 1997, p. 66.

108 L’Observation générale no 22 a été citée par le Tribunal des droits de la personne du Québec dans l’affaire

Commission des droits de la personne du Québec c. Autobus Legault, [1994] R.J.Q. 3027. Pour un examen de

cette observation générale et des débats ayant entouré son adoption, voir : Malcolm D. EVANS, « The United

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39

Dans l’Observation générale no 22, le Comité a notamment appelé l’attention des États

parties sur les points suivants :

1. Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (qui implique la liberté d’avoir des

convictions) visé au paragraphe 1 de l’article 18 a une large portée; il englobe la liberté de pensée dans

tous les domaines, les convictions personnelles et l’adhésion à une religion ou une croyance, manifestée

individuellement ou en commun. Le Comité appelle l’attention des États parties sur le fait que la liberté

de pensée et la liberté de conscience sont protégées à égalité avec la liberté de religion et de conviction.

Le caractère fondamental de ces libertés est également reflété dans le fait qu’aux termes du paragraphe 2

de l’article 4 du Pacte, il ne peut être dérogé à l’article 18, même en cas de danger public exceptionnel.

2. L’article 18 n’est pas limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux religions et

croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques institutionnelles analogues à celles des

religions traditionnelles. Le Comité est donc préoccupé par toute tendance à faire preuve de

discrimination à l’encontre d’une religion ou d’une conviction quelconque pour quelque raison que ce

soit, notamment parce qu’elle est nouvellement établie ou qu’elle représente des minorités religieuses

susceptibles d’être en butte à l’hostilité d’une communauté religieuse dominante.

[...]

4. La liberté de manifester une religion ou une conviction peut être exercée individuellement ou en

commun, tant en public qu’en privé. La liberté de manifester sa religion ou sa conviction par le culte,

l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement englobe des actes très variés. Le concept de

rite comprend les actes, rituels et cérémoniels exprimant directement une conviction, ainsi que différentes

pratiques propres à ces actes, y compris la construction de lieux de culte, l’emploi de formules et d’objets

rituels, la présentation de symboles et l’observation des jours de fête et des jours de repos.

L’accomplissement des rites et la pratique de la religion ou de la conviction peuvent aussi comprendre

non seulement des actes cérémoniels, mais aussi des coutumes telles que l’observation de prescriptions

alimentaires, le port de vêtements ou de couvre-chefs distinctifs, la participation à des rites associés à

certaines étapes de la vie et l’utilisation d’une langue particulière communément parlée par un groupe. En

outre, la pratique et l’enseignement de la religion ou de la conviction comprennent les actes

indispensables aux groupes religieux pour mener leurs activités essentielles, tels que la liberté de choisir

leurs responsables religieux, leurs prêtres et leurs enseignants, celle de fonder des séminaires ou des

écoles religieuses, et celle de préparer et de distribuer des textes ou des publications de caractère

religieux.

5. [...] Le paragraphe 2 de l’article 18 interdit la contrainte pouvant porter atteinte au droit d’avoir ou

d’adopter une religion ou une conviction [...]. Les politiques ou les pratiques ayant le même but ou le

même effet, telles que, par exemple, celles restreignant l’accès à l’éducation, aux soins médicaux et à

l’emploi [...] sont également incompatibles avec le paragraphe 2 de l’article 18. Les tenants de toutes les

convictions de nature non religieuse bénéficient d’une protection identique.

Nations and Freedom of Religion: The Work of the Human Rights Committee », dans Law and Religion (sous

la direction de Rex J. Ahdar), Dartmouth, Ashgate, 2000, p. 35, aux p. 41 et suiv.

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6. Le Comité est d’avis que le paragraphe 4 de l’article 18 permet d’enseigner des sujets tels que l’histoire

générale des religions et des idées dans les établissements publics, à condition que cet enseignement soit

dispensé de façon neutre et objective. La liberté des parents ou des tuteurs légaux de faire assurer

l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions, prévue au

paragraphe 4 de l’article 18, est liée à la garantie de la liberté d’enseigner une religion ou une conviction

proclamée au paragraphe 1 du même article. Le Comité note que l’éducation publique incluant

l’enseignement d’une religion ou d’une conviction particulière est incompatible avec le paragraphe 4 de

l’article 18, à moins qu’elle ne prévoie des exemptions ou des possibilités de choix non discriminatoires

correspondant aux vœux des parents ou des tuteurs [en anglais : unless provision is made for non-

discriminatory exemptions or alternatives that would accommodate the wishes of parents and guardians].

[...]

8. Le paragraphe 3 de l’article 18 n’autorise les restrictions apportées aux manifestations de la religion ou

des convictions que si lesdites restrictions sont prévues par la loi et sont nécessaires pour protéger la

sécurité, l’ordre et la santé publics, ou la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Aucune

restriction ne peut être apportée à la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction en

l’absence de toute contrainte ni à la liberté des parents et des tuteurs d’assurer à leurs enfants une

éducation religieuse et morale. [...] Il ne peut être imposé de restrictions à des fins discriminatoires ni de

façon discriminatoire. Le Comité fait observer que la conception de la morale découle de nombreuses

traditions sociales, philosophiques et religieuses; en conséquence, les restrictions apportées à la liberté de

manifester une religion ou une conviction pour protéger la morale doivent être fondées sur des principes

qui ne procèdent pas d’une tradition unique [...].

9. Le fait qu’une religion est reconnue en tant que religion d’État ou qu’elle est établie en tant que religion

officielle ou traditionnelle, ou que ses adeptes représentent la majorité de la population, ne doit porter en

rien atteinte à la jouissance de l’un quelconque des droits garantis par le Pacte, notamment les articles 18

et 27, ni entraîner une discrimination quelconque contre les adeptes d’autres religions ou les non-

croyants [...].

[...]

11. […] Le Pacte ne mentionne pas explicitement un droit à l’objection de conscience, mais le Comité

estime qu’un tel droit peut être déduit de l’article 18, dans la mesure où l’obligation d’employer la force

au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience et le droit de

manifester sa religion ou ses convictions.

c) La mise en œuvre des dispositions du Pacte relatives à la liberté de religion par le

Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans le cadre de la procédure des

communications individuelles

Nous ne nous intéresserons ici qu’aux affaires venues devant le Comité et qui sont

directement pertinentes à notre problématique, à savoir les accommodements et les

adaptations s’imposant à l’État en matière religieuse. Les termes de la Déclaration sur

l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou

la conviction et, surtout, de l’Observation générale no 22 (48) (article 18) du Comité des

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droits de l’homme des Nations Unies semblent à première vue protéger de façon très large le

droit de manifester sa religion par des pratiques. Comme nous l’avons vu précédemment, le

paragraphe 4 de l’Observation générale affirme notamment que la liberté de religion

comprend le droit de manifester celle-ci par « l’emploi de formules et d’objets rituels, la

présentation de symboles et l’observation des jours de fête et des jours de repos […] des

coutumes telles que l’observation de prescriptions alimentaires, le port de vêtements ou de

couvre-chefs distinctifs, la participation à des rites associés à certaines étapes de la vie et

l’utilisation d’une langue particulière communément parlée par un groupe ». Or, pour qu’un

tel droit soit effectif, il faudrait que les autorités publiques et, dans certains cas, les personnes

privées soient tenues d’adopter les adaptations et les accommodements nécessaires pour

permettre l’accomplissement des pratiques en question. Comme nous l’avons vu, c’est le

raisonnement adopté en droit canadien et québécois pour faire découler l’obligation

d’adaptation ou d’accommodement de la liberté de religion, d’une part, et l’interdiction de la

discrimination religieuse, d’autre part. Or, le Comité des droits de l’homme a, au contraire,

sommairement rejeté l’obligation d’accommodement en matière religieuse dans une affaire

venant du Canada, dans laquelle l’auteur de la communication, de religion sikh, prétendait

subir une violation de sa liberté de religion du fait que son employeur, la société Canadien

National, lui refusait un accommodement consistant à le dispenser du port du casque de

sécurité dans son travail afin de lui permettre de porter son turban rituel109. Le Comité ayant

déclaré que, si limitation de la liberté de religion il y avait, celle-ci était justifiée par les

impératifs de la sécurité publique, l’auteur de la communication fit remarquer que la sécurité

publique n’était pas en cause puisque les seuls risques pèseraient sur sa propre personne, à

quoi il lui fut répondu que l’objet de la politique était néanmoins raisonnable et compatible

avec le Pacte110. Un spécialiste reconnu de la liberté de religion en droit international

commente cette position de façon critique : « Paternalistic health and safety legislation

therefore seems to fall within the scope of legitimate restrictions. Notably, the Committee dit

not consider the proportionality of the measure taken to the need, as is now called for the

General Comment111. »

Le Comité s’est également montré plutôt restrictif dans un domaine où la plupart des

États libéraux acceptent pourtant assez largement l’accommodement pour des raisons

religieuses ou philosophiques, à savoir celui de l’objection de conscience contre le service

militaire. Dans un premier temps, le Comité, dans une série d’affaires, a purement et

109 K. Singh Bindher c. Canada, communication n

o 208/1986.

110 K. Singh Bindher c. Canada, précité, par. 6.2.

111 M. D. EVANS, loc. cit., p. 51. Dans cette même affaire, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Bindher c.

Canadian National Railways Co., [1985] 2 R.C.S. 561, avait jugé que, si l’employeur réussissait à démontrer

qu’une politique entraînant une discrimination indirecte pour des motifs religieux constituait une exigence

professionnelle justifiée, il était libéré de toute obligation d’accommodement. Par la suite, comme nous l’avons

vu, la Cour suprême a changé d’avis sur ce point et reconnu l’existence d’une obligation d’accommodement

raisonnable intégrée au concept d’exigence professionnelle justifiée (voir la note 21). Par conséquent, elle

jugerait aujourd’hui l’affaire Bindher sur le fond de la question, à savoir le caractère raisonnable de

l’accommodement réclamé, ce qui ne signifie évidemment pas forcément qu’elle donnerait raison au requérant

puisqu’elle pourrait encore conclure que l’accommodement réclamé entraînerait une contrainte excessive. Au

Royaume-Uni, les dispositions législatives applicables ont été modifiées pour dispenser les sikhs du port du

casque de sécurité sur les chantiers et pour la conduite en motocycle : S. POULTER, « Muslim Headscarves in

School » (1997) 17 Oxford Journal of Legal Studies 43, 49.

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42

simplement refusé de faire découler de la liberté de conscience et de religion un droit à

l’objection de conscience contre le service militaire. Néanmoins, à l’occasion de l’adoption

de l’Observation générale no 22, il a paru changer de position en affirmant, dans le

paragraphe 11 de celle-ci : « Le Pacte ne mentionne pas explicitement un droit à l’objection

de conscience, mais le Comité estime qu’un tel droit peut être déduit de l’article 18, dans la

mesure où l’obligation d’employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en

conflit avec la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion ou ses convictions. »

La rupture avec la jurisprudence antérieure est cependant moindre qu’il n’y paraît à cause des

termes utilisés et que nous avons soulignés, dans la mesure où le droit à l’objection, selon le

Comité, n’existe que dans la mesure où le service militaire refusé entraînerait des activités

directement susceptibles de causer la perte de vies humaines.

Plus généralement, les spécialistes de la question constatent que le Comité des Nations

Unies, malgré le langage large et généreux utilisé dans l’Observation générale no 22, a adopté

des positions plutôt, voire très, restrictives en matière de protection de la liberté de religion à

trois points de vue critiques : la définition des convictions religieuses, la définition des

manifestations religieuses et les restrictions que les États peuvent faire subir à la liberté de

religion112. Par conséquent, la protection de cette liberté, en particulier pour ce qui est du

droit à l’accommodement, est incontestablement mieux assurée en droit interne canadien et

québécois que par la mise en œuvre des instruments onusiens. Nous verrons que les mêmes

conclusions s’imposent pour ce qui est de la Convention européenne des droits de l’homme.

Avant de clore ce chapitre, il faut encore souligner que les principes retenus par le Comité

sont moins exigeants que la jurisprudence des tribunaux canadiens sur une autre question fort

importante relativement à la place de la religion à l’école. En effet, alors que, comme nous

l’avons vu précédemment, dans l’affaire Canadian Civil Liberties Association, la Cour

d’appel de l’Ontario a adopté une interprétation très exigeante de la liberté de religion

garantie à l’article 2a) de la Charte canadienne, en jugeant contraire à celle-ci, et non

justifiable en vertu de l’article premier, un règlement ontarien prévoyant que les élèves

reçoivent un enseignement religieux dans les écoles publiques, à moins que les parents ne

demandent une exemption, selon l’Observation générale no 22, au paragraphe n

o 6,

l’enseignement d’une religion ou d’une conviction particulière à l’école publique n’est pas

contraire aux droits des parents dans la mesure où une exemption est prévue : « Le Comité

note que l’éducation publique incluant l’enseignement d’une religion ou d’une conviction

particulière est incompatible avec le paragraphe 4 de l’article 18 [Les États parties au présent

pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de

faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres

convictions], à moins qu’elle ne prévoie des exemptions ou des possibilités de choix non

discriminatoires correspondant aux vœux des parents ou des tuteurs. »

Ce relativisme tient sans aucun doute au fait que les instruments onusiens lient un très

grand nombre d’États qui connaissent, dans le domaine des rapports de l’État avec les

religions, des régimes juridiques extrêmement divers, allant de la reconnaissance d’une

religion d’État à la séparation la plus stricte entre l’État et les religions, et qu’il faut donc

112 M. D. EVANS, loc. cit., p. 52.

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chercher à leur donner un sens compatible avec le plus grand nombre possible de situations.

Une interprétation trop exigeante ou trop radicale n’aurait comme seul résultat que de mettre

un grand nombre d’États en contradiction avec leurs obligations.

3. - La Convention relative aux droits de l’enfant

Certaines conventions onusiennes spéciales reprennent de façon plus spécifique, ou au

bénéfice de certaines catégories particulières de personnes, des éléments de la liberté de

religion ou de l’interdiction de la discrimination fondée sur des motifs religieux déjà contenus

dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous ne mentionnerons ici

que les articles 14 et 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant113, entrée en vigueur

pour le Canada le 12 décembre 1992. Pour assurer la surveillance du respect de la

Convention, le Comité des droits de l’enfant a été créé. Sa principale fonction est d’examiner

les rapports que les États doivent lui présenter tous les cinq ans. Par contre, la Convention

n’institue aucun mécanisme de communication inter-étatique ou individuelle.

L’article 12(1) de cette convention prévoit :

12.1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer

librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en

considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

L’article 14 énonce :

1. Les États parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

2. Les États parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux

de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au

développement de ses capacités.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions

qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la

santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui.

L’article 30 reprend la substance de l’article 27 du pacte international précédemment

mentionné :

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d’origine

autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’avoir

sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre langue en

commun avec les autres membres de son groupe.

En outre, il faut souligner que l’article 3 de la Convention prévoit notamment que, « dans

toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques

113 [1992] R.T. Can. nº 3. La Convention définit l’enfant comme tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la

majorité est acquise plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable.

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ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes

législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération primordiale ».

Ces dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant permettent de souligner

qu’en matière de liberté religieuse, des conflits peuvent surgir entre les droits des parents et

ceux de leurs enfants. Ainsi, le droit des parents de faire assurer l’éducation de leurs enfants

conformément à leurs convictions peut manifestement entrer en conflit avec la liberté de

conscience et de religion de leurs enfants, consacrée à l’article 14 de la Convention relative

aux droits de l’enfant, ou leur droit à l’éducation, prévu à l’article 28 de celle-ci. Par exemple,

des parents pourraient s’objecter, pour des raisons philosophiques ou religieuses, à ce que

leur enfant suive un cours d’éducation sexuelle dispensé à l’école, alors que l’enfant, au

contraire, voudrait avoir accès à cet enseignement. Les autorités amenées à trancher le débat

devront, selon l’article 3 de la Convention, prendre leur décision dans le meilleur intérêt de

l’enfant et, selon son article 12(1), prendre l’opinion de celui-ci en considération si elles

l’estiment suffisamment mûr. Il faut cependant reconnaître qu’une telle hypothèse semble

plutôt théorique, car on voit mal comment se résoudrait, dans la pratique, une confrontation

juridique entre un enfant et ses parents au sujet des choix relatifs à son éducation. D’ailleurs,

il faut faire remarquer que, dans presque tous les textes que nous avons analysés, c’est aux

parents qu’est reconnu le droit de faire assurer l’éducation de leurs enfants conformément à

leurs convictions, les enfants eux-mêmes n’étant qu’exceptionnellement désignés comme les

titulaires du droit en cause (par exemple, à l’article 5(2) de la Déclaration sur l’élimination de

toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la

conviction114). Dans l’article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant, c’est le droit

de l’enfant à l’éducation qui est reconnu115.

B. - Les instruments en vigueur dans le cadre de l’Organisation des États américains

1. - La Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme

La Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme116 a été adoptée dans le

cadre du système régional de protection des droits de l’homme de l’Organisation des États

américains (OEA). Ressemblant à bien des égards à la Déclaration universelle des droits de

l’homme117, elle a cependant été adoptée six mois avant celle-ci. En vertu d’amendements

apportés à la Charte de l’Organisation des États américains, la Déclaration, qui n’avait

auparavant qu’une valeur de simple recommandation, est désormais contraignante sur le plan

juridique pour tous les États membres de l’Organisation (le Canada est membre depuis le

8 janvier 1990). Un mécanisme de requête individuelle a été créé auprès de la Commission

interaméricaine des droits de l’homme pour mettre en œuvre la Déclaration. Tout individu

résidant sur le territoire d’un État membre peut formuler une requête à la Commission, après

114 Précitée.

115 Pour plus de développements sur cette question des conflits éventuels entre les droits des parents et les droits

des enfants en matière d’éducation, religieuse ou autre, voir : Holly CULLEN, « Education Rights or Minority

Rights? », (1993) 7 International Journal of Law and the Family 143, 160-163.

116 Doc. OEA/Ser.L/V/II.23, doc. 21, rev. 6.

117 Précitée.

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avoir épuisé les voies de recours internes. La Commission prend des « décisions » (quant à la

recevabilité) et des « rapports » (sur le fond).

L’article 2 de la Déclaration garantit le droit à l’égalité devant la loi :

Toutes les personnes, sans distinction de race, de sexe, de langue, de religion ou autre, sont égales devant

la loi et ont les droits et les devoirs consacrés dans cette déclaration.

L’article 3 de la Déclaration consacre le droit à la liberté de religion et de culture :

Toute personne a le droit de professer librement une croyance religieuse, de la manifester et de la

pratiquer en public ou en privé.

2. - La Convention américaine relative aux droits de l’homme

La Convention américaine relative aux droits de l’homme118, inspirée de la Convention

européenne des droits de l’homme119 et du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques120, a été adoptée en 1969 et est entrée en vigueur en 1978. Elle institue divers

mécanismes de contrôle, sur lesquels nous n’insisterons pas puisque le Canada n’est pas

partie à cet instrument. En dépit de ce fait, les tribunaux canadiens et québécois ont fait appel

à quelques reprises à cette convention aux fins de l’interprétation des chartes canadienne et

québécoise.

Le premier paragraphe de l’article premier de la Convention énonce :

1. Les États s’engagent à respecter les droits et libertés reconnus dans la présente Convention et à en

garantir le libre et plein exercice à toute personne relevant de leur compétence, sans aucune distinction

fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine

nationale ou sociale, la situation économique, la naissance ou toute autre condition sociale.

La Convention consacre son article 12 à la garantie de la liberté de conscience et de

religion :

1. Toute personne a droit à la liberté de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de garder sa

religion ou ses croyances, ou de changer de religion ou de croyances, ainsi que la liberté de professer et de

répandre sa foi ou ses croyances, individuellement ou collectivement, en public ou en privé.

2. Nul ne peut être l’objet de mesures de contrainte de nature à restreindre sa liberté de garder sa religion

ou ses croyances, ou de changer de religion ou de croyances.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses croyances ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles

qui, prévues par la loi, sont nécessaires à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de

la morale publics, ou à la sauvegarde des droits et libertés d’autrui.

118 STOEA n

o 36, (1979) 1144 R.T.N.U. 123.

119 Précitée.

120 Précité.

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4. Les parents, et le cas échéant, les tuteurs, ont le droit à ce que leurs enfants ou pupilles reçoivent

l’éducation religieuse et morale conforme à leurs propres convictions.

L’article 24 garantit l’égalité devant la loi :

Toutes les personnes sont égales devant la loi. Par conséquent, elles ont toutes droit à une protection égale

de la loi, sans discrimination d’aucune sorte.

C. - La Convention européenne des droits de l’homme

Entrée en vigueur en 1953, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des

libertés fondamentales, mieux connue comme la Convention européenne des droits de

l’homme121 (ci-dessous la CEDH), était mise en œuvre, avant … (sic), par la Commission et

la Cour européennes des droits de l’homme à Strasbourg. Depuis 1999, la Commission a

disparu et la Cour reste le seul organe d’application de la Convention. Bien que le Canada ne

soit pas partie à la Convention et à ses protocoles, les décisions de la Commission européenne

et les arrêts de la Cour européenne sont très souvent cités par les tribunaux canadiens et

québécois, ce qui s’explique notamment par l’influence que la Convention européenne a

exercée sur les rédacteurs des chartes canadienne et québécoise, celle-ci plus encore que

celle-là122.

L’article 9 de la CEDH garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion :

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de

changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction

individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et

l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que

celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la

sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des

droits et libertés d’autrui.

L’article 14 de la CEDH, qui a manifestement inspiré l’économie de l’article 10 de la

Charte québécoise, interdit la discrimination :

La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction

aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou

121 Précitée.

122 Voir : William A. SCHABAS, « Le droit européen des droits de la personne dans la jurisprudence canadienne et

québécoise », dans Europes et Amériques – Perspectives convergentes et divergentes sur le droit international,

Actes du colloque commun de la Société québécoise de droit international et de la Société française pour le

droit international, Montréal et Québec, du 6 au 9 octobre 1992, p. 46 et suiv.; Guillaume CLICHE,

« L’utilisation de la Convention européenne des droits de l’homme pour l’interprétation de la Charte

canadienne », (1993) 7 RJEUL 93; José WOEHRLING, « Le rôle du droit comparé dans la jurisprudence des

droits de la personne », dans La limitation des droits de l'homme en droit constitutionnel comparé (sous la

direction de A. de Mestral et autres), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1986, p. 449-513.

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toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune,

la naissance ou toute autre situation.

Enfin, l’article 2 du premier protocole additionnel123 à la CEDH énonce :

Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera

dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette

éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.

Comme pour les instruments onusiens précédemment mentionnés, nous nous

contenterons d’analyser la jurisprudence des organes d’application de la CEDH (décisions de

la Commission et arrêts de la Cour) relativement au droit à l’accommodement ou à

l’adaptation en matière religieuse et, accessoirement, aux conditions dans lesquelles l’État

peut organiser un enseignement moral ou confessionnel à l’école publique124.

Dans le domaine du droit à l’accommodement en matière religieuse, la jurisprudence des

organes d’application de la Convention a été, jusqu’à ce jour, plutôt restrictive bien que

l’article 9(1) de la Convention garantisse « la liberté de manifester sa religion ou sa

conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte,

l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

Dans une affaire X. c. Royaume-Uni125, la Commission a conclu qu’une réglementation

imposant le port du casque aux motocyclistes n’entraînait aucune obligation

d’accommodement pour les sikhs à qui leur religion impose de porter constamment un turban.

Dans une autre affaire X. c. Royaume-Uni126, un instituteur de religion musulmane

revendiquait le droit de se rendre à la mosquée le vendredi après-midi en vue de participer à

123 (1955) 213 R.T.N.U. 262, S.T.E. n

o 9.

124 Sur la liberté de religion garantie par la Convention européenne, on pourra notamment consulter les études

suivantes : Jean-François FLAUSS, « Les sources internationales du droit français des religions (2) », Les

Petites Affiches, 10 août 1992, nº 96, 9; Ibid., « Les sources supralégislatives de l’enseignement religieux »,

dans Les statuts de l’enseignement religieux (sous la direction de Francis Messner et Jean-Marie Woehrling),

Paris, Dalloz-Cerf, 1996, p. 17-34; Raymond GOY, « La garantie européenne de la liberté de religion :

L’article 9 de la Convention de Rome », (1991) Revue du droit public et de la science politique 5; Jean

DUFFAR, « La liberté religieuse dans les textes internationaux », (1994) Revue du droit public 939-967; Louis-

Edmond PETTITI, « La Convention européenne des droits de l’homme et la liberté religieuse » dans Droit,

liberté et foi (Actes du cycle de conférences proposé par le cardinal J.-M. Lustiger avec le concours de l’Ordre

des avocats au Barreau de Paris), Paris, Mame-Cujas, 1993, p. 55-77; Francis G. JACOBS et Robin C. A.

WHITE, The European Convention on Human Rights, 2e éd., Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 211-221, 260-

268; P. VAN DIJK et G. J. H. VAN HOOF, Theory and Practice of the European Convention on Human

Rights, 2e éd., Deventer, Kluwer, 1990, p. 397-407 et 467-477; Luzius WILDHABER, « Kommentierung des

Artikels 2 ZP » dans International Kommentar zur Europaïschen Menschenrechtskonvention, Köln, Carl

Heymanns Verlag, 1995; Gérard COHEN-JONATHAN, La Convention européenne des droits de l’homme,

Paris, Économica, 1989, p. 481-499; Gérard GONZALES, La Convention européenne des droits de l’homme et

la liberté des religions, Paris, Économica, 1997; Malcolm D. EVANS, Religious Liberty and International Law

in Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.

125 Requête nº 7992/76; DR vol. 14, p. 234.

126 Requête nº 8160/78; DR vol. 22, p. 27.

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la prière. La Commission lui oppose l’obligation contractuelle le liant à l’école. Le requérant

est considéré comme ayant accepté en toute connaissance de cause les exigences de l’emploi

qu’il occupe. Par la suite, la Commission juge inutile de déterminer avec certitude s’il existait

une obligation religieuse de se rendre à la mosquée pour la prière du vendredi après-midi127.

La même position a été adoptée dans plusieurs décisions postérieures, y compris dans des cas

où l’employé s’était converti à la religion après le début de son emploi, l’argument de la

renonciation contractuelle étant donc encore moins convaincant. Il faut souligner que

l’argument selon lequel l’obligation contractuelle liant un employé peut être considérée

comme entraînant une renonciation de celui-ci à la réclamation d’un accommodement de

nature religieuse lorsque ses croyances l’empêchent de respecter une condition d’emploi n’a

guère été retenu par les tribunaux canadiens128. On comprend qu’à la limite, un tel

raisonnement ferait tout simplement disparaître l’existence même de l’obligation

d’accommodement en matière d’emploi.

Dans le domaine des facilités réclamées par les détenus pour des raisons religieuses, la

jurisprudence européenne a également opté jusqu’à présent pour une perspective prenant

largement en compte les exigences de la détention pénitentiaire et a retenu des positions

plutôt restrictives en faisant prévaloir les raisons de protection de l’ordre sur les

revendications des détenus, même lorsque celles-ci paraissaient pourtant raisonnablement

reliées à des pratiques religieuses, par exemple pouvoir utiliser un chapelet à prières,

s’adonner à des exercices de yoga, disposer de livres sur le bouddhisme ou envoyer un article

pour publication dans une revue de nature religieuse129.

127 Dans l’affaire Bergevin, précitée, un des arguments des défendeurs consistait à prétendre que, si l’on permet aux

enseignants juifs de s’absenter un jour par an pour le Yom Kippour, d’autres risqueraient de s’appuyer sur ce

précédent pour réclamer des arrangements plus considérables, comme le droit de s’absenter un jour par semaine

le vendredi, et, dès lors, le principe d’égalité empêcherait qu’on refuse aux uns ce qu’on a reconnu aux autres.

La Cour suprême a cependant écarté ce motif de la façon suivante, par la voix du juge Cory : « Je reconnais que,

dans d’autres cas, il pourra exister des circonstances où l’accommodement raisonnable serait impossible. Par

exemple, si un enseignant devait, à cause de ses croyances religieuses, s’absenter tous les vendredis de l’année,

il pourrait bien alors être impossible pour l’employeur de composer raisonnablement avec les croyances et les

exigences religieuses de cet enseignant » (p. 551). Autrement dit, les limites de l’obligation d’accommodement

découlent du concept même d’accommodement « raisonnable » : si les musulmans demandaient un jour de

congé par semaine, plutôt qu’un jour par an comme les juifs, cela ne serait pas raisonnable et n’entraînerait donc

pas d’obligation correspondante pour l’employeur. On constate donc que la Cour suprême arriverait

probablement au même résultat que la Commission européenne, mais par un raisonnement différent. Alors que

la Commission écarte d’emblée l’existence même du droit à l’accommodement, à cause de l’obligation

contractuelle, la Cour suprême accepterait l’existence de cette obligation, mais arriverait probablement à la

conclusion que l’accommodement demandé, un congé tous les vendredis, entraînerait une contrainte excessive

pour l’employeur et, par conséquent, ne serait pas raisonnable.

128 La Commission des droits de la personne du Québec considère que, la liberté de religion étant d’ordre public,

on ne peut y renoncer contractuellement (la même chose étant sûrement vraie pour la protection contre la

discrimination fondée sur la religion); voir Les contraintes vestimentaires d’ordre religieux applicables au

personnel de certaines écoles privées. Aspects juridiques, par Me Pierre Bosset, conseiller juridique, Direction

de la recherche, Commission des droits de la personne du Québec, document adopté à la 388e séance de la

Commission tenue le 21 décembre 1994, par sa résolution COM-388-6.1.4 (cat. 120-4), p. 9 et 10.

129 Pour plus de détails, voir M. D. EVANS, précité, p. 308-309.

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Dans l’affaire Valsamis c. Grèce du 18 décembre 1996130, la Cour refuse de reconnaître

l’existence d’un droit à la dispense au profit des élèves d’une école secondaire pour ce qui est

de la participation à un défilé commémoratif de nature patriotique et militaire (huit membres

de la Commission sont d’une opinion contraire), les juges majoritaires affirmant de façon

péremptoire que la manifestation en cause était neutre et civique, sans connotation religieuse.

Selon nombre d’auteurs ayant analysé la décision, ainsi que pour les juges dissidents, la

majorité se substituait ainsi à l’individu pour décider ce qui était compatible ou non avec sa

conscience, alors que, dans de tels cas, la Cour devrait plutôt accepter la perception subjective

du requérant à moins qu’il ne puisse être démontré qu’elle est non fondée ou

déraisonnable131.

Dans l’affaire Karaduman c. Turquie132 du 3 mai 1993, la Commission européenne des

droits de l’homme a jugé non contraire au droit de manifester ses convictions religieuses le

refus de délivrance de diplôme opposé à la requérante – une étudiante licenciée en

pharmacie – par une université d’État turque, selon le motif que, contrairement au règlement

en vigueur, elle n’avait pas produit une photographie d’identité sur laquelle elle apparaissait

sans hidjab. La Commission développe, pour arriver à ce résultat, une triple motivation. En

premier lieu, un diplôme universitaire est jugé comme ne constituant pas un support adéquat

pour la manifestation de convictions religieuses : la photographie y est apposée à des fins

d’identification seulement. En second lieu, la fréquentation d’une université publique doit

être considérée comme entraînant l’acceptation des règles destinées à en assurer le caractère

laïque et, par conséquent, la renonciation à l’exercice de certains éléments de la liberté de

manifester sa religion (on retrouve donc l’idée de renonciation contractuelle, dans un

contexte, celui de l’éducation supérieure, où elle semble cependant peu pertinente). Enfin, la

manifestation extérieure des croyances religieuses par le port du foulard islamique est

assimilée à une pression sur les étudiants qui ne pratiquent pas la religion musulmane ou qui

adhèrent à une autre religion, susceptible de mettre en cause aussi bien l’ordre public que le

respect dû aux opinions d’autrui. Cette deuxième motivation s’explique bien sûr par le fait

qu’en Turquie la religion musulmane est dominante, si bien que la Commission semble avoir

été préoccupée de protéger les minorités religieuses de ce pays.

En matière d’objection de conscience contre le service militaire, les organes de la

Convention européenne ont également adopté des positions fort restrictives133.

Par conséquent, on constate que, comme c’est aussi le cas pour le Comité des droits de

l’homme des Nations Unies, les organes d’application de la Convention européenne ont

adopté, dans le domaine de l’accommodement en matière religieuse, des positions très

nettement en retrait par rapport à la jurisprudence canadienne et québécoise. Ils définissent de

façon restrictive le concept de pratiques religieuses, tendent à rejeter l’interprétation que fait

130 Rapports 1996-VI.

131 Pour une critique de l’arrêt, voir notamment : Javier MARTINEZ-TORRON et Rafael NAVARRO-VALLS,

« The Protection of Religious Freedom under the European Convention on Human Rights », (1998) 29 Revue

générale de droit 307, 318 et suiv.

132 Karaduman c. Turquie, requête nº 16278/90.

133 Pour plus de détails, voir M. D. EVANS, précité, p. 302-303.

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le requérant de ses convictions religieuses pour y substituer la leur propre, ont recours de

façon fréquente à l’idée que l’établissement d’un lien d’emploi ou l’inscription dans un

établissement d’enseignement implique l’acceptation de toutes les conditions qui s’y

appliquent et la renonciation à l’exercice de certains éléments de la liberté religieuse et,

finalement, reconnaissent (trop) facilement la légitimité des restrictions apportées par les

États à la liberté de religion sous sa forme extérieure et publique de mise en œuvre de

pratiques et de comportements.

Enfin, là encore comme pour le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, nous

constatons que les organes européens sont beaucoup moins exigeants que les tribunaux

canadiens sur la question des conditions dans lesquelles l’État peut organiser un

enseignement religieux à l’école publique. L’existence du droit à la dispense est considérée

comme suffisante pour valider un tel enseignement, même lorsqu’il ne porte que sur une

seule perspective religieuse, et ce droit à la dispense est au surplus interprété de façon parfois

très restrictive. En outre, en matière scolaire, la Cour européenne tient le plus grand compte

de l’existence de solutions de rechange : il est possible de restreindre, dans une école

déterminée, certaines manifestations de la liberté religieuse, dès lors que la diversité du

système éducatif, pris dans son ensemble, offre la possibilité à l’intéressé d’exercer librement

sa religion dans un autre établissement scolaire, fût-il privé134.

Pour conclure au sujet des normes du droit international, nous constatons donc, tant pour

les instruments onusiens que pour la Convention européenne, et plus encore pour ceux-là que

pour celle-ci, un contraste très marqué entre la générosité des termes dans lesquels la liberté

de religion est proclamée et le caractère restrictif de la manière dont elle est concrètement

mise en œuvre dans les décisions judiciaires ou quasi judiciaires des organes d’application de

ces instruments internationaux, en particulier pour ce qui est du droit à l’accommodement ou

à l’adaptation des normes aux exigences de la pratique religieuse. Les décisions de ces

organes restent en tout point en deçà de la jurisprudence québécoise et canadienne et, si l’on

voulait s’en servir pour trouver des arguments, ce ne serait pas pour appuyer les

revendications des demandeurs d’accommodement, mais plutôt les positions de ceux qui

veulent y faire échec. Par contre, en s’appuyant uniquement sur les textes eux-mêmes et en

faisant abstraction des décisions qui les appliquent, il est possible d’avancer des prétentions

fort exigeantes. C’est d’ailleurs parfois de cette façon que le droit international est utilisé dans

le débat public : une interprétation délibérément extensive des normes internationales,

facilitée par la méconnaissance (volontaire ou involontaire) de l’interprétation internationale

authentique, une telle attitude étant souvent fondée sur la volonté d’user du prestige de la

règle internationale pour faire évoluer le droit interne dans une direction considérée comme

souhaitable, mais ni exigée ni même impliquée par ce dernier.

134 Pour plus de détails, voir : José WOEHRLING, Étude sur le rapport entre les droits fondamentaux de la

personne et les droits des parents en matière d'éducation religieuse, précité, p. 121 et suiv.

Page 53: La place de la religion à l'école publique...entraînent de la discrimination au détriment de certaines personnes en raison de leur religion peuvent souvent être considérées

51

Deuxième partie : Les problèmes soulevés par les manifestations ou conduites religieuses à

l’école publique (droit canadien et comparé)

Introduction : rappel des principes généraux

Comme on l’aura compris à la lecture des développements de la première partie, les

manifestations ou conduites religieuses à l’école publique appellent l’application de règles et

de solutions différentes selon qu’elles sont le fait des autorités scolaires, des élèves ou des

enseignants et, dans ce dernier cas, selon que les enseignants agissent en qualité de

représentants de l’école ou en tant que personnes privées.

Lorsqu’il s’agit de conduites ou de manifestations dont l’initiative est prise par les

autorités scolaires ou les enseignants en qualité de représentants de l’école, elles sont

soumises au principe de neutralité religieuse de l’État (ou principe de laïcité) et au respect du

droit au libre exercice négatif des élèves, c’est-à-dire à leur droit de ne subir aucune pression

ou coercition à la conformité religieuse, de même qu’à l’obligation de l’État de ne pas faire

de discrimination religieuse, directe ou indirecte. Comme nous l’avons déjà vu dans la

première partie, cette liberté religieuse négative des élèves – et de leurs parents – a été

généralement interprétée de façon stricte par les tribunaux canadiens, si bien qu’à première

vue, sous réserve de certaines précisions, les conduites ou manifestations religieuses dont les

autorités scolaires pourraient prendre l’initiative sont prohibées, ou du moins étroitement

circonscrites, dans la mesure précisément où elles sont considérées comme susceptibles

d’exercer une pression inacceptable sur les élèves et, en privilégiant certaines religions, d’être

également discriminatoires.

Lorsqu’il s’agit de conduites ou de manifestations dont l’initiative est prise par les élèves

– ou leurs parents -, elles relèvent du droit au libre exercice positif, c’est-à-dire du droit de

ceux-ci de manifester leurs convictions religieuses par des pratiques et de leur droit de ne pas

subir de discrimination religieuse directe ou indirecte de ce fait. Si ce droit entre en conflit

avec des normes scolaires neutres (c’est-à-dire dont l’objet, sinon les effets, n’est pas de

promouvoir ou d’interdire une croyance ou une pratique religieuse), les autorités scolaires se

retrouvent sous le coup d’une obligation d’accommodement ou d’adaptation, à moins qu’elles

ne puissent démontrer que l’accommodement ou l’adaptation en cause entraînerait une

contrainte excessive.

Lorsqu’il s’agit de conduites ou de manifestations dont l’initiative est prise par les

enseignants en tant que personnes privées (par exemple, le port d’un symbole religieux), la

question est plus complexe, car il faut tenir compte à la fois du droit au droit au libre exercice

positif des enseignants et de l’obligation de neutralité religieuse qui s’impose à eux dans le

cadre de l’école.

La conjonction de ces principes produit des conséquences qui ne sont pas toujours faciles

à comprendre à première vue ou à expliquer. Ainsi, dans l’opinion publique, on se demande

parfois s’il est bien logique de « sortir » les religions majoritaires de l’école publique (comme

la Cour d’appel de l’Ontario l’a fait pour les prières et l’enseignement confessionnel

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chrétiens) et, dans le même mouvement, de consentir à des accommodements qui y font

« entrer » les religions minoritaires (autorisation du port du kirpan et du hidjab, dispenses

pour les fêtes religieuses, etc.). Paradoxalement, semble-t-il, après avoir demandé l’abolition

des pratiques majoritaires en invoquant sa liberté négative, la minorité invoque sa liberté

positive pour obtenir l’autorisation de ses propres pratiques. La réponse est que, dans le

premier cas, il s’agissait de manifestations religieuses imposées ou endossées par l’autorité

publique (cependant, comme nous l’avons vu, il aurait été théoriquement possible de

considérer que l’existence d’une possibilité de dispense protégeait suffisamment la liberté de

religion et de conscience), alors que, dans le deuxième cas, il s’agit d’aménagements

réclamés par des individus qui veulent pratiquer leur religion.

Parmi les idées bien implantées dans l’opinion commune, on trouve également celle

voulant que les accommodements reconnus en matière religieuse constituent des

« privilèges » qui entraînent une rupture de l’égalité entre citoyens. Cependant, on méconnaît

par là que l’accommodement est précisément une conséquence du droit à l’égalité, conçu

comme le droit des minorités – religieuses en l’espèce – de maintenir leurs différences par

rapport à la majorité en bénéficiant d’accommodements et d’adaptations à l’égard de normes

neutres, applicables de façon uniforme à tous, mais qui ont des effets préjudiciables sur la

liberté religieuse de certains groupes. Un traitement identique appliqué dans un contexte de

pluralisme religieux risque d’entraîner des conséquences oppressives et injustes, parce qu’il

oblige les minoritaires à s’aligner sur le modèle hégémonique de la majorité; il leur refuse la

reconnaissance de leur identité propre.

Enfin, un autre argument souvent entendu veut que les accommodements réclamés par

les minorités soient incompatibles avec les droits de la majorité et obligent cette dernière à

modifier son mode de vie pour l’adapter à celui des minorités. Lorsque les conduites et

manifestations religieuses en cause relèvent de l’initiative individuelle, ce reproche n’est

d’habitude pas fondé, car minoritaires et majoritaires ont alors des droits compatibles et

même convergents. Permettre le hidjab et le kirpan à l’école non seulement n’est pas

incompatible avec le fait d’y permettre le port de la croix, mais l’un exige l’autre à cause du

principe de non-discrimination; le port de leurs signes par les minoritaires n’a pas d’effet

négatif sur le mode de vie de la majorité. Par contre, lorsqu’il s’agit de décisions relevant de

l’établissement scolaire, comme les cours d’enseignement religieux ou les prières organisés

par l’école elle-même, il peut y avoir effectivement conflit entre les droits de la majorité, si

celle-ci veut de tels arrangements, et ceux de la minorité, si cette dernière s’estime brimée par

leur existence. Sauf à considérer que les droits de la minorité sont suffisamment sauvegardés

par l’existence d’un droit à la dispense, ce que les tribunaux canadiens ont refusé, il faut alors

donner raison à l’une et tort à l’autre des deux positions. Pourtant, il n’est pas illogique ou

illégitime d’estimer que, lorsque les minoritaires veulent la disparition des prières ou de

l’enseignement confessionnel dont ils ont la liberté de s’absenter, ce sont eux qui font preuve

d’intolérance en refusant les concessions souhaitables. À tort ou à raison, ce n’est pas

l’optique qui a été retenue en droit canadien. Si l’on prend cet autre exemple, si minorité et

majorité ne s’entendent pas sur la présence de symboles religieux placés sur les murs de

l’école par la direction de celle-ci, aucune solution de compromis n’est possible. Dans de tels

cas, la majorité devra effectivement changer ses habitudes pour s’ajuster à la minorité.

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53

Néanmoins, on peut sans doute partir de l’idée que, dans tous les cas où cela est possible,

les accommodements devraient de préférence consister en des dispenses, exemptions et

exceptions au profit des minoritaires plutôt qu’en des modifications structurelles du système

en place pour la majorité. Si ce principe n’a pas été retenu pour les prières et l’enseignement

confessionnel à l’école, il l’a par contre été, comme nous l’avons constaté, pour la question

des fêtes religieuses, les tribunaux ayant refusé la solution du réaménagement structurel du

calendrier scolaire au profit du système des autorisations d’absences individuelles135. Le

respect d’un tel principe facilite également la prise en compte de l’égalité religieuse. Une

modification structurelle rompt l’égalité religieuse, à moins que toutes les religions ne soient

mises sur un pied d’égalité, ce qui est la plupart du temps impossible. Par exemple, dans le

domaine des congés pour fêtes religieuses, des aménagements structurels tenant compte de

toutes les religions existantes deviendraient ingérables. Par contre, des aménagements

individuels, sous forme de dispenses ou d’exemptions, permettent de considérer tout le

monde sur un pied d’égalité et facilitent le fonctionnement du système scolaire.

Dans l’examen des différents problèmes relatifs à la place de la religion en milieu

scolaire, nous ferons appel au droit comparé pour mettre en perspective les solutions du droit

canadien et québécois, lorsqu’elles existent, et pour tenter de prévoir leur orientation possible,

lorsqu’elles n’existent pas. À cet égard, étant donné que les tribunaux canadiens semblent

assez nettement vouloir s’aligner en matière de liberté religieuse sur les positions des

tribunaux des États-Unis, celles-ci présentent un grand intérêt comparatif136. Nous nous

contenterons cependant de donner une idée générale de la situation américaine, car la matière

est extrêmement complexe et un traitement approfondi dépasserait à la fois les besoins et les

135 Deux raisons peuvent expliquer cette différence de traitement. En premier lieu, les tribunaux semblent avoir

considéré, sur la base de la preuve factuelle présentée par les parties, que l’obligation de demander une dispense

de participation aux prières ou à l’enseignement confessionnel était beaucoup plus susceptible d’entraîner la

marginalisation des élèves concernés que l’obligation de présenter un billet des parents justifiant une absence en

raison d’une fête religieuse. Cette analyse semble assez réaliste, car, alors que l’absence pour une fête religieuse

est épisodique et que l’élève concerné pourrait avoir été absent pour toutes sortes d’autres motifs, la non-

participation aux prières ou à l’enseignement est régulière et systématique et ses motifs sont facilement

identifiables par les pairs. En second lieu, le calendrier scolaire a des justifications laïques, alors que les prières

et l’enseignement confessionnel sont destinés à favoriser les convictions et la pratique religieuse, ce qui, comme

nous l’avons vu, constitue, selon la jurisprudence, un objectif incompatible avec les chartes et, donc,

inacceptable sous le régime de leurs clauses limitatives.

136 Sur la pertinence du recours au droit des États-Unis pour trouver des solutions aux problèmes canadiens de

liberté religieuse, voir notamment : Terri A. SUSSEL, Canada’s Legal Revolution: Public Education, the

Charter and Human Rights, Toronto, E. Montgomery, 1995, à la p. 142 : « After Zylberberg, members of

Canada’s legal community would not be surprised when important aspects of American rights-oriented

jurisprudence would be selectively used and incorporated by Canadian judges to underwrite or uphold more

expansive notions of minority rights. »; H. McCONNELL et J. PYRA, « The influence of American Case Law

on Canadian School Law: A Response to Manley-Casimir and Pitsula », (1989) 2 Education and Law Journal

209, 211 : « […] in a context in which the doctrine of binding prededent is weakening over much of the

common law world, the judicial focus inevitably shifts to what reasoning is most cogent and “persuasive” in

particular fact situations. In such situations Canada can, and does, draw on the judicial reasoning of the

European Court of Human Rights in Strasbourg and the Supreme Court of the United States, but particularly on

the latter tribunal »; M. McANDREW, précité, p. 141 : « Parce que la définition de la laïcité y est plus

dynamique et moins liée à une crispation identitaire qu’en France, le débat américain relatif à la place de la

religion [à l’école] apparaît comme potentiellement plus fécond. »

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limites matérielles de notre étude137. Depuis le début des années 90, à la suite de

changements dans la jurisprudence de la Cour suprême, les tribunaux américains aboutissent

rarement à la conclusion que les accommodements en matière religieuse sont exigés par la

clause de libre exercice du Premier Amendement de la Constitution fédérale. Ils abordent

plutôt la question en se demandant si de tels accommodements, dans la mesure où le

législateur fédéral ou étatique en prend l’initiative (ce qui est fréquent), sont autorisés en

vertu de la clause de non-établissement du même Premier Amendement. À cette question, ils

répondent plus volontiers qu’auparavant par l’affirmative138. Par ailleurs, un certain nombre

de cours suprêmes étatiques sont arrivées à la conclusion que les accommodements religieux

étaient exigés par la constitution de leur État respectif et que leur adoption s’imposait au

législateur concerné. On comprend donc la complexité du droit américain, car il faut tenir

compte, sur le plan jurisprudentiel, de la distinction entre les accommodements

constitutionnellement exigés et ceux simplement autorisés, selon le cas, par la Constitution

fédérale ou celle de l’État, ainsi que des textes législatifs, fédéraux ou étatiques par lesquels

le pouvoir politique est venu créer des accommodements (dont le pouvoir judiciaire peut

évidemment être appelé à vérifier la constitutionnalité). Finalement, on remarquera que, sur le

plan fédéral, le changement d’attitude de la Cour suprême des États-Unis, consistant à laisser

au législateur une plus grande latitude pour adopter des accommodements, mais sans

généralement les lui imposer, a pour effet de favoriser les religions majoritaires au détriment

des religions minoritaires, ces dernières ne jouissant pas de la même représentation au sein

des corps législatifs. Ce résultat est regrettable, car la portée des droits de la personne, en

particulier la liberté religieuse, ne devrait pas être laissée au bon vouloir des organes

politiques contrôlés par la majorité139.

137 Nous tirons les renseignements sur la situation juridique aux États-Unis des sources suivantes : United States

Departement of Education Guidelines, Student Religious Expression in Public Schools, revised May, 1998

(accessible sur le site www.ed.gov/inits/religionandschools/); American Civil Liberties Union, The

Establishment Clause And Public Schools. An ACLU Legal Bulletin, ACLU, 1996 et Religion in the Public

Schools: A Joint Statement of the Current Law, ACLU, 1996 (accessible sur le site

www.aclu.org/issues/religion/); Religion in the Public Schools. Guidelines for a Growing and Changing

Phenomenon, Anti-Defamation League, 2001 (accessible sur le site www.adl.org); Charles C. HAYNES et

Oliver THOMAS, Finding Common Ground. A Guide to Religious Liberty in Public Schools, First Amendment

Center, 2001 (accessible sur le site www.freedomforum.org); James E. RYAN, « The Supreme Court and

Public Schools », (2000) 86 Virginia Law Review 101, 147 et suiv.; Samina QUDDOS, « Accommodating

Religion in Public Schools: Must, May or Never? », (2001) 6 Journal of Islamic Law and Culture, 67; Michael

McCONNELL, « Accommodation of Religion », (1985) Supreme Court Review. 1; Idem, « Free Exercice

Revisionism and the Smith Decision », (1990) 57 University of Chicago Law Review, 1109; Idem,

« Accommodation of Religion: An Update and a Response to the Critics », (1992) 60 George Washington Law

Review, 685.

138 Pour un exposé de la situation américaine actuelle sur le plan constitutionnel, voir : Michael McCONNELL,

« Accommodation of Religion: An Update and a Response to the Critics », loc. cit. Voir également, pour un

article plus synthétique et plus abordable pour des non-spécialistes : Michael McCONNELL, « Neutrality,

Separation and Accommodation: Tensions in American First Amendement Doctrine », dans Law and Religion

(sous la direction de Rex J. Ahdar), précité, p. 63. L’auteur écrit notamment : « Non-specialists are often

surprised at the chaotic, controversial and unpredictable character of the constitutional law of church and state

in the United States. […] An examination of constitutional controversies in the courts shows […] that the law in

this field is very much in flux and that, even before the changes of the 1990s, the law was riddled with

inconsistencies and incoherence » (p. 63).

139 Au Canada, la question de l’accommodement en matière religieuse s’est presque uniquement posée, jusqu’à

présent, sous l’angle des accommodements exigés par la Constitution (ou par une loi sur les droits de la

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Conformément à notre mandat, nous ne traiterons pas dans la présente étude des

questions reliées aux systèmes d’enseignement religieux non dogmatique – un enseignement

culturel sur les religions plutôt qu’un enseignement confessionnel d’une religion –, qui

pourraient être considérés comme conformes aux chartes canadienne et québécoise140.

I. - Les prières et les célébrations, cérémonies ou autres activités religieuses ou à

connotation religieuse

A. - Les prières et les célébrations, cérémonies ou autres activités religieuses ou à

connotation religieuse dont l’initiative est prise par les autorités scolaires

Comme nous l’avons vu dans la première partie, les prières et les célébrations ou

exercices religieux organisés par l’autorité scolaire ont été jugés inconstitutionnels au

Canada, l’existence d’une possibilité de dispense n’ayant pas été considérée comme

suffisante pour justifier de tels arrangements. Soulignons que la solution adoptée par les

tribunaux canadiens semble nettement avoir été inspirée par celle retenue aux États-Unis, où

les tribunaux ont déclaré contraires à la clause de non-établissement du Premier Amendement

toutes les formes de prière organisées ou endossées par les autorités scolaires141. En se

fondant sur une analyse de l’arrêt Zylberberg142 et en tenant compte du droit américain,

l’auteur Carol Stephenson, dans une étude fouillée, a tenté de dégager quels exercices

religieux organisés par l’école pourraient être considérés comme conformes à la Charte

canadienne143. Ses conclusions sont notamment les suivantes :

personne) lorsqu’il y a atteinte à la liberté de religion ou à l’égalité en matière religieuse. Un des rares cas où la

question a été soulevée sous l’angle de la constitutionnalité des accommodements volontairement consentis par

le pouvoir politique est l’affaire Grant, précitée, dans laquelle les mesures prises par le commissaire de la GRC

pour que les membres de celle-ci soient autorisés à porter des symboles religieux ont été contestées, mais sans

succès, en vertu de la Charte canadienne. Le deuxième volet de l’article 20 de la Charte québécoise, qui autorise

la discrimination religieuse lorsqu’elle est « justifiée par le caractère […] religieux […] d’une institution sans

but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique », constitue un accommodement

législatif qui, en théorie, pourrait être considéré comme contraire aux droits constitutionnels des victimes de la

discrimination ainsi autorisée. Mais cette disposition serait fort probablement considérée comme une atteinte

justifiable dans la mesure où, comme le disait le juge Beetz dans l’affaire Brossard, précitée, « l’art. 20 protège

le droit de s’associer librement pour exprimer des opinions particulières ou pour exercer des activités

particulières ».

140 On trouvera des développements sur cette question dans : J. WOEHRLING, Étude sur le rapport entre les

droits fondamentaux de la personne et les droits des parents en matière d’éducation religieuse, précité, p. 55 et

suiv.

141 Voir les sources citées à la note 136.

142 Précité.

143 Carol A. STEPHENSON, « Religious Exercises and Instruction in Ontario Public Schools », (1991) 49

University of Toronto Faculty of Law Review 82. Voir également, dans le même sens : Banafsheh

SOKHANSANJ, « Our Father Who Art in the Classroom: Exploring a Charter Challenge to Prayer in Public

Schools », (1992) 56 Saskatchewan Law Review 47-77; J. C. LONG et R. F. MAGSINO, « Legal Issues in

Religion and Education », 4 Education and Law Journal 189, 190 et suiv.

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- Toute forme de prière, verbale ou silencieuse, uniconfessionnelle ou

multiconfessionnelle, serait sûrement considérée comme contraire à la Charte144.

- En théorie, il serait possible d’imaginer des lectures faisant une place égale à toutes

les croyances religieuses, quasi religieuses et non religieuses, sans aucun élément

d’endoctrinement ni de favoritisme, mais en pratique un tel équilibre serait

probablement impossible à atteindre.

- Une mesure prévoyant un moment de silence pouvant être consacré, au choix des

enfants, à la prière, à la méditation ou à la réflexion, sans qu’aucune de ces activités

ne soit privilégiée, serait probablement considérée comme conforme à la Charte

canadienne.

Pour relativiser le résultat obtenu sur cette question par les tribunaux canadiens et

américains, et montrer qu’il ne fait pas l’objet d’un consensus général, on peut mentionner la

situation qui a cours en Allemagne et au Royaume-Uni.

En Allemagne, la Cour constitutionnelle a jugé que, compte tenu des circonstances

concrètes dans lesquelles elles se déroulaient, les prières œcuméniques organisées à l’école

publique par l’administration scolaire et à l’égard desquelles il était relativement facile

d’obtenir une dispense n’étaient pas incompatibles avec la protection de la liberté de

religion145. La Cour allemande a considéré qu’il existait concurremment une liberté positive

de proclamer ses convictions religieuses et une liberté négative de ne pas être forcé de se plier

aux convictions d’autrui. Elle est ensuite parvenue à la conclusion que le fait d’exiger des

minoritaires qu’ils demandent d’être dispensés de participer aux prières ne les plaçerait

qu’exceptionnellement dans « une situation de marginalisation insupportable ». À l’inverse,

permettre que l’objection d’un seul élève minoritaire l’emporte automatiquement sur les

droits des élèves de la majorité d’exprimer leurs croyances à l’école serait complètement

disproportionné par rapport au préjudice éventuel supporté par les minoritaires. La Cour a

donc considéré que la restriction relativement mineure, selon elle, de la liberté négative des

minoritaires était amplement justifiée par l’objectif d’assurer la liberté positive des élèves

majoritaires désireux d’exprimer leurs convictions. On remarquera que la Cour allemande a

beaucoup insisté sur les conditions concrètes dans lesquelles se déroulaient les prières en

cause pour justifier la légitimité de celles-ci, tout comme la Cour d’appel de l’Ontario, dans

l’affaire Zylberberg146, a donné beaucoup d’importance au témoignage des psychologues qui

étaient venus affirmer que certains enfants souffraient considérablement des réactions de

leurs pairs provoquées par le fait qu’ils soient dispensés de participer aux exercices religieux.

Par conséquent, on retrouve ici une caractéristique déjà soulignée précédemment de la

144 Dans l’arrêt Canadian Civil Liberties Association, précité, à la p. 372, la Cour note, à propos d’un cours de

religion dont il est prévu dans le programme qu’il doit se terminer par une « prière silencieuse » : « In a

programme that is purely educational and not indoctrinal or devotional, there would be no place for a prayer of

any kind » (la Cour).

145 (1979) 52 BverfGE, 223. Voir : J. WALDMAN, « Communities in Conflict: The School Prayer in West

Germany, The United States and Canada », (1991) 6 Canadian Journal of Law and Society 27.

146 Précitée.

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problématique qui nous occupe, à savoir que les principes théoriques qu’il est possible de

dégager en la matière ne permettent généralement pas à eux seuls de trouver une solution à

des problèmes concrets, car il faut également accorder beaucoup d’importance aux

circonstances de faits particulières à chaque situation examinée.

Au Royaume-Uni, en vertu de la Loi sur l’éducation de 1996, l’éducation religieuse et

les prières collectives, d’orientation principalement chrétienne dans les deux cas, continuent

de faire partie du curriculum obligatoire dans les écoles publiques, les parents qui le désirent

ayant cependant la possibilité d’en faire dispenser leurs enfants147.

Au Canada et au Québec, la question des prières et activités religieuses dont les

enseignants et les administrateurs scolaires prennent l’initiative à titre personnel ne semble

pas avoir été soulevée en jurisprudence. Aux États-Unis, il serait contraire à la Constitution,

pour ces deux catégories de personnes, de prier avec les élèves ou en leur présence ou encore,

de façon plus générale, en leur capacité de représentants ou de porte-paroles de l’école.

Compte tenu du fait que les élèves d’une école sont très impressionnables et constituent un

auditoire captif, les enseignants et les administrateurs scolaires, lorsqu’ils agissent en cette

capacité, doivent s’abstenir de tout comportement sollicitant ou encourageant soit une activité

à contenu religieux, soit une activité à contenu antireligieux. Par conséquent, leur liberté

d’expression constitutionnellement protégée peut être validement limitée.

Toujours aux États-Unis, il est interdit aux écoles et aux enseignants de célébrer les fêtes

religieuses, car il s’agit d’une forme de pratique religieuse. Par contre, il est permis

d’expliquer de façon pédagogique (teach about) la signification des fêtes religieuses, dans la

mesure où les explications sont objectives et contribuent à enrichir les connaissances des

élèves. À cette fin, il est possible de faire usage de formes artistiques (musique, littérature, art

dramatique) à thème religieux, à condition qu’elles soient présentées de façon

« religieusement neutre » et pourvu que l’effet global ne soit ni de promouvoir ni de déprécier

la religion en général ou une religion en particulier. Par contre, il est inconstitutionnel de

présenter ou d’afficher des œuvres d’art religieuses de façon permanente dans les écoles. Si

les activités pédagogiques relatives à une fête religieuse sont incompatibles avec les

convictions ou la sensibilité religieuses d’un élève ou de ses parents, celui-ci doit être

dispensé d’y participer dans des conditions qui ne risquent pas de le marginaliser et sans que

cela n’affecte son dossier scolaire ou ses évaluations.

En France, sauf dans les trois départements d’Alsace-Moselle, l’école publique ne

dispense aucun enseignement religieux. Néanmoins, il est prévu que les écoles primaires

vaqueront un jour par semaine, en plus du dimanche, afin de permettre aux parents qui le

désirent de faire donner à leurs enfants l’instruction religieuse en dehors des bâtiments

scolaires. Au secondaire, des aumôneries peuvent exister dans les lycées et collèges à la

demande des parents, financées par ces derniers. Dans les trois départements d’Alsace- 147 S. POULTER, « The religious education provisions of the Education Reform Act 1988 », (1990) 2 Education

and the Law 1; Francis LYALL, « Religous Law and its Applications by Civil and Religious Jurisdictions in

Great-Britain », dans La religion en droit comparé à l’aube du 21e siècle (sous la direction de Ernest Caparros

et Louis-Léon Christians), Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 251, aux p. 260 et 261; Anwar N. KHAN, « Daily

Collective Worship and Religious Education in Britain », (1995) 24 Journal of Law and Education 601.

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Moselle, en vertu du droit local, le régime en vigueur est tributaire de la législation antérieure

à 1871. Dans les établissements publics primaires et secondaires, l’enseignement religieux est

intégré au curriculum et ceux qui le dispensent sont en principe rémunérés par l’État.

L’inscription à ces cours est cependant facultative pour les parents148. Il n’existe pas en

France de prières ou d’exercices religieux dans les écoles publiques.

B. - Les prières et les célébrations, cérémonies ou autres activités religieuses ou à

connotation religieuse dont l’initiative est prise par les élèves

S’il est interdit aux autorités scolaires d’organiser des prières ou des célébrations ou

exercices religieux à l’école publique, qu’en est-il lorsque les mêmes manifestations sont de

l’initiative des élèves? Nous n’avons trouvé aucune décision québécoise ou canadienne sur ce

point. Par contre, cette problématique est bien connue aux États-Unis, où elle a fait l’objet de

nombreuses décisions de justice, de législations adoptées sur le plan fédéral et étatique et de

lignes directrices émises par le ministère fédéral de l’éducation.

Les élèves peuvent prier ensemble ou séparément à l’école, en dehors des temps

pédagogiques proprement dits (non-curricular periods), à la condition que cela ne dérange

pas de façon significative le cours des activités scolaires et ne porte pas atteinte aux droits

d’autrui. Sur ce dernier plan, les autorités scolaires ont la responsabilité de s’assurer que les

comportements religieux adoptés par certains étudiants ne constituent pas une forme de

pression ou de coercition sur d’autres élèves. Les élèves ont le droit de s’engager dans des

prières individuelles ou collectives et dans des discussions de nature religieuse durant la

journée scolaire au même titre que dans d’autres activités expressives comparables. Par

exemple, ils ont le droit de lire la bible ou d’autres écritures sacrées et de prier avant les repas

et les examens. Les autorités scolaires peuvent réglementer, pour des raisons pédagogiques et

de maintien de l’ordre, les activités expressives des élèves, mais elles ne sauraient adopter des

règles ayant pour effet de discriminer contre l’expression ou les activités religieuses.

Inversement, elles ne doivent pas promouvoir ou encourager les activités ou comportements

religieux personnels des élèves. Il est important de s’assurer que ces comportements partent

véritablement de l’initiative des élèves et qu’aucun employé ou représentant de l’école ne les

encadre ou ne les supervise. Tout comportement des autorités scolaires ou de leurs

représentants qui pourrait être raisonnablement interprété comme un encouragement ou une

promotion des activités religieuses personnelles des élèves ou une façon de les reprendre à

leur compte (endorsement) serait inconstitutionnel.

Les élèves peuvent s’adresser à leurs camarades de classe pour leur parler de sujets

religieux et même tenter de les persuader ou de les convertir, au même titre qu’ils peuvent

chercher à les convaincre sur des sujets politiques. Cependant, les autorités scolaires doivent

s’assurer que ce prosélytisme ne constitue pas du harcèlement.

Les élèves peuvent exprimer leurs convictions religieuses dans leurs travaux écrits et

présentations orales, lesquels devront être évalués en fonction des critères académiques

148 Brigitte BASDEVANT-GAUDEMENT, « Droit et religions en France », dans La religion en droit comparé à

l’aube du 21e siècle, précité, p. 123, aux p. 146-148.

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ordinaires de contenu et de pertinence et en tenant compte des objectifs pédagogiques

légitimes de l’école.

Les prières et activités religieuses des étudiants doivent avoir lieu en dehors des périodes

scolaires proprement dites et en dehors des salles de classe, même si elles sont volontaires.

De façon plus générale, il faut éviter que ces activités se déroulent devant un auditoire captif.

Elles peuvent avoir lieu dans des endroits comme les couloirs ou la cafétéria de l’école. Quant

à la question des prières prononcées par des élèves, de leur propre initiative, lors de

cérémonies de collation des grades ou d’événements sportifs organisés par l’école, elle a

donné lieu à une jurisprudence contradictoire des tribunaux, la majorité des décisions allant

dans le sens de l’interdiction. Lorsqu’une école permet de façon générale l’usage des lieux et

bâtiments scolaires par des groupes privés, elle doit aussi autoriser, aux mêmes termes et

conditions, des cérémonies privées de collation des grades comprenant des prières ou des

cérémonies religieuses, à condition qu’elles restent bien distinctes de la cérémonie officielle

de remise des diplômes et que les autorités scolaires n’y prennent aucune part.

De façon plus générale, en vertu d’une loi fédérale adoptée en 1984 et applicable à toutes

les écoles publiques secondaires récipiendaires de subventions gouvernementales

fédérales149, dès lors qu’une école permet l’utilisation de ses locaux et facilités avant, après

ou durant la journée scolaire, dans ce dernier cas en dehors des temps pédagogiques

proprement dits, par des groupes ou clubs étudiants à finalité non religieuse, comme un club

de jeu d’échecs ou un club de discussion de sujets politiques (on dit alors qu’elle met en place

un limited open forum), elle doit le permettre également, dans les mêmes conditions, aux

groupes à finalité religieuse, comme un groupe de prières ou d’étude de la Bible. Ces derniers

doivent être créés à l’initiative des étudiants, organisés et dirigés par eux et la participation

doit y être volontaire. Les groupes religieux doivent se voir reconnaître, dans les mêmes

termes que les groupes non religieux, le droit d’utiliser les moyens de communication de

l’école (tableaux d’affichage, journal scolaire, système sonore) pour faire connaître leurs

activités. Les autorités scolaires conservent le droit de réglementer les modalités de

fonctionnement des groupes et clubs étudiants, religieux ou non religieux, dans la mesure

nécessaire pour maintenir le bon fonctionnement pégagogique, l’ordre et la discipline. En

outre, elle peuvent mettre fin à l’existence du système de limited open forum en interdisant

tous les groupes étudiants de façon non discriminatoire.

En vertu d’une décision rendue par la Cour suprême des États-Unis en 2001150 et visant

les écoles primaires et secondaires, une solution similaire s’applique dans les cas où des

organisations religieuses extérieures à l’école sollicitent l’autorisation d’utiliser les locaux et

facilités de celle-ci après la fin de la journée scolaire : l’école devra accorder une telle

autorisation si elle permet l’usage de ses locaux à des organisations non religieuses (after-

school clubs) dans les mêmes conditions. Les autorités scolaires doivent alors prendre de

façon « proactive » toutes les mesures nécessaires pour bien montrer qu’elles n’endossent

pas, ni désapprouvent, les activités des organisations religieuses qui utilisent les locaux de

l’école.

149 Equal Access Act, 20 U.S.C. 4071-74.

150 Good News Club v. Milford Central School, 533 U.S.

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II. – L’affichage ou l’installation de symboles religieux par les autorités scolaires

L’affichage de symboles religieux, comme une croix ou un crucifix, est-il permis dans

une école publique dont nous avons vu que la Constitution canadienne, telle qu’elle est

interprétée par les tribunaux, affirme le caractère laïque (secular)? Soulignons que, dans la

mesure où l’on trouve encore des croix ou des crucifix sur les murs de certaines écoles

publiques, leur présence n’est cependant pas exigée par la Loi sur l’instruction publique ou

par la réglementation afférente151.

Pour arriver à la conclusion que la présence d’un symbole religieux comme un crucifix

ou une croix restreint la liberté de religion, il faut qu’elle entraîne, vu le contexte, une

contrainte sur le comportement des personnes. En général, cela semble devoir être moins le

cas que pour les prières. Alors que celui qui ne veut pas participer à une prière doit sortir de la

salle ou rester assis pendant que les autres se lèvent, cette manifestation de sa non-adhésion

risquant d’entraîner des réactions négatives à son égard, la présence d’un symbole religieux

n’oblige pas l’individu à afficher ses convictions. Par conséquent, la présence d’un crucifix

dans la salle d’un palais de justice ou à l’Assemblée nationale du Québec, par exemple,

pourrait être considérée comme suffisamment inoffensive pour ne pas restreindre la liberté de

religion. En outre, on pourrait estimer qu’il s’agit d’un symbole qui est désormais plus

culturel que cultuel (religieux). Par contre, sa présence dans une salle de classe est sans doute

plus problématique, étant donné la vulnérabilité et le caractère impressionnable des jeunes

élèves et le fait qu’ils constituent un auditoire captif152. L’affichage d’une croix dans les

locaux de l’administration scolaire, étant donné son caractère moins ostentatoire pour les

élèves, poserait probablement moins de problèmes153.

Aux États-Unis, les symboles religieux, comme les croix, les ménorahs ou les crèches,

peuvent être affichés ou installés temporairement comme aides à l’enseignement à condition

d’être présentés comme des illustrations de l’héritage culturel et religieux associé à une fête

religieuse, mais ne sauraient être affichés ou installés en permanence, ni dans une intention

religieuse, ni même dans une intention décorative154. Cela semble même valoir, bien que ce

soit moins clair, pour les symboles d’origine religieuse qui ont fini par acquérir une valeur

neutre et laïque, comme l’arbre de Noël.

En Allemagne, la Cour constitutionnelle, dans une décision qui a soulevé beaucoup de

controverses, a jugé que la présence d’un crucifix dans une salle de classe était attentatoire

151 Pierre BOSSET, « Pratiques et symboles religieux : quelles sont les responsabilités des institutions

publiques? », dans Les 25 ans de la Charte québécoise, Service de la formation permanente, Barreau du

Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 39, à la p. 49 (note 40).

152 Dans le même sens, voir P. BOSSET, loc. cit., p. 51 et 52.

153 Dans une décision où le problème ne se soulevait que de façon très accessoire, et sans motiver son opinion de

façon très explicite, un tribunal ontarien a affirmé que l’affichage « silencieux » de croix et de crucifix dans un

hôpital n’entraînait aucune atteinte à la liberté de religion : Pembroke Civic Hospital c. Ontario (Health

Services Restructuring Commission), 36 O.R. (3d) 41 (Cour divisionnaire de l’Ontario).

154 Dans Stone c. Graham, 449 U.S. 39, la Cour suprême a invalidé un texte qui ordonnait l’affichage des dix

commandements dans les écoles publiques primaires.

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aux libertés de conscience et de religion des élèves ne professant pas la foi catholique155.

L’opinion majoritaire y a vu une contrainte psychique inacceptable qui porte atteinte au droit

de libre exercice négatif. Alors que, dans sa décision sur la prière à l’école, dont il a été

question précédemment, la Cour allemande avait jugé que la liberté positive de la majorité

d’affirmer ses croyances et la liberté négative de la minorité de ne pas devoir s’y plier

pouvaient être conciliées, elle a cette fois conclu que la croix était trop liée à une religion

particulière, alors qu’une prière peut être conçue de façon œcuménique, et que les élèves qui

s’y objectaient ne pouvaient être dispensés comme pour la prière. La cour a par ailleurs refusé

la position considérant à voir la croix comme la simple expression de la tradition occidentale

ou comme un signe culturel dépourvu de rapport spécifique à une religion particulière.

En Suisse, le tribunal fédéral a déclaré un règlement municipal ordonnant l’installation

de crucifix dans les écoles primaires publiques contraire à l’article 49 de la Constitution

fédérale garantissant la neutralité confessionnelle de l’enseignement à l’école primaire156.

III. – Le port de signes religieux distinctifs

A. - Le port de signes religieux distinctifs par les élèves

1. - Le foulard islamique et le turban sikh

Nous ne connaissons pas de décision canadienne ou québécoise sur le foulard islamique

à l’école, mais la Commission des droits de la personne du Québec a publié en 1994 un

document dans lequel Me Pierre Bosset, conseiller juridique à la Direction de la recherche,

examine les problèmes soulevés par le port du foulard islamique dans les écoles publiques157.

Il en arrive à la conclusion que l’interdiction du voile islamique, ou hidjab, entraîne une

discrimination, directe si les signes d’appartenance religieuse sont interdits en tant que tels,

indirecte si l’interdiction vise un ensemble de vêtements et d’accessoires parmi lesquels les

signes religieux constituent une catégorie parmi d’autres. En outre, il y a restriction de la

liberté de religion. Me Bosset estime qu’à défaut de pouvoir prouver qu’il en résultera une

contrainte excessive, les écoles devront consentir un accommodement consistant à permettre

le port du foulard islamique, à moins qu’il ne s’inscrive « dans un contexte de pression sur les

élèves, de provocation ou d’incitation à la discrimination fondée sur le sexe158 ». Quels sont 155 (1995) 91 BverfGE, 108; traduction en anglais dans (1996) 17 Human Rights Law Journal 458; traduction en

français dans (2000) 50 Revue de droit canonique 35. Pour des commentaires de cette décision, voir

notamment : Michel FROMONT, « République fédérale d’Allemagne : la jurisprudence constitutionnelle en

1994 et 1995 », (1997) Revue du droit public, 354; Constance GREWE et Albrecht WEBER, « L’arrêt de la

Cour constitutionnelle allemande du 16 mai 1995 relatif au crucifix », (1995) 25 Revue française de droit

constitutionnel 183; Jean-Marie WOEHRLING, « Neutralité culturelle et mission culturelle de l’État :

réflexions sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande relatif au crucifix dans les écoles », (2000) 50

Revue de droit canonique 29; Olivier JOUANJAN, « Chronique de jurisprudence constitutionnelle

d’Allemagne » (1996) Annuaire international de justice constitutionnelle 964.

156 Europaïsche Grundrechtszeitung, 1991, 94.

157 Le port du foulard islamique dans les écoles publiques. Aspects juridiques, précité. Voir aussi sur cette

question : Ghislain OTIS et Christian BRUNELLE, « La Charte des droits et libertés de la personne et la tenue

vestimentaire à l’école publique », loc. cit. 158 Ibid., p. 16.

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les facteurs qui permettraient à une école d’échapper à l’obligation d’accommodement en

démontrant que le fait d’autoriser le port de signes d’appartenance religieuse entraînerait des

inconvénients excessifs? Dans son document sur le port du hidjab dans les écoles publiques,

la Commission des droits de la personne mentionne un certain nombre de considérations

pouvant justifier le refus de l’accommodement : le fait que certains symboles religieux

marginalisent les élèves qui les portent (cependant, l’école publique doit éduquer ses élèves

au respect des droits et libertés pour, précisément, éviter qu’une telle marginalisation ne se

produise); les circonstances où il serait démontré que l’ordre public ou l’égalité des sexes sont

en péril; les considérations de sécurité (par exemple, le port du hidjab pourrait se révéler

dangereux dans le cadre d’activités physiques ou de laboratoire)159.

Une décision d’une commission d’enquête ontarienne, qui portait sur une demande

d’accommodement pour le port de symboles religieux à l’école privée, peut également

contribuer à notre réflexion.

Ainsi, dans l’affaire Sehdev c. Bayview Glen Junior Schools Ltd.160, une commission

d’enquête ontarienne présidée par le professeur Peter A. Cumming examinait une plainte de

discrimination formulée contre une école privée qui avait refusé un enfant sikh parce que ses

parents insistaient pour qu’il puisse fréquenter l’établissement en gardant son turban. Or, un

règlement de l’école exigeait que tous les élèves portent le même uniforme et interdisait tout

signe d’appartenance à une religion. Il y avait donc discrimination indirecte fondée sur la

religion. L’accommodement aurait consisté à faire bénéficier le jeune sikh d’une dispense

d’application du règlement. Le projet éducatif de l’école et son lien avec la politique

concernant les exigences vestimentaires étaient formulés de la façon suivante :

Bayview Glen believes in God and holds that He is the supreme being, and the creator of the universe.

Beyond that the school subscribes to no specific religious dogma. Rather we suscribe to those beliefs that

are common to the major organized faiths. We actively promote those precepts and concepts that are

common to those faiths in order to incalculate an awarenss of the sameness that exists. [...] [W]e actively

promote the similarities that exist in our faiths. To this end, the school’s Uniform Policy has been

carefully thought out and developed over many years. [...] This policy requires that we dress outwardly

the same. The uniform is specific, right down to the colour of socks and the lenght of hair. No additions

or deletions are allowed as they detract from our outward promotion of sameness161.

La commission d’enquête est arrivée à la conclusion que la discrimination n’était pas

justifiée parce que les buts poursuivis par l’école avec sa politique vestimentaire n’auraient

pas été compromis par le fait de faire une exception en faveur des sikhs. On comprend qu’une

telle conclusion s’imposerait à plus forte raison dans le cas d’une école publique qui

n’applique aucune politique concernant l’uniforme.

Toujours en Ontario, la Commission provinciale des droits de la personne a adopté en

1996 un exposé de politiques sur la protection des droits en matière religieuse dans lequel elle

159 Ibid., p. 12-15. 160 (1988) 9 C.H.R.R. D/4881 (Ont. Bd. of Inq.). 161 Ibid., p. D/4883.

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affirme que les milieux de travail, les services et les établissements sont tenus de respecter les

besoins spéciaux en matière de règles portant sur les vêtements, en donnant notamment

comme exemple celui d’une école ne permettant pas aux filles de se couvrir la tête. Si, pour

observer sa religion, une étudiante musulmane doit porter un foulard sur la tête, l’école a le

devoir de le lui permettre162.

En France, dans un avis du 27 novembre 1989, l’Assemblée générale du Conseil d’État a

été amenée à prendre position sur la conformité du port du foulard islamique avec la laïcité de

l’école publique (en fait, pour éviter de s’exposer au grief de discrimination à l’égard de

l’islam, le ministre de l’Éducation nationale avait étendu la question à tous « les signes

d’appartenance à une communauté religieuse », bien que le problème ne se soit concrètement

soulevé qu’à l’égard du « foulard islamique »).

À la question ainsi posée, le Conseil d’État a répondu en adoptant une démarche en trois

temps. Il a commencé par rappeler la portée exacte du concept juridique de laïcité, pour

apporter ensuite une réponse précise au problème soulevé, en affirmant la compatibilité des

comportements en cause avec la laïcité. Enfin, il a indiqué les limites de la liberté ainsi

reconnue aux élèves163.

Le Conseil d’État aborde la portée du concept de laïcité de la façon suivante :

Il résulte des textes constitutionnels et législatifs et des engagements internationaux de la France

susrappelés que le principe de la laïcité de l’enseignement public, qui est l’un des éléments de la laïcité de

l’État et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé dans

le respect, d’une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et, d’autre part, de la

liberté de conscience des élèves. Il interdit conformément aux principes rappelés par les mêmes textes et

les engagements internationaux de la France toute discrimination dans l’accès à l’enseignement qui serait

fondée sur les convictions ou croyances religieuses des élèves.

De cette conception juridique traditionnelle de la laïcité, le Conseil d’État tire une

conséquence nouvelle, soit le droit reconnu aux élèves d’exprimer et de manifester leurs

croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires :

La liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de manifester leurs

croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la

liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes

et à l’obligation d’assiduité.

Des principes ainsi affirmés, la réponse à la question posée par le ministre découlait

inévitablement : « [...] dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par

162 Ontario Human Rights Commission, Policy on Creed and the Accommodation of Religious Observances, 1996,

p. 9.

163 Pour le texte de l’avis (avis nº 346.893 du Conseil d’État, Assemblée générale, 27 novembre 1989), voir :

(1991) 3 Revue universelle des droits de l’homme 152. Pour un commentaire, voir : Jean RIVERO, « Laïcité

scolaire et signes d’appartenance religieuse », (1990) 6(1) Revue française de droit administratif 1.

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lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas, par lui-même,

incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté

d’expression et de manifestation de croyances religieuses [...]. »

Enfin, le Conseil d’État a énoncé de la façon suivante les limites qui s’imposent à la

liberté des élèves de manifester, à l’école, leur appartenance à une religion :

Son exercice peut être limité, dans la mesure où il ferait obstacle à l’accomplissement des missions

dévolues par le législateur au service public de l’éducation, lequel doit notamment, outre permettre

l’acquisition par l’enfant d’une culture et sa préparation à la vie professionnelle et à ses responsabilités

d’homme et de citoyen, contribuer au développement de sa personnalité, lui inculquer le respect de

l’individu, de ses origines et de ses différences, garantir et favoriser l’égalité entre les hommes et les

femmes.

Concernant plus spécialement le droit des élèves d’afficher des signes manifestant leur

appartenance religieuse, le Conseil d’État précise ensuite les limites qui peuvent y être

apportées :

[...] cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par

leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou

par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de

prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres

membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le

déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre

dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public.

Comme nous pouvons le constater, le Conseil mentionne un certain nombre de

justifications pouvant être invoquées pour légitimer la limitation de la liberté des élèves de

manifester leurs croyances par le port de signes religieux. Étant donné leur caractère vague, la

marge d’appréciation laissée aux autorités chargées d’appliquer ces critères sera

inévitablement fort large, d’autant plus qu’il faudra tenir compte des circonstances propres à

chaque situation. Ainsi, s’agissant des caractères du signe lui-même, le simple foulard sur les

cheveux devrait plus difficilement être considéré comme ostentatoire ou revendicatif que le

tchador iranien ou le voile couvrant le visage jusqu’aux yeux, qui, au demeurant, pourraient

perturber le déroulement de l’enseignement en rendant plus difficile l’identification des

élèves. S’agissant des conditions dans lesquelles les signes sont portés, le port collectif, qui

ne semble pas constituer l’expression d’une conviction personnelle, pourrait davantage passer

pour « un acte de pression ou de provocation » que le port individuel. En outre, le port d’un

signe par lui-même ne saurait guère constituer « un acte de prosélytisme ». Le deviendrait-il

s’il était accompagné de propos par lesquels le porteur invite ses camarades à suivre son

exemple? Enfin, l’interdiction fondée sur les réactions hostiles que peut susciter, de la part

des autres élèves, le port d’un signe ne devrait être considérée qu’avec beaucoup de

précautions, de peur de cautionner, voire d’encourager, des comportements discriminatoires.

Par la suite, profitant du fait que l’avis du Conseil d’État chargeait les autorités

compétentes sur le plan local de mettre en œuvre les règles qu’il définissait, divers

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établissements scolaires à travers la France devaient adopter des règlements prohibant de

façon générale le port du foulard sous le prétexte qu’il s’agissait d’un signe en lui-même

ostentatoire. C’était oublier que l’avis faisait de la liberté le principe, imposant ainsi de

justifier de façon circonstanciée, sous le contrôle du juge, les atteintes qui y seraient portées.

Les arrêts bientôt rendus sur cette question devaient confirmer la position libérale du Conseil,

annulant comme constitutifs d’une interdiction trop générale les règlements intérieurs

d’établissement qui prohibaient le port de signes distinctifs d’ordre religieux, politique ou

philosophique164 ou prescrivaient qu’aucun élève ne serait admis en salle de cours, en salle

d’étude ou au réfectoire la tête couverte165. Il a aussi été jugé que les autorités scolaires

commettaient une erreur de droit en considérant que le port du foulard était par nature

incompatible avec le principe de laïcité166 ou représentait, par sa nature, un caractère

ostentatoire ou revendicatif et qu’il constituait dans tous les cas un acte de pression ou de

prosélytisme167. Dans d’autres décisions, au vu des circonstances particulières de l’affaire, le

Conseil est au contraire arrivé à la conclusion que l’interdiction du foulard par les autorités

scolaires était justifié, comme dans le cas où les jeunes filles avaient refusé d’ôter leur foulard

lors d’un cours d’éducation physique, le déroulement de celui-ci étant considéré comme

incompatible avec le port du foulard. Par conséquent, la jurisprudence exige un examen

individuel des comportements des jeunes filles portant le foulard et empêche les interdictions

systématiques qui ne tiendraient pas compte de toutes les circonstances d’une affaire168.

Comme nous l’avons déjà souligné précédemment, cette approche fait évidemment peser la

responsabilité d’évaluer les demandes d’accommodement et d’élaborer des solutions sur les

établissements scolaires locaux.

Au Royaume-Uni, la législation antidiscriminatoire actuellement en vigueur, le Race

Relations Act, n’offre pas une protection suffisante de la liberté de religion et de l’égalité

religieuse, car la loi prohibe uniquement la discrimination raciale et celle fondée sur l’origine

nationale ou ethnique, avec cette conséquence peu cohérente que l’interdiction du port du

turban sikh par les élèves d’une école a été jugée illégale, dans la mesure où les sikhs

164 Conseil d’État, 2 novembre 1992, M. Kherouaa, Revue française de droit administratif, 1993, p. 112.

165 Conseil d’État, 14 mars 1994, Mlles Yilmaz, Recueil, p. 129.

166 Conseil d’État, 20 mai 1996, Ali, Recueil, p. 187.

167 Conseil d’État, 27 novembre 1996, Khalid et Mme

Stefiani, Recueil, p. 460.

168 Le point de vue du Conseil d’État a été combattu plus ou moins ouvertement à certaines époques par les

autorités politiques. Ainsi, par une circulaire datée du 20 septembre 1994, M. Bayrou, alors ministre de

l’Éducation, a invité les chefs d’établissement à ajouter dans leurs règlements intérieurs une disposition

interdisant le port des signes « si ostentatoires que leur signification est précisément de séparer certains élèves

des règles de vie commune de l’école », ce qui revenait à suggérer de faire interdire le voile. Le Conseil d’État a

neutralisé cette tentative en jugeant que la circulaire n’avait pas de caractère normatif; voir Conseil d’État,

10 juillet 1995, Association Un Sysiphe, Actualité juridique de droit administratif 1995, p. 644. Pour des

articles analysant la jurisprudence française dans le détail, voir notamment : S. POULTER, loc. cit.; Nicolas

CHAUVIN, « Laïcité scolaire et protection des élèves », (1997) Revue administrative, no 295, 10; Céline

WIENER, « Les foulards noirs de la République », dans Mélanges Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p. 773;

Alain WERNER, « Le Conseil d’État et l’école : démocrate ou républicain? », Petites Affiches, no 99,

18 août 1997, 9; Nathalie DEFFAINS, « Le principe de laïcité de l’enseignement public à l’épreuve du foulard

islamique », (1998) Revue trimestrielle des droits de l’homme 203; Claude DURAND-PRINGBORNE, « Le

port des signes extérieurs de convictions religieuses à l’école : une jurisprudence affirmée...; une jurisprudence

contestée », (1997) Revue française de droit administratif 151.

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constituent un groupe ethnique (la même chose serait vraie dans le cas de l’interdiction de la

kippa juive), alors que l’interdiction du hidjab ne le serait probablement pas, car les

musulmans ne constituent pas un groupe ethnique mais une minorité religieuse169. Conscient

de cette incongruité, le Home Office fait actuellement effectuer des recherches en droit

comparé, notamment en droit canadien, pour déterminer selon quelles modalités – adoption

d’une nouvelle loi spécifique ou modifications apportées à la loi existante – il conviendrait de

remédier à la lacune législative170.

Comme nous l’avons noté précédemment, dans l’affaire Karaduman c. Turquie171 du

3 mai 1993, la Commission européenne des droits de l’homme a jugé non contraire au droit

de manifester ses convictions religieuses le refus de délivrance de diplôme opposé à la

requérante – une étudiante licenciée en pharmacie – par une université d’État turque, selon le

motif que, contrairement au règlement en vigueur, elle n’avait pas produit une photographie

d’identité sur laquelle elle apparaissait sans hidjab. L’argumentation retenue par la

Commission ne semble guère transposable au droit canadien ou québécois. En effet, la

Commission a notamment jugé que la fréquentation d’une université publique entraînait

l’acceptation des règles destinées à en assurer le caractère laïque et, par conséquent, la

renonciation à l’exercice de certains éléments de la liberté de manifester sa religion. Or, nous

avons déjà souligné que l’idée de renonciation contractuelle à la liberté de religion n’a guère

été acceptée jusqu’à présent par les tribunaux canadiens et québécois dans le contexte des

relations de travail. Elle le serait sûrement moins encore dans le contexte de l’enseignement

public. Ensuite, la Commission assimile la manifestation extérieure des croyances religieuses

par le port du foulard islamique à une pression sur les étudiants qui ne pratiquent pas la

religion musulmane ou qui adhèrent à une autre religion, susceptible de mettre en cause aussi

bien l’ordre public que le respect dû aux opinions d’autrui. Cette deuxième motivation

s’explique bien sûr par le fait qu’en Turquie la religion musulmane est dominante, si bien que

la Commission semble avoir été préoccupée de protéger les minorités religieuses de ce pays.

Au Canada et au Québec, la même religion est nettement minoritaire, si bien que les

manifestations extérieures s’y rapportant pourraient difficilement être considérées comme

susceptibles d’exercer une pression indue sur ceux qui ne la pratiquent pas (par contre, il est

possible qu’une certaine pression s’exercera à l’intérieur du groupe concerné sur les membres

de celui-ci qui seraient réticents à suivre la coutume en cause).

Aux États-Unis, les tribunaux ont généralement conclu que les réglementations scolaires

portant sur les vêtements ou la chevelure (dress code) et ayant pour effet d’interdire le port de

vêtements ou de symboles religieux restreignent la liberté de religion de façon non justifiable,

169 Sur l’état insatisfaisant du droit britannique dans ce domaine, voir S. POULTER, « Muslim Headscarves in

School », loc. cit.

170 Pour différentes raisons, qu’il serait trop long – et inutile – d’énumérer ici, le Human Rights Act, entré en

vigueur en 2000 et dont l’effet est d’incorporer en droit britannique la Convention européenne des droits de

l’homme, n’offre probablement pas de solutions suffisantes pour remédier à la non-application du Race

Relations Act à la discrimination religieuse. Pour une réflexion sur l’adoption en droit britannique de nouvelles

dispositions afin de mieux protéger la liberté et l’égalité religieuses, voir : Bob HEPPLE et Tufyal

CHOUDHURY, Tackling Religious Discrimination: Pratical Implications for Policy-Makers and Legislators,

Home Office Reseach, Development and Statistics Directorate, 2001 (Home Office Study 221).

171 Précitée.

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à moins qu’on ne puisse démontrer de façon actuelle et factuelle (de simples craintes ou

spéculations ne suffisant pas) que le port des signes en cause dérangent sérieusement les

activités éducatives. Les étudiants doivent donc normalement se voir reconnaître le droit de

porter des vêtements rituels comme le turban sikh, le foulard islamique ou la kippa juive.

Enfin, aux États-Unis, on estime que les élèves ne devraient pas se voir forcées de porter

des vêtements, comme des shorts, qu’elles considèrent comme incompatibles avec les règles

de leur religion en matière de modestie et de pudeur. De même, l’avis déjà mentionné du

Conseil des communautés culturelles et de l’immigration du Québec172 donne l’exemple d’un

accommodement négocié consistant à autoriser, à la place du short athlétique, un pantalon

long pour la gymnastique de façon à faciliter le respect des prescriptions de modestie de la

religion musulmane à l’usage des femmes.

2. - Le kirpan (poignard) sikh

Alors que le port de vêtements rituels comme le hidjab ou le turban sikh ne soulève, sauf

dans des circonstances particulières (comme les cours de gymnastique pour le hidjab ou la

conduite en motocyclette pour le turban), pas de préoccupations concernant la sécurité de la

personne intéressée ou d’autrui, il en va autrement pour le port du kirpan sikh, puisqu’il s’agit

d’un poignard que les sikhs baptisés sont obligés par leur religion de porter en permanence.

Cette obligation entraîne pour les sikhs auxquels elle s’impose des difficultés dès qu’ils se

trouvent dans une situation dans laquelle il est normalement interdit de porter une arme,

comme un voyage en avion ou encore la présence dans un palais de justice ou dans une école.

Alors que l’interdiction du kirpan dans les palais de justice et pour les voyages en avion a été

considérée comme justifiable173, la tendance des tribunaux a nettement été, jusqu’à présent,

de considérer que les administrations scolaires devaient permettre le port du kirpan sous

certaines conditions.

Ainsi, dans l’affaire Pandori, il s’agissait de deux plaintes conjointes relatives au port du

kirpan faites par un professeur et des élèves sikhs à l’école. Le professeur et les élèves se

voyaient opposer une résolution de la Commission scolaire de Peel interdisant le port du

172 La gestion des conflits de normes par les organisations dans le contexte pluraliste de la société québécoise,

précité, p. 51-53 et 72.

173 Dans Hothi c. R., [1985] 3 W.W.R. 256 (Man. Q.B.) conf. à [1986] 3 W.W.R. 671 (Man. C.A.), la Cour du

Banc de la Reine du Manitoba a confirmé l’ordonnance d’un juge de la Cour provinciale interdisant le port du

kirpan dans une salle d’audience. Dans le même sens, voir : R. v. Kaur, [1997] Q.J. No. 5066 (cour municipale

de Saint-Laurent). Dans Nijjar c. Lignes aériennes Canada 3000 Ltée, un tribunal canadien des droits de la

personne, constitué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, a rejeté la plainte d’un sikh qui

s’était vu refuser l’accès à un avion à cause de son kirpan, bien qu’il s’agissait en l’occurrence, selon le

plaignant, d’un « kirpan de voyage » dont la lame ne dépassait pas quatre pouces de longueur. Le tribunal a tenu

compte de l’environnement particulier d’un avion, où il n’est possible d’avoir accès ni à des services médicaux

d’urgence ni à une assistance policière. Dans Pritam Singh c. Wokmen’s Compensation Board Hospital, (1981)

2 C.H.R.R. D/459 (Bd. Inq. Ont.), M. Singh avait été informé qu’il ne pourrait pas passer de tests à l’hôpital s’il

n’ôtait pas son kirpan, ce qu’il avait refusé de faire. La commission d’enquête a décidé que l’hôpital aurait pu

trouver une solution d’accommodement respectant les croyances de M. Singh. Elle a ordonné qu’à l’avenir les

patients de religion sikh soient autorisés à conserver leur kirpan, à condition qu’il soit d’une longueur

raisonnable, pendant qu’ils reçoivent des soins à l’hôpital.

Page 70: La place de la religion à l'école publique...entraînent de la discrimination au détriment de certaines personnes en raison de leur religion peuvent souvent être considérées

68

kirpan dans l’enceinte de l’école. Une commission d’enquête établie en vertu du Code des

droits de la personne en Ontario est arrivée à la conclusion, au vu de la preuve, que le port du

kirpan devait être autorisé dans cette école, tant pour les élèves que pour les enseignants et les

membres de l’administration, mais à la condition qu’il soit d’une taille raisonnable, porté en

dessous des habits de façon à être invisible et maintenu de façon assez ferme dans sa gaine

pour qu’il soit difficile, mais pas impossible, de l’en sortir174. Le commissaire a

particulièrement tenu compte du fait qu’on avait pu démontrer qu’il ne s’était jamais produit

d’incident violent dans une école au Canada qui puisse être relié au port du kirpan. Il a en

outre souligné que d’autres commissions scolaires en Ontario et en Colombie-Britannique

permettaient le port du kirpan dans leurs écoles. Il a cependant ajouté que le directeur de

l’école pourrait s’assurer que les conditions posées concernant le port du kirpan seraient

respectées, les modifier si nécessaire, suspendre le droit de porter le kirpan si celui-ci faisait

l’objet d’abus et imposer d’autres restrictions temporaires si le niveau de violence dans

l’école augmentait. La décision de la Commission devait être confirmée par la Cour

divisionnaire d’Ontario175.

La Commission des droits de la personne en Ontario, dans un exposé de politiques déjà

mentionné précédemment, renvoie à la décision Pandori pour illustrer le devoir des autorités

scolaires de modifier leur politiques afin d’accommoder les élèves tenus de porter un kirpan

pour des raisons religieuses176.

Au Québec, la Cour supérieure, dans un jugement provisoire rendu le 17 mai 2002, s’est

fondée sur les mêmes principes pour autoriser le requérant, un élève sikh, à porter le kirpan à

l’école publique aux conditions suivantes : que le kirpan soit porté sous ses vêtements; que le

fourreau dans lequel il se trouve ne soit pas en métal mais en bois, de façon qu’il perde son

aspect contondant; que le kirpan soit placé dans son fourreau, enveloppé et cousu d’une façon

sécuritaire dans une étoffe solide; que le personnel de l'école puisse vérifier, de façon

raisonnable, que les conditions imposées ci-dessus sont respectées; que l’élève ne puisse en

aucun temps se départir de son kirpan et que la disparition de ce dernier soit rapportée aux

autorités de l’école immédiatement177. La décision a été portée en appel.

Les mêmes principes sont également suivis aux États-Unis : les sikhs ont le droit de

porter leur kirpan à l’école dans des conditions qui n’entraînent pas de risques pour autrui.

174 Pandori c. Peel Bd. of Education, (1990) 12 C.H.R.R. D/364 (Bd. Inq. Ont).

175 Peel Bd. of Education c. Ontario Human Rights Commission, (1991) 3 O.R. (3d) 351 (Divisional Court,

Ontario). Autorisation d’appel en cour d’appel rejetée le 12 août 1991. Dans l’affaire Tuli c. St. Albert

Protestant Board of Education, (1987) 8 C.H.R.R. D/3736 (B.I. Alb.), comme il n’était pas encore baptisé selon

la religion sikh, le port du kirpan n’était pas pour le plaignant un commandement religieux, mais plutôt un choix

personnel, contrairement à la période postérieure au baptême. Dans ces circonstances, la Commission a conclu

que l’interdiction du port du kirpan à l’école n’avait pas porté atteinte à la liberté de religion du requérant. On

pourrait critiquer cette décision en considérant qu’en cas d’erreur sincère d’appréciation d’un précepte par le

requérant, on devrait néanmoins considérer qu’il a agi pour un motif religieux.

176 Ontario Human Rights Commission, Policy on Creed and the Accommodatin of Religious Observances, précité,

p. 9.

177 Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeois, 2002] J.Q. no 1131.

Page 71: La place de la religion à l'école publique...entraînent de la discrimination au détriment de certaines personnes en raison de leur religion peuvent souvent être considérées

69

B. - Le port de signes religieux distinctifs par les enseignants

Si le règlement d’une école publique interdit aux enseignants le port de signes

d’appartenance à une confession religieuse, cela entraîne une restriction de leur droit de

manifester leur appartenance religieuse et une discrimination directe fondée sur la religion.

Si l’interdiction ne vise pas spécialement les signes d’appartenance à une confession

religieuse, mais plutôt « tout signe distinctif » (ce qui inclut les signes religieux), il y aura

également restriction de la liberté de religion et la discrimination sera qualifiée d’indirecte

plutôt que de directe178.

Dans un contexte où le principe de neutralité religieuse de l’État est interprété de façon

rigoureuse, comme en France ou aux États-Unis, il pourrait suffire de l’invoquer pour justifier

l’atteinte aux droits des enseignants. Cependant, nous avons vu qu’au Canada, dans la mesure

où le principe de neutralité, plutôt que d’être affirmé de façon autonome, découle du libre

exercice de la religion, il faudrait plutôt démontrer, pour justifier l’interdiction, que le port de

signes religieux par les enseignants est susceptible de restreindre la liberté religieuse des

élèves en leur faisant subir une pression religieuse. Or, une telle conséquence n’est pas

inévitable mais dépend plutôt du contexte, de l’âge des enfants – d’autant plus vulnérables

qu’ils sont jeunes –, de la discrétion ou, au contraire, de l’ostentation du signe en cause, de la

matière enseignée et du comportement de l’enseignant dans son ensemble (s’il s’agit d’une

attitude de prosélytisme, ouvert ou dissimulé, il y aura atteinte à la liberté religieuse des

enfants; si l’enseignant ou l’enseignante adopte une attitude de neutralité religieuse dans son

comportement et ses paroles, le simple fait de porter un signe risquera moins d’avoir un tel

effet).

Comme nous venons de le voir, dans l’affaire Pandori, on a reconnu aux enseignants le

même droit de porter le kirpan à l’école qu’aux élèves. Il faut cependant souligner que la

commission d’enquête et la cour ontarienne n’ont pas examiné la question de l’effet possible

du port de ce signe par un enseignant sur la liberté religieuse des élèves.

Aux États-Unis, où la question s’est d’abord posée à propos des religieuses catholiques

enseignant dans les écoles publiques, les tribunaux ont commencé par affirmer non pas le

droit des enseignantes de remplir leurs fonctions dans leurs habits religieux, mais plutôt celui

des commissions scolaires de les engager indépendamment de cette considération. Ceux qui

s’opposaient à cette situation se sont alors tournés vers les législatures pour faire adopter des

lois interdisant aux enseignants de porter des signes religieux dans l’exercice de leurs

fonctions. En général, les tribunaux ont été portés à considérer ces lois comme valides, en se

fondant sur le principe de neutralité religieuse de l’État et en jugeant que le port de signes

religieux par les enseignants (en l’occurrence, il s’agissait du turban sikh ou du foulard

islamique) serait de nature à donner l’impression aux enfants et à leurs parents que l’école

endossait un point de vue religieux particulier ou même à entrer en conflit avec le droit des

enfants au libre exercice de leur religion. Néanmoins, les lois en question (il en existe dans

178 « Interdire à un employé de porter un vêtement prescrit par sa religion peut s’analyser en une atteinte prima

facie au droit à l’égalité, de même qu’en une atteinte à sa liberté de religion » : Les contraintes vestimentaires

d’ordre religieux applicables au personnel de certaines écoles privées. Aspects juridiques, précité, p. 5.

Page 72: La place de la religion à l'école publique...entraînent de la discrimination au détriment de certaines personnes en raison de leur religion peuvent souvent être considérées

70

près de 40 États américains) prévoient que les enseignants peuvent porter des bijoux à

connotation religieuse, comme des colliers avec une croix ou une étoile de David, à condition

qu’ils soient suffisamment discrets179.

En France, la jurisprudence est que le principe de laïcité fait obstacle au droit pour les

agents, même non enseignants, du service de l’enseignement public de manifester leurs

croyances religieuses dans l’exercice de leurs fonctions, notamment « en portant un signe

destiné à marquer [leur] appartenance à une religion180 ». On peut estimer que la limitation

ainsi posée est excessivement large et va au-delà de la préservation des élèves contre les

risques d’endoctrinement, voire de simple influence181.

IV. – Les aménagements du calendrier scolaire

A. - Les aménagements réclamés pour les élèves

Dans ce domaine, il semble se dégager du droit comparé un consensus en faveur de la

solution des aménagements individuels, consistant à autoriser les absences pour des fêtes

religieuses chaque fois que cela est nécessaire, de préférence à un réaménagement structurel

du calendrier ayant pour objet de faire de toutes les fêtes religieuses des jours de congé.

Au Canada, dans l’affaire Islamic Schools Federation of Ontario182, les requérants

demandaient que la commission scolaire ferme ses écoles à l’occasion de deux grandes fêtes

religieuses musulmanes ou, alternativement, que le règlement adopté en vertu de la loi

scolaire et prévoyant que Noël, le Vendredi saint et le Lundi de Pâques sont des jours fériés

soit déclaré inconstitutionnel et comme entraînant une discrimination fondée sur la religion

contre les musulmans et comme restreignant également la liberté de religion de ces derniers.

Concernant la validité du règlement, la cour a jugé que le fait que le calendrier scolaire

coïncide, pour des raisons historiques, avec certaines fêtes religieuses n’en faisait pas pour

autant un calendrier religieux. En outre, en admettant par hypothèse qu’il restreignait

effectivement les droits garantis par la Charte canadienne, cette atteinte pouvait cependant

être justifiée en vertu de l’article premier de celle-ci. L’objectif du règlement, celui d’assurer

que les enfants aient les mêmes jours fériés que les travailleurs, était laïque et valide et le

critère de l’atteinte minimale était satisfait dans la mesure où il n’aurait pas été possible de

retenir un calendrier moins gênant pour les musulmans. La cour a souligné que le règlement

prévoyait qu’un enfant soit dispensé de l’obligation d’assiduité scolaire s’il s’absente de

l’école pour participer à une fête religieuse. Concernant l’obligation d’accommodement des

179 Pour une analyse critique de cette jurisprudence, voir : Hindy LAUER SCHACHTER, « Public School

Teachers and Religiously Distinctive Dress: A Diversity-Centered Approach », (1993) 22 Journal of Law and

Education 61. L’auteure estime que, dans le contexte où les chrétiens forment la majorité, le risque que les

enfants croient que l’école endosse le sikhisme ou l’islam parce qu’un enseignant ou une enseignante porte un

turban ou un foulard est inexistant.

180 Avis contentieux du Conseil d’État du 3 mai 2000, Mlle

Marteaux, Journal officiel, 23 juin 2000, p. 9471.

181 En ce sens, voir : Patrick WACHSMANN, Libertés publiques, 3e édition, Paris, Dalloz, 2000, p. 484. Par

contre, N. DEFFAINS, loc. cit., p. 215-216, approuve vigoureusement cette jurisprudence.

182 Précité.

Page 73: La place de la religion à l'école publique...entraînent de la discrimination au détriment de certaines personnes en raison de leur religion peuvent souvent être considérées

71

autorités scolaires, la cour a jugé qu’elle avait été remplie dans la mesure où la commission

scolaire avait prévu que des enseignants pourraient aider les enfants absents pour une fête

religieuse à faire du rattrapage et qu’elle avait donné comme directive de ne pas prévoir

d’examens ou d’activités importantes lors des fêtes religieuses musulmanes. L’obligation

d’accommodement n’allait pas jusqu’à obliger la commission scolaire à fermer ses écoles

durant de telles fêtes. La cour a souligné que l’accommodement réclamé par les requérants

aurait pour effet, dans la mesure où il faudrait étendre cette même solution aux jours religieux

des autres confessions représentées dans les écoles, de créer des difficultés logistiques

insurmontables pour les écoles et la commission scolaire dans la confection du calendrier

scolaire. En effet, en tenant compte de tous les jours fériés religieux à considérer (juifs,

musulmans, orthodoxes, etc.), il ne resterait pas assez de jours scolaires pour atteindre le

minimum prévu par la loi et considéré comme nécessaire pour des raisons pédagogiques.

Ce point de vue a également été adopté par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du

Sport du Québec, qui évite la position consistant à accorder à toutes les fêtes religieuses les

mêmes droits qu’à celles qui relèvent de la tradition chrétienne et s’inspire de l’approche en

vigueur en Ontario en incitant les milieux à trouver des accommodements individuels

permettant aux élèves de s’absenter pour un ensemble limité de fêtes, durant lesquelles on

s’efforce de ne prévoir aucun examen ou activité pédagogique exceptionnelle183.

En France, la jurisprudence fait une distinction entre les fêtes religieuses et le samedi.

Pour les fêtes religieuses, les élèves devraient pouvoir bénéficier individuellement des

autorisations d’absence nécessaires dans les cas où ces autorisations sont compatibles avec

l’accomplissement des tâches inhérentes aux études. Par contre, il y a refus de la dérogation

systématique pour le samedi, dès lors que l’emploi du temps comprend un nombre important

de cours et de contrôles le samedi matin. De même, l’administration veille à ne pas fixer les

dates d’examens et de concours d’une manière qui exclurait les élèves pratiquants184.

Aux États-Unis, les écoles ne sont pas tenues de fermer pour les fêtes religieuses, mais

peuvent décider de le faire pour des raisons pratiques, par exemple lorsqu’il est prévisible

qu’un grand nombre d’étudiants seront absents. La plupart des États ont adopté des

législations permettant un certain nombre d’absences excusées pour des fêtes religieuses. Si

cette possibilité n’était pas prévue dans un texte législatif, elle pourrait être réclamée sur la

base de la clause de libre exercice du Premier Amendement, aucun élève ne devant être

pénalisé pour s’être absenté en raison d’une fête religieuse.

183 M. McANDREW, précité, p. 139. William F. FOSTER et William J. SMITH, « Religion and Education in

Canada: Part III – An Analysis of Provincial Legislation », (2000-2001) 11 Education and Law Journal 203, à

la p. 244, soulignent que la grande majorité des provinces et territoires ont des législations prévoyant le droit

des élèves de s’absenter un jour de fête religieuse. Ils ajoutent : « The mere absence of exceptions to school

attendance for religious reasons in a number of jurisdictions is not itself problematic; however, if a school were

to deny such exceptions to students, then such policy or practice would infringe the reasonable accommodation

requirement found in human rights norms and jurisprudence. »

184 Yann AGUILA, « Le temps de l’école et le temps de Dieu », (1995) 11 Revue française de droit administratif

585; P. WACHSMANN, précité, p. 487-488.

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B. - Les aménagements réclamés pour les enseignants

Dans l’affaire Bergevin185, en se fondant sur l’article 10 de la Charte québécoise, la

Cour suprême du Canada est arrivée à la conclusion que le calendrier scolaire fixant l’horaire

de travail des enseignants, qui faisait partie de la convention collective liant la commission

scolaire intimée, dans la mesure où il ne prévoyait pas de congé payé le jour du Yom

Kippour, avait un effet discriminatoire indirect à l’égard des enseignants de religion juive,

ceux-ci devant prendre une journée de congé pour célébrer leur fête religieuse. Tenant compte

du fait que la convention collective prévoyait la rémunération de l’enseignant qui s’absente

pour diverses raisons et que, dans le passé, les absences rémunérées incluaient la célébration

du Yom Kippour, la Cour a jugé qu’en l’occurrence l’employeur n’avait pas réussi à prouver

que le fait d’accommoder les intéressés, en leur permettant de prendre un jour de congé payé

pour célébrer le Yom Kippour, lui imposerait une contrainte excessive. Par conséquent, il ne

s’était pas acquitté de son obligation d’accommodement raisonnable. La Cour suprême a

donc renversé la décision de la Cour d’appel186, qui était majoritairement arrivée à la

conclusion qu’il n’y avait pas de discrimination, et rétabli la décision du Tribunal d’arbitrage,

qui avait décidé que l’intimée devait payer les enseignants de religion juive qui s’étaient

absentés le jour du Yom Kippour. La Cour d’appel du Québec, à la majorité, avait considéré

que le fait d’accorder à des enseignants juifs un congé payé d’une journée pour assister à la

fête religieuse du Yom Kippour serait « de nature à créer une discrimination à rebours » en

imposant aux enseignants non visés par l’accommodement de travailler un jour de plus. À la

Cour suprême, ce point de vue a été énergiquement rejeté. Le juge Cory a souligné que la

convention collective prévoyait qu’un enseignant pouvait s’absenter jusqu’à trois jours par an

sans perte de traitement si cette absence était justifiée par un motif « valable »187. Qui plus

est, il a relevé que, par le passé, les absences rémunérées incluaient la célébration du Yom

Kippour (ce qui, au demeurant, démontrait que le remplacement et la rémunération des

enseignants juifs absents ce jour-là ne constituaient pas un fardeau déraisonnable pour

l’employeur)188.

Un des arguments des défendeurs consistait à prétendre que, si l’on permettait aux

enseignants juifs de s’absenter un jour par an pour le Yom Kippour, d’autres enseignants

risqueraient de s’appuyer sur ce précédent pour réclamer des arrangements plus

considérables, comme le droit de s’absenter un jour par semaine le vendredi. Dès lors, le

principe d’égalité empêcherait qu’on refuse aux uns ce qu’on a reconnu aux autres. La Cour

suprême a cependant écarté ce motif de la façon suivante, par la voix du juge Cory : « Je

reconnais que, dans d’autres cas, il pourra exister des circonstances où l’accommodement

raisonnable serait impossible. Par exemple, si un enseignant devait, à cause de ses croyances

religieuses, s’absenter tous les vendredis de l’année, il pourrait bien alors être impossible

pour l’employeur de composer raisonnablement avec les croyances et les exigences

185 Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, précité.

186 (1992) 48 Q.A.C. 34.

187 Bergevin, précité, 546-550 (j. Cory).

188 Ibid., 550 (j. Cory).

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73

religieuses de cet enseignant189. » Autrement dit, les limites de l’obligation

d’accommodement découlent du concept même d’accommodement « raisonnable » : si les

musulmans demandaient un jour de congé par semaine, plutôt qu’un jour par an comme les

juifs, cela ne serait pas raisonnable et n’entraînerait donc pas d’obligation correspondante

pour l’employeur.

Aux États-Unis, les commissions scolaires sont également sous le coup d’une obligation

d’accommodement raisonnable à l’égard des enseignants qui veulent s’absenter pour des

raisons religieuses, tant en vertu de la clause de libre exercice du Premier Amendement que

du Titre VII du Civil Rights Act de 1964. Cela signifie au moins que, lorsque les enseignants

ont droit à un certain nombre de congés payés pour des raisons personnelles, on ne peut leur

refuser des les utiliser pour des raisons religieuses. Par contre, les décisions des tribunaux

sont contradictoires sur la question de savoir si l’employeur doit leur offrir des congés

supplémentaires pour des fêtes religieuses190.

V. – La diffusion d’informations religieuses à l’école publique

Pour ce qui est de la diffusion d’informations religieuses à l’école, la liberté d’expression

vient renforcer la liberté de religion. Comme la problématique n’a jusqu’à présent guère été

soulevée devant les tribunaux canadiens, il faut se tourner vers la jurisprudence américaine,

qui permet d’anticiper les positions que les tribunaux canadiens sont susceptibles de prendre,

le cas échéant.

Aux États-Unis, on distingue le régime de la diffusion d’informations religieuses à

l’école publique selon que l’initiative en est prise par les élèves, par des personnes extérieures

à l’école ou par les autorités scolaires.

A. - La diffusion d’informations ou de documents religieux par les élèves

Les tribunaux américains ont jugé que les élèves ont le droit de diffuser de l’information

et de la documentation religieuses à l’école dans les mêmes conditions qu’il leur est permis

de diffuser toute autre espèce d’information ou de documentation non reliée aux activités ou

au contenu pédagogiques. Les autorités scolaires peuvent encadrer la diffusion d’informations

et de documentation religieuses avec les mêmes réglementations (de temps, de lieu et de

modalités) que celles applicables aux autres informations susceptibles d’être diffusées par les

élèves, mais sans pouvoir leur appliquer un traitement particulier fondé sur leur nature

religieuse.

Ces principes sont très clairement rappelés dans des « lignes directrices » émises, à la

demande du président Clinton, par le Département fédéral de l’Éducation des États-Unis en 189 Ibid., 551 (j. Cory).

190 Voir : Julius MENACKER, « Teacher’s Rights to Observe Holy Days: A United States-Canada Comparison »,

(1997) 7 Education and Law Journal 209.

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mai 1998 et dans lesquelles sont présentés les grands principes découlant de la jurisprudence

en matière d’expression religieuse dans les écoles publiques191 :

Students have a right to distribute religious literature to their

schoolmates on the same terms as they are permitted to distribute other

literature that is unrelated to school curriculum or activities. Schools

may impose the same reasonable time, place and manner or other

constitutional restrictions on distribution of religious literature as they

do on nonschool literature generally, but they may not single out

religious literature for special regulation.

Par conséquent, il faut se reporter à la jurisprudence relative à la liberté d’expression des

élèves dans les écoles publiques, laquelle est applicable aux informations religieuses autant

qu’aux autres formes d’informations. Dans la décision de principe en la matière, l’affaire

Tinker de 1969192, la Cour suprême des États-Unis a jugé que les autorités scolaires ne

pourraient interdire complètement la diffusion d’informations ou de documentation

(literature) par les élèves que si celle-ci entraînait des entraves réelles et sérieuses au

fonctionnement des activités éducatives ou portait atteinte aux droits des autres élèves

(materially disrupts classwork or involves substantial disorder or invasion of the right of

others). Par ailleurs, les autorités scolaires ont le droit d’imposer des restrictions raisonnables

relatives au temps, au lieu et aux modalités de distribution de l’information (time, place and

manner restrictions). Ainsi, l’école pourra restreindre la distribution à certains moments de la

journée (par exemple, durant l’heure du lunch ou encore avant ou après les classes), à certains

lieux (par exemple, dans le hall de l’école plutôt que dans les couloirs, où cela pourrait gêner

la circulation des élèves) et à certaines modalités (par exemple, depuis un endroit fixe plutôt

que par une distribution mobile). Cependant, ces restrictions doivent rester raisonnables et ne

pas avoir pour effet d’enlever au droit des élèves de distribuer de l’information toute portée

pratique (en confinant, par exemple, la distribution à des lieux peu fréquentés ou à des

191 United States Departement of Education Guidelines, Student Religious Expression in Public Schools, revised

May, 1998 (accessible sur le site www.ed.gov/inits/religionandschools/). Pour le droit américain, nous avons

également tiré nos informations des sources suivantes : American Civil Liberties Union, The Establishment

Clause And Public Schools. An ACLU Legal Bulletin, ACLU, 1996 et Religion in the Public Schools: A Joint

Statement of the Current Law, ACLU, 1996 (accessible sur le site www.aclu.org/issues/religion/); Religion in

the Public Schools. Guidelines for a Growing and Changing Phenomenon, Anti-Defamation League, 2001

(accessible sur le site www.adl.org); Charles C. HAYNES et Oliver THOMAS, Finding Common Ground. A

Guide to Religious Liberty in Public Schools, First Amendment Center, 2001 (accessible sur le site

www.freedomforum.org); James E. RYAN, « The Supreme Court and Public Schools », (2000) 86 Virginia

Law Review 101, 147 et suiv.; Samina QUDDOS, « Accommodating Religion in Public Schools: Must, May or

Never? », (2001) 6 Journal of Islamic Law and Culture, 67; Michael McCONNELL, « Accommodation of

Religion », (1985) Supreme Court Review. 1; Idem, « Free Exercice Revisionism and the Smith Decision »,

(1990) 57 University of Chicago Law Review, 1109; Idem, « Accommodation of Religion: An Update and a

Response to the Critics », (1992) 60 George Washington Law Review, 685 ; Idem, « Neutrality, Separation and

Accommodation: Tensions in American First Amendement Doctrine », dans Law and Religion (sous la

direction de Rex J. Ahdar), Dartmouth, Ashgate, 2000, p. 63. 192 Tinker v. Des Moines Independent Community School District, 393 U.S. 503 (1969). Pour une analyse de la

jurisprudence américaine relative à la liberté d’expression, notamment religieuse, des élèves des écoles

publiques, voir : Janet R. PRICE, Alan H. LEVINE et Eve CARY, The Rights of Students – The Basic ACLU

Guide to a Student’s Rights, Third Edition, Southern Illinois University Press, 1988, p. 11-36 ; James E. RYAN,

« The Supreme Court and Public Schools », (2000) 86 Virginia Law Review 101, aux p. 112-126.

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75

moments de la journée durant lesquels une grande partie de la population scolaire est

absente).

La question de savoir si les autorités scolaires peuvent exercer un contrôle préalable sur

l’information et la documentation diffusées par les élèves n’a pas été clairement résolue, les

décisions des tribunaux étant contradictoires. Cependant, dans les décisions acceptant le

principe d’un tel contrôle, on souligne un certain nombre de conditions qui doivent être

remplies pour qu’il reste compatible avec la liberté d’expression des élèves : il ne faut pas que

les critères encadrant la prise de décision par les administrateurs scolaires pour autoriser ou

interdire la distribution soient trop imprécis; il faut prévoir une procédure protégeant

suffisamment les élèves pour encadrer ce genre de contrôle (exigence d’une décision rapide et

suffisamment motivée des autorités, identification claire des autorités compétentes, existence

d’une procédure d’appel à la disposition des élèves en cas de refus, etc.).

Parmi les informations ou documents susceptibles d’être à bon droit censurés par les

autorités scolaires figurent ceux susceptibles : de causer une entrave sérieuse au

fonctionnement de l’école (contenant, par exemple, des expressions ou termes pouvant

outrager d’autres élèves et créer ainsi des conflits); de porter atteinte aux droits d’autrui (en

étant, par exemple, diffamatoires, en portant atteinte au droit au respect de la vie privée ou

encore, dans le cas d’informations religieuses, en constituant une forme de prosélytisme

intrusif ou coercitif); d’apparaître comme formellement endossés ou approuvés par les

autorités scolaires (en imitant, par exemple, la présentation des documents officiels de

l’école). En ce qui concerne plus particulièrement la diffusion d’informations religieuses par

les élèves, les autorités scolaires doivent, afin de respecter le principe de non-établissement

du Premier Amendement, prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter d’encourager ou

d’endosser – ou de laisser croire qu’elles encouragent ou endossent – une telle diffusion. À

cette fin, elles peuvent exiger d’apposer sur tout matériel religieux diffusé par les élèves une

mention (disclaimer) indiquant qu’elles ne prennent aucune part à cette diffusion193. Les

autorités scolaires doivent également veiller à ce que la diffusion d’informations, notamment

religieuses, par des élèves ne se déroule pas dans des conditions qui entraîneraient des

pressions, du harcèlement ou de l’intimidation à l’égard d’autres élèves.

Tout en jouissant d’une certaine latitude pour prohiber la diffusion d’informations ou de

documents entrant en conflit avec leur mission éducationnelle, les écoles ne devraient

habituellement pas bannir une telle diffusion en se fondant uniquement sur le contenu de

l’information ou de la documentation, sans considération du contexte. Ainsi, par exemple,

même si les autorités scolaires estiment qu’une documentation de nature religieuse diffusée

par des élèves contient de la propagande religieuse, elles ne devraient pas l’interdire tant que

la documentation en cause est proposée aux autres élèves dans le respect de leur droit de

l’accepter ou de la refuser, sans pression, intimidation ou harcèlement d’aucune sorte. Plus

généralement, dans le cas de la diffusion d’informations ou de documents par les élèves, la

distinction entre « information » et « propagande » n’est pas véritablement pertinente,

puisque les élèves ont non seulement le droit de disséminer de l’information, mais aussi celui

193 Muller v. Jefferson Lighthouse School, 98 F. 3d 1530 (7

th Cir. 1996).

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d’exprimer des idées et des opinions, et que les autorités scolaires ne peuvent, sauf en cas de

menace réelle de troubles sérieux, réglementer que les modalités de l’expression et non pas le

contenu de celle-ci. Ainsi, une cour fédérale a invalidé une loi étatique interdisant la

distribution dans les locaux scolaires de toute information « de nature sectaire, partisane ou

religieuse » ou dont l’objet serait de « répandre de la propagande » (of a sectarian, partisan

or denominational character or the purpose of which was to spread propaganda)194. Une

autre cour fédérale a invalidé un règlement scolaire interdisant à tout organisme « de nature

politique-partisane et/ou religieuse-sectaire » (any organization of a political-partisan and/or

religious-sectarian character) de chercher à recruter des membres dans la population

scolaire195. Comme nous l’avons noté précédemment, les élèves d’une école publique ont le

droit de s’adresser à leurs camarades de classe pour leur parler de sujets religieux et même

tenter de les persuader ou de les convertir, au même titre qu’ils peuvent chercher à les

convaincre sur des sujets politiques. Cependant, les autorités scolaires doivent s’assurer que

ce prosélytisme ne constitue pas du harcèlement.

Par ailleurs, il va sans dire que la réglementation de la diffusion de l’information,

religieuse ou autre, par les élèves ne doit pas être discriminatoire en visant sélectivement

certaines opinions ou certaines croyances plus que d’autres.

Depuis une décision rendue par la Cour suprême en 1988196, un régime particulier

s’applique à la diffusion d’informations par les élèves dans les publications financées par

l’école, sur le tableau d’affichage officiel ou dans le cadre d’activités pédagogiques, comme

une production théâtrale, une exposition d’objets d’art ou d’artisanat ou d’autres activités

expressives organisées par l’école, par opposition à une diffusion par des moyens purement

personnels des élèves en dehors de tout cadre pédagogique. Dans la mesure où la diffusion se

fait dans le contexte d’une activité relevant du programme pédagogique ou par l’intermédiaire

d’un support officiel de l’école (revue scolaire ou tableau d’affichage par exemple) et, pour

cette raison, est susceptible d’apparaître comme sanctionnée ou endossée par les autorités

scolaires, celles-ci peuvent exercer une surveillance plus étroite, le critère de la validité de

leur contrôle n’étant plus celui de la menace réelle d’une entrave sérieuse au fonctionnement

de l’école (le critère de l’arrêt Tinker), mais plutôt celui – moins exigeant – d’un lien

raisonnable avec les préoccupations éducatives. À la lumière de ce dernier critère, les

autorités scolaires peuvent, par exemple, censurer un article étudiant dans le journal officiel

de l’école si elles estiment qu’il n’est pas adapté au niveau de maturité du public constitué par

les autres élèves de l’école (dans la décision en cause, il s’agissait d’un article discutant de

sexualité et de contraception). Une activité sera considérée comme pédagogique si elle est

supervisée par un enseignant et destinée à transmettre aux élèves des connaissances ou des

habiletés.

Enfin, une question a été soulevée aux États-Unis à savoir si les élèves désirant diffuser

de l’information, notamment religieuse, avaient le droit d’utiliser à cette fin certains moyens

194 Rowe v. Campbell Union High School District, Civil Action No. 51060 (N.D. Calif. 9/4/70). 195 Cintron v. State Board of Education, 384 Fed Supp. 674 (D.P.R. 1974). 196 Hazelwood School District v. Kuhlmeier, 484 U.S. 260 (1988).

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matériels appartenant à l’école, comme les tableaux d’affichage, les publications scolaires et

le système d’adresse sonore. La réponse est affirmative dans certains contextes. Ainsi,

comme nous l’avons déjà noté précédemment, en vertu d’une loi fédérale adoptée en 1984 et

applicable à toutes les écoles publiques secondaires récipiendaires de subventions

gouvernementales fédérales (Equal Access Act), dès lors qu’une école permet l’utilisation de

ses locaux et autres installations avant, après ou durant la journée scolaire, dans ce dernier cas

en dehors des temps pédagogiques proprement dits, par des groupes ou clubs étudiants à

finalité non religieuse, comme un club de jeu d’échecs ou un club de discussion de sujets

politiques (on dit alors qu’elle met en place un limited open forum), elle doit le permettre

également, dans les mêmes conditions, aux groupes à finalité religieuse, comme un groupe de

prières ou d’étude de la Bible. Ces derniers doivent être créés à l’initiative des étudiants,

organisés et dirigés par eux et la participation doit y être volontaire. Les groupes religieux

doivent se voir reconnaître, dans les mêmes termes que les groupes non religieux, le droit

d’utiliser les moyens de communication de l’école (tableaux d’affichage, journal scolaire,

système sonore) pour faire connaître leurs activités. Indépendamment de l’application du

Equal Acess Act, une école qui rend accessibles certains de ses moyens de communication à

certains groupes étudiants doit le faire dans tous les cas de façon non discriminatoire et ne

peut dès lors refuser le même avantage à d’autres groupes, quelles que soient les opinions

qu’ils cherchent à communiquer (sauf évidemment si, en vertu des critères exposés

précédemment, les autorités scolaires peuvent à bon droit les censurer ou les interdire).

B. - La diffusion d’informations ou de documents religieux par des personnes ou entités

extérieures à l’école

Les personnes et entités extérieures n’ont aucun droit de diffuser de l’information ou de

la documentation – religieuse ou autre – dans les locaux ou sur les terrains appartenant à

l’école.

Les autorités scolaires ne devraient normalement pas davantage les y autoriser, car le

danger existerait alors que la diffusion apparaisse aux enfants, surtout s’ils sont jeunes et ne

disposent pas des facultés critiques nécessaires, comme sanctionnée et endossée par les

autorités scolaires (ce qui serait incompatible avec le principe de non-établissement, ou

principe de neutralité religieuse, des organes étatiques) ou encore que les enfants subissent

une pression morale les amenant à accepter les matériaux distribués contre leur gré pour ne

pas être marginalisés ou stigmatisés (ce qui serait incompatible avec le principe de libre

exercice, ou de liberté religieuse, sous sa forme négative). C’est ainsi qu’une cour fédérale

d’appel a jugé que la décision d’une commission scolaire de l’Indiana de permettre à

l’organisation des Gideons de distribuer des bibles à l’école pendant les heures de classe

violait le Premier Amendement, bien que le personnel scolaire n’ait pris aucune part à la

distribution et que les bibles distribuées ne servaient pas à des fins pédagogiques197. Une

197 Berger v. Rensselaer Central School Corp., 982 F. 2d 116 0 (7

th Circ.) [appel en Cour suprême refusé, 113 S.Ct.

2344 (1993)]. Concernant la pression que certains élèves sont susceptibles de subir, la Cour s’exprime comme

suit : « … the act of accepting a bible in front of other students, with the option of returning it later privately or

choosing not to read it, signals accord with the Gideons’ beliefs. Presumably, the fith graders could make a

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distribution « passive », par la mise à la disposition des élèves d’informations ou de

documentations religieuses sur une table se trouvant dans les locaux de l’école, sans

sollicitation active et en dehors des heures de classe, serait moins problématique (car créant

une moindre apparence de lien entre l’école et l’organisme distribuant le matériel religieux et

entraînant moins de pressions sur les élèves), mais il n’est néanmoins pas acquis qu’elle serait

constitutionnelle.

En tout cas, si les autorités scolaires autorisent malgré tout certains groupes extérieurs à

diffuser de l’information à l’intérieur de l’école, elles ne peuvent refuser la même autorisation

à d’autres groupes en se fondant uniquement sur le contenu et la nature de l’information en

cause, car il y aurait alors discrimination198.

Par ailleurs, comme nous l’avons noté précédemment, en vertu d’une décision de la Cour

suprême des États-Unis visant les écoles primaires et secondaires199, si une telle école permet

l’usage de ses locaux à des organisations extérieures non religieuses après la fin de la journée

scolaire (after-school clubs), elle devra accorder une semblable autorisation, dans les mêmes

conditions, aux organisations extérieures religieuses, celles-ci pouvant alors utiliser les locaux

de l’école notamment pour diffuser de l’information ou de la documentation religieuses. Les

autorités scolaires devront cependant prendre de façon préventive toutes les précautions

nécessaires afin de bien faire comprendre qu’elles n’endossent pas ni ne désapprouvent les

activités des organisations religieuses qui utilisent les locaux de l’école après la fin de la

journée scolaire.

Si, dans le contexte précédent, l’école laisse aux organismes ayant reçu l’autorisation

d’utiliser ses locaux après la journée scolaire la possibilité de porter leurs activités à la

connaissance des élèves pendant la journée scolaire, par un affichage sur les lieux de l’école

par exemple, elle doit également offrir cette possibilité aux groupes religieux qui jouissent de

la même autorisation, en prenant cependant les précautions nécessaires pour bien marquer

que les autorités scolaires n’endossent pas les activités de l’organisme religieux et en

s’assurant que la publicité concernant ces activités est strictement informative, ne contient

aucun élément de propagande et ne transmet aucun message religieux. À cette fin, l’école

peut exiger d’exercer un contrôle préalable sur le contenu de la publicité en cause et imposer

les conditions de temps et de lieu de même que les autres modalités qu’elle juge utiles (par

exemple, en désignant un tableau d’affichage unique, en exigeant que les affiches portent un

sceau d’autorisation des autorités scolaires ou en apposant un avertissement destiné à

souligner qu’elle n’endosse pas les activités en cause, etc.). Les enseignants ne doivent jamais

public show of not accepting the Bible […], but the First Amendement prohibits the government from putting

children in this difficult position » (p. 1170). 198 Peck v. Upshur County Board of Education, 155 F. 3

rd 274 (4

th Cir. 1998).

199 Good News Club v. Milford Central School, 533 U.S (2001) ; voir également Lamb’s Chapel v. Center

Moriches Union Free School District, 508 U.S. 384 (1993), où la Cour a précisément jugé qu’une école, qui

autorisait certains groupes s’occupant d’éducation des enfants à se réunir après la journée scolaire dans les

locaux scolaires, ne pouvait pas refuser la même autorisation à une église voulant présenter, dans les mêmes

conditions, une série de films documentaires traitant de l’éducation des enfants dans une perspective religieuse.

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participer à une distribution de ce type de publicité et les personnes extérieures à l’école ne

doivent pas s’y livrer davantage sur les lieux de l’école pendant la journée scolaire.

Enfin, les personnes ou entités extérieures à l’école peuvent diffuser de l’information,

notamment religieuse, aux abords de l’établissement (en dehors de celui-ci mais à proximité

immédiate). Cependant, les autorités locales et municipales peuvent imposer des conditions

de temps et de lieu ainsi que d’autres modalités et aller jusqu’à interdire complètement la

diffusion si elle entrave le fonctionnement de l’école ou si elle est faite dans des conditions

qui marginalisent ou stigmatisent certains élèves ou exercent de la pression ou de la

coercition sur eux200. Quant aux autorités scolaires, elle doivent prendre les précautions

nécessaires pour faire comprendre aux élèves qu’elles n’endossent pas ni ne désapprouvent

les informations religieuses ainsi diffusées.

C. - La diffusion d’informations ou de documents religieux par les autorités scolaires et par

les enseignants

Les autorités scolaires ou les enseignants peuvent-ils, de leur propre initiative, diffuser

des informations ou des documents religieux à l’école (en informant, par exemple, les élèves

d’un service religieux ou en transmettant de la documentation sur un événement religieux

tenu en dehors de l’école)? La réponse semble assez nettement négative aux États-Unis, car

un tel comportement serait contraire au principe de neutralité des institutions publiques en

constituant un « endossement » de la religion par les autorités scolaires.

Comme nous l’avons souligné précédemment, le principe de neutralité religieuse de

l’État qui s’applique en droit canadien est moins contraignant que le principe de non-

établissement aux États-Unis. De plus, sans que cela ait encore été établi, il est imaginable

que les tribunaux canadiens ne considèrent comme inconstitutionnelles les attitudes étatiques

favorables à la religion que si elles sont discriminatoires ou si elles entraînent sur certaines

personnes une coercition ou une pression à la conformité. Dès lors, la validité de la diffusion

d’informations religieuses à l’initiative des autorités scolaires dépendrait des modalités et du

contexte. Une information diffusée auprès de jeunes enfants durant les heures de classe par

les enseignants, à cause du caractère impressionnable et captif de l’auditoire, serait

probablement considérée comme susceptible d’exercer une pression sur les élèves ou encore

de créer un sentiment de marginalisation chez ceux qui n’ont pas de convictions, ou pas les

mêmes convictions, religieuses. Une information mise à leur disposition de façon purement

passive, par exemple sur un tableau d’affichage, sans sollicitation active, serait probablement

jugée moins problématique.

Par ailleurs, si les autorités scolaires prennent l’initiative de diffuser de l’information

religieuse à l’école, il faut évidemment qu’elles le fassent de façon à éviter d’apparaître

comme favorisant une religion par rapport aux autres ou même comme favorisant les points

de vue religieux par rapport aux points de vue philosophiques a-religieux ou antireligieux, ce

200 Bacon v. Bradley-Bourbonnais High School District No. 307, 707 Fed. Supp. 1005 (C.D.IL 1989).

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qui serait le cas si les informations diffusées ne portaient que sur les activités d’un ou de

certains groupes religieux ou que sur l’activité de groupes religieux par opposition à celle de

groupes qui font la promotion d’idées antireligieuses ou a-religieuses. On aperçoit facilement

la situation difficile dans laquelle se trouveront alors les autorités de l’école : selon quels

critères choisiront-elles les éléments constitutifs de l’information diffusée, afin que celle-ci ne

soit pas discriminatoire?

Les autorités scolaires peuvent-elles diffuser de l’information religieuse à l’école à la

demande d’organismes extérieurs? Nous avons vu précédemment qu’elles peuvent permettre

à un organisme extérieur qui a obtenu la permission d’utiliser les locaux de l’école après la

fin de la journée scolaire d’annoncer ses activités sur les lieux de l’école pendant la journée

scolaire (ce qui revient pratiquement pour les autorités scolaires à relayer cette information), à

condition que certaines précautions soient respectées. Dans cette hypothèse, il existe un lien

entre l’école et l’organisme extérieur qui veut diffuser, à l’école, de l’information sur les

activités qu’il organise dans les lieux de l’école après la journée scolaire. Dans le cas d’un

organisme extérieur n’ayant aucune activité de ce type dans les locaux de l’école, le même

lien ferait défaut.

Par ailleurs, si l’école accepte de diffuser des informations relatives aux activités

d’organismes extérieurs non religieux, des organismes culturels ou sportifs par exemple, elle

ne devrait pas refuser le même service à des organismes religieux. En outre, si les autorités

scolaires répondent aux demandes de diffusion d’information faites par des organismes

religieux extérieurs, elles doivent éviter de le faire de façon discriminatoire et offrir les

mêmes facilités à tous les groupes religieux comparables qui en font la demande.

Les autorités scolaires devront également exercer un contrôle sur l’information qu’on

leur demande de transmettre, pour s’assurer qu’elle ait un contenu strictement informatif et

factuel et qu’il ne s’agisse pas d’un message à portée prosélytique. Il n’existe pas de critère

juridique précis permettant de faire la distinction entre ces deux catégories de contenu, le sens

commun et le bon sens devant être mis à contribution.

Enfin, l’école devra prendre toutes les précautions nécessaires pour bien faire

comprendre qu’elle n’endosse pas les informations transmises, par exemple en apposant un

avertissement en ce sens sur les affiches ou les feuillets contenant ces informations. Le fait de

faire transmettre les informations par les enseignants eux-mêmes, surtout si les enfants sont

jeunes et constituent un auditoire captif, entraînerait le danger d’une confusion dans l’esprit

de ces derniers entre le message et le messager, ce qui serait contraire à l’obligation de

neutralité des enseignants et de l’école. Un moyen de transmission plus neutre, laissant aux

élèves la liberté de prendre ou non connaissance de l’information, comme un affichage sur un

tableau également consacré à d’autres informations non religieuses, serait moins

problématique.

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SYNTHÈSE

I. Les principes généraux de droit québécois, canadien et international relatifs à la liberté

de religion et à l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion,

particulièrement dans le domaine scolaire

1. Pour ce qui est de la liberté de conscience et de religion, les dispositions de la Charte

canadienne (article 2a)) et de la Charte québécoise (article 3) ne présentent pas de différences

significatives, si bien qu’il faut présumer qu’elles doivent recevoir la même interprétation.

Les dispositions des deux chartes qui portent sur le droit à l’égalité interdisent l’une et l’autre,

de façon expresse et dans des termes comparables, la discrimination fondée sur la religion.

2. La liberté de conscience et de religion, d’une part, et la protection contre la discrimination

fondée sur la religion ou les convictions, d’autre part, constituent deux droits qui peuvent être

invoqués de façon largement interchangeable et qui, par conséquent, se chevauchent. Dans les

faits, les requérants font presque toujours appel aux deux droits en parallèle. Néanmoins, les

tribunaux semblent considérer que les mesures qui ont pour effet d’exercer une coercition

religieuse doivent être examinées sous l’angle de la liberté de religion et celles qui entraînent

un traitement inégal fondé sur la religion, sous l’angle du droit à l’égalité.

3. La prohibition de la discrimination religieuse, dans les deux chartes, vise autant la

discrimination indirecte, ou discrimination « par suite d’un effet préjudiciable », que la

discrimination directe. Alors que la discrimination directe est celle qui repose ouvertement

sur un motif prohibé de distinction, la discrimination indirecte découle d’une règle « neutre »

qui s’applique de la même façon à tous, mais qui produit néanmoins un effet discriminatoire

sur un seul groupe de personnes en ce qu’elle leur impose des obligations ou des conditions

restrictives non imposées aux autres membres de la société. En matière religieuse, la

discrimination indirecte résulte souvent du fait que l’autorité publique sanctionne, pour des

raisons laïques, des règles qui correspondent aux pratiques des religions traditionnelles (par

exemple, les jours fériés civils correspondent encore aujourd’hui, pour des raisons

historiques, aux fêtes religieuses chrétiennes).

4. Compte tenu des différences de texte entre l’article 10 de la Charte québécoise et

l’article 15(1) de la Charte canadienne, trois ou quatre éléments constitutifs doivent être

réunis pour qu’il y ait discrimination, les trois premiers communs aux deux chartes, le

quatrième différent pour chacune d’elles. Le premier élément consiste en une distinction,

exclusion ou préférence directement et visiblement inscrite dans une norme (discrimination

directe) ou découlant des effets concrets d’une norme apparemment neutre et qui vise dans les

mêmes termes tous ceux auxquels elle s’applique (discrimination indirecte). Le deuxième

élément est constitué par le lien de cause à effet que doit présenter la distinction de traitement

avec un motif illicite. Il n’est cependant pas nécessaire que ce motif ait été la seule cause de

la différence de traitement; il suffit qu’il y ait véritablement contribué. Le troisième élément

constitutif est le préjudice matériel ou moral sérieux que la distinction de traitement doit

causer à un individu ou à un groupe d’individus, alors qu’il n’est pas imposé à d’autres.

Enfin, dans le cadre de la Charte québécoise, la distinction de traitement incriminée doit être

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effectuée lors de certaines activités (mentionnées aux articles 10.1 à 19) ou encore à

l’occasion de l’exercice des autres droits ou libertés garantis par la Charte. Cet élément est

propre à la Charte québécoise et n’intervient pas pour la Charte canadienne. Par ailleurs, dans

le cadre de la Charte canadienne, un quatrième élément constitutif doit être ajouté. Il consiste

en une atteinte à la dignité humaine essentielle du requérant, l’atteinte étant prouvée par le

fait que la norme attaquée repose sur des préjugés ou des stéréotypes à l’égard du groupe ou

de la catégorie dont le requérant fait partie.

5. Une norme directement discriminatoire sera invalidée ou annulée à moins qu’elle puisse

être considérée comme raisonnable. Par contre, une norme ou une politique indirectement

discriminatoire sera le plus souvent considérée comme raisonnable et justifiée, si bien qu’il

n’y aura pas de raisons de l’annuler. Le corollaire de l’interdiction de la discrimination

indirecte consiste plutôt en une « obligation d’accommodement » (ou d’adaptation), c’est-à-

dire un devoir de prendre tous les moyens raisonnables pour soustraire les victimes de la

discrimination indirecte aux effets de celle-ci, en adaptant les normes à leur situation

particulière.

6. L’accommodement peut consister à dispenser purement et simplement les intéressés de

l’application de la règle contestée. Le règlement d’une école prohibant la possession d’armes

par les élèves ou interdisant le port de tout vêtement distinctif a un effet discriminatoire sur

ceux qui sont obligés par leur religion d’avoir sur eux en permanence un poignard servant au

rituel (kirpan) ou à porter le hidjab. À moins qu’on ne puisse démontrer qu’il s’agit d’une

contrainte excessive, l’accommodement consiste à prévoir un régime d’exception permettant

aux sikhs de garder leur poignard à l’école et aux musulmanes de porter le hidjab.

L’accommodement peut aussi consister à mettre à la disposition des intéressés des

installations ou des avantages particuliers. La pratique de servir le même menu, avec de la

viande de porc, dans la cafétéria d’une école produit un effet discriminatoire sur les personnes

de religion juive ou musulmane. L’accommodement consistera à leur offrir des repas

différents.

7. Dans le cas des normes adoptées par des organismes privés ou publics relativement aux

relations d’emploi ou à la fourniture de biens ou de services, les limites de l’obligation

d’accommodement sont constituées par le caractère excessif de la contrainte, des

inconvénients ou des coûts qui seraient entraînés par l’accommodement recherché (la preuve

de ce caractère excessif étant à la charge de celui qui cherche à se soustraire à l’obligation

d’accommodement). Lorsque l’obligation s’impose au législateur ou à l’autorité

réglementaire, ses limites découleront de l’application des clauses limitatives des deux

chartes, à savoir l’article 1 de la Charte canadienne et l’article 9.1 de la Charte québécoise.

8. Le concept de « contrainte excessive » et les critères dégagés pour sa mise en œuvre, bien

qu’ils puissent être exposés et généralisés sur un plan théorique, font l’objet d’une application

qui dépend très étroitement des faits propres à chaque affaire. Par conséquent, les résultats

dans un cas particulier sont très difficilement prévisibles si l’on ne connaît pas tous les faits

de façon détaillée. Même s’ils sont connus, le pronostic reste ardu, car il est presque

impossible de prévoir l’importance que l’autorité décisionnelle attachera à chacun des faits

pertinents. Cela signifie également que, même s’il est possible de donner aux autorités

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scolaires sur le terrain des balises relativement détaillées sur la façon de répondre aux

demandes d’accommodement, il est par contre impossible de leur fournir des solutions ou des

« recettes » facilement applicables. Les autorités concernées devront toujours appliquer ces

principes en tenant compte des circonstances particulières du milieu considéré et, à cette

occasion, prendre des décisions qui seront souvent délicates. Les principaux facteurs de

contrainte excessive susceptibles d’être invoqués sont les coûts entraînés par

l’accommodement recherché, l’entrave à l’exploitation de l’entreprise ou du service et les

droits d’autrui.

9. Lorsque l’obligation d’accommodement s’impose au législateur ou à l’autorité

réglementaire, celui qui veut la repousser doit démontrer que l’application intégrale de la

norme, sans les exceptions réclamées par le demandeur, est nécessaire pour atteindre un

objectif législatif légitime et important. Plus précisément, sous l’empire de l’article 1 de la

Charte canadienne, il faudra démontrer successivement que l’application entière de la norme

constitue un moyen rationnel d’atteindre l’objectif législatif; qu’il n’existe pas de moyens d’y

parvenir qui soient moins attentatoires aux droits en cause (critère de l’atteinte minimale);

enfin, qu’il y a proportionnalité entre les effets bénéfiques de la mesure et ses effets

restrictifs. En fait, le critère de l’atteinte minimale, qui est au cœur du test de l’article 1,

correspond en grande partie, pour ce qui est des concepts, à la défense de contrainte excessive

qui permet de s’opposer à l’obligation d’accommodement raisonnable dans le cadre des lois

sur les droits de la personne.

10. S’il y a violation de la liberté de religion sous l’empire de la Charte québécoise, on

appliquera la clause limitative de l’article 9.1, dont la Cour suprême a jugé qu’il doit être mis

en œuvre selon les mêmes critères que l’article 1 de la Charte canadienne. S’il y a

discrimination religieuse, les choses sont plus compliquées. Dans la mesure où la

discrimination découle de certains agissements de personnes privées ou d’organismes

étatiques, les seules exceptions à cette prohibition sont celles expressément prévues aux

articles 14, 18, 19 et 20. Le problème est plus complexe en ce qui concerne la discrimination

résultant de l’activité normative du législateur ou de l’autorité réglementaire, car l’article 9.1

ne s’applique pas à l’article 10, qui interdit la discrimination. D’après la jurisprudence de la

Cour suprême, qui n’est cependant pas très claire, les tribunaux doivent alors appliquer un

critère implicite de raisonnabilité, selon lequel il faut se demander si la distinction, exclusion

ou préférence est arbitraire.

11. La Cour suprême a jugé qu’une loi dont l’objet est de promouvoir ou d’interdire une

croyance ou une pratique religieuse restreint la liberté de religion (ou le droit à l’égalité sans

distinction de religion) d’une façon qui ne saurait jamais être justifiée, car elle entre

directement en conflit avec l’objet même de la liberté de religion. Il n’est donc pas nécessaire

d’examiner, dans un tel cas, la nature ou la dimension des effets de la loi sur la liberté de

religion. Il y a cependant une exception à cette règle. Les dispositions législatives qui

prévoient un accommodement pour des raisons religieuses, comme une exception à

l’obligation de fermeture des magasins le dimanche pour les commerçants qui ferment un

autre jour de la semaine pour des raisons religieuses ou encore la possibilité d’une absence

motivée par des raisons religieuses pour les élèves des écoles publiques, ont manifestement

pour objet de faciliter la pratique religieuse mais ne sont évidemment pas inconstitutionnelles.

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Au contraire, de tels accommodements législatifs peuvent être considérés comme

constitutionnellement requis lorsqu’ils sont jugés nécessaires pour éliminer ou atténuer les

effets d’une discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou d’une atteinte à la

liberté de religion. Par ailleurs, lorsqu’une loi poursuit des objectifs séculiers, comme

promouvoir les valeurs éducatives et morales, mais que, par ses effets, elle restreint la liberté

de religion de certaines personnes, la mesure en cause est alors susceptible de justification en

vertu des clauses limitatives des deux chartes.

12. La liberté de religion a deux composantes. En premier lieu, nous constatons une liberté

positive et négative d’exercice de la religion (ou « libre exercice ») : le contenu positif

correspond à la liberté d’avoir des croyances religieuses, de les professer ouvertement et de

les manifester par leur mise en pratique, par le culte et par leur enseignement et leur

propagation; le contenu négatif correspond au droit de ne pas être forcé, directement ou

indirectement, d’embrasser une conception religieuse ou d’agir contrairement à ses croyances

ou à sa conscience. En second lieu, la liberté de religion impose une obligation de neutralité à

l’État en matière religieuse, c’est-à-dire l’empêche de privilégier ou de défavoriser une

religion par rapport aux autres.

13. L’exigence de neutralité (ou de laïcité) de l’État en matière religieuse peut recevoir une

interprétation plus ou moins rigoureuse. Dans un sens très rigoureux, toute forme d’appui

significatif de l’État à une religion est considérée comme interdite. Dans un sens moins

exigeant, seules sont interdites les formes de soutien apporté par l’État à une religion qui sont

discriminatoires ou qui ont pour effet de créer une pression sociale ou psychologique qui

limite de façon significative la liberté d’exercice négative de ceux qui n’adhèrent pas à cette

religion. Ainsi, les tribunaux canadiens ont jugé que les prières et l’enseignement

confessionnel organisés par les autorités scolaires dans les écoles publiques restreignaient de

façon non justifiable la liberté de religion, même si une possibilité de dispense était prévue,

car le fait de devoir demander celle-ci risquait d’entraîner une stigmatisation par les pairs et,

par conséquent, une coercition indirecte sur les élèves et leurs parents. Ici, par conséquent,

l’obligation de neutralité entraîne la nécessité de mettre fin à cette forme de manifestation

religieuse, dans la mesure où celle-ci est le résultat d’une initiative des autorités scolaires

elles-mêmes. Par contre, les tribunaux canadiens ont également jugé que la liberté de religion

imposait une obligation d’accommodement, dans les écoles publiques, en matière de congés

scolaires et de port de signes religieux par exemple. Ici, par conséquent, le principe de

neutralité, ou laïcité, ne s’oppose pas à des manifestations religieuses à l’école, dans la

mesure où celles-ci résultent de l’initiative des élèves eux-mêmes et constituent une forme

d’exercice de leur liberté religieuse. Autrement dit, la neutralité religieuse s’impose à l’État et

aux autorités publiques, mais elle ne s’impose pas aux individus.

14. La mise en pratique d’une neutralité ou laïcité rigide et négative, interprétée comme

exigeant l’exclusion de la religion de la sphère publique (notamment des écoles publiques),

entrerait évidemment en conflit avec l’idée qu’il faut adapter les normes ou les politiques

publiques aux exigences d’une religion, car cela revient à favoriser l’exercice de celle-ci. Par

contre, un concept de laïcité ouverte et tolérante, laissant s’exprimer les convictions

religieuses sous réserve qu’elles ne nuisent pas à autrui, est parfaitement compatible avec

l’idée d’accommodement. En France et aux États-Unis, où le concept de neutralité religieuse

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de l’État est inscrit expressément dans la constitution et où son interprétation tend

traditionnellement à être négative plutôt que positive, on ne considère pas que la neutralité

s’oppose à certains accommodements ou adaptations adoptés pour favoriser la pratique

religieuse, notamment à l’école publique. La même position devrait s’imposer avec encore

plus de force au Canada à cause du caractère non explicite du principe de neutralité, de

l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’histoire des rapports entre l’État et les

Églises. Quant au Québec, la présence dans la Charte québécoise de l’article 41, qui prévoit

que « [l]es parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d’exiger que, dans les

établissements d’enseignement publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou

moral conforme à leurs convictions », et le fait que l’on ait conservé jusqu’à aujourd’hui à

l’école publique québécoise une forme d’enseignement confessionnel catholique et protestant,

même après la déconfessionnalisation des commissions scolaires et des écoles, empêchent

manifestement de prétendre qu’il existerait un principe de laïcité rigoureux au point

d’empêcher les accommodements destinés à favoriser la pratique religieuse dans les écoles

publiques. De fait, la jurisprudence des tribunaux canadiens a reconnu qu’une obligation

d’accommodement en matière religieuse découle de la liberté de religion, tout comme elle

découle également du droit à l’égalité et de l’interdiction de la discrimination fondée sur la

religion.

II. Les règles du droit international public relatives à la liberté de conscience et de religion

et à l’interdiction de la discrimination religieuse et leur application dans le domaine

scolaire

15. S’il y avait un conflit entre le droit international et le droit interne, les tribunaux canadiens

seraient tenus d’appliquer celui-ci plutôt que celui-là. Cependant, même si le droit

international n’a aucune primauté sur le droit interne canadien, les tribunaux canadiens et

québécois s’inspirent souvent des instruments internationaux sur les droits de la personne,

peu importe qu’ils lient formellement le Canada ou non, pour interpréter les chartes

canadienne et québécoise. En outre, les normes internationales servent souvent d’argument,

sur le plan politique, à ceux qui désirent faire progresser la cause des droits de la personne ou

promouvoir leur programme politique. Il s’agit d’un argument puissant, car rares sont les

décideurs politiques qui voudraient encourir le reproche de ne pas respecter les normes

internationales dans ce domaine.

16. On constate, tant pour les instruments adoptés dans le cadre des Nations Unies que pour

ceux adoptés dans celui du Conseil de l’Europe, un contraste assez net entre la façon

généreuse et libérale avec laquelle la liberté de religion est proclamée et la façon plutôt

restrictive avec laquelle elle est mise en œuvre par les organes d’application de ces

instruments. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies et les organes d’application

de la Convention européenne des droits de l’homme ont en particulier adopté, dans le

domaine qui nous intéresse, celui de l’accommodement raisonnable des pratiques religieuses,

des positions très nettement en retrait par rapport à la jurisprudence canadienne et québécoise.

Ils définissent de façon restrictive le concept de pratiques religieuses, tendent à rejeter

l’interprétation que fait le requérant de ses convictions religieuses pour y substituer la leur

propre, ont recours de façon fréquente à l’idée que l’établissement d’un lien d’emploi ou

l’inscription dans un établissement d’enseignement implique l’acceptation de toutes les

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conditions qui s’y appliquent et la renonciation à l’exercice de certains éléments de la liberté

religieuse et, finalement, reconnaissent (trop) facilement la légitimité des restrictions

apportées par les États à la liberté de religion sous sa forme extérieure et publique de mise en

œuvre de pratiques et de comportements. On constate que les organes onusiens et européens

sont également beaucoup moins exigeants que les tribunaux canadiens sur la question des

conditions dans lesquelles l’État peut organiser un enseignement religieux à l’école publique.

L’existence du droit à la dispense est considérée comme suffisante pour valider un tel

enseignement, même lorsqu’il ne porte que sur une seule perspective religieuse, et ce droit à

la dispense est au surplus interprété de façon parfois très restrictive. Ce relativisme tient au

fait que les instruments internationaux lient un très grand nombre d’États qui connaissent,

dans ce domaine, des régimes juridiques ou pratiques extrêmement divers et qu’il faut donc

chercher à leur donner un sens compatible avec le plus grand nombre possible de situations.

III. Les problèmes soulevés par les manifestations ou conduites religieuses à l’école

publique (droit canadien et comparé)

Principes généraux

17. Lorsqu’il s’agit de conduites ou de manifestations dont l’initiative est prise par les

autorités scolaires ou les enseignants en leur qualité de représentants de l’école, elles sont

soumises au principe de neutralité religieuse de l’État (ou principe de laïcité) et au respect du

droit au libre exercice négatif des élèves, c’est-à-dire à leur droit de ne subir aucune pression

ou coercition à la conformité religieuse, de même qu’à l’obligation de l’État de ne pas faire

de discrimination religieuse, directe ou indirecte. Cette liberté religieuse négative des élèves –

et de leurs parents – a été généralement interprétée de façon stricte par les tribunaux

canadiens, si bien qu’à première vue, sous réserve de certaines précisions, les conduites ou

manifestations religieuses dont les autorités scolaires pourraient prendre l’initiative sont

prohibées, ou du moins étroitement circonscrites, dans la mesure précisément où elles sont

considérées comme susceptibles d’exercer une pression inacceptable sur les élèves et, en

privilégiant certaines religions, d’être également discriminatoires.

18. Lorsqu’il s’agit de conduites ou de manifestations dont l’initiative est prise par les élèves

– ou leurs parents -, elles relèvent du droit au libre exercice positif, c’est-à-dire du droit de

ceux-ci de manifester leurs convictions religieuses par des pratiques et de leur droit de ne pas

subir de discrimination religieuse directe ou indirecte de ce fait. Si ce droit entre en conflit

avec des normes scolaires neutres, les autorités scolaires se retrouvent sous le coup d’une

obligation d’accommodement ou d’adaptation, à moins qu’elles ne puissent démontrer que

l’accommodement ou l’adaptation en cause entraînerait une contrainte excessive.

19. Lorsqu’il s’agit de conduites ou de manifestations dont l’initiative est prise par les

enseignants en tant que personnes privées (par exemple, le port d’un symbole religieux), la

question est plus complexe, car il faut tenir compte à la fois du droit au libre exercice positif

des enseignants et de l’obligation de neutralité religieuse qui s’impose à eux dans le cadre de

l’école.

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20. La conjonction de ces principes produit des conséquences qui ne sont pas toujours faciles

à comprendre à première vue ou à expliquer. Ainsi, dans l’opinion publique, on se demande

parfois s’il est bien logique de « sortir » les religions majoritaires de l’école publique (comme

la Cour d’appel de l’Ontario l’a fait pour les prières et l’enseignement confessionnel

chrétiens) et, dans le même mouvement, de consentir à des accommodements qui y font

« entrer » les religions minoritaires (autorisation du port du kirpan et du hidjab, dispenses

pour des fêtes religieuses, etc.). La réponse est que, dans le premier cas, il s’agit de

manifestations religieuses imposées ou endossées par l’autorité publique, alors que, dans le

deuxième cas, il s’agit d’aménagements réclamés par des individus qui veulent pratiquer leur

religion.

21. Les accommodements reconnus en matière religieuse ne constituent pas des « privilèges »

qui entraîneraient une rupture de l’égalité entre citoyens. L’accommodement est au contraire

une conséquence du droit à l’égalité, conçu comme le droit des minorités de maintenir leurs

différences par rapport à la majorité en bénéficiant d’accommodements et d’adaptations à

l’égard de normes neutres, applicables de façon uniforme à tous, mais qui ont des effets

préjudiciables sur la liberté religieuse de certains groupes.

22. On entend parfois dire que les accommodements réclamés par les minorités sont

incompatibles avec les droits de la majorité et obligent cette dernière à modifier son mode de

vie pour l’adapter à celui des minorités. Lorsque les conduites et manifestations religieuses en

cause relèvent de l’initiative individuelle, ce reproche n’est d’habitude pas fondé, car

minoritaires et majoritaires ont alors des droits compatibles et même convergents. Permettre

le hidjab et le kirpan à l’école non seulement n’est pas incompatible avec le fait d’y permettre

le port de la croix, mais l’un exige l’autre à cause du principe de non-discrimination. Par

contre, lorsqu’il s’agit de décisions relevant de l’établissement scolaire, comme les cours

d’enseignement religieux ou les prières organisés par l’école elle-même, il peut y avoir

effectivement conflit entre les droits de la majorité, si celle-ci veut de tels arrangements, et

ceux de la minorité, si cette dernière s’estime brimée par leur existence. Sauf à considérer que

les droits de la minorité sont suffisamment sauvegardés par l’existence d’un droit à la

dispense, ce que les tribunaux canadiens ont refusé, il faut alors donner raison à l’une et tort à

l’autre des deux positions.

23. Néanmoins, on peut sans doute partir de l’idée que, dans tous les cas où cela est possible,

les accommodements devraient de préférence consister en des dispenses, des exemptions et

des exceptions au profit des minoritaires plutôt qu’en des modifications structurelles du

système en place pour la majorité. Si ce principe n’a pas été retenu pour les prières et

l’enseignement confessionnel à l’école, il l’a par contre été pour la question des fêtes

religieuses, les tribunaux ayant refusé la solution du réaménagement structurel du calendrier

scolaire au profit du système des autorisations d’absences individuelles. Le respect d’un tel

principe facilite également la prise en compte de l’égalité religieuse. Une modification

structurelle rompt l’égalité religieuse, à moins que toutes les religions ne soient mises sur un

pied d’égalité, ce qui est la plupart du temps impossible. Par exemple, dans le domaine des

congés pour fêtes religieuses, des aménagements structurels tenant compte de toutes les

religions existantes deviendraient ingérables. Par contre, des aménagements individuels, sous

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forme de dispenses ou d’exemptions, permettent de considérer tout le monde sur un pied

d’égalité et facilitent le fonctionnement du système scolaire.

Les prières et les célébrations, cérémonies ou autres activités religieuses ou à connotation

religieuse dont l’initiative est prise par les autorités scolaires

24. Les prières et les célébrations ou exercices religieux organisés par l’autorité scolaire ont

été jugés inconstitutionnels au Canada, l’existence d’une possibilité de dispense n’ayant pas

été considérée comme suffisante pour justifier de tels arrangements. Soulignons que la

solution adoptée par les tribunaux canadiens semble nettement avoir été inspirée par celle

retenue aux États-Unis, où les tribunaux ont déclaré contraires à la clause de non-

établissement du Premier Amendement toutes les formes de prière organisées ou endossées

par les autorités scolaires.

25. Selon cette jurisprudence, pour être conformes aux chartes, les exercices religieux

susceptibles d’être organisés à l’école publique doivent être non discriminatoires et ne pas

entraîner de pression sociale ou psychologique sur les adhérents d’autres religions ou sur les

non-croyants. Les prières, verbales ou silencieuses, uniconfessionnelles ou

multiconfessionnelles, seraient probablement considérées comme contraires à la Charte. En

théorie, il serait possible d’imaginer des lectures faisant une place égale à toutes les croyances

religieuses, quasi religieuses et non religieuses, sans aucun élément d’endoctrinement ni de

favoritisme, mais en pratique un tel équilibre serait très difficile à atteindre. Une mesure

prévoyant un moment de silence pouvant être consacré, au choix des enfants, à la prière, à la

méditation ou à la réflexion, sans qu’aucune de ces activités ne soit privilégiée, serait

probablement considérée comme conforme à la Charte canadienne.

26. Pour relativiser le résultat obtenu sur cette question par les tribunaux canadiens et

américains, et montrer qu’il ne fait pas l’objet d’un consensus général, on peut mentionner la

situation qui a cours en Allemagne et au Royaume-Uni. En Allemagne, la Cour

constitutionnelle a jugé que, compte tenu des circonstances concrètes dans lesquelles elles se

déroulaient, les prières œcuméniques organisées à l’école publique par l’administration

scolaire, et à l’égard desquelles il était relativement facile d’obtenir une dispense, n’étaient

pas incompatibles avec la protection de la liberté de religion. La Cour allemande a considéré

qu’il existait concurremment une liberté positive de proclamer ses convictions religieuses et

une liberté négative de ne pas être forcé de se plier aux convictions d’autrui. Elle est ensuite

parvenue à la conclusion que le fait d’exiger des minoritaires qu’ils demandent d’être

dispensés de participer aux prières ne les plaçerait qu’exceptionnellement dans « une situation

de marginalisation insupportable ». À l’inverse, permettre que l’objection d’un seul élève

minoritaire l’emporte automatiquement sur les droits des élèves de la majorité d’exprimer

leurs croyances à l’école serait complètement disproportionné par rapport au préjudice

éventuel supporté par les minoritaires. Au Royaume-Uni, l’éducation religieuse et les prières

collectives, d’orientation principalement chrétienne dans les deux cas, continuent de faire

partie du curriculum obligatoire dans les écoles publiques, les parents qui le désirent ayant

cependant la possibilité d’en faire dispenser leurs enfants.

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Les prières et les célébrations, cérémonies ou autres activités religieuses ou à connotation

religieuse dont l’initiative est prise par les élèves

27. Nous n’avons trouvé aucune décision québécoise ou canadienne sur ce point. Par contre,

cette problématique est bien connue aux États-Unis, où elle a fait l’objet de nombreuses

décisions de justice, de législations adoptées au palier fédéral et étatique et de lignes

directrices émises par le ministère fédéral de l’éducation. Les élèves peuvent prier ensemble

ou séparément à l’école, en dehors des temps pédagogiques proprement dits (non-curricular

periods), à la condition que cela ne dérange pas de façon significative le cours des activités

scolaires et ne porte pas atteinte aux droits d’autrui, les autorités scolaires ayant la

responsabilité de s’assurer que les comportements religieux adoptés par certains étudiants ne

constituent pas une forme de pression ou de coercition sur d’autres élèves. Les élèves ont le

droit de s’engager dans des prières individuelles ou collectives et dans des discussions de

nature religieuse durant la journée scolaire au même titre que dans d’autres activités

expressives comparables. Quant à la question des prières prononcées par des élèves, de leur

propre initiative, lors de cérémonies de collation des grades ou d’événements sportifs

organisés par l’école, elle a donné lieu à une jurisprudence contradictoire des tribunaux, la

majorité des décisions allant dans le sens de l’interdiction. Lorsqu’une école permet de façon

générale l’usage des lieux et bâtiments scolaires par des groupes privés, elle doit aussi

autoriser, aux mêmes termes et conditions, des cérémonies privées de collation des grades

comprenant des prières ou des cérémonies religieuses, à condition qu’elles restent bien

distinctes de la cérémonie officielle de remise des diplômes et que les autorités scolaires n’y

prennent aucune part. De façon plus générale, en vertu d’une loi fédérale adoptée en 1984 et

applicable à toutes les écoles publiques secondaires récipiendaires de subventions

gouvernementales fédérales, dès lors qu’une école permet l’utilisation de ses locaux et

facilités avant, après ou durant la journée scolaire, dans ce dernier cas en dehors des temps

pédagogiques proprement dits, par des groupes ou clubs étudiants à finalité non religieuse,

comme un club de jeu d’échecs ou un club de discussion de sujets politiques (on dit alors

qu’elle met en place un limited open forum), elle doit le permettre également, dans les mêmes

conditions, aux groupes à finalité religieuse, comme un groupe de prières ou d’étude de la

Bible. Ces derniers doivent être créés à l’initiative des étudiants, organisés et dirigés par eux

et la participation doit y être volontaire. En vertu de la jurisprudence visant les écoles

primaires et secondaires, une solution similaire s’applique dans les cas où des organisations

religieuses extérieures à l’école sollicitent l’autorisation d’utiliser les locaux et facilités de

celle-ci après la fin de la journée scolaire : l’école devra accorder une telle autorisation si elle

permet l’usage de ses locaux à des organisations non religieuses (after-school clubs) dans les

mêmes conditions.

L’affichage ou l’installation de symboles religieux par les autorités scolaires

28. Pour arriver à la conclusion que la présence d’un symbole religieux comme un crucifix ou

une croix restreint la liberté de religion, il faut qu’elle entraîne, vu le contexte, une contrainte

sur le comportement des personnes. En général, cela semble devoir être moins le cas que pour

les prières. Alors que celui qui ne veut pas participer à une prière doit sortir de la salle ou

rester assis pendant que les autres se lèvent, cette manifestation de sa non-adhésion risquant

d’entraîner des réactions négatives à son égard, la présence d’un symbole religieux n’oblige

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pas l’individu à afficher ses convictions. Par conséquent, la présence d’un crucifix dans la

salle d’un palais de justice ou à l’Assemblée nationale du Québec, par exemple, pourrait être

considérée comme suffisamment inoffensive pour ne pas restreindre la liberté de religion. En

outre, on pourrait estimer qu’il s’agit d’un symbole qui est désormais plus culturel que cultuel

(religieux). Par contre, sa présence dans une salle de classe est sans doute plus problématique,

étant donné la vulnérabilité et le caractère impressionnable des jeunes élèves et le fait qu’ils

constituent un auditoire captif.

29. Aux États-Unis, les symboles religieux, comme les croix, les ménorahs ou les crèches,

peuvent être affichés ou installés temporairement comme aides à l’enseignement, à condition

d’être présentés comme des illustrations de l’héritage culturel et religieux associé à une fête

religieuse, mais ne sauraient être affichés ou installés en permanence, ni dans une intention

religieuse, ni même dans une intention décorative. En Allemagne, la Cour constitutionnelle a

jugé que la présence d’un crucifix dans une salle de classe était attentatoire aux libertés de

conscience et de religion des élèves ne professant pas la foi catholique. En Suisse, le tribunal

fédéral a déclaré un règlement municipal ordonnant l’installation de crucifix dans les écoles

primaires publiques contraire à l’article 49 de la Constitution fédérale garantissant la

neutralité confessionnelle de l’enseignement à l’école primaire.

Le port de signes religieux distinctifs par les élèves (hidjab, turban, kirpan)

30. La Commission des droits de la personne du Québec a publié en 1994 un document

examinant les problèmes soulevés par le port du foulard islamique dans les écoles publiques.

On y affirme qu’à défaut de pouvoir prouver qu’il en résultera une contrainte excessive, les

écoles devront consentir un accommodement consistant à permettre le port du foulard

islamique, à moins qu’il ne s’inscrive « dans un contexte de pression sur les élèves, de

provocation ou d’incitation à la discrimination fondée sur le sexe ». La Commission

mentionne un certain nombre de considérations pouvant justifier le refus de

l’accommodement : le fait que certains symboles religieux marginalisent les élèves qui les

portent (cependant, l’école publique doit éduquer ses élèves au respect des droits et libertés

pour, précisément, éviter qu’une telle marginalisation ne se produise); les circonstances où il

serait démontré que l’ordre public ou l’égalité des sexes sont en péril; les considérations de

sécurité (par exemple, le port du hidjab pourrait se révéler dangereux dans le cadre d’activités

physiques ou de laboratoire).

31. En Ontario, la Commission des droits de la personne a adopté en 1996 un exposé de

politiques sur la protection des droits en matière religieuse dans lequel elle affirme que les

milieux de travail, les services et les établissements sont tenus de respecter les besoins

spéciaux en matière de règles portant sur les vêtements, en donnant notamment comme

exemple celui d’une école ne permettant pas aux filles de se couvrir la tête. Si, pour observer

sa religion, une étudiante musulmane doit porter un foulard sur la tête, l’école a le devoir de

le lui permettre.

32. En France, la jurisprudence exige un examen individuel des comportements des jeunes

filles portant le foulard et empêche les interdictions systématiques qui ne tiendraient pas

compte de toutes les circonstances d’une affaire. Elle fait donc de la liberté de porter le voile

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islamique le principe, imposant de justifier de façon circonstanciée, sous le contrôle du juge,

les atteintes qui y seraient portées.

33. Au Royaume-Uni, la législation antidiscriminatoire actuellement en vigueur n’offre pas

une protection suffisante de la liberté de religion et de l’égalité religieuse, car la loi prohibe

uniquement la discrimination raciale et celle fondée sur l’origine nationale ou ethnique, avec

cette conséquence peu cohérente que l’interdiction du port du turban sikh par les élèves d’une

école a été jugée illégale, dans la mesure où les sikhs constituent un groupe ethnique, alors

que l’interdiction du hidjab ne le serait probablement pas, car les musulmans ne constituent

pas un groupe ethnique mais une minorité religieuse. Le gouvernement se livre actuellement à

une réflexion sur la façon de remédier à cette situation.

34. Dans une affaire datant de 1993, la Commission européenne des droits de l’homme a jugé

non contraire au droit de manifester ses convictions religieuses le refus de délivrance de

diplôme opposé à la requérante – une étudiante licenciée en pharmacie – par une université

d’État turque, selon le motif que, contrairement au règlement en vigueur, elle n’avait pas

produit une photographie d’identité sur laquelle elle apparaissait sans hidjab.

L’argumentation retenue par la Commission ne semble cependant guère transposable au droit

canadien ou québécois.

35. Aux États-Unis, les tribunaux ont généralement conclu que les réglementations scolaires

portant sur les vêtements ou la chevelure (dress code) et ayant pour effet d’interdire le port de

vêtements ou de symboles religieux restreignent la liberté de religion de façon non justifiable,

à moins qu’on ne puisse démontrer de façon actuelle et factuelle (de simples craintes ou

spéculations ne suffisant pas) que le port des signes en cause dérangent sérieusement les

activités éducatives. De même, on estime que les élèves ne devraient pas se voir forcées de

porter des vêtements, comme des shorts, qu’elles considèrent comme incompatibles avec les

règles de leur religion en matière de modestie et de pudeur.

36. En vertu de leur religion, les sikhs baptisés doivent porter en permanence un poignard, le

kirpan. Cette obligation entraîne pour eux des difficultés dès qu’ils se trouvent dans une

situation dans laquelle il est normalement interdit de porter une arme, comme un voyage en

avion ou encore la présence dans un palais de justice ou dans une école. Alors que

l’interdiction du kirpan dans les palais de justice et pour les voyages en avion a été considérée

comme justifiable, la tendance des tribunaux a nettement été, jusqu’à présent, de considérer

que les administrations scolaires devaient permettre le port du kirpan sous certaines

conditions (qu’il soit d’une taille raisonnable, porté en dessous des habits de façon à être

invisible et maintenu de façon assez ferme dans sa gaine pour qu’il soit difficile, mais pas

impossible, de l’en sortir). Cette jurisprudence a été suivie au Québec dans un jugement

provisoire rendu par la Cour supérieure en mai 2002. Les mêmes principes sont également

suivis aux États-Unis : les sikhs ont le droit de porter leur kirpan à l’école dans des conditions

qui n’entraînent pas de risques pour autrui.

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Le port de signes religieux distinctifs par les enseignants

37. Dans un contexte où le principe de neutralité religieuse de l’État est interprété de façon

rigoureuse, comme en France ou aux États-Unis, il pourrait suffire à justifier l’interdiction

faite aux enseignants de porter des signes religieux distinctifs à l’école (interdiction qui porte

atteinte à leur liberté de religion). Cependant, nous avons vu qu’au Canada, dans la mesure où

le principe de neutralité, plutôt que d’être affirmé de façon autonome, découle du libre

exercice de la religion, il faudrait plutôt démontrer, pour justifier l’interdiction, que le port de

signes religieux par les enseignants est susceptible de restreindre la liberté religieuse des

élèves en leur faisant subir une pression religieuse. Or, une telle conséquence n’est pas

inévitable mais dépend plutôt du contexte, de l’âge des enfants – d’autant plus vulnérables

qu’ils sont jeunes – de la discrétion ou, au contraire, de l’ostentation du signe en cause, de la

matière enseignée et du comportement de l’enseignant ou de l’enseignante dans son ensemble

(s’il s’agit d’une attitude de prosélytisme, ouvert ou dissimulé, il y aura atteinte à la liberté

religieuse des enfants; si l’enseignant ou l’enseignante adopte une attitude de neutralité

religieuse dans son comportement et ses paroles, le simple fait de porter un signe risquera

moins d’avoir un tel effet). En l’occurrence, une décision judiciaire ontarienne a reconnu aux

enseignants le même droit de porter le kirpan à l’école qu’aux élèves.

38. Aux États-Unis, les législatures de la majorité des États ont adopté des lois interdisant aux

enseignants de porter des signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions. En général, les

tribunaux ont été portés à considérer ces lois comme valides, en se fondant sur le principe de

neutralité religieuse de l’État et en jugeant que le port de signes religieux par les enseignants

serait de nature à donner l’impression aux enfants et à leurs parents que l’école endossait un

point de vue religieux particulier ou même à entrer en conflit avec le droit des enfants au libre

exercice de leur religion. Néanmoins, les lois en question prévoient que les enseignants

peuvent porter des bijoux à connotation religieuse, comme des colliers avec une croix ou une

étoile de David, à condition qu’ils soient suffisamment discrets.

39. En France, la jurisprudence est que le principe de laïcité fait obstacle au droit, pour les

agents, même non enseignants, du service de l’enseignement public, de manifester leurs

croyances religieuses dans l’exercice de leurs fonctions, notamment « en portant un signe

destiné à marquer [leur] appartenance à une religion ».

Les aménagements du calendrier scolaire réclamés pour les élèves

40. Dans ce domaine, il semble se dégager du droit comparé un consensus en faveur de la

solution des aménagements individuels, consistant à autoriser les absences pour des fêtes

religieuses chaque fois que cela est nécessaire, de préférence à un réaménagement structurel

du calendrier ayant pour objet de faire de toutes les fêtes religieuses des jours de congé.

Les aménagements du calendrier scolaire réclamés pour les enseignants

41. Dans l’affaire Bergevin, en se fondant sur l’article 10 de la Charte québécoise, la Cour

suprême du Canada est arrivée à la conclusion que le calendrier scolaire fixant l’horaire de

travail des enseignants, qui faisait partie de la convention collective liant la commission

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scolaire intimée, dans la mesure où il ne prévoyait pas de congé payé le jour du Yom

Kippour, avait un effet discriminatoire indirect à l’égard des enseignants de religion juive,

ceux-ci devant prendre une journée de congé pour célébrer leur fête religieuse. Tenant compte

du fait que la convention collective prévoyait la rémunération de l’enseignant qui s’absente

pour diverses raisons et que, dans le passé, les absences rémunérées incluaient la célébration

du Yom Kippour, la Cour a jugé qu’en l’occurrence l’employeur n’avait pas réussi à prouver

que le fait d’accommoder les intéressés, en leur permettant de prendre un jour de congé payé

pour célébrer le Yom Kippour, lui imposerait une contrainte excessive. Par conséquent, il ne

s’était pas acquitté de son obligation d’accommodement raisonnable. La Cour suprême a

reconnu que, dans d’autres cas, il pourra exister des circonstances où l’accommodement

raisonnable serait impossible. Par exemple, si un enseignant devait, à cause de ses croyances

religieuses, s’absenter tous les vendredis de l’année, il pourrait bien alors être impossible

pour l’employeur de composer raisonnablement avec les croyances et les exigences

religieuses de cet enseignant. Autrement dit, les limites de l’obligation d’accommodement

découlent du concept même d’accommodement « raisonnable » : si les musulmans

demandaient un jour de congé par semaine, plutôt qu’un jour par an comme les juifs, cela ne

serait pas raisonnable et n’entraînerait donc pas d’obligation correspondante pour

l’employeur. Aux États-Unis, les commissions scolaires sont également sous le coup d’une

obligation d’accommodement raisonnable à l’égard des enseignants qui veulent s’absenter

pour des raisons religieuses. Cela signifie au moins que, lorsque les enseignants ont droit à un

certain nombre de congés payés pour des raisons personnelles, on ne peut leur refuser de les

utiliser pour des raisons religieuses. Par contre, les décisions des tribunaux sont

contradictoires pour ce qui est de savoir si l’employeur doit leur offrir des congés

supplémentaires pour des fêtes religieuses.

La diffusion d’informations religieuses à l’école

42. Pour ce qui est de la diffusion d’informations religieuses à l’école, la liberté d’expression

vient renforcer la liberté de religion. Comme la problématique n’a jusqu’à présent guère été

soulevée devant les tribunaux canadiens, il faut se tourner vers la jurisprudence américaine,

qui permet d’anticiper les positions que les tribunaux canadiens sont susceptibles de prendre,

le cas échéant. Aux États-Unis, on distingue le régime de la diffusion d’informations

religieuses à l’école publique selon que l’initiative en est prise par les élèves, par des

personnes extérieures à l’école ou par les autorités scolaires.

La diffusion d’informations ou de documents religieux par les élèves

43. Les tribunaux américains ont jugé que les élèves ont le droit de diffuser de l’information

et de la documentation religieuses à l’école dans les mêmes conditions qu’il leur est permis

de diffuser toute autre espèce d’information ou de documentation non reliée aux activités ou

au contenu pédagogiques. Les autorités scolaires peuvent encadrer la diffusion d’informations

et de documentation religieuses avec les mêmes réglementations (de temps, de lieu et de

modalités) que celles applicables aux autres informations susceptibles d’être diffusées par les

élèves, mais sans pouvoir leur appliquer un traitement particulier fondé sur leur nature

religieuse. Dans la décision de principe en la matière, la Cour suprême des États-Unis a jugé

que les autorités scolaires ne pourraient interdire complètement la diffusion d’informations ou

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de documentation (literature) par les élèves que si celle-ci entraînait des entraves réelles et

sérieuses au fonctionnement des activités éducatives ou portait atteinte aux droits des autres

élèves (materially disrupts classwork or involves substantial disorder or invasion of the right

of others). Par ailleurs, les autorités scolaires ont le droit d’imposer des restrictions

raisonnables relatives au temps, au lieu et aux modalités de distribution de l’information

(time, place and manner restrictions). Cependant, ces restrictions doivent rester raisonnables

et ne pas avoir pour effet d’enlever au droit des élèves de distribuer de l’information toute

portée pratique.

44. La question de savoir si les autorités scolaires peuvent exercer un contrôle préalable sur

l’information et la documentation diffusées par les élèves n’a pas été clairement résolue, les

décisions des tribunaux étant contradictoires. Cependant, dans les décisions acceptant le

principe d’un tel contrôle, on souligne un certain nombre de conditions qui doivent être

remplies pour qu’il reste compatible avec la liberté d’expression des élèves.

45. Les autorités scolaires doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter

d’encourager ou d’endosser – ou de laisser croire qu’elles encouragent ou endossent – la

diffusion d’informations religieuses. À cette fin, elles peuvent exiger d’apposer sur tout

matériel religieux diffusé par les élèves une mention (disclaimer) indiquant qu’elles ne

prennent aucune part à cette diffusion. Les autorités scolaires doivent également veiller à ce

que la diffusion d’informations, notamment religieuses, par des élèves ne se déroule pas dans

des conditions qui entraîneraient des pressions, du harcèlement ou de l’intimidation à l’égard

d’autres élèves.

46. Dans le cas de la diffusion d’informations ou de documents par les élèves, la distinction

entre « information » et « propagande » n’est pas véritablement pertinente, puisque les élèves

ont non seulement le droit de disséminer de l’information, mais aussi celui d’exprimer des

idées et des opinions, et que les autorités scolaires ne peuvent, sauf en cas de menace réelle

de troubles sérieux, réglementer que les modalités de l’expression et non pas le contenu de

celle-ci. Les élèves d’une école publique ont le droit de s’adresser à leurs camarades de classe

pour leur parler de sujets religieux et même tenter de les persuader ou de les convertir, au

même titre qu’ils peuvent chercher à les convaincre sur des sujets politiques. Cependant, les

autorités scolaires doivent s’assurer que ce prosélytisme ne constitue pas du harcèlement.

47. Dans la mesure où la diffusion d’informations par les élèves se fait dans le contexte d’une

activité relevant du programme pédagogique ou par l’intermédiaire d’un support officiel de

l’école (revue scolaire ou tableau d’affichage par exemple) et, pour cette raison, est

susceptible d’apparaître comme sanctionnée ou endossée par les autorités scolaires, celles-ci

peuvent exercer une surveillance plus étroite, le critère de la validité de leur contrôle n’étant

plus celui de la menace réelle d’une entrave sérieuse au fonctionnement de l’école, mais

plutôt celui – moins exigeant – d’un lien raisonnable avec les préoccupations éducatives. Une

activité sera considérée comme pédagogique si elle est supervisée par un enseignant et

destinée à transmettre aux élèves des connaissances ou des habiletés.

48. Une école qui rend accessibles certains de ses moyens de communication, comme les

tableaux d’affichage, les publications scolaires et le système d’adresse sonore, à certains

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groupes étudiants doit le faire de façon non discriminatoire et ne peut dès lors refuser le

même avantage à d’autres groupes, quelles que soient les opinions qu’ils cherchent à

communiquer.

La diffusion d’informations ou de documents religieux par des personnes ou entités

extérieures à l’école

49. Les personnes et entités extérieures n’ont aucun droit de diffuser de l’information ou de la

documentation – religieuse ou autre – dans les locaux ou sur les terrains appartenant à l’école.

Les autorités scolaires ne devraient normalement pas davantage les y autoriser, car le danger

existerait alors que la diffusion apparaisse aux enfants, surtout s’ils sont jeunes et ne

disposent pas des facultés critiques nécessaires, comme sanctionnée et endossée par les

autorités scolaires (ce qui serait incompatible avec le principe de non-établissement, ou

principe de neutralité religieuse, des organes étatiques) ou encore que les enfants subissent

une pression morale les amenant à accepter les matériaux distribués contre leur gré pour ne

pas être marginalisés ou stigmatisés (ce qui serait incompatible avec le principe de libre

exercice, ou de liberté religieuse, sous sa forme négative). En tout cas, si les autorités

scolaires autorisent malgré tout certains groupes extérieurs à diffuser de l’information à

l’intérieur de l’école, elles ne peuvent refuser la même autorisation à d’autres groupes en se

fondant uniquement sur le contenu et la nature de l’information en cause, car il y aurait alors

discrimination.

50. Les personnes ou entités extérieures à l’école peuvent diffuser de l’information,

notamment religieuse, aux abords de l’établissement (en dehors de celui-ci mais à proximité

immédiate). Cependant, les autorités locales et municipales peuvent imposer des conditions

de temps et de lieu ainsi que d’autres modalités et aller jusqu’à interdire complètement la

diffusion si elle entrave le fonctionnement de l’école ou si elle est faite dans des conditions

qui marginalisent ou stigmatisent certains élèves ou exercent de la pression ou de la

coercition sur eux. Quant aux autorités scolaires, elle doivent prendre les précautions

nécessaires pour faire comprendre aux élèves qu’elles n’endossent pas ni ne désapprouvent

les informations religieuses ainsi diffusées.

La diffusion d’informations ou de documents religieux par les autorités scolaires et par les

enseignants

51. Il ne semble pas qu’aux États-Unis les autorités scolaires ou les enseignants puissent, de

leur propre initiative, diffuser des informations ou des documents religieux à l’école (en

informant, par exemple, les élèves d’un service religieux ou en transmettant de la

documentation sur un événement religieux tenu en dehors de l’école), car un tel

comportement serait contraire au principe de neutralité des institutions publiques en

constituant un « endossement » de la religion par les autorités scolaires.

52. Le principe de neutralité religieuse de l’État qui s’applique en droit canadien est moins

contraignant que le principe de non-établissement aux États-Unis et, sans que cela ait encore

été établi jurisprudence, il est imaginable que les tribunaux canadiens ne considèrent comme

inconstitutionnelles les attitudes étatiques favorables à la religion que si elles sont

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discriminatoires ou si elles entraînent sur certaines personnes une coercition ou une pression à

la conformité. Dès lors, la validité de la diffusion d’informations religieuses à l’initiative des

autorités scolaires dépendrait des modalités et du contexte. Une information diffusée auprès

de jeunes enfants durant les heures de classe par les enseignants, à cause du caractère

impressionnable et captif de l’auditoire, serait probablement considérée comme susceptible

d’exercer une pression sur les élèves ou encore de créer un sentiment de marginalisation chez

ceux qui n’ont pas de convictions, ou pas les mêmes convictions, religieuses. Une

information mise à la disposition des élèves de façon purement passive, par exemple sur un

tableau d’affichage, sans sollicitation active, serait probablement jugée moins problématique.

53. Par ailleurs, si les autorités scolaires prennent l’initiative de diffuser de l’information

religieuse à l’école, il faut évidemment qu’elles le fassent de façon à éviter d’apparaître

comme favorisant une religion par rapport aux autres ou même comme favorisant les points

de vue religieux par rapport aux points de vue philosophiques a-religieux ou antireligieux, ce

qui serait le cas si les informations diffusées ne portaient que sur les activités d’un ou de

certains groupes religieux ou que sur l’activité de groupes religieux par opposition à celle de

groupes qui font la promotion d’idées antireligieuses ou a-religieuses.

54. Si l’école accepte de diffuser des informations relatives aux activités d’organismes

extérieurs non religieux, des organismes culturels ou sportifs par exemple, elle ne devrait pas

refuser le même service à des organismes religieux. En outre, si les autorités scolaires

répondent aux demandes de diffusion d’information faites par des organismes religieux

extérieurs, elles doivent éviter de le faire de façon discriminatoire et offrir les mêmes facilités

à tous les groupes religieux comparables qui en font la demande. Les autorités scolaires

devront également exercer un contrôle sur l’information qu’on leur demande de transmettre

pour s’assurer qu’elle ait un contenu strictement informatif et factuel et qu’il ne s’agisse pas

d’un message à portée prosélytique.

55. Enfin, l’école devra prendre toutes les précautions nécessaires pour bien faire comprendre

qu’elle n’endosse pas les informations transmises, par exemple en apposant un avertissement

en ce sens sur les affiches ou les feuillets contenant ces informations. Le fait de faire

transmettre les informations par les enseignants eux-mêmes, surtout lorsque les enfants sont

jeunes et s’ils constituent un auditoire captif, entraînerait le danger d’une confusion dans

l’esprit de ces derniers entre le message et le messager, ce qui serait contraire à l’obligation

de neutralité des enseignants et de l’école. Un moyen de transmission plus neutre, laissant aux

élèves la liberté de prendre ou non connaissance de l’information, comme un affichage sur un

tableau également consacré à d’autres informations non religieuses, serait moins

problématique.