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LA PHYSIQUE QUANTIQUE ET SES INTERPRTATIONSA l'occasion d'un centenairetienne KleinS.E.R. | tudes
2001/5 - Tome 394
pages 629 639ISSN 0014-1941
Article disponible en ligne l'adresse:
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Pour citer cet article :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Klein tienne, La physique quantique et ses interprtations A l'occasion d'un centenaire,
tudes, 2001/5 Tome 394, p. 629-639.
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S C I E N C E S
La physique quantique
et ses interprtations
A loccasion dun centenaire
E T I E N N E KL E I N
Je respecte beaucoup le rel, mais je ny ai jamais cru.VALRENOVARINA
LE 14 DCEMBRE 1900, le physicienallemand Max Planck lisait devant lAcadmie des Sciences de
Berlin un mmoire plein daudace qui allait donner naissance ce que lon appelle aujourdhui la Physique quantique.
Ce mmoire traitait dun problme en apparence
marginal, celui dit du corps noir. Depuis plusieurs annes,
les physiciens staient intresss de prs au rayonnement
mis par les corps quon chauffe, passant au rougetre, au
rouge vif, puis au jaune, puis au blanc bleut, enfin au
blanc vif, au fur et mesure que leur temprature aug-
mente. Ils dsiraient expliquer les caractristiques de cerayonnement partir des proprits de la matire avec
laquelle il interagit. En particulier, ils voulaient rendre
compte du spectre du rayonnement quils mesuraient1. Or
1. Le spectre dun rayon-nement indique la rpar-tition de son nergie enfonction des frquencesquil contient.
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les calculs classiques ne donnaient pas un rsultat
conforme aux observations, et faisaient mme apparatre
un infini indsirable : selon eux, le spectre du rayonnement
mis par un four ferm et parfaitement isol, dans lequel
rgne une temprature donne ce quon appelle prcis-
ment un corps noir , tait tel que la quantit dnergie
mise une frquence donne devait augmenter indfini-
ment avec la frquence, de sorte que lnergie totale rayon-
ne devait tre elle-mme infinie. Cette contradiction fut
juge de plus en plus insupportable avec des mesures et des
calculs se faisant plus prcis.
Pour rsoudre le problme, Max Planck finit par
postuler, dans un acte de dsespoir , que, contrairement ce que supposait la physique classique, les changes
dnergie entre le rayonnement et la matire ne pouvaient
se faire que par paquets discontinus, les quanta 2. Cettehypothse de quantification, vis--vis de laquelle Planck
lui-mme prouva longtemps les plus extrmes rticences,
tait absolument contraire aux principes de la thorie lec-
tromagntique de la lumire 3. Mais, une fois mise dans les
calculs, elle avait limmense vertu de saccorder parfaite-
ment avec les mesures exprimentales.
Max Planck ne sut pas trop quel sens il convenait de
donner sa dcouverte, quil considra dans un premier
temps comme un simple truc . La suite de lhistoire allait
montrer que son ide avait sign lacte de naissance de la
physique quantique. Cette nouvelle physique, rvolution-
naire bien des gards, fut loutil essentiel des progrs
accomplis au XXe sicle dans pratiquement tous les
domaines, depuis la physique des particules jusqu lastro-physique, en passant par la physique nuclaire, la physique
atomique et la physique de la matire condense.
Une crise de la reprsentation
La remise en cause la plus importante laquelle
oblige la physique quantique, qui fut formalise dans les
annes 1920, concerne la faon de reprsenter les objetsphysiques et leurs proprits. Jusqualors, la physique clas-
sique avait distingu deux sortes dentits fondamentales :
dune part les corpuscules, qui sont des sortes de billes
2. Ces paquets disconti-nus sont dautant plusimportants que la fr-quence est plus leve :une lumire monochro-matique, de frquence ,nchange de lnergiequen payant avec des pices de monnaie ,dont la plus petite a une
valeur gale h, o h estune nouvelle constante dela physique, la constante
de Planck. Plus prcis-ment, les paquets chan-gs peuvent avoir unenergie gale h, oubien 2 h, ou bien 3 h, etc., mais il ny apas dchange possible dautres valeurs.
3. Cette dernire dcrit,en effet, la lumirecomme forme dondescontinues, avec une ner-gie distribue sur toutes
les frquences, donc deschanges qui ne cotentpas plus dnergie hautequ basse frquence.
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microscopiques ; dautre part les ondes, qui se propagent
dans lespace un peu comme le mouvement dune vague
sur la mer. La physique quantique ne retient pas cette clas-
sification. Les objets quelle considre ne sont ni des cor-
puscules ni des ondes, mais autre chose . Les objets
quantiques ont dailleurs des comportements tranges,
quaucune chose habituelle nest capable de reproduire.
Pour les comprendre, il faut rompre de faon franche et
dfinitive avec notre intuition, et aussi avec la reprsenta-
tion visuelle des objets physiques. Cest le ct iconoclaste
de la physique quantique. Il devient impossible de dessiner
un atome ou un proton. Cette disparition des poissons-
pilotes de lintelligibilit que sont les images entrane une
frustration chez ceux qui aiment voir avant de croire, et lafascination chez ceux qui smerveillent de ce que lintelli-
gence soit capable de dpasser lintuition, et mme de la
dmentir. Perdre limage, en effet, ce nest pas tout perdre.
Cest mme en faisant son miel dentits abstraites que la
physique quantique a bti son extraordinaire efficacit.
Une interprtation physique
La physique quantique a, en outre, ceci doriginal
quelle ne se fonde pas seulement sur un formalisme, cest-
-dire sur un ensemble de concepts mathmatiques et
dquations. Elle requiert galement ce que lon appelle uneinterprtation physique. Ds 1927, alors que la physique
quantique formelle vient tout juste dapparatre, on
commence dj se soucier de son interprtation. On
essaie de comprendre en quoi elle consiste, on prcise les
rgles selon lesquelles il convient de lutiliser et, de faonplus marginale, on sinterroge sur le type de discours
concernant la ralit physique quelle autorise ou interdit.
Ce point-l est tout fait singulier : jamais une autre
science navait ce point exig une autre science spcifique,
linterprtation, pour pouvoir tre comprise et applique.
Cest certainement cause de cette particularit que la
physique quantique a gard en son sein un certain nombre
de tensions internes propos du lien entre le formel et le
rel, entre le virtuel et lactuel, entre le possible et leffectif,entre le hasard et le dtermin. De par sa structure mme,
elle interroge la relation entre le monde et sa repr-
sentation.
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Dans les thories physiques antrieures, on navait
gure besoin dune interprtation trs sophistique, car la
forme mathmatique des grandeurs physiques tait directe-
ment imbrique dans les relations qui donnaient le
contenu physique de la thorie. Les mathmatiques contri-
buaient plutt clairer notre vision des choses, en prci-
sant des images que nous avions au pralable lesprit. Par
exemple, le concept de coordonnes venait prciser ce que
nous entendions par position. Globalement, loutil tho-
rique restait en correspondance avec lintuition. Ce confort
intellectuel tait encore augment par le fait que la physique
classique avait un engagement ontologique fort propos
des proprits des systmes physiques : tout systme, elle
attachait des proprits qui appartenaient en propre cesystme. Cette conception avait germ ds la naissance de la
physique moderne, notamment dans lesprit de Galile, qui
croyait ce que lon appelle le ralisme des accidents :
les proprits contingentes des choses, leurs accidents
comme leurs formes, leurs positions, leurs vitesses (ce
quon appelle aujourdhui leurs proprits dynamiques)
sont considrs comme rels, cest--dire comme indpen-
dants de notre connaissance et de nos reprsentations. Cette
conception avait comme corollaire la contrafactualit : sitelle ou telle proposition portant sur tel ou tel objet est vraie lorsque lon pense elle en association avec un dis-
positif de mesure permettant de la vrifier, elle doit ltre
aussi en labsence du dispositif ou en la prsence dun autre,
dvolu une autre fonction. Dans ce contexte, on conoit
que linterprtation du formalisme classique pouvait tre
minimale et presque directe : elle revenait dire que toute
grandeur de la thorie avait une contrepartie dans la ralit
physique, que cette grandeur fut mesure ou non. Avec laphysique quantique, les choses se rvlrent bien diff-
rentes, car son formalisme, pris au pied de la lettre, est
dpourvu de signification. Il exige donc des rgles sman-
tiques externes lui-mme pour tre mis en correspon-
dance avec les donnes empiriques 4.
Le problme de la mesure en physique quantique
La vritable rupture quimpose la physique quan-
tique concerne la faon de reprsenter les systmes
physiques. Ceux-ci, quelle que soit leur nature, sont repr-
4. Dire que ces rglessmantiques sont externesau formalisme lui-mme,cest peut-tre trop savan-cer, car la question restepose de savoir si linter-prtation doit tre unesous-thorie lintrieurmme de la thorie quan-
tique, comme certainsphysiciens le pensent, ousi elle doit consister enun commentaire inspirde considrations phi-losophiques pralables,comme le pensaient cer-tains des pres fondateursde la physique quantique.
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sents dans son formalisme par des entits mathmatiques,
les vecteurs dtat , qui ont la proprit de pouvoir
sajouter entre eux : la somme de deux tats possibles dun
systme physique est encore un tat possible du systme.
Ce principe fondamental, appel principe de superposi-
tion, constitue la base du formalisme quantique. Il est
lorigine de sa remarquable efficacit, mais aussi de la
difficult quil y a donner delle une interprtation claire.
Les pres fondateurs de la physique quantique ne sy sont
pas tromps, notamment Albert Einstein, Niels Bohr,
Wolfgang Pauli, Erwin Schrdinger ou Werner Heisenberg,
qui ont demble peru quelle soulevait des problmes
philosophiques originaux. Cest essentiellement autour
du problme de la mesure que les dbats se sont cristalli-ss. Classiquement, toute mesure est cense tre la fois
neutre et, au moins en principe, fidle. Elle enregistre
objectivement quelque chose qui est dj l , sans
aucunement le perturber. En ce sens, elle naurait quun
rapport passif avec le rel, oprant sur lui une sorte de
dcalque. La physique quantique a oblig reconsidrer
cette prtendue neutralit de lopration de mesure. Voyons
comment.
Un systme physique, par exemple une particule, se
dfinit dabord par un certain nombre de caractristiques,
qui sont exactement les mmes pour tous les systmes du
mme type. Cest ainsi que tous les lectrons ont rigoureu-
sement la mme masse et la mme charge lectrique. Mais,
en plus de ces caractristiques universelles, les lectrons se
voient attribuer des quantits (telle la position ou la
vitesse) qui, elles, peuvent varier dun lectron lautre.
Lensemble de ces proprits forment en physique classiquece que lon appelle ltat de la particule. Ce concept dtat,
dfini ici pour une simple particule, peut tre gnralis
tous les systmes physiques.
Une neutralit reconsidrer
La physique quantique, comme nous lavons dit,
reprsente ltat dun systme par un vecteur dtat soumisau principe de superposition : si a et b sont deux tats pos-sibles du systme physique considr, alors ltat (a + b)est lui aussi un tat possible de ce systme. Imaginons une
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particule lmentaire, par exemple un lectron, susceptible
dexister dans deux tats diffrents, auxquels nous faisons
correspondre les vecteurs dtat a et b respectivement. Cesvecteurs dtat spcifient ltat interne de la particule, par
exemple son tat despin (qui est une proprit interne desparticules, analogue mais non identique au concept de
rotation sur soi-mme). Supposons : si la particule est dans
ltat a, toute mesure de son tat interne donnera commersultat +1 ; si elle est dans ltat b, la mme mesure don-nera comme rsultat-1.
En vertu du principe de superposition, la particule
en question peut aussi bien tre mise (ou se trouver) dans
ltat (a + b). Quel sera, dans ce cas, le rsultat dune
mesure faite sur le systme? On pourrait de prime abordconsidrer que ltat (a + b) est un mlange ou une coexis-tence des tats a et b. Ds lors, une mesure faite sur la parti-cule donnerait un rsultat nul, cest--dire gal la
moyenne de ce que lon obtient lorsque la particule est
dans ltat a (en loccurrence +1) et de ce que lon obtientlorsquelle est dans ltat b (en loccurrence -1). Mais cetteconclusion htive se rvle fausse : la superposition de
deux tats na rien dun mlange de ces deux tats. La phy-
sique quantique dit simplement que si lon fait la mesuresur une particule dans ltat (a + b), alors on a une chancesur deux dobtenir le rsultat +1, et une chance sur deuxdobtenir le rsultat -1. La physique quantique noffre doncrien de mieux que des probabilits. Dune faon gnrale,
elle indique seulement que si lon fait tel ou tel type de
mesure, on aura telle ou telle probabilit dobtenir tel ou
tel rsultat. Mais, tant que la mesure nest pas faite, la
grandeur cense quantifier la proprit physique dont il est
question nest pas strictement dfinie, du moins si levecteur dtat de la particule est la somme de plusieurs
tats.
Juste avant la mesure, la particule tait reprsente
par son vecteur dtat (a + b). Si la mesure donne commersultat +1, alors il faut admettre que, aussitt aprs cettemesure, le vecteur dtat de la particule est devenu a, ce qui
veut dire que, ds lors, la valeur de sa proprit interne est
bien dfinie. La superposition quantique a donc tdtruite par lopration de mesure. La reprsentation
mathmatique de la particule a t modifie : dune
somme de deux termes (a + b), elle est passe un seul
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terme (en loccurrence a). La mesure a en quelque sorteoblig le vecteur dtat perdre lun de ses termes. On dit
quil y a eu rduction du paquet dondes . Cette rgle
simple tablit une liaison entre lespace abstrait, o vo-
luent les vecteurs dtat, et lespace physique ordinaire, o
lon observe les phnomnes.
Si cest lautre alternative qui se ralise, cest--dire si
le rsultat de la mesure est -1, alors le vecteur dtat de laparticule aussitt aprs la mesure est b. L encore, il y auraeu rduction du paquet donde. Le vecteur dtat davant la
mesure permet donc de connatre a priori les diffrentsrsultats de mesure possibles (et aussi la probabilit de
chacun deux). Il renferme toutes les potentialits du sys-tme, dont une seule sactualise de faon alatoire!
lors dune exprience donne. Le dterminisme classique
doit, en loccurrence, tre abandonn.
Si cest le rsultat +1 qui est obtenu, correspondantau vecteur dtat a, la tentation est grande et mme irr-sistible dimaginer que le vecteur dtat tait dj a dsavant la mesure, celle-ci nayant fait que rvler une situa-
tion dj existante ou enregistrer un tat de fait. Mais silon se forme une telle image des choses, on tombe sur des
contradictions qui se sont rvles indpassables 5. En
consquence, on ne peut plus affirmer que la particule que
lon dtecte dans un tat donn se trouvait dj dans cet
tat juste avant la mesure, et donc quelle possdait la
proprit mesure indpendamment de lopration de
mesure. Il faut admettre que, lorsquune particule est
reprsente par le vecteur dtat (a + b), ses proprits
physiques sont indtermines dans la mesure o lon nepeut pas leur attribuer une valeur bien dfinie qui soit cer-
taine. Le vecteur dtat davant la mesure contient seule-
ment toutes les possibilits du systme, sans donner
davantage que la probabilit que telle ou telle valeur soit
slectionne au hasard. Ds lors, comment parler des parti-
cules comme de choses en soi sil faut faire des mesures
sur elles pour que leurs proprits soient bien dfinies? A-
t-on encore le droit de leur attribuer une ralit physique
autonome, indpendante de linstrument dobservation?Le problme de la mesure en physique quantique incite
sinterroger propos de ce que lon entend au juste
par ralit.
5. Pour en savoir plus,voir Etienne Klein, LaPhysique quantique, Flam-marion, coll. Dominos,1998.
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Les interprtations traditionnelles
de la physique quantique
Il y eut toujours deux tendances principales dans
linterprtation de la physique quantique, sous les gides
respectives de Bohr et de Einstein. Il semble quon puisse
essentiellement rduire leur opposition une divergence
sur une unique question : la physique quantique est-elle
complte? Le vecteur dtat dit-il tout ce quil est possible
de savoir propos dun systme, ou bien lui manque-t-il
quelque chose? Si la physique quantique est incomplte,
alors il faut chercher dautres principes, plus profonds que
ceux de la physique quantique, et qui, eux, permettront deconstruire une thorie vraiment complte (et peut-tre
dterministe). Si, au contraire, la thorie est complte, alors
il faut vraiment creuser la question de linterprtation et en
trouver une qui soit, si possible, incontestable. Si la plupart
des autres questions controverses se rapportent celle de la
compltude, cest parce que les attributs que lon accordera
au rel ne seront pas les mmes, selon que la physique
quantique est considre comme complte ou incomplte.
Parmi ces questions controverses, certaines sont
dordre technique. Quelle est la correspondance entre le
monde quantique et le monde classique? Comment conci-
lier le probabilisme quantique et le dterminisme clas-
sique ? Les quations de la physique quantique impliquent
une prsence universelle dtats superposs, donc des effets
dinterfrences. On ne voit pas ces effets dinterfrences au
niveau macroscopique. Comment lever cette contradic-
tion? Ces questions techniques peuvent tre sublimes enquestions authentiquement philosophiques. Quel est le
rle de lobservateur dans lapprhension du rel ? Que
peut-on dire de la ralit non observe? Quelle est la part
de rel qui nous est accessible?
Lapprhension du rel
Les diverses rponses qui leur ont t proposesentre 1930 et 1960 se rpartissent schmatiquement en un
petit nombre de catgories. La premire attitude, dite posi-
tiviste, est celle dfendue par les tenants de lEcole dite de
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Copenhague (Niels Bohr tait danois). Ces derniers, essen-
tiellement Heisenberg, Bohr et Pauli, dfendent lide que
le mot ralit na pas de sens en lui-mme. Ils refusent
donc daborder les discussions propos du rel sous pr-
texte quelles seraient immanquablement vaines. La phy-
sique quantique est efficace et, selon eux, cest le maximum
que lon puisse lui demander. Elle na pas revendiquer
une porte cognitive plus profonde.
La deuxime attitude relve de ce quon pourrait
appeler un malaise constructif. Pour un certain nombre de
physiciens, lembarras philosophique dans lequel nous
plonge la physique quantique est le signe quelle nest
quune thorie approche. Le problme de la mesure, larduction du paquet dondes, le renoncement au dtermi-
nisme strict sont pour eux autant de pilules difficiles ava-
ler. Daprs ces physiciens, la seule solution consiste
modifier la thorie quantique elle-mme. Leurs contre-
propositions ventuelles doivent relever un redoutable
dfi : faire aussi bien que le formalisme quantique qui, du
point de vue des rsultats quil permet datteindre, fonc-
tionne parfaitement, mais avec des fondements diffrents
de ceux quutilise ce formalisme. La gageure est de taille,surtout depuis quil a t tabli, dans les annes 1980,
quon ne peut plus esprer remplacer la physique quan-
tique par une thorie qui la complterait par ladjonction
de variables caches locales qui permettraient de restau-
rer le dterminisme classique.
La troisime raction consiste proposer une autre
lecture de la physique quantique. Certains physiciens
acceptent tel quel le formalisme quantique, mais contes-tent linterprtation de Copenhague, juge trop minima-
liste ou trop timide. Eugne Wigner, par exemple, a
prtendu, en 1962, que la rduction du paquet dondes
lors dune mesure obligeait admettre une influence active
de la conscience sur la ralit physique. De mme quun
pav lanc sur un crne non casqu peut modifier ses tats
de conscience, Wigner imagine que, au nom du principe
de lgalit de laction et de la raction, la conscience peut
en retour agir sur la matire. Le problme de cette thsespiritualiste, qui fut toujours juge farfelue par la majorit
des physiciens, est quelle reste trs vague. Il lui manque,
notamment, une thorie srieuse de la conscience.
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Une autre ide dinterprtation, au moins aussi
trange, a t dveloppe par quelques physiciens verss
dans la cosmologie : cest celle des univers parallles. On
en doit la premire version Hugh Everett, qui la proposa
en 1957. Lors dune mesure pouvant a priori donner deuxrsultats diffrents, il y aurait division de lensemble que
constituent lappareil de mesure et lobjet mesur en deux
ensembles (en fait, cration de deux univers parallles),
lun o le premier rsultat est ralis, lautre o cest le
second. Tous les rsultats possibles dune mesure seraient
donc simultanment raliss, au prix dune duplication
concomitante de lunivers. Cette thorie parat extrava-
gante, mais il est aussi difficile de la rfuter que dy sous-
crire. Retenons seulement quelle a t conue dans le seulbut dapporter une rponse au problme de la mesure en
physique quantique, ce qui illustre lembarras dans lequel
ce problme a pu mettre certains esprits.
Lapproche contemporaine
Ces dernires annes, de nouvelles approches ont
t rendues possibles, grce deux phnomnes. Dabord,on bnficie depuis une soixantaine dannes de la lente
dcantation des concepts quantiques. Le dbat initial avait
sans doute t trop marqu par les prises de position des
pres fondateurs de la physique quantique, qui lavaient
peut-tre trop rapidement encart dans des systmes
philosophiques prexistants. Or, comme la crit Roland
Omns, on est sans doute plus fidle leur esprit en
rafrachissant leurs dires quon ne lest en les prenni-
sant6 . Dautre part, la frontire floue qui spare le quan-tique du classique a cess dtre un no mans landexprimental. Par exemple, des chercheurs ont essay de
montrer que la rduction du paquet dondes, loin dtre
une recette transcendante venue dailleurs, relve en fait
dun mcanisme que la physique peut dcrire elle-mme.
Cest en tout cas ce quindique la thorie dite de la dcoh-
rence. Cette thorie tente dexpliquer pourquoi les objets
macroscopiques ont un comportement classique, tandis
que les objets microscopiques, atomes et autres particules,ont un comportement quantique. Elle fait intervenir
lenvironnement , constitu de tout ce qui baigne les
objets, par exemple lair dans lequel ils se propagent ou, si
6. Roland Omns, Com-prendre la mcanique quan-tique, EDP-Sciences, 2000,p. 7.
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lon fait le vide, le rayonnement ambiant. Cest linteraction
avec leur environnement qui fait trs rapidement perdre
aux objets macroscopiques leurs proprits quantiques.
Lenvironnement agit, en somme, comme un observateur
qui mesure les systmes en permanence, ce qui limine
toutes les superpositions lchelle macroscopique. Ce
processus de dcohrence a pu tre saisi au vol : plusieurs
expriences rcentes ont permis dexplorer, pour la pre-
mire fois, la transition entre comportements quantique et
classique. On commence ainsi comprendre comment la
dcohrence peut protger le caractre classique du monde
macroscopique.
Un sicle aprs la confrence de Max Planck, les pro-
blmes de fond poss par Bohr, Heisenberg, Einstein,
Schrdinger ou Pauli restent dactualit, mais on dispose
pour les traiter de davantage de rsultats et darguments.
Plusieurs systmes pistmologiques essaient dintgrer ces
nouvelles donnes. On pourrait voquer la thse du rel
voil de Bernard dEspagnat7, le solipsisme convivial de
Herv Zwirn8
, le ralisme physique de Michel Paty9
; et, defaon plus diffuse, le ralisme ouvert, lantiralisme, lempi-
risme, loprationnalisme, le phnomnalisme ; enfin,
lidalisme, lui-mme divis en idalisme radical et ida-
lisme modr, les deux pouvant tre plus ou moins kan-
tiens... Ce pluralisme peut sembler encombrant, mais il a
au moins lavantage dtre plus fcond que les glaciations
doctrinales ou les crispations idologiques. Il faut simple-
ment souhaiter que les partisans dun ralisme fort nri-
gent pas en dogme absolu le principe selon lequel le relserait totalement intelligible et, pour faire bonne mesure,
que les positivistes radicaux ne condamnent pas lide que
cela a un sens de se proccuper du rel, sous prtexte que
cette ide serait bassement mtaphysique.
ETIENNE KLEIN
Physicien au CEA
7. Bernard dEspagnat, LeRel voil, Fayard, 1994.
8. Herv Zwirn, LesLimites de la connaissance,Odile Jacob, 2000.
9. Michel Paty, Interprta-tions et significations enphysique quantique, in Lamcanique quantique ,Revue Internationale dePhilosophie, n 2/2000,juin 2000, p. 199-242.
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