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http://librairiedumerveilleux.org/ http://bnam.fr LA PHILOSOPHIE NATURELLE RESTITUEE D'ESPAGNET I Dieu est l'étant éternel, l'unité infinie, le principe radical de toutes choses. Son essence est une lumière inépuisable ; sa puissance, une omnipotence ; sa volonté, le souverain bien, et son moindre désir un ouvrage parfait. A qui voudrait sonder davantage la profondeur de sa gloire, surviendraient l'étonnement, le silence, et l'abîme. II La plupart des Sages ont enseigné que, de toute éternité, le Monde était dessiné dans son (propre) Archétype. Mais cet Archétype, qui est toute lumière, replié sur lui-même comme un livre avant la création de l'Univers, ne brillait que pour soi. Il s'est ouvert et développé, dans la production du Monde comme s'il accouchait. Il a rendu manifeste son ouvrage, auparavant caché en esprit comme dans une matrice, par une extension de son essence, et il a ainsi produit le Monde idéal, puis — comme d'après une image (déjà) redoublée de la divinité — le Monde actuel et matériel. C'est ce qu'indique le Trismégiste l, lorsqu'il dit que Dieu changea de forme, et que toutes choses furent soudain révélées et converties en lumière. Le Monde n'est à la vérité rien d'autre qu'une image à découvert de la divinité dissimulée. Il semble que les Anciens aient fait comprendre cette naissance de l'Univers par (le mythe de) leur Pallas, extraite du cerveau de Jupiter grâce à Vulcain, c'est-à-dire à l'aide d'un feu ou d'une lumière. III L'éternel auteur des choses, non moins sage dans leur ordonnance que puissant dans leur création, a réparti la masse organique du Monde dans un ordre tellement admirable, que les (choses les) plus hautes avec les plus profondes, et les plus profondes avec les plus hautes,

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LA PHILOSOPHIE NATURELLE RESTITUEE

D'ESPAGNET

I

Dieu est l'étant éternel, l'unité infinie, le principe radical de toutes choses. Son essence est une lumière inépuisable ; sa puissance, une omnipotence ; sa volonté, le souverain bien, et son moindre désir un ouvrage parfait. A qui voudrait sonder davantage la profondeur de sa gloire, surviendraient l'étonnement, le silence, et l'abîme.

II

La plupart des Sages ont enseigné que, de toute éternité, le Monde était dessiné dans son (propre) Archétype. Mais cet Archétype, qui est toute lumière, replié sur lui-même comme un livre avant la création de l'Univers, ne brillait que pour soi. Il s'est ouvert et développé, dans la production du Monde comme s'il accouchait. Il a rendu manifeste son ouvrage, auparavant caché en esprit comme dans une matrice, par une extension de son essence, et il a ainsi produit le Monde idéal, puis — comme d'après une image (déjà) redoublée de la divinité — le Monde actuel et matériel. C'est ce qu'indique le Trismégiste l, lorsqu'il dit que Dieu changea de forme, et que toutes choses furent soudain révélées et converties en lumière. Le Monde n'est à la vérité rien d'autre qu'une image à découvert de la divinité dissimulée. Il semble que les Anciens aient fait comprendre cette naissance de l'Univers par (le mythe de) leur Pallas, extraite du cerveau de Jupiter grâce à Vulcain, c'est-à-dire à l'aide d'un feu ou d'une lumière.

III

L'éternel auteur des choses, non moins sage dans leur ordonnance que puissant dans leur création, a réparti la masse organique du Monde dans un ordre tellement admirable, que les (choses les) plus hautes avec les plus profondes, et les plus profondes avec les plus hautes,

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sont mélangées sans se confondre, et se ressemblent par quelque analogie. De sorte que les extrémités de tout l'ouvrage, grâce à un nœud secret, sont jointes très étroitement entre elles par des degrés intermédiaires insensibles, et que toutes concourent spontanément au respect du modérateur suprême, et à la modération de la nature inférieure, prêtes qu'elles sont à se dissoudre au moindre commandement de celui qui les a liées ensemble. C'est pourquoi le même Hermès affirme à bon droit que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.

IV

Celui qui transfère l'autorité suprême de l'Univers à une nature autre que la nature divine, nie qu'il y ait un Dieu. En effet, il n'est pas permis de reconnaître un (autre) vouloir incréé que cette nature, tant pour produire que pour conserver les individualités de la machine étendue, sinon l'esprit lui-même du divin Architecte, cet esprit qui au commencement planait sur les eaux, qui fit passer de la puissance à l'acte les semences de toutes choses confusément mêlées dans le chaos, et après qu'il les en eût tirées, traita les essences inférieures en faisant tourner la roue d'une constante altération, pour les composer et les dissoudre selon un mode géométrique.

V

Quiconque ne sait pas que cet esprit, créateur et recteur du Monde, qui est répandu et infus dans les œuvres de la Nature comme par un souffle continu, qui se diffuse largement en toutes choses, et qui meut selon son genre chaque universel et chaque singulier par un acte secret et pérennel, est l'Ame du Monde, celui-là ignore les lois de l'Univers. Car le créateur se réserve le droit de gouverner ce qu'il a créé. Et il faut confesser que cet Esprit, toujours le même, préside à la création, à la génération et à la conservation.

VI

Cependant, celui qui reconnaîtra que la Nature est la cause seconde universelle, au service de la première, et comme un instrument soumis au pouvoir de celle-ci, qui meut sans (autre) médiation et avec ordre toutes choses dans le Monde matériel, celui-là ne s'éloignera pas de la pensée des Philosophes et Théologiens, qui ont appelé la première, Nature naturante, et la seconde. Nature naturée.

VII

Celui qui a été instruit dans les arcanes de la Nature, ne contestera point que cette Nature seconde, servante de la première, est l'Esprit de l'Univers, c'est-à-dire une vertu vivifiante, et douée d'une fécondité secrète, de la lumière qui fut créée au commencement, et contractée dans le corps du Soleil. C'est cet Esprit de feu que Zoroastre et Héraclite ont appelé un feu invisible, et l'Ame du Monde.

VIII

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L'Ordre de la Nature n'est rien autre que la suite, formant texture, des lois éternelles qui furent émises et promulguées par le Souverain suprême, et imprimées à de multiples exemplaires pour ses peuples innombrables, chacun (les recevant) à sa manière. C'est sous leurs auspices que la masse de l'Univers exécute ses mouvements. La vie et la mort occupent tour à tour les extrémités ultimes de ce volume, et tout le reste est le mouvement qui se fait de l'une à l'autre et réciproquement.

IX

Le Monde est comme un ouvrage d'artisan fait au tour. Ses parties sont nouées par des étreintes mutuelles comme les anneaux d'une chaîne. La Nature est placée au milieu comme une Ouvrière remplaçante (de l'Architecte), qui dirige les changements de toutes choses, et, partout représente, répare incessamment, comme le Fabricateur lui-même, celles qui sont usées.

X

Du fait que ce monde universel se présente d'une triple nature, ainsi est-il divisé en trois régions, c'est-à-dire la super céleste, la céleste et l'inférieure. La super céleste, qui a été appelée (monde) intelligible, est la plus haute de toutes, étant entièrement spirituelle et immortelle : elle est toute voisine de la Majesté divine. La céleste est située entre les deux autres : là sont attachés ces corps d'une espèce très parfaite qui la font abonder en esprits, et répandre des vertus innombrables et des souffles vitaux par des canaux tout spirituels. Exempte de corruption, elle n'échappe cependant pas à la mutation, chaque fois que sa période est achevée. Enfin, la région inférieure, qui est appelée vulgairement l'élémentaire, occupe la plus infime et basse partie du Monde. Comme elle est en soi toute matérielle, elle ne possède que par emprunt les dons et les bénéfices spirituels, dont le principal consiste en la vie, et à charge d'en rendre le tribut au ciel. Dans son sein nulle génération n'a lieu sans corruption, nulle naissance ne se produit sans mort.

XI

Il est prévu par la loi de la Création que les choses inférieures obéissent et servent aux moyennes, les moyennes aux supérieures, et les supérieures au suprême Recteur sans autre médiation que la volonté de celui-ci. Tel est l'ordre et la commune mesure (symmetria) de l'Univers tout entier.

XII

Comme au seul Créateur il appartenait de créer de rien, et de créer ce qui lui plût, de même à lui seul est réservé le droit de faire retourner les choses créées au néant. Car tout ce qui porte le caractère de l'Être ou de la substance, ne peut plus en être détaché, et par la loi de la Nature il lui est interdit de passer au non-être. C'est pourquoi le Trismégiste affirme justement que rien ne meurt dans le monde, mais que toutes choses passent et changent. Car les corps mixtes

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qui se composent des éléments, par la roue de la Nature se résolvent derechef en leurs éléments : « C'est la loi de la Nature, que de dissoudre à nouveau toute chose En ses éléments. Mais sans cependant l'abolir jusqu'au néant. »

XIII

Les Philosophes ont cru qu'il y a une Matière première, plus ancienne que les éléments. Mais comme ils en ont eu peu de connaissance, ils la décrivent peu, et comme sous un voile : (ils disent) qu'elle est exempte de qualités et d'accidents, mais qu'elle est le premier sujet des qualités et des accidents ; qu'elle est vide de quantité, mais que par elle toutes choses sont quantitatives ; qu'elle est simple, mais qu'en elle siègent les contraires ; qu'inconnue aux sens, elle est la base des choses sensibles ; qu'étendue partout, elle n'est perçue nulle part ; que toujours désireuse des formes, elle n'en retient aucune. Racine de tous les corps, elle ne peut être conçue que par une opération de l'entendement, sans aucunement tomber sous les sens. Enfin, n'étant rien en acte, elle est tout en puissance. Telle est la manière dont ils ont établi un fondement de la Nature fictif et chimérique.

XIV

Avec plus de prudence, Aristote, qui pourtant croyait à l'éternité du monde, a parlé d'une certaine matière première et universelle. Pour en éviter les replis, il en parle de façon sommaire et en termes ambigus : il dit qu'il vaut mieux croire qu'il y a une seule et même matière inséparable de toutes choses, mais qui en diffère selon la raison ; que les premiers corps (imperceptibles) et ceux qui sont perceptibles en sont composés, et qu'elle constitue leur premier principe ; qu'elle n'en est pas séparable mais qu'elle leur est toujours alliée avec répugnance ; qu'elle est la base et le sujet des contraires, et que d'elle sont issus les éléments.

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XV

Mais il eût été meilleur Philosophe, s'il avait exempté cette matière première du combat des contraires, et s'il l'eût reconnue libre de toute répugnance. Car il n'y a aucune contrariété dans les éléments mêmes, celle-ci résultant seulement de l'excès des qualités, comme nous l'apprenons par l'expérience commune du feu et de l'eau, dans lesquels tout ce qu'il y a d'opposé procède de l'excès (infensio) des qualités. Mais dans les éléments purs, qui concourent en la génération des mixtes, ces qualités ne sont point contraires l'une à l'autre, parce qu'elles s'y trouvent au repos. Et les choses (bien) tempérées n'admettent point de contradiction (interne).

XVI

Thalès, Héraclite et Hésiode ont jugé que l'eau était la première matière des choses. L'écrivain de la sainte Genèse semble donner son assentiment à leur avis, en appelant cette matière un abîme et une eau. On peut soupçonner qu'il entendait par-là non notre eau (ordinaire), mais une sorte de fumée ou de vapeur humide et ténébreuse, qui errait ça et là, et qui était agitée d'un mouvement incertain, sans aucune loi.

XVII

Il n'est guère facile de rien déterminer de certain touchant cet antique principe des choses ; car, ayant été créé dans les ténèbres, il rie saurait aucunement émerger à la lumière de l'esprit humain. Donc, si tout ce qu'en ont dit les Philosophes et les Théologiens jusqu'à ce jour est vrai ou non, seul l'auteur de la Nature le sait. Et c'est assez pour qui traite de ces sujets obscurs, que d'en dire le plus vraisemblable.

XVIII

Certains, qui s'accordent en cela avec l'opinion des Rabbins, ont cru qu'il y a eu d'abord un certain principe matériel, très ancien mais obscur et ineffable, nommé (d'un nom peu propre) Hyla, qui précéda la matière première ; qu'il peut être dit moins un corps qu'une ombre immense, moins une chose que l'image très opaque des choses, ou une sorte de masque fuligineux de Être, nuit pleine de ténèbres, et cachette des ombres ; qu'il n'est rien en acte, tout en puissance : ce que l'entendement humain ne saurait se figurer qu'en rêvant. Notre imagination ne peut nous montrer ce principe ambigu, ce ténébreux Orcus, autrement que ses oreilles ne montrent le Soleil à un aveugle de naissance.

XIX

Ils ont cru aussi que, de ce principe très éloigné, Dieu a tiré et créé un certain abîme couvert de brume, informe et sans ordonnance, qui aurait été la matière prochaine des éléments et du Monde. Or le texte sacré appelle cette masse tantôt « terre vide et déserte », tantôt « eau »,

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quoiqu'elle ne fût en acte ni l'une ni l'autre, mais parce qu'elle était les deux en puissance et en destination. Or nous pouvons conjecturer que la matière de cette masse était assez semblable à une fumée ou vapeur noire, à laquelle était mêlée un certain esprit tout engourdi de froid et de ténèbres.

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XX

La division des eaux supérieures d'avec les inférieures, telle qu'elle est évoquée dans la Genèse, semble se faire par la séparation du subtil d'avec l'épais, et comme celle de l'esprit ténu d'avec le corps fuligineux. Ce fut là l'ouvrage d'un esprit lumineux qui émana du Verbe divin. Car la lumière, qui en tant qu'esprit est ignée, en séparant les hétérogènes, repoussa vers le bas les ténèbres les plus denses et les écarta de la région supérieure, tandis qu'en se répandant sur la matière homogène, plus ténue et plus spirituelle, elle l'a allumée comme une huile incombustible pour être une lumière immortelle devant le trône de la Majesté divine. C'est le Ciel empyrée, le milieu entre le monde intelligible et le monde matériel, qui est comme l'horizon et la frontière des deux. Car il reçoit du monde intelligible les qualités spirituelles, qu'il communique au ciel inférieur, le plus proche de nous, qui tient le milieu (entre nous et l'empyrée).

XXI

La raison exigeait que cet abîme ténébreux, ou cette matière 'prochaine du monde, fût aqueuse ou du moins humide, afin que la masse entière des cieux et de toute leur machine pût être équilibrée plus commodément, et par cet équilibre de la matière devenir étendue en un corps continu. Car c'est le propre de l'humide que d'être fluide, et la continuité de tout corps provient du bienfait de la seule humeur, laquelle est comme la colle ou la soudure des éléments et des corps. Mais le feu, agissant contre l'humeur par la caléfaction, la raréfie. La chaleur est en effet l'organe du feu, qui opère par elle deux choses contraires en une seule action : en séparant l'humide du terrestre, il raréfie celui-là et condense celui-ci. Ainsi s'opère, par la séparation des hétérogènes, la congrégation des homogènes. C'est par cet art chimique initial (hac arte protochimica) que l'esprit incréé, fabricateur du monde, distingua les natures des choses (auparavant) confondues.

XXII

La matière et la forme sont les plus anciens principes des choses.

L'esprit, Architecte du Monde, commença l'Œuvre de la création par deux principes universels, l'un formel, l'autre matériel ; à quoi d'autres répondent en effet ces paroles du Prophète : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, etc. » ? Si ce n'est que Dieu, au commencement de la mise en forme de la matière, la distingua en deux grands principes qui, l'un formel, l'autre matériel, sont le ciel et la terre. Or par le nom de « terre », il faut entendre cette masse ténébreuse et encore sans forme des eaux et de l'abîme, ce qu'indiquent les paroles qui suivent (« La terre était vide et déserte, et les ténèbres étaient répandues sur la face de l'abîme, etc. »). C'est elle que le Créateur a renfermée et bornée par le ciel suprême c'est-à-dire l'Empyrée, qui est dans la Nature le premier principe formel, encore que lointain.

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XXIII

Car l'Esprit de Dieu, qui est la splendeur même de la divinité, s'étant épandu à ce moment de la création au-dessus des eaux, c'est-à-dire sur la face humide et opaque de l'abîme, aussitôt est apparue la lumière, laquelle en un clin d'œil envahit la partie la plus haute et la plus subtile de la matière, et la ceignit d'une circonférence lumineuse, comme d'une auréole, à la manière d'un éclat de foudre, qui de l'Orient jette une lumière de feu jusqu'à l'Occident, ou comme la flamme, qui allume avec rapidité la fumée qui l'environne. Ainsi commença le premier jour, mais la partie la plus basse des ténèbres, vide de lumière, resta nuit. Ainsi les ténèbres furent divisées en jour et en nuit.

XXIV

De ce premier Ciel (qui est) le principe formel, il n'est pas dit qu'il fut vide, désert et enseveli dans les ténèbres. Ce qui indique assez qu'il a été distingué de la masse ténébreuse subjacente par la lumière subite qui s'y répandit, à cause du voisinage de la gloire et de la majesté divine, et de la présence de l'esprit lumineux qui en découlait.

XXV

Il y a eu donc deux principes des choses créées dès le commencement, l'un lumineux et proche de la nature spirituelle, l'autre entièrement corporel et ténébreux. Celui-là pour être le principe du mouvement, de la clarté et de la chaleur, celui-ci pour être le principe de l'engourdissement, de l'opacité et du froid ; celui-là actif et masculin, celui-ci passif et féminin ; du premier procède dans le Monde élémentaire le mouvement vers la génération, d'où procède la Vie ; du second, le mouvement vers la corruption, d'où la mort tire son origine. Là est le double terme du monde inférieur.

XXVI

Mais, parce que l'Amour tend toujours à s'étendre hors de lui-même, la Divinité impatiente par nature de sa solitude, et considérant sa (propre) beauté, dans la lumière qu'elle venait de créer, comme reflétée dans un miroir, voulut que pour son extension et la multiplication de son image cette très ardente lumière fût à son tour dilatée et communiquée. Alors la lumière, par l'effet de cet esprit igné qui partait de la pensée divine, et qui tourbillonnait en cercle, commença d'agir sur les ténèbres les plus proches. Celles-ci une fois vaincues et repoussées vers le centre (de l'abîme), un second jour brilla, et ce fut la deuxième demeure (mansio) de la lumière, ou le deuxième ciel. Celui-ci embrasse toute la région éthérée, dans la partie supérieure de laquelle tant de flambeaux furent ensuite semés et fixés, tandis qu'en la plus basse sept astres errants furent placés en ordre, qui, par leur lumière, leur mouvement et leur influence, dictent sa loi à toute la nature inférieure et sublunaire, comme des recteurs et ses gouverneurs.

XXVII

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Et afin qu'il ne manquât rien à un si grand ouvrage, tracé depuis longtemps dans la pensée, divine, ce même Esprit combattit d'un glaive igné et scintillant les ténèbres condensées et l'ombre gisant par en dessous du côté opposé, et les repoussa vers le centre de l'Abîme. Ainsi fut rendu vivant grâce à la lumière le dernier espace des Cieux, que nous nommons air, ou le Ciel inférieur. Et le troisième jour parut. Or les ténèbres qui couvraient au commencement toute la face de l'abîme, ayant été abaissées dans la région infime pendant ces trois jours par la lumière qui survenait, y furent à tel point condensées, à cause de l'étroitesse du lieu et du resserrement dû au froid, qu'elles furent transmuées en la nature et en la masse de l'eau, au milieu de laquelle le corps solide et opaque de la terre a été équilibré, endurci (qu'il est) des excréments et de la crasse de l'abîme, de manière à être le noyau et le centre de tout l'ouvrage, tout aussi bien que le val funéraire et le tombeau des Ténèbres.

A la suite de quoi, par la poussée de ce même Esprit, les eaux quittèrent la face de la terre et se rejetèrent à ses alentours. Ainsi elle apparut sèche, afin de pouvoir produire un nombre presque infini de sortes de plantes, et autant d'espèces d'animaux, et afin aussi qu'elle pût servir de domicile à l'homme qui devait leur commander, fournissant à ceux-ci la nourriture, et à l'homme un abondant réservoir d'ustensiles. La terre et l'eau ne composèrent donc qu'un seul globe, dont l'opacité ou l'ombre, qui est une image de l'abîme, assiège continuellement et enveloppe tout le voisinage de l'air qui est opposé au soleil. Elle fuit en effet la lumière qui la force dans l'espace opposé qu'elle occupe, et « Toujours fugitive se retire semblable à qui s'évanouit ».

XXVIII

Création du Soleil.

Cette lumière, qui était répandue dans tous les espaces de l'abîme après la défaite et l'engloutissement des ténèbres, il parut concevable au suprême Ouvrier de la rassembler en un globe lumineux et très noble, (celui) du soleil, d'une grandeur et d'une forme excellente, afin que la lumière y étant resserrée y agît plus efficacement et émît ses rayons avec plus de force ; et afin que cette lumière créée (mais) dont la nature approche de la gloire divine, procédant de l'unité incréée, se répandît dans les créatures à partir de l'unité.

XXIX

Tous les autres corps tirent leur lumière de ce flambeau lumineux du Monde, car l'opacité que nous apercevons dans le globe de la Lune, à cause du voisinage de la Terre et de l'extension de son ombre, nous persuade qu'il y en a une semblable dans tous les autres globes, quoique la distance nous empêche de l'apercevoir. Car cette première et suréminente nature, source de lumière de tous les êtres sensibles, se devait d'appartenir à l'Unité, elle dont les choses d'ici-bas devaient tirer le souffle de la vie. C'est pour cela qu'un (ou : que le) Philosophe dit fort bien : « Le soleil et l'homme engendrent l'homme ».

XXX

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Ce n'est pas sans probabilité que certains philosophes ont dit que l'Ame du Monde était dans le soleil, et que le soleil était placé au centre de l'Univers. En effet il semble que la justice de la Nature, et la proportion qui s'ensuit, réclament que le corps du Soleil soit également distant de la source et de l'origine de la lumière créée, c'est-à-dire du Ciel empyrée, et du centre ténébreux (que constitue) la Terre, qui sont les extrémités de tout l'ouvrage. Afin que ce Flambeau du Monde, en tant que nature mitoyenne et conciliatrice de ces deux extrêmes, tienne sa place au milieu pour recevoir plus commodément du pôle (supérieur) les immenses richesses des vertus qu'il possède, et les transmettre sur une égale distance à la Terre inférieure.

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XXXI

Avant que la lumière créée fût rassemblée dans le corps du Soleil, la Terre était oisive et solitaire dans l'attente du mâle, afin qu'étant rendue féconde par sa copulation, elle enfantât tous les genres d'animaux. Car jusque là, elle n'avait produit que des ouvrages avortés et en quelque sorte imparfaits, comme sont les végétaux. Car la chaleur de la lumière était auparavant débile et impuissante pour triompher de la matière humide et froide, et n'aurait pu étendre plus loin ses forces.

XXXII

La lumière est la forme universelle.

La matière première a donc reçu sa forme de cette lumière, ainsi que les éléments. Elle leur est commune, et passant en eux, y remplit la même fonction que le sang (dans notre organisme) ; elle établit entre eux un amour étroit, et non la haine et le combat comme le veut l'opinion vulgaire. De sorte que s'étreignant par le lien naturel de la nécessité, ils se coagulent dans les corps variés des mixtes, selon leurs espèces. Et c'est la lumière du Soleil, beaucoup plus forte qu'elle n'était auparavant, autrement dit la forme universelle, qui verse toutes les formes naturelles dans l'œuvre de la génération, dans la matière prédisposée et dans les semences des êtres. Car, quelque individu que ce soit recèle en lui une étincelle de la nature de cette lumière, dont les rayons communiquent secrètement une vertu active et motrice à la semence.

XXXIII

Il a été nécessaire que cette portion de la matière première, qui fut laissée dans la région inférieure, et aussi bien les éléments qui en ont procédé, fussent imbus dès le commencement d'une légère teinture de cette première lumière, afin qu'ils fussent capables de recevoir une lumière plus grande et plus forte lors de la formation des mixtes. C'est ainsi que le feu avec le feu, l'eau avec l'eau, la lumière avec la lumière, se joignent parfaitement et s'unissent, parce qu'ils sont de nature homogène.

XXXIV

Nous pouvons inférer de la situation et de la vertu efficace du Soleil, qu'il fait en l'Univers la fonction du cœur, duquel la vie se répand de toutes parts. Car la lumière est le véhicule de la vie, comme elle en est la source et la cause prochaine. Et les âmes des êtres vivants sont des rayons de la lumière céleste, qui inspirent la vie aux choses, à la seule exception de l'âme de l'homme, qui est un rayon de la lumière sur céleste et incréée.

XXXV

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Dieu a exprimé sa divinité dans le Soleil par une triple image. D'abord, par l'Unité ; car la Nature ne souffre pas plus la multiplicité des Soleils que la divinité la pluralité des Dieux, afin que d’une seule toute chose partent et dépendent. Ensuite, par la Trinité, ou la triple fonction ; car le Soleil, comme un vicaire de Dieu, distribue tous les bienfaits de la Nature par sa lumière, son mouvement et sa chaleur, d'où procède la vie, qui est le dernier acte, et le plus parfait de la Nature dans notre Monde, au-delà duquel elle ne peut passer outre, mais seulement revenir sur elle-même, Or de la lumière et du mouvement procède la chaleur, comme la troisième personne de la Trinité procède de la première et de la seconde. En dernier lieu, en ce que Dieu, qui est une lumière éternelle, infinie et incompréhensible, ne peut se manifester et se faire voir au Monde que par la lumière. Que personne donc ne s'étonne si le Soleil éternel a voulu revêtir de tant de privilèges son image très parfaite, le Soleil céleste, dont il fut le sculpteur, car il y a posé son tabernacle.

XXXVI

Le Soleil est un miroir limpide de la Gloire divine ; car cette gloire étant élevée au-dessus des sens et des forces des créatures matérielles, elle s'est fabriqué un miroir dont la splendeur pût réfléchir les rayons de sa lumière éternelle sur tous ses ouvrages, et la faire reconnaître par cette réflexion, puisqu'il est interdit à la nature mortelle de regarder immédiatement la lumière divine. Le Soleil est l'œil royal de la divinité, qui par sa présence accorde la liberté et la vie à ceux qui l'en supplient.

XXXVII

Création de l'Homme.

Le suprême travail de l'Artisan, et en quelque sorte le nombril ou la couronne de tout l'ouvrage, consista à produire l'homme, résumé de la fabrication du monde et image de la nature divine. Le créateur plaça sa naissance à la sixième partie de la lumière, qui fut la dernière de l'œuvre, comme étant le riche meuble de la nature tout entière, où vinrent confluer dans la nature humaine tous les dons des puissances supérieures et inférieures, comme dans une autre Pandore. Ainsi aux choses de l'univers déjà ordonnées, l'homme s'est ajouté comme le seul complément qui manquait à l'Œuvre, celui pour lequel elle donna un limon plus pur, afin de modeler un vase d'argile aussi précieux. Le globe d'ici-bas et ses habitants demandaient un tel Recteur, dont ils puissent ne pas se lasser de porter le joug.

XXXVIII

Au sixième jour de la création et au troisième après la naissance du Soleil, l'homme surgit de la Terre. Le plus grand mystère répandit son ombre sur le temps de cette production, et sur ce nombre de jours. De même, en effet, qu'au quatrième jour de la création tout ce qu'il y avait de lumière dans le ciel se coagula en un seul Soleil, au troisième jour de la naissance de ce Soleil, qui fut le sixième de la création, le limon de la Terre reçut le souffle de vie et l'éleva sous forme d'un homme vivant, image de Dieu. Ainsi au quatrième jour, c'est-à-dire au

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quatrième millénaire après l'origine du monde, le Soleil non créé, c'est-à-dire la nature divine infinie, qui auparavant ne pouvait être contenue par aucun terme, a voulu être rétrécie et en quelque manière limitée au corps humain. Et le troisième jour, c'est-à-dire le troisième millénaire (car mille années devant Dieu ne comptent que pour un jour) après la naissance et le premier avènement de ce Soleil non créé, et sur la fin du sixième jour, c'est-à-dire du sixième millénaire depuis la création, se fera la glorieuse résurrection de la nature humaine dans le second avènement du Juge suprême : ce qui nous a été encore figuré par sa bienheureuse Résurrection, qui eut lieu le troisième jour. C'est ainsi que le Prophète a caché la destinée et la durée mystérieuse du monde dans la Genèse.

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XXXIX

Quoique le Tout-puissant ait pu créer le monde quand il lui a plu, voire en un moment et en un clin d'œil, s'il l'eût voulu ainsi, car il a dit, et toutes choses ont été faites, néanmoins l'ordre des principes de la création et des éléments de la nature, qui présente une succession (des créatures) avec relation des premières aux dernières, était tracé dans l'entendement divin avant que la nature fût créée : ordre que le Philosophe sacré semble avoir exposé dans la Genèse, plutôt que l'ouvrage de la création.

XL

Les trois informations de la matière première.

Il semble que la matière première ait été informée de trois façons générales. La première information a été faite en ce lieu où la forme lumineuse irraisonnable s'est rencontrée avec une portion de la matière plus faible qu'elle incomparablement, et sans aucune proportion des forces de l'une et de l'autre, comme dans le ciel empyrée, où elle a commencé d'agir sur la matière. Car ayant là une vertu presque infinie, elle a comme englouti la matière, et l'a changée en une nature presque toute spirituelle, et exempte de tout accident.

XLI

La seconde information a été faite dans le lieu où les forces de la forme et de la matière se sont rencontrées avec justesse et égalité. C'est de cette manière que le ciel éthéré et les corps qui le peuplent ont été informés : pour lors l'action de la lumière, dont la force est très puissante, a atteint un tel point qu'en illuminant et en subtilisant merveilleusement la matière, elle l'a exemptée de toute tare, et même du venin de la corruption et de la mort. Ce devait être et ce fut là une information (véritable et) pleine.

XLII

La troisième façon dont la matière a été informée, c'est celle où la forme s'est trouvée la plus faible, comme il est arrivé en notre région élémentaire, bien que de différente manière : là, l'appétit insatiable de la matière, qui s'irrite et devient violente à sa base par son excès et sa surabondance (ce qui est une marque de défaut et d'imperfection) ne peut être jamais satisfaite, ni son infirmité guérie, à cause de l'éloignement et de la distance du principe formel. C'est de là que vient que la matière, n'étant point ici-bas à son gré et pleinement informée, soupire toujours après une nouvelle forme : lorsqu'elle l'a enfin reçue, elle lui communique comme une dot à un mari un ample partage de corruption et d'imperfections. Cette chagrine, opiniâtre, rebelle et inconstante (matière) brûle toujours pour de nouveaux embrassements, désire toutes les formes, ne se satisfait d'aucune et hait, lorsqu'elles sont présentes, celles qu'elle désire absentes.

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XLIII

Il est correct de conclure que l'origine et le ferment de l'altération et de la corruption, voire le venin fatal de la mort, arrivent aux éléments et aux mixtes d'ici-bas, non à cause de la contradiction de leurs qualités, mais plutôt à cause de la matrice et de la menstrue vénéneuse de la matière ténébreuse. Car la forme s'étant trouvée débile et impuissante dans l'union qui s'en est faite ici, où la matière a prévalu comme première et radicale, elle n'a pu la purger de sa tare et de son imperfection. Ce que nous confirme le texte sacré, où il faut remarquer qu'il est dit que notre premier père fut créé non immortel à cause de sa matière, et qu'afin qu'il fût exempt de la corruption terrestre et de la tache originelle de cette matière, Dieu mit dans le paradis terrestre un arbre abondant en fruits de vie et qui était comme un rempart et un remède contre la fragilité de la matière et la servitude de la caducité et de la mort. L'usage et l'approche lui en furent interdits après sa chute et la sentence qui le rendit mortel.

XLIV

Il n'y a eu donc dès le commencement que deux principes simples de la nature dont toutes les autres choses ont procédé, sans qu'aucune fût antérieure : c'est-à-dire la matière première, et sa forme universelle, de l'accouplement desquelles naquirent les éléments, comme de seconds principes qui ne sont rien d'autre que la matière première diversement informée ; elle devient par leur mélange la matière seconde des choses, qui est la plus prochainement sujette aux accidents, et qui souffre les vicissitudes de la génération et de la corruption. Tels sont les degrés, tel est l'ordre des principes de la nature.

XLV

Ceux qui admettent un troisième principe, outre la matière et la forme, à savoir la privation, font injure à la Nature : vu que ce serait contre son dessein qu'elle admettrait quelque principe qui serait contraire à sa fin : car la fin qu'elle s'assigne en engendrant étant l'acquisition d'une nouvelle forme, à laquelle la privation est contraire, il s'ensuit que ce principe ne peut être dans l'intention de la Nature. Ils eussent parlé plus véridiquement s'ils avaient reconnu l'amour, et l'inclination de la matière à la forme, pour un principe de la Nature. Car la matière étant privée de sa première forme, soupire après une nouvelle : mais la privation n'est purement rien d'autre que l'absence de la forme, à qui pour cet effet le nom auguste de principe de la Nature n'est pas dû. Il est dû bien mieux à l'amour, qui est le médiateur entre ce qui désire et ce qui est désirable, entre le difforme et le beau, et entre la matière et la forme.

XLVI

La corruption approche et participe davantage de la génération que ne fait la privation, vu que la corruption est un mouvement qui dispose la matière à la génération par des degrés successifs d'altération qu'elle y introduit. Mais la privation n'agit pas, et n'exécute rien dans l'ouvrage de la génération, au contraire de la corruption qui émeut la matière et la prépare afin qu'elle devienne susceptible de la forme, et comme une médiatrice, elle lui rend un service

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d'entremetteuse (lenocinium) afin que la matière puisse plus facilement assouvir sa convoitise naturelle, et par son ministère obtenir l'accouplement de la forme. C'est pourquoi la corruption est une cause instrumentale et nécessaire de la génération, tandis que la privation n'est rien d'autre qu'une pure carence du principe actif et formel, ou encore les ténèbres sur la face de l'Abîme, c'est-à-dire de la matière informe et ténébreuse.

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XLVII

L'harmonie de l'Univers consiste en l'information diverse et graduée de la matière. Car du mélange pondéré de la matière première et de la forme a procédé la différence des éléments, puis celle des régions du Monde. Ce qu'en peu de mots, mais très véridiques, nous a indiqué Hermès, quand il a dit que ce qui est haut est comme ce qui est en bas. En effet les choses tant supérieures qu'inférieures sont faites de la même matière et de la même forme, mais elles diffèrent en raison de leurs mélanges, de leur situation et de leur perfection. C'est de là que dérivent la distinction des parties du Monde et la hiérarchie de l'ensemble de la Nature.

XLVIII

Il faut donc croire que la matière première, après qu'elle ait reçu de la lumière l'information et la distinction des choses, a tout entière émigré hors de soi-même et que, transmise dans les éléments et les mixtes qu'ils formèrent, elle a été totalement épuisée dans l'achèvement de l'œuvre de l'Univers ; il faut dire que dès que les choses qui étaient auparavant cachées en elle ont été manifestées, et produites, elle a commencé elle-même à s'y cacher, et ne peut aucunement en être séparée.

XLIX

Il nous reste une copie de cette ancienne masse confuse, ou de la matière première, dans cette eau sèche qui ne mouille pas, et qui se trouve dans les grottes souterraines ou même au bord des lacs ; elle imprègne toutes choses d'une semence abondante et devient volatile à la moindre chaleur ; si l'on savait en tirer les éléments intrinsèques alors qu'elle est étroitement unie à son mâle, et les séparer artistement, puis les conjoindre derechef, on pourrait se vanter d'avoir découvert un arcane très précieux de la Nature et de l'Art, et même un résumé de l'essence céleste.

L

Celui qui cherche les éléments simples des corps, séparés de tout mélange, se fatigue en un vain labeur, car ils sont inconnus à l'esprit humain. En effet, ce qu'on tient couramment pour des éléments, ce ne sont pas des simples, mais ce sont des mixtes, quoique liés inséparablement à eux-mêmes. La Terre, l'Eau, l'Air sont plutôt des parties intégrantes de l'Univers que des éléments, mais à bon droit ; on peut dire qu'ils sont les matrices (des corps purs).

LI

Les corps de la Terre, de l'Eau et de l'Air qui sont séparés dans leur sphère sensible, sont différents des éléments dont la nature se sert dans l'ouvrage de la génération, et qui composent les corps mixtes. Car ces derniers sont imperceptibles à nos sens dans le mélange que la

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nature en fait, à cause de leur ténuité et subtilité, jusqu'à ce qu'ils parviennent à la consistance d'un corps palpable, et se convertissent en une matière dense, ce qui est l'opinion de Lucrèce : « Il faut admettre que toutes les choses sont composées de principes insensibles ». Ceux qui composent la région inférieure de l'univers ne sont point admis dans l'ouvrage d'une génération parfaite parce qu'ils sont trop épais et impurs, non assez digérés, et sont plutôt des ombres et des simulacres d'éléments que de vrais éléments.

LII

Néanmoins nous pouvons appeler des mêmes noms que les nôtres ces éléments imperceptibles avant leur mélange dans l'œuvre absolue et parfaite, et dont l'industrieuse nature se sert pour façonner ses ouvrages ; car les parties du mixte répondent dans une certaine proportion aux parties du monde et leur sont en quelque manière analogues : on peut nommer les parties les plus solides « terre », les plus humi4es « eau », les plus déliées « air », la chaleur naturelle « feu » de la nature et les vertus occultes et essentielles sans inconvénient « natures célestes et astrales », ou encore « quintessence ». Et ainsi quelque mixte que ce soit se glorifiera par analogie du nom de « microcosme ».

LIII

Celui qui pourrait tirer les premiers éléments qui servent à la génération des choses pourrait aussi en composer les individus de ces mêmes choses, et derechef résoudre ces individus en leurs éléments.

LIV

Ceux donc qui travaillent à chercher les éléments de la nature pour en composer un corps, ou après l'avoir composé avec l'artifice dont la nature se sert, le résoudre derechef en ses éléments, qu'ils aient recours à l'Auteur de la nature même : car ces premiers éléments sont tout à fait du domaine et de la connaissance de la nature, et ont été laissés dès l'origine à son discernement, tout en demeurant inconnus à l'art et à l'industrie humaine.

LV

L'élément de la nature dans les mixtes est précisément une portion très simple et très pure de la matière première, distinguée par sa propre différence et ses qualités, et qui forme la partie essentielle dans leur composition matérielle.

LVI

Par éléments de la nature, on entend les principes matériels, dont les uns sont plus purs que les autres et plus parfaits selon que la vertu de la forme y est plus grande et plus forte. On distingue la plupart par la rareté et la densité : ceux qui sont les plus rares et les plus proches d'une nature spirituelle, ceux-là sont les plus purs, les plus légers, les plus aptes à l'action et au mouvement.

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LVII

La vénérable antiquité a partagé l'empire du monde entre trois frères, tous fils et cohéritiers de Saturne, parce qu'elle reconnaissait trois natures des éléments ou plus véritablement trois parties dans l'univers. En effet par Jupiter tout-puissant ayant obtenu du sort l'empire du ciel, armé d'un triple foudre, supérieur à ses autres frères, les initiés à ses arcanes ont compris la région éthérée, qui est le lieu des corps célestes, et qui s'arroge l'empire sur les régions inférieures. Au-dessous de lui, ils ont placé Junon, épouse de Jupiter, comme maîtresse de la région inférieure du ciel, c'est-à-dire de notre air : parce que cette région est toute troublée par des vapeurs, humide, froide, et en quelque manière impure et très proche du tempérament féminin. Mais aussi parce qu'elle est soumise aux décrets des corps supérieurs, qu'elle est susceptible de leurs impressions, et nous les communique, s'insinuant dans les choses dont la nature est épaisse pour les fléchir et les assouplir aux ordres imprimés par les choses célestes, et enfin parce que le mâle et la femelle diffèrent seulement de sexe, et non pas d'espèce, ils n'ont pas voulu que l'air ou le ciel inférieur fût un élément différent du ciel supérieur en essence et en espèce, mais seulement différent quant au lieu et aux accidents. A Neptune, divinité de la mer, ils ont assigné l'empire des eaux. Par Pluton, roi des Enfers et dieu des richesses, ils ont voulu entendre le globe terrestre empli de trésors, après lesquels les hommes soupirent et travaillent, le poursuivant comme un fantôme de gloire. Ces sages donc n'ont admis que trois parties de l'Univers, ou trois éléments, si on veut les nommer ainsi. Et parce qu'ils ont voulu subsumer l'élément du feu sous la région éthérée, ils ont dépeint leur Jupiter armé d'un foudre.

LVIII

L'expérience nous apprend que tous les corps des mixtes se résolvent en sec et en humide, comme aussi tout excrément animal. Ce qui prouve que les corps mixtes sont composés de deux éléments sensibles seulement, répondant à notre terre et à notre eau, dans lesquels néanmoins les autres résident en vertu et en puissance. Car l'air, ou élément du ciel inférieur, échappe à nos sens, parce qu'à notre égard il est en quelque façon de la nature des choses spirituelles. Quant au feu de la nature, parce que c'est un principe formel, il ne peut aucunement par quelque résolution que l'on en fasse, malgré tous les secrets de l'art, être aperçu séparément des choses, car la nature des formes n'est pas soumise à l'appréciation des sens, car elle est toute spirituelle.

LIX

La terre est le corps et le limon de l'Univers condensé ; aussi est-elle très pesante, et en occupe-t-elle le centre. Or il faut tenir pour constant que si elle est d'une nature sèche, c'est par accident, en dépit de l'opinion commune. Il faut aussi tenir pour constant qu'elle est froide, parce qu'elle retient plus que les autres (éléments) quelque chose de la nature opaque et ténébreuse de la matière première. Car l'ombre et les ténèbres sont les réceptacles et les retraits du froid ; aussi fuient-elles la lumière, et de crainte d'être violées par elle, elles lui sont toujours opposées diamétralement. Or la terre, grâce à son extrême densité, est la mère et la

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base des ténèbres, étant très difficilement accessible à la lumière et à la chaleur. C'est pour cela qu'elle devient toute transie par un froid violent. La bile noire est jugée la plus froide de toutes les humeurs parce qu'elle participe de la terre, et appartient à son domaine, comme la terre relève de Saturne qui donne un tempérament froid et mélancolique. De même, les productions qui se forment dans le sein de la terre, et qui sont d'une substance terrestre, comme le marbre et les pierres, sont de nature très froide ; bien qu'il faille juger autrement des métaux, qui sont davantage de la nature de l'air, et contiennent en eux beaucoup de feu, à cause des étincelles du feu caché de la Nature qui leur sont infuses, et de l'esprit sulfureux qui coagule leur matière humide et fluide : cependant le mercure, qui l'emporte sur les autres par son humidité et sa froideur, rend tribut de son froid à la terre, et de son humidité à l'eau. Il en va autrement dans les productions qui se font dans la mer, comme on peut le constater assez dans l'ambre, le corail et diverses autres choses qui naissent dans la mer et dans les fleuves, et qui sont d'un tempérament chaud. C'est pourquoi nous savons par le raisonnement et par l'expérience que le froid souverain est dû à la terre et non à l'eau.

[D'Espagnet étudie ensuite la création particulière des quatre éléments traditionnels : la terre qui les contient tous en résumé, mais qui étant sèche et froide, serait impropre à la génération sans l'aide du feu concentré dans le soleil : on retrouve ici la confusion délibérée, et constante dans la tradition hermétique, entre les éléments et les corps célestes. Puis l'eau, à propos de laquelle il introduit la comparaison de « l'élément humide » avec les divinités mythologiques telles que Protée et Mercure, le messager aux mille formes, ce qui ne va pas non plus sans une ambiguïté voulue. Il prend soin de répéter après Lulle, son maître, que le feu est un « des géants et des tyrans du monde » ; il proteste contre la théorie « longtemps crue dans les écoles » selon laquelle la région céleste supérieure à la Lune ne serait pas emplie d'un air tranquille, et d'une pureté « guère éloignée de celle du ciel », mais pleine de feu : « un philosophe devrait avoir honte d'imaginer en cet endroit la sphère du feu, qui, violant les lois de la nature, aurait bientôt ravagé toute la machine de l'Univers ». Après avoir désigné comme un Soleil en réduction le feu contenu dans « l'humide radical », l'auteur passe brusquement à l'éloge du dogme platonicien selon lequel « l'amour est le génie de la nature » : comme c'est l'amour qui a été le premier lien entre la matière et la forme universelle, il n'y a pas lieu d'assurer que la discorde et la contrariété puissent régner parmi les éléments. Les mouvements de la nature, même lorsqu'ils sont empreints de la violence du désir, et lorsque « les éléments nagent dans des appétits voluptueux », restent soumis à une loi d'harmonie pacifique : la préférence donnée à cet endroit par d'Espagnet à Platon sur Aristote, préférence soulignée, nous l'avons dit, par Bachou dans sa notice « anonyme » de 1651, se marque en termes assez vifs. Il ne parle pas moins que de « ressusciter l'Académie ». La « contrariété » procède non des éléments eux-mêmes, mais de l'intensité variable de leurs qualités. Le « cinquième élément », imaginé par quelques Péripatéticiens, n'est, selon d'Espagnet, que le produit immédiat de la contrariété superficielle entre la lumière et les ténèbres. Les éléments ne se changent point l'un en l'autre, l'eau (sous le nom de laquelle il faut entendre également l'humide radical) est seule à circuler pour la génération comme pour la corruption. A partir de ce passage d'Espagnet reprend étroitement le vocabulaire alchimique, notamment en introduisant la description du mouvement des « trois cercles », qui figure également dans l'Arcanum.]

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CXXXIII

Le fondement et la base de la génération, aussi bien que de la corruption sont dans l'humide. Car lorsque la nature travaille à l'un ou à l'autre, l'humeur est le premier patient d'entre tous les éléments, et celui qui reçoit le premier le sceau de la forme. Les esprits naturels s'y unissent facilement, parce qu'ils en proviennent comme de leur racine, et y retournent facilement : en elle et par elle les autres éléments sont mêlés. L'eau, cet élément moite, ne circule pas moins dans les mixtes et les individus, qu'elle ne le fait dans l'ensemble du monde, lorsqu'elle s'élève en l'air et qu'elle en retombe, tant pour l'ouvrage de la génération que pour celui de la corruption. Car en l'un et l'autre, la nature a voulu que la raréfaction et la condensation se fassent par les mêmes instruments et les mêmes moyens, à savoir par les esprits.

CXXXIV

La terre sert de vaisseau pour la génération : l'eau est le menstrue de la nature, qui renferme en soi-même les vertus séminales, et même les vertus formelles, qu'elle tire du Soleil comme d'un principe masculin et formel universel. Car il insuffle dans les semences de toute chose un feu naturel, et des esprits informants, qui contiennent en eux tout ce qui est nécessaire pour la génération, la chaleur naturelle demeurant cachée sous l'humidité. C'est pour cela que fort à propos Hippocrate a dit que le feu et l'eau peuvent tout, et qu'ils contiennent toute chose, parce que les deux qualités masculines du chaud et du sec, qui procèdent de l'eau, concourent à la génération du mixte par leur mélange. A ces deux natures, comme aux deux principaux éléments, président les deux grands luminaires, le Soleil et la Lune : le Soleil est l'auteur du feu de la nature, et la Lune préside aux humeurs.

CXXXV

La nature accomplit la circulation de l'élément volatil par trois opérations, à savoir par sublimation, par descente (ou ré infusion), et par décoction, ces trois moyens exigeant tous diverses températures. Ainsi la nature ayant des desseins bien arrêtés, et marchant néanmoins sur différentes brisées, conduit ses ouvrages interrompus au but qu'elle se propose, et y arrive par des moyens opposés.

CXXXVI

La sublimation est une conversion d'une nature humide et pesante en une plus légère, ou encore c'est une exhalaison vaporeuse, dont le but et l'utilité sont de trois sortes : premièrement que le corps épais et impur se purifie en se subtilisant, et qu'il abandonne petit à petit sa boue et sa lie ; ensuite que par cette sublimation, il devienne plus susceptible de l'incessant afflux des vertus célestes ; enfin que la terre soit déchargée par cette évacuation de l'humeur superflue qui la détrempait, et qui, bouchant ses pores et ses canaux, empêchait l'action de la chaleur et le passage des esprits naturels, au point de les suffoquer et de les

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éteindre. Ce dégagement d'humide, supprimant la cause des obstructions, soulage l'estomac fatigué de la terre et le rend plus propre à la digestion.

CXXXVII

L'humeur se sublime avec l'aide de la chaleur. Car la nature se sert de son feu, comme d'un instrument propre à raréfier les corps humides, de là vient qu'il s'élève plus fréquemment en hiver et au printemps que dans les autres saisons, des vapeurs dont s'engendrent les nuages et les pluies : cela arrive parce que le sein de la terre abonde alors en chaleur et en humidité. Or l'humeur est la cause matérielle des vapeurs et des exhalaisons, comme la chaleur leur cause efficiente. La nature dans la sublimation pousse l'activité de son feu aussi loin que possible.

CXXXVIII

La démission ou descente, qui est la seconde roue de la nature dans la circulation, c'est quand la vapeur toute spirituelle, se réduisant en un corps dense et aqueux, retombe aussitôt en terre ; ou bien, c'est une rechute de l'humeur d'abord raréfiée et sublimée, puis derechef condensée, afin que la terre qui suce cette liqueur, soit lavée et imbue de ce nectar, et de ce breuvage céleste parfaitement rectifié.

CXXXIX

La nature a trois buts dans la circulation : le premier est qu'en arrosant la terre, elle ne verse pas cependant ses eaux tout d'un coup dans son sein, mais qu'elle les distille, toutes rectifiées qu'elles sont, petit à petit, de peur qu'elles ne regorgent sur terre, et que cette trop grande quantité d'eau ne bouche le passage à l'esprit vivifiant, qui se coule dans les entrailles du sol, et n'en étouffe et éteigne la chaleur interne. Car cette prudente et juste gouvernante répartit ses bienfaits avec poids, nombre et mesure. Le second but c'est que par différents canaux et égouts, et de diverses manières, elle puisse distribuer l'humeur tantôt plus tantôt moins, en versant une pluie parfois plus forte, parfois plus menue, quelquefois de la rosée, quelquefois de la gelée blanche afin d'abreuver plus ou moins la terre suivant qu'elle est plus ou moins altérée. Le troisième but est que ces arrosages ne soient pas continuels mais par intervalles, et qu'il y ait entre eux d'autres opérations : car après la pluie vient le beau temps, et après le beau temps la pluie.

CXL

Un froid très faible, ou plutôt une chaleur qui expire et s'éteint, relâche et libère les vapeurs auparavant coagulées et figées, qui sont presque portées jusque dans la moyenne région de l'air et les fait tomber en pluie. Car une chaleur trop grande les dissiperait, et empêcherait leur condensation : de même qu'un froid violent les resserrerait, et les congèlerait tellement qu'elles ne pourraient point se résoudre en pluie.

CXLI

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La dernière roue du cercle de la nature est la décoction qui n'est rien autre qu'une digestion de l'humeur toute crue, qui, distillée dans les entrailles de la terre, s'y mûrit et se convertit en aliment. Or il semble que cette dernière opération soit le but et la fin des deux précédentes parce qu'elle est un relâchement du travail, et une jouissance de la nourriture, recherchée par les travaux et les actions des deux premières roues. Car ayant reçu cette humeur crue, elle la mâche et la broie par le moyen de la chaleur interne, la cuisant et la digérant presque sans mouvement et sans peine, et comme ensevelie dans le repos et dans le sommeil, en excitant doucement et sans bruit le feu secret qui est l'instrument spécifique de la nature ; afin qu'il convertisse en nourriture cette liqueur crue, tempérée par le sec. C'est là le cercle achevé et parfait de la nature, qu'elle fait tourner par divers degrés de travail et de chaleur.

CXLII

Ces trois opérations de la nature sont tellement enchaînées et ont tant de rapports l'une avec l'autre, que la fin de l'une est le commencement de l'autre, et que par un ordre nécessaire elles se succèdent tour à tour selon ses desseins. Ainsi les lois de la vicissitude sont tellement entre-tissées et enlacées qu'elles se prêtent de mutuels offices en conspirant toutes au bien de l'Univers.

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CXLIII

Cependant la nature est quelquefois entraînée contre son gré hors de ses bornes et ne garde pas une route certaine, particulièrement dans la direction et le régime de l'élément humide, dont les lois interrompues sont trompeuses, et facilement commettent ou souffrent la violence, aussi bien à cause de l'inconstance de sa nature volatile qu'à cause de la disposition variable des corps célestes, lesquels modifient les choses d'ici-bas, et spécialement l'eau : il la détourne de ses voies et de ses lois, afin qu'elle soit plus souple aux commandements du souverain moteur, qui s'en sert comme d'un instrument et d'un organe pour mouvoir la machine de l'univers. De là vient que la température de l'air de notre séjour terrestre est trompeuse et inconstante, et que les saisons de l'année en sont changées. De même aussi le ventre de la terre, selon qu'il est disposé et affecté par l'eau, enfante plus ou moins de productions et de fruits beaux ou maladifs. Ainsi l'air que nous respirons, selon qu'il est pur ou qu'il est infesté, donne la santé ou cause les maladies, la nature humide faisant toutes les révolutions que nous voyons ici-bas.

CXLIV

Comme les choses inférieures subissent la loi des supérieures, dont la nature et les modifications sont entièrement inconnues à l'homme, nous ne pouvons établir de règle certaine et indubitable touchant notre ciel inférieur. Cependant, pour en donner quelque précepte général, que le philosophe regarde toujours plutôt l'intention de la nature que l'action produite, et qu'il en ait toujours devant les veux plutôt l'ordre que la perturbation.

CXLV

Circulation de l'humide dans les mixtes.

La nature fait remarquer, aussi bien dans l'économie particulière des mixtes que dans le monde en général, la volubilité de la nature humide ; car les mixtes s'engendrent, se nourrissent, et se développent par la révolution de l'humide, à savoir par dessèchement, humectation et digestion. C'est pourquoi ces trois opérations de la nature sont comparées à la viande, au breuvage et au sommeil : la viande répondant au sec, le breuvage à l'humide et le sommeil à la digestion.

CXLVI

Que l'homme ne se flatte plus de titres vains et qu'il ne se fabrique plus de rêves, comme s'il pouvait revendiquer pour lui seul comme sa propriété le nom de microcosme, parce que, dans sa matière et dans sa construction, se perçoivent par analogie tous les mouvements naturels du macrocosme. En effet, chaque animal, même un vermisseau, chaque plante, même une algue, est un petit monde qui se réfère à l'image du grand. Que l'homme cherche donc le monde hors de lui, et il le trouvera partout. Car c'est le même archétype qui a formé toutes les créatures, et

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à partir duquel d'une même matière ont été formés des mondes presque infinis (en nombre) bien qu'ils soient dissemblables dans leur forme. A l'homme donc l'abaissement et l'humilité, et qu'à Dieu seul appartienne la gloire.

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CXLVII

Les natures inférieures sont pétries et mélangées du ferment des supérieures. C'est pour cela que l'eau, qui ne peut souffrir de retard, va au-devant des dons célestes : l'air ouvre le passage à la vapeur volatile de l'eau, et la reçoit comme son hôtesse dans la région des nuages, comme dans une salle magnifique. Avant que d'y arriver, son corps se spiritualise en quelque sorte, son humidité perd son poids, afin que grâce à sa légèreté, elle accomplisse plus vite son dessein et jouisse par ce moyen du privilège de deux natures différentes.

CXLVIII

Cependant le Soleil, ce prince de la troupe céleste, comme aussi les natures supérieures qui prennent soin des inférieures, insufflent et distillent par un continuel écoulement des esprits vivifiants qui sont comme des petits ruisseaux qui jaillissent d'eux ainsi que de sources extrêmement limpides. Or les vapeurs qui sont suspendues et éparses dans l'air, quand elles se resserrent et se condensent en nuages, sucent comme des éponges avec plaisir ce nectar spirituel et l'attirent comme par une force aimantée. Après qu'elles l'ont reçu, elles s'enflent, et rendues fécondes par cette semence, elles retombent au sein de la terre, dissoutes en rosée, en gelée blanche, en pluie ou en un autre phénomène humide comme si leur premier poids leur était rendu. Cette mère commune des éléments, recevant dans ses entrailles cette humeur qui en était partie, est rendue féconde par elle comme par une semence céleste, produit avec le temps des fruits innombrables, plus ou moins parfaits, selon la vertu de la semence et la disposition de la matrice. Nos eaux inférieures participent aussi à ces bienfaits du ciel, car, ne composant qu'un globe avec la terre, elles reçoivent en commun avec elle ces dons. Et tous les autres éléments sont de même pétris de leur ferment au moyen de la nature de l'eau.

CXLIX

Or ce ferment des éléments est un esprit vivifiant qui, procédant des natures supérieures, se trouve distillé et insufflé dans les inférieures, et sans lequel la terre deviendrait vide et déserte : car il est la semence de vie, sans laquelle ni l'homme, ni aucun animal, ni quelque végétal que ce soit, ne jouirait du bienfait de la génération et de l'existence. Car l'homme ne vit pas seulement de pain, mais particulièrement de cette nourriture céleste, à savoir d'un air mélangé et pétri du souffle de cet esprit vivifiant.

CL

Les trois seconds éléments.

Comme dans la génération des choses les trois éléments purs de la matière sont éloignés, ils ne relèvent que de Dieu et de la nature, n'étant point sujets à l'art et aux lois de l'esprit humain. Néanmoins, de l'accouplement de ces trois principes lointains il en résulte trois autres, qui, étant tirés par résolution chimique des mixtes, montrent une grande ressemblance et analogie

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avec les premiers, et qui sont le sel, le soufre et le mercure. Ainsi l'on voit manifestement que la trinité est le sceau des éléments et de toute la nature.

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CLI

Les espèces de ces trois derniers éléments naissent du triple mariage et de l'alliance des trois premiers. Car le mercure est engendré du mélange de la terre et de l'eau, le soufre de l'étreinte et de l'accouplement de la terre et de l'air, et le sel de la condensation (réciproque) de l'air et de l'eau. On ne peut indiquer davantage d'accouplements et de conjugaisons entre eux. Le feu de la nature réside en eux tous, comme leur principe formel, parce que les vertus célestes y sont encore influentes et coopérantes.

CLII

Il ne faut pas penser que, du concours fortuit de ces premiers corps, et de ces premiers éléments, les seconds s'engendrent aussitôt. Car il faut pour former le mercure une terre grasse, parfaitement délavée et délayée avec une eau limpide. Le soufre se fait d'une terre très subtile et très sèche, et du commerce d'un air humide. Et le sel s'endurcit à partir d'une eau grasse et marine, et d'un air cru qui s'y trouve saisi et engagé.

CLIII

Nous pouvons assurer que l'opinion de Démocrite, que tous les corps sont composés d'atomes, n'est pas éloignée de la nature : la raison comme l'expérience le garantissent de la calomnie. Car sur ce point, cet ingénieux Philosophe a parlé fort sincèrement et ouvertement, n'ayant pas voulu nous taire, ni nous cacher sous le voile d'un langage obscur et énigmatique le mélange des éléments, qui pour s'accorder à l'intention de la Nature a dû se faire par des petits corpuscules indivisibles. Autrement les éléments ne s'uniraient jamais, et ne pourraient composer un corps naturel continu, l'expérience nous apprenant que dans la résolution et la composition artificielle' des mixtes, qui se fait par distillation, jamais deux ou plusieurs corps ne se mêlent mieux qu'en étant résolus en une vapeur subtile. Or nous devons croire que la nature fait des mélanges encore bien plus déliés et plus subtils, et même, en quelque façon spirituels, et c'est ce qu'a pensé à ce sujet Démocrite. En effet l'épaisseur et l'opacité des corps est un obstacle au mélange : c'est pourquoi les choses sont d'autant plus propres à se mêler qu'elles sont plus déliées et subtiles.

CLIV

Les trois degrés de l'être et de l'existence des mixtes en établissent trois genres souverains, à savoir celui des minéraux, celui des végétaux et celui des animaux. La nature a voulu que la terre fût le lieu où devraient s'engendrer les minéraux ; la terre et l'eau, celui des végétaux ; et pour les animaux, elle a voulu qu'ils naquissent et vécussent sur la terre, dans l'eau et dans l'air. Cependant l'air est le principal aliment et entretien de tous.

CLV

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On croit que les minéraux ont seulement l'être et non pas la vie, quoiqu'on puisse dire que les métaux, qui sont les principaux des minéraux, vivent de quelque manière ; du fait que dans leur génération a lieu une sorte d'accouplement, et un mélange de deux semences, la masculine qui est le soufre, et la féminine qui est le mercure. Lesquelles, agitées par une circulation longue et réitérée, étant purifiées, assaisonnées et pétries du sel de la nature, et mélangées parfaitement en une vapeur très subtile, se forment en un limon et en une masse molle. Après quoi l'esprit du soufre congelant insensiblement le mercure, cette masse s'endurcit enfin, et prend la consistance et la fermeté d'un corps métallique.

CLVI

C'est aussi du fait que les métaux, principalement les parfaits, renferment en eux les principes de vie, à savoir ce feu empreint et insufflé par le Ciel, qui, étant devenu comme engourdi et émoussé sous l'écorce du métal, et même privé de mouvement, y est caché comme un trésor enchanté, jusqu'à ce que, libéré par la résolution philosophique et par l'esprit clairvoyant de l'artisan, il fasse entrevoir un esprit subtil et une âme céleste par le mouvement végétatif, et les déploie enfin dans la production merveilleuse du secret de l'art et de la nature.

[Les végétaux sont également pourvus d'une âme, et leur semence est toujours hermaphrodite. Les animaux possèdent, en plus de l'âme végétative, une âme sensitive et « les plus parfaits d'entre eux » contiennent un symbole de la Trinité, à savoir la génération de l'enfant par sexes séparés. Quant à l'homme, non seulement son âme est un rayon de la lumière divine, mais ses facultés intérieures sont comparables à des astres et à des météores : « ses passions sont comme les vents, les tourbillons, les éclairs, les tonnerres... ». Toutefois, même un animal ou une plante quelconque peut se glorifier d'être un microcosme, idée sur laquelle d'Espagnet reviendra plusieurs fois. Les mixtes vivants sont composés d'un corps, d'un esprit et d'une âme ; l'étude des « formes spécifiques », où d'Espagnet suit pas à pas le néoplatonisme et la scolastique, ne réserve guère de surprise. On peut cependant relever que les pierres précieuses passent à ses yeux pour « des gouttes très pures d'une rosée distillée (...) et comme des larmes du ciel endurcies », ce qui leur vaut de posséder d'éminentes vertus occultes. Ensuite, d'Espagnet se prononce prudemment pour la métempsycose, qu'il ramène à la renaissance indéfinie des formes, à partir de la destruction des formes précédentes, et qui, dit-il, « n'a peut-être été si violemment rejetée que pour n'avoir pas été bien comprise ». Il réexpose la doctrine selon laquelle « l'esprit de l'Univers » serait de nature à la fois toute spirituelle et solaire, et compare la nature des mixtes à celle des corps diaphanes qui répercutent, prétend-il, les rayons lumineux.]

CCXIII

La vie des individus consiste en une union étroite et proportionnée de la matière et de la forme. Or le nœud et la base de ces deux essences prend sa consistance dans l'accouplement et dans l'alliance étroite de l'humide radical avec la chaleur, ou le feu naturel : car ce feu formel est un rayon céleste, qui se lie et s'unit à l'humide radical, et celui-ci est une portion très pure de la matière, parfaitement digérée, et comme une huile purifiée et rectifiée, et changée en

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quelque sorte en essence spirituelle, dans les organes de la nature aussi bien que dans les alambics.

CCXIV

Beaucoup d'humide radical subsiste dans les semences des choses : une certaine étincelle de feu céleste y est contenue comme dans son aliment et y opère tout ce qui est nécessaire à la génération, dès qu'elle est reçue dans la matière convenable. Or on doit supposer que là où est le principe constant de la chaleur, là aussi se trouve le feu, et nous devons certainement tenir l'humide radical pour le principe constant de la chaleur, puisque c'est là qu'elle se rencontre de la façon la plus naturelle.

CCXV

On peut remarquer dans l'humide radical quelque chose d'immortel, qui ne s'évanouit point par la mort, et qui ne se consume point par tous les efforts du feu le plus violent, mais qui demeure dans les cadavres, et dans les cendres des corps brûlés, sans pouvoir être détruit par le feu.

CCLVI

Il y a dans chaque mixte deux sortes d'humeur, l'élémentaire et la radicale. L'élémentaire, qui est d'une nature moitié aqueuse, et moitié aérienne, ne résiste pas au feu et s'envole en fumée ou en vapeur, et lorsqu'elle est épuisée, le corps se résout en cendres : car les éléments sont liés par elle dans leur mélange, comme par une colle. Mais la radicale résiste à la tyrannie de notre feu, car elle ne s'évapore pas, même lorsque les corps sont brûlés, mais survivant à la destruction du mixte, elle demeure opiniâtrement attachée aux cendres. Ce qui est une preuve de sa parfaite pureté.

CCXVII

Bien qu'ils soient peu versés dans la science de la nature, l'expérience a découvert aux verriers le secret de l'humide radical dissimulé dans les cendres. Car ils tirent le verre des cendres qu'ils font fondre au moyen de la flamme, dont la pointe aiguë, réussissant à diviser les corpuscules de la matière, rend manifeste cet humide qui y était caché. Toutes les forces de l'art et du feu ne peuvent en effet faire descendre ou monter la matière à un degré plus éminent ou plus bas. Comme il est nécessaire que les cendres coulent de manière qu'il s'en forme une quantité continue et un corps solide comme est le verre, et cette fluidité ne pouvant nullement être obtenue sans humeur, il faut donc que ce soit cet humide inséparable de la matière qui s'achève en ce beau corps diaphane comme un corps éthéré.

CCXVIII

Le sel que l'on retire des cendres, dans lequel réside la vertu puissante des mixtes, et aussi bien la fertilité des campagnes qui résulte de l'incendie et des cendres des épis et des étoupes,

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sont un indice assuré que cette humeur inviolable par le feu est le principe de la génération et la base de la nature ; quoique cette vertu n'ait aucun effet tant qu'elle demeure cachée dans ces mêmes cendres, jusqu'à ce qu'étant reçue par la terre, cette commune matrice des principes naturels, elle déploie ses facultés génératives et secrètes, y étant provoquée par la vertu de la terre, avec laquelle les cendres ont conformité, de même que cela se passe pour les semences des êtres vivants.

CCXIX

Ce baume radical est le ferment de la nature, dont la masse des corps est pétrie et assaisonnée. C'est une teinture ineffaçable et indivisible, qui s'insinue dans toute la substance des choses. Car elle teint, et pénètre même les excréments les plus sales. La génération fréquente qui s'y forme, quoiqu’imparfaite, en est une preuve, comme le fait de fumer les terres, que les laboureurs pratiquent assez souvent, afin que leurs champs leur rendent avec usure ce qu'ils y ont semé.

CCXX

Il y a quelque apparence que cette racine de la nature, qui demeure inviolable après la ruine, et la destruction du mixte, soit un vestige et une portion très pure et immortelle de la matière première, telle qu'elle était immédiatement, après qu'elle fût informée et imprimée par le caractère divin de la lumière. Car ce mariage antique de la matière première avec sa forme est indissoluble : c'est de lui qu'ont pris naissance les autres éléments corporels ; et même il a été nécessaire que la base des choses corruptibles fût incorruptible, et qu'à l'intérieur le plus profond des corps fût cachée une racine ferme, qui y trouvât pour ainsi dire son assiette cubique, toujours stable et indestructible : afin que le principe matériel, qui est capable et susceptible de la vie, fût constant et perpétuel, lui autour duquel comme autour d'un axe immuable, se fait la vicissitude des éléments et des choses. Et s'il est permis de tirer quelque conjecture vraisemblable de choses qui sont obscures en elles-mêmes, cette substance immortelle est le fondement du monde matériel, et le ferment de son immortalité, qu'au jour de l'embrasement universel, les éléments étant purifiés par le jugement du feu, l'Éternel qui équilibre tout par poids et mesures, aura voulu faire survivre à la ruine du monde. Afin de pouvoir renouveler et séparer son ouvrage grâce à cette pure et inviolable matière, le garantissant ainsi de la corruption et des imperfections de son origine, pour le rendre éternellement glorieux, et incorruptible.

CCXXI

Il est évident que cette base radicale n'est pas de la nature des formes spécifiques. Car chaque individu possède sa forme particulière et individuelle, qui se retire du corps après la résolution du mixte. Ce principe radical subsiste néanmoins, et ne s'éteint point, bien que fort affaibli à cause de l'absence de la forme, et presque sans effet. Cependant il lui reste encore certains petits feux vitaux, capables de donner naissance à des productions plus viles et imparfaites, lesquelles sont moins des ouvrages de la nature que de la matière, qui s'efforce d'engendrer

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mais ne le peut pas, n'ayant point d'être avec qui elle puisse s'accoupler, vu l'absence de la vertu formelle et spécifique. Par exemple le cadavre d'un homme ou d'un cheval, par le défaut de semence, peut bien engendrer des vers puants, et quelques insectes, mais non pas un homme ou un cheval. On peut conjecturer de là que ce principe inerte de la vie procède de la disette et de l'insuffisance de la matière première, et qu'il appartient plutôt à la famille des éléments inférieurs qu'à celle des supérieurs et des célestes, bien qu'il ne laisse pas d'avoir quelque teinture de la lumière.

CCXXII

Car cette faible étincelle de la première lumière, qui informa au commencement la matière ténébreuse de l'abîme, suffit à elle seule à la génération des insectes. Elle agite en effet la matière avec désordre et confusion, afin de l'élever de la puissance à un acte débile. Mais elle, à cause de la modicité de ce feu, étant à demi refroidie et languissante, plutôt étreinte par une image du mâle que mêlée avec lui en un véritable accouplement, et se trouvant en vérité prise d'un désir d'engendrer, mais incapable de concevoir (à elle seule) un fruit qui puisse passer pour un ouvrage légitime de la Nature, elle ne forme que des fantômes immondes et des simulacres d'animaux, tels que les vermisseaux, les bourdons, les scarabées et ce qui leur ressemble, dans les excréments et les matières putrides.

Cette humeur radicale est donc le vrai et prochain sujet de la génération et de la vie : le feu de la nature s'y allume d'abord et l'acte formel s'y produit, lorsque la matière est bien disposée et ordonnée. Mais dans une matière confuse et sans ordre, et lorsque l'humide fait la fonction de mâle, il ne s'enfante que des avortons et des bâtards de la Nature. Car la génération qui se fait sans semence spécifique semble plutôt arriver par hasard que par le conseil de la nature, quoiqu’en son intérieur il se produise une copulation imparfaite et difficile à discerner, laquelle est nécessaire pour la fabrication de quelque mixte que ce soit, même imparfait.

CCXXIII

Il semble enfin que ce ferment radical, qui est caché au plus profond des mixtes, soit le lien du mariage contracté entre la lumière et les ténèbres, entre la matière première et la forme universelle ; qu'il soit le nœud des contraires, le siège des formes, et leur amarre dans les mixtes. Autrement en effet, la matière et la forme, à cause de leurs natures antinomiques, ne s'allieraient jamais. Or cette ténébreuse sauvagerie de la matière première, comme l'aversion qu'elle avait de la lumière, a été domptée, et sa haine changée en amour par le moyen de la première teinture lumineuse qui réconcilie les choses opposées.

CCXXIV

La chaleur naturelle et l'humide radical sont de nature différente, car celle-là est toute solaire, et toute spirituelle, alors que celui-ci est mi-spirituel, mi-corporel, participant de la nature éthérée et de la nature élémentaire : celle-là est du rang des choses supérieures, celui-ci appartient davantage aux choses inférieures. Mais c'est en lui que le mariage du ciel et de la

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terre a été fêté pour la première fois, et c'est par lui que le ciel demeure dans le centre de la Terre. Ils se trompent donc, ceux qui confondent la chaleur naturelle et l'humide radical. Car ils ne diffèrent pas moins l'un de l'autre que la fumée et la flamme, la lumière solaire et l'air, le soufre et le mercure, vu que dans les mixtes l'humeur radicale est le siège et l'aliment du feu naturel et céleste, et le nœud qui le lie au corps élémentaire ; mais ce feu naturel est lui-même l'âme et la forme des mixtes. Cette humeur, dans les semences, est la gardienne immédiate et le réceptacle de l'esprit de feu, qui y est emprisonné jusqu'à ce qu'une chaleur d'origine extérieure survienne, qui le reçoive dans une matrice propre à la génération, où il soit réveillé et excité. Enfin cette substance radicale dans chaque mixte est l'officine de Vulcain. C'est le foyer qui conserve ce feu immortel, qui est le premier moteur de toutes les facultés de l'individu.

CCXXV

L'humide radical constitue le baume universel et le très précieux élixir de la nature ; c'est par excellence le mercure de la vie sublimé par la même Nature, qui en a fourni une dose exactement pesée avec justesse à chaque individu de la famille. Que ceux donc qui savent extraire un tel trésor du sein et des entrailles des productions naturelles où il est caché, et le développer hors des écorces des éléments où il est enfoui dans l'ombre, que ceux-là, dis-je, se glorifient d'avoir retrouvé le remède suprême de la vie humaine et l'universelle panacée.

[L'harmonie de l'Univers repose sur la distinction classique entre les premiers et les seconds exemplaires des choses, distinction subsumée par la présence dans les « choses inférieures » de la signature secrète des espèces supérieures. Cette harmonie est comparée par d'Espagnet tour à tour à un animal hermaphrodite, la vigueur étant du côté du mâle et la corruption du côté de la femelle, puis, de manière assez désordonnée, à une « musique naturelle » reposant sur les quatre qualités radicales des éléments, qualités analogues à quatre tons harmonieux « qui ne sont pas contraires les uns aux autres, mais divers et distants ». Le mouvement de la Nature s'exprime cependant d'une façon plus manifeste dans celui des astres, et dans les différentes influences qu'ils produisent.]

CCXXXVII

La substance universelle des deux a ses parties continues et d'un seul tenant, et non pas contiguës. Qu'on ne s'imagine donc pas que le monde soit pareil à un ouvrage mécanique ajusté avec art : car la nature ne connaît point ces sections fictives en sphères et en cercles, et ceux qui les premiers ont divisé la région éthérée en une pluralité d'orbites et de circonférences, se sont proposé un moyen facile d'enseigner, plutôt que la vérité du savoir, car la nature divine aime l'unité, et étant elle-même unité, ne supporte point la multiplicité. Il ne faut pas penser qu'elle ait créé plusieurs cieux de matière différente et de surface distincte, vu qu'un corps seulement continu, et possédant néanmoins des parties différentes en excellence et en vertu, a été suffisant : cette continuité ne répugne d'ailleurs en rien aux lois des mouvements célestes, qui, nous étant inconnues, font que notre ignorance se fabrique une

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astrologie chimérique, qui soumet impudemment la puissance divine à la faiblesse de notre entendement.

CCXXXVIII

S'imaginer qu'il y ait un premier mobile au-delà des cieux, dont le mouvement très rapide fasse faire un tour par jour aux cieux inférieurs, c'est plutôt une échappatoire pour notre ignorance, qu'une invention de la sagesse divine. Car si nous voulons assigner un principe de mouvement à ce premier moteur, pourquoi ne l'accorderons-nous pas plutôt au globe du Soleil ? Pourquoi donnerons-nous témérairement au ciel une cause externe de mouvement, puisque elle peut être interne ?

CCXXXIX

De même que la basse région de l'univers est soumise à la médiane, ainsi la région médiane, à savoir l'éthérée, relève de l'empire de la région suprême et supra céleste : et c'est en son nom qu'elle gouverne le monde inférieur. Car le ciel empyrée, et le chœur des Intelligences, inspirent successivement à tout l'ordre des globes célestes les vertus qu'ils ont reçues de l'Archétype, et meuvent ces natures immédiatement sous-jacentes, non sans entente, comme les premiers organes du monde matériel. Les choses inférieures étant pareillement mues, elles accomplissent tour à tour leurs vicissitudes comme des cadences exécutées avec mesure, étant redevables de tout ce qu'elles ont de maille-leur aux choses supérieures.

CCXL

Or les Intelligences sont illuminées immédiatement selon leur rang par l'entendement divin, comme par une source de lumière éternelle, lumière dont elles se nourrissent comme d'une nourriture immortelle, et dans laquelle elles lisent les volontés et les commandements de la majesté divine, au service de laquelle elles s'échauffent jusqu'à la gloire. Telle est la façon dont la triple nature de l'univers est unie, l'amour divin en étant le lien et le nœud indissoluble. Ainsi cette république du monde se résout dans et par le nombre ternaire, dont le créateur n'est aucunement une partie, non plus que l'unité n'est un nombre ou une partie de nombre, mais le principe et la mesure du nombre, non plus aussi que le musicien (compositeur) ou le joueur de lyre n'est une partie du concert, bien qu'il en soit l'auteur.

CCXLI

Ceux qui croient que cette multitude presque innombrable de corps célestes que nous voyons a été créée seulement en considération du globe terrestre et pour l'utilité de ses habitants, comme s'ils en étaient le but, me paraissent se faire des illusions. La raison en effet interdit de penser que des natures aussi nobles et aussi augustes aient été créées simplement pour servir à de plus basses et de plus viles qu'elles. Il y aurait même plus de vraisemblance à croire que chaque globe est un monde particulier et que tout autant que sont ces mondes, ils sont autant de fiefs relevant de l'empire divin et éternel, et répandus dans le vaste espace de l'éther : liés

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par celui-ci comme par un lien commun, ils demeureraient suspendus, et l'immensité de tout l'univers serait composée de leurs multiples natures. Quoique ces corps soient bien différents entre eux et bien éloignés, ils sympathisent tellement ensemble par un amour mutuel, qu'ils font une parfaite harmonie dans l'univers, le ciel étant en quelque sorte leur salle commune. Cependant autour des plus parfaits, ce ciel est beaucoup plus pur, et d'autant plus subtil, plus respirable, et plus spirituel, pour recevoir plus vite les impressions et les affections secrètes des autres corps, et les communiquer également aux corps qui en sont éloignés. Car le ciel est comme le véhicule de la nature, par le moyen duquel toutes ces cités de l'univers font commerce ensemble, et deviennent participantes réciproques de leurs facultés. Ainsi elles s'étreignent mutuellement par un très puissant lien d'amour et de nécessité, comme par quelque vertu magnétique.

CCXLII

Qu'est-ce qui interdit de compter le globe de la Terre, au même titre que la Lune, parmi les astres ? Ces deux corps sont de nature opaque ; l'un et l'autre empruntent leur lumière au Soleil ; l'un et l'autre sont solides et réfléchissent les rayons solaires ; l'un et l'autre émettent des esprits et des vertus ; l'un et l'autre sont un pendule dans son ciel ou dans son air. On doute du mouvement de la Terre, mais en quoi ce mouvement est-il indispensable ; pourquoi même ne serait-elle pas stable parmi tant de corps fixes ? Et peut-être la Lune a-t-elle ses habitants, car il n'y a pas d'apparence que des masses si grandes de globes soient oisives et stériles, que nulle créature ne les habite, et que leurs mouvements, leurs actions et leurs travaux ne convergent que pour la commodité de ce seul globe inférieur ; c'est pourquoi Dieu lui-même, ne pouvant supporter la solitude, s'est épanché tout entier hors de lui-même par la création en se transportant dans les créatures, et leur a donné la loi de se multiplier. N'est-il pas plus convenable pour la bonté et la gloire divine, d'avoir embelli toute la fabrique de l'univers, comme un empire, de quantité de mondes aux natures variées comme d'autant de provinces et de cités ? Et que tous ces mondes soient les demeures de divers et innombrables genres d'habitants, toutes ces choses étant créées pour la plus grande gloire de leur éternel créateur?

CCXLIII

Qui ne révérera le Soleil, suspendu comme une lampe immortelle au milieu de la cour du souverain monarque, dont elle éclaire tous les coins et les retraites les plus cachées, ou bien comme un lieutenant de la majesté divine, qui verse à toutes les créatures de l'univers la lumière, l'esprit et la vie ? Il était en effet raisonnable que Dieu, qui était très éloigné de la matière, gouvernât et manipulât ses ouvrages matériels grâce à un organe et à un milieu lui aussi matériel, mais qui fût néanmoins très excellent, et tout rempli d'un esprit vivifiant : tel est le monarque sensible qu'il a établi sur les peuples sensibles de ses créatures.

CCXLIV

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Or il semble que cette opinion de la pluralité des mondes ne répugne pas à la doctrine des saintes Écritures, lesquelles nous parlent seulement de notre genèse. Et tout ce qu'elle en rapporte encore, c'est dans un langage plutôt mystérieux que clair, qui ne fait- que toucher un mot en passant des autres natures, afin que les faibles esprits des hommes, transportés par la curiosité et le désir de savoir, aient plus à admirer qu'à connaître. Ce voile de la vérité cachée et ces ténèbres de notre entendement furent une partie de la punition du péché, par lequel l'homme fut privé des voluptés du Paradis terrestre, des ravissements que l'on trouve dans les sciences, et de la connaissance de la nature des êtres célestes : afin que celui qui s'était livré au désir coupable d'une science défendue, fût puni par la juste privation de celle qui lui était permise, et, ainsi châtié, après la perte de la vraie science (qui n'était qu'une et la même pour toutes choses) par l'introduction de la multiplicité des sciences. C'est là le chérubin, tenant une épée flamboyante, qui a été établi à la porte du Paradis, et qui aveugle par l'éclat de sa lumière l'esprit des hommes coupables, pour leur interdire l'accès aux secrets et aux vérités de la Nature et de l'Univers.

CCXLV

Bien que la divinité soit une unité toute parfaite, elle paraît en quelque sorte être composée de deux éléments, à savoir l'intellect et la volonté. Par l'intellect, Dieu connaît toutes choses de toute éternité. Par la volonté, il opère tout. L'un et l'autre attribut vont en lui à leur degré le plus absolu. Sa science et sa sagesse appartiennent à l'intellect, mais sa bonté, sa justice, sa clémence, et les vertus qui sont en nous des vertus morales, regardent sa volonté et même sa toute-puissance, laquelle n'est rien que sa toute-puissante volonté. La nature intelligible, c'est-à-dire l'angélique, et l'âme de l'homme, qui sont (l'une et l'autre) des images de la Divinité, sont douées de ces deux facultés, mais à leur propre mesure et avec pondération. Car en elles l'intellect est l'organe du savoir, la volonté celui de l'opération, sans pouvoir rien au-delà.

FIN

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