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LA PENSÉE ÉCONOMIQUE AVANT 1870 (1 E PARTIE) De l’Antiquité aux Lumières Écossaises Yann GIRAUD, Histoire de la Pensée Economique, Université de Cergy-Pontoise 1

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LA PENSÉE ÉCONOMIQUE AVANT 1870 (1E PARTIE)

De l’Antiquité aux Lumières Écossaises

Yann GIRAUD, Histoire de la Pensée Economique, Université de Cergy-Pontoise 1

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Objectif de cette partie■ Comprendre comment on a pensé les questions économiques avant la

professionnalisation de l’économie (en d’autres termes la naissance d’une « science économique »).

■ Les « économistes » ne constituent pas encore une profession. ■ La pensée économique est donc véhiculée par :

– Des écrivains, des intellectuels, des philosophes– Des hommes d’Etat ou des hommes d’affaire

■ Cependant, avant même la professionnalisation de l’activité d’économiste, on va voir émerger un corps de savoirs qui s’émancipe peu à peu des autres : du politique ou de la philosophie, notamment.

■ Ici, nous ne pouvons totalement éviter une certaine forme de « rétrospectivisme »– Evoquer des idées que nous considérons comme « économiques » parce que c’est

comme cela que nous les voyons aujourd’hui. – Mais elles n’étaient pas nécessairement vues ainsi à l’époque.

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AUX SOURCES D’UNE PENSÉE ÉCONOMIQUE

L’Antiquité et le Moyen Âge

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L’économie dans la Grèce Antique■ Il s’agit de la pensée de philosophes ayant vécu principalement aux Ve et IVe siècles

avant Jésus-Christ (c’est ce qu’on appelle la période « classique »).

■ Pour la comprendre, il faut savoir deux ou trois choses sur la situation économique de la Grèce à cette époque.

– Athènes est l’union de tribus et de clans vivant dans l’Attique– L’économie est essentiellement agricole. La propriété privée de le terre se

développe. La plupart de la population est constituée de paysans pauvres qui se révoltent fréquemment. Les colonies se développent pour faire face à la surpopulation.

– Trois classes : les nobles, les agriculteurs et les artisans. Ceux qui travaillent en dehors du secteur agricole sont esclaves. Les agriculteurs qui ne peuvent vivre de leur terre sont contraints au chômage.

■ Trois philosophes en particulier vont parler des questions économiques : Xénophon, Platon et Aristote.

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Xénophon (426-355 av. JC)■ C’est un fils d’aristocrates, disciple du philosophe

Socrates (470-399 av. JC). – Socrates qui s’opposait aux Sophistes et croyait à

l’existence d’un savoir indépendant du pouvoir politique.

■ En dehors d’être philosophe, il fut un mercenaire et un stratège.

– Offrant ses services à Sparte, il est banni d’Athènes mais y retourne à la fin de sa vie.

– C’est là qu’il se met à écrire, notamment sur l’administration.

■ On lui doit le terme « économie », Oikos Nomos.

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Oikos Nomos■ Le terme est introduit dans son ouvrage l’Economique.

– Il n’a pas le sens actuel. Il signifie « gestion de la propriété ». – C’est un domaine subalterne, jugé d’un niveau plus faible que la politique ou

l’activité de philosophe. ■ Alors que la politique et la philosophie sont réservés aux hommes, l’économie, elle, peut

être confiée aux femmes. C’est l’art de la bonne tenue de la maison (ce qui inclut le commandement des esclaves).

■ (On va retrouver cette idée jusqu’au XIXe et XXe siècle aux Etats-Unis avec les ouvrages d’Home Economics et la naissance de l’organisation scientifique du travail.)

■ Cependant, Xénophon va développer une pensée économique au sens où on l’entend aujourd’hui.

– Il développe notamment l’idée de division du travail, qui permet d’améliorer l’efficience.

■ Xénophon ne parle pas d’échange ou de commerce mais essentiellement de la gestion de la terre et du domaine agricole. L’économie, c’est donc l’interaction de l’homme et de la nature, pas l’interaction entre les hommes.

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Platon (428-346 av JC) et la cité idéale■ Comme Xénophon, c’est un disciple de Socrates.

– Mais contrairement à Xénophon, il croit que le penseur doit vivre à l’écart du monde et dans la pureté du monde des idées

– Dans la cité idéale, des rois-philosophes seraient les garants de la société, qu’ils gèreraient de manière désintéressée et selon des principes rationnels■ Il ne croit ni en la démocratie ni en la tyrannie

■ Platon donne une place limitée aux échanges marchands et s’intéresse plutôt à l’organisation de la société

– Il a une vision statique où chacun doit être à sa juste place– La propriété doit être accordée selon des principes mathématiques et des

échanges doivent s’ensuivre mais on ne doit pas trop s’enrichir (pas de profit ou d’intérêt)

– Il croit en l’efficacité de petites villes (moins de 5040 habitants). Si une ville est trop grande, il faut créer des colonies.

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Aristote (384-322 av JC)■ Fils de médecin, c’est un disciple de Platon.

■ C’est cependant un philosophe plus influent que ce dernier.

– Sa pensée et ses concepts seront encore centraux jusqu’à l’ère moderne (et même encore aujourd’hui pour certains).

– Il a écrit sur l’économie, la politique, l’éthique, les sciences naturelles, etc.

■ Sa pensée économique est contenue dans deux ouvrages : L’Éthique à Nicomaque et Le Politique.

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Aristote et la justice■ Il distingue trois formes de justice.

– La justice distributive■ Les personnes reçoivent en fonction de leur mérite

– La justice rectificative■ Ceux qui perdent quelque chose sont compensés d’un même montant

– La justice commutative (ou justice dans l’échange)■ L’échange se fait à un juste prix (qui ne lèse ni l’acheteur ni le vendeur)

■ Comme Platon (en cela inspiré par Pythagore, mathématicien du VIe siècle), Aristote croit en la force des mathématiques.

– Il existe une relation mathématique pour chacune des formes de justice. ■ relation arithmétique pour la justice rectificative, relation harmonique pour la justice

commutative, relation géométrique pour la justice distributive. – Il croit que toute chose est formée d’unités commensurables (atomisme)

■ Les ratios permettent de comparer les choses. ■ Les Grecs ne conçoivent que des nombres divisibles par des entiers.

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Aristote et la monnaie■ L’échange n’est donc possible que si les objets à échanger sont commensurables

– Exemple : 2 moutons valent 1 vache – Mais alors comment faire si les nombres ne sont pas divisibles par un entier ?

■ C’est là que rentre en compte la monnaie. La monnaie a donc pour principale propriété d’être un intermédiaire des échanges. Elle est composée d’unités suffisamment petites pour s’échanger contre tout bien.

■ La monnaie a de plus deux autres fonctions :– Unité de compte– Réserve de valeur

■ La monnaie n’a pas d’autre valeur que ces trois fonctions. Elle ne peut donc être détenue pour elle-même.

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Aristote et les limites de la richesse■ Pour Aristote, comme pour Xénophon et Platon, l’économie est la bonne gestion des

affaires personnelles. – Le but de l’économie est d’assurer, par la bonne gestion, sa subsistance et la

capacité à s’adonner à la vie politique– Chaque homme doit donc être à l’abri du besoin pour s’adonner à la philosophie

ou à la politique

■ L’échange est toléré à partir du moment où il permet de satisfaire ces besoins– Mais s’enrichir au-delà du raisonnable est moralement répréhensible– C’est ce qu’Aristote appelle la chrématistique.

■ Il y a donc chez les philosophes grecs une condamnation de l’activité économique telle que nous la concevons aujourd’hui (recherche du profit) et un éloge de la modération.

– Ce ne sont pas les échanges marchands qui régulent la société mais la bonne gestion (tant au niveau domestique que celui de la cité).

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La Rome antique■ Les Romains reprennent essentiellement à leur compte la philosophie grecque.

– Pas juste Xénophon et Aristote– Mais la pensée des Cyniques (Dyiogène, Epicure) et des Stoïciens (Zénon)– L’Empereur Marc–Aurèle (qui règne de 161 à 180 de notre ère) est l’un des

derniers tenants du stoïcisme. ■ Ces deux courants de pensée s’opposent à l’accumulation des richesses : la vertu

morale est plus importante que l’aisance matérielle. ■ Le vrai apport des Romains résulte dans le droit, notamment celui des contrats.

– Idée de la protection du droit de propriété, de la séparation en droit entre l’individu et de l’entreprise.

– Idée que si des personnes sont d’accord pour passer un contrat, celui-ci est « juste » en dehors de tout critère éthique prédéterminé. C’est la justice procédurale.

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Les premières années de la chrétienté et la Chute de Rome■ L’Antiquité prend fin avec la Chute de Rome en 476.■ Dans la période qui suit, le Moyen-Âge, les questions

économiques sont associées à des questions religieuses. ■ Différence entre ancien et nouveau testament :

– L’Ancien Testament ne condamne pas la richesse. Elle est un don de Dieu, mais elle doit rester un moyen, pas une fin. Le prêt à intérêt est interdit.

– Le Nouveau Testament, lui, prône un ascétisme plus fort. Les pauvres connaîtront le salut dans l’au-delà, pas les riches.

■ Saint Augustin (354-430), évêque d’Hippo, essaie de réconcilier les deux dans la Cité de Dieu. Il s’inspire pour cela de la philosophie grecque.

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L’économie dans la pensée islamique■ Tout comme le judaïsme et la chrétienté, l’islam aborde

peu les questions économiques. Cependant, au moins deux auteurs de tradition islamique méritent d’être retenus.

– Averroes (Ibn Rochd, 1126-1198)■ Descendant d’une lignée de philosophes, il

réhabilite Aristote, complète sa théorie de la monnaie (ajoute la fonction de réserve de pouvoir d’achat), insiste sur la nécessité d’en préserver la valeur.

– Ibn Khaldoun (1332-1406)■ Historien(d’origine maure andalouse). Il décrit la

grandeur et la décadence des civilisations en insistant sur les éléments économiques. Il parle de progrès technique, du rôle des dépenses publiques, de la demande, etc.

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Albert Le Grand et Thomas d’Aquin■ L’âge d’or de l’Islam est l’âge sombre de l’Europe

chrétienne. Cependant, le 13e siècle représente une rare période de prospérité. Il est marqué par deux penseurs chrétiens :

– Albert Le Grand (1200-80)■ Frère dominicain, Exégète d’Aristote, il interprète sa

théorie de la justice distributive. Se faisant, il va essayer d’expliquer ce que doit être le juste prix, qui doit tenir compte tant du labeur du producteur que du besoin de l’acheteur.

– Thomas d’Aquin (1225-74) ■ Disciple d’Albert. Il écrit la Somme Théologique

(1266-73) dans laquelle une place est faite aux questions économiques.

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La pensée économique de Thomas d’Aquin■ La richesse et la propriété

– Les individus prendront plus soin de ce qui leur appartient que ce qui appartient aux autres

– Cependant, si la propriété est privée, ses fruits doivent profiter à tous. – La richesse est admissible, seulement en ce qu’elle permet la charité

■ Le juste prix– Thomas d’Aquin reprend ici les préceptes d’Albert Le Grand en les détaillant. – Il est admissible qu’un vendeur tire un profit de la vente. La notion de

marchandage est admise. Rien n’oblige à révéler toute l’information.

■ Le prêt à intérêt– Si le prêteur subit une perte en prêtant de l’argent (par exemple, il devait payer une

dot pour sa fille ou un loyer), il peut être juste qu’il soit compensé. – Ce qui n’est pas accepté c’est le paiement d’une pénalité pour compenser le risque

ou le coût d’opportunité. Ce serait la porte ouverte à l’usure.

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Récapitulatif■ La pensée économique, de la Grèce au Moyen-Âge, est teintée de morale.

■ Il est question de justice distributive et commutative. Le prix doit être « juste », dans le sens où il rémunère le mérite mais n’est pas excessif.

■ On perçoit tant dans la pensée grecque classique que dans la pensée judaïque, chrétienne ou islamique une tension :

– D’un côté, respecter les principes moraux. Un éloge de la bonne gestion ou de l’ascétisme. Une préférence pour le travail de la terre plutôt que l’enrichissement dans l’échange.

– D’un autre côté, il faut faire face aux réalités. Développement du commerce en Grèce. Nécessité de la charité et du denier de l’Eglise …

■ On voit que peu à peu ces réalités économiques rattrapent les principes moraux. Sans admettre l’usure, les penseurs scholastiques finissent par tolérer le prêt à intérêt et certaines formes d’enrichissement.

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VERS UNE AUTONOMISATION DE LA

PENSÉE ECONOMIQUEDu XVe au XVIIe siècle

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L’ère moderne■ Ici, on parle d’une évolution longue de plus de deux siècles, qui va de la fin de l’ère

médiévale aux Lumières. ■ Période que l’on date symboliquement à la chute de Constantinople aux mains des

Turcs (1453) mais on pense aussi à la découverte des Amériques (1492), aux voyages vers les Indes (1498).

– Première « mondialisation » (en quelque sorte)– Change la perspective : de la production à l’échange

■ Sur le plan intellectuel :– Redécouverte de la période classique grecque – Pas tant Aristote que Platon (recherche des vérités premières)– Intérêt accru pour les « humanités » (l’art se détache de la religion)

■ Plus important encore : la révolution scientifique

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La révolution scientifique (1)■ Là aussi, ce n’est pas un changement du tout au tout.

■ Nicolas Copernic (1473-1543)– Influencé par Pythagore, il recherche une formule mathématique pour expliquer le

déplacement des planètes. – Il redécouvre un monde héliocentré plutôt que géocentré (contre Aristote).– Sa théorie reste influencée par la pensée médiévale de son temps.

■ Ses théories seront complétées par l’observation.– Tycho Brahe (1546-1601) et Johannes Kepler (1571-1630) : les planètes suivent

un mouvement elliptique autour du soleil. – Galilée (1564-1642), utilisation du télescope. Uniformité du déplacement sur terre

et dans les cieux. – René Descartes (1596-1650) postule que les corps célestes se déplacent

librement dans un univers infini.

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La révolution scientifique (2)■ Isaac Newton (1642-1727). Etablit la loi de la gravité

et celle du déplacement des planètes et sur la Terre. – Ce qui va le différencier de ses prédécesseurs,

c’est l’établissement d’un système cohérent– C’est une explication alternative par rapport à

la conception médiévale de la cosmologie, influencée par la religion

■ Le monde n’est plus régi par des lois divines mais par des « lois mécaniques »

■ Dieu aurait joué un rôle dans la mise en place de ce système (il est « l’horloger ») mais ensuite ce système fonctionne sans son aide.

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Autres facteurs de changement■ La Réforme

– Martin Luther (1483-1546) et Jean Calvin (1509-1564)– On a souvent lié protestantisme et développement économique (cf. Max Weber)

■ Mais le protestantisme, dans sa forme initiale, reprend les thèses de St. Thomas interdisant le prêt à intérêt.

– Remise en cause du souverain de droit divin et naissance du concept de « droit naturel » (Hobbes, Locke, etc.)

■ La Naissance de l’Etat Nation– Période médiévale était marquée par des luttes entre des seigneurs, les

monarchies étaient relativement faibles. – Les Etats-Nations qui émergent sont dénués de ressources, ils doivent lever des

armées, employer des mercenaires. – Nouveaux problèmes économiques : les conquêtes vers le nouveau monde, l’afflux

d’or et la hausse des prix.

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Le Mercantilisme■ Débat quant à savoir s’il s’agit réellement d’un courant de

pensée économique. ■ Le terme date de la fin du XVIIIe siècle

– Employé par le Marquis de Mirabeau (1763), un Physiocrates

– Popularisé par Adam Smith (1776)– C’est la politique que les économistes classiques vont

critiquer.■ Idées principales

– La concurrence entre nations est un jeu à somme nulle– Il faut favoriser les exportations tout en pratiquant le

protectionnisme, accumuler les métaux précieux– L’Etat doit avoir une politique industrielle active– En France, on parlera de Colbertisme (Colbert, 1609-

1683)■ Surtout, avènement des conseillers du Prince.

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Naissance d’une théorie monétaire■ Ecole de Salamanque

– Martín d'Azpilcueta dit « Navarre » (1491-1586)■ Théologien espagnol, reprend les écrits d’Aristote sur la Monnaie■ Mais nuance la condamnation de la chrématistique■ Le marchand peut faire un profit pour nourrir sa famille

– La valeur de la monnaie fluctue avec l’offre et la demande– L’afflux d’or (des Indes espagnoles notamment) explique la hausse des prix

■ Jean Bodin (1530-1596), juriste et théoricien politique français– Il propose une explication systématique de l’inflation. – Lorsque l’or et l’argent affluent, la valeur de la monnaie diminue. – Tous les autres prix semblent alors augmenter. – C’est l’une des premières formulations systématique de la théorie quantitative

de la monnaie.

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Le concept de « souveraineté »■ Bodin introduit cette notion dans ses Six Livres de la République (1576)

– La souveraineté, c’est la supériorité du pouvoir d’un souverain, d’un peuple, d’une nation

– C’est une forme de pouvoir qui ne sera plus justifiée par un rapport de force militaire ou par une autorité religieuse (le Roi de droit divin) …

– … mais par une analyse rationnelle, la « raison d’Etat »■ Influence sur les théories du Contrat Social

– Thomas Hobbes (1588-1679)■ Justifie le pouvoir du souverain par le besoin de sécurité (« l’homme est un loup pour

l’homme » à l’état de nature)– John Locke (1632-1704)

■ Affirme au contraire que l’homme est un animal social, qu’il existe un droit naturel, notamment le droit de propriété, que le souverain doit faire respecter.

– Tous deux légitiment et limitent le pouvoir de l’Etat par l’existence de lois et de droits naturels

■ Peu à peu va émerger une nouvelle source de légitimation du pouvoir : l’économie.

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Savoirs économiques dans l’Angleterre du XVIIe siècle■ Deux éléments expliquant le développement d’un savoir économique :

– Commerce vers « les Indes »■ terme générique pour désigner les Caraïbes et l’Asie■ Commerce géré par des compagnies comme « la East India Company », ce sont ces

marchands qui commencent à publier des pamphlets à caractère économique– Développement philosophie et scientifique

■ Francis Bacon (1561-1626) et le développement de l’inductivisme■ Création de la Royal Society, dont le principal artisan est le « philosophe naturel »

Robert Boyle (1627-1691), inventeur de la pompe à air.

■ On voit émerger deux types d’économistes : le « marchand » qui défend les intérêts de sa corporation et le philosophe qui essaie d’adopter une posture plus détachée.

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Les « mercantilistes » anglais■ Une crise commerciale frappe l’Angleterre dans les année 1620

– Les exportations de textile s’effondrent provoquant du chômage et une crise sociale

– On blâme essentiellement les « marchands » travaillant pour les Compagnies des Indes

– Ceux-ci publient des pamphlets pour se défendre.■ Dans ce contexte, opposition entre les bullionistes et les théoriciens de la balance des

échanges. – Les premiers (Gerard Malynes 1586-1641) affirment que la crise vient de la sous-

évaluation de la livre. Il faut limiter le commerce international pour restaurer la valeur de la livre.

– Les seconds (Thomas Mun 1571-1641) affirment au contraire qu’il faut baisser la valeur de la livre pour maximiser les exportations.

■ Malynes voit la monnaie (les métaux précieux qui la composent) comme la source de valeur, tandis que pour Mun, la source de richesse est le commerce international.

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William Petty et les prémisses d’une comptabilité nationale

■ William Petty (1623-1687)– Professeur d’anatomie, de musique et médecin– Fut l’assistant de Thomas Hobbes (qui fut lui-même

assistant de Francis Bacon)– Rejoint la Royal Society de Robert Boyle.– Puis il part en Irlande se battre dans l’armée d’Oliver

Cromwell■ C’est dans ce contexte qu’il va établir des cartes

géographiques et tenter de mesurer la richesse de l’Angleterre.

– Il devient démographe et statisticien.– Il se voit comme un empiriste, s’oppose aux

pamphlétistes.

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Arithmétique politique (1670)■ Il essaie de calculer le revenu national de l’Angleterre en partant de la dépense.

– Il suppose que les Anglais dépensent en moyenne 7 £ par an et qu’ils sont 6 millions

– Le revenu national est alors de 42 millions de £– Il établit ensuite que les dépenses doivent être égales aux revenus : 8 millions de £

pour la rente, 8 millions pour les profits et 26 pour les salaires.– Cela lui permet de calculer que la valeur d’un travailleur est de 80 £ (il calcule ainsi

la perte induite par la Grande Peste de Londres de 1665). ■ Il va également inventer la notion de « vitesse de circulation de la monnaie » afin de

calculer la quantité de monnaie nécessaire pour assurer les échanges. ■ Certains des calculs de Petty sont fantaisistes. Ses sources sont douteuses.

– Néanmoins, ses intuitions (par exemple revenu = dépenses) seront encore valables deux siècles plus tard lors de la création de la comptabilité nationale.

– L’économiste et historien Joseph Schumpeter le voit même comme le fondateur de l’économétrie.

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Dudley North et la critique du mercantilisme■ Dudley North (1653-1734).

– un commerçant de profession, commissaire des douanes puis du Trésor

– Applique la méthode déductive, empruntée à Descartes et influencé par les idées économiques de John Locke.

■ Discours sur le Commerce (1691). – La richesse ne vient pas de la monnaie.

■ Celui qui a une bonne récolte sera riche, même sans or ou argent.– Baisser les taux d’intérêt pour augmenter la richesse ne sert à

rien.■ Cela réduira la quantité de crédit disponible et nuirait à l’économie.

– Les dépenses somptuaires participent à la richesse. ■ Il ne faut pas se priver pour favoriser le commerce international.

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Vers une science économique ?■ À ce stade, on ne peut pas encore véritablement parler de « science économique »

– Ces auteurs ne sont pas véritablement économistes– Réflexions éparses, souvent partiales et encore imprégnées de métaphysique ou

de théologie■ Mais arrivé au début du XVIIIe siècle, on voit apparaître les conditions d’apparition d’une

pensée économique autonome :– L’insistance sur la notion de lois naturelles ou de droits naturels– L’esquisse d’une approche inductive (Petty) et déductive (North) des questions

économiques.– L’apparition d’un personnage qui est l’agent calculateur, qui pratique le

marchandage, vend au plus offrant, etc.– Ne pas changer la nature de l’homme ou moraliser, mais faire avec les passions

égoïstes. – Idée, enfin, que l’Etat ne peut pas tout faire, qu’il doit respecter des « lois

économiques ».

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LE XVIIIÈME SIÈCLE ET L’ÉCONOMIE POLITIQUE

Les Physiocrates et les Lumières Ecossaises

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L’Economie Politique■ Le terme est employé pour la première fois par Antoine de Montchrestien en

1615.– Ce qu’il veut signifier, c’est que le politique ne peut être détaché de

l’économique, comme le pensaient les Grecs. – Opposition à l’économie domestique.

■ Il sera peu à peu abandonné à la fin du XIXe siècle, lorsque l’économie s’érigera comme science à part entière.

■ Aujourd’hui, ce terme est employé dans deux sens très différents :– Analyse économique des politiques publiques (économie mainstream)– Branche de l’économie qui refuse le réductionnisme scientifique et

souhaite étudier l’économie comme une science politique et sociale (hétérodoxie)

■ Dans le contexte du XVIIIe siècle, il désigne une nouvelle branche de la pensée qui perçoit l’économie comme solution à un problème de philosophie politique : comment gouverner ?

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Absolutisme et lumières en France au XVIIIe siècle■ Le développement de la pensée économique en France connaît un cheminement

différent de celui de l’Angleterre.– Le monarque possède le pouvoir absolu– De nombreux opposants sont emprisonnés, notamment pour leurs idées

économiques

■ Et pourtant certaines idées radicales sont exprimées en privé ainsi que dans des salons parfois fréquentés par la famille royale.

– La critique sociale et politique est souvent détournée, formulée en des termes généraux ou en la tournant contre des pays voisins.

– Au XVIIIe siècle, les écrits économiques vont se multiplier en France et Paris va devenir le centre de la pensée économique.

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Situation économique de la France■ La France est profondément marquée par le colbertisme (Colbert, 1609-1683).

– Colbert cherchait à unifier le pays, économique et politiquement– Il voyait les gains de la France comme une perte de ses compétiteurs– Colbert cherchait à favoriser les exportations, la natalité, l’immigration de

travailleurs qualifiés (et au contraire il cherchait à limiter l’émigration). ■ Elle connaît de profondes difficultés économiques.

– Il y a des famines dans certaines régions et des surplus dans d’autres– On essaie d’y remédier en fixant le prix de certaines denrées (dont les grains)– L’Etat est très endetté depuis les guerres menées par Louis XIV. – Difficulté à lever l’impôt.

■ La Noblesse et le Clergé ne les paient pas. ■ Pas de système de collecte étatique.■ Les corvées (travail forcé) sont généralisées à tout le pays en 1738.

■ La pensée économique française va critiquer ces politiques et proposer des réformes.

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Pierre de Boisguilbert■ Pierre de Boisguilbert (1646-1714)

– Le Détail de la France (publié en 1695)– Ecrivain et juriste qui connaîtra l’exil pour ses écrits, publiés

anonymement (jouit pourtant d’une grande popularité)

■ Idées économiques – La monnaie ne représente aucune valeur, elle n’est qu’intermédiaire

des échanges. ■ La monnaie papier doit remplacer la monnaie métallique. Elle ne coûte

rien à produire et circule plus rapidement. – Ce qui limite la circulation de la monnaie, c’est l’insuffisance de la

consommation.■ Les impôts sont un poids qui pèse sur ceux qui consomment et non ceux

qui épargnent. – Lie la prospérité au système de prix

■ Il doit y avoir un juste équilibre, reflétant les coûts nécessaires à créer les biens.

– Cette perspective l’amène à conclure qu’il faut laisser faire la nature, sauf dans le domaine des grains (où les prix fluctuent trop).

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John Law■ John Law (1671-1729)

– Aventurier, banquier et économiste écossais– À l’âge de 23 ans, il tue un homme dans un duel. Condamné, il fuit

vers Amsterdam. ■ Il reprend les idées de Boisguilbert sur la monnaie papier et y voit

l’opportunité pour les Etats de lever plus de fonds.– Il souhaite proposer une réforme de la monnaie en Ecosse mais elle

est refusée et il doit partir en France– Il y crée la Banque Générale en 1716 et deviendra Contrôleur Général

des Finances en 1720– Il achète de la dette française et émet des titres de sa compagnie, qui

gérait le commerce en Louisiane– Mais la spéculation contre ces titres provoquera la faillite de la société

et de sa banque. Il finit sa vie pauvre à Venise.■ Malgré son échec, son idée de transformer la dette en titres est à l’origine de

la finance moderne. Elle a paradoxalement permis d’assainir les finances de la France.

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Richard Cantillon■ Probablement né entre 1680 et 1690, et mort en 1734

– C’est un personnage mystérieux, né en Irlande, qui a fait fortune en spéculant contre le système de John Law

– Sa maison a brûlé. On prétend que c’était pour cacher ses dettes. ■ Essai sur la Nature du Commerce en Général (publié en 1755, à titre posthume)

– Il affirme que seule la terre est créatrice de valeur. Cela a deux conséquences :■ La valeur intrinsèque du maïs, par exemple, est déterminée par la quantité de terre qu’il

faut pour le produire et la quantité de terre nécessaire à assurer la subsistance des travailleurs. La valeur de marché, elle, est déterminée par l’offre et la demande.

■ Toute la richesse des autres classes dépend de celle des propriétaires terriens.– Il raffine la théorie quantitative de la monnaie (qu’il lit chez Locke), en montrant

comment la circulation monétaire entraîne des effets réels selon la classe de la population qu’elle touche en premier (propriétaires terriens, marchands, etc.)

– Enfin, de son expérience avec le système de John Law, il retire que si l’émission de monnaie papier permet d’enrichir le pays, il est nécessaire d’éviter les bulles. Il faut garder de l’or en réserves.

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La Physiocratie■ Contrairement aux Mercantilistes, les Physiocrates

constituent une véritable « école » de pensée. – C’est un groupe organisé d’économistes autour des

idées développées par François Quesnay (1694-1774) et Victor Riqueti, Marquis de Mirabeau (1715-89)

– Disciples : Du Pont de Nemours (1739-1817) et Mercier de la Rivière (1720-93)

■ Quesnay est le docteur de Madame de Pompadour, maîtresse de Louis XV.

■ Comme Cantillon, les Physiocrates pensent que seule la terre crée de la valeur. Elle dégage un surplus alors que l’industrie, elle, ne couvre que ses coûts de production.

■ Théorie économique qui repose sur l’étude de la circulation des richesses, le Tableau Economique.

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Le Tableau économique■ Inspiré par des horloges à zig zag, créées par Grollier de

Servière (1596-1689), un inventeur français, au siècle précédent.

■ Il décrit la circulation des richesses entre deux secteurs :– Le secteur agricole (agricole)– Le secteur industriel (stérile)– Tout commence lorsque le secteur agricole paie la rente

au propriétaire foncier (par exemple 2 millions). Ce dernier en dépense la moitié dans le secteur productif, l’autre dans le secteur stérile. Des flux successifs de revenus vont circuler de sorte que chaque secteur aura gagné 2 millions et dépensé 1 million dans l’achat des biens de l’autre secteur.

– Mais c’est uniquement parce que le secteur agricole est productif qu’il permet de générer le surplus qui aura permis de payer l’avance au propriétaire foncier permettant d’équilibrer le système.

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Conclusion en termes de politiques économiques■ Prélever des impôts va nuire à ce système de circulation des richesses

– Si un impôt est prélevé sur les deux secteurs, il est au final supporté par le secteur productif, car non seulement son revenu est plus faible mais la demande venant du secteur manufacturé diminuera aussi, et donc ses revenus dans une même proportion.

■ De la même manière, l’Etat ne doit pas :– Favoriser le développement industriel (puisqu’il est stérile)– Chercher à réduire le prix des denrées alimentaires

■ Les propriétaires terriens peuvent être taxés, mais d’une façon qui ne menace pas trop le flux des revenus et des dépenses.

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Le libéralisme économique des économistes français■ Souvent on la limite à l’adage “laissez faire, laissez passer”

(Vincent de Gournay, 1712-59)– Mais en pratique, il s’agit de “construire” le marché– Il faut passer des lois, lutter contre les corporatismes, les

spéculateurs■ Lien avec la démocratie

– Les Physiocrates sont pour le souverain absolu, qui possède le pouvoir de faire et d’appliquer les lois

– Mais le pouvoir du souverain est limité par l’économie■ Parce qu’il obéit aux « lois naturelles » du marché, le souverain

fera ce qui est bon pour son peuple, ce qui le légitimera à ses yeux.

– S’oppose au libéralisme politique de Montesquieu qui lui, limite le pouvoir du souverain par le biais de la séparation des pouvoirs.

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Turgot et la mise en pratique d’une politique libérale■ Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781)

– Disciple non pas tant des Physiocrates que de Gournay.– Intendant de la région de Limoges– Contrôleur général des finances (1774-1776)

■ Mise en place d’une politique libérale sous la royauté– Mise en place du libre-échange sur le commerce des

grains– Maîtrise des dépenses publiques– Suppressions des « corvées » et des corporations

■ Politique impopulaire car s’accompagne d’une crise agricole en 1774. Faisant face à divers groupes d’intérêts, il doit démissionner.

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Théorie économique de Turgot■ Deux écrits principaux :

– Réflexions sur la Formation et la Distribution des Richesses (1766)– « Valeur et Monnaie », 1769

■ Le premier des deux ouvrages synthétise la pensée des Physiocrates et celles des économistes et philosophes anglais comme Locke et Mun.

– Cependant, contrairement aux Physiocrates, Turgot croit que le prêt à intérêt peut créer de la richesse. ■ L’épargne permet de prêter à intérêt, acheter de la terre ou créer une industrie. Le rendement de

chacun de ces usages est lié aux autres et du fait de la concurrence doit s’égaliser. ■ Turgot met en évidence le rôle central de l’entrepreneur (Turgot n’utilise pas le mot) dans ce

processus. – Le taux d’intérêt est déterminé par l’offre et par la demande, comme n’importe quel autre

prix dans l’économie. ■ Théorie subjective de la valeur

– Le prix d’une chose dépend du degré de désir que nous avons pour elle et de notre difficulté à l’obtenir, c’est une valeur estimative.

– Il n’existe pas de valeur objective, la valeur d’échange d’un bien doit être mesuré en termes de quantité d’un autre bien. Elle se fixe à la moyenne des valeurs d’estime des échangistes.

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Les Lumières Écossaises■ La situation de l’Ecosse au XVIIIe siècle se rapproche de la France plus que de celle

du Sud de l’Ile britannique – Les Écossais ont conscience que leur économie est dans un piteux état

■ En particulier, divergence entre le Sud (Lowlands) et le Nord (Highlands), cette dernière région étant beaucoup plus pauvre.

– La société est encore en partie féodale et le restera jusqu’au 20ème siècle■ Par ailleurs

– L’Eglise d’Ecosse est presbytérienne (calviniste), avec une emphase plus importante sur l’individu que dans l’église anglicane.

– La justice en Écosse repose sur le droit naturel et pas comme le droit anglais sur la jurisprudence (common law).

■ Dans ce contexte, une lignée de grands penseurs va émerger, notamment à l’Université d’Edimbourg : Hutcheson, Hume, Steuart et Smith.

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Quelques grands principes de la pensée écossaise■ Influence des Lumières françaises

– David Hume est le traducteur de Montesquieu en Anglais– Hume sera en contact avec Turgot (tout comme Smith)

■ Démarche scientifique– Ils sont des successeurs de Bacon et Newton, des « philosophes naturels »– Il croient (presque) tous en des principes fondamentaux de la société

■ Par exemple, Hume s’évertue à trouver des principes intangibles de la nature humaine– D’un autre côté, ce sont aussi des historicistes

■ Il sont conscients que différentes formes d’organisation sociale ont existé à différents moments

■ Ils cherchent à reconstituer une histoire de la société civile

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Les quatre phases de l’histoire des sociétés■ La société primitive

– C’est l’époque où l’homme vit principalement de la chasse et de la cueillette – Il n’y a pas encore d’organisation sociale

■ Société pastorale– Elle découle de la domestication des animaux– La propriété apparaît et avec elle les inégalités

■ L’âge agraire– La terre elle-même devient propriété privée– C’est l’époque où l’héritage prend son importance où se développe le droit.

■ L’économie d’échange– C’est là que la société se scinde en classes qui vivent de différentes façons

(travailleurs, propriétaires terriens, entrepreneurs)– C’est là que se développe la division du travail et la productivité

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Francis Hutcheson et sa critique de La Fable des Abeilles.■ Bernard Mandeville (1672-1729)

– Un néerlandais qui s’établit en Angleterrre à partir de 1699.– Sa Fable des Abeilles est un poème (Mandeville avait traduit La Fontaine).

■ Elle décrit une ruche où domine les vices, la luxure et la vanité■ Cela crée de la consommation et le plein-emploi. Même les pauvres s’enrichissent. ■ Cela crée de la criminalité et un jour un gouvernement puritain intervient. En conséquence le plein-

emploi disparaît et l’économie décline. – La conséquence est qu’un vice privé crée une vertu publique. L’Etat peut intervenir mais ne

doit pas empêcher ce processus.■ Francis Hutcheson (1694-1746) détient la chaire de philosophie morale à Edimbourg.

– Il critique l’idée que les individus sont motivés par leur intérêt propre uniquement– Les individus sont altruistes et ont de l’amour pour leur prochain– Dès lors, la dépense somptuaire n’est pas nécessaire pour assurer la croissance de

l’économie.

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David Hume (1711-76)

■ Il est de son temps connu comme historien, pas comme philosophe (ce pour quoi on le connaît aujourd’hui)

■ Political Discourses (1952)– Ouvrage en neuf volumes dans lequel il aborde

notamment les questions économiques– Pense qu’il faut avoir une approche « subtile et

raffinée » de sujets « vulgaires » comme le commerce, l’argent, l’intérêt, les taxes, etc.

■ Il critique les idées mercantilistes.

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Idées économiques de David Hume■ Le commerce international ne doit pas être favorisé par l’Etat

– Cela revient à comprimer les dépenses intérieures et à appauvrir le pays– Les riches ont des dépenses de luxes et ce sont celles-ci qui permettent de créer un surplus.

■ Si tout le monde produisait ce dont il a besoin, il n’y aurait pas de surplus et donc de croissance économique.

■ Théorie de la valeur travail– Ce qui crée de la valeur, c’est le travail (pas juste celui de la terre)– Le travail dans les usines à comme avantage qu’il peut être accumulé et stocké, employé en

cas de besoin■ Théorie monétaire

– Hume affirme que la monnaie n’a pas de valeur propre (neutralité de la monnaie) et critique la monnaie papier (système de Law)

– Cependant, l’inflation peut créer de la prospérité économique– Il faut donc que la quantité de monnaie croisse de manière continue au rythme de la

croissance du commerce.

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Sir James Steuart (1712-80)■ Un économiste relativement influent en son temps, mais

éclipsé par Adam Smith■ Il introduit le terme « économie politique », qu’il emprunte à

Montchrestien, en Angleterre. – An Inquiry Into The Principles of Political Oeconomy…

(1767)– C’est le premier traité systématique d’économie publié

en langue anglaise■ Sa pensée, cependant, s’éloigne des autres penseurs

écossais de la période en plusieurs points :– Steuart ne croit pas en des principes généraux– Il critique la théorie quantitative de la monnaie de Hume

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Adam Smith, philosophe moral■ Adam Smith (1723-1790)

– C’est un philosophe moral, disciple de Hutcheson– La Recherche sur La Nature et les Causes de la Richesse

des Nations (1776) va faire sa réputation chez les économistes.

– Mais de son temps, il est plus connu pour son autre ouvrage, La Théorie des Sentiments Moraux (1758-1790)

■ Dans cet ouvrage, il pose la question :– Qu’est-ce qui constitue la base du jugement moral ?– Qu’est-ce qui fait vivre ensemble des hommes qui pensent

et se comportent différemment ?■ La réponse : la sympathie.

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La Théorie des Sentiments Moraux(1759-1790)■ Sympathie (chez Smith)

– C’est la capacité à voir les choses du point de vue d’un autre et nos actions du point de vue d’un spectateur impartial

■ C’est l’un des éléments qui permet à la société de perdurer– Nous cherchons l’approbation des autres– Ce motif n’est cependant pas suffisant:

■ Notre passion, notre désir d’accomplir des choses va biaiser notre jugement■ Lorsque l’action est accomplie, notre estime de soi va également amener des biais

– Il faut alors des règles morales, des généralisations de notre expérience permettant de savoir ce qui est approuvé et désapprouvé.

– Et comme cela n’est toujours pas suffisant, nous devons avoir des lois positives, la justice.

■ C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la Richesse des Nations. C’est une description du type de société et du type de gouvernement nécessaire lorsque les hommes ne sont plus capables de faire appel au spectateur impartial et agissent principalement par intérêt.

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La Division du Travail et le Marché■ La division du travail est la cause la plus importante de croissance économique

– La manufacture d’épingle ■ Si un individu réalise l’épingle du début à la fin, il ne pourrait pas en faire plus de

20 par jours. ■ Si le processus de production est divisé en 18 différentes étapes, 10 ouvriers

peuvent produire 48,000 épingles en une journée. – Division du travail social

■ C’est la façon dont dans la société le travail est divisé entre différents groupes de personnes : agriculteurs, artisans, etc.

■ C’est la « propension de la nature humaine à échanger et troquer » qui en est la cause.

■ Ce qui va favoriser la division du travail, c’est l’extension du marché.– Dans les petites villes et communautés, le travail est moins divisé.– Importance du transport, et notamment du transport maritime.

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Théorie de la valeur■ La valeur d’un bien correspond à la quantité de travail que celui-ci permet de

commander. ■ Smith distingue valeur nominale et réelle.

– La première est exprimée en monnaie.– La seconde exprime le labeur et la difficulté qu’il y a à l’acquérir.

■ Prix naturel et prix de marché– Le prix naturel est composé de trois parties : les profits, la rente et les salaires.– Le prix de marché, c’est le jeu de l’offre et de la demande– Il y aura gravitation du prix de marché autour du prix naturel. Ce mécanisme est

cause par la concurrence.■ Admettons que produire des chapeaux permette de générer un profit supérieur au taux

de profit naturel. ■ Alors, attiré par le profit, d’autres chapeliers vont se présenter sur le marché, l’offre

augmentera et le prix reviendra à sa valeur naturelle (ainsi que le taux de profit).

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Accumulation du capital■ Si la théorie de la valeur de Smith est dans la droite lignée de ses prédécesseurs et

confrères écossais, la théorie du capital, elle, s’apparente à celle de Turgot.

■ Une condition nécessaire à la division du travail est l’accumulation du capital (« stock » chez Smith) ce qui désigne à la fois les outils dont les travailleurs ont besoin ainsi que leurs moyens de subsistance.

■ Smith fait alors une distinction entre :– Travail Productif : un travail qui ajoute quelque chose à l’objet auquel il se consacre travail du fermier, de l’artisan, etc.

– Travail Improductif : un travail qui ne produit pas d’objet tangible travail du juge, du serviteur.

■ Lorsque le capitaliste épargne (donc investit, car pour Smith il n’y a pas de différence), il emploie du travail productif. Lorsqu’il consomme, il emploie du travail improductif.

– Smith affirme, comme Hutcheson, qu’il n’est nul besoin de dépenses somptuaires pour qu’il y ait croissance économique.

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Le laissez-faire■ La théorie de la gravitation autour du prix naturel ainsi que celle de l’accumulation

du capital portent un message libéral– La concurrence va pousser les capitalistes à faire le meilleur emploi de leur

argent– Il ne peut y avoir de crise de surproduction nécessitant de favoriser les

dépenses somptuaires. L’épargne, plutôt que que la consommation, favorise la croissance.

■ Mais Smith donne plusieurs rôle à l’Etat :– Administrer la justice, pour contrer les limites de l’intérêt personnel (vol,

meurtre) et protéger les frontières – Réaliser les travaux publics que des agents privés ne sauraient spontanément

financer. ■ Ces services publics doivent être financés le plus possible par des redevances ou

des péages, de sorte que ce soient leurs utilisateurs qui paient et pas la collectivité

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Et la main invisible ?■ C’est une métaphore très forte qui a traversé les siècles.

■ Elle est aujourd’hui assimilée à :– L’équilibre des marchés– L’idée que la recherche du profit fait le bien de tous

■ En fait, Adam Smith ne l’utilise que deux fois :– Une fois dans la Théorie des Sentiments Moraux.

■ Pour dire que l’appétit des plus riches les poussent à produire plus qu’ils ne peuvent consommer, les amenant ainsi à rémunérer ceux qui les servent et à faire leur bonheur.

– Une fois dans La Richesse des Nations■ Pour dire que le capitaliste préfère, par sécurité, développer l’économie domestique que celle de

l’étranger, contribuant malgré lui à la richesse nationale. ■ Il ajoute : “I have never known much good done by those who affected to trade for the public good”

– « Je n’ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses »

■ Si la main invisible semble aujourd’hui une notion centrale, ce n’est pas le cas pour Smith.

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Conclusion■ La Richesse des Nations apparaît comme la conclusion d’une période de trois

siècles où le monopole de la religion comme pourvoyeuse de cohésion sociale est contesté et remplacé par une théorie séculaire (laïque) du contrat social.

■ A des questions développées par Thomas Hobbes ou Bernard Mandeville (qu’est-ce qui permet de dépasser les intérêts / vices privés), Smith donnera une réponse partiellement économique :

– Notre sens moral (la sympathie) maintient la cohésion sociale– Mais là où s’arrête la sympathie, dans les relations commerciales notamment,

des mécanismes économiques permettent néanmoins de conserver une société stable.

■ Presque tous les thèmes abordés par Smith avaient été traités par d’autres auteurs, et parfois dès le XVIIe siècle. Mais Smith va proposer une synthèse convaincante et ouvre la voie à l’économie classique.

Yann GIRAUD, Histoire de la Pensée Economique, Université de Cergy-Pontoise 59