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LA NOUVELLE

REVUE F1~AJV'~CAISE

LE SILENCE

Le silence peut être envisagé d'abord comme un fait

brut, puis comme un acte chargé d'intention, enfin comme

le support d'une création, et cela en passant graduellementde la vie à l'œuvre.

Le silence peut-il être un fait brut? Non. L'absence de

bruit ne peut être remarquée que par la présence corré-lative d'un son, présence possible sinon actuelle. Il fautencore qu'une signification soit donnée à ce silence, autre-

ment dit une évaluation. La parole de Pascal « Le silence

de ces espaces infinis m'effraie », qu'elle soit attribuée à

l'incrédule ou à l'auteur lui-même, n'a de portée que parcomparaison. Cela est évident du point de vue de la qua-lité. Quand il s'agit de la quantité il en est de même, et

Kant a consacré un opuscule aux Quantités négatives pourprouver que ces quantités ne sont pas de simples zéros,qu'elles doivent être comptées aussi bien que les quantitéspositives et qu'on n'a pas plus le droit de les passer sous

silence qu'on ne le fait des irrationnelles, objet de scan-dale pour les Pythagoriciens. Le silence est donc chargéd'intentions sous les trois aspects qu'on peut envisager de

lui, qu'il soit négatif, relatif ou positif.

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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Aspect négatif.

Le muet n'est pas silencieux il ne peut faire autre-

ment que se taire. Est silencieux celui qui s'abstient de

parler oralement ou par écrit. Il l'est par indifférence à

l'expression. Or cette indifférence qui a un aspect négatif

n'a pas une origine négative. Elle est acquise. La pierre

est naturellement silencieuse, l'être diminué ne l'est pas.

Le silence est intentionnel. Quelle est cette intention?

Ce peut être de revenir à cet état neutre que les philo-

sophes ont décrit sous de nombreux noms. Alors le silence

de l'être vivant est une négation de la vie. Il n'y a rien

à en dire, le silence appelant le silence. Ce n'est absolu-

ment pas une attitude chrétienne, puisque les religions de laBible en général consistent dans une conversation avec Dieu.

Mais il peut y avoir une conversation avec un être qui

est placé dans l'intimité de vous-même et avec lequel une

relation s'établit. Ce n'est pas l'absence d'un être trans-

cendant, mais une présence très réconfortante d'un être

immanent. Nous n'avons pas alors le droit de parler denéant.

Chose surprenante que la conversation silencieuse des

mystiques. Elle a été bien décrite par sainte Thérèsed'Avila. Une plus grande surprise nous est réservée par

ceux qui conversent avec une Force immanente à la

Nature. Ainsi j'ai assisté à une réunion à laquelle desamis d'un moine de l'ordre de Ramakrishna avaient convié

ce dernier. Il prit la position corporelle que'nous connais-sons à ceux qui pratiquent cette religion et qui favorise la

concentration de l'esprit. Les assistants s'attendaient à l'en-

tendre parler, après l'invocation rituelle. Il n'en fut rien.

Quelques-uns d'entre nous ne manquaient pas d'être in-quiets ils savaient que plus les questions traitées sontd'ordre élevé, plus le niveau du discours est bas. Tout ce

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LE SILENCE

qui ressortit de l'ordre du sublime est exprimé avec la plusécœurante banalité. Nous attendions donc, les uns (la plu-part) avec espoir, car la parole exerce un attrait magiquesur les hommes rassemblés, les autres avec crainte. Or le

brahmane ne parla pas pendant les premières minutes, puisun quart d'heure s'écoula, il se taisait toujours, et plus il setaisait plus il était écouté dans un silence religieux.

«Ecouté», oui, c'est bien le mot, on prêtait l'oreille à cequ'on allait entendre. Puis, comme il continuait à se taire,

l'attention de l'oreille diminua, remplacée par l'attentionde l'œil qui contemplait cet homme immobile dont le visageétait éclairé d'une douce lumière et qui semblait jouird'un bonheur indépendant du milieu et des circonstances.

Tout le monde semblait participer à cette sérénité sou-riante, et finalement n'attendait plus rien. On ne peut pasdire que le sentiment du temps fût aboli pour autant, ilétait dominé par une de ses composantes qui est le stablealors que l'autre composante, l'instable, en était l'harmo-nique.

Une heure s'écoula de cette manière sans qu'on eûtl'impression du passé ni du futur dans un présent quiallait en s'étirant sans jamais se rompre. Je me demandecomment une pareille expérience pourrait se réaliser dans

un domaine qui ne fût pas religieux. Cette attitude quejeviens de décrire n'était pas une attitude banale et cou-rante, elle n'aboutissait pas non plus à une création. Elle

était à mi-chemin d'une inspiration et d'une création.C'était une création inchoative.

Plus avancée, elle aurait pu se traduire par une réali-sation positive comme celle des Bouddhas khmers en

sculpture. Telle que je la prends, en ce moment, elle est

entre la vie et l'art. Contrairement à ce qu'on pourrait

croire et à ce que l'on dit, le style apparaît plus souvent

Jans la vie que dans l'art. A peine l'oeuvre est-elle réalisée,le style dégénère.

C'est ce qu'a compris notre époque. Ou elle tourne le

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dos à la création proprement dite, qu'elle bafoue même,

ou bien quand elle se résigne à créer, elle s'en tient à

l'inachevé, au non finito dont la signification a changé

complètement puisque jadis l'inachevé était une esquisse

et que maintenant c'est l'œuvre qui n'est pas commencée.Ainsi Cézanne répliquait à ceux qui disaient de ses tableaux

qu'ils n'étaient pas « finis » « Les vôtres ne sont pascommencés.»

Toutes ces méthodes de négation peuvent être employées

quand il s'agit même de l'œuvre. Par exemple une œuvre

annoncée à grand fracas peut n'être pas exposée le jour

prévu, et cela délibérément. Alors il n'y a ni œuvre d'art

proprement dite, ni objet qui puisse être dit esthétique, et

cependant c'est une attitude esthétique qui consiste dans

un écart pris par rapport au monde. Un malentendu sur-git lorsque cet écart est pris à l'intérieur d'une civilisa-tion tournée entièrement vers la fabrication et l'action.

Alors le public se fâche, proteste et casse les vitrines des

galeries où rien n'est exposé.

Moins négative est l'œuvre qui enfreint les conventions

les plus fondamentales, car au moins cette œuvre est visible.

Ainsi le peintre Yves Klein peignait des tableaux mono-

chromes, d'un bleu déterminé mais parfaitement uniforme,

dont seul variait le format. Ces tableaux ne paraissaient

pas être des créations car ce n'étaient pas des composi-tions. Ils correspondaient cependant à une attitude enface de l'univers du langage, et plus qu'à une attitude à

une prise de parti. Ce bleu équivalait au mutisme du

brahmane n'ayant qu'une chose à dire, l'homme la disait;et il la disait bien, ce qui est difficile, car il est plus facile

de dire plusieurs choses qu'une seule. L'existence dans

ce qu'elle a de précieux ne passe que par une porte étroite.Et la musique? Certain orchestre chinois donne des

concerts sans que l'auditeur entende aucun son, simple-

ment parce que les musiciens ne jouent pas des instrumentsqu'ils ont apportés et se contentent d'une mimique appro-

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LE SILENCE

priée. C'est comme si nous voyions un pianiste assis devantson piano sans toucher au clavier, le violoniste tenir son

archet en l'air sans faire vibrer son instrument, le flûtiste

approcher la flûte de sa bouche sans jamais l'y appliquer.

C'est une musique virtuelle en somme, qui s'adresse à

l'esprit pur 1.

Nous ne sommes guère aptes à la comprendre et sur-tout à la reconnaître comme un art.

Et même nous sommes portés à nous en moquer. Ainsij'ai lu dans un journal aux environs de 1963 qu'un cer-

tain Thomas Blod avait donné à Wigmore Hall (la « salle

Gaveau» de Londres) un récital de piano silencieux. Une

centaine d'amateurs avaient payé leur place deux shillings

six pence pour assister à l'exécution de maître connus

comme Partita en silence de Kuppenheimer, Silenzio geo-

grafico de Bergamo, Epigraphes nouvelles (six études en

niveaux de non-volumes) par Bolbeck.

Ce concert se faisait en silence bien entendu, à part le

faible bruit que pouvaient produire les marteaux frappant

dans le vide et malgré l'enthousiasme déployé par le

pianiste hongrois, une contrebasse et une flûte silencieuses

se joignirent à lui pour exécuter un trio.

Or ce concert était une supercherie montée par un « pro-

ducteur» de la télévision commerciale. Ce producteur

voulait voir, dit-il, jusqu'où peut aller la sottise humaine.

Pour ma part je ne considère pas comme sots les « audi-teurs ». Ils devaient compter parmi eux un grand nombre

de snobs certains avaient dû venir, comme beaucoup d'An-

glais, par curiosité et goût des choses originales; mais

pourquoi d'autres encore n'auraient-ils pas été légitime-ment attirés par une nouvelle dimension de la création

artistique 2 ?

1. Kazantakis en parle dans un de ses livres Du mont Sinaià l'îlede Vénus.

2. Les« silences », pauses, soupirs, demi-soupirs, quarts de soupir,seizième de soupir, ne peuvent-ils pas faire tache d'encre?

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Bien entendu, je laisse de côté comme non concluants

les exercices faits sur les pianos muets par des artistes quine veulent pas gêner leurs voisins ou qui font preuve de

raffinement, tel ce pianiste dont parle Gosta Berling sur

un clavier peint sur une table de bois il faisait courir ses

doigts, ne jouant que du Beethoven. Ce sont des simu-

lacres visant à l'authentique alors que je veux parler de

l'authentique qui prend la forme de simulacre.

Aspect relatif.

Le silence purement négatif n'existe donc pas. Il repré-

sente cependant un idéal. Le silence relatif fait partie denotre existence qui est une alternance de bruit et d'absence

de bruit, par rapport au passé, au présent, à l'avenir.

La minute de silence consacrée à l'evocation du passé,

est plus chargée de sens, si elle n'est pas trop coutumière,

que n'importe quel discours commémoratif. Elle rappelle

cette stèle brisée, ce cippe, qui par sa cassure est le symbole

de l'interruption.

Si le silence est orienté vers l'avenir, il est empreint

non de nostalgie mais de curiosité et d'angoisse parfois

c'est le « suspense » Mais ce silence extérieur correspondà un tumulte intérieur. Par contre le silence qui règne

pendant la veillée d'armes du futur chevalier reflète lapaix du cœur. Et qu'y a-t-il de plus précieux que cette

« paix du coeur» recherchée par les Anciens et que souhai-

tait, à ses clients, une devineresse que j'ai connue dans monenfance? .'

La chambre de méditation des néophytes chez les francs-maçons, les consignes de silence des Pythagoriciens qui

allaient jusqu'à leur faire éviter de prononcer le nom deleur maître, sont des attitudes qui suggèrent une détente

plutôt qu'une tension.

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LE SILENCE

La tension est l'apanage du matin. L'homme se lève,prêt à l'action. Au contraire le soir est le moment de la

détente, de la préparation au repos. Mais le soir ne fait sou-vent qu'introduire des bruits différents de ceux du matin.

D'ailleurs, rares sont les hommes capables de supporter le

silence même relatif; ils aspirent à vivre à la campagne

lorsqu'ils sont citadins et à peine arrivés dans leur maisondes champs ils ne rêvent comme les paysans que dedistractions, différents seulement des campagnards en ce

qu'ils demandent des plaisirs plus compliqués.Le silence de la campagne a beau n'être que tout relatif,

il apparaît comme absolu à l'homme des villes qui a de la

peine à supporter le poids du vide. Aussi essaie-t-il de

le combattre par tous les moyens et de rester en commu-

nication par la vue et par l'ouïe avec le monde urbain

grâce aux appareils qu'il ne manque pas d'apporter aveclui.

Le silence peut être relatif aux autres. Celui des infé-rieurs signifie le respect; et le supérieur n'hésite pas à leréclamer avant toute autre marque de considération. Lepo-

rello qui disait volontiers mille choses désagréables à sonmaître s'arrête subitement lorsque Don Juan le rappelleà l'ordre. Il chantait « Non voglio più serviy!et puis

l'apparition du seigneur lui ferme la bouche.Les rapports d'égalité peuvent avoir également le silence

pour manifestation. Mais c'est à la condition expressequ'ils soient fondés sur des affinités. Sinon, rien n'est plusterrible que la promenade faite avec quelqu'un qui n'a pasde sympathie physique avec vous. Il reste muet, ou bienc'est vous. Le silence amical suppose une complicité, qui va

de l'approbation à la sympathie et à l'amour.Il existe encore un silence, c'est celui du supérieur par

rapport à l'inférieur. Ce silence peut être fait de froideur,

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de dédain ou de condescendance. C'est celui du héros de

Stendhal, du Dieu de Vigny. C'est celui des chefs. La plusgrande qualité de celui qui commande, disait Napoléon,c'est la froideur. En tout cas, c'est l'absence de familiarité.

La présence de celle-ci n'en est que plus goûtée lorsquel'occasion se présente au chef d'être populaire. Encore

faut-il qu'il sache bien doser le mélange du silence et de

la parole et choisir les moments opportuns.

Aspect positif.

Le silence a un aspect positif.

L'on est frappé lorsqu'on assiste à une réunion de Qua-

kers par le silence qui commence par régner et qui accom-

pagne ce que les mystiques appellent une oraison men-

tale. Le silence est conçu comme propice à l'entrée dansl'âme de la révélation d'abord, à la manifestation de celle-ci

ensuite. Le Bouddha est représenté comme silencieux. Saint

Pierre est figuré par Fra Angelico posant l'index sur labouche.

Ce qui n'empêche pas la communication. La légendeveut que saint François d'Assise et saint Louis lorsqu'ils

se rencontrèrent se tinrent longuement embrassés mais

qu'ils ne prononcèrent pas une parole. Et pourtant ilss'étaient dit en un instant tout ce qu'ils avaient à se dire.

Nos contemporains se sentent étrangers à ce qui estdialogue secret de deux âmes entre elles ou d'une âmeavec Dieu. Il a dû en être toujours ainsi parce que l'expé-

rience mystique est incommunicable surtout lorsqu'elle atrait à la communication. Plus actuel et plus passionnant

pour les esprits est le problème social du silence.

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LE SILENCE

Aspect social.

Le silence est alors considéré non dans sa vertu mais

dans son insuffisance. Il prend la forme d'une abstention

par docilité à une puissance inférieure qui est celle de lacrainte. Il devient donc un acte et un acte mauvais.

Une loi récente a sanctionné la non-assistance à une

personne en danger. La société a pris ainsi en charge ce

qui était du ressort de la morale, la législation a pris le

relais de la religion, une fois de plus. Le bon Samaritain

n'est pas récompensé pour autant, parce qu'il n'a fait que

son devoir. Mais les deux passants précédents qui ont laissé

l'homme blessé sans le secourir sont punis. Comme tantd'autres fois une codification a succédé à une admonition,

la justice a pris la place de la charité jugée défaillante. Se

taire, c'est coopérer avec le mal.

Cette conception s'est élargie et étendue jusqu'à entraî-

ner la requête de sanctions vis-à-vis de ceux qui ont assisté

passivement à des actes criminels de toute sorte. La neu-tralité est condamnée. Elle est encore excusée dans le cas

des nations qui, comme la Suisse, ont fait de cette neutra-

lité un dogme pour préserver leur existence dans un monde

bouleversé. Mais elle est devenue inadmissible pour une

autorité morale. Ainsi le pape Pie XII aurait-il dû prendre

parti en termes explicites pendant la dernière guerre oùtant de crimes atroces contre l'humanité ont été commis.

Les partisans du pape se trouvent contraints de prendreune position défensive, ce qui prouve que, même s'ils ont

raison, ils en sont réduits à plaider. Signe des temps.

Sartre a tiré les conséquences ultimes de cet état defait de la conscience collective. Il condamne de manière

absolue toute abstention (en ce qui concerne les affaires

publiques) de l'homme privé et à plus forte raison de

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l'homme qui écrit ou qui parle en public. Le silence observépar l'héroïne de Vercors ne suffit plus. Il faut protesterpubliquement.

Il a toujours existé un silence réprobateur, il y a tou-jours eu un silence approbateur. Le premier semble avoirdisparu au profit du second.

Je crois que la cause en est dans les progrès de l'idéaldémocratique qui transforment chaque homme en citoyen,chaque citoyen en électeur, chaque électeur en juge. Sieyèsavait déjà proposé dans sa Constitution une distinction

entre citoyens actifs et citoyens passifs. Cette distinctiona beau n'avoir pas été rendue légale, elle est devenue de

plus en plus importante. Le citoyen passif a été chargé d'une

mauvaise conscience. Puisque le peuple est souverain et

qu'il fait partie du peuple, il ne doit pas laisser s'accom-plir un crime sans le condamner; et une condamnation

tacite ne suffit pas, il faut une condamnation expresse et

publique. De là les manifestes qui paraissent, couverts de

signatures, à chaque grand acte public jugé criminel. Celui

qui n'y ajoute pas sa signature est censé rester insensible

à cet acte, si même il ne passe pas pour y être favo-rable.

Cette situation est si insupportable que beaucoup aiment

mieux prendre parti aveuglément. Certes, il y a des crimes

contre l'humanité qui demandent à être dénoncés. Mais il

arrive que pour des forfaits plus cachés ou plus lointains

l'ignorance persiste. Le silence n'est pas à reprocher à

celui qui ne sait pas.

Il arrive que l'on vous demande de rompre le silence

toujours en faveur du même parti. Le résultat en est que,

dans une guerre civile, par exemple, où les pertes sont par-tagées et les atrocités équivalentes, vous êtes sommé de

ne voir qu'un côté des choses.

Sans vouloir revenir au silence dédaigneux et hautain des

Stoïciens qui opposaient à la tyrannie un visage impassible,

il est dommage que l'homme aujourd'hui en soit réduit à

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LE SILENCE

des positions extrêmes, passe son temps à crier et à pro-tester, ou courbe la tête sous la terreur.

Aspect médical.

Le silence est aussi condamné par la nouvelle médecine

qui pense que le malade doit parler de lui. Naguère lemalade était condamné au silence car ses déclarations

n'éclairaient en aucune manière le médecin. Il était entendu

que le patient se trompait du tout au tout sur la cause de

son mal. Aujourd'hui les docteurs ne croient pas plusqu'autrefois à la lucidité des malades. Mais ils encouragent

leurs propos déraisonnables parce qu'ils espèrent et font

espérer découvrir, à travers le tissu de folies et de

rêveries qui sont au fond de ces propos, la racine du mal qui

les ronge et qui apparaît sous le voile de symboles dont ils

possèdent la clef. On utilise le langage non contrôlé. Si l'on

peut parler de silence, c'est à propos du langage intelligent.

De même pour le mimodrame, cette répétition en actes et

en paroles de ce qui a été dit et fait en vue de la recherche

en plein sang-froid de la faille qui a provoqué une rupture.

Ces deux thérapeutiques ont pour postulat la croyance

en l'efficacité de la mise au jour des puissances ténébreuses

qui échappent à notre conscience et gouvernent nos actions.

Cet éclaircissement a ceci de singulier et de nouveau qu'il

ne peut se faire que grâce à une manifestation incompré-

hensible par le sujet et à laquelle il se doit d'aider. Lediscours contredit la raison alors qu'en grec ces deux

réalités s'exprimaient par le même mot logos. Nous

n'avons pas à en juger.

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On ne peut nier pourtant que le silence ait comme le som-meil une vertu intrinsèque pour celui qui souffre il favo-rise l'oubli. Nombreux sont les cas où il suffit de se taire

pour que se taise aussi le mal intérieur qui nous ronge sans

raison et auquel par nos paroles nous donnons un aliment.

Le silence est encore lorsqu'il est « actif» un

grand acte de courage, celui auquel a recours Vigny; et

pour celui qui par malheur croit que l'homme est seul, le

plus grand acte de courage, puique la prière n'a pas de

sens pour lui. C'est cependant en faisant taire en lui ce qui

vient de lui-même que l'homme arrive à combler son vide

par une présence. La cure de silence en dehors même de la

règle monastique peut être une source de vie, avant que le

corps ne soit abandonné au silence forcé celui qui adonné son nom aux Tours du Silence' qui dominent Bom-

bay et d'où on a une si belle vue sur le golfe.

JEAN GRENIER

1. Où sont exposés les corps des Parsis décédés, qui sont aban-donnés aux vautours.

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POSITIONS ET SUPPOSITIONS

Tous ceux que j'interroge sur leurs rêves s'accordent pourexprimer leur horreur du cauchemar.

Je ne me sens qu'un goût modéré pour les explorations dela psychanalyse. Une science dite expérimentale, et celle-

ci surtout, qui tire sa coupe dans les eaux troubles du sub-

conscient, m'inspire plutôt méfiance. Je suis un promeneur

au grand air ma recherche ne va pas dans un sens unique,

je dirai même qu'elle ne se dirige nulle part; en ce sens,

qu'elle s'annule. Je ne cherche pas, j'attends que cela vienne,

se présente. Je me laisse surprendre au détour, bon moyen

de ne pas oublier.

Mais il m'arrive d'interroger. Pourquoi, dans quel des-

sein ? Je crois pour me contrôler, voir si mes incidences

valent par quelque bout, si je ne trompe pas sur telle visi-tation en lui attribuant une valeur illusoire.

Ils ont horreur du cauchemar. Je m'étonne. Dire que

je l'attends de mes sommeils serait peut-être excessif. Et

encore? Je connais des cauchemars qui dédommagent, au

réveil, des dégâts qu'ils ont provoqués dans l'organisme

cérébral par leur beauté tragique, l'intensité de ces émana-

tions sulfureuses qui laissent des traces ineffaçables, sillonset crevasses, dans le sol et le basalte intérieurs.

Je me figure fort bien, en y songeant, l'état d'esprit et de

nerfs des spectateurs de l'ancien théâtre grec, au sortir

d'une représentation de l'Electre de Sophocle, les yeux

encore pleins de l'expression des masques et la tête éclatante

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des explosions et rythmes du vers classique. On peut avoirpresque complètement perdu de vue la trame et le dévelop-pement de l'accident ou de la catastrophe du cauchemar, la

marque en demeure pour la vie entière. Je serais surpris si

mes plus beaux cauchemars ne s'avéraient que vains coupsde vent ou pluies diluviennes à la surface de l'eau;je les aitrop aimés, sinon en les vivant, tout de suite après en avoirété délivré.

On fait le départ entre bons et mauvais rêves. Il n'y apour moi ni bon ni mauvais rêve il y a le rêve tout court,

ses contrastes nécessaires, ses beaux contrepoints, sescanons, ses fugues; et si l'esprit et le sens interne du rêveur

ne l'apprécient pas dans sa diversité comme une espècede symphonie dont la mémoire éveillée ne peut se passertout en en gardant le secret, suave ou amer, c'est que cetesprit ne possède aucune sensibilité. Nul désert même n'est

insensible aux sorcelleries des météores. Mais j'en connais

de ces têtes qui se croient assez solides pour résister ou se

soustraire au rêve. Elles vous affirment même qu'elles igno-rent la présence du rêve et qu'elles s'en trouvent bien. Ellesne sont ni de roc ni de sable, ne connaissent la saveur du sel

ni le stimulant du levain. Leur pâte jamais ne lève.

Mes cauchemars sont le meilleur, le plus fécond de mesobscurités nocturnes. Que deviendrait un Etna ou un

Vésuve qui refuseraient désormais leurs illuminations et

leurs laves, fussent-elles meurtrières? Qu'en dirait-on?

Qu'ils sont éteints. Ainsi de certains esprits. Mais aucontraire des volcans, ils n'ont jamais connu l'éruption.

L'enfer des mauvaises consciences se situe dans le som-

meil agité des cauchemars. Il ne faut le chercher on l'imagi-

ner ni au centre de la terre, ni dans les tableaux de JérômeBosch, ni dans le poème de Dante, ni dans le sous-sol des

Nartes. L'Enfer est du monde des vivants, pas ailleurs.

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POSITIONS ET SUPPOSITIONS

Mais il est. L'enfer n'est pas un mythe, au contraire la plusterrible des réalités, à laquelle nul n'échappe.

Là est le châtiment le plus atroce que l'esprit puisse

concevoir. Mais il y a façon et façon de le considérer. Tout

à l'esprit, ce qui le rend plus épouvantable encore. Tortures

de tête, elles n'en laissent pas moins de traces que les brû-

lures physiques redoutées par les croyants d'un dogme reli-gieux.

L'Enfer du cauchemar choisit pour ses sévices les milieux

les plus ordinaires, les plus familiers; mais toutes dimen-sions y sont brouillées; on marche ou l'on macère dansl'inconnu du connu.

Cette nuit même, j'avais perdu le chemin aux environs

de ma maison; je reconnaissais tous les tournants de la

route, les saillies, les dépressions, je respirais son atmos-

phère. Mais tout m'éloignait du but, je me sentais comme

l'insecte qui a perdu ailes et élytres et qui tourne sur lui-

même croyant avancer, approcher il ne fait que chercher sa

propre réalité.

On m'attendait chez moi, j'endurais une inquiétude dou-

blée de celle que je pressentais ailleurs, ce qui me faisaitdeux en un seul, dans l'attente de moi-même. Mais tout

me faisait obstacle, et la fatigue n'était pas le plus terrible

l'obstacle capital consistait dans la négation de tout et cette

certitude constamment renouvelée de n'arriver jamais nulle

part le néant au bout de mes efforts.

Je remuais jambes et le reste, si cela peut encore s'appe-

ler avancer, au milieu d'une humanité aux allures quotidien-

nes, tout occupée d'elle-même; si j'interrogeais quelqu'un

sur la route, cette route que je connaissais sans la recon-

naître, on me répondait « Par là» d'un air distrait, et ce

n'était jamais le « par là» qui convenait, mais un autre

côté qui m'enfonçait davantage dans l'incertitude.

Il y eut un homme jeune, inconnu, qui s'offrit à me gui-

der trop prévenant, car je le perdis bientôt de vue, luiaussi, comme le chemin sans aboutissement. Sa bonne

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volonté ne m'avait été d'aucune aide. Et puis il y eut une

femme, tout juste celle qui m'attendait, comme je me le figu-

rais. Sortie de ma propre détresse, elle y rentra de guerre

lasse. Cet abandon ne me parut nullement extravagant, au

contraire juste. Je lui avais dit « Ne me laisse pas en che-

min, tu te reposeras chez nous, dans un bon lit.Je ne

m'étais pas aperçu que marchant, ou tricotant, comme le

pèlerin qui gravit sur les genoux la côte d'un calvaire, je

m'étais reculé de vingt ans en arrière, dans la maison d'une

épouse jalouse. « Non, m'avait répondu l'autre, je ne me

sens pas aimée dans cette maison »

Il avait fallu que j'accomplisse un bond, une sorte de

redressement acrobatique sur mes quilles fatiguées réduites

à l'os des tibias, tout ce qui me restait pour essayer d'avan-cer encore.

Je sais donc que l'Enfer existe. Je sais aussi, je l'ai appris

au réveil, qu'il est passager, ce qui n'exclut pas qu'il se

montre sans fin. Un passage qui peut, qui doit se reproduire.Ainsi, à celui du train dans un tunnel, ces subites lueurs

de jour, suivies de rechutes dans les ténèbres où le voyageur

se sent entraîné sans pouvoir se figurer la fin de la traversée

autrement que par la brève clarté d'un jour illusoire. Cette

ampoule électrique au plafond n'est là que pour éclairer le

vide en marche, le plus atroce des néants.

Je sais aussi, à présent que je n'y suis plus, que l'Enfer

est beau. Plus que le Ciel de cet autre rêve dont j'ai oubliéles délices terrestres. Ce cauchemar infernal, au contraire,

ne me sortira plus de la mémoire. On se délivre d'un cauche-

mar en se réveillant, on croit s'en délivrer, mais la marque

en reste gravée dans l'esprit et la chair même au fer rouge.

Pourtant qu'elle en est belle, l'image toute brûlante, crépi-

tante et saignante encore Je la garde en tremblant, commeon cache dans une boîte à secret une médaille d'un relief

horrifiant, dont on sait qu'elle est malédictoire; mais com-

ment la refuser quand sa gravure a pris sur moi ?

Je ne verrai plus le monde du jour sous sa face quoti-

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POSITIONS ET SUPPOSITIONS

dienne, logique, rationnelle, proportionnée. Je ne souhaitepas le retour du cauchemar infernal, ni d'une autre descente

aux Enfers du sommeil. Mais que j'y sois allé, que je l'aie

été, moi, de toute ma personne en le vivant, me remplit

d'orgueil et m'exalte. Je sais aussi, et c'est mon dernier

motif d'admiration, que mon Enfer est éternel, comme il

est dit de l'Autre que nul ne vivra jamais parce qu'il n'existepas, puisque la mort le nie. Si l'âme et l'esprit sont immor-tels, c'est dans le présent de la vie rêvée qu'est leur péren-nité.

Dans l'admirable roman d'Italo Svevo Senilita, l'auteur

soulève une question cuisante; ou plutôt la question surgitdu texte même et de l'événement qu'il exprime, sans quel'écrivain y ait songé, j'imagine. La sœur, Amélie, du héros

de ce livre, Emilio, écrivain raté et homme replié sur lui-même, qui se croit lucide mais tombe dans le premier piègeamoureux qui se présente; cette femme laide de visage et

de corps mais profondément sensible et, au surplus, complè-tement ignorante de la vie, s'est éprise en cachette du beau

Balli, artiste peintre et ami d'Emilio. Balli l'a séduite sans

le vouloir en lui prêtant une galanterie distraite, et par sonair de conquérant désinvolte. Un jour Emilio, qui s'estaperçu de l'équivoque, tente de démontrer à la pauvrefemme que sa passion pour le peintre est une voie sans issue.Emilio croyait bien faire, il croyait faire mieux. Il n'a fait

que mettre le feu aux poudres une crise d'hystérie, dontl'épilogue est la mort, l'éclaire sur son erreur.

Le mieux est l'ennemi du bien. On pourrait épiloguersans fin sur ce dicton comme sur bien d'autres qui transpi-rent le bon sens populaire. Mais ce qu'on nomme le bon

sens a ses défauts et ses exagérations. Qu'est-ce que celasignifie Faire bien? Que signifie Faire mieux? Pour ma

part, je pense que le mieux est contenu dans le bien, comme

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le fruit dans la fleur. Il est difficile de faire bien si on n'a

pas essayé de se surpasser. Dans ce sens, le bien seraitl'ennemi du mieux, ce dernier terme entendu comme signi-

fiant un effort démesuré, débordant les frontières de ce

qu'on appelle communément le bien. Ce ne serait pas la

recherche du mieux qui endiguerait une tendance à la per-

fection, mais plutôt celle du bien dont les limites mêmes

supposent cet achèvement tout spirituel.En matière d'art et de littérature, comme dans la vie, la

route du mieux peut conduire à la destruction ou à la sté-

rilité. Travailler exagérément son style en vue de l'améliorer

par le moyen de l'écriture ou du dessin, n'est-ce pas dessé-

cher le sol même, le piétiner, l'empêcher dans ce qu'il doitproduire de meilleur l'efficacité?

En croyant faire mieux, Emilio a fait éclater la bombe.

En se tenant au bien, c'est-à-dire s'abstenant, la bombe eût

fait long feu.

Comme l'âge, le rêve est isolant. L'homme éveillé peut se

voir isolé complètement de la foule, jusqu'à l'instant où il

se fait remarquer par un geste, une parole insolite. En rêve,

il peut se mettre nu, exécuter les pires excentricités, nulne fait attention à lui on l'ignore. Eveillé, si une personneconnue de moi me croise, c'en est fait de mon isolement.

Une pareille rencontre laisse le rêveur isolé.

Le rapprochement se fait sur deux plans, où chacun des

états individuels se garde à part, sans communication directe

avec l'autre ou les autres. Je peux, rêvant, me retrouver,

moi vivant, face à face avec mon père mort et plus que

vivant, sans que ni lui ni moi ne sortions de notre solitude.

Comme si nous regardions d'une planète à l'autre, ou

sur des photographies. Nous pouvons nous parler, notrelangage restera réservé, et le moindre de nos mouvements.Dans la foule, le rêveur figure dans toute la force du terme

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