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LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007 / 7 ALFRED FESSARD ET LE RENOUVEAU D’UNE DISCIPLINE Alfred Fessard (1900-1982) est la figure emblématique de l’émergence en France d’une nouvelle neurophysiologie après la seconde guerre mondiale. Jean-Gaël Barbara retrace la vie et l’œuvre de ce véritable visionnaire. After World War II, Alfred Fessard (1900-1982) introduced a new way in neurophysiology in France. Jean-Gaël Barbara recounts this story and Fessard’s work. La neurophysiologie à la française Jean-Gaël Barbara Jean-Gaël Barbara est chargé de recherche au CNRS, membre du laboratoire de neurobiologie des processus adaptatifs (CNRS, UMR 7102, université Paris VI/Pierre et Marie Curie) et chercheur associé au laboratoire de recherches épistémologiques et historiques sur les sciences exactes et les institutions scientifiques. P endant les premières décennies du XX e siècle, la neuropsychologie est en perte de vitesse, en particulier dans le cadre pari- sien, par la prééminence de l’école de Louis Lapic- que (1866-1952) en Sorbonne, alors que la phy- siologie britannique se développe avec succès par les travaux de John Newport Langley (1852-1925), Charles Sherrington (1857-1952) et Edgar Dou- glas Adrian (1889-1977). Alfred Fessard a assuré une transition à la fois scientifique et institution- nelle entre ses maîtres Louis Lapicque, Paul Por- tier (1866-1962), en physiologie, Henri Piéron (1881-1964), en psychologie, et sa jeune école d’électrophysiologie qui prend véritablement nais- sance avec la constitution d’un centre CNRS d’étu- des de physiologie nerveuse et d’électrophysiologie dans un nouveau contexte international. Une formation intellectuelle alliant les extrêmes Les années de formation d’Alfred Fessard sont remarquables. Elles expliquent en partie ses aspi- rations, en apparence opposées, à comprendre le système nerveux à la fois dans sa dimension psy- chologique – par la psychophysiologie –, et dans ses aspects élémentaires, c’est-à-dire neuronaux. Le père d’Alfred Fessard, Louis Constant Fes- sard, imprimeur à Montmartre, destine son fils à sa succession en lui faisant suivre les cours de la Section Commerciale de l’Enseignement primaire supérieur, lorsqu’un de ses clients, le psychologue Jean-Maurice Lahy (1872-1943) le convainc de lui faire poursuivre ses études. Le jeune Fessard prépare alors le concours d’entrée à l’École nor- male d’instituteurs de la Seine à Auteuil, le rem- porte et entre dans cette école pour ne pas être à la charge de ses parents pendant la première guerre mondiale. Après la guerre, c’est lors de son service militaire à Paris que Fessard se lance dans des étu- des supérieures en préparant une licence ès scien- ces physiques en Sorbonne, et en suivant, selon les conseils de Lahy, les cours de physiologie de Lapic- que et Portier et ceux de psychologie de Piéron. Parallèlement à cette formation universitaire, il DOSSIER Neurosciences : essor et enjeux

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LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007 / 7

ALFRED FESSARDET LE RENOUVEAUD’UNE DISCIPLINEAlfred Fessard (1900-1982) est la figure emblématique de

l’émergence en France d’une nouvelle neurophysiologie après la

seconde guerre mondiale. Jean-Gaël Barbara retrace la vie et

l’œuvre de ce véritable visionnaire.

After World War II, Alfred Fessard (1900-1982) introduced a new

way in neurophysiology in France. Jean-Gaël Barbara recounts

this story and Fessard’s work.

La neurophysiologie à la françaiseJean-Gaël Barbara

Jean-Gaël Barbara estchargé de recherche auCNRS, membre dulaboratoire deneurobiologie desprocessus adaptatifs(CNRS, UMR 7102,université Paris VI/Pierreet Marie Curie) etchercheur associé aulaboratoire derecherchesépistémologiques ethistoriques sur lessciences exactes et lesinstitutionsscientifiques.

Pendant les premières décennies du XXe

siècle, la neuropsychologie est en perte devitesse, en particulier dans le cadre pari-

sien, par la prééminence de l’école de Louis Lapic-que (1866-1952) en Sorbonne, alors que la phy-siologie britannique se développe avec succès parles travaux de John Newport Langley (1852-1925),Charles Sherrington (1857-1952) et Edgar Dou-glas Adrian (1889-1977). Alfred Fessard a assuréune transition à la fois scientifique et institution-nelle entre ses maîtres Louis Lapicque, Paul Por-tier (1866-1962), en physiologie, Henri Piéron(1881-1964), en psychologie, et sa jeune écoled’électrophysiologie qui prend véritablement nais-sance avec la constitution d’un centre CNRS d’étu-des de physiologie nerveuse et d’électrophysiologiedans un nouveau contexte international.

Une formation intellectuellealliant les extrêmes

Les années de formation d’Alfred Fessard sontremarquables. Elles expliquent en partie ses aspi-

rations, en apparence opposées, à comprendre lesystème nerveux à la fois dans sa dimension psy-chologique – par la psychophysiologie –, et dansses aspects élémentaires, c’est-à-dire neuronaux.

Le père d’Alfred Fessard, Louis Constant Fes-sard, imprimeur à Montmartre, destine son fils àsa succession en lui faisant suivre les cours de laSection Commerciale de l’Enseignement primairesupérieur, lorsqu’un de ses clients, le psychologueJean-Maurice Lahy (1872-1943) le convainc delui faire poursuivre ses études. Le jeune Fessardprépare alors le concours d’entrée à l’École nor-male d’instituteurs de la Seine à Auteuil, le rem-porte et entre dans cette école pour ne pas être à lacharge de ses parents pendant la première guerremondiale. Après la guerre, c’est lors de son servicemilitaire à Paris que Fessard se lance dans des étu-des supérieures en préparant une licence ès scien-ces physiques en Sorbonne, et en suivant, selon lesconseils de Lahy, les cours de physiologie de Lapic-que et Portier et ceux de psychologie de Piéron.Parallèlement à cette formation universitaire, il

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est introduit par Lahy au Laboratoire de physiolo-gie appliquée à la prophylaxie et à l’hygiène men-tale de l’EPHE que dirige Édouard Toulouse à Vil-lejuif. En 1926, le service de Toulouse de l’AsileSaint-Anne devient l’Hôpital Henri-Rousselle,dans lequel Fessard trouve un premier emploicomme aide technique du laboratoire d’ergono-mie de Lahy. Il y travaille ensuite sous la directiond’Henri Laugier (1888-1973) à l’analyse statisti-que des tests psychologiques d’orientation profes-sionnelle, ainsi que dans le domaine de l’électro-physiologie, notamment l’électromyographie.Fessard reconnaîtra plus tard l’influence de ce mi-lieu, dominé par des psychologues expérimentaux,dans ses intérêts pour une compréhension intégréedu système nerveux et des mécanismes cérébraux.

En 1927, Piéron le nomme préparateur dansson laboratoire de l’EPHE et luipermet de travailler avec DanielAuger, en particulier à la stationbiologique de Tamaris (Var), ainsiqu’au laboratoire rattaché à sachaire du Collège de France obte-nue en 1923. Daniel Auger est unélève de Lapicque qui a travaillédans la lignée de la biophysiquecellulaire américaine sur des algues géantes uni-cellulaires avec des techniques électrophysiologi-ques et microcinématographiques avec LucienneFrançois-Franck, épouse de Nicolas François-Franck (1849-1921), professeur au Collège deFrance. Ce courant de recherche est favorisé parLouis Lapicque dont les autres élèves, commePaul Chauchard (1912-2003), étudient égale-ment les lois de l’excitabilité nerveuse et muscu-laire. Ensemble, Fessard et Auger réalisent des étu-des variées, allant de la psychophysique desinvertébrés à des mesures élémentaires de poten-tiels d’action nerveux en 1926 – qui représententune première en France –, en passant par des étu-

des de l’organe électrique de la Torpille. Fessarddevient donc aussi, dès ses premières années de re-cherche, un partisan des études élémentaires et unadmirateur du champion britannique du do-maine, Edgar Adrian.

Influence britannique et nouvellephysiologie nerveuse au Collège de France

Dès le début des années 1930, Piéron obtientun soutien financier de la fondation Singer-Poli-gnac pour équiper une « maison d’acier » per-mettant des mesures électrophysiologiques dansun environnement blindé et électriquement isolé.Fessard y introduit en France l'usage d'oscillogra-phes à cadre mobile et miroir (utilisés commegalvanomètres) en physiologie et enregistre dès1932 des potentiels d’action par un oscillographe

de Dufour dans l’organe électriquede la Torpille. Il poursuit en paral-lèle ses travaux de physiologie ner-veuse qui aboutissent à sa thèse desciences sur les propriétés rythmi-ques de la matière vivante : nerfsisolés myélinisés et non myélini-sés. L’année précédente, Auger asoutenu la sienne sur la comparai-

son entre la rythmicité des courants d’action cel-lulaires chez les végétaux et chez les animaux.Pendant cette période, Fessard collabore aussiavec Angélique Arvanitaki (1901-1983), brillanteélève de l’école lyonnaise de physiologie d’HenriCardot (1886-1942) à la faculté des sciences deLyon, sur la synchronisation d’acticités rythmi-ques dans des nerfs isolés. L’attrait pour la physio-logie nerveuse d’Adrian est perceptible dans la dis-cussion des modèles des activités nerveusesautorythmiques.

L’électro-encéphalographie est un autrethème que Fessard introduit, après les travaux deHans Berger (1873-1941), parmi les premiers en

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La neurophysiologie à la française

Alfred Fessard. D. R.

nOUVELLEPHYSIOLOGIE

NERVEUSE

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France dès 1934, en même temps ou peu de tempsaprès Alphonse Baudouin à l’hôpital Sainte-Anne.La contribution de Fessard dans ce domaine est si-gnificative de la tension qu’il maintient entre laphysiologie élémentaire et celle des centres ner-veux : « avec l’électroencéphalogramme hu-main, dit Fessard, ses multiples rythmes d’ori-gine incertaine et leurs variations, corrélativesde changements déterminés dans l’attitudementale du sujet, j’étais à nouveau placé enface d’une manifestation globale et complexede la vie. J’étudiais quelques-unes de ces corré-lations et découvris, en 1935, que les varia-tions du rythme alpha sont conditionnables[…] ».

C’est assez naturellement que Fessard pour-suit sa carrière dans le contexte britannique quimaintient une grande avancée, tant sur le plantechnique que scientifique. Alors que Fessard dé-laisse l’électromètre de Lippmann pour l’oscillo-graphe de Dubois et celui de Dufour, Brian Mat-thews construit au laboratoire d’Adrian unnouveau système d’enregistrement basé sur unpetit oscillographe à cadre mobile, relié à une ca-méra, qui reste compétitif jusqu’aux développe-ments de l’électronique après la seconde guerremondiale. En 1937, Fessard se tourne vers le do-maine des récepteurs de la peau, des organes dessens et des muscles, domaine initial d’Adrian.

En se remémorant cette période, Fessard écritdans les années 1960 : « je réalisai alors uneétude microphysiologique dans l’esprit del’école de Cambridge sur les messages sensitifsqui proviennent des récepteurs d’étirement desmuscles. » Fessard obtient une bourse de la Fon-dation Rockefeller pour passer six mois en Angle-terre, à Plymouth, au laboratoire de la MarineBiological Association, pour travailler avec lezoologiste Sand sur les réponses de récepteurs detension de la nageoire pelvienne de la raie en uti-lisant l’oscillographe de Matthews.

Lorsqu’il rentre en France, Fessard poursuitson travail expérimental avec un oscillographe deDubois en adoptant un système expérimental entous points équivalent à celui de Matthews. La le-çon britannique peut être exploitée en France.Mais bientôt, Fessard retourne en Angleterre pourcollaborer avec le neurophysiologiste Francis Ech-lin sur la stimulation à haute fréquence des récep-

teurs d’étirement d’un muscle pouvant synchro-niser les décharges musculaires.

D’un laboratoire à un autre, Fessard est à sonaise dans cette microphysiologie britannique qu’ilacquiert sur différentes préparations et une instru-mentation de pointe qui dépasse les frontières deséquipes de recherche sous l’impulsion d’Adrian.En 1939, une nouvelle bourse de la fondationRockefeller est attribuée à Fessard. Elle lui permetde passer à nouveau quatre mois en Angleterrepour travailler cette fois directement dans le dé-partement de physiologie de Cambridge, sous ladirection de Brian Matthews. Fessard réussit à en-registrer des potentiels unitaires de racines dorsa-les de moelle épinière qu’il dénomme « synapticpotentials », une terminologie encore actuelle.

Cette même année – 1939 –, Fessard met enplace une collaboration internationale à la sta-tion de biologie marine d’Arcachon avec deuxchercheurs juifs allemands fuyant l’Allemagnenazie, Wilhelm Siegmund Feldberg (1900-1993)et David Nachmansohn (1899-1983). Ensemble,ils démontrent la nature cholinergique de latransmission dans le lobe électrique de la Torpille,en faveur de la théorie chimique de la neurotrans-mission que Lapicque accepte alors timidementdans certaines structures nerveuses comme lesganglions. Cet épisode est un acte français d’ou-verture internationale que Fessard met en placeaprès ses séjours au Royaume-Uni.

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Poisson torpille dont l'organe électrique a été utilisé pour isoler le récepteur del'acétylcholine.

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La seconde guerre mondialeÀ la veille de la guerre, vers la fin de l’été, Fes-

sard s’installe dans l’ancien Institut Marey. Il s’agitd’un pavillon construit par Étienne Jules Marey(1830-1904) pour héberger une commission decontrôle d’instruments graphiques utilisés en phy-siologie. Grâce à Piéron et ses liens avec la fonda-tion Singer-Polignac, Fessard peut acheter du ma-tériel électrophysiologique et peut égalementcompter sur Pierre Noguès (1878-1961), ancienmécanicien de E. J. Marey, qui lui procure des élec-tromètres à corde de précision.

La déclaration de guerre et la mobilisationont pour conséquence le déménagement des per-sonnels de Piéron au service d’inspection médico-physiologique des forces de l’air à Mérignac, prèsde Bordeaux. En 1941, survient le décès del’épouse de Fessard, Annette Baron. L’année sui-vante, Fessard collabore avec Auguste Tournay(1878-1969) sur des patients atteints de poliomyé-lite. Il l’aide à fonder un laboratoire d’électrophy-siologie appliquée à cette pathologie, et se remarieavec Denise Albe (1916-2003) qu’il recrute sur unposte de technicienne au CNRS.

Le Centre CNRS d’études de physiologienerveuse et d’électrophysiologie

Après la guerre, Fessard est invité par Adrian àla Physiological Society à Oxford où David Whit-teridge (1912-1994) lui fournit des composantsélectroniques essentiels pour réaliser, à l’InstitutMarey, les amplificateurs et stimulateurs nécessai-res en électrophysiologie. Ceux-ci sont construits

par Denise Albe-Fessard, ingénieur-physicien, et Pierre Buser, norma-lien licencié en sciences physiques,ayant acquis des connaissances enélectronique comme officier detransmission.

En 1946, Fessard est envoyé enmission officielle pour visiter lescentres américains de neurophysio-logie. Alors qu’il collabore l’année

suivante au Brésil avec des chercheurs s’intéres-sant à la neurophysiologie de poissons électriquesd’Amazonie, le CNRS le nomme directeur d’uncentre CNRS de neurophysiologie dont laconstruction est reportée, et qui est installé tempo-

rairement dans l’Institut Marey, avec le soutiend’Émile Terroine, professeur de physiologie àStrasbourg et Georges Jamati, directeur adjoint duCNRS.

En 1949, Piéron propose le rattachement del’Institut au Collège de France, comme au tempsde Marey. La même année, Fessard est nomméprofesseur au Collège de France et Piéron prend saretraite. Entre Lapicque et Fessard, il faut souli-gner ce que l’Institut doit à Henri Piéron pour laréussite d’une transition institutionnelle peu évi-dente qui fut également favorisée par Henri Lau-gier, premier directeur du CNRS.

Il est étonnant de constater combien le labo-ratoire de Fessard a pu se développer rapidement etavec une telle vigueur pendant une période aussicourte et aussi difficile que l’immédiat après-guerre. Dès la fin des années 1940, Jacques Paillard(1920-2006), Ladislav Tauc (1926-1999), JeanScherrer et Thomas Szabo ont rejoint l’Institut etmultiplient leurs travaux d’électromyographie,d’électroencéphalographie et d’enregistrementsintracellulaires à l’aide de micropipettes en verre.Ces succès sont dus à l’étonnante personnalité deFessard qui sait encourager selon les talents dechacun de jeunes chercheurs venus d’horizons dif-férents. L’Institut devient dès ses débuts un centrede développement de nouvelles techniques électro-physiologiques, mais aussi de formation scientifi-que selon ses statuts rédigés par le CNRS. Pierre Bu-ser mentionne que « Fessard sut l’organiser,l’animer, le diriger durant vingt-cinq années,en faire un pôle d’attraction et une pépinière dejeunes chercheurs français et étrangers. »

Professeur au Collège de France, membre del’Académie de médecine et de l’Académie dessciences en 1963, Alfred Fessard a réuni les condi-tions scientifiques et institutionnelles pour créerune école de neurophysiologie française de hautniveau international. Les années 1965-1966 mar-quent le pic d’activité de l’Institut. Le Centre CNRSassocie alors le Laboratoire de neurophysiologiegénérale du Collège de France et le Laboratoire dephysiologie des centres nerveux de la Faculté dessciences dirigé par D. Albe-Fessard. L’Institutcompte alors pas moins de seize postes d’enregis-trement électrophysiologique et comprend six dé-partements : physiologie des centres cerveux (D.

dESCHERCHEURS

DE TOUSHORIZONS

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Albe-Fessard), psychophysiologie du comporte-ment (J. Delacour), psychophysiologie sensorielle(Y. Galifret), neurophysiologie sensorielle compa-rée (T. Szabo), neurophysiologie cellulaire(L.Tauc) et neuropharmacologie biochimique (J.Glowinski). J. Glowinski, un étudiant de D. Albe-Fessard, avait été envoyé par ses soins chez JuliusAxelrod. À son retour, Fessard lui permet de mon-ter un laboratoire de neurochimie au Collège deFrance qui dépend du Centre de l’Institut Marey.Outre ses chercheurs statutaires, l’Institut reçoit lavisite de nombreux chercheurs français et étran-gers, parmi lesquels Jacques Stinnakre, HenriKorn et Paul Feltz.

Le legs d’Alfred FessardLa communauté des neuroscientifiques doit

rendre hommage à Alfred Fessard pour avoir crééses bases en quelques décennies. La société desneurosciences l’honore chaque année en décer-nant sa Lecture Alfred Fessard à un neuroscien-tifique éminent. Alfred Fessard doit aussi retenirl’attention non seulement pour ses recherchespionnières, mais aussi pour sa réflexion théori-que. Avant l’essor de la cybernétique, Fessard estattentif aux modèles du fonctionnement nerveuxpar aiguillage des influx dans les voies nerveuses,leur distribution sélective, avec une attention par-ticulière pour le concept de codage. Même si Fes-sard garde une distance avec la cybernétique, etplus généralement avec la science des modèles, iltisse des relations d’amitié avec le fondateur de cemouvement, Norbert Wiener (1894-1964), et leneurophysiologiste Warren McCulloch (1899-1969) qu’il invite tous deux à l’Institut Marey.Fessard participe en 1951 au grand colloque inti-tulé Les machines à calculer et la pensée hu-maine organisé par le CNRS sous la direction dumathématicien Louis Couffignal. Fessard soutientles efforts d’André Hugelin et du docteur Barbizet,sensibles à la cybernétique, en participant parexemple, avec un jeune chercheur, Michel Meul-ders, au colloque français de cybernétique médi-cale de Nice (1966).

C’est dans les années 1950 et surtout 1960que Fessard développe ses réflexions théoriquesdans le cadre de la cybernétique. Il faut mention-ner sa remarquable contribution souvent citée,

intitulée Mechanisms of nervous integrationand conscious experience de 1953, au colloquede Sainte Marguerite (Laurentides, Canada). Lacybernétique est pour Fessard un moyen de ques-tionner théoriquement les fonctions du cerveau,la pensée et la conscience, même s’il regretteraplus tard que ce monopole accordé a freiné le dé-veloppement de modèles plus proches de l’expéri-mentation. Enfin, sur le plan des relations inter-nationales, les années 1960 sont aussi cellesdurant lesquelles Fessard entre à l’Académie dessciences et participe à la fondation de l’organisa-tion internationale de recherches sur le cerveau,l’IBRO, dont il devient membre du comité exécu-tif et du conseil central.

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La neurophysiologie à la française

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Le Club d’histoire des neurosciencesLe Club d'histoire des neurosciences* (CHN), créé le 9 décembre 2005, vise, dans

tous ses projets, à fédérer des historiens des neurosciences, français ou étrangers, deshistoriens et des philosophes des sciences. En mettant à leur disposition de nouvellesressources numériques ou archivistiques et en publiant des travaux de recherche ori-ginaux. Parmi les thèmes déjà abordés, l'histoire du neurone, l'histoire de l'hypophyse,l'invention de la maladie d'Alzheimer et les origines behavioristes des neurosciences.Suivra la neuropathologie.

Le CHN développe des partenariats et des collaborations avec plusieurs institutions,dont la bibliothèque interuniversitaire de médecine qui assure l'hébergement et lemaintien de son site internet (http://www.bium.univ-paris5.fr/chn). Et s’est lancé dansdes projets d’envergure comme plusieurs campagnes de numérisation de textes d'an-ciens neuroscientifiques et la rédaction de notices (ex. : les textes français de Ramóny Cajal, http://www.bium.univ-paris5.fr/histmed/medica.htm ou http://gallica.bnf.fr).

Des liens avec certains laboratoires d'histoire des sciences du CNRS, notamment leREHSEIS, permettent l'organisation de journées de travail communes. Le CHN s’est rap-proché de la société internationale d'histoire des neurosciences (International Societyfor the History of the Neurosciences, http://www.ishn.org), avec l'idée de participer ac-tivement à son colloque annuel en 2008 à Berlin, et d’organiser d'un colloque à Parisdans un avenir proche. Un programme d'échange franco-russe en histoire des neuros-ciences démarre avec le soutien financier du CNRS et de l'agence russe pour la recher-che fondamentale. Un colloque sur les physiologistes russes et leurs relations avec laFrance aura lieu les 17 et 18 avril 2008 à Paris.

* Les membres fondateurs, sociétaires ou non : Jean-Gaël Barbara, Alain Berthoz, Pierre Buser,André Calas, Céline Chérici, François Clarac, Claude Debru, Jean-Claude Dupont, Marc Jeannerod,Jean-Claude Lecas, Jean Mariani, Jacques Paillard, Monique Rogard, David Romand et DanièleTritsch. En 2007, le CHN, riche d'une cinquantaine de membres, s'est ouvert à des membres étran-gers, ainsi qu'à des historiens de la neurologie clinique. Il comprend, outre des chercheurs ayantcessé leur activité de recherche scientifique, des jeunes chercheurs en neurosciences.

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u Pouvez-vous retracer votreparcours ?Denise Albe-Fessard. Fraîchement

diplômée en 1937, j’ai travaillé un an dansl’industrie sans grand enthousiasme. Je mesuis alors tournée vers la recherche acadé-mique et suis devenue l’assistante techni-que de Daniel Auger à la Caisse nationaledes recherches scientifiques 1. Ma forma-

tion de physicienne et ma connaissance desméthodes d’enregistrement des impulsionsm’ont beaucoup servi. Daniel Auger m’aensuite envoyée à Bordeaux pour épaulerson frère malade. Mon travail consistait àécouter les avions allemands et à les diffé-rencier des autres types d’avions d’après lessonorités. Une fois l’armistice signé, j’ai dû,faute de moyens, retourner à Paris où j’aicommencé à travailler comme technicienneà l’Institut Marey.

u Quel était le lien entre lelaboratoire d’Alfred Fessard et leCNRS ?D.A.-F. Alfred Fessard, élève d’Henri

Piéron au Collège de France, a obtenu le ti-tre de directeur à l’EPHE. L’Institut Mareyétait un bâtiment construit à la demande dela Société internationale de physiologie parÉtienne Jules Marey pour héberger unecommission de contrôle des instrumentsgraphiques dédiés à la physiologie. Cettesociété recevait des fonds d’Angleterre,d’Italie, de Russie.

En outre, l’Institut Marey vivait des cré-dits du Collège de France, de l’EPHE et duCNRS qui attribuait des subventions per-sonnelles à ses chercheurs. J’avais unebourse de recherche dont le montantn’était guère élevé et qui était incluse dansnos traitements personnels.

Pierre Buser. Jusque dans les années1970, quand on nous versait les crédits, onnous demandait d’ouvrir un compte propreau CNRS distinct de notre compte personnel.

Pour la communauté française des neurosciences, l’Institut Marey, petit pavillon du début du siècle détruit en 1978, n’a

pas encore livré tous ses mystères. Depuis les années 1900 jusqu’à la création en 1947 d’un Institut du CNRS, plusieurs

générations de chercheurs s’y sont succédé. Parmi eux, trois acteurs pionniers, que le Comité pour l’histoire du CNRS a

eu l’honneur de rencontrer le 21 janvier 2000. Denise Albe-Fessard, Pierre Buser et Robert Naquet se livrent ici en toute

liberté de ton. Extraits.

For the French neurosciences community, the history of the Marey Institute is still a mystery. On the 21st of January 2000,

the Committee for the history of CNRS met three pioneers of French neurosciences, Denise Albe-Fessard, Pierre Buser

and Robert Naquet.

L’institut Marey, les dessous de l’histoire

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DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

1. Qui deviendra le CNRS que l’on connaît.

Les acteurs• Denise Albe-Fessard, diplômée de l’École de physique et chimie de la Ville de Paris, fut, dès les

débuts, associée aux travaux de l’Institut Marey et épousa Alfred Fessard qui dirigea dans ce

bâtiment le Centre d’études de physiologie nerveuse et d’électrophysiologie. Elle est décédée

en 2003.

• Robert Naquet a dirigé le Laboratoire de physiologie nerveuse du CNRS à Gif-sur-Yvette. Mé-

decin et neurobiologiste, il a consacré l’essentiel de ses travaux à l'étude des épilepsies. Il est

décédé en 2005.

• Pierre Buser, neurobiologiste, est professeur émérite à l’université Paris VI et membre de l’Aca-

démie des sciences. Il a dirigé l’institut des neurosciences du CNRS à Jussieu.

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u Pendant la guerre, Alfred Fessardtravaillait sur le mouton.D.A.-F. Nous travaillions sur la vitesse

de conduction dans les nerfs des grenouilleset des très jeunes animaux. En 1943-44,René Couteaux a fait installer un veau dansun champ jouxtant l’Institut. Nous avonsdécoupé le veau, extrait le nerf, mesuré la vi-tesse de conduction. Puis, nous l’avons par-tagé entre les personnes présentes 2.

u Pierre Buser, quel a été votreparcours ?P.B. Après l’École normale supérieure et

l’agrégation de biologie en 1945, – l’agré-gation des démobilisés –, je me suis mis enquête d’un laboratoire. Mes recherches pré-cédentes sur le cancer ne m’avaient guèrepassionné. En passant l’agrégation, alorsque je prononçais ma leçon principale, j’aieu un véritable coup de foudre pour le sys-tème nerveux. Je me suis mis en tête d’alleren Suisse, chez Marcel Monnier, professeurde physiologie à Zürich. Faute de recevoirune bourse de recherche, et malgré la lettrede recommandation d’Alfred Fessard, j’ai dûrenoncer à mon projet helvète.

Au même moment se jouait en France lesociodrame de la physiologie : d’un côté,Al-fred Fessard à l’Institut Marey, de l’autre, lepersonnel de la Sorbonne qui, m’accueillantcomme assistant, voyait d’un mauvais œilque j’aille chez lui.

D.A.-F. La Sorbonne était sous l’em-prise de Louis Lapicque, un homme certai-nement très intelligent, mais qui ne connais-sait pas les techniques modernes. Trèsautoritaire, Lapicque avait défini la notionde chronaxie 3 et en avait fait la base de tou-tes ses théories. Or, si la chronaxie s’appli-que aux liens périphériques, elle s’adaptemal aux commandes nerveuses venant ducentre. Alfred Fessard, conscient des dys-fonctionnements, décide d’aller travaillerchez Piéron, au Collège de France, le sempi-

ternel rival. C’était soit s’incli-ner devant la chronaxie, soits’en aller.

P.B. Ce « mandarin » aessayé de « m’attirer dansses filets ». À l’inverse, d’autres comme Ro-bert Lévy se sont employés à m’écarter deLapicque.Arrivé chez Fessard, je suis devenuassistant à la Faculté des sciences et faisaisdes travaux pratiques rue Cuvier, pour lesmédecins, futurs médecins. Mon laboratoirese situait à l’Institut Marey. Mon patron derecherches à l’université était Alfred Fessardet mon patron pour l’enseignement étaitRené Couteaux.

u Ladislav Tauc est arrivé en 1947.Dans quelles circonstances ?P.B. Ladislav Tauc était en thèse d’élec-

trophysiologie végétale au laboratoire dephysiologie de l’ENS et travaillait sur despousses de blé. Sur les conseils de RobertLévy, je l’ai emmené à l’Institut Marey poursoutenir sa thèse avec Fessard et AlexandreMonnier. Il est ensuite retourné en Tchéco-slovaquie pour en revenir ensuite et entrerau CNRS.

D.A.-F. Le nerf de la guerre, ce n’étaitpas tant le manque de matière grise, maisl’argent nécessaire au bon fonctionnementde la recherche.

u Comment l’institut Fessard a-t-ilintégré le CNRS ?D.A.-F. Nous avions de très bonnes re-

lations avec nos collègues brésiliens. Monmari avait étudié les poissons électriques àArcachon et avait travaillé avec Carlos Cha-gas Filho à Rio. Ce dernier nous a invités en1947. Avant de partir, j’ai mis de l’ordredans les comptes… La situation était telleque l’argent du CNRS ne suffisait plus etque nous devions puiser dans notre argentpersonnel. Il fallait impérativement créer unlaboratoire au CNRS. Sur les conseils

d’Émile Terroine, j’ai ex-posé à Georges Jamatil’état du laboratoire. Taucétait déjà là, Buser aussi.Jamati a fait créer le centre

d’études en juillet 1947.

u La création du laboratoire vousassurait des crédits récurrents,alors qu’auparavant les créditsétaient conjoncturels.D.A.-F. En effet. Le CNRS de l’époque

était une famille, peu nombreuse. Et les col-lègues rescapés de la guerre avaient uneconfiance réciproque et s’entraidaient. Ter-roine à Strasbourg, Hermann à Lyon, Morinnous ont apporté leur soutien. Jacques Pail-lard est arrivé à ce moment et Tauc étaitdéjà revenu de Tchécoslovaquie.

u Avez-vous reçu du matérielprovenant d’Allemagne ou del’armée américaine ?P.B. Les usines Berliet ayant collaboré

pendant la guerre sont devenues, en repré-sailles, un lieu de dépôt de matériel pour lestroupes américaines. Yves Laporte, JeanScherrer, Denise et moi-même y avons récu-péré du matériel chirurgical et dentaire, del’outillage pour la chirurgie osseuse surl’animal. Plus tard, nous avons bénéficiéd’aides américaines (le Colonel Henry del’US Air Force) pour acheter du matérielaméricain (caméras, oscilloscopes).

Robert Naquet. Dans les années1950-1955, différents laboratoires ont bé-néficié de ces aides : Fessard à Paris, Jouvetà Lyon, Gastaut à Marseille. De retour des

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DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

L’institut Marey, les dessous de l’histoire

2. Cette anecdote a été racontée par Henri Troyat dans Uneextrême amitié, Éd. La table ronde, 1963.

3. Son seul indice empirique d’excitation. La chronaxie estl’intervalle de temps nécessaire pour exciter un tissunerveux ou musculaire par un courant électrique dontl’intensité est le double de celle du seuil d’excitation.

dELA DIFFICULTÉ

À TROUVERDES CRÉDITS

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DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

L’institut Marey, les dessous de l’histoire

États-Unis en 1948, Gastaut a ramené unebourse Rockefeller et du matériel de recher-che dont un appareil de stéréotaxie : le pre-mier « Horsley-Clarke » 4.

P.B. Le modèle initial était conçu pour lesinge et existait en un seul exemplaire enAngleterre. Les expériences sur le cerveauont été rares avant la guerre. L’appareilaméricain, prévu pour le Chat ou pour leSinge, était beaucoup plus simple d’utilisa-tion. Il a été construit par Horace Magounqui travaillait avec Stephen W. Ranson àChicago.

u La préférence a été donnée aumodèle du Chat. Pourquoi ?P.B. Le Chien ayant été exclu pour des

raisons sentimentales, le Chat est vite de-venu un animal expérimental d’étude dusystème nerveux central. Tous les Chats ontdes coordonnées standard à deux excep-tions près : les Chats égyptiens et les Chatssauvages. Pour les Singes, on est obligé detravailler sur une espèce donnée, le Maca-que ou le Babouin.

R.N. Chez le Babouin, l’explorationd’une région cérébrale doit être complétéepar des radiographies. Examen inutile chezle Chat. Paul Dell est venu à Marseille en1951 et nous a appris à nous servir de l’ap-pareil de Horsley-Clarke que j’ai ensuite co-pié chez lui.

u Les recherches françaisesen physiologie étaient-ellessi en retard ?P.B. La recherche française en neurophy-

siologie était arrivée dans une impasse avecLapicque discrédité par les Anglo-Saxons.Alfred Fessard, très imprégné par ce constat,a eu le mérite d’introduire et de « cataly-

ser » la recherche en neu-rosciences, en particulier surle système nerveux central.

u Dans cette impulsion,le CNRS tient une placeimportante. D’autres institutionsont-elles joué un rôle ?P.B. La Sorbonne certainement pas. En

revanche, l’institut national d’hygiène, futurINSERM, alors dirigé par Louis Bugnard, acontribué à promouvoir les neurosciencesen France en envoyant des chercheurs auxÉtats-Unis. Scherrer et Laporte ont travailléavec Rafael Lorente de Nó et David P. C.Lloyd sur la moelle. Le Collège de Frances’est distingué en nommant Fessard profes-seur en 1949 et en lui attribuant une chairede neurophysiologie générale. Il faut rendrehommage aux Anglo-Saxons et surtout auxAméricains qui on fait preuve d’une grandegénérosité. Le colonel Henry de la US AirForce m’a dit un jour : « Je donne de l’ar-gent aux laboratoires français, est-ce quevous croyez que je dois en donner aussi auxRusses ? » Était-ce un signe de grandebonté ou de pure naïveté ? Nous étions enpleine guerre froide…

u Vous avez évoqué les Britanniqueset les Américains. Qu’en fut-il descollaborations avec les autrespays ?D.A.-F. Le premier voyage français en

Russie a eu lieu en 1947.P.B. Mais le premier contact avec les

Russes s’est établi à Moscou lors d’uncongrès en 1953-54.

R.N. Gastaut a organisé un congrès surle conditionnement électroencéphalogra-phique en 1956 à Marseille et a convié lesRusses. La fédération internationale d’élec-troencéphalographie a organisé un colloqueà Moscou en 1958, réunissant des Améri-cains, des Anglais et des Français. Certainespersonnes comme Sir John Eccles ont refuséd’y aller, à cause de la situation à Budapest.Le CNRS y a joué un rôle important. AlfredFessard et Herbert H. Jasper ont alors négo-

cié à l’UNESCO la créationd’une fédération internatio-nale, l’International BrainResearch Organization(IBRO).

P.B. Si les Américains nous ont apportédavantage sur le plan conceptuel que lesRusses, l’IBRO a été très salvateur pour cesderniers et pour les pays du bloc soviétique.C’était l’occasion pour eux de venir en Occi-dent, en particulier à Paris. À mon sens, larecherche en neurosciences russe est restéemédiocre. Seuls deux pays du bloc ont réa-lisé un travail exemplaire : la Hongrie avecLissak et János Szentágothai, et la Pologneavec Jerzy Konorski.

uMonsieur Buser, vous devenezprofesseur à la Sorbonne en 1955et vous madame, maître deconférences à la Sorbonne en 1957.Y a-t-il eu « rapprochement » entrele centre de Fessard et laSorbonne ?D.A.-F. Pour vous Pierre, c’était moins

difficile, car l’École normale vous protégeait.J’ai été présentée à la Sorbonne en psycho-physiologie et avais contre moi les élèvesd’Alexandre Monnier. Henri Laugier m’asoutenue. J’ai également reçu des témoi-gnages réconfortants de collègues physi-ciens.

P.B. Le patron de Denise, le ProfesseurAndré Soulairac, chef de service pour l’en-seignement, lui demandait de faire descours extravagants. Sans avoir jamais fait dezoologie de sa vie, elle a dû enseigner laclassification des animaux ! Il n’y a pas eude réconciliation avec la Sorbonne.

u Décrivez-nous la vie de l’institut.P.B. À l’origine, l’Institut Marey comptait

deux étages et les combles. Seules trois piè-ces étaient occupées par le laboratoire. Deschambres étaient prévues pour d’éventuelsvisiteurs. En trois ans, nous avons progressi-vement investi l’ensemble du bâtiment.Nous y sommes restés encore 25 ansjusqu’à la démolition des bâtiments 5.

4. Appareil de contention, de fixation de la têtede l’animal, construit par Sir Victor A.H. Horsley

et Robert H. Clarke dans les années 1910.

5. Jacques Chaban-Delmas, grand amateur de tennis envisite au stade Roland Garros, désignant l’institut commeune enclave a demandé : « Qu’est-ce que c’est que cette

vieille grange qui est là ? ». On connaît la suite.

lACRÉATIONDE L’IBRO

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DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

L’institut Marey, les dessous de l’histoire

En 1961, Marc Zamanski, doyen de laFaculté des sciences, et Alfred Jost, monchef de service et professeur de physiologie,m’ont dit : « Voilà les plans de votre futur la-boratoire à la Halle aux vins (Jussieu) ». J’aiquitté l’Institut Marey avec mon équipe etmon matériel.

R.N. Jacques Paillard et Michel Dussar-dier ont été nommés professeurs à Marseilleà l’Institut de neurophysiologie et de psy-chophysiologie. Angélique Arvanitaki les arejoints de Lyon. L’Institut Marey s’est peu àpeu séparé de son personnel.

u Ces départs massifs ont-ils signéla victoire de l’Institut Fessard surl’« ère » Lapicque ?R.N. En 1953,Alfred Fessard faisait déjà

figure de symbole. Jusqu’à sa retraite, il a euune influence énorme, en France et hors denos frontières. Denise a elle aussi énormé-ment œuvré pour les jeunes chercheurs.C’est elle qui a installé Jacques Glowinskien 1961 dans le laboratoire de son mari auCollège de France.

uMonsieur Naquet, votrecheminement est différent.Vous avez choisi la voie deshôpitaux puis êtes entré au CNRSen 1955. En 1961, vous êtesnommé maître de rechercheau CNRS et vous rejoignezle laboratoire d’Alfred Fessard.R.N. Le laboratoire avait mis au point

une électrode qui refroidissait le cerveau.Lors d’une présentation des premiers résul-tats sur le chat, je dis à Denise : « Il me fautcette électrode de froid ». Elle me répond :« Monsieur Naquet, vous devez venir tra-vailler chez moi ».

Entre 1961 et 1963, j’ai fait les allers-re-tours tous les mercredis, jusqu’à la fin de laconstruction de mon labora-toire à Marseille. Alfred Fes-sard était parti pour Gifquelques années aupara-vant rejoindre Tauc. Il pen-sait que son successeur au

Collège de France, Yves Laporte, prendrait lasuite à l’Institut. Un jour, après un comité dedirection de l’Institut de neurophysiologie etde psychophysiologie, Claude Lévy me dit :« Pourquoi ne viendriez-vous pas à Pa-ris ? »… Ma femme d’origine parisiennen’était pas très heureuse à Marseille. Quantà moi, j’ai toujours aimé relever des défis.Après maintes négociations et un rendez-vous avec Hubert Curien qui avait failli tour-ner au désastre, car j’avais renversé et casséun lampadaire, j’ai finalement pris mes nou-velles fonctions en 1972.

u Vos trois témoignages laissent àpenser que tout est pour le mieuxdans le meilleur des mondes. Quelregard critique portez-vous malgrétout ? Quelles ont été lesprincipales difficultés rencontrées,dans vos relations avec le CNRS, àl’intérieur de la communautéscientifique ou en dehors ?D.A.-F. Essentiellement une disparité

des origines et des formations. Le méprismutuel entre la physiologie centrale du cer-veau et la physiologie élémentaire créait destensions et des querelles. Je me souviensd’un ancien élève qui était bègue. Aprèsavoir été soigné, il a donné une conférencesur le système nerveux central. L’attaque parles élémentaristes a été telle, qu’à la fin deson exposé, il s’est remis à bégayer. Cette si-tuation était intenable.

P.B. La lutte entre la biologie moléculaireet la neurobiologie moléculaire d’un côté etla neurophysiologie intégrative de l’autre aconnu son apogée dans les années 1980.Puis, la neurophysiologie intégrative a prisdes allures de sciences de la cognition et laneurobiologie moléculaire a compris qu’ellene pouvait pas se passer des fonctions inté-gratives. Si la tendance actuelle est à la re-

construction, la neurophysio-logie intégrative recrute plusdifficilement que la neurobio-logie cellulaire et moléculaire.Peut-être pour des raisons dedélais de publications.

u La France a-t-elle finalementrattrapé son retard sur les États-Unis ?P.B. Malgré tout, la neuroscience fran-

çaise se porte bien, voire très bien. La phy-siologie française souffre davantage, excep-tion faite des neurosciences. Quand j’ai étédirecteur de l’Institut des neurosciences àl’université, j’ai essayé de maintenir la neu-roscience intégrative à un haut niveau.

R.N. Jusque dans les années 1970, l’his-toire de l’Institut Marey a eu un impactconsidérable sur l’histoire de la rechercheen France. Et puis, il y a eu un éclatement dela neurophysiologie et des neurosciences.Jean-Didier Vincent à Bordeaux, Jean-PierreChangeux, Philippe Ascher... la jeunesse apris le pouvoir...

P.B. Je voudrais faire un bref retour enarrière. Quand j’ai commencé en 1947, j’aiconstaté qu’il y avait des clans : les méde-cins, les non médecins, en particulier lesphysiologistes médecins, les physiologistesnon médecins, et les psychologues. Ils necommuniquaient pas entre eux. Cette situa-tion a perduré jusque dans les années1970-75. Ma grande fierté est d’avoir pris laresponsabilité d’un DEA de neuroscienceset d’y faire cohabiter des médecins, des phy-siologistes, des psychiatres, des psycholo-gues et des physiologistes non médecins.C’était dans l’air du temps. Les vieilles divi-sions, classiques et chroniques, en France,ont maintenant plus ou moins disparu.

u Qui prononce le mot de la fin ?D.A.-F. J’ai été nommée comme physio-

logiste à la commission de psychologie duCNRS. Malgré un accueil plutôt glacial, cer-taines inquiétudes et une animosité latentede la part de mon patron, nous avons réussià nous apprivoiser mutuellement. Les cho-ses finissent toujours par s’arranger…

D’après des propos recueillisle 21 janvier 2000

par le Comité pour l’histoire du CNRS.lA

FIN DEL’« ÈRE »

LAPICQUE

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L’INP, créé officiellement le 1er janvier 1963,fut initialement composé de sept départe-ments, quatre de neurophysiologie et trois

de psychophysiologie. Il en comprendrait dix, dixans plus tard. Si les choix du doyen Georges Morin(1903-1979), élève d’Henri Hermann (1892-1972) de l’école de physiologie de Lyon, ont inté-ressé la neurophysiologie, Jacques Paillard (1920-2006) a voulu créer un institut depsychophysiologie comme l’avait conçu son maî-tre Henri Piéron (1881-1964) afin de développerune nouvelle approche du psychisme qui permetteà la psychologie de prendre place dans les sciencesbiologiques. Basée sur une approche pluridiscipli-naire, la psychophysiologie devait prendre appuisur la physiologie, s’adresser à l’ensemble descomportements, humains mais aussi animaux,normaux et pathologiques. G. Morin sera le pre-mier directeur de l’INP. J. Paillard, son adjoint, ledeviendra en 1969. Les directeurs de départe-ments, connus du doyen Morin, venaient pour cer-tains de la faculté des sciences de Lyon, pour d’au-tres, du laboratoire que dirigeait à Paris, Pierre

Paul Grassé (1895-1985), un des cofondateursavec Henri Piéron (1881-1964) et Alfred Fessard(1900-1982) du certificat de psychophysiologie àla Sorbonne. Il n’y eut qu’un Marseillais, RobertNaquet (1921-2005).

L’organisation de l’INPL’organisation de l’INP assez révolutionnaire

pour l'époque, comprenait à coté des départe-ments, un ensemble très performant de servicestechniques, communs, placés chacun sous la res-ponsabilité d’un ingénieur ou d’un technicien(ITA). Le service d’animalerie et chirurgie dirigépar Pierre Lucciani (1935-1999) pouvait accueil-lir de nombreuses espèces animales dont des pri-mates. Il disposait d’une salle d’opération mo-derne. On comptait aussi un secrétariat dedirection, une bibliothèque, un service calcul, lamicroscopie électronique, le service d’histologie,celui de photographie, d’électronique, de radio-isotopes et de micromécanique.

Le conseil de laboratoire, présidé par son di-recteur, était l’élément clé du fonctionnement del’ensemble, se composant de représentants nom-més et élus des départements et d'élus du collègedes chercheurs et des ITA. Il délibérait sur la ges-tion de l’institut, la répartition des crédits, la ges-tion du personnel, et sur la politique scientifique.Au cours des conseils, J. Paillard faisait preuved’une grande patience ; les réunions pouvaientdurer la journée entière ; on y voyait se révéler lescaractères des uns et des autres et, en fin psycholo-

16 / LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007

DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

L’INSTITUT DE NEUROPHYSIOLOGIEET DE PSYCHOPHYSIOLOGIE (INP)DE MARSEILLE (1963-1986)Dans les années 1960, Pierre Drach, alors directeur adjoint du CNRS

pour les sciences exactes, préconise, dans le cadre du 3e plan, la

création d’un institut de psychophysiologie. François Clarac et Jean

Massion reviennent sur la genèse d’un institut qui profitait de la

décentralisation et de la présence d’un pôle fort en neurologie à

Marseille.

François Clarac and Jean Massion recount the creation of an institute

dedicated to psychophysiology and neurophysiology in the 1960s in

Marseille.

Quand le comportementdécouvrit les neurones…François Clarac et Jean Massion

François Clarac estdirecteur de rechercheémérite, membre del’unité « Plasticité etphysio-pathologie de lamotricité » (P3M).

Jean Massion estdirecteur de rechercheémérite au CNRS.

D.R

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LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007 / 17

DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

Quand le comportement découvrit les neurones…

1. Paillard J. « Système nerveux etfonction d'organisation ».In Psychologie, Piaget J., Mounoud P.,Bronckart J.-P., eds. Encyclopédiede la Pléiade, Gallimard, 1986,pp. 1378-1441.

2. Requin J., Rielhe A., Seal J.Neuronal activity and informationprocessing in motor control: fromstages to continuous flow. Biol.Psychol., 1988, 26(1-3), pp. 179-98.

3. Lanoir J., Plas R., Naquet R. Étudede neurophysiologie comparative detrois substances psychotiques.J. of Physiol., 1963, 55, pp. 281-282.

4. Mei N. Mécanorécepteurs vagauxdigestifs chez le chat. Exp. Br. Res.,1970, 11, pp. 502-514.

gue, J. Paillard, prenantun certain plaisir, concluait

là où il le voulait !

Le département de psychophysiologiegénérale

Dirigé par J. Paillard, ce départementconstituait à lui seul un laboratoire pluri-

disciplinaire comprenant des psycholo-gues, des psychophysiologistes, des

neurophysiologistes, des ingé-nieurs, des physiciens, etc.

Sa thématique scientifi-que consistait en l’étude spatio-temporelle descomportements moteurs et de leurs mécanismesneurophysiologiques, avec les concepts sous-ja-cents de programmation motrice, de rétroactionsensorielle, de l’organisation de l’espace et sastructuration par le mouvement actif. Ses travauxreposaient sur une réflexion théorique impli-quant la notion d’« auto organisation » du vivantet en particulier du système nerveux 1.

Dans ce cadre, les principales thématiquesportaient sur la préparation à l’action, le déclen-chement des programmes moteurset le guidage de l’action, le rôle dumouvement actif dans le sens de laposition et de la restructuration del’espace visuo moteur, dans l’orga-nisation de l’espace chez les jeunesaveugles, chez les handicapés mo-teurs et dans la modification desmessages cutanés qui accompa-gnent le mouvement actif. Deschatons élevés en lumière strobos-copique ont permis l'analyse du rôle de la visionpériphérique comparée à la vision centrale dans ledéveloppement du contrôle postural et dynami-que. Les études réflexologiques s’appuyaient dansce cadre général, sur le fuseau neuromusculairedont J. Paillard faisait un modèle exceptionnel derégulation. Son premier élève marseillais a étudiéchez le chat, le contrôle du cortex moteur sur lacommande fusimotrice statique et dynamique. Ila même fait analyser la locomotion du crabe pourla présence chez ce crustacé, d’un récepteur com-parable ce qui confirmait son intérêt pour les étu-des comparées des comportements.

Issu de ce département, Jean Requin (1938-1996) s’est vu confier en 1976 la direction du dé-partement de psychobiologie expérimentale. Il asu apporter dans l’analyse des processus de prépa-ration à l'action des solutions originales, mettanten parallèle le problème de la localisation desfonctions cognitives et l’activité des ensembles cel-lulaires neuronaux. L’équipe a abordé aussi l’ap-proche réflexologique de l’organisation du mou-vement, l’estimation du temps, la coordinationinter hémisphérique des activités bimanuelles etles processus attentionnels. En analysant l’activitéunitaire corticale chez le Singe, J. Requin aconstruit un schéma d’organisation modulairedes processus qui conduisent de la préparation àl’action 2.

Les départements de physiologieLe département de neurophysiologie appli-

quée a été dirigé par R. Naquet. Élève d’Henri Gas-taut (1915-1995), il a poursuivi sa formation chezGiuseppe Moruzzi (1910-1986) à Pise et chez Ho-race Magoun (1907-1994) à Long Beach. Il s’estainsi familiarisé avec le système réticulé activa-

teur et les phénomènes de veille, desommeil et de conscience. Il a dé-veloppé des études sur l’épilepsie etles drogues antiépileptiques et amis en évidence, chez le chat, l’ac-tion anticonvulsivante des benzo-diazépines, élément clé dans lesmédications antiépileptiques 3. Ladécouverte et l’étude de l’épilepsiephotosensible du babouin (Papiopapio) a été l’autre point fort de ses

recherches. Il a lancé des recherches sur l’hyper-barie avec la Comex et a décrit le syndrome ner-veux des hautes pressions. Sous-directeur de l’INP,il a quitté Marseille en 1973, pour prendre la di-rection de l’institut Alfred Fessard à Gif-sur-Yvette.

Le département de neurophysiologie végéta-tive, dirigé au départ par Michel Dussardier puispar Noël Méi, qui sera sous-directeur à partir de1977, s’est intéressé à l’exploration des récepteursvagaux et splanchniques, de leur projection cen-trale, de la motricité intestinale et de celle du car-dia 4. Il a favorisé les collaborations avec la facultéde médecine et la faculté d’odontologie et a ouvert

aCTION,PERCEPTION,MOUVEMENT

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la voie à un ensemble de recher-ches dans le domaine de la neuro-physiologie végétative dont il feraun pôle important.

Le département de neurophysiologie géné-rale a été confié au départ à Valentine Bonnet(1902-1988). Après une thèse sur la rythmicitécellulaire chez Henri Cardot (1886-1942) à Lyon,elle a rejoint Frédéric Brémer (1892-1982) àBruxelles, où ses travaux ont porté sur le cervelet,la réticulée et le cortex visuel. J. Massion, arrivé en1967, a repris le département et a été sous-direc-teur de l’INP de 1973 à 1977. Il a lancé des recher-ches sur la physiologie des voies motrices (voiespyramidale, rubrospinale, cérébello-thalamo-corticale et ganglions de la base) et sur la coordi-nation entre posture et mouvement, l’apprentis-sage et la pathologie 5.

Le département de neurophysiologie cellu-laire a été dirigé par Angélique Arvanitaki (1901-1983), puis par son mari, Nicolas Chalazonitis(1918-2004). Après une thèse également réaliséechez H. Cardot, A. Arvanitaki a travaillé à la sta-tion maritime de Tamaris-sur-Mer où elle a colla-boré avec A. Fessard. C’est là qu’elle a développé lemodèle de l’aplysie, avec ses neurones géants,dont elle a identifié les activités intracellulaires.Après la disparition d’H. Cardot, elle a poursuivi

ses travaux à la station océanographique de Mo-naco, obtenant une reconnaissance mondialepour son modèle d’invertébré 6. Les recherches dudépartement étaient centrées sur l’électrogenèsedes biomembranes.

Le département de neurobiologie comparéecréé au 1er janvier 1976 avec l’arrivée à Marseillede Maurice Moulins (1936-1995) à la faculté dessciences de Saint Charles, a regroupé un ensemblede chercheurs intéressés par les activités sensori-motrices des invertébrés et leur substrat neuroni-que jusqu’à son départ pour Arcachon en 1978 7.François Clarac, revenu à Marseille en 1988 a suc-cédé à J. Paillard lors de son départ à la retraite. Ils’est consacré principalement à l’étude des bases

neurobiologiques de la locomo-tion.

Les départementsde comportement

Le département du comporte-ment animal dirigé par ÉdouardDeleurance (1918-1990) compre-nait deux thématiques : l’étude dela nidation des guêpes polistes avec

une orientation éthologique et une orientationneuroendocrinienne, l’étude des coléoptères ca-vernicoles en recherchant les hormones régulantla mue de ces Insectes. Le rôle de l’épigenèse dansle contrôle du comportement de ponte a été pré-cisé 8, ainsi que l’approche endocrinienne ducomportement du Grillon 9. De formation mathé-matique, Henri Durup (1930-2002) a analysé lecomportement d’exploration du Hamster dorédans un labyrinthe à choix multiple. Il s’est vuconfié en 1973 le département de psychologie ani-male avec pour thème d’étude l’exploration etl’orientation dans l’espace de lieux et sa modéli-sation chez les rongeurs. Une telle approche a étédéveloppée aussi chez le Chien, le Chat et le Che-val. Une colonie de Babouins hébergée à Rousseta permis une étude de socio/éthologie chez le pri-mate.

Le département de psychophysiologie com-parée avait une orientation éthologique affirmée.Il a été dirigé par Georges Le Masne, qui assurait,l’enseignement de psychophysiologie comparée àl’Université. Le département développait les thè-mes suivants : le comportement social des Four-

18 / LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007

DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

Quand le comportement découvrit les neurones…

5. Massion J. The mammalian rednucleus. Physiol. Rev.,

1967, 47(3), pp. 383-436.

6. Arvanitaki A., Chalzonitis N.“Excitatory and inhibitory processes

initiated by light and infra-redradiation in single nerve cells”. InNervous inhibition, Florey E. ed.

Pergamon Press, 1961, Oxford,London, pp. 194-231.

7. Clarac F., Moulins M., Vedel J.-P.Rhythmical motor activity; centraland peripheral neurophysiologicalmechanisms. J. Physiol., 1977, 73,

n°4, pp. 405-616.

8. Gervet J. Oviposition et sarégulation dans la société

polygénique de polistes gallicus.Behaviour, 1965, 25 (3), pp. 221-233.

9. Strambi A., Strambi C. Étudehistochimique et ultrastructurale de

la sécrétion de péricaryonsneurosécrétoires de la pars

intercerebralis chez la guêpe poliste.Acta Histochemica,

1973, 46(1), pp. 101-109.

Premier conseil de l’institut en 1963. De gauche à droite : JacquesPaillard, Georges Morin et l’administrateur Dupuy.

D.R

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lAPSYCHOLOGIE

ANIMALE

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LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007 / 19

DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

Quand le comportement découvrit les neurones…

mis, le comportement sexuel des poissons amphi-bies périophthalmes, le comportement sexuel desisopodes terrestres et les rythmes d’activité loco-motrice des chilopodes et diplopodes. Des travauxmorphologiques et neurophysiologiques chez lecomportement antennaire des fourmis, ont aussiété développés 10.

Évolution de l’INP et quelques chiffresL’évolution de l’INP s’est concrétisée par le

dynamisme de la plupart des équipes et l’apportde nouvelles orientations. D’autres départementssont apparus comme celui d’André Calas et d’An-dré Niéoullon. À la tête du département de neuro-biologie cellulaire, de 1974 à 1981, A. Calas a in-troduit de nouvelles approches dans le domainede la morphologie par l’utilisation de la radioau-tographie, de l’immunocytochimie et du traite-ment d’images sur le modèle du neurone à séro-tonine. Il a décrit l’innervation sérotoninergiquede la moelle, celle de l’aplysie, la bipotentialité decertains neurones du raphé (sérotonine, GABA). A.Niéoullon, travaillant sur la plasticité du systèmedopaminergique nigrostrié, occupera le poste uni-versitaire de J. Paillard lors de sa retraite en 1989et dirigera le département de neurochimie fonc-tionnelle créé après l’INP. Nicolas Franceschini,arrivé à l’INP en 1979, a développé des modèlesadaptés de l’œil composé de la mouche et de sonsystème visuel. Ces études ont servi de point de dé-part à la réalisation de robots visuoguidés.

L’INP composé au départ de plus de 80 mem-bres (41 chercheurs, 46 ingénieurs et ITA) encomprendra 159 en 1967 (93 chercheurs et 66techniciens) et 184 la dixième année (104 et 80).Les dix années suivantes, environ 200 personnesseront présentes. En fait, un tel nombre ne montrepas le coté dynamique de cette population dontune grande partie n’était là que transitoirement.

Parmi les chercheurs, plus d’une cinquan-taine faisaient partie du CNRS. La productionscientifique des vingt ans, a représenté pour les dixpremières (1963-1972) : 20 doctorats d’État, 24thèses de 3e cycle et 226 articles scientifiques, etpour les dix suivantes (1973-1982) : 38 thèsesd’État, 48 thèses de 3e cycle et 542 articles scienti-fiques. Des journées thématiques et des colloquesinternationaux ont assuré le rayonnement del'institut.

La structure a du se réformer en 1986, en sedivisant en deux laboratoires, l’un dirigé par N.Méi étudiant les mécanismes plus cellulaires (lelaboratoire de neurobiologie, LNB), l’autre, com-posé d’équipes plus tournées vers la sensori-motri-cité et le comportement, le laboratoire de neuros-ciences fonctionnelles (LNF) dirigé par J. Massion.

Le rayonnement national et internationalL’évolution des concepts avait conduit au ni-

veau européen à créer une nouvelle société, l’Eu-ropean Brain and Behavior Society, dont J. Pail-lard a été l’un des membres fondateurs. Lapremière réunion a eu lieu à Marseille en 1969.L’INP, devenu lieu de passage pour les spécialistesdes fonctions sensori-motrices, était à l’époqueavec l’Institut für Hirnforschung de Zürich, dirigépar Konrad Akert, l’une des principales concentra-tions de scientifiques spécialisés dans ce domaine.Une telle réussite a permis l’organisation en 1973à Aix-en-Provence d’un grand symposium inter-national, intitulé « Comportement moteur et ac-tivités nerveuses programmées » 11.

Les échanges internationaux ont été trèsnombreux à cette époque, aussi bien avec la plu-part des pays d’Europe, qu’avec les États-Unis, leJapon et le Canada. L'INP comptait près de 15 %d'étrangers parmi ses chercheurs. Il y eut deséchanges privilégiés avec le Québec, initiés parYves Lamarre et par Jean-Pierre Cordeau, direc-

10. Masson C. Mise en évidence aucours de l'ontogénèse d'une fourmiprimitive (mesoponera caffraria),d'une prolifération tardive auniveau des cellules globuleuses(‘globuli cells’) des corps pédonculés.Z. Zellforsch, 1970, 106, pp. 220-231.

11. Paillard J., Massion J. Motoraspects of Behaviour. Comportementmoteur et activités nerveusesprogrammées. Brain Researchspecial issue, Elsevier, Amsterdam,1974, 71, N° 2, 3.

L’institut en 1963.

D.R

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Action automatisée de lamarche, programmée par le

cerveau, impliquant unereprésentation précise à lafois de l'espace corporel et

de l'espace des lieux.Analyse du mouvement à

l'aide du Système ELITE.© CNRS Photothèque

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Quand le comportement découvrit les neurones…

teur à l’époque du Centre de recherche neurologi-ques de l’université de Montréal. C’est d’ailleursau Québec que J. Paillard effectuera l’essentiel deses recherches après sa retraite. Les contacts avecles universités d’Oxford, l’école de Hans Kuypers(1925-1989) en Hollande, celles d’Anders Lund-berg en Suède, de G. Moruzzi en Italie, de K. Akerten Suisse, ont concrétisé l’intérêt pour la motri-cité. Des programmes d’échanges ont été établisavec des laboratoires des pays de l’Est, commel’école de Konorski, élève de Pavlov à Varsovie,comme les grands centres de recherche en Russiedérivés de l’école de Bernstein, et l’institut des ac-tivités nerveuses supérieures. C’est d’ailleurs dansdes réunions bisannuelles organisées par l’écolebulgare de physiologie à Sophia (Professeur Gant-chev), que pouvaient se rencontrer les scientifi-

ques occidentaux et orientaux évitant ainsi lacoupure pesante du rideau de fer.

ConclusionLe pari de J. Paillard de réaliser un institut

pluridisciplinaire de niveau international, a étéréussi. L’INP a bénéficié d’un environnement uni-versitaire de 2e et de 3e cycles, de qualité. Il a, enretour, apporté un potentiel d’accueil et de forma-tion essentiel aux structures universitaires et a fa-vorisé l’éclosion de nouvelles formations, commecelle de la faculté des sciences du sport à Lu-miny 12. Au total, alors que le concept de neuros-ciences émergeait à peine, l’INP a été un acteurpuissant dans l’évolution de la pensée scientifiquefrançaise et internationale dans les années 1960-1980.

12. Niéoullon A. « Marseille et lesneurosciences ». In Vingt six sièclesde médecine à Marseille. Serratrice

G. éd. Jeanne Lafitte, Marseille,1996, pp. 707-715.

Deux figuresDeux figures se détachaient à la faculté de médecine en neurologie,

Henri Gastaut (1915-1995), célèbre dans le monde entier pour ses travaux en

électroencéphalographie, et le professeur Georges Serratrice qui analysait les

maladies dégénératives neuro-musculaires.

À la faculté des sciences de Saint-Charles, le Professeur Paul Benoît, qui

avait créé un laboratoire de physiologie sur les fibres nerveuses et musculai-

res, a favorisé, en 1957, l’installation de J. Paillard, nommé professeur de psy-

chophysiologie et en 1960, celle de M. Dussardier, professeur de neurophysio-

logie. Ces nouveaux laboratoires universitaires s’installeront peu de temps

après, au nord de Marseille sur le campus de Saint-Jérôme. J. Paillard, rem-

placé par Maurice Hugon, quittera ses fonctions en 1967 pour devenir profes-

seur à Luminy.

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ANTOINE RÉMOND, DE L’ORIGINE AUX NAPPESSPATIO-TEMPORELLESAntoine Rémond (1917-1998) fut l’un des pionniers en France des développements de

l’électroencéphalographie (EEG). Ses travaux ont permis de lier l’évolution de ces

techniques, leur application à la clinique et la recherche fondamentale. Céline Cherici et

Jean-Gaël Barbara font le récit d’un parcours hors norme.

Céline Cherici and Jean-Gaël Barbara relate the story of Antoine Rémond who developed

electroencephalography in France. How he succeeded in connecting techniques, clinical

applications and fundamental research.

EEG, trois lettres pour percerles mystères du cerveauCéline Cherici et Jean-Gaël Barbara

Céline Cherici estdocteur enépistémologie ethistoire des sciences,chercheur associée aulaboratoire derecherchesépistémologiques ethistoriques sur lessciences exactes et lesinstitutionsscientifiques (CNRS,UMR 7596, universitéParis VII/Denis Diderot).

Jean-Gaël Barbara estchargé de recherche auCNRS, membre dulaboratoire deneurobiologie desprocessus adaptatifs(CNRS, UMR 7102,université Paris VI/Pierreet Marie Curie).

Antoine Rémond a créé à partir de 1948 unlaboratoire CNRS d’électroencéphalogra-phie fondamentale et appliquée à la clini-

que et en a fait l’un des centres internationaux lesplus importants de développement de cette tech-nologie avec l’optique de réaliser un jour uneimagerie fonctionnelle des activités cérébrales.Parmi les rencontres qui ont marqué Antoine Ré-mond, on peut citer celle avec Franck Offner,concepteur d’instruments EEG 1 utilisés en clini-que et en électrophysiologie, avec qui il publie sespremières études topographiques 2 des phénomè-nes électriques du cerveau. Si les voies technologi-ques mises au point ont fait l’objet de critiques dela part du CNRS, elles ont largement trouvé leursapplications dans le champ de la neurologie clini-que et ont permis la naissance d’une école d’ima-gerie fonctionnelle très vivante actuellement à laPitié-Salpêtrière 3.

Un oncle surprenantAntoine Rémond est né en Argentine en 1917

dans un milieu familial scientifique. Alors qu’ilpasse son baccalauréat, ses parents lui suggèrentde « faire sa médecine » ; il est alors fasciné par

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Appareil de stéréotaxie du début des années 1950.

1. En France, la construction de telsinstruments a été réalisée par lasociété Alvar.

2. Rémond A., Offner F.Études topographiques de l’activitéEEG de la région occipitale.Revue Neurologique,1952, 87, 2, pp. 182-189.

3. Laboratoire de neurosciencescognitives et imagerie cérébrale,CNRS, UPR 640, directrice : LineGarnero.

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l’étude des ondes cérébrales qui alimente alors lapresse. Lors d’une discussion, son père, chimiste,se souvient d’un oncle chef d’un service hospita-lier à Paris qui s’intéresse à ce thème de recher-che. Rémond se souvient de son invitation par sesparents de cet oncle, Alphonse Baudouin, profes-seur de pathologie générale à la faculté de méde-cine de Paris qui a également un service à l’Hôtel-Dieu. « C’était un très grand homme, ditRémond, avec un pince-nez, impressionnant,très prussien, se tenant parfaitement. Il avaitprésenté polytechnique et avait été reçu ; maisau dernier moment, il avait trouvé que celan’était pas très drôle et a fait sa médecine ».Ayant entendu parler des travaux de Hans Berger,il est allé le voir. Puis, à son retour à Paris, il atrouvé les moyens de mettre en place une instru-mentation d’électroencéphalographie, l’une despremières en France. Il a eu l’un des premiers ap-pareils du premier constructeur américain, AlbertGrass, un deux plumes (deux canaux d’enregis-trements), au moment où le jeune Rémond discu-tait pour la première fois avec son oncle. Après sonP.C.B. passé à Lille, Rémond est en première annéede médecine à Paris en 1936, et fréquente le ser-vice de Baudouin à l’Hôtel-Dieu en s’initiant à

l’anatomopathologie avec le très respecté et craintprofesseur d’anatomie André Hovelacque (1880-1939). Lorsque la guerre éclate, Rémond est ex-terne dans ce même service ; il a trouvé sa voie.

La seconde guerre mondialeEn 1941, Rémond, fait prisonnier par les Al-

lemands à Zuydcoote, réussit à s’échapper. Il passela guerre caché dans le laboratoire de pathologiede Baudouin à Sainte-Anne et découvre l’expéri-mentation électroencéphalographique avec lesépoux Fischgold qui ont déjà publié quelques ar-ticles avec A. Baudouin, R. Caussé et J. Lerique.D’un appareil à deux plumes et d’un autre à qua-tre plumes, le technicien du laboratoire parvient àréaliser un six plumes ; la cage de Faraday, trèsimpressionnante, est en treillis de cuivre. Rémonda aussi l’occasion de travailler à la fin de la guerreavec Pierre Puech, dans son nouveau service deneuro-psycho-chirurgie de Sainte-Anne soutenupar Baudouin, où il expérimente la psycho-chi-rurgie, mais aussi la localisation des tumeurs cé-rébrales par l’électroencéphalographie, après lestravaux pionniers de Grey Walter, et sur des pa-tients atteints d’encéphalites ou d’épilepsie. Alorsque les Fischgold doivent passer la ligne de dé-marcation grâce à Rémond, ce dernier, pourtantrecherché, reste seul à pratiquer l’électroencépha-lographie chez Baudouin, se résigne à ne pas pas-ser son internat, et soutient en 1945 sa thèse inti-tulée Introduction à l’électroencéphalographie.

Le voyage aux États-UnisC’est alors que le ministère des Affaires étran-

gères lance un appel d’offres pour des visites desgrands laboratoires américains destiné à quelquesbrillants étudiants de médecine. Appuyé par Bau-douin, Rémond saisit l’occasion de visiter les la-boratoires de Joseph Erlanger et Herbert Gasser, ouencore celui de Detlev Bronk, chez qui il passe fi-nalement plus d’une année à travailler sur lachute de l’oxygène sanguin au cours des crisesd’épilepsie, sous la direction de Phillip W. Davies.C’est dans ce laboratoire que Rémond fait la ren-contre de John C. Lilly qui réfléchissait alors à desmodèles physiques et topographiques des signauxélectroencéphalographiques en vue de localisa-tions corticales d’activités électriques anormales.C’est auprès de lui que Rémond comprit qu’il

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EEG, trois lettres pour percer les mystères du cerveau

Nappe spatio-temporelle représentant les courbes concentriques isopotentiellesen coordonnées spatio-temporelles permettant de lire

pour chaque région du scalp la cinétique du potentiel au cours du temps.

D.R

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EEG, trois lettres pour percer les mystères du cerveau

s’intéresserait désormais à la topographie céré-brale étudiée par l’électroencéphalographie. Il re-tournera plus tard une année aux États-Unis, en-tre 1951 et 1952, à Chicago dans le laboratoire deWarren McCulloch pour se former à la représenta-tion en deux dimensions des Laplaciens, et parti-cipera aux conférences de cybernétique de la fon-dation Macy présidées par ce dernier.

Le début de carrière au CNRSEn 1946, Rémond est recruté comme sta-

giaire, puis passe attaché de recherche au CNRS.Le premier congrès international d’électroencé-phalographie a lieu à Londres en 1947, et Ré-mond en profite pour visiter le laboratoire de GreyWalter à Bristol, pionnier de l’électroencéphalo-graphie, chez qui il fait la connaissance du neu-rologue de Marseille, Henri Gastaut, qui pratiquel’électroencéphalographie pour le diagnostic cli-nique des épilepsies. En 1948, Théophile Alajoua-nine (1890-1980), cinquième successeur de Char-cot à la chaire des maladies du système nerveux,lui permet d’installer son propre laboratoired’électroencéphalographie et de neurophysiologieappliquée (Lena), soutenu par le CNRS. C’estaussi l’année où naît la société française d’élec-troencéphalographie dont Rémond est le secré-taire en France.

L’année suivante, Henri Gastaut désigne Ré-mond et Alajouanine pour l’organisation dudeuxième congrès international d’électroencé-phalographie à Paris qui voit naître la Fédérationinternationale d’électroencéphalographie.

Les grands axes de rechercheRémond démarre sa carrière chez Baudouin

comme épileptologue grâce à l’électroencéphalo-graphie, mais pas seulement, puisque avec l’aidede son père chimiste, il produit une nouvelle mé-thyl-hydantoïne qu’il teste sur des patients épilep-tiques, puis la commercialise, et qui présente unmoindre degré de toxicité que pour le traitementclassique. C’est dans le cadre de ces recherchesque Rémond poursuit son projet chez Bronk sur ladiminution du taux d’oxygène sanguin au coursdes crises épileptiques. De retour des États-Unis,Rémond développe quelques thèmes de recherchede Baudouin, en particulier ceux entamés avec leneurochirurgien Puech décédé en 1949, concer-

nant le développement de la stéréotaxie humaine,en parallèle des recherches pionnières de Jean Ta-lairach, le véritable initiateur en France de ce do-maine. Grâce à ses contacts avec John Lilly (quil’initie aux analyses topographiques), Grey Walter(pionnier des techniques d’analyse électroencé-phalographique), Warren McCullock (utile pourles aspects mathématiques) et Franklin Offner(pour l’électronique), Rémond développe son

propre système d’analyse des activités électroencé-phalographiques qu’il dénomme « matide »,pour « méthode d’analyse et de traitement intégrédes données électroencéphalographiques ». Cettetechnologie avancée est appréciée et saluée par sescollaborateurs américains. Elle doit permettre àterme la localisation et la détection de synchro-nies des activités cérébrales normales et patholo-giques (foyers épileptiques et tumeurs). Un appa-reil d’analyse des phases et un moyenneur dusignal électroencéphalographique sont égalementmis au point dans les années 1950, ainsi qu’unappareil d’analyse de potentiels évoqués, le « pha-sotron », dont un modèle commercialisé est ac-quis par Henri Gastaut à Marseille. Il publie d’ail-leurs avec lui en 1952 une étude électro-encéphalographique sur les myoclonies 4. Avantque le CNRS ne l’enjoigne à arrêter son activité

4. Rémond A. Gastaut H.Étude électroencéphalographiquedes Myoclonies. Revue Neurologique,1952, 86, 6, pp. 651-658.

Centre CYCERON, coupes cérébrales en imageur parrésonance magnétique (IRM). Ces acquisitions sontobtenues par injection d'une molécule radioactivemarquée par des isotopes du carbone, du fluor, oude l'oxygène (émetteurs de positions).

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clinique, Rémond ouvre un cabinet privé et réaliseen 1957-1958 des expériences de traitement deparkinsoniens par ablation et stimulation stéréo-taxiques, à la manière de celles pratiquées à lamême période, mais non publiées, de Lars Leksell.Le repli sur des recherches plus fondamentalespermet le développement des méthodes informati-ques pour l’analyse des signaux électrencéphalo-graphiques et la création d’un « groupe pour lesapplications de l’informatique à la médecine »(GAIN) qui fusionnera avec l’association pour lesapplications de l’informatique à la médecinecréée par les Professeurs Brouet, Hamburger etC a s t a i g n e .

L’analyse électroencéphalographique parnappes spatio-temporelles devient peu à peu uneméthode courante. Le Lena se spécialise dansl’étude de personnes à risque comme les conduc-teurs de poids lourds, ou les pilotes de ligne. C’estainsi que Rémond est employé par la NASA à la sé-lection des astronautes du projet Apollo. Commel’indique Bernard Renault, élève et successeur deRémond au Lena, après Nicolle Lesèvre, « nouslui sommes infiniment redevables de ses com-bats qui ont permis de contribuer à pouvoirtransformer l’électroencéphalographie, si sou-vent critiquée, en une technique moderned’imagerie fonctionnelle cérébrale ». Dans lesannées 1990, Bernard Renault peut acheter, grâceà un montage financer complexe 5, le premier ap-pareil de magnéto-encéphalographie (MEG) à151 capteurs magnétiques et 64 capteurs électri-ques assurant une couverture complète de la têtequi a permis, grâce à l’association d’autres tech-niques comme l’IRM, le renouveau de l’écoled’Antoine Rémond.

L’électroencéphalographie, les nappesspatio-temporelles et la clinique

Les études cliniques d’Antoine Rémond sur lamaladie de Parkinson et l’épilepsie, ainsi que sesliens avec la stéréotaxie 6 de Talairach sont remar-quables. Les nombreux dossiers cliniques conte-nus dans ses archives personnelles auxquels nousavons pu avoir accès en sont un témoignage fon-damental. En outre, il montre du doigt la néces-sité de donner aux enregistrements électroencé-phalographiques des repères spatiaux et/outemporels afin d’en dépasser les difficultés d’inter-

prétation : « La lecture des tracés EEG et leur in-terprétation dans la perspective clinique sontloin d’être faciles. Le faible nombre des signesEEG caractéristiques reconnus et utilisés est encontraste frappant avec la richesse apparentede l’information présente dans les tracés. Celas’explique par le fait que l’EEG est un mélangecomplexe d’activités électriques diverses, unerésultante où concourt de façon plus ou moinsindépendante ou même anarchique un nom-bre considérable d’éléments différents prove-nant de causes très variées. » 7

Rémond met également en relief le fantasmepsychophysiologique d’utiliser l’EEG comme unindicateur des états mentaux en lien avec les mé-canismes cérébraux : « L’habitude motivée derechercher dans l’EEG une contribution à laconnaissance du cerveau provient de ce que cetenregistrement étant délivré par lui en consti-tue l’un de ses artéfacts les plus remarquables.Son organisation anatomique et fonctionnelles’imprime nécessairement dans les propriétésou les caractères de la texture graphique du

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EEG, trois lettres pour percer les mystères du cerveau

Brouillon d’un plan dessiné par Antoine Rémondd’un nouvel appareil de stéréotaxie humaine.

D.R

.

5. Réseau régional CogniSeine,CNRS, DRET, SESAME, DRTT,

AP-HP et surtout l’universitéPierre et Marie Curie.

6. Les techniques stéréotactiquespeuvent se définir comme l’ensemble

des moyens mis en œuvre pouraborder les différents points du volume

intracrânien, en les référant à unsystème de coordonnées réalisé

matériellement autour de la tête. Lacorrespondance entre les points visés etle système de coordonnées se fonde sur

des données d’anatomie cadavériqueou radiologique.

7. Rémond A. Poursuite de lasignification en EEG : problème

de la référence spatiale.Revue Neurologique,

1960, 102, pp. 412-415.

8. Rémond A. Poursuite de lasignification en EEG : problème de

la référence temporelle.Revue Neurologique,

1960, 102, pp. 218-221.

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EEG, trois lettres pour percer les mystères du cerveau

tracé de son activité électrique. » 8

En 1952, la maquette d’un premier analyseurde phases des ondes le long d’une ligne d’électro-des est présentée en vue de faciliter la lecture etl’interprétation des enregistrements EEG. En1954, il est l’un des pionniers des techniques demoyennage. En 1956, le Lena est scindé en deuxparties, l’une clinique, tandis que l’autre, ratta-chée au CNRS, est consacrée à la recherche. Forcelui est donc faite de devoir choisir : il opte pour larecherche et abandonne, au moins dans la forme,avec regret, les études cliniques d’explorationfonctionnelle. En outre, d’importants doutes sontémis quant à la possibilité réelle de pouvoir déter-miner et localiser les activités cérébrales. Néan-moins, il pressentait l’importance d’une étroitecollaboration entre ces deux domaines. Aprèsavoir été obligé par le CNRS de mettre entre paren-thèses la clinique, il consacre une partie de ses tra-vaux à affiner l’utilisation de l’EEG et conçoit lesnappes spatio-temporelles. Elles représentent lescorrélations dans le temps et l’espace des activitésélectriques enregistrées sans aucune stimulationqui sont obtenues grâce à l’interpolation du topo-gramme moyen obtenu à partir de plusieurs déca-lages : le décalage avec le temps par rapport à laréférence enregistrée par l’électrode temporale-pariétale et le décalage topographique qui s’ensuitet augmente progressivement. Elles marquentune démarche analytique pour ordonner les don-nées EEG par rapport à une référence spatiale ettemporelle.

Les analyses topographiques, possibles grâceaux développements des techniques d’électroen-céphalographie, ont été entreprises à la suite desrecherches peu fructueuses réalisées dans l’ana-lyse des phénomènes électriques avec la seule ré-férence chronologique. La forme même de cescartes résulte de la difficulté de donner une repré-sentation aux données spatio-temporelles. Cettecorrélation de données topographiques et de don-nées temporelles est extrêmement importante ;elle permet d’appréhender l’activité cérébrale nonplus seulement par le biais de la représentationunidimensionnelle du temps, mais dans un es-pace-temps mental associé à l’activité du cer-veau : « Dépouillées également dans leur topo-graphie des contingences de référence spatiale,les nappes spatio-temporelles qui en sont tirées

permettent l’étude de l’organisation dans letemps et dans l’espace de la densité des lignesde courant provenant des pôles des généra-teurs théoriques. Le moment d’apparition, latopographie, le sens de déplacement, la vitesseapparente des activités peuvent en être déduiteen un coup d’œil et faire l’objet de comparai-son d’un instant à l’autre, d’un endroit àl’autre, d’un sujet à l’autre. » 9

D’ailleurs Rémond débute un questionne-ment sur la problématique relative à la questionde ces références au sein d’un article publié endeux parties dans la Revue neurologique 10 en1960. Le choix de cette représentation, grâce aumodèle de la carte, fait également référence à ladifficulté, évoquée par Rémond, d’éviter touteconfusion entre la méthode de représentation desdonnées et la signification fournie par les diffé-rentes coordonnées. Ce choix permet de faire ap-pel à un seul mode de transcription rendantcompte de plusieurs faits différents. Il a donc falluadopter des modes d’exposition informatifs etcompréhensibles tout en choisissant plusieurs ni-veaux de réduction des données traitées. Rémondfait l’analogie entre ses cartes et les cartes pluvio-métriques des météorologistes.

Bien que ces méthodes soient largement em-ployées en neurologie clinique aujourd’hui, ellessont relativement incomprises dans cette périodepar le CNRS. Pourtant, il faut noter que grâce auxordinateurs actuels, cette technique permet demettre au point les cartographies instantanées dupotentiel, et de suivre en temps réel l’activité élec-trique du cerveau. Désormais, cette approche estutilisée dans la quasi-totalité des laboratoiresd’imagerie cérébrale électrique et magnétique.

9. Ibid., p. 414.

10. Voir notes 6, 7 et 8.

Bibliographie• Rémond A. Orientations ettendances des méthodestopographiques dans l’étude del’activité électrique du cerveau.Revue Neurologique, 1955, 93,2, pp. 399-432.

Remerciement sLes auteurs tiennent à remercier Bernard Renault (DRCE CNRS,

directeur du Lena jusqu’à fin 2004 et directeur du centre MEG-EEG, si-

tué à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière) de leur avoir permis un accès pri-

vilégié aux archives d’Antoine Rémond. Cet article a pu être réalisé

grâce à deux interviews de Bernard Renault enregistrées par le groupe

Neurosciences du programme CNRS Histoire des Savoirs (Claude De-

bru, Jean-Gaël Barbara, Céline Cherici, David Romand) les 7 et 10 fé-

vrier 2006, ainsi qu’à partir d’une interview d’Antoine Rémond réali-

sée par Bernard Renault dans son laboratoire en 1995, au moment de

l’achat du MEG. Ils remercient également Bernard Renault de nous

avoir autorisés à reproduire certaines informations de cet entretien

privé.

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DE L’INSTITUT MAREYÀ L’INSTITUT DE NEUROBIOLOGIEALFRED FESSARD

De Roland Garros aux bergesde la MérantaiseJacques Stinnakre

Le Centre d’étude de physiologie nerveuse(et d’électrophysiologie) du CNRS 1, ins-tallé rue Gordon Bennett à Paris depuis

1947, regroupait une grande partie du Laboratoirede neurophysiologie générale du Collège de Francedirigé par Alfred Fessard, et le Laboratoire de phy-siologie des centres nerveux de la Faculté des scien-ces de Paris dirigé par Denise Albe-Fessard.

Dix m2 par personne…Tous les recoins, de la cave au grenier, avaient

été transformés en laboratoires. Des constructionspréfabriquées avaient été érigées dans le jardinpour l’équipe de Jean Delacour et pour une ani-malerie de Chats et de Singes. « L’estafette », aprèsavoir été chassée de son garage, y avait aussitrouvé un abri mais avait dû se résoudre à coucherdehors, pour accueillir Henri Korn, au grand damde son conducteur Georges Vogel. Dans le halld’entrée, l’aquarium d’Aplysies de Ladislav Taucgrâce auxquelles il avait établi sa réputation, ac-cueillait les visiteurs.

Au printemps 1964, la construction d’un nou-veau bâtiment pour tout l’Institut sur le domainedu CNRS, au sud de la Mérantaise à Gif-sur-Yvette 2, semblait imminente 3. L’année suivante, laperspective de déménagement s’était éloignée et legarage fut transformé en laboratoire pour Phi-lippe Ascher et Jean-Marie Meunier. Chaque an-née, l’équipe de L. Tauc 4 prenait ses « quartiersd’été » à la station de biologie marine d’Arcachonpour profiter des Aplysies qui viennent s’y repro-duire ; c’est là qu’étudiant, je pus commencer àtravailler, dans des conditions assez rustiques…

Querelles d’architectesLa nécessité de quitter l’Institut Marey était

cependant inéluctable, le bail accordé par la villede Paris arrivant à échéance avec le départ en re-traite de M. Fessard. De plus, beaucoup poussaient,avec Jacques Chaban-Delmas, Président de l’As-semblée nationale et grand amateur de tennis, àl’extension du stade de Roland Garros, voisin. Jac-ques Glowinski, de retour des États-Unis, reprit la

1. Plusieurs études ont déjà étéconsacrées à l’Institut Marey, c’est

pourquoi je me bornerai à la périodede « transition » 1965-1972,

correspondant à l’émergence dubâtiment de neuroscience à Gif-sur-

Yvette, et à la période qui suivit.Je regrette de ne pouvoir citer tous

ceux qui ont participé à cette histoire.

2. Pour l’histoire du domaine voir :http://www.dr4.cnrs.fr/delegation/

laboratoires/campus_gif2.htm

3. Le projet sera inscritau Ve plan (1966-70).

4. Ces années-là avec Jan Bruner,P. Ascher, Hersch Gerschenfeld

et Jack-Sue Kehoe.

Années 1960 : la crise du logement touche

l’ensemble de la France. Elle n’épargne pas

non plus les

laboratoires et

les chercheurs.

Cette période

signe le début

de grands bouleversements à l’Institut

Marey. Jacques Stinnakre nous en conte ici

quelques moments clefs.

Jacques Stinnakre tells us the remarkable

story of the Marey Institute which later

became the A. Fessard Institute of

Neurobiology.

Jacques Stinnakre a étédirecteur de rechercheau CNRS, membre duLaboratoire deneurobiologie cellulaireet moléculaire du CNRS.

Page 21: La neurophysiologie à la française - BIU Santé, Parislulaires chez les végétaux et chez les animaux. Pendant cette période, Fessard collabore aussi avec Angélique Arvanitaki

LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007 / 27

situation en mains, et avec l’aide d’un ami archi-tecte, proposa un ensemble de pavillons « satelli-tes » (un par département) réunis par des galeriesà un corps central polygonal, abritant les servicescommuns. Ce projet fut refusé par le CNRS quiavait déjà fait appel au cabinet Barberon, Maré-chal et Comptour. L’architecte en chef des bâti-ments civils et des palais nationaux regretta la ba-nalité de leur projet en regard des enjeuxscientifiques, et le « massacre d’un site sensible »entamé, il est vrai, par les constructions antérieu-res. Le comité de décentralisation avait donné sonautorisation dès janvier 1967, sous réserve que lasurface n’excède pas 5 000 m2 et l’effectif 100 per-sonnes.

Une bouffée d’aireDe son côté, début 1968, L. Tauc obtint dans

un des bâtiments de génétique évolutive du CNRSà Gif-sur-Yvette, plusieurs pièces libérées par PiotrSlonimski professeur de génétique à l’universitéde Paris. J. Bruner, Alberto Mallart, P. Ascher, AnneFeltz, J.-S. Kehoe et moi en bénéficièrent. RayKado, puis Ian Cooke, s’y installèrent successive-ment après le départ de P. Ascher et J.-S. Kehoepour l’Angleterre ; à leur retour, ceux-ci s’installè-rent dans l’ancienne animalerie de Lapins de Bo-zena Kaminska du laboratoire d’enzymologie, en-core encombrée de paille.

La démocratie participative, déjà ?Le mois de mai 1968 ne fut pas la période

idéale pour s’installer à Gif où la situation étaitaussi agitée sinon plus qu’à l’Institut Marey, enraison de la présence de nombreux étudiants de lafaculté d’Orsay. Sur les deux sites, les assembléesgénérales se succédaient, avec toujours la mêmevivacité dans les discussions. Sans oublier « l’as-semblée générale » qui siégeait de manière quasi-permanente dans l’amphithéâtre du CNRS, alorsau 15 quai Anatole France.

Je me souviens tout particulièrement d’uneassemblée générale dont j’assurais la présidence.J’essuyai de sévères critiques à propos d’une mo-

tion, ne recevant le soutien que de P. Ascher quiproclama « qu’il n’était pas acceptable que lespatrons signent les articles de leurs cher-cheurs... », une exigence très partagée. La séancecontinua par des doléances diverses, tel HenriCondé qui interpella D. Albe-Fessard au sujet d’unde ses articles « qu’elle gardait dans un tiroirdepuis plus de six mois sans lui avoir donnéson avis ». D. Albe-Fessard prit la parole sansl’avoir sollicitée. Je l’interrompis et donnai la pa-role à Gérard Le Floch, technicien du départementde J. Delacour. D. Albe-Fessard perdit son calme etquitta la salle, entraînant son mari en lâchant :« Viens, Alfred, ces gens sont fous ! ». Elle ne re-parut plus aux assemblées, me gardant longtempsgrief de cet épisode…

A. Fessard ne revint pas sur ce sujet, si ce n’estpour regretter le statu quo qui dura plusieursmois, tout en reconnaissant les avancées nées desdiscussions et le travail des techniciens qui main-tinrent le laboratoire en état de marche. De fait, lesassemblées générales du laboratoire commencè-

Vue du bâtiment de neurosciences de Gif-sur-Yvette prise peu de temps après lafinition des abords. La photographie a dû être prise depuis le parc à voitures del’enzymologie à en juger par le local des gardiens visible sur la gauche. Les arbrescachent maintenant une grande partie de la vue y compris l’important remblai visibleen bordure du plateau de Saclay.

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DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

De Roland Garros aux berges de la Mérantaise

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rent dès le second semestre 1967 et aboutirent à laformation d’un Conseil d’Institut provisoire en at-tendant les directives officielles.

Retour aux choses sérieusesLa fièvre de mai laissa la place aux réunions

sur les conditions d’installation à Gif avec l’archi-tecte et certains corps de métier, électricien, plom-bier, chauffagiste pour définir d’abord le cloison-nement intérieur puis les besoins et les contraintesliés à l’expérimentation.

« Le secteur »Parmi ceux-ci figurait l’installation électri-

que : les électrophysiologistes demandèrent desblindages systématiques des canalisations électri-ques et refusèrent les tubes fluorescents dans leslaboratoires d’électrophysiologie. Des interrup-teurs rotatifs en fonte et des gaines métalliques destyle assez vieillot furent posés sans que la conti-nuité de la mise à la terre soit assurée… Enconformité avec le campus, des prises spéciales fu-rent imposées nécessitant le changement des fi-

ches des cordons électriques, et ce jusqu’en 2000environ quand la mise aux normes du bâtimentforça l’adoption du type normalisé. Par économie,le bâtiment fut équipé en triphasé 220 V (au lieude 380 V) peu favorable à l’enregistrement des si-gnaux faibles : les instruments branchés entredeux phases générant davantage de parasites à lafréquence du secteur électrique… !

Le « gel » de la climatisationLa climatisation du bâtiment était prévue ;

pour déterminer sa puissance, la charge thermi-que de chaque pièce fut établie sur la base despoints lumineux, des becs à gaz, des effectifs et desinstruments 5 ; ces deux postes furent surévaluéspar les chefs d’équipes qui, en outre, pour les ordi-nateurs futurs, se référèrent à la « machine » In-tertechnique qui exigeait un contrôle strict de latempérature et de l’humidité ambiantes (à 1° C et5 % près). La note s’avéra très élevée, mais l’insuf-fisance des crédits entraîna la réduction du pro-gramme de climatisation et seule l’aile est fut enpartie climatisée.

La consommation d’énergie se révélera viteprohibitive d’autant que le bâtiment n’était pastrès bien isolé (allèges minces, fenêtres à simplevitrage…). Les bruits de la régulation pneumati-que et le second choc pétrolier allaient précipiterl’abandon de la climatisation et son remplace-ment par des radiateurs classiques à eau, puis plustard par des climatiseurs individuels. L’unité deproduction d’eau glacée fut revendue après ; enterrasse, le contrôle de l’hygrométrie et la ventila-tion inutilisés rouillent ; en hiver il fait froid auxextrémités des ailes...

Des ailes coupées et l’animalerieenvolée…

Outre les doubles vitrages et l’équipement en380 V, la moitié de l’étage supérieur de l’aile ouestet le rez-de-chaussée de l’aile est furent laissés vi-des. L’animalerie fut aussi sacrifiée contre la pro-messe d’un aménagement des anciennes « canar-dières » du Laboratoire de photobiologie deGif-sur-Yvette de Jacques Benoît 6.

On aménagea de petites animaleries danschaque département, puis une animalerie pour

28 / LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007

Vue de la partie sud du campus du CNRS à Gif-sur-Yvette, prise probablement de laRN 306 vers 1966. La zone où seront construits les bâtiments d’enzymologie et deneurosciences est encore cultivée. De gauche à droite, on remarque les bâtiments dephysiologie végétale, de génétique moléculaire (en cours de finition avec une tour àbéton) et l’Institut de chimie des substances naturelles. Au tout premier plan, ondevine le toit du « Magasin du livre ». La Mérantaise passe au niveau de la secondeligne d’arbres.

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DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

De Roland Garros aux berges de la Mérantaise

5. Alors gros consommateurs car enmajorité équipés de tubes

électroniques à cathode chaude.

6. Son laboratoire, à la Stationphysiologique du Collège de France,

partageait le même terrain quel’Institut Marey avec aussi un élevage

de canards (et une mare).

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les Chats et les Singes au bout de la partie vide durez-de-chaussée où Thomas Szabo installeraaussi des aquariums pour ses poissons électriques.

Une enveloppe exorbitanteLa construction démarra en 1969, celle du la-

boratoire d’enzymologie un temps jumelée ayantété lancée plus tôt. Le bâtiment déclaré « achevé »le 6 novembre 1972, vit les travaux s’étaler sur le1er semestre 1973. Sans compter les aménage-ments ultérieurs, la construction aura coûté plusde 8 millions de francs 7 : le premier contrat d’ar-chitecte de 2 970 000 F ayant été porté à 5 670 000puis à 6 300 000 F... La triple affiliation de l’Insti-tut Marey devait soulever en outre de gros problè-mes financiers pour le CNRS, qui à partir de 1972,dut assumer seul le financement des nouveaux la-boratoires et remplacer les postes de techniciensdu Collège de France et de l’université de Paris qui,de plus, récupérèrent de nombreux instruments.

La difficile succession d’Alfred FessardAlfred Fessard fit un soir remarquer à

L. Tauc : « Je ne vois vraiment pas qui pourrame succéder à Gif ! ». Il avait espéré que sonépouse lui succédât, mais celle-ci annonça son re-fus d’aller à Gif dès janvier 1969 dans une lettreoù elle accusa les neurophysiologistes « élémen-taires » d’avoir dénigré la neurophysiologie clas-sique pour obtenir la primauté dans le futur insti-tut 8. D’autres avaient déjà quitté le groupecomme Jean Massion parti pour Marseille en1967, rejoint plus tard par Elisabeth Trouche. De-nise Petit et Pierre Angaut, après un séjour àl’étranger et un détour par Marseille, rejoindrontrespectivement l’équipe de A. Mallart à Gif en1977 et le laboratoire de C. Sotelo à Paris. J. Glo-winski, installé au Collège de France, dans des lo-caux de Jacques Monod, renonça à occuper ceuxqu’il avait pourtant conçus à Gif,comme Jean Delacour qui préférala Faculté des sciences avec deuxchercheurs et un technicien (Jean-Claude Costa) mais sans SimoneLibouban qui rejoindra T. Szabo àGif. Jean-François Dormont, Mau-rice Bénita et Henri Condé s’instal-

leront à l’université d’Orsay. Henri Korn, parti auxÉtats-Unis en 1968, reviendra à la Pitié-Salpê-trière. Pierre Cazard restera quelques années à Gifavant d’en partir aussi.

Fin de la « tribune Marey »Quant aux « fidèles » restés à Marey avec

D. Albe-Fessard en 1972 : Jean-Marie Besson pren-dra la direction d’une unité INSERM en 1977 àSainte-Anne où Gisèle Guilbaud le suivra ; PaulFeltz deviendra professeur à Strasbourg. D. Albe-Fessard s’installera alors à la faculté de la Halleaux vins puis à l’INRA à Jouy en Josas dans le la-boratoire de Jacques Servière, élève d’Yves Galifretnommé professeur à Paris. L’Institut Marey et lastation physiologique finiront par céder aux démo-lisseurs supprimant la tribune, les toits de l’Institut,d’où certains, l’été, regardaient les compétitions detennis…

L’ancien et le nouveauOutre les ateliers et les services de Marey (se-

crétariat, bibliothèque, dessin, photographie, mé-canique, électronique, histologie, lingerie), septdépartements avaient été prévus à Gif :Anatomie et physiologie des centres nerveux (D.Albe-Fessard) • Neurophysiologie cellulaire (L.Tauc) • Neurophysiologie sensorielle comparée(T. Szabo) • Psychophysiologie sensorielle (Y. BenAri) • Psychophysiologie du comportement (J. De-lacour) • Neuropharmacologie biochimique (J.Glowinski) • Neurophysiologie théorique.

Claude Lévi, directeur scientifique du CNRS,décida de diviser le nouveau bâtiment en deux la-boratoires « propres » indépendants, mais parta-geant des services communs, une hypothèse envi-sagée par A. Fessard. Ainsi, furent créés en 1972 :le Laboratoire de neurobiologie cellulaire (NBC)dirigé par L. Tauc et le Laboratoire de physiologie

nerveuse (LPN) dirigé par RobertNaquet 9 qui collaborait depuislongtemps avec D. Albe-Fessard.Malgré de fortes pressions pour in-tégrer « nos » mécaniciens 10 auxateliers centraux du groupe, l’ate-lier de mécanique fut préservé etput acquérir progressivement de

LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007 / 29

DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

De Roland Garros aux berges de la Mérantaise

7. Soit environ 6 800 000 eurosd’aujourd’hui selon l’indicateur dupouvoir d’achat de l’INSEE.

8. Cf procès verbal du Comitéde direction du 23/01/1969.

9. Pour les conditions de cettenomination, voir :http://picardp1.ivry.cnrs.fr/Naquet.html

10. Marcel Richard et Claude Batalie,décédés depuis.

ANATOMIE,

PHYSIOLOGIE,

NEUROPHYSIOLOGIE,

PSYCHOPHYSIOLOGIE,

NEUROPHARMACOLOGIE,

ETC.

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nouvelles machi-nes. L’atelier dephotographie 11

fut doté de deuxmachines « Ar-

huero » de dévelop-pement de films « au

km », le film étant alorsle moyen le plus utiliséd’enregistrement des si-

gnaux électriques 12. Lasurface de ces deux ate-

liers sera ensuite sérieuse-ment amputée pour en faire des

laboratoires. Le nouvel ensemble obtint un mi-croscope électronique, mais attendit jusqu’en1992 pour accéder au premier microscope confo-cal qui fut installé au Service d’imagerie dugroupe de Gif.

Le NBCLe NBC s’organisa en plusieurs équipes au-

tour de L. Tauc 13 et A. Mallart 14, les plus fortes aveccelle de Maurice Israël, venu de la Salpêtrière 15,Yves Pichon, venu de Rennes, Jan Bruner et Ray-mond Kado formant des équipes restreintes surtoutavec des visiteurs. Hersch Gerschenfeld ira à l’uni-versité d’Orsay avant de rejoindre avec DaniellePaupardin-Tritsch le laboratoire de neurobiologiecellulaire de l’ENS dirigé par P. Ascher. Le labora-toire s’agrandit rapidement. En 1984, Y. Pichon re-partira pour Rennes et sera remplacé par le groupetrès important de Jacques Mallet, précédé d’une ré-putation de gros consommateur de crédits. Avantl’arrivée de celui-ci, L. Tauc obtint de chacun unaccord pour rester directeur d’un nouveau labora-toire intitulé désormais : « Laboratoire de neuro-biologie cellulaire et moléculaire ».

J. Mallet, parti pour la Salpêtrière en 1992, futremplacé par un petit groupe constitué autour deMartial Ruat. Après l’échec d’une candidature ex-térieure (Jean-Pierre Henry et Alain Marty ne don-nèrent pas suite et François Riéger ne sut pas ins-pirer la confiance des chercheurs), M. Israëlsuccèdera à L. Tauc parti en retraite en 1994, maisabandonnera son second mandat en 2000, rem-

placé par G. Baux. À cette époque, le NBCM héber-geait une jeune entreprise, « Neurotec » qui, troisans plus tard, partit pour Évry, puis « incuba »« Faust-Pharma », aujourd’hui localisée à Stras-bourg, fondée par plusieurs membres du labora-toire et feu Pierre Potier, directeur de l’ICSN 16. Denouvelles équipes sont aussi venues étoffer le la-boratoire : José Cancela, Jean-Marc Dubois, Sa-bine de la Porte, Gabriella Ugolini et récemmentJean-René Martin ; d’autres ont pris leur retraiteou nous ont quittés 17.

Le LPNDe son côté, le LPN s’organisa en trois dépar-

tements :• la neurophysiologie appliquée dirigé par R.Naquet avec P. Cazard, Yehezkel Ben-Ari, Gilles LeGal La Salle, Claude Menini, Lénine Da Costa, ainsique Monique Saubié, entourée de Danielle Riche,S. Brailowsky, un étudiant (Jean Champagnat) et 6techniciens.• la psychophysiologie dirigée par Vincent Bloch,venu de Lille, avec : Bernard Deweer, Jean-PierreLecanuet, Jean-Claude Lecas, Pierre Leconte etE. Dubois-Hennevin auxquels se sont jointsTatiana Alexinski, Catherine Maho, GeorgesChapouthier, W. Fishbein (USA) et B. Hars. Cinqtechniciens complétaient le groupe.• la neurophysiologie sensorielle autour deT. Szabo, avec Simone Libouban, Pierre Belbenoit,Jean-Pierre Denizot, Claude Derbin, C. Baillet-Derbin, quelques boursiers bénévoles (JacquesSerrier).

En 1975, la demi-aile A du niveau 4 fut amé-nagée pour héberger André Hugelin et son équipe(y compris l’écrivain Georges Perec qui y resterajusqu’en 1979 18) après l’incendie de leur labora-toire à Saint-Antoine. Ils y retourneront en 1984-85 après la restauration des locaux. Au cours deces années, on vit notamment émerger l’équipe deMonique Denavit-Saubié et celle de Y. Ben Ari quipartit plus tard pour la « maternité » de Port-Royal avant de créer l’Institut de la Méditerranéeà Marseille.

Comme au NBCM, la biologie moléculaire fitson entrée avec Vincent Leviel (maintenant à

11. Avec Jean-Paul Bouillotet Odette Champion.

12. Stinnakre J. « Lepatrimoine instrumental en

neurosciences vu par unélectrophysiologiste ». In LaRevue pour l’histoire du

CNRS, n°5,nov. 2001, pp. 68-71.

13. J. Stinnakre, TakeshiShimahara, Jean-Marie

Meunier, maintenant retraités,puis Gérard Baux, PhilippeFossier, Michel Simonneau,

Bernard Poulain, ces deux derniersrespectivement à l’ENS de Cachan

et à Strasbourg.

14. Nelly Zilber-Gachelin,Alain Trautmann, puis Jordi Molgo

et Roland Bournaud.

15. Sur les conseils du ProfesseurRené Couteaux, avec Robert

Manaranche, Nicolas Morel, FrançoisMeunier, Yvette Morot-Gaudry,

puis Marie-Françoise Diebler, SeanaO’Regan, Serge Birmanmaintenant à Marseille.

16. Institut de chimiedes substances naturelles.

17. Certains sont retraités :D. Angaut-Petit, Marie-Françoise

Diebler, J. Bruner, A. Mallart, MichelThieffry, M. Israël, Claude Yvetot ;

d’autres nous ont quittés :Lucette Faille, G. Vogel, Jacques Allard,

L. Tauc, R. Manaranche, R. Kado.Voir aussi : http://www.nbcm.cnrs-gif.fr/historique-nbcm/historique-labo.html

18. Voir « Georges Perec et lePécabou..., une vraie fausse interview

réalisée par Grégory Aupiais et Jean-François Vibert », La Gazette

du CHU, 1er [sic] trimestre 2003,N° 33, pp. 14-18.

http://www.chusa.jussieu.fr/vie_fac/gazette/gazette_33_V7.pdf

30 / LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007

D.R

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DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

De Roland Garros aux berges de la Mérantaise

Page 25: La neurophysiologie à la française - BIU Santé, Parislulaires chez les végétaux et chez les animaux. Pendant cette période, Fessard collabore aussi avec Angélique Arvanitaki

Lyon) et Jean Rossier qui s’installa dans les locauxlibérés par A. Hugelin avant de partir à l’ESPCI 19.

En janvier 1975, la direction de R. Naquet futmarquée par l’enlèvement de plusieurs singes por-teurs d’électrodes cérébrales par des opposants àl’expérimentation animale. Cet incident perturbasérieusement le travail de plusieurs chercheurs.

En 1990, R. Naquet fut remplacé par Jean-Di-dier Vincent venant de Bordeaux amenant aveclui Lucy Kukstas, son épouse qui ne restera pas aulaboratoire faute de poste, et Pierre-Marie Lledoaujourd’hui chef de laboratoire à l’Institut Pas-teur. Il obtint pour le LPN la dénomination d’Ins-titut Alfred Fessard, se sépara de l’équipe deT. Szabo 20, qu’il remplaça par Yves Frégnacjusqu’alors à Orsay, accueillant Kirsty Grant.Deux équipes s’intéressant à la génétique du sys-tème nerveux des Drosophiles s’installèrent :d’abord Thomas Préat, aujourd’hui à l’ESPCI,puis François Rouyer. Le groupe de Vincent Blochdut partir, aussi, à l’université d’Orsay où SergeLaroche assurera sa succession. Les animaleries

départementales furent supprimées au profit del’animalerie du campus enfin construite.

Et maintenant : l’Institut fédératifde neurobiologie Alfred Fessard

Le départ à la retraite de J.-D. Vincent en 2000fut l’occasion d’une restructuration importante :l’Institut fut divisé en trois unités dirigées respec-tivement par Philippe Vernier 21, Y. Frégnac etJ. Champagnat. Avec le NBCM, ces trois laboratoi-res forment l’Institut fédératif de neurobiologieAlfred Fessard 22. Cette structure relança, sous lenom de « Conférences en neurobiologie L. Tauc», les « Conférences en neurobiologie de Gif-sur-Yvette » en hommage à celui qui les avaient lan-cées près de vingt ans auparavant. Aujourd’hui, lebâtiment abrite environ 200 personnes 23, soit ledouble du maximum fixé par le Comité de décen-tralisation en 1967 pour respecter l’équilibre Pa-ris/Province ! Cependant, il est certain que 40 ansplus tard les effectifs provinciaux ont aussi aug-menté. La conquête de l’espace continue…

LA REVUE POUR L’HISTOIRE DU CNRS / N° 19 / HIVER 2007 / 31

DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

De Roland Garros aux berges de la Mérantaise

19. École supérieure de physiqueet de chimie industrielles de la Ville deParis.

20. Décédé depuis.

21. Philippe Vernier avait quitté legroupe de Mallet en 1990 pourrejoindre J.-D. Vincent.

22. Voir : http://www.cnrs-gif.fr/iaf

23. Quelques ITA « de » l’InstitutMarey sont encore présents :Martine Ruaux, Hélène Hrin, Jean-Paul Bouillot, Gérard Levesque,Michel Boudinot ; Annick Omnès, C.Baillet-Derbin, Eliane Boudinot, sontretraitées ainsi que Gérard Le Floch, C.Derbin. M. Denavit-Saubié estémérite ; Denise Giraud, longtempsbibliothécaire, est décédée.

Bibliographie• Barbara J.-G. L’Institut Marey (1947-1978). La lettre des Neurosciences,

2004, n°27, pp. 3-5.• Buser P. Alfred Fessard (1900-1982). C. R. Séances Soc. Biol. Fil. 1982 ; 176

(3) : pp. 244-7.• McKenzie J. S. Les origines de L’Institut Marey du Collège de France et son

rôle dans l’essor de la neurophysiologie française. La lettre du Collège deFrance, 2007, n° 19, février 2007, pp. 31-35.http://www.college-de-france.fr/media/ins_let/UPL62895_J19MAREY.pdf

• Naquet R. In memoriam. Neurophysiologie Clinique/ClinicalNeurophysiology, March-April 2006, 36 (2), pp. 49-94.

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DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

Et l’IDN fut crééPierre Buser et André Calas

Denise Albe-Fessard était spécialiste dessystèmes striataux et autres ganglionsde la base ; Pierre Buser analysait les ac-

tivités cérébrales chez le Chat et le Singe ; RenéCouteaux, puis Jacques Taxi, poursuivaient leuranalyse de la structure des articulations synapti-ques périphériques ; Yves Galifret se préoccupaitdes problèmes de vision chez les oiseaux et lesmammifères. Chaque laboratoire avait sa propretradition, sa propre histoire, ses équipes et ses col-laborateurs. L’indépendance était de règle, maisles échanges, tout informels fussent-ils, car il n’yavait aucune structure fédératrice ni aucune coer-cition, étaient abondants et chaleureux. Chaqueensemble constituait une unité substantiellementsubventionnée par le CNRS.

Et voici qu’un jour, en 1984, le CNRS (puis-sance tutélaire) décida qu’il fallait changer. PierreBuser fut convoqué à la direction et reçu par le di-recteur des sciences de la vie d’alors, Roger Monier,pour s’entendre dire que les unités de neuroscien-ces de Paris VI seraient regroupées en une seulegrande unité dont la direction lui était désormaisconfiée. De retour au laboratoire, P. Buser consultebien sûr, avec comme premier objectif de trouverun nom à cette nouvelle formation. Discussions ethésitations, pour finalement s’accorder sur l’inti-tulé probablement le plus simple, celui d’Institut

des neurosciences (IDN). Très vite, on sut à traversla communauté scientifique de l’hexagone, qu’ilexistait dorénavant à Pierre et Marie Curie, un IDNavec une force de frappe à la mesure des nom-breux chercheurs, techniciens, aides de laboratoi-res, animaliers, administratifs qui désormais al-laient en faire partie.

Des aménagements furent d’emblée nécessai-res. Une certaine rigidité administrative devintinévitable. Le directeur s’accommoda de l’air dutemps et s’entoura d’un conseil scientifique. Avecle recul, on peut dire que jamais il n’y eut quelqueconflit sérieux que ce soit au sein de cette direc-tion. Le poids administratif fut souvent lourd pourle responsable, des incidents mineurs survinrentparfois, des problèmes de financements ne furentpas rares (et qui s’en étonnerait), mais conscientsde leur force et de leur cohésion, les acteurs purenttraverser les orages sans trop de dégâts.

Nombreux étaient ceux qui se partageaiententre l’enseignement et la recherche, alors qued’autres étaient des chercheurs à temps complet ;à noter d’ailleurs que tous les directeurs des labo-ratoires furent des enseignants-chercheurs. Lesenseignements concernaient la maîtrise et ce quis’appelait alors le DEA. Ce dernier, DEA de neuros-ciences, fut l’un des plus importants du pays dansla discipline. Le directeur de l’IDN en fut égale-

Dans les années 1980, vivaient en paix

et en bonne intelligence quatre

laboratoires à l’université Pierre et

Marie Curie, tous dédiés aux

neurosciences. Jusqu’au jour où il fut

décidé de créer une unique structure

fédératrice. Pierre Buser et André

Calas nous content les principales

étapes de cette « genèse ».

Pierre Buser and André Calas explain

how the Neurosciences Institute of

Paris was created in the eighties.

Pierre Buser,neurobiologiste, estprofesseur émérite àl’université Paris VI etmembre de l’Académiedes sciences.Il a dirigé l’institut desneurosciences du CNRSà Jussieu.

André Calas, professeur,dirige le Laboratoire deneurobiologie dessignaux intercellulairesde l’université Paris VIet préside la Société debiologie.

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DOSSIERNeurosciences : essor et enjeux

Et l’IDN fut créé

ment responsable, pendant un certain temps,comme d’ailleurs de l’UER de physiologie avantque celle-ci ne se fonde dans l’UFR des sciences dela vie. Il est intéressant de noter l’impact de cetteintrication entre la recherche et l’enseignementde haut niveau du DEA. L’arrivée d’étudiants par-fois très brillants dans les laboratoires, au titre destagiaires recrutés pour le DEA, fut tout à la foisenrichissante et stimulante. Surtout lorsqu’ilspouvaient obtenir une bourse de thèse et, mieuxencore, par la suite un poste au CNRS, dans unautre organisme ou à l’université. Peut-être unedes originalités de cet institut était-elle d’accueil-lir tout à la fois des étudiants en sciences, d’autresissus de la psychologie et d’autres encore apparte-nant au monde des sciences médicales. Ce bras-sage fut un bienfait ; il eut été assez peu imagina-ble dans les périodes antérieures marquées par lesfrontières, les interdits et les méfiances.

Il y eut au cours des années des départs et desarrivées. Michel Imbert, spécialiste de la visionvint remplacer D. Albe-Fessard admise à la re-traite. Marie-Jo Besson, neurochimiste et spéciali-sée dans les médiateurs de la transmission synap-tique vint remplacer Y. Galifret, également partantpour la retraite. Enfin, le Laboratoire de cytologieconnut lui aussi des changements, avec le départde R. Couteaux pour la retraite et son remplace-ment par J. Taxi, puis par A. Calas.

Le mandat de P. Buser s’acheva en 1991. Pro-che de la retraite, il ne sollicita ni ne se vit propo-ser une reconduction. Par ailleurs, M. Imbert dé-

cida de rejoindre Toulouse. Le comité de directiondu CNRS refusa de recréer l’IDN en l’état, et pro-posa de le remplacer par un groupement de re-cherche, un GDR, associant, sous la directiond’A. Calas, les unités fondatrices. La volonté dunouveau gouvernement de délocaliser « en ré-gion » n’étant pas compatible avec la création denouvelles unités à Paris, le CNRS décida une « re-création » sous forme d’une seule unité, l’IDN, re-nouvelée sans difficulté en 1996 et transforméel’année suivante en unité mixte de recherche,l’UMR 7624.

Sous la direction d’A. Calas, l’IDN allaitconnaître d’importantes transformations internesliées à son développement. L’accueil de deux équi-pes, celle d’André Dautigny et celle de Susan Sara,allait conduire le premier à créer avec DanièleTritsch un nouveau département (Neurobiologiecellulaire et neurogénétique moléculaire) et laseconde à incorporer dans le sien (Neuromodu-lation et processus cognitifs) des membres desanciens groupes de P. Buser et de M. Imbert. Enfin,le Département de cytologie (devenu Neurobiolo-gie des signaux intercellulaires) avait essaimé,dès 1992, sous la direction de Nicole Bouchaud etJean Mariani, avec un nouveau départementconsacré au développement et au vieillissementdu système nerveux.

Il existait donc, au moment de sa transfor-mation en UMR, une structure originale consa-crée aux neurosciences sur le campus de Jussieuavec cinq départements où trois codirections asso-

Système d'analyse temps-réel du mouvement(VICON®). L'outil permet dequantifier le mouvementhumain et d'en analyserle contrôle.

© CNRS Photothèque/MÉDARD Laurence

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Et l’IDN fut créé

ciaient désormais un professeur et un chercheurCNRS. Enfin, l’IDN allait être complété début 1993par l’accueil d’un sixième département, dirigé parFrancis Crépel, professeur à l’université Paris XI(Orsay).

C’est cet ensemble qui, alors qu’il devait êtrerenouvelé pour un nouveau quadriennat, a im-plosé en 2000, pour donner naissance à deux UMRdistinctes : Neurobiologie des processus adapta-tifs et Neurobiologie des signaux intercellulai-res, respectivement dirigées par J. Mariani et A. Ca-las. Ce dernier, pendant les neuf ans de sa directionde l’IDN, avait tenté de lui donner, sinon une unitéscientifique – impossible vu la diversité d’originedes équipes constituantes dont il tenait à respecterscrupuleusement l’autonomie –, au moins unecohésion et le sentiment d’appartenance à une en-tité commune : conseil d’Institut, commission dupersonnel pour la carrière des ITA et IATOS,contrats internes financés par la Direction sur desprojets communs à des équipes relevant de plu-sieurs départements, « Journée IDN » à Dourdan,séminaires hebdomadaires de l’Institut, etc.

L’esprit même de l’IDN fut pendant les quinzeannées de son existence, d’assurer une approcheaussi pluridisciplinaire que possible des neuro-sciences. À l’époque de sa création, les sciences dusystème nerveux se trouvaient dans un passage dé-licat, marqué par la tendance à réduire l’investi-gation aux mécanismes fondamentaux et élé-mentaires, et ne laisser que le moins possible deplace aux analyses des processus intégratifs. En

traçant les grandes lignes du projet de l’IDN, P. Bu-ser qui n’avait par essence que peu de goût pourl’analyse ni surtout la conceptualisation réduc-trice, n’eut aucune peine à accepter les program-mes des uns et des autres, déjà fortement tournéspour la plupart vers l’analyse globalisante. Bienque, un certain éclectisme oblige, il pût considérercomme très bienvenus aussi des programmes da-vantage tournés vers l’élémentaire. Ce qui finale-ment marqua l’IDN de la multidisciplinarité déjàmentionnée, comme aussi d’une remarquable di-versité des attitudes conceptuelles. Sous la direc-tion d’A. Calas, la tendance générale ne s’est pasmodifiée, avec cependant une inflexion vers lesmécanismes élémentaires, voire moléculaires.

Avec un recul de six ans, on peut à présent ap-précier le vide laissé par la disparition de l’IDN,face notamment aux vastes structures qui se met-tent en place en Île-de-France. La recherche fon-damentale qui s’y développait, des approches mo-léculaires (acides nucléiques, canaux ioniques)aux études comportementales, sur le thème fédé-rateur et inépuisable de la plasticité du systèmenerveux, la symbiose avec l’enseignement (écoledoctorale, formation initiale et continue), et enfinla notoriété que son sigle avait commencé à ac-quérir n’ont guère à ce jour trouvé d’équivalent.Les structures passent comme les hommes maisqu’il soit permis aux deux directeurs successifs del’IDN, qui ont eu en commun de ne pas avoir étéenthousiasmés par sa naissance, d’avoir cru à savie et de regretter sa mort.