La mise en place d’un réseau estime de soi (RE-SOI) · 5 Liste des sigles RE-SOI : Réseau...
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UNIVERSITE BORDEAUX SEGALEN
INSTITUT DE SANTE PUBLIQUE EPIDEMIOLOGIE ET DEVELOPPEMENT
Master 2 Santé Publique
Spécialité Promotion de la santé et développement social
Promotion 2011-2012
La mise en place d’un réseau estime de soi (RE-SOI)
par l’Atelier Santé Ville d’Epinay sur Seine :
un levier pour la Promotion de la Santé ?
Présenté et soutenu par Hannah GRANT
Institut de Santé Publique Epidémiologie Développement Université Bordeaux Segalen – 146, rue Léo Saignat
33076 Bordeaux, France
2
Remerciements
Je tenais tout d’abord à remercier Chrystelle BERTHON, pour m’avoir accueillie au sein
de l’Atelier Santé Ville pendant ces quatre mois de stage. J’ai tout particulièrement apprécié sa
générosité, son ouverture d’esprit et son dynamisme, qui ont été pour moi une véritable source
d’inspiration, et qui ont fait de ce stage, une expérience très enrichissante, tant sur le plan
professionnel, que sur le plan humain.
Je tenais également à remercier les professionnels du RE-SOI, pour leur disponibilité et
leur investissement lors de la conduite des entretiens, mais aussi pour la richesse des échanges,
et l’inspiration qu’ils m’ont suscitée pendant ces quatre mois.
Je remercie Laurence BOURGOIN, avec qui j’ai partagé des moments très intenses, lors de
la préparation de notre intervention.
J’adresse également mes remerciements à mes collègues du CCAS, qui m’ont accueillie
chaleureusement, et intégrée dans l’équipe, dès mon premier jour.
Pour finir, je remercie personnellement,
Benjamin et mon père,
pour leurs relectures et précieux conseils
Anne Laure, Annabelle, et ma mère,
pour leurs encouragements infaillibles
Maïté et Alice,
pour leur solidarité à distance
3
Table des matières
Liste des sigles…………………………………………………………………………………………………………………………………….5
Introduction générale………………………………………………………………………………………………………………………..6
Le contexte…………………………………………………………………………………………………………………………………………9
Introduction………………………………………………………………………………………………….…………………………………10
I. Présentation de la ville d’Epinay sur Seine………………………………………………….…………………………………10
1. Situation géographique……………………………………………………………………………………………………………10
2. Caractéristiques sociodémographiques …...........……….............…..………………………..….…………....11
II. Présentation de mon cadre de stage : la démarche ASV…………………………….…………………………………12
1. Cadre réglementaire et cahier des charges de la démarche ASV………………………………………………12
2. Présentation de la démarche ASV à Epinay sur Seine…………………………….…………………………………14
III. Présentation de ma mission de stage : la mise en place d’un réseau sur l’estime de soi………………15
1. Présentation du réseau estime de soi (RE-SOI)…………………………………………………………………………15
2. Inscription du réseau dans la démarche ASV………………………………………………………………….…………16
3. Objectifs de l’évaluation………………………………………………………………………………………………..…………18
La construction d’une réflexion…………………………………………………………………………………………….…………19
I. Projet de mémoire…………………………………………………………………………………………………………………………20
1. Construction de la problématique………………………………………………………………………………….…………20
2. Le cadre théorique……………………………………………………………………………………………………………………24
II. Méthodologie…………………………………………………………………………………………………………………….…………26
1. L’enquête…………………………………………………………………………………………………………………………………26
2. Recherches bibliographiques……………………………………………………………………………………………………29
3. Discussion…………………………………….……………………………..……………………………………………….…….... 30
Résultats - analyse des entretiens……………………………………………………………………………………………………32
Introduction…………………………………………………………………………………………..…………………………………………33
I. Le fond du RE-SOI : thématique de l’estime de soi…………………………………………………………………………33
4
1. Définition générale………………………………………………………………………..…………………………………………33
2. Estime de soi dans les pratiques professionnelles………………………….…………………………………………38
II. La forme : fonctionnement et organisation du RE-SOI…………………………………………………………………43
1. Déroulement des séances de travail…………………………………………………………………………………………44
2. Principes de fonctionnement……………………………………………………………………………………………………47
III. Impacts sur les pratiques et les postures professionnelles et personnelles………………………….………52
IV. Conclusion…………………………………………………………………………………………………………………………..………53
Estime de soi et Empowerment……………………………………………………………………………………………….………55
Introduction……………………………………………………………………………………………………………………………..………56
I. L’empowerment…………………………………………………………………………………………………………………….………56
1. Généralités……………………………………………………………………………………………………………………….………57
2. Analyse en miroir de deux théoriciens de l’empowerment……………………………………………….………57
A. Le constat : l’asymétrie dans les relations………………………………………………………………..………59
B. Les vecteurs du changement : éléments théoriques…………………………………………………………60
C. Les vecteurs du changement : éléments pratiques…………………………………………………..………62
D. Conclusion……………………………………………………………………………………………………………….………64
II. Empowerment et RE-SOI………………………………………………………………………………………………………………65
1. L’estime de soi et l’empowerment : deux postures distinctes…………………………………………..………65
2. Le RE-SOI : un fonctionnement qui tend vers l’empowerment………………………………………….………67
3. Conclusion…………………………………………………………………………………………………………..……….....…......71
4. Discussion……………..…………………………………………………………………………………………………………………..72
Conclusion générale…………………………………………………………………………………………………………………………75
Références bibliographiques……………………………………………………………………………………………………………81
Bibliographie……………………………………………………………………………………………………………………………………83
Annexes……………………………………………………………………………………………………………………………………………84
5
Liste des sigles
RE-SOI : Réseau estime de soi
ASV : Atelier Santé Ville
CUCS : Contrat Urbain de Cohésion Sociale
PLSP : Plan Local de Santé Publique, ou Programmation Locale de Santé Publique
CLS : Contrat Local de Santé
ARS : Agence Régionale de Santé
PRS : Programme Régional de Santé
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
PIJ : Point Information Jeunesse
BDSP : Banque de Données en Santé Publique
INPES : Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé
CODES : COmité Départemental d’Education pour la Santé
7
Le risque zéro n’existe pas. Les prises de risques sont présentes partout et concernent
aujourd’hui tout le monde. Nous avons parfois du mal, à réagir face à une situation angoissante, un
malaise, une gêne, nous éprouvons parfois des difficultés à mettre des mots sur les émotions qui
nous envahissent dans ces situations. Celles-ci se traduisent parfois par des comportements
compensatoires. Pour certains, ce sera la pratique effrénée de sports, pour d’autres ce sera le bond
sur un paquet de gâteaux, ou encore la consommation de substances licites ou illicites. Ces pratiques,
qui sont naturellement instituées, et qui peuvent concerner chacune et chacun d’entre nous,
commencent à poser question et peuvent devenir inquiétantes lorsqu’elles deviennent trop
excessives, et échappent au contrôle conscient mettant en péril l’intégrité physique et/ou psychique
des personnes.
La question de l’estime de soi est apparue comme un levier efficace pour prévenir ces conduites à
risques. En effet, elles dépendent souvent du regard que chacun porte, ou ne porte pas, justement,
sur son corps, sur son esprit, et sur ses capacités physiques ou mentales.
La bonne image de soi, la connaissance de soi, de ses ressources et de ses limites, et donc la
reconnaissance de soi par soi mais aussi par les autres, sont autant de situations qui nous aident à se
sentir appartenir à une société, qui nous donnent confiance pour agir dans ce que nous entreprenons
au quotidien, pour faire face aux difficultés personnelles et/ou professionnelles qui se présentent à
nous et qui permettent par conséquent de ne pas tomber dans des pratiques excessives de quelque
nature qu’elles soient. L’estime de soi apporte donc des solutions à certains des problèmes liés aux
conduites à risques.
Tel est le cheminement mené par un ensemble de professionnels, issus du champ socioéducatif
principalement, et exerçant leur activité sur le territoire de Plaine Commune, d’un cycle de travail
mené dans le cadre de la démarche atelier santé ville d’Epinay sur Seine, soutenu par la Mission
prévention des conduites à risques du Conseil Général.
Ce travail a abouti à la formalisation d’un réseau de professionnels autour de l’estime de soi. Ce
réseau, baptisé RE-SOI, s’est inscrit plus largement dans une perspective de réflexion et
d’amélioration continue des pratiques professionnelles. Ainsi, les participants ont développé au fil du
temps une culture commune autour de l’estime de soi et de l’intégration de cette thématique dans
leurs pratiques. La posture ainsi née, apparait comme étant une approche innovante au regard des
pratiques dites « classiques ».
8
Durant mes quatre mois de stage à l’Atelier Santé Ville d’Epinay sur Seine, j’ai pu observer la
construction d’une synergie entre les professionnels du RE-SOI, autour de cette posture centrée sur
l’estime de soi, ainsi que les tenants et les aboutissants d’un travail en réseau.
C’est sur l’analyse de la plus value de la posture centrée sur l’estime de soi, et du travail en réseau,
POUR la Promotion de la Santé, que ma recherche s’est centrée. J’ai donc cherché à répondre à la
question suivante : En quoi et comment l’estime de soi peut-elle être un levier d’intervention en
Promotion de la Santé ?
Mon analyse s’est fondée sur une enquête par entretien, menée avec les participants du réseau, ainsi
que sur les apports théoriques offerts par la littérature.
Le résultat de mon travail et de ma réflexion seront explicités à travers ce mémoire.
Mon écrit s’articulera en quatre parties.
Nous commencerons par apprécier le contexte dans lequel j’ai évolué pendant mes quatre mois de
stage. Ainsi, nous étudierons les spécificités du territoire local de la commune d’Epinay sur Seine ;
nous tâcherons ensuite de comprendre le rôle et la démarche de l’Atelier Santé Ville qui a constitué
mon terrain de stage ; nous pourrons enfin nous centrer sur la mission qui m’a été confiée pendant
ces quatre derniers mois, et de son inscription dans la démarche territoriale.
La seconde partie sera consacrée aux fondements de ma réflexion sous jacentes à l’écriture de ce
mémoire. Nous apprécierons les différentes étapes ayant conduit à l’élaboration de la
problématique, en passant par le cadre théorique, ainsi que la méthodologie utilisée pour ma
recherche.
Nous centrerons la partie suivante sur les résultats ressortis lors de la conduite des entretiens. Nous
nous concentrerons dans un premier temps sur les représentations des professionnels interrogés sur
la thématique de l’estime de soi d’une part, et sur l’intégration de cette thématique dans les
pratiques professionnelles d’autre part. Nous analyserons ensuite, le fonctionnement et
l’organisation du RE-SOI, pour terminer sur les impacts de ce réseau sur les pratiques et les postures
professionnelles.
Notre dernière partie s’intéressera aux liens existants entre l’« empowerment » et l’« estime de
soi ». Le concept de l’empowerment sera étudié à travers les propos de deux auteurs analysés en
miroir, évoluant dans deux champs distincts, que sont l’éducation et l’intervention sociale. Nous
verrons ensuite en quoi le RE-SOI s’inscrit dans une perspective d’empowerment.
10
Toute réflexion s’inscrit dans un processus qui se construit, au regard de l’expérience, des différentes
rencontres que l’on peut effectuer, des opportunités qui se présentent à nous, de notre écoute et de
notre disponibilité au moment où des informations sont transmises, des échanges que l’on peut avoir
ou non avec certaines personnes, de la sensibilité qui sera activée ou non au moment d’une parole…
Cette réflexion, même si elle comporte sa part de subjectivité, apparait aussi très liée au contexte
objectif dans lequel on évolue. Il me paraissait donc être un préalable essentiel à tout
développement, de vous présenter le contexte global dans lequel j’ai évolué pendant mes quatre
mois de stage, afin de mieux comprendre l’articulation de ma réflexion.
Introduction
J’ai été accueillie à la mairie d’Epinay sur Seine, et plus particulièrement dans le cadre de la
démarche Atelier Santé Ville (ASV), pour effectuer mon dernier stage de validation de Master 2 en
Promotion de la Santé, développement social. Ma mission s’est articulée autour de la mise en place
d’un réseau de professionnels sur la thématique de l’Estime de soi.
Afin d’apprécier au mieux ce contexte, je commencerai par présenter quelques caractéristiques de la
ville d’Epinay sur Seine. Je présenterai ensuite la démarche ASV dans sa globalité, puis son
articulation au niveau de la ville d’Epinay. J’exposerai enfin la mission qui m’a été confiée, et son
inscription dans la démarche territoriale.
I. Présentation de la ville d’Epinay sur Seine
1. Situation géographique
Epinay sur Seine est une ville d’Ile de France, située au
Nord-Ouest du département de Seine Saint Denis, à la
limite du Val d’Oise et des Hauts de Seine et
appartenant à la communauté d’agglomérations de
Plaine Commune1.
1 L’agglomération Plaine Commune rassemble les villes d'Aubervilliers, Epinay-sur-Seine, Ile-Saint-Denis, La
Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Stains, Villetaneuse.
Figure 1 : Situation géographique dans le département
11
Composée de 52 020 habitants, et s’étendant sur 457 hectares, la ville est découpée en six quartiers
(voir carte ci-dessous). Trois quartiers sont situés en Zone Urbaine Sensible2 (le Centre-ville, la
Source- les Presles, Orgemont). Un quartier est classé Zone Franche Urbaine3 (Orgemont).
2. Caractéristiques sociodémographiques
La population d’Epinay est comparable à la moyenne de la population du département avec,
cependant, quelques spécificités.
Sa population y est légèrement plus jeune, puisque la part de la population âgée de moins de 20 ans
représente 30,9 % de la population totale (30,9 % pour le département), et la part des personnes
âgées de 75 ans et plus, représente 4,2 % (4,9 % pour le département). La proportion d’étrangers y
est également plus élevée (24,4 % contre 21,1 % pour le département, et 16,1 % pour la région).
2 Selon l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), les zones urbaines sensibles (ZUS)
sont des territoires infra-urbains définis par les pouvoirs publics pour être la cible prioritaire de la politique de la ville, en fonction des considérations locales liées aux difficultés que connaissent les habitants de ces territoires. 3 Les zones franches urbaines (ZFU) sont des quartiers de plus de 10 000 habitants, situés dans des zones dites
sensibles ou défavorisées. Ils ont été définis à partir des critères suivants : taux de chômage, proportion de
personnes sorties du système scolaire sans diplôme, proportion de jeunes, potentiel fiscal par habitant. Les
entreprises implantées ou devant s'implanter dans ces quartiers bénéficient d'un dispositif complet
d'exonérations de charges fiscales et sociales durant cinq ans (INSEE).
Orgemont
Le Cygne
d’Enghien La Source - Les Presles
Centre ville Les Béatus - Les Mobiles
- La briche - Blumenthal
Les
Econdeaux
Figure 2 : Découpage de la ville par quartiers
12
La précarité, voire la pauvreté sont des caractéristiques marquées au sein de la commune. En effet,
pour l’année 2007, la part des familles monoparentales représentait 20,7 % des familles ; 1 personne
sur 5 bénéficiait d’allocations familiales. Le taux de chômage était également supérieur aux
moyennes départementales et régionales. La part des personnes de 15 ans et plus, non scolarisées,
ou scolarisées jusqu’en primaire ou jusqu’au collège, sans diplôme, représentait 31% (département :
29,7% ; région : 18,1%) Toujours en 2007, 52,6 % des foyers fiscaux étaient non imposables
(département : 49,3% ; région : 36,5%). En 2006, 65 % de la population vivait en Zone Urbaine
Sensible, alors que les moyennes départementales et régionales affichaient des chiffres respectifs de
20,5 et 11 %.
Enfin, l’Indice de Développement Humain (IDH24) se situe dans la moyenne départementale, mais
reste très inférieur à la valeur régionale (département : 0,39 ; région : 0,57).
II. Présentation de mon cadre de stage : la démarche ASV
Historiquement, la région Ile de France a été pionnière sur le développement des démarches ASV, et
notamment avec le département de Seine Saint Denis, qui fut un territoire expérimental, où les
premiers ASV ont été mis en place en 2001. Le département totalise 23 Ateliers Santé Ville dix ans
après, soit près de la moitié des ASV de la région Île-de-France.
1. Cadre réglementaire et cahier des charges de la démarche ASV
a) Législation
Créé par une décision du Comité interministériel à la Ville du 14 décembre 1999, l’Atelier Santé Ville
est une démarche locale de santé publique et de promotion de la santé qui a pour but de réduire
les inégalités de santé à l’échelle d’une commune ou d’un groupement de communes. Il constitue un
outil pour optimiser et développer le volet santé de la politique de la ville, et notamment du Contrat
Urbain de Cohésion Sociale (CUCS)5.
4 L’IDH2 est un indice développé par les Nations unies et adapté par l’Institut d’Aménagement et d’urbanisme
de la Région Ile de France. C’est un des outils utilisés par l’ARS pour définir les territoires d’intervention prioritaires. Cet indicateur met en relation trois variables fortes : le niveau de Revenu – le niveau d’éducation et l’espérance de vie à la naissance. Cet indice permet de mettre en valeur les contrastes entre les villes. 5 Le CUCS constitue le cadre de mise en œuvre du projet de développement social et urbain en faveur des
habitants de quartiers en difficulté. Il prend la forme d’un contrat passé entre l’Etat et les collectivités territoriales, engageant chacun des partenaires à mettre en œuvre des actions concertées pour améliorer la vie quotidienne des habitants dans les quartiers connaissant des difficultés. Il s’articule autour de 5 champs prioritaires qui sont l’accès à l’emploi et le développement économique, l’amélioration de l’habitat et du cadre de vie, la réussite éducative et l’égalité des chances, la citoyenneté et la prévention de la délinquance, et enfin la prévention et l’accès à la santé.
13
L’ASV n’est pas un nouveau dispositif supplémentaire, il constitue un outil pour faciliter la
mobilisation et la coordination des acteurs de terrains (associations, professionnels libéraux,
institutions, etc.), mais aussi des habitants, afin de construire une stratégie d’intervention locale
commune sur les questions de santé. On considère ici la santé, au sens large, c'est-à-dire au sens que
lui confère l’OMS, « un état de bien-être physique, social et mental et pas seulement l’absence de
maladie ou d’infirmité ». C’est donc la promotion globale de la santé et de l’accès aux soins qui est
visée, et qui ne peut donc reposer que sur une approche intersectorielle, et partenariale, c'est-à-dire
favorisant l’articulation avec l’ensemble des dispositifs existants, et ce avant tout dans les quartiers
prioritaires de la politique de la ville.
Les objectifs de l’ASV sont précisés dans la Circulaire DIV/DGS du 13 juin 2000. Il s’agit :
d’identifier au niveau local les besoins spécifiques des publics en difficulté et les
déterminants de l’état de santé liés aux conditions de vie
de faciliter la mobilisation et la coordination des différents intervenants
de diversifier les moyens d’intervention en fonction de l’analyse des besoins
de rendre effectif l’accès aux services publics sanitaires et sociaux de droit commun
de développer la participation active de la population à toutes les phases des programmes
locaux de santé et, la concertation avec les professionnels et les différentes institutions du
secteur sanitaire et social
b) Préconisations méthodologiques
Pour atteindre ces objectifs, la démarche ASV doit respecter une méthodologie de projet rigoureuse.
Celle-ci débute par un diagnostic partagé des besoins de santé, ayant pour
vocation principale de guider l’élaboration d’objectifs et d’une programmation
d’actions de santé sur le territoire du Contrat Urbain de Cohésion Sociale. Le
diagnostic doit conduire à la construction d’une vision commune des besoins du territoire, en
favorisant la mobilisation prioritaire des moyens d’action du droit commun. Il doit constituer une
occasion de promouvoir la démocratie sanitaire, en offrant notamment aux publics les plus
défavorisés l’occasion de s’exprimer et de participer à la prise en charge de leur santé. Elle doit aussi
offrir aux professionnels de santé l’opportunité de s’inscrire dans une démarche territoriale de santé
[1].
Diagnostic
partagé
14
La phase suivant le diagnostic doit être consacrée à l’élaboration de la
Programmation Locale en Santé Publique ou Plan Local de Santé Publique
(PLSP). Celle-ci constitue un cadre qui dépasse la juxtaposition d’actions et
met en cohérence l’ensemble des politiques et ressources de droit commun susceptibles d’apporter
des réponses aux besoins de santé diagnostiqués localement, à travers la définition d’objectifs
déterminés pour une période donnée [2]. Elle peut s’intégrer dans un plan local de santé établi pour
un territoire plus vaste, mais doit être centrée sur la réponse aux besoins de santé des habitants des
quartiers prioritaires de la politique de la ville.
La participation de la population constitue à la fois un objectif et un moyen de
promotion de la santé sur le territoire de la politique de la ville. Ce travail
avec les habitants n’est pas simplement un élément de démocratie locale, il
permet d’agir globalement sur la santé et d’améliorer réellement leur situation individuelle. La
participation constitue un vecteur de la réduction des inégalités de santé et favorise l’inclusion
sociale (sortie de l’isolement, du mal être, des tensions intergénérationnelles, des prises de risques…)
[1].
Afin de contractualiser les priorités définies dans le PLSP, d’assurer une
meilleure articulation entre les politiques régionale et locale de santé, et de
réduire les inégalités sociales et territoriales de santé, la loi « Hôpital Patients
Santé et Territoires » du 21 juillet 2009 a proposé la mise en place d’un « Contrat Local de Santé »
(CLS). Le CLS est un plan d’actions en matière de santé, décidé et signé à l’échelle d’un territoire par
trois partenaires : la ville, l’Agence Régionale de Santé (ARS) et le Préfet. Le CLS doit localement
associer les professionnels de santé, les associations, les représentants des usagers, etc. autour
d’actions qui sont à la croisée des priorités de chacun. Pour l’ARS, les CLS répondent à deux enjeux
principaux. D’une part, sur le point de vue des inégalités sociales face à la santé. Celles-ci sont
particulièrement importantes en Ile de France : le CLS est l’un des moyens pour l’ARS de prioriser son
action sur les territoires qui en ont le plus besoin, et de mobiliser les acteurs qui peuvent peser sur
les inégalités de santé. D’autre part, le CLS est un outil facilitant la création de passerelles locales, et
permettant ainsi de décloisonner les politiques publiques en matière de santé [3].
2. Présentation de la démarche ASV à Epinay sur Seine
La démarche ASV a été impulsée en 2003 dans la ville d’Epinay sur Seine. Elle a suivi une
méthodologie de mise en place classique. Le schéma ci-dessous présente quelques repères, afin
d’apprécier la chronologie locale des faits.
Plan Local de
Santé Publique
Contrat Local
de Santé
Participation
des habitants
15
Figure 3 : Chronologie suivie par la démarche ASV à Epinay sur Seine
Après le lancement de la démarche, un diagnostic « santé » a été mené auprès des acteurs locaux de
la prévention et du soin, ainsi que des habitants. Ensuite, un Plan Local de Santé Publique a été
élaboré, et structuré autour d’axes prioritaires (nutrition, santé mentale, conduites à risques, accès
aux soins et aux dépistages). La ville d’Epinay a ensuite contractualisé ses priorités d’actions, avec
l’Etat et la préfecture de Seine Saint Denis, en signant une version provisoire d’un Contrat Local de
Santé en décembre 2011. Celui-ci est articulé autour de huit axes thématiques, auquel s’ajoute une
action méthodologique d’Evaluation d’Impact en Santé (EIS consistant à étudier l’impact d’une
politique publique à priori « éloignée » du champ de la santé, sur cette dernière). Certains axes
étaient déjà développés dans le cadre de la démarche ASV, d’autres viennent s’ajouter et sont en
cours de développement (cf schéma p.16). L’année 2012 permettra de réajuster les priorités, et
d’affiner les éléments de diagnostic pour la nouvelle version quinquennale du CLS, qui sera signée
pour la période 2013-2018.
III. Présentation de ma mission de stage : la mise en place d’un réseau sur l’estime
de soi
Ma mission s’inscrit dans l’axe « conduites à risques » de la démarche ASV. Elle consiste en la
participation à la mise en place d’un réseau sur l’estime de soi, baptisé « RE-SOI », avec un focus
particulier sur son évaluation.
1. Présentation du réseau estime de soi (RE-SOI)
Le réseau estime de soi est né de la formalisation d’un cycle de travail sur l’estime de soi. Cette
initiative sera présentée de manière plus détaillée dans la troisième partie ; néanmoins voici
quelques grands repères, afin d’apprécier la construction et l’évolution de la démarche globale.
Révision CLS +
signature CLS
2013-2018
Signature du CLS
par la
municipalité, le
préfet et l’ARS
Diagnostic
participatif
Lancement
de l’ASV
Elaboration du PLSP +
mise en place des
groupes de travail
thématique
2003 2006 2007 2008 2010 2012 2013
16
A l’issue du diagnostic partagé réalisé dans le cadre de la démarche ASV, des priorités d’actions ont
été dégagées au regard des informations recueillies sur l’état de santé de la population Spinassienne.
Une première démarche a été engagée en 2006, afin de mener une réflexion globale sur les
conduites à risques, qui constituaient une de ces priorités. Des professionnels, issus du champs
éducatif, social et sanitaire, et travaillant avec différents publics confrontés à ces situations de
conduites à risques, ont réfléchi et cheminé ensemble, sur la manière de prévenir ces situations ; la
question du développement de l’estime de soi a été jugée comme un levier pertinent. Suite à
plusieurs formations, et journées de sensibilisation, un cycle de travail sur l’estime de soi a vu le jour.
Ce dernier a visiblement apporté beaucoup à ces professionnels, à tel point qu’ils ont ensuite décidé
de se constituer en réseau pour développer encore leurs compétences, échanger leurs pratiques, et
faire de l’estime de soi, une composante commune de leur pratique professionnelle en lien avec les
différents publics qu’ils accompagnent. Le réseau, ou RE-SOI, est actuellement en cours de
formalisation ; une charte a été élaborée par l’ensemble des personnes y participant. Elle précise les
contours, les objectifs, les principes de fonctionnement et d’éthique du réseau. Une demi-journée a
été organisée le 14 juin 2012 par l’ensemble du groupe, à l’intention de l’ensemble des partenaires
(services de la ville, associations, autres institutions, etc.) et des élus (ville, Conseil Général). Cette
demi-journée a été l’occasion de restituer et valoriser le travail effectué dans le cadre de cette
démarche, mais également de présenter les objectifs et les perspectives du réseau RE-SOI
nouvellement formé, afin d’ouvrir la participation au plus grand nombre par la suite.
2. Inscription du réseau dans la démarche ASV
Le réseau estime de soi est inscrit dans plusieurs programmes et processus contractuels. En effet, il
fait l’objet d’une fiche action du CLS dans l’axe « conduites à risques » ; il est également inscrit dans
le plan local de santé. Il est soutenu par le CUCS (volet santé), et valorisé par le conseil local de
sécurité. Le Programme Régional de Santé (PRS) est actuellement soumis à concertation, nous ne
sommes donc pas actuellement en mesure de définir à quel objectif il contribue, ni à quelle priorité
départementale il correspond.
Le schéma ci-dessous permet de visualiser les différentes thématiques s’inscrivant dans le CLS, en
distinguant celles qui étaient déjà développées par l’ASV, de celles qui sont en cours
d’approfondissement ; un zoom sur le RE-SOI a été réalisé, afin d’apprécier son inscription dans la
démarche territoriale de l’ASV.
Révision CLS +
signature CLS
2013-2018
Signature du CLS
par la
municipalité, le
préfet et l’ARS
Diagnostic
participatif
Lancement
de l’ASV
Elaboration du PLSP +
mise en place des
groupes de travail
thématique
2003 2006 2007 2008 2010 2012 2013
17
Projet estime de soi
Objectif général : Promouvoir des actions de prévention et de prise
en charge des conduites à risques basées sur le développement des
compétences psychosociales des publics vulnérables
Plan Local de Santé
Volet Santé – Contrat
Urbain de Cohésion
Sociale
Plan Régional de
Santé Actuellement soumis à concertation
Contrat Local de
Sécurité
Réseau estime de soi
RE-SOI
Cycle de travail
Contrat Local de Santé
Thématiques ASV Thématiques en développement
Thématiques CLS
Nutrition Santé mentale Conduites à
risques Cancer
Accès aux soins et
aux dépistages
Perte
d’autonomie des
séniors
Santé et Habitat
dégradé Périnatalité
+ Méthodo :
démarche EIS
18
3. Objectifs de l’évaluation
Le cycle de travail, ayant commencé depuis plus d’un an lorsque je suis arrivée en stage, et ayant
vocation à se transformer en réseau, n’avait pas fait l’objet d’une quelconque évaluation jusque là.
Constituant une action expérimentale, appelée à se développer et perdurer dans le temps, une
évaluation sur le processus et des éléments de résultats ont été jugés intéressants, afin d’apprécier la
pertinence de la formalisation du cycle de travail en réseau, ainsi que ses perspectives d’évolution
future. La conduite d’une telle évaluation, étant relativement chronophage, a été facilitée par mon
arrivée en tant que stagiaire, et a ainsi constitué ma mission principale pendant ces quatre mois.
L’intérêt de l’évaluation qui m’était demandée, était de se centrer sur l’aspect qualitatif de la
démarche. Elle devait permettre de mettre en évidence l’ensemble des éléments renseignant sur le
processus de mise en place du cycle et de sa formalisation en réseau : un aperçu des différents
professionnels ayant participé au cycle, les satisfactions et insatisfactions par rapport aux séances du
cycle, les attentes et/ou suggestions concernant la suite du travail en réseau, etc. L’évaluation devait
aussi permettre de mettre en exergue des éléments concernant le résultat de l’action, à savoir
l’impact sur les pratiques et les postures professionnelles.
Pour mener à bien ma mission, des entretiens semi-directifs ont été réalisés avec les membres du RE-
SOI. La méthodologie utilisée sera présentée dans la partie suivante, dans la mesure où les entretiens
ont constitué un de mes outils, au service de ma réflexion dans le cadre de ce mémoire.
20
L’objectif de cette seconde partie est de présenter l’évolution de mon cheminement qui a permis
d’aboutir à l’articulation et au contenu de ma réflexion qui sera présenté dans la partie suivante. Je
commence donc par présenter mon projet de mémoire dans un premier point, partant de ma
question de départ, pour aboutir à ma problématique, suivi de mon cadre théorique. Le second point
sera consacré à la méthodologie utilisée pour aboutir à la rédaction de mon mémoire.
I. Projet de mémoire
1. Construction de la problématique
a) Définitions des mots clés
« Conduites à risques » et « Estime de soi », ont été les mots clés, à l’origine de ma réflexion dès le
début du stage.
Conduites à risques
Les conduites à risques peuvent être définies comme « toutes pratiques répétitives conduisant des
personnes à se mettre en danger, sur les plans physique, psychologique ou social » [4]. Ces pratiques
peuvent revêtir différentes formes, telles que « fugue, errance, alcoolisation, toxicomanie, troubles
alimentaires, vitesse sur la route, tentative de suicide, violence, relations sexuelles non protégées,
refus de poursuivre un traitement médical vital, etc. – lesquelles, symboliquement ou réellement,
mettent l’existence des individus en danger » pour reprendre les termes du sociologue David Le
Breton [5].
Il est difficile de faire une typologie des conduites à risques, avec des profils d’individus
correspondant. On ne peut pas faire entrer les personnes dans des cases, les logiques à l’origine des
conduites à risques renvoient à des processus complexes qui mêlent à la fois l’environnement global
de la personne, sa personnalité, son histoire de vie, etc.
L’étude des conduites à risques et la manière de les prévenir ont fait l’objet d’une multitude d’écrits.
Un processus de réflexion continue a été mené dans le département de la Seine Saint Denis par un
grand nombre d’acteurs de terrains, confrontés à des publics fragilisés et confrontés à des conduites
à risques [4]. Un accent a été porté sur les origines sociales de celles-ci. Trois « sphères de
vulnérabilité », qui tendent à se croiser, ont été observées dans les parcours de vie des individus,
engendrant chacune des conduites à risques spécifiques en réponse à ces vulnérabilités. Des sphères
relevant de logiques de fragilisations sociales (précarisation des conditions de vie, déscolarisation,
errance, etc.), renvoyant aux relations privées (rapports hommes/femmes, relations intrafamiliales,
21
etc.), et aussi aux relations intimes (manque de confiance, défaut de reconnaissance, mal-être, etc.)
ont ainsi pu être identifiées. Les conduites à risques peuvent répondre à des besoins multiples et
variés : la gestion de ses émotions, la quête de prestige, l’amélioration de ses performances, la
volonté de s’endurcir, la levée des inhibitions, le brisement de la routine, la lutte contre la
discrimination, etc., et peuvent concerner tout le monde. C’est bien quand les individus en perdent la
maitrise, que ces conduites tendent à les fragiliser physiquement et socialement, qu’il est alors
important d’agir. De plus, s’ils sont déjà pris dans une ou plusieurs sphère(s) de vulnérabilité, les
effets de ces conduites auront tendance à être amplifiés [4].
De manière générale, « les conduites à risques contribuent à l’agencement et à la régulation des
styles de vie quand les possibilités d’agir (s’adapter, expérimenter, se confronter…) apparaissent
restreintes ou inaccessibles » [6]. Les conduites à risques sont donc utilisées dans des situations où
elles apparaissent comme étant le seul moyen identifié pour faire face aux difficultés et donner du
sens à sa vie. Cela explique le fait que les conduites à risques sont particulièrement importantes à
l’adolescence qui constitue une période de transition entre l’enfance et l’entrée dans la vie adulte,
où les enjeux de construction et d’affirmation identitaires sont décisifs.
Estime de soi
On assiste aujourd’hui à un engouement pour l’estime de soi. L’importance de l’estime de soi est
pointée dans des champs aussi variés que le sport, l’école, l’entreprise, le développement de
l’enfant, etc. [7]. La thématique sera largement exploitée dans le cadre de ce mémoire, mais voici
quelques éléments de définitions qui ont été à la source de ma réflexion.
L’expression « Estime de soi » est composée de deux concepts. Tout d’abord, l’« estime », qui
renvoie à une notion de valeur et repose donc sur un critère évaluatif [8]. Quels critères permettent
de mesurer la valeur de celui ou celle que je suis ? La valeur ici relève d’un jugement que l’on porte à
l’égard de soi. Ce jugement peut s’évaluer en termes quantitatifs [9] – on peut avoir un peu ou
beaucoup d’estime de soi – ou en termes qualitatifs – on parle alors d’une bonne ou d’une mauvaise
estime de soi. L’estime de soi est variable dans le temps, et peut aussi varier dans les différents
domaines de la vie.
L’autre élément, le « soi », repose davantage sur un critère descriptif [8]. Quelles sont les
caractéristiques spécifiques qui identifient qui je suis ?
L’estime de soi apparait en somme fortement liée à la perception que l’on a de soi-même dans les
différentes sphères et les différentes étapes de la vie [10]. Ce n’est pas tant la valeur personnelle qui
a son importance ici, mais bien la conscience que l’individu a de sa valeur en tant que personne [11].
22
b) Liens entre les mots clés : de la question de départ à la problématique
Après avoir quelque peu clarifié les notions de « Conduites à risques » et d’ « Estime de soi », ma
question de départ fut de savoir :
Quel est le lien entre les conduites à risques et l’estime de soi ?
Grâce à la littérature existante sur le sujet, des éléments de réponses peuvent être apportés au
regard de l’analyse de l’évolution des politiques de prévention et en particulier au niveau de la
prévention des conduites à risques.
En effet, certaines stratégies longtemps utilisées et axées sur l’usage de la peur pour dissuader, ou
sur l’apport de connaissances sur les méfaits de telles ou telles pratiques, se sont révélées être peu
efficaces, parfois stigmatisantes, et/ou culpabilisantes.
Les politiques de préventions tendent actuellement à ce centrer moins sur les conséquences des
pratiques, mais davantage à s’intéresser aux mécanismes qui font basculer les personnes dans telles
ou telles conduites. Comme dit précédemment, un accent particulier est porté sur une meilleure
compréhension des conditions sociales qui favorisent le développement de ces conduites et/ou
comportements [4], [6]. Les conduites à risques existent de fait, il ne convient pas de les éliminer,
mais l’effort doit porter sur la volonté de les compenser ou de les infléchir, lorsqu’elles échappent au
contrôle conscient des individus et mettent en péril leur intégrité physique et/ou psychique.
Dans cette optique, l’individu est considéré comme un être global ; les conduites à risques auxquelles
il peut être confronté, ne relèvent pas de sa seule responsabilité, mais sont bien le fruit d’une
multitude de facteurs et de déterminants qui s’inscrivent et interagissent dans un ensemble
complexe. Les acteurs de terrains préconisent de s’appuyer sur cette dimension globale, et donc de
se centrer sur les facteurs de protection, correspondant aux « circonstances pouvant améliorer la
résistance aux facteurs de risque et contribuer aux résultats positifs, à l’équilibre et au
développement de la santé des individus » [12]. Il s’agit de s’appuyer sur l’identification et la
valorisation des ressources propres à chaque individu, qui vont permettre de renforcer sa sécurité
intérieure, lui donner des repères, des stratégies pour faire face aux aléas de la vie [13].
Les facteurs de protection sont à mettre en étroite corrélation avec le concept de « Résilience ». A
l’origine, la résilience est un terme emprunté à la physique, et caractérise la résistance d’un matériau
au choc [14]. On considère la résilience dans la réalité humaine, comme étant la capacité d’un
individu à rebondir, à se construire, à poursuivre un développement normal, après avoir résisté à une
épreuve de la vie (traumatisme sévère, situation déstabilisante, accident de parcours, etc.) [13]. C’est
23
une capacité de croissance à travers des difficultés graves, plus qu'un simple rebondissement qui
nous ramène à une position antérieure [14]. Nous connaissons tous des exemples de personnes qui,
après avoir vécu des expériences de vie éprouvantes, déstabilisantes, traumatisantes, les ont
surmontées, et sont parvenues à retrouver une vie sereine et stable. Il est parfois difficile de déceler
quel a été le ou les évènement(s) déclencheurs, les facteurs favorisants, les énergies, qui ont permis
de changer de cap et poursuivre la vie sur un chemin positif [15]. La résilience est un processus
complexe qui repose sur l’interaction entre l’individu et son environnement [13].
L’estime de soi est considérée comme un facteur de protection, mais aussi comme un élément
favorisant la construction de la résilience. Elle apparait donc naturellement comme étant un bon
levier de prévention des conduites à risques.
Ces concepts, à la fois simples et complexes, peuvent être considérés comme étant un idéal
théorique, mais peuvent et doivent trouver leur application dans la pratique. Centrer sa pratique
professionnelle sur l’estime de soi, sur les facteurs de protection, sur la résilience apparait comme
étant un véritable changement de regard sur la réalité qui nous entoure, un changement de
perspective sur la vision du monde que l’on peut avoir [14]. Cela peut paraitre facile, et pourrait se
résumer à la métaphore de considérer la bouteille à moitié pleine plutôt qu’à moitié vide, mais nous
savons tout aussi bien les uns que les autres, qu’il est extrêmement difficile de découvrir une
évidence…
Le cycle de travail sur l’estime de soi, et sa formalisation en réseau s’inscrivent bien dans cette
perspective, et c’est cela que j’ai voulu analyser à travers mon mémoire. Il s’agit donc d’étudier
l’inscription de l’estime de soi dans les pratiques professionnelles, et voir en quoi et comment
l’estime de soi peut être un levier d’intervention, non pas seulement dans le champ de la prévention
des conduites à risques, mais aussi dans un champ plus large que représente la promotion de la santé
en général.
La problématique qui est au centre de ce mémoire est donc la suivante :
En quoi et comment l’estime de soi peut-elle être un levier d’intervention en promotion de
la santé ?
Je tenterai donc d’apporter un éclairage à cette interrogation en m’appuyant sur l’expérience locale
du réseau estime de soi, tout en étayant mon analyse à l’aide des apports théoriques offerts par la
littérature.
24
NB : le terme « intervention en promotion de la santé » a été choisi ici pour préciser que ma réflexion
s’inscrira bien dans la perspective des pratiques professionnelles relative au champ de la promotion
de la santé, et non pas seulement dans une perspective théorique.
2. Le cadre théorique
a) Définition
La problématique étant posée, il convient de repréciser le cadre théorique dans lequel s’inscrit ma
démarche et ma réflexion.
Mon travail se réfère explicitement aux principes de la promotion de la santé, comme il est d’ailleurs
précisé dans ma problématique. Dans ce cadre, on considère la Santé dans le sens que lui a conféré
l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1946, qui la désigne comme étant « un état de bien-
être physique, social et mental et pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité ». La santé est
appréhendée dans sa dimension globale. En parlant de bien-être, elle suggère qu’il appartient à
chacun de fixer ses propres normes de santé : seule la personne concernée peut dire si elle se sent
bien ou mal. Ni le corps médical, ni la société ne disposent de critères objectifs pour mesurer le bien-
être d’un individu.
La première conférence internationale pour la promotion de la santé, réunie à Ottawa en 1986, a
émis une charte pour l’action visant la Santé pour tous d’ici l’an 2000. Elle présente la santé comme
étant « une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie ; il s’agit d’un concept
positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les capacités physiques ».
Selon la Charte d’Ottawa, la promotion de la santé est « le processus qui confère aux populations les
moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d’améliorer celle-ci ». Elle s’inscrit
donc dans une perspective globale de la santé. Elle articule différentes actions en faveur de la santé
dans une logique d’autonomisation de l’individu. Elle est plurifactorielle car elle combine des
activités de prévention (ensemble des mesures qui visent à éviter ou à réduire la gravité des
maladies), de dépistage, d’assainissement avec la participation active de la population à chaque
étape. Les activités d’éducation pour la santé font également partie intégrante de la promotion de la
santé, car elles contribuent à la responsabilisation de l’individu vis à vis de sa santé [16]. La
promotion de la santé correspond donc à tous les moyens d’améliorer la santé et de viser comme
objectif le bien être des individus.
25
b) Quelques principes
Les principes suivant sont intégrés et appliqués de fait dans la méthodologie d’intervention de
l’Atelier Santé Ville d’Epinay et constituent donc les contours éthiques et pratiques du réseau estime
de soi.
Une approche par déterminants
La santé ne ressort pas que d’inégalités naturelles (génétiques) fondées sur une irréductible disparité
biologique entre les êtres humains, mais relève d’une multitude d’autres facteurs qui interagissent
entre eux, et qu’on nomme « déterminants ». Ces derniers sont définis par l’OMS en 1999, comme
étant « les facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux qui déterminent l’état
de santé des individus ou des populations. Ils sont multiples et agissent les uns avec les autres ».
Dans cette optique, l’individu ne peut pas être jugé seul responsable de son état de santé, puisque
celui-ci dépend d’autres facteurs dont il n’a pas de maitrise. La promotion de la santé prend en
compte et agit sur les déterminants de santé modifiables, pour favoriser la santé optimale de tous
[17].
Une approche écologique
Partant du postulat que la santé est déterminée par des conditions variées interagissant les uns avec
les autres, c’est en cela que la promotion de la santé est aussi une approche écologique. Cette vision
plus complète et plus complexe de la santé appelle des interventions de nature multidimensionnelle,
accordant la même importance aux variables individuelles qu’aux variables environnementales,
sociales, économiques, politiques, culturelles, religieuses et physiques [17].
Une approche qui lutte contre les inégalités de santé
Les inégalités observées aujourd’hui s’expriment par des différences d’état de santé mesurables
entre les groupes sociaux. Elles traversent l’ensemble de la population française selon un gradient
qui suit la hiérarchie sociale. Ce gradient social persiste après avoir pris en compte l’exposition
individuelle aux facteurs de risques comportementaux et professionnels (ainsi que la survenue
d’accidents, l’incidence et le pronostic de la plupart des pathologies, les handicaps, les modalités de
prise en charge, l’accès aux programmes de dépistage et de prévention) [18]. Les inégalités sociales
de santé sont considérées comme de véritables « iniquités en santé », c’est-à-dire comme des
« différences dans le domaine de la santé qui sont inacceptables et potentiellement évitables, mais,
26
de plus, qui sont considérées comme inéquitables et injustes. Le terme a donc une dimension morale
et éthique »6.
Une approche positive
La promotion de la santé vise une approche positive de la santé fondée sur le bien être de l’individu.
Elle ne cherche pas à promouvoir des comportements hygiénistes à tout prix, mais bien à faire en
sorte que les individus évoluent dans un environnement global qui concoure à leur bien être. La
promotion de la santé se situe ainsi dans une posture de non culpabilisation.
Une approche centrée sur les ressources des individus
Dans cette optique, l’individu est considéré comme le seul capable de définir son bien être. L’accent
doit être porté sur les ressources de l’individu, et ses facteurs de protection. L’individu doit être
associé à toutes les étapes des projets ou des actions, qu’ils relèvent d’une dimension individuelle ou
collective, allant de la réflexion initiale jusqu’à leur mise en œuvre effective. On parle alors
d’« empowerment ».
II. Méthodologie
Cette partie a pour objet d’exposer tous les éléments méthodologiques qui m’ont permis
d’approfondir et de construire ma réflexion tout au long de ce stage. Ces méthodologies seront
ensuite discutées.
1. L’enquête
Comme dit précédemment, les entretiens ayant été conduits lors de ma mission de stage, ont
également été mis au service de la réflexion que j’ai menée dans le cadre de mon mémoire. La
préparation et la conduite de ces entretiens s’est donc faite en tenant compte de ces deux finalités.
a) Le cadre général
Quoi ? Dans le cadre de l’évaluation de la démarche de mise en place et de la formalisation du cycle
de travail sur l’estime de soi en réseau, la technique d’enquête choisie a été l’entretien semi directif.
Ce mode d’investigation est une technique qualitative de recueil d’informations, qui permet de
centrer le discours des personnes interrogées autour de thèmes précis, préalablement définis et
recueillis dans un guide d’entretien. Le dialogue reste ouvert, la personne interrogée peut s’exprimer
6 Définition proposée par la Banque de Données en Santé Publique
27
librement et développer ses réponses. Les thèmes préalablement définis permettent simplement
d’orienter et de cadrer le discours.
Quand ? Les entretiens ont été menés entre la fin du mois de mars, et le début du mois de juin. Cette
temporalité était imposée, dans la mesure où le travail d’enquête devait être terminé pour être
présenté à l’occasion de la rencontre de restitution du 14 juin 2012.
Avec qui ? Compte tenu de la contrainte temporelle, les entretiens ont été menés auprès du « noyau
dur » du RE-SOI, à savoir les professionnels ayant le plus participé aux séances du cycle de travail et
qui y sont toujours aujourd’hui. Une cinquantaine de professionnels différents ont participé aux
séances du cycle de travail depuis son lancement, ce qui aurait représenté un travail trop important,
et une pertinence moindre, dans la mesure où certains d’entre eux n’ont été présents qu’à une
séance. Une autre phase de l’enquête sera toutefois envisagée, avec l’utilisation d’un autre mode
d’investigation qui reste encore à définir (rapide entretien téléphonique, ou questionnaire), afin
d’interroger cette fois-ci ces personnes, qui ont participé de manière ponctuelle aux séances. Cela
permettra de comprendre les raisons de leur absence régulière de participation, et de proposer des
ajustements éventuels, dans le but d’assurer une meilleure adéquation entre les attentes des
professionnels et le fonctionnement du réseau.
Comment ? Une grille d’entretien a d’abord été élaborée en fonction des différents objectifs qui
m’étaient demandés (voir b). Celle-ci a été testée, puis validée. J’ai ensuite procédé à la conduite des
entretiens auprès du « noyau dur » du réseau (représentant 8 personnes), en veillant à assurer un
enregistrement sonore de ces derniers, facilitant ainsi leur retranscription, qui a constitué mon étape
suivante. Les retranscriptions étant finalisées, j’ai ainsi pu passer à la dernière étape, celle de
l’analyse.
b) Présentation de la grille d’entretien
Ma grille d’entretien a été construite dans l’idée de recueillir des informations renseignant, d’une
part, le processus de mise en place du réseau (les moyens, l’organisation, les attentes, les
motivations, etc.), et d’autre part, des informations relatives aux résultats de cette démarche, à
savoir les impacts sur les pratiques et postures professionnelles. Par conséquent, j’ai tenté d’avoir
une approche la plus globale possible en m’intéressant aux personnes participant au réseau, à la
thématique de l’estime de soi, à l’organisation de travail et à l’articulation entre ces trois dimensions.
Trois grandes parties ont été abordées lors de chaque entretien. La première concerne
l’identification professionnelle. Elle m’a permis ainsi d’apprécier la réalité professionnelle concrète
de la personne que j’avais en face de moi. Sa profession, mais également l’exercice de celle-ci au sein
28
de sa structure (une assistante sociale de secteur n’a pas forcément le même quotidien professionnel
qu’une assistante sociale du dispositif de la réussite éducative par exemple), le public qu’elle
accompagne, son mode de fonctionnement, etc.
La seconde partie concerne l’implication de la personne au sein du cycle estime de soi. Cet aspect a
été abordé en deux points. J’ai commencé d’abord par recueillir les représentations de la personne
autour de la thématique de l’estime de soi, ainsi que des exemples d’application qu’ils soient
professionnels ou personnels. J’ai étudié dans un second temps le parcours de la personne au sein du
cycle estime de soi : comment elle est arrivée là, quelles étaient ses attentes, son vécu des
différentes séances que ce soit en termes de contenu ou de l’approche utilisée, etc.
Enfin, la dernière partie concerne davantage la formalisation du cycle estime de soi en réseau, où
ont été abordés les différents axes de travail (piliers) élaborés par le groupe et intégrés dans la charte
de fonctionnement du réseau (formation, coordination/animation, communication et évaluation).
Les attentes et éventuelles suggestions ont été abordées pour chaque pilier.
La grille d’entretien a été présentée lors d’une des séances du cycle estime de soi, afin d’assurer la
transparence de mon travail, de faire valider la grille, et de préparer les personnes à cet exercice
d’entretien. Les rendez-vous ont pu ainsi être pris lors de cette même journée, facilitant la
planification.
c) Présentation des interviewés
Les entretiens ont donc été menés auprès du « noyau » dur du réseau. Ainsi, huit personnes ont été
interrogées pendant la durée de mon stage. La liste ci-dessous permet d’apprécier la diversité de
leurs profils respectifs.
o Chargée de mission à la mission prévention des conduites à risques du Conseil Général de
Seine Saint Denis à Bobigny, co-animatrice du cycle estime de soi
o Responsable de la maison des parents à Epinay sur Seine
o Assistante sociale à la réussite éducative à Epinay sur Seine
o Coordinatrice de la réussite éducative à Epinay sur Seine
o Assistante sociale à l’entreprise Electricité De France à St Denis
o Hôte à la pension de famille de l’Amicale Du Nid à Epinay sur Seine
o Informateur jeunesse au Point Information Jeunes (PIJ) à Epinay sur Seine
o Assistante sociale à la circonscription d’Epinay sur Seine du Conseil Général de Seine Saint
Denis
29
NB : Pour conserver l’anonymat de mes interviewés, leur identité et statut ne figureront pas au cours
de mon écrit. Certains de leurs propos seront cités en italique tout au long de mon analyse, et
introduit par des guillemets, mais ne seront pas personnifiés. J’ai effectué ce choix, dans la mesure
où il n’y a pas eu de réelles divergences dans les propos de mes interviewés ; il était très intéressant
d’observer la convergence des points de vue des professionnels, avec des formulations toutefois
personnalisées. J’ai donc préféré mettre en évidence les propos, plutôt que les personnes qui les
avaient formulés.
2. Recherches bibliographiques
Mon deuxième axe méthodologique s’est articulé autour d’une analyse de la littérature sur les
différents sujets en lien avec ma problématique.
J’ai commencé par effectuer une interrogation des différentes bases de données de référence à
partir de la définition de mots clés sur les différents thèmes se rapportant à mon sujet : « Estime de
soi », « Conduites à risques », « Valorisation de soi », « Conscience de soi », « Confiance en soi »,
« Compétences psychosociales », « Résilience », « Intervention sociale », « Empowerment »,
« Participation sociale », « Mobilisation sociale », « Citoyenneté », notion du « self », réseaux, etc.
Les mots clés utilisés dans mes recherches ont été dans un premier temps intuitifs ; d’autres mots
clés ont pu ensuite m’être apportés par mes lectures.
Lors de mes recherches, j’ai utilisé deux modes principaux d’interrogation de bases de données. La
première, s’est effectuée par le biais d’internet, où j’ai principalement interrogé la Banque de
Données en Santé Publique (BDSP), mais également les portails canadiens et français de ressources
en sciences sociales « Erudit », et « Cairn ». La seconde s’est faite via le déplacement dans les
différents lieux ressources, en interrogeant leurs bases de données propres. Effectuant mon stage en
Ile de France, j’ai eu la chance de pouvoir visiter les centres de ressources documentaires nationaux
tels que l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES), ou l’institut Renaudot,
mais également de pouvoir bénéficier de la richesse documentaire disponible dans les nombreuses
bibliothèques universitaires, au sein des Comités Départementaux d’Education pour la Santé
(CODES), ou encore grâce aux ressources de la mission prévention des conduites à risques du Conseil
Général de Seine Saint Denis.
A partir de ces recherches, une première lecture des différentes références bibliographiques a été
faite. Ces premières lectures m’ont tout d’abord permis de me plonger au cœur du sujet. J’ai
cependant rencontré des difficultés vis-à-vis de la masse d’informations disponible. Ce n’est qu’en
30
multipliant mes visites dans les différents centres de ressources, que j’ai commencé à faire des ponts
entre mes différentes lectures, et ainsi réussi à mieux saisir les contours que pourrait prendre mon
mémoire, tout en affinant ma problématique.
Lorsque ma problématique et mon plan ont été finalisés, j’ai ensuite pu me lancer dans la phase
écriture de mon mémoire. Au fur et à mesure de l’avancement de la rédaction, j’ai ainsi pu utiliser les
références bibliographiques préalablement sélectionnées, tout en les complétant avec d’autres
apports théoriques qui s’imposaient au regard de ma réflexion et de mon analyse.
Par ailleurs, mes références bibliographiques ont naturellement été influencées et étayées par mes
rencontres et expériences avec les différents professionnels évoluant sur le terrain. Que ce soit à
l’occasion d’échanges informels, de formations, ou de construction d’interventions, les différents
professionnels, de par leur parcours et expériences respectifs, m’ont fait partager des références, qui
ont contribué à l’alimentation et à la construction de ma réflexion pendant toute la durée de mon
stage.
3. Discussion
La méthode de l’entretien, comme tout mode d’investigation, présente ses avantages, ainsi que ses
inconvénients qu’il est important d’avoir en tête lors de son utilisation, afin d’apprécier la juste
valeur des résultats qu’il produit. En effet, identifier les biais possibles lors de la passation d’un
entretien, permet de les anticiper et donc de les neutraliser le plus possible, ou tout du moins, de
pouvoir les prendre en considération lors de l’analyse des résultats.
Je peux tout d’abord évoquer la question de l’objectivité. La méthode de l’entretien est une
méthode qualitative qui implique au minimum deux personnes ; il y a donc naturellement une part
de subjectivité et d’affectif qui peut se jouer lors de l’interaction entre ces personnes. De plus, même
si j’étais extérieure à l’Atelier Santé Ville au départ, et nouvelle dans cette aventure du réseau, ma
très bonne intégration, ainsi que mon investissement dans ma mission de stage, ont fait que je suis
restée étroitement impliquée au niveau de l’organisation et de l’évolution du réseau, et que je suis
devenue en quelque sorte un membre de l’équipe à part entière. Ma vision extérieure, ma prise de
distance et ma relative neutralité ont donc pu se trouvés remises en cause. J’identifie donc un défaut
d’objectivité dans la conduite de ces entretiens. L’élaboration de la grille à laquelle je me suis référée
pour chaque entretien, m’a permis tout de même, d’atténuer ce biais, ce qui était essentiel dans
l’objectif de rendre mon évaluation efficace et pertinente.
31
Je peux toutefois dire, que ce biais, même s’il est présent, peut comporter certains avantages. En
effet, les entretiens tournent souvent plus à une conversation, la personne se sentant à l’aise, un lien
de confiance se créé davantage. Pour certains thèmes, certaines personnes avaient peu de choses à
dire lorsque certaines questions étaient posées d’emblée, et ont trouvé leur inspiration après des
échanges plus importants, qui étaient plus proches de la discussion que de la simple réponse à une
question.
Le deuxième biais identifié relève plutôt d’une difficulté lors de l’élaboration de ma grille
d’entretien. En effet, mes entretiens répondent à un triple objectif : ils ont dû être pensés en vue de
la rencontre de restitution, ainsi qu’au regard de l’évaluation et de sa formalisation en réseau.
L’évaluation en elle-même fut différée puisque la rencontre de restitution est restée la priorité des
participants du cycle jusqu’au mois de juin. L’évaluation proprement dite sera une question abordée
en concertation avec le groupe plus tard dans l’année, ce qui est logique dans la mesure où le cycle
est tout juste en cours de formalisation en réseau. Et le troisième objectif de mon entretien était
mon mémoire. J’ai donc essayé d’avoir une grille d’entretien me permettant d’avoir une approche la
plus globale possible pour répondre à ce triple objectif.
Après avoir passé ces entretiens, il est aujourd’hui possible de dire que la grille a bien fonctionné et
je n’ai eu aucun ajustement à effectuer. En effet, j’ai été en mesure d’aborder tous mes items lors de
chaque entretien. La durée moyenne de chaque entretien s’est située entre 1h et 1h15, ce qui m’a
donné matière à analyser, et ce qui n’était pas trop long pour mes interlocuteurs. Les entretiens ont
été très riches, et n’ont pas fonctionné sur un simple schéma de questions-réponses, chaque
interviewé a pris le soin de développer ses propos et a apporté beaucoup d’informations.
Après avoir exposé le contexte dans lequel s’est inscrit mon stage, ainsi que la construction de ma
réflexion qui en a naturellement découlé, je vous propose maintenant de centrer l’analyse sur le
contenu de mes entretiens.
33
Introduction
Il convient de rappeler que les entretiens ont été réalisés avec les professionnels près d’une année
après la mise en place du cycle de travail sur l’estime de soi. Ce dernier n’avait pas pour vocation
première de s’inscrire dans le temps, dans la mesure où le projet initial devait se contenter de
quelques séances de sensibilisation faute de financements plus importants. Le Conseil Général, et
plus précisément la Mission Prévention des Conduites à Risques est finalement venu s’associer au
projet, et a permis de donner naissance à un cycle de travail qui n’avait pas de durée de vie précise,
mais qui existe toujours aujourd’hui, avec la perspective d’évolution concrète en réseau.
Comment expliquer le succès de ce projet ?
L’analyse des entretiens a permis d’apprécier les tenants et les aboutissants de ce réseau local sur
l’estime de soi.
Les résultats seront présentés en trois grandes catégories. Nous commencerons par nous intéresser à
l’essence même du réseau en étudiant les représentations des professionnels interrogés autour de la
thématique de l’estime de soi. Cette première partie distinguera les éléments constitutifs d’une
définition générale de l’estime de soi, des éléments en lien plus spécifiquement avec l’intégration de
l’estime de soi dans les pratiques professionnelles. Nous étudierons ensuite dans une seconde partie,
les aspects concernant davantage la forme, à savoir l’organisation et le fonctionnement du réseau,
qui, nous le verrons, a aussi joué un rôle indéniable dans le succès de ce travail. Nous terminerons
enfin, par étudier les premiers impacts identifiables de ce réseau sur les pratiques et les postures
professionnelles.
Ces résultats seront ensuite repris et discutés, afin d’étudier plus profondément les liens avec la
promotion de la santé.
I. Le fond du RE-SOI : thématique de l’estime de soi
1. Définition générale
Les représentations autour de la thématique de l’estime de soi ont constitué le point de départ de
chaque entretien. Les professionnels ont identifié un certain nombre de caractéristiques propres à
l’estime de soi, qui sont détaillées et regroupées dans les points ci-dessous.
34
Une place centrale
Tous les professionnels sont unanimes quant à l’importance de l’estime de soi. Des expressions
comme « c’est un sujet qui est au cœur de la personne », « un sujet qui régit plus ou moins notre
vie », témoignent de cette importance et justifie ainsi l’intérêt qu’il est nécessaire d’y porter.
Il est intéressant de noter que la thématique n’épargne personne. Selon eux, « tout le monde peut
être concerné par le sujet », et ce dans « tous les cercles de la vie ». L’estime de soi ne concerne donc
pas seulement le secteur « social ou éducatif », mais peut potentiellement intéresser, puisque
toucher et concerner, tous les individus. « Tout être humain, quel que soit son niveau
socioprofessionnel, sa précarité ou sa richesse, est doté d’une estime, qui peut être fragmentée,
altérée à tout moment, par n’importe quelle problématique ».
Un processus qui se construit
Les professionnels interrogés ne considèrent pas l’estime de soi comme quelque chose qui existe de
fait, « on ne s’estime pas du jour au lendemain ». Si l’on s’en réfère au débat qui anime un grand
nombre de sociologues entre ce qui relève de l’inné, donc des caractéristiques que l’on possède dès
la naissance, caractéristiques naturelles, puisque transmises par hérédité, et, ce qui relève de
l’acquis, à savoir l’ensemble des traits et comportements résultant de l’éducation, de l’apprentissage
et de l’adaptation de l’individu à son environnement [19], l’estime de soi relèverait donc du second
item.
On ne nait pas avec une bonne ou une mauvaise estime de soi, celle-ci relèverait en réalité d’un
« processus », « d’une construction » qui pourrait « débuter dès l’enfance », même si « on peut
travailler cette notion à n’importe quel âge ». Il est intéressant de souligner l’accent particulier porté
sur l’enfance. Selon la psychologie, les premières années de la vie apparaissent comme étant les plus
importantes, car elles correspondent au fondement psychique de l’être humain. Il est néanmoins
important de préciser que chaque étape de la vie comporte ses enjeux précieux en termes de
construction et/ou de maintien de l’estime de soi [11].
L’estime de soi se construit donc sur le long terme.
Par ailleurs, les professionnels interrogés indiquent que l’estime de soi est « quelque chose qui n’est
pas figé », « qui se cultive ».
Effectivement, on peut considérer l’estime de soi sur un plan vertical : on n’a pas forcément la même
estime de soi à l’adolescence qu’à un âge adulte avancé. De plus, si on considère maintenant la
dimension horizontale de l’estime de soi, elle n’est pas forcément identique dans tous les domaines
35
de la vie [11]. On peut relier cela à la théorie des rôles sociaux développée en sociologie, qui suggère
que l’individu est amené à jouer plusieurs rôles au sein de la société dans laquelle il vit, en fonction
des différents statuts sociaux qu’il doit occuper. En effet, un même individu peut à la fois avoir le
statut de professeur des écoles, de père, d’ami, de joueur de golf et de militant. Chaque statut social
engendre un rôle à jouer par l’individu. L’apprentissage des rôles, des normes et des valeurs d’une
société constitue ce qu’on appelle la socialisation. On distingue la socialisation primaire, qui s’opère
dès l’enfance et principalement au sein de la famille, de la socialisation secondaire correspondant au
processus d’apprentissage et d’adaptation tout au long de la vie, et qui peut faire intervenir d’autres
agents de socialisation que la famille comme l’école, les médias, les relations professionnelles, ou
encore les partis politiques, etc.
La théorie de l’homme pluriel développé par Bernard Lahire [20] considère les individus comme des
acteurs dits « pluriels », c'est-à-dire qu’en plus de reconnaitre la multiplicité des rôles sociaux qui
peuvent être joués par les individus, il souligne que les individus se confrontent au cours de leur vie,
à des systèmes socialisateurs non homogènes, et parfois même contradictoires. Ainsi, le « bon
remplissage » de son rôle social sera variable d’un individu à un autre en fonction des modèles de
socialisations auxquels il aura été confronté.
Par conséquent, de manière générale, le jugement que l’on porte sur soi-même, donc l’estime qu’on
a de soi-même, apparait fortement lié à la perception des différents rôles que la vie amène à jouer,
et cette perception dépendra entre autres du, ou des, modèles de socialisation auxquels nous aurons
été soumis. Ainsi, si un homme considère qu’être un bon père passe par le faire de ramener de
l’argent, et d’entrainer son fils au football, son estime de lui même en tant que père fluctuera en
fonction de sa capacité à remplir les différents aspects de ce rôle.
Cela montre bien comment l’estime de soi est un va et vient constant entre l’individu et son
environnement, puisque l’apprentissage des rôles dépend bien des univers socialisateurs et de
l’interprétation personnelle que les individus en font.
Acquérir l’estime de soi apparait donc pour ces professionnels comme un processus qui ne suivrait
pas une évolution croissante linéaire, mais qui conserve une dimension dynamique, avec ses hauts et
ses bas. L’estime de soi possède un caractère cyclique, instable et toujours variable en fonction des
différents statuts occupés, à l’image de la vie.
Un rapport à soi et un rapport à l’autre
La « confiance en soi » est une expression synonyme de l’estime de soi qui revient dans la majorité
des propos des professionnels interrogés. Un interrogé rappelle que « la confiance en soi doit
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permettre de se considérer en tant que personne, se rendre compte qu’on existe avec ses qualités et
ses défauts ». La connaissance de soi, l’identification et l’acceptation de ses forces et de ses limites
apparaissent donc comme des conditions sine qua non du processus de l’estime de soi.
L’individu est donc placé au cœur de ce processus d’acquisition de son estime de soi.
Mais les professionnels mettent en avant la dimension fondamentale qu’il est nécessaire de prendre
également en compte, à savoir l’environnement de l’individu : « l’estime de soi doit prendre en
compte la personne, ainsi que son environnement ». Ainsi, l’estime de soi se construit grâce au
« résultat de toutes nos rencontres, la famille, nos réussites, les amis, et nos activités extérieures ». Il
s’agit donc d’un processus impliquant la synergie de plusieurs paramètres interagissant ensemble, et
donnant un résultat profitable à l’individu. De même, l’estime de soi « ne s’acquiert pas seul », une
professionnelle souligne la nécessité d’avoir « la bienveillance du regard des autres ».
C’est donc ici la dimension de l’individu comme être social qui est mise en avant. L’individu, à sa
naissance, ce qui coïncide à ses premiers pas dans la société, doit apprendre à vivre au sein de cette
société, c’est ce que l’on nomme la socialisation. La rencontre avec l’autre va permettre la
connaissance du soi car cette connaissance passe naturellement par autrui (la reconnaissance par
l’autre). L’individu vivant en société, donc étant dans un contexte social (et ayant été socialisé) a
besoin de vivre en harmonie avec les autres.
De nombreuses études montrent que l’estime de soi prend naissance dans une relation
d’attachement [11]. On ne nait pas avec une image toute faite de sa personne, les enfants
apprennent d’abord à se voir dans les yeux des personnes qui sont importantes pour eux. La période
d’attachement constitue une étape cruciale dans le développement psychique de tout être humain,
et donc le noyau de base de l’estime de soi. Ce premier sentiment de valeur personnelle s’enrichit
par la suite de rétroactions positives de l’entourage qui confirment à l’individu ses forces, ses
qualités, et ses réussites. Avec le temps, en intériorisant ces rétroactions positives, l’individu
intériorisera une bonne estime de soi qui sera nourrie de façon intrinsèque par son monologue
intérieur, c'est-à-dire le dialogue qu’il entretiendra avec lui-même et donc le contenu qui sera positif.
L’estime de soi est donc une construction qui se fait par l’individu, mais qui apparait fortement lié à
l’interaction de celui-ci avec son environnement.
L’individu, étant un être social, fait que le regard explicité des autres est un paramètre essentiel dans
la notion de l’estime de soi [21]. Se positionner par rapport aux personnes de son environnement
immédiat - l’importance de la reconnaissance par l’autre, c’est-à-dire de ses pairs, des personnes
importantes aux yeux de l’individu - représente l’un des mécanismes fondamentaux d’ajustement de
37
l’estime de soi. A. Maslow, qui fut un célèbre psychologue américain, dans sa théorie de la
motivation humaine [22], définit une hiérarchie des besoins fondamentaux, où figure notamment
« les besoins d’estime ». Il souligne le « danger de fonder l’estime de soi sur les avis des autres,
plutôt que sur la réalité de ses capacités, de ses comportements et de son aptitude à la tâche ».
L’individu doit se situer dans un équilibre sain entre son libre arbitre et l’influence de son
environnement.
Une fonction résiliente
Il fut intéressant de voir certains professionnels définir l’estime de soi par la fonction que celle-ci
occupe.
Pour une interviewée, psychologue de métier, l’estime de soi est un « sentiment qui nous protège [et
c’est] un sentiment assez puissant pour faire face aux difficultés de la vie que ce soit sur le plan
professionnel, ou personnel ». Le terme « protège » est ici intéressant. En effet, tout comme cette
psychologue, la plupart des professionnels interrogés mettent l’estime de soi en relation avec des
« difficultés », des « problèmes », le premier élément permettant de faire face, de mieux
appréhender les seconds. L’estime de soi est donc ici considérée comme un élément constitutif de la
résilience, elle permet « d’y croire encore [quand quelque chose ne va pas]». L’estime de soi
s’enrichit au fur et à mesure des expériences vécues. Grâce à la conscience de la valeur de ses
capacités, et à l’utilisation de ses ressources personnelles, l’individu réussit à créer des mécanismes
adaptatifs l’aidant à surmonter ses épreuves. La conscience et la satisfaction personnelle d’avoir
relevé un défi va agir de façon positive l’estime de soi et pourra alors donner de l’espoir à l’individu
dans l’avenir [11]. Il constituera ainsi une réserve de forces qu’il pourra mobiliser pour une meilleure
gestion des stress et des différentes épreuves qu’il rencontrera tout au long de sa vie.
L’estime de soi n’apparait donc pas seulement comme une caractéristique de la personnalité, mais
constitue aussi un outil permettant de s’adapter à un environnement, particulièrement lors
d’expériences de vie difficiles [21]. C’est en cela que l’on parle de l’estime de soi comme facteur de
protection.
Une fonction motrice, de motivation
Outre sa fonction résiliente, une autre interrogée considère l’estime de soi comme étant une
« énergie » ne pouvant pas se limiter dans son utilisation à faire face aux difficultés quotidiennes. Elle
sert à vivre et à réaliser des actions dans les différentes sphères de la vie de manière générale. Cette
professionnelle explique cette théorie en prenant son contraire : une personne qui n’a plus d’estime
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d’elle-même n’aura plus d’énergie, sera dénudée, amoindrie, incapable. L’estime de soi lui permettra
d’avoir de nouveau envie de faire des choses, de s’investir. Un autre professionnel va dans son sens
et considère que « tout part de là », l’estime de soi va permettre à l’individu « de savoir ce qu’il veut,
où il veut aller ».
2. Estime de soi dans les pratiques professionnelles
Comme on a pu l’observer dans la partie précédente, l’estime de soi répond à une définition
générale et universelle et ce, dans tous les domaines de la vie sociale.
La définition et l’importance de l’estime de soi étant posées et partagées par l’ensemble des
professionnels, les entretiens ont ensuite permis d’étudier l’intégration de cette dimension dans
leurs pratiques.
En effet, le RE-SOI prenant naissance dans un contexte professionnel, la réflexion sur la thématique
de l’estime de soi avait pour objectif de s’inscrire au niveau des pratiques professionnelles.
a. Conduites à tenir
Les professionnels, exerçant des professions différentes et évoluant dans des institutions diverses,
présentent néanmoins un point commun essentiel, celui d’être en interaction, d’accompagner et
d’accueillir un public. Plusieurs leviers ont été identifiés par les interviewés, afin de pouvoir
développer au mieux l’estime de soi du public avec lequel ils travaillent.
Ces leviers seront détaillés dans les points ci-dessous.
Un accompagnement personnalisé
L’ensemble des professionnels a mis en avant la nécessité de personnaliser l’accompagnement de
leur public.
Pour certaines personnes accompagnées, l’écoute sera suffisante, pour d’autres, il faudra se situer
plutôt dans l’action : « c’est le résultat qui compte, chacun peut prendre des chemins différents ». Une
des professionnelles donne l’exemple d’accompagnement qu’elle a eu entre une dame très
précarisée qui croyait véritablement en elle, en l’assistante sociale en tant que personne et,
personnalité, attitude différente de celle d’un homme, directeur exerçant un poste de direction, qui
avait davantage confiance dans la « technique », et l’expertise de l’assistante sociale, donc ses
compétences, son savoir-faire.
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Le côté psycho affectif pourra donc être nécessaire pour certains, alors que d’autres ne se satisferont
que d’un service, d’une aide « technique ». Une grande qualité d’adaptabilité de la part du
professionnel est alors préconisée. Cette adaptabilité peut se décliner sous différentes formes. Une
interviewée insiste sur la nécessité de faire attention au langage qui est utilisé lors des échanges avec
les personnes accompagnées. Elle rappelle que « ce sont les professionnels qui doivent s’adapter et
non le public ». Une autre interrogée souligne l’importance de respecter le temps des personnes. Le
rythme de chacun peut être différent, « il y a des familles qui sont prêtes à l’action, d’autres qui ont
besoin davantage d’accompagnement ».
La valorisation de la personne
Un très fort accent est pointé sur la nécessité de valoriser la personne accompagnée.
La majorité des professionnels reconnaissent leur tendance à se centrer sur les difficultés des
personnes, puisqu’il s’agit bien souvent de la raison initiale pour laquelle elles sont là. En effet, le
public que ces professionnels côtoient, vient principalement dans des moments de « crise », à la
recherche d’une « aide » de quelque nature qu’elle puisse être (aide financière, demande d’emploi,
demande de logement, remplissage de dossier, difficultés scolaires, etc.), et s’attendent à ce que le
professionnel face à lui agisse et le guide de façon à ce que sa demande puisse être satisfaite.
Une professionnelle raconte sur un air amusé « ça on sait le dire quand ces familles ne savent pas ou
doivent faire ça, on a la liste des documents ou procédures à engager! Mais se poser et dire, ça c’est
bien, vous avez réussi à faire certaines choses, ça on ne sait pas faire ! ».
Il s’agit donc de se focaliser et de savoir dire ce qui va dans un premier temps, avant de faire
l’inventaire de ce qui ne va pas.
Une professionnelle nous fait part de sa volonté de « rencontrer la personne avant la
problématique ». On ne peut pas en effet considérer qu’une personne se définisse comme un
« problème ». Le public accompagné se constitue souvent de personnes confrontées à des difficultés
multiples, qui cumulent les fragilités, et qui vont très souvent se placer dans l’échec et être dans le
« je ne sais pas faire ». Par conséquent, il est important de la part des professionnels de prendre le
temps, d’écouter, de se centrer sur ce que ces personnes savent faire, et/ou sur leurs réussites plutôt
que ce qu’il leur reste à faire, ou sur leurs éventuels manquements ou échecs. Cela va permettre à la
personne dont s’occupe ce professionnel d’acquérir l’énergie et la confiance pour croire en elle en
tant que sujet capable de faire certaines choses. Il s’agit un peu de « regarder le verre à demi-vide
plutôt qu’à demi-plein ! » Une autre interviewée ajoute que cela « permet à des personnes pouvant
se sentir stigmatisées par ailleurs, d’être regardées autrement, et c’est très important ».
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La valorisation de la personne passe également par l’émission de propositions de solutions qui place
la personne en tant qu’actrice. Il s’agit de « s’appuyer sur des choses qu’elles savent faire, qu’elles
connaissent pour ne pas les mettre en danger face à l’inconnu ». Une des professionnelles utilise
l’expression « il faut rechercher les bouts qui dépassent », c'est-à-dire rechercher la ressource ancrée
dans la personne et qui va pouvoir constituer le déclic dans sa capacité à se remettre de nouveau en
action.
Une autre collègue exprime cette même idée en montrant que le professionnel doit essayer de « dire
la chose qui va faire en sorte que la personne va pouvoir rebondir, et trouver la force en elle pour faire
certaines choses ». La personne doit se sentir à nouveau en confiance, pour qu’elle puisse agir de
nouveau, mener à bien un projet. Et elle doit être impérativement persuadée qu’elle peut y arriver.
L’objectif sous-jacent à ceci est que « la personne n’aie plus besoins de nous, on veut faire en sorte
qu’elle soit dans l’autonomie ».
L’accueil
Tous les professionnels ont fait émerger l’importance de l’accueil. Cette thématique a d’ailleurs fait
l’objet d’une séance de travail dans le cadre du cycle estime de soi.
L’accueil est primordial puisqu’il constitue le premier contact avec la personne reçue, il représente et
donne l’image de l’institution. La qualité de l’accueil accordé à la personne est un préalable aux
fondements de toute relation de confiance et donc d’accompagnement personnalisé.
L’accueil est bien souvent personnifié par un unique salarié, soumis à des contraintes
organisationnelles (accueil physique des usagers en même temps que l’accueil téléphonique par
exemple), et/ou de contraintes de rationalisation. Une animatrice fait remarquer que les postes
d’accueillants sont souvent les statuts les moins valorisés financièrement et socialement, alors qu’il
s’agit d’une fonction capitale. Les professionnels déplorent parfois le manque de liens existants entre
la personne accueillante, et l’ensemble des professionnels travaillant dans les différents services de
l’institution.
Les participants au réseau soulignent le fait que l’accueil doit être un engagement porté par tous les
professionnels au sein d’une équipe. L’accueil représente alors une fonction individuelle, une
démarche volontaire et réfléchie, mais implique aussi une responsabilité collective.
Selon une professionnelle, « l’accueil est la réunion des moyens humains, temporels et matériels,
donnés à la personne reçue afin qu’elle bénéficie dans les meilleures conditions d’une écoute et d’un
lieu qui lui permettent d’être entendue et respectée dans sa parole et dans ses actes ».
41
L’accueil revêt ainsi deux formes. Il est tout d’abord « matériel » : il s’agit d’un « lieu » physique qui
implique un certain nombre de conditions matérielles. Ainsi, une attention doit être portée à la
configuration et à l’aménagement général de l’espace (choix du mobilier, décorations, etc.), il doit
rester un espace accessible, avec une signalétique claire, la confidentialité doit être respectée, et
l’attente doit également être prise en compte.
L’accueil est aussi « symbolique », dans le sens d’une relation, d’une écoute. Il implique alors
l’adoption de certaines postures de la part des professionnels, comme l’écoute active, mais aussi une
attitude avenante, une grande tolérance, une discrétion, de la confidentialité, de la ponctualité, et
une réelle présence.
Des slogans ont été formulés par différents professionnels pour illustrer l’importance de cette
thématique de l’accueil : « t’es bien accueilli, t’es pas n’importe qui », « j’accueille autrui comme
j’aimerais être accueilli », « malgré les contraintes [qu’il peut y avoir], on doit toujours s’embarrasser
de la demande de l’autre, jamais s’en débarrasser ».
Une professionnelle nous livre l’exemple de l’évènement qu’elle a organisé avec la venue du
président du Tribunal pour enfants de Bobigny, dans le cadre d’une intervention sur « la loi et la
famille ». Celle-ci était à destination de l’ensemble de la population d’Epinay sur Seine, et a pris place
dans la salle des fêtes de la ville, « l’Espace Lumière ». Elle explique qu’il y a certains habitants qui ne
sont « jamais entrés à l’Espace Lumière, qui ne se sont jamais autorisés à pénétrer dans un tel
endroit ». Une attention particulière a donc été portée à l’accueil, « et on a fait attention au moindre
détail ». Elle parle par exemple du buffet, qui devait selon elle « valoriser la venue des gens » : « il y
avait deux cocktails sans alcools, des petits fours, des pains surprises, des choses comme ça, avec une
nappe, et des verres en verre, pas des gobelets en plastique ». Elle continue « et puis il y avait deux
personnes de la cuisine centrale de la ville en habits, qui servaient les gens. Ce n’était pas un truc là
avec des gobelets en plastique, où chacun se sert individuellement, non il y avait des gens qui
servaient, qui alimentaient la table. Voilà ce sont des choses comme ça, des petits détails qui
paraissent anodins, mais qui je trouve valorisent les gens… ». Les réactions du public à l’issue de cette
soirée ont été enthousiastes. Cette participante du réseau reste persuadée que c’est bien grâce à la
multiplication de toutes ces petites attentions, que les personnes se sentent valorisées et bien
accueillies.
Cet exemple illustre bien le lien qu’il peut exister entre l’accueil d’une personne et son estime d’elle-
même. On porte une attention particulière à son accueil, donc on la considère en tant que personne
avant tout, on l’estime.
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b. Qualités des professionnels
Toutes ces préconisations concernant les conduites à tenir pour centrer sa pratique professionnelle
sur le développement de l’estime de soi, appellent un certain nombre de qualités de la part des
professionnels.
Comme dit précédemment, un sens de l’adaptabilité associé à de la bienveillance et du non
jugement sont nécessaires pour assurer un accompagnement personnalisé et adapté à la personne
reçue. Des qualités de sincérité, d’honnêteté ont également été mises en avant par les
professionnels, qualités qui doivent permettre d’assurer la transparence de leur travail, et d’établir
des relations les plus authentiques possibles, d’entretenir des liens étroits et durables. La capacité à
se remettre en question pour le professionnel est également importante, afin d’accepter ses forces,
mais également ses limites dans une relation d’aide. Le professionnel, même s’il met tout en œuvre
pour apporter des réponses et accompagner la personne, peut malheureusement quelques fois
émettre des jugements erronés, ou proposer des solutions non satisfaisantes. Ainsi, il doit savoir
faire de la rétrospection par rapport à son travail, et ne pas se limiter dans les solutions à proposer. Il
doit également savoir « rassurer » la personne. Ce n’est pas toujours une position facile dans la
mesure où le professionnel doit tenter de « saisir la personne dans sa globalité », afin de voir ce
qu’elle est capable de faire, ses possibilités, ses impossibilités du moment, et essayer de la mettre en
situation d’acteur, sans pour autant la mettre en difficulté. Une bonne sensibilité associée à une
écoute active est nécessaire. Une bonne appréhension du temps est une variable importante dans le
travail des professionnels.
De manière générale le professionnel doit occuper une position de « passerelle », il doit permettre à
la personne de reprendre confiance en elle et d’agir selon ses propres capacités, puisque c’est
« l’autonomie qui doit être visée ».
c. Visibilité et application sur le terrain
Centrer sa pratique sur le développement de l’estime de soi ne passe pas nécessairement par la mise
en place d’actions bien concrètes. Il s’agit en fait davantage d’un « état d’esprit ».
Par conséquent, il n’y a pas de recette miracle, ni de cahier des charges strict à suivre. Les
professionnels remarquent que c’est « quelque chose qu’il faut toujours avoir à l’esprit », « c’est
comme une petite lumière qui se rallume ». Dans la pratique, « ce n’est pas quelque chose que l’on
voit aux premiers abords, qui saute aux yeux, ça se fait en souterrain », « ce n’est pas forcément
quelque chose d’exceptionnel, qui tape à l’œil ».
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Une professionnelle, racontant le déroulement de son atelier cuisine, avec les mères des enfants
suivis par le programme de réussite éducative - dont l’objectif est de développer leur estime de soi,
leur redonner confiance - constate : « on ne parle même pas de l’estime de soi avec les participantes,
mais dans la valorisation, dans la façon de dire les choses, je pense que c’est comme ça qu’on la
travaille… ».
La coordinatrice de la réussite éducative expose le principe de l’atelier « estime de soi » à destination
des enfants de 8 à 10 ans, qui travaillent les questions de manque de confiance en eux, de difficultés
à exprimer leurs sentiments, avec une animatrice et une psychologue. L’atelier se base sur des
activités principalement artistiques, et les professionnels encadrant l’atelier veillent à « donner la
parole à chacun », se concentrent sur « la position dans un groupe, le fait de présenter son travail à
quelqu’un d’autre, aux parents, l’exposer » : la coordinatrice explique que ce sont toutes ces
attentions, qui permettent aux enfants de se sentir fiers de leur travail. Ainsi, « on ne va pas leur dire
qu’on va travailler sur l’estime de soi, non ce n’est pas ça, donc je pense que là ça ce joue
énormément avec les adultes qui entourent cet atelier ». Elle renchérit en disant que « c’est presque
contradictoire de faire un atelier sur l’estime de soi » et qu’elle « travaille dix fois plus l’estime de soi
sur un entretien [qu’elle peut avoir] avec une maman ». Ses propos sont ensuite illustrés à l’aide d’un
exemple d’une dame qu’elle suivait depuis plus de deux ans, enceinte et prête à accoucher, qu’elle a
croisée dans le couloir, en lui disant qu’elle était une très jolie mère. Cette dame fut émue
d’entendre ces quelques mots, et s’est sentie très valorisée : « voilà ce n’est pas un atelier estime de
soi, j’ai vu cette maman, elle était souriante, j’ai l’ai vue trois minutes ; et puis c’est tout, donc on peut
travailler ça tout le temps j’ai envie de dire, avec tout le monde ». Cet exemple montre l’impact, que
peut avoir une attention a priori anodine sur l’estime, sur la valorisation d’une personne.
Il s’agit donc d’attentions simples, qui peuvent paraitre évidentes, mais qui ne sont pas
systématiquement mises en œuvre. Se centrer sur l’estime de soi constitue donc tout un
positionnement, une façon d’appréhender la réalité qui prend la forme d’une véritable posture
professionnelle, mais également personnelle, centrée sur la valorisation du public, de l’autre, de sa
capacité à faire des choses, et qui trouve véritablement son sens dans le vécu.
II. La forme : fonctionnement et organisation du RE-SOI
A travers la première partie de l’analyse des entretiens, nous avons vu l’importance et l’engouement
des professionnels interrogés sur le concept de l’estime de soi, au niveau de leur exercice
professionnel.
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La thématique constituant, certes, l’essence même du cycle de travail et du RE-SOI, il est cependant
intéressant d’étudier par ailleurs sa forme, à savoir son fonctionnement et son organisation. Ce
fonctionnement a certainement eu un rôle non négligeable dans le succès grandissant de ce projet,
et a contribué à favoriser l’investissement et l’intérêt de ces professionnels pendant toute cette
période.
Le cycle de travail sur l’estime de soi a officiellement été lancé le 3 mars 2011. Des séances ont été
programmées jusqu’au mois de juin 2012, à raison d’une journée par mois. Cela appelait donc une
certaine disponibilité et un investissement de la part des professionnels qui souhaitaient participer à
toutes les séances. L’idée de constituer le réseau RE-SOI n’était pas prévue lors du lancement du
cycle, elle s’est naturellement établie du fait d’une volonté de la part des professionnels, de
formaliser et de pérenniser la dynamique de travail intéressante et riche qui s’est construite et
instaurée au fil des séances. Une restitution de la démarche, de l’ensemble du travail effectué dans le
cadre du cycle de travail, ainsi que les perspectives du RE-SOI, ont été présentées et valorisées
auprès du maire, des élus, et de l’ensemble des partenaires intéressés, à l’occasion de la demi
journée du 14 juin 2012. La prochaine séance a été annoncée à l’occasion de cette rencontre, le jeudi
27 septembre.
1. Déroulement des séances de travail
Les séances de travail se déroulent de manière générale en deux temps. Le matin est consacré à un
temps de formation, et l’après-midi est réservé à des échanges de pratiques en lien avec
l’intervention du matin. Ce fonctionnement avait été préalablement validé par l’ensemble des
participants au cycle et a été globalement très apprécié des professionnels.
a. Matin : formations
Les temps de formation étaient assurés par un intervenant extérieur ou dernièrement, par un
membre du cycle de travail, sur un thème connexe à l’estime de soi. Ainsi, des thèmes relatifs à la
jeunesse, aux dépendances, en passant par les violences, jusqu’à la santé mentale ou encore la
précarité et l’empowerment ont été abordés tout au long de ce cycle. Certains des thèmes avaient
été définis à l’avance par l’équipe coordinatrice et animatrice (ASV et Mission prévention des
conduites à risques), en concertation avec l’ensemble des personnes présentes lors de la
programmation en début de cycle, afin de programmer la présence d’intervenants extérieurs,
d’autres ont émergé au cours du déroulement des séances, notamment ceux relatifs à l’évolution du
cycle de travail en réseau (séances sur les réseaux par exemple) ou au gré des réflexions émergentes
(séance sur l’accueil par exemple). Les interventions ont été très largement appréciées des
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professionnels interrogés, et furent jugées comme étant « de très grande qualité », ou encore « très
intéressantes » ; « il y avait la qualité de l’intervention, la qualité de la prestation, la richesse, alors
pour moi franchement toutes les interventions ont été super bien menées ».
Les professionnels ont de manière générale toujours identifié le lien entre les interventions et
l’estime de soi : « [j’ai] tout le temps [vu le lien], l’estime de soi était amenée par une lumière
différente, puisque c’était ou un sociologue, ou un alcoologue, ou un psychologue, ou un psychiatre,
et il y en a d’autres, mais c’était toujours l’estime de soi amenée par des thématiques différentes, la
précarité, l’alcoolisme, l’adolescence… ». Un des interviewés explique qu’il avait toujours identifié ce
lien, mais n’arrivait pas à le mettre en mots, «… et c’est quand j’ai vu le mot estime de soi que je me
suis dit, c’est ça en fait ! Tout de suite ça m’a tiqué et je me suis dit, voilà tout part de là, mais c’est
vrai qu’au début je ne pensais pas au mot ».
Le déroulement des séances a été fait de telle manière que la séance spécifique sur l’estime de soi,
proprement dite survienne en milieu de cycle, ce qui a permis aux professionnels de mener leurs
propres réflexions autour de la thématique et de les mettre en lien avec les différents sujets abordés.
Leur vision de l’estime de soi s’est ainsi construite à partir de l’éclairage sur différentes thématiques,
grâce à l’élargissement à différents domaines d’intervention, par les explications de différents
professionnels et naturellement à partir des échanges informels avec les autres professionnels
présents lors de ces séances, au regard de leurs pratiques professionnelles respectives.
Les matinées étaient donc davantage tournées vers de la théorie, peu de place était laissé à la
discussion aux échanges avec l’intervenant présent, ce qu’ont regrettés certains professionnels. Des
échanges avaient lieu au sein du groupe seulement l’après midi. D’autres professionnels
considéraient la matinée comme étant davantage « informative » et préféraient se focaliser sur les
échanges de pratiques l’après midi qui représentent pour eux un plus grand intérêt. Certains
participant apprécient toutefois le fait de pouvoir « théoriser les choses », « mettre des mots sur des
pratiques, parce que se dire qu’il y a des gens qui l’ont formulé, qui ont fait des théories, et qu’elles
leur servent d’outil de travail, je pense que c’est important aussi pour nos pratiques », « on sent qu’on
n’est pas si à côté de la plaque que ça, on peut encore faire mieux, il y a d’autres choses à mettre en
place ».
Les entretiens révèlent bien cette grande envie et cette volonté, de la part des professionnels, sortis
depuis plus ou moins longtemps de leurs formations initiales, de participer à des formations : « … [la
formation] c’était pour moi une volonté que j’ai voulu pour mon équipe en début d’année, en leur
disant voilà les grands objectifs de cette année, je veux que vous alliez en formation… », « la
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formation pour moi c’est important. J’essaie au moins de partir, même en colloque, une fois par mois.
Je trouve qu’on ne peut pas exercer ce métier [assistante sociale] sans », « je suis très consommatrice
de tout ce qui peut être intellectuellement enrichissant ».
b. Après-midi : échanges de pratiques
L’après midi était donc consacré aux échanges de pratiques en lien avec l’intervention du matin. Ces
derniers étaient là encore très appréciés des professionnels qui voyaient pendant ce temps,
l’occasion de pouvoir s’interroger sur « comment nous allons appliquer cette théorie à la pratique ? ».
Le fait que ces échanges aient lieu l’après midi, juste après l’intervention, a été jugé pertinente, dans
la mesure où « cela permet de discuter à chaud de ce qui a été dit le matin ».
Sans remettre en question la qualité des prestations ayant eu lieu le matin, certains professionnels se
sentaient tout de même en inadéquation avec les propos tenus. Les échanges de l’après midi étaient
l’opportunité pour eux de partager leurs ressentis et rendre compte de leurs points de vue, « c’était
enrichissant, parce que justement il y avait ce débat, il y avait cette confrontation entre, il y avait ça à
prendre, pourquoi il fallait le prendre, voilà, chaque fois s’interroger sur nos pratiques ». Selon une
des animatrices, la force du groupe a été le fait qu’il « était très critique, qu’il n’était pas seulement là
pour consommer sans réflexion l’intervention. Ce groupe a aussi une capacité à interroger ce qui a été
dit ». Le fait qu’il y avait « de fortes personnalités dans le groupe », a permis au cycle de travail de
rapidement se doter d’une tendance critique, qui a mis tout le monde dans une posture de
questionnement, de remise en question, et de réflexion perpétuelle quant à sa propre pratique
professionnelle. Et ce, a tel point qu’une interviewée livre le fait qu’elle « ne ressort jamais [d’une
séance de cycle] sans avoir été interpelée quelque part, sur le plan personnel ou sur le plan
professionnel ».
Il est intéressant de noter également la synergie qui s’est opérée entre les différents membres du
groupe, les « personnalités fortes », influençant les « personnalités plus timides » : « je me suis
réappropriée cette réassurance, parce que des fois c’est vrai je me suis interrogée, et ça m’a même
secouée pour être honnête et pour aller au bout des choses ».
La naissance de cette synergie a contribué à dynamiser le groupe, et à favoriser la volonté
d’investissement de certains professionnels au sein de cette expérience. « Il y a eu une réelle volonté,
une alchimie même, une réelle volonté que ça continue, il y a eu un noyau dur certes, qui a fait de son
mieux pour être présent tout le temps, mais aussi des personnes qui sont venues plus ponctuellement,
mais on ne s’est jamais retrouvé à trois autour de la table, ça a toujours été alimenté, ça a toujours
été vivant, volontaire, déterminé, assidu et avec une belle énergie, une belle réflexion ».
47
Les professionnels se sont donc situés dans une posture d’acteur, et non de simple consommateur.
L’après midi présentait également l’avantage de pouvoir « se recentrer sur la pratique des personnes
présentes, qui ont des publics différents, et donc des conceptions parfois différentes sur certaines
postures ». Le cycle de travail a réuni des professionnels aux profils, aux professions et aux quotidiens
bien divers, qui parfois travaillent l’un à côté de l’autre sans se connaitre. Se réunir autour d’une
table pour réfléchir et échanger autour d’une thématique commune applicable et transférable à
chacun de ses professionnels, est aussi une opportunité pour « connaître plus profondément les
professionnels, et comprendre les contraintes auxquelles ils sont liés, et donc de mieux travailler
avec ».
Il est intéressant de voir l’ampleur des impacts que peut avoir la simple mise en place d’un groupe de
travail, allant bien au-delà de la simple réception d’informations. Une meilleure connaissance de
l’autre permet tout simplement de rendre le travail d’équipe plus efficace.
2. Principes de fonctionnement
a. Un contour éthique
Comme on a pu le dire précédemment, la durée de vie du cycle estime de soi n’avait pas été
préalablement définie. Ce n’est qu’au mois de décembre 2011, avec l’aide d’un groupe de
professionnels qui avaient fait preuve d’une grande assiduité ainsi que d’un investissement
important, que l’idée de réseau a émergé.
Bien que ce noyau dur existe, le groupe reste cependant ouvert ; des valeurs et des principes
éthiques réunissent néanmoins l’ensemble des professionnels participant aux séances, et l’adhésion
à ces valeurs semble être une condition sine qua non de la viabilité du réseau, mais aussi de la
volonté de partager une culture commune, dans le but de garantir une cohérence d’intervention sur
le territoire.
L’élaboration d’une charte
La première étape de formalisation du cycle de travail en réseau a été d’élaborer une charte
commune, précisant les contours du réseau, les objectifs, les principes de fonctionnement et
d’éthique.
La rédaction de cette charte a été l’occasion de réfléchir à la raison d’être du réseau et aux principes
et valeurs qui fédéraient les différents professionnels présents. La charte n’est pas encore figée, mais
elle reste un premier document de travail constituant « un cadre », un document de référence, qui
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parait essentiel aux yeux des professionnels, afin de continuer à garder une cohérence
d’intervention ; « moi je pense que s’il n’y a pas de cadre, on ne peut pas se raccrocher à quelque
chose. C'est-à-dire qu’il faut qu’il y ait un cadre de référence, d’intervention, avec une charte, une
déontologie qui nous rappelle qu’à un moment on a construit quelque chose, on s’est investi pour ça,
on sait pourquoi on le fait, on sait pourquoi on est ensemble, et on sait à quoi ça va servir ».
Cette charte a fait l’objet d’un travail très important et a été entièrement rédigée grâce à
l’engagement et la participation de tous les membres du groupe présents. Les professionnels avaient
la volonté de produire un document concis, mais comme le précise une interviewée « quand tu fais
un document qui semble simpliste, c’est là que tu as le plus bossé (…) il faut que ce soit court, mais
que les gens comprennent bien, donc forcément tu ne peux pas utiliser un mot à la place d’un autre,
ou bien élargir, non il faut que ce soit pointu ».
Des valeurs communes
Bienveillance, respect, absence de jugement
Les professionnels ont mis en évidence un certain nombre de valeurs partagées et ressenties lors des
séances, qui concourent au bien être des personnes présentes au sein du réseau et qui les
encouragent à participer. Des qualités de bienveillance, et d’absence de jugement ont été plusieurs
fois évoquées par différents interrogés. Les professionnels apprécient le fait de ne pas se sentir jugés,
« on ose prendre la parole, et même si on sait que quelqu’un ne va pas être d’accord, on ose le dire,
on a ce respect là et je trouve que c’est important, il faut cultiver ce respect là », « on sait laisser la
place à des arguments qui ne sont pas les nôtres, à une pensée différente et c’est ça qui fait la
richesse du groupe ».
Ils soulignent bien qu’il y a un respect de chaque personne présente, que ce soit au niveau des
« rythmes temporels » (pauses cigarette, toilettes, coups de téléphone, etc.), ou des temps de
paroles, « chacun a le droit de prendre la parole », « on laisse le temps à tout le monde de s’exprimer,
de s’identifier, de s’installer dans le groupe ». Même s’il y a un « noyau dur » de personnes qui
participent aux séances depuis le lancement du cycle, cela n’empêche pas la participation d’autres
professionnels, de manière plus ou moins ponctuelle, et une habitude a été instaurée depuis le
début : « chaque début de séance commence par une présentation de tous les personnes présentes ».
Cela contribue également à favoriser l’attention portée à chaque individualité, et permet aussi à
chacun, dès le début de la séance, de se sentir sur un même pied d’égalité que les autres.
Une des animatrices rappelle que « ce sont les individualités qui font la qualité d’un groupe », donc
chaque personne apporte sa contribution, et sait qu’il participe à cette construction collective. Le
49
groupe reste ouvert, et accueille naturellement tout nouveau professionnel. Certains participants ne
pouvaient pas systématiquement participer à l’intégralité de la journée, ils n’hésitaient pas alors à
n’assister qu’à la demi-journée, et revenaient à la séance suivante.
Une des professionnelles fait également remarquer que « le tutoiement entre les personnes
présentes », a rapidement été une habitude au sein du groupe, est une façon de se sentir rapidement
intégré et investi, même si elle est consciente que « ça peut aussi choquer certaines personnes ».
Les professionnels rappellent que le respect de chaque individualité, n’empêche pas le « respect du
collectif ».
Convivialité
Il était intéressant de percevoir chez la plupart des professionnels interrogés l’enthousiasme, et la
motivation très marquée à venir aux séances du cycle estime de soi.
Ainsi, la notion de plaisir a fortement été mise en avant : « chaque fois qu’il y a « estime de soi », je
suis hyper contente », « j’ai toujours hâte d’aller au cycle estime de soi, parce que je sais que ça va
être une journée agréable », « moi je fonctionne au plaisir, […] et quand je viens dans le groupe, j’ai
aussi beaucoup de plaisir ».
Les moments de convivialité, qui peuvent paraitre pour certains anodins, contribuent sans aucun
doute à favoriser le bien être des personnes présentes. Ainsi, nous en avons parlé antérieurement,
l’importance de l’accueil, celui-ci est mis en application au sein du RE-SOI. La journée commence
toujours avec un café, du thé et des gourmandises. Les professionnels commencent donc la journée
par ces moments d’échanges informels, de détente, qui permettent d’instaurer une certaine
ambiance conviviale et pour certains « différentes du cadre classique habituel ». Ces moments sont
aussi l’occasion pour les professionnels d’apprendre à se connaitre davantage, dans un lieu et dans
un contexte différents.
La bonne humeur et la convivialité s’invitent spontanément aux séances de travail du RE-SOI.
Sérieux
Ce climat, même s’il se trouve être propice à la convivialité et à la détente, n’exclut en rien le sérieux
et l’intensité du travail effectué pendant les séances, comme en témoigne les professionnels : « c’est
très fatigant, je trouve qu’on est plus fatigué après une journée où on a réfléchi de cette façon. Je vois
par exemple la journée où on a fait la charte, on était lessivé, mais ça a fait avancer les choses ».
50
Il y a un investissement notable de la part des professionnels, « chacun est investi, on a tous à l’esprit
qu’on est là pour construire, pour bosser, et ça n’empêche pas la forme ».
Ce climat général de convivialité, associé à une grande activité intellectuelle de réflexion, favorisent
l’investissement et la motivation des professionnels à participer aux séances du cycle, et à mener
cette démarche encore plus loin, grâce notamment à la formalisation du réseau qui est en cours et
qui répond à cette volonté d’améliorer toujours plus ses pratiques professionnelles. Les
professionnels apprécient de pouvoir, une fois par mois, « sortir de notre quotidien, notre routine de
travail par laquelle on est happé, sortir un peu de ce cadre de travail là, c’est important ».
b. Un principe participatif
La participation est un principe central au sein du réseau.
Même si la coordination logistique et une partie de l’animation sont assurées par l’Atelier Santé Ville,
le réseau affiche une volonté de mettre toutes les personnes sur un même plan et de respecter un
principe d’horizontalité. Ainsi, plusieurs initiatives ont été validées et mises en application par
l’ensemble des membres du réseau.
Rotation dans la rédaction du compte rendu
Un compte rendu est réalisé par l’un des participants, à l’issue de chaque séance. Celui-ci a pour
vocation de garder une trace écrite de ce qui a été vu et discuté pendant la journée, afin de
capitaliser le travail effectué au fil du temps, mais également de permettre aux professionnels
absents de pouvoir suivre ce qui a été fait au cours de leur absence. Les professionnels interrogés
voient également dans ce principe de fonctionnement, l’opportunité de « s’approprier le groupe »,
« de révéler les sensibilités de chacun », même s’ils reconnaissent le fait que « ce n’est pas un exercice
facile », dans la mesure où il y a « une obligation d’être fidèle au groupe », et « une nécessité de faire
attention à tous les instants ».
Co-animation rotative l’après midi
Un principe de participation a également été mis en œuvre à l’occasion des échanges de pratiques
ayant lieu l’après midi. En effet, un des participants, se joignaient à une des animatrices pour assurer
l’animation de la demi-journée. Cet exercice a également été bien vécu par les interviewés.
La participation en générale, qu’elle se fasse au niveau de la rédaction du compte rendu, ou de
l’animation, a été jugée par les professionnels interrogés, comme étant une bonne manière de
« placer les personnes en situation d’acteurs », « de faire en sorte que tout le monde mette la main à
51
la pâte », et est par conséquent encouragée à demeurer un principe de fonctionnement futur pour le
RE-SOI. Une professionnelle rappelle que « faire partie d’un groupe, et le faire avancer, ce n’est pas
seulement être là tout le temps. C’est aussi le faire vivre, créer et organiser ». La responsabilisation de
chaque membre du réseau, grâce à cet engagement de participation, est un bon moyen d’assurer la
viabilité, le dynamisme, ainsi que le principe d’horizontalité du réseau.
Formation par les pairs
Comme déjà dit précédemment, le temps du matin est consacré à la formation. Un grand nombre
d’intervenants extérieurs, qu’ils soient sociologues, psychologues, psychiatres, etc. ont été sollicités
pour réaliser des interventions sur des thèmes divers en relation avec l’estime de soi. Lorsque le
cycle de travail a été bien lancé, les membres du groupe qui le souhaitaient, ont été invités à faire
leur propre intervention à l’occasion d’une séance, en fonction des différentes thématiques qui ont
pu émerger. Une interviewée a eu l’occasion de s’adonner à cet exercice, qui a été pour elle une
expérience très constructive : « j’étais très contente qu’on me demande, mais j’avais cette question,
comment je vais faire passer le truc aux autres, pour qu’eux dans leur pratique, ils s’en
saisissent…quand tu changes de place [de spectateur à formateur], t’as une exigence différente
aussi ». Faire cette intervention a eu des répercussions sur son estime d’elle-même, puisqu’elle s’est
sentie valorisée dans le fait qu’on puisse suggérer qu’elle soit capable de conduire une telle
intervention. Réaliser cet exercice devant ses pairs, n’est pas quelque chose d’évident, cela nécessite
une certaine confiance en soi pour s’exposer aux autres, et engendre par conséquent une
responsabilité couplée à un travail non négligeable. Ainsi, cette interviewée a réellement réfléchi à la
manière dont elle allait transmettre son message, un travail sur le fond, mais également sur la forme
a été interrogé : « il faut avoir le temps de formaliser sa pensée, de l’écrire, et d’essayer d’amener à la
fois la théorie sans que ça ne soit trop pesant, et le lien possible avec la pratique ». Le fait que cet
exercice ait eu lieu lorsque le cycle était bien lancé n’était pas anodin. En effet, comme nous le confie
encore notre interviewée, « j’ai appris à faire ça [s’exprimer en public] au fur et à mesure des
années ».
Il était intéressant aussi d’entendre, chez certains professionnels même plus timides, leur motivation
de faire cet exercice de formation à leur tour, par la suite, ce qui révèle bien un climat de confiance
propice à l’estime de soi des professionnels. Ainsi une professionnelle confie « oui je pourrai être
source de proposition, et même des fois, pas tenir toute une matinée, mais peut-être proposer
quelque chose sur un terrain particulier, tenir une heure sur une posture professionnelle par
exemple ».
52
On voit donc à travers ces exemples, l’évolution de ce cycle de travail qui a permis progressivement
aux professionnels de prendre leur place, de s’investir et d’accroitre leur confiance en eux, par la
valorisation de leurs compétences et via l’estime qui leur a été accordée par l’ensemble des
membres du cycle.
III. Impacts sur les pratiques et les postures professionnelles et personnelles
Comme on a pu le voir à travers les deux premiers points, s’interroger sur la thématique de l’estime
de soi, et ce, dans le cadre d’un travail en réseau, a des répercussions au niveau de la réflexion qui
peut être menée par les professionnels sur leurs pratiques.
Les entretiens révèlent en outre de ces réflexions, des impacts notables déjà effectifs du RE-SOI,
quant à la pratique sur le terrain de certains professionnels.
Certains nous livrent la capacité qu’a eue ce réseau à accroitre leur confiance en eux : « j’ai
l’impression de mener un travail un peu plus réfléchi, de moins fonctionner à l’instinct, ce qui me
donne un peu plus d’assurance finalement »,
Pour d’autres, le RE-SOI leur a permis d’être rassurés dans la manière dont ils agissaient déjà dans
leurs pratiques : « je suis confortée dans ce que je mettais déjà en place », « je suis confortée dans
mon esprit, parce que j’avais l’impression d’être un peu atypique dans ma pratique en tant que
psychologue », « au départ je me suis posée beaucoup de questions, je me suis dit que je ne travaillais
pas du tout comme mes collègues, et quelque part je m’interrogeais ».
On peut aussi citer cette professionnelle qui se sent ainsi moins isolée dans sa pratique, « c’est
encourageant, on se rend compte qu’on est tous sur les mêmes problématiques, quelles que soient
nos structures, c’est aussi un moment de soutien qui est appréciable au niveau personnel ». Une
assistante sociale apprécie également le fait que « cela permet de décloisonner, ça fait du bien ».
Cette réassurance, et donc cette plus grande confiance en eux, ont aussi des répercussions sur leur
motivation à innover dans leurs expériences de terrain. Un professionnel nous livre [sa plus grande]
« motivation à mettre des projets en place car j’ai plus d’idées ». Une autre, reconnait le fait de
« pouvoir faire les choses autrement et obtenir un résultat ».
Certains professionnels expliquent que cette expérience a même changé la manière dont ils
construisaient leur travail. Un informateur jeunesse est très fier de dire qu’il a « mis l’estime de soi au
cœur de ma pratique, au centre de l’accueil, au centre du PIJ [Point Information Jeunesse], au centre
de vraiment tout ce que je fais avec les jeunes ». Une professionnelle fait part d’un atelier cuisine
53
qu’elle a mis en place, en expliquant qu’elle était d’abord « partie avec un truc clés en mains »
l’année passée, pour ensuite « au fur et à mesure, leur donner une plus grande liberté. Je veux faire
en sorte qu’elles viennent avec ce qu’elles souhaitent faire, ce qu’elles ont envie de mettre en place ».
On remarque donc les effets que peut avoir cette initiative de réseau sur les professionnels, qui
voient leur estime d’eux même s’accroitre aussi bien sur un plan professionnel, mais également
personnel puisque les deux apparaissent souvent fortement liés. C’est cette estime de soi augmentée
qui aura des répercussions sur leurs pratiques, qu’ils cherchent encore et toujours à améliorer, et qui
elle-même sera mise au service d’un meilleur accueil du public et des réponses qui pourront être
apportées à leurs demandes.
L’estime de soi s’opère donc sur un double plan (professionnel et public accompagné), et peut être
illustré par le schéma ci-dessous :
Figure 4 : Impact du réseau sur les professionnels et le public accompagné
IV. Conclusion
Le recueil des informations auprès des personnes interrogées a permis de mettre en évidence
l’importance de l’estime de soi dans la construction psychique de l’individu, et ce, dès le plus jeune
âge.
L’estime de soi apparait comme une véritable arme pour faire face aux difficultés éventuelles de la
vie, mais également comme une énergie propice à l’entreprise de projets. Il s’agit donc d’une
thématique universelle qui concerne tout monde, quel que soit l’âge, le milieu social, le statut, ou
autres, des individus.
L’estime de soi résulte d’une construction, d’un processus qui ne relève donc pas de l’inné, et qui
implique à la fois l’individu, qui se trouve au centre de ce processus, mais aussi son environnement.
Réseau estime de soi (RE-SOI)
Estime de soi du
public accompagné
Estime de soi des
professionnels Posture professionnelle
54
La prise en compte de l’autre, le rapport à l’autre, constitue un paramètre capital dans la
construction de l’estime des personnes.
Cette thématique, commune à tous, explique que l’on puisse la travailler avec différents publics et
justifie la tentative d’avoir une approche plus globale, plutôt qu’une approche spécifique par public.
C’est là que le travail en réseau prend tout son sens, puisqu’il réunit des professionnels aux profils
variés, évoluant avec des publics différents, dans des structures très diverses. Ainsi, les
professionnels développent une culture commune en termes de centrage de l’estime de soi dans
leurs pratiques professionnelles. Celle-ci ne relève pas d’une quelconque recette miracle, mais passe
par des grandes orientations, basées essentiellement sur une valorisation du public, afin de
redonner l’énergie aux individus et les rendre acteurs, et viser ainsi leur autonomie. L’importance
de l’accueil, ainsi que d’un accompagnement personnalisé sont pointés, ce qui requiert de la part des
professionnels un certain nombre de qualités, notamment en termes d’adaptabilité, de sensibilité,
mais aussi une capacité de remise en question, en passant par de la sincérité et une écoute.
Centrer sa pratique sur le développement de l’estime de soi des publics apparait donc comme étant
une véritable posture professionnelle, qui prend la forme d’une approche globale (la personne ne se
réduit pas à une problématique), positive (il existe des solutions multiples, il y a des choses qui sont
déjà bien faites) et valorisante (la personne sait faire des choses, et en a même déjà fait).
Le travail en réseau présente également l’avantage de permettre une meilleure connaissance entre
les professionnels travaillant sur un même territoire. Le RE-SOI, qui se veut être un réseau « formel »
donne ainsi également naissance, et ce, de façon naturelle, à un réseau « informel », permanent,
dans la mesure où les connexions établies entre les professionnels ne se limiteront pas
nécessairement au champ de l’estime de soi, ni au seul cadre du RE-SOI. En effet, les professionnels,
lorsqu’ils se trouvent face à une interrogation, ou une difficulté à laquelle ils peinent à trouver une
solution, peuvent et savent plus facilement se tourner vers un autre professionnel pour obtenir une
information, ou même orienter leur public vers ce professionnel, qu’ils connaissent, qu’ils ont déjà
rencontré, et en qui ils ont potentiellement confiance.
Les problématiques rencontrées par les uns et par les autres relèvent souvent d’une multitude de
facteurs qui s’entremêlent, et forment un tout complexe. Avoir une réponse partagée, mais
complémentaire est certainement la meilleure solution pour les appréhender. Le réseau est un outil
facilitant la transversalité, ce qui induit une meilleure communication, une plus grande cohérence
entre les secteurs, et les institutions, et par conséquent, un plus grand maillage sur le territoire.
Tous ces éléments profitent à l’ensemble de la population locale, à qui l’on pourra offrir des réponses
et des services qui répondront de manière plus efficace à leurs attentes, et à leurs demandes.
56
Introduction
L’analyse des entretiens a permis de mettre en évidence à travers l’expérience locale de la mise en
place du « RE-SOI », l’émergence d’une posture professionnelle, d’une philosophie d’action
commune chez un ensemble de professionnels, issus du champ socio-éducatif, autour de la question
du développement de l’estime de soi des publics accompagnés. Cette posture se définit
principalement par son approche globale, positive et valorisante.
On peut percevoir lors de l’accompagnement qu’une attention particulière est portée à la place
qu’occupe l’individu. Les individus sont placés au cœur des pratiques professionnelles, puisque c’est
bien d’eux qu’il s’agit.
La conférence internationale sur les soins de santé primaires, réunie à Alma Ata (Kazakhstan, Ex-
URSS) en 1978, préconise justement dans son article 4, « de placer l’individu au cœur des
pratiques », puisque « tout être humain a le doit et le devoir de participer individuellement et
collectivement à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui lui sont destinés ». La
charte d’Ottawa (Canada, 1986), reprend cette idée dans la définition qu’elle donne de « la
Promotion de la santé » en indiquant que son but doit être « de donner aux individus davantage de
maîtrise de leur propre santé ». C’est ce qu’on nomme aujourd’hui le concept de l’empowerment.
Cette partie de mon développement a pour objectif d’étudier les articulations entre l’empowerment
et le RE-SOI.
Nous commencerons donc par étudier le concept de l’empowerment, afin d’apprécier la réalité et les
enjeux qui lui sont sous jacents. Nous verrons ensuite en quoi le RE-SOI s’inscrit dans une perspective
d’empowerment.
I. L’empowerment
Ce premier point a pour vocation de présenter le cadre général du concept de l’empowerment. Pour
cela, nous apprécierons tout d’abord quelques généralités autour du concept, avant de nous
intéresser plus précisément à sa dimension théorique et pratique, à travers l’analyse en miroir de
deux auteurs que sont P. Freire, et Y. Le Bossé.
57
1. Généralités
Un terme à la mode
L’empowerment est un concept à la fois simple, et complexe, qui est utilisé dans différents champs
aussi variés, que le management, la promotion de la santé, l’éducation thérapeutique, ou encore
l’intervention sociale. Il faut donc faire attention à l’utilisation de ce terme, très en vogue
actuellement, qui tend de plus en plus à être banalisé, et qui peut parfois être dénué de son sens,
voire utilisé à contresens.
Origines de l’empowerment
Le terme « empowerment » est un terme moderne, mais désigne un phénomène ancien. En effet,
des chercheurs en sciences humaines, des sociologues notamment, ont retrouvé des « traces » de ce
qu’on pourrait nommer l’empowerment au 18ème siècle, lors de mouvements de regroupements de
population. La conception actuelle de l’empowerment trouve ses fondements dans les mouvements
de protestations des années 1960, caractérisés par une lutte contre l’oppression des minorités
(mouvements féministes dans certains pays occidentaux, mouvements des droits civiques aux Etats
Unis, etc.)[23].
Etymologie
Le dictionnaire de l’empowerment et de l’action sociale7, désigne l’« empowerment » comme
signifiant « devenir puissant ». Le terme peut être décomposé en trois parties : le préfixe « em », qui
induit en anglais la notion de mouvement ; le radical « power » qui signifie, toujours en anglais, le
pouvoir ; enfin, le suffixe « ment » qui rend compte d’un résultat tangible. La notion d’empowerment
renverrait donc globalement à un « mouvement d’acquisition de pouvoir, qui débouche sur un
résultat tangible [24].
Le radical « pouvoir » est la partie du mot la plus importante dans le concept : le « pouvoir » renvoie
ici au fait de choisir librement, de pouvoir transformer son choix en une réelle décision, et enfin,
d’agir en fonction de ses propres décisions [25].
2. Analyse en miroir de deux théoriciens de l’empowerment
Le concept de l’empowerment a fait l’objet d’une multitude d’écrits, témoignant tous de la
complexité sous-jacente à cette notion.
7 "Social Work and Empowerment" du sociologue anglais Robert Adam (2003)
58
Pour présenter le concept de l’empowerment, deux auteurs sont ici retenus et seront analysés en
miroir. Ces auteurs ne sont pas forcément considérés comme les « référents » de la thématique,
mais sont ceux qui après réflexion, paraissent les plus éclairants sur la question. Ils ont par ailleurs
été choisis, dans un souci d’intégrer les deux dimensions théoriques et pratiques que revêt le
concept complexe qu’est l’empowerment.
L’empowerment va être présenté à travers un premier auteur, nommé Paulo Freire. Celui-ci n’est pas
considéré d’emblée comme un théoricien de l’empowerment, dans la mesure où il n’a jamais utilisé
spécifiquement ce terme. En revanche, nous avons retrouvé le concept de l’empowerment, dans la
complexité de l’enjeu et des contours qu’il recouvre, en filigrane dans ses propos.
P. Freire est un pédagogue et théoricien de l’éducation brésilien, né en 1921 et
décédé en 1997. Il a exercé une très grande influence dans les pays du tiers
monde, mais continue encore à largement inspirer les théories et les pratiques
pédagogiques actuelles, et ce, dans le monde entier. Né au sein de la classe
moyenne, P. Freire côtoie la pauvreté, et découvre que tout esprit critique est
interdit à ces pauvres personnes, qui se retrouvent alors dépossédées d’un part importante de leur
personnalité. C’est ce qu’il nommera plus tard, l’expression de « la culture du silence ».
Il comprend rapidement le rôle que joue le système d’éducation dans la perpétuation de cette
culture. Cette situation l’indigne et sa réflexion le pousse à des expériences d’alphabétisation de
paysans dans la région Nord-est de la campagne Brésilienne, qui s’étendront plus largement à
destination d’adultes des régions les plus défavorisées du Brésil, donnant naissance à un programme
national d’alphabétisation sur les bases de sa méthode, qu’il coordonnera de 1963 à 1964. Cet
investissement l’enverra en prison au moment du coup d’Etat militaire de 1964, ce coup d’état ayant
annihilé tous les mouvements progressistes. P. Freire sera ensuite exilé au Chili, où il perfectionnera
sa pédagogie auprès de paysans chiliens. C’est à l’issue de cette expérience, qu’il rédigera son
ouvrage de référence « Pédagogie des opprimés » sur lequel notre propos s’appuiera.
Le deuxième auteur analysé en miroir de P. Freire, est Yann Le Bossé.
C’est un sociologue canadien, professeur titulaire au département des
Fondements et pratiques en éducation de l'université Laval à Québec.
Ses travaux sont centrés sur le « développement du pouvoir d’agir » ou
« DPA », expression qu’il utilise pour traduire la réalité décrite en
anglais par le terme « empowerment ». Il s’est beaucoup intéressé à l’intégration de l’empowerment
dans les pratiques professionnelles, et notamment dans le champ de l’intervention sociale. C’est cet
aspect qui sera étudié de plus près avec lui.
59
A. Le constat : l’asymétrie des relations
Pour comprendre le fondement de l’empowerment, P. Freire et Y. Le Bossé partent du même
constat : ils mettent en évidence l’existence d’une asymétrie qui existe de fait dans les relations
entre les individus.
a. Dominant/Dominé ; Objet/sujet ; actif/passif
Le titre même de l’ouvrage de P. Freire « Pédagogie des opprimés », laisse suggérer une opposition
entre, d’une part, des individus, « opprimés », « dominés », et d’autre part, des individus exerçant un
pouvoir de domination sur ces individus, ces derniers se trouvant alors dans la position
d’« oppresseurs », « de dominants ». Le titre implique donc d’emblée la notion de hiérarchie,
d’asymétrie entre les individus, une idée réelle de rapport de pouvoir. L’analyse de P. Freire se situe
ici dans le champ éducatif, les rapports de pouvoirs s’exercent donc entre les éducateurs, qui
« savent », et les élèves qui « ignorent ».
Dans le champ de l’intervention sociale, il faut également avoir à l’idée, qu’une asymétrie, semblable
à celle expliquée par P. Freire dans le champ éducatif, existe dans la relation entre l’intervenant
social et la personne qu’il accompagne. L’intervenant social occupe, bien souvent à son insu, une
position de domination vis-à-vis de la personne accompagnée, dans la mesure où il est perçu par
cette dernière, comme étant le détenteur de la solution du problème qui a amené cet individu à la
rencontre du professionnel social. Yann Le Bossé ajoute que la relation de domination peut même
s’accroitre, lorsque la personne dans le besoin, pense que les ressources ne peuvent être obtenues
indépendamment de la relation avec la personne qui détient le pouvoir.
b. Le pouvoir libérateur appartient à l’« opprimé »
Les deux auteurs montrent que le pouvoir de lever cette asymétrie dans les relations, de libérer les
hommes, se trouve en réalité dans les mains de la seule personne dite « dominée ».
Ainsi P. Freire, indique : « ceux qui oppriment, exploitent et exercent la violence ne peuvent trouver
dans l’exercice de leur pouvoir la force de libérer les opprimés et de se libérer eux-mêmes. Seul le
pouvoir qui nait de la faiblesse sera suffisamment fort pour libérer les deux ». L’oppresseur ne peut
donc dépasser la situation de domination, puisque c’est elle qui assure sa survie en tant
qu’oppresseur. En effet, l’oppresseur, immergé dans le système de l’oppression et de sa logique, ne
peut se concevoir lui-même en dehors de la possession et de la domination directe, concrète,
matérielle, du monde et des hommes. Toute personne située par sa classe sociale, et son niveau de
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vie, du côté des oppresseurs, a, de fait, intérêt à ce que cette situation d’injustice perdure, pour
continuer à percevoir les bénéfices engendrés par cette situation.
En revanche, l’opprimé, dominé, est porteur d’un potentiel libérateur. Il est le seul capable de se
libérer mais aussi de libérer l’oppresseur. Il est en effet un « être double » et abrite en lui deux
choses. Tout d’abord, l’oppresseur. En effet, du fait de sa position de dominé, l’oppressé est très
attiré par la personne de l’oppresseur, et rêve de lui ressembler. Il voudrait accéder à son mode de
vie, et à sa condition. Il pense comme l’oppresseur, il adopte sa vision du monde. Dans ce contexte
d’intériorisation d’une condition d’existence inférieure, l’opprimé se déprécie naturellement,
intériorisant le jugement de l’oppresseur, et se considérant comme incapable.
Cependant, l’opprimé abrite aussi en lui la peur de la liberté, la peur de courir le risque d’autre chose,
la peur de l’autonomie. Cela explique qu’il a plutôt tendance à s’adapter, à faire comme les autres, il
« veut être mais a peur d’être ». L’opprimé doit donc prendre conscience de sa dualité, et se séparer
de la partie de l’oppresseur qui est en lui. L’objectif ultime n’est pas d’inverser la situation
d’oppression, mais bien de la dépasser, de s’en affranchir. Il s’agit de supprimer toutes les relations
d’opprimés/oppresseurs qui sont naturellement inscrites dans le quotidien.
L’approche centrée sur le DPA développée par Y. Le Bossé, repose sur un certain nombre de
préalables. Il montre, d’une part, que « les individus et les collectivités ont le droit de participer aux
décisions qui les concernent ». L’approche considère par ailleurs, que « les individus sont les mieux
placés, pour savoir ce qui est bon pour eux, le choix ne peut pas être fait à leur place ». C’est donc à
l’individu que doit incomber la prise de décisions sur les évènements de sa vie qui le concernent.
B. Les vecteurs du changement : éléments théoriques
Le constat de l’asymétrie étant posé, il convient à présent de s’intéresser à la manière préconisée par
nos deux auteurs, de dépasser, de s’affranchir de cette hiérarchie, de ce déséquilibre de pouvoir.
a. Education libératrice VS Education bancaire
P. Freire oppose ce qu’il appelle l’éducation bancaire, la « fausse » éducation, à l’éducation
libératrice, la « vrai » éducation, par laquelle dominants et dominés peuvent se libérer.
La conception bancaire repose sur une transmission unilatérale et verticale du savoir des éducateurs,
vers les élèves. Dans cette conception, les élèves sont considérés comme des dépositaires, et les
éducateurs, des déposants. Ces derniers ne communiquent pas, ils font des communiqués et des
dépôts de savoirs que les élèves, passifs, reçoivent, mémorisent ou répètent.
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L’éducation libératrice, qu’il nomme aussi « l’éducation dialogique », repose sur une transmission du
savoir basée sur des interactions constantes entre les individus. Cette vision considère les individus
sur un plan égalitaire, considérant que chacun possède un savoir et peut apporter quelque chose à
l’autre. Cette éducation doit ainsi faire oublier la distinction entre élève et éducateur, il n’y a plus
distinction de deux entités, dans la mesure où l’élève peut devenir éducateur, ils deviennent les deux
simultanément.
L’enseigné possède un savoir, il n’est pas un réceptacle qu’il suffirait de remplir. L’éducateur doit se
mettre dans la position de celui qui apprend : il apprend de ses élèves, mais il apprend surtout avec
ses élèves.
L’objet de connaissance n’est plus le but de l’acte cognitif, ni la propriété de l’éducateur, mais un
objet de médiation, l’intermédiaire entre plusieurs sujets connaissants.
b. Le DPA VS hypothèse des carences/hypothèses du grand soir
Y. Le Bossé met en évidence deux logiques d’intervention sociale « classiques », selon la conception
d’aide sous jacente à sa pratique professionnelle.
La première est « l’hypothèse des carences ». Cette hypothèse des carences considère, que si une
personne éprouve des difficultés d’adaptation ou d’intégration, c’est parce qu’elle est en manque de
quelque chose. Pour remédier à cette situation, il faut combler la ou les carences, avec des
techniques adaptées aux problèmes diagnostiqués. Dans cette conception, on considère qu’une fois
la carence comblée, la personne n’aura plus de difficultés.
Or, Y. Le Bossé constate qu’une part importante des difficultés rencontrées par les personnes est
d’ordre structurelle, c'est-à-dire induite par le système lui même : le traitement de la dite carence ne
résout donc qu’un aspect très partiel de la situation de la personne. Résultat : la personne a
maintenant deux problèmes, sa situation de départ qui n’a pas évolué -problème d’origine- et un
second problème, celui de ne pas avoir réussi à dépasser sa situation de départ « malgré » l’aide
qu’elle a reçue. La répétition d’échecs entraine des effets dommageables sur la personne, et ne fait
(qu’enrayer) qu’aggraver sa situation.
La deuxième logique, est celle qu’il appelle « l’hypothèse du grand soir ». Cette hypothèse considère
que les problèmes sociaux rencontrés par les personnes sont essentiellement d’origine structurelle, il
est donc inutile, voire même contre-productif d’essayer de régler les problèmes individuels au cas
par cas. Les intervenants sociaux doivent donc se consacrer prioritairement au changement social
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destiné à renverser l’ordre établi considéré comme le principal responsable de l’existence de ces
problèmes sociaux.
Dans cette conception, la dimension individuelle des difficultés vécues par les personnes
accompagnées est mise de côté. Or, même si l’expression collective de la souffrance possède un
potentiel thérapeutique important, il existe malgré tout une souffrance spécifique à chacun. Ne
jamais explorer cette souffrance individuelle risque de l’aggraver. Selon l’auteur, instaurer un ordre
nouveau est un processus long et peu réaliste, dans la mesure où les conditions actuelles
d’éradication des causes des problèmes sociaux sont difficiles à réunir.
La personne accompagnée se retrouvera donc avec trois problèmes : sa situation de départ qui n’a
pas évolué (problème d’origine), ses difficultés personnelles qui persistent (malgré une culpabilité
psychologique atténuée grâce à la prise de conscience collective), et enfin la perspective d’un
affranchissement réel qui dépend d’un ensemble de paramètres sur lesquels elle n’a que peu de
prises.
Y. Le Bossé remet donc en cause des logiques. Celles qui considèrent les difficultés d’une personne,
comme, d’une part des problèmes uniquement psychologiques ou des défaillances d’apprentissage
(hypothèse des carences), et d’autre part, comme étant le résultat unique d’une injustice sociale
(hypothèse du grand soir). Y. Le Bossé prône ainsi une troisième voie, qui remet les individus au cœur
du processus, qui considère ces individus comme étant des « sujets capables » : il s’agit
naturellement du « Développement du Pouvoir d’Agir » qui créent les conditions pour que « les
personnes ou les collectivités puissent agir individuellement ou collectivement sur ce qui est
important pour elles ».
C. Les vecteurs du changement : éléments pratiques
Après avoir pris connaissance des « solutions théoriques » préconisées par les deux auteurs pour
lever l’asymétrie existant dans les relations éducatives et sociales, leur « application pratique » va
maintenant être étudiée.
a. Mise en pratique de l’éducation libératrice
L’éducation libératrice prônée par P. Freire est basée sur le dialogue, qui constitue le moyen par
lequel une situation cesse d’être vécue comme inévitable, puisque verbalisée. C’est donc les
conditions de dialogue qu’il faut rechercher et faire émerger. Le formateur doit rechercher à travers
la « pensée langage » de la personne formée, son niveau de perception, sa vision du monde. Il va
pour cela devoir faire une analyse de la manière dont s’exprime l’individu, étudier son champ lexical,
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ses mots clés, ou « thèmes générateurs » (comme il les appelle), car ce sont ces mots qui constituent
le point de départ de la construction de leurs propos. Le formateur doit partir de ces thèmes, qui
seront souvent les problématiques quotidiennes du public. Ces thèmes les concernent, alors
directement verbalisés, ils permettront à la population de prendre conscience de sa situation
objective, et de se sentir capable d’agir individuellement, mais également collectivement pour
changer le monde dans lequel elle vit et qu’elle considère comme étant absurde puisque injuste.
C’est par le dialogue qu’une situation pourra être verbalisée, et pourra commencer à s’analyser
comme un problème à résoudre, un défi pour créer quelque chose de nouveau.
b. Mise en pratique du DPA
Mener une pratique centrée sur le Développement du Pouvoir d’Agir nécessite l’adoption d’une
posture professionnelle spécifique, où l’intervenant social incarne une « position de passeur ».
Ainsi, à la fois allié stratégique, et soutien ponctuel, une attention doit être dans un premier temps
portée au caractère multidimensionnel que peut revêtir une difficulté : le professionnel doit se
concentrer sur les composantes à la fois personnelles et structurelles de l’obstacle. Dans ce contexte,
il contribue à éliminer les obstacles qui sont perçus comme une source d’impuissance. De plus, le
professionnel restaure le mouvement là où il a été interrompu. Enfin, le professionnel ne doit pas se
limiter dans les solutions qu’il propose, il incarne une posture de créateur, d’inventeur de solutions
ponctuelles pour des situations uniques, et ne peut ainsi appliquer de recette toute faite. Il élargit
ainsi le monde des possibles de la personne qu’il accompagne.
Cette posture professionnelle influence naturellement la pratique, puisque les deux s’inscrivent dans
un ensemble cohérent, et réciproquement.
Dans la pratique, l’intervenant social se centrera alors sur le désir de LA personne de produire un
changement sur un aspect de SA vie. Le professionnel fera en sorte de trouver des solutions LA où le
problème se situe selon la personne, et non pas selon une anticipation de la part du professionnel,
ou encore selon la comparaison avec une norme. Il cherche à trouver les réponses « ici et
maintenant ». La personne est placée au cœur du processus, et est la seule capable de savoir ce qui
est bon pour elle, le professionnel doit donc se concentrer sur ses forces. Les conditions devant être
mises en œuvre pour surmonter un obstacle seront alors considérées comme des défis à relever et
non pas des faiblesses, des carences.
La posture professionnelle du DPA, s’inscrit dans une réelle finalité visant le changement social, et
donc une modification en profondeur des bases identitaires traditionnellement associées aux
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pratiques sociales. Le changement social n’est pas induit par une « révolution », mais s’opère de
manière graduelle via la négociation permanente, située au cœur de la pratique des professionnels,
qui finira par assouplir les règles de fonctionnement mises en place, pour finalement produire le
changement visé.
L’idée de placer la possibilité d’agir au cœur de la condition humaine n’est pas nouvelle. Elle prend
toutefois une autre ampleur lorsqu’elle est proposée comme fondement de l’ensemble des
politiques et des pratiques sociales. La posture du DPA est bien plus qu’une philosophie d’action, elle
incarne aussi une réelle prise de position, un engagement éthique mais surtout politique visant le
changement en profondeur d’un système déjà préétabli.
D. Conclusion
La lecture en miroir de ces deux auteurs permet de mettre en lumière les enjeux, et les contours du
concept de l’empowerment.
En effet, tout d’abord, les deux auteurs abordent la notion, alors même qu’ils appartiennent à deux
époques différentes, ce qui rappelle que le concept, et ce qu’il recouvre, n’est pas nouveau, et reste
encore aujourd’hui très actuel, même s’il n’a pas toujours eu cette appellation.
De plus, les deux auteurs évoluent dans deux champs d’actions différents. Cela souligne le caractère
global du concept, et qui donne naissance à une posture, et à une véritable réflexion dépassant la
singularité de ces champs.
Les deux auteurs montrent bien le caractère politique de l’empowerment. Il s’agit en effet d’une
prise de position, d’une posture, d’une conviction, qui remet en cause, bouscule, les situations
classiques, la réalité quotidienne.
Ce n’est pas forcément une posture facile, puisque non conformiste. Cette posture n’est pas non plus
très confortable dans la mesure où l’on doit opérer un retour sur soi, et où l’on doit questionner,
parfois même bousculer ses pratiques. Mener une pratique centrée sur l’empowerment du public
qu’on accompagne, nécessite de questionner, et éventuellement de remettre en cause son rôle, sa
manière de faire, sa personne. Cette posture propose une finalité qui implique une modification en
profondeur des bases d’un système déjà mis en place.
A travers P. Freire et Y. Le Bossé, nous pouvons distinguer trois dimensions de l’empowerment.
Tout d’abord, nous devons garder à l’esprit que l’empowerment des personnes n’est ni une situation
figée, ni une situation qui existe naturellement, puisque nous vivons de fait, dans une société qui
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fonctionne de manière verticale, et où des rapports de pouvoir sont naturellement institués.
L’empowerment induit donc une redéfinition des rapports de pouvoir, qui ne pourra se faire que
grâce à une réflexion et une remise en cause des situations existantes. L’empowerment est donc un
processus. P. Freire parle de processus de « conscientisation », où les individus doivent prendre
conscience qu’ils sont des sujets capables d’être acteurs. De plus, la finalité de l’empowerment n’est
pas d’inverser les rapports de pouvoir, mais de les outrepasser, pour arriver à des rapports basés sur
l’horizontalité, où chacun apporte à l’autre selon ses propres savoirs. L’individu qui sera
« empowered » aura conscience, « sera conscientisé », sur le fait qu’il est un sujet acteur, « en
capacité » de prendre des décisions et d’avoir une influence sur les évènements de sa vie importants
à ses yeux. Il pourra être en capacité de s’affranchir des éventuels obstacles qu’il rencontrera. On
pourra dans ces situations observer l’empowerment d’un individu, le mesurer, ou l’évaluer.
L’empowerment est donc aussi dans ce sens, un résultat.
Enfin, pour engendrer un processus d’empowerment, l’intervenant social, lorsqu’il aura mené une
réflexion et pensé sa pratique et sa posture, mettra en place une stratégie permettant à son public
de devenir « empowered ». On parle alors d’empowerment, comme stratégie d’intervention.
II. Empowerment et RE-SOI
Comme on a pu le voir à travers l’analyse des entretiens dans la partie 2, l’estime de soi s’opère sur
plusieurs plans et peut donc avoir différentes grilles de lecture.
L’estime de soit peut en effet s’observer au niveau du public, et donc des pratiques de la part des
professionnels cherchant à développer l’estime de soi des personnes qu’ils accompagnent. L’estime
de soit peut également s’observer au niveau des professionnels eux-mêmes, le RE-SOI développant
l’estime de soi des professionnels. Le même processus peut s’observer avec l’empowerment.
Nous apprécierons donc les liens entre les postures centrées sur l’estime de soi et sur
l’empowerment dans un premier point. Puis, nous analyserons l’empowerment des professionnels
au sein même du RE-SOI.
1. L’estime de soi et l’empowerment : deux postures distinctes
On remarque que l’approche centrée sur l’estime de soi s’articule assez naturellement avec une
posture centrée sur l’empowerment, puisqu’elles s’inscrivent toutes les deux dans une philosophie
de pensée et d’action allant dans le même sens. En effet, elles reposent sur une réflexion
permanente quant aux pratiques professionnelles et à leur amélioration, avec une volonté de
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replacer la personne accompagnée au cœur du processus, et pouvoir ainsi agir dans le meilleur sens
qui soit, pour elle.
La posture centrée sur l’estime de soi développée par les professionnels du RE-SOI est basée sur une
valorisation du public accompagné, allant dans le sens d’un encouragement à le rendre acteur. Elle
vise une finalité encourageant l’autonomie, c'est-à-dire la capacité à accomplir des choses, à terme,
sans l’appui du professionnel.
La posture centrée sur l’empowerment encourage certainement l’estime de soi à travers la
valorisation du public, mais va encore plus loin, en proposant une finalité différente. Celle-ci induit
une redéfinition des rapports de pouvoir existant au sein de la relation entre le professionnel et la
personne accompagnée, que ce soit dans le champ des pratiques sociales, sanitaires, éducatives, ou
autres, et plus globalement, au sein de la société en général. Elle affiche la volonté de réformer le
fonctionnement même d’un système, jugé insatisfaisant.
Cette posture n’affiche pas une finalité d’autonomie, car elle considère qu’en visant le fait d’agir par
soi même (donc l’autonomie), on vise le « devoir d’agir », et on reste par conséquent dans une
situation d’injonction qui confine à l’impuissance. En affichant une finalité qui redéfinit les rapports
sociaux existants, la posture centrée sur l’empowerment affiche un net engagement politique,
militant, qui vise à transformer en profondeur, à la base, un système déjà établi. Le professionnel,
conscient que le système met en difficulté la personne accompagnée, va viser le renversement de ce
système, plutôt que l’adaptation de la personne à ce système jugé défaillant.
La posture centrée sur l’estime de soi quant à elle, change l’approche adoptée par les professionnels,
qui, en encourageant le développement de l’estime de soi de la personne accompagnée, vont
chercher à la rendre actrice et autonome. Cette posture n’induit pas une remise en cause en
profondeur du système, elle modifie simplement l’angle d’approche des pratiques professionnelles.
Alors que l’une veut permettre à la personne de s’adapter le mieux possible, l’autre considère que
c’est au système de s’adapter, et donc de changer. C’est donc une différence essentielle de finalité.
La posture centrée sur l’estime de soi incarnée par les professionnels du RE-SOI n’affiche pas encore
clairement cette volonté politique et militante de réformer en profondeur le système existant.
Comme on l’a vu à travers l’analyse de Y. Le Bossé et de P. Freire, c’est une position qui n’est pas
forcément facile, et confortable, puisque non conformiste. C’est une réflexion qui prend du temps, et
qui, même lorsqu’elle est prise en compte, nécessite une force et une détermination pour passer à
l’action. La posture centrée sur l’estime de soi se situe quelque part sur le chemin entre une posture
dite « classique » et une posture centrée sur l’empowerment.
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2. Le RE-SOI : un fonctionnement qui tend vers l’empowerment
Après avoir analysé la façon dont on peut développer le pouvoir d’agir d’un public via l’étude des
postures professionnelles, ce deuxième point a pour objectif d’analyser l’empowerment des
professionnels cette fois-ci, via leur participation au RE-SOI.
Ainsi, nous apprécierons le développement, au sein du RE-SOI, d’un empowerment dit, individuel,
observable à la fois au niveau des individualités, mais aussi au niveau du groupe. Nous verrons
ensuite, que le fonctionnement même du réseau s’inscrit dans une perspective d’empowerment et
explique en partie les résultats observés.
a. L’empowerment individuel: un résultat observable
W. Ninacs est un expert canadien, dans le champ des pratiques sociales, et a largement étudié le
concept de l’empowerment. Il donne une définition de « l’empowerment individuel » qui correspond
« au processus d’appropriation d’un pouvoir par une personne ou un groupe » [26].
L’initiative du RE-SOI n’a pas eu les mêmes impacts sur tous les professionnels ayant participé aux
séances depuis le lancement du cycle. Néanmoins, il reste à noter, et l’analyse des entretiens en est
la preuve, que ce cycle a eu des répercussions non négligeables sur certains professionnels.
W. Ninacs observe l’empowerment individuel à partir de quatre composantes, que sont la
participation, l’acquisition de compétences, l’estime de soi et la conscience critique [26]. Ces quatre
composantes ont pu être observées dans les propos des professionnels interrogés à l’occasion de la
passation des entretiens.
En effet, concernant la participation, bien qu’elle constituait un principe de fonctionnement de base
validé théoriquement par les professionnels du réseau, elle a été appliquée et investie par ces
derniers de manière naturelle. Ainsi, les professionnels ont eu de moins en moins de réserve à
exprimer leurs avis, et leurs éventuelles divergences avec des propos qui avaient été tenus et qui
étaient en inadéquation avec leurs points de vue, ou par rapport à une décision à trancher. Par
ailleurs, comme on a pu le voir, la participation s’est exprimée à travers la prise d’initiative des
professionnels à effectuer une intervention dans le cadre de la formation du matin, à l’intention de
l’ensemble du groupe. Cette forme de participation s’est plutôt effectuée en fin de cycle, lorsque les
professionnels se sont sentis plus à l’aise et plus à même de s’adonner à un tel exercice. Ceci est
certainement à relier à l’acquisition d’une meilleure estime de soi qui s’est opérée au fur et à mesure
du déroulement du cycle, mais aussi à l’acquisition de compétences et d’habiletés au cours des
séances. Ces deux items permettent selon W. Ninacs, d’une part, la participation, et d’autre part,
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l’exécution de l’action. La dernière composante de l’empowerment individuel est la conscience
critique. Celle-ci passe par le développement d’une conscience collective, les professionnels pouvant
partager leurs difficultés communes, et sortir ainsi d’un certain isolement. Elle passe également par
une conscience sociale qui réduit l’auto culpabilisation ; en effet, les professionnels prennent
conscience que les problèmes qu’ils rencontrent peuvent être influencés par la façon dont les
institutions sont organisées. Elle s’opère enfin, par une conscience politique, où les professionnels
réalisent qu’ils ont une responsabilité personnelle pour le changement, qui passe nécessairement par
l’action politique.
L’empowerment individuel ici s’applique comme son appellation l’indique, d’un point de vue
individuel, c'est-à-dire à l’échelle d’une « personne », un professionnel, mais également au niveau
collectif, d’un « groupe ». On remarque ainsi des individualités au sein du groupe qui ont, par
l’acquisition de compétences et une plus grande estime de soi au fur et à mesure du déroulement
des séances, investi le cycle et ont contribué à sa viabilité, et à son dynamisme par une participation
toujours plus accrue. Le tout leur a permis de développer une conscience critique. En effet, ils ont,
par le biais des échanges de pratiques et le partage de leurs expériences, développé leur conscience
collective. Leur conscience sociale, a ainsi pu être éveillée et les a conduits à développer une posture
commune centrée sur l’estime de soi, qui apparait comme une modification de l’approche mise en
œuvre et qui devient innovante par rapport aux pratiques dites classiques. En se constituant en
réseau, les professionnels affichent cette volonté de porter leur action à un autre niveau. Une
professionnelle évoque son souhait « d’avoir un poids politique », le réseau devant être « une
instance », qui rassemblerait les forces et les compétences de chacun, afin de pouvoir « se mettre en
action pour proposer des choses [en réponse à des problématiques rencontrées par les
professionnels du réseau ou d’autres professionnels qui auraient sollicité une aide du réseau] ».
La « somme » de ces individualités devenue de plus en plus « empowered » a permis de créer une
synergie d’acteurs et d’actions et une entité – le RE-SOI – qui affiche sa volonté de communiquer
toujours plus largement sur ces réflexions pour continuer à diffuser cette culture autour de l’estime
de soi et des pratiques professionnelles innovantes, et par conséquent à perdurer dans le temps.
La rencontre de restitution du 14 juin 2012 est un bon exemple illustrant cet empowerment, à la fois
individuel et collectif.
Ainsi, les professionnels ont personnellement investi cette demi-journée afin de transmettre le plus
fidèlement possible, le résultat du travail mené dans le cadre du cycle pendant près d’un an et demi.
Une attention particulière a été portée à la forme lors de cette journée, que ce soit au niveau de
l’accueil général des participants, (avec de la musique, un buffet, un livret d’or, un classeur
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capitalisant l’ensemble des comptes rendus, et des documents de travail utilisés lors de chaque
séance, etc.) mais également au niveau des interventions, où les professionnels avaient affichés une
volonté de réaliser une restitution fidèle à l’esprit des séances du RE-SOI, sortant par conséquent des
sentiers battus. Brainstorming collectif, saynètes, présentations powerpoint ont parsemé la matinée.
La forme « atypique » et « ludique » en apparence de cette journée, n’a pas ôté le sérieux et la
consistance du travail qu’il y avait derrière. Cette expérience a rencontré un franc succès, comme en
témoigne les retours qui ont été formulés dans le livret d’or (visibles pour certains dans le préambule
de ce mémoire). Un article a également été publié dans le journal interne de la collectivité, afin de
valoriser l’initiative réalisée, mais également de donner une plus grande visibilité à la démarche.
Cette rencontre de restitution a eu un véritable poids et a percuté la conscience de certaines
personnes présentes, qui ont manifesté l’envie de participer au RE-SOI dès le mois de septembre ;
une proposition d’organiser une formation en interne a même été évoquée. La démarche et
l’approche ne sont pas neutres et réveillent les consciences des personnes extérieures au réseau.
b. L’empowerment : un principe de fonctionnement souterrain
Il est important de préciser que la dynamique, l’intensité de l’investissement, caractéristiques du RE-
SOI visible aujourd’hui, ainsi que l’empowerment individuel que l’on vient d’évoquer, sont le résultat
visible d’un processus qui s’est construit progressivement au fur et à mesure du déroulement des
séances, et qui n’existait donc pas tel quel à ses débuts. Les motivations initiales des professionnels à
participer au cycle estime de soi en sont une bonne illustration. Alors que les uns présentaient un
réel intérêt pour la thématique, pour d’autres, il s’agissait tout simplement d’une continuité avec le
cycle de travail existant (sur les conduites à risques) ; certains professionnels ont même évoqué leur
présence suite au bouche à oreille. Les motivations restaient donc assez floues.
Comment peut-on expliquer le développement de l’empowerment de ces professionnels et de ce
réseau ?
Une équipe œuvrant en souterrain
Le cycle estime de soi ne s’est pas impulsé tout seul. Derrière se cachait une équipe, et notamment
une coordinatrice, qui s’est entourée de personnes ressources pour monter ce projet.
L’organisation, les contenus, les objectifs ont été préalablement définis. Il fallait avoir une base de
départ, poser les fondations, qui allaient ensuite pouvoir impulser une dynamique donnant naissance
à l’empowerment des personnes y participant.
L’empowerment des professionnels constituait donc un objectif effectif de départ. Ce grand travail
de fond, était indispensable non seulement pour lancer la dynamique du cycle, mais également pour
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structurer son déroulement sur toute la durée, et maintenir sa légitimité, ainsi que sa dynamique en
évitant les « creux ». Le travail de coordination et d’animation constitue un travail conséquent,
prenant, mais indispensable. Ce travail de coordination, n’ayant pas forcément de visibilité évidente
pour tous, n’est par conséquent pas toujours reconnu. Il s’agit donc d’impulser, de suggérer, de
structurer, mais de s’effacer en même temps, ce qui représente une tâche relativement complexe.
Un principe participatif comme principe fondateur
C’est dans un objectif d’empowerment, de développer le pouvoir d’agir des professionnels, qu’un
certain nombre de principes ont été impulsés comme des « règles » de fonctionnement dès le
lancement du cycle. Il ne s’agissait pas de les imposer en tant que tel au groupe, mais de les proposer
comme un cadre de fonctionnement, en veillant à ce qu’elles soient justifiées, et comprises à chaque
fois. Toutes les idées impulsées ont été soumises à validation, puis validées par l’ensemble des
professionnels participants avant d’être appliquées. Cet item, à savoir la validation des décisions par
l’ensemble du groupe, constituait ainsi le premier principe, qui a été appliqué pendant toute la durée
du cycle. Il relève d’un principe plus large que constitue la participation, qui a, elle aussi, été mise au
cœur du fonctionnement du cycle dans une volonté clairement affichée. Participation au niveau de la
prise de notes pour le compte rendu, et participation à l’animation ont placé les professionnels dans
une posture d’acteur, et de responsabilisation, comme ils le reconnaissent aujourd’hui. Impulser ce
principe de participation, dès le lancement du cycle, a permis de poser les fondements, à partir
desquels toute l’expérience du cycle s’est construite. Ensuite, les professionnels ont investis
progressivement cette participation, qui n’est plus considérée comme un principe de
fonctionnement qui a besoin d’être rappelé, mais comme une habitude. Ils l’ont même développée
en instaurant un climat de réflexion critique à l’égard des intervenants dans le cadre des moments de
formation notamment, et en s’autorisant petit à petit à devenir force de proposition quant aux
thématiques à aborder, ou de « prendre la place » des intervenants pour construire eux-mêmes des
interventions dans le cadre de la formation, pour les professionnels participants.
Une réflexion sur l’estime de soi induite
L’estime de soi, constituant l’essence même du cycle et du futur réseau, a été amenée via l’éclairage
de différents professionnels, qui ont abordées des thématiques diverses en fonction de leurs
expériences professionnelles.
Le lien avec l’estime de soi a été à chaque fois discuté entre les professionnels participants, à
l’occasion des échanges de pratiques l’après midi. Une séance spécifique sur l’estime de soi a eu lieu
en cours de cycle, lorsque les professionnels avaient bien engagé leur réflexion par rapport à l’estime
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de soi, et à la posture professionnelle que l’on pouvait investir avec cette thématique. La définition,
la manière d’appréhender l’estime de soi, n’a donc pas été imposée, elle s’est construite au fil du
temps avec les différents éclairages des intervenants, ainsi que les échanges entre les professionnels
au regard de leurs pratiques.
Elle a donc été suggérée par plusieurs éclairages, mais la réflexion et la posture qui en est née, est
bien l’œuvre de la réflexion menée par les professionnels qui se la sont approprié avec le temps, au
regard des échanges et de leurs expériences respectives.
3. Conclusion
Le cycle sur l’estime de soi, lorsqu’il a été impulsé à ses débuts, n’avait pas de durée de vie définie.
Ainsi on a pu voir dans les paragraphes précédents, que sa longévité n’était pas seulement due à
l’attribution de financements, mais qu’elle reposait aussi sur l’investissement de nombreux
professionnels dynamiques et convaincus des effets positifs de développer une culture commune
centrée sur l’estime de soi des publics accompagnés. La somme de ces individualités, a permis de
créer une synergie allant dans le sens d’une véritable prise de pouvoir et une volonté de partager et
de développer cette initiative avec le plus de partenaires possibles, en créant un réseau. C’est ce
qu’on peut nommer l’empowerment individuel et qui est un résultat visible aujourd’hui. Il convient
néanmoins de garder à l’esprit que ce résultat n’est pas apparu de façon miraculeuse, mais doit une
grande partie de sa réussite à tout un travail de coordination mené en souterrain, et qui a permis de
poser les bases, les fondations de ce cycle à partir desquelles toute cette expérience a pu se
construire par la suite. Ce travail en souterrain, pas toujours visible et reconnu, est pourtant capital
et indispensable. Il se fonde sur un important et subtil travail de suggestion, d’impulsion, qui laissant
la place aux professionnels de s’approprier et de s’emparer des questions, du fonctionnement, de la
réflexion, de l’expérience… développant, et consolidant petit à petit leur pouvoir d’agir.
72
4. Discussion
Lors du lancement du cycle sur l’estime de soi, l’idée de constituer un réseau n’était pas une finalité.
C’est avec toute la dynamique et l’investissement des professionnels qui se sont révélés lors du
déroulement du cycle, que l’idée de constituer un réseau a émergé, fait son chemin et trouvé une
application concrète dans la pratique, avec une formalisation actuellement en cours. Il est difficile de
déterminer précisément ce qui est à l’origine du succès d’une telle initiative, puisque celui-ci résulte
certainement d’une conjonction de paramètres. Il semblerait toutefois que l’« empowerment », ou
encore le « développement du pouvoir d’agir », aie eu un rôle non négligeable à jouer dans la
tournure des faits.
L’empowerment des professionnels du RE-SOI s’observe par leur investissement, leur détermination
et leur participation à créer un environnement commun favorable à la réflexion, et à l’amélioration
toujours plus importante de leurs pratiques professionnelles. Ils ont décidé de se saisir des apports
reçus dans le cadre du cycle estime de soi, pour mener l’expérience plus loin, et la développer ainsi
sous forme de réseau.
Le cycle estime de soi a impulsé et produit une véritable synergie entre des professionnels leur
permettant de passer à l’action de façon plus efficace. L’empowerment collectif ainsi observable, est
le résultat de la somme et de l’effet potentialisant d’individualités qui ont eux elles-mêmes
développé leur pouvoir d’agir au cours du temps. Mais il est aussi la conséquence de tout un travail
souterrain mené par une équipe coordinatrice qui a posé les fondements de cet empowerment, et
qui mérite d’être mis en évidence, car souvent oublié, bien qu’indispensable.
Tout comme l’estime de soi, l’empowerment, lorsqu’il est investi dans les pratiques professionnelles,
prend la forme d’une véritable posture. L’analyse croisée de la posture centrée sur l’estime de soi
développée par les professionnels du RE-SOI, montre qu’elle s’inscrit dans la même lignée que celle
centrée sur l’empowerment, dans le sens où elles constituent toutes deux une philosophie de
pensées et d’actions allant dans le même sens. L’individu est placé au cœur de l’accompagnement, et
les efforts seront concentrés sur sa capacité à redevenir acteur. La valorisation de l’individu prend
donc tout son sens dans un tel processus.
La posture centrée sur l’empowerment va cependant plus loin, puisqu’elle incarne une dimension
militante et politique, visant une redéfinition des rapports sociaux de pouvoir, et à terme, une
transformation en profondeur, voire même un renversement du système préétabli.
Les deux postures s’articulent naturellement, mais affichent des finalités différentes.
73
La posture développée par les professionnels du RE-SOI est un changement d’angle de vue par
rapport aux pratiques professionnelles classiques. Pour résumer, au lieu de faire l’inventaire de ce
qui ne va pas, ou ce qui reste à faire, on cherche à avoir une approche plus positive en se concentrant
plutôt sur ce qui est bien fait, et sur ce qui a déjà été fait. L’estime de soi et par conséquent la
valorisation de la personne apparait comme étant un bon moyen pour viser son autonomie, c'est-à-
dire sa capacité à agir seule, sans l’aide d’un quelconque professionnel.
La posture centrée sur l’empowerment ne cherche pas à trouver le levier pour que la personne
accompagnée puisse s’adapter au système existant, cette posture cherche plutôt à réformer ce
système inadéquat et à le remplacer par un système alternatif.
Alors que la première se pose la question de « Comment s’adapter ? », la seconde se place dans le
paradigme de « Pourquoi s’adapter ? ».
On se situe ici dans des finalités, des questionnements de fond qui ne se placent pas sur le même
plan, mais qui ne sont pas pour autant antagonistes.
En effet, il parait essentiel et naturel que la posture centrée sur l’estime de soi développée par les
professionnels du RE-SOI évolue vers une posture centrée sur l’empowerment, si elle veut conserver
la logique qui lui est sous jacente.
Une pratique centrée sur l’empowerment est la condition sine qua non d’une posture centrée sur
l’estime de soi qui a du sens, et qui atteint la finalité de ce que peut être l’estime de soi ; si on ne s’en
tient qu’à la simple valorisation du public, qui est certes une avancée, et un premier pas dans le
cheminement vers l’empowerment, le résultat de cette posture se trouvera limité, voire même en
désaccord, avec l’essence même de ce vers quoi tend l’estime de soi. En effet, les relations entre le
professionnel et la personne accompagnée resteraient alors asymétriques. La réflexion centrée sur
l’estime de soi, les formations menées par les professionnels sur cette thématique ne feront que
conforter un cheminement déjà opéré et acquis par les professionnels, et le travail ne finira par être
bénéfique « que » pour les professionnels qui se sentiront valorisés personnellement par le fait
même de suivre des formations, alors que les publics resteront dans une posture de « dominé ».
Dans le cadre du RE-SOI, si l’on s’en tient à la simple valorisation du public comme finalité, le réseau
risque de s’essouffler puisque les professionnels ne feront que se conforter dans une posture déjà
acquise, et une certaine routine, pouvant concourir à sa disparition.
La posture centrée sur l’empowerment apparait comme étant « le stade d’après » dans la réflexion
que l’on peut mener sur l’estime de soi des publics. Il convient de l’avoir en tête, vouloir tendre vers
74
cette finalité permettra de continuer à mener une réflexion toujours plus approfondie et de s’inscrire
dans une perspective de réflexion et d’amélioration permanente des pratiques professionnelles, qui
constituent la raison d’être du réseau.
Le réseau est une entité dynamique qui appelle à se renouveler constamment, à l’image de
l’empowerment et de l’estime de soi qui ne sont pas figés. Les bases de l’empowerment étant posées
à travers le fonctionnement du travail en réseau, et ayant déjà eu des effets notables sur le
développement du pouvoir d’agir des professionnels, on ne peut que demander du temps et utiliser
le dynamisme pour permettre aux professionnels de faire leur chemin.
76
Le cycle sur l’estime de soi, lorsqu’il a été impulsé à ses débuts, n’avait pas de durée de vie
définie. Aujourd’hui, près d’un an après son lancement, non seulement il existe toujours, mais il est
actuellement en cours de formalisation en réseau.
L’analyse menée tout au long de cet écrit, a permis de mettre en exergue les réussites et les apports
sous jacents à la mise en place du réseau de professionnels, issus principalement du champ socio-
éducatif exerçant sur le territoire de la communauté d’agglomérations de Plaine Commune, autour
de la thématique de l’estime de soi.
Le réseau, baptisé RE-SOI a constitué, pour les professionnels, un espace propice à la réflexion et à
l’amélioration de leurs pratiques professionnelles. Les formations sur des thèmes connexes à l’estime
de soi le matin, suivi d’échanges de pratiques l’après midi, le tout dans une ambiance conviviale, fut
le rendez vous mensuel pour les professionnels ayant partagé cette expérience.
Ce réseau a tout d’abord permis aux professionnels de développer une culture commune centrée sur
l’estime de soi et sur son intégration dans les pratiques professionnelles. L’estime de soi apparait aux
yeux des professionnels comme étant un élément indispensable dans la construction psychique de
l’individu, et ce dès le plus jeune âge. Elle n’est pas innée, mais est le résultat d’une construction
s’inscrivant dans un processus ne suivant pas une ascension linéaire, puisque n’étant pas figée.
L’estime de soi constitue un facteur de protection, elle permet à l’individu de faire face aux difficultés
éventuelles de la vie et de construire ainsi sa résilience. Elle est aussi le terreau fertile d’une énergie
propice à l’entreprise de projets. Il s’agit donc d’une thématique universelle.
Centrer sa pratique sur l’estime de soi apparait comme étant une véritable approche innovante en
termes de posture professionnelle. Les professionnels cherchent désormais à avoir une approche
plus positive, et à se concentrer sur ce qui est déjà fait, et bien fait, et non pas faire l’inventaire de ce
qui ne va pas et ce qui reste à faire. L’adoption de cette posture ne répond pas à un cahier des
charges protocolaire bien précis, mais se base sur de grandes orientations. Celles-ci se fondent
essentiellement sur une valorisation du public, afin de redonner une énergie aux individus et les
replacer dans une position d’acteur. L’autonomie, c'est-à-dire la capacité d’agir seul, sans l’appui
d’un quelconque professionnel, constitue la finalité affichée par l’adoption de cette posture.
Par ailleurs, le travail en réseau est apparu comme un excellent outil facilitant le contact, et de ce fait
a permis une meilleure coopération entre les professionnels du territoire, notamment grâce à une
connaissance plus affinée des compétences et domaines d’activités de chaque professionnel côtoyé
sur le territoire de la Plaine Commune. Il permet d’observer une plus grande transversalité, ainsi
77
qu’une meilleure communication entre les institutions, ou entre plusieurs services d’une même
institution, et plus largement, un meilleur maillage sur le territoire.
C’est grâce à un grand travail de coordination mené en amont, puis en souterrain au cours du cycle,
par la coordinatrice de l’Atelier Santé Ville et d’autres personnes ressources, permettant de poser un
cadre ainsi que des principes de fonctionnement favorisant la participation et l’estime de soi des
professionnels, qu’une réelle dynamique est née eu sein du cycle et s’est installée dans la durée. La
somme des individualités a permis de créer une synergie allant dans le sens d’une véritable
détermination, et une volonté de partager et de développer cette initiative avec le plus de
partenaires possibles, en créant un réseau. Les professionnels ont pu s’approprier cette expérience,
pour la mener plus loin, c’est en cela qu’on a pu observer le développement de leur
« empowerment », ou de leur « pouvoir d’agir ».
Le RE-SOI de par son essence, et par sa forme, a permis aux professionnels d’œuvrer dans le sens que
préconise la Promotion de la Santé.
En effet, l’adoption d’une réelle posture professionnelle, centrée sur l’estime de soi, se fonde sur une
approche globale, positive et valorisante, qui place l’individu au cœur du processus, et qui essaie de
le remettre autant qu’il est possible, dans une position d’acteur.
La forme prise par cette expérience locale, à savoir le travail en réseau, permet de développer les
méthodes de travail visant le plus possible à promouvoir la santé au sens large des individus. Ainsi, le
développement d’une culture commune, la transversalité, le décloisonnement, la coordination,
induisent une plus grande cohérence générale à l’échelle du territoire, ainsi qu’une meilleure
efficacité et efficience en termes de services apportés à la population, ce qui permet d’œuvrer dans
le sens d’une réduction des inégalités sociales de santé.
Nous pouvons désormais répondre à la question centrale de ce mémoire, en affirmant que le RE-SOI
constitue un réel levier favorisant la promotion de la Santé au sens large, des Spinassiens, mais
également des professionnels de son territoire.
Perspectives
L’étude de la posture centrée sur l’empowerment s’est montrée en adéquation avec celle
développée par les professionnels du RE-SOI, dans la mesure où elles s’inscrivent toutes deux dans
une philosophie d’action allant dans le même sens. En effet, elles cherchent à placer la personne
accompagnée au cœur de la démarche, et à se concentrer sur les forces de l’individu pour ainsi
développer sa capacité à redevenir acteur.
78
Ces deux postures, divergent toutefois, dans la finalité qu’elles affichent.
Alors que la posture développée par les professionnels du RE-SOI cherche à trouver le moyen (donc
ici l’estime de soi) permettant aux personnes accompagnées d’être autonome dans un système, et
donc d’agir par elles-mêmes, la posture centrée sur l’empowerment cherche plutôt à questionner,
remettre en cause et remplacer le système existant jugé défaillant, par un système alternatif. Ce
n’est pas à la personne de s’adapter, mais au système d’être plus juste. Cette posture donne une
responsabilité aux professionnels dans la conduite de ce changement, qui ne se fera pas par une
révolution, mais par une négociation permanente, qui finira à termes, par assouplir les règles
existantes, et faire évoluer le système dans un sens jugé meilleur.
La posture centrée sur l’empowerment n’est pas une posture évidente pour les professionnels,
puisqu’elle est non conformiste, et vise à instaurer un changement en profondeur qui ne s’opère pas
du jour au lendemain.
Dans la réalité, bien que certains professionnels tentent d’œuvrer le plus possible dans un sens qui
coïncide avec leurs valeurs et leurs aspirations, en adoptant une approche innovante centrée sur
l’estime de soi comme dans le cadre du RE-SOI par exemple, ils se heurtent parfois à la rigidité du
fonctionnement de leur institution, sur laquelle ils n’ont que peu de prise.
Cela n’empêche pas d’avoir un idéal, auquel on croit, et vers lequel on tente de se rapprocher le plus
possible. Si la posture centrée sur l’empowerment peut s’apparenter à une sorte d’idéal, cela peut
valoir la peine d’avoir « un pied tactique dans l’institution, et un pied stratégique dans l’utopie »,
comme le préconise Paulo Freire !
Apports du stage
Après avoir posé les conclusions de mon analyse, je tenais à consacrer quelques lignes au bilan de
mon stage, ainsi que de mon entrée dans la vie professionnelle.
J’ai obtenu ce stage assez tardivement dans l’année, suite à un faux bond pour un autre stage dans
une autre structure. Je tiens aujourd’hui à remercier ce faux bond qui m’a permis de vivre une très
bonne expérience, que ce soit sur le plan professionnel, mais également sur le plan humain, où j’ai
effectué de réelles rencontres. Je considère vraiment cette expérience de stage comme une chance
aujourd’hui.
Je n’avais jamais travaillé pour une collectivité locale, ce fut donc une première expérience très
positive, notamment pour observer les enjeux locaux, et la capacité à cette échelle de mener des
projets.
79
J’ai été tout de suite très agréablement surprise par la dynamique existante au sein de la ville, ainsi
que de la volonté affichée des professionnels à travailler ensemble, et améliorer constamment leurs
pratiques. J’ai pu observer cet état d’esprit général dans la plupart des rencontres que j’ai pu faire, et
pas seulement dans le cadre du RE-SOI. J’ai compris à travers ce stage qu’il y avait les institutions, et
les personnes, et que c’était les personnes qui faisaient les institutions.
Cette dynamique, et cette façon de fonctionner m’a un peu perturbée, dans la mesure où je n’avais
pas l’impression de vivre un décalage entre la théorie et la pratique ! On m’avait souvent dressé un
portrait assez pessimiste de la réalité en promotion de la santé sur le terrain, et de retard par rapport
à d’autres pays, mais ce que j’ai observé, et l’idée de la promotion de la santé dans la structure où j’ai
évolué pendant ces quatre mois de stage, était bien en adéquation avec la vision que je me faisais de
la promotion de la santé à l’échelle locale. Ceci est certainement dû à l’investissement de la
coordinatrice de l’Atelier Santé Ville, qui était ma maitre de stage, et qui a pris son poste six ans
auparavant. Elle a pu mettre en application un certain nombre de choses pendant ces années, et on
peut voir le fruit du travail aujourd’hui. Par ailleurs, effectuant mon stage en Ile de France, et plus
particulièrement dans le 93 considéré comme un département pionnier, j’ai pu apprécier la
dynamique et la richesse des initiatives existantes au sein du territoire.
L’estime de soi, le développement des compétences psychosociales, étaient des sujets qui
m’intéressaient tout particulièrement puisqu’ils constituent pour moi la base de la promotion de la
santé. Lorsque l’on m’a proposé une mission de stage centrée sur la mise en place d’un réseau sur la
thématique, je n’ai pas eu de mal à m’y intéresser. L’expérience au sein du réseau a été une
expérience très enrichissante. J’étais là encore très agréablement surprise de rencontrer des
professionnels avec une motivation, et une détermination à se situer dans une constante réflexion au
regard de leurs pratiques. La passation des entretiens, qui a commencé dans les débuts de mon stage
a été un bon moyen de saisir les parcours et les profils de chacun, afin d’apprécier la richesse des
personnalités constituant ce groupe. Elle m’a également permis de me faire connaitre auprès de
chacun d’entre eux, facilitant ainsi les liens. J’ai été accueillie au sein du réseau comme une
professionnelle, et non comme une stagiaire, ce qui était très appréciable. On m’a également
demandé de faire une intervention sur l’empowerment avec une collègue assistante sociale à
l’occasion d’une séance du cycle. J’ai beaucoup appris de cette expérience, qui m’a donné envie de
continuer par la suite, et qui a constitué une véritable avancée dans ma réflexion de la promotion de
la santé, et de la manière dont je voulais l’appliquer et la mener sur le terrain.
80
Cette expérience m’a permis de me conforter dans mon choix de vouloir travailler dans le champ de
la promotion de la santé. Je me sens en réelle adéquation avec les valeurs qui lui sont sous-jacentes,
ce qui constitue pour moi un critère capital lors de l’exercice d’une profession.
J’ai la très grande chance de pouvoir continuer l’aventure dans cet environnement, puisque j’ai été
embauchée à l’Atelier Santé Ville en tant que chargée de mission à compter du 3 septembre.
Je suis très reconnaissante de pouvoir rejoindre une équipe aussi dynamique. Je me sens prête et
légitime à rejoindre le milieu du travail, notamment grâce au bagage théorique que m’a fourni
l’ISPED, mais aussi grâce aux périodes d’immersion professionnelle et aux rencontres avec les
professionnel sur le terrain. Je prends toutefois mes responsabilités très au sérieux.
81
Références bibliographiques
[1] Secrétariat général du comité interministériel des villes (SGCIV), « Référentiel national des
Ateliers santé ville (ASV) », 2012
[2] Profession banlieue, « MÉMO Démarche Atelier santé ville et programmation locale de santé Plan
local de santé et contrat local de santé – Version longue », Septembre 2011
[3] Délégation Territoriale de Seine Saint Denis de l’Agence Régionale de Santé Ile de France, « Le
Contrat Local de Santé (CLS) en 10 questions + 1… », 2012
[4] Conseil Général de Seine Saint Denis - Mission prévention des conduites à risques, « Penser agir la
prévention », 2007
[5] Le Breton D., « Sociologie, psychanalyse et conduites à risque des jeunes », Revue du MAUSS,
2011 - n° 37, p. 365-384
[6] Serrano S., « Prévention des conduites à risques et question sociale », Psychotropes, 2008 -
Vol. 14, p. 127-135.
[7] Famose J-P., Bertsch J., L’estime de soi : une controverse éducative, Quadrige Manuels - Presses
Universitaires de France, 2009
[8] Pickharot C., Développez l’estime de soi de votre enfant, Hors Collection - L’Homme, 2002
[9] Du Bus A., L’estime de soi : recherche de repères théoriques, Croix Rouge de Belgique, service
Education pour la santé, 1998
[10] Laporte D., Favoriser l’estime de soi des 0-6 ans, Pour les Parents - Editions de l’hôpital Ste
Justine, 2002
[11] Duclos G., L’estime de soi, un passeport pour la vie, Pour les Parents - Editions de l’hôpital Ste
Justine, 2011 (3ème éd)
[12] Giraux- Arcella P., « Population précaires et santé mentale : une approche à partir de la santé
participative », intervention sur la santé mentale au sein du Réseau estime de Soi, Epinay sur Seine,
décembre 2011
[13] Roehrig C., « Facteurs de protection et santé », Comité départemental d’éducation pour la santé
des Alpes Maritimes, 2008
82
[14] Vanistendael S., « Comment construire la résilience ? », Actes de la journée régionale du 28
novembre 2003 Faculté de Médecine Rockefeller « La résilience en action, passeport pour la santé -
Faire face aux difficultés et construire » – Lyon, Juin 2004
[15] Manciaux M. « La résilience : de qui, de quoi parle-t-on ? », Actes de la journée régionale du 28
novembre 2003 Faculté de Médecine Rockefeller, « La résilience en action, passeport pour la santé -
Faire face aux difficultés et construire », – Lyon, Juin 2004
[16] Tessier. S ; Andreys. JB ; Ribeiro MA., Santé publique, santé communautaire, Maloine, 2004
(2ème éd)
[17] Renaud L., Lafontaine G., « Guide pratique : Intervenir en promotion de la santé à l’aide de
l’approche écologique », Partage, Réseau francophone international pour la promotion de la santé
(Réfips), section des Amériques, 2011
[18] Basset B. (sous la direction de), Agences régionales de santé. Les inégalités sociales de santé,
coll. Varia, INPES, 2008
[19] Echaudemaison C-D. (sous la direction de), Dictionnaire d’économie et de sciences sociales,
Nathan, 2009 (8ème éd)
[20] Lahire B., « L’homme pluriel. La sociologie à l’épreuve de l’individu », Sciences humaines, 1999 -
n°91
[21] André C., « L’estime de soi au quotidien » in Le moi du normal au pathologique, Ed. Sciences
humaines, 2004
[22] Maslow A., Devenir le meilleur de soi même, Coll. Ed Organisation, Eyrolles, 2008
[23] Carlberg A., « Une vie meilleure est possible. Empowerment et mobilisation sociale », Publié par
le Conseil Suédois du Fond Social Européen dans le cadre du programme EQUAL, 2003
[24] Le Bossé Y., « L’empowerment : de quel pouvoir s’agit-il ? Changer le monde (le petit et le
grand) au quotidien », Nouvelles pratiques sociales, 2008 - Vol 21, n° 1
[25] Ninacs W., « L’Empowerment et l’intervention sociale », journées d’animation du Centre de
documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine, février 2003
[26] Ninacs W., « Empowerment : cadre conceptuel et outil d’évaluation de l’intervention sociale
communautaire », Coopérative de consultation en développement (la Clé), Québec (Canada), 2006
83
Bibliographie
L’analyse en miroir de P. Freire et Y. Le Bossé s’est effectué à partir de l’étude de plusieurs ouvrages
et articles. Voici quelques références qui m’ont aidée à construire mon analyse.
L’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir de Y. le Bossé :
- Le Bossé Y., « L’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir : une alternative
crédible ? », Association Nationale pour les Assistants de Service social (Paris), 2007
- Le Bossé Y., « Le développement du pouvoir d’agir personnel et collectif: une alternative
crédible? », conférence à Montpellier, 2008
- Le Bossé Y., « Empowerment et pratiques sociales : illustration du potentiel d’une utopie prise au
sérieux », Nouvelles pratiques sociales, 1996 – vol. 9, n° 1
- Le Bossé Y., « L’empowerment : de quel pouvoir s’agit-il ? Changer le monde (le petit et le grand)
au quotidien », Nouvelles pratiques sociales, 2008, vol. 21 - n° 1
L’approche développée par P. Freire :
- Freire P., Pédagogie des opprimés suivis de Conscientisation et Révolution, Re-découverte - La
découverte, 2001
- Chambat G., « La pédagogie des opprimés de Paulo Freire », N’autre école, 2006 - n°12
- Minot A., « Pédagogie des opprimés de Paulo Freire - Des principes d’action transposables pour le
Réseau écoles des citoyens », Réseau des écoles de citoyens (Récit), janvier 2003
- Loye P., « Freire (Paulo) - Pédagogie des opprimés suivi de Conscientisation et révolution, trad. du
brésilien », Revue française de pédagogie, 1975 - Vol 30, n°1
85
Liste des annexes
Annexe 1 : Grille d’entretien
Annexe 2 : Composition du RE-SOI
Annexe 3 : Charte du RE-SOI
86
Annexe 1 : Grille d’entretien
Identification professionnelle
Eléments d’identification
profession
structure représentée / Champ d’intervention (social, éducatif, sanitaire, insertion)
Exercice de l’activité professionnelle
activité professionnelle au quotidien (suivi, accompagnement, formations, activités
culturelles, actions individuelles/collectives, travail en équipe, etc.)
caractéristiques du public accompagné
besoins identifiés dans la pratique en lien avec l’estime de soi
Implication dans le cycle de travail Estime de soi
Représentations autour de la thématique « Estime de soi »
définition
composantes de l’estime de soi
à quoi elle sert ?
comment l’accroitre ?
exemples ?
Expérience au sein du cycle
parcours (cycle de travail conduites à risque, journées de sensibilisation, formations, etc.)
intérêt pour participer au cycle de travail (motivations : personnelles, professionnelles,
intellectuelles, etc.)
satisfaction des attentes ?
vécu personnel des séances du cycle
(Forme : pédagogie, approche)
apports personnels/professionnels/ intellectuels
(Fond : contenu des séances)
application directe/indirecte des séances du cycle
(Mise en place d’actions relatives à l’estime de soi ? / Évolution des pratiques
professionnelles ? )
87
La mise en place du RE-SOI
Expérience en réseau
définition d’un réseau
expérience antérieure d’un travail en réseau ?
Axes de travail/piliers de la charte
Formation
attentes/suggestions concernant des thématiques de formation (fond)
attentes/suggestions concernant la forme des séances (formations, visites sur site, échanges
de pratiques, etc.)
Coordination/animation
animation d’une réunion du cycle
rédaction d’un compte rendu
satisfaction ? / difficultés
suggestions
Communication
quel outil de communication interne et externe? Outils distincts ? Outil commun ?
Propositions ?
(Alimentation d’un blog, utilisation d’un site internet avec un espace intranet, newsletter,
magazine mensuel/ trimestriel, communication informelle, etc.)
Suivi/Evaluation
quelle organisation ? (Copil ? processus rotatif ?
quels outils ? (Fiches évaluatives communes ? grille d’analyse ? etc.)
quel thème d’évaluation ? (satisfaction, atteinte d’objectifs, etc.)
88
INSERTION
SOCIAL
SANITAIRE EDUCATIF
SOLIDARITE
Mission Prévention des conduites à
risques du CG 93
Référentes : A. Josselin et M-T. Gaudier
Animation : Lia Cavalcanti
Fondation Jeunesse Feu Vert
Jeunesse en mouvement
SFM-AD Secours Populaire Français
Service social
- EDF -
Service social scolaire
Infirmerie scolaire
Centres socio-culturels
ADN 93 HEBERGEMENT
CMJ
Réussite
éducative
MIIJ
Maison de l’emploi
Maison des
parents
Planning familial (PMI)
CCAS
Atelier Santé
Ville Epinay
sur Seine
Démocratie participative
Prévention Sécurité
Habitants
Associations
Institutions
Autres
Annexe 2 : Composition du RE-SOI
89
_________________________________________________________________
- Document de travail -
Charte du RE-SOI – Réseau Estime de Soi
_________________________________________________________________
Préambule
Considérant que l’estime de soi est un facteur de protection des individus et des
groupes sociaux
Considérant que les conduites à risques sont des comportements qui mettent en
péril l’intégrité psychologique, physique et sociale
Considérant que l’estime de soi est le levier fondamental pour la prévention des
conduites à risques
Qui sommes-nous ?
Un collectif de personnes (professionnels, institutionnels, associations, habitants, politiques)
du Plaine Commune :
- liés par des principes éthiques et des règles de fonctionnement
- agissant pour la promotion de l’estime de soi
Le réseau est ancré sur le territoire d’Epinay-sur-Seine et fonctionne sur les principes de la
confiance mutuelle et de la coopération sur un mode non hiérarchique
Nom du collectif : RE-Soi (Re-Soi)
Les bénéficiaires :
Directs : Participants du collectif (professionnels, associations, habitants…)
Annexe 3 : Charte du RE-SOI
90
Indirects : Habitants de Plaine Commune - Usagers fréquentant les structures du
territoire
Nos objectifs :
Renforcer l’estime de soi individuelle et collective tant en direction des publics visés
que des membres du réseau
Favoriser la construction d’un espace d’échanges de savoirs, savoirs-être et savoir-
faire autour de l’estime de soi
Organiser des séances de formation afin d’améliorer la qualification des membres du
réseau sur des thématiques connexes à l’estime de soi
Développer une dynamique de communication interne et externe : partage
d’informations en rapport avec l’estime de soi (manifestations, outils,
méthodologies….)
Intégrer/impliquer le réseau dans le maillage territorial
Mettre en œuvre l’évaluation du fonctionnement du réseau et soutenir l’évaluation
des actions entreprises par ses membres
Nos principes de fonctionnement :
4 axes de travail :
Coordination/animation du réseau :
o Coordination logistique assurée par l’équipe ASV
o Animation des réunions assurée à tour de rôle par les différents membres du
réseau
Communication :
o Communication interne au sein du réseau, avec une double utilité :
Informer sur le fonctionnement du réseau
Faire circuler des informations et connaissances sur la thématique de
l’estime de soi : manifestations, bibliographies, comptes-rendus des
rencontres… (Informations transmises par chaque membre du réseau)
91
o Communication externe assurée par l’ASV
Formation
o La formation doit être une préoccupation permanente et continue
o Elle doit faire appel aux connaissances du réseau et éventuellement solliciter des
compétences extérieures
Evaluation
o Le réseau doit évaluer son fonctionnement annuellement.
Chaque membre du collectif pourra être sollicité pour soutenir le travail sur ces 4 axes.
Nos rencontres :
Le réseau s’engage à assurer un rythme d’au moins une rencontre par trimestre. Chacune
d’elle intégrera les quatre axes de travail.
Toute personne adhérant au réseau s’engage à respecter les principes suivants :
1. Le statut égalitaire de ses membres
2. La valorisation des compétences et des ressources individuelles et collectives
3. L’absence de préjugés
4. La non-culpabilisation et la non-stigmatisation des publics
5. Le respect de la confidentialité des informations. La pratique du réseau impose que les
informations nominatives ne soient transmises qu’en cas d’absolue nécessité et avec le
consentement de l’intéressé
6. Le respect des pratiques institutionnelles, professionnelles et associatives des
partenaires