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La mesure du travail dissimulé et ses impacts pour les finances publiques Présentation du rapport du groupe de travail du Cnis Le travail dissimulé, principale composante du travail illégal, est mal connu et les données disponibles pour sa mesure sont encore imparfaites. Compte tenu de ses enjeux fiscaux et sociaux, le Cnis a décidé de constituer un groupe de travail afin d’en préciser le contour et d’en améliorer la mesure et le suivi. Après avoir délimité le sujet, le groupe de travail a identifié les formes de travail dissimulé les plus importantes et préconisé 41 recommandations susceptibles d’asseoir une méthodologie conduisant à des estimations plus pertinentes et précises du phénomène, permettant d’en assurer un suivi fiable dans le temps et pouvant contribuer à la production des comptes nationaux. Son rapport a été rendu en juillet 2017. L’objet de ce numéro de Chroniques est d’en présenter une synthèse, la version intégrale étant disponible sur le site du Cnis. En 2015, le Cnis a décidé de constituer un groupe de travail afin de préciser le contour du « travail dissimulé » et d’en améliorer la mesure, en préconi- sant notamment la ou les méthodes d’estimation qui apparaissent les plus pertinentes. En effet, le travail dissimulé est devenu au fil des années un sujet de première importance compte tenu de ses enjeux fiscaux et sociaux. Il a de forts impacts sur les finan- ces publiques, sur l’application du droit du travail, sur la garantie d’une concurrence loyale entre les acteurs économiques et sur la cohésion sociale. Il est une composante essentielle de l’économie non observée, et sa mesure constitue à ce titre un enjeu majeur pour l’élaboration des comptes nationaux. Bien définir le sujet Le travail dissimulé est mal connu et les données disponibles pour sa mesure sont encore imparfaites alors qu’il est l’infraction dominante avec 75 % des constats de travail illégal. Juridiquement, la Direction générale du travail (DGT) caractérise le travail dissimulé comme une des composantes du « travail illégal » consacré par la loi n° 2005-882 du 2 août 2005. Il regroupe un ensemble de fraudes majeures à l’ordre public social et écono- mique, précisément prévues et définies par le code du travail. Il est constitué, selon les cas : soit par la dissimulation intentionnelle d’une activité exercée à titre indépendant et dans un but lucratif, en violation d’obligations commerciales, fiscales ou sociales ; soit par la dissimulation intentionnelle de tout ou partie de l’emploi salarié. D’autres champs, plus larges, que le travail dissi- mulé doivent être envisagés et sont retenus dans la littérature sur le sujet : la fraude ou le manque à gagner, l’économie non observée… Le manque à gagner pour les finances publiques (en termes de Chroniques n° 13 Octobre 2017 Directeur de la publication : Françoise Maurel Rédactrice en chef : Isabelle Anxionnaz Maquette : Catherine Kohler Publication diffusée gratuitement, ne peut être vendue ISBN 978-2-11-151326-6

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La mesure du travail dissimuléet ses impacts pour les financespubliquesPrésentation du rapport du groupe de travail du Cnis

Le travail dissimulé, principale composante du travail illégal, est mal connu etles données disponibles pour sa mesure sont encore imparfaites. Compte tenude ses enjeux fiscaux et sociaux, le Cnis a décidé de constituer un groupe detravail afin d’en préciser le contour et d’en améliorer la mesure et le suivi.Après avoir délimité le sujet, le groupe de travail a identifié les formes de travaildissimulé les plus importantes et préconisé 41 recommandations susceptiblesd’asseoir une méthodologie conduisant à des estimations plus pertinentes etprécises du phénomène, permettant d’en assurer un suivi fiable dans le tempset pouvant contribuer à la production des comptes nationaux. Son rapport a étérendu en juillet 2017. L’objet de ce numéro de Chroniques est d’en présenterune synthèse, la version intégrale étant disponible sur le site du Cnis.

En 2015, le Cnis a décidé de constituer un groupede travail afin de préciser le contour du « travaildissimulé » et d’en améliorer la mesure, en préconi-sant notamment la ou les méthodes d’estimation quiapparaissent les plus pertinentes. En effet, le travaildissimulé est devenu au fil des années un sujet depremière importance compte tenu de ses enjeuxfiscaux et sociaux. Il a de forts impacts sur les finan-ces publiques, sur l’application du droit du travail,sur la garantie d’une concurrence loyale entre lesacteurs économiques et sur la cohésion sociale. Ilest une composante essentielle de l’économie nonobservée, et sa mesure constitue à ce titre un enjeumajeur pour l’élaboration des comptes nationaux.

Bien définir le sujet

Le travail dissimulé est mal connu et les donnéesdisponibles pour sa mesure sont encore imparfaites

alors qu’il est l’infraction dominante avec 75 %des constats de travail illégal. Juridiquement, laDirection générale du travail (DGT) caractérise letravail dissimulé comme une des composantes du« travail illégal » consacré par la loi n° 2005-882du 2 août 2005. Il regroupe un ensemble defraudes majeures à l’ordre public social et écono-mique, précisément prévues et définies par lecode du travail. Il est constitué, selon les cas :• soit par la dissimulation intentionnelle d’uneactivité exercée à titre indépendant et dans un butlucratif, en violation d’obligations commerciales,fiscales ou sociales ;• soit par la dissimulation intentionnelle de tout oupartie de l’emploi salarié.D’autres champs, plus larges, que le travail dissi-mulé doivent être envisagés et sont retenus dansla littérature sur le sujet : la fraude ou le manque àgagner, l’économie non observée… Le manque àgagner pour les finances publiques (en termes de

Chroniques n° 13Octobre 2017Directeur de la publication : Françoise MaurelRédactrice en chef : Isabelle AnxionnazMaquette : Catherine KohlerPublication diffusée gratuitement,ne peut être vendueISBN 978-2-11-151326-6

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recettes sociales ou fiscales ou en termes deprestations) est un concept économique trèslarge qui englobe les situations d’écart à lanorme, qu’elles résultent ou non d’un choixvolontaire. La fraude quant à elle requiert le

caractère intentionnel, comme pour le travaildissimulé, mais peut résulter d’activités n’en-traînant pas de dissimulation d’activitééconomique ou d’emploi, par exemple unefraude fiscale résultant du choix de majorer desprovisions comptables. Enfin, l’économie nonobservée (ENO), concept mobilisé par lescomptables nationaux, vise à repérer la part del’activité économique qui échappe spontané-ment aux statisticiens, et qui doit donc fairel’objet de redressements pour assurer l’exhaus-tivité des agrégats de comptabilité nationale,dont le produit intérieur brut (PIB). Le conceptd’ENO est donc très extensif puisqu’il va bienau-delà des notions usuelles de travail dissi-mulé ou de travail illégal et intègre en particulierdes problématiques de mesure.

De la définition à la mesure (1) : méthodes

Une revue de littérature classique sur le sujetfait ressortir que les approches mobiliséespour la mesure du travail dissimulé sont dedeux types, indirectes ou directes. Les métho-des indirectes (comptables, monétaires, inputsphysiques) partent d’agrégats macroécono-miques censés identifier des traces del’économie non observée. Elles peuvent êtreimplémentées à l’identique dans de nombreuxpays et permettent ainsi des comparaisonsinternationales, mais les résultats obtenusdiffèrent fortement entre approches, donnantparfois des parts d’économie non observéetrès élevées. Les méthodes directes procèdentà une estimation de la fraude ou du manque àgagner à partir de l’observation des phénomè-nes que l’on cherche à mesurer. Il s’agitnotamment de méthodes basées sur l’exploita-tion des résultats des contrôles opérés par lescorps compétents (« audits ») ou sur desenquêtes statistiques interrogeant directementles acteurs du travail dissimulé. Elles fournis-sent des résultats globalement inférieurs auxméthodes indirectes. En France, ce sont lesméthodes directes, qui reposent sur desdonnées microéconomiques, souvent confi-dentielles, que seules les administrationscollectrices peuvent manipuler, qui sont plusparticulièrement utilisées, et reprises parl’Insee pour ses estimations en comptabiliténationale. Les différentes méthodes mobili-sées visent à corriger des biais liés au ciblagequi caractérisent le plus souvent les données

du contrôle, par des approches économétri-ques, ou bien s’appuient sur des contrôlesaléatoires, qui sont pour autant à l’opposé de laculture spontanée des inspecteurs du recou-vrement puisque leur activité consiste plutôt àcibler les risques les plus élevés pour obtenirun rendement maximum. Les données d’en-quête, obtenues indépendamment du contrôle,visent à mesurer le travail dissimulé sur la basede déclarations spontanées et donnent géné-ralement des estimations du travail dissimuléplus faibles.

De la définition à la mesure (2) : travaux

Le débat de ces dernières années sur lamesure du travail dissimulé en France s’appuielargement sur des travaux mobilisant lesdonnées du contrôle, principalement desUrssaf pour ce qui concerne le champ desrecettes sociales. Le groupe de travail a faitune revue de tous les travaux récents réalisésen France par l’Acoss, la MSA, la DGFiP, desorganismes en charge de prestations (Cnaf,Pôle emploi, Fonds CMU), l’Insee dans lecadre de la comptabilité nationale, ainsi que lestravaux en matière d’enquête comme ceuxpilotés récemment par la DNLF. La mobilisa-tion des données issues des contrôles réalisésen Urssaf et d’une correction de biais limitéeaux effets de structure du plan de sondage(taille et secteurs) (méthode dite de « post-stratification ») était probablement la seuleméthode possible avant que les contrôles aléa-toires soient réalisés avec une couverturesuffisante. En 2015, l’Acoss a produit unepremière évaluation sur l’ensemble de l’éco-nomie en mobilisant les données disponiblessur les secteurs suivis par des contrôles aléa-toires et en posant des hypothèses explicitespour les autres. Son estimation publiée au prin-temps 2016 et présentée au groupe de travailfournit une première évaluation, de l’ordre de4,4 à 5,5 Md€ sur le champ du secteur privé,qui est 3 à 4 fois plus faible que celle obtenueavec une méthode de post-stratification,publiée par la Cour des comptes dans sonrapport 2014 sur l’application des lois de finan-cement de la sécurité sociale. Les limitesanalysées laissent penser que le chiffre del’Acoss serait plutôt un minorant, sans remettreen cause la hiérarchie des résultats selon lesméthodes. Ainsi, selon l’Acoss, la méthode ne

Cnis - Chroniques n° 13 - Octobre 2017

Encadré 1 - Le groupe de travailLes travaux du groupe de travail sur la mesure dutravail dissimulé et ses impacts pour les financespubliques ont commencé à l’automne 2015 sur la basedu mandat arrêté le 30 septembre de la même année parle bureau du Cnis. La présidence du groupe a étéconfiée à Alain Gubian, directeur des statistiques, desétudes et de la prévision, et directeur financier del’Acoss. Les deux rapporteurs étaient Cyrille Hagneré,responsable du département Risques rechercheévaluation et publication de l’Acoss, et Ronan Mahieu,chef du département des Comptes nationaux de l’Insee.Le groupe était composé de représentants d’adminis-trations de la statistique publique (Insee, Dares,Drees), d’administrations directement concernéesdans le cadre de leurs missions par le travail dissimulé(DGT, DNLF, DSS, DGFiP), d’établissements publicstêtes de réseau d’organismes de recouvrement ou deprestations, ayant développé en leur sein des compé-tences statistiques (Acoss, CCMSA, Cnaf), d’organi-sations patronales ou de salariés (Medef, UPA, FFB,Fepem, CFDT, CGT), d’universitaires. 17 séances detravail ont eu lieu entre octobre 2015 et avril 2017. Destravaux de membres du groupe ont été présentés et desauditions d’experts ou de représentants d’organismesnon membres du groupe ont eu lieu.Acoss : agence centrale des organismes de sécuritésociale (caisse nationale du réseau des Urssaf)CCMSA : caisse centrale de la MSACrédoc : centre de recherche pour l’étude et l’observa-tion des conditions de vieDares : direction de l’animation de la recherche, desétudes et des statistiques (ministère du Travail)DGE : direction générale des entreprisesDGFiP : direction générale des finances publiquesDNLF : délégation nationale de lutte contre la fraudeDrees : direction de la recherche, des études, de l’éva-luation et des statistiques (ministère des Solidarités etde la Santé)DSS : direction de la sécurité socialeFepem : fédération des particuliers employeurs deFranceFFB : fédération française du bâtimentFonds CMU : fonds de financement de la couvertureuniverselle du risque maladieMSA : mutuelle sociale agricoleUPA : union professionnelle artisanale

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tient pas assez compte à ce stade des phéno-mènes de dissimulation partielle (elle seconcentre sur la dissimulation totale), de dissi-mulation d’activité (absence d’immatriculation),des situations de fraude chez les travailleursindépendants et chez les particuliersemployeurs (activités classiques à leur domi-cile, ménage, garde d’enfant, mais égalementles travaux de rénovation à leur domicilepouvant être peu déclarés).Sur le plan des recettes fiscales, la TVA est, àpremière vue, celle qui est la mieux corrélée àl’activité économique. La DGFiP a développédes travaux sur le manque à gagner la concer-nant en étendant les résultats du contrôle parune méthode de post-stratification (taille,secteur d’activité). Elle développe aujourd’huiune méthode économétrique modélisant leprocessus de ciblage qui permet de mieuxcorriger le biais de sélection.Côté prestations, comme indiqué supra, lestravaux ont été limités au champ des presta-tions familiales (Cnaf) et des prestationsoctroyées par Pôle emploi ainsi que celles liéesà la CMU. Ce choix tient d’abord au fait que cesont les prestations le plus souvent verséessous condition de ressources, de sorte quel’impact du travail dissimulé est le plus évidentpuisqu’une sous-estimation du revenu pardissimulation conduit à des versements deprestations indues. Il tient également au faitque le groupe a choisi de traiter le sujet demanière pédagogique, pour illustrer les cas lesplus typiques, et qu’il n’a pas recherché l’ex-haustivité des situations. Concernant lesprestations versées par la Cnaf, les travauxsont particulièrement avancés puisque la Cnafa mis en place depuis 2013 un dispositif annueld’enquête pour la mesure de la fraude auxprestations. À la demande du groupe de travail,elle a procédé à quelques simulations del’impact sur les prestations légales verséespar les CAF (prestations familiales, aides aulogement et minima sociaux) de diverses hypo-thèses relatives à l’importance du travaildissimulé à l’aide de son modèle de microsimu-lation Myriade.Les comptables nationaux français ont déve-loppé des travaux d’estimation des activités etrevenus dissimulés aux administrations. Privi-légiant la source comptable pour apprécier lafraude de nature fiscale, ils ont toutefois pumobiliser également des enquêtes ou des diresd’expert pour certains champs de l’activité

économique. L’approche retenue sur le champdes entreprises ayant une existence légales’appuie sur l’extrapolation à l’ensemble desentreprises des redressements effectués par laDGFiP dans le cadre de ses contrôles. Pourcorriger le biais de sélection, les comptablesnationaux ont modélisé la probabilité decontrôle de chaque entreprise à partir de varia-bles observables. Cette méthode, plussatisfaisante qu’une correction ne tenantcompte que de la structure taille/secteur, necorrige toutefois qu’insuffisamment le biais desélection selon eux. Les comptables nationauxévaluent par ailleurs la part de valeur ajoutéedissimulée imputable à des entreprises sansexistence légale, au travail dissimulé par lesménages ou à la contrebande. L’essentiel estalors estimé à dires d’experts. Sur la base deces redressements, par nature hétérogènes, lacomptabilité nationale peut estimer ce qui nerelève que de la rémunération d’un travail dissi-mulé. Le montant correspondant dans les

comptes de la base 2010 est de l’ordre de30 Md€, dont un peu moins de la moitié pourles entreprises déclarées.

Une première enquête sur la fraude

À l’instar des travaux menés à l’étranger, en2015, une première enquête auprès des ména-ges sur le travail dissimulé et la fraude a étépilotée au niveau national conjointement par laDNLF et la DGE et réalisée en face-à-face parle Crédoc sur un échantillon de 2 000 person-nes. L’objectif était d’appréhender lesprincipaux comportements frauduleux et laperception des ménages quant aux phénomè-nes de fraude. Cette enquête comportaitégalement un volet spécifique sur le secteurdes services à la personne. Elle a permis d’ob-tenir des informations sur l’ampleur duphénomène et sur les différents comporte-ments de fraude en matière de travail dissimulé

Cnis - Chroniques n° 13 - Octobre 2017

Encadré 2 - Présentation des recommandationsLe groupe de travail du Cnis a formulé 41 recommandations de nature et d’importance très diverses. L’objectif estnaturellement l’amélioration de la mesure du travail dissimulé, non la réduction des situations de fraude. Une grandepartie ne s’adresse pas directement à la statistique publique mais à de nombreux organismes concernés par lesconséquences de la dissimulation de revenus qui entrent dans les assiettes des prélèvements qu’ils collectent ou dansle calcul de prestations sociales qu’ils versent. Les voies d’approfondissement et d’amélioration sont nombreuses etvariées. Il a semblé au groupe de travail qu’un cadre devait être trouvé, si l’on veut pouvoir régulièrement fournir unesynthèse sur le sujet (une estimation du travail dissimulé sur l’ensemble des champs abordés et déjà traités) et unpoint d’étape sur les avancées réalisées à partir des recommandations proposées par le groupe de travail. C’estpourquoi celui-ci propose la mise en place d’une fonction Observatoire (sans équipe propre mais adossé surl’ensemble des participants) du suivi du travail dissimulé selon une approche à la fois quantitative et qualitative. Unrendez-vous annuel permettrait de rendre compte des mises à jour des estimations et des avancées proposées,notamment auprès de la Commission nationale de lutte contre le travail illégal (CNLTI) et du Comité national de luttecontre la fraude (CNLF).Les recommandations du groupe de travail relèvent de quatre grandes thématiques :- suivi statistique du travail dissimulé et sa valorisation : produire des indicateurs de dispersion sur le phénomène,développer les travaux de recherche, par exemple ;- mise en œuvre des méthodes : poursuivre les évaluations relevant des approches directes sans a contrario investirsur les méthodes dites indirectes, généraliser la démarche de contrôle aléatoire dans les organismes de recouvrementavec des échantillons de taille suffisante, sur les champs insuffisamment ou pas encore couverts, et les réaliser régu-lièrement de sorte qu’une estimation plus précise soit mobilisable pour apprécier les évolutions du phénomène dedissimulation ;- méthodologie statistique : développer les différentes approches d’évaluation, à partir des contrôles et des enquêtes,et améliorer les corrections de biais dans l’exploitation des contrôles, tirer le meilleur parti des enquêtes en obtenantdes informations sur l’ensemble des acteurs (employés et employeurs) et en cherchant à apprécier l’efficacité desdispositifs de lutte contre la fraude, notamment pour les particuliers employeurs ;- les systèmes d’information : sur les prestations versées par Pôle emploi, mobiliser la déclaration sociale nominative(DSN) pour évaluer les situations de prestations sans contrepartie en termes de cotisations, mieux suivre le travaildétaché à partir des données du contrôle et en mobilisant la DSN qui pourrait être le support de la déclaration destravailleurs détachés en France par des entreprises étrangères, voire de leurs salaires.

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(panorama des pratiques de fraude, causes etmotivations des individus à frauder et percep-tion des risques encourus) et, en outre, devalider la démarche en vue, par exemple, d’unéventuel déploiement à plus grande échelle.Parmi les très nombreux résultats, on peutnotamment retenir que l’emploi dissimuléconstitue pour la majorité des personnes inter-rogées une activité à temps partiel et, pourprès de la moitié des personnes, un emploi encomplément d’un emploi déclaré, l’emploidissimulé s’apparentant dans ce cas à unrevenu d’appoint. Les personnes dont l’emploidissimulé constitue un seconde activité décla-rent le même nombre d’heures déclarées queles autres salariés. Ce résultat tend à montrerque le temps travaillé de manière dissimuléesemble se rajouter aux autres types d’emploiplutôt que de s’y substituer.

Incertitudes sur la mesureet champs non encore couverts

L’ensemble des estimations présentées etanalysées dans le rapport sont entachéesd’incertitudes et elles sont généralementprésentées sous la forme d’intervalles. Cesincertitudes ne permettent généralement pas àce stade d’indiquer si la fraude liée au travaildissimulé telle qu’elle est appréciée par lesorganismes de recouvrement, la comptabiliténationale ou les enquêtes évolue significative-ment dans un sens ou dans l’autre au coursdu temps. Les recommandations portentnotamment sur la réduction de ces incertitu-des et la reproduction des estimations sur des

méthodologies stables à différentes dates.Compte tenu des incertitudes, une certaineconvergence ressort du rapprochement desdifférentes estimations. Les assiettes dissimu-lées concernant les entreprises ayant uneexistence légale représentent en moyenneenviron 2 % de la masse salariale totale, unpeu plus (2,3 %) pour les estimations propo-sées par la comptabilité nationale, un peumoins pour l’évaluation de l’Acoss par contrô-les aléatoires pour les cotisants du régimegénéral (1,7 %) et l’estimation issue de l’enquêteDNLF (de l’ordre de 1,5 % sur un champcomparable), l’estimation de la MSA étantaussi de cet ordre de grandeur. Le chiffreretenu par la comptabilité nationale s’avèretoutefois nettement supérieur (3,5 %) si l’onconsidère l’ensemble du champ du travaildissimulé (sur les entreprises connues ou non).Les travaux d’estimation discutés ne couvrenttoutefois pas tous les aspects du travail dissi-mulé. Le travail dissimulé chez les particuliersemployeurs est ainsi difficilement identifiablepar les contrôles effectués par l’Urssaf, l’invio-labilité du domicile privé étant un obstacle aucontrôle. Toutefois, plusieurs organismes enont produit des estimations. Concernant lestravailleurs indépendants, de nouveaux profilsd’indépendants et de risques de fraude parti-culiers apparaissent, avec la création du statutd’autoentrepreneur et de l’essor de l’éco-nomie collaborative. Les travaux d’évaluationdu travail dissimulé sur ces champs en déve-loppement rapide sont quasiment inexistantsmême si des contrôles commencent à êtremis en place par les Urssaf. Les risques que

peut présenter l’économie collaborative enmatière de travail dissimulé mériteront desinvestigations à l’avenir : les modes deproduction et d’organisation des plateformescollaboratives le favorisent-ils ? par quelscanaux ? Enfin, la mesure du travail dissimulélié au détachement ou à la pluriactivité estencore plus complexe. La fraude présente icides spécificités qui justifient une évaluationspécifique, d’autant qu’elle est probablementimparfaitement prise en compte dans lesévaluations existantes, en particulier du fait dela faible taille des échantillons utilisés auregard d’un phénomène d’ampleur limitée.La généralisation de la dématérialisation desdéclarations préalables de détachement etdes possibilités de croisement entre différen-tes bases disponibles offrent des opportunitéstant en termes de ciblage du risque qu’entermes d’évaluation de la fraude. Il convientpar ailleurs de signaler la généralisationcourant 2017 de la carte d’identification dessalariés du BTP, dite « carte BTP », pourlaquelle un suivi statistique s’impose.

Stéphane Tagnani, Cnis

Timbre H030 - 18, Bd. A. Pinard 75675 Paris 14Tél. : 01 41 17 52 62 - [email protected] - www.cnis.frSecrétariat général du Cnis :

Pour en savoir plusSur le site du Cnis :• rapport final, rubrique Groupes de travail• présentation du rapport : pages de la commis-sion Emploi, qualification et revenus du travaildu 4 mai 2017 et de la commission Entreprises etstratégies de marché du 29 septembre 2017