La macro-évaluation des archives: l’expérience canadienne

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 45 ARCHIVES , VOLUME 33, NUMÉROS  3 ET 4, 2001-2002 La macro-évaluation des archives: l’expérience canadienne  Daniel Ducharme D ans un état de la question publié dans le cadre d’études supérieures à l’Université de Haute-Alsace, Carol Couture (1995, 29-30) allègue que les Archives natio- nales du Canada ont été parmi les toutes premières instituti ons au Canada à se préoc- cuper d’évaluation. Bien qu’elles aient été plutôt attentistes jusqu’au milieu des années 1980, celles-ci se donnent bientôt un rôle beaucoup plus actif en cette matière, lequel consiste à établir un ordre de prior ité des institutions avant de procéder à l’évaluation de leurs archives. C’est ce que résume bien l’expression: «From the top to the bottom» (Archives nationales du Canada, 1991). Cette approche qui, nous le verrons plus loin, s’estime révolutionnaire, est désignée sous le nom de macro-évaluation par son princi- pal instigateur: l’archiviste canadien Terry Cook (1992b, 47). Le but de la présente recherche est de cerner les principaux enjeux que recou- vre l’approche de la macro-évaluation pour la pratique de l’évaluation en archivistique. Est-ce une approche nouvelle? N’est-ce pas plutôt un retour aux théories des archivis- tes allemands du début du siècle sur l’importance de la posit ion hiérarchique du créa- teur dans l’évaluation des archives? Est-ce que l’évaluation des unités créatrices se suffit à elle-même? Peut-on vraiment prendre une décision imp liquant des dispositions d’archives sans prendre la peine d’évaluer les docum ents eux-mêmes? Autant de ques- tions auxquelles nous tentons de répondre tout au long de cet article. ÉTUDE ÉTUDE ÉTUDE ÉTUDE ÉTUDE * Cet ar ticl e est un e vers ion considérablement rema niée d ’un travail de r echerch e réa- lisé dans le cadre d’un séminaire de doctorat donné à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal à l’automne 1998 et dirigé par Carol Couture. L’auteur tient à remercier chaleureusement Normand Charbonneau, archiviste aux Archives nationales du Québec, d’avoir bien voulu lire le document initial pour en suggérer des corrections pertinentes.

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    La macro-valuationdes archives:lexpriencecanadienne*****

    Daniel Ducharme

    Dans un tat de la question publi dans le cadre dtudes suprieures lUniversit de Haute-Alsace, Carol Couture (1995, 29-30) allgue que les Archives natio-nales du Canada ont t parmi les toutes premires institutions au Canada se proc-cuper dvaluation. Bien quelles aient t plutt attentistes jusquau milieu des annes1980, celles-ci se donnent bientt un rle beaucoup plus actif en cette matire, lequelconsiste tablir un ordre de priorit des institutions avant de procder lvaluationde leurs archives. Cest ce que rsume bien lexpression: From the top to the bottom(Archives nationales du Canada, 1991). Cette approche qui, nous le verrons plus loin,sestime rvolutionnaire, est dsigne sous le nom de macro-valuation par son princi-pal instigateur: larchiviste canadien Terry Cook (1992b, 47).

    Le but de la prsente recherche est de cerner les principaux enjeux que recou-vre lapproche de la macro-valuation pour la pratique de lvaluation en archivistique.Est-ce une approche nouvelle? Nest-ce pas plutt un retour aux thories des archivis-tes allemands du dbut du sicle sur limportance de la position hirarchique du cra-teur dans lvaluation des archives? Est-ce que lvaluation des units cratrices sesuffit elle-mme? Peut-on vraiment prendre une dcision impliquant des dispositionsdarchives sans prendre la peine dvaluer les documents eux-mmes? Autant de ques-tions auxquelles nous tentons de rpondre tout au long de cet article.

    TUDETUDETUDETUDETUDE

    * Cet article est une version considrablement remanie dun travail de recherche ra-lis dans le cadre dun sminaire de doctorat donn lcole de bibliothconomie etdes sciences de linformation de lUniversit de Montral lautomne 1998 et dirig parCarol Couture. Lauteur tient remercier chaleureusement Normand Charbonneau,archiviste aux Archives nationales du Qubec, davoir bien voulu lire le documentinitial pour en suggrer des corrections pertinentes.

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    En premire partie, nous nous efforons de dcrire les aspects thoriques de lamacro-valuation. Aprs un bref tour dhorizon de la littrature archivistique sur laquestion, nous dmontrons en quoi la macro-valuation constitue une critique desapproches traditionnelles en valuation des archives et, par la mme occasion, si elleest en droit de revendiquer le statut dapproche rvolutionnaire. Pour ce faire, nousabordons les principales problmatiques quelle soulve: laccroissement du volumedocumentaire, lobjectivit de la dcision de larchiviste dans lvaluation, la transfor-mation des archives lre des technologies de linformation et, enfin, le principe derespect des fonds comme fondement de lvaluation des archives. En deuxime partie,nous dcrivons les diverses composantes du modle propos par la macro-valuation,modle appliqu dans ses grandes lignes aux Archives nationales du Canada. Puis entroisime partie, nous situerons la macro-valuation par rapport dautres courantsde pense, entre autres la documentation strategy, qui partagent un but commun:faire de lvaluation des archives un moyen de constituer une image fidle de lasocit. Enfin, en quatrime partie, nous initions une confrontation entre la macro-valuation et la pratique archivistique au Qubec.

    Sous le titre gnrique de Macro-valuation des archives: lexprience cana-dienne, nous avons voulu dresser un portrait global de cette approche en dcrivantautant ses fondements thoriques que ses implications pratiques. En conclusion, nousvaluons si un dialogue peut tre instaur entre les archivistes canadiens instigateursde cette approche (Terry Cook, Bruce Wilson et dautres archivistes des Archives natio-nales du Canada) et les archivistes qubcois. Peut-tre que le lecteur sera en mesurede juger si les deux solitudes sont prsentes dans le paysage archivistique canadien.

    THORIE DE LA MACRO-VALUATION

    La macro-valuation dans la littrature archivistiqueLa littrature archivistique de porte gnrale cest--dire les manuels, tats

    de la question et articles gnraux consacre lvaluation des archives savre assezmuette sur lapproche de la macro-valuation dveloppe par les archivistes canadiensau tournant des annes 1990. En fait, depuis le dbut de cette dcennie, on ne compteque quelques auteurs qui dressent un tableau, en totalit ou en partie, des tendancesrcentes en valuation des archives. Il sagit de Frank Boles et Julia M. Young (1991), deF. Gerald Ham (1993), de Richard J. Cox (1995) et de Carol Couture (1995; 1996; 1999).

    Nulle part dans leur importante tude quils publient au dbut des annes 1990,Frank Boles et Julia M. Young (1991) ne font mention de lapport des archivistes cana-diens la problmatique de lvaluation des archives. Il en est de mme pour F. GeraldHam qui, dans un manuel publi en 1993, consacre un chapitre entier au recensementdes courants de pense en valuation des archives. Il est difficile dexpliquer ce silence,et ce dautant plus que la publication du manuel de Ham est postrieure celle desprincipaux crits de Cook sur la question.

    Une tude amricaine plus rcente, toutefois, aborde la macro-valuation. Ilsagit de ltat de la question que fait Richard J. Cox de lapproche connue sous le nomde documentation strategy (Cox 1995), une approche voisine de la stratgie dacquisi-

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    tion adopte par les Archives nationales du Canada au dbut des annes 1990 (Naugler1990). Dans son tude (Cox 1995, 76), Cox discute des travaux des archivistes cana-diens, notamment ceux de Terry Cook, Jean-Pierre Wallot et Richard Brown, travauxquil juge dun grand intrt pour lavancement du dbat sur lvaluation des archives(Cox 1995, 79). Pour lui, la macro-valuation est une mthode danalyse fonctionnellequi englobe une stratgie dacquisition, mthode qui repose sur la provenance, racineconceptuelle du crateur darchives . Il dplore, toutefois, les propos de Cook qui nevoit dans la documentation strategy quune tape secondaire qui ne viendrait quaprslvaluation des structures et fonctions de lorganisation. Il estime que lanalyse fonc-tionnelle, la stratgie dacquisition et la documentation strategy font toutes trois par-tie de la macro-valuation, les concepts voluant en parallle au Canada et aux tats-Unis. En conclusion, Cox ritre sa foi dans le fait quon doit mettre nouveau laccentsur les documents darchives, sur leurs valeurs pour la mmoire collective de lorgani-sation, ce qui ne lempche pas de souligner lapport de la macro-valuation la tho-rie de lvaluation des archives(Cox 1995, 89).

    En 1995, dans son tat de la question texte remani en 1996 pour en faire unarticle Carol Couture consacre quelques pages aux travaux des archivistes canadienssur lvaluation, notamment ceux de Terry Cook (Couture 1995, 29-30). Il rsumeessentiellement la macro-valuation au fait que, pour cette approche, il sagit dvaluerles institutions cratrices des documents avant dvaluer les documents eux-mmes.En fait, Carol Couture voit dans lapproche de la macro-valuation une mthode qui seretrouve dans lanalyse des besoins, intervention archivistique qui permet larchi-viste davoir une connaissance approfondie de linstitution et des archives quelle g-nre avant de les valuer. Dans cette perspective, la macro-valuation ne constitue pasune approche contradictoire lanalyse du contenu des documents, analyse que, paropposition au concept de macro, Carol Couture appelle micro-valuation (Cou-ture 1995, 33), mais plutt une tape pralable lvaluation des documents. Un peuplus tard, dans un chapitre quil consacre lvaluation des archives (Couture 1999,108), il ajoute: Quand il [Cook] veut mieux connatre lorganisme crateur, ce nest paspour juger a priori la valeur des archives quil produit, mais cest pour mieux tablirles priorits qui simposent.

    En conclusion de ce bref tour dhorizon de la littrature archivistique relative la macro-valuation, un constat simpose: lapproche de la macro-valuation, bienquelle soit injustement passe sous silence par certains auteurs, suscite la controverse.Est-elle un ensemble dinterventions mthodologiques sans grand fondement thori-que comme semble laffirmer larchiviste amricain Richard J. Cox? Nest-elle pas plu-tt un modle assez peu original, somme toute qui sapparente lanalyse debesoins comme parat le prtendre Carol Couture? Autant pour combler le silence desuns que pour attnuer le rductionnisme des autres, nous croyons que ltude qui suitest pleinement justifie.

    Principes et porte de la macro-valuationDans un texte publi en 1992, Terry Cook estime que tout regard neuf sur

    lvaluation des archives doit partir du fait que, derrire le document, se cache lafonction ou lactivit qui a conduit sa cration (Cook 1992b, 38). Dans un autre texte

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    publi la mme anne (Cook 1992a), Cook fait de cette assertion, inspire des travauxde son collgue Hugh A. Taylor, une prmisse qui a des implications profondes pourlvaluation des archives. Dabord, elle sous-entend que lvaluation qui se concentresur les sries et les fonds darchives, qui recherche des valeurs en eux, fait fausse route.Ensuite, elle suscite lmergence du principe suivant: lvaluation doit se baser sur lecontexte de cration, sur ce dont traitent les documents, sur lesprit plutt que sur lamatire (Cook 1992b, 38).

    En valuation des archives, il convient donc de mettre laccent sur la pro-venance plutt que sur le contenu. Autrement dit, Cook suggre que, plutt que desintresser au produit final des activits dune organisation en loccurrence, sesarchives , il vaut mieux chercher comprendre pourquoi les documents ont t crs,comment ils lont t et quelle utilisation les crateurs initiaux en ont faite. Par ailleurs,la structure interne, les caractristiques physiques que les documents possdent ou nepossdent pas, intressent moins la macro-valuation que les mandats et fonctions delorganisation dont les archives tmoignent.

    Compte tenu de ce qui prcde, la macro-valuation peut se dfinir comme uneapproche qui accorde une place centrale au principe du respect des fonds dans leprocessus dvaluation des archives. La question fondamentale pose par cette appro-che est: Quest-ce qui doit tre document? Dans cette perspective, la question de dter-miner quels sont les documents qui doivent tre conservs devient secondaire. En clair,cela signifie que, lanalyse de la valeur des archives, la macro-valuation substituelanalyse de la valeur des units cratrices de documents au sein dune organisation,valeur qui stablit en rapport avec la fonction de tmoignage des units values(Cook 1992b, 47).

    Lapproche de la macro-valuation, on la crit plus tt, sestime rvolution-naire, ou du moins elle prtend constituer une alternative aux approches traditionnel-les de lvaluation des archives. Ces approches, crit Cook en 1992, ont failli leurstches dvaluer les archives lre des technologies de linformation (Cook 1992b, 40-42). Dans les lignes qui suivent, nous verrons en quoi la macro-valuation constitueune rupture avec la tradition, cest--dire avec lanalyse de contenu de linforma-tion vhicule par les archives.

    La macro-valuation et les approches traditionnelles delvaluation des archivesLvaluation des archives na pu seffectuer sur une base cohrente jusqu

    maintenant parce que la tradition archivistique the nuts-and-bolts tradition, commele souligne Cook qui reprend lexpression de larchiviste amricain F. Gerald Hamdomine encore la profession archivistique. Cette tradition, qui tmoigne dune poqueau cours de laquelle le volume des archives tait relativement faible la custodialera , ne laisse larchiviste quun rle passif dans le processus dvaluation desarchives. Ainsi, les services darchives se sont concentrs sur les archives dfinitives,sur leur valeur relle ou potentielle pour la recherche, refltant du mme coup lesintrts troits des chercheurs plutt que lensemble des activits humaines (Cook1992b, 41). Cest ce qui explique quen Amrique du Nord la thorie de lvaluation sestdveloppe comme une taxinomie plus ou moins raffine de valeurs et de caractris-

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    tiques documentaires et que son rsultat prend souvent la forme dun ensemble decritres qui, appliqus aux documents, permettent de savoir si ceux-ci doivent treconservs ou limins. De plus, prisonnire de son cadre cyclical values, la thorienord-amricaine nintgre que rarement les concepts de dynamique institutionnelle etsocitale dans ses modles.

    Le but de la macro-valuation nest donc pas la recherche de valeurs, maisplutt larticulation des structures, fonctions, processus de cration des documents etleur interaction, laquelle interaction constitue la reprsentation, ou plutt le miroir delexprience humaine (Cook 1992b, 41). Ainsi, une approche macro-valuative doitdabord noncer les caractristiques gnriques de ces facteurs susceptibles de produiredes documents de haute valeur avant de sintresser aux documents eux-mmes, fac-teurs quon soumet un ensemble de critres. Elle impliqueque les valeurs ne sauraienttre trouves dans les documents, mais plutt dans les lments significatifs de lasocit. Corroborant le point de vue de Terry Cook, Jean-Pierre Wallot ajoute: As aresult, archivists now appraise less by sifting through all the records one by one,searching for possible research subjects, but rather by assessing more globally thefunctions of the records creators rather than the records, and the records-creatingprocesses rather than possible research uses (Wallot 1991, 272).

    Le problme de laccroissement du volume documentaireUne des principales raisons pour laquelle lapproche traditionnelle de lvalua-

    tion a failli sa tche tient au fait que la croissance du volume documentaire dans laplupart des ministres et organismes dtat na pu tre contrle. Par ailleurs, lacomplexification de ladministration de ltat rend difficile la mise en pratique delapproche par critres. Selon Jean-Pierre Wallot (1991, 267-268), le problme de lac-croissement de linformation complique tellement la tche de larchiviste quil se voitdans lobligation de changer radicalement sa faon dvaluer et de prserver les archi-ves. Quant Cook, il pose la question: comment peut-on valuer laide dune grille decritres lorsquun ministre, comme Emploi et Immigration, dploie ses activits dansprs de 1,000 bureaux, grant 50 programmes, crant 3 millions de dossiers case filesrpartis dans plus de 100 bases de donnes, etc. (Cook 1992b, 43). Cest ce que Cookappelle to appraise at the bottom.

    Dans ce court article publi quelques annes plus tt (1986), Cook insiste djsur le problme que pose laccroissement du volume documentaire au sein du gouver-nement fdral. En effet, au niveau des archives courantes et intermdiaires, la massetotale des documents conservs dans les ministres et organismes gouvernementauxest de 2,5 millions de mtres linaires, soit 20750000000 pages. Cela reprsente uneceinture qui ferait 144 fois le tour de la terre... (Cook 1986, 2). Sans parler encore demacro-valuation, Cook nonce que, en valuation, larchiviste examine dabord leprocessus de cration des documents. Plus loin, en donnant lexemple des dossiersdimmigration, il insiste sur le fait que comme toujours, on doit dabord considrer lecontexte global de linformation (Cook 1986, 2). Nul doute que linsistance de Cook surle contexte de cration des documents dans le processus dvaluation prfigurait djce qui allait devenir, partir de 1991, lapproche de la macro-valuation, une approche

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    apte relever le dfi de laccroissement phnomnal des archives dans ladministra-tion publique.

    Le rle de larchiviste dans lvaluation des archives etlobjectivit de la dcisionPar ailleurs, lapproche traditionnelle ou plutt, taxinomique, renforce lal-

    liance malheureuse que les archivistes nouent avec la structure corporative du cra-teur de documents. ce sujet, Cook crit: By focusing in traditional appraisal on therecord rather than on its structural and functional context, archivists naturally tendto interact primarily with such custodians of those physical end-products as re-cords managers, photo curators, map librarians, and electronic system managers(Cook 1992b, 42). En effet, rares sont les archivistes qui transigent avec la haute direc-tion, cest--dire avec ceux qui sont aux commandes de la corporate mind dont lesarchives ne sont quune simple reprsentation. Dans cette perspective, les archivistescontinuent dtre perus comme des gardiens peine reconnus comme des profession-nels de linformation. Par l, Terry Cook suggre que lapproche de la macro-valua-tion valorise le rle de larchiviste dans lorganisation.

    Terry Cook, linstar de la plupart des archivistes canadiens, influencs encela par les crits de Hans Booms (1987 et 1991), a compris que lobjectivit absolue enmatire dvaluation est pratiquement impossible puisque larchiviste, comme nim-porte quel individu, vhicule les valeurs de la culture de son temps. Le contexte sociala donc un impact invitable sur les jugements que larchiviste porte sur la valeur desarchives (Craig 1992, 175). Ce dernier ne peut tre objectif dans la mesure o il faitpartie de lhistoire, mais en acceptant la nature subjective de ses travaux, il peuttravailler avec plus de rigueur (Cook 1992a, 187-188). Hugh A. Taylor aussi nonce quelvaluation comprend des lments subjectifs. Il allgue que, en tant quarchivistes,nous dtenons le quasi monopole des dcisions en matire dvaluation, et plusieurs deces dcisions contiennent des lments minemment subjectifs. Il importe simplementde ne pas se faire piger par nos propres valeurs, par notre idologie, bien que cela soitdifficile viter en totalit (Taylor 1990, 17-18).

    La transformation des archives et le dfi lectroniqueLapproche de la macro-valuation sestime apte relever le dfi du XXIe sicle

    pos par la transformation des archives. Pour ce faire, il importe de tendre vers uneversion conceptuelle de la provenance (Cook 1992a, 183). Cette transformation desdocuments rfre, entre autres, la communication lectronique qui, en mode interac-tif, peut constituer un discours continuel sans jamais laisser de traces. Elle rfre aussiaux informations issues de plusieurs sources lectroniques distinctes (donnes, texte,graphique, etc.). Il devient alors difficile de recrer le document dans de telles con-ditions. Cest dailleurs pour cela que Taylor avance lide que le phnomne des archi-ves lectroniques opre un retour vers la tradition orale, vers loralit plutt que lcrit.En effet, pour Taylor, la socit davant lalphabtisme autrement dit, la socitprimitive possde une caractristique importante: celle de loralit de laquelle notreconcept darchives provient et auquel, travers la nature transactionnelle/ instanta-ne de la communication via lordinateur, nous retournons (Taylor 1990, 21).

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    Lide matresse de Taylor, et dont Cook sinspire largement, cest que lcritcommence devenir moins important, et que les archives incluent the entire mediaspectrum fall heirs to an ancient orality being reborn and stand to be the great gainersof this paradigm shift (Taylor 1990, 23). Ainsi, lautomatisation acclre des docu-ments fait en sorte que nous sommes plus prs de loralit de nos anctres, lesquels nefaisaient pas la distinction entre lacte gnr par les mythes et lacte mmoris par lestmoignages. Nous, les lettrs, nous faisons la diffrence et cest pour cela que lamacro-valuation, en mettant laccent sur le contexte dans lequel se cre linforma-tion, est en mesure de prserver le tmoignage quapporte cette nouvelle oralit. Danscette oralit, poursuit Cook (1992a, 183), ce nest pas tant le document qui compte queles transactions qui en sont lorigine. Il importe donc de voir le document trs prsdu contexte dont il est issu, car cest ce contexte qui donne un sens laction, audocument. Do toute limportance que prennent les actions contextuelles traverslexistence des documents.

    Par ailleurs, dans un autre texte publi en 1991, Terry Cook invite la commu-naut archivistique ne pas isoler lvaluation des archives lectroniques des grandscourants de lvaluation des archives. Comme il lcrit: In my view, the data archivistmust become an archivist, pure and simple (Cook 1991a, 53). Quest-ce que cela impli-que? Simplement que lvaluation des archives lectroniques est du domaine delarchivistique, pas de linformation management. Ainsi il sagit encore une fois dvaluer dans le contexte de la provenance, en renouant avec le concept de fondsdarchives. Il ne faut surtout pas traiter les fichiers de donnes comme des livres debibliothque: le lien des donnes avec leur provenance est fondamental, voire vital. Ilfaut donc adopter une approche holistique, corporative en valuation, et mettre lac-cent sur les mandats et fonctions de lorganisation ainsi que sur leur interaction avecles citoyens (Cook 1991a, 54).

    En somme, la porte de lapproche de la macro-valution nest pas que philoso-phique; elle prend aussi son sens, entre autres, dans la nouvelle oralit quimplique lesarchives lectroniques (Cook 1992b, 46). Ces facteurs, mis en lumire par la thorie dela macro-valuation, expriment le besoin, selon Cook, dune transformation fonda-mentale de la profession archivistique.

    Le principe du respect des fonds comme fondement delvaluationTerry Cook nonce que lapproche traditionnelle en valuation mine lapplica-

    tion du principe de provenance (Cook 1992b, 44-45). En effet, elle dcontextualise lesdocuments par rapport leur relation interne, organique, de cration et impose laplace des critres externes pour juger de leurs valeurs. Or la provenance, ou le principedu respect des fonds, se situe donc au cur de la macro-valuation. Cest elle qui luiconfre sa base, son fondement, et cest partir delle que Cook construit sa mthodo-logie, labore son modle.

    Lapproche de Cook souhaite dplacer lintrt des archivistes pour les docu-ments vers lintrt pour le contexte socital dans lequel les documents sont crs(Cook 1992b, 46). Pour cela, il sagit de comprendre comment opre la socit, ce quinest pas une tche facile. Est-ce que les structures ou les fonctions ont un grand

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    impact sur la dynamique socitale? Comment sont-elles affectes par le temps, lespace,la mmoire? Est-ce que les structures sociales refltent lensemble des fonctions de lasocit? En fait, cest linteraction entre les fonctions et les structures qui dterminelesprit de lorganisation. partir de l, la primaut est accorde au crateur, et mettrelaccent sur le crateur signifie que lacte conceptuel de la cration des documents seretrouve dans leur provenance plutt que les artefacts physiques que sont les docu-ments (Cook 1992b, 47).

    En terme pratique, une approche macro-valuative chercherait comprendre(Cook 1992b, 47):

    pourquoi les documents ont-ils t crs plutt que ce quils contiennent;

    comment les documents ont-ils t crs; quelle utilisation les crateursinitiaux en font-ils plutt que quelle utilisation pourrait-on en faire danslavenir;

    de quels mandats et fonctions du crateur les documents tmoignent-ils(supported) plutt que quelles structures internes ou caractristiques phy-siques les documents possdent-ils ou ne possdent-ils pas.

    Ainsi les archivistes doivent sintresser la nature des communications entreles citoyens et ltat plutt qu ce qui est communiqu. Cest ce lien qui permet daccor-der une place centrale au principe de provenance dans le processus dvaluation desarchives (Cook 1992b, 47). Il importe donc de dterminer quelle unit cratrice dedocuments savre la plus importante au sein de lorganisation.

    En terminant sa critique de lapproche traditionnelle de lvaluation des archi-ves, Cook insiste sur le fait quil ne suggre pas larchiviste dabandonner ses mtho-des rationnelles et scientifiques en faveur danalyses intuitives ou mystiques. Toute-fois, il recommande celui-ci de mettre dabord laccent sur lesprit qui est loriginedes documents, et non sur les documents eux-mmes (Cook 1992b, 46). Ainsi, si larchi-viste tudie la nature et les caractristiques de lesprit collectif de lorganisation der-rire les documents darchives, celui-ci sera mme de dterminer quels documentssavrent les plus importants, quelles sries de documents mritent une attention plusparticulire.

    MTHODOLOGIE DE LA MACRO-VALUTION

    Lapproche de la macro-valuation ncessite que larchiviste effectue des re-cherches au cur du processus de cration des documents et, chose encore plus impor-tante, au sein des fonctions oprationnelles qui animent ce processus. Comme le souli-gne Terry Cook, lvaluation est un travail qui exige une capacit danalyse minutieuse,et non lapplication dune procdure routinire. Elle est base sur la comprhensionapprofondie des facteurs suivants (Cook 1992b, 47-48):

    lhistoire du crateur des documents;

    ses fonctions officielles et ses mandats lgaux;

    sa structure organisationnelle interne;

    le processus de prise de dcision;

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    les procdures de cration des documents;

    la nature, le classification et la gestion des documents;

    la transformation de ces facteurs travers le temps.

    Pour Cook, claircir la complexit de ces facteurs dans lorganisation est undfi intellectuel qui exige une recherche soutenue (Cook 1992b, 48). Cest une des t-ches essentielles pour laquelle larchiviste doit dvelopper une mthodologie appro-prie.

    Proposition dun modle dvaluationPour ce faire, Cook propose un modle. Bien que celui-ci puisse varier en fonc-

    tion des types de structures et des diffrentes fonctions socitales, lapproche destine guider limplantation du modle est gnrique, donc gnralisable. En procdant dusommet vers la base (top-down approach), la macro-valuation met laccent sur ladialectique au sein de laquelle lorganisation (corporate mind) implante, amende etabandonne ses fonctions travers son interaction avec ses diffrentes structures et sesclients. Comme lcrit Cook (1992b, 52): The model does not start with the records atthe bottom of this process or look for value in them. Rather, it searches out wherethose key values are most likely to occur functionally and structurally. Ce nestquaprs avoir compris les structures et fonctions de lorganisation que pourra trepratique une valuation des sries documentaires.

    Ce modle compte deux phases distinctes. La premire consiste en un ensemblede critres qui permettent dassigner une priorit aux structures de cration des docu-ments de la socit. Quant la seconde, il sagit des variables qui dterminent limpor-tance de linteraction des citoyens avec ces structures (Cook 1992b, 53).

    La premire phase du modle consiste en ce que Cook appelle lanalysestructuro-fonctionnelle par critre. Elle part du fait que, avant de sarrter linterac-tion des citoyens, il est ncessaire de dcider quelles units et programmes sont lesplus importants. Ensuite, il convient dtablir un ordre prioritaire. Lauteur justifie samthode en soulignant que la macro-valuation part des fonctions socitales pour sediriger, travers les structures mises en place pour oprer ses fonctions, vers lessystmes dinformation crs pour produire et organiser les documents, lesquels per-mettent de tmoigner de linteraction des citoyens avec les fonctions et les structures.Cest pour cette raison quil est plus logique de partir des fonctions et structures.Evidently, this type of macro-appraisal emphasizes, in the first instance anyway, thearchival value of the location or site or circumstances of records creation rather thanthe value of the records themselves (Cook 1992b, 53). On estime la capacit globaledes organisations crer des documents de valeur plutt que dvaluer directement,lune aprs lautre, des milliers de sries de documents, bases de donnes, collections,etc.

    En classant par ordre de priorit les crateurs de documents, leurs fonctions etleurs constituantes, on tablit des catgories en se basant sur des critres, lesquelspeuvent varier en fonction de la lgislation. Le nombre de catgories aussi peut varier:les Archives nationales du Canada, par exemple, en comptent quatre. Les critres peu-vent inclure des facteurs tels que la place de lorganisation au sein de ltat, la diver-

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    sit de ses fonctions, le degr de responsabilit devant le Parlement, son leadership,son budget, son pouvoir discrtionnaire, le nombre de ses clients, de ses employs, etc.(Cook 1992b, 53-54)

    Ce classement par critre a deux objectifs:

    le premier vise mettre laccent sur les organisations plus centrales, com-plexes, qui disposent de plus de pouvoir dans limplantation de leurs fonc-tions ou mandats;

    le second vise viter les chevauchements entre les organisations de ma-nire viter la duplication de lvaluation et de lacquisition.

    Une fois lanalyse globale complte, on peut faire une analyse similaire desdivisions internes des principales organisations de ltat (Cook 1992b, 54). Il sagit de laseconde phase du modle, phase que Cook dsigne sous le nom dAnalyse de linterac-tion citoyens/tat.

    Linteraction citoyens/tat reflte la convergence de trois facteurs: le pro-gramme (fonction), lorganisation (la structure) et les citoyens. partir de ces fac-teurs interactifs souvent implicites, dailleurs on peut identifier des hot spots delimage de la socit. De cette interaction est aussi issue la toile complexe des docu-ments que larchiviste doit valuer: Exploring the interaction of programme, agency,and citizen for each agency (or cross-agency functional programme) identified as apriority in the first part of the model will reveal the location and nature of theresulting image formation (Cook 1992b, 55). Ces interactions varient dune organisa-tion lautre, et dune srie documentaire lautre. Compte tenu du type de variationobserv, le modle suggre que les documents pourront avoir une plus ou moins grandevaleur permanente.

    Le programme, qui constitue la premire partie du modle, est le sujet, lide,voire la thorie ou lidologie qui se trouve derrire une fonction particulire au seinde lorganisation. En dautres termes, cest lesprit corporatif, le lieu o se font lespolitiques, o se prennent les dcisions. Il est articul travers les lois, les directives,les procdures oprationnelles, les mandats, etc. Lauteur rappelle que lacquisitionpure et simple de ces types de documents constituerait une dcision trop facile: cestlinteraction avec les citoyens qui permet de savoir si ces politiques, procdures, etc.,ont vritablement une incidence sur la ralit. En effet, si limage de la socit taitbase exclusivement sur ces documents, elle serait certes belle, trop belle pour consti-tuer une reprsentation adquate des fonctions socitales.

    Of course, this is only important for appraisal for those programmes which have asignificant impact on society and which have targets and goals that are often changed,modified, or abandoned thus indicating that for this programme the dialectic of thecitizens interaction with the state was having a concrete influence (Cook 1992b, 55-56).

    Les archives comme image de la socitCette approche qui consiste intgrer la fonction la structure a t dfinie en

    Allemagne comme tant la recherche de limage de la socit. Par image, on nen-tend pas ici la ralit objective (quon ne pourra jamais connatre avec exactitude),mais plutt les mcanismes qui permettent aux individus dentrer en relation avec

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    ltat et qui conduisent la cration de ce que Cook appelle la dynamique sociale. Cookrappelle:

    It is essential to remember that the formal corporate records creator (structure) interactsfor some purpose (function) with citizens, clients, or customers, and together as a resultof this interaction (which is often only inplicit) they co-create through variousrecording processes the actual records which the archivists will eventually appraise(Cook 1992b, 50).

    Cest cette interaction (structure, fonction et citoyen) qui constitue le meilleurtmoignage possible des activits de lorganisation. Pour appuyer ses dires, Cook all-gue quune valuation des documents importants dune organisation ne donneraque des normes, des politiques officielles qui garderont dans lombre la plupart desactions marginales des organisations. Par exemple, quen est-il des groupes margina-liss dans la socit? Seule lanalyse de linteraction permettra den tmoigner. L-dessus, il ajoute: The voice of such marginalized groups may only be heard (and thusdocumented) aside from chance survival of scattered private papers through theirinteraction with such institutions, and hence the archivist must listen carefully tomake sure these voices are heard (Cook 1992b, 50).

    Il est essentiel de bien saisir cette notion centrale dimage pour comprendrecette nouvelle approche en valuation. Limage voque la perception, limitation, lamtaphore. Ainsi, lorsquon dit quune fille est limage de sa mre, on ne dit pas quelleest sa mre, mais plutt que son apparence et son comportement rappellent les princi-pales caractristiques de sa mre. Ainsi en est-il de mme pour les organisations: Thestructures of the state thus reflect the collective functions of society (Cook 1992b,50). Cela implique que ce nest pas uniquement les programmes dune organisation quisont considrs, mais aussi et surtout leur existence, cest--dire leur environne-ment, leurs relations avec les citoyens, etc. Ainsi, de petites organisations peuvent treappeles jouer un grand rle (comme les directions ministrielles relatives au statutdes femmes) tandis que de grandes organisations peuvent exister longtemps, mme sielles ne correspondent plus un besoin. Naturally, the archivist must be aware ofand account for these distortions in making appraisal judgements, and does so byexacting research into the history of records and records creators (Cook 1992b, 51).

    Encore une fois, Cook rappelle:This approach does not suppose, therefore, that this image of societys collectivefunctions reflected through structure is an objective reality of society, but ratherthat it contains its most important characteristics and features, that it constitutes theelemental historical discourse of society, that it reflects Taylors forms and patterns ofKnowledge (Cook 1992b, 51).

    Il revient larchiviste de faire en sorte que limage reflte bien la structure etles fonctions de lorganisation, mme si les documents ne tmoignent que dun lmentdun tout. Contrairement lapproche de la documentation strategy, que nous aborde-rons plus loin, limage en question est enracine dans linstitution de laquelle elleprovient.

    Quand les archivistes devront sefforcer de ne conserver quun tout petit nom-bre de documents issus dune montagne dinformation, limportance de la convergence

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    entre limage de la socit et lexactitude (accurancy) de la rflexion de cette imagedans les archives sera en augmentation constante.

    Therefore, the archivist directs his or her research in this macro-appraisal model toidentifying the mechanisms and locations (the how and where) of the image formation the controversial hot spots in the citizen-state interaction, the most importantstructures, the key functions so that the best series of records may thereby be identifiedand appraised in priority order (Cook 1992b, 52) .

    La formation de cette image, la dialectique de la socit, rside dans la tensionentre les leaders idologiques et la vie collective des masses. Cette interaction se pro-duit plus facilement dans les organismes gouvernementaux. Virtuellement, aucun as-pect de lexistence humaine chappe cette dialectique, bien que limage ne sauraitreprsenter chacun des citoyens, mais plutt lensemble de ceux-ci. En effet, les gensdfendent collectivement leurs droits, tentent damliorer leur condition sociale, pro-testent ou appuient ltat dans ses diverses manifestations. Pour cela, ils remplissentdes formulaires, produisent des mmoires, rdigent des lettres et des rapports. Lva-luation doit se concentrer sur linteraction entre les acteurs (structure/fonction/citoyen). The intend of the model is to sharpen the archivists understanding of howand where the image of society is formed and thus for locating and focusing on thebest documentary evidence of it (Cook 1992b, 52).

    La constitution dune image socitale signifiante demeure un travail complexe.Pour tenter de lexpliquer sans trop de dtail, lauteur rfre entre autres au philoso-phe franais Michel Foucault. Voici quelques uns de ses noncs (Cook 1992b, 56):

    en analysant le processus de prise de dcision et les structures hirarchi-ques, larchiviste peut dterminer le type de modle administratif (admi-nistrative ethos) ou la culture organisationnelle de lorganisme;.

    comprendre la nature du mdium qui se trouve derrire le message estessentiel lobtention dune image de qualit rflchie par les documents;cette image, toutefois, souffre de distorsion de aux nombreux processusinhrents aux modes de cration et dutilisation des documents;

    dans la perspective du modle de la macro-valuation, les facteurs struc-ture/fonction/socit et les documents ne sont pas seulement utiliss pourdterminer comment documenter lhistoire de lorganisme, mais aussi pourdterminer comment le mode dadministration et la culture organisation-nelle peuvent affecter de manire significative la dialectique entre le ci-toyen et ltat et, partant, le profil de limage socitale qui en rsulte.

    En terminant, lauteur rappelle la ncessit de tenir compte des trois facteursconvergeants: structure/fonction/citoyen. Limportance du citoyen dans son interac-tion avec ltat et dans les archives qui en rsultent devrait tre une vidence.The case records resulting from the citizen-state interaction are important fordocumenting that interaction per se, and not for documenting the programme or theagency or the citizen separately (Cook 1992b, 57).

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    DOCUMENTATION STRATEGY, INFLUENCE ALLEMANDE ETARCHIVISTIQUE QUBCOISE

    Nous avons jug important, dans les pages qui suivent, de rendre compte descritiques et commentaires que suscite lapproche de la macro-valuation chez les insti-gateurs dun courant mthodologique amricain qui sest dvelopp en parallle avecla macro-valuation: la documentation strategy. Ensuite, nous tentons de dterminerlorigine intellectuelle de lapproche de la macro-valuation en puisant, avec les motsmmes de Cook, dans la thorie allemande de lvaluation des archives. Enfin, nousterminons cette partie par la confrontation de la macro-valuation avec la thorie etla pratique archivistiques au Qubec.

    La documentation strategyLe concept de documentation strategy a t explicit pour la premire fois

    dans un article dHelen W. Samuels en 1986. Depuis lors, il a fait couler beaucoupdencre (Cox 1995). En 1992, un glossaire amricain donnait la dfinition suivante de ceconcept:

    An on-going, analytic, cooperative approach designed, promoted, and implemented bycreators, administrators (including archivists), and users to ensure the archival retentionof appropriate documentation in some area of human endeavor through the applicationof archival techniques, the creation of institutional archives and refined acquisitionpolicies, and the development of sufficient resources (Cox 1994, 12).

    Bien que daucuns voient la documentation strategy comme une simple tech-nique dvaluation, dautres croient que ce concept est la rponse aux problmes posspar la nature de la documentation moderne, nature par rapport laquelle la thoriede lvaluation accuse de nombreuses faiblesses. Selon larchiviste amricain Richard J.Cox, les critiques adresses la documentation strategy tmoignent dune incompr-hension de sa porte (Cox 1994, 13). Chose certaine, simple technique, mthodologie outhorie, la documentation strategy est un modle amricain qui sest dvelopp enparallle avec lapproche canadienne de lvaluation, plus spcifiquement la macro-valuation. Voyons ce quen pense Terry Cook.

    Depuis les travaux de F. Gerald Ham, Cook dnote certains progrs qui ontenrichi (mais non limin) lapproche taxinomique de lvaluation en Amrique duNord. Dune manire gnrale, les archivistes ont admis que lvaluation devait tredavantage documente, que les dcisions ntaient pas uniquement bases sur la valeurdes documents, mais aussi sur les frais quentrane toute dcision, et quils devaienttablir des politiques dacquisition susceptibles dencadrer lvaluation de manire dfinir encore que trs troitement les champs qui doivent tre documents par lesarchives (Cook 1992b, 48). Au niveau conceptuel, Cook considre que le progrs le plusprometteur en valuation est reprsent par le courant documentation strategy. HelenW. Samuels, linstigatrice de ce courant, prne une valuation base sur une approchemulti-institutionnelle destine ce que les archives, tous supports confondus, docu-mentent une thmatique socitale. Toutefois, pour Cook, cette approche ne met aucu-nement laccent sur la provenance, mais plutt sur le thme ou, plus proprement, surles fonctions sociales telles que lducation, linformatique, et parfois se concentre surplusieurs thmatiques au sein dune petite rgion. De plus, mme si cette approche

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    tient compte de limportance des fonctions, et parfois des structures, elle nglige linte-raction entre les deux. Enfin, cette approche semble plus approprie aux archivesprives quaux fonds institutionnels. La critique que Terry Cook fait de la documenta-tion strategy est cependant positive. Il ajoute:

    In short, by concentrating on the entire information universe rather than a portion ofit, by advocating a top-down approach based in functional analysis rather than abottom-up, empiricist analyse based on the search of value, Samuels provides thetools, a sense of direction, a strategy, for coping with the voluminous records of complexmodern organisations (Cook 1992a, 186).

    Toutefois, Cook limite considrablement la porte de cette approche puisquilestime que Samuels apporte au dbat une stratgie, une mthodologie, mais pas vrai-ment une nouvelle thorie. En fait, Samuels demeure encore attache la traditionarchivistique, notamment en ce quelle savre trop oriente sujet. Sur ce, Cook crit:

    That is a subject or thematic approach which I cannot accept as the prime focus forappraisal. Not only is it unarchival; it also carries with it, unless applied on a verynarrow and local basis, the threat of enormous overlapping of themes/ functions, andthus the very real possibility of duplication of archivists research work and recordacquisition (Cook 1992a, 187).

    Pour Cook, la diffrence entre fonction et thme est fondamentale.

    En dpit de ces critiques, Cook admet que la documentation strategy, lors-quelle met laccent sur la recherche et lanalyse des fonctions socitalesavant de pro-cder lvaluation des documents, est une tape bienvenue dans le processus dva-luation (Cook 1992b, 48).

    La thorie allemande de lvaluationCarol Couture, dans son tat de la question sur lvaluation des archives, all-

    gue que les racines de la macro-valuation remontent aussi loin quen Allemagne audbut du sicle (Couture 1995, 30-31). Ce nest ni le lieu ni le moment de corroborer oude rejeter cette allgation. Toutefois, il ne fait aucun doute que la thorie allemande delvaluation exerce une forte influence sur lapproche de la macro-valuation.Dailleurs, Terry Cook le reconnat demble. Contrairement aux archivistes amri-cains, crit-il, il y a longtemps que les archivistes europens noncent le besoin decomprendre comment fonctionne la socit et comment les documents se crent avantde procder leur valuation. Dans cette tradition, les archivistes sont conscients durle subjectif quils jouent dans le procs historique. Ainsi, comprendre la socit con-temporaine grce aux crateurs des documents constitue un problme central pour lathorie allemande de lvaluation:

    While recognizing that the subjective and even artistic nature of appraisal cannot beeliminated, in the European view it is better for archivists to speculate less on possibleuses for records tomorrow and to concentrate more on developping criteria to ensurethat the records acquired reflect the values, patterns, and functions of the societycontemporary to the records creators. (Cook 1992b, 49).

    En dpit de lavance allemande (lauteur se rfre surtout aux travaux de HansBooms publis en anglais): Yet the fundamental problem remains that this fullreality of societys processes and functions (which the records should reflect andwhich the archivist must first address at this macro-appraisal stage) can never be

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    objectively determined by historians, archivists, or even philosophers (Cook 1992b,49). Comme on la dmontr maintes reprises, la science est toujours subjective. Dansces conditions, comment les archivistes peuvent-ils choisir des documents reprsenta-tifs pour reflter une ralit que personne ne peut rellement connatre? La rponse cette question consiste moins mettre laccent (focusing) sur la ralit, et davantagesur les moyens essentiels par lesquels celle-ci est articule ou forme. La connaissancede certains de ces moyens sont notre porte, comme linteraction entre les fonctionssocitales, les structures et les citoyens. Ainsi, travers les recherches sur les fonctionset les processus du crateur de documents, les archivistes peuvent dterminer o setrouve la meilleure documentation susceptible de tmoigner de la ralit et quels sontles facteurs importants qui contribuent ce que prenne forme ce tmoignage (Cook1992b, 49). Contrairement la documentation strategy, la macro-valuation accordeplus dimportance la structure (le crateur) qu la fonction, mais elle nonce quecette structure est la manifestation (ou le reflet) des fonctions socitales. Par ailleurs,lapproche de la macro-valuation tente dintgrer les tensions entre la valeur de t-moignage (base sur lanalyse que fait larchiviste des structures et des activits) et lavaleur dinformation (base sur larticulation des fonctions par les utilisateurs, sou-vent incorrectement associe au sujet ou la thmatique des documents).

    Terry Cook, tout en reconnaissant linfluence quexercent les archivistes alle-mands sur la macro-valuation, se distance de ces derniers en ce quil met davantagedaccent sur la structure que sur les fonctions socitales. Ainsi, il considre que lathorie allemande, plus particulirement la thorie labore par Hans Booms dontles textes sont publis en anglais (1987, 1991) , se rapproche davantage de la docu-mentation strategy que de son approche.

    Chose certaine, Hans Booms a introduit deux principes qui ont boulevers lesauteurs nord-amricains, et ce tant les partisans de la macro-valuation ou de ladocumentation strategy que ceux de la diplomatique applique lvaluation des ar-chives (Duranti 1994). Le premier principe tient au fait que la question Comment lesarchivistes dterminent ce que lon doit conserver ou pas? ne peut trouver rponsedans les documents eux-mmes. Donc, la valeur nest pas inhrente aux documents.Pour valuer les documents, Booms nonce que larchiviste doit intgrer le concept dedocumentary heritage (Booms 1991, 25). Le second principe, bien explicit par Bar-bara L. Craig (1992, 175), concerne la condition sociale des archivistes et ses effets surleurs choix professionnels et sur leurs mthodes de travail. En effet, les archivistesfont partie de la socit dans laquelle ils vivent et, en consquence, ils doivent recon-natre que le contexte social a forcment un impact sur leurs jugements en matiredvaluation. De plus, Booms rappelle que les considrations sur limportance des docu-ments surviennent spontanment en cours dvaluation. Elle illustre encore une foislimportance que les valeurs sont le produit de la socit dans laquelle nous vivons.That is why, in appraising records, archivists need to orient themselves to the valuesof the recordscontemporaries, for whose sake the records were created (Booms 1991,33). Comme nous lavons dmontr ci-haut, de cela, Terry Cook est conscient. Cest pourcela que, dans la foule de F. Gerald Ham, il appelle une valuation mieux planifie,mieux coordonne et, la limite, mieux pense.

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    En terminant, nous devons rappeler que la macro-valuation doit tre situedans son contexte. Comme le souligne Cook (1992b, 58-59), les documents en eux-mmes continueront dtre valus en fonction de leur ge, de leur dure, de leurauthenticit, etc. Ensuite, la thorie de la constitution de limage socitale ne pourracombler toutes les dimensions de lactivit humaine. Des donnes scientifiques, lgalesou des documents privs ayant peu dincidence sur linteraction structure/ fonction/citoyen prendront encore de limportance. Par ailleurs, la documentation strategypeut jouer un rle complmentaire efficace, notamment pour lacquisition de fondsnon-institutionnels.

    Toutefois, Cook raffirme que le modle de la macro-valuation constitue unpoint de dpart dans llaboration dune thorie de lvaluation. Generic in nature,the model offers a means around a hopeless dilemma faced by archivist the worldover: appraisal cannot occur properly unless the archivist can comprehend the entireinformation universe of government records and all the keys functions, movements,and people in private society (Cook 1992b, 59). En face de cette impossibilit, lamacro-valuation apporte un point dattaque, une base rationnelle. En terminant,lauteur rappelle que les ides de Hugh A. Taylor ont largement inspir le dveloppe-ment de ce modle.

    La micro-valuation: lmergence dun conceptLe concept de micro-valuation apparat pour la premire fois dans ltat de la

    question que Carol Couture publie en 1995. En fait, il sagit dun concept dont la cra-tion a pour but de concilier les traditions archivistiques canadiennes anglaise et fran-aise ou, si lon prfre, canadienne et qubcoise. On pourrait avancer que sa crationest issue dune raction la macro-valuation. Dans son tat de la question, Couturecrit: Macro-valuation et micro-valuation sont en fait deux tapes essentielles delvaluation vue dans son ensemble alors que les besoins des utilisateurs en sont uneconsidration majeure et que la documentation strategy en est la dimension inter-institutionnelle (Couture 1995, 71). Voyant dans les diffrentes approches de lvalua-tion des positions complmentaires dune seule et mme ralit, Couture invite lesarchivistes les rconcilier plutt que de les diffrencier.

    Dans lesprit de Carol Couture, la micro-valuation constitue une tape de lva-luation qui viendrait tout de suite aprs celle de la macro-valuation. Pour appuyerson assertion, Couture sappuie sur Terry Cook lui-mme qui, plusieurs reprises dansses textes, considre la macro-valuation comme une phase, comme une tape quiviendrait en premier dans le processus gnral dvaluation (Cook 1992b, 47-48), ouencore comme une approche qui met laccent (focus) sur le contexte de cration desdocuments plutt que sur les documents eux-mmes (Cook 1991b, 54; 1992b, 49; 1992a,181). Bien entendu, le fait de mettre laccent sur la provenance des documents, et nonpas sur le contenu, la forme (Duranti 1994) ou les besoins des utilisateurs (Eastwood1993), ne signifie pas quon rejette toutes les autres approches, mais que ces derniressavrent secondaires par rapport la premire. Cest du moins ce que lapproche d-fendue par Cook laisse entendre. cet effet, Carol Couture lance la balle dans le campde la pratique: Au lecteur de dcider si la macro-valuation est une nouvelle mthodequi va rvolutionner lvaluation traditionnelle ou, plus simplement, une tape de

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    lvaluation qui se concentre sur une dfinition des priorits et une planification(Couture 1995, 72).

    En rsum, Carol Couture considre la macro-valuation comme une premiretape de lvaluation centre sur une connaissance approndie du crateur de linfor-mation, tape qui a comme objectif ultime de tmoigner en priorit des mcanismesprivilgis o se retrouve lessence mme des liens qui unissent lindividu la socitqui lentoure (Couture 1995, 73). Quant la micro-valuation, il sagit dun conceptgnrique qui englobe toutes les approches destines valuer les documents darchi-ves en fonction de leur contenu, cest--dire de linformation quils contiennent.

    Lanalyse de besoinsPour Carol Couture, lintervention appele analyse de besoins au Qubec

    poursuit pratiquement les mmes fins que la macro-valuation au Canada, et elle per-met de concilier les deux pratiques archivistiques. En fait, dj en 1982, dans leurmanuel darchivistique, Couture et Rousseau crivaient que: Linventaire des docu-ments constitue un outil de travail primordial pour larchiviste. Il ne faut jamais oublierque les documents sont le reflet des activits dune personne physique ou morale. Ainsilinventaire permet-il de faire le point sur ces activits et sur les documents quellesgnrent, danalyser la situation (Couture et Rousseau 1982, 67). Or, mme si lana-lyse de besoins se situe bien au-del de linventaire, opration qui consiste recueillirdes donnes sur ltat de la gestion des documents dans une organisation (Ars 1999,32), linventaire des documents nen constitue pas moins une activit quenglobe lana-lyse des besoins et qui, dans un certains sens, le prfigure. Et un des objectifs delinventaire savre justement de bien connatre lorganisme, la nature de ses activits,sa mission, ses objectifs, ses composantes et ses oprations (Couture et Rousseau 1982,67). Nest-ce pas aussi lobjectif que souhaite atteindre la macro-valuation? Sans som-brer dans le rductionnisme, on peut se permettre de citer un archiviste canadien-anglais qui, en faisant le bilan des politiques des Archives nationales du Canada enmatire dvaluation, spcifie que lapproche adopte rcemment par son institutionest la top-down approach, laquelle vise la comprhension de la configuration gn-rale de linstitution et de ses fonctions et oprations de manire situer les documentsdans leur contexte (Wilson 1994, 222). Nest-ce pas aussi le but que se fixe larchivistelorsquil entreprend de faire une analyse de besoins dans une organisation? Par ailleurs,Wilson crit que lanalyse qui permet de recueillir des informations sur lorganisationsappelle le institutional profile, en franais le profil institutionnel. Par cette m-thode danalyse, larchiviste utilise des sources secondaires (rapports annuels, publica-tions institutionnelles, organigrammes, etc.) pour obtenir une vue densemble de lor-ganisation, de ses mandats et fonctions ainsi que de ses principales composantes.Nest-ce pas aussi ce que prconise lanalyse de besoins? Plus loin, lorsque Wilson dcritla marche suivre (entretiens avec les responsables, consultations, etc.) qui permetdtablir la liste des priorits, on a limpression de lire une description rajeunie dutraditionnel inventaire des archives (Wilson 1994, 223-224).

    En fait, comme le souligne Carol Couture, les crits montrent quil se dgage unconsensus sur limportance primordiale quil y a de dvelopper une connaissance ad-quate de lorganisation dans laquelle on sapprte intervenir. Cest ce qui amne

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    Couture conclure que macro-valuation et analyse des besoinssont deux faonsdexprimer une mme ralit archivistique, de mettre en place une mme base deconnaissance essentielle une valuation srieure et efficace des archives, voire mme toutes les autres interventions archivistiques (Couture 1995, 75).

    Mais quest-ce que lanalyse des besoins? Dans les Fondements de la disciplinearchivistique, Carol Couture et Jean-Yves Rousseau dfinissent cette interventioncomme suit:

    Instrument de gestion permettant de faire le point sur les activits dune organisationainsi que sur les documents darchives quelle gnre, danalyser la situation, de diagnos-tiquer les problmes, dtablir un programme ou un lment du programme de traite-ment et den concevoir plus rapidement certains lments tels que le calendrier de con-servation, le cadre gnral de classification des documents (premier degr du principede respect des fonds) ainsi que le guide de classification officiel ou uniforme des docu-ments (deuxime degr du principe de respect des fonds) (Couture et Rousseau 1999,279)

    Bien que lanalyse de besoins ait une porte plus large que la seule valuationdes archives, on y reconnat toutefois les objectifs mis de lavant par la macro-valua-tion. En resituant lapproche de Cook dans le cadre dune archivistique intgre, CarolCouture en fait une tape essentielle non seulement de lvaluation des archives, maisaussi de lensemble des interventions archivistiques. Dans cette perspective, la micro-valuation constitue donc cette seconde tape qui vise valuer, par les rgles deconservation et le calendrier de conservation, les documents darchives (Couture1995, 76)

    La macro-valuation et la pratique archivistique au QubecIl nous reste mesurer si les proccupations des thoriciens de faire de lva-

    luation une fonction qui repose sur la provenance, cest--dire sur la connaissanceapprondie du contexte de cration des archives, rencontre un cho dans la pratiquearchivistique au Qubec. Bien que cela fera lobjet dune recherche ultrieure, permet-tons-nous demble dnoncer trois hypothses.

    La premire de ces hypothses est que les archivistes qubcois continuent decentrer leurs interventions sur le document. Par l, nous voulons signifier que, endpit des problmes relatifs au volume documentaire et la forme de plus en pluslectronique des archives, les archivistes qubcois ont peu chang leur faon de faire.Leur archivistique, pour utiliser le langage de Cook, est traditionnelle, soit conformeaux principes et mthodes qui sont dcrits, par exemple, dans un manuel comme Lesarchives au XXe sicle (Couture et Rousseau 1982).

    La deuxime de ces hypothses est que les archivistes qubcois considrentque lvaluation des documents est un processus qui ncessite un va-et-vient constantentre les documents et lorganisation qui les gnrent et que la connaissance de luninflue sur la connaissance de lautre.

    La troisime de ces hypothses dcoule de lensemble de notre recherche: lestravaux de nos collgues canadiens-anglais ne sont pas suffisamment connus dans lemilieu archivistique qubcois. En effet, en nous basant sur notre modesteconnnaissance de la communaut archivistique qubcoise, nous navons pu mesurer

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    aucune influence des travaux archivistiques canadiens (Terry Cook, Hugh A. Taylor,etc.) sur la pratique des archivistes qubcois. Daucuns diraient que linverse est aussivrai, cest--dire que les travaux des archivistes qubcois ne sont pas suffisammentconnus au Canada anglais mais lignorance des uns ne saurait justifier lignorance desautres.

    En terminant, lnonc de Carol Couture suivant lequel la micro-valuationrejoindrait la macro-valuation par lanalyse de besoins est sans doute vrai en thorie,mais il est encore difficilement vrifiable dans la pratique. Par contre, lexpertise qu-bcoise en matire de calendriers de conservation et dvaluation des grandes sries ettypologies documentaires na rien envier la thorie et la pratique canadiennes. Leproblme est peut-tre dun autre ordre: le phnomne des deux solitudes sappliquesans doute aussi larchivistique.

    CONCLUSION

    Bien quencore assez peu discute dans la littrature archivistique de portegnrale, la macro-valuation constitue indubitablement une approche originale envaluation des archives, une approche qui ne peut plus longtemps tre passe soussilence par la communaut archivistique, et ce pour au moins deux raisons:

    1. La macro-valuation nest pas quune simple thorie issue du cerveau dunchercheur isol: elle mane de la pratique archivistique elle-mme et lesArchives nationales du Canada, une institution qui constitue, bien desgards, un modle pour les institutions nationales darchives du monde, aentrepris de la mettre en application au sein des 156 institutitions relevantde sa comptence en vertu de la Loi sur les Archives nationales (Archivesnationales du Canada 1990). Ce simple fait suffit largement confrer cette approche une crdibilit certaine aux yeux des dcideurs.

    2. En plus dtre originale, la macro-valuation constitue une approche f-conde pour le dveloppement de la recherche en archivistique. En effet, lamacro-valuation constitue le point de dpart de deux courants de recher-che susceptibles denrichir la pratique de lvaluation des archives. Le pre-mier a trait aux recherches qui sappuient sur la sociologie des organisa-tions pour raffiner lanalyse structuro-fonctionnelle des organismesproducteurs de documents. Larticle de Victoria Lemieux (1998) sur lappli-cation des thories de Henry Mintzberg lvaluation des archives en est unexemple loquent. Le second courant part des recherches de Terry Cook surlimage socitale pour introduire la notion dhermneutique dans le proces-sus dvaluation des archives. En effet, en considrant le fonds darchivescomme tant limage ou, si lon prfre, la reprsentation de lorganisation,on favorise une rflexion sur le fonds darchives comme interprtation.Autrement dit, valuer, cest interprter Cette dimension hermneutique,dj prsente en sciences de linformation (Ducharme 2000), a t appliqueen archivistique par Richard Brown (1991a et 1991b).

    La macro-valuation des archives constitue donc une approche prometteusepour la profession et la discipline archivistiques. Accordant une place prpondrante

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    au principe de respect des fonds au point de le considrer comme le fondement detoute valuation des archives, elle mrite de pntrer le milieu archivistique qubcoisqui ne saurait se contenter de la pratique des calendriers de conservation pour trouverune solution lvaluation des archives, notamment lvaluation des archives sousforme lectronique qui demeurent difficilement prises en compte par nos outils tradi-tionnels.

    Daniel DucharmeDaniel DucharmeDaniel DucharmeDaniel DucharmeDaniel Ducharme Professeur, Haute cole de gestion de Genve.

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