La loi des débouchés · 2019-05-21 · La loi des débouchés arlementaire opposant à Bonaparte...

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La loi des débouchés arlementaire opposant à Bonaparte sous le Consu- Iat+, entrepreneur, premier §.* xgx* :*â&eâe $ææm-ffiêêptâs*æ §æp titulaire de la chaire d'économie industrielle au Conservatoire des arts et mêtiers et professeur au Collège de France, Jean-Baptiste Say (1767-1832) a profondément inJluencé les dêbats de son êpoque en dêveloppant des concepts qui restent au cæur de l'analyse éco- nomiquemoderne, Dans son Traitê d'économie poli- tique, publié en 1803, il propose une définition novatrice de la valeur. Loin d'être caractérisée par la quantité de travail nêcessaire à la production d'un produit, la valeur se définit selon lui par la satisfaction (l'utilité) que ce bien procure au consommateur. En apparence très simple, cette défi- nition va transformer radicale- ment la conception de ltconomie. Elle permet en effet de comprendre pourquoi des produits qui ne nécessitent que peu de travail et de savoir-faire peuvent s'échanger à des prix élevés, alors que d'autres - dont le coût et Ie temps de pro- duction sont importants - se vendent à des prix très faibles. Avant Say, Ia valeur était fonda- mentalement rattachêe à la quan- tité de travail et de matière néces* saire à la production. La notion même de « service » échappait ainsi à la théorie économique. Confirmant par ailleurs I'anaÿse de Smith (cf. p.28), Say explique que pour s'enrichir, ltntreprenew doit faire preuve d'empathie afin de comprendre les besoins de la population, car c'est elle qui - en tant qu'acheteur potentiel - déter- mine la valeur des biens produits. cr [- V*lTiJ§f; *E§ Fftü*UiT§ » Mais l'apport fondamental de Say demeure la « loi des débouchés » (ou « loi de Say »), selon laquelle seule la valeur créée par la produc- tion, et momentanément trans- formée en monnaie, permet d'ac- quêrir d'autres produits. En d'autres termes, « I'argent n'est que la voiture des produits », Ies biens s'échangent contre des biens. Ainsi, toute production satisfaisant un besoin est une crêation de valeur et seule cette création de valeur autorise l'achat de nouveaux biens. Dès sa formulation, la loi des dêbouchês provoque un débat ürtrlent. Des économistes comme David Ricardo (cll p. 0) etJohn Stuart MiIl+ l'4dopteront immé- diatement, considérant que lbffrex crêe la demande+, alors que Malthus (cf. p.32) puis plus tard Keynes (cf. p 56) la refuseront, arguant que la consommation est le moteur de l'économie. On comprend donc aisêment I'im- portance scientifique et idéolo- gique de cette loi. Puisque l'achat d'un produit nécessite une pro- duction d'une valeur au moins éqüvalente, laccroissement de Ia production est toujours béné- fique. L'abondance de produc- teurs et de produits développe les débouchés en augmentant les opportunités d'échanges entre les biens. Or, ce qui est vrai à l'inté- rieur d'une nation l'est aussi entre les nations. Prenant le contre-pied des argu- ments protectionnistes+, selon Iesquels l'enrlchissement d'une nation se fait au détriment d'une autre, Say affirme que le com- merce international est toujours facteur de crêation de valeur et d'enrichissement. Selon lui, plus ses partenaires économiques sont riches, plus ils représentent de débouchês pour la production d'une nation et plus celle-ci stn- richit. I plaide donc en faveur d'une abolition des droits de douanes et de toute entrave au commerce. tir*runruqrr LrEÉRALË Poursuivant cette logique, il observe que pour créer de la valeur, il faut que les consomma- teurs soient libres d'acheter ce qu'ils désirent, donc que les pro- ducteurs aient la possibilitê de fournir une gamme êtendue de produits. En conséquence, il place la propriêté privée et la liberté contractuelle au centre du système économique. Fidèle à sa thêorie, il milite êgalement pour l'abolition de l'esclavage et lajuste répartition de la valeur entre employeurs, employés et actionnaires. Pour toutes ces raisons, Jean-Baptiste Say est considéré comme l'un des pères fondateurs de ltconomie libêrale+ et de l'approche dite « de l?conomie de lbffre ». * Plere Bent tô eg chercheur à l'lnstitut Molinari et enseignant au Groupe ESC Troyes. 38 I Le Point Références I Pensée économique

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La loi des débouchés

arlementaire opposant à

Bonaparte sous le Consu-Iat+, entrepreneur, premier

§.* xgx* :*â&eâe

$ææm-ffiêêptâs*æ §æp

titulaire de la chaire d'économieindustrielle au Conservatoire desarts et mêtiers et professeur auCollège de France, Jean-BaptisteSay (1767-1832) a profondémentinJluencé les dêbats de son êpoqueen dêveloppant des concepts quirestent au cæur de l'analyse éco-nomiquemoderne,Dans son Traitê d'économie poli-tique, publié en 1803, il proposeune définition novatrice de lavaleur. Loin d'être caractérisée parla quantité de travail nêcessaire à

la production d'un produit, lavaleur se définit selon lui par lasatisfaction (l'utilité) que ce bienprocure au consommateur. Enapparence très simple, cette défi-nition va transformer radicale-ment la conception de ltconomie.Elle permet en effet de comprendrepourquoi des produits qui nenécessitent que peu de travail et desavoir-faire peuvent s'échanger àdes prix élevés, alors que d'autres

- dont le coût et Ie temps de pro-duction sont importants - se

vendent à des prix très faibles.Avant Say, Ia valeur était fonda-mentalement rattachêe à la quan-tité de travail et de matière néces*saire à la production. La notionmême de « service » échappaitainsi à la théorie économique.Confirmant par ailleurs I'anaÿsede Smith (cf. p.28), Say expliqueque pour s'enrichir, ltntreprenewdoit faire preuve d'empathie afinde comprendre les besoins de la

population, car c'est elle qui - entant qu'acheteur potentiel - déter-mine la valeur des biens produits.

cr [-Â V*lTiJ§f; *E§ Fftü*UiT§ »Mais l'apport fondamental de Saydemeure la « loi des débouchés »

(ou « loi de Say »), selon laquelleseule la valeur créée par la produc-tion, et momentanément trans-formée en monnaie, permet d'ac-quêrir d'autres produits. End'autres termes, « I'argent n'estque la voiture des produits », Iesbiens s'échangent contre desbiens. Ainsi, toute productionsatisfaisant un besoin est unecrêation de valeur et seule cettecréation de valeur autorise l'achatde nouveaux biens.Dès sa formulation, la loi desdêbouchês provoque un débatürtrlent. Des économistes commeDavid Ricardo (cll p. 0) etJohnStuart MiIl+ l'4dopteront immé-diatement, considérant quelbffrex crêe la demande+, alors queMalthus (cf. p.32) puis plus tardKeynes (cf. p 56) la refuseront,arguant que la consommation estle moteur de l'économie. Oncomprend donc aisêment I'im-portance scientifique et idéolo-gique de cette loi. Puisque l'achatd'un produit nécessite une pro-duction d'une valeur au moinséqüvalente, laccroissement de Iaproduction est toujours béné-fique. L'abondance de produc-teurs et de produits développe lesdébouchés en augmentant lesopportunités d'échanges entre lesbiens. Or, ce qui est vrai à l'inté-

rieur d'une nation l'est aussi entreles nations.Prenant le contre-pied des argu-ments protectionnistes+, selonIesquels l'enrlchissement d'unenation se fait au détriment d'uneautre, Say affirme que le com-merce international est toujoursfacteur de crêation de valeur etd'enrichissement. Selon lui, plusses partenaires économiques sontriches, plus ils représentent dedébouchês pour la productiond'une nation et plus celle-ci stn-richit. I plaide donc en faveurd'une abolition des droits dedouanes et de toute entrave aucommerce.

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Poursuivant cette logique, ilobserve que pour créer de lavaleur, il faut que les consomma-teurs soient libres d'acheter cequ'ils désirent, donc que les pro-ducteurs aient la possibilitê defournir une gamme êtendue deproduits. En conséquence, il placela propriêté privée et la libertécontractuelle au centre du systèmeéconomique. Fidèle à sa thêorie, ilmilite êgalement pour l'abolitionde l'esclavage et lajuste répartitionde la valeur entre employeurs,employés et actionnaires. Pourtoutes ces raisons, Jean-BaptisteSay est considéré comme l'un despères fondateurs de ltconomielibêrale+ et de l'approche dite « del?conomie de lbffre ». *

Plere Bent tô eg chercheur à l'lnstitutMolinari et enseignant au Groupe ESC Troyes.

38 I Le Point Références I Pensée économique

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i « L'utilité de ces choses est le premier, fondement de leur valeur »

La valeur que les hommes attachent arx choses a

son premier fondement dans l'usage qu'ils enpeuvent faire. Les unes servent d'aliments; Ies

autres de vêtements; d'autres nous défendent de

la rigueur du climat, comme les maisons ; d'autres,telles que les ornements, les embellissements,satisfont des gofits qui sont une espèce de besoin.Toujours est-il wai que si les hommes attachentde Ia valeur à une chose, c'est en raison de ses

usages : ce qui n'est bon à rien, ils n'y mettentaucunprix.Cette faculté qu'ont certaines choses de pouvoirsatisfaire aux divers besoins des hommes, qu'onme permette de la nommer utilitê.Je dirai que crêer des objets qui ont une utilitéquelconque, c'est crêer des richesses, puisquel'utilitê de ces choses est le premier fondement de

leur valeur, et que leur valeur est de la richesse.

Mais on ne crée pas des objets I la masse des

matières dont se compose le monde ne sauraitaugmenternidiminuer. Tout ceque nots pouvonsfaire, c'est de reproduire ces matières sous uneautre forme qui les rende propres à un usage quel-conque qu'elles n'avaient pas, ou seulement quiaugmente I'utilité qu'elles pouvaient avoir. Alorsil y a créatiorl non pas de matière, mais d'utilitê ;

et comme cette utilité leur donne de lavaleur, ilya production de richesses. C'est ainsi qu'il fautentendre le mot production en économie poli-tique, et dans tout le cours de cet ouwage. La pro-duction n'est point une cféation de matière, maisune création d'utilité. Elle ne se mesure point sui-vant la longueru, le volume ou le poids du produit,mais süvant I'utilité qubn lui a donnée. [...]La valeur échangeable, ou le prix, nfest une indi-cation de futilité que les hommes reconnaissentdans une chose qu'autant que le marché qu'ilsfont ensemble n'est soumis à aucune influenceêtrangère à cette même utilité; de même qu'unbaromètre n'indique la pesanteur de l'atmosphère

qu'autant qu'iln'est soumis àaucune action autreque celle de la pesanteur de l'atmosphère.En effet, lorsqu'un homme vend à un autre unproduit quelconque, il lui vend l'utilité qui estdans ce produit; I'acheteur ne l'achète qu'à causede son utilité, de l'usage qu'il en peut faire. Si, parune cause quelconque, l'acheteur est obligé de lepayer au-delà de ce que vaut pour lui cette utilitê,il paie une valeur qui n'existe pas, et qui, parconséquent, ne lui est pas livrêe.

Jean-Baptiste Say, T/,aité d,économie Nlltiqueou simde ex?DE,ition de la manièrc dont æ foment,

se disttibrrent et se consomment les tkhesses (t803)

Lapremière conséquence qubnpeut tirer de cetteimportante vêritê, ctst que, dans tout État, plusles producteurs sont nombreux et les productionsmultipliêes, et plus les débouchés sont faciles,variés et vastes.

Dans les lieux qui produisent beaucoup se crêe lasubstance avec laquelle seule on achète: je veuxdire la valeur. Ilargent ne remplit qu'unoffice pas-

-sager dans ce double échange; et, Ies échangesterminés, il se trouve toujours qu'on a payé desproduits avec des produits.II est bon de remarquer qu'un produit terminêoffre, dès cet instant, un dêbouchê à d'autres pro-duits pour tout le montant de sa valeur. En effet,lorsque le dernier producteur a terminé un pro-duit, son plus grand désir est de le vendre, pourque Ia valeur de ce produit ne chôme pas entre ses

mains. Mais il n'est pas moins empressé de se

défaire de l'argent que lui procure sa vente, pourque la valeur de l'argent ne chôme pas non plus.Or, on ne peut se défaire de son argent qu'endemandant à acheter un produit quelconque. Onvoit donc que le fait seul de Ia formation d'un pro-duit ouvre, dès f instant même, un débouché à

d'autres produits.

Op.cit.

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