La grammaire française, la mal-aimée - Archives des...

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HAUTE ECOLE LÉONARD DE VINCI ECOLE NORMALE CATHOLIQUE DU BRABANT WALLON 17, Chemin de la Bardane 1348 Louvain-La-Neuve La grammaire française, la mal-aimée ? Quoi ? Pourquoi ? Comment ? À l’intention des professeurs de français du premier degré secondaire Travail de fin d’études présenté par Clémentine Delrée en vue de l’obtention du titre d’agrégée de l’enseignement secondaire inférieur en français et en religion. Promoteur : Monsieur Lorenzo Campolini Année académique 2015-2016

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HAUTE ECOLE LÉONARD DE VINCI

ECOLE NORMALE CATHOLIQUE DU BRABANT

WALLON

17, Chemin de la Bardane

1348 Louvain-La-Neuve

La grammaire française, la mal-aimée ?

Quoi ? Pourquoi ? Comment ?

À l’intention des professeurs de français du premier degré secondaire

Travail de fin d’études présenté par

Clémentine Delrée en vue de

l’obtention du titre d’agrégée de

l’enseignement secondaire inférieur

en français et en religion.

Promoteur : Monsieur Lorenzo

Campolini

Année académique 2015-2016

1

La grammaire, de lui, reçoit

mainte torgnole. Il parle français

comme une vache espagnole.

Pierre Carmouche

Silence ! a crié la maîtresse.

Si vous continuez tous comme ça,

nous allons faire de la grammaire.

Goscinny

2

Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement

Monsieur Campolini pour le temps passé et les

encouragements dispensés. Merci de m’avoir

accompagnée dans ce travail avec le sourire. Merci

d’avoir pris de votre temps libre lors de ces deux

mois d’été si précieux.

Merci à mes parents qui m’ont toujours

soutenue dans mes études et les moments difficiles.

Merci de n’avoir jamais douté de mes choix. Merci

d’avoir porté mes projets avec moi.

Merci à mes grands-parents qui m’ont offert

un toit et une oreille attentive quand tout n’allait pas

et même quand tout allait bien. Merci pour leur

relecture attentive de ce travail.

Merci à mes amis qui m’ont accompagnée

ces deux dernières années et qui ont rendu celles-ci

mémorables ; mais aussi les amis d’avant, les vieux

de la vieille, qui ont été là, à chaque difficulté, à

chaque bosse, à chaque détour. Merci à tous de

m’avoir tant apporté.

Merci à Pauline Crochet pour avoir été un

soutien sans pareil dans l’épreuve particulière qu’a

été l’élaboration de ce TFE.

Et enfin, merci à Mourir sur scène de Dalida

qui m'a motivée à me lever chaque matin.

3

Table des matières

INTRODUCTION ............................................................................................................ 5

PREMIERE PARTIE : THEORIE .................................................................................... 7

Chapitre I : Qu’est-ce que la grammaire ? ........................................................................ 7

1. Définitions ............................................................................................... 7

2. Une double focalisation ........................................................................... 9

3. Analyse de la langue ou analyse du discours ? ..................................... 10

4. Quid du métalangage ? .......................................................................... 10

Chapitre II : La grammaire à l’école ............................................................................... 12

1. La grammaire traditionnelle .................................................................. 12

2. La grammaire rénovée ........................................................................... 13

3. Comparaison des termes grammaticaux traditionnels et rénovés.......... 14

4. La situation aujourd’hui ........................................................................ 18

Chapitre III : Sur le terrain .............................................................................................. 23

DEUXIEME PARTIE : PRATIQUE .............................................................................. 29

Chapitre I : Présentation de différents livres grammaticaux ........................................... 29

1. Joëlle Gardes Tamine : « De la phrase au texte : enseigner la grammaire

du collège au lycée » ................................................................................................... 29

2. Yak Rivais : « La grammaire impertinente » ........................................ 30

3. Claudie Péret et Jean Cardo : « Un projet pour articuler production d’écrit

et grammaire »............................................................................................................. 31

4. Danièle Cogis : « Pour enseigner et apprendre l’orthographe : nouveaux

enjeux – pratiques nouvelles. Ecole/Collège » ........................................................... 32

4

Chapitre II : Quelques pistes de lecture et de pratique .................................................... 34

CONCLUSION ............................................................................................................... 35

BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................... 37

1. Monographies ........................................................................................ 37

2. Revues ................................................................................................... 38

3. Sites internet .......................................................................................... 38

ANNEXES ...................................................................................................................... 39

Annexe A : Sondage pour les professeurs de français du premier degré concernant la

grammaire et son utilisation ............................................................................................ 39

5

INTRODUCTION

Ce travail a été pensé dans l’optique de créer un outil pour les professeurs de

français. En effet, au cours de mes années d’étude, j’ai pu constaté que la grammaire était

un point noir pour les élèves mais aussi, parfois, pour le professeur. Quand j’avais le

malheur d’annoncer aimer la grammaire, même certains enseignants me regardaient d’un

drôle d’air. J’avais choisi le côté d’Erik Orsenna (La grammaire est une chanson douce)

tandis que beaucoup semblaient suivre l’avis de Molière :

Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.

Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage1.

Qu’avait donc fait cette pauvre grammaire pour être si mal aimée ? Et pourquoi

son enseignement entraine-t-il tant d’ennuis et de dégoût chez les jeunes et les moins

jeunes ? J’ai donc décidé d’orienter mon travail de fin d’études sur ce sujet. En tant que

future professeure, j’ai souhaité créer une aide, un outil, un guide pour les étudiants et les

enseignants en froid avec la grammaire. Mon but est de présenter une sélection de livres

(n’étant ni tout à fait des grammaires, ni tout à fait des manuels) en dehors des sentiers

battus. Ces différents ouvrages peuvent offrir de nouvelles perspectives aux professeurs

de français.

Je suis donc partie explorer la section la plus évitée de la bibliothèque par les

futurs professeurs de français : le rayon grammaire, en faisant un détour par celui de la

psychologie des apprentissages et celui de la didactique de l’écrit. A la recherche de livres

destinés aux professeurs du secondaire, je me rends compte de la pauvreté relative du

rayon de grammaire pour le secondaire. En effet, la majorité de la littérature proposée se

destine aux instituteurs du primaire. Heureusement, beaucoup de ces ouvrages concernent

le cycle trois et peuvent donc être applicables au secondaire (tout en gardant en tête que

tout n’est pas à prendre tel quel).

Première difficulté : je me rends compte que ma définition de ce qu’est la

grammaire n’est pas au point. J’y remédie par quelques recherches supplémentaires mais

décide d’inclure dans mon travail un chapitre sur la question. Une fois cette question du

« qu’est-ce que c’est » traitée, me voilà face à une interrogation à laquelle je n’avais pas

1 MOLIERE, Les femmes savantes, acte II, scène 7.

6

pensé : pourquoi enseigner la grammaire ? Quelle surprise de découvrir que des

pédagogues se demandent si la grammaire a bien sa place dans les écoles ! Je découvre

que mes représentations sur ce cours reposent sur des années de tradition. Moi qui croyais

être en marge… !

En cours de travail, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas laisser de côté

un acteur important : le professeur de terrain. J’ai donc réalisé un sondage, diffusé sur

internet, pour me renseigner sur leurs habitudes en matière de livres de grammaire. Avec

le recul, j’aurais souhaité les interroger également sur leur pratique de classe en ce qui

concerne l’apprentissage de la langue.

Préciser l’objet « grammaire », comprendre son utilité dans nos classes (si elle en

a bien une) et découvrir quelles étaient les options pour changer, si possible améliorer,

son apprentissage sont les trois objectifs que poursuit la première partie de ce travail. Elle

est divisée en trois chapitres : le premier fait état de plusieurs définitions, le second expose

la situation de la grammaire à l’école et le troisième se concentre sur la réalité du terrain.

La deuxième partie regroupe des présentations d’une sélection de livres qui, j’espère,

ouvriront de nouvelles perspectives aux (futurs) enseignants.

7

PREMIERE PARTIE : THEORIE

Chapitre I : Qu’est-ce que la grammaire ?

1. Définitions

Le mot « grammaire » peut désigner plusieurs objets : la structure d’une langue,

la théorie qui la décrit, la discipline scolaire et enfin, les livres explicitant ces théories.

Nous pouvons aussi distinguer la grammaire implicite, celle que tous nous acquerrons

lors de notre développement, de l’explicite, celle que nous apprenons sur les bancs de

l’école et qui fait donc l’objet d’analyses grâce à un métalangage grammatical.

Selon le Trésor de la Langue Française en ligne2, la grammaire peut se définir

comme suit :

A. [La notion de grammaire évoque l'exercice d'une langue et est

associée à celle de normes caractérisant diverses manières de parler et

d'écrire] « Art de parler et d'écrire correctement » (Ac. 1932) ; ensemble

de règles conventionnelles (variables suivant les époques) qui déterminent

un emploi correct (ou bon usage) de la langue parlée et de la langue écrite.

[…]

B. [La notion de grammaire évoque une langue considérée en tant

qu'objet d'une étude sc.].

1. LING. DESCRIPTIVE CLASS. Étude objective et systématique des

éléments (phonèmes, morphèmes, mots) et des procédés (de formation, de

construction, d'expression) qui constituent et caractérisent le système

d'une langue naturelle ; en partic., étude de la morphologie et de la syntaxe

d'une langue (à l'exclusion de la phonologie, de la lexicologie et de la

stylistique). […]

C. P. méton. Ouvrage didactique qui décrit les éléments, les procédés

d'une langue et qui formule les règles d'un usage correct de celle-ci. […]3

2 Grammaire dans Trésor de la langue française, [en ligne],

http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/saveregass.exe?47;s=3843731025;r=1;; (page consultée le 25 mai

2016).

3 Dans ce dictionnaire, j’ai sélectionné trois acceptions du mot « grammaire » qui me semblaient pertinentes

pour ce travail.

8

Comme Renée Léon, auteure entre autres de Enseigner la grammaire et le

vocabulaire à l’école – Pourquoi ? Comment ?, l’expose, la grammaire se définit comme

l’ensemble des aides qui peuvent être apportées à la lecture et l’expression4. Cette

nouvelle perspective entraîne des changements :

de statut pour les notions grammaticales, qui sont désormais avant tout des

outils pour la lecture et à l’écriture ;

de planification des apprentissages grammaticaux ;

de nouveaux découpages des contenus.

A la place des domaines habituels de la grammaire (vocabulaire, syntaxe,

conjugaison, orthographe), Renée Léon répartit les contenus dans trois catégories : une

grammaire pour lire, une grammaire pour dire et écrire et une grammaire de recul réflexif

pour étayer les deux premières. La position de l’auteure englobe et dépasse les

conceptions habituelles et traditionnalistes de la grammaire : cette dernière est désormais

plus qu’un jeu pour l’esprit et elle va au-delà du simple besoin d’écrire sans fautes.

En ce qui concerne la grammaire en tant que livre théorique, il existe quatre types

différents de grammaire :

les grammaires savantes qui sont des ouvrages scientifiques, destinés à des

spécialistes ;

les grammaires normatives qui renseignent les formes correctes à utiliser

(exemple : le Bon Usage de Grevisse et Goosse) ;

les grammaires pour l’enseignement qui s’adressent aux professeurs de

français pour les guider sur le plan de la didactique de la grammaire ;

les grammaires pédagogiques destinées aux élèves.

Dans ce travail, la notion de grammaire sera souvent entendue dans un sens large,

incluant toute activité de réflexion sur la langue au niveau du mot, de la phrase ou du

texte.

4 R. LEON, Enseigner la grammaire et le vocabulaire à l’école – Pourquoi ? Comment ?, Hachette

Education, Profession enseignant, Paris, 2008, p.36.

9

2. Une double focalisation

Lors d’une séquence d’apprentissage de la langue (ou une autre séquence où une

question de langue est abordée dans le contexte d’une autre leçon), les élèves et

l’enseignant vivent

des moments « communicatifs » […] et des moments

« grammaticaux » durant lesquels la finalité communicative de l’échange

semble provisoirement mise entre parenthèses. De telles séquences

rompent dans une certaine mesure la coupure trop radicale qu’« on » a

souvent tendance à établir entre communication et structuration5.

Ce pont établi entre ces deux opposés (dichotomie introduite en Suisse romande

au moment de la rénovation6) suppose une posture particulière chez les élèves : la double

focalisation. En effet, les élèves vont en même temps se concentrer sur l’échange en cours

et sur les moyens qu’ils doivent mettre en place pour le réaliser. Ces moments où les

élèves dédoublent leur focalisation peuvent arriver lors de séquences ne portant pas

toujours sur la langue, et donc venant les interrompre. Il est important de cultiver ces

moments car ils développent un rapport positif à la langue. L’élève va diriger son attention

non plus uniquement sur l’objet conversationnel en cours, mais

sur les moyens langagiers nécessaires à la poursuite de l’échange, voire

sur les moyens langagiers qui en permettent la planification, qui

fournissent les conditions les plus favorables aux apprentissages –

langagiers et métalangagiers. […] Cette double focalisation devrait

constituer ainsi un élément fondamental du travail scolaire sur la langue,

permettant de réduire le fossé entre activités communicatives et activités

réflexives.7

De cette manière, les questions de langue seraient abordées comme telles, des

questions sur lesquelles les élèves et l’enseignant poseraient une réflexion, cette dernière

amenant à une structuration d’un fait de langue8.

5 J. DOLZ, Cl. SIMARD, Pratiques d’enseignement grammatical : points de vue de l’enseignant et de

l’élève, Les Presses de l’Université de Laval, Québec, 2009, p. 29.

6Ibidem.

7 Ibidem, p. 30.

8 Le livre de Dolz et Simard rend compte des pratiques enseignantes. En ce qui concerne la pratique de la

posture de double focalisation, ils ne l’ont jamais observée dans des séquences portant explicitement sur

des règles de grammaire.

10

3. Analyse de la langue ou analyse du discours ?

Langue et discours ne sont pas synonymes. En effet, la langue représente le

système de signes qui permet de communiquer9, on peut l’étudier d’un point de vue

phonétique, graphique (l’orthographe), lexical, syntaxique et morphologique (de quoi se

compose un mot) ; tandis que le discours est la pratique de cette langue en vue de

communiquer. Tout sujet, lorsqu’il communique, fait des choix langagiers afin d’agir sur

son interlocuteur. Dès lors, on peut analyser le discours du point de vue de la sémantique,

de l’énonciation, de la pragmatique, de la sociolinguistique, de l’analyse

conversationnelle et d’un modèle textuel.

Concrètement, l’analyse du discours s’ajoute à l’analyse de la langue. Cet apport

du discours se ressent dans les manuels scolaires au niveau de l’intégration du renouveau

des études de textes et dans les représentations des professeurs qui pensent devoir choisir

entre « grammaire de texte » et « grammaire de phrase »10. Une autre nouveauté qui nous

vient du discours : les types de textes. En effet, cette typologie prend en compte l’intention

de l’auteur ainsi que l’effet du texte sur le lecteur.

4. Quid du métalangage ?

Le langage a trois fonctions : communicative, symbolique et cognitive. La

fonction communicative (ou sociale) rend compte de la capacité que nous donne le

langage de dialoguer et de nous exprimer sur des expériences présentes et passées. La

fonction symbolique du langage remplit notre besoin de nommer des objets imaginaires,

des concepts. Quant à la fonction cognitive, elle renvoie à notre capacité à comprendre et

connaître le monde à travers le langage.

La grammaire d’une langue se doit de tenir compte de ces trois fonctions selon

l’auteure Joëlle Gardes Tamine11. Et de fait, la question ci-dessus de l’analyse de la langue

ou de l’analyse du discours est marquée par ces fonctions du langage. En regard de ces

9 C. TISSET, Observer, manipuler, enseigner la langue au cycle 3, éditions Hachette, collection Profession

enseignant, Paris, 2005, p.9.

10 Ibidem, p.11.

11 J. GARDES TAMINE, De la phrase au texte : enseigner la grammaire du collège au lycée, éditions

Delagrave, Paris 2005, p.31

11

trois fonctions, on comprend que l’analyse du discours prend en compte les aspects

communicatif, symbolique et cognitif du langage tandis que l’analyse de la langue se

passe de la première.

Ces trois fonctions sont inextricablement mêlées et aussi importantes l’une que

l’autre12. Lorsque nous nous exerçons à la grammaire, les fonctions symbolique et

cognitive sont systématiquement présentes (contrairement à la fonction communicative

qui n’a pas toujours eu sa place dans l’étude de la langue) et se manifestent, entre autres,

à travers le métalangage, c’est-à-dire le langage qui nous permet de parler du langage

lui-même.

Le métalangage constitue un grand obstacle à la maîtrise de la langue. En effet, il

existe une multitude de théories linguistiques, chacune possédant ses termes propres car

elles s’appuient sur des concepts et des méthodologies différentes. Malheureusement, les

phénomènes linguistiques du français sont d’une telle complexité qu’une seule théorie ne

suffit pas à tous les expliquer. Il revient donc à l’enseignant de sélectionner de façon

cohérente les différentes connaissances acquises en science du langage selon les besoins

de l’apprentissage visé.13

12 Ibidem.

13 Remarque : toutefois, l’enseignant belge est incité à suivre un code de terminologie renseigné par la

Communauté française. Cette problématique de la terminologie à employer est plus amplement développée

dans le point quatre du chapitre deux.

12

Chapitre II : La grammaire à l’école

1. La grammaire traditionnelle

La grammaire traditionnelle, dite « scolaire », est très normative et le but de son

apprentissage est que le scripteur écrive sans faire de fautes d’orthographe. Formée a

posteriori, la grammaire scolaire est venue se greffer sur notre usage de la langue. Créée

au XVIIIe siècle, elle est fortement inspirée de la grammaire latine. Ces deux faits

expliquent que cette grammaire soit discutée par la communauté scientifique. En effet,

cette création a posteriori et cette copie du modèle latin ne pouvaient que donner

naissance à un système artificiel auquel, pendant des dizaines d’années, on a ajouté des

règles et des exceptions afin d’y « faire rentrer » notre usage de la langue.

Ce système se transmet sous forme d’étiquettes à donner aux mots (exemples :

classes et fonctions) et de classements des objets langagiers dans des boîtes les plus

fermées possibles. Mais il est loin d’être parfait et très vite des listes (de très longues

listes) d’exceptions voient le jour. L’apprentissage alors se focalise sur ces difficultés, et

la règle de base est reléguée au second plan. Ces nombreuses exceptions entraînent chez

l’apprenant un sentiment d’insécurité linguistique et ne favorise pas sa confiance dans sa

compétence langagière. De plus, dans les classes, la grammaire est encore trop souvent

travaillée hors contexte et sans réflexion sur la langue et les règles. Comment dès lors

former les élèves à une observation réfléchie de la langue ?

Jusqu’il y a encore peu de temps, c’est cette vision de la grammaire, une vision

normative, prescriptive qui primait dans les écoles. Une figure de proue de ce système est

Maurice Grevisse et son Bon usage. Encore aujourd’hui, beaucoup de professeurs de

français s’y réfèrent, comme j’ai pu le constater dans le sondage que j’ai réalisé14. En

effet, onze professeurs interrogés sur dix-sept répondent qu’ils utilisent cette grammaire

pour leur usage personnel. Par contre, un seul des professeurs l’utilise en classe avec ses

élèves.

La grammaire scolaire a deux objectifs clairement avoués : le premier et le plus

important, faire écrire sans faute aux élèves ; le deuxième, former des esprits logiques.

14 Ce sondage ainsi que son déroulement seront explicités à la fin de la première partie de ce travail.

13

Mais force est de constater qu’elle fait face à un double échec. Malgré les heures

dispensées, les élèves sont en (grande) difficulté orthographique. L’apparition de

« manuels » d’orthographe est bien un aveu indirect que la grammaire ne suffit pas.15 En

ce qui concerne la formation d’un esprit logique, la grammaire traditionnelle est en

contradiction avec son objectif : elle mélange sans cesse les deux plans

normatif/descriptif et le statut de dogme qu’elle se donne empêche la communauté d’en

faire un instrument rigoureux. Comment former des esprits logiques et scientifiques tout

en n’en respectant pas la démarche ?

2. La grammaire rénovée16

Dans les années 1960-1970, la grammaire scolaire est remise en question dans les

communautés francophones suite, notamment, aux avancées de la linguistique. Et dès les

années septante, des ouvrages de « grammaire rénovée », « grammaire moderne » ou

encore de « grammaire nouvelle » voient le jour et côtoient la grammaire traditionnelle.

Les « parties du discours » deviennent les « classes de mots », le terme « nature »

étant vite abandonné car connotant trop une idée d’immuabilité17. Les critères

sémantiques propres à la grammaire scolaire sont plus ou moins abandonnés au profit de

critères morphologiques et syntaxiques. Ce changement engendre évidemment des

modifications du classement des parties du discours. Les anciens « adjectifs

déterminatifs » sont désormais des « déterminants possessifs, démonstratifs, relatifs,

exclamatifs, interrogatifs, indéfinis ou numéraux ».

Le modèle des phrases de base est introduit. Ce modèle est toujours d’actualité

selon le Code de terminologie belge. Ce modèle énonce qu’une phrase de base est toujours

composée d’un groupe nominal et d’un groupe verbal auxquels peut s’ajouter un groupe

facultatif. Selon ce modèle, les mots s’organisent en groupes autour d’un noyau, ces

15B. COMBETTES, Grammaire et enseignement du français, in Pratiques, n°33, p.4, 1982.

16Selon un article du site Correspondance (Centre collégial de développement de matériel didactique),

PIRON Sophie, professeure à l’UQAM, http://correspo.ccdmd.qc.ca/index.php/document/des-

propositions-pour-renforcer-la-maitrise-de-la-langue-par-les-cegepiens/la-grammaire-du-francais-au-xxe-

siecle-2e-partie/, page consultée le 27/05/2016 à 09h50.

17 En effet, la classe d’un mot peut changer selon le contexte dans lequel on le retrouve. Par exemple, dans

la phrase « Le chien mange », « le » est un déterminant ; dans la phrase « Je le vois manger », « le » est un

pronom.

14

mêmes groupes s’organisant en phrase. Trois niveaux d’analyse sont donc possibles.

Grâce à l’introduction du principe de phrase de base, les analyses sont plus rigoureuses

et plus systématiques qu’avant. L’analyse des fonctions est également modifiée : ces

dernières sont désormais identifiées par le rôle du groupe de mots dans la phrase, ce rôle

étant attribué par des manipulations syntaxiques (pronominalisation, encadrement, etc.)

et plus par des analyses sémantiques des mots. Il faut noter que si le sens perd de son

importance, il n’est pas pour autant complètement mis au grenier ; simplement, il devient

complémentaire à la syntaxe dans l’analyse. En effet, l’analyse par la manipulation

syntaxique a ses limites et la sémantique permet de les pallier.

Cette nouvelle grammaire propose aussi de dépasser le seul niveau d’analyse

proposé par la grammaire traditionnelle. Elle va donc aller au-delà de l’analyse phrastique

vers de l’analyse textuelle. Malheureusement, cette dernière est encore très peu

appliquées à l’école comme cela sera expliqué ultérieurement au point 4b.

3. Comparaison des termes grammaticaux traditionnels et rénovés

Ci-dessous, le lecteur pourra trouver, sous forme de tableau, les principales

fonctions de la phrase ayant été touchées par les modifications apportées par la grammaire

moderne. Ce tableau est bien un résumé et ne tient donc pas compte de toutes les variantes

existantes dans les grammaires modernes. Il a été réalisé par Sophie Piron, professeure à

l’UQAM.

GRAMMAIRE TRADITIONNELLE GRAMMAIRE MODERNE

Sujet (S)

Sophie pense à ses vacances.

L’être ou la chose qui fait

l’action ou dont on exprime

l’état.

Répond à la question qui est-ce

qui… ?, qu’est-ce qui … ? : Qui

pense à ses vacances ?

Sujet (S)

Sophie pense à ses vacances.

Encadrement par c’est… qui :

C’est Sophie qui pense à ses

vacances.

Pronominalisation par il(s),

elle(s) : Elle pense à ses

vacances.

Donneur d’accord du verbe.

Complément d’objet direct (COD)

Sophie a écrit un article.

Complément direct (CD)

Sophie a écrit un article.

15

Ce colis pèse deux kilos. (pas de COD)

L’objet de l’action, joint au

verbe sans préposition.

Répond à la question qui ? ou

quoi ? posée après le verbe :

Sophie a écrit quoi ?

Ce colis pèse deux kilos.

Pas de déplacement.

Pas de suppression grammaticale

ou pas de suppression sans

changement de sens du verbe.

Pas de préposition.

Généralement, pronominalisation

par le, la, les : Elle l’a écrit.

Sinon, en : Elle mange des fruits,

elle en mange. Impossible pour

les compléments de mesure.

Généralement, mise au passif :

L’article a été écrit par Sophie.

Complément d’objet indirect (COI)

Sophie pense à ses vacances.

Elle vient de Liège. (pas de COI)

L’objet de l’action, joint au

verbe au moyen d’une

préposition.

Répond à la question à qui ?, à

quoi ?, de qui ?, de quoi ?…

posée après le verbe : Sophie

pense à quoi ?

Complément indirect (CI)

Sophie pense à ses vacances.

Elle vient de Liège.

Pas de déplacement.

Pas de suppression grammaticale

ou pas de suppression sans

changement de sens du verbe.

Préposition.

Généralement, pronominalisation

par lui, leur, en, y : Elle y pense.

Elle en vient.

Complément circonstanciel (CC)

J’irai à Liège la semaine prochaine.

(deux CC)

Les circonstances de l’action

comme le lieu, le temps, la

quantité.

Répond à une question telle que

quand ?, où ?, combien ?, etc.

Complément de phrase (CPh)

J’irai à Liège la semaine prochaine.

Déplacement : La semaine

prochaine, j’irai à Liège.

Suppression, sans rendre la phrase

agrammaticale ou sans changer le

sens du verbe : J’irai à Liège.

Dédoublement : J’irai à Liège, et

cela / et je le ferai la semaine

prochaine.

Sujet apparent ou sujet grammatical

Il faut du temps.

Sujet qui ne désigne ni un être

ni une chose faisant l’action.

Sujet (S)

Il faut du temps.

Pronom de forme sujet : il.

Donneur d’accord du verbe.

16

Sujet réel ou sujet logique

Il faut du temps.

Est le véritable sujet, répond à

la question qui est-ce qui ?,

qu’est-ce qui ?

Complément du verbe impersonnel (CVimp)

Il faut du temps.

Expansion du verbe impersonnel.

Dans certains cas,

pronominalisation :

Il en faut.

Attribut du sujet (AttrS)

Elle reste sympathique.

Désigne l’état du sujet ou une

qualité de celui-ci.

Attribut du sujet (AttrS)

Elle reste sympathique.

Pas de déplacement.

Pas de suppression.

Généralement, pronominalisation

par le : Elle le reste.

Généralement, accord avec le

sujet.

En brève conclusion de la comparaison menée entre la grammaire traditionnelle

et la grammaire rénovée, nous pouvons retenir que la première pose la question du

« qu’est-ce que c’est ? » et propose des exercices d’analyse tandis que la deuxième

interroge la langue par « comment ça marche ? » et amène à des exercices de

manipulation. Aujourd’hui, grâce à l’apport de l’analyse du discours, nous nous

interrogeons aussi sur le « à quoi ça sert ? » et réinvestissons les savoirs dans des tâches

d’écriture.

Il est à noter que la grammaire rénovée, présentée comme meilleure que la

grammaire traditionnelle car intégrant des notions et des démarches de la linguistique,

fait déjà objet de doutes dans les années 1980. En effet, Bernard Combettes dans un article

paru dans Pratiques en 1982 fait état de son pessimisme quant à l’efficacité de cette

nouvelle grammaire. Trop de professeurs, selon lui, ne voient en l’apport de la

linguistique des changements de contenus et de terminologies. Or, c’est bien aussi la

démarche nouvelle qu’il faut adopter. Mais force est de constater qu’à son époque, le

rapport des élèves au savoir reste inchangé.

Dans cet article, il déplore le manque de formations des professeurs dans le

domaine de la langue. Je suis donc allée chercher sur le site de le CECAFOC (le Conseil

17

pour l’Enseignement Catholique pour le Formation en cours de Carrière) pour voir si des

formations étaient disponibles quant à l’apprentissage de la grammaire. Trois pour

l’année 2016 ont attiré mon attention et me semblaient pertinentes.

Adopter une posture réflexive sur le langage pour mieux lire et mieux

écrire

o Description de cette formation

La formation montrera qu'une attitude plus analytique et plus

réflexive par rapport au langage est centrale pour produire et

comprendre des textes qui présentent un certain degré de

complexité. Les participants seront amenés à saisir ce qui

caractérise cette attitude réflexive et à envisager des dispositifs

didactiques pour aider leurs élèves à l'acquérir.

o Objectif de cette formation

Cette formation a pour objectif d'aider les enseignants à saisir tous

les bénéfices que leurs élèves peuvent tirer s'ils développent une

attitude plus analytique et plus réflexive par rapport au langage.18

Utiliser les genres de textes pour développer des savoirs langagiers

o Description de cette formation

Utiliser les genres de textes pour développer des savoirs

langagiers.

o Objectif de cette formation

En production comme en réception, il n'y a pas de compréhension

possible sans maîtrise du fonctionnement de la langue (les savoirs

langagiers inhérents à tout écrit). L'objectif de cette formation est

d'outiller l'enseignant pour qu'il puisse aider l'apprenant à repérer

et à observer le fonctionnement de la langue, en lecture, afin de

réinvestir cet apprentissage dans ses productions écrites.19

18 http://enseignement.catholique.be/cecafoc/formation.html?mid=3482, consulté le 11/08/2016 à 15h12.

19 http://enseignement.catholique.be/cecafoc/formation.html?mid=3464, consulté le 11/08/2016 à 15h16.

18

Enseigner l'orthographe grammaticale pour créer un système de la langue

o Description de cette formation

La maitrise de l'orthographe grammaticale est un processus long

et complexe qui s'étale tout au long de la scolarité obligatoire de

l'élève.

La formation propose un regard historique sur l'orthographe, afin

de créer un système de la langue favorisant le transfert dans les

écrits des élèves.

Des passerelles seront créées entre les attendus et acquis de

l'enseignement primaire et ceux du secondaire.

o Objectif de cette formation

[Aucun spécifié]20

4. La situation aujourd’hui

L’apprentissage de la grammaire à l’école relève de l’application de normes dont le

but est d’écrire correctement et sans erreurs orthographiques. La grammaire scolaire

d’aujourd’hui est un mélange de la grammaire traditionnelle et de la rénovée qui n’a

jamais pu totalement supplanter l’ancien système. La grammaire traditionnelle est

normative et logico-sémantique et la rénovée y apporte une démarche inductive à partir

d’observations sur la syntaxe.

a) L’enseignement traditionnel de la grammaire : à l’origine d’inégalités

scolaires ?

Comme on a pu le lire dans la deuxième définition du TLF, la grammaire est

traditionnellement considérée comme une discipline dédiée à la prescription des normes

langagières21 (voir définition A du chapitre I) et la linguistique comme dédiée à la

description de la langue (voir définition B du chapitre I). Or, cette vision amène ces deux

champs d’analyse dans des logiques pour ainsi dire opposées. Et cela a pour conséquence

20 http://enseignement.catholique.be/cecafoc/formation.html?mid=3463, consulté le 11/08/2016 à 15h23.

21 M. COUPREMANE (dir.), Les dynamiques des apprentissages – la continuité au cœur de nos pratiques –

de 2 ans ½ à 14 ans, De Boeck, Outils pour enseigner, Bruxelles, 2009, pp.111.

19

que les professeurs et les élèves considèrent que le but de la grammaire à l’école est

d’écrire sans fautes. Cette perspective didactique entraîne alors des apprentissages tenant

de la contrainte et fait apparaître la grammaire comme un savoir venant de l’école et ne

trouvant son utilité qu’à l’école. Pire, elle permet un

classement discriminatoire du public à qui elle est adressée, puisque

fournie [la grammaire] sans explication sur le fonctionnement de la

langue, elle favorise forcément les enfants dont le modèle langagier se

rapproche le plus de cette norme attendue, et ceux dont les parents

maîtrisent le même étiquetage lexical22.

Pour remédier à ce problème, peut-être faudrait-il former des élèves linguistiques, qui

écoutent, lisent et analysent des énoncés pour comprendre le fonctionnement de la

langue ?

b) Apprendre une grammaire qui a du sens

Apprendre la grammaire, est-ce utile ? L’enseignement de la grammaire est perçu

par beaucoup comme un passage obligatoire, un mal nécessaire pour développer un esprit

logique (voire scientifique) mais certains se posent la question du pourquoi et de l’utile.

En effet, les élèves arrivent à l’école en possédant ce que l’on appelle une grammaire

implicite. Celle-ci est composée de leurs connaissances intériorisées de leur langue

maternelle : l’ordre des mots, la structure sémantique et la structure syntaxique. Selon

Célestin Freinet, cette grammaire « instinctuelle » est suffisante à l’élève du fondamental

et lui apprendre explicitement la grammaire n’a pas d’intérêt car Freinet prône avant tout

les activités d’expression.

Il n’a pas tout à fait tort en ce sens que la grammaire ne doit pas être un objet

d’apprentissage pour elle-même mais bien être réinvestie dans l’écriture. Plusieurs

auteurs en font le constat : la grammaire pour la grammaire est stérile. Les élèves ne

peuvent s’approprier un discours abstrait. Les enseignants doivent pratiquer la grammaire

en démontrant que celle-ci a pour rôle de rendre compte du fonctionnement de la langue

en décrivant notamment les règles qui régissent l’organisation et les combinaisons des

mots entre eux23, tant à l’écrit qu’à l’oral (ce dernier étant trop souvent dénigré).

22 Ibidem, p.112.

23 D. VAN RAEMDONCK, Le sens grammatical. Référentiel à l’usage des enseignants, éditions P.I.E Peter

Lang, Bruxelles, 2011.

20

Dans les manuels du primaire et du début du secondaire, il appert que ce sont les

mêmes sujets d’apprentissages, complexifiés de cycle en cycle, qui se répètent au fur et à

mesure des années. Ce fonctionnement amène dans un mouvement spiralaire des redites

où les élèves ressassent des savoirs grammaticaux morcelés. Dans cette optique, la langue

n’est jamais montrée sous tous ses aspects et il est rare que les élèves aient une vue

d’ensemble de son fonctionnement.

Donner du sens, c’est expliciter clairement aux élèves les objectifs de la

grammaire. Ces derniers sont au nombre de trois :

1. Améliorer la compréhension en lecture.

2. Améliorer l’activité de production d’écrits.

3. Augmenter les capacités réflexives.24

Les deux premiers objectifs touchent les savoirs de langue assurant la cohésion

d’un texte et permettant la construction de phrases grammaticales. Le dernier incite

l’enseignant à ne plus prendre le rôle du maître qui remplit la tête de l’élève mais celui

du guide qui est une ressource pour l’élève-observateur. Si le professeur adopte ce

fonctionnement, alors le rapport entre élèves et grammaire se modifie : les apprenants

deviennent actifs dans leur construction du savoir grammatical.

Tout ceci est valable au sein de la leçon de grammaire mais comment donner du

sens à la présence de cette leçon ? La réponse à cette question est simple : faire des liens.

Relier les apprentissages grammaticaux aux autres disciplines du français et ce, de

manière explicite. Ecrire une lettre, créer une bande dessinée, écrire un récit policier, etc.

sont autant de projets qui sont liés à de vrais apprentissages grammaticaux. Pour mieux

écrire, l’élève va avoir besoin de lire, observer et analyser. Comme chaque type de texte

présente des particularités, l’enseignement grammatical s’attaque à celles-ci en fonction

des nécessités de l’écriture. Le réinvestissement est alors immédiat. De plus, cette façon

de procéder permet d’éviter d’apprendre la grammaire à travers des phrases artificielles,

loin de notre réalité et de celle des textes.

Les textes, justement, devraient prendre une place plus importante dans nos

analyses grammaticales. En effet, écrire une série de phrases grammaticalement correctes

n’assure pas un texte cohérent. Il est donc primordial d’apprendre les mécanismes

24 TISSET, op. cit., p.11.

21

linguistiques qui permettent l’articulation des phrases entre elles, par exemple les

pronoms et la capacité à produire un texte dont le système anaphorique est correct. Lors

de la production d’un texte, tâche complexe, l’élève est bien loin des phrases simples ou

complexes des exercices grammaticaux traditionnels.

c) Exemple

L’apprentissage d’une grammaire prescriptive à l’école laisse l’apprenant (parfois

devenu professeur) face à un sentiment d’incertitude. Confronté à l’absurdité de ces

leçons se concentrant plus sur les exceptions du système langagier que sur son

fonctionnement général, le professeur de français a deux options possibles : la remise en

cause du système ou la remise en cause de sa propre compétence à comprendre ce

système (facteur qui contribue fortement à développer chez les locuteurs un sentiment

d’insécurité linguistique)25. Catherine Deschepper, un des auteurs de l’ouvrage Les

dynamiques des apprentissages – la continuité au cœur de nos pratiques – de 2 ans ½ à

14 ans, met en avant ce rapport conflictuel à la règle à travers un exemple tiré de ses

observations des pratiques d’étudiants stagiaires.

Son exemple démontre la difficulté qu’il y a d’étudier la grammaire en contexte.

En effet, la grammaire est souvent travaillée à travers des phrases inventées par le

professeur pour que l’application de la règle apparaisse clairement aux élèves lors des

exercices, sans que le doute ne soit possible. Mais cette manière de faire met les élèves

face à des phrases (même pas de textes complets ou alors, rarement) décontextualisées,

artificielles et bien loin de la complexité réelle du français. L’auteur nous explique le cas

d’un stagiaire qui, pour un exercice de pronominalisation, a utilisé le texte du Petit

Chaperon Rouge. Problème : comment pronominaliser ce dernier ? Il ou elle ?

Syntaxiquement, le petit chaperon rouge est masculin singulier mais sémantiquement, il

est reconnu dans notre patrimoine culturel que le petit chaperon rouge est une fillette. Le

texte d’apparence simple se pare d’une difficulté inattendue : que répondre aux élèves ?

Voilà le stagiaire et ses élèves face à une difficulté authentique : que choisir entre

raisonnement grammatical et raisonnement sémantique ?

Cette situation « critique » s’annule si le professeur, sûr de son fait, sait qu’il peut

accepter les deux genres. Ce dernier pourrait même profiter de l’occasion pour susciter la

25 COUPREMANE (dir.), op. cit., pp.111.

22

curiosité des élèves et développer une réflexion sur le cas avec eux. Il donnera alors du

sens à ses apprentissages.

d) La grammaire dans le programme de français du premier degré

En Fédération Wallonie-Bruxelles, les programmes de français encouragent à

suivre le Code de la terminologie grammaticale édité par le ministère de l’Education

Nationale en 1986. Ce code se retrouve sur le site officiel de l’enseignement de la FWB.

En raison des différents courants d’étude de la langue possibles, un même mot peut être

nommé de diverses façons. Ce code explicite la terminologie choisie dans le but que tous

les professeurs utilisent la même, l’usage d’une multitude de terminologies ne pouvant

qu’embrouiller les élèves. Cependant, on remarquera que ce code n’est pas toujours

satisfaisant pour tous. Par exemple, la phrase « Ne pas fumer » est considérée comme

averbale, ce qui peut en surprendre plus d’un car un verbe, même si à l’infinitif, est

présent. Dès lors, certains préfèrent modifier ce code afin qu’il corresponde mieux à leurs

savoirs grammaticaux.

Mais ce n’est pas comprendre notre langue que de nommer les mots. Quand des

élèves utilisent les étiquettes qu’ils ont appris sagement, ont-ils véritablement compris ce

qu’était un adjectif ou un pronom ? Trop souvent, l’apprentissage se réduit à connaître

cette terminologie. Le professeur se doit de garder en tête qu’elle n’est qu’un outil pour

parler de la langue observée. L’apprentissage en jeu est bien le fonctionnement du

français.

23

Chapitre III : Sur le terrain

Pour me renseigner sur la réalité du terrain, j’ai lancé sur internet un sondage via

le site Polljunkie pour interroger les professeurs de français du premier degré sur leur

référentiel de grammaire, celui qu’ils utilisaient en classe et comment ils effectuaient leur

choix. Pour faire circuler ce sondage, j’ai posté un message sur Facebook sur un groupe

des professeurs de français26 ainsi que sur mon mur personnel.

Lors de ce sondage, dix-sept professeurs ont répondu dont trois hommes. Leur

expérience d’enseignement varie d’à peine quelques mois à plusieurs dizaines d’années.

Voici quelques graphiques tirés des réponses de ce sondage. Le lecteur trouvera en annexe

l’intégralité des questions soumises aux professeurs participants ainsi que leurs réponses.

26 Ce groupe Facebook regroupe une communauté de professeurs de français dans le secondaire. C’est un

groupe de presque deux mille membres fermé et modéré par six administrateurs dont un est lié au site

internet enseignons.be. Ce groupe peut être retrouvé sous le lien suivant :

https://www.facebook.com/groups/enseignants.francais/

Oui12%

Non88%

La grammaire que les professeurs utilisent en classe est

imposée par la direction

Oui Non

24

70%

12%

18%

Grammaire consultée pour usage personnel

Grevisse (Le Bon Usage) Gobe et Tordoir Autres grammaires + internet

12%

29%

17%

6%

18%

6%

12%

Grammaire utilisée en classe

Grammaire intégrée dans un manuel général de français (exemple : Texto)

Manuel de grammaire

Aucune

Grammaire créée par le professeur (ou l'équipe des professeurs de français du premier degré)

Grammaire construite par les élèves

Diverses sources grammaticales

25

Comme nous pouvons le constater dans le graphique ci-dessus, les professeurs

n’utilisent plus que peu de grammaires telles quelles avec des élèves. Ne m’attendant pas

à de telles réponses, j’avais posé une question à la fin du sondage sur le référentiel utilisé

à défaut d’une grammaire. J’avais proposé comme possibilités : un manuel ; un référentiel

créé par le professeur ; un référentiel créé par les élèves ; aucun et internet. Les résultats

sont plus ou moins identiques, les différences dans les pourcentages étant dues au fait que

les réponses étaient libres pour la question « Quelle grammaire utilisez-vous en classe ? ».

Une interrogation reste malgré tout. En effet, onze pourcents des professeurs

interrogés ont répondu qu’ils n’utilisaient aucun référentiel de grammaire. Que doit-on

en déduire ? Qu’ils n’enseignent pas du tout de grammaire ? Simplement, les élèves (ou

la classe) possèdent une grammaire et n’a donc pas l’usage d’un autre référentiel ?

Malheureusement, la question du sondage n’est pas posée de manière à ce que l’on puisse

répondre à ces interrogations.

Lorsqu’interrogés sur l’ordre d’importance des critères pour choisir une

grammaire, les professeurs privilégient la précision du contenu et l’usage pratique et

facile. La première pyramide (à la page suivante) représente l’ordre d’importance des

critères de sélection pour une grammaire à l’usage du professeur, la deuxième pour une

36%

30%

18%

11%

5%

Référentiel utilisé à défaut d'une grammaire

Un manuel Référentiel créé par le professeur Référentiel créé avec les élèves Aucun Internet

26

grammaire à l’usage de la classe. Le sommet de la pyramide contient l’élément le plus

important.27

27 Ces critères ont été choisi après différentes discussions avec des (anciens) professeurs de français. Dans

le livre Didactique du français langue première (p.183), les critères de choix d’une grammaire sont aussi

abordés et certains sont assez similaires à ceux ci-dessous : justesse et cohérence du contenu ; prise en

compte des représentations et des difficultés des élèves ; clarté des explications ; mise en page appropriée ;

facilité de consultation de l’index et de la table des matières et enfin, durabilité du document.

Précision du

contenu

Usage rapide et facile

Apparence des pages intérieurs (mise en page, couleurs...)

Terminologie utilisée

Exemples tirés de la vie quotidienne

Auteur reconnu

Exemples tirés de la littérature

27

A ces critères, plusieurs professeurs ont ajouté qu’ils veillaient au prix que coûtait

la grammaire si les élèves devaient l’acheter. Un professeur a aussi fait remarquer

l’importance qu’avait la table des matières puisqu’elle est la porte d’entrée au contenu

pour les élèves. Enfin, un dernier a indiqué qu’il préférait travailler avec un livre-cahier

d’exercices dans lequel l’élève peut écrire, on peut imaginer qu’il parle soit d’un livre

d’exercices grammaticaux qui n’est pas une grammaire telle quelle, soit d’un livre à mi-

chemin entre la grammaire et le livre d’exercices, dans lequel l’élève peut se référer face

à une difficulté grammaticale dans une production d’écrit.

Précision du

contenu

Usage rapide et facile

Liens avec des activités

pédagogiques

Terminologie utilisée

Apparence des pages intérieures (mise en page, couleurs...)

Exemples tirés de la vie quotidienne

Exemples tirés de la littérature

28

Ces différents graphiques nous montrent bien que la consultation d’une grammaire

dans les classes n’est pas une évidence pour tous les professeurs. Beaucoup utilisent des

substituts à une « vraie grammaire », les jugeant plus simples d’utilisation et plus

complets car ils s’accompagnent d’exercices. Un professeur ajoute même dans un

commentaire qu’il utilise le Grevisse pour son analyse scientifique mais qu’il le vulgarise

pour ses élèves en utilisant un manuel CLE qui est un livre créé pour les élèves non-

francophones. Le professeur utilise donc un outil de français langue étrangère.

36%

23%

30%

11%

Fréquence de l'utilisation d'une grammaire en classe

Rarement Deux à trois fois par mois Une fois par semaine Plusieurs fois par semaine

29

DEUXIEME PARTIE : PRATIQUE

Chapitre I : Présentation de différents livres grammaticaux

Le but de cette deuxième partie n’est pas de faire un récapitulatif du contenu de

différents livres mais bien de les présenter brièvement aux lecteurs afin d’ouvrir un

horizon plus large aux professeurs sur les différentes manières d’enseigner la grammaire.

Les livres suivants vont proposer des exercices inhabituels, ou encore proposer des

planifications repensées des apprentissages grammaticaux… Ces livres ont été choisis en

espérant qu’ils répondront aux questionnements que pourrait rencontrer l’enseignant

soucieux de se remettre en recherche sur la grammaire et son enseignement.

1. Joëlle Gardes Tamine : « De la phrase au texte : enseigner la

grammaire du collège au lycée »

a) Intérêt pédagogique

Contrairement à ce qui est dit dans ce travail et dans beaucoup de sources

consultées, l’auteure ne conseille pas de partir des difficultés des élèves pour construire

son programme de grammaire. Elle met en avant la disparité des élèves et la quasi-

impossibilité d’identifier les difficultés de manière précise comme obstacles majeurs28.

Elle annonce dans son introduction qu’elle souhaite montrer par ce manuel qu’il pourrait

exister un enseignement systématique de la langue basé sur l’organisation de son système.

Son but est d’aider les élèves dans les activités d’écrits à travers des productions

relativement courtes. Chaque exercice se fait sur la base d’un texte, souvent tiré de la

littérature, assez bref, ou de phrases suggérées par l’auteure. Chacun est accompagné de

suggestions de questions focalisées sur le texte donné puis par des pistes de commentaire

destiné à l’enseignant. Ces pistes sont complètes et sont une véritable aide pour le lecteur

que ce soit pour sa compréhension ou pour des idées de continuation.

28 GARDES TAMINE, op. cit., p.9.

30

b) Aspects pratiques

Ce livre n’est à proprement parler ni une grammaire ni un art d’écrire, il se trouve

entre les deux. Il ne présente pas d’exposé précis et minutieux sur les règles du français.

Ce sont plutôt des résumés des points intéressants à réinvestir lors d’activités d’écriture

que le lecteur pourra trouver ici.

L’ouvrage est découpé en neuf chapitres. Les trois premiers sont plus théoriques

et s’intéressent aux fonctions du langage, aux spécificités de l’écrit par rapport à l’oral et

à la justification de l’apprentissage de la grammaire. Chaque chapitre s’accompagne de

plusieurs exercices partant de micro-unités pour aboutir à un exercice d’écriture où la

micro-unité est réinvestie dans une macro-unité.

Du fait que ce livre défend une manière systématique de voir la langue, il n’est

pas envisageable pratiquement de l’ouvrir simplement pour y piocher quelques exercices

bien que cela soit possible.

c) Terminologie

La terminologie utilisée est celle de la grammaire rénovée.

2. Yak Rivais : « La grammaire impertinente »

a) Intérêt pédagogique

Yak Rivais est un auteur qui aime jouer avec les mots et la langue française. Il a

écrit de nombreux romans pour la littérature jeunesse où les jeux littéraires ont une place

de choix. Dans cette grammaire, l’esprit est identique : le jeu, l’humour sont là pour

donner une vision différente de la grammaire.

Cette grammaire est très attrayante grâce à ses dessins et ses notes d’humour. Elle

est présentée de manière simple. Les règles grammaticales au sein du corpus sont des

notions de base, ce n’est pas la précision du contenu qui est visée. Son attrait majeur est

son aspect ludique. D’autant plus qu’il est toujours possible de coupler ces exercices de

grammaire à des séquences sur les effets langagiers utilisés pour les effets comiques.

31

b) Aspects pratiques

Ce livre s’adresse aux élèves de neuf à quinze ans. Il commence par les notions

les plus simple (telles que l’usage du point et de la majuscule) et va en se compliquant. Il

y a quatre grandes parties : la grammaire, la conjugaison, l’analyse logique et

l’orthographe grammaticale. Chaque point matière est traité sur une à trois pages,

présentant d’abord la règle puis les exercices.

Il présente des exercices courts où l’élève choisit entre plusieurs formes

grammaticales ou doit repérer ces formes au sein de textes humoristiques. Cette forme est

donc pratique pour des exercices ponctuels. La grammaire impertinente n’est pas un

support à l’étude car il y a des jeux de mots partout, même au sein des règles énoncés. Si

cela n’entrave pas la compréhension générale, je pense que ça peut être un obstacle à la

clarté du message.

c) Terminologie

La terminologie utilisée est celle de la grammaire traditionnelle.

3. Claudie Péret et Jean Cardo : « Un projet pour articuler production

d’écrit et grammaire »

a) Intérêt pédagogique

Ce petit livre, comme son titre l’indique, donne des pistes, via des exemples

concrets, pour lier la grammaire à des compétences à l’écrit. Il met l’élève au cœur des

apprentissages pour qu’il développe autonomie et responsabilisation. Le manuel explicite

toutes les étapes qui mènent à une production d’écrit qui a du sens pour l’élève et au sein

de laquelle la réflexion sur la langue a une place. Des activités innovantes et des exercices

traditionnels mis à une nouvelle sauce afin de susciter chez les élèves des réflexions, des

automatismes au sujet de la langue. L’enseignant voit comment, pas à pas, il peut faire

prendre conscience des mécanismes langagiers de l’écrit à ses élèves et comment leur

apprendre à les appliquer dans leurs productions. Tout est présent pour l’enseignant, de

comment lancer une activité d’écriture à comment l’évaluer tout en passant par comment

corriger et éditer.

32

Les auteurs ont été soucieux de prendre en compte les rythmes et les niveaux de

chaque élève dans l’optique que celui qui suivrait ce guide applique une pédagogie

différenciée dans ses classes.

b) Aspects pratiques

Bien qu’écrit par des auteurs ayant surtout de l’expérience dans le primaire, le

contenu est tout à fait applicable aux classes du premier degré du secondaire.

Un sommaire bien détaillé permet d’établir facilement un état des lieux du

contenu. Mais ici, pas de contenus grammaticaux à proprement parler, c’est bien une

méthode, une démarche d’apprentissage qui est proposée.

Le livre se découpe en trois parties principales : la maîtrise de la langue à l’école...

un domaine à préciser, qu’est-ce qu’écrire à l’école et étudier la langue. La première fait

un état des lieux sur la question de la langue et explique pourquoi les auteurs ont choisi

de lier grammaire et production d’écrit. La seconde décrit de A à Z les étapes d’une

production d’écrit. Enfin, la dernière explicite les moments différents supposés par une

démarche d’enseignement-apprentissage en langue et les liens avec les programmes29.

c) Terminologie

La terminologie utilisée est celle de la grammaire rénovée.

4. Danièle Cogis : « Pour enseigner et apprendre l’orthographe :

nouveaux enjeux – pratiques nouvelles. Ecole/Collège »

a) Intérêt pédagogique

Cet ouvrage se concentre sur l’apprentissage de l’orthographe en tenant compte

des « nouveaux » savoirs que l’on possède sur l’orthographe, sa transmission et sa

réception auprès des élèves. Il aborde des réflexions sur les difficultés propres à cet

apprentissage et comment les résoudre afin d’amener de nouvelles démarches. C’est un

livre qui se veut à contre-courant du raccourci facile « retour à la bonne vieille méthode ».

Ce livre présente des situations de classe concrètes toujours intéressantes même si

ce sont des séquences se déroulant parfois dans le primaire car les échanges faits en classe

29 Remarque : ce sont les programmes français pour les cycles deux et trois dont il est question.

33

sont retranscrits et nous permettent donc de voir comment l’enseignant peut les mener

tout en laissant les élèves faire leurs observations, réflexions en groupe.

L’aspect le plus intéressant de cette grammaire est qu’elle prend en compte les

élèves et leurs représentations. Grâce à elle, l’enseignant acquière des outils pour les faire

apparaître, pour les comprendre et finalement, pour les faire évoluer.

b) Aspects pratiques

Adressé d’abord aux enseignants du cycle 3 (fin de primaire) et du collège

(premier degré du secondaire en Belgique), cet ouvrage contient des situations

didactiques, des repères théoriques pour le professeur, de nombreux exemples de

séquences et des pistes de travail.

Danièle Cogis a organisé son travail en trois parties : la première présente la

mutation de la place prise dans l’orthographe dans nos cours et nos évaluations ainsi que

ses fondements linguistiques nécessaires à connaître pour enseigner ; la deuxième

explicite les représentations des élèves en matière d’orthographe et comment les prendre

en compte dans nos préparations ; la troisième détaille différentes propositions

didactiques. Ces dernières s’articulent en trois types de situations ayant chacune un

objectif différent :

comment amener les élèves à prendre en compte l’orthographe

dans leurs écrits ;

comment les aider à construire des connaissances orthographiques

cohérentes ;

comment faire évoluer leurs représentations qui, si elles ne sont

pas travaillées, font obstacle à la progression de leurs connaissances et à

l’appropriation de la norme.30

c) Terminologie

La terminologie utilisée est celle de la grammaire rénovée.

30 D. COGIS, Pour enseigner et apprendre l’orthographe : nouveaux enjeux – pratiques nouvelles.

Ecole/Collège, Delagrave Edition, Paris, 2005, p. 9.

34

Chapitre II : Quelques pistes de lecture et de pratique

Les quelques paragraphes qui vont suivre sont dédiés à quelques pistes possibles

pour pratiquer différemment la grammaire ainsi que des pistes de lecture pour le

professeur. Ces quelques pistes sont tirées des différentes lectures que j’ai pu faire au

cours de mes recherches pour ce travail.

a) J’ai des élèves dont le français n’est pas la langue maternelle

Beaucoup de professeurs ont dans leurs classes des élèves issus de l’immigration

et/ou dont le français n’est pas la langue maternelle. Pour ces professeurs, aller chercher

des définitions et des exercices dans des grammaires de français langue étrangère est une

solution possible pour permettre à ces élèves une transition plus douce entre les cours de

français langue 2 à des cours de français langue première. Même pour des élèves

francophones « simplement » en difficulté, la grammaire FLE peut être une porte d’entrée

différente pour leur permettre d’aborder la matière d’un angle qui leur conviendra peut-

être mieux. Comme grammaire FLE, la Nouvelle grammaire du français – cours de

civilisation française de la Sorbonne est une bonne référence.

b) Je souhaite me renseigner sur des théories plus pointues en grammaire

Parmi les livres présentés dans le chapitre précédent, j’avais pensé introduire Le

sens grammatical. Référentiel à l’usage des enseignants de Dan Van Raemdonck. Cette

grammaire s’inspire de la Grammaire critique de Wilmet et tient de la grammaire

spécialisée. L’enseignant désirant se renseigner sur la grammaire telle qu’envisagée par

Wilmet trouvera une porte d’entrée dans ce livre lui permettant de transférer ces théories

à sa pratique de classe. Néanmoins, l’ouvrage présente une difficulté théorique qui me

semblait être un obstacle à l’objectif de ce travail.

c) Je souhaite lier mon cours de grammaire à une lecture

La grammaire est une chanson douce d’Erik Orsenna est un livre désormais connu

dans le monde des enseignants de français. Si quelques-uns, je pense, en proposent la

lecture à leur classe, il y a une possibilité d’activité à laquelle on ne pense pas forcément :

mettre en scène des parties de ce livre pour rendre plus dynamique l’apprentissage de la

grammaire.

35

CONCLUSION

Lors de ce travail, plusieurs questions ont dirigé mes recherches : qu’est-ce que la

grammaire, pourquoi finalement l’enseigner et comment mettre en place des

apprentissages grammaticaux ayant du sens.

Le terme « grammaire » est polysémique, il peut représenter à la fois la structure

d’une langue, la théorie qui la décrit, la discipline scolaire et les livres explicitant ces

théories. A l’école, le champ de la grammaire se répartit, selon Renée Léon, en trois

catégories : une grammaire pour lire, une pour dire et une de recul réflexif pour soutenir

les deux premières. Nous l’avons vu, la pratique de la grammaire en classe implique une

posture unique à l’étude de la langue : la double focalisation. En effet, la langue est en

même temps objet et moyen d’étude, ce qui suppose une attitude mentale différente. Cela

suppose aussi son système de termes abstraits pour la décrire : le métalangage. Ce dernier

est un des obstacles principaux à l’apprentissage de la langue.

Au début de l’école obligatoire, la grammaire scolaire a été instaurée et est restée

au pouvoir jusque dans les années septante. « Au pouvoir », cette expression n’est pas

anodine car la grammaire traditionnelle était arbitraire et purement prescriptive. Elle

énonçait des règles qui avaient, semble-t-il, valeur de loi. De cette situation est née chez

les locuteurs une insécurité linguistique31. La grammaire rénovée introduit une réflexion

plus systématique et réduit les incohérences présentes dans la grammaire scolaire grâce

aux apports de la linguistique moderne. Malgré cela, les insécurités des usagers de la

langue restent, chez la plupart, intactes.

La grammaire enseignée pour la grammaire est une manière de créer des inégalités

scolaires. Effectivement, les élèves dont la norme langagière se rapprochent fortement de

ce système possèdent un avantage non négligeable sur les autres élèves. Sans donner de

sens à ces apprentissages, sans mettre en avant que la grammaire nous permet d’envisager

la langue comme un système logique, sans expliquer les objectifs de l’enseignement

grammatical, le professeur privilégie les élèves qu’on appelle « scolaires ».

31 Daniel BLAMPAIN e.al., La langue française de A à Z, Communauté française de Belgique (à l’origine

publié dans le journal Le Soir), Bruxelles, 1995, p.11

36

Oui, la grammaire a des objectifs, un sens. Oui, elle a une utilité et une place dans

le cours de français. Elle sert trois objectifs : améliorer la compréhension en lecture,

améliorer les productions d’écrits et augmenter les capacités réflexives des élèves.

Ce sont ces objectifs que poursuivent les livres présentés dans la seconde partie

de ce travail. Ces ouvrages donnent des pistes (parfois même des séquences entières)

permettant aux professeurs de donner de la grammaire qui fait sens pour les élèves. Ces

livres proviennent tous de la bibliothèque de l’ENCBW, il y a évidemment d’autres

sources disponibles. Ce qui est présenté dans ce travail n’est qu’un échantillon de la

littérature disponible dans le domaine, c’est le fruit de choix personnels basés sur les

différentes lectures qui ont sillonné mes recherches.

Il aurait été intéressant de tester en classe la pratique d’un de ces livres pour

observer comment les élèves réagissent face à une perspective grammaticale différente.

Dans la profession, il y a certainement des professeurs qui pratiquent régulièrement en

classe la réflexivité linguistique avec leurs élèves. Quelles sont les activités

hebdomadaires mises en place dans ce cas-là ? Quels sont les résultats chez les élèves ?

Est-ce un enseignement qui « reste » ? Ce sont toutes les questions qui me sont venues

lors de la rédaction de ce travail mais que, par manque de temps et de place, je n’ai pu

explorer.

En conclusion, ce travail m’aura apporté un nouveau regard sur la grammaire que

j’espère avoir pu transmettre à mes lecteurs. J’ai découvert la richesse des ouvrages que

j’ai consultés et il est bien certain que ma pratique de l’année prochaine en sera marquée.

37

BIBLIOGRAPHIE

1. Monographies

CARDO J., PERET Cl., Un projet pour articuler production d’écrit et grammaire,

Delagrave Edition, Paris, 2007.

COGIS D., Pour enseigner et apprendre l’orthographe : nouveaux enjeux –

pratiques nouvelles. Ecole/Collège, Delagrave Edition, Paris, 2005.

COUPREMANE M. (dir.), Les dynamiques des apprentissages – la continuité au

cœur de nos pratiques – de 2 ans ½ à 14 ans, De Boeck, Outils pour enseigner, Bruxelles,

2009.

DELATOUR Y. e.al., Nouvelle grammaire du français – cours de civilisation

française de la Sorbonne, Hachette Français langue étrangère, Paris, 2004.

DOLZ J. e.al., Didactique du français langue première, éditions De Boeck

Université, collection Pratiques pédagogiques, Bruxelles, 2010.

DOLZ J., SIMARD Cl., Pratiques d’enseignement grammatical : points de vue de

l’enseignant et de l’élève, Les Presses de l’Université de Laval, Québec, 2009.

GARDES TAMINE J., De la phrase au texte : enseigner la grammaire du collège

au lycée, éditions Delagrave, Paris 2005.

LEEMAN D., VAGUER C. (éd.), De la langue au texte – Le verbe dans tous ses

états (2), Presses Universitaires de Namur, Namur, 2005.

LEON R., TISSET C., Enseigner le français à l’école, Hachette, coll. Pédagogies

pour demain, didactiques 1er degré, Paris, 1992.

LEON R., Enseigner la grammaire et le vocabulaire à l’école – Pourquoi ?

Comment ?, Hachette Education, Profession enseignant, Paris, 2008.

RIVAIS Y., Grammaire impertinente, 9 à 15 ans, Retz, Paris, 2004.

TISSET C., Observer, manipuler, enseigner la langue au cycle 3, éditions

Hachette, collection Profession enseignant, Paris, 2005.

38

VAN RAEMDONCK D., Le sens grammatical. Référentiel à l’usage des

enseignants, éditions P.I.E Peter Lang, Bruxelles, 2011.

2. Revues

BLAMPAIN D. e.al., La langue française de A à Z, Communauté française de

Belgique (à l’origine publié dans le journal Le Soir), Bruxelles, 1995.

COMBETTES B., Grammaire et enseignement du français, in Pratiques, n°33,

1982.

3. Sites internet

PIRON S., La grammaire du français au XXe siècle – 2e partie, [en ligne],

http://correspo.ccdmd.qc.ca/index.php/document/des-propositions-pour-renforcer-la-

maitrise-de-la-langue-par-les-cegepiens/la-grammaire-du-francais-au-xxe-siecle-2e-

partie/ (page consultée le 11 août 2016).

Grammaire dans Trésor de la langue française, [en ligne],

http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/saveregass.exe?47;s=3843731025;r=1;; (page

consultée le 25 mai 2016).

39

ANNEXES

Annexe A : Sondage pour les professeurs de français du premier

degré concernant la grammaire et son utilisation

Vous êtes :

• Une femme.

82%

• Un homme.

17%

Depuis quand enseignez-vous ?

1996

13 ans

Depuis 17 ans

2010

2000

14 ans

4 ans (septembre 2012)

1981

Janvier 2016

4 ans

5 ans

28 ans

Six ans

Deux ans

1977

Depuis 1989

1994

Quel est le code postal de l'école où vous enseignez ?

1000

7850

1490

6460

1300

7900

1030

6690

6600

7850

1490

4800

7090

7000

1030

5190

4100

Quelle grammaire choisissez-vous pour votre usage personnel ?

Gobe et Tordoir

Grevisse

39

Le bon usage

Hanse-Blampain

Grevisse

Je vais sur différents sites Internet et j'ai un Bescherelle

Bon Usage

Le Bon Usage de Grevisse

Grammaire de Gosse-Grevisse

Grevisse

Nouvelle grammaire française (Goosse) + Bon Usage

Bescherelle, Grevisse, Grammaire progressive du français (Cle) et je crée un cours

à ma façon.

Grevisse

Toutes

Guide de Grammaire française, DE BOECK mais je retourne souvent fouiner dans

mon bon vieux Grevisse !

GOBBE et TORDOIR, Grammaire française, édition Plantyn

Grevisse

Quelle grammaire utilisez-vous avec vos élèves ?

Activité de grammaire française

Grevisse

Grammaire maison

Mot de Passe Français (Erasme) + Français pour réussir 1+ (Van In)

Aucune

Aucune

Le Nathan Collège (Alain Bentolila)

Nous avions réalisé un syllabus avec les règles de grammaire simplifiée que nous

donnions à nos élèves. A présent, suite à l'avis de l'inspection, les élèves doivent

eux-mêmes construire leurs fiches-outils. La grammaire n'est donc plus utilisée

que pour consultation en classe.

La grammaire intégrée dans le manuel Voie-Active.

Référentiel de grammaire + exercices, réalisés par les professeurs du 1er degré

39

Activités de grammaire française - synthèse - 1er degré (Breckx, Colpaint, Eds

Labor)

Mes feuilles de cours. Pas de manuels chez nous, ils sont trop chers.

Cela dépend

Toutes

Aucune. Les élèves utilisent le référentiel du Texto 3ème ou celui de Voie Active

en 1ère.

Repères grammaticaux, éditions Van In

Aucune, j'amène les élèves à réfléchir sur la construction, l'élaboration, la

structure de la langue.

La grammaire qu'utilisent vos élèves est-elle imposée par votre

direction ?

• Non.

88%

• Oui.

11%

Classez ces critères du plus important (1) au moins important quand

vous sélectionnez une grammaire pour votre usage (déplacez et relâchez

les propositions pour les ordonner de la plus importante à la moins

importantes).

1.8 La précision du contenu.

2.4 L'usage rapide et facile.

4.2 L'apparence des pages intérieures (mise en page, couleurs...).

4.3 La terminologie utilisée (ex : COD ou CDV).

4.8 Exemples tirés de la vie quotidienne.

5.1 L'auteur(e) reconnu(e).

5.4 Exemples tirés de la littérature.

40

Classez ces critères du plus important (1) au moins important quand

vous sélectionnez une grammaire pour vos élèves (déplacez et relâchez

les propositions pour les ordonner de la plus importante à la moins

importantes).

2.5 La précision du contenu.

2.6 L'usage rapide et facile.

3.6 Liens avec des activités pédagogiques.

3.6 La terminologie utilisée.

4.0 L'apparence des pages intérieures (mise en page, couleurs...).

5.3 Exemples tirés de la vie quotidienne.

6.4 Exemples tirés de la littérature.

Pensez-vous à un critère de sélection qui n'est pas mentionné ci-dessus ?

Je regarde à l'utilisation des "nouvelles" terminologies spécifiquement belges

Le prix

Si on devait faire acheter une grammaire… le prix !

L'usage en "livre-cahier d'exercices" que l'élève peut compléter et consulter durant

ses apprentissages.

La cohérence de la table des matières (?). C'est la première chose que je lis, en

fait. La capacité du jeune à s'y retrouver, à trouver l'info dont il a besoin.

Quelle utilisation de la grammaire faites-vous en classe en général ?

• Utilisation collective.

58%

• Utilisation autonome.

52%

• Chaque élève a la sienne.

35%

• Une grammaire pour la classe.

23%

40

A quelle fréquence utilisez-vous une grammaire en classe ?

• Rarement.

35%

• Une fois par semaine.

29%

• Deux à trois fois par mois.

23%

• Plusieurs fois par semaine.

11%

Si vous n'utilisez pas de grammaire, quel est le référentiel que vous

utilisez ?

• Un manuel.

35%

• Un référentiel construit par le

professeur.

29%

• Un référentiel construit avec les

élèves.

17%

• Aucun.

11%

• Internet.

5%

Commentaires anonymes

1. Prôner l'élève au centre de ses apprentissages est très important, je mets à

disposition dans une armoire les référentiels de grammaire, conjugaison, vocabulaire,

ainsi que des documents propres à mes recherches dès qu'une question se pose les élèves

effectuent d'abord une recherche individuelle ou collective et si la solution n'est pas

trouvée j'interviens pour les aider dans la recherche de réponses et non en la leur donnant.

2. J'aime la précision de Grevisse en ce qui me concerne mais mes élèves ont besoin

de simplification et de concret. Je me sers donc de Grevisse pour m'informer, me rappeler

42

des règles... et j'utilise CLE pour adapter la grammaire à mes élèves. Je crée ainsi mon

propre référentiel.

3. Il me semble que la grammaire, c'est le produit des réflexions sur le

fonctionnement d'une langue. D'ailleurs ce produit n'est pas identique si je suis

néerlandophone et que j'apprends le fonctionnement du français en FLE. Parce que je vais

observer la langue avec des outils de réflexion qui sont propres à ma langue. J'ai

l'impression qu'il y a un glissement entre cette réflexion qui donne naissance à une

grammaire et l'outil "livre" ou "manuel" (quand il est pratique et destiné aux jeune) qui

est la somme de ces réflexions.