LA FUITE DES CERVEAUX : QUELQUES ASPECTS DU ...

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UNION INTERPARLEMENTAIRE INTER-PARLIAMENTARY UNION Association des secrétaires généraux de Parlement COMMUNICATION de M. Marc RWABAHUNGU Secrétaire général de l’Assemblėe Nationale du Burundi sur LA FUITE DES CERVEAUX : UN FACTEUR IMPORTANT DU SOUS-DÉVELOPPEMENT 1

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UNION INTERPARLEMENTAIRE INTER-PARLIAMENTARY UNION

Association des secrétaires généraux de Parlement

COMMUNICATION

de

M. Marc RWABAHUNGUSecrétaire général de l’Assemblėe Nationale du Burundi

sur

LA FUITE DES CERVEAUX :UN FACTEUR IMPORTANT DU SOUS-DÉVELOPPEMENT

Session de Nusa DuaAvril/mai 2007

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LA FUITE DES CERVEAUX : UN FACTEUR IMPORTANT DU SOUS-DEVELOPPEMENT

1. Définition de la fuite des cerveaux

La perte de personnel qualifié (à différents niveaux) à cause de l'émigration d'un pays vers d'autres est largement connue sous le nom de ''fuite de cerveaux''. Les définitions de fuite de cerveaux sont multiples et souvent discordantes quant aux typologies des émigrants que l'on y inclut. Ce terme peut en effet se référer exclusivement aux couches plus élevées, qui comprennent les scientifiques et les professionnels hautement qualifiés (highly skilled professionals), aux techniciens spécialisés, voire même aux ouvriers spécialisés.

Ce personnel migrant est généralement composé :

• de personnes ayant un niveau d'instruction élevé qui émigrent des pays en voie de développement pour s'unir à la main d'œuvre de ceux plus développés;

• d’étudiants qui, pour des études ou une formation, se transfèrent dans des pays plus développés en décidant ensuite d'y rester. Les approches théoriques les plus courantes interprétant le phénomène de la fuite des cerveaux conduisent à trois théorie principales :

théorie de l’offre et de la demande théorie du capital humain

théorie de push hand pull

A cela s’ajoute la théorie de « stream and counter stream theory », qui considère que le choix d'émigrer comporte l'évaluation d'une série d'obstacles qui interviennent entre les facteurs d'attraction et ceux de répulsion. Parmi les facteurs qui influencent la décision d'émigrer, Okoli propose les suivants :

facteurs associés au pays d'origine;

facteurs associés au pays de destination;

obstacles qui interviennent;

facteurs personnels.

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Dans cette vision dynamique des migrations, les facteurs "push" et "pull" sont donc enrichis par des facteurs qui interviennent continuellement et peuvent à tout moment changer les équilibres du système de lignes de force en influençant ainsi le processus décisionnel.1

2. Bref historique, ampleur et problèmes causés par la fuite des cerveaux en Afrique

Selon Frère Daniel Boulier (1999), la circulation des élites est un phénomène qui existe depuis des siècles. Les étudiants venus de l’Europe entière se pressaient déjà dans les Universités médiévales pour suivre les enseignements de professeurs de nationalités différentes. C’est vers les années 1950 que ce phénomène considéré jusqu’alors positivement commence à poser problème, et en 1963, le terme de “brain drain” apparaît dans la revue scientifique britannique “The Royal Society” et vise les migrations de scientifiques et d’intellectuels britanniques vers les USA, particulièrement les médecins et les chercheurs en sciences médicales.

Le terme ne s'appliquait pas, alors, à la venue d'étudiants originaires des pays en voie de développement vers les Universités des pays développés. En effet, en 1960, les étudiants étrangers n'étaient que 245.000 et ce n'est que dans les années 1970 et 1980 que leur nombre s'accrut considérablement puisqu'en 30 ans, il a été multiplié par 5, pour atteindre 1.178.000 en 1990 parmi lesquels, au moins les deux 2/3 proviennent des pays en développement).

Comme dans le même temps, il apparaissait que de plus en plus de ces étudiants restaient dans les pays du Nord, une fois leur diplôme obtenu, le terme de “brain drain” leur a aussi été appliqué alors qu'il n'était, au départ, utilisé que pour les migrations de scientifiques et professionnels d'Europe vers les USA.

A partir de la fin des années 1960, un débat a opposé défenseurs du Tiers-Monde considéré comme pillé de ses élites et défenseurs d'un libéralisme où le marché est censé diriger les talents vers les lieux de leur meilleure rémunération et utilisation.

La polémique s'est développée dans les années 1970 et des mesures drastiques furent même proposées pour lutter contre la "fuite des cerveaux", telle que la taxation des pays qui en sont bénéficiaires, au profit des pays victimes. Mais les mesures proposées pour arrêter l'exode ne donnèrent pas les résultats attendus, faute d’être réellement applicables et appliquées.

En 1978, une étude menée dans le cadre de l'UNITAR (Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche), à partir d'une enquête effectuée dans 11 pays, montra que,

1 Source : Tana Worku Anglana, 2002, Au revoir Afrique : Itinéraire à travers recherches, réflexions et débats sur les caractéristiques des nouvelles migrations intellectuelles : ils reviennent, du moins les africains. Guide à la nouvelle diaspora. Lien : http://www.africansocieties.org/fr_giugno2002/fr_guidealanuuvelle.htm

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contrairement aux idées les plus courantes à l'époque, les étudiants restés dans les pays où ils avaient fait leurs études projetaient malgré tout de rentrer dans leurs pays d'origine et aussi que ceux qui restaient à l'étranger n'étaient pas forcément les meilleurs étudiants. Il n'y aurait donc pas eu de "fuite" ni d'"exode" mais une migration seulement temporaire !2

La Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) estiment qu'entre 1960 et 1975, 27 000 Africains ont quitté le continent pour les pays industrialisés. De 1975 à 1984, ce chiffre a atteint 40 000. On estime que depuis 1990, chaque année 20 000 personnes au moins quittent le continent.

Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) note qu'en Afrique, l'élément le plus frappant est l'exil des médecins. Au moins 60 % des médecins formés au Ghana dans les années 80 ont quitté le pays.

Ce phénomène pèse d'un poids très lourd sur le continent, selon Mme Ndioro Ndiaye, Directrice générale adjointe de l'OIM. Pour compenser le manque d'effectifs qualifiés, les pays africains consacrent chaque année environ 4 milliards de dollars à l'emploi d'environ 100 000 expatriés non africains.

Les organisations internationales dont l’OIM, le PNUD, l’Organisation des Nations pour l’Education, les Sciences et la Culture (UNESCO), l’Union Africaine (UA), etc., soulignent que la fuite des cerveaux est un des maux endémiques du continent. L’Afrique subit une véritable hémorragie de la fuite des cerveaux au profit de l’Occident qui en tire des dividendes. Les partants comprennent des chercheurs, informaticiens, médecins, personnels hautement qualifiés, des enseignants, des économistes, des juristes, des religieux, etc. Un préjudice subi au profit de l’Occident qui récupère les bénéfices de longues années de formation.

Les chercheurs du FMI (Fonds Monétaire International) ont remarqué que les travailleurs ayant un niveau de préparation supérieur qui appartiennent à la diaspora de l'Afrique sub-saharienne représentent un pourcentage important de la "pépinière" de travailleurs qualifiés à disposition de leur pays d'origine. En effet, les travailleurs d'environ 61 pays en voie de développement trouvent des places de travail dans des pays comme le Canada, les Etats Unis et l'Union Européenne. Le pourcentage de ces professionnels n'est pas seulement constitué par des professeurs engagés par les diverses universités et centres de recherche, mais comprend aussi des experts en informatique, des avocats, des médecins, des enseignants d'écoles et d'autres travailleurs qualifiés.

2 Boulier D., « La migration des compétences: enjeu de justice et de solidarité internationale », in  People on the Move - N° 81, December 1999. Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People.

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Si l'on se réfère aux affirmations de William Carrington, un économiste du United States Bureau of Labour Statistics, le seul aspect qui rapproche les figures professionnelles présentes dans la diaspora africaine est qu'elles proviennent toutes d'une éducation universitaire. D. M. Logan, spécialiste du Département de Géographie de l'Université de la Géorgie (USA), souligne que le flux d'experts vers l'occident a augmenté dans les années 80 et 90 et que le continent africain a le plus haut taux d'émigrants qualifiés que toutes les autres régions du monde. Aux Etats-Unis, par exemple, 20% des immigrés de l'Afrique sub-saharienne rentrent dans la catégorie "executives and managers ». Les estimations indiquent qu'au moins 100.000 professionnels d'éducation universitaire et provenant du continent africain travaillent et résident dans les seuls Etats-Unis. De plus, trente mille travailleurs possédant une spécialisation post-universitaire et provenant de l'Afrique sub-saharienne travaillent en Amérique du Nord et en Europe, en donnant le jour à des groupes de diaspora de dimensions imposantes.3

Les pays industrialisés ont de plus en plus besoin de deux catégories d’immigrés : ceux qui sont prêts à accepter des emplois mal payés, durs et dangereux, dédaignés par leurs propres ressortissants, et des professionnels hautement qualifiés, tels les experts en logiciels, les ingénieurs, les médecins et le personnel infirmier. Il manque actuellement 126 000 infirmiers aux Etats-Unis et les chiffres officiels montrent que le déficit en infirmiers qualifiés pourrait atteindre 800 000 d’ici à 2020.

Cette tendance donne la conviction que l’Afrique est en train de souffrir d’une mort lente à cause la fuite des cerveaux, ce qui consolide la reconnaissance par les Nations Unies que la fuite des cerveaux en Afrique constitue le plus grand obstacle à son développement.

Par exemple au niveau des statistiques depuis 1990, l’Afrique a perdu 20000 professionnels chaque année. Plus de 300000 professionnels africains résident en dehors de l’Afrique. L’Ethiopie a perdu 75 % de ses professionnels de son personnel qualifié entre 1980 et 1991. La formation d’un docteur coûte 40 000 dollars au Kenya et celle d’un étudiant à l’université 15 000 dollars US. 35 % de l’Official Devlopment Assistance (ODA) pour l’Afrique est dépensé pour les salaires du personnel expatrié (voir OIM).

Le Docteur Lalla Ben Barka de la Commission Economique pour l’Afrique avance même que d’ici vingt cinq ans, l’Afrique risque d’être vidée de ses cerveaux. Bien que les statistiques sur la fuite des cerveaux soientt rares et inconsistants, elles montrent cependant que l’Afrique perd les personnes dont elle a le plus besoin pour son progrès économique, social, scientifique et technologique.4

3 Voir le lien http://www.africansocieties.org/fr_giugno2002/fr_guidealanuuvelle.htm 4 Voir Ainalem Tebeje, 2005, Brain Drain and Capacity Building in Africa. IDRC reports, stories on research in the development world. Link : http://web.idrc.ca/en/ev-71249-201-1-DO_TOPIC.html#aaa

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3. Les facteurs influençant le départ des cerveaux africains

Le bonheur est le terme le plus haut et le plus lointain que tout individu poursuit en ayant le pressentiment de ce que serait une existence comblée. Le bonheur, c’est ce qui est concrètement poursuivi à travers l’idée d’une vie meilleure. Le bonheur est une expérience qualitative unissant la satisfaction et la signification et impliquant à la fois la densité d’un plaisir spirituel et existentiel, et la transparence d’une conscience adhérant à sa propre vie et à ses propres choix.

Le bonheur suppose d'abord une conversion à la liberté qui surgit au cœur même de la dépendance et de la souffrance.

La crise, lieu de naissance d’un nouveau désir, devient comme existence l’origine et la source d’une reconstruction de la vie. Dans l'expérience de la crise, " la conscience prend en fait position contre sa propre souffrance, et cette prise de position est déjà un acte de liberté" (ibid.). Le sujet se trouve alors confronté à un choix crucial : "le mouvement passif vers la destruction ou l'effort actif vers la survie." (….) Bref, il s’agit de considérer la souffrance non comme l’expression d’une structure permanente de la condition humaine, mais comme le surgissement d’une détresse contingente. Il faut se dire ces deux décennies, beaucoup d’Africains n’ont pas connu le bonheur, mais ont plutôt vécu des périodes de crise sans fin. Or, que peut-on comprendre par la crise ? (Robert Misrahi, Qu’est-ce que la liberté ? p. 175).

Sur cette notion du bonheur le rapport du BIT en 2003 dégagent d’intéressantes conclusions :

Les gens dans les pays qui offrent à leurs ressortissants un niveau élevé de sécurité économique ont un niveau de bonheur plus élevé en moyenne, mesuré par des enquêtes sur le niveau de satisfaction dans la vie et l'inégalité en matière de bonheur dans les pays. Le déterminant du bonheur national le plus important n'est pas le niveau de revenu – il existe une association positive, mais l'augmentation du revenu semble avoir peu d'effet à mesure que les individus deviennent plus riches. Le facteur le plus important est le degré de sécurité du revenu, mesuré en termes de protection du revenu et d'un faible degré d'inégalité de revenu.

En revanche, le bonheur ne semble pas être lié au niveau de compétence. Le rapport du BIT constate qu'un niveau élevé de sécurité des compétences, mesuré par un indice incluant des indicateurs d'éducation et de formation, est en réalité inversement lié au bonheur. Le rapport suggère que cela est dû au fait que les emplois correspondent mal aux besoins et aux aspirations des gens, à mesure qu'ils deviennent plus éduqués et qu'ils acquièrent plus de compétences. Il faut ajuster vers le haut la qualité et la mobilité de l'emploi. Actuellement, trop de gens s'aperçoivent que leurs compétences et leurs qualifications ne correspondent pas aux emplois qu'ils doivent exercer, ce qui provoque ce que le rapport appelle un effet de "frustration liée au statut".

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Le rapport montre que la démocratie politique et une tendance favorable aux libertés civiles augmentent sensiblement la sécurité économique et que les dépenses du gouvernement en matière de politique de la sécurité sociale ont aussi un effet positif. Mais la croissance économique n'a qu'une faible incidence sur la sécurité, mesurée sur le long terme.

L’étude du BIT montre en outre que le niveau de sécurité économique lié aux compétences professionnelles est inversement proportionnel au niveau de bonheur. Guy Standing, directeur du Programme focal sur la sécurité socio-économique et un des auteurs de ce rapport pense que cela est dû au sentiment de frustration qu'éprouvent un grand nombre de travailleurs exerçant un emploi qui ne correspond pas à leurs qualifications professionnelles.

Le professionnel migrant qui choisit ou qui est contraint de quitter son pays n’est pas un mauvais patriote comme certains peuvent le prétendre. Pour des raisons d’intolérance et d’insécurité dans son pays (réfugié) ou économiques (pauvreté structurelle souvent résultant de la mauvaise gouvernance dans les pays africains), les individus qui le peuvent n’ont souvent d’autres choix que de partir pour sauver leur peau ou tenter de se construire ailleurs une vie possible, étant condamnés chez eux soit à la mort ou à la désolation.

Dans le cas de l’Afrique noire, la frustration des professionnels est encore plus grande. Imaginez un médecin compétent qui n’arrive pas à sauver les malades parce qu’il manque de médicaments et de matériel de travail. Un informaticien qui enseigne l’informatique sans disposer d’ordinateur, un physicien ou chimiste dispensant des cours sans pouvoir faire des travaux de laboratoire avec ses étudiants. Un chirurgien qui doit opérer des malades sans disposer de salle d’opération convenable et sans disposer de matériel de chirurgieA ce manque de matériel s’ajoute la non-reconnaissance de l’utilité du travail et souvent l’insuffisance voire l’absence et presque pas de gratification. . Cette frustration peut décourager plus d’un si on ajoute à cela le manque fréquent de reconnaissance, que l’on observe souvent chez les employeurs en Afrique.

Tandis que ceux qui travaillent pour développer le pays sont clochardisés, des courtisans qui souvent ne font rien d’extraordinaire s’adonnent aux délices de Capou. Certains intellectuels qui entrent dans les grâces des oligarchies maffieuses finissent par y perdre leur âme et oublient complètement ce menu peuple qui serre la ceinture pour qu’ils puissent faire des études.

Selon Michel Volle (2000), pour délimiter l’économie, et notamment pour répondre à sa prétention d’assurer le bonheur des gens, on identifie les principes qui sont à la racine respectivement de la réflexion économique et de la réflexion éthique, principes auxquels il associe les noms de Pareto et de Rawls. L’auteur cite aussi Husserl dont le principe dit que l’homme est à la recherche de son humanité et qui invite à chacun à prendre une conscience universelle de soi-même.

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L’être humain universel, qui se trouve entièrement en chacun de nous (l’auteur l’appelle « personne » pour la différencier de l’ « individu »)  a pour ce qui le caractérise le mieux l’aptitude à apprendre, à s’assimiler toutes les langues, les métiers, les arts, les savoir-faire, et s’adapter à tous les contextes. Cependant un individu ne maîtrisera qu’une ou quelques langues, qu’un ou quelques métiers, etc. Ses réalisations ne représenteront qu’une petite partie de ce qu’il aurait pu faire.

Le contraste entre le caractère limité de toute réalisation individuelle et le caractère illimité de nos potentialités provoque chez chacun un pénible sentiment d’échec, même chez ceux qui sembleraient avoir le mieux « réussi ». Ce sentiment d’échec, c’est le «  mal métaphysique », maladie dont souffrent tous les êtres humains et qui est inséparable de la nature humaine. Elle est à l’origine de l’ «  envie », dans lequel Dupuy voit «  cette perte radicale de l’estime de soi qui nous saisit lorsque nous comparons notre sort à celui d’autrui». En effet, l’autre n’a pas plus que moi accompli la totalité de ses possibilités, il est donc autant que moi un «  raté » ; mais il a accompli des possibilités que j’ai laissées en friche, et comme elles ne sont pas miennes je leur donne, par une déformation due à la perspective, plus de valeur qu’à mes propres réalisations. De sorte que deux personnes s’envieront mutuellement, chacune estimant supérieures les réalisations de l’autre.

Pour soigner le mal métaphysique, il faut d’abord prendre conscience de son universalité et de sa banalité. Alors peut se développer une sagesse: je comprends que mes lacunes sont non un signe d’infériorité, mais conséquence de ma nature; je comprends que le sentiment d’inachèvement ne m’est pas propre, mais que je le partage avec tous les êtres humains, même ceux qui me semblent les plus «  réussis ». Dès lors ce n’est plus de l’envie que j’éprouve devant les réalisations des autres, mais de la fierté devant ce dont est capable l’espèce à laquelle nous appartenons ensemble. Toutes les œuvres des hommes sont miennes, toutes les langues qu’ils parlent, tous leurs savoir-faire, car si les limites de mon destin ne me permettent pas d’y participer en tant qu’individu j’y participe en tant qu’être humain. Je ne peux certes pas en nourrir un orgueil individuel, mais je peux en nourrir mon respect pour notre espèce et pour les individus porteurs de ses potentialités.

La même personne, la même nature humaine que nous partageons tous, se manifeste ainsi dans la diversité des destins individuels. Cette diversité résulte soit du hasard (pays, langue), soit d’un choix individuel. C’est par l’observation des autres individus que je peux explorer les choix qui me sont offerts et m’y préparer avant que l’expérience ne m’enjoigne de choisir. Si je ne mûris pas mon jugement, ce ne sera pas moi qui choisirai d’être collaborateur ou résistant : les circonstances me conduiront par la main. On ne pourra pas alors me reprocher mon choix, mais on pourra me faire un reproche plus grave : celui d’avoir laissé les événements

choisir à ma place et de leur avoir obéi mécaniquement.5

La lecture de ce passage emprunté à Michel Volle nous montre que le professionnel africain ou l’Africain tout court, partage une communauté de destin avec le reste de l’humanité. Il a comme tout le monde droit à la mobilité et à la recherche d’un lendemain meilleur. Il a droit d’améliorer son destin comme tous les humains et de tirer des conclusions rationnelles de la crise qu’il vit pour rechercher une existence pouvant lui conférer comme on a vu dans la théorie du bonheur, la plénitude, sens et satisfaction. La fuite des cerveaux n’est pas en effet un phénomène africain, mais un phénomène mondial accentué par la mondialisation. Et du reste les cerveaux ont toujours migré vers les endroits où ils se sentaient le plus en sécurité. On parle déjà de la fuite des cerveaux à l’époque du savant grec Aristote dans l’antiquité.

Ernest-Marie Mbonda (2003) nous invite donc à ne pas culpabiliser mais à poser les vraies questions pour tenter de chercher des solutions adéquates à la migration des professionnels africains. Pour dénouer le dilemme du professionnel migrant qu’on veut culpabiliser ou qui culpabiliserait lui-même, l’auteur recourt aux travaux de David Muller et de MacIntrye.

Selon David Miller cité par l’auteur, la communauté nationale historique est une communauté d’obligation. Parce que nos prédécesseurs ont travaillé dur et versé leur sang pour construire et défendre la nation, nous qui y sommes nés, héritons l’obligation de continuer leur travail, dont nous nous déchargeons en partie sur nos contemporains et

5 Voir Chapitre XV : Mise en perspective ; (extrait de Michel Volle, e-conomie, Economica 2000) ; lien :http://www.volle.com/ouvrages/e-conomie/perspective.htm

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en partie sur nos descendants. Les nations seraient vouées à la disparition si leurs membres ne faisaient pas de cette tâche de participer à leur construction une véritable obligation morale et patriotique. Il faut donc qu’il existe de bonnes raisons de partir, pour que ce départ ne soit pas une violation gratuite et une remise en cause de cette obligation patriotique. Il faut, en d’autres termes que les raisons de partir ne soient pas antipatriotiques et que dans le geste même de partir, dans le geste de se détacher, puisse s’exprimer ou se lire un certain attachement à sa patrie.

Chez MacIntyre, l’auteur trouve que l’allégeance d’un individu à sa communauté, est assortie d'un certain nombre de conditions : on ne peut en effet attendre des individus l'allégeance à une communauté politique qui a perdu le sens du bien commun, et qui s'apparente à un casino où le montant de la mise de chaque joueur est dicté par le gain qui est escompté. « Une communauté nationale qui renierait systématiquement sa propre histoire véritable, écrit MacIntyre, une communauté nationale dans laquelle les liens tissés par l'histoire ne seraient pas les liens proprement fédérateurs de la communauté serait une communauté à l'égard de laquelle le déploiement d'une attitude patriotique s'assimilerait, à tout point de vue, à une attitude irrationnelle. »

L’attachement à une patrie n’est raisonnable, du point de vue suggéré ici par MacIntyre, que si cette patrie développe le sens de l’appartenance commune, à travers des politiques et des institutions dont le fonctionnement exprime sans ambiguïté l’idéal de solidarité et de bien commun.

Or les États africains, depuis les indépendances jusqu’à nos jours, ont rarement présenté le visage de véritables communautés politiques, dans le sens que les anciens donnaient à cette notion de communauté. L'histoire de ces sociétés se tisse souvent autour de la problématique du pouvoir à conserver ou à conquérir, ce qui leur donne toutes les configurations d'un champ d’affrontements.

Chaque acteur s'efforce, au mieux de son ingéniosité, à tirer son épingle du jeu, en tâchant soit d'obtenir le maximum d'avantages possibles, soit de résister, simplement, au risque permanent de disparition. Quand le principe régulateur de l'existence dans une société se réduit au « struggle for life », il appartient à chacun de trouver les meilleures stratégies de sa survie et de celle de sa famille. Et quand, parallèlement à l'impossibilité d'assurer cette survie à l'intérieur, se profile l'opportunité de le faire ailleurs, n'est-il pas rationnel, voire raisonnable, de recourir à cette opportunité ?

Les sociétés africaines, qui sont concernées par la fuite des cerveaux en tant que problème par rapport à leur besoin de développement, sont en général celles qui, dès la période des indépendances, ont adopté à l'égard de la classe des intellectuels trois types d'attitudes :

l'intimidation, pour ceux qui, déployant leur sens de la lucidité critique ont tenté de mettre à nu leurs défaillances, leurs ruses, leur mauvaise foi, leur cynisme et leurs fuites en avant. C'est ce qui explique le fait qu'un nombre important d’intellectuels de grande valeur présents à l'étranger soient des exilés politiques.

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L'asservissement du dynamisme intellectuel à l'idéologie et aux pratiques sordides du régime par des stratégies de corruption et de clientélisation politique.

La précarisation et la clochardisation des génies : les salaires des agents de l'armée, de la police, de la gendarmerie, de la justice et de tout ce qui constitue ce que Louis Althusser a appelé « appareils répressifs d'État », de même que ceux des journalistes des médias d'État (« appareils idéologiques d'État ») atteignent le double, voire le triple des salaires des médecins, des chercheurs, d'enseignants d'universités, etc.

La fuite des cerveaux, dans ces conditions, peut être considérée comme le révélateur de la tyrannie des États désertés, et en même temps, comme la réponse à l’obligation pour chaque intellectuel, de valoriser les dons qu’il possède. Et on devrait pouvoir y voir une forme de patriotisme qui n'est pas allégeance à sa communauté, mais à l'humanité à travers une autre communauté qui rend possible la valorisation du génie intellectuel.

Ernest-Marie Mbonda conclut que si l’on la considère comme l’expression d’un manquement à l’obligation patriotique de se dévouer pour sa communauté, il faudrait encore que le patriotisme soit considéré d’emblée comme une vertu. Or cette position ne va pas sans dire. Et même quand on ne partage pas absolument l’approche cosmopolite de la question, on doit pouvoir admettre que ce qui donne sens au patriotisme ce n’est pas la pure fidélité à une communauté, mais l’allégeance à un projet de constitution de bien commun. Il faut donc d’abord présupposer l’existence de pareil projet pour que le choix de l’exode soit considéré comme une « fuite », une dérobade par rapport à l’obligation d’apporter sa contribution au développement de ce projet.6

Le départ en Occident est en partie conditionné par une disponibilité financière qui n’est pas nécessairement à la portée de tous. L’obtention d’un visa n’est pas toujours évidente, l’achat des services de passeurs est généralement très onéreux. Les USA acceptent chaque année un quota d’Africains via leur le programme Green Card et le Canada laisse entrer un certain nombre d’Africains à travers son programme de peuplement. Un bon nombre de professionnels migrants africains arrivent en Occident par les filières clandestines. Les autres arrivent en tant qu’étudiants ou stagiaires et ne rentrent pas après leurs études. Les fonctionnaires font défections lors de missions privées ou officielles.

Comme le résume le Gumisai Mutume (2003) dans le journal Africa Recovery, la banqueroute des économies, un taux de chômage élevé, la violation des droits de l’homme, les conflits armées et l’inadaptation des services sociaux contribuent à la fuite des cerveaux africains.7 On peut ajouter à cela la disponibilité financière parce que beaucoup doivent travailler dur pour se trouver un ticket de départ. Certains pays ont des gens formés, mais n’ont pas une capacité d’absorption pour leur fournir du travail.

6 Ernest-Marie Mbonda, Intellectuels et patriotisme. A propos de la fuite des cerveaux. Université catholiqued’Afriquecentrale. Faculté dephilosophie. http://www.codesria.org/Links/conferences/anniversary-dakar/mbonda.pdf7 Voir Gumasi Mutume, « Reversing Africa’s “brain drain“, in Africa Recovery, Vol.17 2 (July 2003).

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Comment alors persuader les gens de rentrer quand même ceux qui sont au pays ne trouvent pas du travail ?

Suite aux troubles qu’a connu l’Afrique, surtout à partir des années 1990, beaucoup de professionnels ont fui l’insécurité physique et/ou économique. Certains ont transité dans un pays africain tiers avant de pouvoir organiser leur voyage pour l’Occident. Quelques-uns professionnels africains à la recherche d’un pays d’asile ont été envoyés en Australie et en Nouvelle-Zélande par les organismes internationaux qui s’occupent des réfugiés et migrants. Tous les professionnels africains n’émigrent pas nécessairement en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord. On constate que quand l’Europe durcit la politique d’entrée des migrants, le flux migratoire augmente vers le Moyen Orient.

L’Afrique a aussi des pôles d’attractions correspondant à des pays offrant des possibilités d’emploi. Ainsi la Côte d’Ivoire avant la guerre attirait les Maliens, les Burkinabé, les Nigérians, les Sénégalais, etc. Vers le Gabon vont les Camerounais, les Maliens, les Sénégalais, les Congolais de la République démocratique du Congo (RDC), etc. Plusieurs nationalités dont les Mozambicains, les Angolais, les Congolais de la RDC, les Zimbabwéens, les Zambiens, les Malawiens, les Nigérians, les Ghanéens, les Burundais, les sénégais, vont tenter leur chance en Afrique du Sud. La Libye est un pays qui attire beaucoup de migrants, certains pour y travailler, mais d’autres s’en servant de pays de transit vers Occident.

On constate en effet que les flux migratoires de professionnels vont vers les destinations des pays qui drainent le plus de flux financiers. Comme on dit en Afrique, les ruisseaux coulent vers les grandes rivières. Les crises économiques et politiques qui s’abattent sur le continent depuis quelques décennies, dissuadent un grand nombre de rentrer au pays. Crises économiques, taux de chômage élevé, violations des droits de l’homme, conflits armés et manque de services sociaux adaptés, tels la santé et l’éducation, figurent parmi ces facteurs de dissuasion.

Le passé colonial joue un rôle important quant au choix du lieu de destination. Quoique les professionnels migrants partent aujourd’hui dans n’importe quel pays leur offrant les possibilités d’intégration et de travail, on constate jusque dans un passé récent, que les francophones partaient surtout en France, en Belgique et au Québec. Les anglophones partent davantage en Angleterre, Aux Etats-Unis et au Canada anglophone. Un pays comme la Hollande bien que sans passé colonial en Afrique a attiré des Africains autant bien anglophones, francophones que lusophones.

La politique d’asile et d’intégration des migrants dans le pays de destination joue en rôle important dans le choix du pays de destination par le professionnel migrant. De même, la connaissance de la langue, la présence de parents ou de membres de sa communauté d’origine dans le pays de destination influencent la décision du choix. Le migrant se renseigne en effet sur les éventuels pays de destination et la présence de connaissances lui facilite cette tâche. C’est ainsi que certains atterrissent dans un pays tout en sachant que c’est uniquement pour le transit. C’est le cas de migrants qui arrivent en France ou en

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Belgique, mais avec une volonté tenace de partir pour les Pays nordiques, les Etats-Unis ou le Canada.

Traitant le thème de la fuite des cerveaux, Markus Schlegel (1999) se penche sur certains problèmes qu'il considère comme des problèmes-clés. L'isolement de la communauté scientifique africaine, le manque de technologies adaptées à la communication et la nécessité d'avoir une plus grande activité de networking constituent certains des problèmes qui bloquent la recherche et poussent de nombreux chercheurs à s'exiler. L'auteur reporte que, selon une estimation de l'UNCTAD, l'impact de la fuite des cerveaux dû à l'émigration de personnel hautement qualifié âgé de 25 à 35 ans a été évalué en termes économiques à une valeur approximative de 184.000 dollars par tête (aux prix de 1979), et constitue donc une énorme perte économique.8

4. Les raisons d’attraction des cerveaux par certains pays.

On peut se demander maintenant pourquoi certains pays attirent les cerveaux plus que d’autres. Nous allons évoquer ici les cas des Etats-Unis et de la France pour étayer les facteurs d’attraction de ces cerveaux. Nous gardons à l’esprit toutefois que tous les pays développés en général, attirent les cerveaux d’une manière ou une autre, bien que les flux soient bien variables. Les politiques mises en place pour attirer ces cerveaux, les liens historiques, l’existence d’une communauté de parenté déjà installée dans le pays d’accueil, les conditions salariales et les facilités d’intégration, l’insécurité et la dégradation et de l’économie et des conditions de travail dans le pays d’origine jouent un rôle important. Mais l’espérance de trouver un travail en adéquation avec sa formation et son expérience, de recouvrer sa dignité et d’évoluer dans sa carrière me semble être les leitmotivs qui poussent nombreux professionnels du Sud à s’exiler en Occident.

Le cas des Etats-Unis

Dans le monde entier on évoque l’attirance des cerveaux par les USA. Swiss Science and Technology Office9 ont fait une analyse basée sur des résultats d’une enquête exhaustive (352 questionnaires reçus après un envoi à quelques 2500 scientifiques suisses établis aux USA et au Canada sur un total estimé à 85000 détenteurs d’un passeport suisse et d’un diplôme universitaire. L’étude visait à dessiner les tendances et à évaluer les risques pour l’avenir.

L’enquête a révélé que même s’il n’y a plus tellement de terre à défricher, l’esprit pionnier guide maintenant le progrès face au progrès scientifique et au développement technologique. L’une des grandes motivations pour un ingénieur américain est de travailler sur un projet neuf, ambitieux, un peu fou même s’il lui est bien expliqué, avec la perspective d’en voir à terme le résultat sur le marché. Il y a du respect pour les créateurs en Amérique et particulièrement au Québec. Il est frappant selon les 8 Lien : http://www.africansocieties.org/fr_giugno2002/fr_guidealanuuvelle.htm9 Swiss Science and Technology Office, office for Western USA and Western Canada, Consulate General of Switzerland in San Francisco, CA en 1998

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conclusions du rapport d’observer l’immense respect dont peuvent jouir les créateurs, qu’ils soient artistes, penseurs et entrepreneurs. Créer dans un pays neuf, étant l’essence même de son développement, leur avis est écouté, sollicité et souvent intégré dans les processus décisionnels. Valorisés par les médias et présentés comme modèles, les créateurs exemplifient le goût du risque et entretiennent le rêve américain : « what can be dreamed, can be done ».

Selon les conclusions du rapport, les américains ont aussi le goût du jeu. Investir dans le marché des actions est comme parier sur un cheval aux courses. Lancer une entreprise ressemble à une partie de Monopoly, le perdant d’aujourd’hui pouvant être le gagnant de demain. Inventer de nouvelles technologies et leur trouver des marchés stimule le même plaisir ludique que la construction d’un meccano.

L’impermanence : le défricheur a besoin de structures légères, mobiles, flexibles, adaptables. Ce qui est vrai aujourd’hui ne l’est plus demain, et doit être modifié en conséquence. L’improvisation est son pain quotidien. Il y a non seulement une utilité, mais parfois une beauté du provisoire et de l’impermanence, lorsque sont libérées les énergies. L’acceptation de la non-perfection, état provisoire jusqu’à la prochaine idée par essence tout aussi imparfaite, devient un style, qu’il est permis de ne pas aimer.

Le détachement : des maisons sans histoire transformables au gré des envies, des relations sociales plus faciles à quitter car plus faciles à construire, la notion dans une société pionnière, que l’acquis d’aujourd’hui ne l’est plus demain, l’encouragement certainement. Ce n’est pas bien sûr le détachement bouddhiste, mais une remarquable mobilité physique et intellectuelle qui caractérise la société américaine.

La science et la technologie :

Les sciences et la technologie occupent une place privilégiée dans le débat public et au sein des médias. La science et la technologie comme éléments incontournables du progrès et du bien-être ne sont pas ressenties aux USA comme des fatalités, mais comme des défis, des chances à saisir, des paris sur l’avenir. Ceci explique l’attitude très positive de la société nord-américaine face à la recherche universitaire ou l’innovation industrielle. Mais cela peut aussi évoluer en une relation dangereuse entre médias et monde scientifique, et éluder tout débat critique.

La formation comme branche industrielle

Considérée comme une industrie de services, l’éducation, prise au sens large du terme, génère des revenus internationaux qui la classent au 5ème rang du secteur tertiaire. Au moment de la publication de ce rapport en 1998, la Californie par exemple accueillait le plus grand contingent d’étudiants étrangers, soit 50 000 personnes qui dépensaient au moins 700 millions USD par an (465000 et 7 milliards au niveau national). Plus de la moitié de ces étudiants provenaient des neufs pays asiatiques : Japon, Chine, Corée, Inde, Taiwan, Malaisie, Thaïlande, Indonésie, et Hong Kong.

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Au niveau sous-gradué, ces étudiants apportaient du capital et leur fraîcheur intellectuelle. Les Etats-Unis ont compris mieux et plus tôt que les autres comment créer de la richesse avec les chercheurs gradués et post-gradués étrangers. En effet, quel pays réussit partiellement à financer sa recherche nationale par les bourses et salaires qu’amènent les scientifiques venant d’ailleurs ! … Ce n’est pourtant pas qu’en moyenne, le niveau, l’infrastructure et les moyens des institutions américaines soient tellement supérieurs, mais les centres d’excellence sont vraiment excellents et savent le faire savoir.10

Selon Mario Cervantes et Dominique Guellec (2002), en termes absolus, les États-Unis sont le premier pôle d’attraction pour les travailleurs qualifiés étrangers ; 40 % des résidents nés à l’étranger ont un niveau d’éducation tertiaire. Depuis le début des années 1990, environ 900 000 travailleurs qualifiés, principalement des informaticiens en provenance d’Inde, de Chine, de Russie et de quelques pays de l’OCDE (Canada, Royaume-Uni et Allemagne notamment), ont immigré aux États-Unis dans le cadre du programme d’octroi de visas temporaires. De même, 32 % des étudiants des pays de l’OCDE expatriés résident aux États-Unis. De fait, l’enseignement supérieur est une voie importante de captation de matière grise étrangère : en 1999 près de 25 % des détenteurs de visas temporaires H1B avaient fait leurs études dans des universités américaines.

Mais les États-Unis ne sont pas les seuls à exercer un pouvoir d’attraction sur les travailleurs qualifiés. Le Canada attire aussi des talents, et, malgré une modeste perte d’émigrés qualifiés qui vont aux États-Unis, le pays est un importateur net de capital humain. Les flux migratoires vers l’Allemagne et la France sont traditionnellement moins importants, mais ces deux pays tentent eux aussi d’attirer des étudiants, des chercheurs et des informaticiens étrangers. En 2000, l’Allemagne a mis en place un programme baptisé « Green card » pour recruter 20 000 spécialistes des technologies de l’information et à la fin de l’année suivante, elle en avait recruté la moitié, provenant principalement d’Europe de l’Est. De plus, un certain nombre d’économies asiatiques dynamiques, telle Singapour, s’efforcent quant à elles de combler leur pénurie d’informaticiens en recourant à l’immigration de Malaisie, voire de Chine. S’il est vrai que la crise économique vers 2002 réduisait la demande de techniciens de l’informatique et autres travailleurs spécialisés, les compétences étrangères restaient demandées.

10 Voir Christian Simm, 1998, La fuite des cerveaux suisses vers les Etats-Unis. Et si la fuite des cerveaux pouvait être utile ? Swiss Science and Technology Office, office for Western USA and Western Canada, Consulate General of Switzerland in San Francisco, CA

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L’Europe et la politique d’attraction des cerveaux

La migration des professionnels répond à un besoin et à une offre existante. Ceci est confirmé dans le livre vert de la Commission européenne sur la migration économique. Selon le Groupe d'information et de soutien des immigrés – GISTI - association indépendante à but non lucratif, le livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques de la Commission européenne reconnaît l'impact que le déclin démographique et le vieillissement de la population ont sur l'économie et souligne la nécessité de revoir les politiques d'immigration pour le long terme. Des flux migratoires plus soutenus pourraient être de plus en plus nécessaires pour couvrir les besoins du marché européen du travail et pour assurer la prospérité européenne. Ceci met en lumière l'importance d'assurer qu'une politique européenne en matière de migration économique apporte un statut légal et une panoplie de droits garantis qui puisse soutenir l'intégration de ceux qui ont été admis.

Le GISTI souligne aussi que les Européens sont chasseurs de cerveaux : Plutôt que des quotas, une porte largement ouverte aux élites ? Les migrants les plus susceptibles de faire coïncider l'offre et la demande sont ceux capables de s'adapter suffisamment pour affronter les nouvelles situations du fait de leur qualification, de leur expérience et de leurs capacités personnelles. Les procédures de sélection doivent favoriser ces candidats à l'immigration et leur offrir des conditions suffisamment attrayantes » (COM2003).Telle est la ligne directrice de la nouvelle loi sur l'immigration britannique qui offre un accueil plus large aux migrants hautement qualifiés tout en le restreignant pour les autres. Tel est aussi le choix de la loi française qui prévoit :

depuis 1984, des dérogations à la règle de l'opposabilité de l'emploi pour les personnes recrutées à un salaire 1300 fois supérieur au SMIC horaire ;

un statut « privilégié » pour les chercheurs ;

pour les jeunes diplômés, des dérogations aux restrictions provisoires de l'accès au travail des ressortissants des nouveaux Etats membres de l'UE.

Le livre vert envisage une « carte verte » sur le modèle adopté aux Etats-Unis, dispensant des procédures d'examen du besoin économique selon divers critères : salaire et/ou qualification élevés ; secteurs ou régions privilégiés par un Etat membre ; quotas de travailleurs liés à des engagements internationaux des Etats membres à l'égard des pays tiers.11

11 Gisti, À propos du livre vert sur les migrations économiqueshttp://www.gisti.org/doc/actions/2005/livre-vert/index.html

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Le cas de la France

Cette politique de l’Union Européenne a été réaffirmée par le Ministre de l’Intérieur et président de l’UMP Nicolas Sarkozy et le Premier Ministre Dominique de Villepin du gouvernement Jacques Chirac, au lendemain du non français au référendum sur la Constitution européenne. M. Nicolas Sarkozy affirmait qu’il faut reconnaître au gouvernement et au Parlement le droit de fixer chaque année, catégorie par catégorie, le nombre des personnes admises à s'installer sur le territoire français". Ceci, selon lui, pour choisir les flux migratoires et non pas les subir, soulignant en passant que d’autres pays comme la Grande-Bretagne, le Canada, la Suisse l’avaient déjà fait. Un de ses arguments cités est qu’en ce moment, moins de 5 % des immigrés viennent pour répondre à des besoins précis de l'économie, ce qui n'empêche pas les autres de peser eux aussi sur le marché du travail.

Selon toujours le Ministre Nicolas Sarkozy, "il faut un meilleur équilibre entre l'immigration de travail et l'immigration de droit. « Nous devons attirer des travailleurs qualifiés, des créateurs d'entreprises, des chercheurs, des professeurs d'université, par un système de points à la canadienne. Il faut être plus volontariste et exigeant en matière d'accueil et d'intégration »". De son côté, Dominique de Villepin mettant en avant la tradition humaniste de la France s’est refusé à la politique des quotas ethniques ou par nationalité des migrants. Il a soutenu la politique de son ministre de l’Intérieur en disant : "Que nous soyons soucieux de planifier les besoins de l'économie française en prenant en compte par profession ces besoins, en liaison avec les pays sources de l'immigration, quoi de plus naturel".12

Dans son rapport, la mission Weil propose de « Faciliter le traitement des demandes de visa de long séjour des étudiants en acceptant, notamment, de donner au service culturel le rôle principal». Elle précise que «le traitement de l'intégralité du dossier par le service culturel serait la règle et le contrôle par le service consulaire l'exception» et recommande également de mettre en œuvre «le traitement du dossier par correspondance».13

5. Les tentatives de rapatriements des cerveaux par les gouvernements africains et les obstacles au rapatriement massif

Jusqu’à récemment, les pouvoirs publics africains ne semblaient pas s’inquiéter outre mesure du déficit de main-d’œuvre qualifiée, tandis que les organismes de financement du développement aggravaient souvent le problème en obligeant les pays bénéficiaires à 12 Nicolas Sarkozy dévoile ses plans en matière d'immigration. LEMONDE.FR | 09.06.05 | 20h22• Mis à jour le 09.06.05 | 21h38. Avec AFPhttp://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3224,50-660430,0.html13 Weil Patrick, « Mission d'étude des législations de la nationalité et de l'immigration : Pour une politique de l'immigration juste et efficace », Rapport au premier ministre, coll. des rapports officiels, La documentation française, juillet 1997. Cité par GISTI dans Plein Droit n° 38, avril 1998 « Les faux-semblants de la régularisation » LES ÉTUDIANTS ALGÉRIENS EN France Objectif zéro par^Serge Slama, Allocataire de recherche en droit à l'Université de Paris-X Nanterre ; lien : http://www.gisti.org/doc/plein-droit/38/zero.html#fn10

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engager des expatriés étrangers comme condition à l’octroi de prêts. De plus, les hommes politiques qualifiaient souvent leurs compatriotes ayant opté de travailler et vivre à l’étranger de mauvais patriotes. Mais la montée en flèche de l’émigration de personnes qualifiées et les graves carences du continent sur le plan des ressources humaines en ont conduit plus d’un à changer d’avis.

Les présidents Obasanjo du Nigeria, Abdoulaye Wade du Sénégal, Laurent Bagbo de la Côte d’Ivoire et Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud sont parmi les dirigeants qui ont manifesté le plus d’énergie dans la recherche d’une solution à ce problème, tandis le président Yoweri Museveni d’Ouganda a surtout insisté sur le rôle important joué par la diaspora ougandaise dans le financement des projets et dans l’investissement dans son pays. Signe des temps, l’Union Africaine (UA), et le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique - NEPAD ont aussi un volet sur la fuite des cerveaux. L’UA collabore sur la question essentiellement avec l’OIM sur le programme MIDA et aussi avec l’ECOSOC. Différentes autres organisations s’intéressent également à la question.

Ainsi, ces déclarations d’intention n’ont pas conduit à un résultat palpable. Il faudra pour cela poser des actes conséquents et résoudre des problèmes à la base pour que la fuite des cerveaux puisse être atténuée. Beaucoup de professionnels africains voudraient rentrer chez eux pour participer au développement de leurs pays. Malheureusement, ils se heurtent à de nombreux problèmes sans réponses. Les facteurs les ayant poussés à l’émigration persistent souvent dans la plupart des pays d’origine. Certains trouvent alors que c’est un leurre de penser résoudre le problème de la fuite des cerveaux par un retour effectif immédiat des Africains qualifiés sur le continent.

Le savant d’origine nigériane Emagwawali qui vit aux USA, pense que les professionnels africains qui n’ont pas une situation intéressante en Occident vont probablement rentrer, mais émet des doutes quant à voir les personnes intégrées professionnellement revenir massivement vers l’Afrique. Beaucoup de professionnels migrants pensent de plus en plus à s’impliquer professionnellement dans l’aide pour l’Afrique, tout en restant en Occident et en se servant des multimédias pour participer à des programmes de développement. Ils sont disposés aussi à mener des missions temporaires au profit du continent par exemple à travers des programmes d’assistance temporaire comme MIDA et TOKTEN.

La fuite des cerveaux a d’autant moins de chance de s’arrêter rapidement que l’Occident mène une politique d’attraction alors que les pays africains n’ont pas les moyens pour mettre en place une politique incitative cohérente et durable. Ils ne peuvent pas pour l’instant compter sur leurs propres efforts sans recourir à l’aide internationale, ce qui les met comme toujours dans une situation de dépendance.

On constate en effet, que le retour des cerveaux est plus réalisable et plus efficace dans les pays développés et dans les pays nouvellement industrialisés et en transition. Dans les pays hautement industrialisés, la recherche qui conduit à l’innovation est la source la plus importante de la compétitivité. Cette recherche nécessite des matériaux, de l’outillage et de l’infrastructure, mais l’élément humain avec un cerveau très performant est le plus

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important parmi les facteurs clés du succès. Ces pays ont ou mettent en place des centres d’excellences où les chercheurs, les enseignants et les techniciens peuvent faire la recherche et en même temps continuer à acquérir de nouveaux savoirs et nouvelles compétences. Ils ont ainsi plus de chance de voir leurs techniciens et scientifiques émigrés revenir, surtout quand les pays sont stables, l’économie en bonne santé, et qu’ils peuvent assurer leurs salaires régulièrement. Peu de pays africains remplissent ces conditions.

Les émigrants de pays en développement ont plus de probabilité que ceux des pays avancés de s’établir définitivement dans leur pays d’accueil. Une enquête sur les docteurs en sciences et en technologies d’origine étrangère résidant aux États-Unis, montre que la majorité d’entre eux ne prennent pas le chemin du retour, surtout lorsqu’ils viennent de pays en développement : 88 % des Chinois et 79 % des Indiens ayant reçu leurs doctorats aux États-Unis en 1990-91 y travaillaient encore en 1995. En revanche, seulement 11 % des Coréens et 15 % des Japonais titulaires d’un doctorat américain d’ingénieur en 1990-91 travaillaient aux États-Unis en 1995. Cependant, à long terme, la perspective d’un retour de personnes et de capitaux peut constituer une forme de stratégie de développement économique. Par exemple, à Taipeh, la moitié des sociétés établies dans le parc scientifico-industriel de Hsinchu ont été créées par d’anciens expatriés de retour des États-Unis. En Chine, d’après les estimations du ministère des sciences et des technologies, la plupart des entreprises d’Internet du pays ont été créées par des personnes ayant fait leurs études à l’étranger.14

D’un autre côté la population occidentale est vieillissante. La génération du Baby Boom qui comprend beaucoup de personnes qualifiées va à la retraite et doit être remplacée. Le taux de remplacement immédiat étant insuffisant, l’Occident cherche le complément à l’extérieur. A ceci s’ajoute certains secteurs de pointe qui recherchent du personnel qualifié dans les domaines de l’informatique, la biotechnologie, etc. Certains professionnels comme les infirmiers et les médecins sont aussi aujourd’hui beaucoup recherchés.

La fuite des cerveaux se transforme pour de nombreux pays africains en un robuste frein pour l'expansion de l'économie locale. Bien que le nombre d'émigrants africains vers l'Amérique du Nord et l'Europe occidentale soit de très loin inférieur à celui de l'Amérique latine, du Sud-Est asiatique ou de l'Inde, leurs coûts pour ce continent se révèlent énormes. Le problème réside dans le fait que tant que l'on ne s'opposera pas à la fuite des cerveaux de l'Afrique, tous les investissements destinés à l'éducation ne se transformeront pas en gains en termes de meilleures ressources humaines. Les statistiques

14 Mario Cervantes et Dominique Guellec, 2002, Fuite des cerveaux : mythes anciens et réalités nouvelles. OCDE , direction de la science, de la technologie et de l’industrie. Publié en mars 2002.

Lien :http://www.observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/357/Fuite_des_cerveaux_:_Mythes_anciens,_r%E9alit%E9s_nouvelles_.html

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enregistrées en 1997 (FMI), témoignent que l'Afrique perd en moyenne 30% de ses professionnels qualifiés en faveur des pays occidentaux.15

Jusqu’à la fin des années 1980, les politiques nationales et internationales ont focalisé sur des contre-mesures, soit pour empêcher/réguler les flux de compétences, soit pour annuler leurs effets négatifs à travers une taxation. Bien que leur conception technique ait été soigneusement étudiée, elles échouèrent à produire des solutions effectives et réalisables (Meyer et al, 1997).

Aujourd’hui, il apparaît que ces échecs répétés sont essentiellement imputables à certaines faiblesses des postulats théoriques qui soutenaient ces politiques. Elles s’appuyaient, en effet, fondamentalement sur les approches en termes de «capital humain», où la personne qualifiée est conçue comme un bien capital, un actif, individuel, constitué de toutes ses qualifications et expériences professionnelles résultant d’investissements antérieurs. Logiquement, en conséquence, les deux façons d’éviter la perte d’un tel capital consistaient soit à en restreindre les flux par des mesures autoritaires ou négociées, ou bien d’en évaluer le coût monétaire et d’obtenir une compensation financière. Cela ne put fonctionner, parce que, de fait, l’approche par le capital humain reflète seulement une petite partie du phénomène à considérer.16

6. Les mauvaises conséquences de la fuite des cerveaux en Afrique

Les problèmes causés par la fuite des cerveaux en Afrique sont résumés dans ce qui suit par Mme Ndioro Ndiaye de l’Organisation Internationale pour les migrations(OIM, 2000) :

en dépit d’une assistance technique au développement d’environ 4 milliards de dollars US par an, l’Afrique continue de souffrir d’un manque de ressources humaines qualifiées ;

la fuite des cerveaux vers les pays d’outre-mer handicape l’Afrique dans son effort de construction d’économies nationales viables et stables ;

la perte en ressources humaines est difficile à chiffrer, mais on peut estimer à plusieurs centaines de milliers le nombre de personnes ayant quitté le continent pour l’Amérique du Nord et l’Europe mais aussi d’autres régions du globe. Parallèlement, les pays africains emploient quelques 100,000 experts internationaux dans des secteurs vitaux au développement ;

la continuité du phénomène de fuite des cerveaux met en péril l’avenir du continent et accentue encore les disparités de niveau de développement entre l’Afrique et le reste du monde ;

souvent, les professionnels africains quittent leurs pays d’origine afin d’étudier ou de travailler à l’étranger et planifient de rentrer chez eux. Cependant, plus les années passent plus leurs chances et opportunités de retour s’estompent, privant leurs pays d’origine d’un apport d’expertise indispensable ;

15 Voir le Lien http://www.africansocieties.org/fr_giugno2002/fr_guidealanuuvelle.htm16 Voir Meyer et Brown, id. ; lien : http://sansa.nrf.ac.za/documents/french.pdf

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un des facteurs les plus sérieux incitant des jeunes Africains à quitter leurs pays d’origine réside dans la mauvaise qualité des institutions d’éducation supérieures et des universités sur le continent ;

les universités africaines produisent un surplus de diplômés qui ne peuvent être absorbés par les marchés du travail nationaux en raison d’une disparité croissante entre les formations académiques proposées et les qualifications recherchées par les acteurs des secteurs de développement prioritaires ;

l’absence de moyens financiers nécessaires constitue un obstacle majeur au retour des professionnels et de leurs familles; les allocations et bourses d’études n’incluent pas toujours les frais de transport pour le retour vers le pays d’origine ;

selon des enquêtes récentes, les raisons pour lesquelles les professionnels africains quittent leurs pays d’origine résident moins dans les arguments liés aux salaires, que dans les facteurs suivants :

- absence d’opportunités d’accomplissement professionnel ; - absence de positions adéquates dans leur pays d’origine ; - situations et conditions socio-économiques et politiques difficiles ; - profusion de pratiques subjectives dans l’attribution de postes  professionnelles (népotisme, corruption, tribalisme, etc.)17

Pour faire comprendre les dommages causées par la fuite des cerveaux en Afrique, nous recourons à la théorie de la gestion du savoir du cycle de gestion du savoir : Le professionnel qui part a en effet un savoir et un savoir-faire qu’il mettait à la disposition de ses étudiants ou de ses collègues de travail. Le transfert du savoir d’un individu dépend de ses connaissances, de son expérience de travail, de son tempérament, de sa capacité de communiquer, de l’environnement du travail. Ces notions de gestion du savoir et de gestion de compétences sont donc cruciales pour comprendre l’importance de garder les cerveaux sur place. Cela explique également pourquoi les pays qui disposent de moyens essayent de les attirer du monde entier.

Le départ des professionnels crée un vide dans le cycle de gestion du savoir étant donné que ces personnes partantes ont un savoir et une expérience à transmettre aux nouvelles générations. Nous retrouvons les explications dans les lignes suivantes qui expliquent la transmission et la gestion du savoir. Le résumé est fait en se référant au travail de MacIntyire S.G. et al. (2003).

Le cycle de gestion du savoir

Le modèle de la figure 1 montre comment les processus de savoir sont gérés en gestion du savoir (GS) pour transformer le savoir en action et pour atteindre les résultats désirés, c’est-à-dire créer de la plus-value pour l’organisation ou pour des opérations

17 Voir Ndioro Ndiaye, 2000, Le phénomène de la fuite des cerveaux et le programme de retour de personnel qualifié mis en oeuvre par l’OIM en Afrique. IOM – UNECA BRAIN DRAIN MEETING ADDIS ABABA , 22 au 24 Février 2000. Lien : http://www.iom.int/africandiaspora/DDG_Addis_Abeba_2000_02_22.htm

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particulières. Le cycle comprend trois dimensions générales : la gestion, l’application et les personnes :

La gestion consiste à déterminer, organiser, faciliter et acquérir le savoir.

L’application consiste à retrouver efficacement le contenu approprié au moyen de recherches avancées et d’explorations afin d’effectuer du travail et des tâches liés au savoir et à utiliser les résultats pour faire des découvertes.

La dimension des personnes s’intéresse à l’apprentissage, au partage et à la collaboration. C’est la composante de l’éducation du cycle.

Bien que les personnes, individuellement et en groupes, fassent partie de toutes les dimensions, soit comme « producteurs » de savoir de départ, soit comme «consommateurs» de savoir dans les dimensions de la gestion et de l’application respectivement, c’est dans la dimension des personnes que leur contribution à la mémoire collective est maximisée. La technologie peut les aider; mais, en bout de ligne, c’est leur capacité d’utiliser ce qui est disponible et d’innover à partir de là qui créera la plus-value réalisée en GS. Les activités qui se produisent pendant le cycle sont décrites brièvement ci-dessous.

Figure 1: Le cycle de la gestion du savoir.

Source : McIntyre S G., Gauvin M. et Wauszynski B., 2003. « La gestion du savoir dans le contexte militaire. », in Revue militaire canadienne. Lien : http://www.journal.forces.gc.ca/frgraph/Vol4/no1/command2_f.asp

L’extériorisation :

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Recueillir et acquérir : le besoin de recueillir les savoirs explicite et implicite a entraîné la création d’outils technologiques destinés à créer des dépôts d’archivage et à gérer les documents et le contenu. Une des tâches les plus difficiles de la cueillette et de l’acquisition du savoir, c’est d’intégrer l’information provenant d’un grand nombre de « silos » de savoir hétérogènes, éparpillés et disparates.Organiser : Pour créer un système de GS, on a besoin d’une structure qui organise l’information qu’on recueille. Il faut commencer par un modèle du savoir ou métamodèle. Les modèles reflètent les éléments et les courants du savoir qui font partie inhérente de la culture et des processus d’une organisation particulière. Ils donnent un cadre, une structure et un contexte à la banque de connaissances en mettant de l’ordre dans le chaos des données, de l’information et des connaissances. Ils fournissent aussi une structure conceptuelle pour créer des systèmes et des outils de GS. On produit de tels modèles en créant des taxonomies, des ontologies, des réseaux sémantiques, des glossaires, des dictionnaires, des hiérarchies, des dictionnaires analogiques, des plans-guides de sujet et des métadonnées.

La combinaison :

Avoir accès, chercher et disséminer : l’efficacité de l’accès, de la recherche et de la dissémination dépend énormément de la manière dont les connaissances sont organisées tant dans les systèmes technologiques que traditionnels. On utilise communément le moteur de recherche pour ces processus. Ils reposent pour la plupart sur un index en texte intégral qui utilise des méthodes statistiques (par exemple compter les occurrences et l’emplacement des mots) et sur des règles linguistiques. Il y a d’autres méthodes que l’indexation en texte intégral : l’approximation sémantique, les systèmes à langage naturel et les techniques de reconnaissance des formes, qui utilisent des fonctions sémantiques pour améliorer l’efficacité et la capacité de rendement de l’extraction d’un contenu approprié.

L’internalisation :

Utiliser et découvrir : les technologies de GS offrent entre autres la possibilité de retrouver ou de partager les connaissances grâce à des dépôts d’archivage. La « découverte des connaissances » désigne une façon de tirer des connaissances de vastes ensembles de données ou d’informations en y repérant de nouvelles configurations et de nouveaux liens. Les applications sont, notamment, la visualisation, la découverte de données et les agents logiciels.

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La socialisation :

Partager et apprendre : une étude récente d’ IBM Institute for Knowledge Management a conclu que même dans une entreprise qui a une bonne infrastructure de technologie de gestion du savoir, les gens s’adressent encore d’abord à quelqu’un d’autre quand ils cherchent des connaissances et des solutions à un problème. Savoir qui sait quoi dans une organisation, surtout quand elle est aussi vaste et dispersée, est tout un défi. Les réseaux de socialisation qui permettent aux gens d’échanger de l’information sont toujours un des moyens les plus populaires de trouver de l’information . Les technologies qui appuient le partage du savoir et l’apprentissage incluent les portails, la collaboration sur le Web, les technologies intelligentes, l’apprentissage en ligne et l’intelligence de collaboration.

Créer : il va sans dire que la création de connaissances est en soi une activité complexe qui met en jeu des processus sociaux et cognitifs. On l’encourage surtout en créant un milieu dans lequel on met une structure, des outils et des relations à la disposition des créateurs de connaissance afin qu’ils puissent procéder à des échanges tacites-tacites, tacites-explicites, explicites-explicites et explicites-tacites. Après que la conversion du savoir a eu lieu, qu’elle ait été implicite ou codifiée, le cycle en revient à son point de départ, et c’est alors qu’on peut utiliser les outils technologiques.18

Pour entretenir ses possibilités d’apprentissage, une entreprise doit d’abord prendre conscience des compétences qui lui sont fondamentales, ainsi que de la connaissance qui y est attachée. Mais ces actifs en connaissance doivent d’abord devenir explicites avant d’être réellement des actifs. L’apprentissage organisationnel (« organizational learning ») et la mémoire d’entreprise (« corporate memory ») sont deux termes souvent utilisés pour décrire le transfert de connaissance d’un individu ou d’une une communauté de pratiaue (on définit une communauté de pratique.- CoP - comme un groupe dont les membres peuvent partager leur savoir et apprendre les uns des autres sur tous les aspects de leur pratique vers l’entreprise elle-même). La connaissance est alors emboîtée sous forme de leçons apprises, de meilleures pratiques, de « la façon de faire » de l’entreprise, d’anecdotes, de mythes et d’études de cas. L’évaluation de la connaissance, la vérification de la connaissance et la cartographie de la connaissance sont des processus qui servent à capturer la connaissance organisationnelle stratégique détenue par les membres de la direction. Les bases de données contenant les meilleures pratiques et les leçons apprises contribuent à réduire l’incertitude laissée par le départ des vétérans et évitent que l’information ne parte en même temps qu’eux. Conçues adéquatement, maintenues et mises à jour régulièrement, les bases de données des meilleures pratiques et des leçons apprises peuvent aider l’entreprise dans son ensemble à s’améliorer au fil du temps.19

18 McIntyre S G., Gauvin M. et Wauszynski B., 2003. « La gestion du savoir dans le contexte militaire. », in Revue militaire canadienne. Lien : http://www.journal.forces.gc.ca/frgraph/Vol4/no1/command2_f.asp

19 Dr Kimiz dalkir, 2002, Enrayer la perte du capital intellectuel. Une approche à trois niveaux.5 è Congrès international sur la gestion du capital intellectuel> htttp:// texmus.com/documents/Icmarticle_fr.pdf

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Des recherches menées en Afrique entre autres au Niger par Meunier (2001 : 383) montrent que l’apprentissage sur le tas a dévoilé ses limites dans l’ensemble des filières productives en matière d’innovation, il n’est pas très porteur puisqu’il permet avant tout de reproduire les savoir-faire des maîtres artisans, même si parfois on peut assister à quelques adaptations locales. Lorsque la production nécessite des équipements de type industriel, les formations en maintenance deviennent essentielles. Quand l’atelier commence à diversifier sa production ou les réparations, des formations plus théoriques sont nécessaires, mais aussi une initiation aux méthodes de gestion et des connaissances de la législation du travail. La conception elle-même de l’apprentissage a commencé à être remise en cause dans la plupart des secteurs artisanaux (et bien entendu industriels) où la mécanisation des outils de production tient une place centrale dans l’organisation du travail.

Le rapport du PNUD (2001, 38), mentionne que les start-ups, les laboratoires, les finances et les entreprises convergent vers de nouveaux centres d’innovation où se créent des synergies entre le savoir-faire, les capitaux et les opportunités. La présence de scientifiques de haut niveau et d’entrepreneurs ambitieux en provenance du monde entier attire les investisseurs. Il ajoute qu’un pays doit continuer à développer ses ressources humaines, car les succès et les échecs des individus comme des nations, de même que la prospérité de l’humanité, dépendent de l’aptitude à exploiter intelligemment les facteurs humains. Tout au long du XXè siècle, le développement économique a reposé sur des éléments tangibles : le capital, le travail et les ressources naturelles. Dans ce nouveau siècle en revanche, l’avantage compétitif des pays se jouera sur les éléments intangibles que sont l’information et la créativité. Par conséquent on doit stimuler le potentiel des citoyens en stimulant leur esprit de créativité et d’initiative, les personnes et les pays même défavorisés en terme de capital, de travail et de richesse naturelles, seront en mesure de prospérer (voir discours de Kim-Dae Jung, in PNUD rapport sur le développement humain (2001 : 24)

7. Utiliser la diaspora intellectuelle: une stratégie prometteuse

Les diasporas sont intéressantes pour les pays d’origine pour beaucoup de choses, mais principalement pour les rémittences et le transfert de technologie.

Les professionnels migrants envoient à leurs familles de l’argent soit pour les aider directement dans leur vie quotidienne, soit pour créer des petites et moyennes entreprises ou de petits projets de développements. Les pays comme, les Philippines, le Mexique, le Portugal, le Pakistan, l’Inde sont les plus souvent cités, mais dans le monde il y en a plusieurs autres. En Afrique les sommes envoyées dans leurs pays par les Ghanéens, les Nigérians, les Sénégalais, les Camerounais, les Rdcongolais, les Marocains, les Burkinabe, les Maliens, les Algériens , les Ethiopiens, les Somaliens, les Erythréens, etc sont loin d’être négligeables.

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Le rapport de la Banque Mondiale montre clairement que quel que soit le profil des migrants — qu’ils soient scolarisés ou non — leurs envois de fonds contribuent effectivement à faire reculer la pauvreté dans leur ancien pays. Près des 200 millions de personnes vivent hors de leur pays d’origine, et ils effectuent des transferts qui, selon les estimations, atteindront environ 225 milliards de dollars en 2005, à en croire une publication imminente de la Banque intitulée Global Economic Prospects 2006.

Selon François Bourguignon, économiste en chef de la Banque mondiale et Vice-président, Économie du développement, les données de l’enquête auprès des ménages telles que présentées dans l’ouvrage démontrent l’existence d’un lien entre migration et réduction de la pauvreté.

Il ressort d’une enquête réalisée auprès des ménages des Philippines que les transferts qu’ils reçoivent contribuent à atténuer le phénomène du travail des enfants, à accroître la scolarisation des enfants, à augmenter le nombre d’heures consacrées au travail autonome et à accroître le taux de personnes qui lancent des entreprises exigeant des capitaux importants. L’étude de cas portant sur le Guatemala révèle que les envois de fonds y ont réduit le niveau et la gravité de la pauvreté. Le plus grand impact a été ressenti au niveau de la gravité de la pauvreté, les transferts constituant plus de la moitié du revenu des 10 % des familles les plus pauvres. Le rapport fait apparaître que les fonds envoyés par les migrants au Guatemala ont davantage été consacrés aux investissements — tels que l’éducation, la santé et le logement — qu’aux aliments et à d’autres produits.20

La diaspora aujourd’hui est aussi intéressante dans le transfert de sa technologie. On parle on parle de plus en plus aujourd’hui de la circulation des cerveaux que de la fuite des cerveaux. De plus en plus de gens sont persuadés que cette circulation des cerveaux n’est pas une perte pour le pays d’origine, d’où la recommandation par les spécialistes de la questionaux pays en voie de développement de recourir à « l’option diaspora ».

L’approche de la « diaspora option » part de la supposition que nombre des émigrants n'ont pas l'intention de revenir, qu'ils se sont établis à l'étranger et qu'ils mènent leur vie professionnelle et privée dans les pays d’accueil. Ces personnes s'intéressent toutefois à leur pays d'origine et ce, grâce à des liens de nature culturelle, affective ou familiale. Dans ce cas, l'objectif de cette stratégie est de créer des voies à travers lesquelles ces personnes peuvent être effectivement impliquées dans les processus de développement, en évitant la nécessité d'un retour physique permanent ou temporaire.20 Fuite massive des cerveaux de certains des pays les plus pauvres du monde. Voir Lien : http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/NEWSFRENCH/0,,contentMDK:20696231~pagePK:64257043~piPK:437376~theSitePK:1074931,00.html

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Il est nécessaire de clarifier que ce genre de relations entre les intellectuels expatriés et leur pays d'origine qui ont toujours existé dans le passé ; mais ce qui est nouveau de nos jours est la possibilité offerte à ces contacts sporadiques et exceptionnels de devenir multiples, étroits et systématiques.

L'avantage fondamental de la "diaspora option" est qu'elle n'a pas besoin auparavant de substantiels investissements en infrastructures, puisque qu'elle consiste à capitaliser des ressources existantes. C’est pourquoi on peut affirmer qu'elle est à la portée de tous les pays qui ont la volonté de mobiliser les capacités cognitives, sociales, politiques et techniques de leur diaspora.

Ceux qui défendent la diaspora option ne manquent pas d’arguments. La sociologie des sciences et des techniques en soulignant le rôle des communautés scientifiques, montre qu’elles ne sont pas uniquement sociales ou institutionnelles, mais aussi cognitives. Ces études montrent aussi que cette socio-cognition est très spécialisée et exploitée localement dans des conditions difficiles à dupliquer et à répliquer, impliquant la connaissance tacite, en partie collective construite à travers le travail quotidien en groupe et nécessitant l’enculturation de l’individu. Dans ces conditions, les compétences et les activités de l’individu n’acquièrent un sens et ne génèrent des résultats qu’en relation avec ces entités humaines et non humaines avec lesquelles elles sont liées.

Ainsi, dans le domaine de la science et la technologie, la connaissance incorporée par les personnes (capital humain) est une parmi de nombreuses ressources et précisément une dont la valeur et l’efficacité dépendent de la combinaison avec les autres. La preuve empirique de ce fait est fournie par les nombreux exemples de scientifiques ou ingénieurs talentueux, mal ou sous-utilisés lorsqu’ils retournent dans leur pays d’origine où leurs compétences sont déconnectées de ce qui les rendaient performantes. Ceci conduit à une approche mettant l’accent sur la connectivité et qui se départit des postulats traditionnels de la fuite des cerveaux.

L’intérêt de cette stratégie est qu’en travaillant avec les réseaux de leurs diasporas qualifiées, les pays d’origine ont non seulement accès à leurs capacités individuelles mais aussi au réseau socio-professionnel où ils sont insérés. En parlant de ces réseaux, Meyer et Brown leur suggèrent le but précis de connecter les membres de la diaspora les uns aux autres et en direction de leurs pays d'origine, en organisant l'échange de capacités et de connaissances. Selon ces auteurs, il existe actuellement 41 réseaux de ce genre qui sont liés à trente nations différentes.21 L’Afrique du Sud a choisi l’option diaspora, entre autres comme solutions pour son développement, en créant le réseau SANSA (South Africa Network of Skills Abroad : Réseau Sud-Africain des compétences de l’extérieur). Ce réseau s’est constitué au cours de l’année 1998 à l’initiative de l’Université du Cap et de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Son objectif est d’associer à distance la diaspora intellectuelle sud-africaine au développement du pays. Outre l’Afrique du Sud, le Nigéria et le Kenya ont eux aussi créé leur réseau de diasporas intellectuelles : l’Association des Nigérians de l’étranger (Association of Nigeria Abroad

21 Voir Meyer et Brown, id. ; Lien : http://sansa.nrf.ac.za/documents/french.pdf

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- ANA) et l’Association des Kenyans de l’étranger (Association of Kenyan Abroad - AKA).

Le PNUD a lui aussi donné le jour à un programme de création de Knowledge Networks: le Transfert of Knowledge Through Expatriate Nationals (TOKTEN), via ce programme, le PNUD aide les émigrés qualifiés à faire de brèves missions de travail dans leurs pays d'origine, pour des consultations dans des projets de développement et pour des collaborations avec les universités locales. La "diaspora option" s'avère être ainsi une stratégie de coopération au bénéfice mutuel des pays d'origine et de ceux qui accueillent les émigrants qualifiés. En effet, d'une part le pays d'origine peut profiter de la contribution des ressources intellectuelles et sociales des membres de sa diaspora. Et, de l'autre, le pays d'accueil ne subit aucune perte puisque les infrastructures comme le capital humain ne lui sont pas amputés22

Selon Joachim Emmanuel Goma Thethet, parmi les solutions qui s’offrent en ce début de siècle au continent africain, en vue de sortir de la grave crise dans laquelle l’ont plongée ces quarante dernières années, l’option diaspora semble une piste qui n’a pas encore été suffisamment explorée. Elle pourrait jouer un rôle déterminant dans les nouveaux programmes africains de développement notamment en ce qui concerne les questions de compétences et de l’épargne nécessaires au développement. L’Afrique est dans une situation paradoxale du point de vue des compétences nécessaires à son développement. Le continent souffre d’une pénurie des cadres de haut niveau, mais dans le même temps dispose à l’extérieur, dans les grands pays industriels du Nord, de nombreux cadres hautement qualifiés.

L’utilisation de ce capital intellectuel nécessite la résolution d’un certain nombre de préalables qui sont des freins réels à la réinsertion des expatriés ou à l’installation des Africains-Américains. Il y a la question cruciale de institutions de recherche scientifique et technique, d’enseignement supérieur et d’éducation générale, ainsi que les conditions du développement technologique et industriel. Toutes ces questions doivent être vues dans un cadre de développement global axé sur l’épanouissement total de l’homme africain. Tant qu’un minimum de conditions matérielles et psychologiques ne sera pas réunies; il sera difficile que des Africains ou des Africains-Américains abandonnent leur situation privilégiée en Occident pour venir en Afrique fusse-t-il au nom du panafricanisme. Il faut donc œuvrer à faire de l’Afrique un espace de démocratie, de libertés, de paix et de sécurité, un espace où la personne humaine est sacrée et où l’initiative privée est garantie. De nombreux projets africains n’ont pu voir leur réalisation faute de financement. Au lieu de se tourner vers des bailleurs de fonds ou d’hypothétiques investisseurs étrangers qui ne s’intéressent qu’aux secteurs jugés rentables, négligeant ceux qui se rapportent au social, l’Afrique devrait voir dans quelle mesure sa diaspora pourrait intervenir. Les économistes devraient étudier comment

22 Source : Tana Worku Anglana, 2002, Au revoir Afrique : Itinéraire à travers recherches, réflexions et débats sur les caractéristiques des nouvelles migrations intellectuelles : ils reviennent, du moins les africains. Guide à la nouvelle diaspora.

Lien : http://www.africansocieties.org/fr_giugno2002/fr_guidealanuuvelle.htm

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utiliser l’épargne des communautés africaines de l’extérieur et celui des Africains-Américains pour le développement de l’Afrique.23

8. Conclusions

Ce travail nous aura montré qu’après les indépendances des pays africains, dans les années 60, la grande majorité des étudiants et stagiaires rentraient chez eux à la fin de leur formation. Il est vrai qu’à cette époque la personne terminant ses études en Occident n’avait aucun problème à trouver du travail à son retour En outre, la situation d’instabilité due aux dictatures et à l’extension de la Guerre Froide en Afrique, qui les a accompagnée, n’était pas encore répandue dans plusieurs pays.

Plusieurs facteurs sont à la base de la migration des professionnels africains aujourd’hui à savoir : l’insécurité physique et économique, le chômage et l’absence de sécurité sociale, la fracture scientifique entre l’Afrique et l’Occident. Dans bon nombre de cas, ces problèmes sont liés principalement à la mauvaise gouvernance et un ordre économique international défavorable en général aux pays pauvres. Il y a également des Etats qui manquent tout simplement de ressources naturelles, et qui sont aussi parfois handicapés par les calamités naturelles. Ceux-ci peuvent être excusés pour cette fuite de cerveaux, du moment qu’ils s’investissent comme ils peuvent dans la recherche du bien de leurs populations. Malheureusement, parmi ceux qui partent, seule une partie peut trouver un travail dans son domaine de compétence. Le reste est condamné au chômage ou à devenir des ouvriers diplômés non qualifiés (ODNQ).

Peut-on culpabiliser ceux qui partent comme le font un certain nombre de citoyens africains ? Un bon nombre de pays africains, surtout en Afrique noire, ont connu des crises profondes qui ont bouleversé la vie des gens à cause de l’insécurité physique (guerres) ou économique (guerre, mauvaise gouvernance, calamités naturelles). Mais ce qui révolte surtout les peuples africains, c’est la mauvaise gouvernance pratiquée par les élites africaines en collaboration parfois avec une « certaine élite occidentale ».

Le professionnel africain qui tente d’échapper à des conditions d’insécurité physique ou économique en mettant en péril son existence, n’a pas à culpabiliser parce que comme le dit MacIntrye : « L’attachement à une patrie n’est raisonnable, que si cette patrie développe le sens de l’appartenance commune, à travers des politiques et institutions dont le fonctionnement exprime sans ambiguïté l’idéal de solidarité et de bien commun », ce qui n’a pas été le cas jusqu’aujourd’hui dans  plusieurs pays africains.

23 Goma Thethet J. E., Contribution des Africains de la Diaspora au Panafricanisme (du milieu du XIXè siècle au début du XXIè siècle). 10ème ASSEMBLEE GENERALE« L’Afrique dans le nouveau millénaire ». CODESRIA, Dakar.http://www.codesria.org/Archives/ga10/papers_ga10_12/Diaspora_Thethet.htm

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Comme nous avons pu le voir chez Robert Misrahi, l’homme aspire au bonheur qui est concrètement poursuivi à travers l’idée d’une vie meilleure. Le rapport du BIT montre que quand les gens s’aperçoivent que leurs compétences et leurs qualifications ne répondent pas aux emplois qu’ils doivent exercer, ils subissent un effet de « frustration lié au statut ». Si à cela s’ajoute la non-reconnaissance, un mauvais salaire et l’insécurité, les facteurs sont remplis pour pousser les professionnels africains.

Vu sous l’angle de la théorie des besoins de Maslow, les situations de guerres cycliques et incessantes dans beaucoup de pays africains créent l’insécurité chronique. Les professionnels peuvent voir en quelques jours ou heures, leur vie basculer de l’étage des besoins d’estime de soi à celui des besoins physiologiques. Si cela arrive à une personne plusieurs fois dans la vie, et qu’elle parvient à en réchapper, elle peut décider de faire un voyage sans retour. Personne ne peut lui en vouloir parce que même si la situation évolue, il peut garder en souvenir le traumatisme de la souffrance qu’il a endurée, en voyant continuellement les images des atrocités qu’elle a laissées derrière elle.

Le retour en outre est aussi une décision de famille et ce n’est pas toujours l’unanimité quand dans le couple chacun se situe par rapport à ses réalisations, à la période de référence, et à la projection dans le futur. Le point de vue des enfants doit aussi être aussi tenu en compte si les parents ne veulent pas subir des repoches de leur part dans l’avenir.

Aucun peuple n’est né pour souffrir ou vivre dans la terreur, c’est une position que chaque être humain cherche à quitter au plus vite. Simone Weil dit avec raison que la peur ou la terreur, comme états d'âme durables, sont des poisons presque mortels, que la cause en soit la possibilité du chômage, la répression policière, la présence d'un conquérant étranger, l'attente d'une invasion probable ou tout autre malheur qui semble surpasser les forces humaines.

En dehors du manque de ressources naturelles et de la créativité, les problèmes dans plusieurs Etats africains résultent de ce que Marcel Nguimbi qualifie de l’identité close.

« L’identité des identités ou l’identité close caractérise une répétition de l’histoire dont la caractéristique essentielle serait de passer des conflits communautaires locaux vers des conflits communautaires internationaux, cela à perpétuité. Or, l’Afrique connaît, de nos jours, des problèmes et défis tellement exigeants que l’ « identité historique » ne saurait résoudre ni relever. L’on devrait, alors, cesser de toujours chercher le nouveau sur les traces de l’ancien, réel foyer du processus des violences que nous attirent aussi souvent nos potentialités en matière de richesses naturelles. L’auteur dit que pour nous en sortir « notre identité doit être ouverte au Monde, plutôt que de continuer à se scléroser sur soi. L’Afrique, l’identité de l’Afrique, doit s’ouvrir aux identités du Monde, seul gage d’un véritable sens d’humanité, de paix, de stabilité sociale, économique, culturelle, politique, scientifique ; c’est-à-dire, d’une vie où les élans de violence communautaire vont décroissant, et la sécurité collective est garantie, parce que les droits humains sont respectés dans un partenariat d’intérêts mutuels et d’engagements contraignants sur un destin commun.»

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Au niveau de la formation nous avons vu l’importance de garder les personnes expérimentées dans la gestion et le transfert du savoir. Le départ de ces professionnels crée des vides au niveau du savoir et des ruptures au niveau du transfert des connaissances, ce qui hyothèque la qualité scientifique des générations suivantes. Or nous avons vu qu’en Afrique, il y a une énorme fracture scientifique à réparer vis-à-vis des autres continents.

Nous avons constaté que les pays qui attirent le plus les cerveaux sont ceux qui parviennent à créer des conditions pouvant contribuer à leur épanouissement c’est-à-dire pouvoir offrir des salaires intéressants, créer des centres d’excellence pour la recherche, éprouver de la reconnaissance envers les plus méritants.

La reflexion nous montre aussi que les gouvernements et les citoyens restés au pys ne doivent pas considérer les migrants professionnels comme de mauvais patriotes surtout quand la situation au pays et le comportement des dirigeants le justifie. Il faut plutôt travailler pour la stabilisation des pays africains pour permettre aux citoyens du pays et ceux qui souhqitent y retourner y vivre de pouvoir y mener une vie possible. Autrement nous avons constaté que même si la fuite des cerveaux constitue une perte pour le pays au niveau du savoir et du transfert des connaissances, il y a une partei de cette perte qui peut être compensée par les rémittences et le transfert de technologie. Ce transfert de technologie peut se faire à distance en recourant aux nouvelles technologies de l’information (Internet, Videoconference, groupes de discussion, etc) ou par des missions temporaires effectuées par les professionnels migrants dans le cadre de TOKTEN, MIDA ou autre organisations pouvant se mettre en place. A ce sujet, il y a des réseaux déjà fonctionnels dans le cadre du transfert de technologie ou création des entreprises dans les pays d’origine. Nous ne pouvons qu’encourager les migrants professionnels des pays africains restants à suivre e bon exemple.

A la fin de ce travail, en tenant compte de la mondialisation, parlons plutôt de la circulation des cerveaux que de la fuite des cerveaux, en espérant que les pays et leurs professionnels migrants vont de plus en plus chercher des terrains d’entente pour collaborer synergiquement dans le développement de leurs pays, dans la lutte contre la pauvreté, dans l’expansion de la démocratie et l’instauration de la bonne gouvernance.

Je vous remercie.

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