La France périphérique et marginalisée : les raisons du ressentiment

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LA FRANCE PÉRIPHÉRIQUE ET MARGINALISÉE : LES RAISONS DU RESSENTIMENT Laurent Davezies et al. Editions Esprit | Esprit 2013/3 - Mars/Avril pages 23 à 33 ISSN 0014-0759 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-esprit-2013-3-page-23.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Davezies Laurent et al., « La France périphérique et marginalisée : les raisons du ressentiment », Esprit, 2013/3 Mars/Avril, p. 23-33. DOI : 10.3917/espri.1303.0023 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions Esprit. © Editions Esprit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 15h11. © Editions Esprit Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 15h11. © Editions Esprit

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LA FRANCE PÉRIPHÉRIQUE ET MARGINALISÉE : LES RAISONS DURESSENTIMENT Laurent Davezies et al. Editions Esprit | Esprit 2013/3 - Mars/Avrilpages 23 à 33

ISSN 0014-0759

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-esprit-2013-3-page-23.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Davezies Laurent et al., « La France périphérique et marginalisée : les raisons du ressentiment »,

Esprit, 2013/3 Mars/Avril, p. 23-33. DOI : 10.3917/espri.1303.0023

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TOUS PÉRIURBAINS !

LE PÉRIURBAIN, TERREAU DU POPULISME ?

La France périphériqueet marginalisée :

les raisons du ressentiment

Entretien avec Laurent Davezies et Christophe Guilluy*

ESPRIT – Le lien entre vote Front national et territoires périurbainsa constitué l’une des « révélations » importantes de la dernière élec-tion présidentielle. Il a même fait l’objet d’une analyse par JacquesLévy, qui propose une corrélation entre le degré d’appartenanceurbaine, le « gradient d’urbanité », dit-il, et ce vote1. On peut partirde cette hypothèse et essayer d’en expliciter les attendus, aux deuxextrémités – le territoire et l’urbanité – de ce degré d’appartenance àl’urbain.

Pour autant que le territoire est du côté de l’approprié, dutransmis, est-ce que cela n’entraîne pas un rapport au politique del’ordre du subi, d’un ordre qui s’impose, d’une appartenance parl’ancrage des hommes dans la durée au sein d’un territoire et qui vas’opposer à l’errance, à l’étranger, va justifier l’imposition à celui-cides normes du territoire, une prévalence de l’habitant sur l’intrus ?

Tandis que l’urbain (celui qui renvoie à l’urbanité) paraît du côtéd’une manière d’être ensemble qui évoque plus le vouloir que le subi,le mouvement que le fixe, parce qu’il réunit des individus qui se trouvent

Mars-avril 201323

* Laurent Davezies est l’auteur de la Crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale, Paris,Le Seuil, coll. « La République des idées », 2012. Christophe Guilluy, géographe, a publiéFractures françaises, Paris, François Bourin, 2010.

1. Voir « Cartogramme du vote Le Pen, 22 avril 2012 », Laboratoire Chôros/JacquesLévy/École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), paru dans Le Monde, 24 avril 2012.

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réunis par leur part d’étrangeté, dans un rapport au politique qui estde l’ordre du rassemblement volontaire, de la manifestation.

Bien sûr, s’agissant du périurbain, il entre du choix dans lasituation des habitants. On peut même dire que c’est le peuple volon-taire – celui de la ville – qui choisit de sortir de la ville pour acquérirun statut territorial, une légitimité. Le périurbain représente ainsi unetransaction entre les deux registres du subi et du voulu. Mais qu’est-ce qui fait que cette transaction, au lieu de constituer une résolutionheureuse de la tension entre les deux registres du politique, peuttourner au ressentiment contre le politique, et donc au vote populiste ?

La France périphérique

Christophe GUILLUY – La question du périurbain est apparue dansle contexte du vote pour le Front national aux élections de 2012 ;de même, on s’est remis à parler des « classes populaires ».

Parler de « périurbain », cependant, me semble réducteur. Jepréfère le terme de « France périphérique », car il y a un continuumsocioculturel entre les marges périurbaines, les petites villes, lesvilles moyennes, les espaces ruraux. Il y a une dimension territorialebeaucoup plus vaste que le périurbain, dans laquelle on retrouve lesclasses populaires. De même, le vote pour le Front national peut êtrerural, urbain, périurbain. Le lien que l’on a fait, au moment de l’élec-tion, entre le vote FN et le lotissement pavillonnaire, est absurde,et dramatique, parce qu’il ne permet ni de comprendre le vote FNni de comprendre le périurbain. Cette essentialisation du périurbainrappelle celle des banlieues. Or, la question qu’il faut se poser est :l’angle territorial est-il le bon pour comprendre ces phénomènes dedéclassement, de relégation, d’abandon du politique ? Le lien entrevote et territoire doit être manié avec prudence, car ce qui se définitlà, c’est un rapport au monde, à la grande ville, aux quartierssensibles, etc.

Cette France périphérique (où vit environ 60% de la population)est le théâtre d’une recomposition des classes populaires. Le faitqu’une proportion importante d’ouvriers vote pour le FN n’est pasun phénomène nouveau ; en revanche, ce que l’on a constaté aucours des dernières élections, c’est la hausse du nombre d’em-ployés, de femmes, de salariés du secteur tertiaire et de la fonctionpublique (les agents des catégories B et C), qui ont voté pour le Frontnational. Ce sont des nouvelles catégories populaires, qu’hier encore

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on appelait les « classes moyennes ». Il faut donc comprendre cetteFrance périphérique à l’aune de la ruine des classes moyennes, oudu moins de la fragilisation d’une partie d’entre elles.

La France métropolitaine (celle des grandes métropoles, soitenviron 40% de la population) se définit par un double mouvementde gentrification et d’immigration. La mobilité y est forte, aussi bienpour le cadre que pour l’immigré, même si elle est plus ou moinschoisie, et donne naissance à une certaine vision de la ville-monde.La France métropolitaine comprend donc les banlieues. Dans laFrance périphérique, en revanche, les mobilités sont contraintes, oun’existent pas.

Laurent DAVEZIES – Il est faux d’en rester à une vision binaire,qui opposerait des territoires centraux de riches et des territoirespériphériques de pauvres. En France, la pauvreté est plutôt concen-trée, en réalité, dans les centres urbains. Et le vote FN est impor-tant dans certains territoires périphériques, et pas dans d’autres. J’aifait, après l’élection présidentielle, la carte des 6 000 communes quiont placé Marine Le Pen en tête au premier tour2. Il ne s’agit pasd’un échantillon social, mais spatial (qui ne représente qu’une frac-tion des gens qui ont voté pour le FN aux présidentielles). On voitbien que ces communes se situent, au nord et à l’est, dans des terri-toires qui souffrent de la mondialisation et de la crise, en PACA etdans la vallée de la Garonne.

Même s’il est difficile de mettre en place des catégories biendéfinies, on peut tout de même se demander ce que sont ces terri-toires, ce qu’ils ont en commun. Il s’agit, en moyenne, de petitescommunes (moins de 800 habitants), où la part d’immigrés est plusfaible qu’ailleurs, où les femmes travaillent moins, où les habitantscultivent encore ce que j’appellerais le rêve américain : une maisonindividuelle en propriété, un jardin, deux voitures… Le lieu detravail y est 25 % plus éloigné du lieu de vie par rapport à lamoyenne nationale, les emplois y sont peu qualifiés. Les habitantssont massivement en CDI, autrement dit, leur statut n’est pasprécaire, mais les secteurs dans lesquels ils travaillent le sont. Ilssont, finalement, plus vulnérables (ces ménages ont de très hautstaux de dépenses contraintes : prêts immobiliers, transports, chauf-fage…) aux changements actuels que les immigrés ; ils ont aussidavantage de choses à y perdre. À ce propos, entre 2007 et 2009,

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2. L. Davezies, « Ces 6 000 communes qui ont placé Le Pen en tête », Mediapart, 7 octobre2012.

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le nombre de chômeurs de catégorie A a augmenté de 30 % enFrance, et la hausse n’a été « que » de 20 % en Seine-Saint-Denis.

Ces territoires de la France périphérique représentent la versionla plus exacerbée du rêve des trente dernières années, et son retour-nement le plus violent ; ce sont des territoires à fonctionnementurbain, mais qui se ruralisent, dans le sens où, alors que la ville estune machine à moderniser les populations, un vecteur de transfor-mation, les habitants de ces espaces – qui sont des urbains –retournent plutôt vers l’attachement au sol, à la propriété, etc.

La diversité de la répartition de ces territoires se constate si l’onobserve l’évolution de la carte du chômage. Celui-ci, qui jusque-làaugmentait surtout à l’est d’une ligne Cherbourg-Montpellier, toucheà présent des territoires « inattendus3 ».

Ch. GUILLUY – C’est d’ailleurs dans ces territoires fragiles del’ouest que se situent à la fois les plus fortes progressions du nombrede chômeurs et le plus fort potentiel pour le FN. Lors de la dernièreélection, ce sont ces zones qui ont vu le vote FN augmenter le plusfortement. Ces territoires abritent ce que l’on appelle les « nouvellesclasses populaires », ces ouvriers, employés, retraités, jeunes peudiplômés qui, pour le dire de manière rapide, sont là où il ne fautpas être.

Pour la première fois dans l’histoire, en effet, les classes popu-laires ne se trouvent pas là où se crée la richesse. On pourrait mêmealler jusqu’à dire que l’on n’a plus besoin d’elles pour créer larichesse. C’est une situation inédite, car si l’on prend l’exemple desouvriers au XIXe siècle, ils se trouvaient dans la grande ville, là oùles choses se passaient. Le problème de fond, c’est la place desclasses populaires dans le contexte de la mondialisation. Pour cetteraison, la question des mobilités est primordiale ; aujourd’hui,nombre de familles ne peuvent plus payer à leurs enfants deschambres de bonne « en ville » pour faire leurs études, et leuroffrir ainsi une possibilité d’ascension sociale. Les jeunes restentdonc bloqués dans des territoires en déshérence ; ils ont l’impres-sion d’être en dehors de l’histoire, ce qui a un impact symboliquetrès fort sur la manière dont ils perçoivent le monde.

Le périurbain n’est donc qu’une des dimensions de cette Francepériphérique, de la situation de ces nouvelles classes populaires, unsymptôme de leur crise. La situation économique et sociale de ces

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3. Voir « La crise frappe de nouveaux territoires », Le Monde, 27-28 janvier 2013.

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catégories est indissociable des questions identitaires ; il faut lesenvisager comme un continuum. L’un des aspects les plus frappantsdes résultats des dernières présidentielles a été l’explosion du voteFN chez les jeunes de ces territoires. La logique identitaire émerge(ou réémerge) à travers ces populations, qui perçoivent la grandeville comme un lieu d’opportunités auquel ils n’ont pas accès, et labanlieue comme le lieu où se concentrent les politiques urbaines,au détriment de leurs territoires à eux. Et il est vrai qu’une bonnepart de l’ingénierie sociale se concentre dans les métropoles ; et quela politique de la ville (sur le plan de l’affichage, sinon des dépenseseffectives…) est présentée comme une politique de la banlieue. Onen arrive donc à un discours un peu paradoxal, de rejet de l’État-providence, non pas au nom d’une logique libérale, mais sur le modedu : « On donne tout aux autres. » C’est dans cette conjoncture defacteurs économiques, sociaux, symboliques, que se développent laxénophobie, la critique de la mondialisation et le besoin de protec-tionnisme.

L. DAVEZIES – Nous sommes, sans aucun doute, dans une situa-tion historiquement inédite, dans laquelle les riches n’ont désormaisplus besoin des modestes. Dans la lutte des classes, en effet, c’estla confrontation entre les deux qui fait progresser la société ; or,actuellement, il n’y a plus de confrontation, mais une mise à distancespatiale. Les conséquences sur le plan politique sont évidentes :alors que lorsque l’on est dans une logique de lutte des classes, ily a un rapport de force, et l’on a quelque chose à gagner, quand onsort de ce rapport de force, il n’y a plus rien, sinon la mise àdistance dont le vote FN – et, encore plus, l’abstention – est le signe.

La fragilisation d’un modèle

On peut cependant faire une lecture du processus de périurbanisationcomme du résultat d’un combat victorieux d’une classe salariale quientreprend de se réapproprier cette terre d’où elle était venue à la villeet qui décide de l’acheter pour y vivre et non pour y travailler. C’esttout le sens du rôle du jardin, du bricolage comme activité de loisir,de la campagne comme décor naturel et non plus comme cadreimposé. On retrouve ce qu’on a perdu (la nature à la campagne, lecadre de vie, la maison individuelle) et on en profite grâce à ce quel’on a gagné. C’est-à-dire un modèle de solidarité qui protège notre

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revenu, qui nous épargne le coût des formes de solidarité directes (desvoisins, du village…), qui nous émancipe donc de la société et de sescontraintes.

La difficulté devient alors celle de la fragilisation de cette condi-tion salariale, de la nécessité où l’on s’est trouvé, depuis une trentained’années, de recourir à la dette pour maintenir ce modèle salarial, àun endettement qui n’a cessé de s’accumuler et fait aujourd’hui partied’un mode de vie.

Concernant le périurbain, il s’agit de comprendre si la part de cepériurbain tentée par le populisme ne serait pas celle qui a été le plusvictime de l’illusion de ce modèle salarial. Est-ce que les ouvriers, lesemployés qui votent FN ne sont pas ceux qui sentent qu’ils vont faireles frais de l’adaptation de ce modèle à de nouvelles exigences ? Lesvictimes d’un modèle remis en cause sont toujours ceux qui en ontprofité, aussi parce qu’ils ont « bénéficié » de l’envie de ses promoteursde maintenir l’illusion de sa pérennité. Ne faut-il pas alors fairedavantage le lien, comme vous le suggériez, entre les conséquences poli-tiques et les conditions économiques et sociales ?

L. DAVEZIES – Il est certain que ces personnes étaient dans unprojet du long terme, dans une certaine vision de l’installation et duménage durables, etc., d’où leur endettement. Ils ne se sont pasinstallés dans les villes, d’une part parce que les prix de l’immobi-lier étaient trop élevés, d’autre part parce qu’ils ne voulaient pas dumode de vie purement urbain. Il ne s’agit pas, dans ce mouvementd’éloignement des villes, d’un désir de construire une communautéà la campagne, mais de réaliser un projet individuel. C’est ce quifait, aussi, que ces populations ont plutôt mauvaise presse ; car ellesse sont, dans une certaine mesure, mises en marge elles-mêmes.

Ch. GUILLUY – Cette question du choix résidentiel est plutôt unequestion des années 1970. Aujourd’hui, on peut se demander quelleest la marge de choix dont dispose véritablement quelqu’un qui vas’installer au fin fond de la Seine-et-Marne, car les prix de l’agglo-mération parisienne sont trop élevés et qu’il n’a pas accès au loge-ment social. Ce dernier point est d’ailleurs capital, dans le rapportque ces populations construisent à l’État-providence. Le logementsocial, personne n’est vraiment contre, mais personne n’en veut chezsoi ; et les « nouvelles classes populaires », bien souvent, pourraienten bénéficier mais ne veulent pas y vivre.

Les conséquences politiques de la situation économique etsociale sont très grandes ; finalement, les personnes qui votent pour

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le Front national font au moins preuve d’une forme de rapport aupolitique. Ce qui est le plus frappant, c’est le nombre de gens, dansces territoires, qui ne votent pas, qui n’ont plus aucun rapport aupolitique. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne s’y passe rien,que les gens ne cherchent pas des solutions à leur situation. Iln’existe pas d’études là-dessus, cela reste très flou, mais il y a unecontre-société qui se construit. À titre d’exemple, entre Niort etLa Rochelle, les gens parfois partagent leur voiture avec d’autrespour économiser du carburant ; on n’est pas là dans un rêve commu-nautaire, mais dans des sociabilités nouvelles. Il n’y a pas de désaf-filiation absolue dans ces espaces, autre chose se construit. Cetteautre société peut d’ailleurs être préoccupante, dans son rapport àl’autre, dans sa volonté de s’affranchir, de s’éloigner de l’autre, quia des conséquences très concrètes sur le plan urbain : l’étalementurbain continuera en effet aussi longtemps que les gens ne voudrontpas vivre les uns avec les autres. Et là où cet étalement se retournecontre les classes populaires, c’est qu’en s’éloignant des banlieues(pour ne pas vivre avec les immigrés), elles s’éloignent aussi descentres-villes, donc des marchés de l’emploi dynamiques.

Cependant, la vision de ces populations comme des populationsqui « fuient » (l’immigration, la mondialisation…) est partielle.Certes, ils ne sont pas intégrés économiquement, mais ce n’est pasfaute d’avoir essayé, si l’on peut dire. Dans ces régions, si le tauxde chômage n’est souvent pas parmi les plus élevés, le nombre detemps partiels est en général très important. Autrement dit, les sala-riés ont joué le jeu de la mondialisation, en quelque sorte, ils ontaccepté de s’adapter, sans obtenir en retour de stabilisation de leursituation. Ils sont « au front » de la mondialisation ; et d’ailleurs, lesgens qui votent pour le Front national sont souvent des actifs desclasses populaires (là où – si l’on parle en termes de grandesmasses – l’électorat du PS est surtout composé de fonctionnaires etcelui de l’UMP de retraités, donc des gens relativement à l’abri dela mondialisation).

L. DAVEZIES – Cette situation économique se trouve aggravée parla crise, mais avec un effet à retardement. En effet, le gros de la crisese situe entre 2007 et 2009 ; mais, au cours de cette période, lesrevenus non marchands (salaires publics et prestations sociales) ontplus que compensé les pertes de revenus du travail. Or, avec la crisedes dettes souveraines en 2011, dont en France on n’a commencéà réaliser les conséquences – sur le plan de la réduction des déficits –qu’en octobre 2012, lors des discussions budgétaires, les dépenses

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publiques se rétractent, et le filet de sécurité se relâche4. Or, pources populations, le chômage, si l’on peut dire, a des conséquencesplus graves que pour d’autres : il n’y a souvent qu’un actif dans leménage, et un prêt immobilier à rembourser. Ces personnes sontdans un projet de long terme, dont tous les éléments (emploi, carbu-rant, chauffage, immobilier) sont simultanément remis en question.Jusque récemment, ce diagnostic était tempéré par le discours du« retour de la croissance », dont on voit bien aujourd’hui qu’il estpeu convaincant, tant on se trouve face à une baisse mécanique ettendancielle. La seule solution, c’est de retrouver de la créationd’emplois ; il y a des secteurs dans lesquels c’est possible. Il fautaussi, bien sûr, recréer du lien, mais cela ne peut se faire ni seule-ment par des prestations sociales, ni en se contentant d’attendre queles populations s’auto-organisent.

Quelle politique territoriale ?

Puisque la redistribution sociale et territoriale ne permet plus de main-tenir de manière inchangée ce modèle salarial, comment rétablir unrapport entre la compétitivité économique et la redistribution quipermette une sortie positive de la crise, qui retienne la montée duressentiment, c’est-à-dire du sentiment d’avoir été floué, du sentimentd’être menacé par l’irruption de l’étranger tel qu’il s’exprime par le votepopuliste ?

L’objectif d’égalité des territoires a-t-il un sens, dès lors que laredistribution « égalitaire » se traduit par une injustice de ses effets ?Ne faudrait-il pas, d’une part rétablir du « lien faible » dans lesbanlieues, pour que les populations puissent mieux exploiter le capitalspatial dont elles disposent par leur proximité avec la métropole, etd’autre part rétablir des « liens forts » (dans les communautés) dansle périurbain, pour compenser le manque de capital spatial ? Fairede ces territoires, en somme, des lieux de vie sociale et pas seulementdes décors de vie privée ?

L. DAVEZIES – Le concept d’égalité des territoires est en lui-mêmetrès problématique. Si l’égalité sociale est une notion assez simpleet donc puissante, l’égalité spatiale, qui s’exprime non par l’égalité

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4. Voir L. Davezies, la Crise qui vient…, op. cit., et l’éditorial d’Esprit en février 2013, « LaFrance à quatre vitesses ».

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de droits mais par l’égalité des résultats, ne veut pas dire grand-chose, car elle repose sur des indicateurs de revenus moyens. End’autres termes, l’égalité des territoires ne renseigne en rien sur lemodèle social de ces territoires. On considère les territoires commedes stocks, dont personne ne sort, où personne n’entre, comme desentités fixes. Or, si l’on prend l’exemple des quartiers dits« sensibles », bien souvent le fait que le quartier aille de plus enplus mal peut signifier que les gens vont de mieux en mieux, carceux qui réussissent quittent le quartier, et ceux qui n’y avaient pasaccès y entrent. La question qu’il faut se poser est la suivante : fait-on une politique pour les territoires ou pour les gens ? Le territoire,dès lors, doit être envisagé en ce qu’il est un frein ou un accéléra-teur de l’égalité sociale.

La notion d’égalité des territoires a du reste encore moins de sensaujourd’hui qu’il y a trente ou quarante ans. Depuis les années 1980,on est sortis du cycle de la révolution industrielle pour entrer dansun nouveau cycle, ce qui induit une redistribution des avantagescomparatifs. La croissance se fait par certains territoires, parcertaines compétences. En début de cycle (celui de l’économieimmatérielle qui a débuté dans les années récentes), les inégalitésaugmentent toujours et partout dans le monde. Ce qui ne signifie pasqu’il ne faille pas tenter de les réduire ou de les contenir. Dans leprojet de loi sur la décentralisation, par exemple, qui a le mérite demettre en avant les métropoles, ce qui est inquiétant, c’est que celapourrait se faire au détriment du reste des territoires. La rupturen’est-elle pas en train d’être inscrite dans la loi ?

Pour ce qui est de la répartition entre capital spatial et capitalsocial, on remarque qu’en fin de compte la valorisation du capitalspatial des habitants des banlieues se fait assez bien. En revanche,recréer du capital social dans les lieux éloignés des métropoles estune entreprise bien plus complexe.

Ch. GUILLUY – Il ne s’agit rien de moins que de repenser l’État-providence et la géographie des territoires prioritaires, en identifiantles besoins, en finançant la formation. Si l’on prend la Seine-et-Marne, par exemple, ou les zones rurales, on constate que l’accèsdes lycéens à l’enseignement supérieur y est faible, tout simplementparce qu’il n’y a pas d’université à proximité. La banlieue se carac-térise par la concentration des problèmes, ce qui crée des difficultés,mais également une relative facilité d’intervention, en termes delieux à cibler. Ce dont on parle, c’est du « social dispersé », plus

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difficile à identifier, et surtout beaucoup plus coûteux.

Le succès des métropoles crée, en retour, un phénomène de relé-gation sociale, culturelle et spatiale de certaines populations. C’estlà qu’est le nœud du problème. Les banlieues peuvent compter surle marché métropolitain, ce que ne peuvent pas faire les territoiresqui en sont éloignés, et donc exclus. La disparition du département,par exemple, qui accompagnerait la métropolisation, est très problé-matique pour les populations de la France périphérique, dans lamesure où elles se trouveraient alors encore plus enfoncées dansleur vide. Dans le même temps, les territoires métropolitains, pour-tant très inégalitaires, renforcent leur poids économique et, demain,politique.

L. DAVEZIES – La seule manière d’y parvenir, c’est en travaillantsur les mobilités. Il ne faut pas retenir les jeunes sur les territoirespeu attractifs, mais au contraire les encourager à partir. Les élus nesont pas les gardiens des territoires, mais au service des gens qui yvivent. C’est pour cette raison qu’il est impératif de fluidifier lacirculation entre les territoires. Par des réformes concernant tous lesstatuts d’occupation du logement, du côté de la mobilité résidentielle.Un premier pas, du côté des mobilités quotidiennes, serait de fairede véritables audits citoyens, de développer des formes d’advocacyplanning, pour identifier finement les problèmes et trouver des solu-tions techniques. À partir du moment où l’on ne peut plus comptersur la redistribution des revenus de l’État-providence, il faut trouverd’autres leviers d’action. Car la mondialisation n’est pas une alter-native ; elle est là. Il faut donc faire en sorte qu’elle fonctionne.

La question devient alors celle de la représentation de la mondiali-sation qui est donnée par la classe politique. On est pour l’instant dansune perspective d’affrontement, du global contre le local. Ce qui sedessine, c’est une décentralisation à la carte, sous le contrôle del’État. On oppose la France métropolitaine et la France périphérique,or les inégalités sont très présentes au sein même des métropoles. Nefaudrait-il pas revoir cette représentation des métropoles, en allantchercher ceux qui n’y sont pas, plutôt que de rester dans un discoursde fracture (spatiale, sociale, culturelle, identitaire) ?

L. DAVEZIES – Le fait est qu’en matière de discours sur lamondialisation, les choix sont limités. Il faut bien trouver desmoyens de dire que l’on va s’en sortir pour remobiliser une sociétéqui ne perçoit pas toujours clairement les risques de la non-mondia-

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lisation. Mais, au-delà du discours, il faut aussi des moyensconcrets. De ce point de vue, les secteurs mondialement porteurs enFrance ne manquent pas : on songe, par exemple, à la santé, au BTP,à l’environnement, à la gestion des réseaux, aux infrastructures.L’environnement et la congestion métropolitaine, où nos entreprisessont compétitives, représentent, au niveau mondial, un marchécolossal actuel et plus encore en perspective. Par ailleurs, cesdomaines peuvent créer des emplois accessibles à une main-d’œuvre peu qualifiée (par exemple, dans le domaine de l’environ-nement, les travaux d’isolation des bâtiments). Nous avons loupé levirage des biens personnels de haute technologie. Nous sommes enrevanche bien préparés, voire leaders, pour le virage suivant qui seracelui des biens et services collectifs.

Pour revenir aux territoires, si les métropoles sont importantes,leurs hinterlands le sont également. C’est le lien entre les deux quigarantit le succès d’une métropole, un tandem réussi et interactifentre la ville et son environnement5. C’est le cas à Rennes, àNantes ; c’est en revanche plus problématique en ce qui concerne,par exemple, la région parisienne. Là où peut se jouer la coupure,effectivement, c’est entre les « métropoles » et le reste du territoire,pour lequel les mécanismes de solidarité de développement peuvents’enrayer. Il est essentiel, dans nos actes ultérieurs de décentrali-sation, de mettre en place des dispositifs permettant cette solidarité.Mais on se trouve face à un problème très profond, à savoir que ladécentralisation est un processus dans lequel le monde entier s’estjeté, sous les formes les plus variées, mais pour lequel il n’y a fina-lement pas de concepts solides, pas de doctrine, pas de méthodo-logie. Il faut donc s’accommoder de ce pragmatisme, de cetempirisme, et prendre des décisions, non pas sur la base de grandesidées générales comme l’insaisissable égalité des territoires ou l’in-compréhensible « respiration démocratique », mais à partir de peud’objectifs élémentaires bien plus concrets, alliant urgence écono-mique, justice sociale et acceptabilité politique.

Propos recueillis par Jacques Donzelot et Alice Béja

La France périphérique et marginalisée : les raisons du ressentiment

5. L. Davezies et M. Talandier, l’Émergence de systèmes territoriaux productivo-résidentiels.Territoires productifs, territoires résidentiels : quelles interactions ?, Paris, Datar, La Documentationfrançaise, 2013, à paraître.

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