LA FORMATION DE - Doctorat Saint Jean Eudes...nes les plus excellentes de la terre et du ciel,...

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  • LA FORMATION DE JÉSUS EN NOUSAPPROCHES BIBLIQUE ET THÉOLOGIQUE, SPIRITUELLE ET PASTORALE

  • TABLE DES MATIERES

    Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5P. Jean-Michel AMOURIAUX, cjm, Supérieur Général

    Le Logo de la 66ème Assemblée Générale. . . . . . . . . . . . . . 8

    I. Approches Bibliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

    La formation de Jésus dans l’Évangile . . . . . . . . . . . . . . . . 10P. Alvaro TORRES FAJARDO, cjm

    La formation de Jésus en nous dans l’enseignement desaint Paul. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

    P. Ovidio Alberto MUÑOZ, cjm

    La formation de Jésus. Perspectives bibliques . . . . . . . . . . 26P. Guillermo de Jésus ACERO ALVARIN, cjm

    Résonances à l’exposé du P. Guillermo ACERO . . . . . . . . 43P. José Mario BACCI TREPALACIOS, cjm

    II. Approches de théologie spirituelle eudiste . . . . . . . . . 49

    La formation de Jésus en nous, une propositionévangélisatrice de saint Jean Eudes . . . . . . . . . . . . . . . . 50

    P. Higinio A. LOPERA ECHEVERRI, cjm

  • Cahier eudiste n° 25 - 20174

    « Former Jésus » dans la perspective de saint Jean Eudes . 76P. Jean-Michel AMOURIAUX, cjm

    Résonances à l’exposé du P. Jean-Michel AMOURIAUX . 94P. Alvaro DUARTE TORRES, cjm

    Marie formatrice de Jésus, le processus de formation deJésus en Marie et en nous . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

    P. Higinio A. LOPERA ECHEVERRI, cjm

    III. Approches de théologie spirituelle et pastorale . . . . . 159

    La formation de Jésus en nous à la lumière de lathéologie spirituelle contemporaine. . . . . . . . . . . . . . . . 160

    P. Gilles OUELLET, cjm

    Résonances à l’exposé du P. Gilles OUELLET . . . . . . . . . 181P. Carlos ALVAREZ GUTIERREZ, cjm

    Former Jésus en nous, perspectives pastorales. . . . . . . . . . 184P. Carlos TRIANA, cjm

    Résonances à l’exposé du P. Carlos TRIANA . . . . . . . . . . 225P. Franck Marrel AGBOWAI, cjm

    Contrepoint . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233

    Lettre de saint Jean Eudes à ses frères aujourd’hui . . . . . . 234P. Alvaro TORRES FAJARDO, cjmPrésentation par le P. José Mario BACCI TRESPALACIOS, cjm

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    ÉDITORIAL

    P. Jean-Michel AMOURIAUX cjm, Supérieur Général

    « Le mystère des mystères et l’œuvre des œuvres, c’est la for-mation de Jésus, qui nous est marquée en ces paroles de saintPaul : Mes petits enfants, pour qui j’éprouve de nouveau lesdouleurs de l’enfantement jusqu’à ce que le Christ soit forméen vous (Ga 4, 19). C’est le plus grand mystère et la plusgrande œuvre qui se fasse au ciel et sur la terre par les person-nes les plus excellentes de la terre et du ciel, c’est-à-dire par lePère éternel, par le Fils et par le Saint-Esprit par la très sainteVierge et par la sainte Église ». (O.C. I, 271)

    Ces mots de saint Jean Eudes ont amplement résonné lorsde la 66ème Assemblée Générale de la Congrégation qui s’esttenue au Mexique en janvier 2017. Et ces mots continuent deproduire des fruits dans la vie et la mission de toute la familleEudiste. Le Conseil Général a eu cette intuition – inspiréed’en-haut – de proposer ce thème « Former Jésus » pour pré-parer et conduire la démarche de l’Assemblée Générale. Lethème a été décliné lors des premiers jours dans une atmos-phère de retraite ; ces interventions sont réunies dans le présentCahier Eudiste n° 25. Après chaque intervention, un confrère aproposé une résonnance pour faire jouer encore plus les har-moniques du thème ; ces résonnances sont également dans cenuméro tout entier consacré à ce qui fait le cœur de l’expé-rience chrétienne selon saint Jean Eudes. D’autres confrèresont apporté leur contribution, en particulier pour souligner laplace particulière de la Vierge Marie dans la formation inté-

  • Cahier eudiste n° 25 - 20176

    rieure du Christ dans la vie des croyants. Que tous soient re-merciés de leur contribution, ainsi que les traducteurs. Il fau-drait certainement ajouter une approche ecclésiologique pourne jamais oublier que nos démarches personnelles et nos mis-sions s’enrichissent d’autant plus qu’elles sont vécues avec desfrères en communauté, avec qui nous formons le Corps de laCongrégation. Un prochain Cahier eudiste pourrait se penchersur ce point crucial de la vie eudiste.

    Un des plus beaux fruits de la thématique de la formationde Jésus en nous est que nous avons là un principe d’unifica-tion de notre vie et de nos missions. En effet à la suite de saintJean Eudes (et de saint Paul !), nous comprenons que l’accueilde l’Évangile se réalise lorsque le Christ est formé dans le cœurde l’auditeur. Ce n’est pas une simple adhésion morale ou men-tale mais bien l’accueil de la personne du Christ ressuscité dansle centre de la personne, autrement dit dans son cœur, le lieude la vie, de l’amour, de la décision. Ainsi nous comprenonsque l’évangélisation est formation du Christ en soi et en l’au-tre ! De plus, l’emploi par saint Paul dans la Lettre aux Gala-tes, dans un contexte d’enfantement, renvoie à une démarchequi donne du relief au mot « formation » car il s’inscrit dansune dynamique de processus successifs, induisant de nouvellesétapes et des transformations. La vie chrétienne se conçoit dèslors comme un processus de croissance, donnant un socle es-sentiel à tout ce que nous entendons habituellement en termesde formations initiales et permanentes. Nous ne pensons plusces formations de manière isolées et ponctuelles, mais nous lesinscrivons dans le dynamisme de la vie et de la foi qui conduità l’accomplissement de l’être. Enfin, nous n’oublions pas lecontexte ecclésial de la Lettre aux Galates, nous rappelant quenous devenons ce que nous recevons, le Corps du Christ ; laformation est également celle du corps qui est engendré dans lemonde par le puissance de l’Esprit de Jésus Ressuscité, un seulcorps qui unit les membres et la tête.

    J’invite tous les lecteurs de ces pages à se laisser interrogeret plus encore à se renouveler pour entrer dans notre bel héri-tage eudiste. Cet héritage, nous souhaitons le partager avec le

  • Éditorial 7

    plus grand nombre, pour permettre à beaucoup de prendre unpeu plus la mesure de la noblesse de leur vocation et du chemi-nement vital qui en découle. C’est également pour cette raisonque nous poursuivons avec confiance la démarche en vue de laproclamation de saint Jean Eudes, Docteur de l’Église, parceque sa doctrine est éminente pour tous les baptisés, disciples-missionnaires, envoyés former le Christ dans le cœur de ceux etcelles qu’ils rencontrent.

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    Le Logo de la 66ème Assemblée Générale

    La construction du logo pour l’Assemblée Générale fut uneœuvre collective des candidats de la Maison de formation deCaracas (Vénézuela)

    Le côté droit du Cœur représente Jésus et aussi l’élémentmissionnaire de notre charisme.

    Le côté gauche représente Marie sous son vocable deVierge de Guadalupe, Impératrice d’Amérique; elle représenteaussi la formation puisque, comme Elle a formé Jésus dans sesentrailles virginales, saint Jean Eudes nous demande de Le for-mer dans tous les Cœurs.

    Les étoiles sur son voile représentent chacune des provinceset vice-province qui composent la Congrégation.

    La Croix représente un des fondements de la vie chrétienneselon saint Jean Eudes, signe du sacrifice amoureux du Christ,plus grand acte d’obéissance au Père. La lumière au centre dela croix correspond à la lumière de l’Esprit Saint qui nous illu-mine, nous guide et qui est seul capable de former Jésus.

    Le Cœur représente l’héritage spirituel de saint Jean Eudeset l’union des deux pans qui forment notre charisme : Forma-teur – Evangélisateur.

    Le mot EUDISTES représente l’ensemble de la CJM, le re-vêtement de couleur rouge exprime sa spiritualité Christocen-trique.

    Les trois lignes inférieures représentent la très Sainte Tri-nité.

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    I. APPROCHES BIBLIQUES

    Saint Paul dit que Jésus Christ s’accomplit en son Église (Ep1,22) et que nous concourons tous à sa perfection et à l’âge de saplénitude (Ep 4,13), c’est-à-dire à son âge mystique, qu’il a dansson corps mystique qui est son Église, lequel ne sera point ac-compli qu’au jour du jugement. Et ailleurs le même apôtreparle de la même plénitude de Dieu qui s’accomplit en nous etde la croissance et augmentation de Dieu en nous (Ep 3,19).(O.C. I, 311)

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    LA FORMATION DE JÉSUS DANS L’ÉVANGILE

    P. Alvaro TORRES FAJARDO, cjm

    Suivons le conseil de saint Jean Eudes pour lire la Parole deDieu, en allant retrouver avec un regard neuf les scènes del’Évangile non pas seulement comme des curieux mais commedes destinataires, pour laisser Jésus entrer dans nos vies et lesconfigurer à Lui. La première et fondamentale référence de la« formation de Jésus » se trouve dans les Évangiles : Jésus deNazareth s’adjoint une communauté de disciples « pour qu’ilssoient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle »(Mc 3,14). En nous racontant la vie de Jésus, les Évangiles ac-compagnent en même temps le processus de formation de sesdisciples qui, à partir de Pâques, accomplissent la missionapostolique.

    Dans nos Constitutions, cette perspective de la formationde Jésus est mise au centre de notre identité et de notre dyna-mique spirituelle. Elles nous invitent à ne pas la perdre de vue :

    « Les Eudistes veulent continuer et accomplir la vie deJésus en eux ». (Cst. 2)

    « Jésus, le Fils de Dieu, a voulu partager la conditionhumaine afin de révéler au monde la venue du Règnede Dieu. Il a réuni autour de lui les Douze, pour enfaire ses compagnons et ses envoyés. Unis au Christcomme des membres à leur Chef, les Eudistes se ras-semblent en communauté fraternelle, à la manière desApôtres, et mettent leur joie à le “faire vivre et régner”au cœur du monde ». (Cst. 12 et 65)

  • I. Approches Bibliques 11

    Afin de reprendre ce chemin de formation, appréciant leslignes fortes et les nuances si suggestives de ce thème si riche,nous vous invitons à une immersion sereine et priante dansl’Évangile. L’écoute et l’incarnation de la Parole de l’Évangileest au centre de notre spiritualité. Nous proposons une lecturede l’Évangile de Marc, saisissant quelques jalons fondamentauxde l’action formatrice de Jésus en ses disciples.

    Qui est Jésus, formateur de disciples ?

    Les deux premiers chapitres nous présentent Jésus. Unefois énoncé que le Messie est le Fils de Dieu (1, 1) la voix d’unprophète, Jean Baptiste, et la révélation du Père nous disentqu’il est l’envoyé et le Messie sauveur, qu’il est l’envoyé et leFils du Père. L’Esprit l’accrédite comme tel (1, 2-8). Passéel’expérience de prière avec Dieu son Père dans le désert, il enressort et prononce son discours initial. Arrive l’heure de Dieu,ils se convertissent et ils croient. (p. 1, 9-15). Au début de samission, la première chose qu’il fait est de chercher et d’enga-ger des collaborateurs. Sa mission en a besoin. Il les rencontreau bord du lac. Ce sont des hommes adultes, travailleurs, occu-pés, ayant chacun un prénom qui lui est propre : Simon, An-dré, Jacques, Jean. Tout de suite il leur lance un défi qui vachanger toute leur vie, leur environnement, leur travail. Le lec-teur de l’Évangile a déjà une première information sur Jésus.Les hommes du bord du lac ne l’ont pas. Ils sont devant l’im-pensable, le non planifié. Ce n’est pas une invitation mais unedemande. L’impératif « suivez-moi » est digne d’être souligné.Sans demander d’explications, sans présenter de conditions,captivés par sa personne, ils partent avec lui.

    À partir de ce moment, Jésus n’est plus seul ; ni ceux quil’ont suivi : Jésus est toujours avec eux, et eux sont toujoursavec Jésus. Sauf à deux moments : quand ils partent en mis-sion ; durant ce laps de temps l’évangéliste ne dit rien de Jésus ;il raconte ce qui est arrivé à Jean-Baptiste au moment de laPassion et de la mort qu’il doit affronter seul, les disciples le fe-ront après. Les disciples sont ensuite témoins de la mission de

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    Jésus à Capharnaüm. La Parole et l’action de Jésus envahissenttout l’espace de la vie de l’homme : le sacré dans la synagogue ;sa propre vie dans la maison de Pierre ; sa vie sociale sur laplace publique. Mais celui qui les appelle, c’est Dieu le Père.On entre dans son mystère par l’oraison personnelle. Maispour les disciples c’est déjà indispensable. Simon le dit : Tous techerchent (1, 21-39). Contempler Jésus à l’œuvre qui remplit savie et celle de l’homme du projet divin est essentiel dans la for-mation. Viennent ensuite cinq épisodes révélateurs du mystèrede Jésus. Des croyants posent des questions à propos de Jésus.Les Écritures suggèrent qu’il nous est présenté comme uneprésence personnelle de Dieu dans le monde, quelque chose decomplètement nouveau. (2, 1-3, 6).

    Le choix des disciples

    Pour Jésus c’est l’heure d’appeler et de s’engager. Jusque-làles quatre disciples du début, auxquels s’est ajouté Levi, ontentendu, ont visité, ont été invités à lire les événements et à entirer des conclusions. La scène est solennelle, vécue. Suivant leconseil de saint Jean Eudes, pour lire la Parole de Dieu, remet-tons-nous dans la scène comme si elle nous était personnelle-ment destinée. Jésus monte sur la montagne ; c’est la rencontreavec Dieu le Père qui fonde ce qui suit : il appelle au nom duPère, et ils allèrent avec lui. Il leur a donné le nom d’apôtres,c’est-à-dire envoyés, voilà leur nouvelle identité. Et il leurdonne un horizon en deux dimensions inséparables : être aveclui et aller prêcher. En premier l’expérience personnelle, intimeavec Jésus. Le laisser entrer dans sa vie est indispensable (élé-ment très eudiste). Ensuite, et comme conséquence, partir enmission. L’un ne peut pas se faire sans l’autre. Le préalable à lamission est de se laisser imprégner par Jésus, par sa parole, parsa vie. On ne peut pas être un véritable apôtre, s’il n’y a pas cepremier pas. Mais celui qui a fait cette expérience ne peut pasne pas parler de Jésus avec amour et enthousiasme (Cordemagno…) Les apôtres sont douze : ils forment un tout, ils en-tourent tout un peuple, la grande nouvelle famille de Dieu en

  • I. Approches Bibliques 13

    Jésus. Et pourtant ils portent douze noms différents : il est bonde mesurer ces appels. Il ne les a pas appelés parce qu’ilsétaient saints mais pour qu’ils le soient. Il connait leurs défauts,ils vont influer sur sa vie, mais il ne les a pas écartés pour au-tant (3, 13-19).

    L’œuvre formatrice

    En premier lieu, il s’agit de savoir qui on suit. Il ne s’agitpas d’un fanatique « qui a perdu le sens » (3, 20-21) ni d’un« possédé » (3, 22-30). Son œuvre est nouvelle. Il forme unenouvelle famille, celle de la volonté divine, du plan de salut,dans laquelle tous sont appelés à entrer, en premier Marie (3,31-35). Pour commencer son œuvre de formation, Jésus utilisedeux moyens : la Parole, il raconte plusieurs paraboles danslesquelles il révèle le Royaume. Qu’est-ce que le Royaume ? Ilse déduit de ce que dit Jésus. Benoît XVI a dit : « C’est Dieului-même qui entre dans notre monde. Ce n’est pas un orga-nisme, ce n’est pas une entreprise, c’est l’action salvatrice deDieu, historique, dans la personne de Jésus, qui culmine danssa mort et sa résurrection ». Semé par Dieu dans le cœur dudisciple, ce royaume est appelé à donner du fruit en abon-dance ; il fait du disciple une lumière pour le monde ; ce n’estpas l’œuvre du disciple mais de la semence qui soulève en luison propre dynamisme, l’action de Dieu dans le disciple, grainede moutarde appelée à croître et à donner un abri aux oiseaux.Le disciple est travaillé par le Seigneur ; graine qui croît etdonne du fruit sous l’action divine en l’homme (4, 1-33). Il ex-plique tout à ses disciples : comment être aujourd’hui commeun disciple à l’école de Jésus ? Le dynamisme de la Parole estl’outil formateur.

    Ensuite il emmène les disciples dans un voyage mission-naire. Il faut aller avec Jésus, emmené par lui en mission. Dansce voyage inoubliable quatre événements vont se succéder : unetempête, la guérison d’un démoniaque, la guérison d’unefemme malade, la vie retrouvée pour une enfant morte. La mis-sion rencontre nécessairement de grands obstacles. Mais Jésus

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    va dans la barque. Il faut le réveiller et expérimenter le pouvoirde la foi qui vainc toute peur. Dans le cœur du disciple, il yaura toujours la lutte entre foi et peur. Il ne faut pas renoncerdevant la tempête mais la vaincre (4, 35-41).Traverser la mer,aller sur l’autre rive. « Église en sortie » dit le Pape François.Invitation du Seigneur à rencontrer l’homme, là où il est ; sansle Christ, c’est un mort vivant, déshumanisé. Il a besoin duChrist, de dialogue, d’être transformé par le Christ. La missiondu Christ, du disciple c’est de faire de cet homme un être hu-main digne : assis, habillé, avec un esprit sain, humanisé. Maisfaire de lui aussi un témoin qui va vers son monde avec une pa-role, non apprise par coeur mais de vie : ce que Jésus a faitpour moi. Pour cela, il faut penser comme Jésus aux yeux dequi un homme vaut plus que deux mille porcs (5, 1-20).

    Et enfin une femme exclue. Dans le monde de Jésus, aucunêtre humain ne peut vivre cette situation, cela ne peut pas exis-ter. L’expérience de Jésus est fondamentale « toucher ses vête-ments », il est nécessaire d’être un témoin qui n’est pas cachémais courageux. Savoir donner sa chair pour lui et son actionavant tout. Et ensuite le chemin de la mort pour quelques-unsmais pour le Christ, le chemin de la vie, toujours. Sur ce che-min, le Christ maintient l’espérance à tout prix. Une fois deplus, il y a lutte entre la peur et la foi. Jésus entre dans ce scé-nario de mort, il l’a pris par la main et a dit « lève-toi ». Sa vieest communiquée. Ce sont les actions sacramentelles que nousvivons aujourd’hui. À douze ans s’ouvre non pas le chemin dela mort mais celui de la vie (5, 21-43). Le disciple a vu et vécule royaume, l’action salvifique de Jésus, en lui-même et dans lesautres. C’est la formation idéale.

    Contraste

    Le Christ a fait un voyage triomphal avec ses disciples. Au-cun mal ne leur a résisté. Ils arrivent à Nazareth, connus et fa-miliers. Comment Jésus est-il reçu avec ses disciples, parmi lessiens ? Avec réserve, avec une certaine méfiance qui peut dé-courager. Le Christ fait une lecture de cette situation. Il faut vi-

  • I. Approches Bibliques 15

    vre aussi comme un envoyé du salut dans un monde méfiant etréticent, qui pense plus à ses propres valeurs qu’à la visite duprophète qui ouvre à un autre monde, qui n’est pas celui deshommes mais celui de Dieu. Le disciple doit apprendre cetteleçon, la mettre en valeur et l’affronter. La mission n’échouepas là. Après Jésus parcourt les villages voisins en enseignant(6, 1-6). Toujours aller de l’avant, vers un haut-delà.

    Le moment d’aller seuls en mission

    Seuls est une manière de parler. Le disciple n’est jamaisseul. La parole vivante qui l’habite est celle du Seigneur qui luiparle et qui parle en lui. « Prêcher c’est faire parler Dieu » a ditsaint Jean Eudes. Le pouvoir salvifique de Jésus vit et agit enlui. Ils vivront cette expérience quand au retour ils raconterontleur victoire remportée sur le mal. L’envoi implique un appelpersonnel. S’approcher de Jésus et écouter à l’oreille ses consi-gnes. La mission est divine et est au-dessus de tout recours hu-main. Privilégier la légèreté et le dépouillement ! « Légers enbagages » mais porteurs de la richesse inestimable du Salut(6,7-13). Pour le disciple qui part joyeux, le martyre de JeanBaptiste est l’annonce du risque encouru par le prophète etl’envoyé : le martyre. (6, 14-29).

    Les tâches de l’apôtre

    Dans une grande partie de l’Évangile de Marc (6, 30-8, 27)sont racontés les devoirs des apôtres de Jésus. Ils rentrent demission, Jésus les attend et les accueille. Il les invite à se repo-ser et l’Évangile dans un passage non dénué d’humour, leurmontre qu’il n’y a pas de repos possible pour l’apôtre. Quandils arrivent au lieu choisi par Jésus, ils le rencontrent entouréde monde. Le repos c’est pour la vie éternelle. Jésus enseignecomment réagir : se mettre à enseigner avec calme, sans repro-che. C’est le premier récit de la multiplication des pains. La tâ-che des apôtres est de nourrir la foule : donnez-leur vous-mê-mes à manger. (6,30-45). Et ensuite ne jamais aller sans Jésus ;

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    ne pas affronter l’obscurité ni le vent sans lui. L’accueillir dansla barque (6, 46-52). Conscience de la nouveauté de la mission.Ce n’est pas la simple continuation du passé mais l’irruptionnouvelle de Dieu dans le monde. Le passé a ses raisons d’êtremais le monde nouveau se construit (6, 1-23). Aller où est l’hu-manité qui espère s’asseoir à table avec Jésus : la cananéenne etsa fille sont le prototype d’une humanité qui a besoin et es-père ; comment rompre les barrières et donner une dimensionnouvelle au salut (7, 24-30) ? Le chapitre se termine avec laguérison emblématique d’un aveugle (8, 22-26). Le discipledoit toujours être un marcheur-voyant.

    Chemin de Jérusalem avec Jésus jusqu’à la mortet la résurrection

    Dans les synoptiques Jésus fait culminer son ministère avecle voyage messianique à Jérusalem. Là où il va vivre sa Passion,sa mort et sa résurrection. Le disciple doit suivre Jésus sur cechemin en courant le même risque. Il doit commencer avecune décision claire et personnelle à propos de Jésus : c’est luique je vais suivre ; il ne demande pas seulement ce que disentles gens mais ce que tu dis, toi (8, 27, 30). Jésus fera trois an-nonces détaillées de sa Passion, de sa mort et de sa résurrectiontout au long de ce chemin. Le disciple ne peut pas aller avec luisans savoir ce qui va se passer (8, 31-32 ; 9, 30-32 ; 10, 32-34).À ce moment-là du chemin, Jésus va exposer les grandes exi-gences de la vie (10, 1-45). Et cela se termine par le récit de laguérison d’un aveugle. Voir et croire vont étroitement liés dansl’Évangile. Pour accepter la parole de Jésus tout disciple doitêtre soigné de ses blessures (10, 46-52).

    Jésus et l’histoire

    Le disciple de tous les temps doit savoir comment va être lavie du disciple dans le cadre du temps et de l’histoire (13, 1-36).Jésus a parlé de sa passion, de sa mort et de sa résurrection. Est-ce une fin ? Ou est-ce le début d’une étape durable, sans la pré-

  • I. Approches Bibliques 17

    sence physique de Jésus, mais remplie de lui dans une manièrenouvelle de le rencontrer ? Le Seigneur part mais les disciplesrestent et le Seigneur reste en eux. Le disciple vit dans unmonde de conflit. Un monde qui passe comme tout ce qui estpurement humain. Y compris là où sont les plus grands pou-voirs, ils tombent et perdent leur suprématie. Le même temple,devant lequel ils sont, est appelé à disparaître mais avec lui nedisparaît ni Dieu ni son action. Les pouvoirs humains serontdétruits, ils s’éteindront comme le soleil, la lune et les étoiles.Un monde incertain, plein d’injustice et de violence. Mais il y aquelque chose qui ne disparaîtra pas, l’espérance, qui est unchemin incessant et sûr au milieu des luttes et des obscurités,jusqu’à la fin. On demande au disciple de vivre dans ce monde,persécuté, peut-être rejeté mais triomphateur, comme celui quilève la tête haut, comme celui qui arrive au but qui est Dieu lui-même. Tout se détruit dans cette longue histoire sauf Dieu etson action salvatrice. Dans la fragilité du disciple la stabilité etla force de l’évangile de Jésus se rendent présentes.

    Avec Jésus lors de la dernière semaine (Mc 11, 1-12, 44)

    Accompagner Jésus lors de son entrée triomphale à Jérusa-lem le jour des Rameaux ; ensuite lire les signes avec lesquels ilprésente sa mission, écouter ses adversaires qui posent desquestions et les réponses radicales de Jésus en lien avec son mi-nistère et sa mission. Terminer cette semaine pleine de sens, entenant compte des questions qu’il nous pose, dans le récit del’offrande de la veuve qui lui donne tout. Cet abandon total de-mandé au disciple pour entrer dans la Passion et la mort, pré-cise l’image du vrai disciple du Christ.

    Souffrir, mourir et ressusciter avec Jésus, Fils de Dieu Sauveur

    C’est le point culminant de la vie et de la mission de Jésuset de la formation du disciple. Ce n’est pas un film à voir maisun drame divin à vivre. Nous accompagnons Jésus, non commedes curieux mais comme des acteurs de ce drame, comme Ma-

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    rie à l’onction de Béthanie. Ce drame devient sacrement dansl’Eucharistie. Ce n’est pas un acte de plus mais la lumière quiillumine tout ce qui va se passer dans la vie de Jésus et du disci-ple. Accompagnons-le dans le jardin, au moment de la grandedécision d’embrasser la Passion comme volonté du Père. Jésusest fait prisonnier non des juifs et des romains sinon de l’amourdu Père. Les disciples restent libres et se dispersent mais ils luirestent liés, comme le jeune qui fugue. Accompagnons-le dansle double jugement de Jésus, le juif et le romain, pour décou-vrir en lui le Fils du Béni et le Fils de Dieu. « Nazaréen Roi desjuifs », qui meurt pour passer à la vie. Il nous emporte dans sapassion et sa mort. Il nous emporte dans sa résurrection. Nousvivons comme ressuscités avec lui dans le triomphe du tom-beau vide. Et ensuite nous portons cette résurrection baptis-male en nous et nous allons par le monde en proclamant la vieet le salut. La porte du mystère de Dieu que Jésus a ouverte etoù il entre avec nous.

    Conclusion

    1. La formation dont il est question est celle que Jésusdonne à tous ses disciples. Nous, prêtres, sommes com-pris dans cette œuvre formatrice, se disant à fortiori. Unbon prêtre doit être un bon chrétien, un bon disciple.

    2. Assumer la totalité de l’évangile comme espace de forma-tion. Il n’y a pas de chapitre exclusif les uns des autres. Ilssont tous compris. Ne jamais dire : ceci n’est pas pour moi.

    3. Dire comme Dolores Alexandre, devant chaque page, àchaque mot, à chaque événement : cette histoire est monhistoire.

    4. Saint Jean Eudes nous conseille de lire l’Évangile, denous rendre compte que nous faisons partie de la scène.Le grand défi de la spiritualité eudiste est de faire que leChrist de l’Évangile vive et règne en chacun de nous avecses pensées, son amour, son désir, sa décision, son œuvre.Et embrasser l’engagement baptismal « Corde magno etanimo volenti ».

  • I. Approches Bibliques 19

    LA FORMATION DE JÉSUS EN NOUSDANS L’ENSEIGNEMENT DE SAINT PAUL

    P. Ovidio MUÑOZ, cjm

    Le thème « la formation de Jésus en nous » nous éveille àun aspect essentiel de la compréhension de la vie chrétiennetelle que l’enseigne l’apôtre Paul : être chrétien, vivre « enChrist », suppose un processus continuel de configuration àLui de telle sorte que le croyant soit transformé en son image(cf. 2 Co 3,18), et sa vie, continuation de la vie de Jésus. Cettelecture paulinienne de l’identité chrétienne, nous le savons, aeu également un écho important dans l’enseignement de saintJean Eudes. Notre fondateur s’appuie sur Ga 4,19 pour nousinviter à réaliser « le plus grand des mystères et la plus grandedes œuvres » : la formation de Jésus en nous. Notre vie sacer-dotale qui est – en fin de compte – une manière particulièred’être chrétien, se comprend seulement à partir de cette confi-guration au Christ. Quand Vatican II affirmait que « par le sa-crement de l’ordre, les prêtres sont configurés au Christ prêtre,comme ministres de la Tête pour construire et édifier tout lecorps qui est l’Église » (Presbyterorum Ordinis 12), il récupéraitune expression purement paulinienne pour l’appliquer auxprêtres. C’est pourquoi, guidés par la main de saint Jean Eu-des, entrons dans l’enseignement paulinien et découvrons laperspective suggestive et dynamique que nous offre l’Apôtresur sa compréhension de la vie chrétienne.

  • Cahier eudiste n° 25 - 201720

    La vie chrétienne selon saint Paul

    Pour exprimer la relation étroite et profonde qu’établit lecroyant avec le Christ en s’unissant à lui par le baptême, Paulutilise des mots précis qui appartiennent au même champ sé-mantique, la formation. Les principaux textes pauliniens sur cesujet sont au nombre de 5 :1

    1. Ga 4,19 : mes petits enfants que, dans la douleur, j’en-fante à nouveau, jusqu’à ce que le Christ soit formé (mor-phothê) en vous.

    2. 2 Co 3,18 : Et nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons lagloire du Seigneur, nous sommes transfigurés (metamor-phoumetha) en cette même image avec une gloire toujoursplus grande par le Seigneur qui est Esprit.

    4. Ph 3,10 : Il s’agit de le connaître lui et la puissance de sarésurrection, et la communion à ses souffrances, de deve-nir semblable (symmorphizomenos) à lui dans sa mort.

    5. Ph 3,21 : il transfigurera notre corps humilié pour le ren-dre semblable (symmorphon) à son corps de gloire qui lerend capable aussi de tout soumettre à son pouvoir.

    6. Rm 12,2 : Ne vous conformez pas au monde présent, maissoyez transformés (metamorphousthe) par le renouvelle-ment de votre intelligence pour discerner quelle est la vo-lonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, cequi est parfait.

    Quels sont les mots-clés de ces cinq versets ? Ils sont aunombre de 3, les verbes morphoo (Ga 4,19), metamorphoo (2Co 3,18 et Rm 12,2), et le substantif symmorphos (Ph 3,10.21).Ces mots, dont certains sont employés uniquement par saintPaul dans le Nouveau Testament, suggèrent une manière pro-fonde de comprendre l’identité chrétienne, et dans une cer-taine mesure, déterminent le chemin à suivre dans notre ré-flexion pour comprendre dans toute son ampleur la synthèse

    1 Les textes sont présentés selon l’ordre chronologique approximatifd’élaboration des lettres authentiquement pauliniennes.

  • I. Approches Bibliques 21

    eudiste d’origine paulinienne sur la formation de Jésus ennous.

    Ga 4,19 : la vie chrétienne, un mode nouveau d’existencecentrée en Christ

    Dans le contexte polémique de la lettre aux Galates, Paulne laisse aucun doute sur sa position en faveur de la « vérité del’Évangile » (cf. 2,5.14). Pour l’Évangile, Paul joue le tout pourle tout ; il le fait convaincu de sa nouveauté absolue etconscient de l’œuvre que Dieu a accomplie en lui en révélantson Fils pour qu’il l’annonce aux païens (cf. 1,15-16). Paul dé-finit dans cette lettre l’origine divine de l’Évangile qu’il an-nonce – pour cela il réagit avec véhémence devant le manqued’intelligence des Galates (cf. 1,6-7) et produit comme preuvefondamentale sa rencontre décisive avec le Ressuscité, décriteen termes d’appel et de révélation, avec comme finalité l’an-nonce du Christ aux païens (cf. 1,15-16). En élaborant l’argu-mentation de sa défense, Paul parle de lui-même, présentantdes données autobiographiques avec un but précis d’argumen-ter : convaincre ses auditeurs qu’ils ont pris des distances avecl’Évangile qu’il leur avait annoncé en Galatie (cf. Ga 1,6).

    Pour cela, dans la conclusion de son argumentation en 4,19-20, l’apôtre dit son désir de réaliser dans les Galates un secondenfantement jusqu’à ce qu’ils puissent dire : « Je vis, ce n’est plusmoi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Paul comprend lavie chrétienne comme un nouveau mode d’existence décentréede soi-même, et centrée sur le Christ. La rencontre du Christest pour Paul un événement fondamental, de telle sorte qu’àpartir de lui, commence tout un processus pour repenser sonidentité précédente pour embrasser le don d’une vie nouvelleen Christ. À partir de là Paul peut parler de lui comme dequelqu’un d’autre, parce que de fait son « moi » a été privé desa propre identité et transplanté en Christ. Le Christ a étéformé en lui. C’est le désir de Paul pour les Galates.

    Paul leur avait déjà donné le jour une première fois, ce fut

  • Cahier eudiste n° 25 - 201722

    alors un enfantement sans douleur car les Galates avaient été ré-ceptifs à la première annonce de l’Évangile. Maintenant Paulparle d’un second enfantement, désormais douloureux, de façonque la vie nouvelle en Christ se développe pleinement dans lecœur des Galates. Alors, le Christ sera formé en eux. C’est dansce long et continuel processus que consiste la vie chrétienne.

    2 Co 2,18 : la vie chrétienne, processus de formation intérieure

    La deuxième lettre aux Corinthiens est une lettre particu-lière. Dans sa forme actuelle, elle est en réalité le fruit de la fu-sion de plusieurs billets, réunis par un rédacteur final, choisisparmi l’échange épistolaire intense qu’a eu Paul avec la com-munauté de Corinthe. La situation de Corinthe demandaitcette intervention continuelle de l’apôtre. Ayant été l’objet debien des critiques des Corinthiens, Paul répond par une ré-flexion belle et profonde sur le ministre et le ministère de lanouvelle alliance : 2 Co 2,14-7,4. Cette réflexion est appelée « lalettre du ministère». Dans ce contexte large, nous centrons no-tre méditation sur 3,7-18. Paul montre ici en quoi consiste leministère de la nouvelle alliance, et l’oppose à une autre ma-nière de comprendre le ministère (celui des « super-apôtres »).

    Les ministres de la nouvelle alliance, conclut Paul, ne reflè-tent pas leur propre gloire, née de leurs propres expériences,mais la gloire de Dieu. Ils en sont comme un miroir. Mais, enmême temps, cette exposition constante à la gloire de Dieu faitqu’ils se transforment à son image « de gloire en gloire », c’est-à-dire comme le résultat d’un processus. Les ministres de lanouvelle alliance ne le sont pas par une accréditation extérieurequi les rendrait tels, mais par une transformation intérieure,qui est donnée peu à peu quand, à visage découvert, ils s’expo-sent à la gloire de Dieu. Seulement ainsi, ils peuvent se trans-former en son image et être configurés à Lui. Et ce processusdéfinit de manière particulière la vie chrétienne : ce n’est pasune réalité déjà terminée, mais le fruit d’un itinéraire intérieur,d’une assimilation continuelle de la forme du Christ : noussommes transformés en son image, dit saint Paul.

  • I. Approches Bibliques 23

    Ph 3,10.21 : la vie chrétienne : avoir la forme du Christ(se conformer à Lui)

    Ph 3,1-4,1 est un texte autobiographique de Paul qui figureparmi les plus importants de l’Apôtre. L’emploi du « je » de l’au-teur abonde dans le contexte d’un récit précis de son itinéraire« en Christ ». Entre les versets 4b-15, Paul tisse un auto-élogetransformé. L’objet de l’éloge seul n’est pas son « je », mais sonêtre nouveau en Christ, le nouveau « je » en Christ qui a pris saplace chez l’Apôtre depuis sa rencontre avec lui. Comment ex-pliquer le changement d’une personnalité si granitique sinon parune intervention divine, l’unique force capable de bouger la viede ce pharisien, comme elle est présentée aux versets 7-11.

    Paul propose ici, en synthèse et s’appuyant sur sa proprevie, son propre postulat au sujet de la vie chrétienne : conforméau Christ. Paul trouve son motif d’orgueil seulement en Lui, etainsi, motivé non par ses succès, mais parce qu’il a abandonnéet par l’oeuvre que le Seigneur a accompli en lui, il se présentelui-même comme l’exemple de la vie « en Christ » pour que lesPhilippiens l’imitent. La motivation de se conformer au Christest dans la rencontre et la connaissance du Ressuscité. Les ver-sets 9-11 montrent les conséquences qui découlent de ce chan-gement : être uni au Christ – avec une condition de justice de-vant Dieu, qui ne se fonde pas sur l’obéissance à la Loi, maissur la foi, et sur une connaissance de l’amour du Christ, mar-quée par une conformation progressive à sa mort, unie à l’espé-rance d’atteindre la résurrection finale.

    Rm 12,2 : La vie chrétienne ou adhésion au Christ quis’exprime dans la vie selon Lui

    À la fin de la lettre aux Romains, la dernière lettre de Paul,l’Apôtre reconnaît qu’il a des motifs de se sentir orgueilleuxdevant Dieu au nom du Christ Jésus « car je n’oserais rien men-tionner, sinon ce que Christ a fait par moi (et en moi) pourconduire les païens à l’obéissance » (Rm 15,18). Cette lettre quireprésente la synthèse spirituelle et apostolique de l’apôtre, se

  • Cahier eudiste n° 25 - 201724

    termine par une grande partie parénétique, qui commence pré-cisément en Rm 12,1. À partir de là, Paul exhorte à vivre la ma-nière chrétienne qui doit caractériser l’existence de celui quis’est ouvert, par la foi et le baptême, au don de Dieu qui le jus-tifie. Cet événement salvifique opère une transformation radi-cale du croyant, en son être, dans ses relations et ses actions,dans son lien au monde qui l’entoure et dans sa manière parti-culière d’être au monde. Ici est mise en évidence la dimensionéthique de l’existence chrétienne, du croyant qui vit mainte-nant « une vie nouvelle en Christ ». La vie chrétienne consistealors à s’unir au Christ, à se conformer au Christ, à sa vie. Et laforme, la vie du Christ est l’amour. Pour autant, être chrétienest se conformer au Christ, entrer dans son amour. C’est pourcela que Paul dans la lettre aux Galates parle de la foi quiopère au moyen de la charité (cf. Ga 5,14).

    Conclusion

    Ce sujet – la formation de Jésus en nous – exige de réviser,d’évaluer, de reconsidérer la qualité de notre vie chrétienne, etpar conséquent de notre vie d’Eudiste et de prêtre. Probable-ment à cause de certaines options missionnaires, notre fragilitéintérieure, notre découragement ont atteint des niveaux telsque des inconsistances sérieuses ne peuvent être cachées, et af-faiblissent l’efficacité de notre présence missionnaire dans lemonde. Et ceci est très grave. Cet état des lieux, est sans doutebeaucoup plus large que seulement chez les Eudistes. Le PapeFrançois ne se fatigue pas de répéter que toute l’Église doit vi-vre une authentique transformation missionnaire (EvangeliiGaudium 25-33), à partir du cœur de l’Évangile (34-39). Pourcela, il nous propose un programme d’action intéressant dansEvangelii Gaudium 262-283 : le chapitre dont le titre est évan-géliquement provocateur : Evangélisateurs avec l’Esprit. Quenotre réponse aux exigences de ce nouveau contexte ecclésialet missionnaire vienne d’une nouvelle redécouverte de notremode eudiste de vivre l’Évangile : vivre la vie chrétienne, à lamanière de saint Paul à l’école de saint Jean Eudes.

  • I. Approches Bibliques 25

    En lisant l’apôtre, nous avons découvert le chemin… Main-tenant il nous revient de le vivre de manière authentique, en as-sumant le défi du moment présent de former le cœur, commel’a demandé le même Pape François dans son message de ca-rême 2014. Une chose est de comprendre quelque chosecomme bon, et autre chose bien distincte, de commencer à levivre. C’est un problème quand quelqu’un croit qu’il sait déjàvivre parce qu’il est arrivé à le comprendre. Si notre obstina-tion à former le Christ en nous (ou de permettre qu’il soitformé en nous) ne réussit pas et n’engage pas notre être inté-rieur, il n’arrivera pas au noyau de notre vie qui est notre cœur,au lieu même ou se forment les convictions.

    Si nous ne nous impliquons pas intégralement dans la for-mation du Christ en nous, nous demeurerons sans forme. Il yaura une apparence, mais elle manquera de racines. Sansconviction, il n’y a pas d’intégrité, ni un don total, ni une dis-ponibilité pour un engagement définitif qui vient de la décisionde ne rien garder, de mettre tout en jeu, de livrer tout ce qu’ona sans rien garder pour soi. Ce chemin est tracé : prendreconscience du don du nouveau mode d’existence centré sur leChrist (Ga 4,19) fruit d’un processus continuel de transforma-tion intérieure (2 Co 3,18), jusqu’à avoir la forme même duChrist (Ph 3,10.21) de manière que cette « vie en Christ » s’ex-prime dans une vie chrétienne, une vie de prêtre selon Lui (Rm12,2). La première motivation pour évangéliser est l’amour deJésus que nous avons reçu, cette expérience d’être sauveur parCelui qui nous pousse à l’aimer toujours plus (Evangelii Gau-dium 264).

  • Cahier eudiste n° 25 - 201726

    LA FORMATION DE JÉSUS EN NOUS. PERSPECTIVES BIBLIQUES

    P. Guillermo de Jésus ACERO ALVARIN, cjm

    Percevoir la Parole de Dieu dans les Saintes Écritures etfonder la vie et la mission de chaque disciple missionnaire deJésus sur elle, c’est ce que demande avec force l’Église d’au-jourd’hui (cf. Verbum Domini 3 et 5, Evangelii Gaudium, 174).La Congrégation de Jésus et Marie a accueilli avec fidélité etcréativité cet appel de l’Église et, en s’inspirant de saint JeanEudes, suit le témoignage des prophètes : « Chaque matin, iléveille mon oreille pour que j’écoute tel un disciple » (Is, 50, 4)et se laisse interpeler par l’attitude des disciples de Jésus :« Marie, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa Parole »(Lc 10, 39). La 66ème Assemblée Générale a ajouté « Former leChrist en nous » comme la feuille de route spirituelle qui re-nouvelle la vie de chaque Eudiste et l’amène à donner desfruits de conversion pastorale à partir d’une expérience com-munautaire profondément enracinée dans l’Évangile.

    À partir de la source de la Parole de Dieu, cette réflexionsouhaite apporter des éléments simples, clairs et inspirants quipuissent aider à comprendre et à assumer les fondements bibli-ques de la tradition spirituelle eudiste et permettent d’actuali-ser cette école de sainteté face aux défis que nous lance l’évan-gélisation.

  • I. Approches Bibliques 27

    1. Quatre racines vétérotestamentaires de « Former Jésusen nous »

    L’expression « former Jésus » est propre à l’apôtre Paul (Ga4, 19) et bien qu’il soit le seul à l’utiliser,2 on ne peut conclureprécipitamment que ce soit une idée isolée. Bien au contraire,la compréhension de cette expression dépend du contextedans lequel Paul a vécu sa foi juive, le processus intérieurd’identification à Jésus Christ et la communication de l’Évan-gile comme témoin, prédicateur, maître et pasteur.

    L’usage du verbe « former » est métaphorique, il se réfèreau processus de formation de l’être humain dans le sein mater-nel et, même si ce processus est aujourd’hui très documenté etétudié, il ne cesse d’être un phénomène surprenant et merveil-leux. C’est l’origine même de la vie, mais dans une perspectivedynamique qui implique des changements dans la personne quiaccueille cette vie et coopère radicalement à sa gestation. Celaimplique également des changements dans la personne en ges-tation jusqu’à maturité, celle qui lui permet de sortir du ventrematernel afin de développer sa propre vie.

    La tradition biblique propose, entre autres choses, quatreaxes théologiques qui pourraient aider à mieux comprendre ladynamique de croissance et de transformation intérieure quiest liée symboliquement à la métaphore de la gestation pasto-rale paulinienne : l’action performante de la Parole de Dieu,l’école formatrice de la Sagesse, la miséricorde qui modèle lescœurs et la liturgie qui favorise la communion.

    1.1 La Parole de Dieu, créatrice et transformatrice de la viehumaine

    Paul fait partie d’une longue série de personnes transfor-

    2 En plus du passage de l’épître aux Galates (4, 19), l’apôtre Paul utili-sera des expressions en lien avec la racine verbale (morfoo) en 2 Co 3, 18(mtamorphoumetha) ; Ph 3,10 (symmorphizomenos) ; Ph 3, 21 (symmor-phon) ; Rm 12, 2 (metamorphousthe)

  • Cahier eudiste n° 25 - 201728

    mées par la voix de Dieu. L’origine même de l’univers fait par-tie de cet acte verbal qui est capable de donner vie et sens àtout ce qui existe.3 La foi d’Israël dépend de cela : l’Alliance deDieu, ce sont des mots sacrés, des promesses renouvelées par laforce des prodiges et accomplies par la fidélité d’un Seigneurmiséricordieux. La Loi ou Pentateuque recueille ces mots pourles générations futures et souhaite les graver au cœur de toutêtre humain, s’offrant comme un chemin de bonheur (cf. Ps 1,1-2).

    Cette Parole même de Dieu interpelle les cœurs d’hommeset de femmes capables de l’écouter et de l’accueillir, pour fairede celle-ci un style de vie. Ces prophètes deviennent les vérita-bles serviteurs et servantes de cette Parole divine et sont recon-nus comme tels par le peuple de Dieu. Le prophète Ezéquielmontre que l’écoute de la Parole divine est un acte vital,comme l’est l’aliment, sa digestion transforme les entrailles etson annonce a le pouvoir spirituel de donner la vie là où avantrégnait la mort (cf. Ez 3, 1-4 ; 37.1-10).

    La théologie johannique reprend cette catégorie « verbale »pour se référer à Jésus Christ, en proposant la naissance deJésus comme l’incarnation de la Parole créatrice (cf. Jn 1, 1-3.10). Ainsi donc, sa condescendance s’exprime dans les mê-mes termes d’éloge que dans l’Exode, livre dans lequel la gloireterrible de Dieu sur le Sinaï devient, dans la tente de la rencon-tre, une attention proche vis-à-vis de son peuple (cf. Jn 1, 14).Ces aspects théologiques profonds, Matthieu et Luc les repri-rent en leur temps, pour transmettre l’expérience de la mater-nité de Marie. Paul, pour sa part, décrit également sa rencontreavec Jésus ressuscité dans les termes mêmes de la vocation pro-phétique : « Mais quand Celui qui dès le sein maternel m’a mis àpart et appelé par sa grâce » (Ga 1,15 ; cf. Is 49,1 ; Jr 1,5 ; Is 6,1-13).

    3 Message du synode de la Parole… Benoît XVI, exhortation apostoli-que Post synodale Verbum Domini.

  • I. Approches Bibliques 29

    1.2 La Sagesse divine, principe de vie et communion à Dieu

    La sagesse s’exprime également dans des termes semblablesà ceux de l’Épître aux Galates. Elle est engendrée avant tout ceque l’on voit et elle grandit, comme une petite fille, en jouant eten profitant de la compagnie des êtres humains (Pr 8 22-31).Les parents éduquent leurs enfants dans la sagesse et veulentqu’elle puisse se développer dans leur cœur, qu’elle leur soitaussi familière qu’une sœur (Pr 7, 1-4). Le sage l’aime commeune épouse, comme une compagne de vie qui le rend plus sageencore par le partage d’une vie au quotidien (Sg 8, 1-21). La sa-gesse doit grandir en même temps que la personne, de tellesorte que son exercice dès le plus jeune âge l’amène à la vivrepleinement (Pr 3, 18).

    Ainsi donc, cet environnement autour de la sagesse permetde comprendre plus en profondeur le caractère pédagogiquede la « gestation », car même si l’on conserve la relation inter-personnelle, on perçoit également le développement intérieurd’une expérience qui finit par affecter toute la vie de celui quientretient une relation avec la sagesse. En d’autres termes, lasagesse nous permet de comprendre comment, depuis l’intério-rité, l’être humain peut apprendre à vivre plus pleinement àpartir de différents types de relations.

    Voici quel serait le champ néotestamentaire à l’attention desdisciples. Le Royaume de Dieu, annoncé par Jésus (Mc 1, 14-15), est accueilli avec des attitudes de conversion (« ils laissè-rent là leurs filets » – Mc 1, 18) et de foi (« ils le suivirent » –Mc 1, 18). Ceux qui écoutent la Parole de Dieu à travers Jésusle Maître, la méditent et l’accueillent, sont comme un terrainfertile qui accueille la semence et favorise sa croissance (Mc 4,8-20 ; Lc 8, 21 ; 11, 28) sans que l’on sache comment (Mc 4, 26-29).

    Paul, de son côté, distingue entre la sagesse humaine quiconduit à la niaiserie (Rm 1, 21s), et la sagesse de Dieu, quel’on retrouve dans la figure de Jésus crucifié (1 Co 1, 18-29).Ainsi donc, lorsque l’apôtre décrit sa relation personnelle avec

  • Cahier eudiste n° 25 - 201730

    Jésus, il dit que sa vie ne lui appartient pas, mais qu’elle est auChrist (Ga 2, 20 ; Ph 1, 21) et ceci se produit précisément àpartir du baptême, quand nous mourons tous avec le Christ, etressuscitons avec Lui (Rm 6, 8). À l’intérieur de l’homme, là oùle Christ habite, la vie prend de la vigueur, alors que l’hommeextérieur perd peu à peu ses forces (2 Co 4, 16).

    1.3 La Miséricorde, les attitudes qui forment les entrailles de Dieu

    Par cette dimension intérieure de l’être humain on com-prend mieux le mot « miséricorde », qui en hébreux (hajam-ha-jamim) est en lien avec les entrailles, avec la matrice, avec l’uté-rus (Gn 20, 18 ; Jr 20, 17) et prétend exprimer de façon anthro-pomorphique les sentiments de Dieu, tout ce qu’il a au plusprofond de son être (Jr 31, 20 ; Is. 66, 4-9). La métaphore, quise rapproche de l’image paulinienne, permet de comprendreque l’intérieur de Dieu est comme les entrailles d’une mère oùla vie humaine prend corps et où également se ressentent lesdouleurs, celles mêmes de l’accouchement, mais aussi cellesliées aux expériences de ses enfants. (Os 13, 13)

    La miséricorde n’est pas seulement l’expression la plusclaire de la nature divine, mais c’est aussi une expérience quiengage le croyant à assumer les sentiments mêmes de Dieu. SiDieu est miséricordieux avec Israël, c’est pour que son peupleapprenne à être miséricordieux avec les plus pauvres (Dt 15, 1-11). Israël doit apprendre à avoir les entrailles mêmes de Dieu.

    Voici quelle est la piste que l’école de Jésus de Nazarethchoisit d’assumer : « Soyez miséricordieux comme votre Pèreest miséricordieux » (Lc 6, 36) ; « Ne devais-tu pas toi aussiprendre pitié de ton frère, comme je t’ai pris en pitié ? » (Mt18, 33) ; « Allez, et apprenez ce que signifie : Je veux de la mi-séricorde et non des sacrifices. Parce que je ne suis pas venupour appeler les justes, mais pour les pécheurs ». (Mt 9, 13)

    Paul rend témoignage de cette école de miséricorde quiforme les entrailles à la mesure de Dieu : « Je rends grâces à ce-lui qui m’a donné la force, le Christ Jésus, notre Seigneur, qui

  • I. Approches Bibliques 31

    m’a jugé assez fidèle pour m’appeler à son service, moi naguèreun blasphémateur, un persécuteur, un insulteur. Mais il m’a étéfait miséricorde parce que j’agissais par ignorance, étranger à lafoi ; et la grâce de notre Seigneur a surabondé avec la foi et lacharité qui est dans le Christ Jésus. Elle est sûre cette parole etdigne d’une foi toute entière : le Christ Jésus est venu dans lemonde pour sauver les pécheurs dont je suis, moi, le premier. Ets’il m’a été fait miséricorde, c’est pour qu’en moi, le premier, Jé-sus Christ manifestât toute sa patience, faisant de moi un exem-ple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle.Au roi des siècles, Dieu incorruptible, invisible, unique, bonheuret gloire dans les siècles des siècles ! Amen (1 Tim 1, 12-17). Delà surgissent les invitations réitérées aux communautés fondéespar lui : « que personne ne se soucie de son propre intérêt, sinonde celui des autres. Ayez donc l’attitude même du Christ Jésus ».(Ph 2, 4-5)

    1.4 La liturgie, un service qui donne une identité propre

    En apparence, la miséricorde s’oppose au culte, au moinsdu point de vue de la ligne prophétique : « la miséricorde et nonles sacrifices » (Os 6, 6) ; cependant, ce que dénonce la prophé-tie est loin d’annuler le culte, tout au contraire elle prétend lerénover en lui redonnant son sens le plus profond : le servicede la Parole de Dieu. En effet, les expressions : « abodah », enhébreu, et « leitourgía », en grec, signifient service et sont pro-fondément liées à l’alliance de Dieu avec le peuple d’Israël (Ex.1, 16 ; 8, 1 ; 9, 1-13 ; cf. 5, 1). Ainsi donc, cette dimension de larelation de Dieu et son peuple réaffirme l’identité d’Israël et luifait vivre pleinement la Parole de Dieu, parce qu’en elle, cedernier offre les fruits de la justice et de la miséricorde.

    La perspective identitaire du culte est également en lienavec le principe de la tradition sacerdotale : « Soyez saintscomme je suis saint » (Lv 11, 44 ; 19, 2 ; 20, 7-26 ; 21, 8). Lasainteté des israélites dépend de la communion avec Dieu à tra-vers le culte. Le geste rituel devient Parole célébrée, performéeet performante, qui réalise pleinement l’alliance et renvoie cha-

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    que israélite à la pureté propre à l’homme justifié (Ps 15, 1-5).

    Les disciples de Jésus, même s’ils étaient partie prenante dela pratique cultuelle juive (Ac 2, 46a), peu à peu se concentrè-rent sur la célébration domestique propre aux petites commu-nautés. Au cours de ces repas, on reprenait les mots et les ges-tes de Jésus, de telle sorte que ce qui avait été vécu avec Jésusétait rappelé et actualisé constamment (Ac 2, 46b). Dans lesquatre évangiles, la tradition reçue de Jésus de faire des repasissus de la tradition juive (Mc 14, 12-25), de la vie de famille(Mc 14, 13-21 ; 9, 9-17) ou des circonstances sociales (Mt 14,13-21 ; 9, 9-17) des espaces marqués d’un profond symbolismeest constante. C’est précisément par la reconnaissance de laprésence et de l’action salvatrice de Jésus mort et ressuscitédans le baptême et la fraction du pain eucharistique que touteautre action cultuelle juive sera dépassée.

    Jésus, dans l’évangile de Jean, rappelle: « Celui qui mangema chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Demême que le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par lePère, de même celui qui me mange lui aussi vivra par moi » (Jn6, 46). Il dit quelque chose de semblable par rapport à sa Parole :« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma Parole, et mon Père l’ai-mera, et nous viendrons en lui et nous nous ferons une demeurechez lui » (Jn 14, 23). Pour la théologie johannique la commu-nion eucharistique au corps et au sang du Christ, mais aussi àses paroles, crée un lien profond de communion qui trans-forme la vie du disciple, celle de Jésus ainsi que celle de sonPère en une seule réalité. Paul a insisté auparavant sur le carac-tère de communion lié à la Cène du Seigneur : « Chaque fois eneffet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe,vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1Co 11, 26). La liturgie eucharistique produit la communionchristologique qui fonde, à son tour, la communion ecclésiolo-gique. L’union du croyant au Christ conduit à l’authentiquecommunion fraternelle de l’Église.

  • I. Approches Bibliques 33

    2. « La formation de Jésus en nous » : l’expérience quereflètent les écrits du Nouveau Testament

    2.1 Trois considérations préalables :

    ● Gradualité génétique des écrits

    L’exégèse moderne nous permet d’être davantageconscients de comment l’ensemble des livres que nous autreschrétiens appelons “Bible” s’est peu à peu formé. Il est égale-ment possible de retrouver, grâce à la méthode historico - criti-que, les traces du processus de formation de ces livres. LeNouveau Testament a commencé à se former avec les premiè-res lettres de Paul : 1ère aux Thessaloniciens, 1ère et 2ème auxCorinthiens, aux Galates, aux Philippiens, aux Romains et àPhilémon. Déjà à l’époque de la 2ème lettre de Pierre (3, 15-16),on reconnaissait sa valeur canonique. Au fil du temps se sontajoutés à ces écrits pauliniens d’autres documents de la mêmeécole que l’on a appelés « deutéropauliniens et tritopauli-niens » ; les générations successives indiquèrent que ces écritsentretenaient ce legs pastoral et théologique de l’apôtre, etqu’elles écrivaient et recevaient ces lettres avec une autorité quileur provenait de Paul lui-même.

    À ce corps épistolaire se sont ajoutées au fil du temps d’au-tres œuvres littéraires qui mettent en évidence une certaine in-fluence de la genèse théologique paulinienne: l’évangile deMarc, premier du genre, et les suivants, Matthieu (le plus pro-che de la proposition littéraire de Marc et le plus judéo-chré-tien dans sa pensée), et Luc (plus proche de l’héritage pauli-nien et de l’environnement helléniste). L’évangile de Jean re-flète plusieurs strates littéraires, certaines d’entre elles très an-ciennes et plus précises d’un point de vue géographique et his-torique que les synoptiques. Sur l’aspect concret de la relationentre le croyant et Jésus, il se rapproche plus de la traditionpauline que de la tradition synoptique. Même si les écrits appe-lés « apostoliques » – Epître aux Hébreux, de Saint Jacques,1ère et 2ème de Saint Pierre, 1ère à 3ème de Saint Jean, de Jude,ainsi que l’Apocalypse demanderaient une étude propre, l’inté-rêt de cette contribution n’est pas d’aller dans ce sens.

  • Cahier eudiste n° 25 - 201734

    ● Graduation théologique des affirmations

    De même que l’on a décrit le processus génétique des écritsnéotestamentaires, on pourrait le faire avec les contenus théo-logiques qui dérivent de leurs formes littéraires. Pour ce quiconcerne « la formation de Jésus en nous », on pourra fairecette subtile distinction : former, vivre, croire et suivre Jésus.Tout d’abord, comme un travail propre à chacun, mais encontinuité avec un processus simultané de le former dans la viedes interlocuteurs de l’annonce évangélique.

    ● Graduation spirituelle et pastorale de sa répercussion

    L’intérêt de cet article est en droite ligne avec la préoccupa-tion spirituelle et pastorale du lecteur, c’est pourquoi on privi-légie également le langage et les propositions argumentativesafin qu’ils s’harmonisent avec cette recherche personnelle etévangélisatrice.

    2.2 Former Jésus4

    Le verbe « morfow » (former) est un mot qui n’apparaîtqu’une seule fois (« Hápax legómena ») dans le Nouveau Testa-ment, dans l’Epître aux Galates (4, 19). Il est à mettre en rela-tion avec la métaphore utilisée par Paul pour identifier des re-lations « materno-pastorales » avec cette communauté. Jésus seforme dans le cœur de chaque chrétien petit à petit, comme unbébé se forme dans le ventre maternel.

    L’usage du verbe « morfow » en composition avec les pré-positions « meta » et « syn » génère des variantes très intéres-santes qui permettent d’explorer d’autres nuances du verbe« former » en terminologie pascale : nous nous transformonstous progressivement en image glorieuse de Jésus (meta-mor-

    4 BEHM, J. “morfh” dans KITTEL, G. FRIEDRICH, G. et BROMI-LEY, G. Abrégé du Theological Dictionnary of the New Testament, GrandRapids, 2002, 595-597. Étude du P. Ovidio MUÑOZ cjm, “La formación deJesús en nosotros en la enseñanza de Pablo”, 2016.

  • I. Approches Bibliques 35

    fow : 2 Co 3, 18) ; nous devons nous transformer par le renou-vellement de notre esprit pour discerner la volonté de Dieu(meta-morfow : Rm 12, 2) ;5 nous devons communier aux souf-frances du Christ pour connaître la force de sa résurrection(sun-morfow : Ph 3, 10) ; notre corps sera transfiguré à l’imagedu corps glorieux de Jésus (syn-morfow : Ph 3, 21).

    Les actions que ces verbes expriment nous révèlent l’expé-rience personnelle de Paul, sa relation avec la communauté etla dynamique de la vie chrétienne. Cependant, cela n’est passuffisant pour percevoir la portée totale de la « formation deJésus », c’est pourquoi l’analyse lexicographique doit être éten-due au domaine des champs sémantiques pour rendre comptede toute leur profondeur.

    2.3 Vivre dans le Christ

    Dans ce champ de sens partagés, on trouve le verbe « zow »(vivre), qui reflète la réalité intérieure même de Paul, par rap-port à sa relation au Christ (Ph 1, 21 ; Ga 2, 20), qui à son tourest en lien avec l’expérience que chaque homme ou femme estamené à vivre en participant à la Pâques du Christ par le bap-tême. (Rm 6, 10-11 ; 14, 7-8)

    Les deux verbes « former » et « vivre » reflètent la vie chré-tienne d’une façon progressive et dynamique.

    Le Christ s’est formé peu à peu dans la vie de Saul-Paul dèsle sein de sa mère (Ga 1,15), cette présence est devenue expli-cite à cause du zèle pharisien qui l’a amené à pourchasser Jésussans le savoir (cf. Ph 3,5-8), sa rencontre avec le Ressuscité aprovoqué chez lui une soif de recherche qui l’a poussé à vivreen plénitude sa foi juive intégrant la compréhension de la morten croix de Jésus dans la perspective expiatoire du serviteur deYHWH (cf. Ph 2, 3-11). De ce changement de mentalité surgitl’appel de Jésus à être son envoyé vers les païens (Rm 15,15-21). La mission dans le monde juif et païen a suscité des com-

    5 Cf. PENNA, R. Carta a los Romanos, Estella, 2013, 887-894.

  • Cahier eudiste n° 25 - 201736

    munautés qu’il devait accompagner comme un pasteur, avecdes aspects paternels et maternels (cf. 1 Co 4,15). L’accompa-gnement pastoral de ces communautés l’a amené à mettre parécrit l’Évangile qu’il prédit pour l’expliciter et le défendre, toutcomme le ferait un exégète théologien de notre époque (cf. Ga1,1). Sa fidélité à la vocation missionnaire et pastorale dansl’adversité l’identifie d’un point de vue physique et spirituel àla croix du christ (Passion-mort- résurrection) (cf. 2 Co 11,23-28 ; Ga 6,11).

    2.4 Croire au Christ

    La théologie paulinienne concernant la formation de Jésustrouve dans l’Évangile de Jean un complément parfait. Il y aune claire préférence pour l’Évangile de Jean par l’action et parle fait qu’il est reçu dans un environnement de foi. Le substan-tif « foi » (pistis) est absent, alors que le verbe « croire » (pis-teuo) sous ses diverses formes conjuguées apparaît au total 98fois. Ceci confirme que pour Jean, « croire » est avant tout uneexpérience de relation au Christ. Le disciple est identifié dansl’évangile de Jean comme « celui qui croit » (Jn 3, 15, 16, 18),celui qui croit « en » (eis) quelqu’un, celui qui croit en Jésus(36 fois, cf. 15, 1). Croire en Jésus implique d’accepter sa per-sonne, sa parole et d’être capable de lui confier sa propre vie. Ils’agit d’une adhésion à la personne totale de Jésus, pas seule-ment d’un acte intérieur d’affirmation de sa divinité, c’est pourcela qu’il n’existe pas de conflit dans la théologie johanniqueentre la foi et les œuvres. Croire en Jésus signifie réaliser l’œu-vre du Père (6, 29), demeurer dans sa Parole et obéir à sescommandements (8, 31).6

    Cependant, dans l’œuvre johannique il n’y a pas de termesisolés. Il existe un réseau complexe de sens qui crée de profon-des relations entre la portée théologique des différents mots :croire est en étroite relation avec aimer (3,16), aimer avec habi-

    6 Cf. Brown, R. L’Évangile selon Jean XIII-XXI, 2ème édition, Cristian-dad, Madrid, 2000, 1624-1628.

  • I. Approches Bibliques 37

    ter (14, 23), demeurer (15, 9-10), être un (17, 21). En défini-tive, la rencontre personnelle avec Jésus et son accueil ouvrentun processus de communion radicale qui transforme l’essencemême de qui se trouve avec Lui (cf. 1, 12 ; 3, 3 ; 4, 14).

    D’autre part, Jean avertit que la transformation que sup-pose la foi en Jésus est progressive, qu’elle implique un proces-sus pédagogique conduit par le Maître qui soigne, qui se révèleet qui finit par devenir le centre de toute la vie. Le miracle « di-dactique » de l’aveugle né l’illustre bien : la guérison (9, 7)mène peu à peu à un témoignage (9, 8-34) qui se conclut par larévélation pleine de Jésus (9, 35-37) et par la confession/adhé-sion pleine de celui qui croit (9, 38).

    2.5 Suivre Jésus7

    Marcher à la suite de Jésus de Nazareth, se mettre à sonécole et suivre son enseignement, est devenu aujourd’hui un ré-férent universel qui décrit l’identité chrétienne.8 Cette mise enmarche émane des pages du Nouveau Testament, en particulierdes Évangiles, et s’inspire d’un itinéraire qui tente de convertirle mystère profond décrit auparavant dans un projet de vie quiillumine le quotidien de l’existence et la dynamise pour repro-duire, de façon féconde, les pages évangéliques.

    L’expression « suivi de Jésus » ne se trouve pas dans lesécrits bibliques, c’est la synthèse du processus pédagogique deJésus, caractérisé par certains verbes (suivre, aller derrière, ser-vir, etc.) et des noms (disciple, maître, enseignement, comman-dements, etc.). Cette pédagogie débute par une rencontre per-sonnelle (Mc 1, 16), dans le cadre duquel Jésus, le Maître, ap-pelle ses disciples à changer leur style de vie habituel (Lc 5, 8-11), les invite à vivre avec lui dans des espaces de vie familiersen leur redonnant du sens (Mc 3, 31-35) et les emmène avec luidans des missions itinérantes qui réitèrent avec des mots et desgestes la proposition du Royaume de Dieu (Mc 1, 38-39 ; Lc 8,1-3).

    7 Étude du P. Álvaro TORRES, cjm, “La formación de Jesus en el Evan-gelio”, Manuscrit non publié, 2016.

  • Cahier eudiste n° 25 - 201738

    L’énorme richesse de la théologie paulinienne concentréesur l’action de « former Jésus » et de « vivre dans le Christ » setraduit dans des catégories de théologie narrative. Commentpouvons -nous former Jésus en nous ? En le suivant !

    3. Conclusions. Saint Jean Eudes

    À l’époque de saint Jean Eudes on ne pouvait pas faire uneclaire différence entre les sciences théologique et exégétique.La base de tout exégète, au-delà de la connaissance des languesbibliques, correspondait à sa connaissance de la Bible elle-même et à sa capacité d’interprétation, en accord avec le « sen-sus ecclesiae », du moins au XVIIème siècle.

    L’ample connaissance que Jean Eudes possède des SaintesÉcritures et son interprétation dans la droite ligne des Pères del’Église et d’autres théologiens de son époque ne laisse pas dedoute par rapport à son autorité de spécialiste de la Bible.Ainsi que le confirme Pierre Drouin : « la première source del’expérience spirituelle eudiste, ce sont les saintes Ecritures ».Il faut considérer comme important le fait que dans les douzetomes des œuvres complètes, il y a 891 citations extraites ducorpus paulinien, et 319 de l’Évangile de Jean.9

    3.1 Les sources pauliniennes de « former Jésus » chez SaintJean Eudes

    Jean Eudes cite l’épitre aux Galates 4, 19 à huit reprises : ● Trois fois dans son œuvre la plus connue ; « la Vie et le

    8 CELAM, Conclusions de la Vème conférence Générale de l’EpiscopatLatino-américain et des Caraïbes, Aparecida, 2007, p. 1 et 240-285. PapeFrançois, Evangelii Gaudium, p. 119-121.

    9 Drouin, Pierre “Jean Eudes et les Saintes Ecritures”, manuscrit nonpublié, 1995. Il est hautement recommandable de lire une version récente del’ouvrage du Père Pierre Drouin sur le même thème : Drouin, Pierre « Com-ment saint Jean Eudes lit la Parole et comment il recommande de faire lalecture priante de la Bible », manuscrit non publié, 2017.

  • I. Approches Bibliques 39

    Royaume de Jésus dans les âmes chrétiennes ». Dans lapréface : « l’occupation la plus importante d’un chrétien,c’est de s’efforcer afin que Jésus prenne forme et place au-dedans de lui, selon la consigne apostolique : que le Christse forme en vous. Ce qui revient à dire : faire vivre dansson esprit, dans son cœur et dans tout son être la saintetéde sa vie et de ses habitudes. C’est ce que saint Paul ap-pelle porter et glorifier Dieu dans notre corps… ».10 Deuxautres fois dans la seconde partie (La vie chrétienne et sesfondements) : si tu agis ainsi, tu vivras dans la vraie dévo-tion et tu formeras Jésus en toi comme l’apôtre le sou-haite : que le Christ prenne forme en vous, et il te trans-formera en son image, c’est-à-dire, tu feras vivre et régnerJésus en toi, tu seras une seule chose avec lui, et Jésus seratout en toi, selon la sainte Parole : pour que tous se réali-sent dans l’unité et que Dieu soit tout pour tous. Voici, eneffet, quel est le but de la vie, de la piété et de la dévotionchrétiennes. C’est pourquoi il est important que tu pren-nes conscience de la nécessité de former Jésus en nous etdes moyens pour y parvenir ».11 « Le mystère par excel-lence et la tâche suprême est la formation de Jésus que

    10 Eudes, Jean. Œuvres choisies. Bogotá 1990, p. 117. Dans le texte ori-ginal on lit « la principale occupation d’un chrétien doit être de travailler àformer et établir Jésus dedans de soi, selon ce souhait apostolique : Forme-tur Christus in vobis, c’est-à-dire [de travailler] à la faire vivre dans son es-prit et dans son cœur, et à établir la sainteté de sa vie et de ses mœurs en sonâme et en son corps : qui est ce que saint Paul appelle porter et glorifierDieu dans mon corps… ». EUDES, Jean, O.C. I, 91.

    11 “Faisant ainsi, vous vivrez dans la vraie et parfaite dévotion, par lemoyen de laquelle vous formerez Jésus en vous, selon le souhait de son Apô-tre : Donec formetur Christus in vobis 1 ; et vous serez transformés en Jésus,selon la parole de ce même Apôtre : In eamdem imaginem transformamur 2 ;c’est-à-dire, vous ferez vivre et régner Jésus en vous, vous ne ferez qu’unavec Jésus, et Jésus sera tout en vous, selon la parole sacrée : Consummati inunum, et omnia in omnibus 3 ; qui est le but et la fin à laquelle tend la vie,la piété et dévotion chrétienne. C’est pourquoi il est nécessaire de vous fairevoir de quelle importance est ce grand œuvre de la formation de Jésus dansnos Âmes, et ce qu’il faut faire pour l’y former ». EUDES, Jean. O.C. I,p. 271.

  • Cahier eudiste n° 25 - 201740

    nous montrent les mots de saint Paul suivants : « Mes pe-tits enfants, vous tous pour lesquels je souffre de nouveaules douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que le Christprenne forme en vous ».12

    ● Une fois dans « le Bon Confesseur », dans une perspectiveapostolique.13 Une autre fois dans « l’Enfance admirablede la Très Sainte Mère de Dieu », lorsqu’il explique la ma-ternité spirituelle de Marie.14

    ● Trois autres fois dans « le Cœur admirable de la trèsSainte Mère de Dieu », lorsqu’il explique comment leCœur de Marie reflète la très Sainte Trinité, tout particu-lièrement Dieu le Père,15 et est une vive image du Cœur

    12 “Le mystère des mystères et l’œuvre des œuvres, c’est la formation deJésus, qui nous est marquée en ces paroles de saint Paul : « Filioli, quos ite-rum parturio, donec formetur Christus in vobis. C’est le plus grand mystère,et le plus grand œuvre qui se fasse au ciel et en la terre, par les personnes lesplus excellentes de la terre et du ciel, c’est-à-dire, par le Père éternel, par leFils et par le Saint-Esprit, par la très sainte Vierge et par la sainte Église ».EUDES, Jean, O.C. I, p. 271.

    13 “… cette même vertu, dis-je, vous a été communiquée, lorsque vousêtes entrés dans le sacerdoce, pour vous donner le pouvoir de produire dansla sainte Eucharistie le Fils unique de Dieu et le Fils unique de la Vierge,comme aussi pour le former et pour le faire naître dans les âmes chrétien-nes : formetur Christus in vobis ». EUDES, Jean. O.C. IV, p. 152.

    14 “Quelle est la Maternité spirituelle? C’est celle dont le Fils de Dieufait mention en ces paroles: Quiconque fait la volonté de mon Père qui estaux cieux, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère ; c’est-à-dire, je le re-garde et l’aime comme mon frère, ma sœur et ma mère. Pourquoi est-ce quele Fils de Dieu donne cette glorieuse qualité de mère aux personnes qui fontla volonté de son Père ? C’est parce que toute âme chrétienne qui aime sonDieu et qui accomplit sa divine volonté, forme et fait naître le même Fils deDieu dans son sein, selon ces paroles de Saint Paul : Formetur Christus invobis ; à raison de quoi elle est appelée, par saint Ambroise et par saint Jé-rôme, Verbigena, « la mère du Verbe éternel » ; et elle est tellement sa mère,que, selon le très docte et pieux Gerson, elle lui peut dire ce que le Pèreéternel lui dit de toute éternité : Filius meus es tu, hodie genui te : « Vousêtes mon fils, aujourd’hui je vous ai engendré ». Jean Eudes, OC V, p. 399-400.

    15 “Le docte et pieux Gerson dit qu’une âme fidèle à la grâce de Dieu,forme et fait naître en soi le Fils de Dieu, suivant ces divines paroles : For-metur Christus in vobis ; et qu’elle devient mère de Dieu, conformément à

  • I. Approches Bibliques 41

    adorable du Père Eternel,16 tout comme l’action de Jésusqui marque nos cœurs du sceau de son amour.17

    Ses citations répondent à une claire intuition : la vie chré-tienne se résume à « former Jésus ». C’est ce qui incombe àchacun d’entre nous, c’est la tâche des pasteurs et c’est l’actionla plus louable de Dieu en nous. Marie continue cette merveil-leuse tâche divine comme mère au travers de son AdmirableCœur.

    3.2 Les sources johanniques de « former Jésus » en saint JeanEudes

    Comme on l’a affirmé plus ou moins directement, la théolo-gie paulinienne est intrinsèquement liée à celle de Jean dans laproposition spirituelle eudiste.

    Le texte johannique qui concentre cette force d’union de« former Jésus » est peut-être celui cité par saint Jean Eudesdans ses œuvres, au chapitre 17 : « Je leur ai donné la gloireque tu m’as donnée pour qu’ils soient un comme toi et moi,nous sommes Un. Moi en eux et toi en moi, pour qu’ils soientparfaitement un et que le monde reconnaisse que tu m’as en-voyé et que tu les aimes comme moi tu m’aimes. Père, je veuxque ceux que tu m’as confiés soient un avec moi où que je sois ;pour qu’ils puissent contempler ma gloire, celle que tu m’as

    ce que dit notre Sauveur, qui nous assure que celui qui fait la volonté de sonPère est son frère, et sa sœur, et sa mère… » Jean Eudes, OC VII, p. 88.

    16 “ Ce Verbe adorable veut que sa sainte Mère le produise par une gé-nération spirituelle, avant que de le produire par une génération corporelle,et qu’elle le forme dans son Cœur, conformément à ces divines paroles : For-metur Christus in vobis ». Jean Eudes, OC VII, p. 130-131.

    17 “… notre très bon Rédempteur non seulement veut effacer en nouscette horrible image, mais il veut se transformer en nous : cum in forma Deiesset, exinaivit semetipsum, formam servi accipiens, et nous transformer enlui : In eamdem imaginem transformamur. Formetur Christus in vobis. Et sabonté passant encore plus outre, il veut nous associer avec lui et nous rendreses coopérateurs dans le grand œuvre de cette merveilleuse transformation ».Jean Eudes, OC VII, p. 228.

  • Cahier eudiste n° 25 - 201742

    donnée, parce que tu m’as aimé avant le commencement dumonde… Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur feraiconnaître pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux etmoi en eux » (v. 22-24.26). La formation de Jésus est avant toutune œuvre de la Trinité, c’est la participation à la communiondivine par le Baptême et cela conduit à la pleine expression dela communion ecclésiale des disciples.18

    Jean Eudes a su combiner parfaitement les perspectivespauliniennes et johanniques dans une dynamique progressiveet quotidienne pour le chrétien afin de former Jésus en lui, detelle sorte que la proposition du Pape François à l’égard del’ensemble de ceux qui souhaitent se mettre à son école, trouvedans la lecture de ses œuvres et dans notre école de saintetédes alliés sans égal pour répondre aux défis d’une révolutionde la tendresse,19 qui renouvelle dans notre spiritualité et dansla pédagogie de notre évangélisation le rapprochement propreà l’acte de miséricorde. Dans cette perspective même, la cul-ture de la rencontre trouve une impulsion considérable si elleparvient à traduire la force intérieure de l’apôtre dans les ex-pressions concrètes d’une communion par laquelle les périphé-ries existentielles se rapprochent du seul centre possible : JésusChrist.20

    Les Eudistes vivent, sous le pontificat du Pape François,une occasion particulièrement opportune21 qui exige d’eux unrenouveau personnel, communautaire et apostolique. Il estéminemment souhaitable que cette occasion nous trouve« Corde Magno et animo volenti ».

    18 Cette idée est reprise 76 fois dans le chapitre 17 de Jean. Parmi ces ci-tations, le verset 23 (« Moi en eux et toi en moi »), 19 fois. Les références àla « Vie » et au « Royaume » sont les plus nombreuses dans ce chapitre 17 deJean (26 fois).

    19 François, Evangelii Gaudium, p. 88.20 François, Evangelii Gaudium, p. 24 et 220.21 Un « kairos » dans le texte original (note du traducteur).

  • I. Approches Bibliques 43

    RÉSONNANCES À L’EXPOSÉ DU P. GUILLERMO ACERO, CJM

    P. José Mario BACCI, cjm

    Au texte proclamé de Ga 4, 12-20 que chaque membre del’Assemblée Générale a pu s’approprier (grâce à l’exposé, lalectio du P. Guillermo ACERO), vient maintenant le temps dela meditatio.

    La méditation de la lecture priante de la Bible, suppose delaisser de l’espace à la Parole pour qu’elle s’incarne dans la viedu priant. Dans cette partie de la lectio, la question que nousconnaissons déjà dans sa formulation classique nous guide : queme dit la Parole ? Je formulerais la question de manière plus ex-plicite et incisive en y ajoutant : que me dit cette Parole dansmon contexte particulier ? De sorte que, en harmonie avec tousles membres de l’Assemblée et le contexte propre de l’Assem-blée Générale, la question définitive serait : A moi, membre élupour représenter ma Province et réuni en Assemblée avec desfrères d’autres Provinces, que me dit ce texte de l’apôtre Paul(Ga 4, 12-20) ?

    Je vous propose quelques questions pour guider notre mé-ditation.

    Nous procéderons à partir d’un triple schéma qui nous per-mettra de vivre ce moment d’interpellation de la Parole :

    1- présentation de quelques orientations simples à partird’une perspective priante.

    2- présentation de quelques questions qui peuvent susciterl’introspection.

  • Cahier eudiste n° 25 - 201744

    3- bref temps de silence méditatif pour favoriser la ré-flexion et le discernement personnels.

    Paul, personne et mission

    Paul ne sépare jamais personne et mission. C’est pourquoi enGa 4, 12-20 on est frappé par les références personnelles et quo-tidiennes de Paul qui font métaphoriquement référence au tra-vail d’évangélisation de l’apôtre en Galatie. Tout son être est enjeu dans l’exercice de la mission. Le Paul fougueux et mûr –qu’a décrit le P. Guillermo –, nous apparaît comme une person-nalité solide et unifiée en Christ. Il a réussi à réaliser en lui uneadmirable synthèse de vie (personne-mission), et l’élément quipermet d’articuler ces deux aspects d’une telle personnalité c’estla formation du Christ en lui.22 (cf. Evangelii Gaudium 273)

    Et nous ? La nouvelle identité de notre être en Christ, élé-ment unificateur de la personnalité du disciple, qui se concré-tise dans une vie qui devient mission, est-elle aussi enracinée ennous ? La mission nous définit-elle ? Et réciproquement, notrevie est-elle mission ? C’est pour cette raison que Paul en denombreuses occasions – et aussi en Ga – a recours à des don-nées autobiographiques. Cela ne l’intéresse pas de faire le ré-sumé de sa vie, il prétend seulement souligner la profondeunité de sa personnalité en Christ.

    La péricope de la tendresse

    En Ga 4, 12-20, Paul s’expose personnellement. Il parle à lapremière personne et aborde ses destinataires avec le « vous »,

    22 « La mission au cœur du peuple n’est ni une partie de ma vie ni unornement que je peux quitter, ni un appendice ni un moment de l’existence.Elle est quelque chose que je ne peux pas arracher de mon être si je ne veuxpas me détruire. Je suis une mission sur cette terre, et pour cela je suis dansce monde.[...] Si une personne met d’un côté son devoir et de l’autre sa vieprivée, tout deviendra triste, et elle vivra en cherchant sans cesse des gratifi-cations ou en défendant ses propres intérêts. Elle cessera d’être peuple ».(Evangelii Gaudium 273).

  • I. Approches Bibliques 45

    ce qui suggère un contact personnel et ouvert entre l’évangéli-sateur et la communauté évangélisée. Si dans le contexte immé-diat (dans ce qui précède et suit notre texte), Paul suit une cer-taine rigueur logique et rationnelle (il débat, raisonne, argu-mente, élabore sa pensée) maintenant, de manière surprenante,uniquement dans cette péricope, apparaît spontanément à nosyeux, un « moi » très personnel, clair, qui ratifie ce qui a étédit : Paul a établi une relation personnelle et chaleureuse avecsa communauté.

    Etant donné que maintenant Paul aborde un thème de ca-ractère existentiel, il change de langage, sans s’éloigner del’exercice de l’argumentation. Nous sommes en pleine partieargumentative de la lettre aux Galates. Maintenant celui quiparle, c’est le Paul de la tendresse, de l’affectivité ! Mais affecti-vité non comprise comme un sentimentalisme vide de sens !Quelle est l’affectivité de Paul ? Il fait référence au monde inté-rieur, à l’intériorité de la personne. Il sait que pour inciter lesauditeurs – qui étaient en sérieux danger de se perdre pouravoir accepté dans leur sein des pseudo-évangélisateurs les éloi-gnant de l’évangile prêché par Paul (cf. Ga 1) – à agir, il faut seconnecter à son monde intérieur. Paul ne cherche pas à com-muniquer une doctrine, mais bien plutôt à susciter une expé-rience intérieure.

    Voulons-nous vivre cette expérience d’Assemblée en impli-quant tout notre être dans ce que nous voulons faire ? Il nes’agit pas seulement de raisonner ni d’avoir uniquementconfiance dans notre capacité rationnelle de compréhension dela réalité ; il s’agit ici de ressentir (à la manière d’Ignace, de goû-ter les choses intérieurement),23 de ressentir les choses depuisnotre être en Christ et permettre que toute notre existence soitimpliquée dans ce que nous allons vivre ces jours-ci. Il s’agit defaire de notre participation à l’Assemblée un acte d’amour au

    23 La manière dont Ignace avertit ceux qui se préparent aux ExercicesSpirituels 2, sur l’attitude adéquate pour vivre avec profit les Exercices estclassique : “Ce n’est pas le grand savoir qui remplit et satisfait l’âme, mais lefait de ressentir, de goûter les choses intérieurement”.

  • Cahier eudiste n° 25 - 201746

    Christ, d’adhérer totalement à Lui pour mieux servir l’Église,nos frères, tout homme et femme…Assumons-nous le défi devivre ainsi ces jours-ci au service de la Congrégation ?

    Paul, un nouveau discours évangélisateur : la tendresse

    Insistons sur le changement de langage de Paul dans cettepéricope ! Paul laisse de côté les dures critiques et le langagehostile (cf. en 3, 1 il traite les galates d’insensés, de fous, de stu-pides)24 et assume maintenant un langage d’amour. Il veutainsi rétablir le lien de tendresse et de confiance qu’il y avaitavant l’arrivée en Galatie des missionnaires qui s’opposaient àlui. De nombreuses choses étaient en jeu et Paul sait que le lan-gage de la tendresse pourrait produire une meilleure réceptionde son travail évangélisateur. Il emploie un langage maternel(comme l’a bien souligné le P. Guillermo en commentant le v.9). Paul se risque à se comparer à une femme en douleurs d’en-fantement. Paul souffre devant la possibilité que les galates de-viennent infidèles ! Sa préoccupation humaine et sa préoccupa-tion apostolique expliquent ce langage. Il sait que ce n’estqu’ainsi qu’il pourra amener les galates à se convertir au vérita-ble évangile (cf. Ga 1, 7).

    Quelle place devrait avoir chez nous, Eudistes, l’appel duPape à vivre la révolution de la tendresse ? Il ne s’agit pas detomber dans des sentimentalismes à moindre coût, mais de ré-pondre à l’invitation que nous fait le Seigneur de construire lacommunauté missionnaire25 à partir de l’amour de Dieu et de

    24 Une remarque : sur le contexte de la lettre. À certains endroits de sonépître, Paul crache toute sa rage et sa frustration d’avoir vu les galates sur lepoint d’abandonner l’évangile qu’il leur avait prêché (cf. 1, 7). Une autre re-marque : c’est la seule lettre authentiquement paulienne dans laquelle l’Apô-tre n’inclut pas au début une action de grâces. À la place on trouve deuxmenaces de malédiction (cf. 1, 8-9) !

    25 Cette communauté missionnaire, c’est nous. Et selon ce que dit le P.Guillermo, cette communauté doit avoir des traits prophétiques (car celapermet qu’en son sein survienne la Parole), et sapientiaux (parce qu’elle aassimilé la foi de telle sorte qu’elle devienne vie quotidienne, comportement

  • I. Approches Bibliques 47

    l’amour réciproque. Ce que le langage hostile n’obtient pas, laprésence proche, tendre et amoureuse l’obtient. Ai-je en moides dispositions pour grandir dans ce sens ?

    Paul - communauté des galates : une relation maternelle etfiliale

    En Ga 4, 12 Paul appelle les galates frères. Mais son affec-tion devient plus forte et vers la fin de la péricope au v. 19a, illes appelle mes fils. Le mot grec terna (fils) veut dire “fils en-gendrés”, non “fils adoptifs”. L’amour de Paul pour les galatesest celui de la mère qui souffre pour donner la vie. De cette fa-çon, Paul a mis en mouvement tous les affects dans sa relationavec les galates de sorte qu’il en est arrivé à une intense inti-mité et proximité (affectivité) avec la communauté. Ici affecti-vité correspond à la motivation amoureuse qui puise ses raci-nes dans l’intériorité de l’Apôtre et l’incite à agir, à sortir de“soi-même” pour se donner entièrement à l’autre.

    Cette Assemblée sera-t-elle une opportunité pour moid’avoir l’intuition que si je ne cultive pas ma vie intérieure, jene peux rien faire qui soit marqué du sceau du Ch