La fin des Antiquitez de Rome : Vision pessimiste ou espoir de...

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This article was downloaded by: [Columbia University] On: 07 October 2014, At: 04:31 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Romance Quarterly Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/vroq20 La fin des Antiquitez de Rome: Vision pessimiste ou espoir de renouveau? Lynn Anderson a a University of West Georgia Published online: 07 Aug 2010. To cite this article: Lynn Anderson (2009) La fin des Antiquitez de Rome: Vision pessimiste ou espoir de renouveau?, Romance Quarterly, 56:2, 114-126, DOI: 10.3200/RQTR.56.2.114-126 To link to this article: http://dx.doi.org/10.3200/RQTR.56.2.114-126 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content. This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub-licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone is expressly forbidden. Terms & Conditions of access and use can be found at http://www.tandfonline.com/page/ terms-and-conditions

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La fin des Antiquitez de Rome: Visionpessimiste ou espoir de renouveau?Lynn Anderson aa University of West GeorgiaPublished online: 07 Aug 2010.

To cite this article: Lynn Anderson (2009) La fin des Antiquitez de Rome: Vision pessimiste ouespoir de renouveau?, Romance Quarterly, 56:2, 114-126, DOI: 10.3200/RQTR.56.2.114-126

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La fin des Antiquitez de Rome

Vision pessimiste ou espoir de renouveau?

Lynn Anderson

Abstract: In his collection of sonnets, The Antiquities of Rome, Joachim Du Bellay evokes at length the monumentality of ruins and the effects of time on human creation. He chooses to end his collection, however, by calling forth forces that triumph over time, through the enduring powers of poetic voice. This article con-siders to what extent Du Bellay’s project to reaffirm French poetry, announced in The Defense and Illustration of the French Language, confers a restrained optimism on the final sonnets of the Antiquities. This hopeful vision can be seen to call into question the pessimistic interpretation of the Antiquities given by Thomas M. Greene in The Light in Troy, Imitation and Discovery in Renaissance Poetry.

Keywords: Antiquitez de Rome, Joachim Du Bellay, French poetry, French Renaissance poetry

ans son recueil de sonnets, Les Antiquitez de Rome, Joachim Du Bellay traite longuement de la monumentalité des ruines et de l’effet du temps sur la vie et les œuvres humaines. Il choisit pourtant de terminer son recueil en chantant les forces qui triomphent du temps, grâce à la magie

incantatoire de la voix poétique. Nous nous demanderons ici dans quelle mesure le projet de renouveler et de réaffirmer la poésie française, annoncé par Du Bellay dans La Deffence et illustration de la langue francoyse, confère un optimisme restreint aux sonnets sur lesquels se terminent les Antiquitez. Ces lueurs d’espoir nous semblent remettre en question l’interprétation pessimiste donnée des Antiquitez par Thomas M. Greene dans son livre, The Light in Troy, Imitation and Discovery in Renaissance Poetry.

Dans le sonnet dédicatoire “Au Roi”, la voix poétique (“mes vers”, v. 13) est valo-risée comme “un bienheureux presage” (v. 14) qui lui vaut la gloire de Henri II:

Ne vous pouvant donner ces ouvrages antiques Pour vostre Sainct-Germain, ou pour Fontainebleau Je les vous donne (Sire) en ce petit tableau

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Peint, le mieux que j’ay peu, de couleurs poetiques.Qui mis sous vostre nom devant les yeux publiques, Si vous le daignez voir en son jour le plus beau, Se pourra bien vanter d’avoir hors du tumbeau Tiré des vieux Romains les poudreuses reliques.Que vous puissent les Dieux un jour donner tant d’heur, De rebastir en France une telle grandeur Que je la voudrois bien peindre en vostre langage:Et peult estre, qu’à lors vostre grand’ Majesté Repensant à mes vers, diroit qu’ilz ont esté De vostre Monarchie un bienheureux presage.

De même que le pillage des ruines à l’époque servait à la construction d’édifices nouveaux, Du Bellay exprime dans ce sonnet liminaire son intention de recueil-lir des éléments qui vont contribuer à “rebastir” (v. 10) une nouvelle Rome en France. Cette vision rejoint l’exhortation qu’il faisait dans la Deffence d’enrichir la langue française des trésors des écrits de l’antiquité classique.

La volonté d’unir le passé au futur s’exprime clairement dans le langage du sonnet liminaire. Ainsi, dans une vision rétrospective et circulaire, les vers 13 et 14 évoquent un passé qui contient lui-même les germes de son avenir, dans le “bienheureux presage” que constituent les vers du poète. Dans les mots “repen-sant” (v. 13) et “rebastir” (v. 10) le préfixe ‘re’ sert à unir le passé, le présent et le futur avec une grande économie de moyens. Des termes comme “un jour” (v. 9), “qu’à lors” (v. 12) et “presage” (v. 14) orientent le mouvement du sonnet vers l’avenir. L’enjambement aux vers 7 et 8 renforce ce mouvement en exprimant la volonté de repousser la frontière entre la mort et la vie, entre la fin d’une civilisa-tion et le début d’une autre, l’un des buts principaux du recueil.

Le Tibre du sonnet 3 des Antiquitez, qui coule avec le temps sans être tari, n’annonce pas seulement la fluidité du mouvement perpétuel qui le fait échapper au destin de Rome, mais nous prédit l’ouverture vers l’immortalité et la puissance régénératrice de la nature triomphale qui dominent le sonnet 30:

Comme le champ semé en verdure foisonne, De verdure se haulse en tuyau verdissant, Du tuyau se herisse en epic florissant, D’epic jaunit en grain que le chauld assaisonne;Et comme en la saison le rustique moissonne Les undoyans cheveux du sillon blondissant Les met d’ordre en javelle, & du blé jaunissan Sur le champ despouillé mille gerbes façonne:Ainsi de peu à peu creut l’Empire Romain, Tant qu’il fut despouillé par la Barbare main, Qui ne laissa de luy que ces marques antiques,Que chacun va pillant: comme on void le gleneur Cheminant pas à pas recueillir les reliques De ce qui va tumbant apres le moissonneur.

Ce sonnet retrace la croissance et le déclin de la civilisation romaine avec des images de moisson dans les quatrains et de pillage dans les tercets. La métaphore

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du jardinage et du pillage qui dominait La Deffence semble avoir évolué dans une perspective plus vaste qui englobe désormais les champs cultivés et accrédite une vision plus enrichissante que décadente:1

[. . .] si les anciens Romains eussent été aussi negligens à la culture de leur Langue, quand premierement elle commenca à pululer, pour certain en si peu de tens elle ne feust devenue si grande. Mais eux, en guise de bons agriculteurs,[2] l’ont premiere-ment transmuée d’un lieu sauvaige en un domestique: puis affin que plus tost & mieux elle peust fructifier, coupant à l’entour les inutiles rameaux, l’ont pour echange d’iceux restaurée de rameaux francz & domestiques, magistralement tirez de la Langue Greque, les quelz soudainement se sont si bien entez & faiz semblables à leur tronc, que desormais n’apparoissent plus adoptifz, mais naturelz. (D, livre 2, ch. 3, 28)

De tels passages,3 qui envisagent le travail direct avec la matière du langage poé-tique à travers une métaphore agricole, suggèrent que l’éventuelle apparition du moissonneur et du glaneur dans le sonnet 30, “en guise de bons agriculteurs” et “cultiveurs”,4 vienne de ce thème principal de la Deffence.5

Le vocabulaire des antiquités, comme ailleurs dans le recueil, se limite à quelques termes comme poudre, poussière, monuments, gloire et tombeau. L’apparence soudaine des thèmes de la croissance naturelle et des êtres humains (au lieu des immortels des sonnets précédents) dans le sonnet 30 marque un changement de direction voulu de la part du poète. Le développement détaillé de ces thèmes nouveaux témoigne une continuité avec une métaphore principale de la Deffence ainsi qu’une voie à la postérité sur laquelle le poète va continuer à méditer dans le sonnet 32.

Dans les quatrains, la vie se renouvelle au rythme des saisons, comme le montre le schéma des rimes. La rime a, foisonne, assaisonne, moissonne et façonne appartiennent à un présent éternel: les deux premiers termes évoquant la crois-sance naturelle, les deux derniers l’activité du moissonneur. Le retour de la dési-nence—“sonne” semble inscrire la rime dans le projet de la Deffence. Dans son manifeste Du Bellay invitait, en effet, l’apprenti poète en ces termes: “Sonne moy ces beaux sonnetz” (D, livre 2, ch. 4, 76). Le mot sonnet apparaît en filigrane à travers les réfractions du kaléidoscope poétique fixé sur la syllabe “sonne”. Autour de cette syllabe, des résonances de la voix poétique se cristallisent, faisant de ces quatrains un modèle d’un sens principal de “sonner” à l’époque: “célébrer en vers”.6 En comptant différemment le rythme, on pourrait lire dans “le rustique moissonne” (v. 5) un autre sens implicite: “le rustique moi sonne”. Faisant suite au projet de renouvellement qu’il avait envisagé dans la Deffence, Du Bellay fait un éloge de la langue vulgaire (déclarée “rustique”) entre les mains du poète (le “moi” des Antiquitez).

Comme la rime a, la rime b évoque la croissance naturelle: verdissant, flo-rissant, blondissant, jaunissant sont des verbes inchoatifs qui nous font entrer dans la durée des choses. La fluidité sensuelle du mouvement horizontal des quatrains—“undoyans [. . .] blondissant” (v. 6) ménage un contraste avec la dureté, la lourdeur et le caractère figé des tercets, avec leurs “marques antiques”

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(v. 11) et leurs “reliques” (v. 13). A la montée vigoureuse des quatrains—“se haulse” (v. 2), “se herisse” (v. 3), “epic florissant” (v. 3) s’oppose la chute des tercets avec leurs images de dépouillement et de pillage.

Ce mouvement ascensionnel dans les quatrains qui fait mieux ressentir la chute des tercets caractérise la plupart des sonnets des Antiquitez. Tandis que les quatrains évoquent le renouvellement de la nature en intégrant l’homme à la renaissance cyclique, la chute des tercets semble mettre en doute, au moins à première vue, la possibilité de ce même renouvellement. Considéré dans la lumière des chutes successives des géants et des orgueilleux évoqués dans les sonnets précédents, Du Bellay restaure la dignité au travail humain: en dépit de sa difficulté et de sa monotonie, il y voit la possibilité de renouvellement qui s’est échappé aux plus grands.

Comme beaucoup de sonnets du recueil, celui-ci est organisé selon l’opposi-tion thématique des quatrains et des tercets: on va de l’ordre harmonieux de la nature aux ruines des œuvres humaines; de l’épi aux reliques; d’un mouvement d’expansion à son rétrécissement. Aux mots trisyllabiques qui s’allongent dans les quatrains: “verdissant [. . .] undoyans [. . .] florissant [. . .] blondissant [. . .] jaunissant”, s’opposent les monosyllabes des tercets “peu à peu” et “pas à pas” (v. 9 et 13). L’épuisement de Rome est mimé par le rythme de la phrase, qui ralentit et perd sa plénitude harmonieuse à partir du vers 9.

Le rythme morcelé qui commence avec “pas à pas” (v. 13) continue dans le vers suivant. Les quatre monosyllabes qui commencent ce dernier vers tombent eux-mêmes comme des grains un à un. Le participe présent tumbant prolonge la chute dans un présent qui s’éternise. Mais la chute saccadée du premier hémistiche se réoriente vers un mouvement horizontal dans le second, où le moissonneur fait un contrepoids à la chute en rappelant l’image verticale suggérée plut tôt dans les qua-trains (voir la reprise de “moissonne” au vers 5). Le terme sonneur ayant la significa-tion secondaire de “poète” au seizième siècle, l’importance de la voix poétique est renforcée par l’apparition du “moi sonneur” dans le mot final, “moissonneur”.7

Si les éléments négatifs des tercets n’éliminent pas la possibilité du renouvel-lement, c’est en partie à cause du sens multiple du verbe recueillir. Le mot cueil-lir, qui suggère le rassemblement des produits de la nature, se transforme par l’adjonction du préfixe “re” en un verbe qui élargit cette opération aux œuvres humaines. Comme nous l’avons déjà vu, recueillir participe à cette réorientation du passé et du présent vers l’avenir. Recueillir suggère aussi la mise en recueil d’écrits littéraires. On peut comparer l’acte de recueillir du glaneur au travail lent et assidu de l’écrivain rassemblant les éléments de son œuvre dans un ouvrage qui invite lui-même à la méditation, c’est à dire au recueillement.

Du Bellay aurait pu utiliser le mot ramasser8 au lieu de “recueillir” dans le son-net 30, comme il l’a fait dans le sonnet 28 des Sonnets Divers, “Diversement les pieçes ramassees” (SD 277). En ce faisant, cependant, il aurait perdu la résonance de recueillir au seizième siècle. Plusieurs exemples des auteurs contemporains illustrent sa connotation positive à l’époque. Marguerite de Navarre l’utilise dans le sens de ‘ramasser’ dans la phrase, “il n’estoit pas de ceux qui laissoient tomber

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le bien en terre sans le recueillir” (Greimas and Keane 536); Marot s’en sert dans le sens d’accueillir: “on le recueillit et honora” (Greimas and Keane 536). Dans les deux cas, recueillir s’applique aux biens ou individus dignes de respect.

Du mot recueillir émanent plusieurs autres lueurs d’espoir qui éclairent le dépouillement des ruines. Dans ce sonnet comme dans la Deffence le sens en est semblable. Considérons l’aspect affirmatif de recueillir dans la recommanda-tion adressée dans la Deffence aux poètes français d’employer leur “eloquence à recuillir ces fragmentz de vieilles chroniques Francoyses” (D, livre 2, ch. 5, 81). Ce passage envisage un moment futur où la langue française fleurira grâce à un travail d’enrichissement qui exige précisément de “recueillir les reliques” (v. 13) du passé. L’acte de recueillir semble être un élément essentiel au rôle du poète pour Du Bellay, comme l’indique un autre poème écrit pendant son séjour à Rome, “Discours au Roy sur la trêve de l’an M.D.LV.”: “Bien iray-je apres eulx de voz vertus belliques / Et des autres vertuz recueillant les reliques” (DR 16, v. 247–48). Dans The Light in Troy, Thomas M. Greene a bien noté le pouvoir créateur des “fragments” dans les domaines de l’architecture et de la littérature.9 Les “fragmentz” et les “reliques” rassemblés sont, dans le contexte de la moisson aussi, des éléments fertiles. Greene attribue un sens négatif, cependant, à l’acte de recueillir (qu’il traite de “stooping”10) et semble méconnaître cet aspect du contexte culturel. On ne songerait pas, par exemple, à dévaloriser les fouilles de l’archéologue tout simplement parce qu’elles l’entraînent souvent à déterrer des trésors artistiques. De même, c’est déprécier le geste du glaneur que de le réduire à une activité de “chiffonnier” sans y voir la métaphore d’un projet de reconstruc-tion et de nouvelle création littéraire.

Les reliques portent aussi la connotation d’éléments précieux dans un autre contexte: elles désignent à la fois les restes des monuments anciens et des corps des saints, objets de vénération religieuse. Dans la Deffence Du Bellay employait déjà la comparaison avec les “reliques” des saints pour critiquer ceux qui main-tiennent les écrits des anciens hors de portée: “Il me souvient de ces reliques, qu’on voit seulement par une petite vitre, & qu’il n’est permis toucher avecques la main” (D, livre 1, ch. 10, 50). Dans ses conseils aux poètes futurs, Du Bellay accorde aux “motz antiques” l’importance des “sacrez joyaux” et “reliques”.11 Du Bellay semble bien avoir voulu valoriser le glaneur en lui conférant les “reliques”, le faisant prendre dans ces mains des fragments précieux qui justement “n’est permis toucher avecques la main” dans le domaine religieux. D’autres écrivains français de la Renaissance utilisaient ce terme pour désigner un sens de vénéra-tion réservé autrefois pour des reliques ecclésiastiques.12 Montaigne a écrit des deux livres de son ami disparu, La Boétie, “C’est tout ce que j’ay peu recouvrer de ses reliques”, tandis que La Noue évoque, “De bonnes reliques de la France ruinee” (Greimas and Keane 542). Ce serait un moissonneur inattentif qui lais-serait par terre de telles reliques, et un glaneur indigne de la protection accordée à lui depuis l’Ancien Testament qui ne les recueillerait pas.

La présence du moissonneur dans le dernier tercet est peut-être motivée, au moins en partie, par l’importance des vocables sonne et sonneur, ainsi que par

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la présence du “rustique” qui “moissonne” (v. 5). De même que le moisson-neur tient une place importante dans l’univers agricole, le moi sonneur joue le rôle d’animateur de l’univers poétique. Mis en position finale dans le sonnet, le moissonneur focalise deux aspects unificateurs. D’abord, il permet une dernière apparition du “rustique” (v. 5), c’est-à-dire du paysan qui incarnait dans les qua-trains l’heureuse moisson et célébrait la bonté de la nature. Ensuite, comme nous l’avons déjà dit, ce moi sonneur rappelle l’image du poète dans une note finale.

L’image du moissonneur a peut-être appelé celle du glaneur par association, étant donné le rôle complémentaire qu’il joue dans les champs, et par son rap-port poétique au moi sonneur. Le rôle essentiel du glaneur dans la régénération agricole (les grains ramassés permettront de ré-ensemencer le champ futur) sug-gère le double travail de l’œuvre poétique: le moissonneur récolte les produits de l’antiquité tandis que le glaneur assure le passage fécond de ces richesses à la postérité.

On pourrait voir dans ce sonnet une allégorie de la nécessité d’unir le domaine du moissonneur, l’inspiration naturelle, à celui du glaneur, le dur travail de l’art. Du Bellay avait déjà exprimé cette idée au chapitre 3 du second livre de la Def-fence: “Que le Naturel n’est suffisant a celuy qui en Poesie veult faire œuvre digne de l’immortalité” (D, livre 2, ch. 3, 71). Dans ce double contexte de la culture naturelle et de l’écriture, le moissonneur et le glaneur entretiennent un rapport binaire. Le moissonneur récolte ce qui est évidement mûr. Il n’a pas à chercher: il agit sur ce qui est devant ses yeux. Dans le domaine agricole, son travail peut se comparer à “ceste ardeur & allegresse d’esprit qui naturellement excite les poetes” (D, livre 2, ch. 3, 72). Le glaneur, par contre, possède un esprit patient, et, dans le contexte poétique, l’esprit visionnaire qui reconnaît dans le grain, qui doit mourir avant de s’épanouir, les éléments d’une nouvelle génération. Comme le glaneur recueille les grains pour la saison à venir, assurant ainsi la nourriture à la postérité, les reliques que recueille le poète sont des éléments fertiles qui sig-nalent la possibilité du renouvellement parmi les ruines. Le labeur difficile, mais nécessaire, de rebâtir “pas à pas” (v. 13) est parallèle aux longues heures de travail décrites dans la Deffence comme nécessaires à la création poétique.13

A la lumière de cet enthousiasme tempéré par la nécessité du travail, la chute des tercets n’exclut pas la croissance naturelle des quatrains:14 vision d’un pré-sent plein d’espoir qui tient en germe la promesse de l’avenir. L’incorporation des éléments d’un passé glorieux dans l’acte de recueillir suggère la possibilité d’une harmonie créatrice. Ce n’est pas tant “the paucity of the remains and their continued erosion through the violence of pillage” (Tucker 89) que Tuc-ker a cru voir, ni le terrain désolé du “ruined Renaissance man” (Greene 241) suggéré par Greene que le chantier de l’homme de la Renaissance qui entend rebâtir parmi les ruines.

Le glaneur sert à élever le rôle important mais sous-estimé de celui qui vient après lui. Loin d’être le signe de ce que Greene appelle une “irrelevance” (241)15, ce rôle secondaire avait déjà été valorisé dans la Deffence.16 En outre, l’acte du glaneur est parallèle au geste central du poète qui, dans le sonnet dédicatoire “Au

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Roi”, se flattait “d’avoir hors du tumbeau / Tiré des vieux Romains les poudreuses reliques” (v. 7 et 8). Il est porteur symbolique d’un espoir: son cheminement “pas à pas” (v. 13) est certes plus lent mais peut-être plus certain d’atteindre son but que les grandes enjambées vouées à l’échec, le sujet de la plupart des sonnets précédants. Du Bellay aurait pu s’identifier au glaneur, toujours contraint de suivre le moissonneur, que ce soit tel poète de l’antiquité, ou peut-être son ami et rival, Ronsard, ou même son cousin germain, le cardinal Jean Du Bellay, qu’il a accompagné à Rome pour gouverner sa maison.

Il y a encore un lien possible entre Du Bellay et le glaneur. Dans l’Ancien Testament l’acte de glaner offrait aux êtres défavorisés un moyen de subsister: “Quand tu moissonneras ton champ, et que tu auras oublié une gerbe dans le champ, tu ne retourneras point la prendre; elle sera pour l’étranger, pour l’orphelin et pour la veuve” (Deut. 24.19).17 Orphelin de père et de mère depuis un très jeune âge et préoccupé des soucis financiers, Du Bellay voyait-il dans le glaneur un emblème de sa situation sur le plan personnel aussi bien que poé-tique? Est-ce là une explication possible d’avoir accordé au glaneur une position privilégiée à la fin non seulement des Antiquitez, mais aussi du “Discours au Roy sur la trêve de l’an M.D.LV” (DR 16)?18 Le “Discours”, long de 250 vers, se termine avec la seule autre apparition du moissonneur et du glaneur dans l’œuvre poétique de Du Bellay, dans un passage où il identifie son rôle en tant que poète directement avec celui du glaneur: “Bien iray-je apres eulx [. . .] / De loing suiv-ant leurs pas, comme on voit le gleneur”.19 A-t-il vu dans le glaneur une allégorie de sa vocation poétique, recueillant des sujets comme les ruines romaines ou la trêve de Vaucelles pour en faire la matière de son œuvre? Espérait-il inspirer au roi la protection du poète que la Bible avait accordé aux êtres défavorisés? Ou peut-être voyait-il dans la figure du glaneur un moyen de restaurer à l’homme une mesure de dignité, car le glaneur semble agrandi par l’exercice de ses capacités circonscrites, quoique assidus, au lieu d’en être diminué.

Du Bellay présente le geste du glaneur comme un acte qui le rejoint au cycle régénérateur, au lieu du “dubious, incomplete ritual” (240)20 que Greene a cru voir. Le rejet du vers 12 n’indique pas en soi l’“irrelevance” (241)21 du glaneur postulé par Greene—ce rejet pourrait aussi bien signaler l’importance de celui qui tient peut-être un rang secondaire mais qui, par un travail minutieux, tient dans sa main la récolte de l’avenir. Comme l’a remarqué Françoise Giordani, “[. . .] le glaneur qui recueille les épis tombés sur le sol relance le rythme de la vie et des germinations futures” (44).

La figure du glaneur reste, cependant, ambiguë. Il n’est certes pas triomphal—une telle posture serait sans doute déplacée dans un recueil où les monuments jadis glorieux sont maintenant tombés en désuétude. En son humanité, son car-actère humble et sa taille relativement petite, le glaneur s’oppose aux Géants qui dominent les Antiquitez, et Screech a noté à ce propos: “Leur entreprise orgueil-leuse et leur chute seront le symbole général de l’ascension et de la décadence de Rome.”22 Si Du Bellay a conféré des “reliques” au glaneur, c’est qu’il y voyait, peut-être, le meilleur espoir de l’avenir.

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La tension entre l’espoir et la chute dans le sonnet 30 continue dans le sonnet 32, sur lequel se terminent les Antiquitez (sonnet 32).

Esperez vous que la posterité Doive (mes vers) pour tout jamais vous lire? Esperez vous que l’œuvre d’une lyre Puisse acquerir telle immortalité?Si sous le ciel fust quelque eternité Les monuments que je vous ay fait dire, Non en papier, mais en marbre & porphyre, Eussent gardé leur vive antiquité.Ne laisse pas toutefois de sonner Luth, qu’Apollon m’a bien daigné donner: Car si le temps ta gloire ne desrobbe,Vanter te peuls, quelque bas que tu sois, D’avoir chanté le premier des François,L’antique honneur du peuple à longue robbe.

La fusion du passé, du présent et du futur relie aussi la thématique des deux poèmes. Par sa position finale dans le recueil, le poème pose une ultime ques-tion: comment l’œuvre poétique peut-elle échapper au destin que symbolisent les ruines? Le poète osera-t-il espérer accéder à l’immortalité, ou est-il limité à jeter un dernier regard sur le modèle de croissance naturelle, entrevu dans les quatrains du sonnet 30, mais qui est peut-être impossible à suivre?

Figurant à la fin d’un recueil sur les ruines, le sonnet 32 semble d’abord se prêter à l’interprétation pessimiste de Greene:

It is the futility of poetry and all edification that the closing sonnet finally voices without ambiguity. [. . .] His work has to be read as a labyrinth of ironies. [. . .] There is the irony of poetry’s helplessness against time. There is the irony of the art-ist who wants to construct with fragments and resurrect without authority. (Greene 227–28)

Le sonnet 32 fait valoir, cependant, un des thèmes principaux des Antiquitez et de la Deffence, ce que Giordani a appelé “la mortalité des œuvres matérielles et l’immortalité de celles de l’esprit” (29). Dans le sonnet 30 Du Bellay a exprimé, par exemple, la capacité de la voix poétique de persister au-delà du temps et même à partir des fragments. Ailleurs dans les Antiquitez, Du Bellay a distingué non seulement entre son projet poétique et les œuvres matérielles (“J’entreprendrois, veu l’ardeur qui m’allume, / De rebastir au compas de la plume / Ce que les mains ne peuvent maçonner”, sonnet 25), il a signalé aussi le pouvoir transcendant de la voix poétique (“Le corps de Rome en cendre est devallé / Et son esprit rejoin-dre s’est allé / Au grand esprit de ceste masse ronde. / Mais ses escripts, qui son loz le plus beau / Malgré le temps arrachent du tumbeau, / Font son idole errer parmy le monde”, sonnet 5). En chantant le destin de l’empire romain, en effet, il comptait atteindre l’immortalité.23

Le vers 12, “Vanter te peuls, quelque bas que tu sois” reflète la conscience d’une position méconnue mais essentielle, rappelant non seulement le glaneur

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qui occupe la même place (v. 12) dans le sonnet 30, mais aussi l’admonition que Du Bellay a faite dans la Deffence: “bien que tu soyes depourveu de la faveur des hommes, ne laisse pourtant à entreprendre un œuvre digne de toy [. . .] Espere le fruict de ton labeur de l’incorruptible & non envieuse posterité” (D, livre 2, ch. 5, 83–84).24 Les Antiquitez paraissent donc comme une continua-tion, bien que dans un ton restreint, de l’espoir de l’immortalité exprimé dans la Deffence.

Les rimes des quatrains mettent, d’ailleurs, l’accent sur la postérité et la voix poétique qui veut se l’assurer—mais là où au premier sonnet cette voix prononçait une invocation aux “Divins Esprits” à jamais disparus, cet appel vise maintenant l’avenir (Du Bellay, Antiquitez, sonnet 1, v. 1). Le schéma des rimes embrassées, “postérité [. . .] immortalité [. . .] éternité [. . .] antiquité”, inscrit l’œuvre du poète à l’intérieur d’une vision de gloire perpétuelle. L’importance que Du Bellay accorde à la postérité dans cet ultime sonnet reprend encore une déclaration qu’il avait faite dans la Deffence: “Espere le fruict de ton labeur de l’incorruptible & non envieuse postérité: c’est la Gloire, seule echelle par les degrez de la quele les mortelz d’un pié leger montent au Ciel & se font compaignons des Dieux” (D, livre 2, ch. 5, 84).

Comme le glaneur sauve quelques épis de la moisson pour les faire régénérer, l’œuvre poétique renaît avec la nouvelle génération de poètes qui continue, reprend et pousse plus loin l’œuvre de ses prédécesseurs. Le chant du “moi son-neur” du sonnet 30 se prolonge ici au vers 9 avec le conseil, “Ne laisse pas toute-fois de sonner”, en accord avec l’évocation de la “lyre” (“lire [. . .] lyre [. . .] dire”). L’importance que confère ici Du Bellay à la voix poétique développe les indices donnés au premier sonnet: “la voix” (v. 5); “mon cry” (v. 7); “A haulte voix [. . .] appelle” (v. 11); “Je vays chantant” (v. 14). En chantant d’une manière digne de l’inspiration apollinienne (“Luth, qu’Apollon m’a bien daigné donner”, v. 10) le poète réaffirme, non sans gloriole (“Vanter te peuls”, v. 12) le “double geste” que Greene condamne comme “the downward movement of pillage and the upward movement of imitative, mediocre piecework” (240).

L’ombre du glaneur apparaît une dernière fois avec l’évocation de l’humble rang où se trouve placé le luth du nouveau poète. Dans la préface des Odes Ronsard s’était déclaré, “le premier auteur lirique François” (Ronsard 145) et Du Bellay s’arroge maintenant une nouvelle priorité: celle de célébrer en vers français la gloire déchue du peuple romain:

Vanter te peuls, quelque bas que tu soisD’avoir chanté, le premier des François L’antique honneur du peuple à longue robbe. (v. 12–14)

“[P]remier des François” à composer un recueil sur les ruines, Du Bellay réalise lui-même le projet qu’il avait nourri dans la Deffence pour un futur poète fran-çais qui n’était que le double de lui-même: “Chante moy ces odes incongnues encor’ de la Muse Françoyse, d’un luc bien accordé au son de la lyre Greque & Romaine: et qu’il n’y ait vers où n’apparoisse quelque vestige de rare & antique

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erudition” (D, livre 2, ch. 4, 74–75). La double évocation de l’espoir d’une réus-site immortelle au premier quatrain (“Esperez vous”, v. 1 et 3) est cependant faite sous forme interrogative. Mais les tercets répondent avec détermination en face de l’incertitude qui plane sur ce projet grandiose,25 comme l’ont observé Giordani26 et Gisèle Mathieu-Castellani.27 Et en dépit de son interprétation essentiellement pessimiste des Antiquitez, Tucker croit que le sonnet 32 contribue à une perspective célébratoire, où “[. . .] poetry is seen—is heard—above all to partake of (and, in partaking, to celebrate) the unique, harmonious, but aberrant, moment of existence” (Tucker 224).28

Si ce sonnet n’a plus l’urgence impérative des déclarations hardies de la Deffence, s’il se teint d’une certaine nostalgie en accord avec la méditation sur le sort des civilisations, c’est sans doute que Du Bellay a appris la leçon de l’histoire, qu’il entend être d’éviter l’orgueil qui, avec le temps, a entraîné la chute de Rome. Il ne perd pas de vue ce destin funeste: “Voy quel orgueil, quelle ruine [. . .]” (sonnet 3, v. 5), mais fait apercevoir un meilleur sort réservé à la France si elle honore son nouveau poète. Ainsi, dans les derniers sonnets des Antiquitez Du Bellay donne une “illustration” de certains aspects essentiels qu’il avait pressentis dans la Def-fence. Il n’abdique pas devant l’imposant modèle des anciens mais réalise son pro-jet d’enrichir la langue française, en espérant qu’une nouvelle civilisation, fondée sur les vertus humanistes, puisse échapper, contrairement à Rome, aux ravages du temps (Car si le temps ta gloire ne desrobbe / Vanter te peuls, quelque bas que tu sois / D’avoir chanté, le premier des François / L’antique honneur du peuple à longue robbe”, v. 11–14). Du Bellay est bien un homme de la Renaissance qui cherche à se laisser guider par la lumière des anciens plutôt qu’à rester humble-ment dans leur ombre. Son recueil de sonnets nous laisse finalement sur une vision de la régénération cyclique de la nature et du chant poétique.

University of West Georgia

NOTES

Ma reconnaissance la plus profonde va à François Rigolot pour les approfondisse-ments de ses conseils et son aide précieuse. Cet article utilise les abréviations suivantes pour les œuvres de Du Bellay: A, Les Antiquitez de Rome; D, La Deffence et Illustration de la langue francoyse; SD, Sonnets divers; DR, “Discours au Roy sur la trêve de l’an M.D.LV”. 1. L’interprétation pessimiste de Greene sur l’approche de Du Bellay au jardinage et au

pillage s’exprime ainsi: “The poet himself with his array of Latin quotations, shards from the ancient slagheap, is one of those who repeat the fatal double gesture, groping, fouillant, and robbing in order to pile up stones again. But the attempt seems only an attempt; the phrasing seems to leave the effort permanently incomplete. [. . .] The act of building a civilization, both the downward movement of pillage and the upward movement of imita-tive, mediocre piecework, is tainted with ethical shabbiness” (Greene 240). 2. C’est moi qui souligne ici, ainsi qu’ailleurs dans ce travail. 3. Du Bellay continue à renforcer cette pensée dans le chapitre 4: “Et qui voudra de

bien pres y regarder, trouvera que nostre Langue Francoyse n’est si pauvre, qu’elle ne puysse rendre fidelement ce qu’elle emprunte des autres, si infertile, qu’elle ne puysse

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produyre de soy quelque fruict de bonne invention, au moyen de l’industrie & diligence des cultiveurs d’icelle, si quelques uns se treuvent tant amys de leur paiz & d’eux mesmes, qu’ilz s’y veillent employer” (D, livre 2, ch. 4, 29–30). 4. Avec ce mot, Du Bellay met en œuvre son admonition d’innover la langue française

avec “ce qu’elle emprunte des autres”. Dans ses notes à la Deffence, Terreaux a écrit que “Cultivateur n’est pas encore d’un usage courant” (D, livre 1, ch. 4, 30n1). 5. Tucker a remarqué la transformation des thèmes de la Deffence en la poétique des

Antiquitez, en particulier comment cette transformation crée un rapprochement entre le glaneur et le poète: “This last particular transformation of bold pillager/imitator into modest ‘gleneur’ may itself be likened to another form of magic, anamorphosis; the change of perspective from that of the French polemicist in Paris to that of the French poet of Rome, in Rome, will bring similar scattered elements of the Deffence into a new focus in the ‘tableau’ of the Antiquitez” (18–19). 6. La quatrième des huit définitions pour sonner est “chanter, célébrer en vers” (Grei-

mas and Keane 596). 7. “Poète” est la définition secondaire du sonneur; “musicien” en est la principale (Grei-

mas and Keane 596). 8. Le terme ramasser avait à l’époque le sens principal de “[R]éunir, assembler: Il vint

au pas ramasser son infanterie, tout le bagage et toute sa grosse artillerie (d’Aubigné)” (Grei-mas and Keane 527). 9. “Beyond whatever interest the ruins had in themselves, they inspired a will to form.

[. . .] It would seem that [. . .] to see fragments was already instinctively to see how they had been or might be made whole. This seems to be the meaning of Hegel, when he writes in the Philosophy of History that a positive, creative impulse is inherently complementary to the regret ruins elicit from us. [. . .] It is as though the encounter with the fragmentary and the formless automatically produced an answering movement toward form” (Greene 233–34). 10. Utilisant le terme stooping deux fois à la fin du chapitre, Greene renforce son image

négative du glaneur, le comparant au poète: “But in the fullest meaning, it is the poet; it is ruined Renaissance man, stooping to pick up stones from the floor of the ancient temple. This gleaner, however, will sow no new seed, make no new design; the second phase of true creation is denied him. In the calm of this humility, the resignation of this sorrow, humanism found the strength to comprehend its tragedy and its solitude” (Greene 240–41). 11. “[. . .] enchasser, ainsi qu’une pierre precieuse & rare, quelques motz antiques en

ton poeme. [. . .] Ne doute point que le modéré usaige de telz vocables ne donne grande majesté tant au vers comme à la prose: ainsi que font les reliques des sainctz aux croix & autres sacrez joyaux dediez aux temples” (D, livre 2, ch. 6, 86–88). 12. Le troisième sens de “reliques” à l’époque est “Ce qui reste (de précieux) après la

destruction, le désastre, la mort” (Greimas and Keane 542). 13. “Qui veut voler par les mains & bouches des hommes doit longuement demeurer

en sa chambre: & qui desire vivre en la memoire de la posterité doit comme mort en soymesmes suer & trembler maintes-fois, & [. . .] endurer de faim, de soif & de longues vigiles” (D, livre 2, ch. 3, 72). 14. Tandis que d’habitude la chute des tercets des Antiquités n’est pas récupérable. 15. Commentant sur le rôle du glaneur dans le dernier tercet du sonnet 30, Greene

renforce son interprétation pessimiste du projet des Antiquitez en terminant le chapitre avec une vue négative du rejet au vers 12: “His irrelevance is enforced by the expressive “rejet” and break in line 12”. Ce rejet, cependant, peut être vu comme une valorisation du travail nécessaire du glaneur dans le domaine agricole aussi bien que poétique. 16. “Que si quelqu’un n’a du tout cete grande vigueur d’esprit, cete parfaite intelligence

des disciplines, & toutes ces autres commoditez que j’ay nommées, tienne pourtant le cours tel qu’il poura. Car c’est chose honneste à celui qui aspire au premier ranc, demeurer au seconde, voire au troizieme” (D, livre 2, ch. 5, 81–82).

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17. La protection des orphelins et des autres êtres défavorisés est ordonnée à plusieurs reprises dans la Bible: “Lorsque tu auras achevé de lever toute la dîme de tes produits, la troisième année, l’année de la dîme, tu la donneras au Lévite, à l’étranger, à l’orphelin et à la veuve; et ils mangeront et se rassasieront, dans tes portes” (Deut. 26.12; cf. Deut. 26.13). “Tu n’affligeras point la veuve, ni l’orphelin. Si tu les affliges, et qu’ils viennent à moi, j’entendrai leurs cris; ma colère s’enflammera, et je vous détruirai par l’épée; vos femmes deviendront veuves, et vos enfants orphelins” (Ex. 22.20; cf. Ex. 23.11). Le droit au grappillage et au glanage et renforcé ailleurs ainsi: “Quand vous ferez la

moisson dans votre pays, tu laisseras un coin de ton champ sans le moissonner, et tu ne ramasseras pas ce qui reste à glaner. Tu ne cueilleras pas non plus les grappes restées dans ta vigne, et tu ne ramasseras pas les grains qui en seront tombés. Tu abandonneras cela au pauvre et à l’étranger” (Lév. 19.9). “Quand vous ferez la moisson dans votre pays, tu laisseras un coin de ton champ sans le moissonner, et tu ne ramasseras pas ce qui reste à glaner. Tu abandonneras cela au pauvre et à l’étranger” (Lév. 23.22). 18. Chamard croit que Du Bellay a écrit ce poème en février 1556 à Rome. 19. Du Bellay n’avait utilisé les termes “gleneur” et “moissonneur” que deux fois dans

son œuvre poétique. (Cameron 711). Tandis que Tucker a noté que dans les deux cas le glaneur exemplifie le topos de “modest ineffability” (Tucker 19), nous croyons que Du Bellay présente le glaneur dans une lumière plus nettement positive:

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je ne veulx point icy, pour mon hymne borner, D’art plus elabouré voz louanges orner: Je laisse aux plus sçavans, qui la charge en ont prise, Le travail & l’honneur d’une telle entreprise, Pour ne vous fair tort, & tumber soubz le faiz Dont chargeroit mon doz la grandeur de voz faicts. Bien iray-je apres eulx de voz vertus belliques Et des autres vertuz recueillant les reliques, De loing suivant leurs pas, comme on voit le gleneur Recueillir les espics apres le moissonneur. (DR 16)

20. Le contexte de la citation est: “Du Bellay saw about him the literal pillage of antiqui-ties, that pillage which as a metaphor he had closed the Deffence by advocating; he looked and found in that literal violation, that actual double gesture, an image of his own imita-tive act, his own predestined, dubious, incomplete ritual” (Greene 240). 21. La citation entière est: “The extraneous figure, irrelevant to the rhythm, is

the pillager / gleaner. His irrelevance is enforced by the expressive “rejet” and break in line 12” (Greene 241). 22. Screech, dans son introduction aux Regrets et autres œuvres poétiques (34). 23. Gadoffre a fait cette observation: “Présentées sous cet éclairage, la Bible et l’histoire

romaine voient leurs frontières s’effacer. Il ne reste plus qu’une gigantesque Histoire sainte des peuples, riche d’enseignements pour les doctes qui se flattent d’en extraire des lois, des exempla, des maximes, et source d’inspiration pour les poètes qui peuvent en transmettre le souffle, dont Du Bellay nous assure qu’il est le souffle même du Destin” (116). 24. Le contexte de la citation est: “Or néantmoins quelque infelicité de siecle où nous

soyons, toy à qui les Dieux & les muses auront eté si favorables comme j’ay dit, bien que tu soyes depourveu de la faveur des hommes, ne laisse pourtant à entreprendre un œuvre digne de toy. [. . .] Espere le fruict de ton labeur de l’incorruptible & non envieuse posterité: c’est la Gloire, seule echelle par les degrez de la quele les mortelz d’un pié leger montent au Ciel & se font compaignons des Dieux”. 25. “Vanter te peuls [. . .]” (v. 12) et “Ne laisse toutefois de sonner” (v. 9). 26. “[. . .] dans le sonnet 32, l’interrogation et l’hypothèse irréelle formulées par les

quatrains [. . .] introduisent la “vanitas” au cœur même de l’œuvre achevée. Faudrait-il

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pour autant la détruire? Certainement pas, car le cycle se poursuit et du doute renaît l’espérance: “Ne laisse pas toutefois de sonner / Luth, qu’Apollon m’a bien daigné donner [. . .]” (Giordani 45). 27. “[. . .] la conscience de l’importance de cette poésie ne quitte jamais le poète, même

lorsqu’il feint de la réduire [. . .] l’espoir persiste, là même où il est déclaré vain, que “l’œuvre d’une lyre / Puisse acquérir telle immortalité” (Mathieu-Castellani 117). 28. En exprimant son opinion sur la portée négative des sonnets 5, 15 et 32 ensemble,

par exemple, Tucker observe, “In this scheme of things, there is no place for the preserva-tion of the fruit of human artifice imperishably among the stars as ‘signs’ in an eternal Universe” (Tucker 224).

OEUVRES CITÉS

Cameron, Keith. Concordance des œuvres poétiques de Joachim du Bellay. Genève: Librairie Droz, 1988.

Du Bellay, Joachim. La Deffence et illustration de la langue francoyse. Ed. Louis Terreaux. Paris: Bibliothèque Bordas, 1972.

———. “Discours au Roy sur la trêve de l’an M.D.LV.” Œuvres Poétiques, Vol. 6. Ed. Henri Chamard. Paris: Société des textes français modernes, 1991.

———. Les Regrets et autres œuvres poétiques, suivis des Antiquitez de Rome. Texte établi par J. Jolliffe, introduit et commenté par M. A. Screech. 2e éd. Genève: Librairie Droz, 1974.

———. Sonnets Divers. Œuvres Poétiques. Vol. 2. Ed. Henri Chamard. Paris: Société des textes français modernes, 1982. 277.

Gadoffre, Gilbert. Du Bellay et le sacré. Paris: Gallimard, 1978.Giordani, Françoise. “Utilisation et description symboliques de l’espace dans les Antiquités

de Rome de Joachim du Bellay.” Du Bellay et ses sonnets romains. Ed. Yvonne Bellenger. Paris: Honoré Champion, 1994. 19–46.

Greene, Thomas M. “Du Bellay and the Disinterment of Rome.” The Light in Troy, Imita-tion and Discovery in Renaissance Poetry. Yale UP, 1982. 220–41.

Greimas, Algirdas Julien, et Teresa Mary Keane. Dictionnaire du moyen français: la Renais-sance. Paris: Larousse, 1992.

Mathieu-Castellani, Gisèle. “La fonction poétique dans Les Antiquités et Les Regrets: une poétique du leurre.” Joachim du Bellay: La poétique des recueils romains. Ed. Simone Perrier. Paris: UFR Sciences des textes et documents, 1994. 113–22.

Ronsard, Pierre de. Préface. Odes. Critical Prefaces of the French Renaissance. Rpt. New York: AMS, 1970. 145–48.

La Sainte Bible. Ed. Louis Segond, nouvelle édition revue. Paris: Alliance Biblique Fran-çaise, 1961.

Ternaux, Jean-Claude. “La ruine et la cendre: l’imitation de Lucain dans les Antiquitez de Rome et le problème des genres.” Du Bellay et ses sonnets romains. Ed. Yvonne Bellenger. Paris: Champion, 1994. 227–46.

Tucker, George Hugo. The Poet’s Odyssey: Joachim Du Bellay and the Antiquitez de Rome. Oxford UP, 1990.

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