La fabrique de l’état néolibéral

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    CivilisationsRevue internationale d'anthropologie et de sciences humaines

    59-1 | 2010Sexualits : apprentissage et performanceVaria

    La fabrique de ltatnolibral Workfare , Prisonfare et inscurit sociale

    L OCW ACQUANT

    p. 151-174

    RsumsDans Punishing the Poor , je montre que lascension de ltat pnal aux tats-Unis etdans les autres socits avances au cours du dernier quart de sicle est une rponse lamonte de linscurit sociale, et non criminelle ; que les transformations de politiquessociales et pnales sont mutuellement imbriques, le workfare restrictif et le prisonfare en expansion tendant saccoupler en un seul canevas organisationnel visant discipliner les fractions prcaires du proltariat postindustriel ; et quunsystme carcral diligent nest pas un dvoiement du Lviathan nolibral mais une deses composantes part entire. Dans cet article, je droule les implications thoriquesdu diagnostic de ce nouveau gouvernement de linscurit sociale. Jadapte et dveloppele concept de champ bureaucratique de Pierre Bourdieu pour rviser la thseclassique de Piven et Cloward sur la rgulation de la pauvret par laide sociale, et jecontraste mon modle de la pnalisation comme technique de gestion de la marginaliturbaine avec la vision de la socit disciplinaire de Michel Foucault, avec lecompte-rendu que David Garland livre de la culture du contrle , et avec lacaractrisation de la politique nolibrale labore par David Harvey. Contre laconception conomique fine du nolibralisme comme rgne du march, je proposeune spcification sociologique paisse du nolibralisme qui englobe la supervisionpar le workfare , un tat pnal proactif et le trope culturel de la responsabilitindividuelle . Ce qui suggre quil faut thoriser la prison non comme un instrumenttechnique visant assurer le respect de la loi, mais comme une capacit politiquecruciale dont le dploiement slectif et agressif dans les rgions infrieures de lespacesocial viole les idaux de la citoyennet dmocratique.

    In Punishing the Poor , I show that the ascent of the penal state in the United States andother advanced societies over the past quarter-century is a response to rising socialinsecurity, not criminal insecurity; that changes in welfare and justice policies areinterlinked, as restrictive workfare and expansive prisonfare are coupled into asingle organizational contraption to discipline the precarious fractions of the

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    postindustrial working class; and that a diligent carceral system is not a deviation from, but a constituent component of, the neoliberal Leviathan. In this article, I draw out thetheoretical implications of this diagnosis of the emerging government of socialinsecurity. I deploy Bourdieus concept of bureaucratic field to revise Piven andClowards classic thesis on the regulation of poverty via public assistance, and contrastthe model of penalization as technique for the management of urban marginality toMichel Foucaults vision of the disciplinary society, David Garlands account of theculture of control, and David Harveys characterization of neoliberal politics. Against

    the thin economic conception of neoliberalism as market rule, I propose a thick sociological specification entailing supervisory workfare, a proactive penal state and thecultural trope of individual responsibility. This suggests that we must theorize theprison, not as a technical implement for law enforcement, but as a core political capacity whose selective and aggressive deployment in the lower regions of social space violatesthe ideals of democratic citizenship.

    Entres d'index

    Mots-cls : pauvret, tat, prison, aide sociale, workfareKeywords : poverty , State, prison, welfare, workfare

    Texte intgral

    Trois ruptures analytiques ont t ncessaires pour diagnostiquer linventiondun nouveau gouvernement de linscurit sociale mariant une politiqueassistantielle restrictive de mise au travail force (workfare) une politiquepnale expansive marque par le dploiement largi de la prison et de sesappendices ( prisonfare), tel que je lai nonc dans mon livrePunishing thePoor (Wacquant 2009a), et ainsi rendre compte du tournant punitif despolitiques publiques pris par les tats-Unis puis par les autres socitsavances engages sur la voie de la drgulation conomique et de la rductionde la protection sociale dans les dernires dcennies du 20e sicle1.

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    La premire consiste chapper au couple conventionnel crime etchtiment , qui continue de paralyser le dbat politique et scientifique surlincarcration alors mme que leur divorce est patent. La seconde rupturecommande de penser ensemble politique sociale et politique pnale, si tant estque ces deux domaines de laction tatique envers les catgories dfavorisessont dsormais informes par une mme philosophie behavioriste qui sappuiesur la dissuasion, la surveillance, la stigmatisation et lusage de sanctionsgradues pour modifier les comportements. Lewelfaretransmu en workfareet

    la prison dpouille de toute vellit de rinsertion forment dsormais unseul et mme canevas organisationnel qui enserre une mme clientle prisedans les fissures et les bas-cts de la ville dualise.Workfare et prisonfareoprent de concert de sorte rendre invisibles les populations problme soit en les excluant des registres de la protection sociale, soit en les mettantsous les verrous pour finalement les pousser vers les secteurs priphriquesdun march du travail secondaire en plein boom.

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    La troisime rupture vise surmonter lopposition traditionnelle entreapproches matrialistes et approches symboliques, descendues des figurestotmiques que sont Karl Marx et mile Durkheim, de sorte reconnatre etrassembler dans lanalyse les fonctions instrumentales et les fonctionsexpressives de lappareil pnal. Tenir ensemble les missions de contrle et de

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    Quand workfare et prisonfare se rejoignent : (r)percussionsthoriques

    communication, la gestion des catgories dshrites et laffirmation desfrontires sociales saillantes, permet de dpasser une analyse formule dans lelangage de linterdit pour dcouvrir comment lexpansion et le redploiementde la prison et de ses tentacules institutionnelles (libert conditionnelle,probation, bases de donnes judiciaires, discours tourbillonnants sur le crimeet une virulente culture de dnigrement des criminels) ont remodel le paysage

    socio-symbolique et refait ltat lui-mme.Un seul concept suffit pour effectuer simultanment ces trois ruptures : lanotion de champ bureaucratiquedveloppe par Pierre Bourdieu (1993) dans soncours du Collge de France au dbut des annes 1990 pour repenser ltatcomme instance qui monopolise non seulement lusage lgitime de la violencephysique (selon le schma classique de Max Weber) mais aussi celui de la violence symbolique, et qui faonne lespace social et les stratgies sociales enfixant le taux de conversion entre les diverses espces de capital. Dans cechapitre, jlargis la formulation de Bourdieu afin daiguiser les contoursanalytiques et de clarifier les implications thoriques du modle dugouvernement nolibral de linscurit sociale au tournant du sicle avancdans Punishing the Poor. Dans la premire partie, je revisite et rvise la thseclassique de Piven et Cloward (1993 [1971]) sur la rgulation de la pauvret parlaide sociale et je contraste la pnalisation comme technique de gestion despopulations prcarises dans les socits avances avec la vision de MichelFoucault (1975) de la place de la prison dans la socit disciplinaire , la thsede David Garland (2001) sur la cristallisation de la culture du contrle lge de la modernit tardive, et lanalyse de la politique nolibrale livre parDavid Harvey (2005). Ce passage au crible thorique me permettra, dans laseconde partie, desquisser une caractrisation proprement sociologique dunolibralisme qui rompt avec son portrait conomique habituel comme simple

    rgne du march (qui fait cho lidologie nolibrale). Je soutiendrai quunsystme pnal actif et expansif nest pas une dviation ou un dvoiement dunolibralisme mais bien lune de ses composantes, avec laide socialedisciplinaire et le trope culturel de la responsabilit individuelle . Cest direquil faut penser la prison, non pas comme un simple appareil technique demaintien de lordre, mais comme un organe central de ltat dont ledploiement slectif et agressif dans les rgions infrieures de lespace social estfoncirement antithtique dune conception dmocratique de la citoyennet.

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    Dans La Misre du mondeet une srie darticles qui en sont drivs, PierreBourdieu propose de concevoir ltat non pas comme un ensemblemonolithique et coordonn, mais comme un espace fragment de forces quisaffrontent pour dfinir et distribuer les biens publics, quil appelle champ bureaucratique (Bourdieu 1993a, 1993b). La constitution de cet espacersulte dun long processus historique de concentration des diffrentes espcesde capital efficientes dans une formation sociale donne, et en particulier du

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    capital juridique en tant que forme objective et codifie du capitalsymbolique qui permet ltat de monopoliser la dfinition officielle desidentits et ladministration de la justice (Bourdieu 1993a : 55). Dans la priodecontemporaine, le champ bureaucratique est travers par deux luttes intestines.La premire oppose la haute noblesse dtat , dcide promouvoir desrformes renforant la logique de march, la basse noblesse dtat ,

    compose de fonctionnaires dexcution attachs aux missions traditionnellesde ladministration publique. La seconde lutte oppose ce que Bourdieu nommela Main gauche et la Main droite de ltat. La Main gauche, versantfminin du Lviathan, est matrialise par les ministres dits dpensiers encharge des fonctions sociales lenseignement, la sant, le logement, laprotection sociale et le droit du travail qui offrent protection et soutien auxpopulations dpourvues de capital conomique et culturel. La Main droite, duct masculin, est charge dappliquer la nouvelle discipline conomique aumoyen de coupes budgtaires, dincitations fiscales et de drgulationconomique.

    En nous invitant saisir dans un mme cadre conceptuel les diffrentssecteurs de ltat qui affectent les conditions et les chances de vie descatgories populaires, et discerner que ces secteurs sont enchsss dans desrapports de coopration antagonistes puisquils saffrontent pour exercer laprminence au sein du champ bureaucratique, cette conception nous a aids cartographier la transition en cours qui conduit du traitement social lagestion pnale de la marginalit urbaine.Punishing the Poorcomble une lacunedans le modle de Bourdieu en y insrant la police, la justice et la prisoncomme composantes intgrales de la Main droite de ltat, aux cts desministres de lconomie et du budget. Il faut ramener les politiques pnales dela priphrie au cur de notre analyse de la recomposition et du redploiementdes programmes publics visant contenir les remous associs la monte de lapauvret et au creusement des disparits suite la mise au rebut du contratsocial fordiste-keynsien. Le nouveau gouvernement de linscurit sociale, misen place aux tats-Unis et propos en modle aux autres pays avancs,implique la fois un glissement de laile sociale vers laile pnale de ltat (quise manifeste par la rallocation des budgets et du personnel, ainsi que par leschangement de priorit dans le registre discursif) et la colonisation du secteursocial par la logique panoptique et punitive caractristique dune bureaucratiepnale qui a renonc lobjectif de rinsertion. Le dplacement de lactivit deltat du social vers le pnal et la pnalisation insidieuse de la protection socialeparticipent de la re-masculinisation de ltat , en raction aux bouleversements

    provoqus dans le champ politique par les mouvements fministes et parlinstitutionnalisation de droits sociaux antinomiques la logique de lamarchandisation. La priorit dsormais accorde aux devoirs sur les droits, auxsanctions sur le soutien, la rhtorique rigide des obligations de lacitoyennet et la raffirmation martiale de la capacit de ltat enfermer les populations problmes (allocataires daides sociales et dlinquants) dansun rapport hirarchique de dpendance et dobissance envers les managersdtat prsents comme les protecteurs virils de la socit contre ses membresqui tournent mal (Young 2005 : 16) : toutes ces politiques publiques annoncentet promeuvent la transition de ltat maternaliste et protecteur de lrefordiste-Keynsienne vers le nouvel tat paternaliste et autoritaire dunolibralisme.

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    par lactivation du systme pnal pour grer un volant croissant de la clientlehabituelle de laide sociale la pnalisation progressive duwelfare trouvantainsi cho dans une version dgrade de welfarization de la prison. Leursrformes parallles au fil des trente dernires annes ont permis de cimenterleur convergence organisationnelle, alors mme quelles ont obi desprincipes opposs. Lrosion progressive de laide sociale et sa recomposition

    en workfare en 1996 sopre en restreignant lentre dans le systme, enrduisant la dure des aides et en acclrant la sortie, ce qui a conduit unerduction spectaculaire du nombre dallocataires (il chute de quelques cinqmillions de mnages en 1992 moins de deux millions une dcennie plus tard).Les tendances de la politique pnale ont suivi une courbe exactement inverse :les mises sous crou ont t facilites, la dure des sjours derrire les barreauxa augment et les librations en conditionnelle ont t rduites, avec pourrsultat un gonflement spectaculaire de la population incarcre (elle augmentedun million durant la dcennie 1990). Les finalits opratoires duwelfaresontpasses dun people-processing passif un travail actif de people-changingaprs 1988, et plus encore aprs labolition du programme AFDC(Aid to Families with Dependent Children) en 1996, alors que, paralllement, laprison voluait dans la direction inverse, passant dun objectif de rforme desdtenus (guid par la philosophie de la rinsertion, hgmonique des annes1920 au milieu des annes 1970) une logique de simple stockage (la fonctiondu chtiment se rduisant punir et neutraliser).

    Leurs racines historiques communes, lisomorphisme organisationnel et laconvergence opratoire des ples assistantiels et pnitentiels du champ bureaucratique aux tats-Unis ont t fortifis par le fait que les profils sociauxde leurs bnficiaires sont pratiquement identiques (voir Wacquant 2009a :291-292). Les allocataires de lAFDC (le principal programme dassistance aux

    pauvres jusquen 1996) et les dtenus des maisons darrt vivent dans leurgrande majorit en de de 50% du seuil officiel de pauvret (pour la moiti etles deux-tiers dentre eux respectivement) ; ces deux populations sont, demanire disproportionne, noire et hispanique ( hauteur de 37% et 18% contre41% et 19% respectivement) ; la plupart dentre eux nont pas termin leurscolarit secondaire et sont affects de handicaps physiques et mentaux assezsvres pour freiner leur participation au monde du travail (cest le cas de 44%des mres bnficiaires de lAFDC contre 37% des dtenus de maison darrt).Et ces deux populations sont fortement lies entre elles par des rapports deparent, de mariage et de voisinage ; elles proviennent trs majoritairement desmmes mnages pauvres rsidant dans les mmes quartiers dvasts o ellesfont face au mme horizon ferm, au bas de la structure sociale et ethnique.

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    Punishing the Poormontre, non seulement que les tats-Unis ont bascul duntraitement simple (assistantiel) des pauvres vers une double rgulation(assistantielle et pnitentielle), mais aussi que le dveloppement tronqu despolitiques sociales , dissqu avec talent par Piven et Cloward (1993 : 409), estli au dploiement hypertrophique et hyperactif des politiques pnales par unedouble relation causale et fonctionnelle. La misre de lAmrique sociale et lagrandeur de lAmrique carcrale la n du 20e sicle sont les deux faces dune mmetransformation politique. La gnrosit de la seconde est directementproportionnelle lavarice de la premire, et elle saccrot dans la mesure o les

    deux mouvements sont impulss par la philosophie du behaviorisme moral. Lesmmes caractristiques structurales de ltat amricain sa fragmentation

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    bureaucratique et son biais ethnoracial, la bifurcation institutionnelle entre une couverture salariale universelle (social insurance) et une aide socialecatgorielle et conditionnelle (welfare), et la marchandisation de lassistanceaux dmunis qui ont facilit latrophie organise du secteur social en raction la crise raciale des annes 1960 et aux tumultes conomiques des annes 1970ont galement favoris lhypertrophie incontrle du secteur pnal envers la

    mme population prcarise. De plus, limpact multiforme de lesclavage etdu racisme institutionnel sur la construction de lespace politique amricain afait sentir ses effets non seulement sur le sous-dveloppement des aidessociales et sur le systme de gouvernement et des partis fragment etdcentralis qui les distribue aux plus dmunis mais encore sur lesurdveloppement et lincroyable svrit de son aile pnale. La divisionethnoraciale et lactivation du stigmate de lablacknesscomme dangerosit sontessentiels pour comprendre, dun ct, le rabougrissement initial et ladgradation acclre de ltat social amricain aprs lacm du mouvementdes droits civils et, de lautre, la facilit et la diligence stupfiantes avec laquelleltat pnal sest rig sur ses ruines3.

    En revenant sur la bifurcation historique entre la question sociale et laquestion criminelle ralise la fin 19e sicle, la contention punitivecommetechnique de gouvernement de lapprofondissement de la marginalit urbaine arunifi les politiques sociale et pnale la fin du 20e sicle. Son dploiementexploite lanxit sociale diffuse qui court dans les rgions infrieures etintermdiaires de lespace social, en raction la fragmentation du salariat et la rsurgence des ingalits, pour la convertir en animosit populaire lgarddes bnficiaires de laide sociale et des criminels de rue, prsents commedeux catgories surs qui sapent lordre social par leur morale dissolue et leurcomportement dviant, et doivent de ce fait tre placs sous une tutelle svre.

    Le nouveau gouvernement de la misre invent par les tats-Unis pourimposer la normalisation de linscurit sociale donne ainsi une significationnouvelle la notion de poor relief : la contention punitive vise non pas soulager les pauvres mais soulager la socit des pauvres, en faisant disparatre par la contrainte les plus perturbateurs dentre eux des registresen contraction de laide sociale, dun ct, pour les enfermer dans les donjonsen expansion du chteau carcral, de lautre.

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    Michel Foucault a produit lanalyse la plus influente de lascension et du rlede la prison dans la modernit capitaliste, et il est utile de situer mon argumentsur le dense canevas des investigations quil a conduites et stimules. Jemaccorde avec lauteur deSurveiller et Punirquand il propose de concevoir lechtiment comme une force protenne et fertile qui exige quon lui accorde uneplace centrale dans ltude du pouvoir contemporain (Foucault 1975). Bien queson moyen rside lorigine dans lapplication de la coercition lgale, lechtiment doit tre saisi non pas au travers du prisme troit et technique de larpression mais par recours la notion de production. Le dploiement agressif de ltat pnal a en effet gnr de nouvelles catgories et de nouveauxdiscours, de nouveaux corps administratifs et de nouvelles politiquesgouvernementales, des types sociaux et des savoirs novateurs tant dans ledomaine social que dans le domaine pnal (Wacquant 2008b). Mais cest icique mon argument diffre nettement du portrait que Foucault livre de

    lmergence et du fonctionnement dune socit punitive et ce, sur quatrepoints centraux.

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    Tout dabord, Foucault sest mpris en annonant la retraite du pnitencier.Si les dispositifs disciplinaires se sont sans doute diversifis et diffuss selon unprocessus mtastatique pour tracer leurs rseaux sinueux de contrle au traversde la socit, la prison nen a pas pour autant abandonn sa place historique et perdu sa raison dtre (Foucault 1975 : 304-305). Au contraire,lemprisonnement pnal a fait un retour en force fracassant et sest raffirm

    comme lune des missions centrales du Lviathan au moment mme oFoucault et ses adeptes proclamaient son dclin. Aprs llan disciplinairefondateur de la fin du 16e sicle, puis sa consolidation au 19e sicle, le tournantdu sicle prsent constitue le troisime ge de lemprisonnement , commelavait anticip le pnaliste Thomas Mathiesen en 1990 (Mathiesen 1990).Ensuite, quels quaient t leurs usages au 18e sicle, les technologiesdisciplinaires ne sont pas dployes au sein du systme carcralsurdimensionn et surcharg de notre fin de sicle. La classificationhirarchique, lorganisation mticuleuse de lemploi du temps, la lutte contreloisivet, la surveillance rapproche et lenrgimentement des corps : cestechniques de normalisation pnale ont t rendues impraticables par lechaos dmographique gnr par la surpopulation, la rigidit bureaucratique,lpuisement des ressources et lindiffrence dlibre, voire lhostilit desautorits pnales lgard de la rinsertion4. En lieu et place du dressage cens faonner des corps dociles et productifs postul par Foucault, laprison contemporaine vise la neutralisation brute, la rtribution aveugle, etau simple entreposage des corps par dfaut si ce nest par choix. Sil existe des ingnieurs de la conscience et des orthopdistes de lindividualit , ils nesont certainement plus employs par ladministration pnitentiaire (Foucault1975 : 301).

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    En troisime lieu, les dispositifs de normalisation ancrs danslinstitution carcrale ne se sont pas diffuss travers la socit la manire decapillaires irriguant lensemble du corps social, bien au contraire. Lextensiondu filet pnal sous rgime nolibral a t extrmement discriminant : en dpitdune hausse spectaculaire de la criminalit dentreprise (dont attestent lescandale financier des Savings and Loansde la fin des annes 1980 etleffondrement dEnron une dcennie plus tard), il na pratiquement touch queles habitants des rgions les plus basses de lespace social et physique. Le faitque la slectivit de classe et ethnoraciale de la prison se soit maintenue, voirerenforce, alors mme que le volume des mises sous les verrous explosaitdmontre que la pnalisation nest pas une logique-matresse qui traverselordre social laveugle pour plier et lier ses composantes. Au contraire, cest

    une technique biaise qui procde selon un gradient de classe, dethnicit et delieu et qui opre de sorte diviser les populations et diffrencier descatgories en fonction des conceptions tablies de la valeur morale. laube du21e sicle, le sous-proltariat tasunien vit dans une socit punitive , maisce nest certainement pas le cas des classes moyennes et suprieures de ce pays.De mme, les efforts visant importer et adapter lEurope les mthodes etles slogans du maintien de lordre lamricaine tels que la police dite detolrance zro, les peines minimales incompressibles et les camps deredressement pour mineurs ont t cibls sur les criminels issus des classespopulaires et sur les immigrs relgus dans les quartiers mal fams au cur dela panique sur la ghettosation qui svit sur le continent depuis unedcennie (Wacquant 2009b).

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    Enfin, la cristallisation dune pornographie scuritaire, soit linflation etlinflexion acclres de lactivit pnale conue, mise en scne et mise enuvre dans le but principal dtre exhibe sous des formes ritualises par lesautorits dont le paradigme est donn par la rintroduction demi-avortedes brigades enchanes en uniformes de bagnards dans les tats du Sud delAmrique suggre que lannonce de la mort du spectacle du gibet est

    quelque peu prmature. La redistribution de lconomie du chtiment (Foucault 1975 : 13) dans la priode postfordiste a entran, non pas sadisparition de lespace public, comme le pensait Foucault, mais sarelocalisation institutionnelle, son laboration symbolique et sa prolifrationsociale au-del de tout ce que lon pouvait imaginer au moment de la parutionde Surveiller et Punir. Au fil du quart de sicle pass, cest toute une galaxie denouvelles formes culturelles et sociales, en ralit une vritable industrie desreprsentations des criminels et des agents du maintien de lordre, qui a surgiet prolifr. La thtralisation de la pnalit a migr de ltat vers des mdiascommerciaux et le champ politiquein toto, et elle sest tendue depuis lacrmonie finale de la sanction de sorte englober lintgralit de la chanepnale, en accordant une place privilgie aux oprations de police dans lesquartiers dshrits et aux confrontations judiciaires impliquant des clbrits.La Place de Grve, o le rgicide Damiens avait t supplici, a ainsi tsupplante non pas par le Panoptique mais par la chane cble consacre auxaffaires judiciaires (Court TV) et par la profusion des missions de tl-ralit construites autour du couple crime et du chtiment (Cops, 911, Americas Most Wanted, American Detective, Bounty Hunters, Inside CellBlock F, etc.), sans oublier lutilisation de la justice criminelle comme matriauprivilgi dans la presse quotidienne et les sries tlvises (Law and Order,CSI, Prison Break, etc.). Autant dire que la prison na pas remplac le jeu

    social des signes du chtiment et de la fte bavarde qui les faisait circuler (Foucault 1975 : 134). Elle lui sert plutt dsormais de vote institutionnelle.Partout le guignol scuritaire est devenu un thtre civique de premier plan surla scne duquel les lus caracolent pour dramatiser les normes morales etexhiber leur capacit retrouve pour laction dcisive, raffirmant ainsi lapertinence politique du Lviathan au moment mme o ils organisent sonimpuissance face au march.

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    Ceci nous amne la question des profits politiques de la pnalisation, thmecentral du livre de David Garland,The Culture of Control,le travail plusambitieux sur le croisement entre crime et ordre social propos depuisFoucault. Selon Garland, les configurations sociales, conomiques etculturelles propres la modernit tardive (late modernity) ont dtermin unenouvelle exprience collective du crime et de linscurit , laquelle lesautorits ont donn une lecture ractionnaire et une rponse bifide combinantladaptation pratique par les partenariats prventifs et le dni hystrique travers la sgrgation punitive (Garland 2001 : 139-147et passim). Lareconfiguration du contrle criminel qui sen est suivi trahit lincapacit despuissants enrgimenter les individus et normaliser la socitcontemporaine, et son caractre disjoint rend patentes les limites de lasouverainet de ltat . Pour Garland, la culture du contrle qui se noueautour d un nouveau dilemme criminologique n de laccouplement dun

    fort taux de criminalit et des limites avoues de la justice pnale montre etmasque la fois un chec politique.Punishing the Pooraffirme au contraire que

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    la contention punitive sest rvle tre un succs remarquable du point de vuede la stratgie politique : loin droder lun des mythes fondateurs de lasocit moderne selon lequel ltat souverain est capable dassurer lemaintien de la loi et de lordre (Garland 2001 : 109), elle la revitalis. Cela est vrai en Amrique, o les leaders des deux partis tablis ont atteint unconsensus complet sur les bnfices supposs des politiques pnales punitives

    cibles sur les quartiers sgrgus et dshrits de linner city(Chih Lin 1998),mais aussi en Europe : Blair au Royaume-Uni, Berlusconi en Italie, et Chirac etSarkozy en France ont tous monnay en victoire dans les urnes leur imagemartiale de tmraires combattants du crime dcids nettoyer la ville5.

    En levant linscurit criminelle (Sicherheit , sicurezza, seguridad , etc.) aupremier rang des priorits gouvernementales, les dcideurs politiques ontcondens lanxit de classe diffuse et le ressentiment ethnique bouillonnantgnrs par le dlitement du contrat Fordiste-Keynsien et ils les ont dirigs vers le dlinquant de rue (au teint fonc ou basan), coupable dsign dudsordre social et moral dans la ville, aux cts de lallocataire-profiteur delaide sociale. Dployer ltat pnal en tandem avec leworkfaredisciplinaire adonn la noblesse dtat loutil ncessaire pour appuyer la drgulation dusalariat et en mme temps contenir les dislocations sociales que cettedrgulation induit au bas de la hirarchie socio-spatiale. Plus important, cedploiement a permis aux politiciens de combler le dficit de lgitimit dont ilssouffrent ds lors quils rduisent les soutiens conomiques et les protectionssociales traditionnellement offertes par le Lviathan.Contra Garland, donc, jaffirme que la pnalisation de la pauvret urbaine a servi de vhicule efficacepour la r-assertion ritualise de la souverainet de ltat dans le domaine rduit etthtralis du maintien de lordre quil a priorisdans ce but exprs, au moment

    justement o ce mme tat concde lincapacit dans laquelle il se trouve decontrler les flux de capitaux, de corps et de signes qui traversent sesfrontires. Cette divergence de diagnostic mne trois diffrences majeuresentre nos diagnostics respectifs de la drive punitive dans les pays du Premiermonde.

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    Tout dabord, le tournant dbrid vers la pnalisation lors de cette fin desicle ne rpond pas linscuritcriminellemais linscuritsociale. Pour treplus prcis, les courants danxit sociale qui agitent les socits avances sontancrs dans linscurit sociale objective au sein de la classe ouvrirepostindustrielle, dont les conditions matrielles de vie se sont dtriores avecla diffusion du salariat instable et sous-pay dpourvu des avantages et desprotections conventionnels, et dans linscurit socialesubjectiveau sein desclasses moyennes dont les perspectives de reproduction ou de mobilit socialesse sont assombries avec lintensification de la comptition pour les positionssociales valorises et la rduction concommittante de loffre de biens publicspar ltat. Lide de Garland selon laquelle des taux de criminalit levs sontdevenus un fait social normal un lment routinier de la conscience moderne,un risque quotidien qui doit tre valu et gr par la population dans sonensemble , et notamment par les classes moyennes, est contredite par lestudes de victimisation. Les statistiques officielles montrent que les atteintes la loi aux tats-Unis ont diminu ou stagn au cours des vingt annes qui ont

    suivi le milieu de la dcennie 1970, avant de baisser en flche au cours desannes 1990, alors que lexposition la violence continuait de varier fortement

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    selon la localisation dans lespace social et physique (Wacquant 2009b :144-147). De mme, les pays europens qui affichent des taux de criminalitsimilaires ou suprieurs celui des tats-Unis ( lexception de deux catgoriesdatteintes spcifiques, les vols avec violence et les homicides, qui necomposent quune part infime de lensemble des infractions), et pourtant ils ontrpondu trs diffremment aux fluctuations de lactivit criminelle, avec des

    taux dincarcration qui varient dun cinquime un douzime du tauxamricain.Ceci nous mne une seconde diffrence : pour Garland, la raction de ltat

    face au dilemme pos par une forte criminalit et la faible efficience de la justice a pris une tournure disjointe voire mme schizode, alors que jen aimontr la cohrence globale. Mais cette cohrence napparat que lorsquonouvre le compas de lanalyseau-del du couple crime et chtiment pourembrasser la gamme complte des politiques publiques visant les populationsprcaires, de sorte relier les volutions pnales la restructurationsocioconomique de lordre urbain, dun ct, et leworkfare au prisonfaredelautre. Ce que Garland caractrise comme lambivalence structure de larponse de ltat est moins une ambivalence quun effet de la divisionorganisationnelle du travail de gestion des pauvres. Cest ici que la thorie deltat de Bourdieu savre utile, car elle nous permet de discerner que lesstratgies adaptatives qui, reconnaissent les limites des capacits de ltat juguler le crime en promouvant la prvention et la dvolution sont dployesdans le secteur pnal du champ bureaucratique, tandis que ce que Garlandappelle les stratgies non adaptatives de dni et de dmonstrativit visant raffirmer cette mme capacit sont elles poursuivies dans le champ politique, en particulier dans ses rapports avec le champ journalistique6.

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    En troisime lieu, linstar dautre analystes de tendances contemporaines

    du chtiment tels que Jock Young, Franklin Zimring et Michael Tonry, Garland voit dans le tournant punitif une crature ractionnaire impulse par despoliticiens de droite (Young 1999, Zimringet al.2001, Tonry 2004). linverse,Punishing the Poormontre, dabord, que la pnalisation de la pauvret nest pasun simple retour en arrire mais bien une authentique innovationinstitutionnelle et, ensuite, quelle nest en rien lapanage des politiquesnoconservatrices. Si les politiciens de droite ont invent la formule, elle nen apas moins t utilise et raffine par leurs rivaux du centre et mme progressistes . De fait, le prsident qui a impuls la plus forte augmentationde lincarcration de lhistoire amricaine, et de loin, nest pas Ronald Reaganmais William Jefferson Clinton. De lautre ct de lAtlantique, cest la gauchede Blair en Angleterre, Schrder en Allemagne, Jospin en France, dAlema enItalie et Gonzalez en Espagne qui a ngoci le virage de la pnalisationagressive, et pas leurs prdcesseurs conservateurs. La raison en est que lemoteur du tournant punitif nest pas la modernit avance mais le nolibralisme,cest--dire un projet politique qui peut tre poursuivi indiffremment par lespoliticiens de droite comme de gauche.

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    Le mlange bigarr de tendances de tous ordres que Garland rassemble sousle terme parapluie de modernit tardive la dynamique demodernisation de la production capitaliste et des changes marchands , les bouleversements de la composition des mnages et des liens de parent, les

    changement de lcologie urbaine et la dmographie, le dsenchantementgnr par les mdias lectroniques, la dmocratisation de la vie sociale et

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    Vers une spcification sociologiquedu nolibralisme

    culturelle nest pas seulement excessivement vague et caractris par descorrlations trs faibles. Ces tendances ne sont en outre pas propres auxdernires dcennies du sicle pass ; certaines dentre elles sont spcifiques auxtats-Unis ; dautres se sont affirmes de manire prononce dans les payssociaux-dmocrates du Nord de lEurope qui justement nont pas t submergspar la vague internationale de pnalisation7.Qui plus est, lavnement de la

    modernit tardive est un phnomne graduel et volutif, alors que lesrcentes mutations de la pnalit ont t abruptes et rvolutionnaires.Punishing the Poorsoutient que ce ne sont pas les risques et les angoisses

    dune socit dtrangers ouverte, poreuse et mobile propre la modernittardive (Garland 2001 : 165) qui ont suscit la rplique punitive contre lescatgories sociales infrieures perues comme dmritantes , dviantes etirrcuprables, mais bien linscurit spcifiquementsociale gnre par lafragmentation du salariat, le durcissement des divisions de classe et lrosionde la hirarchie ethnoraciale tablie garantissant le monopole de lhonneurcollectif des blancs aux tats-Unis et des nationaux dans lUnion Europenne.Lexpansion soudaine et lexaltation consensuelle de ltat pnal aprs le milieudes annes 1970 nest pas le produit dune lecture culturellement ractionnairede la modernit tardive , mais bien une rponse de la classe dominante visant redfinir le primtre et les missions du Lviathan, de sorte asseoirun nouveau rgime conomique fond sur lhyper-mobilit du capital et laflexibilit du travail et contenir les dsordres sociaux gnrs au bas delordre urbain par les politiques de drgulation du march et dedmantlement de ltat social qui sont des blocs fondateurs du nolibralisme.

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    Linvention de la double rgulation des fractions prcarises du proltariatpostindustriel travers le couplage des politiques sociales et pnales au basdune structure de classe polarise constitue uneinnovation structurellemajeurequi chappe au modle du traitement social de la pauvret labor par Piven etCloward au moment mme o le rgime fordiste-keynsien se dfaisait. Lanaissance de ce dispositif institutionnel nest pas non plus saisi par le conceptde socit disciplinaire de Michel Foucault, ni par la notion de culture ducontrle de David Garland : ni lun ni lautre ne rendent compte dusurgissement imprvu, de la slectivit socio-ethnique svre et ducheminement organisationnel particulier, en forme de tte--queue abrupt, prispar les tendances pnales dans les dernires dcennies du 20e sicle. Car lacontention punitive de la marginalit urbaine par le mouvement simultan dertraction de la protection sociale et dextension des filets de la police et de laprison, et leur tricotage en maillage carcro-assistanciel, nest pas le produitdune tape du dveloppement socital quil sagisse de la monte du biopouvoir ou de lavnement de la modernit tardive mais bien, aufond, un exercice de remodelage de ltat (state crafting). Elle participe de laredfinition corrlative du primtre, des missions et des capacits des

    autorits publiques sur les fronts conomique, social et pnal. Cettereconfiguration a t particulirement rapide, large et profonde aux tats-Unis,

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    mais elle est en cours ou, en question dans toutes les socits avancessoumises la pression pratique et idologique du patron amricain.

    En attestent ces tendances rcentes qui sobservent en France : le pays adesserr les restrictions au travail temps partiel, de nuit et de week-end. Lesgouvernements de droite comme de gauche y ont soutenu activement ledveloppement des contrats de travail dure dtermine, lemploi intrimaire

    et les stages sous-pays, et ils ont largi les prrogatives des employeurs enmatire dembauche, de dbauchage et dutilisation des heuressupplmentaires. Avec pour rsultat le gonflement des rangs des salarisprcaires, qui sont passs de 1,7 millions en 1992 2,8 millions en 2007 soitde 8,6% 12,4% de la main duvre (Maurin et Savidan 2008). En juin 2008,la France a institu le RSA (Revenu de Solidarit Active), qui doitgraduellement remplacer le RMI (Revenu Minimal dInsertion, que reoivent1,3 millions de personnes dmunies), un programme conu pour pousser lesallocataires de laide sociale vers les pans infrieurs du march de lemploi parle truchement de subventions publiques aux travailleurs pauvres dsormaistenus daccepter les postes qui leur sont proposs (Grandquillot 2009). Dans lemme temps, la supervision des allocations-chmage est en train dtresous-traite des oprateurs privs qui, dune part, ont autorit pour mettre finaux droits des rcipiendaires qui refuseraient deux offres demploi et qui,dautre part, touchent une prime financire pour chaque allocataire quils placent sur le march du travail. Dans le registre pnal, le virage punitif amorc par le gouvernement dit de gauche plurielle de Lionel Jospin en1998-2002, puis amplifi par les gouvernements successifs de Jacques Chiracet de Nicolas Sarkozy, ont conduit ladoption de mesures dexpansion pnalesans prcdent (Bonelli 2008) : mise sous coupe policire intensifie desquartiers de relgation de la priphrie urbaine, couvre-feu pour lesadolescents, recours accru lemprisonnement pour les dlits de rue (alors que,dans le mme temps, le droit des affaires est largement dpnalis),instauration du plaider-coupable et usage largi des procdures dites deflagrant dlit pour les atteintes mineures, mise en place de peines-plancherpour les jeunes rcidivistes, quota annuel dimmigrs clandestins expulser etdtention indfinie de certaines catgories dex-dlinquants sexuels aprs quilsaient purg leur peine. Le budget pnitentiaire du pays est pass de 1,4milliards deuros pour 22.000 surveillants gardant 48.000 dtenus en 2001 2milliards deuros pour 24.000 gardiens et 64.000 dtenus en 2009 (Wacquant2009a : 270-281).

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    Retracer les racines et les modalits de lemballement stupfiant de

    lAmrique vers lhyperincarcration ouvre une voie daccs privilgie ausanctum du Lviathan nolibral et nous conduit articuler deux thsesthoriques majeures. La premire est que lappareil pnal constitue un organecentral de ltat , qui exprime sa souverainet et semploie imposer descatgories, consolider les divisions matrielles et symboliques, et modelerles rapports et les comportements sociaux par la pntration slective delespace social et physique. La police, les tribunaux et la prison ne sont pas desimples appendices techniques servant au maintien de lordre lgal (comme le voudraient le droit et la criminologie) mais bien des vecteurs de productionpolitique de la ralit et de supervision des populations dmunies et dprcies,ainsi que de leurs territoires dassignation (Wacquant 2008a). Les analystes dela gense de ltat dans lEurope moderne, de Norbert Elias Charles Tilly en

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    passant par Gianfranco Poggi, reconnaissaient pleinement que lamonopolisation de la force, et donc la construction dune machinerie bureaucratique pour policer, juger et punir les mcrants, capable de pacifier lasocit, ont jou un rle-clef dans lrection du Lviathan. Il est grand tempsque les analystes de lre nolibrale prennent note du fait que lareconfiguration de ltat aprs la dnonciation du pacte social keynsien

    nimplique pas seulement des actions nouvelles visant promouvoir lacomptitivit internationale, linnovation technologique et la flexibilit salariale(Jessop 1994 : 251-279, Streeck et Thelen 2005, Levy 2006) mais aussi, et demanire distinctive, la raffirmation forcene de sa mission pnale dsormaispoursuivie dans un registre managrial et pornographique.

    De fait, la seconde thse avance parPunishing the Poorest que la rvolutioncapitaliste par le haut en cours, communment appelenolibralisme,implique llargissement et lexaltation du secteur pnal duchamp bureaucratique, de sorte que ltat puisse juguler les rverbrationscauses par la diffusion de linscurit sociale dans les tages infrieurs de lahirarchie de classe et ethnique, et apaiser le mcontentement populaire suscitpar le dprissement de ses fonctions conomiques et sociales traditionnelles.Le nolibralisme rsout ce qui, du point de vue de la culture du contrle deGarland, constitue un paradoxe nigmatique de la modernit tardive, savoirle fait que le contrle est dsormais renforc dans tous les domaines de la viesociale lexception singulire et tonnante de lconomie, alors mme que cestde ce domaine drgul que jaillissent la plupart des risques contemporains (Garland 2001 : 165, cest moi qui souligne). Le remodelage nolibral de ltatexplique aussi le biais social, ethnoracial et spatial qui affecte le mouvementsimultan de retrait de son giron social et dexpansion de son poing pnal : lespopulations les plus directement et ngativement touches par les changements

    convergents du march du travail et des aides publiques se rvlent tregalement les bnficiaires privilgis des largesses des autorits pnales.Cest vrai aux tats-Unis o le boom carcral a mis sous le boisseau lesous-proltariat noir pris dans la nasse de lhyperghetto. Cest aussi le cas enEurope de lOuest, o la clientle prioritaire du systme carcral en expansionse compose principalement de chmeurs et de travailleurs prcaires,dimmigrants postcoloniaux et de toxicomanes de classe infrieure et autrespaves de rue (Wacquant 2009b : 87-102).

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    Enfin le nolibralisme est troitement corrl avec la diffusioninternationale de politiques punitives sur le double front pnal et social. Cenest par hasard si les pays occidentaux qui ont import dabord des mesuresassistantielle de mise au travail (workfare) destines discipliner les travailleursprcaires, puis divers dispositifs de justice pnale inspirs des tats-Unis, sontles pays du Commonwealth qui ont galement poursuivi des politiquesagressives de drgulation conomique guides par la rengaine du libremarch venue elle aussi des tats-Unis, alors que les pays qui restent attachs un tat rgulateur fort capable dendiguer linscurit sociale sont ceux quiont le mieux rsist aux sirnes de la tolrance zro et du slogan prisonworks8 . De mme, les socits du Second monde telles que le Brsil, lAfriquedu Sud et la Turquie, qui ont adopt des mesures pnales hyper-punitivesinspires par les volutions tasuniennes des annes 1990, et qui ont vu leur

    population carcrale senvoler en consquence, ne lont pas fait parce quilsavaient atteint un tat de modernit tardive , mais bien parce quelles

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    avaient pris le chemin de la drgulation du march et du retrait de ltatprotecteur9. Mais, pour discerner ces connexions multi-niveaux entre lesurgissement du Lviathan punitif et la propagation du nolibralisme, il estncessaire de dvelopper une conception la fois prcise et expansive de cedernier. Au lieu de rejeter le nolibralisme comme cl danalyse, comme le faitGarland, au motif que le phnomne serait trop spcifique (Garland 2001 :

    77) pour rendre compte de lescalade pnale, il convient plutt dlargir notreconception dudit phnomne, et de passer dune vision conomiste unecomprhension pleinement sociologique du nolibralisme.

    Le nolibralisme est une notion fugitive et conteste, un terme hybridesuspendu entre lidiome profane du dbat politique et la terminologietechnique des sciences sociales, et qui par ailleurs est souvent invoque sansrfrent prcis. Quon le considre comme singulier ou polymorphe, commevolutif ou rvolutionnaire, la conception dominante du nolibralisme estessentiellement conomique: elle dsigne une gamme de politiques publiquesfavorables au march, telles que la drgulation du travail, la mobilit ducapital, la privatisation des services publics, un ordre du jour montariste dedflation et dautonomie des circuits financiers, la libralisation du commerceinternational, la comptition entre les lieux, et la rduction des impts et desdpenses publiques10 . Mais cette conception est mince et incomplte, ainsi quetrop troitement dpendante du discours moralisateur des partisans dunolibralisme. Nous devons dpasser ce noyau strictement conomique etlaborer une notion plus dense qui identifie les mcanismes institutionnels etles cadres symboliques au travers desquels les prceptes nolibrauxsactualisent.

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    On peut ce stade esquisser une caractrisation sociologique minimalistecomme suit. Le nolibralisme est un projet politique transnational visant

    rorganiser par le haut les rapports entre march, tat et citoyennet. Ceprojet est poursuivi par une nouvelle classe dominante plantaire en formation,compose des dirigeants et administrateurs des grandes entreprisesmultinationales, des politiciens de haut rang, des hauts fonctionnaires etmanagers dorganisations internationales (OCDE, OMC, IMF, la Banquemondiale et lUnion europenne), et dexperts dots de comptences culturelleset techniques (au premier rang desquels les conomistes, les juristes et lesprofessionnels de la communication passs par des formations parentes etdotes de catgories mentales similaires dans les diffrents pays dominants). Ilimplique, non pas la seule raffirmation des prrogatives du capital et lapromotion du march, mais larticulation de quatre logiques institutionnelles

    troitement imbriques :

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    1. La drgulation conomique, qui consiste en fait en une re-rgulation visant promouvoir le march ou des mcanismes de type marchand commedispositif optimal, non seulement pour orienter les stratgies des firmes et lestransactions conomiques (sous lgide de la conception de lentreprise commeoutil de maximisation de la valeur actionnariale) mais pour organiserlensemble des activits humaines, y compris la production prive des servicespublics essentiels, sur la base suppose de lefficience (impliquant un oublidlibr des considrations de justice distributive et dgalit).

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    2. Le retrait, la dcentralisation(devolution) et la recomposition de ltat social visant appuyer lextension et lintensification de la marchandisation, etnotamment soumettre les individus rcalcitrants la discipline du salariat

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    dsocialis par le biais de variantes de la mise au travail (workfare) tablissantun rapport quasi-contractuel entre ltat et les rcipiendaires des catgoriesdmunies, traits non plus comme des citoyens mais comme des clients ou dessujets (stipulant leurs obligations en termes de comportements commecondition daccs aux aides sociales).

    3. Un appareil pnal expansif, intrusif et proactif qui pntre les rgions

    infrieures de lespace social et physique pour contenir les dsordres et lesdsarrois gnrs par la diffusion de linscurit sociale et par le creusementdes ingalits, pour permettre une supervision disciplinaire des fractionsprcarises du proltariat postindustriel, et pour raffirmer lautorit duLviathan de sorte restaurer la lgitimit entame des dirigeants lus.

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    4. Le trope culturel de la responsabilit individuelle, qui envahit toutes lessphres de lexistence pour fournir un vocabulaire de motivation commedirait C. Wright Mills pour la construction du soi (pens sur le modle delentrepreneur), la diffusion des marchs et la lgitimation de la comptitionlargie quelle implique, dont la contrepartie est la dresponsabilisation desgrandes firmes et le dfaussement de ltat (ou en tout cas la rductiondraconienne de sa prise en charge en matire conomique et sociale).

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    Un principe idologique central du nolibralisme est quil impliquelavnement dun tat modeste ou rduit (small governement ) : lertrcissement du welfare statekeynsien suppos obse et pataud, et sonremplacement par un workfare statelanc et agile, qui investit dans lecapital humain et active les ressorts collectifs et les apptits individuelspour le travail ainsi que la participation civique par le truchement de partenariats valorisant la prise en charge de soi, lengagement dans lesalariat et le managrialisme.Punishing the Poordmontre que ltat nolibralsavre fort diffrentdans la ralit : lors mme quil embrasse le laissez faireet laissez passer en haut, en relchant les contraintes qui psent sur le capitalet en largissant les chances de vie dont jouissent les dtenteurs de capitauxconomiques et culturelles, il nest rien moins que laissez faire au bas delchelle sociale. De fait, lorsquil sagit de grer les turbulences socialesgnres par la drgulation et dimposer la discipline du travail prcaire, lenouveau Lviathan se rvle tre farouchement interventionniste, dominateuret dispendieux. La touche lgre des inclinaisons libertaires qui sadressent auxclasses suprieures fait place un activisme brutal et autoritaire visant diriger, voire dicter, les comportements des membres des classesinfrieures. Le small government dans le registre conomique trouve son

    prolongement et son complment dans le big government sur le double frontdu workfare et de la justice criminelle. Cest ainsi quentre 1982 et 2001 lestats-Unis ont accru leurs dpenses de police, de justice et dincarcration de364% (de 36 167 milliards de dollars, soit une augmentation de 165% endollars constants de 2000) et ajout un million demploys au secteur de la justice criminelle (Wacquant 2009a : 156-157) . En 1996, lorsque la rformedu welfare remplaait le droit laide sociale par lobligation daccepter unemploi prcaire et non-qualifi comme condition de soutien, le budgetpnitentiaire dpassait les sommes alloues aux programmes AFDC (Aid toFamilies with Dependent Children) et aux coupons alimentaires. Cette mmeanne, les administrations pnitentiaires occupaient le rang de troisime plusgros employeur du pays aprs Manpower Incorporated et Wal-Mart11.

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    Laboutissement de la grande exprimentation tasunienne accouchant de lapremire socit dinscurit avance de lhistoire est l :ltat pnal envahissant, largi et dispendieux nest pas une dviation du nolibralisme mais unede ses composantes structurales.

    Il est remarquable que ce versant du nolibralisme ait t obscurci ou ignortant par ses dfenseurs que par ses dtracteurs. Ce point aveugle est patent

    dans la fameuse reformulation des impratifs nolibraux en programmepolitique du New Labour rdige par Anthony Giddens. Dans son manifestepour la troisime voie , Giddens (1999) met laccent sur les taux levs decriminalit dans les quartiers ouvriers comme indice du dclin civique et,curieusement, il en accuse ltat-providence keynsien (et non pas ladsindustrialisation ou les politiques de retrait social des grands ensembles) : Lgalitarisme de la vieille gauche tait noble dans ses intentions, maiscomme ses critiques de droite le disent, il a parfois produit des effets pervers visibles par exemple, dans lingnierie sociale qui a laiss un hritage de citsen dclin infestes par la criminalit. Il place la prvention de ladlinquance et la rduction de la peur du crime au moyen de partenariatsentre ltat et les acteurs de terrain au cur de la revitalisation descommunauts locales , et il fait sienne la mythologie de la pseudo-thorie de la vitre brise : Une des avances les plus significatives en criminologie cesdernires annes est la dcouverte (sic) que le dclin de la civilit estdirectement li la criminalit. (.) Laisser les comportements incivils sedvelopper sans sanction signale aux citoyens que cette zone est dangereuse (Giddens 1999 : 16, 78-79, 87-88). Mais Giddens omet soigneusement le ctpunitif de lquation : son livreThe Third Wayne contient pas une seule mentionde la prison ; il fait limpasse sur le durcissement judiciaire et sur le boomcarcral qui ont partout accompagn la drgulation conomique et le retrait

    social quil appelle de ses vux. Cette omission est particulirementsurprenante dans le cas de la Grande-Bretagne, puisque le taux dincarcrationde lAngleterre et du pays de Galles a bondi de 88 dtenus pour 100.000habitants en 1992 150 dtenus pour 100.000 habitants en 2008, alors mmeque la criminalit a dclin de manire continue durant les dix premiresannes de cette priode (Hough et Mayhew 2004). De fait, en volume, Anthony Blair a prsid laccroissement de la population carcrale la plus forte delhistoire du pays rditant lexploit de Clinton, son compagnon de routethurifraire de la Troisime Voie de lautre ct de lAtlantique.

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    On trouve une ngligence similaire de la place centrale quoccupe linstitutionpnale dans le nouveau gouvernement de linscurit sociale dans les travauxdminents critiques du nolibralisme. Ainsi la caractrisation que DavidHarvey donne de ltat nolibral dans son livre A Brief History of Neoliberalism, qui met en lumire les dfauts prennes de lapprocheconventionnelle de lconomie politique du chtiment auxquelsPunishing thePoor entend remdier. Pour Harvey, le nolibralisme vise maximiser laporte des changes marchands par le truchement de la drgulation, laprivatisation et le retrait de ltat de nombreux secteurs sociaux . Commedans les priodes antrieures du capitalisme, la tche du Lviathan consiste faciliter les conditions de laccumulation profitable du capital pour le capitalnational et tranger , mais cela se traduit dsormais par lexpansion du

    secteur pnal : Ltat nolibral recourt une lgislation coercitive et destactiques policires (interdiction des piquets de grve, par exemple) pour

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    disperser ou rprimer les formes collectives dopposition au pouvoir desentreprises. [] Le bras coercitif de ltat est renforc de sorte protger les intrtsdes entrepriseset, si ncessaire, rprimer la dissidence. Rien de tout cela nesemble conforme la thorie nolibrale. (Harvey 2005 : 2-3, 77).

    Avec ses quelques mentions cursives sur la prison et pas une ligne sur leworkfare, lanalyse que livre Harvey de lascension du nolibralisme est

    gravement incomplte. Sa conception de ltat nolibral se rvletonnamment restreinte, tout dabord, parce quil reste attach uneconception rpressive du pouvoir, au lieu denvisager les missions multiples duchtiment sous lgide de la catgorie de production. Subsumer les institutionspnales sous le registre de la coercition le conduit ignorer la fonctionexpressive et les ramifications matrielles du droit pnal et de sa mise enuvre, qui consistent produire des images rgulatrices et des catgoriespubliques, attiser des motions collectives et accentuer les frontiressociales saillantes, ainsi qu activer les bureaucraties dtat en vue de faonnerles stratgies et les rapports sociaux. Ensuite, Harvey dpeint cette rpressioncomme ciblant les opposants politiques la domination des entreprises et les mouvements dissidents internes qui contestent lhgmonie de la propritprive et du profit (tels que la secte des Branch Davidians Waco, lesparticipants aux meutes dites de Rodney King Los Angeles en 1991 et lesmilitants anti-mondialisation qui ont perturb la runion du G8 Seattle en1999) (Harvey 2005 : 83), alors que les principales cibles de la pnalisation lge postfordiste sont les fractions prcarises du proltariat concentres dansles zones dshrites des villes dualises, qui, prises par lurgence de lasubsistance au quotidien, nont gure les ressources ncessaires ni le loisir decontester le pouvoir des grandes firmes prives.

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    En troisime lieu, selon lauteur deSocial Justice and the City,ltat

    nintervient par la coercition que lorsque lordre nolibral se grippe, afin derparer les transactions conomiques, de parer aux atteintes portes au capitalet de rsoudre les crises sociales. A contrario,Punishing the Poormaintient quelactivisme pnal actuel qui se traduit par une boulimie carcrale auxtats-Unis et par une frnsie policire travers lEurope occidentale est unecaractristique normale et routinire du nolibralisme. De fait, ce nest paslchec mais tout au contraire la russite conomique qui appelle ledploiement agressif de la police, des tribunaux et de la prison dans les zonesinfrieures de lespace social et physique. Et le tourbillonnement acclr dumange scuritaire est le signe de la raffirmation de la souverainet de ltat,loin de constituter un indice de sa faiblesse. Harvey relve bien que le retrait deltat-providence expose des pans de plus en plus vastes de la population lapauprisation et que le filet de protection sociale se voit rduit au minimumen faveur dun systme qui met laccent sur la responsabilit individuelle danslequel la victime est souvent blme (Harvey 2005 : 76). Mais il ne ralise pasque ce sont prcisment ces dsordres normaux, induits par la drgulationconomique et le retrait de ltat social, qui sont grs par lappareil pnallargi, en tandem avec les programmes deworkfare. Au lieu de cela, Harvey invoque lpouvantail gauchiste du complexe carcro-industriel ( prisonindustrial complex) pour suggrer que lincarcration constitue un vecteurcentral de la qute du profit et de laccumulation capitalistes, alors quil sagit

    en ralit dun dispositif disciplinaire qui draine les budgets publics et constitueun boulet pour lconomie capitaliste.

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    Coda : la pnalit dans laconstruction dun tat centaure

    Enfin, Harvey conoit laccent noconservateur mis sur lordre et lacoercition comme une rustine provisoire visant pallier linstabilit chroniqueet les checs fonctionnels du nolibralisme, alors que je conois la moraleautoritariste comme une composante part entire de ltat nolibral quand ilse tourne vers les tages infrieurs dune structure de classes o les cartssaccroissent. linstar de Garland, Harvey doit tablir une dichotomie

    artificielle entre nolibralisme et noconservatisme pour rendre compte de laraffirmation de lautorit de supervision de ltat sur les populations pauvresparce que sa dfinition troitement conomistique du nolibralisme reproduitlidologie de celui-ci et tronque sa sociologie. Pour lucider la transformationpaternaliste de la pnalit au tournant de ce sicle, nous devonsimprativement chapper au couple crime et chtiment mais aussiexorciser une fois pour toutes le fantme de Louis Althusser (1970), dont laconception instrumentaliste du Lviathan et la dualit grossire entre appareils idologiques et appareils rpressifs entrave le dveloppementdune anthropologie historique de ltat lre nolibrale. Dans le sillage deBourdieu, nous devons pleinement reconnatre la complexit interne et larecomposition dynamique du champ bureaucratique, ainsi que le pouvoirconstitutif des structures symboliques de la pnalit, de manire dissquerlimbrication complexe des disciplines du march et de la morale travers lesdomaines de lconomie, de laide sociale et de la justice criminelle (Bourdieu1993a ; Wacquant 2005 : 133-150).

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    Dans sa comparaison mticuleuse des politiques eugniques des annes1920, des camps de travail obligatoires des annes 1930 et des programmes deworkfaredes annes 1990 au Royaume-Uni et aux tats-Unis, Desmond Kingmontre que les politiques sociales illibrales visant diriger les conduitesdes citoyens de manire coercitive sont coextensives des politiques de ladmocratie librale et refltent leurs contradictions internes (King 1999 : 26).Mme lorsquils contreviennent aux impratifs dgalit et de libertindividuelle, de tels programmes sont priodiquement mis en uvre parcequils sont taills sur mesure pour souligner et stipuler les frontires delappartenance sociale lors des priodes de bouleversements sociaux. Ils

    savrent tre des vecteurs efficaces pour promulguer la dterminationretrouve des lites dtat affronter les conditions offensantes et apaiser leressentiment populaire lgard des catgories dviantes ou dmritantes ; etils diffusent des conceptions de lautre qui matrialisent les oppositionssymboliques au fondement de la hirarchie sociale. Avec lavnement dugouvernement nolibral de linscurit sociale alliant leworkfarerestrictif et le prisonfareexpansif, toutefois, ce ne sont plus seulement les politiques de ltatqui sont illibrales mais bien son architecture mme. Tracer la monte et lefonctionnement des politiques punitives de la pauvret aux tats-Unis aprs ladissolution de lordre fordiste-keynsien et limplosion du ghetto noir rvleque le nolibralisme amne, non pas le rtrcissement de ltat, mais bienlrection dun tat centaure, libral en haut et paternaliste en bas, qui prsente

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    par consquent des profils radicalement diffrents aux deux bouts de lchellesociale : un visage accueillant et rassurant envers les classes moyennes etsuprieures et un facis effroyable et grimaant lgard de la classe infrieure.

    Il convient de souligner pour conclure que la construction de ce Lviathan double visage qui pratique le libral-paternalisme ne relve pas dun planconcert concoct par des dirigeants omniscients, pas plus quelle ne dcoule

    mcaniquement de la ncessit systmique de quelque structure abstraite, telleque le capitalisme avanc, le racisme ou le panoptisme (ainsi que le voudraientcertaines approches no-marxistes ou no-foucaldiennes, ou encore ladmonologie militante du prison-industrial complex en vogue aux tats-Unis)12. Cette construction est le produit deluttes dans le champ et autour duchamp bureaucratiquevisant redfinir le primtre, les missions et les prioritsde laction des autorits publiques envers les catgories et les territoires problme. Ces luttes mettent aux prises les organisations issues de la socitcivile et les organismes de ltat, mais incluent aussi et surtout lesaffrontements internes entre les diffrents secteurs du champ bureaucratiquequi rivalisent pour sarroger la proprit de tel ou tel problme social etainsi valoriser la forme dautorit et lexpertise qui lui sont propres (mdicale,ducative, assistantielle, pnale, conomique, etc., et au sein du secteur pnal,la police, les tribunaux, les institutions denfermement et les programmes decontrle post-pnal). Ladquation globale de la contention punitive largulation de la marginalit urbaine au seuil du nouveau sicle relve dunefonctionnalit post-hoc grossire, ne dun mlange dintentions politiquesinitiales, dajustements bureaucratiques successifs, de ttonnements politiqueset de qute de profits lectoraux, mlange situ au point de confluence de troisflux relativement autonomes de mesures publiques concernant le march delemploi dqualifi, laide sociale aux dmunis et la justice pnale. La

    complmentarit et limbrication mutuelle des programmes dtat dans cestrois domaines sont pour partie voulues et pour partie mergentes ; elles sontfavorises par les contraintes pratiques de la gestion de contingences connexes,par leur cadrage commun au prisme du behaviorisme moral, et par le biaisethnoracial qui marque leurs modes opratoires le sous-proltariat noir delhyperghetto se trouvant au point dimpact maximum o la drgulation dumarch, le retrait de ltat social et lessor du secteur pnal se rencontrent et serenforcent mutuellement.

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    Quelles que soient les modalits de leur avnement, il est tabli que lertrcissement de laile sociale et le dveloppement de laile pnale de ltatsous lgide du moralisme ont introduit des modifications profondes danslagencement du champ bureaucratique qui portent gravement atteinte auxidaux dmocratiques13. Lorsque leurs points de mire convergent sur lesmmes populations et les mmes territoires, leworkfaredissuasif et le prisonfareneutralisant induisent des profils et des expriences de la citoyennet quidivergent fortement aux divers paliers de lordre social et ethnique. Nonseulement ils contreviennent au principe fondamental de lgalit de traitementpar ltat et ils amputent de manire routinire les liberts individuelles desplus dmunis. Ils minent aussi le consentement des gouverns par ledploiement agressif de programmes coercitifs stipulant des responsabilitsindividuelles alors mme que ltat retire les soutiens institutionnels

    ncessaires leur prise et lude ses propres responsabilits sur le front social etconomique. Et ils marquent du sceau indlbile du dmrite les fractions

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    Bibliographie

    prcarises du proltariat postindustriel dont sont issus la grande majorit desallocataires de laide sociale et des condamns la prison. Bref, la pnalisationde la pauvret scinde la citoyennet le long dune faille de classe, sape laconfiance civique au bas de lchelle sociale et sme la dgradation desprincipes rpublicains. Ltablissement du nouveau gouvernement delinscurit sociale rvle,in ne, que le nolibralisme est constitutivement

    corrosif de la dmocratie.En nous permettant dchapper au couple crime et chtiment pourrepenser ensemble laide sociale et la justice criminelle tout en prenant encompte les dimensions matrielles et symboliques de la politique publique, leconcept de champ bureaucratique de Bourdieu offre un outil souple et puissantpour dissquer lanatomie et le travail dassemblage du Lviathan nolibral. Ilsuggre que les luttes politiques-clefs de ce tournant de sicle impliquent, nonseulement des confrontations entre les organisations mobilises reprsentantles catgories subalternes dune part et ltat, mais encore des batailles internes la constellation hirarchique et dynamique des bureaucraties publiques quiluttent pour socialiser, mdicaliser ou pnaliser la marginalit urbaine et sescorrlats. lucider les liens entre workfare, prisonfare et inscurit socialesuggre en retour que ltude de lincarcration nest pas une rubriquetechnique du catalogue criminologique mais bien un chapitre central de lasociologie de ltat et de lingalit sociale lre du march-roi.

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    * Cet article est driv de A Sketch of the Neoliberal State , le coda thorique de mon livrePunishing the Poor : The Neoliberal Government of Social Insecurity( Durham and London : Duke University Press, Politics, History, and Culture , 2009). Il est lobjet dunsymposium transdisciplinaire et transnational comprenant les rponses de JohnCampbell, Bernard Harcourt, Margit Mayer, Jamie Peck, Frances Piven, et Mariana Valverde, publi enanglais in Sociological Forum (25, n 2, juin 2910) et Theoretical Criminology (14, n 1,

    fvrier2010); enallemand dansDas Argument( Berlin); en espagnol dansSociographica(Cordoba); en brsilien dansDiscursos Sediciosos ( Rio de Janeiro); en italien dansAut Aut( Rome); en portugais dans Cadernos de Cincias Sociais(Porto); en norvgien dansMaterialisten(Oslo); en danois dans Social Kritik(Copenhagen); en grec dans IkarianJournal of Social and Political Research( Athnes); en ukrainien dansSpilne(Kiev); en russedans Skepsis( Moscou); en hongrois dans Eszmelet( Budapest ); en slovne dansNoviPlamen( Ljubljana); en roumain dansSociologie Romaneasca( Bucarest ), et en japonais dansGendai Shiso(Tokyo). Je remercie Mario Candeias et la Rosa Luxemburg Stiftung Berlin pouravoir lanc ce dbat, et les directeurs des revues listes ci-dessus pour leur soutien de ce projet ditorial. Ce chapitre a bnci des ractions trois communications prsentes lors de la 4e

    confrence Putting Pierre Bourdieu to Work , Manchester, Angleterre, les 23-24 juin 2008 ;au colloque du dpartement de sociologie de lUniversit de Yale, le 26 fvrier 2009 ; et la journe dtude Utiliser la thorie des champs pour tudier le monde social , tenue Louvain-La-Neuve, Belgique, les 19 et 20 mars 2009.

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    Notes

    1 . Ce chapitre est une version amende et largie du coda thorique de mon livrePunishing the Poor : The Neoliberal Government of Social Insecurity. ( Nota bene :la versionfranaise de ce livre publie contre ma volont expresse, sans contrat ni bon tirer, par Agone en 2004 est une version contrefaisante et dont le contenu est nul et non avenu).Largument central du livre est dvelopp en quatre tapes : la premire partie dcrit le

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    dclin et la misre de ltat social amricain, conduisant en point dorgue auremplacement de la protection sociale (welfare) par le workfare punitif en 1996 ; ladeuxime partie retrace les modalits de la croissance et du dploiement de ltat pnalde 1973 nos jours ; la troisime explique pourquoi et comment cet activisme pnal sestconcentr sur deux cibles privilgies, le ghetto noir en crise et le dlinquant sexuel en vadrouille ; et la quatrime partie suit les dclinaisons rcentes de cette nouvellepolitique de linscurit sociale en Europe occidentale, pour conduire une critique dela raison scuritaire et livrer des recommandations pour chapper au pige scuritaire,

    ainsi qu une caractrisation de la forme et des missions propres ltat nolibral.2 . Lexpansion et lactivisme pnaux au 16e sicle sont mentionns en passant par Pivenet Cloward (1993 : 20, note 32).3 . Le rle catalytique de la division ethnoraciale dans la reconfiguration de ltat aprsla dnonciation du contrat fordiste-Keynsien et leffondrement du ghetto noir estanalys en dtail dans Wacquant (2010). La profondeur et la rigidit du cloisonnementracial est une cause majeure de lcart abyssal entre les taux dincarcration destats-Unis et des pays de lUnion Europenne, comme de leurs taux divergents depauvret et dingalit (Alesina et Glaeser 2004).4 . Cest particulirement flagrant au sein du second plus grand systme carcral destats-Unis (aprs ladministration pnitentiaire fdrale) quest le CaliforniaDepartment of Corrections, dans lequel une surpopulation grotesque (la Californie

    entasse 170.000 dtenus dans 33 prisons conues pour en abriter 85.000) et lesdysfonctionnements bureaucratiques systmiques ravalent au rang de vux pieux touteprtention la rinsertion (Petersilia, 2008).5 . Voir Shea (2009) pour une analyse comparative des succs lectoraux des campagnesscuritaires en France et en Italie.6 . La diffrenciation analytique et historique entre champ politique et champ bureaucratique, et leurs localisations respectives dans le champ du pouvoir, sont traitesdans Wacquant (2005 : 6-7, 14-17, 142-146).7 . Voir lanalyse approfondie des fondements sociopolitiques de lexceptionnalismepnal en Finlande, Sude et Norvge par John Pratt (2008a et 2008b), selon laquellelattachement culturel lgalit sociale et auwelfare statejoue un rle-pivot, semblable celui quil joue dans la rsistance nergique de la Scandinavie aux recettes nolibralessur le front conomique. Une autre anomalie notable pour la thse de la culture ducontrle est le Canada, qui sinscrit autant que les tats-Unis dans la modernittardive , mais qui a conserv un taux dincarcration la fois bas et stable lors des troisdernires dcennies (ce taux a mme chut de 123 108 pour 100.000 entre 1991 et2004, alors que le taux tasunien bondissait de 360 710 pour 100.000).8 . Ltude majeure de Cavadino et Dignan (2006) sur les rapports entre politiquepnale et conomie politique montre que les pays quils caractrisent commenolibraux (par opposition aux nations de type conservateur-corporatiste, social-dmocrate et corporatiste-oriental) sont systmatiquement plus punitifs et le sontdevenus encore plus au cours des deux dernires dcennies.9 . La diffusion internationale des catgories et politiques pnales made in USA etses ressorts sont traits en profondeur dans mon livre Les prisons de la misre(Wacquant1999, et dans ldition amricaine augmente et actualise,Prisons of Poverty, Wacquant

    2009b). Pour prolonger lanalyse de cette dissmination quasi-plantaire, lire les tudesclairantes de Jones et Newburn (2006) et Andreas et Nadelmann (2006).10 . Cest le cur commun une vaste (et ingale) littrature sur le sujet qui traverse lesfrontires disciplinaires, au sein de laquelle on peut citer, pour la sociologie, les analysesde Neil Fligstein,The Architecture of Markets(2001); pour lconomie politique, JohnCampbell et Ove Pedersen,The Rise of Neoliberalism and Institutional Analysis(2001); pourlanthropologie, Jean et John Comaroff, Millennial Capitalism and the Culture of Neoliberalism(2001); pour la gographie, Neil Brenner et Nik Theodore,Spaces of Neoliberalism : Urban Restructuring in North America and Western Europe(2002); et, pourlconomie, Grard Dumnil and Dominique Lvy,Capital Resurgent : Roots of the Neoliberal Revolution(2004).

    11 . Pour une analyse approfondie du croisement des dpenses et des personnels des

    ailes sociale et pnale de ltat amricain, voir Wacquant (2009a : 152-161).12.On trouvera une critique liminaire de cette notion-cran dans Wacquant (2008c).

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    13 . On trouvera une caractrisation des conceptions rpublicaine et librale dela dmocratie en jeu ici in David Held (1996).

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Loc Wacquant, La fabrique de ltat nolibral ,Civilisations [En ligne], 59-1 | 2010,mis en ligne le 29 juin 2010, Consult le 11 juillet 2010. URL :http://civilisations.revues.org/index2249.html

    Auteur

    Loc Wacquantest professeur lUniversit de Californie, Berkeley, et chercheur au Centre desociologie europenne, Paris. Membre de la Society of Fellows de lUniversitdHarvard et rcipiendiaire du MacArthur Foundation Prize et du Lewis Coser Award delAssociation amricaine de sociologie, ses travaux portent sur la marginalit urbaine, ladomination ethnoraciale, ltat pnal, la politique de la raison et la thorie sociologique,et sont traduits en une quinzaine de langues. Ses ouvrages rcents comprennent Pierre Bourdieu and Democratic Politics(2005), Das Janusgesicht des Ghettos(2006), Pariasurbains. Ghetto, banlieues, tat (2006), Punishing the Poor : The Neoliberal Government of Social Insecurity(2009) et Prisons of Poverty(dition amricaine augmente, 2009).[Department of Sociology, 410 Barrows Hall, University of California, Berkeley, CA94720 USA [email protected]]

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