La Fabrique - Archi-journal

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LA FABRIQUE, C’EST QUOI ?

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ARCHITECTURE

À l’hiver 2011, La Fabrique installe ses activités dans le pavillon Rhéaume de l’école secondaire Monseigneur- Richard à Verdun. C’est la découverte du compound en béton armé : une fascinante architecture brutaliste associée à l’émergence des écoles polyvalentes dans les années 70 au Québec, dont la volumétrie intérieure ne répond plus à des logiques symétriques, mais à une nouvelle complexité du programme pédagogique, en diapason avec le rapport Parent qui propose une refonte nationale de l’éducation en 1964. Dans cet univers fortifié de l’enseignement, le plan architectural intério-rise l’activité de l’école autour d’une place centrale et accentue le détachement avec l’extérieur.

La Fabrique produit d’abord des questionnements : comment la vie est elle insufflée dans cette architecture et cet environnement indoors consacré à la pédagogie scolaire? Comment ce milieu de vie que des élèves fréquentent durant le deuxième cycle de leurs études secondaires évolue-t-il? L’action artistique peut-elle sti-muler une réflexion sur ces questions et générer d’autres perceptions de ces lieux? Comment l’art négocie-t-il sa présence dans l’espace de l’école?

« Je pense que cette architecture est très à la mode dommage que c’est celle des années 50. Je décrirais l’école comme un endroit avec des couleurs de base. »

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La découverte de la pratique artistique de Jean-Maxime Dufresne a été pour moi une source de cogitation heu-reuse. Son travail, qui pose un regard critique sur nos en-vironnements construits et habités, et qui se déploie, entre autres, à travers des insertions mobilières dans l’espace urbain1, résonnait alors avec les projets du Centre Turbine explorant « l’école comme matière de création ».

Envisager — dans un contexte scolaire — un projet qui per-mettrait aux élèves de vivre de l’intérieur un processus de création qui propose un regard sensible, critique et créa-tif sur le microcosme architectural et social de leur école avait de quoi nous inspirer. C’est donc avec enthousiasme que nous avons invité JMD à concevoir ce projet, dont la démarche permet de mettre en relation l’artiste et l’élève, l’art et l’école ainsi que l’architecture et les pratiques artis-tiques actuelles.

LA FABRIQUE, C’EST QUOI ?

La Fabrique est un espace de réflexion, de produc-tion et d’actions que JMD a développé avec la parti-cipation des élèves dans le cadre d’une résidence de création à l’École secondaire Mgr-Richard à Verdun. La Fabrique nous a proposé un véritable processus de création à plusieurs constitué d’expérimentation, d’adap-tation, de doutes, de prise de risque, de défis, d’énergie créative, de partage d’expérience et d’apprentissages.

La Fabrique se conclut avec cet archi-journal témoignant de ce processus créatif à plusieurs. Un « glossaire indis-cipliné » écrit par l’artiste, des paroles recueillies auprès des élèves (citations) et des images nous révèlent « une situation d’apprentissage et de complicité entre protago-nistes, où des rythmes de travail s’adaptent l’un à l’autre, où l’autonomie artistique et l’action pédagogique mesurent leur propre élasticité » (JMD, 2011). Dans la perspective d’élargir le chantier de réflexion, l’auteur François Deck a contribué d’un texte sur le processus de transaction entre des valeurs de l’art et des valeurs pédagogiques.

Les énergies mises à contribution pour réaliser le projet ont été multiples. Je remercie Jean-Maxime Dufresne qui a accueilli avec enthousiasme l’idée du projet et qui donne toute sa personnalité à La Fabrique ; Marianne Despars pour son implication inspirée et ses élèves pour leur participation ; Marc-André Viens, le directeur adjoint de l’École secondaire Mgr-Richard pour son accueil et soutien ; Johanne Minna, Mathieu Saulnier et leurs élèves pour leur ouverture d’esprit qui leur a permis de se lancer dans l’aventure ; Anne Bertrand pour l’attention généreuse accordée aux étapes de diffusion et de publication ; Benoit Pontbriand pour son travail graphique ; Yves Amyot pour sa confiance. Finalement, je remercie le Conseil des arts de Montréal (CAM), la Conférence régionale des élus de Montréal (CRÉ) et le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (Programme de soutien à l’école montréalaise) pour leur appui financier. Adriana de OliveiraChargée de projetCentre Turbine

Préface

1 Réalisées au sein du collectif SYN-

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« Selon moi l’école est comme une mini-société à l’intérieur d’une autre société. C’est intéressant car on peut y exprimer notre opinion. »

BRUIT

Dans l’école, les biorythmes sont organisés par l’autorité d’un système d’intercom et de cloche électronique : un implacable quadrillage du temps traversé par la spontanéité d’appels de toute nature « sur les ondes locales », où des fragments de la vie sociale et du quotidien de l’école s’exposent à intermittence.

Inextricablement lié à l’espace architectural habité et l’espace produit socialement par les élèves, à une politique plus ou moins visible de celui-ci, le projet de La Fabrique souhaite aussi émettre un certain bruit.

MICROCOSME

Dans cette architecture brutaliste et parfois sombre, un espace public vibre au cœur de l’école, sorte de vortex attirant toute l’énergie et les flux quo-tidiens des lieux. Quatre allées où s’échelonnent des centaines de casiers peints en bleu mènent à une grande aire ouverte et polyvalente, activée par des défilés de mode, le jeu sur tables de ping-pong, des cités faites de maquettes-carton ou des levées de fonds pour des voyages à Boston. La vie animée des lieux cède quotidiennement sa place au mutisme des systèmes de son et aux cycles de nettoyage rigoureux facilités par le passage d’une vadrouilleuse électrique.

« La caffette », « l’oasis », « le local des activités », « l’usine-école », le « corridor des secondaire 5 » ou « le banc à Yvon » : autant de désignations employées dans le jargon des élèves pour se constituer un imaginaire de l’école, des endroits à fréquenter et certains à éviter. C’est sans compter les « zones » de socialité générées tacitement par différents groupes d’élèves à la cafétéria, ou un alcôve de corridor discrètement utilisé par des élèves en répétition théâtrale ou deux amies qui cherchent chaque midi à s’éloigner du brou-haha. L’hiver qui sévit dehors et le fenestrage limité accentuent ce réseau de relations à ces espaces intérieurs.

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ADAPTATION

Le choc de deux cultures, celui de l’autonomie artistique et de l’action pédagogique, qui mesurent chacune leur propre élasticité : des rythmes de travail s’adaptent, une situation d’ap-prentissage s’installe où chaque camp est déstabilisé et apprend mutuellement de l’autre.

Naviguer avec les aléas du processus créatif dans les cycles parfois exigeants du calendrier scolaire, introduire des frictions positives, se libérer des at-tentes et de l’objectif qui sécurise, s’ap-proprier les intentionnalités du début et se laisser guider par leur transforma-tion, accepter l’indéterminé comme une donnée essentielle du projet, privilégier une tactique de l’insertion progressive dans la vie de l’école plutôt qu’une spec-tacularisation du processus artistique.

« Je crois qu’intégrer des palmiers donnerait de la chaleur à un lieu où l’atmosphère est froide et sombre. »

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« Nous fonctionnons comme une société, il y a des services (cafétéria, infirmière, psy, etc.). Nous avons tous un espace à nous qui est notre casier, nous devons utiliser les normes, du respect ou des conséquences seront mises en place. Il existe aussi des rangs, comme les élèves, les professeurs, la directrice, nous avons tous un pouvoir différent comme dans la ville. »

ANTÉCÉDENT Un survol des lieux mène à la découverte d’un curieux équipement, manifes-tement utilisé par les préposés à l’entretien de l’école : un bureau renversé et monté sur roulettes, auquel on a greffé un panier de lait. Dès que la cloche du retour en classe signale la fin de l’achalandage du midi, les ordures de la café-téria sont systématiquement chargées à bord de cet équipement improvisé.Une conversation avec ces préposés sur la réutilisation des meubles obso-lètes de l’école crée un rapprochement avec les intentions du projet. C’est le début d’une complicité qui teintera la suite du projet, notamment sur la gestion des équipements produits dans La Fabrique.

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« L’atmosphère est extra-ordinaire cependant ce n’est pas grâce à l’architecture mais les élèves. Ça me procure un sentiment d’incertitude. Je pense qu’un changement de couleur serait une idée. »

RÉFLEXIONS

N’ayons pas peur des mots!

Une jeune enseignante d’un cours d’arts plastiques et son dyna-mique groupe d’élèves du secon-daire 5 participent à l’expérience de La Fabrique et s’approprient son processus d’enquête. C’est l’occasion de prendre le pouls du milieu de vie qu’est l’école, de stimuler une réflexion dans sa relation à l’architecture, d’y poser les questions sur les éclosions de socialité que celle-ci permet : les espaces de l’école influencent-ils le quotidien des élèves? Comment la présence des élèves agit-elle sur ces lieux? Pourquoi serait-il inté-ressant de penser l’école comme une ville intérieure?

Une entreprise de dissémination de paroles recueillies auprès des élèves est lancée en des lieux affluents et stratégiques de l’école : files d’attente à la cafété-ria, colonnes dégarnies dans la place d’accueil, corridors menant à l’OASIS, un espace de retenue pour les cas « d’indiscipline »... La parole des élèves court sur les murs pour exposer le fonctionne-ment d’une « mini-société » tra-versée par des manifestations de désirs, d’autorité ou de moments de complicité.

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MANIFESTE

Dans l’esprit des petites publications agit-prop, l’appel est lancé à une production de nouvelles idées, une prise de position, un état d’esprit éveillé face à l’architecture de l’école et la vie qui l’habite : quelque chose qui pourrait surprendre ou inspirer des changements, de nouvelles manières de voir et d’expérimenter les lieux, d’imaginer des scénarios d’aménagement venus se greffer à des conditions existantes.

Darinka appelle à une considération presque borgesienne de la bibliothèque de l’école comme un « univers infini de connaissances » (Qu’est-ce qui nous fait avancer?) ; Andréanne s’en remet explosivement à la vivacité de l’imagination – à l’instar de l’astrophysicien paraplégique Ste-phen Hawking – pour « moderniser » la cafétéria de l’école, version deluxe ; Gabriel, quant à lui, introduit une perturbation de l’extérieur, des af-fronts sur des infrastructures humaines à grande échelle – la guerre en Lybie, le désastre nucléaire de Fukushima – pour se télescoper sur l’actualité et la mettre en relation avec ces micro-conflits vécus de l’intérieur à l’école.

Mégastructure de l’hypersocialité, laby-rinthe……… à quels moments l’architecture devient-elle un conteneur dynamique de rela-tions sociales, ou quand devient-elle plutôt un dispositif de contrôle? L’architecture permet-elle de s’émanciper ou en devient-on prisonnier?

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RÉSERVE

Tout au bout d’un long corridor, un espace satellite attend l’éveil d’un en-semble de néons. Il y a là un entrepôt, où l’on découvre, en remontant un rideau d’aluminium, le paysage d’une centaine de chaises qui se débat-tent dans le désordre, un don fait à l’école par un restaurant qui fermait ses portes. Le feu vert est donné pour démarrer une production qui nous mènera on ne sait trop où…

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ATTITUDE

Fourrure synthétique, tropiques et fausse peau de cobra : énergie punk, gracieu-seté de Ruhel. Peau de vache et attention délicate portée à une patte, gracieuseté de Maxine. La chaise Obama USA, imaginée par Jackson, Jean-Nicolas et Shyson.

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PARTICIPATION

La personnalisation est légion et seule maître à bord : une soixantaine de chaises de bois oubliées dans l’entrepôt tombent entre les mains d’élèves déterminés dans la création. Tissu floral hawaïen ou drapé brésilien, duvet synthétique de lapin ou vinyle anthracite étoilé : les pos-sibilités et variations de recouvrement sont mathémati-quement riches. « Est-ce qu’on peut faire une chaise? » est tacitement adopté comme un code d’entrée sur les lieux. Deux groupes d’élèves se dédient à une production inten-sive : ici on sort la chaise de ses gonds, on la décloute, on lui découpe un mohawk, ou lui greffe une perruque sur l’avant-bras, le bruit des agrafeuses retentit, tac-tac-tac. La Fabrique ne produit que des modèles uniques : chacun personnalise sa chaise, y introduit ses différences, c’est un modus operandi où le duplicata n’existe pas. On s’amuse à imaginer le patchwork des dernières élues qui s’arrache-ront les ultimes résidus de tissu. Le rituel se répète jusqu’à l’écoulement des stocks…

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« Je changerais l’uniforme pour vert fluo, genre toutes sortes de couleurs différentes. »

ARMADA

« Un ensemble de petites insertions, comme des soldats qui sont à la mode et cherchent à combattre la laideur de l’école. » - Darinka ; « L’Armada c’est l’armée, pourvu qu’il y ait un lien entre ceci et l’art. C’est de manifester et gag-ner une guerre pour le changement de l’école avec l’art. » - Sasha ; « Pour moi l’Armada = l’espace zen et relax » - Ma-thieu « Je crois que “art” est dans le mot. De plus, Armada c’est pour faire du style et ressembler à Armani. Et Armani, je crois que ça veut dire originalité et popularité. » - Amy ; « On a peut être es-sayé de copier Armani, mais avec un –da à la place? Une armée de chaises, une colonie d’imagination. » - Alexandre.

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« Les ressemblances sont dans le milieu social je trouve. Les autorités de la ville sont les policiers et à l’école ce sont les profs. Les élèves sont les citoyens qui doivent respecter certaines règles. De plus, il serait intéressant de penser l’école comme une ville intérieure, car c’est un peu ce que c’est : des réseaux sociaux, le travail, l’entraide… »

RYTHMES

« T’as quoi sur ta playlist ? » Deux amies s’adonnent avec une cadence bionique à des épisodes de danse dans tous les recoins de l’école. Le strict nécessaire pour faire résonner un passage bétonné : un lecteur mp3 branché dans deux haut-parleurs portables! Une fois apparues, les chaises altérées deviennent occasionnellement le support de ce boombox où défilent Kanye West, Michael Jackson, Rihanna, ou les nouvelles mutantes salsa rumbadubstep r’n’b flamenco tex-mex nortech.

Les chaises altérées sont chaque fois redistribuées par les élèves dans l’espace de l’école entre les cours, formant de nouvelles chorégraphies insolites : configurations dynamiques en cercle, en chapelet ou en essaim, ou plus sédentaires avec les tribunes assises pour tournois de ping-pong, etc. Dans sa cadence de production, La Fabrique cherche à engendrer une socialité dans la création : des situations d’échange et de partage d’expériences, d’équipes de travail spontanément constituées et de recherche de synchronie entre différents états d’esprit.

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« La vie quotidienne à l’école est une routine, le monde vit des chicanes, des amours, etc. »

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« Je suis déjà journaliste pour le journal. Le reportage que j’aimerais faire sur l’école c’est celui qui toucherait l’art qui y est intégré. »

SOCIAL

Un essaim de chaises aux allures bigarrées, pouvant apparaître n’importe où, pour supporter ces éclosions de socialité dans l’école : aménagements softs pour une pause prolongée entre amis. Pied de coq tigré, cocktail hawaïen, rose électrique avec duvet siamois, ou le modèle hybride coureur des bois davy crocket / vinyle orange julep avec queue de raton laveur : les chaises s’infiltrent dans le paysage de l’école, on les associe à une humeur du moment, un état d’âme, chacun apprivoise la sienne, la repère entre les cours, la déplace, s’en dépossède… Espace lisse et espace strié, un cas de dispersion indé-terminée dans la grille ordonnée de l’école : l’occasion, diront certains élèves, de se retrouver véritablement « entre nous », de « faire des devoirs en social », et pour une enseignante, de libérer des moments de détente pour les jeunes entre les cours.

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IMPRÉVUS

Après la cohorte du secondaire 5, un deu-xième groupe d’élèves se joint au processus de création, issus de la classe du programme FPT (Formation professionnelle et tech-nique), un programme sur trois ans qui veille à insérer des jeunes de 15 à 17 ans dans le milieu du travail). Une quinzaine d’élèves participent activement au recouvrement des chaises et donnent une nouvelle inflexion au processus, à partir de matériaux trouvés dans une friperie fondée il y a quelques années par leur enseignante, Johanne Minna. Camisoles sportives, manteaux de cuir, chics léopards sont amalgamés dans un local polyvalent à quelques mètres de la Fabrique.

« J’aime le marginal, intégrer des éléments dans des endroits où ça n’a pas sa place. J’aime les styles moderne et sud. Je travaillerais avec le plexiglass pour la clarté. Les feuilles d’argent pour la brillance. Du bleu pour ma couleur préférée. Des journaux en noir et blanc parce que j’aime le style que ça donne une fois appliqué sur une surface. J’utiliserais des matériaux que j’aime travailler et je tenterais de lancer un message. »

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Exclus des cours d’esthétique offerts en formation professionnelle, comptoirs de mélamine et chaises coussinées sur support hydraulique sont retrouvés dans l’entrepôt : un revamping s’impose… L’essai et l’erreur préparent le terrain pour de nouvelles configurations à explorer. Un espace de travail se négocie dans le dédale d’objets démantibulés, on y examine des potentiels et on laisse mûrir les idées.

L’esthétique est toujours sujet à discussion, son rôle est amené à l’avant-plan : harmonieux pour les uns, volonté de créer un clash pour les autres (souvent ça fait mal aux yeux), d’autres préfèrent garder l’anonymat, mais nombreux sont d’accord pour faire de la couleur un véritable supplément de réalité dans cet environnement intramuros.

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« La fabrique, ce serait la construction d’objets complexes à partir de choses simples. »

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INSERTIONS

Modularité et polyvalence : après une première vague d’insertion des chaises, deux plates-formes mobiles - sortes de « banquettes partagées » ou « fausses jumelles » - sont fin prêtes à quitter l’espace de La Fabrique pour être positionnées dans l’école selon les désirs des élèves. De nouveaux équipe-ments poilus sur roues s’offrent en complément du mobilier existant et imaginé dans le programme architectural initial de l’école. L’espace public de l’école est nouvellement affligé du syndrome de l’îlot voyageur, il ne suffit que de débloquer quelques roues…

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PROTOTYPES

Un bestiaire de chaises découpées et recomposées pour imaginer de nouvelles postures. Chirurgie plastique : un avant-bras scié, des pattes raccordées, des greffons de fourrure sur un siège endom-magé, un pied- de-poule étiré comme une nouvelle peau. Le prototypage domine ici et ouvre à la découverte, le confort est mis au défi, les modèles se jouent des conventions, des exemplaires demeurent incomplets.

La démarche de conception s’enrichit des points de vue et d’expériences personnelles : grâce aux conseils d’Alex, un fidèle de La Fabrique, une chaise longue avec support aux pieds voit le jour. Ce parc spécial de chaises (qui entrent de peine et de misère, de manière incongrue dans l’ascenseur) est testé une première fois dans la zone lecture à la biblio-thèque de l’école.

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On pénètre dans L’école secondaire Monseigneur-Richard après avoir été accueilli par la statue en pied de l’évêque, la main droite posée sur le cœur, tandis que la gauche porte vers l’avant l’autorité de son bonnet. Le seuil franchi, on avance dans un vaste volume horizontal, vide de toute présence. L’impression d’absence est renforcée par de longues rangées de casiers individuels, verticaux, au garde à vous devant celui qui s’avance. Une lumière froide, zénithale, réfléchit la propreté impeccable de la surface carrelée. La dynamique puissamment colorée d’un graphe est tranchée par l’arête d’un mur. Rien ne bouge quand une sonnerie stridente jette précipitamment hors de classe un flux d’élèves soudainement délivrés de leur position assise. En traversant cette vitalité, puis en empruntant de longs couloirs austères, linoléum et peinture hôpital, on parvient à La Fabrique, l’espace artistique mis en place par Jean-Maxime Dufresne.

On se fraie alors un chemin au milieu d’une armada de sièges dont les tapisseries sautent aux yeux dans un choc de motifs et une insurrection de couleurs. Mêlant le ras au touffu, les matières les plus contrastées se télescopent. Le pied de poule voisine avec la peau de zèbre. Les pavillons de nations encore inconnues déploient une géographie bigarrée de dossiers et d’assises. On pense alors à la peinture de Jasper Johns ou aux installations de John Armleder. Mais il ne s’agit pour autant ni de peinture ni d’installation, du moins pas seulement. Des fauteuils aux bras hirsutes invitent à la caresse, tandis que des chaises combinées proposent de s’adonner à un nouvel art de s’asseoir. Plus loin une banquette collective - modèle à roulette sur demande - accueille un groupe d’élèves qui compose le plus naturellement du monde les attitudes d’un nouveau déjeuner sur l’herbe. Dans des locaux attenants, des montagnes de chaises et de fauteuils évoquent la barricade, attendant d’être revisités par l’imagination des élèves. Ce qui était figé dans une destination univoque est disponible pour de nouveaux usages.

Un siège qui nous appartient dénote un compromis entre une attente de confort et les moyens dont on dispose. Un siège qui appartient à une collectivité reflète le choix des décideurs qui ont déterminé la façon dont les corps sont censés se comporter dans l’espace public. Un siège conditionne la façon dont on s’assoit. Des représentations contrastées président à « sa fabrique », c’est-à-dire la manière dont une chose est fabriquée.

Depuis cette expression un peu ancienne il est intéressant de noter que les premières fabriques étaient de petits édifices construits pour l’agrément dans les parcs. Ces constructions manifestaient un imaginaire aristocratique tourné vers le plaisir et les jeux de l’amour. Un genre de peinture porte le nom de paysage avec fabrique. Ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle que la fabrique devient un lieu d’industrie. Une autre acception, moins courante, le conseil de fabrique, indique l’ensemble des décideurs qui administrent un établissement religieux. L’histoire du mot fabrique croise donc trois notions généralement séparées et que la pra-tique de l’art réunit : le travail, le désir et la décision.

La richesse perceptible des propositions plastiques dévelop-pées ici est d’abord fonction des échanges de paroles que Jean-Maxime Dufresne a su mettre en place avec les groupes d’élèves. Cette richesse est condensée dans la polysémie du titre qui désigne à la fois : un atelier où l’on fabrique, un processus dans lequel on échange et une œuvre en collaboration. Ce projet artistiquement pertinent mutualise l’acquisition de capacités à expérimenter, à dire et à sentir, piliers de la révolution cogni-tive. Ce faisant, La Fabrique modélise un chantier plus large sur lequel toute une série de partenaires peuvent être à l’œuvre, tant pour leur propre compte qu’au bénéfice de leur environnement sociétal : élèves, artistes, médiateurs, pédagogues, personnels d’entretien, responsables institutionnels, etc. Ce processus de transaction entre des valeurs de l’art et des valeurs pédagogiques intègre des savoirs et des savoir-faire dans une expérience de vie qui relie l’acquisition des compétences à l’apprentissage d’une capacité à décider.

L’art, soi-disant désintéressé, peut donc être utile à bien des choses. On peut affirmer, en accord avec le fameux manifeste d’un groupe d’écrivains antillais, de février 2009, que l’art fait partie des « produits » de haute nécessité 1. En mettant en évi-dence sa propre indétermination, l’art met en évidence le potentiel d’indétermination des sociétés. Ceux qui, avec art, mutualisent leurs compétences et leurs incompétences dans des projets communs non-finalisés fabriquent de la valeur en partageant des valeurs.

François Deck

PARTAGER DES VALEURS, PARTAGER LA VALEUR

1 Manifeste pour les “produits” de haute nécessité, collectif, Éditions Galaade et Institut du Tout-Monde, 2009.

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La publication LA FABRIQUE, C’EST QUOI? est publiée par le Centre Turbine en partenariat avec le Centre des arts actuels Skol. Cette publication documente le projet La Fabrique, une résidence de création à l’école Monseigneur-Richard réalisée à l’hiver 2011, et accompagne l’exposition documentaire présentée à Skol du 20 au 29 octobre 2011.

Conception : Jean-Maxime DufresneCoordination de la publication : Adriana de OliveiraTextes : François Deck ; Adriana de Oliveira ; Jean-Maxime Dufresne (glossaire). Citations : élèves de la classe d’arts plastiques de Marianne Despars (Secondaire V) Révision: Céline Flahault, Benoit PontbriandGraphisme : Jean-Maxime Dufresne, Benoit Pontbriand Photos : Jean-Maxime DufresneImpression : Rubiks

ISBN 978-2-9812819-0-6 (version imprimée) Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2011ISBN 978-2-9812819-1-3 (pdf) Dépôt légal - Bibliothèque et Archives Canada, 2011

Cette publication est mise à disposition aux conditions stipulées dans la présente licence publique Creative Commons : Attribution - Non commerciale - Pas de travaux dérivés 2.5 Canada. Les textes, citations et images sont protégés par le droit d’auteur. Toute utilisation de l’oeuvre contraire aux modalités de la présente licence

est interdite. Pour voir une copie de cette licence, visitez : http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.5/ca/legalcode.fr

Turbine-Centre de création pédagogique Centre des arts actuels Skol5445, av. de Gaspé, #1016 372, rue Ste-Catherine O, espace 314Montréal (QC) Montréal (Qc)www.centreturbine.org www.skol.ca

Le projet La Fabrique, cette publication et l’exposition qu’elle accompagne ont été réalisés avec le soutien du programme “Libres comme l’art”, une initiative du Conseil des arts de Montréal (CAM), de la Conférence régionale des élus de Montréal (CRÉ) et du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (Programme de soutien à l’école montréalaise).

9 782981 281906

ISBN 978-2-9812819-0-6

9 782981 281913

ISBN 978-2-9812819-1-3

Élèves du secondaire V

Gabriel O.Sébastien S.Christian M.Jessica D.Maxym L.Benjamin L.Sasha D.C.Darinka A.Samuel B.Jessica B.Amélie D.Mathieu T.Audrey M.Audrey L.

Élèves de la classe FPT

Alexandre L.Jackson H. ShysonAnika L.Lydia C-G.Kevin D.Martin C.Émilie D.

Jean-Maxime Dufresne (artiste en résidence de création)

Adriana de Oliveira (chargée de projets Centre Turbine)

Marc-André Viens (directeur adjoint de l’école Mgr-Richard)

Josée Lapierre (directrice)Marianne Despars

(enseignante en arts plastiques, secondaire V)Johanne Minna (enseignante de la classe FPT)Mathieu Saulnier (enseignant de la classe FPT)Renata Stachiewicz-Kerr (bibliothécaire)Jacques Beaudry (préposé à l’entretien)Jérôme Drouin (responsable, local des activités)Yannick Bemman

Michael R-M.Jonathan N.Alexandre G.AnnabelleAmy C.Sabrina N.Sabrina A.Olivier L.Hussein I.Ruhel M.Maxine S.B.Carolane G.Andreanne S.Charlyne M.

Participants au projet

version imprimée PDF31

Gabriel C. Vincent-Luc G. Mélina M-B. Christopher G.Jean-Nicolas M.VanessaMohamedAlexis L-É.

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