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1 LA DOULEUR CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE Points essentiels La prise en charge de la douleur, notamment chez la personne âgée, est un enjeu de santé publique. Le vieillissement s’accompagne d’une diminution des capacités d’adaptation de l’organisme. La douleur présente des composantes multiples : sensorielle, affective et émotionnelle, cognitive et comportementale. L’évaluation de la douleur peut être auto ou hétérogène. Tous les principes de traitement de la douleur recommandés par les paliers de l’Organisation Mondiale de la Santé sont applicables chez la personne âgée. Pharmacodynamique et pharmacocinétique sont modifiées chez la personne âgée mais n’imposent aucune interdiction d’antalgique. Chapitre 116 La douleur chez la personne âgée A. HUMEAU 1 , Y. CROGUENNEC 2 , M. JAFFRELOT 3,4 1. Infirmière-anesthésiste, SAMU 29, CHRU la Cavale Blanche, boulevard Tanguy Prigent, 29609 Brest cedex 2. Infirmier-anesthésiste, Centre de simulation en santé, UFR de médecine et des sciences de la santé. 22, avenue Camille-Desmoulins, 29238 Brest cedex 3. Médecin Urgentiste, Pôle Urgences/SAMU CHRU la Cavale Blanche, boulevard Tanguy Prigent, 29609 Brest cedex 4. Directeur pédagogique du Centre de simulation en santé, UFR de médecine et des sciences de la santé. 22, avenue Camille-Desmoulins, 29238 Brest cedex

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1LA DOULEUR CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE

Points essentiels

■ La prise en charge de la douleur, notamment chez la personne âgée, est unenjeu de santé publique.

■ Le vieillissement s’accompagne d’une diminution des capacités d’adaptationde l’organisme.

■ La douleur présente des composantes multiples : sensorielle, affective etémotionnelle, cognitive et comportementale.

■ L’évaluation de la douleur peut être auto ou hétérogène.

■ Tous les principes de traitement de la douleur recommandés par les paliers del’Organisation Mondiale de la Santé sont applicables chez la personne âgée.

■ Pharmacodynamique et pharmacocinétique sont modifiées chez la personneâgée mais n’imposent aucune interdiction d’antalgique.

Chapitre 116La douleur

chez la personne âgée

A. HUMEAU1, Y. CROGUENNEC2, M. JAFFRELOT3,4

1. Infirmière-anesthésiste, SAMU 29, CHRU la Cavale Blanche, boulevard Tanguy Prigent, 29609Brest cedex2. Infirmier-anesthésiste, Centre de simulation en santé, UFR de médecine et des sciences de lasanté. 22, avenue Camille-Desmoulins, 29238 Brest cedex3. Médecin Urgentiste, Pôle Urgences/SAMU CHRU la Cavale Blanche, boulevard Tanguy Prigent,29609 Brest cedex4. Directeur pédagogique du Centre de simulation en santé, UFR de médecine et des sciences de lasanté. 22, avenue Camille-Desmoulins, 29238 Brest cedex

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2 ■ LA PERSONNE ÂGÉE AUX URGENCES

1. Introduction

Selon la définition de l’International Association for the Study of Pain (IASP), ladouleur est une « expérience sensorielle ou émotionnelle désagréable associéeà un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en ces termes ». Lalutte contre la douleur constitue une priorité de santé publique avec desrecommandations diffusées en 1994 et à partir de 1998 deux programmesnationaux d’actions. « Véritable enjeu de santé publique et critère de qualité etd’évolution d’un système de santé, la lutte contre la douleur répond avant tout àun objectif humaniste, éthique et de dignité de l’homme » déclare Xavier Bertrand,Ministre de la Santé et des Solidarités en mars 2006. Dans le cadre du plan nationald’amélioration de la prise en charge de la douleur 2006/2010, quatre priorités ontété définies dont « Améliorer la prise ne charge des douleurs des populations lesplus vulnérables, notamment… des personnes âgées et en fin de vie ». Quelquesmythes persistent : « La douleur est moins forte chez la personne âgée », « Vieillir,c’est souffrir » ou encore selon André Comte-Sponville « Après soixante ans, si tute réveilles un matin et que tu n’as mal nulle part… c’est que tu es mort ».

Nous aborderons successivement l’épidémiologie, les effets du vieillissement, laphysiopathologie avec les modifications de perception, les particularités del’évaluation et les possibilités de prise en charge dans le contexte des nombreusesétiologies qui amènent le recours en structure d’urgence.

2. Définition

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit une personne âgée à partir de65 ans. Les problématiques de la gériatrie (polypathologie, perte d’autonomie,fragilité) concernent relativement peu d’individus âgés de 60 à 70 ans encoreappelés jeunes seniors ou « young old » dans la littérature. Elles concernentsouvent des individus âgés de plus de 80 ans encore appelés « old-old » (1). SergeGuérin, sociologue français, spécialiste des questions liées au vieillissementpropose 4 types de séniors : traditionnels, fragilisés par la dépendance physique,mentale ou économique, les nouveaux séniors (boomers bohêmes : boboos) quirefusent de vieillir et les personnes de grand âge (boomers fragilisés : bo fra) quicherchent à rester acteurs de leur vie. En France, on parle de « quatrième âge » oudes « grands séniors » pour désigner les personnes d’un âge très avancé (plus de80 ans), le terme de sénior étant plutôt réservé aux sexagénaires et septuagénaires(le 3e âge). Un sénior devient grand sénior lorsque ses propres enfantscommencent eux-mêmes à entrer dans la catégorie des séniors.

3. Épidémiologie

La démographie française n’échappe pas à la règle, la population vieillit.L’espérance de vie s’allonge avec 78,2 pour les hommes et 84,8 pour les

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femmes (INSEE février 2012). Ce qui amène les services d’urgence à prendre encharge de plus en plus de patients âgés. Il y a une surreprésentation despersonnes âgées de 80 ans et plus qui occupent 41 % des séjours d’après lerapport de synthèse de l’inspection générale des affaires sociales sur la prise encharge du grand âge en mai 2011. La plupart des patients qui se présentent auxurgences sont algiques (2). 30 % des sujets âgés arrivent aux urgences avecune douleur aiguë faisant partie dans un contexte médical ou chirurgical maisla douleur est chronique chez près de 70 % des personnes âgées surtout en finde vie.

4. Les principaux effets du vieillissement

Vieillir n’est pas une maladie, c’est un processus normal du vivant. Une bonneconnaissance du vieillissement (3) normal est indispensable afin de distinguerses effets de ceux des maladies. Il s’accompagne d’une diminution descapacités fonctionnelles de l’organisme qui s’adapte difficilement aux situationsd’agressions telles que maladies aiguës, efforts, stress. Il est variable d’un organeà l’autre (vieillissement différentiel inter-organe).

4.1. Le système nerveux

Il y a diminution de neurones corticaux avec raréfaction de la substance blanche etdiminution de certains neurones intracérébraux. Le vieillissement du systèmenerveux central se traduit par une augmentation des temps de réaction, uneréduction modérée des performances amnésiques, notamment l’acquisitiond’informations nouvelles. Ceci s’accompagne d’une réduction et d’unedéstructuration du sommeil ; la diminution de sécrétion par l’épiphyse rendcompte, au moins en partie d’une désorganisation des rythmes circadiens. Lasensibilité des récepteurs de la soif (osmorécepteurs) est réduite. Cet ensembleconcourt à majorer la vulnérabilité cérébrale des personnes âgées à l’égard desagressions.

L’augmentation des temps de conduction des nerfs périphériques est à l’origined’une diminution de la sensibilité proprioceptive qui favorise l’instabilité posturale.L’acuité visuelle diminue ainsi que l’audition.

4.2. L’appareil respiratoire et le système cardio-vasculaire

La réduction de volume des muscles respiratoires, la diminution des compliancesthoracique et pulmonaire entraînent la réduction de la capacité ventilatoire.L’augmentation de la masse cardiaque et de l’épaisseur pariétale du ventriculegauche sont à l’origine du moins bon remplissage ventriculaire. La vasomotricitéartérielle est altérée.

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4.3. L’appareil digestif et l’appareil urinaire

L’appareil bucco-dentaire est modifié. Les flux salivaires et la sécrétion acide sontréduits.

Le péristaltisme et le transit intestinal sont ralentis. La masse et le débit sanguinhépatique sont diminués. La filtration glomérulaire et les capacités d’éliminationdu rein sont diminuées.

4.4. L’appareil locomoteur

La masse et de la force musculaire sont réduites ainsi que la densité minéraleosseuse avec baisse de la résistance mécanique de l’os et fragilité du cartilagearticulaire.

4.5. Les métabolismes

Il y a une réduction de la masse maigre avec majoration proportionnelle de lamasse grasse. Les besoins alimentaires qualitatifs et quantitatifs des personnesâgées sont sensiblement identiques à ceux d’adultes plus jeunes ayant le mêmeniveau d’activité physique. Le métabolisme des glucides est modifié et l’organismeréduit sa capacité à s’adapter aux situations de stress.

5. Physiopathologie de la douleur

5.1. Aspect pluridimensionnel de la douleur

5.1.1. Les différentes composantes (4, 5)

La composante sensori-discriminative (aspect sensoriel) correspond auxmécanismes de détection et d’analyse du stimulus nociceptif. Elle est la plus facileà décoder. La composante affective et psychique (aspect émotionnel) correspondà la perception douloureuse qui est modulée par l’anxiété ou la dépression. Lacomposante cognitive se réfère à la mémoire, au vécu, aux phénomènes d’attentionou d’interprétation et la comportementale correspond aux manifestationsobservables : verbales (plaintes, gémissements), motrices (postures, attitudesantalgiques) et végétatives (sueurs).

5.1.2. Quelques définitions

La douleur est dite chronique lorsqu’elle évolue depuis plus de 3 mois. Elles’accompagne alors d’anxiété, d’insomnie, de perte d’autonomie, de détériorationde la qualité de vie, souvent associés à un sentiment d’abandon et/ou d’insécurité.Son expression n’est plus en rapport avec la lésion initiale, elle est pérennisée ouentretenue par des facteurs psychiques, somatiques et environnementaux : c’estla douleur globale.

La douleur nociceptive est directement liée à un dommage tissulaire.

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L’allodynie est provoquée par un stimulus qui normalement ne produit pas dedouleur ; le simple geste d’effleurer doucement la peau ou encore de légersstimuli de chaleur ou de froid peuvent être douloureux.

L’hyperpathie est un syndrome douloureux caractérisé par une réponse exagéréeà un stimulus douloureux.

La causalgie associe une douleur continue à type de brûlure à une allodynie et àune hyperpathie après une lésion nerveuse traumatique.

5.2. Les deux grands types de douleurs

5.2.1. La douleur par excès de nociception

La nociception a une fonction défensive d’alarme. C’est l’ensemble des phénomènespermettant l’intégration au niveau du système nerveux central d’un stimulusdouloureux via l’activation des récepteurs à la douleur, nocicepteurs cutanés,musculaires et articulaires. Le transport de l’information sensorielle par les nerfs sefait de la périphérie (lieu du ressenti de la douleur) jusqu’à l’encéphale. Il faut quela stimulation dépasse un certain seuil pour qu’il y ait un déclenchement d’uneréponse électrique (Théorie du gate control). Cette douleur résulte de lastimulation des terminaisons nerveuses cutanées, musculaires ou viscérales.

5.2.2. La douleur neurogène

Elle peut résulter d’une lésion du système nerveux périphérique, c’est une douleurde désafférentation ; une des plus typiques est celle survenant après l’amputationd’un membre et se traduisant par une douleur du moignon et un membrefantôme. Ce type de douleur est perçu en dehors de toute stimulation nociceptiveet se traduit de plusieurs manières : perte de la sensation douloureuse,exagération de la sensation douloureuse, perturbation de la sensationdouloureuse à type de décharge électrique plus ou moins intense, paresthésie. Sila douleur neurogène découle d’une lésion du système nerveux central (douleurscordonnale ou thalamique), elle s’exprime par des brûlures avec paroxysmesparfois fulgurants. Il peut s’y associer une hypo ou hyperesthésie de la zonedouloureuse.

5.3. Les voies de la douleur

La douleur commence au niveau du récepteur périphérique même s’il n’existe pasde structure histologique individualisée. De nombreuses substances (bradykinine,histamine, sérotonine…) sont libérées lors des lésions tissulaires par les cellulessanguines. Les messages sont élaborés dans les terminaisons libres des différentstissus (cutané, musculaire, viscéral…). Ils sont ensuite véhiculés par des fibresmyélinisées ou non. Après avoir emprunté les nerfs périphériques, l’influx cheminejusqu’aux racines rachidiennes postérieures et pénètre dans la moelle. L’influxprend alors deux directions, la corne antérieure pour l’activité réflexe d’originemédullaire ou vers les structures supraspinales. Les fibres montent vers la moelle,les unes vers le cervelet, les autres vers le cerveau. Elles sont formées d’une chaîne

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de 3 neurones successifs. Les voies nociceptives afférentes sont en permanencemodulées par des systèmes régulateurs, essentiellement inhibiteurs, au niveau deleurs divers relais du système nerveux central. C’est à partir du niveau cortical quel’organisme prend conscience du caractère douloureux de l’information et devientcapable de discerner la localisation de la douleur du fait de la représentationcorporelle corticale. Les centres nerveux du cortex et des zones sous-corticales ducerveau répondent aux signaux douloureux (ascendants) et peuvent moduler cessignaux en activant des voies descendantes (efférentes) inhibitrices. Les impulsions(potentiels d’action) descendent vers la corne dorsale de la moelle épinière (oùles différents stimuli douloureux sont transmis au neurone secondaire). Desneurotransmetteurs inhibiteurs tels que la noradrénaline, la sérotonine modulentla transmission douloureuse ascendante.

6. Modifications de la perception de la douleur liées au vieillissement

Les seuils et la tolérance de la douleur sont similaires chez les sujets jeunes et chezles sujets âgés. La localisation de la douleur devient, avec le vieillissement, moinsprécise et la tolérance aux stimulations nociceptives de forte intensité est réduite.Du fait d’une baisse des neuromédiateurs (noradrénaline, sérotonine), lessystèmes de contrôle de la douleur sont moins efficaces. On observe uneaugmentation du syndrome de désafférentation, notamment lors des zonas, desamputations. L’histoire individuelle joue un rôle important par l’acquis d’unemémoire de la douleur tout au long de la vie. Il existe un lien entre douleurchronique, anxiété et dépression. Avec le vieillissement, la fréquence de ladépression accompagnant une douleur chronique augmente. Les troublessensoriels et de communication modifient l’expression de la douleur qui peut serévéler de manière non-évocatrice, à type de confusion par exemple.

7. Méthodes d’évaluation de la douleur (6)

La douleur est une expérience personnelle subjective, qui engage la totalité dusujet avec toute son histoire de vie. Chacun interprète et exprime la sensationdouloureuse selon son ressenti (brûlure, déchirement, morsure…), sa sensibilitéfaite de toutes ses expériences passées. L’évaluation permet d’identifier lespatients douloureux qui ne se plaignent pas, d’améliorer la qualité de la relationsoignant/soigné en montrant au patient que l’on croit à l’authenticité de sadouleur, de faciliter la mise en place et l’ajustement de traitements antalgiquesadaptés à la nature et à l’intensité de la douleur puis d’évaluer l’efficacité dutraitement et éventuellement les effets secondaires. Traiter une douleur impliquede la quantifier et facilite les prises de décisions homogènes au sein de l’équiped’instauration du traitement. Deux méthodes regroupent chacune plusieurs outils(échelles d’intensité).

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7.1. L’auto-évaluation

En plus de la localisation, ces échelles globales unidimensionnelles permettent aupatient d’évaluer l’aspect quantitatif et qualitatif de sa souffrance.

L’échelle visuelle analogique (EVA) considérée comme le « Gold Standard »propose au patient de positionner un curseur sur un trait horizontal ; le soignantrelève le chiffre correspondant. Il existe des variantes colorimétriques (trianglerouge au lieu d’une ligne).

Grâce à l’échelle verbale simple (EVS), il choisit le mot qui correspond le mieux àsa douleur au moment donné.

Avec l’échelle numérique (EN), la patient répond à la question « Pouvez-vousdonner une note de 0 (pas de douleur) à 10 (douleur maximale imaginable) poursituer le niveau de votre douleur ? ».

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7.2. L’hétéro-évaluation

Lorsque des problèmes cognitifs empêchent une participation pertinente de lapersonne âgée, le soignant doit avoir recours systématiquement à un outild’hétéro-évaluation. Si cinq échelles sont disponibles, la Haute Autorité de Santé(HAS) n’en a retenu que deux, un troisième est en cours d’évaluation.

7.2.1. Échelle Comportementale pour Personne Âgée (ECPA – 2)

Elle s’articule autour de 2 observations avant et après les soins. Elle se présente susla forme de 8 items côtés chacun de 0 à 4. Annexe 1.

7.2.2. Échelle DOLOPLUS

Elle intègre 3 dimensions avec les retentissements somatique, psychomoteuret psychosocial avec 10 items notés de 0 à 3. Le score seuil est de 5 sur 30.Annexe 2.

7.2.3. Échelle ALGOPLUS

Elle est en cours d’évaluation pratique. Cette échelle d’évaluation comporte-mentale de la douleur aiguë est adaptée chez la personne âgée présentant destroubles de communication verbale. Annexe 3.

Pour avoir une efficacité optimale, ces échelles doivent permettre une réévaluationpériodique de la douleur tenant compte des demi-vies et de la distribution desdrogues prescrites afin d’affiner le traitement. Ces répétitions, car la douleur estun symptôme évolutif, doivent être notifiées dans le dossier de soins.

8. Traitement (8)

La première des antalgies est aussi dans l’attitude du soignant qui par une écouteempathique et ses explications concoure à réduire l’anxiété facteur majorant. Letraitement étiologique de la douleur est le premier traitement.

8.1. Les modifications pharmacocinétiques et dynamiques liées à l’âge (7)

La pharmacocinétique étudie le devenir d’une substance active contenue dans unmédicament dans l’organisme. Elle comprend quatre phases : absorption,distribution, métabolisme et élimination. Le vieillissement s’accompagne d’uneaugmentation du PH gastrique, d’une diminution de la vidange gastrique,d’une baisse de la mobilité intestinale et du débit sanguin splanchnique avecpour conséquences une résorption plus lente des médicaments. La massegrasse augmente avec l’âge, la masse maigre musculaire diminue et on observeune diminution de 15 % de l’eau corporelle. Le volume de distribution desmédicaments liposolubles (benzodiazépine, buprénorphine, fentanyl, sufentanyl)est augmenté avec un risque de sous-dosage mais aussi un possible relargagetardif du fait de l’augmentation de leur stockage. À l’inverse, les médicaments

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hydrosolubles (paracétamol et morphine peuvent avoir une action brutale). Levieillissement s’accompagne d’une altération des fonctions hépatiques et rénalesavec une grande variabilité interindividuelle. Ce ralentissement du métabolisme etde l’élimination font courir le risque de surdosage.

La pharmacodynamie étudie les modifications de relation entre l’effet d’un produitet sa concentration au niveau tissulaire avec notamment une augmentation de lasensibilité des récepteurs aux opioïdes majorant la possibilité de dépressionrespiratoire.

Malgré ces modifications liées au vieillissement, aucun médicament n’est proscritchez le sujet âgé sur le simple fait de l’âge.

8.2. La prise en charge des douleurs traumatiques

Dans la cadre des urgences traumatologiques, le soignant doit lutter contre lesdouleurs dont celles induites. Il doit minimiser au maximum les gestesprovoquants : respecter les positions antalgiques, immobiliser les foyers defractures éventuels et utiliser le froid pour ses effets anti-inflammatoires locaux.Les techniques d’anesthésie locale ou loco-régionale et l’utilisation du mélangeéquimolaire de protoxyde d’azote font partie de l’arsenal.

8.3. Les paliers de l’OMS

En 1986, l’OMS a proposé une échelle pour le traitement de la douleurcancéreuse. Elle est aujourd’hui utilisée dans le traitement de toutes les étiologies.Son objectif est de prévenir un traitement inapproprié en hiérarchisant en 3 paliersl’utilisation des antalgiques selon l’évaluation de la douleur.

Les antalgiques de palier 1 (paracétamol, AINS et aspirine) sont prescrits pour lesdouleurs faibles à modérées. Le paracétamol n’est pas dépresseur respiratoire etn’altère pas la vigilance. Il est à manipuler avec prudence en cas d’insuffisancehépatique ou rénale. Les Anti Inflammatoires Non Stéroïdiens (AINS) ont lesmêmes restrictions auxquelles s’ajoutent les ulcères gastroduodénaux.

Le palier 2 regroupe les antalgiques pour les douleurs modérées à intenses. Auxantalgiques centraux opioïdes faibles (codéine, tramadol), on peut associer desantalgiques périphériques.

Pour les douleurs intenses à très intenses avec une EN ou une EVA > 6, lesantalgiques centraux forts (morphines et autres dérivés) sont recommandés. Onpeut associer des AINS, des glucocorticoïdes et des psychotropes (antidépresseurspar exemple) pour la composante affective.

De plus, l’OMS a établi cinq principes que devront être pris en compte dans letraitement de la douleur :

– par voie orale pour un haut degré d’indépendance et de confort. Les patchsopioïdes sont une alternative ;

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– à intervalles réguliers ;

– de façon adaptée aux besoins individuels ;

– selon l’échelle d’intensité de la douleur ;

– avec un constant souci du détail (habitudes et effets secondaires).

8.4. Personne âgées et morphine

Chez le sujet âgé, il faut prendre en compte l’évolution physiologique liée à l’âge,la prévalence de la polypathologie, la polymédication et la sensibilité à lapathologie iatrogène.

La morphine (9, 10) est utilisée dans le cas de douleur nociceptive intense pourla faire disparaître, supprimer la mémorisation et maintenir l’autonomie etla communication. Pour prévenir son retour, l’efficacité du traitement est évaluéepour une adaptation si nécessaire.

Il faut titrer avec des formes à libération immédiate ; l’intensité de la douleurdétermine la dose efficace. Le choix de la voie d’administration est parfoisconditionné par des difficultés spécifiques (fausses routes, confusion etagitation, troubles du comportement et refus, difficultés d’abord veineux). Lavoie orale est privilégiée en l’absence de contre-indication. Il faut réduire lesdoses de 40 à 50 % (diminution de filtration hépatique et rénale) pour les formesà libération immédiate et les espacer. La voie intraveineuse peut être utilisée entitration pour les douleurs aiguës par bolus de 1 à 3 milligrammes comme chezl’adulte jeune. Les voies sous-cutanée et intramusculaire sont à éviter. Le relais,une fois le plateau d’efficacité atteint, peut être pris par la morphine à libérationprolongée, active sur une période de 8 à 12 heures, évitant ainsi les prisesnocturnes.

L’IDE surveille les effets indésirables à type de :

– nausées/vomissements ;

– état d’agitation psychomotrice dû à l’action centrale ;

– somnolence excessive (patient pas réveillable aisément seulement à lastimulation verbale ou tactile). C’est le premier signe de surdosage ;

– dépression respiratoire avec une respiration irrégulière, bruyante avec tirage etdiminution de la fréquence avec un seuil d’alerte inférieur à dix par minute ;

– autres signes peu significatifs dans la cadre de l’urgence (constipation, rétentionurinaire qui impose de rechercher un globe, prurit).

En cas d’effets indésirables ou de signes avérés de surdosage, l’IDE informe lemédecin pour adapter le traitement : ajustement des doses, voir prescriptiond’antagoniste en cas d’événement indésirable majeur (naloxone en titration parbolus de 0,04 mg avec surveillance étant donné sa demi-vie plus courte).

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8.5. Les méthodes non médicamenteuses

D’autres solutions existent mais sont peu adaptées à l’urgence. Elles peuventtrouver leur place dans les unités d’hospitalisation de courte durée (UHCD). Nousles citons pour être complets :

– la relaxation agit avec une efficacité diverse sur la tension musculaire,contribuant à contrôler la douleur et le stress émotif, qui agit à son tour sur latension musculaire et sur la douleur ;

– le toucher répond à un besoin vital et équilibrant d’autant plus que le patient amal. Il entraîne divers effets positifs et ce, quel que soit le soin apporté ;

– l’hypnose en soins palliatifs permet une meilleure prise en charge de l’angoissedu patient et une diminution notable de la consommation des antalgiques etpsychotropes ;

– la kinésithérapie a une place de choix dans la prise en charge globale dela douleur. La mobilisation, douce passive et les massages permettent de réduireles contractions douloureuses et l’enraidissement articulaire ; ils procurent unesensation de bien-être ;

– la radiothérapie antalgique est la plus utilisée dans les douleurs d’originecancéreuse, en particulier en cas de métastases osseuses ou d’envahissementpérimédullaire.

– l’acupuncture pour les douleurs nociceptives correspondant à des pointsdouloureux profonds ou musculaires ou les douleurs neuropathiques ;

– la mésothérapie qui consiste à injecter par voie intradermique ou sous-cutanéesuperficielle des médicaments associés à de la procaïne ou xylocaïne n’a fait l’objetd’aucune publication scientifique probante.

9. Conclusion

Prendre en charge la douleur reste une préoccupation essentielle des soignantsainsi qu’une priorité. Il est impératif de disposer d’échelles pour quantifier aumieux ces douleurs même chez le patient non-communiquant. L’objectif estde procéder au soulagement rapide dans le cadre de l’urgence et à l’évaluation del’efficacité des traitements en toute sécurité pour la personne âgée. Cette mesured’intensité, la plus pertinente possible, permet d’adapter les traitements entenant compte des modifications pharmacocinétiques et dynamiques liées auvieillissement. Ceci passe par la compréhension des phénomènes douloureux avecleurs spécificités liées à l’âge. Aucun médicament n’est contre-indiqué du seul faitde l’âge. Le concept d’oligo-analgésie doit être éradiqué par les équipes grâce auxdémarches d’évaluation des pratiques professionnelles (11).

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Références

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4. Rousselet E. Approche et modalités pratiques que nécessite la prise en charge de ladouleur. Spécificité de cette prise en charge par le personnel infirmier. Congrès SFMUUrgences, Paris 2007.

5. Lvovschi V. Douleur. In: Traité de médecine d’urgence de la personne âgée. Arnette,Paris 2011 : 355-365.

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8. Amour J. Sédation, analgésie et anesthésie. In: Traité de médecine d’urgence de lapersonne âgée. Arnette, Paris 2011 : 633-645.

9. Aubrun F. Morphine. In: Traité de médecine d’urgence de la personne âgée. Arnette,Paris 2011 : 1221-1225.

10. Recommandations formalisées d’experts 2010. Société Française d’Anesthésie etRéanimation et Société Française de Médecine d’Urgence. Sédation et analgésie enstructure d’urgence.

11. Guéant S., Taleb A., Borel-Kühner J., Cauterman M., Raphaël M., Nathan G., Ricard-Hibon A. Quality of pain management In the emergency departements; results of amulticenter study. European journal of anesthesiology, 2010 : vol. 27 n° 00.

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13LA DOULEUR CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE

Annexe 1

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14 ■ LA PERSONNE ÂGÉE AUX URGENCES

Annexe 2

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15LA DOULEUR CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE

Annexe 3