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Il est une des applications du bois de chêne qui déchaîne les passions et en magnifie la matière. Nous voulons bien sûr faire référence à la tonnellerie, cet artisanat de qualité intimement lié à la culture européenne depuis plu- sieurs siècles et symbole de la commu- nion entre la vigne et l’arbre. S i le mode de fabrication tradi- tionnel du tonneau n’a prati- quement pas changé depuis sa découverte, le choix des essences, les techniques d’élevage des vins, le niveau de connaissances et l’importance de ce secteur d’activité ont, par contre, fortement évolué. Dévoilons donc un peu ce pan de notre histoire et découvrons que, en dépit de tous les progrès techniques, Forêt Wallonne n°43 Juillet - Août 1999 2 l’élevage du vin en fûts de chêne reste une étape essentielle dans la matura- tion de ce liquide sacré. HISTORIQUE Invention celte, la « Cupae » (fût) a marqué le conquérant romain, obligé de lutter contre ces récipients, a priori inoffensifs, mais plutôt agressifs dans les mains de valeureux Gaulois qui les projetaient, remplis de matière enflammée, sur les légionnaires. La capacité et la solidité de ces assem- blages de bois ont vite fait de convaincre les sujets de l’empire de leur utilité dans le stockage et le trans- port des denrées alimentaires, des liquides et autres matériaux, en rem- placement des amphores, certes gra- cieuses, mais par trop fragiles et encombrantes. LA DOUCE IVRESSE DU CHÊNE Jean-Philippe QUIN, Ets R. STIERNON Benoit JOUREZ, Centre de Recherches de la Nature, des Forêts et du Bois

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Il est une des applications du bois dechêne qui déchaîne les passions et enmagnifie la matière. Nous voulonsbien sûr faire référence à la tonnellerie,cet artisanat de qualité intimement liéà la culture européenne depuis plu-sieurs siècles et symbole de la commu-nion entre la vigne et l’arbre.

Si le mode de fabrication tradi-tionnel du tonneau n’a prati-quement pas changé depuis sadécouverte, le choix des

essences, les techniques d’élevage desvins, le niveau de connaissances etl’importance de ce secteur d’activitéont, par contre, fortement évolué.

Dévoilons donc un peu ce pan denotre histoire et découvrons que, endépit de tous les progrès techniques,F

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l’élevage du vin en fûts de chêne resteune étape essentielle dans la matura-tion de ce liquide sacré.

HISTORIQUE

Invention celte, la « Cupae » (fût) amarqué le conquérant romain, obligéde lutter contre ces récipients, a prioriinoffensifs, mais plutôt agressifs dansles mains de valeureux Gaulois qui les

projetaient, remplis de matièreenflammée, sur les légionnaires.

La capacité et la solidité de ces assem-blages de bois ont vite fait deconvaincre les sujets de l’empire deleur utilité dans le stockage et le trans-port des denrées alimentaires, desliquides et autres matériaux, en rem-placement des amphores, certes gra-cieuses, mais par trop fragiles etencombrantes.

LA DOUCE IVRESSEDU CHÊNE

Jean-Philippe QUIN,

Ets R. STIERNON

Benoit JOUREZ,

Centre de Recherches de la Nature, des Forêts et du Bois

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La forme enflée des fûts est la sourcede leur grande résistance. En effet, lacourbure du flanc permet une homo-généisation des pressions, tantinternes qu’externes, appliquées sur lefût, rendant l’ensemble très résistant,empilable et manipulable sans risque,manipulation encore facilitée par lafaible surface de contact avec le sol.Un autre avantage indéniable du fûtsur l’amphore est sa relative légèretépar rapport à sa capacité de stockage ;

le fût est généralement plus léger queson contenu, ce qui n’est pas le cas del’amphore.

On comprend dès lors mieux pour-quoi l’usage de la barrique s’est rapide-ment étendu dans tout le monderomain, malgré les réserves de Césarqui jusqu’à sa mort eu les nuits han-tées par le ferraillement de ces enginsdiaboliques dévalant des fortificationsceltes vers ses troupes en déroute.

Par un heureux hasard, il s’est avéréque le vin gagnait en qualités gusta-tives lors de son entreposage en fût dechêne. Finie donc, la triste époque oùil fallait faire macérer des plantes aro-matiques dans le jus de raisins fer-menté pour le rendre tout simplementbuvable ! Ce n’est pourtant qu’aucours du 17ème siècle que seront établisles grands principes de la maturationdu vin en barriques.

Vingt siècles d’améliorations, d’essaisde nouvelles essences, d’apprentissageempirique, pour donner aujourd’huides vins de grande qualité, élevésnaturellement en fût de chêne etmondialement reconnus.

Pourtant, l’arrivée des cuves en inox eten plastique a failli être fatale à la ton-nellerie traditionnelle. La grande capa-cité des cuves, leurs aspects pratiqueset surtout leur prix défiant touteconcurrence, leur a permis de dure-ment concurrencer les fûts en chêne.

Heureusement, le palais des œno-logues s’est rebellé contre ces pra-tiques industrielles qui enlevaient toutcaractère au vin et leur verdict impla-cable a consacré le nectar imprimé dessaveurs de la forêt. Le fût de chênes’est donc vu réserver le rôle d’élémentessentiel dans la maturation du vin,les cuves et les bouteilles le relayantpour le transport, ces dernières assu-rant également sa conservation et sonvieillissement.

Il a donc fallu deux millénaires (et sur-tout les dix dernières années) pourcomprendre la curieuse alchimie quise crée entre le bois et le vin et pourjustifier scientifiquement les atouts del’élevage en barriques de chêne, sanspour autant en arriver à maîtrisercomplètement le sujet.

Une longue et belle histoire, riche detraditions et mère d’un savoir-faireindéniable.

LE CHÊNE LE PLUS BEAU ET LE PLUS CHER

Les exigences techniques, liées à lafabrication des barriques, et certainesqualités organoleptiques recherchéespar le viticulteur, ont opéré une sélec-tion dans les essences utilisées dans lafabrication de futaille. F

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« Le chêne s’est rapidement isolé pourla vinification. Sa facilité de débit aufendage et de cintrage au feu, à lavapeur ou à l’eau chaude, son excel-lente porosité aux gaz tout en étantimperméable aux liquides, son aptitu-de à la formation lors de la chauffe demolécules odorantes marquant positi-vement le vin et sa durabilité, l’ontdésigné comme essence de référenceen tonnellerie ». (VIVAS N.)

Si un choix a été effectué dans lesessences, l’expérience a voulu que descritères encore plus drastiques soientpris en considération lors de la sélec-tion du bois. Le chêne le plus adaptés’est révélé être de la meilleure qualitédisponible sur le marché : le chêne ses-sile (Quercus petraea Liebl.) de hautefutaie, à croissance lente et régulière(cernes de moins de 2,5 mm), au fûtdroit, sans nœud et sans défaut. Cechêne blond, apprécié des trancheurset des ébénistes (les tonneliers secontentent malgré tout de billons dedimensions inférieures à celles récla-mées pour le tranchage), finira donc savie dans une cave obscure, libérant sesannées de vie sous l’œil bienveillantdu Maître de Chai.

Une telle exclusivité a un prix et lesbelles grumes de chêne merrain (termequi désigne le chêne destiné à la fabri-cation des fûts) se négocie, sur pied,

aux alentours de 18.000 BEF le mètrecube. Les tonneliers se fournissentdonc dans des régions pouvant offrirdes bois de cette qualité.

Il ne faut pas croire que seul ce type dechêne soit valable pour la tonnellerie.Les tonneliers utilisent également dubois présentant des cernes larges, duchêne pédonculé (Q. robur L.), etmême, de plus en plus, une essenceimportée, le chêne blanc américain (Q.alba L.). La diversification de ces appro-visionnements se comprend aisémentau vu des prix pratiqués pour le chênehaut de gamme. L’Institut pour leDéveloppement Forestier (I.D.F. –France) mène d’ailleurs une campagned’information auprès des propriétairesforestiers et des merrandiers, en vue depromouvoir le chêne à croissance plusrapide pour l’usage en tonnellerie. Desétudes sont également menées actuel-lement en vue de vérifier l’impact réelde la largeur des cernes sur les proprié-tés organoleptiques du bois

À l’origine, les tonneliers ne réali-saient pas uniquement les ouvragesutilisés actuellement dans l’élevagedes vins et la maturation des alcools.Leur technique leur permettait defabriquer des récipients variés tels quepichets, vases, barattes, baignoires,bassines… Ces récipients, libérés detoute contrainte viticole, étaient réali-

sés en diverses essences telles que lechâtaignier, le frêne, le robinier, lepeuplier et bien d’autres encore. Évi-demment, le développement de l’utili-sation du métal, puis des matièresplastiques, a rendu obsolètes toutesces réalisations.

CLASSEMENT COMMERCIAL DU CHÊNE MERRAIN

Si les zones d’approvisionnement sontmultiples en France, les tonneliers dis-tinguent trois grandes « prove-nances » : le Centre, les Vosges et leLimousin. Ces appellations génériquespeuvent rendre, à juste titre, le scienti-fique et le forestier perplexes. En effet,le milieu de la tonnellerie se permetdes amalgames et des simplificationsqui ne manqueront pas de générerquelque érection capillaire chez le spé-cialiste. Le « Chêne du Limousin »étant réputé pour ses cernes larges, ceterme a été étendu non-seulement auchêne produit dans cette région, maisaussi aux autres chênes à cernes largesissus du reste de la France. Les chênesà larges accroissements sont considé-rés comme faisant partie de l’espèce

La tonnellerie française consomme environs 200.000 m3 de chêne merrainpar année.

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chêne pédonculé, ce marché ne tenantpas compte du fait que le chêne sessi-le peut lui aussi produire de largesaccroissements en fonction du type desylviculture qui lui est appliqué et desconditions stationnelles. En suivant lamême logique, le chêne à cernesétroits s’est vu classé comme faisantpartie de l’espèce chêne sessile et estsouvent qualifié de « Chêne de typeTronçais » ou de « Chêne du Centre dela France ».

Au niveau des provenances, le terme« Chêne des Vosges » désigne à la foisles chênes de Darney, Château-Salin,Bitche et de la Haute-Saône. De même,la provenance « Centre de la France »englobe l’Allier, la Nièvre, la Sarthe etle Val-de-Loire.

Le chêne est donc classé suivant deuxgrands critères, le grain (largeur decernes – voir chapitre « Grain fin,grain grossier ») et la provenance, cri-tères qui doivent être considérés avecprudence, étant donné le flou relatifqui préside à leur application. On peutconstater une fois de plus que les pra-tiques commerciales, dans l’industriedu bois, sont encore loin de s’établirsur des critères précis. Mais, sous l’in-fluence des forestiers et des scienti-fiques œuvrant dans ce domaine, onpeut espérer voir se généraliser uneterminologie reconnue.

SYLVICULTURE

On ne peut rester indifférent face à laqualité remarquable des bois utilisésen tonnellerie, particulièrement ceuxqui entreront en contact avec lesgrands vins. Les cernes fins (moins de2,5 mm) voire très fins (moins de1 mm) et réguliers, ainsi que la couleurblonde du bois, témoignent de la maî-trise des sylviculteurs. Tout leur artconsiste à assurer une croissance lenteet régulière au chêne, le préservant desapparitions de gourmands et d’à-coupsdans la croissance, par le maintiend’un couvert bien fermé.

Ce type de sylviculture exige des révo-lutions s’échelonnant entre 150 et 240

ans, pour produire des arbres d’un dia-mètre allant de 60 à 80 cm. La régéné-ration naturelle, favorisée par laméthode des coupes progressives, serasouvent recherchée, mais la coupeclaire (sur de petites surfaces) suivie deplantation est également pratiquée.Dans les régions où les glandées sontpeu abondantes ou peu fréquentes, leforestier s’efforcera de toujours effec-tuer ses coupes (secondaires et finale)sur semis acquis, par enlèvement pro-gressif des semenciers. La fructifica-tion des semenciers et la germinationdes semis aura, auparavant, été favori-sée par l’enlèvement du sous-étage,des arbres mal conformés ou peu sus-ceptibles de fructifier en abondance,ainsi que des autres essences que leforestier ne désire pas voir se régénérer(coupes d’ensemencement).

Nous sommes ici obligés de faire ladistinction entre la sylviculture quirégissait l’évolution des futaies dechêne jusqu’il y a peu et qui a généréles peuplements sublimes que nouspouvons voir en France actuellement,et les nouvelles techniques sylvicoles,plus interventionnistes, qui sont àl’essai à l’heure actuelle.

La technique qui était appliquée jus-qu’à présent, consistait à laisser jouerlibrement la concurrence entre lesjeunes plants, pour laisser les indivi-dus les plus vigoureux « faire leurplace » et ensuite intervenir relative-ment tard en éclaircie.

Actuellement, une certaine volonté deréduire la durée de la révolution F

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Pourquoi le chêne blanc amé-ricain (Q. alba) est-il moinscher ?

Le chêne blanc américain présen-

te des thylles (éléments qui bouchent

les vaisseaux du bois) 10 fois plus épais

que ceux des deux chênes européens.

Cette particularité morphologique le

rend beaucoup plus imperméable et per-

met donc de le débiter par sciage, ce qui

entraîne des pertes nettement moins

importantes par rapport au débit par fen-

dage (de l’ordre de 30 %). Ce facteur,

combiné au fait que ce chêne est moins

apprécié en raison de sa trop grande

richesse en arômes (marque trop le vin),

le rendent moins cher à l’achat.

Pourquoi n’utilise-t-on pas le chênerouge d’Amérique (Q. rubra) ou lechâtaignier (Castanea sativa) ?

Ces deux essences possèdent très peu de

thylles et se révèlent donc moins

étanches aux liquides.

Pourquoi le chêne est-il fendu plutôtque scié ?

Les douelles doivent être imperméables

au liquide. Il est donc hors de question de

couper en travers du fil du bois et de

créer ainsi des voies potentielles d’infiltra-

tion. Le fendage est la seule technique

qui permette de respecter parfaitement le

fil du bois et donc d’assurer l’étanchéité

finale du fût.

En France, les forêts gérées par l’O.N.F. sont les principales pour-voyeuses de chênes merrains.

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(objectif : 150-180 ans) offre la possi-bilité au forestier de dynamiser lacroissance dans le jeune âge, en effec-tuant des dégagements dans le fourré.Ces dégagements, destinés à rabattrela fougère, la ronce et les autresplantes concurrentes, permettent éga-lement d’enlever les plants surnumé-raires, les tarés, les loups, ainsi qu’unepartie des bois blancs. Cette opérationest bien sûr à relativiser en fonction dela densité des semis et de la fertilité dela station qui conditionneront le déve-loppement des adventices.En opérant une « sélection » dès lestade du fourré, le forestier accélère lacroissance diamétrale des plants. Cettecroissance rapide dans le jeune âgegénère des cernes larges qui, concen-trés près de la moelle, seront sansinfluence sur le rendement en mer-rains, les merrains étant prélevés à unecertaine distance de la moelle pour desraisons dimensionnelles.

C’est au niveau du gaulis, stade degrande compétition entre les plants,que peuvent réellement commencerles opérations de nettoiement et dedépressage. Un passage tout les 6 anssemble recommandable pour assurerun suivi régulier du jeune peuple-ment. Quand les arbres ont atteintenviron 12 mètres de hauteur, com-mencent les premières éclaircies. Ladurée optimale de la rotation sembles’établir entre 6 et 10 ans. Ces éclair-cies auront pour but de favoriser lesplus beaux plants, d’assurer la forma-tion de leur fût (une bille de 8 mètresest un objectif tout à fait réalisable) etde leur houppier. Vers 50 ans, pourras’opérer une désignation de 70 à 100arbres-objectif par hectare. On peutconstater qu’à cet âge, l’avenir du peu-plement est déjà presque joué, leséclaircies suivantes ayant pour but defavoriser les arbres précédemmentdésignés. Cette sélection ne devra enaucun cas inciter le forestier à isolerces arbres, une brusque mise en lumiè-re pouvant générer l’apparition degourmands et rompre la régularité dela croissance. Ensuite, les soins et la patience desgénérations successives de forestiersdevront, pendant 100 à 130 ans enco-re, veiller sur ce capital inestimable.

Pour protéger le fût de l’apparition degourmands, l’installation d’un sous-étage cultural (ex : hêtre), est une pra-tique utilisée qui se révèle efficace

mais difficile à maîtriser car nécessi-tant, d’une part, un contrôle perma-nent pour éviter toute concurrenceavec le peuplement principal et,d’autre part, la conservation dequelques semenciers susceptibles derégénérer ce sous-étage.

À une époque où les contraintes éco-nomiques imposent au gestionnairede dynamiser la sylviculture au maxi-mum pour réduire la durée des révo-lutions et de rechercher les essences àcroissance « rapide », on ne peut quese féliciter de l’influence de la tonnel-lerie (et des autres utilisateurs dechêne de qualité) qui concourt à sou-tenir les prix de ce type de chêne etassure ainsi la pérennité de ces magni-fiques forêts. En France, c’est l’OfficeNational des Forêts (O.N.F.) qui seporte garant de la gestion de ce patri-moine, puisque l’essentiel du chênemerrain provient de la forêt publique.Cette situation peut paraître étrangealors que les propriétaires privés pos-sèdent en France la plus grande partde la ressource en chêne. Le mode degestion de la chênaie privée, souventproche du taillis-sous-futaie, ou lapratique d’une sylviculture beaucoupplus intensive, délivre peu de boisrencontrant les exigences actuellesdes merrandiers. Au vu des prix prati-qués dans les plus belles forêtspubliques, on comprend que l’ONFsoit fier du type de gestion qui y estappliquée, mais on comprend égale-ment que les propriétaires privéssoient dans l’impossibilité de suivrecet exemple pour des raisons de ren-tabilité évidentes.

GRAIN FIN, GRAIN GROSSIER

La notion de grain utilisée pour lechêne merrain ne correspond pas àcelle communément admise par lesanatomistes. Pour ces derniers, un boisest considéré comme ayant un grainfin si les vaisseaux du bois sont defaible diamètre et la structure homo-gène. Au contraire, le grain sera gros-sier lorsque ces mêmes vaisseaux pré-sentent une grande section et que lebois est de structure hétérogène.

Le terme « grain fin » s’applique, entonnellerie, aux bois présentant descernes d’accroissement très étroits etde largeur homogène. Par opposition,le terme « grain grossier » concerne lesbois à cernes larges et/ou irréguliers. Ilexiste également une subdivision detype « grain mi-fin ».

Les barriques destinées à la vinifica-tion seront fabriquées en majorité àpartir de bois à grain fin. Pour l’éleva-ge des eaux-de-vie, les bois à grainF

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Si la tonnellerie a survécu au développe-

ment des cuves en béton, plastique ou

inox, c’est que les œnologues se sont très

vite rendu compte que seul l’élevage en

fût de chêne apportait au vin certaines

propriétés organoleptiques recherchées.

Les techniques modernes d’analyse ont

permis à la fois d’expliquer les interac-

tions bois-vin, ainsi que de justifier scien-

tifiquement la sélection qui s’est opérée

empiriquement au fil des siècles.

L’élevage en fût de chêne influence :

L’ASPECT VISUEL DU VIN

La petite capacité des fûts et la porosi-

té du bois permettent une clarification

et une décarbonication (perte de CO2)

du vin.

La structure du bois et la présence d’el-

lagitanins, induisent une oxydation

très lente (oxydation ménagée) du vin

dont la couleur s’assombrit et se stabi-

lise.

LE GOÛT DU VIN

L’oxydation ménagée et la présence

d’ellagitanins permettent une diminu-

tion de l’astringence du vin.

Les polysaccharides libérés par le bois

diminuent également l’astringence du

vin.

Le bois libère une série d’arômes qui

ont un impact important sur le goût

du vin.

L’ODEUR DU VIN

Les arômes libérés par le bois sont rela-

tivement volatiles et sont perceptibles

à la dégustation.

(Ces renseignements sont tirés deVIVAS N. – Manuel de Tonnellerie àl’Usage des Utilisateurs de Futaille –Éditions Féret,- Bordeaux, 1998)

POURQUOI LE BOIS DE CHÊNE

EST-IL ESSENTIEL DANS

L’ÉLEVAGE DES GRANDS VINS ?

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grossier seront préférés, même si latendance actuelle va également versune utilisation accrue des grains fins.

Par contre, comme énoncé précédem-ment, la situation évoluera sans doutevers une plus grande utilisation debois à cernes larges pour l’élevage desvins.

UN HEUREUX MARIAGE

Si le chêne convient si bien à l’élevagedes vins, c’est qu’il apporte, plus qued’autres essences, des tanins et desarômes qui enrichissent le vin, l’adou-cissent, et l’aident à vieillir. D’autrepart, la porosité du bois de chêne per-met une oxygénation lente et réguliè-re du contenu, ce qui génère certainesréactions d’oxydation « In Vino » quipermettront notamment aux vinsrouges de gagner en intensité coloran-te, de garantir la stabilité de cette cou-

leur au cours du vieillissement, degagner en limpidité et en « moel-leux ».

Les tanins du bois de chêne sont desellagitanins et ne doivent pas êtreconfondus avec les tanins que l’onpeut retrouver dans la peau et lespépins du raisin. Ces tanins, présentsdans le duramen de chêne, se solubili-sent tout au long de l’élevage du vinen fût neuf et interviennent parcontrôle de l’oxygénation du vin. Eneffet, facilement oxydables, ils jouentle rôle de tampon en captant l’oxygè-ne excédentaire qui pourrait entrer encontact avec le vin.

Le bois peut également libérer descomposés aromatiques issus de ladégradation de la lignine, parmi les-quels on trouve les whisky-lactones(odeur de noix de coco et de boisfrais), l’eugénol (odeur de clou degirofle), la vanilline et d’autres moins

importants parce que difficilementperceptibles.

Il est toutefois hors de question demettre en œuvre le bois de chênedirectement après un quelconqueséchage artificiel. En effet, le séchagenaturel est essentiel car il provoquenon seulement l’apparition d’arômes,mais permet également un lessivagedes extractibles, de l’excès tannique etassure la dégradation des composésamers et astringents. Ces modifica-tions sont dues au développementd’une flore fongique, au cours dutemps, à la surface des merrains. Ceschampignons (essentiellementAureobasidium pullulans, Trichodermaharzianum et koningii)1 altèrent lescomposés du bois (lignine, cellulo-se…) en sécrétant des enzymes quiopèrent notamment une dépolyméri-sation de la lignine, générant ainsi descomposés plus simples tels que lavanilline et d’autres précurseursd’arômes. Ces transformations com-plexes sont nécessaires avant de per-mettre la mise en contact du vin avecle bois.

Une connaissance de plus en pluspointue de ces caractères aromatiquesa conduit certains vignobles réputés àexiger d’être fournis en barriquesfabriquées à partir de chêne de prove-nance spécifique. En effet, le chêneétant comme la vigne un produit deterroir, il semblerait que ses caractéris-tiques organoleptiques varient enfonction de sa provenance, imprimantau vin une note régionale supplémen-taire. Cette information est toutefois àconsidérer avec prudence, les avisdivergeant à ce sujet.

La barrique joue également le rôle de« poumon ». En effet, les réactions quiont lieu au cœur du vin consommentde l’oxygène et provoquent le dégage-ment d’azote qui s’accumule dans leciel gazeux que l’on retrouve dans lapartie supérieure de la barrique. Cetteatmosphère à la composition déséqui-librée (Rapport N2/O2 supérieur à celuide l’air extérieur) génère une aspira-tion de l’oxygène, de l’extérieur versl’intérieur. F

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Le fendage permet de respecter le fil du bois afin d’assurer son

étanchéité.

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DU CHÊNE AU TONNEAU

Les chênes sont estimés individuelle-ment sur pied, en forêt, par le merran-dier.

Seule la bille de pied est retenue. Elledoit mesurer au minimum 1,20 mètrede long après purge de la patte et nepas présenter de défauts. Le billon de

chêne merrain, d’un diamètre mini-mum de 40 à 45 cm (le plus souventde 50 à 60 cm), est fendu radialementen quartiers, eux-mêmes fendus endoublons qui sont purgés de l’aubieret débités en planches (appelées mer-rains), qui sont empilées et mises àsécher à l’air libre, soumises auxintempéries. Une année sera nécessai-re pour ramener l’humidité du bois de

65-75 % à 15-18 % (humidité relevéeen automne-hiver), humidité requisepour la mise en œuvre du bois. Aprèsces 12 mois, le séchage n’a plus de rai-son d’être mais les considérationsorganoleptiques expliquées précédem-ment conduisent le tonnelier à laisserle bois en attente 1 à 2 ans de plus. Après ces longs mois de séchage, lebois présente un aspect noirâtre, maiscette coloration, qui se développe sousl’action des éléments climatiques (les-sivage par les pluies, action des UV,oxydation…) et des champignons,n’est que superficielle.

Si la forme brute du tonneau ne soulè-ve pas l’admiration, l’agencement pré-cis de ses éléments constitutifs et l’artdu tonnelier forcent le respect.Aucune erreur n’est possible, toutdéfaut d’étanchéité est sanctionné parla perte du contenu et tout point defaiblesse ou défaut d’assemblage com-

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Deux ans se sont écoulés avant de pouvoir mettre en

œuvre le bois.

Trou de bonde

Cercles

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Douelle Douelle

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promettra la solidité générale de labarrique.

Après avoir subi deux années durantles affres climatiques, les merrainssont recoupés à leur dimension défini-tive. Cette opération est appeléeécourtage. La seconde opération est le jointagequi consiste en un lissage du bois,notamment au niveau des chants, afind’assurer plus tard l’étanchéité entreles douelles. Ces chants sont ensuiterabotés, lors du fléchage, pour donnerà l’ensemble une forme en fuseau. Letonnelier façonne ensuite les merrainspour leur donner une forme concavesur l’une des faces et convexe surl’autre face, anticipant la forme dutonneau ; cette opération est appeléedolage. L’évidage enlève une partie dubois au centre de la face concave inter-ne, ce qui évitera les risques de casselors du cintrage.

Les merrains ainsi travaillés sont appe-lés « douelles ».

25 à 30 douelles destinées à l’assem-blage du tonneau sont dressées, faceconcave vers l’intérieur, et maintenuesentre elles à leur extrémité par uncercle métallique épais, appelé moule.D’autres cercles, légèrement plus

grands que le premier, sont ensuiteapposés à la force du marteau.

Un brûlot, alimenté aux copeaux debois, est installé à l’intérieur du futurtonneau. La chauffe et une humidifica-tion du bois permettront au tonnelier

de cintrer progressivement les douellesà l’aide d’un câble de cabestan. Les douelles cintrées, les autres cerclesseront fixés à l’autre extrémité. Cettechauffe, qui sert uniquement au cin-trage des douelles, est appelée « chauf-fe technique ».

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La chauffe tech-nique, destinée àfaciliter le cintrage,sera suivie de lachauffe d’agrémentqui imprimera aubois les saveursparticulières qui semarieront au vin.

Pièce maîtresse

Ecabossage Formation du jable Formation du pasd’asse

Aisselière

ChainteauGoujon

Jonc

Pas d’asseJableChanfrain

Les pièces du fond sont assemblées àl’aide de goujons, pièces métalliquesou en bois assurant la cohésion del’ensemble. L’étanchéité est complè-tée par la pose, entre chaque pièce,de bandes de jonc. (ci-dessus)

Le rognage permet de former les deuxbases du fût pour recevoir le fond.Sur tout le pourtour on travaille lesdouelles pour leur donner la formecaractéristique. (ci-contre)

d’après « Manuel de tonnellerie à l’usage des utilisateurs de futaille »

Vivas , N. 1998

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DU CHÊNE AU TONNEAU

Les billes de chêne merrain sont soigneusement sélectionnées.

Le billon est fendu radialement en quartier.

Chaque quartier est refendu endoublons.

Le trou de bonde est foré aucentre d’une des douelles.

Mise sous pression du fût pourtester son étanchéité.

Ponçage du fût.

La chauffe d’agrémenttransforme certains composés du bois.

Opération de cintrage et miseen place, au marteau, descercles provisoires.

Les fonds sont prêts à êtreposés.

Les auteurs remercient la tonnellerie Demptos de Saint-Caprais-de-Bordeaux pour leuravoir permis de réaliser ce reportage photographique. © B. Jourez

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Les doublons sont purgés del’aubier…

et débités en planches appelées merrains.

Les merrains sont mis à sécheret maturent durant 2 à 3 ans àl’air libre.

La chauffe technique estdestinée à faciliter le cintrage.

Les douelles sont pla-cées dans le moule.

Mise en place des cerclesdéfinitifs.

Le fût, signé et marqué, est prêt à la vente.

Les merrains sont façonnés endouelles.

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La chauffe du bois qui se poursuitalors que le cintrage est effectué, estappelée « chauffe d’agrément » ou brû-lage. L’étape de la chauffe d’agrément revêtégalement une importance cruciale auniveau de la composition aromatiquedu bois. On distingue pour cela diffé-rentes intensités de chauffe qui ontchacune leurs particularités :

La chauffe faible, chauffe qui sedéroule durant 10 minutes après lecintrage, provoque comme leséchage naturel, mais dans une plusgrande mesure, une dépolymérisa-tion des polysaccharides et de lalignine, et donc la formation devanilline.

La chauffe moyenne (25 minutes)provoque une dégradation deslipides en whisky-lactones à l’odeurde noix de coco.

La chauffe moyenne « plus » (inter-médiaire) confère une odeur depâtisserie, de croissant au beurre…

La chauffe forte (40 minutes) pro-voque la combinaison des produitsprécédents avec des composés azo-tés et donne au bois (ensuite au

vin), des odeurs de pain rôti, de tor-réfaction, de pralin.

Au delà de la chauffe forte, le vin encontact avec le bois aura des odeursde cendre, de carbonisé.

Les tonneliers gardent jalousementleur secret quant à la durée et à l’in-tensité de cette chauffe d’agrément.

Pour placer les fonds, il est nécessairede réaliser une rainure de fixation,appelée jable, aux deux extrémités dutonneau, lors du rognage. Les fondssont fabriqués à partir de planches

plus courtes que les merrains qui sontalignées à plat et sur lesquelles est tra-cée, à l’aide d’un compas, la forme dufond. Des goujons en bois ou métal-liques permettent l’assemblage deslames constituant le fond, entre les-quelles une tige de roseau assurel’étanchéité. Les fonds seront ensuiteplacés sur le tonneau.

Le fût sera alors « maltraité » pour enéprouver la solidité et l’étanchéité : ilsera rempli d’eau chaude ou de vapeuret mis sous pression.

Il faut noter qu’une des douelles dechaque tonneau est perforée en soncentre : le trou de bonde permettra leremplissage et la vidange de la bar-rique.

La finition consiste, après avoir retiréles cerceaux intermédiaires utiliséspour le montage, en un ponçage dufût et un rabotage du bouge avant l’ap-plication des cerceaux définitifs, ainsiF

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Si le terme fût peu s’appliquer à l’en-semble des tonneaux destinés à la matu-ration du vin, chaque région viticole adéveloppé son propre vocable et un for-mat adapté. Nous distinguerons donc :

La Barrique bordelaise (225 litres) La Pièce bourguignonne (228 litres) Le Feuillard champenois (212 litres)

qui représentent à eux seuls 90 % de laproduction.

La tonnellerie est un subtil mélanged’artisanat et de techniques modernes.

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que de l’apposition de la signature dutonnelier et éventuellement desarmoiries du château auquel le ton-neau est destiné.

L’étanchéité à long terme du fût estdue au fait que le bois est un maté-riau hydroscopique. Lors de la fabri-cation du tonneau, le bois se situe àune humidité qui varie entre 15 et20 %. Lors de la mise en contact avecle vin, le bois reprend de l’humiditéqui se stabilise vers 30 %. Cette repri-se s’accompagne évidemment d’ungonflement de la matière ligneuse quiassure un lien intime entre les élé-ments constitutifs du fût, assurant enmême temps l’étanchéité de l’en-semble.

LE MARCHÉ DU CHÊNEMERRAIN

Étant donné le prix élevé du chênemerrain français, les tonneliers setournent également vers des chênesprovenant de l’étranger comme laRussie ou la Slovénie, voire même versune essence américaine, le chêneblanc (Q. alba).

Le chêne sessile français ayant la coteà l’heure actuelle, les milieux viti-coles et de la tonnellerie étant trèstraditionalistes, il est difficile decomparer objectivement les qualitésintrinsèques de chaque type dechêne utilisé dans la fabrication debarriques. Il semble acquis que lechêne blanc américain donne ungoût de bois prononcé aux vins cequi le fait réserver, en majorité, à lafabrication de tonneaux destinés àl’exportation. La distinction entre lesdeux chênes européens et entre lesprovenances est, par contre, beau-coup plus ténue.

Selon les premiers tests, le chêne sessi-le du Centre-France se révélerait, auniveau aromatique, plus apprécié queles autres provenances de chêne sessi-le comme de chêne pédonculé.Toutefois, la recherche dans ce secteuren étant à ces débuts, il ne serait pasimpossible que d’autres provenancesde chêne, nous pensons notammentau chêne belge, se voient à termereconnues comme aptes et recomman-dées pour la fabrication des tonneaux.Ce serait évidemment un débouché F

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QUELQUES MOTS DE VOCABULAIRE

AubierPortion du bois qui renferme dansl’arbre vivant des cellules vivantes etdes matières de réserve, par exemplede l’amidon.

BondeTrou rond pratiqué au centre d’unedouelle de la barrique. Cette douelleest d’ailleurs appelée « douelle debonde ».

BougePartie la plus enflée du fût.

CabestanTreuil à main ou mécanique dont sesert le tonnelier pour cintrer lesdouelles.

CintrageAction qui consiste à courber lesdouelles constitutives du tonneau.

DoublonDébit obtenu par fendage à partird’un quartier et duquel seront tirésdeux merrains.

DouelleLame de bois de forme définie quientre dans la composition du fût.

DuramenDans l’arbre vivant, couches internesdu bois qui ne contiennent plus decellules vivantes et dans lesquelles lesmatières de réserve ont disparu ouont été transformées en substancesdu bois parfait. Le duramen est géné-ralement plus coloré que l’aubier.

FendageOpération qui consiste à fendre radia-lement le billon de bois en quartiers,dans le sens du fil du bois.

FourréStade de développement durantlequel la futaie forme un massif densedont la hauteur dominante estconventionnellement comprise entre0,5 et 3 mètres.

FutailleDésigne indifféremment, la barrique,le tonneau, la cuve, etc…, et d’unemanière générale tous récipients enbois assemblé et destinés au loge-ment principalement des liquides.

GaulisStade de développement de la futaie,auquel conventionnellement la hau-teur dominante du peuplement estcomprise entre 3 et 12 mètres.

Haute futaie

Peuplement âgé de plus de 100 ans.

Hauteur dominanteHauteur moyenne d’une fractiondonnée des plus gros arbres d’unpeuplement.

LoupArbre très vigoureux, souvent deforme médiocre, qui occupe plus deterrain que sa valeur ne le justifie etqui porte ainsi dommage à des voi-sins de plus de valeur.

MerrainDébit fendu dans une bille de boisencore vert dans le sens des rayonsmédullaires. Il sera appelé « douelle »lorsque, après séchage et usinage, ilentrera dans la confection du fût.

MerrandierOuvrier se situant entre le forestier etle tonnelier et dont le métier est defendre le bois pour en faire des mer-rains. Actuellement, le merrandierest également la personne respon-sable des achats de chêne merrain enforêt.

OrganoleptiqueQui marque les sens (goût, odorat).

RévolutionLaps de temps qui s’écoule entre larégénération (semis, plantation) etl’exploitation finale du peuplement.

TaninsSubstances chimiques complexesprésentes dans les différents organesd’un arbre. Les tanins pourraientavoir une action prophylactique.

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rémunérateur très intéressant qui nepourrait que rehausser les cours duchêne sur pied en Belgique. Signalonsau passage que du chêne de diversesorigines a été acheté par des merran-diers, notamment du chêneChimacien en 1998. La révolution estdonc en marche.

Pour les grands Bourgognes commepour les grands Bordeaux, les premierscrus sont toujours mis en fûts neufs.Dans le Bordelais, les tonneaux tour-nent sur deux ou trois ans. Une partie

La consommation serait encore sus-ceptible de croître dans la mesure où lemarché du vin explose au niveaumondial. Une démocratisation du prixde la barrique (18.000 BEF actuelle-ment), liée à une offre de bois élargieaux chênes considérés actuellementcomme de moindre qualité, pourraitégalement inciter de nombreux pro-ducteurs viticoles à retrouver la voiede l’authenticité, réclamée par leconsommateur. L’abandon des cuvesinox au profit de fûts de chêne pour-rait peut-être leur offrir une produc-tion de qualité supérieure ou pourrait,par simple apposition sur l’étiquettede « Élevé en fûts de chêne », justifierdes prix supérieurs.

La demande actuelle en chêne merrainest tellement forte et les prix tellementélevés que les autres utilisateurs debois de chêne de qualité « ébénisterie »

seules, 80 % de la production annuel-le française, dont la majeure partie estdestinée à l’exportation. Si nous pre-nons l’exemple d’une tonnellerie quiproduit 450 fûts par jour, le volume debois stocké sur le parc à merrainsreprésente un capital immobilisé de180 millions de FF. Cette sommeconsidérable doit être financée soit surles fonds propres de la tonnellerie, soitpar des organismes de crédit. D’autrepart, le système d’adjudication des lotsde bois sur pied, qui s’effectue suivantle système des enchères descendantes,n’est certainement pas de nature àréduire ces coûts. On comprend dèslors que ces groupes, qui se livrent uneguerre commerciale incessante pourune question de survie, se portentacquéreurs de plus petites tonnelleries,en France comme à l’étranger.

MÉTIER D’ARTISAN ET DE DÉVELOPPEMENTS TECHNIQUES

Si les tonnelleries traditionnelles sontgarantes d’un savoir-faire, d’une tradi-tion et d’un très haut niveau de quali-té, certains développements technolo-giques sont venus aider les artisansdans leur travail quotidien.

La fendeuse pneumatique les soulaged’un lourd travail manuel. De même,la dolleuse façonne automatiquementles douelles au départ des merrains. Ilexiste également des machines « taille-fond » et des rogneuses, parant lestêtes de tonneau et réalisant la rainuredans laquelle se logera le fond.

Le summum de l’automatisationrevient à la Compagnie Royale deTonnellerie car, outre les éléments pré-cédents, la société fabrique desdouelles en lamellé-collé. Ainsi, lesdouelles sont constituées de deuxdemi-douelles superposées. La douelleinterne est réalisée en chêne de pre-mière qualité, l’externe en chêne desecond choix ou dans une autre essen-ce. La douelle externe peut égalementêtre réalisée en bois abouté. Dans cecas, une feuille de placage de chênesera appliquée sur la face extérieure dechaque douelle, donnant un aspectmassif à l’ensemble. La technique sejustifie si l’on tient compte du fait quele vin est en contact avec le bois surseulement 5 mm d’épaisseur, que lacolle utilisée est micro-poreuse (garan-tit l’oxygénation) et que l’économieF

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des fûts usagés peut être revendue àd’autres viticulteurs, l’autre partie estsoit brûlée, soit destinée à des usagesmoins nobles.

Ce renouvellement fréquent impliqueune grosse consommation de bois, quis’échelonne actuellement autour des200.000 m3 de chêne merrain par anpour fabriquer environ 400.000 ton-neaux. Il faut savoir que, lors du fen-dage, on considère que seulement20 % du volume de bois initial est uti-lisable et que 1 mètre cube de douellespermet de réaliser 10 fûts.

ne parviennent plus que difficilementà s’approvisionner, les merrandierspratiquant des tarifs qui rendentimpossible toute concurrence par unsecteur où la valeur ajoutée est nette-ment plus faible. Cette situation estune garantie contre un éventuel effon-drement des cours du chêne de pre-mier choix. De plus, les scieurs, profi-tant de toute baisse pour se réapprovi-sionner et refaire leurs stocks, soutien-nent involontairement les prix.

Chez nos voisins, les 5 plus grandestonnelleries représentent, à elles

La barrique gauloise est prête à partirà la conquête du monde, pour le plusgrand bonheur des amateurs.

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est substantielle (une barrique enlamellé-collé est 35 % moins chèrequ’une barrique traditionnelle).

Une découverte toute récente sembledevoir révolutionner le monde de latonnellerie : une société belge, lesÉtablissements R. STIERNON, spécia-lisée dans l’élaboration et la fournitu-re de produits chimiques, vient dedéposer un brevet pour un nouveauprocessus de traitement du bois desti-né à la fabrication de futaille. Le trai-tement enzymatique des merrainsprovoque, grâce à une solutionconcentrée d’enzymes totalementnaturels, un vieillissement accélérédu bois de chêne. Le procédé, qui uti-lise les mêmes enzymes que ceux libé-rés par les champignons qui coloni-sent le bois lors du séchage naturel,ramène la durée d’immobilisation desmerrains de deux ans à 1 mois, grâceà un séchage artificiel après traite-ment. Ce système permet dès lors deréduire très fortement les coûtsinduits par le stockage de grandesquantités de bois pendant une longuepériode.

CONCLUSION

Comme on peut le constater, une acti-vité traditionnelle comme la tonnelle-rie est en constante évolution et estsusceptible de connaître encore desdéveloppements intéressants dans lesprochaines années. Sous l’impulsiond’artisans visionnaires et de sociétés aufaîte de la technologie, il ne serait pasétonnant de voir ce secteur d’activitédevenir un exemple pour toutes lesindustries de transformation du bois.

Éléments de bibliographie

(1) VIVAS N., GLORIES Y., DONECHE B.,1996 – Réflexions sur le séchage naturel dubois de chêne destiné à la fabrication debarriques. Rev.For. Fr., XLVIII : 348-352

Les publications traitant du chêne merrainet de sa relation avec le vin sont relative-ment récentes mais extrêmement nom-breuses. Une bibliographie complète seraitdès lors très longue. On pourra consulter :

BARY-LENGER A., NEBOUT J.-P., 1993 – Lechêne. Éditions du Perron, Liège

GUEDEAU M., 1994 – Le chêne et le vin, unheureux mariage. Arbre actuel, 14 : 12-15

LACROIX J.-P. – Le bois de merrain, unehaute valorisation des chênes. Site O.N.F. :www.onf.fr

MOSEDALE J.R. and SAVILL P.S., 1996 –Variation in heartwood phenolics and oaklactones between species and phenologicaltypes of Quercus petraea ans Q. robur.Forestry, 69, 1 : 47-54

MOSEDALE J.R., 1995 – Effects of oak woodon the maturation of alcoholic beverageswith particular reference to whisky.Forestry, 68, 3 : 204-230

NAUDIN R. – Élevage des vins deBourgogne en fûts neufs de chêne –Influence de la qualité du bois sur la quali-té du vin. Site O.N.F. : www.onf.fr

PONTALLIER P., 1991 – Influence du chênedans l’élevage des vins rouges. Rev. For. Fr.,XLIII, 35-39

VIVAS N., GLORIES Y., DONECHE B., 1997 –Incidence de la durée du séchage naturel deQ. petraea et Q. robur sur la diversité de laflore fongique en place et sur quelquesaspects de son écologie. J. Sci. Tech.Tonnellerie 3, 17-25

et également…

VIVAS N., 1998 – Manuel de tonnellerie àl’usage des utilisateurs de futaille. ÉditionsFéret, Bordeaux

TARANSAUD J., 1976 – Le livre de la ton-nellerie. La roue à livres diffusion, Paris

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